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Menaces potentielles sur les approvisionnements énergétiques Jean-François Coustillière* L’approvisionnement énergétique d’un pays recouvre de nombreuses ressources. Dans cet exposé nous nous limiterons au pétrole, aux gaz et à l’électricité. L’uranium, les terres rares et d’autres encore entrent dans la catégorie des ressources énergétiques mais relèvent de processus d’approvisionnement différents car les quantités considérées n’ont pas la même ampleur. Cet approvisionnement est dépendant de nombreux paramètres économiques, politiques, financiers, géographiques etc .. Il est également vulnérable à des menaces qui visent à empêcher sa délivrance ou à le confisquer. Il s’agit principalement de conséquences de situations conflictuelles, d’actions volontaires d’Etats hostiles, d’actes terroristes et de piraterie. Je vous propose d’identifier ces menaces qui pèsent sur l’approvisionnement des pays méditerranéens puis de les illustrer par des cas concrets récents afin d’en mesurer l’impact potentiel sur les économies de la région. Enfin, nous évoquerons les pistes des moyens à mettre en œuvre pour s’en prémunir. Préambule stratégique Sous l’effet conjugué de la pression démographique et de la croissance économique, le système énergétique de la région méditerranéenne fait face à de fortes tensions, qu’il s’agisse d’approvisionnement, de transport, de distribution ou de consommation. Il faut s’attendre d’ici 2025 à une très forte croissance des demandes énergétiques commerciales primaire et électrique en Méditerranée (+2% par an), concentrée dans les PSEM (+4% par an). Ces demandes seront satisfaites pour 87% par des énergies fossiles, avec une part croissante du gaz naturel, sans toutefois permettre une réduction des besoins en pétrole et en charbon. Les énergies renouvelables ne représentant qu’environ 4% en 2025. Le taux de dépendance vis-à-vis du pétrole produit à l’extérieur de la Méditerranée pourrait faire un bond à 90% en 2020. La Méditerranée doit s’attendre à un regain de ses préoccupations de sécurité d’approvisionnement. Le passage d’une situation de dépendance limitée à une situation de dépendance extérieure massive va en effet contribuer à modifier les conceptions géostratégiques Le détail des flux pétroliers et gaziers maritimes met en évidence les voies de passages suivantes : Ormuz : venant du Qatar, d’Arabie saoudite et d’Iran ; Bad El Mandeb : remontant vers la Méditerranée via le canal de Suez ; Policy Paper 3/2019 * Analyste géopolitique euro-Méditerranée . BULLETIN_CEMI_03_FR.indd 1 17/06/19 09:21

Menaces potentielles sur les approvisionnements énergétiques · Ainsi, la fermeture du canal de Suez en 1967, du fait de la guerre du Kippour, avait provoqué une augmentation brutale

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Menaces potentielles sur les approvisionnements énergétiques

Jean-François Coustillière*

L’approvisionnement énergétique d’un pays recouvre de nombreuses ressources. Dans cet exposé nous nous limiterons au pétrole, aux gaz et à l’électricité. L’uranium, les terres rares et d’autres encore entrent dans la catégorie des ressources énergétiques mais relèvent de processus d’approvisionnement différents car les quantités considérées n’ont pas la même ampleur.

Cet approvisionnement est dépendant de nombreux paramètres économiques, politiques, financiers, géographiques etc .. Il est également vulnérable à des menaces qui visent à empêcher sa délivrance ou à le confisquer. Il s’agit principalement de conséquences de situations conflictuelles, d’actions volontaires d’Etats hostiles, d’actes terroristes et de piraterie.

Je vous propose d’identifier ces menaces qui pèsent sur l’approvisionnement des pays méditerranéens puis de les illustrer par des cas concrets récents afin d’en mesurer l’impact potentiel sur les économies de la région. Enfin, nous évoquerons les pistes des moyens à mettre en œuvre pour s’en prémunir.

