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carnEt dE voyagE En allEmagnE dE l’Est
La partie EST de l’Allemagne a
d’abord connu des années de bref
développement pour subir ensuite
les conséquences difficiles du chan-
gement des systèmes économiques
et sociaux dans les années 1990.
Actuellement, un tiers de la population a
déserté cette région par manque de
perspective, d’investissement et
d’emploi. Qu’en est-il alors de ceux
qui ont fait le choix d’y rester et d’y
vivre ?
En août 2009, j’ai visité trois lieux
dans les anciens Länder : Dannhof,
Dresden (Dresde) et Frankfurt /
Oder (Francfort-sur-l’Oder), endroits
qui ont connu des destins différents
depuis la réunification en 1990.
Alors que Dannhof et Francfort-sur-
l’Oder font partie des endroits qui
ont le plus souffert de l’exode et du
Qu’est-ce qui les fait vivre, espérer, rire aujourd’hui ? Qui sont-ils devenus et comment vivent-ils l’Histoire ? Et moi ...?
Textes et photos : Heiko Buchholz /// Création graphique : Nadine Barbançon /// Mixage son : Pascal Thollet /// Production : un euro ne fait pas le printemps (www.uneuro.org) /// Avec le soutien du
Conseil Général de l’Isère, la ville de Grenoble, la ville de Crolles (38) - Espace Paul Jargot et l’OFAJ, l’Office Franco-Allemand pour la jeunesse EDIT’aide /// L’auteur tient à remercier Gisela et Lothar
Schickedanz, Uwe et Monika Röhl, Raimo et Rosemarie Kobra, Mr Kärcher, Bernd Miodecki, Mr et Mme Muchaja, Veronika Yvonne Beer, Burkard Seidl, Sylvia Tröster, Steve Pagel, Annette Schiller,
René Kloth, Frank Fricke, Friethjof Rehahn et Karin Hanschke ; Florence Bruneau-Ludwig, Claudia Hoghoj, Delphine Prat, Stéphanie Bardin et à Chedly Eloumi, pour la relecture. Cornelia, Helmut et Luzie
Rux ainsi que Julika pour leur accueil ; Laure Germain pour ses conseils. Annick Sibelle de la mairie de Grenoble pour avoir permis l’agrandissement de l’exposition.
déclin économique, Dresde connaît
actuellement une période de relative
prospérité.
En novembre 2012, je suis allé à
Halle. Non seulement j’ai pu voir une
autre ville, mais je me suis égale-
ment aperçu de quelques change-
ments en Allemagne de l’Est depuis
2009.
J’ai rencontré des personnes pour
recueillir les histoires de leurs
vécus, leurs déceptions mais aussi
les raisons d’être restés en Alle-
magne de l’Est. J’ai choisi d’interro-
ger ces personnes qui ont vécu une
partie de leur vie en RDA, c’est-à-
dire des gens de mon âge ou plus.
20 ans de lendemains
Dannhof est un petit village situé
entre Hambourg et Berlin, 200 habitants
à peine. Le village est entouré de
forêts et de champs, le paysage
silencieux. En 1936, tout le village
appartenait à une baronne criblée de
dettes de jeu. Le gouvernement allemand
a alors décidé de lui racheter le village
en échange de l’effacement de ses
dettes. La même année, on y a construit
des fermes, toutes identiques, pour y
installer de jeunes agriculteurs.
Maintenant encore, les habitants
parlent de “ colonie hitlérienne ”. A
l’heure actuelle, une usine de fabrication
de fil de fer ainsi qu’une coopérative
agricole font travailler la plupart des
habitants. J’aime cet endroit : la nature
y est omniprésente. J’y suis allé tous
les ans en été depuis 1992 et Je l’ai vu
se transformer. Les maisons ont été
refaites, mais la faune et la flore
sont devenues de plus en plus sauvages.
> GIESELA ET LOTHAR SCHICKEDANZ
Dannhof
le village où je retourne
tous les ans
Lothar Schickedanz vit
avec sa femme Giesela
dans une maison au
centre du village. Tous les
deux travaillent dans
l’usine de fil de fer ; lui est
ouvrier et elle y fait
quelques heures de
ménage suite à une période
de 10 ans de chômage
complet. Ils sont très attachés au
village et surtout à leur maison. Ils aiment
passer leur temps à la rendre belle et plus
confortable.
J’ai été marqué par leur tranquillité : ce
sont des gens posés, ils sont bien là où ils
sont.
Lothar a été chanceux : lorsque l’usine est
passée de 100 à 18 employés en 1993, il a
pu garder son poste, sinon le couple aurait
dû partir, comme tant d’autres, en
Allemagne de l’Ouest pour y trouver un
autre travail.
Quand le mur est tombé, nous avons
pu visiter l’Allemagne de l’Ouest et
retirer 100 Marks d’argent de bien-
venue dans n’importe quelle banque.
Alors, tout le monde s’y est rué et
les trains étaient tellement pleins
qu’il y avait même des voyageurs
dans les WC. les gens étaient comme
en furie. Un homme pleurait parce
que sa toute nouvelle montre ache-
tée à Munich s’est retrouvée brisée
lorsque la porte du train s’est
refermée sur lui.
Vous ne pouvez pas imaginer ce que
cela a été. il y avait même des gens
qui, en partant d’ici, avaient laissé
les poussettes avec leur bébé sur le
quai de la gare. Ils se disaient que la
police allait s’en occuper et qu’ils
pourraient reprendre leur enfant au
retour.
Vous savez, quand il y a quelque
chose de gratuit, les gens
deviennent complètement fous.
