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Régis LOISEL Supplément gratuit • Casemate 97, novembre 2016

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Régis LOISEL

Supplément gratuit • Casemate 97, novembre 2016

En pages de garde,Mickey court versdes dizaines depersonnages. Untravail de titan ?

Régis Loisel : Oui… à la colle et auxciseaux ! J’ai dessiné le grand Mickeyqui s’élance vers la foule, mais tous lesautres personnages ont été découpéspar ma femme et moi. Seule solutionpuisque, venant de déménager, je n’aiencore chez moi ni photocopieuse nitable lumineuse. Ce travail m’a pris troisou quatre jours. J’aurais sans doute étéplus rapide en redessinant tout ce petitmonde. Je me suis inspiré des pagesde garde de Tintin présentant une gale-rie des personnages de la série. Comment avez-vous travaillé sur cetovni ?Classique, tous les crayonnés, puisencrage, puis couleur. Dans l’ordre despages. C’est indispensable dans lamesure où la couleur doit toujours

raconter quelque chose. Entre crayon-nés et encrage, il se passe au moins sixmois. Je fais un tirage au bleu de mescrayonnés et encre dessus. Unecoquetterie, je pourrais encrer sur lescrayonnés, mais je charbonne telle-ment ! Parfois, même à cette étape, jerecrayonne encore un strip jusqu’à ceque j’en sois content.L’univers de Disney vous a-t-ilimposé certaines contraintes ?Évidemment. Ainsi on n’y trouve pasd’ombres. C’est noir ou blanc. Point.Une contrainte imposée en partie parla technique de l’époque : les stripsétaient publiés dans des quotidiensdont les papiers étaient de grosbuveurs d’encre. J’ai hésité, et finale-

ment renoncé à la tentation desombres.Verra-t-on un jour les strips deMickey sur le marché ?Je ne sais pas. Mais ils appartiennent àleur auteur. Sinon, je ne les aurais pasfaits. Mickey a-t-il comblé toutes vosenvies de monde animalier ?J’ai une idée qui me trotte dans la têtedepuis 1992. Pour des sérigraphies, unéditeur m’avait demandé une carte debonne année. J’ai dessiné une espècede petit bouledogue au bout d’unponton sous la neige, la nuit. Un vieuxponton de bois, évidemment. Il a unpetit baluchon et on sent qu’il attendun bateau qui ne viendra jamais.Depuis, j’ai tourné autour de cette idée,amoncelé les crobards. Je pense à unehistoire à trois personnages, un peu àla Krazy Kat. Krazy est amoureux de lasouris, souris qui lui jette des briques.J’ai tout mon univers, mais j’ai peur que

Interview

Mickey vu par Loisel et Tebo… Le deuxième étage de la fusée Disney traitée par des dessinateurs européens est mis sur orbite par Jacques Glénat. Casemate 97 consacre 32 pages à l’évènement,dont 19 planches commentées et de longues interviews des trois protagonistes. Voici leurs conclusions.

Dossier Jean-Pierre FUÉRI et Frédéric VIDAL

Loisel : « Après Mickey,un bouledogue

ou PÉLISSE ? »

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Mickey MouseCafé Zombo,Régis Loisel,Disney by Glénat,68 pages,19 €, 23 novembre.

« Mais avant, un petit bouquin dans l’esprit deLa dernière goutte est toujours pour le slip »

Régis LOISEL

ArchivesLe chaos, à pas lents, Casemate 87,Les enfants de Marie, Casemate 67,Piégés…, Casemate 32,Ô Rige, ô désespoir, Casemate 24,Loisel et Tripp, si on se calmait ?, Casemate 9.

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tout cela ennuie prodigieusement lelecteur. Et peur aussi de me laisserentraîner dans l’aventure. Je me connais.Magasin général devait tenir en troisalbums. Il y en a eu neuf. En atten-dant, je vais faire un petit bouquinavec un copain dans l’esprit deLa dernière goutte est toujourspour le slip. Deux mois de tra-vail. Après on verra.Une autre reprise vous tente-rait-elle ?Dans l’idéal, parce qu’il n’en estabsolument pas question, Popeye.Je possède l’intégrale. Ce qui me fas-cine est moins son dessin que son lan-gage bizarre, bourré d’argot et d’ex-pressions que même les lecteurs quiparlent très bien anglais – ce qui n’estpas mon cas – ont parfois bien du malà suivre. J’aime aussi beaucoup le Mar-supilami. Je me suis énormément amuséà imaginer une fausse couverture deFranquin avec un Marsupilami méta-

IIII

Interview

À quand unehistoire deDonald, queLoisel trouve

plus intéressant queMickey ?

