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Métaphysique et théodicée chez Plotin. Remarques sur les travaux de Denis O'Brien

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Métaphysique et théodicée chez Plotin. Remarques sur les travaux de Denis O'Brien

Georges Leroux

Dialogue / Volume 35 / Issue 02 / March 1996, pp 293 ­ 306DOI: 10.1017/S0012217300008362, Published online: 13 April 2010

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How to cite this article:Georges Leroux (1996). Métaphysique et théodicée chez Plotin. Remarques sur les travaux de Denis O'Brien. Dialogue, 35, pp 293­306 doi:10.1017/S0012217300008362

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Critical Notices/Etudes critiques

Metaphysique et theodicee chez Plotin.Remarques sur les travaux deDenis O'Brien*

GEORGES LEROUX Universite du Quebec a Montreal

Les rapports de la philologie et de l'hermeneutique ont toujours constitueun probleme d'une redoutable complexity. Ce sont en effet les memestextes qui ont engendre a la periode moderne le developpement de lapensee de l'interpretation et les methodes de la critique. L'espoir de par-venir a la formulation satisfaisante et definitive du sens d'un texte setrouve constamment differe par la production incessante d'interpreta-tions nouvelles, qui utilisent souvent les ressources de la philologie pourse constituer et qui entrent en rivalite avec les precedentes. On peut serejouir de ce caractere immarcescible du proces de l'interpretation, onpeut aussi deplorer les echecs repetes de la philologie a le freiner. II y a en

* Denis O'Brien, Theodicee plotinienne, theodicee gnostique, Leyde, E. J. Brill(Philosophia antiqua, vol. LVII), 1993,117 p.;etPlotinuson the Origin of Mat-ter An Exercise in the Interpretation of the Enneads, Naples, Bibliopolis (Elen-chos,vol. XXII), 1991, 106 p.

Dialogue XXXV (1996), 293-306© 1996 Canadian Philosophical Association/Association canadienne de philosophie

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effet quelque 16gitimite a affirmer que la philologie travaille ultimementcontre l'hermeneutique, c'est-a-dire contre le deploiement infini de l'inter-pretation. Sa finalite est l'etablissement de l'interpretation universelle, samethode est la rigueur. Le developpement actuel de l'erudition, dans lecadre meme du travail de la philologie, rend cependant cette finaliteextremement problSmatique: la diversite et le volume des etudes pro-duites sur les textes de la tradition risquent de produire, par l'effet de lareproduction d'erreurs et de contresens, une accumulation immaitrisablede commentaires. Le but poursuivi sans cesse Schappe, chaque lecteur doitse demander quelles limites il veut apporter a la tension entre une inter-pretation ouverte et infinie et la recherche rigoureuse d'un sens stable.

Les travaux de Denis O'Brien portent la marque d'un ideal eleve derigueur. On ne s'etonnera pas de constater que cet iddal s'accompagnechez lui d'une impatience croissante a l'endroit de Pimprecision et del'ambiguite dans une erudition dont le but devrait etre precisement de leseradiquer. Sa methode ne reculera done devant aucun effort, si minutieuxsoit-il, pour redonner a la philologie le credit d'une science des textes,capable de pretendre a l'universalite de l'interpretation. Les discussionselaborees dans deux livres recents, Theodicee plotinienne, theodicee gnos-tique et Plotinus on the Origin of Matter, consacres tous deux a un corpusde textes metaphysiques de Plotin, constituent de bons exemples de cettemethode. Elles ne sont inspirees par aucune charite, elles ne menagentaucunement les interpretes rivaux, dont les erreurs et les contresens sontpoursuivis jusque dans les moindres details. Dans plusieurs cas, les exem-ples qu'il donne sont particulierement affiigeants, surtout quand ils sontle fait d'autorites reconnues. Par leur caractere exhaustif, les demonstra-tions fournies dans ces deux etudes ont certes quelque chose de fastidieux,mais le labeur consenti est recompense par une grande clarification sur leplan philosophique.

La premiere de ces etudes est consacree a la reconstruction de la theo-dicee de Plotin. Le recours a ce terme qui appartient a une autre traditions'explique par la structure metaphysique commune des arguments queD. O'Brien propose de reconstituer. II s'agit en effet de trois theses surl'ame, radicalement opposees en leur principe comme dans leur formula-tion particuliere aux theses de la theodic6e gnostique. Dans l'affronte-ment de la metaphysique neoplatonicienne et du mythe theologique de lagnose, les questions de la theodicee ne concernent pas tant l'existence oula nature du Premier Principe que l'origine du mal et de la matiere et ledestin de l'ame qui leur est mysterieusement associe. La theodiceerecoupe done aussi bien les propositions de la metaphysique speculativeque les recits du mythe de tradition platonicienne, notamment sur la des-cente de l'ame. Ces trois theses sont les suivantes: l'ame descend volon-tairement, l'ame engendre la matiere, l'ame illumine la matiere engendree.Toutes ces theses sont problematiques, et particulierement la deuxieme,

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en raison de l'obscurite de plusieurs textes de Plotin. Cette deuxieme thesefait egalement l'objet de la seconde etude, publi6e quelques annees plustot par l'auteur. Sur plusieurs points, ces deux etudes de D. O'Brien serecoupent et certains developpements sont repris de l'une a l'autre sansmodification importante. De la premiere a la seconde, on note cependantune amplification du propos et une volonte de produire une interpretationplus generate de la metaphysique de Plotin. Cet effort atteint-il son but?II contribue certainement a clarifier plusieurs difficultes importantes,mais beaucoup de travail reste a faire en vue d'une synthese susceptibled'integrer l'ontologie et le mythe dans la metaphysique de Plotin.