“Je ne sais pas si je pourrais vivre ici, les hivers doivent être durs etlongs. Quand il fait gris et humide pendant des mois, il faut avoir l’âmeépaisse pour ne pas sombrer.”
“C’est étonnant, ces petites figurines,comme si chaque objet avait sa propre vie.Je n’aime pas les bibelots kitch, mais chezeux, c’est touchant.”
« Je me demande quelquefois : mais où est passé tout ce paysdisparu ?»
«
»
>UWE ET MONIKA RÖHL
cE quI M’A Touché lE pluS DEpuIS lA
réunIfificATIon, c’EST lA DISpArITIon DES
EnfAnTS DAnS lE vIllAgE. En RDA, il yavait des écoles dans pratiquementtoutes les communes aux alentours et,avec le changement, elles ont fermé.
Ainsi, le nombre des enfants a diminuéavec le départ des familles dont lesparents ne trouvaient plus de travail.
En RDA, les écoles organisaient dessoirées théâtre et il arrivait souventque les enfants chantent pour l’anni-versaire d’un retraité.
DE TouTE fAçon, un vIllAgE quI A pErDu
SES EnfAnTS EST un vIllAgE MorT : Il n’yA pluS DE rIrES D’EnfAnTS Sur lA plAcE.Et maintenant, les vieux regardent parla fenêtre, et plus rien ne se passe ici. Le dernier enfant de la famille Graberpartira avec eux à la fin du mois.
Avant la réunification, nous avions droit àun crédit au moment du mariage :
8000 Marks. à la naissance du premierenfant, 2500 Marks étaient enlevés aucrédit. Avec deux enfants, nous avions
assez pour commencer la vie de famille. En plus, la femme avait la certitude qu’au
bout d’un an de congé parental, elle pouvait retrouver son poste et, à ce
moment, on pouvait laisser le bébé à lacrèche toute la journée. lA fEMME pouvAIT
TrAvAIllEr, EllE n’AvAIT pAS DE SoucIS à SE
fAIrE. AujourD’huI, pErSonnE n’EMBAuchE
unE fEMME quI rISquE D’AvoIr un EnfAnT.Soit les enfants sont adultes, soit elle doits’engager à ne pas en avoir pendant cinq
ans. Sinon, pas de boulot ! C’est ça le capitalisme, c’est anti-enfants !
Les gens, aujourd’hui, préfèrent avoir unchien au lieu d’un enfant. Les animaux, au
moins, le voisin peut s’en occuper. Tout le système social était mieux.
Les bébés devaient passer des examensmédicaux, c’était obligatoire, aujourd’huinon. Ce n’est pas pour rien qu’Il y A DES
cAS DE BéBéS quI MEurEnT DE fAIM ET DE
néglIgEncE pArcE quE lES pArEnTS nE S’En
préoccupEnT pAS et personne ne regarde !
Les souvenirs de la ferme de mes parents sont revenus à la lumière : l’odeur du ble fraichement recolte, les coccinelles melangees a la recolte...
Si Uwe dit qu’ils’est fait agresser
par cette chimère : ya-t-il quelqu’un pour
le croire ?
Revetement de siege obseRvé le 6 aout 2009
dans le tRain de beRlin a dannhof de 15h22.
Je me dis que cela ressemble a des graffitis. Ca doit
probablement etre fait pour faire plaisir aux jeunes.
Et en meme temps un vrai tag se verrait moins bien,
car il se cacherait dans ce motif.
«
»
Ces deux-là s’appellent Uwe et Monika Röhl. Ce sont les voisins des Schikedanz, ils habitentdans une grande ferme entourée d’animaux :six chats, quatre cochons, trois chiens, despigeons… Alors que Monika travaille dans la coopérativeagricole du village, Uwe est inséminateur demétier. Tous les deux ainsi que leur filleAnne, sont des chasseurs passionnés. Je les connais depuis que je viens à Dannhof. Nous avons passé toute une soirée d’été aubord d’un feu à parler de la RDA et de ce quis’est passé depuis. Ce sont des gens qui sont tout le tempsdehors pour travailler ou pour aller voir lesautres. Ce qui m’a marqué chez eux : ils aiment lesgens. Le sort des autres et celui du villageles préoccupent beaucoup.
Dannhof
IM – Inoffizieller MitarbeiterL’agent officieux était un collaborateurtravaillant par conviction, par opportunisme ou parce qu’il étaitforcé. Il devait livrer des informationssur ses collègues de travail ou surdes amis à la STASI. Les IM formaientun des outils de surveillance les plusimportants pour l’Etat.Beaucoup de noms d’IM ont été publiéslors de l’ouverture des archives de laSTASI pendant le processus de la réunification allemande. Au début desannées 1990, cela a été à l’origine deruptures d’amitiés, de divorces etd’un bon nombre de scandales politiques.
BegrüssungsgeldIntroduit par de RFA en 1970, cet argent de bienvenue de 100 DM étaitdestiné aux visiteurs allemands issusde la RDA et de la Pologne. (En 2001: environ 2 DM = 1 €)Il était distribué aux rares visiteurs dela RDA qui n’avaient droit de changerque très peu d’argent en DM.En 1989, après la chute du mur,beaucoup d’allemands de l’est ontprofité de ce dispositif et se sont, àcertains endroits, rués sur lesbanques.Ces 100 DM représentaient une importante somme d’argent (environ6 salaires mensuels). Ce dispositif aété arrêté fin décembre 1989.
