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management grande distribution décathlon
Universit de Lige
Facult de Philosophie et Lettres Dpartement des Arts et Sciences de la Communication
PISSER BLEU
Les pratiques de communication managriale chez Dcathlon,
une source dadhsion des travailleurs lorganisation.
Mmoire prsent par Pirard Alexandra
en vue de lobtention du grade de Master en Information et Communication
Anne Acadmique 2011/ 2012
2
Remerciements
Ce mmoire, concernant un sujet qui maffecte particulirement, a reprsent une
relle aventure personnelle. Sa prparation et sa rdaction ont ncessit un cheminement
comportant des moments de difficult tant intellectuelle qumotionnelle. Sans laide de
quelques personnes, il maurait t difficile den venir bout.
Je voudrais ainsi remercier mes parents qui m'ont toujours soutenue, tant lors de larrt
partiel de ma scolarit que lors de mon dpart chaque matin pendant un an pour Dcathlon et,
enfin, lors de la reprise de mes tudes.
Merci ma promotrice, Madame Christine Servais, pour l'attention qu'elle a porte
mon travail, ses bons conseils et ses encouragements.
Enfin, je voudrais remercier chaleureusement mes anciens collgues du Dcathlon
Alleur, pour le temps prcieux quils mont consacr et pour la confiance quils mont
accorde. Si je suis parvenue achever ce travail, cest grce eux.
3
INTRODUCTION
Le 24 dcembre 2010 peu avant 18 h00, dans le magasin Dcathlon dAlleur en
priphrie ligeoise, une cliente se retrouve perplexe face un rayon croulant sous de
nombreux modles de bottines de randonne. Mission dlicate : elle cherche une paire de
chaussures poser sous le sapin pour son mari. Quelques minutes et conseils plus tard, cette
dame remercie chaleureusement la vendeuse qui la aide faire son choix. En sloignant
vers lalle des caisses, elle ajoute : Vous avez de la chance dtre l un soir comme
aujourdhui, avec les autres jeunes vendeurs. Vous semblez tre une grande famille, cest
sympa. La vendeuse lui souhaite un bon rveillon et sen retourne lacer les chaussures sur le
prsentoir. Quelque peu interloque : comment quelquun pouvait-il penser que lendroit
idal pour passer le dbut de soire de rveillon de Nol se trouvait l, au boulot, ranger des
chaussures de randonne ?
Ceci relve du registre de lanecdote, et elle nest quune parmi de nombreuses autres
qui piqua le questionnement de cette vendeuse, notre questionnement. Quest-ce qui avait pu
donner cette cliente particulire, la clientle en gnral et, principalement, certains
collgues vendeurs avec qui nous discutions, ce sentiment dappartenance une communaut
et mme plus, une famille ? Cette anecdote nous donna lenvie de comprendre et donc de
raliser cette recherche. Une intuition fonde sur une priode assez longue dobservation nous
soufflait loreille que cette impression dappartenance pouvait tre suscite par une puissante
culture dentreprise et donc par la communication interne de lenseigne. Lobjet de ce
mmoire porte donc sur la communication interne dans la multinationale darticles de sport,
Dcathlon.
Cependant ce concept de communication interne, souvent usit, pose en lui-mme
quelques problmes. Comme la soulign Bernard Floris, ce terme suppose une nette
sparation entre une communication interne destine aux salaris dune entreprise et une
communication externe destine aux personnes extrieures lentreprise, soit dans le cas qui
nous concerne : les consommateurs. Or dans les faits, la distinction savre plus complexe. Ce
concept spare artificiellement deux types de personnes qui peuvent tre lies. Un mme
individu peut la fois tre interne et externe : le salari peut effectivement aussi tre un
4
consommateur. Dautres ne sont ni dehors ni dedans, cest le cas des actionnaires, des
fournisseurs ou encore des sous-traitants, qui possdent pourtant des intrts communs
concernant la bonne sant conomique de lentreprise. En outre, les fondements idologiques
employs doivent tre cohrents et tre donc sensiblement les mmes, tant en interne quen
externe1. Effectivement la communication interne, comme nous le dcrirons, ainsi que la
communication externe, travers notamment la publicit, ont pour objectif de donner une
image jeune, dynamique et sportive de Dcathlon. Le travailleur reprsente en quelque sorte
une vitrine pour lextrieur. Ainsi, selon une citation de Philippe Schwebig, la qualit de la
communication interne reprsente la condition premire de la qualit de la communication
externe. 2 Sans poursuivre plus longuement ce dbat terminologique, nous admettons que ce
terme usuel de communication interne ne nous satisfait pas. Nous lui prfrons celui de
communication managriale . Nous nommons communication managriale lensemble des
techniques de communication labores par la gestion des ressources humaines et les chargs
de communication destines aux salaris dune entreprise.
L'adhsion volontaire active des travailleurs vaut plus pour l'organisation que la
soumission docile. 3 Partant de cette citation de la sociologue franaise Hlne Weber, qui
analysait la culture dentreprise au sein de la multinationale amricaine de restauration rapide,
McDonald's, nous tenterons de dcouvrir si cette rflexion vaut galement pour Dcathlon.
Nous essayerons de savoir si lentreprise tente consciemment de faire adhrer les travailleurs
son systme organisationnel. Notre hypothse de dpart tant que la communication
managriale chez Dcathlon na pas pour unique vocation dorganiser la vente, mais quelle
joue un rle primordial dans lengagement subjectif des travailleurs. Par cette tude, nous
chercherons donc dterminer si cette hypothse peut tre considre comme correcte. Pour
ce faire, la premire partie de ce mmoire sera consacre la contextualisation de notre
problmatique. Nous relaterons brivement lhistoire de lentreprise Dcathlon. Nous
1 Bernard Floris, La communication managriale : la modernisation symbolique des entreprises, Grenoble, PUG, 1996, pp. 182-187. 2 Philippe Schwebig, Les communications de lentreprise, Paris, Mac Graw-Hill, 1986.
3 Hlne Weber, Du Ketchup dans les veines : pratiques managriales et illusions. Le cas Mc Donalds, Toulouse, rs, 2011, p. 32.
5
exposerons la chronologie des rapports que nous, chercheur, avons entretenus avec elle. Et
nous conclurons cette premire partie par lvolution historique du management afin de bien
cerner en quoi celui pratiqu chez Dcathlon relve du management participatif. La seconde
partie de ce travail sattachera expliquer et justifier la mthodologie utilise lors de nos
recherches. Cette mthode mle, nous le verrons, entretiens qualitatifs et analyse de
documents internes lentreprise. Enfin, la troisime et majeure partie de ce mmoire
exposera et analysera par quelles stratgies et outils communicationnels, les responsables de la
gestion des ressources humaines tentent de susciter cette adhsion active auprs des
travailleurs. Comment sefforcent-ils de crer un individu conforme l'idologie de
l'entreprise, le Dcathlonien ? Enfin, quelles sont les forces dune telle organisation ?
Prcisons-le d'emble, l'adhsion effective des travailleurs ne sera pas tudie. Le
salari peut, en effet, se sentir plus ou moins en adquation avec les normes et les valeurs dun
groupe, ici de lentreprise. Il peut y adhrer totalement ou partiellement, ou, au contraire, se
trouver totalement en dsaccord par rapport au cadre de rfrence de lorganisation. Quel que
soit leur degr dimplication organisationnelle, certains travailleurs jouent le jeu qu'ils pensent
que l'organisation dsire les voir jouer. Cela tant prcis, il ne sera ainsi pas question de
savoir si oui ou non, les travailleurs de Dcathlon adhrent lentreprise qui les emploie, de
dterminer leur degr dimplication organisationnelle rel, mais d'tudier ce qui est mis en
place pour susciter leur engagement.
Ds les prmices de cette recherche et la lecture de notre hypothse de dpart
concernant ladhsion des travailleurs lentreprise, certains pourraient objecter quune telle
position relve dun parti pris idologique du chercheur. Pour leur rpondre, nous citerons le
sociologue Max Weber : Sans la ressource dun point de vue engageant des valeurs,
comment serait-il seulement possible de slectionner, dans le flux embrouill de ce qui
advient, ce qui mrite dtre relev, analys, dcrit. 4 Ainsi, bien quelle naisse dun point de
vue, dun questionnement, certes, idologiquement engag, la recherche, elle, est fonde sur
4Max Weber reformul par Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, ditions
Gallimard, 1999, p. 31.
6
une mthode rigoureuse base sur une forte implication de terrain que nous expliquerons ci-
aprs.
7
PREMIERE PARTIE : Contextualisation
8
1.1 Prsentation de lentreprise Dcathlon
Si lenseigne bleue et, peut-tre plus encore, le slogan A fond la forme sont
gnralement bien connus du public, sportif ou non, lhistoire de Dcathlon en tant
quentreprise lest lgitimement beaucoup moins. En guise de prambule, un petit retour sur la
cration de lorganisation, sur quelques dates importantes et sur le haut de son organigramme
pourrait donc savrer ncessaire. Ensuite, nous ferons rapidement de mme pour le magasin
Dcathlon situ Alleur, puisque nous avons bas notre recherche au sein de ce site
particulier.
A l'origine, Dcathlon est une entreprise franaise vendant des articles de sport. Le
premier magasin Dcathlon a t cr en 1976 prs de Lille par Michel Leclercq5. Un nom qui
nchappera pas au fru dconomie, puisquil est le cousin germain de Grard Mulliez, le
fondateur du groupe de supermarchs Auchan. La famille Mulliez, famille trs catholique,
originaire du nord de la France, a fait fortune dbut du XXe sicle dans lindustrie du textile6.
Dans les annes 50, une association familiale est cre regroupant 525 cousins, dont Michel
Leclercq. Cette association familiale Mulliez (AFM) est actionnaire majoritaire, entre autres
de Flunch, Leroy Merlin, Midas, Auto5, Pimkie et 3suisses. Parmi les particularits de lAFM,
signalons que les membres sont lis par un pacte dont un des articles interdit de vendre ses
parts un tiers ne descendant pas en ligne directe de Louis Mulliez-Lestienne7. Avec un
chiffre daffaires de plus de 70 milliards, lassociation reprsente le numro 12 mondial de la
distribution. A lui seul, Grard Mulliez se classe actuellement 2me
plus grande fortune de
France, juste derrire Bernard Arnault.