Le coeur de la difficult^ reside certes dans la densitd de plusieurs for-mules de Plotin et dans leur caractere souvent paradoxal, mais cela seraitcompter sans le contexte de redaction des traites antignostiques, quiconstituent dans ce dossier les textes les plus importants. Leur motif po-lemique varie d'un traite a l'autre, et la comparaison de ces traites avecdes traites plus ou moins contemporains dans Foeuvre meme de Plotinpermet de mettre en relief des variations importantes dans Tangle d'at-taque, dans le d6veloppement des arguments et dans la rhetorique de l'ex-pose\ On ne peut travailler ces textes sans tenir compte des arguments del'adversaire et l'erudition actuelle, stimulee en cela par le developpementremarquable des connaissances sur les mouvements gnostiques contem-porains de Plotin, progresse vers une comprehension toujours plusgrande du sens de l'interlocution avec la gnose1. Le travail de D. O'Brienconsiste d'abord a demontrer la coherence de la position de Plotin sur leplan strictement philologique; les aspects historiques, susceptibles d'etreeclaires par la recherche sur la gnose, sont deliberement laisses dans lamarge. Mais il y a plus. L'accent mis sur la coherence est ici considerableet O'Brien, contrairement a certains des interpretes contemporains qu'ilcritique, n'accorde pas beaucoup d'importance a l'usage strategique del'ambiguite dans l'argumentation des Enneades. Les variations de Plotinne revetent pas pour lui de signification essentielle pour l'ensemble deInterpretation.

La premiere these concerne le caractere volontaire de la descente del'ame (notamment dans les traites II, 9; IV, 8 et IV, 3). Cette questionappartient au reseau des quaestiones vexatae de l'interpretation : Tameest-elle libre de proceder vers les etats inferieurs de sa realisation et en par-ticulier vers le corps? Les questions du traite II, 9, presentees comme undilemme (II, 9, 8, 39-43), posent a la metaphysique un redoutable defi : siles gnostiques s'estiment superieurs a l'ame de l'univers, pourquoi pense-raient-ils que cette ame a pu les contraindre a descendre dans ce mondemauvais? Mais si les gnostiques sont venus volontairement dans ce mondemauvais, comment le justifier et pourquoi ne le quittent-ils pas? Cettequestion repercute l'alternative evoquee par Plotin dans un traite ante-rieur (IV, 8, 2, 5 sq.): le sejour de l'ame dans le monde resulte-t-il de la

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liberty ou n'est-il que l'effet de la necessit6 qui caracterise l'ensemble dela procession de l'etre?

Dans l'interpretation de ces textes difficiles, une premiere precautions'impose. Elle concerne le sens precis du concept de necessite dans la tra-dition neoplatonicienne. Interprete soucieux de conserver au monismeplotinien sa rigueur et sa radicalite, D. O'Brien a raison de maintenir quela necessite ne doit pas etre identifiee a la contrainte : toute la metaphy-sique de Plotin reside pr6cisement dans cette compatibility de la necessiteet de la liberte, dans la mesure ou la liberte est l'accomplissement de lanecessite de la nature. D. O'Brien montre a cet egard comment il est impos-sible de suivre l'interpretation de E. R. Dodds2, qui pensait que Plotinaurait evolue d'une position pessimiste, admettant le caractere volontaireet pecheur de l'ame (dans le traite II, 9 [33]), pour se reconcilier ensuiteavec une descente necessaire et done innocente (en IV, 3 [27]). Cette inter-pretation repose sur une erreur dans la chronologie des traites, erreur faci-lement rectified : Dodds avait note que le traite antignostique II, 9 etait levingt-troisieme dans la chronologie, alors qu'il est le trente-troisieme, cequi le place apres le traite IV, 3 et non avant. O'Brien montre au passageles effets deformants de cette erreur dans l'erudition subsequente, effetsqu'il devient difficile de corriger. Une evolution d'une liberte coupable versune necessite innocente n'est done que l'effet d'une reconstruction chro-nologique erronee. Si des textes plotiniens paraissent favoriser la descentevolontaire et par la mettent en peril la metaphysique de la necessite, il fautchercher une explication susceptible de produire une interpretation uni-taire. Pour D. O'Brien, cette interpretation est possible.