GLOSSAIRE ALLEMAND
SED - Sozialistische Einheitspartei DeutschlandsLe Parti Socialiste Unifié d’Allemagne,fondé en 1946 par les soviétiquesen fusionnant de force les partiscommunistes et social-démocrates. Iln’existait qu’en zone d’occupation soviétique et plus tard en RDA où ilgarde le pouvoir jusqu’en décembre1989. Calqué sur le Parti Commu-niste de l’Union Soviétique, il avait lespleins pouvoirs en RDA. La SED étaitprésente dans toutes les institutionset entreprises.Après 1998, le parti est renomméplusieurs fois et fait partie de l’actuellealliance de gauche, ‘die Linke’.
STASI – Ministerium fürStaatssicherheitLe Ministère de la Sécurité de l’Etatétait un service de police politique enRDA. Son but était de surveiller et detraquer les opposants au régime.D’abord, la STASI utilisait les moyensde la terreur, puis à partir des années80 des méthodes plus ‘discrètes’,comme la dégradation professionnellede la personne cible. Elle devait alorsdémissionner de son poste ou arrêterses études par exemple. Les enquêtesde la STASI ne s’arrêtaient pas devantl’intimité de la vie amoureuse ou familiale.En 1989, la STASI comptait 90 000agents et environ 190 000 agentsofficieux (IM) sur un pays de 17 millions d’habitants.
> RAIMO ET ROSEMARIE KOBRA
Après l’ouverture des frontières, il yavait cette euphorie qui m’a vraimentfait peur. Les gens revenaient de leurexcursion à l’Ouest, et ils étaient tellement à fond, que tout était génial etbeau. Puis Raimo a dit au travail : « vous allez être surpris : dans
quelque temps, vous craindrez pour
vos maisons et vos emplois. » Ses collègues ne voulaient pas l’entendre,ils étaient en colère contre Raimo.Comment pouvait-il dire ça! Et à peine six mois après, les ancienspropriétaires des terres et des maisonssont revenus de l’Ouest pour les récupérer. Puis ont commencé les premiers licenciements. À Wittemberge, une desusines est passée de 6000 ouvriers à500 et d’autres ont fermé complètement,parce que des allemands de l’ouest
ont aussi pris des entreprises. Ilsavaient encaissé les subventions et ilssont repartis, laissant l’usine en faillite.
Je suis rentrée dans le parti communiste
en 1969, toute enthousiaste, et j’y ai
vraiment adhéré. Il ne faut pas croire,
mais en RDA on était bien.
Les problèmes ont commencé vers
1975 : on apercevait le côté négatif du
terme « dictature du prolétariat ».
l’offre des produits diminuait : les
fruits, par exemple, il y en avait de moins
en moins, et les restrictions pour
voyager étaient de plus en plus
fortes. On sentait que quelque chose
coinçait.
Ainsi, sans que je comprenne pourquoi,
certaines personnes avaient des
privilèges. Pour acheter une télévision,
par exemple, il y avait un long délai
d’attente alors que certaines personnes de-
vaient juste montrer un papier au vendeur
et elles pouvaient prendre leur appareil.
C’était en fait l’égoïsme humain qui avait
cassé le socialisme et ça concerne aussi
le capitalisme... Je dis ce que je pense :
l’idée de base du socialisme, c’est top!
Mais c’est devenu complètement autre
chose.
«Je pense qu’il n’ y a pas de doute : ces deux-là sont des grands fanas de chats! Ils en ont huit!»«
“C’est beau, la façondont ils ont mis la
table. C’est agréabled’être accueilli
comme ça!”
2 août 2009 dans le métro de Berlin, ligne 2,direction spandau. Ce revêtement doit êtrefait pour rappeler aux usagers du métro qu’ilssont à Berlin, au cas où ils l’oublieraient,et qu’il y a plein de monuments, comme laPorte de Brandebourg.
«
»
dannhof
Raimo et Rosemarie Kobra travaillent tous lesdeux à l’usine de fil de fer et ils habitent dansune maison au bord du village depuis 1972. Ilsaiment faire des séances de sauna dans leurjardin, et ils adorent les chats. Ils se sont rencontrés à Berlin-Est, pendant leurs études.Raimo est finlandais et devait ne rester qu’unan. Il est alors rentré chez lui, et leur liaison étaitcondamnée à se terminer là. lui du côté du mur “capitaliste” ne pouvait la
rejoindre et elle ne pouvant sortir, alors
qu’elle était enceinte.
Chacun de son côté s’est battu contre les administrations de son pays pour finalement obtenir la permission de se marier en RDA. C’estalors que Raimo est venu et il a pu prendre sonenfant dans les bras. Leur fils avait un an.
Le ministre des affaires étran-gères de la RFA, Hans DietrichGenscher, annonce que les5000 Allemands de l’Est occu-pant l’ambassade de la RFA àPrague, peuvent regagner leterritoire ouest-allemand.
40ième anniversaire de laRDA : Michael Gorbatchev de-mande au gouvernement Est-allemand de mettre en placedes réformes pour la démo-cratisation du pays. Le mêmejour, plus de 1000 manifes-tants sont emprisonnés dansplusieurs villes du pays.
120 000 personnes manifes-tent à Leipzig pour réclamerdes réformes démocratiques.
Erich Honecker démissionnede toutes ses fonctions “pourraison de santé”. Il sera remplacé par Egon Krenz.
Historiquede la réunification allemande (1)
Erich Honecker, chef d’état dela RDA, assure que le mur“restera debout encore dans50 ou 100 ans”.
La Hongrie commence le démantèlement des barbelésà la frontière avec l’Autriche.
À Sopron, en Hongrie, 600 Allemands de l’Est en vacancesfuient en Autriche lors d’unemanifestation culturelle.
La première manifestationpour réclamer plus de démo-cratie a lieu en RDA, à Leipzig.