Le succs de lenseigne Dcathlon fut rapidement au rendez-vous, si bien quen
quelques annes, plusieurs structures se sont ouvertes ci et l dans lhexagone. En 1986,
plusieurs magasins voient le jour dans diffrents pays europens. Cette mme anne,
lentreprise Dcathlon ne soccupe plus uniquement de la distribution. Elle prend galement
5 Les informations historiques et chiffres que nous prsentons ici proviennent du site internet du groupe www.oxylane.fr
6Olivier Devillard et Dominique Rey, Culture d'entreprise : un actif stratgique, Efficacit et performance
collective, Paris, Dunod, 2008, p. 14.
7 Ibid.
9
en charge la production des produits quelle met en vente, de la conceptualisation la
ralisation. Crant ainsi depuis lAsie ses marques maison, les marques passions *8, qui
cohabitent dans les magasins de lenseigne au ct des grandes marques internationales.
Aujourdhui une vingtaine de ces marques passions ont vu le jour: Quechua pour la
randonne, Tribord pour les sports deau et Domyos pour le fitness tant les plus connues.
En 2008, le nom du groupe Dcathlon est abandonn pour Oxylane. Une contraction
entre les mots oxygne et lane, sentier en anglais. Cette nouvelle dnomination est choisie
dabord pour favoriser une ouverture dans les marchs des pays anglo-saxons, ensuite parce
que le groupe, stant lanc dans dautres activits, ne se rsume plus uniquement aux
magasins Dcathlon. Le groupe Oxylane comprend galement, en effet, parmi les plus
connus : Ataos, pour la vente de matriel sportif doccasion, Koodza, pour la distribution des
marques passions prix rduits et Dcapro pour la vente de matriel aux professionnels. Cette
mme anne, Yves Claude devient le directeur gnral du groupe. Michel Leclercq conserve,
lui, sa position de prsident jusquen 2009, date laquelle son fils, Olivier Leclercq, lui
succde. Le 22 juin 2012, Mathieu Leclercq remplace son frre la tte de la socit.
Sur la page daccueil de son site internet destin aux collaborateurs et aux entreprises
partenaires, le groupe Oxylane se prsente comme suit.
Dans les entreprises du rseau Oxylane, nous avons plac dlibrment l'Homme au cur, que ce soit :
- Le collaborateur, premire richesse de nos entreprises
- L'utilisateur de nos produits ou le client de nos formes de vente
- Le partenaire externe, fournisseur, collectivit ...
- L'actionnaire
Notre promesse : que chacun soit satisfait et gagnant sur le long terme.
Outre les diffrents points de vente et de conception darticles de sport que nous
venons de passer en revue, depuis 2005, Dcathlon a galement cr sa propre fondation, qui
porte son nom. Sa finalit, duquer et intgrer par le sport, dans diffrents pays o vivent et
travaillent les collaborateurs de lentreprise .
Aujourdhui, Oxylane emploie plus de 50.000 collaborateurs dans le monde, pour la
conception, la production et la vente confondues de leurs produits. Pour 2011, avec une
totalit de 700 magasins, son chiffre daffaires slevait 5.978 milliards deuros. Le capital
8 Tout au long de ce mmoire, les termes suivis dun astrisque seront dfinis dans le glossaire figurant en fin douvrage.
10
du groupe est dtenu 43% par la famille Leclercq et 45% par la famille Mulliez. Depuis
1985, le capital de Dcathlon, comme celui des autres grandes entreprises appartenant
lassociation familiale Mulliez, est aussi ouvert aux salaris de lentreprise. Cette participation
lactionnariat par les travailleurs de Dcathlon se fait via le fond Oxyval. Selon les comptes
publis par lentreprise en 2011, les salaris sont actionnaires de 12% de lentreprise.
Dans ce march de la distribution darticles de sport, deux groupes peuvent tre
considrs comme les principaux concurrents de Dcathlon : Intersport et Gosport. Cependant,
en Europe, Dcathlon demeure sur la plus haute marche du podium. En terme de stratgie
marketing, Dcathlon se diffrencie de ses concurrents en misant sur des produits bon march
et innovants9. Il dtient ainsi diffrents centres de recherche pour dvelopper ses propres
marques de composantes. A elles seules, les marques maison du groupe reprsentent 80% du
chiffre daffaires.
1.2 Le site dAlleur
Pour cette tude, nous nous sommes particulirement intresse lun des 14 magasins
prsents en Belgique : celui dAlleur. Ce magasin situ dans la priphrie ligeoise, dans un
zoning industriel et commercial comme la plupart des magasins de lenseigne, est le plus
important de Wallonie tant en terme de superficie que de chiffre daffaires. Ouvert en 1997, il
compte aujourdhui 120 travailleurs engags sous contrat dure indtermine (CDI).
Cependant, l'effectif complet se compose gnralement de 170 280 personnes, selon les
priodes de lanne. Depuis 2010, le directeur du magasin est Raphal Mathonet.
9 Cette stratgie marketing est donne dans le documentaire de Jean-Christophe Portes, Magasin de sport fond la concurrence !, Dreamway Production, 2012.
11
1.3 Dcathlon et moi
Comme cela a t voqu dans lintroduction, nous avons eu loccasion de frquenter
lentreprise Dcathlon de trs prs. De lintrieur. Avant desquisser cette exprience, prenons
quelques accords syntaxiques pralables : afin de diffrencier plus aisment le Moi
chercheur qui ralise cette recherche et le Moi dcathlonien , ayant travaill pour
lentreprise durant une anne, le passage concernant le second sera crit la premire
personne du singulier. Lusage du Nous de modestie sera remploy par la suite, lorsque
nous reprendrons la position de chercheur.
Lhistoire commence en octobre 2009. Aprs quelques semaines passes sur les bancs
de luniversit, en premire anne de master, je dcide de mettre fin mon parcours scolaire,
avec pour objectif de me lancer dfinitivement dans la vie active. Dans ce but, les journes
suivantes sont consacres la mise en conformit administrative : remplir des documents pour
lUniversit, le Forem ou encore la Maison de lemploi. Sur ma lance administrative, je
dcide de minscrire dans une agence intrim, Lem. Ds le lendemain, lagence me contacte
pour une mission , selon lexpression consacre au sein de lagence. Il sagit de distribuer
aux clients des coupons de rduction durant 9 heures lentre de la grande surface Carrefour.
Comme la mission se droule sans encombre, je suis reprise pour cette mme tche le
lendemain. Cela ne reprsente videmment pas le boulot rv : htesse, debout toute la
journe, entre deux portes, dans les courants dair froid doctobre. Cette mission signifie ainsi
une entre plutt difficile dans le monde du travail.
Le soir, en revenant de cette journe somme toute assez pnible, je reois le coup de fil
dune opratrice de chez Lem. Elle mapprend que lagence intrim coopre rgulirement
avec le magasin Dcathlon. Elle mexplique qu condition de lui envoyer assez rapidement
mon CV, elle peut leur proposer ma candidature pour un poste de vendeur. Enfin, si je suis
intresse, bien entendu. Comment aurais-je pu ne pas ltre ? En tant que cliente, je ctoyais
rgulirement lenseigne. Javais dj eu loccasion dtre conseille par des vendeurs sur lun
ou lautre produit et javais pu constater quen plus dtre sportifs, les travailleurs semblaient
relativement jeunes. Afin de mettre toutes les chances de mon ct, le soir mme mon CV
frachement mis jour est envoy. Lopratrice me rappelle ds le lendemain : je commence
ma mission de deux jours chez Dcathlon, Alleur, le lundi matin.
12
Nous sommes deux intrimaires envoyes par lagence pour cette mission : il sagit de
remplacer les racks* de chaque rayon. Dun mtal gris clair, ils doivent passer un gris fonc.
Pas de gilet gris et bleu pour nous, puisque le client ne doit pas nous confondre avec lquipe
de vendeurs sportifs. Durant deux journes entires, nous enlevons donc la marchandise
prsente en rayon, dcrochons et empilons les anciens racks afin daccrocher les nouveaux aux
grilles prvues cet effet. Une tche qui peut sembler pnible, puisque rptitive et trs
physique, mais elle ne lest pas pour nous. Depuis deux ans, lautre intrimaire, ma collgue,
peinait trouver un boulot mme en intrim. Quant moi, ma courte exprience
professionnelle dcrite plus haut ntait pas des plus rjouissantes. Apparemment notre
motivation est remarque. Avant notre dpart dfinitif , aprs les deux jours de mission, le
responsable dun rayon, lunivers* chaussures de randonne, vient nous parler. Il manque de
personnel pour lhiver, la grosse saison du rayon. Une place est pourvoir. Une seule. Nous
devons le rencontrer en face face le lendemain dans laprs-midi.
Je suis dtermine obtenir ce poste, ma collgue aussi. Malgr les liens qui
commencent stablir entre deux personnes travaillant deux journes compltes cte cte,
et qui, ntant pas intgres avec les travailleurs en gilet , ont tendance rester ensemble
pendant lheure de table ou les pauses, nos parcours respectifs persistent dans un coin de nos
ttes. Lors de lentretien dembauche, lorsque le responsable univers (RU*) me demande
pourquoi moi plutt que lautre je mets en avant mon dynamisme et ma passion pour le sport.
A lissue de lentretien, je suis slectionne et engage, toujours en tant quintrimaire, au sein
de lquipe de chaussures de randonne.
Ma tche se rsume principalement conserver un rayon bien rang, un facing*
irrprochable , remettre des attaches aux paires de chaussures qui en sont dpourvues et
dcharger le camion de marchandises. Les conseils clients sont rservs mes collgues,
nayant, vu mon statut dintrimaire, reu aucune formation concernant les produits dispenss.
