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Mémoire pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies en Politiques Economiques et Sociales Université Pierre MENDES France GRENOBLE 2001/2003 La loi 2002-2 : Un enjeu de démocratisation pour les institutions sociales et médico-sociales ? Bénédicte GOULLET de RUGY Sous la direction de : Madame Claudine OFFREDI

Mémoire pour l’obtention du Diplôme d’Etudes ... · L’évolution du secteur social et médico-social avant 1975 6 1.1.2. La loi de 1975 et ses insuffisances 7 1.1.3. ... est

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Mémoire pour l’obtention duDiplôme d’Etudes Approfondies en Politiques

Economiques et SocialesUniversité Pierre MENDES France

GRENOBLE

2001/2003

La loi 2002-2 :Un enjeu de démocratisation pour les

institutions socialeset médico-sociales ?

Bénédicte GOULLET de RUGY

Sous la direction de :Madame Claudine OFFREDI

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La loi 2002-2 : un enjeu de démocratisation

des institutions médico-sociales ?

SOMMAIRE

Pages

Introduction 1

1. De 1975 à 2002 : le secteur social et médico-social d’une loi à

l’autre

6

1.1. Les origines de la rénovation 6

1.1.1. L’évolution du secteur social et médico-social avant 1975 6

1.1.2. La loi de 1975 et ses insuffisances 7

1.1.3. L’évolution du contexte 8

1.1.4. Les effets sur les institutions et sur les pratiques 12

1.2. La loi 2002-2 : 16

1.2.1. Les principes fondamentaux : 16

1.2.1.1. Les fondements de l’action sociale et médico-sociale 16

1.2.1.2. Les droits des usagers 17

1.2.2. L’autoévaluation et l’évaluation 20

1.2.2.1. L’autoévaluation 21

1.2.2.2. L’évaluation par un organisme extérieur 21

1.2.2.3. Le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale 22

1.2.3. L’organisation du secteur et la rationalisation économique 23

1.3. Des ambitions ambiguës : 28

1.3.1. Fondements de l’action sociale et médico-sociale et droits des

usagers

28

1.3.2. Souplesses et contraintes 36

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1.4. Conclusion 40

2. Quelle mise en œuvre de la loi 2002-2 pour atteindre réellement

ses buts ?

43

2.1. Les différents modèles de l’évaluation 43

2.1.1. Définitions de l’évaluation 43

2.1.2. Les différentes typologies des méthodes d’évaluation 44

2.1.3. Les différentes conceptions de l’évaluation 46

2.1.4. Quelle évaluation pour l’action médico-sociale ? 48

2.2. Une modification des relations de pouvoir au cours de l’évaluation 50

2.2.1. Le pouvoir des acteurs dans le secteur médico-social 50

2.2.1.1. Le pouvoir des autorités de financement et de contrôle 51

2.2.1.2. Le pouvoir des professionnels 52

2.2.1.3. Le pouvoir des usagers 55

2.2.1.4. Le pouvoir des représentants des usagers 57

2.2.2. Le rapport pouvoir/apprentissage 58

2.3. L’évaluation : une situation d’apprentissage favorisant le

développement de l’autonomie

61

2.4. Le projet d’autonomie : une condition à l’adhocratie démocratique 66

2.4.1. Les institutions bureaucraties professionnelles

hétéronomes disparaissent…

66

2.4.1.1. Les bureaucraties professionnelles 66

2.4.1.2. L’hétéronomie 70

2.4.2. …au profit des adhocraties démocratiques, réponses au complexe 71

2.4.2.1. L’adhocratie démocratique 71

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2.4.2.2. Le projet d’autonomie 74

Conclusion 76

Bibliographie 79

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1

Introduction :

Le secteur social et médico-social1 a été structuré, en France, par la loi du 30 juin

1975 qui donnait une définition légale des institutions de ce secteur.

Sa rénovation, rendue très vite nécessaire par une évolution du contexte de l’action

sociale et médico-sociale, a cependant mis 27 ans pour voir le jour. La forme finale de

cette rénovation de la loi de 1975, la loi 2002-2, est en train d’entraîner des changements

importants dans l’organisation des institutions du secteur, dans leurs rapports avec leur

environnement et avec leurs tutelles et dans la pratique des professionnels. Elle est

construite autour de quatre axes principaux2 , qui introduisent des innovations importantes

pour ce secteur :

1. L’affirmation et la promotion des droits fondamentaux des usagers3 et

de leurs représentants :

Elles se traduisent par des mesures et dispositifs concrets qui étaient jusqu’à présent

laissés au libre choix des structures, malgré des revendications de plus en plus pressantes

des associations représentatives des usagers. Ces dispositifs sont principalement : le livret

d’accueil, le contrat de séjour, le règlement de fonctionnement, le conseil de la vie sociale,

le projet d’établissement et la mise en place d’un médiateur en cas de litige.

2. L’élargissement des missions de l’action sociale et médico-sociale, la

diversification des interventions et de la nomenclature des établissements et services :

Certaines structures innovantes, ou certains modes de prise en charge non

traditionnels, n’avaient pas de possibilité de reconnaissance légale. La loi leur apporte une

assise légale. Les structures existantes se voient définir plus précisément leurs missions et

vocations.

1 Le secteur social et médico-social représente un champ d’application très important avec les secteurs del’enfance handicapée, des adultes handicapés, de l’Aide Sociale à l’Enfance, de l’hébergement et de laréadaptation sociale et des personnes âgées. Cela représente plus de 24 500 établissements, 1,05 million delits ou de places, 400 000 salariés, 84 milliards d’euros de financement par la collectivité (dont 42 milliardspar l’assurance maladie, 33 milliards par les départements et 9 milliards par l’Etat).2 Actualités Sociales Hebdomadaires, 11 janvier 2002, N° 2245, 17-253 Nous utilisons le terme d’usager, comme la loi n° 2002-2, à défaut d’un autre plus adapté. Ni les termesbénéficiaire, patient, client ne nous satisfont. Celui d’usager a le désavantage d’évoquer « celui qui a l’usage,qui utilise » qui fait perdre l’idée de sujet acteur et impliqué dans une relation réciproque.

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2

3. L’amélioration des procédures techniques de pilotage du dispositif :

La loi instaure une véritable planification de l’action sociale et médico-sociale avec

l’extension des compétences des schémas d’organisation sociale et médico-sociale. La

création, la transformation ou la fermeture des établissements et services seront soumises à

des dispositifs rénovés. L’institution d’une coordination des décideurs, des acteurs et

l’organisation clarifiée de leurs relations devraient favoriser ce pilotage.

4. La procédure d’évaluation :

C’est une innovation qui devrait aussi bouleverser directement la pratique

quotidienne des professionnels est à laquelle tous les établissements et services devront se

soumettre. Elle comprend une démarche d’autoévaluation communiquée tous les 5 ans à

l’autorité administrative et une évaluation par un organisme externe, au cours des 7 ans

suivant l’autorisation ou son renouvellement et au moins deux avant celui-ci. Ce dispositif

s’appuiera sur le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale. Ces

évaluations seront un préalable au renouvellement d’autorisations.

L’ambition de la loi est ainsi de permettre au secteur social et médico-social

d’atteindre les objectifs qu’elle lui définit, selon des principes qu’elle précise aussi, ce qui

n’était pas le cas de la loi de 1975. En effet, celle-ci n’énonçait pas les fondements de

l’action sociale et médico-sociale, ni ses objectifs et principes. Elle donnait uniquement la

définition des structures du secteur.

Les objectifs assignés à ce secteur par la loi 2002-2 sont les suivants :

• L’autonomie et la protection des personnes

• La cohésion sociale

• L’exercice de la citoyenneté

• La prévention des exclusions et la correction de ses effets.

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La loi précise que pour atteindre ces objectifs, l’action sociale et médico-sociale

s’appuie sur « une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les

groupes sociaux (…) et sur la mise à disposition de prestations en espèces ou en nature »,

en respectant « l’égale dignité de tous les êtres humains » pour répondre aux besoins de

chacun d’eux en assurant un accès équitable aux diverses prestations sur l’ensemble du

territoire. Bien que l’on puisse d’emblée retenir la portée essentiellement déclarative de ses

principes fondamentaux, il n’en reste pas moins qu’ils sont pour la première fois énoncés

dans une loi.

Le législateur a donc souhaité que soient garantis les droits des usagers et qu’ils

soient impliqués de façon réelle dans les décisions et l’organisation de structures qui les

concernent. En revanche, la loi précise peu la manière dont les professionnels de terrain

devront appliquer sa mise en œuvre, mais impose les outils qu’ils devront utiliser.

Seront-ils à nouveau placés dans cette position (qui selon nous est paradoxale) de

poursuivre les objectifs énoncés par la loi (autonomie, citoyenneté, cohésion sociale…)

sans que ces mêmes objectifs ne leurs soient appliqués dans leur cadre d’exercice

professionnel ? Le professionnel peut-il aider l’usager à développer son autonomie avec

des outils imposés ? Peut-il aider cet usager à exercer sa citoyenneté si lui-même ne peut

exercer la sienne au sein de l’institution ?

L’autoévaluation permettra-t-elle que les professionnels soient réellement impliqués,

eux aussi, dans le fonctionnement des structures, dans la recherche des réponses à apporter

aux besoins des usagers ? Favorisera-t-elle l’adaptation des réponses en continu en

fonction de l’évolution de ces besoins ? Les modifications des rapports de pouvoir, qui ne

manqueront pas de se produire à la suite de l’application des droits de usagers et de la

pratique de l’évaluation, seront-elles facteurs favorisants ou réducteurs de l’autonomie et

de la démocratie4 au sein des institutions ?

La loi vise aussi, de manière très claire, une rationalisation du secteur, en termes

d’organisation économique et géographique et de contrôle.

4 Le terme de démocratie sera utilisé ici au sens de CASTORIADIS : « la démocratie n’est pas un modèleinstitutionnel, elle n’est même pas un régime, au sens traditionnel du terme. La démocratie, c’est l’auto-institution de la collectivité par la collectivité, et cette auto-institution comme mouvement. Certes cemouvement s’appuie sur et est facilité chaque fois par des institutions déterminées, mais aussi par le savoir,diffusé par la collectivité, que nos lois ont été faites par nous et que nous pouvons les changer ». Et encore :« La démocratie est le régime qui essaie de réaliser, autant que faire ce peut, l’autonomie individuelle et

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Les différentes finalités de la loi seront-elles compatibles entre elles ?

Ce qui se passera en interne pourra-t-il être en cohérence avec ce qui se passera en

externe ? Peut-on chercher l’autonomie, la cohésion sociale et l’exercice de la citoyenneté

en mettant en place un contrôle externe (procédure d’autorisation et de fermeture, conseil

national de l’évaluation, schémas d’organisation sociale et médico-sociale) ?

Il est prévu que le Conseil national d’évaluation de l’action sociale et médico-sociale

élabore ou valide un recueil de recommandations de bonnes pratiques professionnelles, à

l’instar des recommandations de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en

Santé dans le sanitaire, qui devrait servir de guide aux évaluations. L’exemple du sanitaire

pourrait alors faire craindre une rigidité peu adaptée aux contraintes des très nombreux

services sociaux et médico-sociaux (nombre, différents niveaux de tutelles, taille réduite de

nombreux services…).

Les acteurs5 de l’action sociale et médico-sociale peuvent donc s’interroger sur

l’impact de la loi 2002-2 et sur les réelles avancées, en termes d’adaptation aux besoins et

de démocratie qu’elle pourra ou non, entraîner.

La mise en œuvre de la loi 2002-2, pourra-t-elle favoriser le développement

d’institutions réellement démocratiques, garantes d’une adaptation fine et souple aux

besoins des usagers ?

En particulier, quel type d’évaluation choisir et comment appliquer les droits

des usagers afin de favoriser l’expression et le développement de l’autonomie des

acteurs, condition de cette démocratie ?6

Cette réflexion sera construite autour de deux parties. Dans la première nous

préciserons dans quel contexte la loi de 1975 a été rénovée par celle de 2002 et ce qui a

collective et le bien commun, tel qu’il est conçu par la collectivité concernée. » CASTORIADIS C., Lamontée de l’insignifiance, Seuil, Paris, 1996, p 2405 Nous entendons par ce terme les usagers, leurs représentants légaux et familles, les professionnels etgestionnaires des structures sociales et médico-sociales.6 Nous aborderons cette problématique de notre position particulière de directrice de trois structures médico-sociales dans lesquelles débute l’application de la loi avec l’implication de leurs professionnels et de leursusagers. La situation particulière de ces structures, dont deux existent depuis plus de dix ans et l’autre s’estouverte en janvier 2003, nous permettra d’illustrer notre propos d’exemples concrets. Si cette démarche n’estpas traditionnelle au cours d’un travail de mémoire de DEA, elle nous a cependant semblé importante pourpermettre par la suite une réelle utilisation dans le milieu des professionnels et des décideurs de ce secteur. Si

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justifié cette rénovation. Nous développerons les grandes lignes de la loi 2002-2 et les

questions qu’elle pose au vu d’ambitions parfois ambiguës ou contradictoires.

Dans une deuxième partie nous présenterons quelle mise en œuvre de la loi 2002-2

nous paraît permettre d’atteindre les buts qu’elle définit et de respecter les fondements de

l’action sociale et médico-sociale qu’elle énonce.

Dans une première section, nous décrirons les différents modèles et conceptions de

l’évaluation en développant celui qui nous semble le plus adapté à l’action sociale et

médico-sociale.

Dans une deuxième section, nous ferons part de notre analyse des modes de

répartition du pouvoir dans le secteur social et médico-social. Nous envisagerons ensuite

comment l’évaluation peut modifier ces relations de pouvoir. Nous établirons le lien entre

le pouvoir et l’autonomie et dans quelles conditions l’exercice du premier favorise

l’expression de la seconde.

La troisième section nous permettra de détailler le modèle d’évaluation qui nous

semble le mieux permettre de développer l’autonomie des usagers et des professionnels

ainsi que la façon de l’appliquer qui nous paraît la plus adaptée pour l’action médico-

sociale.

Nous verrons ensuite, dans la dernière section, en quoi ce développement de

l’autonomie est en lien avec une démocratisation des institutions. Nous formulons

l’hypothèse que cette démocratisation, objectif de l’action sociale et médico-sociale affiché

par la loi au niveau des usagers, devrait s’étendre à l’ensemble de l’institution pour qu’elle

parvienne à adapter ses réponses en continu à l’évolution des besoins. Nous présenterons

ensuite l’adhocratie7 dont parle MINTZBERG8. Elle devrait remplacer les bureaucraties

professionnelles qui représentent encore la plupart des structures sociales et médico-

sociales. Celles-ci n’ont pas la souplesse nécessaire pour s’adapter à un public aux

problématiques si complexes. Mais l’adhocratie n’apportera cette souplesse que si elle est

vraiment démocratique : elle devra être fondée sur le projet d’autonomie.

nous utiliserons, tout au long de ce travail, le terme « social et médico-social », notre propos concernecependant plus particulièrement le médico-social dont nous connaissons mieux la situation.7 Adhocratie de « ad hoc » : organisation adaptée aux besoins et au contexte complexe et à leur évolution8 MINTZBERG H., « Le management : voyage au cœur des organisations », Editions d’Organisation, Paris,1989, 570 p

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Nous avons choisi de situer cette réflexion principalement au niveau des

changements qui se passeront au sein des structures, c'est-à-dire l’application des droits des

usagers et l’évaluation. C’est en effet à ce niveau que les effets de mise en œuvre de la loi

doivent se traduire et c’est aussi à ce niveau que nous pouvons agir.

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1. De 1975 à 2002 : le secteur social et médico-social d’une loi à l’autre :

1.1. Les origines de la rénovation :

1.1.1. L’évolution du secteur social et médico-social avant 1975 :

Au début du 20ème siècle9, le secteur social et médico-social se structure autour du

domaine privé non lucratif, aidé par la loi de juillet 1901 qui favorise que les biens de

l’Eglise soient consacrés à la prise en charge des plus démunis. En 1905, l’étatisation du

domaine religieux allait concrétiser la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La loi de 1901 a

permis, en quelque sorte, que certains biens de l’Eglise trouvent « refuge » dans ce

secteur. Les institutions sont alors gérées par des associations caritatives, souvent

d’obédience religieuse. Les idéologies relèvent de la foi chrétienne, du don de soi et du

service au plus pauvre. Ce sont les organisations missionnaires décrites par MINTZBERG,

où l’adhésion de tous aux valeurs (la plupart du temps religieuses) est souvent la seule

exigence vis-à-vis des professionnels.

L’histoire nous enseignera que ces institutions ont été capables du pire comme du

meilleur et que l’absence d’un quelconque contrôle a pu laisser place à des abus de tous

ordres. Certaines de ces structures ont cependant été des précurseurs de pratiques sociales

et médico-sociales innovantes.

De 1945 à 1975, après la deuxième guerre mondiale, la création de la Sécurité

Sociale et l’adhésion de l’ensemble de la société à l’idée de devoir de solidarité, permettent

la création de nombreuses structures dans le domaine des troubles du caractère et de la

personnalité et de la déficience mentale. Le secteur se développe et se structure. De

nouveaux acteurs s’y impliquent : les sciences humaines sont en expansion, les

associations d’usagers ou de leurs représentants voient le jour, le syndicalisme développe

d’autres champs d’actions de solidarité.

Le secteur se professionnalise en même temps qu’il se laïcise. De nouvelles

professions apparaissent, des recherches en sciences humaines s’intéressent au secteur.

9 MIRAMON J.-M. ; COUET D. ; PATURET J.-B. : « Le métier de directeur », Editions ENSP, Rennes,2002, 17-23

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Seuls les dirigeants des institutions ne se spécialisent pas en gestion (ni humaine, ni

financière). Ils ont du mal à faire face aux difficultés d’institutions en changement et les

dérives seront nombreuses à être relevées (ou étouffées).

Le contexte de croissance économique favorise l’augmentation du budget social et

médico-social. Les besoins sont nombreux : des budgets importants leurs sont consacrés,

sans réelle recherche d’efficience, et sans contrôle véritable sur l’utilisation des moyens

financiers.

Les années pré et post-68 voient l’apparition de certaines organisations refusant

l’idée de hiérarchie et de pouvoir. Les professionnels partagent avec les usagers des temps

familiaux, dans une idée de « grande communauté ». Les personnes qui décrivent ces

structures emploient souvent l’expression : « On ne savait pas qui était qui, ni qui faisait

quoi ».

Par exemple, dans une structure que nous connaissons, les temps de vacances étaient

communs pour les professionnels, leur famille et les usagers : tout le monde partait

ensemble. Les rôles de chacun, malgré la professionnalisation, étaient peu définis.

La loi du 30 juin 1975 va tenter de clarifier, d’harmoniser et d’organiser le

fonctionnement de nombreuses institutions dont on ne savait pas très clairement quel usage

elles faisaient des fonds alloués, ni quel but elles poursuivaient. Elle vise aussi à

rationaliser les dépenses à la suite de l’impact de la crise des années 70. La tâche est

d’importance, devant une grande diversité de services, d’établissements mais aussi de

cultures : la clarification et la rationalisation ne pourront être que partielles…

1.1.2. La loi de 1975 et ses insuffisances :

La loi du 30 juin 197510 avait comme objectif de structurer le secteur social et

médico-social : elle donnait une définition légale des institutions, tentait d’organiser la

planification, mais n’a pas créé un service social public. L’action sociale et médico-sociale

n’y était pas définie et l’organisation sociale et médico-sociale ne s’y voyait pas organisée

selon un schéma précis et réparti en fonction des besoins. La planification s’est révélée

10 La loi dite du « 30 juin 1975 » est en fait constituée de deux textes de loi différents : la loi n° 74-534d’orientation en faveur des personnes handicapées est une loi interministérielle dédiée à une seule population,la loi n° 75-535, relative aux institutions sociales et médico-sociales est une loi monoministérielle quiconcerne les personnes handicapées, les enfants et familles en difficulté, les personnes âgées et les personnesen situation de précarité ou d’exclusion.

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rapidement défaillante, mobilisant les associations de représentants d’usagers11, sans que

les solutions proposées ou adoptées résolvent réellement les problèmes, en dépit de

l’apport d’une vingtaine de modifications législatives.

Elle ne faisait pas état non plus des droits des usagers et de leurs représentants et

familles.

Une évolution des modes d’accompagnement et de prise en charge des personnes se

produit à partir des années 70 pour répondre à de nouvelles attentes des usagers (mixité,

petite taille des unités de vie, structures ouvertes et intégrée dans l’environnement

proche...). Or, à l’époque de la promulgation de cette loi, la priorité était donnée aux prises

en charge à temps complet et traditionnelles. Les prises en charge différentes telles que

l’accueil de jour, l’ambulatoire, les structures innovantes ou expérimentales ne pouvaient

donc trouver d’assise légale. Certains modes d’accueil ont fonctionné pendant plusieurs

années sans reconnaissance juridique : les Foyers à Double Tarification ou certains

services d’accompagnement social.

Les lois de décentralisation de 1982, 1983 et 1986 révolutionnent le champ des

compétences département/Etat en matière d’action sociale et médico-sociale et

bouleversent la logique des financements sans que soient résolus les problèmes de

planification. Une disparité importante de taux d’équipement des différents départements

et catégories d’établissements est observable. L’offre continue à se révéler peu adaptée aux

besoins.

Certaines de ces insuffisances se sont révélées quasiment dès la mise en application

de la loi de 1975 et d’autres ont été entraînées par des modifications législatives qui lui ont

été postérieures (décentralisation). Elles ont été relevées de manière formelle par le

premier rapport d’évaluation de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, en 1995. Il

pointe cinq insuffisances principales :

la loi de 1975 est peu tournée vers l’usager

elle ne permet pas la satisfaction de nouvelles attentes

certains modes d’accueil sont sans fondement juridique clair,

le dispositif de planification est défaillant,

les conséquences de la décentralisation ne sont pas intégrées.

11 Cf. l’amendement CRETON, qui, faute de place pour les adultes handicapés dans des structures existantes,

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Ce rapport insistera aussi, dans un contexte de réforme du secteur sanitaire, sur le clivage

entre les deux secteurs.

Mais la rénovation de cette loi a aussi, et surtout, été rendue indispensable par de

profondes mutations du contexte qui ont bouleversé le secteur social et médico-social.

1.1.3. L’évolution du contexte :

Il est possible de retenir trois types de facteurs principaux ayant contribué à

l’évolution du contexte de l’action sociale et médico-sociale et rendu nécessaire la

rénovation de la loi lui correspondant. Il s’agit bien entendu d’une classification un peu

schématique, ces facteurs étant interdépendants et s’étant influencés les uns et les autres.

• La mutation de la société occidentale :

Il est difficile de faire une synthèse de cette évolution, qui ne soit ni caricature ni

réduction, tant elle est faite de contradictions, d’allers et retours et de paradoxes et tant

elle a subi l’influence d’événements de natures différentes. Le secteur social et médico-

social a parallèlement connu ces allers et retours en cherchant à s’adapter à de nouveaux

besoins pour lesquels il a dû élaborer de nouveaux modes d’intervention, bouleversant

souvent pratiques et certitudes.

La profonde mutation culturelle des sociétés occidentales, dont l’origine est plus à

situer dans les années 1960 12 que 1970, s’est manifestée par une remise en cause

progressive des références et des autorités auparavant fondamentales : la religion, la

morale, certaines idéologies politiques. Elle s’est aussi traduite par une recomposition des

rôles et des fonctions au sein de la famille et du travail.

Le triomphe de la société de consommation, l’internationalisation des marchés et des

productions, les mutations technologiques et scientifiques, l’inquiétude face à l’avenir

positionnent différemment l’individu au sein de la société. Parallèlement à une

modification du rapport au temps (temps de travail et précarité, espérance de vie, durée des

études, rapidité des transports et de la transmission des informations…) une crise des

impose aux institutions pour enfants et adolescents de prolonger leur prise en charge.12 CASTORIADIS C., La montée de l’insignifiance, Seuil, Paris, 1996, p 88 : « Pour l’essentiel, la situationd’aujourd’hui était déjà là à la fin des années 1950. (…) je décrivais déjà l’entrée de la société dans une phased’apathie, de privatisation des individus, de repli de chacun sur son petit cercle personnel, de dépolitisationqui n’était plus conjoncturelle. »

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significations imaginaires accentue un certain nombre de problèmes sociaux (chômage,

exclusion, problèmes familiaux, violence…).