La Hongrie ouvre totalementsa frontière avec l’Autriche. Jusqu’à la fin du mois, 25 000 réfugiés vont en Allemagne de l’Ouest.
//////// 19 janvier ////////
//////// 02 mai ////////
//////// 19 août ////////
//////// 04 septembre ////////
//////// 11 septembre ////////
//////// 30 septembre ////////
//////// 07 octobre ////////
//////// 16 octobre ////////
//////// 18 octobre ////////
Francfort-sur-l’Oder est une ville d’envi-
ron 60 000 habitants qui se trouve au bord
du fleuve qui sépare l’Allemagne de la Po-
logne : l’Oder. En passant par un pont, on
arrive dans la ville de Slubice, côté Po-
logne. Avant la Deuxième Guerre mondiale,
Slubice faisait partie de Francfort, les
deux côtés ont beaucoup souffert des bom-
bardements des Alliés. Ainsi, à Francfort,
plus de 90% du centre-ville a été détruit
et reconstruit sur un mode soviétique.
Aujourd’hui, cette ville souffre beaucoup
de la désertification : en 20 ans, elle a
perdu presque un tiers de ses habitants et
l’on trouve beaucoup d’endroits avec des
immeubles et des maisons abandonnés.
Je suis venu pour la première fois en 1992,
pour aller dans un petit village juste à
côté : Schönfliess. C’est là où mon père agrandi avant de fuir, à l’âge de 10 ans,aveC ma grand-mère l’avanCée de l’arméerouge. Mon grand père y avait une belle
ferme. Elle est détruite, mais les terres
sont revenues à ma famille, en 1991. J’y
connais quelques personnes, parce que mon
père a gardé un lien avec elles.
> M. KÄRCHER
francfort
Sur l’Oder
L’endroit
d’où vient une moitié de moi
Ce monsieur est M. Kärcher.
Il est gestionnaire d’une coopérative agricole à Schönfliess
où il habite. Il s’occupe des grandes orientations de
l’entreprise qui loue 1500 Ha de terres agricoles et
emploie 22 personnes.
Il aime voyager et faire des sorties dans la nature, notam-
ment vers les nombreux lacs qui se trouvent à proximité.
Je l’ai rencontré dans son bureau. Il y avait un grand
nombre d’objets insolites : un faux chien sur un fauteuil, un
petit camion en plastique sur lequel étaient imprimées des
photos du jour où la coopérative avait décidé d’abandon-
ner son élevage de vaches à lait. On y trouvait aussi une
vieille carte scolaire montrant l’Allemagne d’après-guerre.
Après la guerre, les exploitations agricoles privées
avaient été supprimées et mises en collectivité. En-
suite, avec la réunification, les employés se sont re-
trouvés dans des coopératives agricoles. Mais ce
qui a été difficile, c’est qu’au temps de la RDA, les
ouvriers n’avaient pas à se préoccuper de la gestion
de l’ensemble. après, ils ont eu des difficultés pour
assumer les responsabilités. Mais c’était normal :
quand la direction locale du parti socialiste disait ce
qu’il fallait produire et combien, on ne se trouvait
pas face à des questions concernant la vente des
produits. Donc, il a fallu tout réapprendre.
Une autre difficulté : les machines.
Aujourd’hui il y a tellement de fabricants différents
d’engins agricoles qu’il est impossible de mettre la
remorque de telle marque derrière un tracteur
d’une autre marque. Nous sommes obligés
d’acheter tout du même fabricant, et le reste, on
peut le mettre à la casse. C’est du gaspillage :
nous vivons maintenant dans une société où tout se
jette. Avec les produits agricoles, c’est pareil. Les
légumes sont produits, puis ensuite acheminés vers
«C’est ici que mon père a grandi. Il
n’a jamais parlé du moment où il a
fui l’Armée Rouge, en 1945. Il dit
qu’il ne faut pas remuer le passé,
comme s’il craignait de revivre cet
instant.»
« Pourquoi a-t-il mis
un faux chien sur le
fauteuil ? Je regrette
de ne pas lui avoir
demandé...»
«
»
« Cette ville doit
cacher beaucoup de
trésors, elle
n’est pas belle,
mais il y a de la
chaleur et de la
couleur derrière
le gris des
bâtiments.»
la Hollande, d’où ils sont ramenés ici
pour qu’ils les vendent en tant que
« concombres hollandais ».
Je pense sincèrement que nous
vivons très largement au-dessus de
nos moyens et que cela ne va pas
pouvoir durer longtemps.
> BERND MIODECKI
Cette�image�de�Honecker,�je�l’ai
dans�mon�atelier,�parce�que�je�peux
me�rappeler�du�temps�de�la�RDA
quand�j’en�ai�envie.�Ce�n’est�pas
que�je�sois�un�nostalgique,�mais�il�y
avait�beaucoup�de�choses�que�
j’appréciais.�
Quand�quelqu’un�avait�un�problème
pour�travailler�parce�qu’il�était�
malade�ou�en�dépression,�voire�
alcoolique,�quelqu’un�s’en�occupait.