Enthousiaste malgr tout, je mattelle cette tche durant 3 mois et demi temps plein (36
heures par semaine), jusqu la fin des soldes de janvier. A partir de cette priode, le rayon
ntant plus considr en grosse saison, plus aucun avenant concernant un supplment d'heures
de travail ne peut tre accord. Les employs contrat dure indtermine (CDI) et dure
dtermine (CDD) redescendent la base minimale pour laquelle ils ont t engags
13
contractuellement, principalement 9 ou 18 heures. Et forcment, il ne persiste aucune place
disponible pour les intrimaires. Je quitte donc Alleur, un peu due, pour prendre un boulot
de remplaante technicienne de surface dans une maison de repos.
Deux semaines plus tard, je reois un appel tlphonique dune autre responsable de
chez Dcathlon, celle de lunivers bain. Elle recherche un candidat pour un CDD de 36 heures
par semaine pour effectuer la grosse saison au sein de son quipe. Aprs un nouvel entretien,
je suis donc rembauche fin fvrier pour un contrat de 4 mois qui sera renouvel par la suite.
Je vis avec beaucoup de fiert mon retour chez Dcathlon. Ds le dpt de mes effets
personnels dans le vestiaire, je saisis que je fais prsent bel et bien partie de la communaut
des Dcathloniens. Jai droit un casier avec mon nom/prnom et fonction. A cet gard, une
collgue me conseille dacheter un cadenas dans le rayon pche, certains intrimaires
profitant des pauses pour voler dans les vestiaires . Je nen fais rien, mais souris : je suis
enfin introduite.
Le rayon bain proposant des articles distincts de celui par lequel jtais passe
prcdemment, les tches sont galement diffrentes, bien quaussi rptitives. Il sagit de
dballer la marchandise et de cintrer les maillots et les bikinis. Cependant, je mpanouis dans
cette tche. Principalement parce quayant reu une formation sur les produits, je peux
prsent enfin conseiller les clients potentiels. Les nombreuses intrimaires, prsentes dans le
rayon pour les semaines de grande affluence, me posent des questions, ce qui est, il faut
lavouer, assez valorisant.
Par ces quelques lignes, le lecteur aura pu se rendre compte que, dans mon entre au
sein de l'entreprise Dcathlon, il ny avait aucune dmarche mthodologique lie une tude.
Aucune volont dobserver mes semblables comme la fait Renaud de Sainsaulieu 10 en se
faisant engager comme OS, ouvrier spcialis, dans une usine, ou comme Robert Linhart 11
qui travailla la chane chez Citron. Malgr tout le respect et ladmiration que jai lgard
de leur travail, mon intention ntait pas den faire autant, toutes proportions gardes. Il ne faut
y voir aucune dmarche autre que celle dune jeune personne qui tente de gagner sa vie.
Jusquen juillet, en tout cas. A partir de ce moment, le renouvellement de mon contrat
10
Renaud de Sainsaulieu, Lidentit au travail, Paris, Rfrences Acadmiques, Presse de Sciences po, 1988. 11
Robert Linhart, Ltabli, Paris, Minuit, 1978.
14
approchant, je dois prendre une dcision : soit rester au moins 4 mois de plus, soit reprendre
mes tudes l o je les avais laisses? Aprs mre rflexion et en dpit des conseils de mes
collgues et responsables qui me soufflent quaprs mon troisime CDD suivra plus que
certainement le Graal, le CDI, je choisis de reprendre mes tudes ds lanne acadmique
suivante.
A partir de ce moment, je dcide de mettre profit ma position particulire, la fois de
Dcathlonienne et dtudiante en communication, pour mintresser la culture de
lentreprise. Jouvre les yeux sur les diverses pratiques quotidiennes, sur ce qui y est dit,
montr, suggr. Mais galement, et mon intrt principal est l, jobserve directement leffet
que tous ces discours peuvent avoir sur mes collgues. A partir de ce moment, jadopte une
position dobservation participante et ce durant mes 3 derniers mois de travail au sein de
l'entreprise, jusqu la reprise des cours en octobre 2010. Cette mthode immanquablement
riche sera dcrite dans la deuxime partie de ce mmoire concernant la mthodologie. Mais
prcisons demble que cette approche radicalement diffrente ne s'est pas produite du jour au
lendemain. J'ai connu, en effet, un parcours de maturation qui m'a amene adopter cette
dmarche de chercheur.
Durant ce parcours de maturation, un pisode particulier mrite dtre soulign. Bien
quanecdotique, il suscite en moi pas mal dinterrogations et constituera, par la suite, une des
principales motivations de ma recherche. Dans le courant du mois de mai, japprends, de la
bouche de la principale intresse, que la dlgue syndicale FGTB du site se prpare quitter
le groupe. Elle ne supporte plus lattitude de la direction son gard qui la dnigre par des
mails envoys lensemble du personnel, ou encore, qui met en cause la dlgation du
syndicat socialiste12
par un affichage aux valves. Cette attitude ngative envers la dlgue a
des consquences directes sur son quotidien dans lentreprise. Certains vendeurs sportifs
regrettent quelle empoisonne le systme alors queux-mmes ne lui demandent rien. Cette
dlgue minterroge sur mon envie de reprendre le flambeau (lorsque le dlgu syndical
12 Je pense ici un cas prcis o la FGTB a revendiqu que les travailleurs soient rmunrs 200%, et non plus
150%, lors des dmnagements des rayons effectus durant la nuit. La direction refuse cette hausse de
salaire. Dans la foule, elle impose aux travailleurs de reprendre leur jour de rcupration dans la semaine
suivant le dmnagement. Alors quauparavant, ce jour pouvait tre repris par le travailleur au moment de
lanne qui lui convenait. La direction justifie cette dcision par lintervention hargneuse du syndicat.
15
dune entreprise quitte son emploi, on nattend pas les lections sociales suivantes sans
dlgu. Celui ou celle qui le dsire peut reprendre cette place, en tant quintrimaire).
Ayant une relle foi dans la pertinence du syndicat au sein dune entreprise, cette proposition
me plat. Nanmoins comme expliqu plus haut, je quitte lentreprise quelques mois plus tard.
Comme personne ne souhaite reprendre cette fonction, on fait appel en renfort la dlgue
syndicale CGSLB du magasin de Lige centre-ville, qui depuis passe un jour par semaine sur
le site dAlleur13.
On voudrait spontanment se mettre au-dessus de la mle. Se persuader au regard
dune situation quelconque de la vie, professionnelle ou non, que dans pareil cas, on aurait
ragi d'une autre manire. On se convainc que notre personne nest pas catgorisable, ne
pourrait entrer dans un moule. Cest en renonant cette volont spontane que jai abord les
travailleurs de Dcathlon lors des entretiens. Cette position de vendeur sportif, je lai occupe :
la personne qui cherchait un emploi, qui a tent de dmontrer quelle tait meilleure quune
autre travailleuse pour tre reprise. Jai t satisfaite et reconnaissante envers lentreprise
davoir t choisie, fire davoir un boulot dans une multinationale dynamique comme
Dcathlon. Mais galement, fire de moi tenant des discours teints de bien sr, il y a du
chmage, mais quand on le veut vraiment Je me suis surpasse dans les tches qui
mtaient demandes, pour tenter dobtenir le contrat dure indtermine, au dtriment
dautres collgues. Ai-je adhr et eu foi dans le systme Dcathlon ? Oui, dans une certaine
mesure.
Je lai voqu prcdemment, jai connu un parcours de maturation ponctu dpisodes
qui mont permis de prendre un certain recul sur mon moi Dcathlonien , sur les valeurs
auxquelles jai cru et sur lattitude que jai adopte pendant prs dun an. Boltanski,
Ehrenberg et de Gaulejac, mes premires lectures thoriques concernant la prparation de ce
mmoire, ont constitu, plus que quelques pas en arrire, lenlvement dfinitif de mon gilet
symbolique. Ils mont permis de comprendre lorganisation, et par la suite, de dculpabiliser :
javais t exactement celle que lorganisation souhaitait que je sois.
13
Malgr les lections sociales de mai 2012, faute de candidat, cette situation est reste inchange.
16
1.4 Bref historique du management
Dans ce dernier chapitre de notre premire partie consacre, rappelons-le, la
contextualisation de la problmatique, nous reviendrons rapidement sur les origines et
lvolution du management, concernant particulirement la place attribue lhomme au sein
de lorganisation, pour en arriver au management participatif. Puisque le management pratiqu
au sein de Dcathlon relve de ce courant.
Daprs la dfinition de Raymond-Alain Thitart, le management, cest laction ou
lart ou la manire de conduire une organisation, de la diriger, de planifier son dveloppement,
de la contrler. 14
Dans toute entreprise, quimporte sa taille, son ge ou sa nationalit, pour
parvenir aux objectifs, trois types de ressources sont mobiliss : les ressources financires, les
ressources techniques et enfin les ressources humaines. Une simple recherche sur internet nous
permet dapercevoir la nbulosit qui entoure le terme de management, parfois utilis
indiffremment de celui de gestion. Gnralement, cependant, lorsque le terme de
management est usit, il concerne la troisime ressource dont dispose lentreprise, les
ressources humaines. Soulignons-le, cest dans ce sens que nous utiliserons le terme tout au
long de ce mmoire.
Le management nest pas une discipline qui observe et dcrit ce quelle voit au sein
des organisations. Elle dicte des comportements pour tenter de parvenir des rsultats
prdfinis. Il sagit donc bel et bien dune discipline normative et prescriptive, et non dune
discipline constatative15
. Par consquent, il existe une relation claire entre le discours prsent
dans la littrature managriale et la pratique du management dans les organisations. De cette
constatation rsulte la difficult de raliser une recherche sur une question concernant la
communication managriale, sans retracer brivement lhistoire mme de la discipline et les
courants qui lont traverse, afin de dduire de quels courants a pu sinspirer Dcathlon,
lorganisation qui nous occupe.