Dans cette analyse, D. O'Brien met en relief chez plusieurs interpretesune confusion plus determinante entre le choix et le vouloir : comprendreces concepts comme s'impliquant mutuellement, e'est se rendre aveugle aune des intuitions centrales de la doctrine grecque de la liberte. PourPlotin, comme pour Aristote, un acte volontaire n'est pas necessairementdelibere : il peut ne pas l'etre. II n'y a done pas de contradiction entre unedescente volontaire (p. ex. en IV, 7,13, 11 et V, 1, 1, 5) et une descente nondeliberee (IV, 3, 13, 17-18). Or tel est l'enseignement de Plotin sur la des-cente de l'ame, dans la mesure ou l'enjeu central de la metaphysique con-siste a maintenir le processus universel et necessaire de l'emanation a lafois immunise contre les caprices des entites gnostiques et compatible avecla liberte de l'ame, e'est-a-dire avec une liberte dont le concept est d'abordcelui du volontaire naturel, de l'elan. Cette position conduit a accepterune correction du texte en IV, 3, 13, 17, proposee par l'editeur allemanddes Enneades, W. Theiler, et soutenue avec justesse par D. O'Brien3. Cettecorrection permet de rendre toute sa coherence a l'enseignement dePlotin, tout en manifestant sa fidelite a l'heritage aristotelicien de Yekou-sion. Le volontaire ne contredit pas en effet le mouvement necessaire dela nature, il l'accomplit en s'y fondant, en s'y identifiant.

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II faut regretter que D. O'Brien n'ait pas tire occasion de cette partie deson etude pour exposer de maniere elaboree la synthese de son interpre-tation relative a ces questions de la volontS de la descente, sujet sur lequelil a deja beaucoup ecrit4. Au-dela en effet de la discussion avec la gnose,la position de Plotin est en elle-meme d'une grande richesse : elle nousmet en presence d'une metaphysique de la liberte qui, sans ecarter ledestin individuel, ne lui accorde pas la preseance. Plusieurs questions sepressent ici et Plotin a toujours paru soucieux de proteger une reellepensee de la liberte. Les formulations paradoxales ne sont pas rares a cetegard, par exemple dans le traite IV, 8 Sur la descente. Mais en enfermantles gnostiques dans le dilemme du choix et de la contrainte, Plotinn'exprime pour les contraster que les positions qui lui paraissent irrece-vables. Ni le choix, ni la contrainte ne sont acceptables. Aucun de ces con-cepts ne permet de penser l'essence superieure de la liberte, qui se situeau-dela des formulations dramatiques de la gnose.

Mais il y a plus. Comment determiner en effet un sens acceptable de lanecessite, un sens qui permettrait de conserver intact Yekousioril C'est latroisieme voie du traite IV, 8, cette «autre maniere». II ne s'agit pas duconcept moderne de liberte, certes — concept toujours deja marque par lacontingence — mais dans cette volonte naturelle, il se trouve plus qu'unesimple fidelite a la nature. L'interpretation de ce moment particulierementcrucial de la metaphysique, qui correspond a la tragedie de l'individua-tion, n'est pas facile a reconcilier avec le proces general de l'emanation.Meme quand on reussit a montrer, comme c'est le cas ici, que Plotin n'apas propose deux conceptions contradictoires de la descente, il resteencore a elaborer le sens de cette metaphysique de la liberte, dans lamesure ou elle est le corollaire de l'individuation et de la differentiation.Cela, D. O'Brien ne fait que l'esquisser. Pour trouver toute sa portee, soninterpretation doit done etre replacee dans un cadre plus general, celui-lameme de la theodicee qui est presupposee par le cadre general de la meta-physique neoplatonicienne et qu'on peut chercher a restituer en formulantquelques questions plus ouvertes.

Quelle ame en effet, ou quelles formes de l'ame sont libres de procederde la sorte? L'ame du monde et les ames individuelles representent lememe type d'etre, dans la mesure ou elles derivent toutes de l'amehypostatique5. Elles en sont cependant substantiellement differentes, enraison principalement de la difference de leurs pensees. L'univers possedeune ame unique, comme Plotin l'enseigne dans plusieurs traites (notam-ment IV, 3 et IV, 9) et si la liberte individuelle doit etre concevable, ce nepeut etre que dans une separation du destin global du monde de la vie.L'existence eternelle des formes des individus vient a cet egard conforterleur destin specifique. II est tres interessant de remarquer que la discussionplotinienne de Pindividualite a une portee d'abord ontologique et non pasethique : c'est le souci d'assurer, paradoxalement en la limitant, l'identite

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de Tame individuelle comme etre subsistant qui anime cette discussion,plus que l'exigence de donner un fondement a l'ethique. A aucun momentdans ces traites, la question de la liberte n'intervient de maniere determi-nante, tant le destin de l'individu parait participer du mouvement qui lediff6rencie, c'est-a-dire de la n6cessite meme qui sdpare les etres. Relieescomme les parties de l'lntellect (IV, 3, 5, 15-16), les ames demeurent tour-nees vers lui. Mais les ames individuelles ne conservent pas cette orienta-tion, bien qu'une partie d'elles-memes demeure orientee vers l'lntellect.

Cette question de la liberte dans la descente fait echo aux difficultesdeja presentes chez Platon, et Plotin ne manque pas de mettre en relief cequi lui semble un paradoxe (IV, 8, 1, 26). Les difficultes de la pensee dePlotin tiennent a plusieurs egards a la tradition dans laquelle il veut semaintenir, et non seulement a des apories intrinseques, decoulant d'uneexigence moniste radicale. Cet aspect est neglige par D. O'Brien. Qui nevoit en effet que Interpretation plotinienne du Phedre et du Timee est sti-mulee non seulement par ce qui lui parait une contradiction concernantla liberte — contradiction artificiellement dramatisee par le mythe — maispar le role du mythe lui-meme dans l'expression de la negativite et du pro-cessus de la difference? Peut-on, a la suite du Phedre, chercher a fonder laliberte du mythe dans la metaphysique? En interpretant les doctrines dePlaton sur ce sujet, Plotin en vient a la conclusion suivante : «[.. .] engeneral, la liberte dans la descente n'est pas contradictoire avec la con-trainte. C'est toujours involontairement que Ton va au pire, mais commeon y va par son mouvement propre, on peut dire que Ton subit la peinede ce qu'on a fait» (IV, 8, 5, 7-10).