Ces phénomènes ont influencé l’action sociale et médico-sociale et modifié ses

valeurs fondatrices mais aussi les besoins de ses usagers. Les débats ont été nombreux, au

sein du secteur, pour tenter de définir de nouveaux repères conceptuels, trouver de

nouvelles références théoriques, élaborer de nouvelles pratiques : nous y reviendrons. Les

associations, d’usagers et/ou de parents, gestionnaires de nombreuses institutions sociales

et médico-sociales, ont participé à ces débats qui ont bien souvent bouleversé les

fonctionnements.

Accompagnant ces changements, plusieurs textes de lois ou circulaires ont été

publiés, avant la loi plus générale n° 2002-2. Malgré la remise en cause de la solidarité

nationale, au travers de la contestation des prélèvements obligatoires, une volonté politique

de lutte contre les exclusions, de recherche de réponse aux nouveaux besoins s’est traduite

par différentes mesures concrètes : lois sur l’intégration professionnelle des personnes

handicapées, Revenu Minimum d’Insertion, Couverture Médicale Universelle, loi de lutte

contre les exclusions…Bien que les effets de ces mesures n’aient pas toujours été à la

hauteur des résultats escomptés, ils ont certainement permis que soient limités les effets

négatifs des difficultés sociales d’une partie de la population.

• La mutation de l’organisation du travail :

Le secteur social et médico-social, secteur de services non lucratifs (sauf de rares

exceptions) n’a pas été épargné par les mutations de l’organisation du travail, même si ces

mutations ont surtout concerné le monde de l’entreprise.

Ces mutations, qui trouvent leurs principales origines dans la crise économique, se

sont traduites par de nouvelles exigences de rentabilité et de flexibilité, le travail étant

devenu une variable d’ajustement au même titre que le capital. Parallèlement, la protection

sociale se trouvait remise en cause, accusée d’augmenter le coût du travail.

Le secteur social et médico-social, s’il a peu été frappé par le problème du chômage

(il reste parfois difficile de trouver du personnel qualifié), n’en a pas moins intégré

certaines de ses conséquences. Les emplois précaires et peu qualifiés ont en effet pénétré

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12

aussi ce secteur, permettant de réaliser un certain nombre d’économies sur les dépenses de

salaires, les budgets étant progressivement restreints par les tutelles.

Les nouvelles théories du management, issues des recherches en sciences sociales,

mais parfois seulement élaborées pour justifier cette exigence de rentabilité, ont influencé

les nouvelles formations des cadres du secteur, jusqu’alors plutôt peu qualifiés, ou formés

sur le terrain, entraînant parfois un choc de cultures. Des notions nouvelles comme la

stratégie, le contrôle de gestion, mais aussi le management par objectifs sont apparues dans

les langages et les pratiques, parfois sans que soit pris le temps nécessaire à l’adaptation

aux contraintes et aux besoins spécifiques du secteur.

Le management participatif a été fréquemment mis en avant par l’encadrement des

institutions sociales et médico-sociales. Comme le souligne LE GOFF13, ce mode

d’encadrement a bien souvent été à l’origine d’injonctions paradoxales et de souffrances,

dans ce secteur aussi, culpabilisant les professionnels lorsqu’ils ne parvenaient pas à

résoudre les difficultés.

• L’influence de l’environnement sur les structures sociales et

médico-sociales :

Pendant un certain nombre d’années, les institutions sociales et médico- sociales

étaient isolées de leur environnement et peu influencées par lui. Certaines d’entre elles

étaient implantées dans des zones peu peuplées. Par exemple, c’est ainsi que de nombreux

établissements pour personnes handicapées se sont installés en Lozère. Ceci a permis à un

département offrant peu de possibilités d’emplois de se développer, mais, en mettant les

usagers hors d’un environnement peu enclin à les intégrer, entretenait le phénomène

d’exclusion.

Même lorsqu’ils étaient implantés dans des zones urbaines, les établissements

développaient peu d’échanges avec l’extérieur, créant en quelque sorte des lieux de vie

relativement clos. Les familles et les représentants des usagers n’étaient impliqués dans le

fonctionnement des institutions et dans le suivi des usagers que très rarement. Longtemps

considérés comme peu compétents, voire pathogènes, ils étaient tenus à l’écart, admis

quelques fois dans l’année pour la kermesse de l’été ou la fête de Noël ! Progressivement,

13 LE GOFF J.-P., La barbarie douce, Editions La Découverte, Paris, 1999

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13

en réaction à ces situations d’exclusion, les associations représentant les usagers et leurs

parents se sont aussi impliquées dans la gestion des institutions, parfois en tombant dans

un excès inverse.

Peu à peu, les professionnels ont pris conscience de la nécessité d’impliquer d’autres

partenaires dans la prise en charge de l’usager. Les secteurs du sanitaire, de l’éducation, de

la justice ont ainsi été sollicités pour apporter leur éclairage sur des situations complexes.

Les familles ont aussi progressivement été reconnues comme compétentes et détentrices

d’un savoir sur l’histoire de l’usager, permettant aussi une meilleure compréhension des

problématiques, mais aussi de meilleurs résultats quand les professionnels parvenaient à les

impliquer dans la prise en charge.

Cette ouverture à l’extérieur, à de nouveaux partenaires comme aux familles et

représentants des usagers a permis une approche plus globale des situations. Le souci

d’intégration, dans l’environnement humain, s’est développé, entraînant l’ouverture à et

vers l’extérieur de certaines institutions.

La transversalité des politiques s’est généralisée, appuyée par la législation qui

développait l’obligation de conventions et de partenariats (réforme hospitalière).

L’environnement politique, législatif et administratif a donc progressivement influencé

plus fortement le fonctionnement et la gestion des établissements et services sociaux et

médico-sociaux. La décentralisation a, par exemple, eu des conséquences importantes sur

ces institutions, rendant plus proches les financeurs et décideurs, sans permettre pour

autant une répartition et une harmonisation des structures, malgré une accentuation de la

réglementation et des contrôles.

Certains services, financés par des subventions annuellement reconductibles de

différentes associations ou administrations publiques de proximité, ont parfois fait les frais

de restrictions budgétaires et de choix d’orientations politiques modifiés. Ces services

étaient souvent des structures de petite taille, plutôt intervenant dans le social ou auprès de

publics aux besoins plus spécifiques (insertion professionnelle). Ils ont parfois dû cesser

leurs activités dans ces dernières années.

Le contexte ayant été modifié sous l’impact de ces trois facteurs, le secteur social et

médico-social a cherché progressivement à s’y adapter. Cette adaptation, relayée avec plus

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ou moins de réussite par des textes législatifs, s’est traduite sur le terrain par des

modifications des pratiques et de la conception de la place de l’usager et par des

changements au niveau institutionnel.

1.1.4. Les effets sur les institutions et sur les pratiques :

• Le changement de la conception de la place de l’usager :

Les usagers du secteur social et ceux du secteur médico-social n’ont pas été, pendant

longtemps, considérés de la même façon. Leurs problématiques respectives n’étant pas

envisagées comme étant communes, ni comme ayant les mêmes origines. Avec les

conséquences de la crise économique, ces problématiques se sont complexifiées et ont fini

par se croiser et le terme de « handicap social » est apparu… Notion un peu floue si l’on

considère, comme l’a défini la Classification Internationale des Handicaps, que le handicap

est la traduction d’une incapacité dans l’environnement, le handicap ne peut alors qu’être

social. Mais cette nouvelle conception du handicap renforce l’importance de la prévention

des exclusions et donc de la nécessité de l’insertion, voire, lorsque cela est possible, de

l’intégration.

De nouvelles priorités de traitement des problématiques sociales et médico-sociales

sont apparues à la suite de ces mutations du contexte. Le mode de traitement, en particulier

en ce qui concerne l’exclusion sociale, ne faisant pas toujours l’unanimité et il a souvent

été objet de débats. Mais une recomposition s’est faite entre les différents champs de

l’action sociale et médico-sociale. Le domaine du handicap a cessé d’être prioritaire et

autonome : il a du collaborer avec d’autres secteurs et rendre des comptes sur son

fonctionnement. Les secteurs de l’insertion sociale et des personnes âgées se sont

développés (l’augmentation des besoins le justifiant) et se sont organisés.

Il est aussi apparu indispensable de protéger les personnes les plus vulnérables, face

aux exigences d’une société de plus en plus sélective, mais aussi vis-à-vis d’institutions et

de services dont certains ont été mal traitants. La protection, la possibilité d’exercer ses

droits et ses devoirs, de disposer de l’information qui le concerne, se sont imposés

progressivement comme des besoins évidents de l’usager, à la satisfaction desquels les

professionnels devaient participer.

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L’action des professionnels auprès de l’usager a aussi été reconsidérée. Il s’est agit

de mobiliser et développer ses compétences et capacités, pour lui permettre de progresser

et non plus de combler ses déficits et ses incapacités. Il est de plus en plus considéré dans

une approche plus globale : héritier d’une histoire, en interaction avec son environnement.

Les ressources du milieu ordinaire sont utilisées. Progressivement la prise en charge, pour

laquelle l’usager est passif, se transforme en suivi ou en accompagnement, pour lesquels sa

participation est nécessaire, dans un objectif de réelle intégration dans son environnement.

Cette modification n’est pas que sémantique : elle correspond aussi bien à la nouvelle

complexité des problématiques qu’à une revendication des usagers (ou de leurs

représentants, comme certaines associations) et qu’à une prise de conscience des

professionnels. Ceux-ci, devant des situations plus complexes, abandonnent leurs illusions

de toute puissance pour s’orienter vers une pratique plus interdisciplinaire.

La situation des personnes touchées par le VIH est une parfaite illustration de cette

évolution des pratiques. Cette pathologie a en effet concerné une population souvent en

difficulté sociale, psychologique, qui a souffert rapidement de phénomènes d’exclusion. Il

a été indispensable que collaborent le secteur sanitaire, les services sociaux et médico-

sociaux, tout en utilisant les ressources d’associations qui ont proposé rapidement des

solutions adaptées et souvent innovantes. L’approche globale s’est avérée indispensable -

même si elle a bien souvent fait défaut- rappelant que l’être humain est un ensemble bio-

psychosocial ! Avant que les pratiques s’adaptent, les usagers ont souvent dû, eux-mêmes,

organiser la coordination des actions qui les concernaient, lorsqu’ils en avaient les

capacités. Ceci est d’ailleurs encore, et malheureusement, parfois le cas, quelle que soit la

problématique de l’usager.

Les professionnels recherchent une réponse aux besoins de l’usager tout en prenant

conscience qu’ils sont propres à chacun et que cette réponse doit être adaptée à la suite

d’une analyse fine de la problématique de chaque personne. On passe ainsi d’une logique

de la réponse « standard », à laquelle les usagers avaient à adapter leur demande et leurs

besoins, à une réponse construite avec eux. La pratique autour du projet personnalisé ou

individuel va se généraliser, même si elle pose parfois problème à des professionnels

déconcertés par cette exigence de souplesse.

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La souffrance de l’usager (qu’elle soit psychique ou physique) est prise en compte

différemment et entraîne des réflexions éthiques sur la place du professionnel14. Il s’agit

plus, dorénavant, de la soulager que de la partager.

L’adhésion, le libre choix, la concertation de l’usager sont recherchées. Mais les

contraintes demeurent : en réalité, il est bien difficile à une personne atteinte d’une

déficience motrice de choisir entre la vie à domicile ou en institution, à une personne âgée

entre rester chez elle ou rentrer en maison de retraite.

Malgré cela les modes d’intervention changent : les services à domicile se

développent, les ouvertures des institutions sur des services extérieurs se multiplient. On

passe d’un accueil de longue durée dans une seule institution à des accueils plus courts,

dans des structures variées qui se complètent. Le milieu ordinaire est privilégié, même si là

encore les obstacles demeurent. L’insertion en milieux scolaire ou professionnel ordinaires

est encore difficile, pour des raisons variées : financières, physiques, humaines (crainte de

la différence) ou parce que parfois la déficience est trop lourde.

La conception de la place de l’usager a donc évolué, au cours de ces années et sous

l’influence des mutations du contexte. L’usager est considéré dans sa globalité, en

interaction avec son environnement et devant le rester. Le regard devient positif : l’action

des professionnels s’appuie sur ses capacités et aptitudes. Des réflexions éthiques

s’engagent sur le droit, la dignité, le respect et les choix de l’usager, la nécessaire distance

du professionnel comme la teneur de son engagement.

Parallèlement, au niveau institutionnel des changements se poursuivent pour

permettre de s’adapter au contexte en mutation et à cette nouvelle conception de la place

de l’usager.

• Les changements institutionnels :

Considérée différemment par son environnement, et le considérant elle-même

différemment, l’institution sociale et médico-sociale évolue.

La décentralisation entraîne une nouvelle logique de territoire et une recherche de

planification des réponses plus adaptée. Des schémas cherchent à définir les besoins de la

collectivité (départementale ou régionale) ainsi que les réponses à leur apporter. Des

14 LE COZ P., La compassion, faut-il s’y fier ou s’en méfier ? dans : FORUM, l’espace éthique

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difficultés techniques se posent pour l’estimation de ces besoins et du type de réponses y

correspondant ainsi que pour réduire le délai de mise en place et pour une prospective fine

dans le temps. Cette démarche s’accompagne bien souvent d’une sorte

d’instrumentalisation des établissements, sous la contrainte de tutelles cherchant à

harmoniser leurs interventions.

Devant la nécessité de collaborer avec des institutions de différents secteurs, des

débuts de partenariats ou de conventions se mettent en place, ou de simples collaborations

entre services. Le sanitaire, l’éducation, la justice, le social et le médico-social

commencent à échanger, à partir de situations communes d’usagers, sur leurs pratiques

respectives.

Ces échanges, bien entendu, ne seront pas toujours simples, tant ces secteurs ont été

éloignés, issus de cultures variées et basés sur des valeurs parfois opposées. Mais

progressivement, cela permettra aussi que l’usager puisse bénéficier d’un accompagnement

plus complet et plus global et qu’il puisse aussi trouver la réponse à ces besoins en dehors

d’un placement dans une institution. Ainsi vont se développer des réseaux et des structures

plus souples, tels que l’intervention à domicile, en classe ou sur le lieu de travail ou à

proximité des publics concernés, pour l’action sociale.

Les contraintes budgétaires, l’influence et la mise en œuvre des techniques de gestion

de l’entreprise (rarement adaptées et souvent confondues avec la qualité du service) ont

parfois placé les institutions sociales et médico-sociales dans une position paradoxale ou

tout au moins de valse hésitation entre leur dimension politique et leur dimension

technocratique, cette difficulté étant principalement observable dans les institutions gérées

par des associations.15

Cette mutation du contexte dans lequel s’exerce l’action sociale et médico-sociale, et

les changements qu’elle a entraînés sur les institutions et les différents acteurs ont donc

nécessité un besoin de reconsidération du cadre législatif. Nous envisagerons dans la partie

suivante comment le législateur a tenté d’intégrer ces changements dans la loi 2002-2.

méditerranéen, n° 1, avril 2001, p 415 HAERINGER J., TRAVERSAZ F., Conduire le changement dans les associations d’action sociale etmédico-sociale, Dunod, Paris, 2002, p VII

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1.2. La loi 2002-2 16:

Résultats de 5 ans de consultation, de négociation et de réflexion avec les différents

acteurs de l’action sociale et médico-sociale, la loi 2002-2 s’intègre dans le processus

général de réorganisation de la santé17, parallèlement à la réforme du secteur sanitaire

(malgré un décalage dans le temps).

Dans une première partie de la loi 2002-2, le législateur, en définissant les principes

fondamentaux de l’action sociale et médico-sociale, souhaite positionner l’usager au cœur

de cette action et lui reconnaît ses droits, en créant un certain nombre de dispositifs.

Dans une deuxième partie, pour organiser l’action sociale et médico-sociale de façon

plus efficiente, la loi prévoit la mise en place des mesures de préparation et de suivi de

cette action. Il s’agit de l’obligation d’évaluation et d’autoévaluation, de nouvelles

modalités de planification et de collaboration entre les partenaires, un nouveau régime

d’autorisations, de nouvelles règles de financement et de contrôle.

Quel est le détail de ces différentes mesures et en quoi répondent-elles aux mutations

du contexte ?

1.2.1. Les principes fondamentaux :

Le premier chapitre de la loi sur les principes fondamentaux comporte une section

sur les fondements de l’action sociale et médico-sociale et une autre sur les droits des

usagers de ce secteur.

1.2.1.1. Les fondements de l’action sociale et médico-sociale :

En préambule à l’affirmation de ces droits et à l’organisation, les fondements de

l’action sociale et médico-sociale sont énoncés : l’autonomie et la protection des

personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, la prévention des

16 Dans un souci de clarté et de lisibilité, nous avons renoncé à intégrer tous nos commentaires etquestionnements au fil de la présentation. Cette option confère à cette partie, comme à tout énoncé de textelégislatif, un aspect purement descriptif un peu rébarbatif pour celui qui découvre cette loi : cet inconvénientnous a paru préférable au risque de confusion.

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exclusions et la correction de ses effets. Ces fondements répondent à des principes :

respect de l’égale dignité de tous les êtres humains, accès équitable sur l’ensemble du

territoire. L’élaboration d’une charte nationale devrait faire émerger un socle de valeurs et

de principes déontologiques. Les fédération et organismes représentatifs des personnes

morales publiques et privées gestionnaires d’établissements et de services sociaux et

médico-sociaux participeront à la rédaction de cette charte qui a aussi pour ambition de

prévenir certaines dérives (la maltraitance est ici visée). Cette charte sera arrêtée par les

ministres compétents après consultation de la section nationale du Comité national de

l’organisation sanitaire et sociale (CNOSS). La loi précise les missions de l’action sociale

et médico-sociale, en orientant cette action moins sur l’hébergement que sur

l’accompagnement et l’assistance, ce qui n’était pas le cas de la loi de 1975, mais aussi en

énonçant des actions en milieu ouvert ou innovantes.

Ces missions sont les suivantes :

• Evaluation et prévention des risques sociaux, médico-sociaux, information,

investigation, conseil, orientation, formation, médiation et réparation.

• Protection administrative et judiciaire de l’enfance et de la famille, de la jeunesse,

des personnes handicapées, des personnes âgées ou en difficultés.

• Actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et

de formation adaptées aux besoins de la personne et à ses capacités, sans négliger des

possibilités de progression, y compris à l’âge adulte.

• Actions d’intégration scolaire, d’adaptation, de réadaptation, d’insertion, de

réinsertion sociale et professionnelle, d’aide à la vie active.

• Actions d’assistance dans les différents actes de la vie, y compris à titre palliatif.

• Actions contribuant au développement social et culturel et à l’insertion par

l’activité économique.

1.2.1.2. Les droits des usagers :

A la suite de ces principes fondamentaux et généraux, mais aussi en complément et

de façon plus concrète, la loi définit les garanties dont doivent bénéficier les usagers en

matière de droits et quels outils et dispositifs devront être mis en place pour favoriser

17 Nous avons souvent tendance à oublier que le système de santé en France regroupe le secteur sanitaire et le

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l’exercice de ces droits. Certains de ces dispositifs étaient d’ailleurs déjà développés dans

certaines structures.

En lui reconnaissant des droits, l’enjeu de la loi est de mettre l’usager au cœur de

l’action. Elle précise que tous les groupes sociaux peuvent être concernés et bénéficiaires

de l’action sociale et médico-sociale.

L’exercice des droits et libertés individuels doit être « garanti à toute personne prise

en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux ». Doivent lui être

assurés :

• Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privé, de son intimité et de sa

sécurité.

• Le libre choix entre des prestations adaptées qui lui sont offertes dans le cadre d’un

service à domicile, ou dans celui d’une admission au sein d’un établissement spécialisé

(sous réserve des pouvoirs de l’autorité judiciaire et des nécessités liées à la protection des

mineurs en danger).

• Le droit à une prise en charge et à un accompagnement individualisé de qualité

favorisant son développement, son autonomie et son insertion. Ce droit doit être adapté à

son âge et à ses besoins et respecter son consentement éclairé, lequel doit être

systématiquement recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à

participer à la décision. A défaut le consentement du représentant légal doit être sollicité.

• La confidentialité des informations concernant sa situation.

• L’accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge (sauf

disposition législative particulière).

• L’information sur ces droits fondamentaux et les protections particulières légales et

contractuelles dont il bénéficie, ainsi que sur les voies de recours à sa disposition.

• La participation directe ou avec l’aide de son représentant légal à la conception et à

la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui le concerne.

Pour les personnes accueillies dans des établissements relevant de l’aide sociale à

l’enfance ou comportant un hébergement (urgence ou centres d’hébergement et de

réinsertion sociale), il est prévu un droit à la vie familiale. Il sera donc nécessaire d’éviter

secteur social et médico-social.

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la séparation des personnes ou sinon d’élaborer avec les personnes un projet (et de le

suivre) permettant la réunion de la famille.

Pour traduire et assurer la mise en pratique de ces principes, des dispositifs concrets

seront développés.

Il s’agit d’une part de documents qui devront être remis à l’usager, dont certains

seront élaborés avec lui et d’autre part, d’instances qui seront mises à son service.

Les documents remis aux usagers :

• Le livret d’accueil : il devra être remis à toute personne ou à son représentant légal,

lors de l’accueil dans un établissement ou un service, pour garantir l’exercice effectif des

droits et prévenir tout risque de maltraitance. La charte18 des droits et liberté de la personne

accueillie et le règlement de fonctionnement de la structure y seront annexés.

• Le règlement de fonctionnement : il n’était obligatoire, jusqu’à présent, que dans

les établissements recevant des personnes âgées. Dorénavant, il sera élaboré dans chaque

service ou établissement et définira les droits des personnes accueillies, les obligations et

devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective. Il sera établi après consultation

du conseil de la vie sociale et voté par le conseil d’administration, le cas échéant.

• Le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge : il sera élaboré

avec l’usager ou son représentant légal. Il devra définir les objectifs et la nature de la prise

en charge ou de l’accompagnement dans le respect des règles déontologiques et éthiques,

des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d’établissement ou

de service. Il détaillera la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût

prévisionnel. Le contrat de séjour obligatoire n’existait que dans les maisons de retraite,

depuis 1999. Comme pour le livret d’accueil et le règlement de fonctionnement, un décret

à paraître fixera les dispositions minimales devant y figurer ainsi que les modalités de son

établissement et de sa révision.

Les instances au service des usagers :

• « Le médiateur » ou personne qualifiée :

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Elle devra permettre à l’usager ou à son représentant légal de faire valoir ses droits.

Elle sera choisie sur une liste établie conjointement par le Préfet et le Président du Conseil

Général et rendra compte de ses interventions aux autorités chargées du contrôle des

établissements.

• Le conseil de la vie sociale :

Afin d’associer les usagers au fonctionnement de l’établissement, du service ou du

lieu de vie, il se prononcera sur le règlement de fonctionnement, sur l’organisation interne,

sur les activités et travaux. Il devra être avisé et consulté pour un certain nombre de

décisions concernant le fonctionnement. Il aura vocation à se substituer à l’actuel conseil

d’établissement (rendu obligatoire par un décret en 1991). L’ambition de ce dispositif est

d’être centré sur la participation de l’usager et qu’elle soit effective. Il est envisagé que

l’usager puisse se faire assister par une personne de l’établissement (personnel ou autre

usager) pour traduire ses souhaits ou opinions. Il ne sera obligatoire que dans certains

établissements ou services, suivant les modes de fonctionnement, mais les autres structures

devront mettre en place d’autres formes de participation. Le décret précisant la

composition et les compétences de ce conseil et les autres formes de participation doit

paraître. Il devra aussi préciser quelles seront les instances représentatives du personnel.

Le projet d’établissement :

Pour chaque établissement ou service il sera élaboré un projet d’établissement qui

définira ses objectifs notamment en matière de coordination, de coopération et d’évaluation

de ses activités et de la qualité de ses prestations, ainsi que de ses modalités d’organisation

et de fonctionnement. Il sera établi pour une durée de 5 ans maximum après consultation

du conseil de la vie sociale. L’objectif du projet d’établissement et d’obliger les structures

à une démarche de planification d’objectifs et de moyens.