Nous nous inspirons, ici, de lhistorique que ralise Thitart16 dans le QSJ concernant
le management. Communment, dans toute histoire du management, on saccorde dire que la
14 Raymond-Alain Thitart, Le Management, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , 2003, p. 7. 15 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, pp. 94-95. 16 Raymond-Alain Thitart, Le Management, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , 2003, pp. 10-24.
17
discipline trouve ses racines au dbut du XXe, avec Henri Fayol en France, Frederik Taylor et
Henri Ford aux tats-Unis. Selon Fayol, les tches doivent tre spcialises afin quune
expertise se dveloppe dans leur excution. Les oprations doivent tre standardises et
demeurer sous la direction dun seul, unique responsable de la prise de dcision. Un acronyme
rsume sa conception du management : PODC (Planifier-Organiser-Diriger-Contrler).
Pour Taylor, et cela fut mis en pratique dans les usines Ford, la dcomposition et
loptimisation des tches entranent un gain de temps non ngligeable. Le Fordisme introduit,
lui, le travail la chane et lautomatisation du travail ouvrier. Louvrier devient une machine
dont on attend rapidit et rendement grce des gestes trs rptitifs. Dans ces trois
conceptions du management, on laisse peu de place louvrier en tant quhumain, sa
subjectivit tant renvoye la sphre prive. La principale motivation du travailleur vient du
salaire puisque, dans le cas du Fordisme et du Taylorisme, la rtribution dpend du rendement
de lindividu. La hirarchie est fortement marque, chaque position dans lentreprise a un rle
dfini qui lui est associ : la direction conoit et planifie des stratgies, les ouvriers les
excutent.
Quelques thoriciens, dans les annes 40, remettent en question cette faon de relguer
lhumain au second plan dans lorganisation. Il sagit de lcole des relations humaines, porte
ses dbuts principalement par Elton Mayo. A la suite dune srie dexpriences, il dmontre
que le facteur humain doit tre prpondrant dans la recherche de productivit de lentreprise.
Durant les dcennies 60-70, Henri Mintzberg mise, lui, sur une culture
organisationnelle forte, sur un ensemble de valeurs, de reprsentations partages par les
membres, ou, du moins, acceptables pour chacun deux. 17 Ces valeurs doivent dterminer un
certain nombre dattitudes et de comportements des membres de lorganisation. Au final, cette
culture organisationnelle lie les membres de lorganisation entre eux puisque ceux-ci partagent
le mme socle de valeurs. Une implication personnelle des travailleurs est attendue, la
subjectivit de la ressource humaine fait donc irruption dans le monde de lentreprise.
Dans les annes 90, pour impliquer encore un peu plus le personnel dans son
entreprise, il faut tenter de le motiver. Pour y parvenir, on va lui dmontrer que concernant son
17
Henri Mintzberg, The effective organization. Force and Form, pp. 19-36. Cit par Annie Cornet, Analyse
conomique et sociale de lentreprise, Les ditions de lUniversit de Lige, 2011, p. 62.
18
travail, il a voix au chapitre. Cest la vocation du management participatif. Dans ce courant, le
management se veut clairement antihirarchique afin de mettre en avant lgalit et les liberts
individuelles. Il ne sagit plus de faire travailler louvrier en le menaant de sanction mais de
mettre en place des lments qui lui inculqueront lenvie de raliser son travail. Les anciens
chefs sont dsormais des animateurs qui essayent de faire adhrer leurs quipes aux objectifs
des leaders. Afin de responsabiliser, on se concentre sur les rsultats individuels de chaque
travailleur. Dans cette optique, tre engag dans lentreprise possde une dimension trs
sduisante. Dune part, pour le dveloppement personnel, puisque de lautonomie est accorde
au salari, il nest plus un simple excutant. Dautre part, parce que, grce son emploi, le
travailleur sinvestit pour une ambition plus large : le projet de son entreprise. Ce qui peut
constituer une relle motivation. Les matres mots des responsables dune entreprise se
revendiquant du management participatif sont AMRD : animer et grer son groupe, le
motiver, responsabiliser son personnel, tout en dlguant les responsabilits18
.
Si aujourdhui, en 2012, la littrature concernant la pratique quotidienne du
management participatif est abondante, ses dbuts, deux livres ont particulirement favoris
ce nouveau courant managrial : Lentreprise du troisime type et Le Prix de lexcellence. Le
second, rdig par deux anciens collaborateurs de chez Mc Kinsey, Tom Peeters et Robert
Waterman, fut un best-seller et est toujours considr comme une bible du management
participatif. Dans ce livre, les auteurs font part de leurs observations au sein de 64 entreprises :
les entreprises qui marchent ont recours aux mmes trucs pour sassurer que tous leurs
employs adhrent leur systme de valeurs, leur culture ou sen vont. 19 Ils dgagent
diffrentes techniques pour obtenir un service de qualit en exigeant une performance de
lhomme moyen, une productivit par le personnel. 20
Il nous faut constater, conscutivement ce bref historique du management, que la
conception de la place accorder lhomme au sein de lentreprise, a radicalement chang.
18 Grard Ouimet et Yves Dufour, Vivre et grer le changement ensemble ?, Revue Franaise de gestion n113, 1997.
19 Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de lexcellence : les secrets des meilleures entreprises, Paris, Inter
ditions, 1983, p. 18.
20 Ibid.
19
Dun ouvrier dont son patron attendait autrefois quil excute les dcisions stratgiques
manant de ses suprieurs, avec pour seule motivation le salaire de fin de mois, on attend
prsent quil sengage pleinement dans son travail, et cela passe, notamment, par sa
participation la prise de dcision. On attend de lui quil adhre la culture de lentreprise
dans laquelle il va tre intgr. Ce changement de conception porte galement des
consquences sur le type de rmunration : dun salaire fixe calcul sur base de barmes lis
au statut, lge et lanciennet, on passe une rmunration plus individualise en fonction
des rsultats, avec une forte tendance la distribution de primes individualises21
. Ainsi, on
passe un systme plus individualisant o seuls les meilleurs seront rcompenss. Un extrait
tir de lintroduction du Prix de lexcellence nous semblait bien illustrer cette nouvelle
conception de lhumain.
Pour comprendre comment les meilleures entreprises russissent si bien susciter lenvie de sengager et dinnover rgulirement chez des dizaines, mme des centaines dindividus, il est indispensable de tenir compte de leur manire de traiter ces contradictions inhrentes la
nature humaine.
- Nous sommes tous des gocentriques lafft du moindre compliment et nous aimons gnralement nous considrer comme des gagnants.
- Nous sommes ce que lenvironnement fait de nous, nous sommes sensibles aux rcompenses et aux punitions extrieures
- Nous sommes aussi mens par lintrieur, auto-motiv. - Nous avons besoin de donner un sens notre vie et nous sommes prts faire beaucoup de
sacrifices pour les institutions qui nous y aident. En mme temps nous avons besoin
dindpendance, besoin davoir limpression que nous sommes matres de notre destine et de pouvoir nous distinguer.
22
A bien des gards, tant dans les trucs et astuces que les auteurs donnent pour motiver et
impliquer les salaris, que dans la conception gnrale quils ont de lhomme, et donc du
travailleur, il semble que Dcathlon se soit particulirement inspir du Prix de lexcellence et
relve du courant quil a initi, le management participatif. Nous y reviendrons longuement
par la suite dans la troisime partie de ce travail consacre lanalyse des pratiques de
communication managriale dans lenseigne.
21
Annie Cornet, Analyse conomique et sociale de lentreprise, Les ditions de lUniversit de Lige, 2011, p. 94.
22Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de lexcellence : les secrets des meilleures entreprises, Paris, Inter
ditions, 1983, p. 75.
20
DEUXIEME PARTIE : Mthodologie
21
2.1 Introduction
Cette seconde partie sera consacre lexposition et la justification des diffrentes
mthodes utilises dans le cadre de cette recherche.
Cette prsente analyse est ainsi consacre la communication managriale pratique
chez Dcathlon. Cependant, le groupe possdant plus de 700 magasins travers le monde, il
nous fallait dlimiter le terrain de notre recherche. Pour le choix du terrain dinvestigation,
nous avons dcid dopter pour le site dAlleur puisque, comme nous y avions travaill, tant
certaines de ses pratiques que ses diffrents acteurs commenaient nous tre familiers. Notre
collecte de donnes empiriques sappuient sur de lobservation participante, des entretiens de
travailleurs du site dAlleur et de lanalyse de diffrents documents internes de ce magasin. Si
certains de ces documents sont communs lentiret du groupe Oxylane, dautres sont
propres aux Dcathlons belges, dautres encore sont spcifiques Alleur. En toute rigueur
scientifique, nous circonscrivons nos conclusions ce site particulier. Cela nquivaut
cependant pas dire que notre analyse ne serait pas valable pour un autre Dcathlon. Il doit
assurment exister une cohrence concernant la culture dentreprise entre Dcathlon France et
Dcathlon Allemagne, par exemple. Certainement aussi entre celle du Dcathlon implant
dans le centre de Moscou et celui de la priphrie de Shanga. Une cohrence, certes, mais
comme nous le montre la littrature scientifique sur la gestion interculturelle en entreprise, la
culture dentreprise dune mme socit va sadapter au pays ou la rgion dans laquelle elle
dsire simplanter23. Notre recherche porte ainsi sur la communication managriale au sein du
Dcathlon Alleur.
Diffrents outils communicationnels composent notre objet danalyse. Des plus
traditionnels comme le journal de lentreprise, La Moquette, et le journal du groupe Oxylane,
Passion, aux autres publications que sont les newsletters ou les affiches, par exemple. Le
projet de lentreprise, les formations, les consultations internes et les enqutes auprs des
collaborateurs ont galement t analyss. La communication de recrutement, bien quelle soit
cheval entre la communication interne et externe, a t aussi soumise examen. Tout comme
23
Le lecteur pourra consulter sur ce thme Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis, Jean-Franois Chanlat, Gestion
en contexte interculturel. Approches, problmatiques, pratiques et plonges. Montral, Les presses de
lUniversit Laval, 2008.
22
les divers vnements, ftes, assembles, challenges, auxquels sont convis les travailleurs.