Ce passage est important pour deux raisons : d'abord parce qu'il ren-force la compatibility metaphysique de la liberte et de la necessite, ensuiteparce qu'il fait intervenir une responsabilite qui est de l'ordre de la faute.Dans cette faute, qui compose le mouvement propre du plein gre et lasoumission a une forme de destin, resident pour Plotin les paradoxes pri-mitifs de la liberty humaine : d'abord la liberte essentielle de proceder,qui resulte d'un abaissement originaire, ensuite la liberte empirique del'existence corporelle, lieu et theatre des fautes, c'est-a-dire des victoiresdu desir. En utilisant le vocabulaire kantien de l'empiricite pour caracte-riser la liberte dans l'existence, nous accentuons la specificite de la libertepreempirique, liberte de l'ame dans la descente. Dans la mesure oii elleest degagee de toutes les contingences qui accompagneront la vie dans lecompose, cette liberte est done plus pure et plus reelle que la liberte dansl'existence.

L'image meme de la descente est impropre, surtout si elle doit connoterun mouvement spatial: le sens privilegie de ce mouvement volontaire estcelui d'un abaissement, d'une diffraction (VI, 4, 16). En tant qu'ilexprime une inclination de l'ame individuelle, il est certes volontaire(IV, 7,13,4), mais il n'est pas delibere (IV, 3, 13, 17-18)6. Ce mouvement

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resulte d'une volonte coupable d'etre soi (V, 1, 1, 5), mais dans la mesureou il participe de la dynamique generale de l'ecoulement qui constitue lecoeur de la metaphysique, cet abaissement est determine7. II exprime en larealisant la necessite inferieure de la procession des etres (II, 9, 3, 11-14),necessite qui represente la chaine des engendrements et qui ne doit pasetre confondue avec l'eminente necessite de la causation par soi qui carac-terise l'Un et dont Plotin a fait la these centrale de son traite VI, 8 sur laliberte et la volonte de l'Un. L'enseignement de Plotin sur cette question,en depit de differences d'accent dans le traite IV, 8, chronologiquementanterieur et dans le traite II, 9 qui appartient a la polemique antignos-tique, est constant et coherent. Cela, l'etude de D. O'Brien, avec laquelleon s'accordera facilement sur le sens general de cet emanatisme universel,le fait voir avec clarte, mais elle ne montre peut-etre pas assez cependantles difficultes reelles eprouvees par Plotin pour maintenir la compatibilityde la necessite et de la liberte et formuler une expression de la metaphy-sique qui soit fidele au my the platonicien.

La deuxieme partie de cette etude aborde la question de la generationde la matiere. D. O'Brien complete ici, dans le cadre d'une relecture de ladiscussion de Plotin avec la gnose, un travail entrepris dans l'etude de 1991sur l'interpretation de l'ensemble des traites relatifs a la generation de lamatiere8. Dans l'expose de ces questions, Plotin fait intervenir une amedont le concept ne se superpose plus au concept des ames individuelles :il propose le concept d'une «ame partielle», image de l'ame hypostatique(III, 9, 3). II ne s'agit pas en effet du seul destin individuel, mais de la tota-lite du processus ontologique qui de l'ame du monde aux entites mate-rielles expose en l'elaborant le proces de la vie. Dans ce processus, quelleest la place de la matiere? Est-elle preexistante, ou est-ce l'ame qui ens'inclinant l'engendre? Dit autrement, la matiere appartient-elle, memedans un etat de negativite pure, a la positivite qui se deploie dans l'etre?L'admettre, c'est entrer en contradiction avec plusieurs premissesmajeures du platonisme et c'est ce que Plotin a pris le risque de faire. Plu-sieurs interpretes ont du mal a le reconnaitre.

Dans son etude de 1991, D. O'Brien, dans un style etonnant qui meleParrogance ironique aux procedures les plus subtiles de la demonstrationphilologique, montre les difficultes auxquelles s'exposent des interpretescomme H.-R. Schwyzer et K. Corrigan quand ils pratiquent sur ces ques-tions une lecture des textes depourvue, selon lui, de rigueur. Le ton de cetteetude, il faut le dire, surprend; il est fait de propos souvent acerbes et nepeche pas par modestie. On ne peut l'expliquer que par une extreme exas-peration devant la repetition de l'erreur. Mais quand on prend la peine desuivre les meandres du raisonnement, il faut reconnaitre que plusieurserreurs deplorables peuvent etre rectifiees et que la discussion generale enressort passablement clarifiee. A l'etude de 1991, le chapitre correspon-dant de l'etude de 1993 n'apporte pas de modification substantielle.