Ce premier chapitre de la loi sur les principes fondamentaux représente moins de 2

pages sur un volume total de 17. Pourtant, jusqu’à présent, c’est peut-être celui qui a

entraîné le plus de commentaires de la part des professionnels de terrain, des usagers et

des associations les représentant. La loi 2002-2 répond dans cette partie, à de nombreuses

18 Il y aura donc élaboration de deux chartes : une sur les principes éthiques et déontologiques pour les

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revendications concernant la place de l’usager, ses droits et le besoin d’adaptation à de

nouvelles pratiques. Pour éviter de s’arrêter à un énoncé de bonnes intentions et au

déclaratif, le législateur a souhaité s’appuyer sur des dispositifs très concrets que les

institutions devront mettre en place.

Mais de nombreuses questions se posent, dans l’attente de la publication des décrets

d’application et face à des difficultés d’ores et déjà repérées à faire un lien effectif entre

des droits énoncés et les pratiques quotidiennes. Nous les aborderons dans une partie

suivante.

1.2.2. L’autoévaluation et l’évaluation :

L’importance de cette mesure, intégrée dans le deuxième chapitre de la loi sur

l’organisation de l’action sociale et médico-sociale, justifie à nos yeux de l’aborder

séparément. Elle représente en effet un changement majeur dans la pratique des

professionnels et entraîne beaucoup d’inquiétudes.

Les établissements et services sociaux et médico-sociaux devront procéder à une

démarche d’autoévaluation de leurs activités et de la qualité de leurs prestations. Elle leur

impose aussi de se soumettre à une évaluation extérieure. L’objectif de cette mesure n’est

pas précisé dans la loi, mais elle a été présentée comme devant permettre de lutter contre la

maltraitance, le manque de qualification et mettre en évidence les mauvaises et les bonnes

pratiques professionnelles.

1.2.2.1. L’autoévaluation 19:

Les établissements et services sociaux et médico-sociaux, les lieux de vie et d’accueil

devront désormais évaluer leurs activités et la qualité de leurs prestations. Cette évaluation

se fera au regard de procédures, de références et de recommandations de bonnes pratiques

professionnelles, validées par le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale,

voire en cas de carence, élaborées par lui. Ceci afin d’éviter un blocage si les

professionnels refusaient d’élaborer les normes dévaluation, comme l’ont précisé

organismes et fédérations, une pour les doits et libertés des usagers.19 Ce terme n’est pas celui adopté par le législateur, la seule différence dans la loi entre autoévaluation etévaluation se traduit de la façon suivante : « les établissements et services procèdent à l’évaluation » (pourl’autoévaluation) et « les établissements et services font procéder à l’évaluation» (pour l’évaluation).

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HAMMEL et BLANC dans un rapport à l’Assemblée Nationale.20 La loi prévoit que les

résultats de cette autoévaluation soient transmis tous les 5 ans à l’autorité ayant délivré

l’autorisation de création de l’institution (Préfet ou Président du conseil général). Ce délai

correspond à la durée pour laquelle doivent être élaborés les projets d’établissements, au

tiers de la durée de la validité de l’autorisation et à celle du schéma d’organisation sociale

et médico-sociale.

Cette évaluation est qualitative et ne cherche pas à définir ni examiner un rapport

« coût-efficacité » des services et prestations, ni le coût de la prise en charge d’une certaine

population. Comme le rappellent les Actualités Sociales Hebdomadaires21 dans leur

analyse, ce dispositif évoque plutôt la logique de celui qui avait été mis en place en 1999

pour les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Un outil de mesure

de la qualité des prestations avait alors été développé après consultation de l’ensemble des

partenaires du secteur (référentiel ANGELIQUE).

1.2.2.2. L’évaluation par un organisme extérieur :

La loi impose par ailleurs l’obligation aux établissements et services sociaux et

médico-sociaux de se soumettre à une évaluation, par un organisme extérieur, de leurs

activités et de la qualité de leurs prestations. Il s’agit là d’éviter l’écueil, que pourrait

présenter la seule autoévaluation, d’une sorte d’autosatisfaction et de rechercher une forme

d’objectivité et d’indépendance dans cet organisme extérieur.

Cette évaluation devra être réalisée au cours des 7 années suivant la date

d’autorisation ou de son renouvellement, et au moins 2 ans avant la date de celui-ci. Les

résultats devront aussi être communiqués à l’autorité ayant délivré cette autorisation. Pour

être habilités à procéder à l’évaluation externe, les organismes devront respecter un cahier

des charges dont on attendait la parution dans un décret au second semestre 2002. Ce

décret est toujours en attente. Ce cahier des charges devrait prévoir que soit garantie

l’indépendance de l’organisme par rapport à l’établissement et aux pouvoirs publics.

20 Rap. A. N. n° 3433, décembre 2001, p11, cité par Actualités Sociales Hebdomadaires, 1er février 2002, n°2248 La rénovation de l’action sociale et médico-sociale, p 23-2921 Actualités Sociales Hebdomadaires, 1er février 2002, n° 2248 La rénovation de l’action sociale et médico-sociale, p 23-29

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25

Les outils et référentiels devront être validés ou élaborés par le Conseil national et

respectés. Le cahier des charges devrait aussi décrire les procédures d’évaluation et de

publication des résultats. Devant le contenu prévu pour ce cahier des charges, et lorsqu’on

connaît la réticence du secteur social et médico-social vis-à-vis de l’évaluation, il n’est pas

étonnant que le décret correspondant ne soit toujours pas paru… même si ce retard

concerne aussi bon nombre d’autres décrets d’application de la loi.

Les organismes ne pourront être habilités que pour les établissements ou services

pour lesquels auront été définies les procédures, références et recommandations

professionnelles de bonnes pratiques. Ceci devrait éviter que l’évaluation externe n’ait lieu

avant la mise en place des mécanismes d’évaluation interne. La liste de ces organismes

habilités n’est toujours pas parue puisqu’elle devait suivre d’un semestre la publication du

décret concernant le cahier des charges.

Le financement de ces organismes, et de leurs prestations, n’est pas prévu par la loi

et peut inquiéter les gestionnaires. Une mutualisation des moyens, au niveau national, sera

peut-être envisagée.

Par rapport à ce qui a été mis en place dans le secteur sanitaire avec la transformation

de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) en

Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), il a été préféré pour le

secteur social et médico-social la création de plusieurs organismes. En effet les

établissements et services sont bien plus nombreux dans ce secteur (24 500 pour 3000

établissements de santé) et les organismes seront certainement régionaux et/ou spécialisés

dans certaines catégories d’établissements.

1.2.2.3. Le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale :

Le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale devra valider ou

élaborer, en cas de carence, les procédures, références et les recommandations de bonnes

pratiques professionnelles qui serviront de guide lors de l’autoévaluation. Ces instruments

devront bien entendu, être adaptés à chaque catégorie d’établissements et de services. Le

Conseil sera aussi sollicité pour donner son avis sur les organismes habilités.

Le décret relatif aux missions, à la composition et aux modalités de fonctionnement

du Conseil n’est pas, lui non plus, paru. Le nombre de représentants des organismes de

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tarification devrait être inférieur au nombre de représentants de professionnels, des usagers

et de leurs familles et des personnalités qualifiées. Une indépendance de ce Conseil est

ainsi vraiment recherchée.

1.2.3. L’organisation du secteur et la rationalisation économique :

Les principaux autres chapitres de la loi 2002-2 sont consacrés à l’organisation de

l’action sociale et médico-sociale, aux droits et obligations des établissements et services

sociaux et médico-sociaux et aux dispositions financières.

La planification de l’action sociale et médico-sociale :

Elle est organisée selon de nouvelles modalités. Selon HAMMEL, la logique de la loi

fait une priorité de l’adaptation aux besoins des personnes, d’une offre diversifiée et du

libre choix de la personne accueillie. Ces modifications visent donc une meilleure

définition des besoins à satisfaire et de l’offre nécessaire pour y répondre.22

• Les sections sociales du comité national de l’organisation sanitaire et sociale

(CNOSS) et du Comité régional de l’organisation sanitaire et sociale (CROSS) ont un rôle

élargi. Elles seront chargées de l’évaluation des besoins sociaux et médico-sociaux, de

l’analyse de leur évolution, de proposer des priorités pour l’action sociale et médico-

sociale.

• Le contenu et la procédure d’élaboration des schémas d’organisation sociale et

médico-sociale ont aussi été modifiés, dans les mêmes objectifs. Trois niveaux de schémas

sont mis en place (un seul niveau départemental, était prévu par la loi de 1975) : national,

régional, départemental. Les décisions seront prises conjointement, au niveau du

département, par le représentant de l’Etat et le Président du conseil général.

La périodicité de ces schémas est de 5 ans, comme pour le secteur sanitaire, alors

qu’auparavant aucune durée n’avait été fixée. Ils peuvent être révisés à tout moment, à la

demande de l’une des autorités compétentes. Les associations peuvent aussi demander la

révision des schémas, sans être assurées de l’obtenir.

La nouvelle organisation des schémas leur confère une portée nouvelle. La loi établit

un lien entre le schéma et l’octroi des autorisations de fonctionnement des établissements

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et services. L’autorisation est conditionnée par sa compatibilité avec les objectifs des

schémas, qui eux-mêmes doivent définir les besoins sociaux et médicaux sociaux.

Auparavant seulement indicatifs, les schémas deviennent donc opposables. Cela

permettra peut-être que l’évolution des équipements réponde mieux aux besoins.

En revanche cette notion d’opposabilité ne concerne que le schéma et non son

annexe, contrairement à ce qui existe dans le sanitaire. Cette annexe précise la

programmation pluriannuelle des établissements et services sociaux et médico-sociaux

qu’il serait nécessaire de créer, transformer ou supprimer pour satisfaire les perspectives et

objectifs du schémas23. Ces créations, transformations ou suppressions pourront donc rester

mentionnées pendant des années au niveau de l’annexe des schémas sans être réalisées.

• La coordination et la coopération :

Dans l’objectif d’assurer la coordination, la complémentarité et la continuité des

prises en charge et de l’accompagnement, un certain nombre de dispositions sont définies.

Des conventions pluriannuelles devront être conclues entre autorités compétentes. Des

engagements de coopération entre personnes morales gestionnaires d’établissements ou de

services pourront être pris. La constitution de réseaux sociaux et médico-sociaux ainsi que

la passation de conventions entre établissements et services des secteurs sanitaire, de

l’enseignement et social et médico-social sont conseillées. La loi instaure la possibilité de

création de groupements d’intérêt économique ou d’intérêt public, de syndicats inter-

établissements ou de groupements de coopération sociale et médico-sociale. Le législateur

cherche ainsi à décloisonner, favoriser les coopérations volontaires entre différents

secteurs, et en particulier entre le secteur sanitaire et le secteur social et médico-social.

• Les systèmes d’information :

La loi instaure la mise en place de systèmes d’information compatibles entre l’Etat,

les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Les établissements et

services sociaux devront aussi se munir d’un système d’information compatible avec ce

dispositif. Ces systèmes devront respecter de la protection des données à caractère

nominatif.

22 Rap. A.N. n° 2881, janvier 2001, cité par Actualités Sociales Hebdomadaires, La rénovation de l’actionsociale et médico-sociale, 1er février 2002, n° 2248, p 2423 Actualités Sociales Hebdomadaires, La rénovation de l’action sociale et médico-sociale, 1er février 2002,n° 2248, p 24

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Droits et obligations des établissements et services sociaux et médico-sociaux :

• Le régime de l’autorisation :

La loi reprend d’anciennes dispositions (caractère obligatoire, avis du CROSS

nécessaire, caducité au bout de trois ans en cas d’absence de commencement d’exécution,

cession possible uniquement avec l’accord de l’autorité compétente) et met en place de

nouvelles dispositions, dont certaines sont calquées sur le sanitaire.

Les structures expérimentales devront suivre un dispositif particulier pour obtenir

leur autorisation (elles n’étaient pas mentionnées dans l’ancien dispositif). L’octroi de

l’autorisation, comme par le passé, sera lié au respect des normes de fonctionnement, mais

des conditions nouvelles sont définies. Ce sont les conditions suivantes : la compatibilité

avec les priorités des schémas (notamment les besoins prioritaires, urgents ou spécifiques),

la prévision des démarches d’évaluation et de systèmes d’information communs, un coût

de fonctionnement qui ne soit pas hors de proportion avec celui de structures comparables

et qui soit compatible avec les enveloppes limitatives opposables. Si le refus n’est justifié

que par le manque de financement, la demande devient prioritaire et l’autorisation est

octroyée dès que le coût devient compatible avec les enveloppes limitatives (dans un délai

de 3 ans). Les mesures qui concernent l’effet des autorisations, leur renouvellement ou le

retrait reprennent les dispositions antérieures avec quelques dispositions nouvelles pour le

renouvellement.

• Les règles de fonctionnement :

La loi 2002-2 prend en compte les diversités de modalités d’accueil et de prestations

des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ces prestations peuvent se tenir à

domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans une structure de prise en

charge. L’intervention peut être assurée à titre permanent ou temporaire ou selon un mode

séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, en internat, semi-

internat, externat. Le mode séquentiel devrait permettre un répit aux familles, proposant un

accueil temporaire à un rythme régulier, notamment dans la situation où la famille a la

charge d’une personne handicapée ou âgée. Un décret définissant les conditions minimales

d’organisation et de fonctionnement (ne concernant pas les structures expérimentales)

devrait être publié. Les établissements devront s’organiser en unités de vie pour favoriser

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le confort et la qualité de vie des personnes accueillies et éviter les structures collectives de

trop grande taille.

Des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens pourront être conclus entre

organismes gestionnaires, administrations et caisses de sécurité sociale. Il s’agit d’une

faculté et non d’une obligation. Leur but est de permettre la réalisation des objectifs

retenus dans les schémas, mettre en œuvre le projet d’établissement et les modalités de

coopération. Ils devront fixer les obligations des parties et prévoir les moyens nécessaires,

sur une durée au plus égale à 5 ans.

Le rapporteur à l’Assemblée nationale, HAMMEL24, s’est interrogé sur la portée de

ces contrats. Le relatif manque de portée normative de cette disposition ne permet pas a

priori d’en mesurer la portée juridique, même s’il est possible de supposer que si le

gestionnaire signataire n’a pas réalisé une de ses obligations contractuelles, totalement ou

en partie, le pouvoir de financement et d’autorisation ne renouvellera pas, en proportion,

les moyens financiers engagés.

L’UNAPEI25 craint que ces contrats ne présentent qu’un caractère formel s’il existe

un déséquilibre entre les parties, même s’ils offrent l’avantage de permettre une

responsabilisation des gestionnaires et un dialogue avec les autorités administratives.

• Le contrôle :

La loi de 1975 ne prévoyait pas de dispositions particulières relatives à un contrôle

des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Elle évoquait une surveillance en

période habituelle. Les dispositions concernant la fermeture des établissements

permettaient elles, un contrôle.

Afin de renforcer les mesures assurant la protection des personnes vulnérables, pour

prévenir toutes les maltraitances et garantir les moyens d’une intervention et d’une réaction

rapide des autorités, la loi 2002-2 institue le principe du contrôle, détermine quelle est

l’autorité compétente pour exercer ce pouvoir de contrôle et attribue aux inspecteurs des

affaires sanitaires et sociales la possibilité de constater les infractions et d’effectuer des

saisies.

24 Rap. A.N., n° 2881, janvier 2001, p 86, cité par Actualités Sociales Hebdomadaires, La rénovation del’action sociale et médico-sociale, 1er mars 2002, n° 2252, p 3025 Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés, Formation « Loi du 2 janvier 2002 »,document stagiaire, 16/10/2002, p11

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L’autorité ayant délivré l’autorisation sera compétente pour exercer ce contrôle. Des

visites d’inspection pourront être envisagées, notamment en cas de suspicion de

maltraitance. Pour apprécier l’état de santé, de sécurité, d’intégrité et de bien-être physique

ou moral des usagers, ces visites pourront être effectuées par un médecin inspecteur de

santé publique et un inspecteur des affaires sanitaires et sociales. Le médecin veillera à

entendre les usagers et leurs familles et à recueillir leurs témoignages. L’inspecteur ou le

médecin inspecteur pourront également entendre les personnels.

Dès la constatation de dysfonctionnements ou d’infractions, l’autorité qui a délivré

l’autorisation peut adresser des injonctions, selon une procédure en deux temps : injonction

de remédier aux dysfonctionnements ou infractions conjointe à l’information aux usagers,

leur famille et au personnel, puis éventuellement nomination d’un administrateur

provisoire. L’injonction doit fixer un délai raisonnable et peut inclure les mesures de

réorganisation ou des mesures individuelles conservatoires. Le Conseil général peut aussi

mettre en place un contrôle concernant les structures qui relèvent de sa compétence, en

particulier pour le respect des règles concernant l’aide sociale et pour un contrôle

technique.

Les mesures concernant les procédures de fermeture sont maintenues et quelques

dispositions nouvelles, correspondant à la logique de la nouvelle organisation, ont été

définies.

La loi instaure une nouvelle protection pour le salarié qui aurait dénoncé de mauvais

traitements et qui ne peut faire l’objet de mesures défavorables.

Les dispositions financières :

De nouvelles règles de tarification et de financement sont définies par la loi 2002-2.

Si les règles de compétences en matière tarifaire sont maintenues (les autorités

compétentes restent les mêmes), ainsi que l’opposabilité des conventions collectives, la

généralisation des enveloppes limitatives opposables et la modifications de certaines

dispositions d’approbation apportent des changements notables.

Les enveloppes limitatives opposables :

Les autorités compétentes en matière tarifaire pourront proposer des abattements sur

les propositions budgétaires compte tenu des conditions de satisfaction des besoins de la

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population, de l’évolution de l’activité et des coûts comparés à des équipements

équivalents, de l’incompatibilité avec les enveloppes limitatives opposables. Ces

enveloppes limitatives opposables sont construites à partir de plusieurs montants : celui de

l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), fixé par arrêté

ministériel et voté par le Parlement, celui des enveloppes régionales et départementales.

Pour l’UNAPEI26, ces nouvelles modalités financières apportent simplification et

souplesse, mais la suppression de l’approbation de la variation des effectifs de personnel

affaiblit la motivation de l’administration et dans le cadre d’un budget exécutoire, le

gestionnaire assume la totalité des arbitrages imputables à l’administration. Celle-ci se

trouve donc désengagée de certaines décisions, même si elles sont rendues inévitables par

des restrictions dues à l’opposabilité des enveloppes limitatives.

Conclusion :

La confrontation des ambitions affichées par le législateur, les mesures et

dispositions imposées par la loi doivent être confrontées aux réalités du terrain pour

estimer quelle portée réelle aura la loi : cela permet en effet de repérer des obstacles à sa

mise en application, qu’il soient humains ou matériels.

Mais ambitions et dispositions concrètes doivent aussi être confrontées entre elles

pour envisager d’emblée les difficultés qu’il pourra y avoir à les traduire et les appliquer

sur ce même terrain. C’est cette réflexion que nous avons souhaité mener pour la suite de

notre travail, tout particulièrement dans le domaine du droit des usagers par rapport aux

fondements de l’action sociale et médico-sociale tels qu’ils sont définis par la loi, puis,

dans une deuxième section, dans le domaine des dispositifs d’évaluation par rapport à ces

mêmes fondements, mais aussi en opposition aux autres dispositifs d’organisation et de

rationalisation.

1.3 Des ambitions ambiguës :

1.3.1 Fondements de l’action sociale et médico-sociale et droits des usagers :

26 UNAPEI, Formation « Loi du 2 janvier 2002 », document stagiaire, 16/10/2002, p 12

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Nous commencerons par rappeler, une nouvelle fois, puisque la loi le pose comme

fondamental, que l’action sociale et médico-sociale vise à promouvoir l’autonomie et la

protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, à prévenir

les exclusions et à en corriger les effets.

Elle définit que l’action sociale et médico-sociale doit être accessible à tous les

groupes sociaux, dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains.

Ces préalables nous semblent essentiels puisqu’ils éliminent toute discrimination et

affichent un objectif de démocratisation grâce à la promotion de l’autonomie et l’exercice

de la citoyenneté.

En revanche, les articles suivants ne présentent pas la même clarté et entraînent des

questionnements.

• Le droit ou les droits ?

La première ambiguïté à relever dans le premier chapitre de la loi concerne le choix

du pluriel pour les droits des usagers. En effet un Etat de droit27 est un état où le citoyen est

protégé contre les abus du pouvoir, il ne lui obéit pas, mais obéit aux lois que ce pouvoir

est seulement chargé de mettre en œuvre, et à l’élaboration desquelles le citoyen a pu

participer, directement ou indirectement.

En France, invoquant la Déclaration des droits de l’homme ainsi que les principes

fondamentaux reconnus par les lois de la République, le Conseil constitutionnel assure la

protection des libertés individuelles et politiques contre les empiétements du pouvoir,

législatif ou exécutif. Le droit de chacun est donc issu des droits de l’homme et y fait

référence, il en est une application particulière.

En 1994, JAEGER28 publiait la réflexion suivante : « On notera le pluriel « les »

droits de l’homme et du citoyen, qui peut faire penser que « le » droit des usagers fait

partie, en toute logique, de la déclinaison de ces droits. A l’inverse « l »’homme et « le »

citoyen accèdent au sens générique, tandis que « les » usagers sont chacun un « cas »,

renvoyant chaque fois à une situation particulière ».

27 CAPUL J.-Y., Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Hatier, Paris, 2002, p 17728 JAEGER M., Le droit des usagers dans le secteur social et médico-social : une notion qui échappe auxévidences, Lien social, n° 524, 18 novembre 1994 cité par JANVIER R. et MATHO Y., Mettre en œuvre ledoit des usagers dans les établissements d’action sociale, Dunod, Paris, 1999, p 4.

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Droit au singulier sous-entend droits et devoirs. Ce qui ne pourrait passer que pour

un détail grammatical nous semble avoir une signification particulière dans une optique

d’autonomie et d’exercice de la citoyenneté.

Définir les usagers comme des « ayant droits » n’est pas équivalent à les reconnaître

sujet de droit, devant exercer droits et devoirs et pouvant agir pour les faire évoluer.

Certains auteurs soulèvent la différence entre « le droit à » et « le droit de ».

Comme le relèvent JANVIER et MATHO29, il y a trois façons d’aborder le droit des

usagers. Si l’on parle de droits au pluriel, il y risque de se limiter au seul respect de la

règle, de l’application de ces droits. L’usager est alors placé dans une position de

consommateur qui vérifie que le produit est conforme à sa commande, à « ses droits ».

Dans le cas contraire, il est en capacité de revendiquer un dédommagement. Nous ne

sommes pas là dans une situation d’usager acteur de son projet avec l’accompagnement de

professionnels, mais dans celui d’institutions sociales et médico-sociales devant appliquer

les droits de l’usager, dans une idée de juridisme. Nous ne sommes pas non plus dans la

situation où l’institution peut promouvoir l’autonomie ou la citoyenneté de l’usager. Elle

est, en quelque sorte, son débiteur de droits, comme lui est placé en consommateur passif

de ses droits. Cette voie ne nous semble pas celle qui offrirait une garantie contre les abus,

de quelque nature qu’ils soient. En revanche, elle risquerait d’entraîner le secteur vers une

« judiciarisation », à l’instar de ce qui s’est passé dans le sanitaire, et d’empêcher une

quelconque évolution vers plus d’autonomie et d’exercice de la citoyenneté.

Une autre façon d’aborder le droit des usagers est d’en faire un levier de changement

dans les institutions. Elle affirme placer l’usager au cœur du dispositif de l’action30, avec

une tentative de modernisation des fonctionnements et des pratiques et une adaptation aux

nouvelles attentes des décideurs politiques. Relevant de la stratégie de management, cette

prise en compte de l’usager dans ses droits (encore au pluriel !) ne le place pas beaucoup

plus en situation d’acteur potentiel, même si cette démarche relève d’une vision dite

moderniste de l’action sociale. La modernité étant avancée comme argument pour essayer

de nouvelles stratégies de management qui se révèlent souvent n’être que des modes, ou

29 JANVIER R. et MATHO Y., Mettre en œuvre le doit des usagers dans les établissements d’action sociale,Dunod, Paris, 1999, p 4.