Préambule stratégique

Sous l’effet conjugué de la pression démographique et de la croissance économique, le système énergétique de la région méditerranéenne fait face à de fortes tensions, qu’il s’agisse d’approvisionnement, de transport, de distribution ou de consommation. Il faut s’attendre d’ici 2025 à une très forte croissance des demandes énergétiques commerciales primaire et électrique en Méditerranée (+2% par an), concentrée dans les PSEM (+4% par an). Ces demandes seront satisfaites pour 87% par des énergies fossiles, avec une part croissante du gaz naturel, sans toutefois permettre une réduction des besoins en pétrole et en charbon. Les énergies renouvelables ne représentant qu’environ 4% en 2025.

Le taux de dépendance vis-à-vis du pétrole produit à l’extérieur de la Méditerranée pourrait faire un bond à 90% en 2020. La Méditerranée doit s’attendre à un regain de ses préoccupations de sécurité d’approvisionnement. Le passage d’une situation de dépendance limitée à une situation de dépendance extérieure massive va en effet contribuer à modifier les conceptions géostratégiques

Le détail des flux pétroliers et gaziers maritimes met en évidence les voies de passages suivantes :

Ormuz : venant du Qatar, d’Arabie saoudite et d’Iran ;

Bad El Mandeb : remontant vers la Méditerranée via le canal de Suez ;

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* Analyste géopolitique euro-Méditerranée .

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Bosphore : venant de Russie, des ex-républiques soviétiques ;

Gibraltar : venant d’Algérie pour approvisionner les Etats-Unis et l’Europe du Nord.

Le gazoduc et l’oléoduc constituent des modes de transport techniquement et théoriquement assez sûr. En effet, discret et protégé par nature car le plus souvent enterré, l’oléoduc peut certes faire l’objet de ruptures accidentelles ou provoquées, mais ces détériorations peuvent être rapidement réparées. La véritable vulnérabilité d’un oléoduc est son tracé, définitivement figé, en particulier lorsqu’il est international.

Identification des menaces

Du fait des circonstances des instabilités et tensions locales

Pour les flux maritimes, la proximité de régions instables peut engendrer des conséquences défavorables à un approvisionnement sûr. Ainsi, la fermeture du canal de Suez en 1967, du fait de la guerre du Kippour, avait provoqué une augmentation brutale de la durée des transports (Il faut 2,5 fois plus de temps pour acheminer du pétrole vers l’Europe par le cap de Bonne Espérance que par le canal de Suez) et donc des coûts. La flotte des pétroliers dût s’adapter, en augmentant le tonnage, à la nouvelle route. Le retour à la normale, dont la résorption de l’excès capacitaire, attendit 1989 soit 9 ans après la réouverture du canal en 1975.

La fermeture du canal avait également conduit à un minage de ses approches. Le déminage dura 15 mois, avec l’aide des marines américaines, britanniques et françaises, permettant de retirer 45 500 mines.

Les premiers navires à transiter le faisait ainsi dans des chenaux assainis.

En revanche, ni la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1984, et cela en dépit des menaces iraniennes récurrentes de fermer Ormuz, ni la guerre américaine contre l’Irak en 2003 n’ont entrainé de rupture du trafic maritime pétrolier.

Concernant les gazoducs et les oléoducs, la région de Méditerranée orientale est desservie par un réseau qui traverse ou se situe à proximité de zones particulièrement instables. Il en est de même pour la région nord-africaine frontalière de l’espace sub-saharien.

Cela s’observe clairement au Niger, où le Delta connaît en effet un conflit sans cesse violent. Une contestation d’obédience ethnique et cultuelle qui a toujours revendiqué un partage équitable des revenus pétroliers. Elle s’est distinguée à maintes reprises, par le «sabotage d’oléoducs» et la «prise d’otages» comme un «moyen» d’appuyer ses exigences politiques et économiques.

C’est également le cas en Egypte où le gazoduc fournissant Israël et la Jordanie a subi en juillet 2012 sa 15e attaque depuis 2011 ; en Turquie où l’oléoduc transportant du pétrole irakien dans le sud-est du territoire subit régulièrement des attaques attribuées aux rebelles kurdes mais aussi au Nigéria où le champ OML 56 de Total a été dévasté en 2002 par des centaines de jeunes hommes (les youths) de la communauté Itsekeri avoisinante.

Néanmoins ces actions restent ponctuelles et sans réelle effet sur l’approvisionnement de la région méditerranéenne.