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Selon H.-R. Schwyzer, Plotin n'aurait accepte aucune forme de gene-ration de la matiere9. II s'agit d'une interpretation radicale et qui est loind'avoir fait ecole. Selon un autre interprete, K. Corrigan, il faudraitcompter plusieurs types de generation differents, variant selon le con-texte10. Pour D. O'Brien au contraire, qui reprend ici le principe generalde son interpretation, cette generation appartient de plein droit au pro-cessus universel de l'emanation. Tous les etres, meme la matiere, trouventleur origine ultime dans l'Un : l'Ame, par l'intermediaire de l'lntellect, etla matiere par l'intermediaire d'une ame inferieure. Pour le demontrer, ilpasse en revue les traites des Enneades, a compter du debut: les premierstrait6s (IV, 7, 2; V, 1, 7 et V, 2, 1-2) permettent de poser la question dontla reponse interviendra dans les traites 13 et 15 de l'ordre chronologique(III, 9, 3 et III, 4, 1): l'image engendr6e par l'ame est le non-etre etl'indefini, un engendre sans vie, l'indefinition absolue. Ces predicats desi-gnent de maniere sans equivoque la matiere. Contre H.-R. Schwyzer quipense que Plotin ne parle en III, 9, 3, 7-16 que du corps, D. O'Brien faitvoir que le corps n'est jamais que la determination ulterieure, l'acheve-ment de l'indefini par la forme11. Cet achievement correspond a laseconde initiative de l'ame. Contre K. Corrigan, D. O'Brien met en reliefles multiples contradictions qui surgissent d'une interpretation polyni-velee de la generation de la matiere12, interpretation dans laquelle sontdistingues deux etats (precosmique et cosmique) de la matiere sensible.Pour D. O'Brien, la distinction entre une activite generatrice de l'ame etune activite formatrice est fondamentale : la generation de la matiereconstitue en effet le premier moment d'un processus qui s'acheve dansTin-formation du corps. L'ensemble de ce proces est celui de l'ame13. IIfaut par ailleurs tenir compte du fait que la matiere sensible n'est pas laseule matiere dans la metaphysique de Plotin; la matiere intelligible, pro-duite dans le monde intelligible par le mouvement de la difference issuede l'Un, constitue egalement une «matiere». A la difference de la matieresensible, cette matiere intelligible peut participer pleinement a la forme,elle est penetree de la vie intelligible (II, 4, 5, 12-23)14. Les deux matieres,Plotin l'affirme, sont engendrees.

A cet ensemble de textes, le traite tardif I, 8 [51] apporte un contrepointqui presente certaines difficultes15. Plotin y affirme sans ambages que lamatiere est le mal originaire et la cause du mal dans l'ame, «meme si l'ameelle-meme a engendre la matiere» (I, 8, 14, 51). II faut sans doute iciadmettre avec D. O'Brien que la forme conditionnelle correspond a unecondition reelle. Puisque tel est le cas, argumente Plotin, comment conci-lier des lors la generation de la matiere et l'identification de la matierecomme mal originaire? Quel est le sens de cette originarite, dans unemetaphysique ou la matiere ne saurait constituer le principe separe dumal, principe a la fois preexistant et irreductible? D. O'Brien a raisond'insister sur une interpretation qui renonce resolument aux concepts de

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faute et de peche pour penser l'abaissement de Tame, generateur de lamatiere16. Le principe meme de cette metaphysique est la difference dansles degres de perfection : l'imperfection de l'ame par rapport a l'lntellectest une imperfection de nature, on ne saurait la confondre avec un mal,encore moins avec une faute. Ce point, majeur, separe la theodicee ploti-nienne de la theodicee gnostique. De plus, ce principe renforce la conti-nuite qui integre la totalite du proces metaphysique. La matiere, meme s'ilest vrai qu'elle ne peut participer a l'etre superieur au point de s'identifiera la forme (elle cesserait des lors d'etre puissance), demeure recouvertepar l'image de la forme : elle n'est pas entierement isolee, elle est uncadavre orne (II, 4, 5, 18). Pour un interprete moderne, cette disqualifica-tion ontologique rend a priori impossible que la matiere ait ete engendreepar l'ame; mais l'ontologie de Plotin n'exige pas une cesure aussi radicale.Engendree par l'ame comme sa limite inferieure, la matiere devient leterme extreme, la puissance indefinie, 1'absence d'acte (II, 5, 5, 12-15).

L'integration de la matiere dans la metaphysique rend necessaire sonillumination. C'est le dernier point de l'etude de D. O'Brien. La matierene peut se «tenir a l'ecart» (II, 9, 3, 14-21), elle est informee et devientcorps. Dans l'interpretation d'O'Brien, cette proposition jugee parfoismineure, revet un role important: elle manifeste en effet la grande exten-sion du rationalisme de Plotin, pour qui «l'obscurite qui surgit a la limitede la lumiere est revetue de forme»17. On ne peut que s'accorder avec lecaractere indissociable de ces deux theses: la generation necessaire eteternelle de la matiere entraine ineluctablement son illumination eter-nelle. De la meme maniere en effet que l'Ame est eternellement illumineepar l'lntellect, la matiere du monde sensible est eternellement illumineepar l'Ame18.