Le�responsable�désignait�un�
parrain�qui�devait�garantir�que�celui
qui�avait�un�problème�viendrait.�Il
devait�le�réveiller�le�matin,�s’il�avait
du�mal�à�se�lever.�Il�devait�aussi
l’amener�chez�le�médecin.�
Aujourd’hui,�on�les�laisse�tomber.�
Je�ne�peux�pas�le�dire�autrement�:
je suis très heureux d’avoir pu vivre
et connaître la rda ! »
Ce�qui�m’a�choqué�le�plus�après la
chute du mur c’était que, dans le
village, les habitants s’enviaient de
plus en plus. En�RDA,�on�n’était�pas�éduqué�à
prendre�les�choses�en�main�et�on�a
quand�même�grandi�dans�une�
certaine�sécurité.�Quand�j’ai�monté
la�casse,�on�me�regardait�en�disant�
«�lui�là,�il�a�de�l’argent�».�Alors�que
j’ai�juste�pris�le�risque�de�me�lancer.�
« Comme Bernd
était heureux
de savoir qu’on
s’intéresse aux
Allemands de
l’Est!»
Revêtement de siège obseRvé dans l’avion de16h25, munich - beRlin, le 27 juillet 2009.Quel message secret pourrait se cacher dans le
tissu du siège ? Un ordre d’espionnage pour un
agent russe ? Une indication pour poser une bombe
à un endroit précis dans l’avion ? (Je n’ose y
penser!)
«
»
francfortsur l’oder
Lui,�c’est�Bernd�Miodecki.�
Il�est�propriétaire�d’une�casse�de�voitures�à�côté
de�Francfort-sur-l’Oder�à�Schönfliess,�village�où�il
habite�également�avec�sa�femme�Heike�et�son�fils
René. il a fondé son entreprise au moment
de la réunification. C’est�un�inconditionnel�de�la�nature�et�il�s’occupe
d’une�grande�réserve�de�chasse�au�village.��Je�l’ai
rencontré�pour�la�première�fois�en�1992�et�quand
je� l’ai� appelé� pour� le� revoir,� il� était� fou� de� joie.
Comme�il�y�a�17�ans,�nous�avons�fait�des�sorties
de�chasse,�sans�chasser�pour�autant.�Il�aime�juste
être�dehors�et�regarder�ce�qui�s’y�trouve.�
J’ai�été�impressionné�par�sa�connaissance�de�la
faune� et� de� la� flore,� ainsi� que� par� son� regard�
critique�sur� la�société.�Nous�avons�eu�quelques�
discussions�passionnées,�autour�de�la�politique,�la
nature�et�la�vie�tout�simplement.�Il�ne�serait�pas
exagéré�de�dire�qu‘il�est�devenu�un�ami.�� «C’est une grande aventure de voyager
comme ça. Je peux plonger là où je
ne serais jamais allé autrement.»
Des�milliers�de�personnes�oc-
cupent�le�siège�de�la�STASI,�la
police�secrète�de�la�RDA,�à
Berlin.�
Début�des�négociations�dites
«2+4»�entre�les�deux�Alle-
magnes�et�les�Etats-Unis,�la
Grande-Bretagne,�la�France�et
l’Union�Soviétique.�
Premières�élections�démocra-
tiques�en�RDA�:�la�droite,�parti
politique�de�Helmut�Kohl,
gagne�le�scrutin.�
Début�de�la�démolition�du�mur
de�Berlin.�
Union�monétaire�entre�les
deux�Allemagnes,�la�RDA
adopte�le�“Deutsche�Mark”.�
La�RDA�est�rattachée�à�la
RFA,�la�réunification�politique
est�achevée.�
Historiquede la réunification allemande (2)
Plus�d’un�million�de�personnes
manifestent�à�Berlin�Alexan-
derplatz.�
La�RDA�ouvre�les�frontières,
d’abord�à�Berlin-Ouest,�puis�à
la�limite�avec�la�RFA.�
Le�chancelier�Helmut�Kohl
prépare�un�plan�de�10�points
pour�“dépasser�la�division�de
l’Allemagne�et�celle�de�l’Eu-
rope”.�
Le�gouvernement�de�la�RDA
démissionne.�Des�centaines
de�milliers�de�personnes
forment�une�chaîne�humaine
à�travers�le�pays�pour�réclamer
un�renouvellement�démo-
cratique.�
Pour�la�première�fois,�les�
manifestants�demandent�une�
Allemagne�unie�à�Leipzig.�
//////// 4 novembre ////////
//////// 9 novembre ////////
//////// 28 novembre ////////
//////// 03 décembre ////////
//////// 11 décembre ////////
//////// 15 janvier ////////
//////// 13 février ////////
//////// 18 mars ////////
//////// 15 juin ////////
//////// 01 juilet ////////
//////// 03 octobre ////////
> M. ET MME MUCHAJA
école maternelle, des commerces etcurieusement, ce quartier est à nouveau très prisé.
J’entends souvent des Allemands del’Ouest dire : « Vous les pauvres, cela a dû être dur en RDA, vous étiez enfermés, etc. ». n’importe quoi ! nous pouvions voyager.pas à paris ou à londres, c’est vrai, on
aurait bien aimé, mais nous pouvions
aller à la mer noire où à la montagne.Ce n’était pas cher. Aujourd’hui tout lemonde ne peut pas se le permettre. À
quoi ça sert la liberté de voyager s’il estimpossible d’y aller, faute d’argent ?
moquette observée dans le train de 22h05 berlin
à dresde, le 12 juillet 2009. Cela ressemble à ce
qu’on voit quand on s’approche de très près d’un
vieux poste de télévision couleur. C’est-à-dire quand
on se colle sur le tube cathodique. Rien que d’y penser
me fait mal aux yeux.
«
»
francfort
sur l’oder
Ce couple s’appelle M. et Mme Muchaja. Ils vivent dans un quartier d’immeubles des années1970, en bordure de la ville de Francfort. Lui travaille pour une grande chaîne d’hôtellerie et elleest directrice de l’école maternelle du quartier. Cesont des passionnés de cinéma et de littérature.