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Du fait d’actions étatiques hostilesSi la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988 n’a pas conduit à une rupture de l’approvisionnement pétrolier mondial, elle a donné la démonstration qu’il peut être tentant pour des belligérants d’utiliser la perturbation du trafic maritime pétrolier comme une arme.

D’avril 84 à jan 86 Irak bombarde des pétroliers iraniens et le terminal Kharg, le plus gros exportateur de pétrole de la République islamique, les Iraniens répliquent en bombardant les ports koweitiens et saoudiens alors alliés de l’Irak. Les Etats unis sont conduits à accroitre leur aide aux Irakiens et à durcir leurs sanctions contre l’Iran.

Dans le même temps, des mines sont mouillées. Le supertanker Bridgeteon saute sur une mine le 24 juillet 1987 mettant ainsi en évidence le mouillage de ce type d’engins. D’ailleurs le 21 septembre 1987 un navire iranien Iran-ajr est surpris en train de mouiller des mines dans les eaux internationales, il est coulé par la marine américaine. Cela entraîna une réaction des marines occidentales pour stopper ces opérations et déminer les eaux internationales.

Ce que l’on désigne par guerre des pétroliers a vu 259 pétroliers ou méthaniers attaqués, sur un total de 340 attaques, à partir de l’année 1984.

120 marins furent tués, 167 blessés et au moins 37 disparus du fait de ces attaques.

Au total, 543 navires furent attaqués de 1980 à 1988, dont 62% par l’Irak.

En 1987, 34 navires sont touchés. La circulation dans le Golfe devient impossible. L’agression sur l’USS Stark le 17 mai 1987 amènera le Président Reagan à proclamer la nécessité de sécuriser la libre navigation dans le détroit d’Ormuz. Ceci fut fait sous l’égide l’ONU.

La destruction de quelques navires ne serait donc pas à ce jour suffisante pour véritablement désorganiser le trafic maritime pétrolier mondial. Seul un conflit de grande ampleur, qui conduirait au blocage d’Ormuz, pourrait entraîner une rupture massive de l’approvisionnement pétrolier. En effet, ce détroit représente l’unique voie de sortie pour l’exportation du pétrole saoudien et iranien, car les moyens de transports terrestres ne suffisent pas à l’évacuation totale de ces ressources

Du fait d’actions terroristesLe mode d’action terroriste connaît une mise en œuvre toujours plus fréquente avec pour objectif de faire pression sur les pays occidentaux ou certains pays producteurs du Moyen Orient comme l’Arabie saoudite.

On peut identifier au moins cinq types de scénario visant :

- Les voies de passage pour stopper le trafic et perturber le marché. Le 1er août 1984, des explosions sont entendues dans le golfe de Suez et en mer Rouge. L’organisation terroriste Jihad islamique revendique, dans une communication téléphonique à l’A.F.P. à Paris, la responsabilité de ces explosions. Au total, dix-sept navires ont subi des dégâts plus ou moins importants. L’origine exacte des explosions restent mystérieuses. Pour autant, ces circonstances montrent à quel point la navigation pouvait se trouver menacée par une opération de minage qui conduirait à la suspendre ou la fermer.

- Des bateaux ou des plateformes pétrolières qui peuvent être pris pour cibles. C’est le cas du pétrolier français Limburg qui, le 6 octobre 2002, s’apprêtant à rentrer dans le port d’Ash-Shihr dans le golfe d’Aden et transportant 400 000 barils de pétrole brut saoudien, a été percuté par un bateau-suicide

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lorsqu’il était à environ 25 kilomètres des côtes. Un marin de l’équipage meurt dans l’attaque et douze autres ont été blessés. Il semble qu’il n’y ait pas d’autres exemples…Cependant, les détroits tels Ormuz, Bab el Mandeb et les canaux de Suez, de Gibraltar ou encore le Bosphore sont des voies de passage étroites, vulnérables à ce type d’attaque.

- Des installation portuaires ou côtières en se servant des navires comme armes après détournement. Ce scénario est particulièrement inquiétant car les ports étant le plus souvent au sein de villes, les dégâts humains pourraient être considérables ce qui valoriserait ce mode d’action aux yeux des terroristes. A ce jour, néanmoins, nous ne connaissons aucun exemple d’une telle action.