On voit done en quel sens l'interpretation du texte de IV, 8, 6 met en jeula theodicee de Plotin : qu'elle soit ou non engendree — et Plotin evoquedans ce texte programmatique les deux hypotheses — la matiere recoit lebienfait du principe supreme19. Mais s'agit-il de la meme matiere? O'Brienpense que Plotin evoque d'une part la matiere intelligible, participant ne-cessairement au bien, et d'autre part la matiere sensible, engendree a partirde principes anterieurs. Sur ce point, l'interpretation de J.-M. Narbonneconduit a poser une question difficile : s'il s'agit de deux matieres diffe-rentes, pourquoi Plotin donnerait-il a sa reflexion la forme d'une alterna-tive? D'autres arguments peuvent mettre en question l'utilite de la distinc-tion introduite par O'Brien. Dans ce texte en effet, toute la traditionexegetique a vu une veritable interrogation sur la realite de l'engendrementde la matiere et il est important d'en mesurer la portee. Comme Narbonney a justement insiste, l'interpretation de ce passage n'affecte cependant pasla coherence de la theodicee, elle ne fait qu'en manifester les enjeux.

Plotin est done bien conscient de la tragedie de l'individuation. II voitla contradiction entre deux exigences irremissibles: la necessite de vouloir

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l'existence inferieure, l'impossibilite de demeurer dans l'intelligible. IImaintient cependant en general que la descente appartient a l'ordre meta-physique de la procession (II, 9, 8; IV, 3, 13) et qu'elle revet en conse-quence un aspect necessaire. Elle n'est pas non plus exclusivement unefaute, comme dans la dramaturgie gnostique heritee du mythe platoni-cien, puisque l'illumination qu'elle procure dans son inclination versl'inferieur est l'expression d'une bonte, (I, 1,12, 21-28), une reponse auxbesoins des autres etres (IV, 8, 5, 10-15). L'ontologie vient done ici sup-pleer aux bbscurites, et en un certain sens aux absurdites, du dramemythique de la chute, que la gnose a importe d'une interpretation noncritique de Platon.

Par ailleurs, le corps joue un role essentiel dans le proces qui affectel'ame : les corps sont responsables de la rdception de la forme et done del'ame, en fonction du principe que chaque etre recoit la forme selon sescapacites (VI, 4, 3, 10). Dans leur interaction, l'ame, le corps et la matieresont done coextensivement responsables de ce qui devient le mal20. Cen'est pas exclusivement la matiere qui introduit le mal dans l'edifice meta-physique, mais correlativement le fait que l'incorporation de l'ame dans lecompose la soumet aux tiraillements du desir et ouvre la possibility de ladefaite. Cette question, essentielle pour comprendre le destin de la liberte,doit obligatoirement etre placee comme toile de fond de la question de laliberte humaine, liberte qui affecte specifiquement l'ame humaine dans lecompose. Chaque ame vient informer un corps different, le corps dumonde etant plus pur et plus durable que le corps des etres vivants.

Cette position est generalisee dans le traite VI, 8, alors que Plotininsiste sur l'impossibilite de prediquer la liberte des etres superieurs pourlesquels Faction est inexistante (VI, 8, 4). La necessite est ici le principecardinal, elle s'identifie a la nature et ultimement a la liberte eminente quicaracterise l'Un. Le paradoxe d'une liberte dont l'essence s'exhausse dansla necessite ne commence done a se denouer qu'au moment ou Plotinaccepte de poser la question de la liberte de la descente : il accepte des lorsde presupposer que cette descente pourrait etre necessaire et volontaire ala fois et en acceptant cette question, il rend possible une liberte poseeulterieurement dans l'ame comme son sujet. L'ame ne peut resister a ladescente, e'est en cela meme, dans son elan naturel, qu'elle accomplit sonetre, mais elle ne l'accomplira parfaitement que dans la remontee qui laliberera du desir. La liberte qu'elle exercera alors constituera un depasse-ment du seul elan naturel volontaire.

En s'attaquant aux questions nevralgiques de la theodicee de Plotin, lesetudes de D. O'Brien invitent a repenser le lien qui unit dans la metaphy-sique grecque l'ontologie et le mythe. Les entites qui se produisent dansle proces moniste de l'emanation appartiennent a la fois au monde del'etre et aux geneses dramatiques de la diegese mythique. A la differencecependant des grands recits du christianisme et de la gnose, la metaphy-

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sique grecque n'a jamais renonce a donner une formulation epuree, con-tenue dans le langage formel de ses principes, du mouvement meme de laprocession et de la purification. Cette entreprise contenait une partinsoupconnee de difficultes et il est impossible d'interpreter la metaphy-sique de Plotin sans accorder la priorite a cette tension de l'ontologie etdu mythe qui l'habite de part en part. Nous ne pouvons, nous modernes,pretendre la juger comme si nous possedions la reponse aux questionsqu'elle pose. Les travaux de D. O'Brien ont pour merite principal de fairevaloir dans cette tension les exigences radicales de l'ontologie : Pinterpr6-tation ne saurait ceder aux caprices du drame, aux circonstances des pole-miques. Sa coherence doit au contraire etre recherchee dans les principescardinaux du rationalisme que Plotin n'a jamais cesse d'investir. II seraittemps maintenant de reprendre dans une interpretation synthetique lesefforts des vingt dernieres annees de l'erudition : tout dans l'interpreta-tion et la critique meticuleuse d'O'Brien y invite, car a suivre la pented'une parcellarisation croissante de la discussion, le portrait d'ensemblede cette metaphysique finira par ne plus etre visible. Mais pour le pro-duire, il fallait — et cela, O'Brien le reussit sans conteste — que plusieursconfusions et plusieurs obscurites soient ecart6es.