Je les ai rencontrés en demandant mon cheminet, de fil en aiguille, ils ont accepté de rester avecmoi dans le café du quartier où je m’étais perdu.
Ce qui m’a marqué, c’était leur joie presque
enfantine, quand le serveur nous a apporté une
glace dans un cornet en forme de bol. Ils m’ont
expliqué que c’était la forme des cornets de glace
en RDA, et que c’était la première fois qu’ils en
voyaient de nouveau depuis la réunification.
Ce quartier, Neuberesinchen, s’estpratiquement vidé de ses habitantspendant les années qui ont suivi laréunification et ses immeubles ontcommencé à se délabrer. on n’a plus
voulu de ces barres qui étaient quand
même ce qu’il y avait de plus moderne
en rda. À l’époque c’était très recherché. Puis des entreprises ontcommencé à démolir les immeubles.
Ce qu’il faut savoir, c’est que les pro-priétaires des habitations encaissaient
une subvention, et la démolition était
prise en charge par l’etat. En plus, vuqu’il y avait moins de logements, celaa fait monter les prix des locations, cequi arrangeait évidemment les propriétaires. Ce quartier était sur lepoint de disparaître, s’il n’y avait paseu d’habitants pour lutter. Ils ontremis eux-mêmes leurs immeublesen état et ils sont allés devant la justice pour arrêter les démolisseurs. Aujourd’hui, nous avons une grande
Cette carte montre les zones d’occupa-tion des Alliés. Elle était encore valideen 1949, date de la création des deuxétats allemands. La zone d’occupationsoviétque devient alors la RDA ; leszones britannique, américaine et française deviennent la RFA.L’ancienne frontière entre la RDA (Ré-publique Démocratique d’Allemagne faisant partie du Pacte de Varsovie) etla RFA (République Fédérale d’Alle-magne appartenant à l’OTAN) se situaitentre la zone soviétique (en orange) etles autres zones. La ville de Berlin était à son tour décou-pée en quatre parties, dont les troissecteurs appartenant aux alliés occidentaux formaient Berlin-Ouest.Cette partie était rattachée politique-ment à l’Allemagne de l’Ouest. Le mur a été construit en 1961, suite àl’exode massif de la population est-alle-mande vers l’Ouest. C’est ainsi, qu’enune seule nuit, celle du 13 août, la frontière est devenue infranchissable etdes familles ont été séparées. Berlin, complètement entourée par lemur, formait ainsi un îlot dans le terri-toire de la RDA. Ses habitants officielle-ment de nationalité fédérale allemandeavaient un statut particulier : ils étaientexemptés de service militaire et possé-daient seulement une carte d’identité“provisoire”. Leurs passeports n’étaientpas reconnus par les pays du bloc del’Est. Ils n’étaient pas non plus validespour transiter de la RDA depuis Berlin-Ouest vers la RFA.
zones d’occupation
« Ces petits bonshommes
des feux piétons ce
sont ceux qu’il y avait
en RDA. Cette photo
vient de l‘ouest de
Berlin. C’est la seule
chose qui a été adoptée
par la RFA après la
réunification. «
Dresde est une ville de 500 000 habitants. Elle aété le siège, au 16ième siècle, d’une cour royale,d’où les nombreux édifices de style baroque.
À la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la villea été détruite à 60% et 25 000 personnes ont péri.Reconstruite sous le gouvernement de la RDA, lesruines du centre historique avaient été remplacéespar des barres d’immeubles.
J’ai été dans cette ville deux fois, quelques semaines après la chute du mur. Ce qui m’avait impressionné : en plein milieu, il y avait un tasde pierres, vestiges de la Frauenkirche, une cathédrale baroque.
Il y avait une odeur de charbon brûlé qui ressem-blait à celle du jambon fumé.Au retour, presque 20 ans plus tard, le tableauétait tout autre : la ville a été refaite à neuf,le gris des bâtiments a été remplacé par la peinture ocre et jaune.
Désormais, la ville bouillonne de vie, on voit beau-coup de jeunes gens et des enfants dans les rues.
Ne connaissant personne en arrivant, j’ai été surpris par l’accueil et la curiosité des habi-tants que j’ai pu croiser. En partant, j’avaiscinq invitations pour rEstEr dormir lors dE mon
prochain passagE.
> VERONIKA YVONNE BEER
DreSDE
ma plus belle ville
J’ai senti que le moment était venu
lorsque les manifestations ont com-
mencé ici à Dresde. Quand le mur est
tombé, je suis partie immédiatement à
Berlin. J’avais mon sac à dos rempli de
bières et un peu de nourriture – berlin,
c’était tout à fait autre chose, plein de
couleurs et je m’y suis acheté un magné-
tophone avec l’argent de bienvenue.
En décembre, je suis partie définitive-
ment. Il y avait une rumeur selon la-
quelle le mur allait être refermé lorsque
ceux qui voulaient aller à l’Ouest seraient
partis. Donc, j’y suis allée. Je n’ai rien dit
à mes parents, c’était tendu entre nous.
Je leur ai envoyé une carte postale :
« Je suis à l’Ouest ! ».
D’abord j’étais dans un grand camp de
réfugiés à Giessen, où j’ai rencontré un
SDF avec qui j’ai fait la route jusqu’à Lü-
beck, pour aller dans un autre camp. De
là, je suis repartie seule, avec un bus de
l’armée de la RFA dans une caserne. On
y était logés, cela appartenait à l’OTAN.
Je m’y sentais en sécurité. j’avais peur
de rencontrer des agents de la rda.
«Cette ville est magnifique, tout estneuf. D’habitude ce n’est pas de mon
goût, mais ici, c’est différent. Ça aété refait avec beaucoup d’attention.»