- Des oléoducs ou gazoducs ; les gazoducs et oléoducs d’Irak, d’Arabie séoudite sont régulièrement la cible d’Al Qaïda, tandis que les Vengeurs du Delta du Niger (NDA), un nouveau groupe rebelle séparatiste, multiplient au Nigéria les attaques contre les oléoducs... L’Etat islamique s’en prend à la Libye et parvient, après une répétition, à faire fermer les principaux terminaux libyens en 2016. A Bahreïn, le 11 novembre dernier, un oléoduc subit un sabotage très spectaculaire

- Des installations de production électrique ; la fourniture en électricité n’est pas épargnée. Par exemple, des attentats ont été commis en Italie dans les années 1990 contre des lignes électriques haute tension assurant l’interconnexion entre la France et l’Italie, en protestation contre la livraison d’électricité provenant du surgénérateur Superphénix alors que l’Italie avait abandonné complètement le nucléaire.

Dans ce domaine, il serait d’ailleurs peu raisonnable de ne pas analyser la vulnérabilité des installations à base d’énergie renouvelable. Vous avez dû entendre parler du projet Désertec, lancé à l’automne 2009 et destiné à produire 20% de l’électricité de l’Europe en 2050 grâce à un vaste réseau de parcs solaires et éoliens s’étendant sur toute la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Ces générateurs seraient connectés à l’Europe continentale par des lignes spéciales de transmission directe à haute tension. Ce projet a capoté.

Plus modestement le Maroc a lancé le projet Noor visant à couvrir 52 % des besoins énergétiques du pays d’ici 2030. La première tranche Noor 1 a été inaugurée, à Ouarzazate. Au demeurant quand les trois autres parties du projet seront terminés, la centrale devrait s’étendre sur 3 093 hectares. Soit une superficie de 3 437 terrains de football…Il y a fort à parier que cela constituera une cible de choix pour les terroristes et cette cible sera bien difficile à protéger.

Ce type d’action, à l’exception des navires transformés en bombes dans un port au centre d’une ville, n’aurait pas forcément un impact politique et stratégique important du fait de leur éloignement des principaux sites de concentration des intérêts des pays occidentaux qui sont les plus visés par ce type d’action. Elles sont malgré tout de plus en plus nombreuses depuis 2001 et peuvent cependant être fort dommageables aux économies locales comme elles le sont aujourd’hui en Irak, en Libye etc..

Du fait de la piraterie maritimeLa piraterie maritime est un phénomène qui a pris une ampleur considérable ces dernières années.

Quatre zones géographiques sont considérées comme à hauts risques. Tout d’abord l’Afrique occidentale (et notamment au Nigéria) ; puis les eaux du Sud-Est asiatique (Singapour, archipels philippins et indonésiens, mer de Chine méridionale). La mer des Antilles et les côtes d’Amérique latine, concernent plus particulièrement l’attaque des plaisanciers, et le trafic de drogue. Enfin, La piraterie somalienne, qui avait pris à une échelle industrielle en 2005, a connu son apogée en 2011. Ses attaques avaient

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très sérieusement perturbé la navigation internationale dans cette zone très fréquentée par les navires commerciaux

Le Bureau maritime international recense 239 actes de piraterie en 2006 sur les mers du globe. Les tankers sont régulièrement pris pour cibles notamment aux abords des détroits où le trafic est intense (réquisition des marchandises et revente sur marché noir). A titre d’exemple, le détroit de Bab-El-Mandab comptait 21 attaques en 2006.

Alors que depuis 2012 les attaques échouaient le plus souvent au large de la Corne de l’Afrique, l’Aris 13 était capturé le 1er mars 2017 par des pirates somaliens. Il transportait du pétrole et du gaz de Djibouti à Mogadiscio.