Notes1 Voir en ce sens un des travaux fondateurs, celui de C. ¥\s&s,Neuplatonische und

gnostische Weltablehnung in der Schuhle Plotins, Berlin, De Gruyter (Religions-geschichtliche Versuche und Vorarbeiten, vol. XXXIV), 1975. Egalement,P/o-tinus amid Gnostics and Christians, ed. par T. D. Runia, Amsterdam, FreeUniversity Press, 1984. Une edition commentee des traites antignostiques,tenant compte des progres de l'erudition sur la gnose, manque encore auxetudes neoplatoniciennes. Voir enfin M. J. Edwards, «Neglected Texts in theStudy of Gnosticism», Journal of Theological Studies, vol. 41 (1990), p. 26-50.

2 Voir E. R. Dodds, Pagan and Christian in an Age of Anxiety: Some Aspects ofReligious Experience from Marcus Aurelius to Constantine, Cambridge, Cam-bridge University Press, 1965, p. 24-26.

3 Voir note 6, ci-dessous4 Pour la bibliographic complete des travaux de Denis O'Brien, voir l'appendice

a son etude sur la generation de la matiere, completee par la bibliographic deI'etudedel993.

5 Voir sur cette question les nombreux travaux de H. J. Blumenthal, et notam-ment «Soul, World Soul and Individual Soul in Plotinus», dans Le Nioplato-nisme, Paris, CNRS, 1971, p. 55-63 et «Plotinus in the Light of Twenty Years'Scholarship, 1951-1971», Aufstieg und Niedergang der Romischen Welt, Berlin-New-York, De Gruyter, vol. 36, 1, 1987, p. 557 (cite dorenavanUA^W), quiinsiste sur une interpretation equilibree, tenant compte des aspects unitaires etdifferentiels. John Rist soutient que Plotin tenait a cette these des formes desindividus; voir son «Ideas of Individuals in Plotinus», Revue Internationale de

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philosophie, vol. 24 (1970), p. 298-303. Une presentation de l'erudition plusrecente, accentuant les difficultes de Interpretation, se trouve dans K. Corriganet P. O'Cleirigh, «The Course of Plotinian Scholarship from 1971 to 1986»,ANRW, p. 581-84; sur la matiere, voir particulierement, p. 575-578.

6 Ce texte doit etre lu, a la suite de 1'edition Harder et Theiler de 1962, avec lacorrection de la ligne 17; voir le commentaire de D. O'Brien Theodicieplotinienne..., p. 14.

7 C'est ainsi que s'exprime A. J. Festugiere, La Rivilation d'Hermes Trismi-giste, Paris, Gabalda, 1949-1954, vol. 3, 1953, p. 65-95. Voir egalement lacritique de H. J. Blumenthal, Plotinus' Psychology, La Haye, Nijhoff, 1971,p. 5. Pour une discussion synthetique des enjeux philosophiques, voirW. Himmerich, Eudaimonia. Die Lehre des Plotin von der Selbstverwirklichungdes Menschen, Wurzburg, Triltsch (Forschungen zur neueren Philosophie undihrer Geschichte, vol. XIII), 1959, p. 66.

8 Voir egalement sa contribution aux Melanges offerts a Pierre Aubenque, «TheOrigin of Matter and the Origin of Evil in Plotinus' Criticism of the Gnostics»,dans Hermeneutique et ontologie. Hommage a Pierre Aubenque, sous la dir. deR. Brague et J.-F. Courtine, Paris, PUF (Epimethee), 1990, p. 181-202.

9 Voir H.-R. Schwyzer, «Zu Plotins Deutung der sogenannten platonischenMaterie», dans Zetesis. Album amicorum (. . . ) aangeboden aan Prof. Dr.E. de Strycker, Anvers-Utrecht, De Nederlandsche Boekhandel, 1973, p. 266-280. O'Brien consacre egalement a la discussion des travaux de Schwyzer uneimportante note de son etude de 1993, dans laquelle il critique l'implicationnecessaire entre l'absence de commencement et l'absence de generation. Plo-tin, affirme-t-il contre Schwyzer, a formellement nie cette implication dans sontraite sur Les deux matieres (II, 4, 5, 24 sqq.). Pour tenir cette interpretation,il faut recourir a un concept de generation dont la definition inclut comme cri-tere determinant la provenance d'un principe superieur. Meme ce qui est inen-gendre parce que depourvu d'un commencement dans le temps est engendreselon l'origine metaphysique. Cette clarification permet d'eclairer le debat.

10 K. Corrigan, «Is There More than One Generation of Matter in \\\tEnneadfb>,Phronesis, vol. 31 (1986), p. 167-181. Jean-Marc Narbonne a montre les diffi-cultes d'une interpretation sedimentee de la generation de la matiere dans unarticle ou il discute a la fois l'edifice complexe propose par K. Corrigan etl'interpretation de D. O'Brien; voir son «Plotin et le probleme de la generationde la matiere : a propos d'un article recent», Dionysius, vol. 11 (1987), p. 3-31.Cet article a entraine une reponse de K. Corrigan, «On the Generation of Mat-ter in the Enneads: A Reply», Dionysius, vol. 12 (1988), p. 17-24 et une note rec-tificatrice de D. O'Brien, «J.-M. Narbonne on Plotinus and the Generation ofMatter: Two Corrections», Dionysius, vol. 12 (1988) p. 25-26.