Jacques Glénat : J’ai donnécarte blanche aux auteurs : « Faites

ce que vous voulez. Du Mickey avecles personnages de Mickey, Pluto,Dingo, etc. Ou du Donald avec Pic-

sou, etc. Ou même mélangez ! » Résul-tat, la scène que je trouve la plus réus-sie à ce jour est celle de Loisel où onvoit tout ce petit monde, sauf Picsou,fuir le chômage en partant en vacancesen caravane à la campagne. Ils font descrêpes, chantent le soir en mangeantdes poissons grillés. Tiens, encore untruc sur lequel Disney n’a rien dit !Et pourtant, sur les braises, le pois-son fait la gueule !Eh bien, tout le monde a trouvé celatrès bien, pas de problème. J’adorecette séquence. Le dessin est absolu-ment magnifique, les scènes de nuitoù ils chantent sont superbes. On esten pleine nature, ça bouge tout letemps, c’est bourré de gags. Un mor-ceau d’anthologie.

Peut-on donc s’attendre à desaventures de Donald ou de Minnie ?Tout à fait. Un auteur me dit tenir abso-lument à mettre Picsou en scène. Mais,dans les albums à venir, la grandevedette reste quand même Mickey.Cosey prépare un album avec Minnie.Donald est moins connu. Mickey estun personnage intelligent, toujours trèsactif, un héros. Donald, toujoursexploité par Picsou, a un rôle secon-daire alors qu’à mon avis il mérite bienmieux. Côté dessin, si tous les Mickeyse ressemblent, les Donald, selon leurscréateurs, affichent des graphismescomplètement différents. Donald peutencore plus que Mickey devenir unpersonnage d’art contemporain.Certains auteurs ne se sont-ils pasautocensurés ?Tous se demandent parfois ce qu’ilspeuvent faire ou ne pas faire. Certainsm’appellent. Il est très rare que je soisface à quelque chose qui manifeste-ment ne passera pas. Ils sont tous dansle code Disney.Seriez-vous prêt à publier du Dis-ney manga ?Il y a bien un Disneyland à Tokyo, maisj’ai l’impression que leur culture est tel-lement écrasée par le manga qu’il restepeu de place pour Mickey et Donaldau Japon. Je n’ai pas pour l’instant ren-contré de dessinateurs japonais queça intéresse.

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« J’adore la séquence de leurs vacances encaravane. Bourrée de gags, elle est superbe ! »

Jacques GLÉNAT

Jacques Glénat : « Coseyprépare unMINNIE »

DR

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Suite page suivante

morphosé, énorme, ouvrant unebouche d’où sortait du feu. Un KingKong que regardaient, terrifiés, Spirouet Fantasio cachés derrière un mur. J’au-rais bien aimé aller dans ce sens, maisje crois que l’héritière de Franquin n’au-rait pas été d’accord. Pas le désir d’une BD érotique pourchanger ?À part les envies que je ne réaliserai paset que j’évoque dans mes réponses àl’ami Tripp (voir Casemate 97), j’aime-rais bien me lancer dans un ouvragegenre Troubles fêtes, mais pas en bandedessinée, uniquement en illustrations.Il n’y a rien de plus triste qu’une BD éro-tique, toujours trop démonstrative.À propos de jolies filles, à quand,enfin, le retour de Pélisse sous votreplume ?Pour cela, il faudrait que la deuxièmesaison de La Quête de l’oiseau dutemps soit terminée. Ce n’est pas moiqui la dessine. David Etien (Les Qua-tre de Baker Street) reprend le dessindes mains de Vincent Mallié. Lui aussiest d’une régularité de métronome,mais lui aussi alterne laQuête avec uneautre série. Il a déjà réalisé une tren-taine de pages du suivant. Il resteencore trois ou quatre albums à publier