Dans le golfe de Guinée, Le nombre des attaques, au large du Nigeria, du Bénin et du Togo, est passé de 39 en 2010 à 62 en 2012. Le 18 janvier 2014, une entreprise de livraison grecque a perdu le contact radio avec un des navires de sa flotte, le Kerala, un pétrolier de 75.000 tonnes qui naviguait sous le drapeau du Libéria, alors que celui-ci ne se trouvait qu’à quelques kilomètres du port de Luanda, en Angola. Aujourd’hui le risque s’accroît dans le golfe de Guinée, principalement au Nigéria, avec des modes d’actions plus agressifs et une forte extension de leur rayon d’action.

Cette piraterie, si elle constitue un obstacle au libre commerce, n’affecte pas l’approvisionnement de la région méditerranéenne. Il convient cependant d’observer que ce phénomène est sans doute en partie contenu par les opérations militaires déployées pour s’y opposer.

Comment s’opposer à cette menace

Si la menace ne semble pas à ce jour suffisamment puissante pour remettre en cause l’approvisionnement énergétique de la région méditerranéenne, il convient de contenir son élargissement qui pourrait se révéler gravement dommageable.

Cette lutte passe évidemment par des démarches politiques et économiques afin de réduire les zones de tensions et de crises. L’enjeu est donc de stabiliser les régions productrices et d’assurer un meilleur dialogue de nature politique et stratégique entre pays producteurs et pays consommateurs. L’étroite imbrication entre zones de production et tensions de nature terroriste, sociale et géopolitique nécessite d’assurer une plus grande stabilité des principaux pays producteurs de pétrole. Si cette tâche ne relève sans doute pas purement et simplement du domaine militaire, elle comporte, à l’évidence, une dimension sécuritaire.

Il s’agit de développer la capacité à contribuer à la sécurité énergétique, par la protection des infrastructures énergétiques et des zones et voies de transit critiques, par une coopération avec les partenaires et par des consultations entre Alliés sur la base d’évaluations stratégiques et de plans de circonstance.

Les enjeux liés à la sécurité des approvisionnements en énergie sont trop importants pour laisser les Etats riverains seuls assurer la sécurité des détroits.

Les moyens militaires étrangers doivent s’impliquer et pour cela il convient de :

- Concentrer des bases militaires étrangères aux abords des détroits. La proximité de ces bases par rapport aux détroits permet une surveillance plus efficace. Les Etats-Unis disposent entre autres d’une base à Djibouti (Bab El-Mandeb), en Egypte (Canal de Suez), plusieurs en Arabie saoudite (Ormouz). Depuis 2001 et la politique internationale de lutte contre le terrorisme, on observe un

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redéploiement accru de ces bases dans ces zones «sensibles». La Chine multiplie ses bases militaires et on relève sa présence à Djibouti. Enfin, la base française de Djibouti assure en partie la sécurité du détroit de Bab El Mandeb, en accord avec les autorités locales.

- Contracter des accords de Coopération militaires pour la surveillance maritime qui permettent aux grandes puissances de participer à la surveillance des zones maritimes qu’elles considèrent comme «stratégiques» pour leur approvisionnement en énergie. Ces accords légitiment leur présence dans ces espaces.

- Contribuer à la formation des armées locales en matière de capacités navales, de lutte contre le terrorisme, de surveillance, de vigilance, de recherche de renseignements. Ainsi, L’Union européenne (UE) s’est mobilisée dans l’assistance des marines nationales de la région. A travers l’opération «Crimgo», la France, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni participent depuis 2013 à la formation de garde-côtes. Il s’agit aussi de développer la coordination entre eux dans tout le golfe de Guinée.

Enfin, cet enjeu étant multinational, il importe de planifier des opérations dédiées à la lutte contre les menaces qui pèsent sur nos approvisionnements énergétiques avec nos alliés et nos amis, telles l’Opération Ocean Shield (Bouclier de l’Océan) mise en œuvre de 2009 à 2014 par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) au large de la corne de l’Afrique, succédant à l’Opération Allied Protector ayant pour but la protection des navires marchands de la mission du Programme alimentaire mondial en Somalie ; Atalante mise en œuvre par l’Union européenne depuis décembre 2009, dans le cadre de la force navale européenne (Eunavfor) et de la PSDC, dans le but de lutter contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’océan Indien ou La Mission Corymbe, dispositif naval mis en place en 1990 par la Marine nationale française pour lutter contre la piraterie dans le golfe de Guinée.

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