11 D. O'Brien, Plotinus on the Origin of Matter, p. 28-34.12 II serait trop long de montrer ici que plusieurs des points de disaccord repo-

sent sur un vocabulaire ontologique mal defini: les moments de la generation

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ne sauraient, par exemple, etre confondus avec des «generations» differentes.Je ne pense pas qu'on puisse etre ici entierement oecumenique, mais je crois parailleurs, sans prendre le temps de le demontrer, que D. O'Brien ne fait pasbeaucoup d'efforts en ce sens en direction de K. Corrigan. Certains ecartsparaissent moindres qu'il ne se plait a les presenter. Voir a cet egard la synthesedes enjeux presentee par K. Corrigan, ANRW, p. 577. Celui-ci insiste sur lecaractere incontournable de Pambigui'te du texte plotinien.

13 Dans son etude sur le traite II, 4, Jean-Marc Narbonne adopte une positionentierement opposed, notamment au sujet de III, 9, 3, qu'il interprete commeSchwyzer. Voir son Plotin. Les deux matieres [Enneade //, 4 (12)]. Introduc-tion, texte grec, traduction et commentaire, Paris, Vrin, 1993, p. 167 sq. Sur cepoint precis, je crois que Interpretation de D. O'Brien est plus fidele au textede Plotin, mais il ne s'agit bien entendu que d'un element dans une discussiontres complexe. Narbonne ne defend pas un emanatisme aussi radical que celuipropose par O'Brien et son interpretation se trouve contrainte d'accepter plu-sieurs compromis, par exemple au sujet de I, 8 qui affirme explicitement lageneration de la matiere sensible. Voir par exemple son etude, p. 186 sq. Leprincipe de son interpretation (cf. p. 204) renonce peut-etre un peu trop rapi-dement a la recherche d'une interpretation integratrice de la metaphysique dePlotin, mais elle le fait nettement dans l'esprit d'un respect des textes singuliersdans leur contexte et dans leur difficulte propre. L'hostilite manifested parO'Brien a l'endroit du travail de J.-M. Narbonne resulte sans doute d'un refusde ce qui se donne comme une hermdneutique ayant renonce a des preventionssystematiques. Ce conflit meriterait d'etre discute pour lui-meme, il depasse enimportance et en amplitude le propos de la presente etude.

14 Jean-Marc Narbonne a defendu cette doctrine contre les reproches d'incohe-rence qui ont ete souvent formules a son endroit, notamment par P. Merlan(From Platonism to Neoplatonism, La Haye, Nijhoff, 2e ed., 1960); voir Plotin.Les deux matieres [Enneade //, 4 (12)], p. 97. Les arguments de Narbonnesont clairs et bien resumes, p. 109; il insiste sur la pertinence de la doctrine dela matiere intelligible pour resoudre des difficultes propres a la doctrine pla-tonicienne des formes. Au sujet de la matiere sensible, il reconnait a son tourune certaine ambiguiite (par exemple, p. 137) et meme une ambivalence qui luisemble caracteristique de Plotin (p. 161).

15 O'Brien revient sur ce passage et sur Interpretation de H.-R. Schwyzer dansson etude de 1993, Theodicee plotinienne..., p. 64 sq.

16 Notamment contre ^interpretation de John Rist, qui a beaucoup ecrit sur cesquestions; voir notamment «Plotinus on Matter and Evil», Phronesis , vol. 6(1961), p. 154-166. Pour une discussion de la position de I Rist, voirD. O'Brien, «The Origin of Matter and the Origin of Evil», p. 195-201 et dansl'etude de 1993, Theodicee plotinienne..., la note III: «Les sens divers dumal: incoherences dans la terminologie de J. M. Rist», p. 69-77.

17 D. O'Brien, Theodicee plotinienne..., p. 40.

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18 Sur cet argument de II, 9, 3, voir la reconstitution proposee par D. O'Brien,«The Origin of Matter and the Origin of Evil», p. 185^.

19 Sur ce passage, voir D. O'Brien, Plotinus on the Origin of Matter..., p. 23-25et J.-M. Narbonne, Plotin..., p. 140 sqq., qui presente bien les interpretationsrivales.

20 Voir D. O'Brien, «Plotinus on Evil: A Study of Matter and the Soul in Ploti-nus' Conception of Human Evil», dansLe Neoplatonisme, Paris, CNRS, 1971,p. 114-146. Les passages paralleles de I, 2,4 et V, 1, 1 sont moins precis sur lecaractere volontaire de la descente. Mais l'expression to autexousio (V, 1, 1,5-6 et IV, 8, 5, 26) est rare et indique une liberte specifique de l'ame humaine,une autodetermination de son mouvement. D. O'Brien insiste a juste titre surle fait que cette liberte n'est pas de soi mauvaise ou peccamineuse. C'est lamatiere qui rend possible la faute (I, 8, 14).