avant de voir le bout de cettedeuxième saison. Serge Le Tendre merappelle de temps en temps qu’il vaavoir 70 ans le 1er décembre et moi 65trois jours plus tard. Si le scénario n’estpas écrit, nous savons qu’il s’achèveforcément sur la mort de Bragon. Etnous avons déjà pas mal d’idées. L’idéalserait de l’écrire et de le dessiner, quitteà l’enfermer dans un coffre en atten-dant la fin de la saison deux.Allez-vous, en l’honneur de Mickey,vous remettre à dessiner en dédi-cace ?Non, il y a dix ans que j’ai arrêté et uti-lise des tampons à l’effigie de mes per-sonnages. Je dois rester cohérent. J’aidéjà passé commande de tamponsMickey, Dingo… Pour chaque lecteur,je rajouterai une bulle et un coup decouleur au feutre, rouge par exemplesur la culotte de Minnie. Vous vous voyez avec vos tampons,à côté de Tebo, Keramidas, Coseyqui eux vont dessiner sur leursalbums ?Cela a été dur à admettre pour mes lec-teurs, mais aujourd’hui il n’y a plus deproblème. Mes tampons sont entrésdans les mœurs. Ne vous inquiétez paspour moi, je gère très bien la situation !

Dessiner des centainesde Mickey avant d’at-taquer la premièreplanche, c’est du per-

fectionnisme ?Tebo : Non, c’est Loisel qui m’a fichudedans ! Mickey, je l’avais au bout ducrayon les doigts dans le nez. J’avaisterminé mon scénario et me préparaisà attaquer le dessin lorsque, avec Kera-midas, nous sommes invités à un salonBD, au Québec. Évidemment, nousnous retrouvons chez Loisel, qui nousmontre son propre travail sur Mickey :deux malheureux strips crayonnés ! Ilnous confie qu’il ne sait toujours pass’il va travailler à la plume, au pinceau,au feutre. Qu’il n’est pas sûr de son for-mat, ni même de son papier ; bref Régissemblait complètement perdu. Lui, lepro des pros, la locomotive de l’aven-ture ! Du coup, nos deux albums devantsortir en même temps, je me dis quece n’est pas gagné et commence àstresser. Rentré chez moi, je trouve quemon papier ne me convient plus, nima plume, alors que je bosse avec lamême depuis vingt ans ! Même monMickey ne me satisfaisait plus. J’ai passédeux mois à le redessiner des centainesde fois, à commander de nouvellesplumes au Japon, à demander desconseils à Julien Solé (Julien/CDM)avant de me lancer. Loisel m’avait faitle coup du sparadrap du capitaineHaddock !Vous dont les personnages ne tien-nent jamais en place, pourquoi n’uti-lisez-vous pas la technique des traitsde vitesse ?Parce que je trouve cela moche. SeulFranquin, selon moi, arrivait à les ren-dre crédibles. Et Jack Kirby, évidem-ment. Dans ses explosions, on avaitvraiment l’impression que ses super-héros se faisaient démonter la gueuleà chaque fois. Ça passe dans les man-gas, très épais, où les scènes d’actionalternent avec des pages de discus-

III

Interview

« L’idéal : réaliser l’album Pélisse et l’enfermer dans un coffre jusqu‘à la fin de la saison 2 »

Régis LOISEL

Tebo :« Lois

fait STRE

DR

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sions. Mais dans un 46 pages, des traitsde vitesse partout rendent le dessinmoins joli à regarder. Ce n’est pas letrait de vitesse qui fait la vitesse, c’estle mouvement des personnages.Côté couleur, les jeunes connais-saient la carte bleue, les vétérans,le compteur bleu, mais aucun che-val bleu !Un cheval, vaguement marron, seraitvite moche par rapport à un Mickeyhyper graphique. D’autant que c’estl’horreur pour leur trouver une gueule.J’ai pensé que le colorier en bleu ren-drait bien avec Mickey en noir, blancet culotte rouge. Mon canasson bleu,finalement, ne dépare pas avec magrosse araignée verte et orange.Votre manie de mettre des crottespartout n’a-t-elle pas fait peur à Dis-ney ?J’en ai tellement disséminé, de toutesles formes possibles, que je n’en res-sens plus le besoin. C’était une envie,comme de croquer du superhérosjusqu’à plus soif. Je prenais un malinplaisir à dessiner des attitudes de com-bat différentes à chaque fois. Après sixalbums, je me suis calmé. Pour en reve-nir au caca, c’est vrai, certains chez Glé-nat ont eu quelques peurs. On m’aglissé des « Jacques te l’a proposé,mais tu n’es pas obligé de dire oui ».C’était oublier que dans Alice au paysdes singes, avec Keramidas, il n’y a pas