30 Ce qui peut faire injure à grand nombre de professionnels en considérant, que jusqu’à présent, ce n’étaitpas le cas. ARAOU H. A propos de la loi du 2 janvier 2002 : l’overdose dans : ASH, n° 2315, 13 juin 2003

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pire, des pseudo-techniques, c’est un terme qui n’a plus grand sens…L’usager reste encore

passif, il est l’instrument de cette stratégie.

Pour FERRANDI31, il faut veiller à ne pas transformer l’être de besoin ou le sujet du

désir en « ayant droit », il y aurait là un détournement de la relation d’aide, une autre forme

d’instrumentalisation. La relation d’aide n’est possible que sur la base du besoin, traduit

par une demande.

La troisième façon d’aborder le droit des usagers, repose sur une visée politique des

rapports sociaux. C’est celle que nous défendrons, comme JANVIER et MATHO, parce

qu’il nous semble que c’est celle qui permettrait d’atteindre les objectifs de la loi 2002-2 et

qui correspond aux fondements de l’action sociale et médico-sociale que cette loi a

définis. Il s’agit alors de reconnaître l’usager comme notre semblable, puisque reconnaître

son droit, c’est aussi admettre que nous avons en commun des devoirs les uns vis-à-vis des

autres, donc qu’une relation réciproque nous lie. C’est aussi admettre l’autre comme

appartenant à notre collectivité, la loi étant ce qui permet de vivre ensemble. Cette idée ne

va pas de soi, puisque nos sociétés sont aussi sommées d’accepter celui qui est différent.

Sans nier cette différence, reconnaître le droit des usagers, c’est reconnaître en eux

l’homme et le citoyen. C’est donc les solliciter, à la hauteur de leurs capacités, pour qu’ils

s’impliquent dans l’élaboration, la pratique ou le changement de la loi et de la règle, ce qui

devrait être le propre de tout citoyen.

Etre citoyen, c’est être capable de gouverner et d’être gouverné, selon ARISTOTE,

(qui pourtant n’accordait pas à tous ce droit, puisque, à son époque, les esclaves et les

métèques n’avaient pas droit de cité). Considérer les usagers comme capables de participer

au travail d’élaboration et de définition des règles, c’est leur donner la possibilité de

progresser, de s’intégrer, et, finalement d’être vraiment reconnus dans leur droit. C’est

respecter l’égale dignité de tous, ce qui devrait être essentiel et primordial pour tous les

acteurs, et qui est rappelé par la loi. C’est, à notre sens, un défi à relever pour les

professionnels, mais aussi ce qui devrait être un de leurs objectifs principaux. Nous

reconnaissons, bien évidemment, que cette tâche n’est pas simple sur le terrain et qu’il

existe de nombreuses difficultés pour la réaliser. Nous y reviendrons dans une partie

suivante.

31 FERRANDI R., A propos du droit des usagers, dans : ASH, 14 mars 2003, n° 2302, p 19-20

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35

Mais la loi 2002-2 ne nous semble pas demander clairement d’aller aussi loin dans

cet exercice de la citoyenneté pour l’usager.

Le pluriel utilisé peut alerter sur le risque d’instrumentalisation et de manipulation.

JANVIER et MATHO attirent encore notre attention sur ce risque. « L’usager roi » est le

résultat de ce glissement du Sujet vers l’objet. L’individu, isolé par les droits qui le

caractérisent, le stigmatisent, n’est plus relié à des principes organisateurs de notre vie

sociale. Il est un « en soi » qui ne porte plus rien d’universel, plus rien de transcendant. Il

se réduit à ce qu’il est, une situation, un cas, une problématique. L’usager-roi, c’est

l’individu-problème déguisé en citoyen, c’est une parodie d’égalité de droits qui cache une

discrimination. C’est la négation de la dimension politique de tout acteur social, et dans ce

cas, de la dimension politique des personnes en difficultés32.

Ce n’est donc pas, à notre avis, parce que la loi affirme que les droits des usagers

doivent être garantis qu’elle favorise la promotion de l’autonomie et de la protection des

personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté et la prévention des exclusions.

• La question de l’objectif et des moyens :

Dans son article 3, la loi défini l’objectif de l’action sociale et médico-sociale. Celle-

ci est « conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains avec l’objectif

de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d’entre eux et en leur garantissant un

accès équitable sur l’ensemble du territoire. »

Les évènements de cet été 2003, caniculaire, viennent pour nous interroger sur cet

objectif, pointant de manière tragique son ambiguïté. Parmi les personnes âgées qui sont

décédées, certaines ont été victimes de déshydratation. La publication de la loi a été suivie,

dans le temps, d’une réduction de l’allocation prestation autonomie, la modernisation des

maisons de retraite a été reportée, le budget alloué aux personnes âgées diminué.

Bien entendu, et heureusement, les évènements de cet été sont exceptionnels, et nous

espérons qu’ils le resteront. Mais de nombreux directeurs de maisons de retraite alertent

par exemple sur leurs difficultés à assurer en permanence la sécurité de leurs usagers, sur

32 JANVIER R. et MATHO Y., Mettre en œuvre le doit des usagers dans les établissements d’action sociale,Dunod, Paris, 1999, p 145.

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le manque de personnel pour aider les personnes âgées à manger et à boire suffisamment et

dans de bonnes conditions ou à les aider à entretenir leurs acquis.

Faut-il alors affirmer un objectif qu’on ne peut pas atteindre, lorsque les

professionnels de terrain ont déjà des difficultés pour satisfaire les besoins primaires et

physiologiques ? Comment les usagers, les gestionnaires et les professionnels peuvent-il

s’impliquer dans la mise en application d’une loi, si, par ailleurs, les moyens minimum

pour satisfaire des besoins prioritaires, vitaux, ne leur sont pas alloués ? Est-il raisonnable

d’évoquer la dignité, l’intégrité et la sécurité ? Quant à l’accès équitable, nous savons que

les personnes accueillies dans des maisons de retraite climatisées n’ont pas été victimes du

« coup de chaleur »…

Cela nous renvoie à la question récurrente, mais légitime, des moyens accordés pour

la mise en application de la loi. Elle ne doit pas servir d’alibi à un immobilisme stérile,

mais il serait illusoire d’affirmer que la mise en œuvre de certains des dispositifs peut se

faire à moyens constants. Si une redistribution peut s’envisager à l’intérieur de certains

budgets, c’est loin d’être le cas partout, et ce n’est certainement pas possible dans la

plupart des établissements pour personnes âgées.

• Comment garantir l’exercice de certains droits aux personnes qui ne

communiquent pas ?

Certains usagers du secteur social et médico-social, ne « sont pas dans l’échange »,

pour employer le jargon professionnel. Nous ne parlons pas de ceux qui ont pu développer

un langage non verbal pour pallier une absence de communication verbale. Nous pensons à

certaines personnes polyhandicapées, certaines personnes âgées, qui ne peuvent manifester

accord ou désaccord, satisfaction ou insatisfaction, plaisir ou déplaisir, de quelque manière

que ce soit. Rappelons cependant que ces personnes sont rares et que bien souvent, il reste

possible de capter un signe, un comportement à mettre en relation avec une situation ou un

questionnement. Mais pour les personnes qui n’ont pas, ou plus accès à la communication,

l’entourage est souvent en difficulté pour faire passer son message et pour recueillir celui

de l’autre. La loi prévoit que le représentant légal de cette personne exprimera à sa place

son consentement, participera à l’élaboration du contrat de séjour, recueillera les

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informations qui la concerne. Est-ce suffisant ? Nous savons bien comme il est difficile de

ne pas parler ni faire à la place dans ces situations.

Peut-on envisager que certains usagers ne soient pas concernés par l’exercice de la

citoyenneté, à partir de quand, de quels critères ? Cela reviendrait en effet à dire qu’on peut

être homme sans être citoyen. Le seul critère d’être placé sous tutelle ou non, ne peut être

satisfaisant. Bon nombre de personnes placées sous tutelle sont en capacité d’exercer leur

citoyenneté, à des degrés divers, et aussi de développer leur autonomie, de faire des choix.

Reconnaître l’égale dignité de tous, n’est-ce pas reconnaître en chacun des usagers, notre

semblable, à la fois homme, à la fois citoyen…quelles que soient ses capacités ? Cela n’est

pas toujours facile, les professionnels attendent que ces difficultés soient reconnues et

prises en compte.

• Le libre choix et la réalité :

La loi affirme que doit être assuré à l’usager « le libre choix entre les prestations qui

lui sont offertes, soit dans le cadre d’un service à domicile, soit dans le cadre d’une

admission au sein d’un établissement spécialisé ». Dans ce domaine, comme dans celui de

l’insertion en milieu ordinaire, nous savons que le choix est encore rarement possible, du

fait des contraintes de l’environnement. Même si on ne peut que se féliciter que la loi

mentionne le libre choix, pour ne pas rester dans le déclaratif, il serait aussi important de se

demander quel chemin reste à parcourir pour qu’il soit réellement possible et ce qui

pourrait être proposé en attendant !

Cet libre choix rarement possible se traduit bien souvent en une certaine « captivité »

de l’usager : quel résident de maison de retraite peut décider de rentrer vivre à domicile en

étant sûr de bénéficier de tous les services nécessaires ? Combien de personnes atteintes

de déficiences physiques lourdes peuvent décider de vivre en appartement indépendant en

étant assurées de disposer d’un contrôle de l’environnement, d’une aide à domicile, de

l’aménagement de leur domicile ? Une fois « captif », l’usager se voit bien souvent, par la

suite, privé de ses autres possibilités de choix, nous l’observons tous les jours : quels sont

les établissements où les personnes peuvent décider de l’heure de leur repas, de leur

coucher, de pratiquer une religion ou un sport adapté ?

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38

• Des dispositifs concrets pour une réelle citoyenneté ?

Est-ce que les dispositifs décrits plus loin dans le chapitre sur les principes

fondamentaux représentent, eux, les moyens d’atteindre les objectifs énoncés par la loi ?

Cette question ne doit pas se limiter à se demander si avoir les outils suffit à réaliser

l’ouvrage. Il est bien évident que non ! Mais en revanche, le choix du bon outil, adapté au

matériau, à l’ouvrier et au projet, facilite la tâche. Bien entendu, la loi ne peut donner le

« mode d’emploi », même si nous espérons que les décrets à paraître apportent des

précisions importantes. Sans reprendre un à un les dispositifs, il nous semble que le contrat

de séjour et le règlement de fonctionnement sont de bons exemples de dispositifs à

confronter aux fondements et objectifs de l’action sociale et médico-sociale, tels qu’ils sont

définis par la loi.

Pour le règlement de fonctionnement, il n’est pas précisé qu’il doit être élaboré avec

la participation de l’usager. Il doit seulement être établi après consultation du conseil de la

vie sociale. Il s’agit pourtant du document qui va définir les droits de la personne

accueillie, les obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective au

sein de l’établissement ou du service. Ne serait-ce pas une bonne occasion d’exercice de la

citoyenneté, pour les usagers, que de les faire participer à l’élaboration de ce règlement ?

Définir les règles de vie collective, n’est-ce pas aussi devoir confronter ses propres règles à

celles de son environnement, donc promouvoir son autonomie, mais aussi la cohésion

sociale ? Priver l’usager de la possibilité de participer à cette définition, lorsqu’il en a les

capacités (et c’est la plupart du temps le cas) n’est-ce pas le priver de son droit le plus

élémentaire ?

En revanche, il est bien prévu que le contrat de séjour soit élaboré avec l’usager (ou

son représentant). Quelle différence entre les deux dispositifs justifie que la participation

de l’usager soit requise pour le contrat et non pour l’élaboration du règlement de

fonctionnement ?

Le terme de contrat, et son apparition depuis peu dans le langage du secteur social et

médico-social, doivent nous interroger.

En effet un contrat33, en droit, crée une obligation liant les parties concernées. Mais

le Code civil distingue le contrat synallagmatique, qui crée des obligations réciproques

33 Encyclopédie Microsoft - Encarta - 2002

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entre les parties, et le contrat unilatéral, qui ne fait naître d’obligations qu’à la charge

d’une partie (du type du contrat unilatéral de vente).

L’élément essentiel du contrat, c’est la volonté des parties : elles sont libres en

principe de contracter ou de ne pas contracter, et leur volonté commune doit être

recherchée, au-delà de ce qui est écrit. Le contrat constitue la loi des parties, il a pour elles

force obligatoire et doit être exécuté de bonne foi. En cas d’inexécution du contrat, la

partie lésée peut demander au tribunal de forcer l’autre à accomplir son obligation si cela

est possible, et solliciter des dommages et intérêts pour compenser son préjudice, ou bien

demander la résolution (l’anéantissement) du contrat et des dommages et intérêts. Mais

celui qui est tenu à une obligation peut s’en libérer en prouvant que l’inexécution provient

d’une cause qui lui est étrangère ou d’une force majeure, ou que l’autre partie n’a pas

exécuté sa propre obligation.

Le récent usage, dans l’action sociale, de contrats liant les professionnels et les

usagers trouvait son intérêt dans le fait qu’il s’agissait de contrats synallagmatiques :

l’usager n’était pas passif, il devait s’engager lui aussi à mettre en œuvre un certain nombre

d’actions pour réaliser le contrat. Lequel était défini au départ, avec l’accord des deux

parties, chacun sachant à quoi il s’engageait pour poursuivre l’objectif défini. Le contrat

permettant ainsi de travailler avec l’usager la notion d’engagement réciproque, la

confiance, le respect, avec des usagers qui en avait parfois perdu le sens.

Dans certains cas (mais pas dans tous !) le contrat pouvait donc être un moyen

d’aider l’usager à progresser et à se responsabiliser. Pour FERRANDI34, le contrat

d’accompagnement passé à partir de la demande de l’usager, autorise le professionnel à

interpeller la personne pour lui rappeler, si besoin, ce qui a été convenu, l’inviter à en

prendre sa part ou bien l’aider à formuler une autre demande et élaborer un autre projet,

plus authentique, plus réaliste par rapport à lui-même et à l’extérieur.

Mais le contrat qui est décrit par la loi 2002-2 n’est pas de même nature. Il s’agit en

effet d’un contrat de prise en charge qui ne semble engager que les professionnels (il est

d’ailleurs question qu’il soit signé par les responsables des établissements et services). Il

devra détailler la liste et la nature des prestations35 offertes (et non des actions) ainsi que

34 FERRANDI R., A propos du droit des usagers, dans : ASH, 14 mars 2003, n° 2302, p 19-2035 Il paraît clair que les prestations ne peuvent désigner que les services proposés par l’institution, alors quedes actions auraient pu concerner les deux parties.

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leur coût prévisionnel. Cela ressemble à un contrat unilatéral de nature commerciale :

l’usager, de citoyen, deviendrait-il client ? Comment définir un coût prévisionnel pour

chaque prestation proposée à un usager (puisque la loi nous reprécise bien que les usagers

ont tous des besoins spécifiques), dans quel intérêt, dans quel dessein ? Que ce passera-t-il

si l’usager, ou son représentant, estime que le contrat n’a pas été rempli ?

Il nous parait évident que les projets personnalisés doivent engager aussi bien

l’usager que les professionnels, définir les responsabilités des uns et des autres, en

fonction des possibilités et compétences de chacun, ainsi que les résultats attendus.

En revanche, que ces projets soient transformés en contrats unilatéraux nous semble

traduire une dérive dangereuse et ne plus correspondre aux fondements de l’action sociale

et médico-sociale tels qu’ils sont définis par la loi elle-même.

La loi 2002-2 présente donc quelques imprécisions et ambiguïtés concernant les

droits des usagers et les définitions qu’elle en donne, et la façon de les garantir, par rapport

aux fondements et objectifs de l’action sociale et médico-sociale. Nous en avons relevé

certaines, qui nous paraissent les plus marquantes par rapport au sujet qui nous préoccupe,

ce ne sont pas les seules et chacun y accordera plus ou moins d’importance. Nous

poursuivrons cette interrogation concernant l’exercice de la citoyenneté et la promotion de

l’autonomie dans notre deuxième partie.

Les professionnels sont ceux qui ont la responsabilité, sur le terrain, de réaliser les

actions définies par la loi, de garantir leurs droits aux usagers, de mettre en place les

dispositifs décrits, sur la base de ces fondements. A la lecture, ils sont étonnamment

absents de cette loi.

Les seuls passages qui en font mention concernent leur protection en cas de

témoignage de mauvais traitements, et leur consultation et/ou information éventuelles lors

de contrôles pour dysfonctionnements ou infractions ! En somme, les professionnels

apparaissent « quand ça va mal » !

Cette absence a motivé la poursuite de notre réflexion sur des mesures qui pourtant

vont les concerner très directement, en particulier l’autoévaluation et l’évaluation. Ces

mesures font partie d’un ensemble concernant l’organisation, la planification et le

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financement, qui apporte opportunités et contraintes, qui présente souplesse et rigidité. Il

paraît donc intéressant de repérer, là aussi, les imprécisions et ambiguïtés de la loi, pour

essayer d’anticiper les difficultés (voire les dangers !).

1.3.2 Souplesses et contraintes :

La logique de la loi 2002-2, en matière d’organisation du secteur social et médico-

social, est basée sur des priorités d’adaptation aux besoins, d’offre diversifiée et du libre

choix de la personne, comme nous l’avons déjà mentionné. Les modifications de cette

organisation ont pour finalité de parvenir à une meilleure définition des besoins à satisfaire

et de l’offre nécessaire pour y répondre. Dans cette finalité, les démarches

d’autoévaluation et d’évaluation sembleraient parfaitement cohérentes. Elles pourraient

permettre d’adapter les réponses aux besoins qu’elles feraient émerger, ou de réorienter des

actions qui ne semblent pas correspondre aux besoins, (et/ou aux principes fondamentaux)

ceci en continu ou presque, ou en tout cas avec des capacités de réactivité que

l’organisation du secteur n’a pas montré jusqu’à présent.

Or, la loi précise que l’autoévaluation et l’évaluation36 auront toutes deux le même

objet : les activités et la qualité des prestations délivrées par les établissements et services.

Toutes les deux seront conduites au regard de procédures, de références et de

recommandations de bonnes pratiques professionnelles validées (ou élaborées en cas de

carence, par le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale).

Mais que sont la qualité et la bonne pratique dans ce secteur ? Les décrets n’étant pas

parus, nous ne savons pas encore s’ils expliciteront le lien entre activités, qualité des

prestations et définition des besoins, offre nécessaire pour y répondre. Nous ne savons pas

non plus dans quelles conditions, ni à quelle fréquence, vont s’élaborer ces procédures,

références et recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Quel rapport sera

établi entre les deux évaluations : l’interne et l’externe ? Quel sera vraiment le rôle du

Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale ?

Le lien avec les schémas et les comités d’organisation (puisqu’ils doivent définir les

besoins) et avec les contrats d’objectifs et de moyens (facultatifs) serait certainement

intéressant : nous ne savons pas non plus s’il sera possible. L’implication de l’usager dans

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la réalisation de la démarche d’évaluation semblerait aussi en accord avec les fondements

de l’action sociale et médico-sociale. Mais c’est principalement la définition même des

objectifs de ces évaluations qui manque. Et il n’est pas sûr, au vu des projets de décrets,

que les décrets définitifs répondent aux questions simples : « pourquoi et pour quoi

faire ? ».

Espérons que les professionnels pourront éclaircir ces zones d’ombre, sur le terrain,

s’ils en ont la capacité, le souhait et la possibilité. Mais ce manque de cohérence et de

précision n’est pas pour les rassurer, alors qu’ils sont déjà réticents face à l’évaluation.

Ainsi JANVIER37 s’interroge : « Faut-il parler de bonnes pratiques professionnelles ? ».

Quel sera le sort des pratiques qui ne seront pas validées comme « bonnes » ? Quelle sera

la place des pratiques innovantes, de la recherche ? Une bonne pratique aujourd’hui le

sera-t-elle encore demain ? Comment s’adapter aux besoins de l’usager, qui rappelons-le,

est unique ? Ces questions nous paraissent judicieuses et, en professionnelle de terrain,

nous partageons ces inquiétudes.

Il serait dommage que les professionnels, contraints de limiter leurs actions dans des

frontières fixées par des référentiels de bonnes pratiques, perdent leur capacité de chercher,

dans une relation d’échange avec l’usager (mais aussi avec tout un ensemble de

partenaires), une réponse satisfaisante à ses besoins, plutôt que la seule bonne. Nous

savons aussi que parfois, devant la complexité des situations, les professionnels en sont

réduits à chercher la moins mauvaise des solutions : le reconnaître c’est aussi espérer

pouvoir l’améliorer par la suite.

Les professionnels savent bien que la réponse n’est jamais définitive, qu’elle doit se

réinterroger en permanence et qu’elle n’est souvent valable que pour un individu en

particulier. Mais peut-être que ces « bonnes pratiques professionnelles », comme le

suggère JANVIER, résident dans la capacité commune des usagers et des professionnels à

résister à la standardisation des interventions.

Cette démarche est certainement plus proche, dans tous les cas, de la promotion de

l’autonomie et de l’exercice de la citoyenneté. Elle ne dispense pas les professionnels du

secteur social et médico-social de communiquer sur leur pratique, leurs résultats, leurs

36 Notons que par une curieuse formule anthropomorphique, ce sont « les « établissements et les services »qui procéderont à l’autoévaluation de leurs activités et prestations.

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essais (et leurs erreurs) et de procéder à des élaborations théoriques sur cette base.

Reconnaissons que ce n’est pas leur habitude et que cette carence ne les sert pas.

L’autoévaluation et l’évaluation peuvent permettre, quand elles sont menées avec

compétence et rigueur, transparence, indépendance et pluralisme38, de préparer, améliorer

et apprécier les décisions qui justifient l’action. En ce sens, elles favorisent la définition

des besoins et de l’offre nécessaire pour y répondre car elles se réalisent sur le terrain, avec

une proximité de temps et d’espace vis-à-vis de l’action. Bien conduites, elles pourraient

donc favoriser une souplesse d’adaptation des établissements et services sociaux et

médico-sociaux aux besoins de leurs usagers et la connaissance, par les usagers comme par

les professionnels, des effets de leurs actions. Mais MONNIER relève que l’utilité d’une

évaluation n’est pas méthodologique et se situe au niveau de sa crédibilité au regard des

acteurs sociaux. Cette crédibilité ne dépend pas que de la rigueur des instruments, elle

dépend surtout de la légitimité de la démarche vis-à-vis de ces destinataires.

Les délais que fixe la loi, le fait que ces évaluations doivent se pratiquer au regard

de référentiels validés (même s’il ne peut être question d’évaluer sans référentiels ou avec

n’importe lesquels) par le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale ajoute

à la démarche des contraintes qui vont certainement l’alourdir. On connaît par exemple le

temps nécessaire à l’ANAES pour valider les références médicales opposables (RMO) lors

des conférences de consensus, et le rôle que ces RMO jouent maintenant. Même si les

réformes qui ont concerné le sanitaire ne sont pas, heureusement, appliquées telles quelles

au social et médico-social, le nombres de catégories différentes d’établissements et de

services va certainement nécessiter un délai important avant que chaque référentiel soit

validé. Nous ne savons pas non plus à quelle fréquence ces référentiels pourront être

renouvelés et pour ceux qui seraient élaborés par les institutions, quel soutien

méthodologique leur sera apporté.

Pour avoir pris connaissance de quelques référentiels proposés par les organismes qui

ont souhaité anticiper ce travail, nous pouvons déjà formuler des réserves. En effet ce

37 JANVIER R. « Faut-il parler de bonnes pratiques professionnelles ? » dans ASH, 21 mars 2003, n° 2303,p 27-28

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travail, bien qu’exigeant en moyens, a impliqué peu de professionnels de terrain. Les

références théoriques, les fondements, les objectifs sont peu ou pas repérables, le choix des

critères contestable. Pour certains le choix d’une seule cotation chiffrée nous semble même

totalement inopérant, source d’artefacts et à terme de mauvaises interprétations. Cela n’est

pas satisfaisant sur le plan de la rigueur méthodologique, nécessaire à ce type de

d’élaboration. Ces référentiels n’ont pas fait l’objet d’une première validation par retour

sur le terrain, ce qui nous paraît d’ailleurs être un défaut majeur. Quelle sera la réponse du

Conseil national d’évaluation si une demande de validation lui est adressée et quelle sera

sa compétence ? Sera-t-il en position de renvoyer « revoir leur copie » des organismes

nationaux importants (pour lesquels il risque aussi d’y avoir un enjeu financier) ?