«Tiens, cet emballage de paquet de cigarettes!C’est marrant, je connais une Caroline àAnnecy qui porte toujours des jupes àcarreaux noir et blanc.»
«
»
«J’étais ici, au mêmeendroit, il y a 20 ans.Il y avait la ruine de laFrauenkirche devant moi.Et maintenant elle y est,grande et majestueuse!»
ces agents étaient dans les camps pour
nous convaincre de rentrer, ils propo-
saient de l’argent et le billet de retour.
Ensuite j’ai obtenu un appartement à
Flensburg où je vis maintenant.
Cette jeune femme s’appelle Veronika Yvonne Beer.
Elle est graphiste et vit à Flensburg, dans l’extrême nord
de l’Allemagne. Mais elle a grandi à Dresde, où elle
revient tous les deux ans pour voir sa famille.
Elle aime les beaux endroits des villes, elle aime la bière
et les cigarettes de l’Allemagne de l’Est, et elle est une
adepte de la série de science-fiction « Star Treck ».
Je l’ai rencontrée à la gare. Elle était dans une friterie en
train de boire une bière. Quand nous avons commencé
à parler, elle a tout de suite accepté ma proposition de
l’interroger sur son histoire, et nous nous sommes
installés dans un café du centre commercial.
Ce qui m’a frappé, c’était son allure un peu perdue, une
fragilité, une certaine tendresse aussi et une envie forte
de rencontrer les gens.
Elle était très fière de son nom de famille : « Beer », mot
anglais pour sa boisson préférée.
> BURKARD SEIDL
Quand je suis allé pour la première foisà l’Ouest, en 1989, je trouvais que
c’était horrible : trop de couleurs, debruit, et trop de règles aussi. À Berlin-
Ouest, chaque espace était fonctionnel. il est dit où il faut marcher, où faire du
vélo, conduire, alors que chez moi, nous
pouvions faire ce que nous voulions. Et même quand j’y vais maintenant, je
n’y trouve pas goût : les trottoirs sont enbriques de béton rose, je ne comprendspas pourquoi à l’Ouest, ils ont mis ces
briques partout. C’est horrible, c’est laid !
moquette observée dans le train de 14h53 dedresde à berlin, 2ème classe. Cela ressemble à ce
qu’on voit d’un avion quand on vole au-dessus d’une
grande ville pendant la nuit. Les taches sombres
sont des nuages, et les points, les fenêtres des
habitations.
« Un papillon de
nuit, c’est reposant,
rien qu’à le
regarder.»
«
»
dresde
Ce jeune homme s’appelle Burkard Seidl. Il vit avec sa compagne, Susanne, et leur enfantdans un grand château à côté de Dresde. Il estarchitecte et elle est restauratrice en bâtiments.Ils ont acheté cet endroit en 2006 et ils sont entrain de restaurer l’ensemble du domaine. Ils aiment travailler la pierre, enlever les couchesde peinture du mur de la cage d’escalier poursavoir quelles couches ont précédé l’actuelle et àquelle époque. Ils aiment construire et réinventer,imaginer l’intérieur du château et comment serale parc dans quelques années. Je les ai rencontrés grâce à des amis d’amis quiavaient leur contact : ils ont immédiatementaccepté de m’héberger. Ce qui m’a impressionné, c’est quand Susanne m’adit qu’elle avait grandi à proximité du lieu et qu’ellea toujours rêvé d’y habiter. un jour, elle a envoyé
ce vœu dans l’avenir et voilà qu’elle se retrouve
jeune châtelaine.
Il y a eu les manifestations à l’au-tomne 1989, surtout à Dresde. Nousréclamions plus de liberté pourvoyager et plus de démocratie. L’arméea commencé à installer des barbelésle long de la frontière tchécoslovaque. c’était très dangereux de manifester :il y avait des soldats. De temps entemps ils prenaient un manifestant auhasard, le tabassaient et le mettaienten prison. L’armée avait mêmecommencé à construire des prisonsde grande taille pour y interner lesopposants. Mon frère a été arrêté,juste parce qu’il avait un prospectusde Greenpeace. Il avait été amené enprison à Bautzen où il a été probablementtorturé, mais au retour, il ne voulaitpas en parler. Ce qui me met en rage, c’est que lesactivistes, ceux qui avaient le courage
de s’opposer à l’etat, ont été oubliés
après la chute du mur. Plus personnene les écoutait, et tout le mondes’était précipité sur le nouveau systèmecapitaliste, sans se poser de questions.
Les parties claires sur la carterepre sentent les endroits avecune perte de mographique quipeut aller jusqu'a 1,9% par an. Lesparties les plus fonce es, quant aelles, nous montrent une augmentation de mographiquejusqu'a 1,7%. Afin de mieuxcomprendre ces chiffres, il fautsavoir que le pays perd actuellementen moyenne 0,6% de sa populationchaque année par de ce s ou parmigration.Aux endroits ou la population augmente, on trouve souvent desconditions de vie meilleures : il y a
de l’emploi, des e coles et ce sontaussi le plus souvent des popula-tions aise es. Sur pratiquementtout le territoire de l’ancienneRDA, la population diminue encore fortement. Autour de Ber-lin ce n’est pas le cas, ni a Dresde.Aux abords de la capitale, ce sontdes habitants qui se de placent quotidiennement pour aller travailleren ville. A Dresde ou a Leipzig,c’est tout simplement parce queces villes sont tre s dynamiques etqu’elles accueillent beaucoup desites de production industrielle.