Pour cette recherche, nous dsirions tudier ces diverses techniques de communication et leur
inscription dans une dmarche symbolique, idologique. Notre hypothse tant que cette
communication joue un rle considrable pour faire adhrer le travailleur lentreprise, il nous
fallait laborer une mthode qui permette de saisir la fois lapplication quotidienne de la
communication, la dmarche identifier derrire celle-ci, mais galement lapproche du vcu
des diffrents acteurs de notre terrain par rapport cette communication. Ces diffrentes
approches se devaient donc dtre complmentaires.
2.2 Lobservation participante
Pour apprhender notre problmatique, plusieurs mthodes de travail ont t labores.
Comme nous lavons voqu prcdemment, notre hypothse de dpart provient dune
observation participante. Elle a t la premire mthode de rcolte dinformations. Cest donc
le terrain qui a suscit notre questionnement, attis notre curiosit de chercheur. Sans pour
autant avoir ralis une grille dobservation en tant que telle, instinctivement une srie de
thmes nous ont intresss et ont attirs chaque jour notre attention durant ces trois mois.
Principalement : lorganisation du travail (la division du travail, les formations, les entretiens
et les valuations des travailleurs), les techniques de gestion des ressources humaines (GRH)
(le type de contrat propos, le systme de rmunration qui lui est allou mais aussi, par
exemple, les qualits des personnes embauches) et videmment la culture de lentreprise (les
valeurs mises en avant, les rgles qui en dcoulent).
Durant cette premire phase dexploration, plusieurs entretiens informels ont t
raliss, sapparentant des discussions entre collgues. Quils aient lieu en salle de pause, le
matin avant louverture des portes par le gardien de nuit ou aprs une formation, ces changes
concernaient lorganisation des tches au quotidien, les manifestations festives de lentreprise
ou encore les incidents du type avertissement de la direction ou licenciement qui pouvaient
survenir. Si ces entretiens nont que peu de valeur pour la recherche scientifique, ils furent
empreints dune grande richesse et sont en partie linitiative de cette recherche. videmment,
durant ces trois mois dobservation participante, de par notre position de salarie de
lentreprise, nous navions pas accs la prise de dcisions stratgiques, mais uniquement
23
leurs implications et leurs consquences sur la base, les vendeurs sportifs et les htesses de
caisse. Cest partir de cette phase de terrain que se sont forges notre question de dpart et
des pistes dexploration sur le sujet. Notre premire interrogation consiste se demander si la
communication interne naurait pas pour unique vocation de rendre possible la vente darticles
de sport, mais jouerait un rle prpondrant dans une politique dimplication et dadhsion des
travailleurs aux valeurs de lentreprise. Ensuite, dautres questionnements sont venus
complter notre rflexion : les travailleurs engags le sont-ils parce quils correspondent aux
valeurs prnes par lentreprise ou celles-ci leurs sont-elles inculques par la suite ? Ou encore
quelles sont les consquences dune culture dentreprise aussi puissante sur laction
collective ?
Lobservation participante constitua ainsi le point de dpart de ce mmoire. Le terrain
ne fut pas par consquent, et contrairement la tendance gnrale des mmoires, un moyen de
vrifier une problmatique dj bien tablie, mais linverse le commencement de notre
rflexion, exploration et questionnement.
2.3 Entretiens
Une fois les premires questions de dpart souleves, le choix demployer une
mthode qualitative sest assez rapidement impos. Il fallait, en effet, cerner la fois la
communication interne formelle mais aussi informelle, et, surtout, saisir la dynamique
complexe qui rgule linteraction entre le travailleur et lentreprise. Un tel sujet concernant la
culture dune entreprise, les valeurs et surtout leffet produit sur les travailleurs, tait, semble-
t-il, difficilement perceptible par une mthode statistique24
ou une analyse de contenu seule.
La premire, la mthode statistique permet de classer en fonction de catgories, mais quelles
auraient t des catgories intressantes et non rductrices dans le cas de cette recherche
concernant lengagement ?25 Nous dsirions saisir la culture de lentreprise comme un
systme, avec diffrentes imbrications. La seconde, lanalyse de contenu des documents aurait
24
Notons toutefois que certains auteurs ont us de cette mthode statistique pour saisir la culture dentreprise voir par exemple, Geert Hofstede, Les diffrences culturelles dans le management, Paris, ditions dOrganisation, 1987.
25 Michel de Certeau, Linvention du quotidien 1. Arts de faire, Introduction, Paris, Gallimard (1980) 1990, XXXV-
LIII.
24
t, semble-t-il, incomplte. Effectivement, quelques affiches et articles de journaux mis
part, nous navions ici que peu de donnes de base tablies. Cette mthode se concentrant sur
les documents naurait, de plus, pu cerner lusage quen font les travailleurs qui ils sont
destins. La finalit de la mthode qualitative pour laquelle nous avons opt tait dobtenir des
informations plus fines et nuances concernant limplication des travailleurs, bien quelle ne
puisse prtendre obtenir des rsultats gnralisables dautres contextes.
Trois acteurs cls concerns par la communication managriale chez Dcathlon ont
rapidement t identifis. En premier, le responsable de la communication et de la GRH qui
traduit les objectifs de la direction en matire de culture dentreprise et de valeurs en
dveloppant une stratgie et des outils managriaux. Dans un second temps, un responsable de
rayon qui use concrtement des applications de management mises sa disposition. Pour
approcher ces deux premiers acteurs nous avons choisi une mthode assez classique
dentretiens semi-directifs. Principalement parce que la dure de lentretien tait fixe par ces
responsables, de 20 30 minutes et que le choix de leur lieu de travail nous tait impos. En
disposant de si peu de temps, dans un lieu qui, de prime abord, peut mal se prter la
discussion, il sagissait donc daller directement lessentiel en pointant les sujets et les
thmes prvus.
Enfin, nous avons choisi daborder un dernier acteur : la base de lentreprise, tant les
vendeurs sportifs que les htesses de caisse. Les travailleurs directement viss et touchs
chaque jour par ces techniques de management. Pour ces derniers entretiens, nous avons choisi
dutiliser la mthode dentretien comprhensif de Jean-Claude Kauffman26. Il sagit dune
mthode dentretien non-directif qui sapparente une discussion o lenquteur laisse
sexprimer librement lenqut. Si linterviewer pose, cependant, parfois des questions de fait,
de sentiment, dopinion sur des problmes qui lintressent, il le fait en sefforant de ne pas
rompre le discours spontan de linterview. Lessentiel de la mthode tant de provoquer une
discussion riche, permettant daller plus en profondeur. Ces discours spontans possdent la
particularit de dissimuler lessentiel dans les dtours et les biais de la conversation, dans les
rats de la parole claire, dans les digressions incomprhensibles et les dngations troubles. 27
26 Jean-Claude Kaufmann, Lentretien comprhensif, Paris, Armand Colin, 2007. 27 Op. cit. p. 20. De ce fait, nous avons, pour chacun des extraits prsents dans la partie suivante, conserv le langage oral.
25
Pratiquement, lentretien se droulait dans un lieu choisi par linterview hors de
Dcathlon et durait entre soixante et nonante minutes. Aprs un bref dialogue d'introduction
avec linterview, nous lui expliquions trs succinctement le thme de la recherche la
communication managriale chez Dcathlon. Dans ce type dentretien, la premire question
est particulirement importante puisquelle dtermine la suite de lentretien. Elle a pour
objectif de mettre linterview en confiance. Dans notre cas, aprs avoir demand quel nom
demprunt il souhaitait porter dans notre travail, ce qui le faisait sourire, tout en lui certifiant
son anonymat, la premire question tait toujours similaire, pouvez-vous mexpliquer
comment tes-vous arriv(e) chez Dcathlon ? Une demande assez simple afin de dtendre
latmosphre, rassurer sur la difficult des questions, sans brusquer linterview. La suite de
lentretien se rsume difficilement puisque chacun est particulier : lordre des thmes
aborder ntait pas systmatiquement identique, les questions elles-mmes ne ltaient pas
toujours. Tout se dcidait au gr de la conversation et au hasard des digressions. Nous
disposions cependant bien dune grille dentretien constitue de thmes (le parcours
professionnel, le mtier, les espoirs de carrire, les formations, lorganisation, les valeurs, les
sentiments par rapport la firme, la convivialit, les rapports entre collgues et enfin
limplication) qui servait de canevas afin de vrifier si tous les thmes prvus avaient bien t
abords. Gnralement, dautres thmes intressants qui navaient pas t envisags
surgissaient au fil de la discussion.
Pour cette recherche, nous avons interview un chantillon de huit personnes
travaillant dans lentreprise, bien que pour lentretien comprhensif le terme dinformateurs
soit prfr celui dchantillon28. Dans une telle dmarche qualitative, lchantillon ne peut
jamais prtendre tre reprsentatif, les rponses dpendant des personnes interviewes et du
contexte dans lequel a eu lieu la discussion. Cependant, nous avons veill ce que cet
chantillon ne prsente pas de dsquilibre manifeste, entre les sexes notamment. Ces
travailleurs interviews nont pas t choisis au hasard. Demble nous avons mis de ct les
travailleurs sous-traitants de lentreprise : quil sagisse du personnel dentretien, de
gardiennage ou de livraison. Nous pensons que cette sous-traitance induit des consquences
sur lorganisation de lentreprise et sur le sentiment dappartenance mais nous ne nous
28Vous pouvez retrouver la retranscription intgrale de chacun des entretiens raliss, en annexe.
26
sommes intresse quaux travailleurs engags directement par Dcathlon. Ceci pour une
raison simple, ces quipes de travailleurs sous-traitants, bien que prsents sur place temps
plein, nont ni accs aux activits ni aux formations. De mme parmi les travailleurs de chez
Dcathlon, nous avons nglig les intrimaires, pourtant nombreux au sein de lentreprise,
simplement parce que lentreprise ne prend pas en charge leur formation, quils ne sont pas
convis aux activits, et ne ralisent pas dentretiens individuels, etc. puisquils ne sont en
principe pas l pour une priode durable. Nous navons pas non plus rencontr de travailleurs
CDD travaillant dans lentreprise depuis moins de six mois, parce que ceux-ci ne sont pas
convis aux activits comme le bilan de fin danne ou la participation aux valeurs Oxyval, la
prise daction dans la socit.