La loi nous paraît, dans ce domaine de l’évaluation, priver le secteur d’une souplesse

de réactivité et lui imposer au contraire des contraintes de fonctionnement. Comme, de

plus, elle n’expose pas clairement les objectifs de ces démarches d’autoévaluation et

d’évaluation, ni quel usage il en sera fait, il sera certainement difficile d’impliquer et de

mobiliser les professionnels.

Par ailleurs, nous avons vu que les gestionnaires vont se voir opposer des enveloppes

limitatives globales et que les autorités de financement se dégagent de la responsabilité de

la gestion des effectifs du personnel.

Si des contraintes budgétaires s’imposent (et tout en prend le chemin), les

gestionnaires pourront remplacer, progressivement, une partie de leur personnel qualifié

par du personnel peu ou moins qualifié (ce qui est déjà le cas par rapport à la mise en place

de postes de maîtresses de maison, surveillants de nuit, aide médico-psychologique à la

place de moniteurs-éducateurs et éducateurs spécialisées ou du personnel soignant dans les

maisons de retraite). Sachant que l’autoévaluation et l’évaluation requièrent temps et

compétence, la question des moyens, humains et financiers, se pose à nouveau.

1.4 Conclusion :

Comme pour le droit des usagers, il nous paraît essentiel de repérer l’enjeu de

démocratie que représentent l’autoévaluation et l’évaluation, pour les usagers comme pour

38 VIVERET P., L’évaluation des politiques et des actions publiques, La documentation française, Paris,

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les professionnels. Selon comment cette mesure sera appliquée, elle sera, ou non, en accord

avec les fondements de l’action sociale et médico-sociale que la loi définit. Rappelons,

avec VIVERET39, que dans sa logique démocratique, l’évaluation a pour objet de satisfaire

un principe fondamental de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789

(article 14) « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs

représentants, la nécessité de la contribution publique ». Cela paraît d’autant plus important

lorsque que cette contribution publique concerne un domaine comme l’action sociale et

médico-sociale dont la fonction essentielle est de maintenir, ou de rétablir, ses usagers au

sein de la démocratie, comme citoyens autonomes. Ceci ne peut se faire sans considérer les

professionnels comme citoyens autonomes40, eux aussi, à l’intérieur des établissements et

services sociaux et médico-sociaux !

Cet enjeu de démocratie, la loi l’explicite par ces principes fondamentaux. En

revanche, il n’apparaît pas clairement dans la suite des dispositifs et mesures à mettre en

place, qui peuvent même, pour certains, être en contradiction avec ces principes. Mais ce

n’est pas la première loi à laquelle on peut adresser ce type de reproche. Nous proposons

donc, en tant que professionnelle de terrain, de ne pas céder au pessimisme, trop souvent

synonyme d’immobilisme, et de relever le défi. Se saisir de cette loi pour développer la

démocratie dans nos services et établissements ne peut que permettre la progression des

usagers et des professionnels. Par conséquent cela favoriserait la prise de conscience des

autorités et du législateur de l’intérêt et de la nécessité de mobiliser les capacités

d’adaptation des usagers et des professionnels…

Nous pensons surtout que développer cette démocratie dans les établissements et

services, bien que nous l’oubliions souvent, fait partie de notre travail et de notre mission

de responsables du secteur social et médico-social.

1989, p 25. (L’indépendance ne peut bien sûr que concerner l’évaluation et non l’autoévaluation.)39 VIVERET P., L’évaluation des politiques et des actions publiques, La Documentation Française, Paris,1989, p 2640 Nous avons développé dans d’autres travaux, la nécessité de favoriser l’expression et le développement del’autonomie des professionnels sur leur lieu de travail, si l’on souhaite qu’ils parviennent à favoriserl’expression et le développement de l’autonomie des usagers. Le management participatif est souvent à labase de l’injonction paradoxale « Soyez autonomes », elle-même source de bien des difficultés desprofessionnels du secteur.GOULLET de RUGY B., L’autonomie professionnelle dans les secteurs sanitaire et médico-social :influence de l’encadrement. Mémoire pour l’obtention du DESS CAAE. Université Montpellier II. IAE. 2000

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Il nous paraît possible dans la mise en place des dispositifs concernant les droits des

usagers, comme dans la démarche d’autoévaluation et d’évaluation, de redonner à chacun

sa légitimité politique41, usager comme professionnel.

Mais, comme le signale VIVERET42, « s’il est bien une leçon que nous pouvons tirer

de l’expérience des pays qui se sont engagés avant la France dans l’évaluation, c’est

qu’une telle approche devient contre-productive lorsqu’elle n’est pas inscrite clairement

dans une logique démocratique ».

Cette remarque peut s’appliquer aussi, nous l’avons vu, au droit des usagers. Nous ne

reviendrons pas, dans la partie suivante, sur les dispositifs particuliers que la loi préconise

de mettre en place pour favoriser la garantie des droits des usagers. Il nous semble en effet

qu’au travers de l’autoévaluation et de l’évaluation (mais nous aurions pu de la même

façon retenir l’élaboration du règlement de fonctionnement, ou un autre dispositif) l’usager

doit être impliqué, dans cette visée politique des rapports sociaux que nous avons

mentionnés avec JANVIER et MATHO, comme il devrait être impliqué, de la même

façon, dans la mise en œuvre des autres dispositions qui le concernent.

Nous considérons surtout que l’évaluation et l’autoévaluation font partie intégrante

d’un processus de démocratisation. Elles doivent à la fois traduire et favoriser la

démocratie dans l’institution, en être une garantie comme une concrétisation.

Mais cette démocratisation de l’institution ne se réduit et ne se limite pas à la mise en

place de l’évaluation : elle doit être un mode permanent et intégré du fonctionnement de

l’organisation.

Il est donc indispensable, avant de s’engager dans une mise en œuvre de la loi 2002-

2, en accord avec les fondements de l’action sociale et médico-sociale, de choisir les types

de démarches dont les conceptions sont compatibles avec ces fondements, ainsi qu’au sein

des organisations, de repérer le pouvoir des différents acteurs. Celui-ci peut en effet être

transformé par les modifications de l’organisation, par les négociations, par des

connaissances partagées et par l’apprentissage…

41 « (…) la constitution d’un espace démocratique est le point de bouclage du processus évaluatif, celui quicorrespond à la mise en œuvre du principe éthique selon lequel le commanditaire n’est pas, in fine, le seullégitime à produire la politique parce que l’ensemble des acteurs de la société civile sont politiquementlégitimes. ». OFFREDI C., Processus d’évaluation et production des politiques publiques dans : MARTING., La dynamique des politiques sociales, L’Harmattan, Paris, 1998, p26442 op. cité p 27

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Si les démarches sont bloquées par des changements trop rapides des relations de

pouvoir, la finalité de démocratisation de l’organisation risque fort de n’être pas atteinte,

bien que l’on sache que la démocratie soit en perpétuelle destruction/construction, par

essence. Donner à chacun l’occasion d’exercer son pouvoir légitime et de le confronter aux

autres, c’est lui donner la possibilité de progresser et de développer son autonomie.

Il ne s’agit pas d’ôter du pouvoir à quiconque (ce qui entraîne souvent un blocage)

mais de repérer l’ensemble des pouvoirs « possibles » et « légitimes » et de favoriser leur

confrontation dans un esprit de négociation constructive.

Dans la deuxième partie suivante, nous allons donc, au cours d’une première section,

présenter les différents modèles d’évaluation et les différentes conceptions qui les sous-

tendent pour repérer ceux qui nous semblent le mieux correspondre aux fondements de

l’action sociale et médico-sociale, dans une optique de démocratisation des institutions.

Dans une deuxième section nous étudierons comment est réparti le pouvoir, au sein

des organisations sociales et médico-sociales, entre les différents acteurs et comment cette

répartition peut être modifiée par l’apprentissage au cours de l’évaluation.

Ceci nous permettra, dans une troisième section de développer comment l’évaluation

peut développer l’autonomie des acteurs, et donc amorcer le processus de démocratisation

des organisations. Nous proposerons ensuite quelques repères pour la mise en place de

cette démarche d’évaluation, après avoir montré le lien pouvoir/autonomie.

Enfin, dans une quatrième section, nous préciserons comment, à notre sens, ce

processus de démocratisation des organisations sociales et médico-sociales, favorisera leur

évolution vers l’adhocratie démocratique, capable de se transformer et de s’adapter selon

les besoins des usagers, en s’appuyant sur le projet d’autonomie des acteurs.

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48

2. Quelle mise en œuvre de la loi 2002-2 pour atteindre

réellement ses buts et respecter ses principes fondamentaux ?

2.1. Les différents modèles de l’évaluation :

Quel modèle et quelle conception de l’évaluation sont les plus adaptées pour

soutenir, accompagner puis traduire et garantir le processus de démocratisation dans les

institutions ?

2.1.1. La définition :

Différents modèles d’évaluation ont été décrits depuis que l’évaluation fait l’objet de

travaux des sciences sociales et de commandes des pouvoirs publics. Les différentes

démarches décrites et mises en place ne sont pas toutes équivalentes en termes

d’implication et d’apprentissage pour les acteurs, d’expression de l’autonomie et

d’exercice de la citoyenneté. Nous devons donc déterminer quel modèle paraît le mieux

correspondre à ces finalités, avec toutes les précautions d’usage concernant toute

modélisation et son aspect réducteur.

Les auteurs ont, tout d’abord, tenté de définir l’évaluation. Evaluer, c’est apprécier,

estimer une chose, en déterminer la valeur (Quillet, 1965). Plus tard, la prudence a fait

rajouter « approximativement » à la définition (Larousse, 1977).

En ce qui concerne l’évaluation des politiques et des actions publiques qui nous

intéressent ici, plusieurs définitions sont à confronter. Pour VIVERET43, « évaluer, c’est

émettre un jugement sur la valeur de l’action ».

Le décret du 18/11/1998 créant le Conseil national de l’évaluation en donne la

définition suivante : « l’évaluation d’une politique publique a pour objet d’apprécier

l’efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux

moyens mis en œuvre ». On identifie à travers cette définition une période où le

management par objectif se développait. Mais, avec PERRET44 et MONNIER45, on repère

43 op. cité, p 2544 PERRET B., L’évaluation des politiques publiques, La Découverte, Paris, 2001, p 345MONNIER E., Evaluation de l’action des pouvoirs publics,Economica, Paris, 1992 , p 102

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49

d’emblée la difficulté de l’exercice lorsqu’on connaît le flou des objectifs des politiques

publiques, qui n’ont souvent rien de clair, précis ni de mesurable.

Pour PERRET46, « évaluer c’est, (…) élaborer un référentiel - ensemble des critères

opératoires et politiquement légitimes de l’efficacité et de la réussite d’une politique -,

formuler des questions de recherches adossées à ce référentiel et pertinentes du point de

vue de l’action et de la décision et, enfin, y répondre au mieux en puisant de manière

pragmatique dans les boîtes à outils des sciences sociales et du management ». L’exercice

ne semble pas beaucoup plus facile mais nous permet de repérer le caractère subjectif,

clairement affiché et nous pourrons alors tenter de l’entourer de précautions et de garanties

pour que cette subjectivité ne soit pas l’objet de rejet mais de débats, puis espérons-le,

d’accords. La difficulté d’élaborer des critères « légitimes » (la légitimité n’est pas

forcément la même pour tout le monde, il n’y a qu’à prendre l’exemple des différentes

lectures de la loi possibles !), de formuler des questions « pertinentes » (la pertinence varie

selon la place de l’acteur), pour obtenir une réponse « au mieux », ne doit pas nous

rebuter mais au contraire nous rassurer : l’évaluation n’a rien d’une science exacte ! La

démarche d’évaluation devra s’accompagner de négociations pour élaborer le référentiel,

formuler les questions et les réponses, mais surtout, et en premier lieu, pour définir son

objet.

PERRET nous rappelle ainsi que l’évaluation n’est pas une discipline scientifique

« mais une activité institutionnelle qui a vocation à s’intégrer à la gestion publique et au

fonctionnement du système politique47 » et que c’est une démarche avant d’être une

technique. Cette démarche ne se présente pas, d’emblée, comme unique, simple et

facilement définissable. Dans ce cas, une classification des différentes méthodes peut,

malgré son côté réducteur, aider à comprendre un peu mieux de quoi il s’agit.

2.1.2. Les typologies des méthodes d’évaluation :

Plusieurs typologies de l’évaluation ont été proposées par différents auteurs. Dans le

cadre ce travail, les confronter les unes aux autres ne nous semblait pas particulièrement

intéressant. Par un souci de clarté pour le professionnel qui n’est pas un habitué de la

démarche, nous considérons plus important que ce dernier, à la lecture de cette typologie,

46 idem

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50

puisse repérer quelle démarche d’évaluation lui parait la plus pertinente en ce qui le

concerne.

VIVERET48 nous propose une typologie selon les critères de temps, de fonctions et

d’acteurs destinataires.

Le temps de l’évaluation :

L’évaluation préalable à la décision, ou ex ante, elle peut permettre de

préparer une nouvelle mesure.

L’évaluation concomitante ou ex tempore est réalisée au fur et à mesure du

déroulement de l’action. Elle est surtout intéressante lorsque les acteurs souhaitent

connaître les effets de leur propre intervention pour mieux ajuster les objectifs.

L’évaluation ex post : elle intervient après la réalisation de l’action.

Il est bien souvent intéressant de croiser ces évaluations et leurs résultats pour

apprécier les effets d’une action, de sa conception à sa réalisation, mais aussi pour mieux la

réajuster.

Les fonctions de l’évaluation :

(Cette typologie, reprise par VIVERET, a été proposée par FRAISSE, de

GAULEJAC et BONETTI49)

L’évaluation comparative ou d’impact :

Elle vise à repérer les changements entraînés par l’action, en mesurant les écarts

entre une situation de départ et une situation finale. Elle permet d’évaluer si les objectifs

assignés à l’action ont été atteints et si d’autres effets ont été obtenus.

L’évaluation analytique :

Elle vise à repérer quels processus ont été mis en œuvre dans la réalisation d’une

action. Elle s’interroge sur la portée et la signification des changements et effets produits et

comment on est passé d’une situation à l’autre. Cette approche est utile lorsqu’il est

difficile ou peu utile de dissocier les résultats d’une action des conditions de son

application.

L’évaluation dynamique :

47 Conseil scientifique de l’évaluation, Petit guide de l’évaluation, La Documentation française, paris, 199648 op. cité, p 33

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Elle répond à une finalité opérationnelle précise : utiliser les résultats de l’analyse

pour ajuster l’action au fur et à mesure de son déroulement et adapter l’organisation.

En fonction des objectifs poursuivis, il est donc possible de se limiter à une

évaluation comparative ou de poursuivre l’investigation pour que l’évaluation permette de

piloter l’action.

Les destinataires :

(Cette typologie a été imaginée par SCRIVEN50 et reprise par MONNIER et

VIVERET)

L’évaluation endoformative :

Elle a pour but d’informer les protagonistes du programme afin qu’ils puissent

modifier leurs conduites, améliorer l’action et transformer ainsi son objet même. Elle

cherche à fournir une aide opérationnelle aux organisateurs du programme et à augmenter

les compétences et l’implication des acteurs. Elle est centrée sur les processus et a recours

aux méthodes qualitatives et participatives.

L’évaluation récapitulative :

Elle a pour but de permettre à des personnes étrangères à l’action ou au programme

(pouvoirs publics, élus, grand public) de se forger une opinion globale sur la valeur

intrinsèque de l’action, indépendamment de l’opinion des protagonistes. Elle peut servir

aux financeurs extérieurs à l’organisation pour décider du lancement, de la poursuite ou de

l’arrêt du programme, ou à d’autres acteurs sociaux, d’appliquer le même programme. Elle

est à dominante quantitative, centrée sur la mesure des résultats.

Cette classification ne doit pas faire perdre de vue la diversité des démarches

d’évaluation et la nécessaire connaissance du contexte qu’elle requiert.

A la lecture de la loi 2002-2, on a plus souvent parlé d’évaluation interne et

d’évaluation externe. Cette classification prête à confusion car fait plutôt référence à

l’appartenance, ou non, de l’équipe d’évaluation à l’institution organisatrice de l’action

évaluée. Or, il semble difficile que l’autoévaluation se déroule sans le soutien de

49 FRAISSE J., de GAULEJAC V., BONETTI M., L’évaluation dynamique des organisations publiques,Editions de l’Organisation, Paris, 1987 cités par VIVERET, op. cité p 35.

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professionnels de l’évaluation extérieurs (surtout en l’état des connaissances actuelles des

salariés du secteur social et médico-social sur l’évaluation) et que l’évaluation par un

organisme extérieur se déroule elle sans la participation des professionnels des institutions.

2.1.3. Les différentes conceptions de l’évaluation :

MONNIER51 distingue trois conceptions de l’évaluation, qui, sans être homogènes ni

indépendantes les unes des autres, correspondent à trois problématiques différentes.

La concurrence et les relations que ces conceptions entretiennent entre leurs

commanditaires, les évaluateurs et les différents acteurs concernés, ne sont pas exemptes

de jeux de pouvoir. En effet, elles mettent en avant des représentations différentes de

l’Etat, des autorités publiques et des professionnels de terrain. Il est donc important de les

repérer dans un souci de compréhension de ces jeux de pouvoir.

La conception gestionnaire :

Cette conception attribue à l’évaluation l’objectif de reconnaître et mesurer les effets

propres d’une politique, avec une ambition quantitative et d’optimisation de l’efficience

(produire plus d’effets avec moins de moyens). La déontologie de cette conception repose

sur deux principes : la séparabilité qui voudrait que l’objectivité de l’évaluateur dépende

de son indépendance financière et institutionnelle par rapport aux évalués, d’une part, et

d’autre part, la reproductibilité qui signifierait que les résultats ne sont valides que s’ils

peuvent être reproduits par un autre évaluateur utilisant la même méthodologie.

Cette conception privilégie l’expert pour se « sauver » du politique, souligne

PERRET. Les pratiques correspondantes sont plus proches de l’audit de gestion visant à

analyser les fonctionnements des services sous l’angle du bon emploi des ressources

allouées. Elles n’ont pas pour point de départ un questionnement sur la pertinence des

solutions vis-à-vis des effets de l’action.

La conception démocratique :

L’objectif est ici d’éviter que la dimension proprement politique de l’évaluation ne

soit accaparée par l’appareil d’Etat. L’évaluation vise à produire un jugement sur la valeur

50 SCRIVEN M., The Methodology of Evaluation, in TYLER R., CAGNE R., SCRIVEN M., Perspective ofCurriculum Evaluation, Chicago, 1967 cité par MONNIER, op. cité, p 11251 MONNIER, op cité, p 56- 63

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53

des politiques publiques afin d’en nourrir le débat démocratique (VIVERET). La

déontologie de cette conception repose sur la distinction entre l’acte politique d’évaluation

qui reste du ressort de l’instance d’évaluation et la fonction technique de collecte des

informations assurée par le chargé d’évaluation. La transparence et la publicité des travaux

doivent être garanties. Cette conception, telle qu’elle nous est décrite par MONNIER,

oublie l’usager et ne l’implique pas dans la démarche. Le terme démocratie, ici, n’est donc

qu’à entendre au sens restrictif des institutions politiques ou administratives en place.

La conception pluraliste :

Elle cherche à trouver un compromis entre les nécessités techniques et les exigences

politiques. Elle part du constat que toute politique publique est de fait une théorie du

changement social, rarement explicite et qui demande à être validée par les faits. Dans

cette conception, la structure de l’évaluation doit être inspirée par le problème à résoudre et

le système d’action qui se constitue nécessairement autour de lui. L’évaluation reproduit

donc la dimension collective propre à toute politique.

Elle s’attache à la mise en place d’une démarche formalisée d’apprentissage

collectif qui fait du dispositif un lieu de négociation itératif et interactif. Elle se définit

alors comme une démarche pluraliste interne au système des acteurs concernés et

déterminants (décideurs, opérateurs, publics cibles) visant à apprécier le bien-fondé

d’une action à partir de la confrontation des ses effets aux systèmes de valeurs en

présence.

La pluralité de ces systèmes de valeurs interdit la construction d’un jugement unique.

Elle doit permettre les conditions d’une appropriation du processus d’analyse des faits par

l’ensemble des acteurs. Cette démarche reconnaît et accepte le caractère complexe52 des

objets d’évaluation. Elle ne dispense pas de l’effort permanent de liaison et de traduction

entre les différents acteurs, l’interaction n’entraînant pas forcément l’apprentissage, ni le

pluralisme la démocratie.

2.1.4. Quelle évaluation pour l’action médico-sociale ?

52 Les politiques publiques complexes (…) ont toutes en commun le fait de ne pas être redevables d’untraitement en termes de corps de méthodes et techniques éprouvées et stabilisées. OFFREDI C., Processusd’évaluation et production des politiques publiques dans : MARTIN G., La dynamique des politiquessociales, L’Harmattan, Paris, 1998, p 231

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54

Dans l’optique qui nous intéresse, certains modèles et conceptions de l’évaluation

semblent donc plus adaptés aux finalités de démocratisation et aux besoins des institutions

médico-sociales.

En ce qui concerne le moment où l’évaluation se déroule, il nous semble qu’il serait

intéressant d’envisager de pouvoir croiser les trois types (ex ante, ex tempore et ex post)

d’évaluation pour se donner le temps de repréciser les valeurs qui la sous-tendent avant de

la mettre en œuvre, connaître les effets de l’action et éventuellement la réajuster au cours

de sa réalisation, et enfin pour avoir un recul après la fin de l’action (toujours difficile dans

l’action médico-sociale). Ce choix, peut-être plus difficile à mettre en œuvre, permet

cependant d’impliquer plus fortement les acteurs et de signifier en permanence

l’importance qui est accordée à l’action. Celle-ci est alors plus qu’un produit dont on doit

vérifier la conformité au bout de la chaîne : elle est aussi le support de la relation et des

valeurs qui la fondent, elle est conduite par des personnes qui sont prises en compte dans

leurs réussites comme dans leurs difficultés.

Dans une optique de cohérence, nous considérons que les objectifs assignés à

l’action sociale et médico-sociale doivent être poursuivis au cours de toute démarche

entreprise au sein des établissements et services du secteur. Nous considérons donc

essentiel que l’évaluation permette aussi l’expression de l’autonomie et de la citoyenneté.

Dans cette optique l’évaluation pluraliste décrite par MONNIER nous paraît à la fois

correspondre à l’action, à son caractère complexe et respecter cette préoccupation de

démocratie. Elle reconnaît la pluralité des systèmes de valeurs, ne néglige pas les différents

enjeux et ne vise pas à réduire l’action en un système clos et simplifié artificiellement. Elle

s’intègre à l’ensemble de l’action et évolue avec elle au fur et à mesure de son

déroulement. La question que pose l’évaluation pluraliste est « Quelles sont les

informations nécessaires au système d’acteurs pour améliorer sa compréhension des effets

ou évènements survenus au cours du programme ? 53».

L’évaluation pluraliste intègre l’ensemble des acteurs concernés et les amène à

remettre en question leur système de valeurs et de références, le faire évoluer en fonction

des résultats, de manière individuelle et collective. En revanche, elle est exigeante car elle

53 MONNIER E., op. cité, p 106

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nécessite une négociation et une coopération permanente entre des acteurs différents qui se

confrontaient peu les uns aux autres, dans une position d’égalité, pour analyser leurs

actions. Elle nous semble permettre en tous les cas de restituer à chacun sa légitimité

politique.

L’évaluation pluraliste est donc un acte de négociation, de démocratisation et de

qualification. Elle entraîne donc des changements dans l’organisation et une réflexion sur

le sens de l’action.