une seule crotte ou une seule insulte.Les inquiets ont vite réalisé que j’étaisparti dans l’hommage et racontais unMickey à la fois à ma sauce et à la sauceDisney. Ça les a rassurés. À quand un septième CaptainBiceps ?Il y a un souci. Zep, qui n’avait déjàécrit que neuf pages dans le sixième,est complètement à sec niveau his-toires. Il a donc prévu que je continuela série seul. Problème, si j’attaque unenouvelle série (voir Casemate 97), l’édi-teur ne se contentera pas d’un albumtous les cinq ans. Et comme je compteaussi faire mon Spirou…Un Mickey par Zep serait rigolo !Jacques Glénat, qui sait combien iladore ce personnage, le lui a proposé.J’ai insisté : « Viens avec nous, ce seracool ! » Rien à faire. Une page l’auraitsans doute amusé, mais pas un album.Mon grand rêve serait de le voir réali-

ser un Astérix à sa façon. Ses deuxpages, parues dans un album collec-tif hommage à Uderzo, sont superbelles, super drôles. Cosey* et vous racontez la rencon-tre Minnie-Mickey. Et ce n’est pas lamême histoire…J’étais assez fier de la mienne. Un jour,nous nous rencontrons, sans connaîtrenos scénarios respectifs. J’attaque :– Quel sujet traites-tu ?– (Ton super fier) La rencontre Minnie-Mickey !– Tiens, moi aussi !

Sur le coup, Cosey a fait un peu lagueule. Jusqu’à ce qu’il comprenneque l’évènement, chez moi, était anec-dotique, sur six pages, alors qu’il yconsacrait tout son album. Avec Min-nie, je voulais surtout retrouver un res-sort des vieux dessins animés où PatHibulaire voulait, dans certainesséquences, la bouffer, et dans d’autresla draguer. Ça m’amusait beaucoup. Etj’avais besoin de parsemer mon his-toire d’épisodes rigolos. 80 pages debastons auraient vite ennuyé le lecteur.Vous êtes-vous retenu dans les bas-tons ?Plutôt. Non, mais vous avez vu com-ment Loisel laisse Mickey et Donaldtabasser Dingo, les coups de batte dansla gueule que se prend le malheureux ?C’est quasiment de l’acharnement ! J’au-rais juré que Disney ne laisserait paspasser ça. Mais oui, j’ai fait attention àne pas faire trop trash, à rester toutpublic. Je tenais à être lu par les col-lectionneurs, d’où des tas de petitsclins d’œil, mais aussi par les enfants. Donc par les trois vôtres ? Quelsâges ont-ils ?La fille 6 ans, les garçons 8 ans et 2 anset demi. Ils suivent mon travail à fond,et recopient mes dessins. Je leur passeles dessins animés Disney à la télé ousur l’iPad. Le plus jeune, dès qu’il voitun Mickey, est désormais persuadé quec’est son papa qui l’a fait. Sur leurscahiers de notes, je dessine toujoursun petit quelque chose. Évidemment,ils s’en vantent auprès de leurs copains,copines, mais aussi auprès des maîtreset des maîtresses. Cool…

JPF* Une mystérieuse mélodie. Ou commentMickey rencontra Minnie, Glénat.

« Papier format, plume ou pinceau… Régis lepro des pros semblait complètement perdu ! »

TEBO

IV

Interview

La Jeunesse de Mickey,Tebo,Disney by Glénat,80 pages,17 €,dispo.

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SSER »

ArchivesAlice, version Tarzan, Casemate 48.