Il nous faut prciser que nous ne connaissions pas personnellement les interviews. Si
certains avaient travaill durant la mme priode que nous, nous n'avions jamais sympathis
avec la plupart d'entre eux. De plus, le turn-over, la rotation des travailleurs au sein de
lentreprise se rvle tre assez important. Certains enquts sont ainsi arrivs alors que nous
avions dj quitt lentreprise. Tous taient cependant prvenus que nous avions travaill pour
leur employeur actuel. Cette prcision annonce pralablement nous permettait de ne pas
systmatiquement interrompre la parole spontane de linterview qui aurait voulu donner des
prcisions sur des termes plus techniques ou des expressions propres l'entreprise. Lenqut
savait pertinemment quil sadressait un initi (do notre dcision, aprs avoir ralis les
retranscriptions des divers entretiens, dinsrer un glossaire de termes utiliss chez Dcathlon).
Afin dviter dventuelles rticences suite des pressions et menaces, relles ou
supposes, de la direction, la prise de contact et les entretiens se droulaient dans un lieu
extrieur au magasin. Dans cette mme optique, nous avons garanti lanonymat tous nos
informateurs. Ainsi, pratiquement, les noms de chacun deux ont t modifis afin de garantir
un maximum de discrtion.
27
Code29
Genre Fonction Contrat
RCFP Homme Responsable recrutement et
frais de personnel. Adjoint du
directeur. Responsable quipe
caisse.
CDI 36 heures
GPCI Femme Responsable service client,
gestion du personnel et
communication interne
CDI 30 heures
Louise Femme Vendeuse sportive/ htesse de
caisse
CDI 12 heures
Rose Femme Vendeuse sportive/ htesse de
caisse
CDI 36 heures
Hugo Homme Vendeur sportif CDI 20 heures
Emeline Femme Vendeuse sportive CDI 20 heures
Guillaume Homme Vendeur sportif CDI 18 heures
Isabelle Femme Vendeuse sportif/ htesse de
caisse
CDI 30 heures
Nathan Homme Vendeur sportif CDI 30 heures
Theresa Femme Vendeuse sportive CDD 12 heures
2.4 Analyse des documents internes
Avec pour objectif de complter nos propos et grce, tant notre observation
participante qu ces entretiens, les documents de communication managriale dune demi-
anne furent rcolts. Passion, le journal trimestriel interne de Dcathlon, La Moquette, le
journal interne du site dAlleur et enfin les Newsletters envoyes par courrier aux salaris. Ces
divers documents nous ont t fournis par les diffrents travailleurs enquts. Nous avons
galement reu des documents plus confidentiels destins aux responsables de rayon,
concernant notamment le recrutement.
Dans cette optique, nous avons aussi analys certains discours provenant du site
internet dOxylane, des publicits destines aux candidats potentiels au recrutement ainsi que
le contenu des formations.
29
Chaque vendeur sportif a choisi son nom demprunt lors du dbut de lentretien.
28
2.5 Conclusion
La principale difficult de ce mmoire fut sans conteste dlaborer une mthodologie
approprie notre problmatique. Il nous fallait laborer une mthode pour saisir la
communication managriale applique sur le site du Dcathlon Alleur et son inscription dans
une dmarche symbolique. Pour ce faire, nous avons coupl deux mthodes : lanalyse des
diffrents documents mis par les responsables de la communication du site et la ralisation
dentretiens de diffrents acteurs. Cette investigation double nous permettait danalyser le
discours, de recueillir le tmoignage des responsables de la communication qui les laborent,
de ceux qui veillent son application et, enfin, de ceux qui y sont confronts quotidiennement.
Cette approche qualitative nous a permis dobtenir des informations significatives afin
dtudier limpact en matire de ressenti, dintriorisation et/ou de rappropriation par les
travailleurs de la stratgie de communication de lentreprise.
29
TROISIEME PARTIE : Analyse
30
3.1 Introduction
Cette troisime et dernire partie sera consacre lanalyse de la communication
managriale pratique sur le site du Dcathlon Alleur. Afin de vrifier la vracit de
lhypothse de ce mmoire, quatre points de vue seront confronts. Tout dabord,
immanquablement, celui du chercheur, puisque nous observons partir des questions de
dpart qui sont les ntres et que les analyses sont le fruit de notre interprtation, bien quelles
soient argumentes et relies au terrain. Ensuite, le second point de vue sera celui de la
communication managriale, par lintermdiaire des documents mis par les responsables de
la gestion des ressources humaines, ainsi que des discours de ces mmes responsables rcolts
lors des entretiens. En troisime lieu, celui des travailleurs de chez Dcathlon, par le biais de
fragments dentretien.
Prcdemment, nous disions que les techniques de management pratiques par
Dcathlon provenaient dun courant appel le management participatif. Le livre Le Prix de
lexcellence, abondamment cit par les auteurs de nouvelles techniques de gestion des
ressources humaines, fait figure de bible du management participatif. Nous voquerons donc,
ici, les ides dfendues par les partisans de ce courant et ce livre en sera la voix. Il constituera
notre 4me
point de vue.
Nous procderons en faisant se rpondre les diffrents points de vue sur un mme
thme la suite de quoi ils seront clairs par des outils tirs de nos lectures thoriques sur le
sujet, et ce, afin de pouvoir donner sens nos dcouvertes laide de diffrents concepts
analytiques. Pour donner plus de cohrence la confrontation des diffrents points de vue,
nous crerons un personnage hypothtique, lambda. Il incarnera le cas gnral dun individu
engag chez Dcathlon en tant que vendeur sportif. Ainsi nous le suivrons dans ses diverses
rencontres successives avec lentreprise : de son entretien dembauche son intgration au
sein dun rayon en passant par les formations quil sera amen suivre ou les challenges
auxquels il participera. Soulignons-le, comme nous lavons vu dans lintroduction gnrale de
ce mmoire, le propos nest pas ici que tous les salaris adhrent avec force Dcathlon.
Lambda ne pourra ainsi tre considr comme la synthse de ce que pensent et sont tous les
travailleurs de lenseigne. Il reprsentera davantage lidal-type dun individu se rvlant
croire lorganisation.
31
3.2 Recrutement et slection
Condition sine qua non dune intgration dans lentreprise, il faut y tre embauch. En
termes de recrutement, Dcathlon utilise diffrents supports et canaux communicationnels.
Des affiches dans le sas dentre des magasins invitent les personnes la recherche dun
emploi dposer leur CV laccueil. Des journes danimation sont organises dans les
hautes coles de commerce. Le job day HEC-ULg en constitue un bon exemple. Des
cartes de visite sont distribues dans les salles de sport. Le rseau social Facebook est
galement investi dannonces de lenseigne. Depuis le dbut de lanne 2011, Dcathlon
Belgique a mis sur pied une prime de cooptation de 500 euros pour le travailleur qui conseille
une personne de sa connaissance de postuler chez Dcathlon en tant que responsable
logistique30
. On entrevoit que le groupe possde deux stratgies de recrutement : la premire
organise au niveau national destine la main duvre stratgique (manager, responsable
logistique, etc.) et la seconde organise par les diffrents magasins pour les travailleurs de
base de lenseigne (vendeur et htesse de caisse). Mais tant les ressources humaines de
Dcathlon Belgique que le Dcathlon Alleur investissent diffrents canaux.
Alleur, si le choix du type de profil recherch en fonction du rayon, de la saison et
du budget disponible est laiss au responsable du recrutement et des frais de personnel du
magasin, chaque responsable univers (RU*) prend la communication de son recrutement en
main.
Afin de recruter les meilleurs candidats, la communication de recrutement doit faire
valoir une image motivante de lentreprise. Sur les consignes de recrutement (en plusieurs
points) reues par chaque RU de chez Dcathlon, il est dailleurs stipul dans les points 6 et 7,
Je rends Dcathlon dsirable en tant quemployeur, dans ma ville, mon pays, mon
environnement. Je suis lambassadeur de Dcathlon pour attirer les meilleurs candidats, en
commenant par les tudiants. 31
Une journe de recrutement intitule Viens en short pour
une embauche ! 32
et le Sport, My Job tour 33
sont exemplaires de cette image jeune
30
Annexe 1.
31 Vous pouvez retrouver lentiret de ce document en annexe 2.
32 Annexe 3.
33 Annexe 4.
32
lambiance dcontracte que veut se donner lentreprise auprs des candidats potentiels.
Malgr ces diverses dmarches de recrutement, aujourdhui au sein du magasin
dAlleur, la majorit des embauches se fait partir de lespace recrutement du site internet de
Dcathlon Entreprise34. Lambda, la recherche dun emploi, a surf sur cette page internet et
y a trouv lannonce de recrutement pour lunivers cycle et le descriptif du profil du vendeur
sportif : Vous tes sportif et passionn par le sport du rayon pour lequel vous postulez, vous
aimez le contact client, vous avez le sens du service et l'esprit d'quipe : ce mtier est fait pour
vous ! 35
Dans cette mme optique de rendre lentreprise sduisante pour le candidat
plusieurs tmoignages de travailleurs36
, crits ou vidos, sont consultables sur le site.
Sidentifiant au profil recherch, lambda a pu, par le biais de ce canal, faire parvenir son CV
au responsable univers (RU) qui a publi lannonce.
Parmi les CV quil a reus, le responsable de lunivers cycle a d faire un norme tri.
Le CV de lambda a attir son attention, peut-tre grce ses centres dintrts37 et il la
convoqu pour un entretien. Bien que le RU soit seul matre de la dcision finale concernant
lembauche du candidat, ce dernier rencontrera galement le patron direct du RU qui dsire
lembaucher. Cest ce quon appelle une validation n+1 .