Hors, il est admis que toutes les transformations des processus d’élaboration de

l’action et des représentations collectives, en particulier si elles bouleversent les modes

d’échange et de répartition de l’information et des connaissances, modifient les relations de

pouvoir au sein de cette organisation.

Quels sont ces pouvoirs et relations de pouvoir dans les organisations médico-

sociales54 ? Comment peuvent-elles être modifiées au cours de l’évaluation ?

2.2. Une modification des relations de pouvoir au cours de

l’évaluation :

2.2.1. Le pouvoir des acteurs dans le secteur médico-social :

Une définition, devenue classique maintenant, celle de DAHL55, peut servir de base

à la réflexion sur le sens du terme pouvoir. Pour lui, un individu (seul ou représentant une

organisation, un Etat…) exerce un pouvoir sur un autre individu dans la mesure où il

obtient de ce dernier des comportements, des actions, voire des conceptions que celui-ci

n’aurait pas eus sans cette intervention.

La conception est d’emblée relationnelle, comme celle de FRIEDBERG56 pour

lequel le pouvoir n’est pas un attribut, mais une relation. Pour cet auteur, le pouvoir peut se

54 Nous souhaitons, pour la suite de ce travail, orienter notre réflexion sur le seul secteur médico-social,n’ayant pas une assez bonne connaissance du secteur social et le considérant comme présentant desdifférences trop importantes (en particulier dans ces rapports avec les autorités de financement et de contrôleet les représentants des usagers) pour rester dans un possible parallèle. Ceci n’empêche pas certaines de nosréflexions et propositions de pouvoir s’appliquer, parfois aussi, à ce secteur.55 DAHL R., Qui gouverne ?, Armand Colin, Paris, 1971, cité par RUANO-BORBALAN J.-C., Lepouvoir,Editions Sciences Humaines, Auxerre, 2002, p 356 FRIEDBERG E., Le pouvoir et la règle, Seuil, Paris, édition de 1997, p 123

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définir comme l’échange déséquilibré de possibilités d’action, c'est-à-dire de

comportements entre un ensemble d’acteurs individuels et/ou collectifs. Il existe donc un

lien entre pouvoir et (inter)dépendance, entre pouvoir et échange, même si celui-ci est

toujours en déséquilibre : pas de pouvoir sans relation, pas de relation sans échange.

L’auteur précise que la relation n’est pas forcément conflictuelle et qu’il est plus

juste de considérer le pouvoir comme une relation négociée, donc de type de coopération

ou de conflit, l’un n’étant pas contradictoire avec l’autre. Le pouvoir est donc la capacité

d’un acteur à structurer des processus d’échange plus ou moins durables en sa faveur, en

exploitant les contraintes et opportunités de la situation pour imposer les termes de

l’échange favorables à ses intérêts.

Le pouvoir est donc la manifestation naturelle et normale de la coopération humaine

qui suppose toujours une dépendance mutuelle et déséquilibrée des acteurs.

FRIEDBERG57 critique la « démonisation » dont il fait l’objet, considérant qu’au lieu de

l’occulter, nous ferions mieux d’en repérer les dérives et les pathologies pour mieux les

contrôler. Nous sommes aussi d’avis que permettre à chacun d’exercer son pouvoir dans

son aspect naturel et normal, c’est donner une occasion d’apprentissage par la

confrontation à l’environnement et à ses réactions vis-à-vis de cette expression. C’est ainsi

prévenir l’apparition des dérives et pathologies.

MINTZBERG58 a développé un modèle de classification des organisations à partir de

quatre variables : la structure et le mode de coordination, le marché, les buts et le pouvoir.

La façon dont ce pouvoir est concentré, ou non, au sein de chaque organisation, le fait que

des organismes extérieurs puisse exercer le leur sur les différents acteurs, combinés avec

d’autres variables, détermineront le type de l’organisation, son fonctionnement, sa

réactivité à des modifications du contexte.

Dans le secteur social et médico-social, le pouvoir est lié lui-même à de nombreuses

variables et caractéristiques des institutions : la culture, l’histoire, le statut d’établissement

public ou privé, associatif ou non, la taille, le public, les qualifications des personnels et…

bien, entendu, les personnes. Il est donc un peu ambitieux d’essayer de décrire ce pouvoir

d’une manière schématique, sachant, comme FRIEDBERG nous le rappelle, qu’il est,

57 op. cité p 12658 MINTZBERG H., le management : voyage au centre des organisations, Editions d’organisation, Paris,1989

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57

normalement, en perpétuel mouvement59. Nous préférons donc affirmer et risquer le parti

pris : cette présentation ne relève que de nos observations et réflexions personnelles et de

notre opinion, ayant pu être influencée par certains échanges ou lectures.

Le pouvoir dans le secteur médico-social est réparti principalement entre quatre types

d’acteurs : les autorités de financement et de contrôle, les professionnels (intervenants et

gestionnaires), les usagers et leurs représentants.

2.2.1.1. Le pouvoir des autorités de financement et de contrôle :

Il ne faut pas confondre, par rapport à ces autorités, ce qui concerne leurs attributions

légales et ce que ces attributions peuvent leur conférer comme pouvoir. Nous l’avons vu,

les créations, extensions, transformations et fermetures des établissements et services

dépendent de ces autorités. Nous avons aussi présenté comment les moyens de

fonctionnement sont attribués et quels types de contrôles peuvent s’exercer sur les

établissements et services, en termes d’utilisation des moyens, de conformité et

d’infraction ou de dysfonctionnement. Cela suppose donc une dépendance directe et

permanente entre ces autorités et les différentes institutions du secteur médico-social. Sans

habilitation à l’aide soci ale ni autorisation, pas d’ouverture, et selon ce qui est

accordé au budget, des projets peuvent se réaliser ou non.

Il y a bien dans la relation qui lie les autorités et les représentants des établissements

et services, une dépendance et une nécessité de négociation (l’aller retour des budgets ou

des comptes administratifs avant accord en est un exemple) et de coopération. Il peut aussi

y avoir conflit, qui peut se traiter éventuellement devant une commission spéciale de

recours, si besoin.

On peut en revanche considérer que l’intérêt des représentants des autorités est que

l’action soit menée dans le respect de la loi : loi de finances, loi 2002-2 dorénavant (et ses

nombreux décrets à paraître) et les autres lois qui réglementent le secteur. On pourrait

imaginer aussi que leur intérêt réside aussi dans le fait que les besoins de la population

59 Dans le cas contraire, il nous semble en effet que nous sommes dans ces situations que FRIEDBERG décritcomme dérives ou pathologies, dont nous savons en revanche, qu’elles ne sont pas exceptionnelles, mais quidevraient être traitées, à notre sens, avant de vouloir introduire tout changement, fusse-t-il application d’uneloi.

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soient satisfaits60, mais cet intérêt est souvent contradictoire avec le respect de la loi de

finances (intégré lui-même dans la tentative de freiner le déficit public et de respecter le

pacte de stabilité…) et passe en second plan.

A partir de cette observation, et une fois les données de cette situation intégrées, le

pouvoir principal des autorités sur les établissements et services se résume en leur capacité

d’imposer un certain nombre de contraintes qui sont principalement budgétaires. Les

autres contraintes sont relativement stables et les responsables les connaissent, en principe

avant de s’engager à titre de responsable. Nous sommes dans une situation un peu

exceptionnelle, avec la loi 2002-2 et le nombre important de changements et d’adaptations

qu’elle va entraîner et, en conséquence, une augmentation de l’incertitude.

En revanche, il nous semble que les autorités ont peu de pouvoir sur les actions, les

comportements et les convictions des autres acteurs. Y compris dans la mise en place de la

nouvelle loi, (nous verrons si les décrets nous le confirment) nous pensons qu’il restera une

marge de manœuvre importante aux professionnels de terrain. Ceux-ci auront la possibilité

de développer des dispositifs de type « coquille vide » comme celle de mettre en place des

démarches réellement démocratiques, avec les usagers et leurs représentants, sans que les

autorités n’aient le pouvoir de modifier le sens des options retenues (ce qui n’empêche pas

leurs représentants, bien entendu, d’avoir leur opinion sur la question et de l’exprimer).

2.2.1.2. Le pouvoir des professionnels :

Le pouvoir des professionnels du médico-social est fonction, nous l’avons déjà

mentionné, des caractéristiques de leurs organisations, des postes qu’ils occupent et de la

personnalité de chacun. Les pouvoirs et contre-pouvoirs dans le milieu du travail ont été

décrits à plusieurs reprises par plusieurs auteurs et leurs observations peuvent, la plupart du

temps, s’appliquer au secteur médico-social. Nous n’évoquerons que notre expérience61

personnelle qui nous a fait rencontrer toutes sortes de situations, fort différentes les unes

des autres, mais qui nous a surtout permis de relever certaines spécificités du secteur.

Dans certains établissements, le pouvoir est fortement centralisé aux mains de la

direction ou de l’encadrement et les professionnels de terrain agissent quasiment sur

60 Dans une idée de service public et de nécessaire paix sociale.61 Aussi bien à une place de professionnelle (de rééducatrice ou de dirigeante), qu’à celle de formatrice étantintervenue dans de nombreuses institutions différentes ou qu’à celle de représentante d’usager.

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« prescription » sans forcément repérer le sens de leur action. Dans d’autres, le pouvoir des

salariés est tel que tout changement, y compris la mise en place de dispositifs légaux, est

très difficile et donne lieu à de multiples conflits, bloquant parfois toute conduite de projet,

y compris le projet personnalisé de l’usager. Dans ces deux types de structures, la question

de l’adaptation aux besoins de l’usager ne se pose pas (ou au minimum !) : la recherche du

maintien du système en place mobilise les énergies. Nous sommes dans les cas de dérives

et pathologies dont parle FRIEDBERG.

Entre ces deux cas extrêmes, malheureusement bien réels mais heureusement

relativement rares, toutes les situations intermédiaires existent dans le secteur médico-

social. Celles où la répartition du pouvoir nous semble la plus adaptée aux objectifs de

l’action médico-sociale correspondent à une reconnaissance, par l’ensemble des acteurs, de

cette nécessaire coopération pour réaliser l’action. Cette coopération doit prendre en

compte, comme FRIEDBERG62 le souligne, dépendance mutuelle et déséquilibrée des

acteurs et n’évacue pas le conflit. Ce déséquilibre est permanent : suivant l’action, le

pouvoir sera réparti différemment, en fonction des compétences, de la connaissance de la

situation, de l’expérience, de la position hiérarchique. La prise de décision ou l’action suit

une position d’équilibre, trouvée de façon contingente et provisoire, cet équilibre étant en

permanence à rechercher et recomposer pour toute nouvelle situation.

Les intérêts des professionnels, que l’on a tendance à considérer comme divergents

dans le milieu du travail, ne le sont pas, dans ce secteur, de manière si permanente et

évidente que dans une organisation dont l’objectif est avant tout économique (mais ils sont

aussi variables et changeants). Ceci peut représenter un facteur favorisant la coopération.

C’est une des raisons pour laquelle nous ne développons pas séparément le pouvoir de

l’encadrement et celui des intervenants de terrain.

MONNIER63, en décrivant trois modèles de mode de gestion et de résolution de

problème, décrit le mode du modus vivendi ou le mode négocié d’action comme le mieux

adapté à la résolution de problème dans un contexte complexe et changeant. Selon lui, la

préservation des négociations assure la survie de l’organisation. Il décrit le processus

pluraliste de convergence vers un compromis (qui peut parfois être consensus, mais pas

toujours !) comme un flux tourbillonnaire. L’évaluation en continu (et plus ou moins

62 Op. cité.

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60

spontanée) des effets de l’action réoriente en permanence les objectifs et les modalités de

mise en œuvre des moyens.

Cette description paraît particulièrement bien convenir à la prise de décision dans le

secteur médico-social, cette prise de décision se situant la plupart du temps dans le cas

d’une situation64 nouvelle. La décision prise reflète le compromis conforme aux rapports

de pouvoirs en présence, à ce moment là. Suivant l’importance que chaque participant

accorde à la décision, il mobilisera, avec plus ou moins de forces et en fonction de ses

capacités, ses ressources pour imposer son point de vue aux autres et influencer leurs

comportements. Pour MONNIER65, la « dynamique fluctuante » de l’équilibre autour d’un

compromis varie donc en fonction du pouvoir des acteurs et peut évoluer vers un état

d’équilibre stable pendant lequel l’action peut se développer ou au contraire, de

déséquilibre croissant, bloquant cette action.

La façon dont s’organise et se négocie la coopération humaine au sein des

établissements et services médico-sociaux, en rapport étroit avec le pouvoir des différents

professionnels, influence donc la teneur et la pérennité des décisions et leur mise en action.

Contrairement à l’opinion de la plupart des professionnels du secteur médico-social,

nous ne pensons pas qu’ils disposent d’un pouvoir réduit : nous pensons en revanche qu’ils

en font peu, ou pas toujours à bon escient, l’usage. En dehors des situations dont nous

avons parlé de dérives ou de pathologies, nous considérons aussi que les négociations de

pouvoir entre l’encadrement et les professionnels de terrain, qu’elles fassent l’objet de

conflits ou non, peuvent aboutir à des compromis en cohérence avec les fondements de

l’action sociale et médico-sociale.

Le fait que les professionnels sous-estiment leur pouvoir et sa portée accentue

certainement « le malaise des travailleurs du secteur social et médico-social » dont on nous

parle depuis quelques années66. Pour notre part, nous souhaiterions que ce malaise soit

63 MONNIER, op cité, p 8164 Nous faisons ici référence aux décisions concernant les actions à mener avec l’usager et non les décisionsde fonctionnement ou d’ordre pratique.65 Op cité, p 9466 DUBET F., L’autocritique est, chez les travailleurs sociaux, la forme la plus aiguë d’identité. Dans : ASH,20 décembre 2002, n) 2290, p29-30. DUBET fait par ailleurs un appel à la démocratisation des institutionsdans son ouvrage : Le déclin des institutions, Seuil.

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maintenant parvenu au moment de crise67 qui permet une réaction salutaire, qui selon nous,

peut se traduire par une réelle démocratisation des institutions, le lecteur l’aura compris.

Au quotidien, l’action se négocie avec l’usager et ses représentants. Quelles sont

leurs capacités d’échange pour cette négociation ?

2.2.1.3. Le pouvoir des usagers :

La question du pouvoir des usagers peut paraître saugrenue : s’il est nécessaire

d’affirmer dans une loi que les droits des usagers doivent être garantis, n’est-ce pas parce

que ces mêmes usagers n’ont pas suffisamment de pouvoir au sein des établissements et

services médico-sociaux pour défendre le respect de leur droit dans les institutions ?

Les relations au sein des établissements et services médico-sociaux, entre les

professionnels et usagers, sont aussi empreintes de dépendance mutuelle et déséquilibrée.

La réciprocité de la dépendance n’est pas, la plupart du temps, repérée comme telle et les

uns comme les autres la vivent à sens unique. Or, il existe bien aussi, une dépendance des

professionnels vis-à-vis des usagers : sans usagers et leurs besoins, pas de professionnels !

Cette dépendance vécue, à tort, comme unilatérale influe fortement sur le pouvoir

des usagers au sein des établissements et des services. Le pouvoir des usagers est aussi

réduit, parfois, par leur déficience, mais celle-ci est loin d’être la justification unique de

cette « confiscation du pouvoir ». Nous avons visité à plusieurs reprises des institutions

accueillant des personnes atteintes de déficiences physiques auxquelles il n’était reconnu

aucun pouvoir au sein de ces institutions, même pas celui de définir le projet qui les

concernait avec les professionnels. Dans d’autres structures, il n’existe aucun lieu

d’expression des usagers et leur participation à l’actuel Conseil d’établissement relève plus

de la figuration.

La consultation, l’implication des usagers est donc une faille importante dans le

fonctionnement de beaucoup d’établissements et services médico-sociaux : ceci les prive

d’un pouvoir qu’on pourrait pourtant considérer comme légitime. Ce n’est pas le cas, bien

heureusement, de toutes les institutions. Quelques unes se sont même engagées dans des

démarches innovantes en la matière, précédant la loi 2002-2, dans la mise en œuvre

67 Au sens hippocratique du terme : le moment paroxystique où les symptômes sont à l’apogée de leurexpression et où la maladie évolue soit vers la guérison, soit vers la mort. La guérison étant due à une

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d’instances de réelles expression, implication et consultation, mais c’est loin d’être une

généralité. Si l’on souhaite s’orienter vers l’expression de l’autonomie et de la citoyenneté,

il faudra donc certainement accepter de reconnaître aux usagers un pouvoir dont ils ont peu

usé jusqu’à présent.

L’observation de plusieurs institutions médico-sociales que nous avons faite nous

permet aussi de repérer une difficulté, voire une crainte des professionnels à laisser les

usagers se regrouper, se rassembler pour échanger sur des thèmes qui les concernent, qui

souvent les intéressent et pour lesquels il serait important qu’ils expriment leurs avis

(respect de l’intimité et du libre choix, violence, sexualité…) pour éventuellement orienter

l’action. Cette observation est aussi valable pour de nombreuses maisons de retraite.

Il y a aussi très peu de projets d’apprentissage de cette expression, de cette

citoyenneté, pour les personnes qui auraient besoin d’être accompagnées dans de telles

démarches ou dans les établissements ou services pour enfants ou adolescents.

Les autres acteurs avancent fréquemment l’argument que si les usagers n’ont pas ce

type de pouvoir, tel que le défini FRIEDBERG, de structurer les processus d’échanges en

leur faveur, c’est parce qu’ils n’en ont pas les capacités ou parce que les professionnels

et/ou leurs représentants68 sont tout à fait en position de savoir ce qui est « bien » pour eux

et où se situent leurs intérêts.

Nous ne nions pas la difficulté que représente la mise en place de lieux où les usagers

auraient la possibilité effective de peser sur les décisions qui les concernent. Nous

considérons en effet que l’exercice de la citoyenneté et le développement de l’autonomie

nécessitent une réelle païdeia, une formation, une éducation dans cette visée spécifique,

comme le défendait CASTORIADIS.69 Cette formation, qui devrait intégrer aussi une

formation à l’exercice du pouvoir, relève du rôle des professionnels (après qu’ils aient pu

en bénéficier eux-mêmes), nous y reviendrons.

réaction salutaire du malade qui entamera le processus de guérison. CASTORIADIS C. La montée del’insignifiance, Seuil, Paris, 1997, p 9268 Parfois les uns avec les autres, mais parfois aussi, les uns contre les autres, plaçant de surcroît l’usager dansune position de double contrainte.69 CASTORIADIS C., Pour un individu autonome, dans : Manière de voir : Penser le XXIème siècle, LeMonde Diplomatique, Juillet/Août 2000, p16

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La situation des enfants ne doit pas être assimilée à celle des adultes. L’enfant70 est

sujet de droit, mais pas encore citoyen : il s’agit donc plus de lui proposer un apprentissage

de la démocratie que de lui donner un rôle prématuré de citoyen. L’accompagnement de

son développement ne doit pas se faire au détriment de l’apprentissage au monde. Le

positionnement, dans cette démarche, de l’enfant, de ses proches et représentants et des

professionnels demande lui aussi un ajustement constant en fonction des progrès, des

réussites ou échecs. Le pouvoir de l’enfant/usager doit aussi faire l’objet d’un

apprentissage et il n’est pas dû d’emblée. Cela ne justifie pas en revanche, que la parole de

l’enfant ne soit pas entendue ni prise en compte.

Les représentants des usagers, en revanche, exercent un réel pouvoir, auprès des

autorités parfois, mais aussi au sein des institutions.

2.2.1.4. Le pouvoir des représentants des usagers :

Ce terme englobe des personnes qui peuvent avoir des liens de différentes natures

avec les usagers. Il peut s’agir en effet de leurs parents, d’autres membres de leur famille,

d’amis, de familles d’accueil ou de tuteurs nommés par un juge, membre de la famille

aussi, connaissance ayant un lien affectif ou tuteur professionnel. Nous étendrons ce terme

au-delà de la seule représentation légale.

Les représentants d’usagers ont un pouvoir, comme celui des professionnels, qui est

aussi fonction de la nature de l’organisation, de sa culture, de son histoire, de son statut et

de sa structure.

Certaines institutions sont gérées par des associations de représentants d’usagers :

dans certaines les usagers sont adhérents actifs, parfois au côté de familles d’autres usagers

(Association des Paralysés de France), dans d’autres ce sont principalement les familles

qui sont actives (Associations des Parents et Amis d’Enfants Inadaptés, Association des

Parents d’Enfants Déficients Auditifs…). Dans ces cas là, les représentants des usagers ont

un pouvoir évident, ne serait-ce qu’à travers le Conseil d’Administration, sur

l’établissement ou le service : les budgets, les rapports d’activités, les projets

d’établissement, les orientations doivent recevoir l’aval du Conseil d’administration. Ce

70 HAERINGER J., TRAVERSAZ F., Conduire le changement dans les associations d’action sociale et

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n’est pas toujours une garantie de sérieux, ni de professionnalisme. Les grandes

associations nationales se sont cependant dotées de conseillers techniques et de

professionnels qui leur ont permis de s’adapter à l’évolution du contexte et aux nouvelles

exigences législatives, mettant en place des directeurs généraux quand elles géraient

plusieurs institutions.

Il reste cependant des lieux où l’association reste « toute puissante », avec le danger

que cela comporte de confier des décisions d’orientation à des non professionnels dont la

légitimité est d’avoir un enfant ou un parent atteint d’une déficience. Il existe encore des

institutions où le président du Conseil d’administration choisit le tissu des rideaux des

chambres des usagers ou d’autres où il décroche le téléphone pour ordonner au directeur de

prendre - ou ne pas prendre - une mesure !

Par exemple, la contraception a été (et reste parfois) obligatoire pour les femmes en

âge de procréer dans les institutions accueillant des adultes. Il s’agit la plupart du temps de

décisions prises par les dirigeants, en accord avec les conseils d’administration des

associations gestionnaires (ou à leur demande) et sans consultation des usagers. Lorsque

cette obligation est levée, certaines usagères cessent, selon leur volonté, de suivre un

traitement contraceptif dont elles n’ont pas besoin. Pour certaines, ce sont les parents qui

décident que ce traitement doit être poursuivi.

Il est indispensable, en revanche, de prendre en compte la parole des représentants

des usagers : familles comme proches ont un regard différent sur l’usager et confronter des

regards différents peut permettre d’approcher une vue plus globale. Il est donc essentiel de

reconnaître la compétence des proches. Cette parole ne doit pas prendre le pas sur celle des

usagers, ni sur celle des professionnels : elles sont toutes nécessaires et complémentaires.

Certains représentants des usagers avancent parfois leur souffrance, qui est incontestable

(mais celle des usagers et celle des professionnels, certes d’ordres différents, existent aussi)

pour justifier leur ingérence, dans les institutions, mais surtout, ce qui est plus grave, dans

l’élaboration du projet de vie de leur proche. Ceux-ci sont pourtant très souvent en

capacité de décider, de choisir, de s’impliquer et d’agir dans l’élaboration et la réalisation

de ce projet de vie. Leur donner l’occasion de le faire, c’est leur permettre de progresser.

médico-sociale, Dunod, Paris, 2002, p 61

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Il est important de mentionner, sur ce sujet du pouvoir des représentants des usagers,

la grande différence qui nous apparaît entre ceux qui se sont regroupés en association, avec

une accentuation du pouvoir si celle-ci est gestionnaire de l’institution, et ceux qui

interviennent seuls, pour lesquels il peut être plus difficile de se faire entendre sur le

fonctionnement des institutions, et parfois même sur la situation de l’usager.

Nous observons donc, entre les différents acteurs du secteur médico-social, une

répartition du pouvoir se jouant principalement entre les professionnels et représentants

des usagers, ainsi qu’une réduction du pouvoir possible ou légitime, des usagers. Or la

dépendance71, nous l’avons vu, est réciproque. Cela devrait favoriser l’exercice de la

citoyenneté (ou de son apprentissage) de façon conjointe. Priver l’usager de son pouvoir,

c’est aussi limiter cet exercice et les occasions de progression.

2.2.2. Les rapports pouvoir/apprentissage

Il nous paraît donc important de chercher et développer toutes les démarches

susceptibles de favoriser l’expression de ce pouvoir. Exercer son pouvoir dans un jeu

d’acteurs et de relations quotidiennes, c’est affirmer son identité, repérer ce qui en l’autre

est semblable et ce qui est différent. C’est apprendre sur soi et sur les autres. Il existe donc

un lien entre le pouvoir et l’apprentissage, entre le pouvoir et le savoir ou la connaissance.

Si l’on considère le secteur médico-social comme un champ, au sens de

BOURDIEU72, il est évident, que dans ce champ aussi, le capital de chacun est

inégalement réparti. Quelle commune mesure entre les capitaux social, culturel,

symbolique du médecin psychiatre, du président de l’association et celui du travailleur en

CAT, qu’il soit déficient intellectuel ou physique ? Quelle commune mesure entre les

capitaux de l’assistante sociale, de l’éducateur spécialisée et celui de la mère d’un enfant

polyhandicapé, qui n’a, depuis la naissance de celui-ci pu reprendre ni travail, ni activité de

71 Notons, à ce propos, comme les termes indépendance et autonomie sont souvent confondus dans le secteurde la santé en général.72 « Issu d’un long processus de différenciation, le monde social moderne se décompose en une multitude demicrocosmes, les champs, dont chacun possède des enjeux, des objets et des intérêts spécifiques. »CHAUVIRE C., FONTAINE O., Le vocabulaire de BOURDIEU, Ellipses, Paris, 2003 p 16 – 17« Les champs sont des sortes de microcosmes, relativement homogènes et autonomes et pertinents au regardd’une fonction sociale. (…)les champs sont fondamentalement des lieux de concurrence et de lutte » CABINP., Dans les coulisses de la domination, dans : Sciences Humaines : L’œuvre de Pierre Bourdieu , Numérospécial 2002, p 29

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loisir ? Et pourtant n’est-ce pas plutôt la masse d’ignorance qu’ils ont tous en commun qui

est plus importante que la petite différence de capital qui les distingue ?

Pour BOURDIEU, la structure du champ correspond à un état du rapport de force

entre les agents ou les institutions luttant pour la position hégémonique. Il s’agit d’acquérir

le monopole de l’autorité car elle octroie le pouvoir de modifier ou de conserver la

répartition du capital spécifique à cet espace. Dans le champ du secteur médico-social, un

capital peut compenser l’autre : le culturel (diplômes, connaissances…) peut compenser le

symbolique (expérience bénévole, adhésion à une grande cause), mais ils peuvent aussi

s’opposer.

Mais là encore les plus démunis (les usagers) se trouvent bien souvent relégués hors

du « jeu ». Leur permettre d’augmenter leur capital, comme cela peut-être fait par exemple

en leur proposant de s’impliquer dans des créations artistiques de qualité, mais aussi de

participer à des activités sportives ou sociales, c’est aussi leur permettre d’avoir accès à

une certaine forme de pouvoir, grâce à la reconnaissance par les autres. Etre reconnu par

les autres permet ensuite de tenir sa place dans les échanges de négociation.

« Le capital, sous ses différentes espèces est un ensemble de droits de préemption

sur le futur ; il garantit à certains le monopole de certains possibles pourtant officiellement

garantis à tous (comme le droit à l’éducation)73 ».

L’apprentissage, en permettant d’augmenter le capital, qu’il soit culturel, social ou

symbolique, favorise bien l’accès au pouvoir, quelle que soit la place de la personne dans

l’institution. Dans une optique de démocratisation, il nous semble qu’il est indispensable

de rechercher un partage de ces possibles dont parle BOURDIEU.

Pour SAINSAULIEU74, si le pouvoir est profondément recherché, c’est que

l’individu risque dans toute relation la perte de reconnaissance de soi. L’identité

individuelle, et sa constitution et consolidation tout au long de l’existence, est intimement

liée au pouvoir car elle dépend des moyens de lutte que l’individu trouve dans son

expérience sociale pour imposer et faire respecter sa différence.

La mise en situation d’apprentissage constitue, pour les professionnels et les usagers,

« une autre scène » des rapports humains, sorte d’institution parallèle, où les personnes

73 BOURDIEU P., Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, p 26774 SAINSAULIEU R, L’identité au travail, Références, Presse de la fondation nationale des SciencesPolitiques, Paris, 1993, 3ème édition, p 342

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expérimentent de nouvelles normes de relations. Le changement des critères d’évaluation

de l’autre et l’augmentation des aptitudes stratégiques interpersonnelles sont des

conséquences observées après une mise en situation d’apprentissage.

Par exemple, dans une structure que nous dirigeons, des rencontres

usagers/professionnels pour préparer l’élaboration du règlement de fonctionnement ont été

mises en place, sous la conduite de la psychologue. Nous avons pu remarquer, outre les

grandes satisfaction et fierté des usagers d’y avoir participé activement, combien ils étaient

capables d’analyser et utiliser des évènements de leur vie pour en tirer des conclusions en

terme de règles nécessaires pour la vie en collectivité. Ils ont non seulement saisi la

différence entre la règle et la loi, mais ils ont de plus pu le transmettre à d’autres.

Le regard des professionnels sur les usagers a changé. Les critères d’évaluation et les

attitudes stratégiques interpersonnelles ont donc été modifiés au cours de cette situation

d’apprentissage, à la fois pour le personnel et les usagers.

Cet exemple nous permet d’illustrer comment l’apprentissage peut permettre

d’exercer un pouvoir, de développer ses capacités à structurer des processus d’échange en

exploitant les contraintes et les opportunités de la situation pour imposer les termes de

l’échange favorables à ces intérêts, selon la définition de FRIEDBERG75.

A notre avis, exercer son pouvoir sans dérives ni pathologies, en sachant tenir

compte du pouvoir des autres, des contraintes et des opportunités de son environnement,

c’est aussi développer son autonomie, car c’est définir ses propres règles de vie, pour soi et

avec les autres.

Comment et en quoi l’évaluation peut-elle constituer une démarche privilégiée pour

proposer des mises en situations d’apprentissage, de confrontation de pouvoir et donc de

développement de l’autonomie ?

75 Op. cité p. 123

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2.3. L’évaluation76 : une situation d’apprentissage favorisant le développement

de l’autonomie

Dans une réflexion précédente, nous avions souligné une caractéristique du secteur

médico-social peu mise en relief. Un des objectifs de l’action médico-sociale est de

favoriser l’expression et le développement de l’autonomie de l’usager. Il est donc

primordial, bien que peu d’écrits sur le secteur le relèvent, que l’expression et le

développement de l’autonomie77 des professionnels soient eux-mêmes favorisés au sein

des établissements et structures, et au préalable, dans les centres de formation. Dans le cas

contraire, le professionnel est placé dans cette situation paradoxale dont nous avons déjà

parlé.

A la suite de ce précédent travail, nous avions repéré, avec les cadres interrogés,

certains facteurs qui favorisent l’expression et le développement de l’autonomie des

professionnels dans une institution. Il s’agit des facteurs suivants :

un niveau de formation initiale et continue élevé,

la clarté de la définition des objectifs, des valeurs et des principes de travail,

un mode de coordination de l’action permettant l’expression et la prise

d’initiative de chacun en concertation avec les autres,

un mode de répartition du pouvoir permettant l’implication et la

responsabilisation de chacun.

L’évaluation nous semble l’occasion de travailler et améliorer chacun de ces points

au sein de l’institution, avec tous les acteurs concernés. Comment ce travail peut-il se faire

et quels apprentissages la démarche d’évaluation permet-elle ?

Nous l’avons vu, plusieurs types d’évaluations peuvent être mis en place. Le choix

d’une démarche plutôt que d’une autre doit tenir compte de la nature de l’action et du

76 Nous n’utiliserons par la suite que le terme « évaluation », sans préciser s’il s’agit de la démarched’autoévaluation (en interne pour la loi) ou de l’évaluation externe. Nous pensons que la seconde doitprolonger la première et qu’il sera indispensable que les deux soient accompagnées par des chargésd’évaluation extérieurs à l’institution.77 Nous avions alors proposé la définition suivante de l’autonomie professionnelle : l’individu autonome surle plan professionnel est celui qui génère son comportement et les règles qui y correspondent (et donc sespropres stratégies d’action) en réponse aux sollicitations, informations et contraintes du milieu professionnel.Cette réponse caractérise l’identité, l’unicité, les particularités de cet individu sur le plan professionnel. Elles’élabore dans un processus continu et dynamique d’interactions entre l’individu et son milieu professionnel,entre lui et les autres. Elle est variable selon les ressources et les capacités d’apprentissage de l’individu,

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contexte dans lequel elle se déroule. Elles ne sont pas toutes équivalentes pour favoriser

l’expression et le développement de l’autonomie des acteurs puisqu’ils ne participent pas à

certaines d’entre elles. Nous avons retenu l’évaluation pluraliste décrite par MONNIER car

elle associe l’ensemble des acteurs sociaux à la démarche, permettant d’accroître la

crédibilité et l’utilité sociale de l’évaluation.

Elle est particulièrement adaptée lorsque « le nombre de parties prenantes est limité,

un certain consensus existe sur les objectifs à atteindre, des règles du jeu d’égalité des

parties prenantes sont acceptées. »78

Pour VIVERET79, il est nécessaire d’entourer toute démarche d’évaluation de

certaines garanties pour éviter les abus et les risques, mais aussi pour respecter les

principes de la démocratie. Nous considérons de plus que ces garanties créent des

conditions favorables à l’apprentissage.

Ces garanties sont les suivantes :

Indépendance : sauf pour l’autoévaluation, l’évaluation doit être conduite par

des acteurs qui ne sont pas impliqués dans l’action pour éviter

l’autojustification. Nous rajouterons, avec MONNIER80, qu’il est en revanche

nécessaire que tous les acteurs concernés participent à la démarche, au travers

d’une instance d’évaluation les représentant et par une information/consultation

permanente.

Compétence et rigueur : garanties nécessaires contre l’arbitraire du jugement

(mais non suffisantes), elles fondent l’éthique professionnelle des chargés

d’évaluation qui doivent disposer d’un langage commun (et clair). Elles doivent

leur permettre d’aider les participants à développer des capacités pour

distinguer l’analyse des faits et les critères de jugement.

Transparence : pour permettre la critique ou l’expression d’autres jugements à

partir des mêmes faits, l’évaluation doit présenter clairement ses méthodes, ses

critères, ses résultats.

selon celles de l’environnement et selon les conditions particulières qu’offre cet environnement. GOULLETde RUGY B. op cité, p 3278 TROSA S., citée par PERRET, op. cité, p 9979 VIVERET, op.cité, p 2580 MONNIER, op. cité, p 62

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Pluralisme : chacun doit pouvoir défendre ses points de vue, de sa place

spécifique.

Droit de saisine de l’instance d’évaluation : il doit être accordé à l’ensemble des

personnes concernées.

Publicité (des résultats) : la règle ne doit être enfreinte que dans des cas

exceptionnels, qu’il faut tâcher de définir, selon nous.

L’évaluation dans les établissements médico-sociaux devrait donc impliquer les

professionnels, les usagers et leurs représentants et éventuellement, suivant l’objet, certains

partenaires. Il est important que des professionnels de l’évaluation, extérieurs à

l’institution, accompagnent les acteurs internes dans cette démarche d’évaluation pour

qu’elle soit véritablement occasion d’apprentissage, y compris pour l’autoévaluation, nous

l’avons vu. La place du chargé d’évaluation et celle de l’instance d’évaluation doivent être

définies et répondre, elles aussi à un certain nombre de critères pour que le pluralisme soit

effectif.

Le chargé d’évaluation :

MONNIER le décrit, dans le cadre d’une évaluation pluraliste, comme devant être à

la fois maïeuticien, médiateur et méthodologue.

Il doit permettre aux acteurs sociaux de prendre du recul par rapport à la situation

dans laquelle ils se trouvent et ainsi reconsidérer leur propre représentation de l’action. Il

doit les aider à simuler et imaginer les conséquences des décisions ou améliorations

envisagées. Mais ce travail doit se faire dans un esprit de maïeutique, car le chargé

d’évaluation accompagne les participants dans leur formulation des problématiques et des

réponses. Il les aide à clarifier, expliciter pour reformuler eux-mêmes, sans le faire à leur

place.

Le chargé d’évaluation a donc un rôle de pédagogue, mais au sens des Grecs

anciens : c’est celui qui aide à progresser et non celui qui transmet un savoir. Il doit

organiser et harmoniser les interventions pour que la démarche collective aboutisse à une

compréhension commune de l’action.

Il a aussi un rôle de médiateur qui doit permettre à la réflexion et à la négociation

collective d’aboutir à un compromis. Il doit repérer les éléments facilitant, les soutiens,

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comme les difficultés et les risques de blocage. Il permet au groupe de s’en saisir ou de les

traiter.

En tant que méthodologue, il favorise l’appropriation d’un langage commun,

propose une démarche, aide à la définition des objectifs et des priorités. Il propose la forme

la plus adaptée pour la formulation de la problématique, le recueil d’informations et la

présentation des résultats.

La place du chargé d’évaluation est donc primordiale : toute de nuances et de tact.

Il doit savoir susciter autant que trancher et faire émerger des représentations et des

capacités nouvelles. Il doit savoir s’effacer et savoir se mettre en avant lorsqu’il le faut.

L’évaluation n’est pas le produit du chargé d’évaluation et il est primordial qu’il ne

prenne pas le pas sur les autres intervenants. Chacun doit pouvoir défendre ses points de

vue et se faire entendre. Les regards doivent se croiser, là aussi pour approcher une vue la

plus globale possible de la situation ou de l’action évaluée.

Le chargé d’évaluation ne doit pas être considéré comme un expert. ARENDT81

rappelait que les Grecs anciens opposaient expertise et citoyenneté. Pour ne pas perdre la

richesse de la vie politique, ils considéraient que les affaires publiques appartenaient aux

citoyens eux-mêmes et non à un groupe d’experts et de techniciens. En effet, on ne discute

ni n’échange avec l’expert, son savoir suscite le respect et on s’incline devant sa science.

Mais de la même façon que le chargé d’évaluation ne doit pas être considéré

comme un expert, il est nécessaire d’éviter que certains participants ne soient ensuite

considérés eux-mêmes comme des experts du fait de leur expérience. Leur participation

doit être renouvelée d’une évaluation à l’autre. La composition et la définition du rôle du

groupe appelé souvent « comité de pilotage » sont donc aussi essentielles pour la réussite

de la démarche.

L’instance d’évaluation :

Pour que l’évaluation soit réellement un lieu de négociation, et donc

d’apprentissage, les qualités professionnelles du chargé d’insertion doivent se compléter

d’un dispositif adapté. Le comité de pilotage ou instance d’évaluation en est un élément

essentiel. Il réunit les différents protagonistes qui choisissent l’équipe chargée de réaliser

81 ARENDT H., Condition de l’homme moderne, (1958), Calmann-Lévy, Presse Pocket, 1983, citée par :MIRAMON J.-M., COUET D., PATURET J.-B., Le métier de directeur, ENSP, Rennes, 2002, p 109.

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les travaux et les suit. Dans ce dispositif, les commanditaires n’ont pas plus de pouvoir que

les autres membres du comité, ils n’orientent pas l’évaluation.

Pour MONNIER, la légitimité de l’évaluation suppose que l’instance d’évaluation

soit détentrice du mandat politique et qu’y soient représentés tous les types d’acteurs

concernés. La sélection des participants est bien sûr délicate : il paraît important de se

baser sur le volontariat, encore faut-il qu’il y ait des volontaires : nous avons vu que les

professionnels du secteur social et médico-social sont très réservés vis-à-vis de

l’évaluation. Il faudra donc expliquer, traduire et convaincre.

MONNIER82 définit pour sa part des critères de qualités d’écoute et de bonne foi et

de disponibilité. Les participants doivent accepter le caractère collectif de la réflexion sur

l’action et la légitimité des autres à y participer. Comme MONNIER le soulève : « ce

critère conduit parfois à ne pas retenir certaines personnes se percevant en position

d’autorité condescendante et qui n’acceptent pas l’expression de l’opinion par les autres

acteurs ». La langue de bois ou le retour permanent à des considérations stratégiques,

limitant la prise en compte des caractéristiques réelles de l’action peuvent gêner, de la part

de certaines personnes. Les participants doivent par ailleurs être disponibles et non

susceptibles d’être dérangés pendant les séances de travail.

Le chargé d’évaluation doit donc, grâce à une analyse fine du système des acteurs,

repérer ceux qui seront les plus à même de bénéficier, en terme d’apprentissage, de la

démarche, et de faire bénéficier le reste du groupe de leur apport. Une fois le groupe

constitué, il est important qu’il soit présenté au reste de l’institution et qu’un aller et retour

se fasse du comité vers les autres acteurs pour qu’ils ne se sentent pas exclus de la

démarche : c’est aussi important pour motiver des acteurs à participer aux évaluations

suivantes. Le contenu de cet aller et retour doit faire un l’objet d’un accord entre les

participants.

Le comité de pilotage peut recevoir une lettre de mission ou les principes de travail

peuvent faire l’objet d’un écrit (confidentialité, respect et écoute, engagement de

présence…). La compétence et la légitimité de chacun à participer, élaborer, intervenir

doivent être reconnues par l’ensemble du groupe, de la même façon que dans une

démarche réellement interdisciplinaire.

82 MONNIER E., op. cité, p 118

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Ces conditions, concernant le chargé d’insertion et l’instance d’évaluation nous

paraissent donc essentielles pour que la démarche d’évaluation pluraliste permette aux

participants d’être en situation d’apprentissage.

Outre l’apport de la démarche d’évaluation concernant l’éclairage qu’elle peut

apporter sur l’action et sur les valeurs qui la fondent, le fait de proposer aux acteurs de se

retrouver sur une « autre scène », pour reprendre l’expression de SAINSAULIEU, va leur

procurer l’occasion de mieux comprendre ce qu’ils sont en tant que professionnels et

usagers et ce que sont les autres intervenants : connaissance de soi et reconnaissance des

autres. Ils repéreront aussi les opportunités et contraintes de leur environnement et ce que

cela peut leur permettre de développer comme actions. Se comprendre et connaître soi-

même, comprendre et connaître les autres et son environnement, c’est aussi « s’adapter le

monde et s’adapter au monde ». C’est ainsi que PIAGET83 défini le processus

d’autonomisation de l’individu, dans un processus continu d’assimilation et

d’accommodation84.

Comment cette autonomisation, au sein des institutions, peut-elle favoriser leur

démocratisation ? Pourquoi permettrait-elle leur évolution vers une forme plus adaptable et

adaptée, répondant aux besoins des usagers de façon plus précise et souple ? Quelle est la

forme actuelle des organisations médico-sociales et vers quelle forme sont-elles en train

d’évoluer ?

2.4. Le projet d’autonomie : une condition à l’adhocratie

démocratique

2.4.1. Les bureaucraties professionnelles hétéronomes disparaissent…

La majeure partie des institutions médico-sociales est organisée sur le modèle de la

bureaucratie professionnelle décrite par MINTZBERG, dont le fonctionnement nécessite

une réduction de l’autonomie des acteurs pour assurer le maintien du système.

83 PIAGET J., Psychologie de l’intelligence, Armand Colin, Paris,84 Nous considérons, avec VARELLA, que ce n’est pas faire injure à PIAGET que d’appeler« développement de l’autonomie » le phénomène que PIAGET a décrit comme « développement del’intelligence ». VARELLA F., Autonomie et connaissance, Seuil, Paris, 1989, p 167

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2.4.1.1. Les bureaucraties professionnelles :

Après avoir longtemps fonctionné sur le modèle de l’organisation missionnaire, les

organisations du secteur médico-social ont évolué pour la plupart vers la bureaucratie

professionnelle.

De nombreuses caractéristiques des organisations médico-sociales correspondent en

effet à celles que MINTZBERG retient pour définir cette organisation.

La structure :

Les professionnels sont qualifiés, parfois hautement, et le travail est fortement divisé.

Ils travaillent dans des créneaux étroits, mettant en œuvre leurs qualifications spécifiques.

Ils sont souvent vigilants à ce que d’autres professionnels ne réalisent pas les tâches qui

leur incombent. Certaines professions sont d’ailleurs protégées par des décrets contre

l’exercice illégal (médecins, para-médicaux, assistante sociale…). Ceux qui ne le sont pas

éprouvent parfois certaines difficultés à définir les limites de leurs fonctions (en particulier

pour les métiers de l’éducatif).

Cette division est surtout observable sur le plan horizontal. Sur le plan vertical, les

professionnels conçoivent la plupart du temps, les tâches qu’ils effectuent. Cette division

du travail s’observe de façon encore plus marquée dans les institutions où plusieurs

professions médicales et paramédicales interviennent. Peut-être est-ce à attribuer au

modèle réductionniste qui a prévalut (et prévaut encore par endroits) dans la pratique

médicale et paramédicale. Les professionnels restent encore clivés par origine

professionnelle : travailleurs sociaux, professionnels de santé, enseignants…

Dans certaines institutions, chacun est sous une responsabilité hiérarchique

spécifique et les échanges restent peu nombreux, souvent réduits à la traditionnelle

synthèse. Nous connaissons par exemple une structure où le kinésithérapeute qui veut

rencontrer l’instituteur d’un enfant (pour donner par exemple un conseil sur l’installation

assise en classe) doit demander à son supérieur hiérarchique l’autorisation et le rendez-

vous avec l’instituteur, possible après consultation et autorisation du supérieur hiérarchique

de l’instituteur. Ce mode de coordination est heureusement rare.

Le mode de coordination, dans le secteur médico-social se réalise essentiellement sur

la base de la standardisation des qualifications et de l’ajustement mutuel, indispensable

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pour gérer l’imprévu, relativement fréquent dans ce secteur. Mais cet ajustement reste ici à

l’initiative des acteurs, qui heureusement l’utilisent lorsque c’est nécessaire85.

Le public86 :

Lorsque la standardisation des qualifications représente le mode principal de

coordination, elle induit une stabilité temporelle, les qualifications étant principalement

acquises lors de la formation initiale. Le public doit donc être stable : ses besoins doivent

peu évoluer. Si l’on réduit les caractéristiques du public du médico-social à la déficience et

à la dépendance, on peut effectivement le considérer comme stable.

En revanche, de nouvelles pathologies peuvent apparaître (exemple le VIH) ou une

meilleure connaissance peut permettre de développer d’autres modes de traitement ou

d’accompagnement (autisme, maladie d’Alzheimer…). De ce point de vue le marché

devient instable puisque des nouveaux besoins peuvent apparaître.

Par ailleurs, les demandes et besoins du public nécessitent un niveau élevé de

connaissances et de savoir-faire, le public est donc complexe, au sens de MINTZBERG. Il

reste, malgré de nombreuses tentatives, difficile de modéliser les réponses. Chaque

personne a des besoins, une histoire et un environnement différents qui constituent un

ensemble non décomposable et qu’il faut appréhender dans sa globalité : c’est une

difficulté majeure des professionnels qui échouent à transformer le complexe en

compliqué. Notons à ce propos que ce ne sont pas les usagers qui ont évolué vers plus de

complexité, comme on a souvent tendance à le dire, mais leur environnement.

Cette nécessaire approche globale, associée à une évolution rapide des pratiques,

pose le problème de l’adaptation rapide des formations initiales à cette évolution : la

standardisation par les qualifications devient de plus en plus illusoire : il devient

indispensable de continuer à se former tout au long de son parcours professionnel.

Les buts :

Dans la bureaucratie professionnelle, chaque catégorie professionnelle (parfois

chaque professionnel), poursuit des buts spécifiques qui correspondent plus à des

préoccupations professionnelles (voire personnelles) qu’aux missions propres de

l’organisation. Les buts généraux sont peu définis, leur formulation est ambiguë et peu

85 On peut difficilement imaginer ce qui se passerait si ce n’était pas le cas à l’hôpital, bureaucratieprofessionnelle type, lorsque l’imprévu survient.

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opérationnelle. Il est difficile de savoir si ces buts sont atteints ou non. Cette description

s’applique encore à la plupart des institutions médico-sociales. Le corporatisme reste très

présent en dépit des tentatives de parvenir à plus d’interdisciplinarité. En effet, le

professionnel s’identifie parfois plus comme appartenant à une profession déterminée que

comme faisant partie de l’organisation.