Quimporte le profil38 de vendeur parmi les quatre dfinis par la direction, quel est le
type de personnes que recherche lentreprise ? A la lecture de lannonce, il semblerait que le
sport soit un critre de recrutement chez Dcathlon, ce qui parat cohrent avec le
34
Interview GPCI, le 2avril 2012.
35 Annexe 5.
36 Annexe 6 et pour la vido www.recrutement.decathlon.fr/pages/vendeur-sportif.php
37
- -
38 Interview RCFP (22 fvrier 2012).Quatre types de profils sont dtermins : Les potentiels court terme qui
pourront un jour devenir responsables et en manifestent directement lenvie. Les potentiels long terme qui aprs avoir mri au sein de la socit pourront un jour devenir responsables. Les performers , personnes ne souhaitant pas ncessairement devenir RU mais en possdent toutes les qualits. Les stables , ceux qui viennent travailler par habitude, qui nont pas de relles ambitions de projet au sein de la socit et la socit nen a pas rellement pour eux non plus.
33
positionnement de lentreprise. Comme nous le montrent nos entretiens, lge est galement
un des critres. Dailleurs, dans le cas du site que nous tudions, la moyenne dge des
travailleurs est de 27 ans39. Pour la plupart des travailleurs de lenseigne, il sagit de leur
entre dans la vie active, quils demeurent tudiants ou soient frachement sortis des tudes. La
jeunesse serait un critre de slection pour les recruteurs de lenseigne afin de maintenir une
image jeune et dynamique de lenseigne.
Soyons honntes, on ne recrute que des jeunes Les plus de 30 ans cest rare. Car cest un groupe jeune et dynamique. Puis cest aussi un cercle sans fin, comme nos responsables sont jeunes, ce serait difficile pour eux danimer des plus de 40 ans. Cest plus facile quand cest le premier boulot dune personne et quils ont tout apprendre. Dailleurs un personne de plus de 30 ans aura peut-tre dj plus de mal couter les ordres dune personne plus jeune quelle, pourtant il le faut, cest son responsable. 40
Il transparat galement de cet extrait dinterview, quune personne jeune postulant
pour son premier emploi devrait adhrer plus facilement un systme parce quelle a
gnralement moins de recul, daspiration ou de responsabilits prives ou familiales. Outre le
critre de lge qui nest videmment pas mis publiquement en exergue, le site internet du
groupe consacr au recrutement avance un autre argument dans larticle intitul une
politique RH pleine de vitalit : Nos collaborateurs partagent le mme tat d'esprit o
passion du sport, sens du service, vitalit, responsabilit et got du concret sont les valeurs
essentielles. 41
Effectivement, ds lentre sur la page de recrutement du groupe, une
illustration montre un terrain de sport dessin gros traits, reliant les mots : vitalit,
gnrosit, sincrit, responsabilit42
. Plus loin, une page entire est consacre une
description assez prcise de ces valeurs et qualits humaines recherches par le groupe. Elle
explique plus en dtail leurs applications concrtes dans le quotidien du mtier.
Nos valeurs. Vitalit : tre positif et dborder d'nergie. Comme les grands sportifs,
toujours chercher progresser et faire voluer les choses. Aimer la cration et l'innovation
est donc indispensable. Sincrit : tre transparent autant entre nous qu'avec nos
fournisseurs et nos clients. C'est la base d'une entreprise cohrente. Responsabilit et
Gnrosit : Chez Dcathlon, l'un ne va pas sans l'autre. tre gnreux dans nos actions
39
Interview de GPCI du site dAlleur, 2 avril 2012.
40Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.
41 Annexe 8.
42 Annexe 9.
34
ncessite une attitude responsable. 43
Ces valeurs prtablies conduisent slectionner des personnes dont les valeurs
individuelles ne paraissent pas, au dpart, trop loignes de celles de lentreprise. Lorsque
nous voquons cette facette du recrutement auprs de la RH, cette slection savre pleinement
assume par la structure du groupe responsable de la gestion du personnel.
On essaie clairement de les [les collaborateurs] faire adhrer notre esprit dentreprise et nos valeurs, a cest sr. Jai une personne que jai engage dernirement qui venait de chez Carrefour, donc licenciement suite une restructuration, machin, etc. Et une de mes hsitations
sur le recrutement ctait est-ce quelle va russir se redonner une socit, parce quelle avait tout investi dans Carrefour, ctait sa vie. Et euh ben, jai constat quelle se relance dans les trucs. Elle adhre. Alors aprs on accroche ou on naccroche pas, parce que finalement a va avec nos valeurs ou pas.
44
On cherche clairement des gens qui pourront rentrer dans le moule Dcathlon. Sociables,
souriants, dynamiques, vital, flexibles et sportifs [] Le rle des valeurs est de tracer une ligne de conduite. a permet au collaborateur dtre dirig dans son quotidien. 45
Ici, les propos des responsables de recrutement du site rejoignent pleinement lide
dveloppe par Bernard Floris : Le recrutement nest pas limit ladaptation technique
dun profil un poste. Il recherche en mme temps le type dindividu qui sidentifiera le
mieux la communaut et qui sera le moins source de conflits et de contestations. 46
Lors de
lentretien dembauche, le recruteur propose ainsi une batterie de situations hypothtiques au
postulant, afin de dceler le candidat qui adhrera ces valeurs prnes par lentreprise. Plus
que dadhrer, nous voyons dans lextrait dinterview ci-dessus que la responsable de la
gestion du personnel attend du travailleur quil se donne lentreprise.
Par le biais des discussions que nous avons entretenues avec les travailleurs, nous
pouvons affirmer que la majeure partie des interviews connat les valeurs prnes par son
entreprise. Certains identifient mme clairement ces valeurs comme tant, au quotidien,
reprsentatives de la socit pour laquelle ils travaillent.
43
Annexe 10.
44Interview de GPCI, le 2 avril 2012. Prcisons que pour chacun des extraits, il sagit dune retranscription fidle.
Nous avons volontairement conserv le langage oral.
45Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.
46 Bernard Floris, La communication managriale : la modernisation symbolique des entreprises, Grenoble, PUG,
1996, p. 106.
35
Mais conseiller sur des choses qui leur sont utiles, sinon je ne vends pas. Cest a qui est bien chez Dcathlon, cest quon est honnte. 47
Une autre enqute remet, cependant, en question cette valeur de sincrit prne par
son employeur, en dclarant, deux reprises lors de lentretien, quau point de vue du
recrutement, de la rotation des travailleurs, cette valeur revendique tait quelque peu mise
mal. Mais lorsque, suite cette affirmation, nous lui demandons do provient selon elle ce
manque de sincrit, elle voque des pommes pourries 48
, entendez des personnes haut
places dans lentreprise qui dgradent le systme. Elle rejette ainsi la responsabilit sur une
personne en particulier, voire plusieurs, mais en ne remettant pas en cause le systme lui-
mme (de recrutement notamment). Nous reviendrons sur cet extrait par la suite, lorsque nous
voquerons les forces du systme, et les lments qui, plus que le maintenir, le renforcent.
Ainsi en guise de conclusion concernant le recrutement, nous retenons que Dcathlon
tente dattirer les candidats potentiels en valorisant limage de lentreprise. Elle slectionne
ensuite des individus jeunes, sportifs et partageant les valeurs de lentreprise. Les comptences
techniques seules ne suffisent plus pour tre embauch. Dcathlon attend que lambda possde
certaines qualits comportementales. Cest par cette internalisation des valeurs de
lentreprise, cette intriorisation profonde des valeurs morales quelle [lentreprise] met en
avant quest produite ladhsion au systme. 49
3.3 Les formations
Nous lavons vu, lors de lembauche, Dcathlon mise plutt sur un jeune sportif
correspondant certaines valeurs, non sur son exprience dans la distribution, sur des savoir-
tre, plus que sur des savoir-faire 50
, comme la GRH aime le rpter, que ce soit sur leur
site internet ou lors des entretiens que nous avons effectus. Une fois lambda recrut,
lentreprise mise alors beaucoup sur les formations quil devra suivre dans les quelques
47
Interview de Louise, vendeuse sportive, le 22 dcembre 2011
48 Interview de Rose, vendeuse sportive, le 28 dcembre 2011.
49 Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le cot de lexcellence, Paris, ditions du Seuil, 2007, p. 120.
50 Cette expression se retrouve notamment dans linterview de GPCI mais galement dans le texte de laffiche
Viens en short pour un entretien dembauche (Annexe 3) que nous avons cit prcdemment.
36
premiers mois de son arrive afin dacqurir ce savoir-faire quil ne possde pas forcment
lors son entre dans lentreprise.
Si, en Belgique, il nexiste pas comme pour Dcathlon France, une priode de
formation de plusieurs semaines dans un campus (ndlr : Villeneuve-dAscq) avant la prise de
fonction, la filiale belge mise galement sur ses formations maison. Chaque nouveau
collaborateur dispose dun plan dintgration o la formation nos mtiers prend une place
majeure. Ce dveloppement des comptences se poursuit tout au long de votre carrire afin de
sadapter vos souhaits. 51 peut-on lire sur une affiche dite par les ressources humaines.
Chez Dcathlon, les plans de formations sont conus en 4 parties : la prise de fonction,
lintgration, lapprentissage, les formations complmentaires. Ces formations prennent des
aspects multiples. Lune concerne la scurit : le vendeur doit tre capable de faire face une
vacuation rapide de la clientle ou un braquage, par exemple. Une autre formation concerne
le linaire* : elle aide bien comprendre limplantation des produits dans le rayon. Une autre
encore permet de connatre la gamme des articles proposs la vente dans son univers. Ces
formations peuvent soit tre dispenses oralement par un des collaborateurs du site form pour
loccasion, soit prendre la forme dun e-learning, cest--dire une formation suivie
individuellement par lapprenti face un ordinateur. Une autre formation vise amliorer
lefficacit relationnelle dans labord du client, afin de mieux apprhender ses besoins et ses
requtes. Dautres formations sont encore dlivres au vendeur afin quil puisse renforcer le
personnel de caisse en cas de grande affluence imprvue.