Les buts de l’organisation sont parfois peu définis, mais quand ils le sont (ou de

façon très implicite, ou par les décrets de lois) cela modifie rarement ceux des

professionnels. Les buts peuvent même être difficilement conciliables avec les besoins des

usagers. L’éventuelle incohérence est rarement relevée, tant qu’elle reste dans des

proportions « tolérables ».

Il y a parfois aussi une telle disproportion entre les buts et les moyens que les

professionnels s’adaptent difficilement à cette double contrainte, la plupart du temps par

des processus d’évitement. Cette disproportion est par ailleurs souvent source de difficultés

voire de souffrances.

Le pouvoir :

C’est dans la bureaucratie professionnelle que le centre opérationnel a le plus de

poids sur la prise de décision, même pour les décisions importantes ou à caractère

stratégique. Le pouvoir est donc fortement décentralisé. Les dirigeants de l’organisation

n’en sont pas dépourvus, mais ils exercent un pouvoir qui ne s’appuie pas sur une autorité

réellement formelle mais qui repose sur les contacts entretenus entre la direction et les

acteurs extérieurs à l’organisation, sur la capacité à arbitrer les conflits, les tensions entre

les différents groupes de professionnels.

Les acteurs extérieurs ont peu d’influence sur l’organisation (par exemple les

pouvoirs publics). La qualification élevée des professionnels leur permet de résister à cette

influence en arguant du manque de compétence de ces acteurs extérieurs pour prendre des

décisions.

86 MINTZBERG emploie le terme de « marché », nous préférons retenir celui du public, plus habituel pource secteur et moins empreint de l’idée de secteur marchand.

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Dans le secteur médico-social le pouvoir est centralisé, surtout en ce qui concerne

les décisions d’ordre administratif et d’organisation. Le centre opérationnel87 dispose

cependant, ici aussi, d’un contre-pouvoir fort, du fait de sa qualification et de sa

spécialisation. Il lui est tout à fait possible de résister passivement à certaines décisions

dont l’exécution est difficile à contrôler pour des néophytes. Dans les structures de taille

importante, la répartition du pouvoir suit un mode complexe qui n’est pas le reflet exact de

la ligne hiérarchique, comme dans toute grande organisation : pouvoir de ceux qui ont le

savoir, la technique, des syndicats, des groupes divers de pression…en fonction aussi

d’éventuelles alliances locales et politiques.

Dans d’autres institutions, le pouvoir est très centralisé et fort, et les dirigeants ont

les moyens de faire appliquer leurs décisions, les professionnels peuvent se garder des

« zones d’incertitude 88» mais elles restent limitées. C’est parfois le cas des structures où

les dirigeants sont issus professionnellement du centre opérationnel, leurs compétences

leur permettant de contrôler la mise en place effective des décisions.

Dans certaines institutions le pouvoir peut être décentralisé, mais il s’agit la plupart

du temps de petites organisations. Dans les plus grandes, les tentatives de solliciter la

participation de tous les acteurs pour la prise de décision restent souvent expérimentales,

parfois décevantes, sans effet réellement général ou elles ont du mal à impliquer la totalité.

Comme toute modélisation, cette description est réductrice : il est difficile de

résumer dans un seul modèle la diversité des institutions du secteur et il convient de ne pas

la généraliser à l’ensemble des organisations du secteur médico-social. Certaines d’entre-

elles demeurent de forme missionnaire, d’autres ont déjà évolué vers l’adhocratie. La

plupart cependant présentent principalement des caractéristiques de la bureaucratie

professionnelles mêlées à quelques aspects missionnaires ou adhocratiques.

La critique principale que l’on peut formuler à la bureaucratie professionnelle telle

qu’elle s’est développée dans le secteur médico-social est sa rigidité et son manque de

potentialité d’adaptation. Elle ne parvient pas à s’adapter à l’évolution des besoins, des

techniques et des pratiques. Elle est souvent décontenancée devant l’évolution de

l’environnement et face à des situations complexes d’usagers.

87 Pour MINZBERG, le centre opérationnel est constitué par les professionnels directement etquotidiennement en contact avec le public, donc ici avec l’usager. Ce sont eux qui effectuent le travail debase, la production de services.

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Elle ne permet pas un travail en réseau ou en partenariat véritable et échoue donc à

adopter une démarche d’approche globale.

2.4.1.2. L’hétéronomie :

Pour CASTORIADIS89, presque toutes les sociétés humaines sont instituées dans

l’hétéronomie, c’est à dire en l’absence d’autonomie. La délibération collective n’existe

pas. La loi ou l’institution est donné par quelqu’un d’autre (hétéro). Bien sûr l’institution

n’est pas « donnée » par quelqu’un d’autre mais est la création de la société. Mais la

plupart du temps, la création de cette institution est imputée à une instance extra-sociale,

ou, en tous les cas, échappant au pouvoir et à l’agir de ceux qui la vivent au présent. Cette

instance peut être les héros fondateurs, des instances impersonnelles.

De la Déclaration des droits de l’homme qui disait en préambule : « la souveraineté

appartient au peuple, qui l’exerce soit directement, soit par le moyen de ses

représentants », nous avons oublié le « directement » pour ne garder que « représentants ».

Si les représentants sont bien évidemment nécessaires, ce n’est qu’en complément d’une

délibération collective. Le représentant n’a pas légitimité à faire et décider à la place, il a

seulement la légitimité à traduire, porter et rassembler la parole de chacun et de tous.

Partant du principe que la loi s’impose à tous, les décisions sont prises sans

consultation. Hors, la loi s’impose à tous, seulement si tous ont pu participer à son

élaboration et si tous, à un moment donné, peuvent la dénoncer en sachant que si leur

argumentaire rallie suffisamment de monde, elle sera reconsidérée.

Dans la création des institutions de type bureaucraties professionnelles, le procédé

reste le même. Les règles ne sont pas élaborées en commun : elles viennent d’une instance

vécue comme extérieure : conseil d’administration, pouvoirs publics. La hiérarchie assure

le lien entre ces instances et le centre opérationnel et elle doit traduire en mesures

concrètes pour les acteurs, les décisions prises « en haut lieu ».

Si désaccord il y a, il se traduit rarement par une tentative de modifier la règle, mais

plutôt par une réaction qui peut prendre plusieurs formes : augmentation des « zones

d’incertitude », immobilisme ou activisme, mise en place de contre-pouvoir… De

nombreuses institutions médico-sociales sont issues d’organisations missionnaires où le

88 CROZIER M., FRIEDBERG E. : « L’acteur et le système », Editions du Seuil, Paris, 1977

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seul mode de coordination était l’adhésion aux mêmes valeurs. Mais là aussi l’injonction

était souvent paradoxale : « aime ton prochain comme toi-même » a dû culpabiliser bien

des professionnels !

Dans le secteur médico-social, il n’est pas envisageable qu’une règle instaurée une

fois pour toute permette de choisir quelle action doit être menée pour répondre à chaque

besoin : la réponse (l’offre) ne peut être standardisée. C’est le propre de toute situation

complexe. Il semble que les pouvoirs publics, avec les restrictions budgétaires, tentent

dorénavant de passer d’une « dynamique de l’offre » à une « dynamique du besoin ». Mais

s’interroger sur les besoins, cela nécessite, en revanche, que l’on s’interroge aussi sur les

normes et sur leur possible remise en cause90. L’évaluation peut permettre de le

faire…mais avec des personnes autonomes et dans une démarche pluraliste !

Cela doit s’accompagner, parallèlement, de la mise en place d’une organisation

différente : l’adhocratie décrite par MINTZBERG91 peut offrir cette nécessaire souplesse,

si la préoccupation permanente de démocratie y est réellement intégrée.

2.4.2. … au profit des adhocraties démocratiques, réponses au complexe :

2.4.2.1. L’adhocratie démocratique :

L’objectif de l’adhocratie est de répondre au mieux aux besoins de son public (d’où

la racine ad hoc). MINTZBERG l’appelle aussi « organisation innovatrice ». C’est, selon

l’auteur, la seule capable d’innovations sophistiquées : ce dont a besoin le secteur médico-

social à notre avis. Par sophistiqué, nous n’entendons pas qu’il est nécessaire de mettre en

place des programmes compliqués et embrouillés, mais plutôt raffinés et subtils,

adaptables, capables de souplesse et d’invention. MINTZBERG parle de discontinuités et

de chaos préparant l’adhocratie. Elle se place en rupture avec les modes d’action

préétablis. Son contexte se caractérise par une grande complexité et une imprévisibilité de

l’évènement à traiter.

89 CASTORIADIS C., Pour un individu autonome, op. cité, p 14, p 161.90 OFFREDI C., op cité, p 260.91 MINTZBERG, op. cité, p 285

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Certains établissements ou services du secteur médico-social présentent les

caractéristiques de l’adhocratie. Nous présentons dans la suite de ce travail, une synthèse

de ce que décrit MINTZBERG et de ce que nous connaissons sur le terrain.

La structure :

Les professionnels de l’adhocratie médico-sociale sont qualifiés, voire hautement

qualifiés, grâce à des formations en cours d’emploi. Ils bénéficient de formation continue

et de moyens d’analyser leurs actions et leurs résultats dans une idée d’apprentissage

permanent. L’organisation favorise le retour sur l’expérience vécue et son analyse, au

besoin par un soutien extérieur (analyse de pratique, supervision, évaluation participative).

Cette organisation pourrait être qualifiée d’organisation apprenante : mais ce qualificatif a

parfois été attribué à des organisations imposant « l’apprentissage de l’autonomie » comme

une nouvelle technique de management92 et culpabilisant à terme ceux qui ne parvenaient

pas à atteindre les objectifs. Pour notre part nous préférons parler de la païdeia que nous

avons déjà mentionnée avec CASTORIADIS93.

Dans le médico-social, des contraintes budgétaires limitent cependant la mise en

place de formations en interne et en continu, malgré tout l’intérêt qu’elles représentent en

terme d’apprentissage collectif.

Dans l’adhocratie, la coordination se fait principalement par ajustement mutuel,

mais sur des temps formalisés. L’ajustement n’est pas facultatif : il est indispensable et

continu. Il permet de réorienter l’action si besoin. La démarche interdisciplinaire favorise

cet ajustement mutuel et l’apport de points de vue variés mais complémentaires, sans

prévalence d’un participant sur l’autre, et avec l’implication de l’usager et la consultation

de ses représentants. Par exemple, suivant la situation, l’analyse médicale peut présenter

autant d’intérêt que celle du moniteur de sport ou de l’aide soignante, chacune apportant

des éléments pour aboutir à une image la plus globale possible.

Plus que des objectifs, c’est le système de valeurs et les principes de travail qui

fondent l’action et qui se réinterrogent au fur et à mesure. Ce type de coordination est bien

entendu plus facile à mettre en œuvre dans des petites équipes, sinon il est souvent

nécessaire que les différentes actions soient suivies et coordonnées par une personne

ressource. Certains mécanismes de liaison sont assurées par des personnes désignés pour

92 Cf l’entreprise Danone et LE GOFF, op. cité.

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cette fonction : les chargés de mission des nouveaux Dispositifs pour une Vie Autonome

(DVA) départementaux en sont un exemple (même si pour l’instant, les DVA n’ont pas

obtenu les résultats escomptés, pour d’autres raisons).

L’adhocratie n’hésite pas à chercher une solution en externe, mettant en place de

nouvelles coopérations et partenariats. Elle repère ses limites, comme elle connaît les

possibilités de ses partenaires. Les interventions des uns et des autres sont concomitantes,

connues et coordonnées.

Le public :

Le public, nous l’avons vu, est à la fois complexe et instable. Ses besoins et

demandes peuvent varier de façon imprévue, dans un environnement complexe. Il

nécessite la mise en commun de savoirs et de compétences diverses, mais aussi une

recherche, voire une invention ou une élaboration, en continu, de la réponse satisfaisante. Il

est impliqué dans la démarche qui le concerne.

Les buts :

Rarement très opérationnels du fait de la complexité et de l’instabilité, ils sont

néanmoins ébauchés au cours de la négociation/ajustement mutuel et basés sur des valeurs

partagées qui réunissent les acteurs autour d’un « bien commun » identifié (le respect, le

libre choix, la possibilité de progression…).

Les projets sont cependant traduits en objectifs intermédiaires, élaborés avec

l’usager.

Le pouvoir :

Au sein de l’adhocratie, le pouvoir est largement décentralisé. Les décisions se

prennent après négociation. Il existe néanmoins une hiérarchie qui a plus une fonction de

gestion humaine, d’harmonisation (voire de gestion des conflits). Elle organise la

négociation et la coopération, ainsi que les relations et la communication avec l’extérieur.

Elle a plus un rôle de pédagogue comme nous l’avons défini précédemment.

A la lecture de cette description, l’adhocratie peut faire figure d’organisation

« idéale » ou « rêvée ». A la réalité, elle est très exigeante et suppose un état de « veille »

pour que cette souplesse d’adaptation se maintienne. Elle suppose aussi, et là nous nous

93 CASTORIADIS C., Pour un individu autonome, op. cité, p 16

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éloignons du modèle de MINTZBERG, que la démocratie soit réelle et non confiée aux

seuls experts…

Elle suppose que les individus s’interrogent en permanence pour savoir s’ils

agissent en accord avec leurs règles (nomos) et non emportés par une passion ou par un

préjugé et si leur action est réalisable compte tenu des contraintes et opportunités de

l’environnement. Elle nécessite la participation et l’implication de tous pour confronter le

système de valeurs de chacun à celui de la collectivité et éventuellement le redéfinir.

Cette exigence est traduite par CASTORIADIS94 : « une société démocratique doit

savoir qu’il n’y a pas de signification assurée, qu’elle vit sur le chaos, qu’elle est elle-

même un chaos qui doit se donner sa forme, jamais fixée une fois pour toutes. C’est à

partir de ce savoir qu’elle crée du sens et de la signification. » Cette remise en question du

sens, permet la création de significations nouvelles et du coup, peut être très motivante

pour les acteurs et dynamisante. Mais en revanche, elle n’est jamais « reposante » : il n’est

pas possible dans cette optique d’adaptation continue à l’évolution des besoins et de remise

en question du sens, de s’installer dans une pratique définie une fois pour toute. Elle

demande que l’expression et le développement des différentes autonomies (usagers,

professionnels, organisation) soient institués comme projets communs et interdépendants,

véritable projet global d’autonomie pour l’institution médico-sociale.

2.4.2.2. Le projet d’autonomie :

Ce projet d’autonomie global nous semble donc en cohérence avec les fondements

définis par la loi n°2002-2. Sa poursuite -plus que sa réalisation car l’autonomie est en

constante construction, son développement ne s’arrête pas- permet une démocratisation de

l’institution. Chaque acteur retrouve sa légitimité politique, sa place de citoyen : l’usager,

le représentant de l’usager, comme le professionnel. Mais il ne s’agit pas de confondre

démocratie et démagogie.

La démocratie est exigeante : elle nécessite une préparation, une éducation

continue, la païdeia active dont parle CASTORIADIS, processus politique éducatif, qui

n’est ce qui se pratique ni dans les institutions d’éducation ordinaires, ni dans les

94 CASTORIADIS, La montée de l’insignifiance, op. cité, p 65

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institutions médico-sociales.95». L’individu -ou la société- est autonome non seulement si

il/elle sait élaborer ses lois, mais aussi si il/elle est en mesure de les remettre en cause.

C’est à cela que l’éducation doit préparer.

L’évaluation pluraliste peut contribuer à cette éducation, elle peut permettre

l’apprentissage de capacités collectives nouvelles, comme la remise en questionnement de

l’action et des normes.

Cela nécessite aussi que l’encadrement accepte de prendre le risque de déstabiliser,

« d’ordonner le chaos », de remettre en cause ses propres savoirs et acquis. Ceci concerne

aussi les professionnels installés dans des certitudes figées qu’ils justifient par une

connaissance théorique.

Ce projet d’autonomie suppose aussi, comme CROZIER et FRIEDBERG96 l’ont

relevé, que le pouvoir et le leadership ne soient pas concentrés entre les mains d’un seul.

Les occasions de prendre des initiatives, de participer aux décisions et à leur application,

d’assumer des responsabilités doivent être procurées au plus grand nombre pour diminuer

le risque d’élitisme et pour rendre l’ensemble plus fluide et plus adaptable. C’est le pouvoir

de tous qui peut combattre les abus de pouvoir d’un seul.

Mais permettre à un nombre de plus en plus important de personnes d’entrer dans le

jeu des relations de pouvoir, avec plus d’autonomie, de liberté et de choix possibles,

suppose aussi que l’on renonce à la tranquillité -illusoire- de nos croyances et certitudes. Il

n’y a pas de savoir établi une fois pour toute, ni dans la façon d’analyser une situation, ni

dans la façon de réaliser l’action97. Cela entraîne une ouverture vers une réelle

interdisciplinarité, bien au-delà des disciplines admises traditionnellement dans l’action

médico-sociale, et non plus une pluridisciplinarité, juxtaposition d’interventions et

d’expertises.

95 MICHEA J.-C., L’enseignement de l’ignorance, Micro-Climats, Castelnau-le-lez, 1999, p 14. MICHEAcritique vivement le système scolaire actuel qui ne permet pas, justement, cet apprentissage de la démocratie :« On entendra ici, par « progrès de l’ignorance », moins la disparition de connaissances indispensables ausens où elle est habituellement déplorée(…) que le déclin régulier de l’intelligence critique c’est-à-dire cetteaptitude fondamentale de l’homme à comprendre à la fois dans quel monde il est amené à vivre et à partir dequelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale ».96 CROZIER M., FRIEDBERG E., L’acteur et le système, op. cité, p 435.97 GUILLEBAUD J.-C., La refondation du monde, 1999. « La rationalité scientifique, comme modèle deconnaissance, se voit investie d’un magister disqualifiant tous les autres. Elle est « totalitaire » en ce sensqu’elle ne reconnaît aucune légitimité aux autres façons (intuitives, poétiques, métaphysiques, mystiques ouautres) d’appréhender le réel. »

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84

Cette adhocratie démocratique, développant ce projet d’autonomie, donne aux

acteurs le pouvoir et les capacités de répondre au complexe, de trouver et inventer la

réponse satisfaisante à chaque nouveau besoin, non pas parce que les acteurs y sont plus

compétents, mais parce que toutes les compétences sont sollicitées, là où le besoin s’en fait

sentir, et qu’elles se développent continuellement, au fur et à mesure.

Conclusion :

Nous avons tenté, tout au long de ce travail, de développer comment nous pensions

possible de mettre en œuvre la loi 2002-2 en relevant l’enjeu de démocratie qu’elle nous

présente.

Certes cette loi, comme beaucoup d’autres, n’est pas exempte d’ambiguïtés et de

contradictions. Le contexte dans lequel elle a été publiée n’est bien sûr plus le même que

celui de la loi de 1975, il a évolué de manière radicale. On peut craindre, à travers certains

dispositifs de la loi 2002-2, qu’elle prépare l’harmonisation des services, sur le plan

européen puis mondial. Cette harmonisation peut elle-même précéder une

commercialisation d’une partie de ces services. Les Accords Généralisés sur la

Commercialisation des Services qui vont se discuter bientôt à l’OMC (organisation

mondiale du commerce) le font légitimement craindre. Ce qui s’est passé dans certains

pays, et en particulier aux Etats-Unis, et chez nous dans le sanitaire, nous alerte aussi à

juste titre.

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De nombreux professionnels98 ont exprimé leur inquiétude sur ce point et nous les

rejoignons.

Certains dispositifs et mesures de la loi 2002-2 attirent particulièrement l’attention

sur ce risque : le contrat de séjour et le « coût prévisionnel des prestations offertes », les

« recommandations de bonnes pratiques professionnelles », le désengagement des autorités

de financement concernant l’effectif du personnel, l’évaluation elle-même (celle-ci peut

être pratiquée, nous l’avons vu, dans des optiques totalement différentes)… Nous savons

par exemple que plus le contrôle qui s’exerce sur une organisation est puissant (et

l’évaluation peut parfois n’être qu’un contrôle déguisé) et plus la structure de cette

organisation risque d’être centralisée, formalisée99 et rigide, et donc inapte à s’adapter à

l’évolution du contexte et des besoins de ses usagers, incapable d’innover.

Nous ne devons pas sous-estimer la portée de ces mesures et les risques que les

ambiguïtés et contradictions de la loi entraînent.

En revanche, la définition des principes fondamentaux de l’action sociale et médico-

sociale ne peut que recueillir notre accord et notre adhésion. Il nous semblerait d’ailleurs

essentiel que cela soit le cas de l’ensemble des acteurs et ces fondements n’ont pas, à notre

connaissance, fait l’objet de remise en question radicale. Mais nous devons les confronter à

nos pratiques et à notre action. Pour notre part, c’est sur ces principes fondamentaux que

nous souhaitons nous baser pour la mise en œuvre de la loi 2002-2 dans les établissements

que nous dirigeons.

C’est ainsi que nous considérons possible de lever les ambiguïtés de la loi : en

interrogeant, en permanence, à chaque mise en place des dispositifs énoncés, ces principes

et en sollicitant les acteurs concernés lors de cette interrogation.

Il nous semblera alors peut-être plus cohérent de mettre en place un contrat de séjour

engageant réellement deux parties, de faire participer les usagers à l’élaboration du

règlement de fonctionnement, d’adopter une démarche d’évaluation pluraliste plutôt que

98 RAMI H., Le Medef a déjà gagné… , dans : ASH, 20 septembre 2002, n° 2277 LALLEMAND D., Congrès de Montpellier : le travail social face à la mondialisation dans ASH, 30 août2002, n° 2274, p25-2899 MINTZBERG, op. cité.

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gestionnaire et quantitative100… et donc, de manière générale, de poursuivre et développer

un projet d’autonomie dans une organisation démocratique.

Cela n’est pas inconciliable avec un contrôle des dépenses plus adapté : à l’intérieur

des institutions, les acteurs doivent être plus informés des questions budgétaires et en

capacité de faire, là aussi, les choix qui les concernent (sans leur faire assumer cependant

des responsabilités qui ne sont pas les leurs en matière de restrictions éventuelles, comme

cela a été fait lors de l’épisode caniculaire de cet été 2003 !).

Nous pensons que nous avons cette possibilité de développer ce projet d’autonomie

dans des organisations démocratiques, cette liberté nous appartient encore, ainsi qu’aux

acteurs qui nous entourent, s’ils le souhaitent.

Mais ce n’est pas, nous l’avons vu aussi, pratique courante dans ce secteur social et

médico-social où ni les professionnels, ni les usagers ne sont en situation de développer

leur autonomie, dans la plupart des situations. C’est donc aux responsables de traduire les

enjeux de cette loi et de mettre en place cette païdeia active dans les institutions. Mais

c’est un changement important et nous savons que ce travail n’est ni facile, ni sécurisant et

certains peuvent préférer rester dans un fonctionnement connu, même si parfois il peut

générer une certaine sorte de souffrance, par les injonctions qu’il induit.

Cela nécessite non seulement un changement de mentalité et une remise en question

des pratiques, mais aussi une ouverture à d’autres disciplines. Cette ouverture peut être le

garant d’une analyse plus fine des problématiques complexes. Celles-ci s’inscrivent à

présent dans un contexte qui a évolué considérablement, mais qui continue de le faire.

Cette transdisciplinarité favorisera aussi l’innovation car elle sera un moyen de sortir

de la conformité dont nous savons qu’elle freine la créativité101.

Poursuivre ce projet d’autonomie et de démocratisation des organisations, c’est enfin

se manifester et reconnaître comme homme libre et digne, à l’intérieur et à l’extérieur des

institutions. Mais la liberté n’est pas facile : la liberté c’est l’activité et l’homme est un

animal paresseux ! « La liberté, c’est une activité qui en même temps s’autolimite, c’est-à-

100 Jusqu’à présent, rien, dans les projets de décrets à paraître, peut nous faire penser que cela ne sera paspossible.101 FUSTIER P., Pratique de la créativité, ESF, Paris, 1991

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dire sait qu’elle peut tout faire mais qu’elle ne doit pas tout faire. C’est cela le grand

problème de la démocratie et de l’individualisme102 ».

102 CASTORIADIS C., Contre le conformisme généralisé, dans : Manière de voir : Penser le XXIème siècle,Le Monde Diplomatique, Juillet/Août 2000, p 18-21

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