Un document distribu aux travailleurs lors de chaque formation met en exergue les
bienfaits des formations pour les clients, les collaborateurs et lentreprise. Ainsi, ces
formations ont pour finalit, entre autres, pour le collaborateur de dvelopper sa confiance,
de renforcer sa motivation, de dcupler son efficacit au travail et de dvelopper ses savoir-
faire. 52
Elles permettent ainsi Dcathlon de contribuer la performance de lentreprise
par le dveloppement de ses collaborateurs, daccompagner linternationalisation et la
croissance du groupe et de porter le sens et les valeurs du groupe. 53
Lobjectif de ces
51
Annexe 11.
52 Annexe 12.
53 Ibid.
37
formations serait ainsi de mettre le vendeur plus laise dans son mtier au quotidien, afin
quil samliore dans son mtier de vendeur, augmentant ainsi les chances de profit du
magasin.
Le sociologue Michel De Coster souligne un autre aspect de ces formations. Selon lui,
puisque les qualifications des travailleurs sont relativement faibles lors du recrutement, de
telles formations donnes par lorganisation rendent le travailleur dpendant de son
entreprise54
. Effectivement, les comptences que le travailleur acquiert par les formations
fournies par Dcathlon seront difficilement valorisables dans un autre emploi, mme de
grande distribution. Nous ajouterons que ces formations, notamment la formation dhtesse de
caisse, permettent une plus grande rotation entre les divers postes de lentreprise. Elles
assurent ainsi une mobilit interne plus importante et permettent de faire face lengorgement
des caisses.
Parmi le panel de formations dispenses, arrtons-nous plus longuement sur la
dnomme Valeurs et volonts du magasin . Celle-ci est propose durant une demi-journe
lors des trois premiers mois au sein de lentreprise, tous les CDD vendeurs et htesses de
caisses. Une formation acclre de deux heures est aussi dlivre aux tudiants.
Contrairement aux autres formations donnes par des collaborateurs du site, forms cet effet,
cette dernire est exclusivement assume par les directeurs (directeur du magasin, directeur
Belgique, voire directeur Benelux, selon les disponibilits). Comme son nom lvoque, elle a
pour finalit de prsenter la vision et les objectifs du groupe. Regardons son contenu, en
analysant pour cela, la vido montre pour loccasion tous les collaborateurs55.
Celle-ci permet dabord de rappeler les valeurs, cites ci-dessus, de chez Dcathlon.
Les apprenants ont dailleurs le devoir de descendre en magasin et dinterviewer des
collaborateurs chevronns sur les trois valeurs prnes par le magasin. Cette dmarche agace
bon nombre de collaborateurs, questionns ou interrogs qui se sentent valus. Cette mthode
conduit reverbaliser les valeurs de la socit. Pour le collaborateur chevronn, il ne sagit pas
seulement dune valuation mais aussi dune occasion o il est pouss par la pression sociale
de lentreprise devoir montrer lexemple aux no-arrivants. En raffirmant ces valeurs, il
54
Michel De Coster, Sociologie du travail et gestion du personnel, Bruxelles, ditions Labor, 1987, p. 227. 55
Annexe 13.
38
atteste son appartenance la communaut des Dcathloniens. Cette valuation devrait
permettre de renforcer la mmorisation de ces valeurs, tant chez le vendeur chevronn que
chez le nouveau collaborateur. Pour ce dernier, cela lui donne une occasion de les entendre
nouveau, ce qui instille une ambiance de communaut autour des valeurs de lentreprise. Lun
dans lautre, cela provoque un renforcement de lintriorisation de ces valeurs.
Mais, durant cette formation, les directeurs/formateurs ont galement loccasion de
prsenter les objectifs dexpansion de lenseigne, un an, trois ans et cinq ans. Ainsi par cette
formation, lambda sera mis au parfum du nouveau projet long terme de Dcathlon, de cinq
dix ans : le Dcathlove. Un projet labor par les diffrents dirigeants de Dcathlon
europens.
Les grandes lignes du Dcathlove, c'est qu'on voudrait pouvoir crer une marque laquelle le client peut s'identifier. Alors ce nest pas un projet un an, c'est beaucoup plus ambitieux. On demandait aux collaborateurs une des marques passions, une marque qui t'atteint dans ton
quotidien. Alors certains sortaient Nike sils se rfraient du sport. D'autres disaient aussi moi c'est Nutella, parce que quand j'tais petit je faisais mes tartines avec du Nutella. Nutella c'est vraiment une marque que j'aime bien depuis toujours. Pourquoi ? Parce que a te rappelle l'enfance, parce que a a une histoire, parce que a te raccroche quelque chose etc. A une
personne si on pense Apple. A des sensations, un vcu. Et donc on voudrait devenir une
marque de rfrence et Dcathlove c'est un peu a. Et c'est se dire voil on voudrait devenir une
marque rfrente, ce qu'on appelle une lovebrand et travers diffrents moyens qu'on va mettre
en place, travers les collaborateurs pour que eux sachent o on va. Et le but, c'est que nos
clients adhrent a, pareil, sans s'en rendre compte, mais grce ce qu'on a mis en place. 56
Les responsables de la communication interne de la multinationale semblent avoir
parfaitement intgr lenseignement de la citation de Philippe Schewbig que nous reprenions
dans lintroduction de ce mmoire, selon laquelle la qualit de la communication interne
reprsente la condition premire de la qualit de la communication externe. 57
Le
collaborateur doit avoir intgr le projet, le Dcathlove, pour que lide se transmette auprs
des nombreux clients du magasin. En survolant nos interviews, il se dgage un sentiment
prgnant de rptition de la communication interne, lorsque le sujet Dcathlove a t abord58
.
Le but, cest que Dcathlon devienne une marque de rfrence, une marque prfre comme
56
Interview de GPCI, le 2 avril 2012.
57 Philippe Schwebig, Les communications de lentreprise, Paris, Mac Graw-Hill, 1986.
58Le projet Dcathlove nayant t communiqu quen janvier 2012, certains de nos entretiens avaient dj t
raliss avant lannonce et lexplication du projet dlivres aux collaborateurs.
39
Coca ou Apple. Pour y parvenir, il faut que Dcathlon raconte une histoire au client. 59
Le dfi cest que Dcathlon devienne une marque de rfrence comme Apple ou Coca. Et donc on doit tout faire chaque niveau de la socit pour que a russisse.
60
Il faut que Dcathlon touche le cur des gens. Quil fasse partie du quotidien. Que ce ne soit pas une socit pour faire du chiffre, mais une socit proche du client, qui simpose dans son quotidien. Que Dcathlon devienne un nom commun comme Apple. Enfin une marque de
rfrence. Et pour toucher ce grand public, cest videmment nous les vendeurs qui devons le faire passer, puisque cest nous qui reprsentons le magasin pour les clients qui viennent. 61
Dans ces trois courts extraits dinterview, nous trouvons un discours trs tudi, rpt
et finalement intgr par les travailleurs interviews. Lobjectif Dcathlove a t
pralablement dfini, et toutes les actions quotidiennes des travailleurs de lentreprise seront
guides par cet objectif. Les travailleurs sont ainsi associs aux grands projets et objectifs
long terme de lentreprise. Engager le travailleur collaborer personnellement la
ralisation des objectifs de son organisation, cest lui faire quitter lanonymat de sa modestie
pour lassocier la grande aventure entrepreneuriale, cest le dsaliner dune part, en
finalisant son travail par un ajustement aux objectifs gnraux et, dautre part, en sintressant
la progression de ses efforts et la qualit de ses ralisations.62
La communication
managriale du groupe insiste : les vendeurs et htesses de caisse sont les seuls pouvoir
mettre cet objectif en place. Elle valorise ainsi ces deux mtiers de base. Les tches effectuer
ne changent pas, mais limportance prte la fonction est motivante et enthousiasmante pour
le personnel.
Comme nous lavons vu, les formations dispenses chez Dcathlon ont pour objectif,
dune part, daugmenter le profit de lentreprise, notamment en inculquant aux travailleurs des
techniques de vente. Dautre part, ces formations internes vont permettre dasseoir lentreprise
et ses valeurs en associant le travailleur aux diffrents objectifs fixs. [La formation interne
vise] surtout unifier les mentalits de base des employs de lentreprise, afin de renforcer
le processus dadhsion de chacun et de tous lorganisation, ses valeurs, sa mission, ses
59
Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.
60 Interview dEmeline, vendeuse sportive, le 18 janvier 2012.
61 Interview dIsabelle, vendeuse sportive, le 5 fvrier 2012.
62 Michel De Coster, Sociologie du travail et gestion du personnel, Bruxelles, ditions Labor, 1987, p. 260.
40
objectifs. 63
Dans le cas du dernier objectif mis en place, le projet Dcathlove, le management de la
multinationale mise sur le storytelling64
: la socit doit, pour conqurir le cur des
collaborateurs et du public, raconter une histoire, son histoire. Nous lavons vu dans la
premire partie de cette tude, lorsque nous nous sommes intresse lhistorique de
lentreprise : dans les faits, Michel Leclercq cre le premier magasin Dcathlon en 1976 dans
le nord de la France. Mais voyons, prsent, lhistoire que le groupe souhaite raconter.
3.4 Michel Leclercq, la figure du leader
Ce qu'il y a, c'est que Dcathlon a une histoire relativement jeune. Puisque le premier
Dcathlon a t fond en 1976, donc c'est quand mme relativement jeune. Et a a t cr par
quelquun vraiment qui y croyait, qui avait la passion, qui est toujours Michel Leclercq et qui est toujours quelquun d'actif mme sil a pris sa retraite [] Parce quil estime que c'est important qu'il fasse passer le voil pourquoi il a cr Dcathlon. Voil ce en quoi je croyais qui restent les valeurs de Dcathlon et les diffrentes manires de les mettre en place. Puis aprs se sont cres d'autres formes de vente, forcment on a volu avec le temps mais c'est lui
qui continue donner la base. [] Cest une histoire enc