CHANGEMENTS DéMOGRAPHIQUES
ENTRE 2009 ET 2010
> sylvia tröster
Moquette observée dans un bus de dresde,ligne 112 desservant dresden-neustadt.Étonnant, ce dessin, on dirait des confettisdispersés sur la banquise en train de fondre.J’arrive difficilement à imaginer qu’un enfant inuit fête son anniversaire avec desconfettis.
«En partant, elle m’a enlacé. C’était un moment fort et très simple,on avait juste envie de se serrer dans les bras.»
«dresde
Sylvia Tröster vit à Dresde depuis 1992, elle vientde Bâle en Suisse. En arrivant, Sylvia a travaillé pendant quelques années comme enseignante enlangue avant de fonder une petite entreprise oùelle organise des visites guidées de la ville.
Au moment où je l’ai rencontrée, elle venait de perdre son mari. Elle aime l’art, la littérature, et leslangues. Elle s’intéresse à l’histoire des villes et deses habitants. Je l’ai croisée par hasard, dans le tram en allant àune fête de quartier. Elle a été tout de suite enthousiaste pour parler avec moi de cette ville. J’ai été impressionné par sa collection d’objets enréférence à un tableau de Raphaël. Dans ses WC,on trouve des cartes et des bibelots représentantles deux anges du tableau. C’est une femme trèsinstruite et critique, mais qui s’abstient de juger.
À partir de la première euphorie pendant les mois qui ont suivi la chutedu mur, il s’est produit une « reprise »de la RDA par la RFA. C’est devenu unrapport hiérarchique : le cousin richeet le cousin pauvre.
Mais il ne faut pas voir l’Est commeétant la victime, parce qu’ici, on voulaitle Mark de l’Ouest tout de suite, sansse préoccuper des conséquences.donc, il n’y avait Pas eu le temPs Pour
négocier quelles auraient été les va-leurs de société à garder ou à écarter,ni Pour exPérimenter quoi que ce soit. C’est pour cela que les initiateurs decette révolution pacifique qui avait apporté la chute du mur ont été mis àl’écart. Ces gens vivent aujourd’huidans la misère et ceux qui avaient despostes importants en RDA en ont retrouvé dans le nouveau système. Lesjournalistes surtout, qui ont beaucoupcontribué à l’avènement de la chute dumur, ne sont plus demandés : on leur adonné une médaille et puis « Au revoiret merci ! »
Toute la ville avait été détruite à la finde la guerre. Il y avait 12 églises, plusieurs palais, des châteaux et l’opéraSemper, qui ont été, pour la plupart, reconstruits par la RDA. Même avant la chute du mur, les touristes de l’Ouest venaient visiter laville pour son patrimoine artistique. C’est pourquoi la ville s’en est si biensortie. tout ce Passé culturel est at-tractiF et les investisseurs y viennent.Surtout dans les années 90, quand jefaisais les visites guidées, les Allemandsde l’Ouest ne voulaient pas le croire, ilspensaient que tout avait été reconstruitavec leur seul argent. Puis je me suisfait traiter « d’Allemande de l’Est ». Il yavait cette arrogance, mais je dois direque ça va bien mieux aujourd’hui. » Le mur de Berlin était en réalité un
ensemble d’installations qui servait àempêcher la fuite vers l’Ouest. En voici seulement quelques éléments,en allant du territoire de la RDA versl’Ouest.
- Un mur de béton, haut de deux àtrois mètres.
- Une alarme à détection de contactau sol.
- Des pistes pour chien.
- Des fossés de défense contre les véhicules et des défenses anti-char.
- Des rails de chemin de fer soudésen croix.
- Un chemin de ronde pour l’accèsaux postes de garde.
- Des miradors équipés de projec-teurs de recherche.
- Des pistes fréquemment herséespour détecter les traces.
éléments du mur de BerlinPotsdamer Platz
Panneau à l’ancien check- Point char-lie, avril 2009, Berlin Friedrichss-trasse. Des touristes passent à cetendroit qui était encore infranchissableen 1989. Les bâtiments visibles setrouvent dans l’ancien Berlin-Est. Dansles années 80 imaginer des touristes visitant ce lieu relevait d’une utopie ab-solue et d’une rêverie simplement folle.
- Un mur frontière coiffé de béton quiétait moulé pour empêcher toute prise.
Les gardes-frontières avaient l’ordre detirer sur quiconque voulait traverser lalimite. On estime que 1135 personnes y onttrouvé la mort pendant les 27 ans del’existence de l’édifice.
Halle est une ville qui s’est construite autour
de l’exploitation d’une source de saumure, qui
servait à extraire du sel et à le commercialiser.
Des mines de charbon sont présentes aux alentours
de la ville, et leur exploitation a duré
plusieurs siècles avant leurs fermetures.
La ville a été très peu touchée par les
bombardements de la Deuxième Guerre mondiale,
raison pour laquelle l’on y trouve beaucoup
d’anciens bâtiments, qui ont été restaurés
pendant les 20 dernières années, ou qui sont en
cours de réhabilitation.
Cette ville de 233 000 habitants, héberge une
des plus anciennes académies de l’Allemagne :
l’Université Martin Luther.
ce qui a beaucoup influencé le développement dela ville, c’est la construction de plusieurs
grands complexes d’industrie chimique à proximité. La RDA a fait construire des quar-
tiers faits de grands ensembles pour y héberger
des dizaines de milliers d’ouvriers.
Après la chute du mur, Halle a perdu 80 000
habitants ; mais la tendance s’est ralentie,
puis arrêtée ces dernières années.
Halle fait partie des quelques villes de
l’Allemagne de l’Est comme Dresde et Leipzig,
qui connaissent aujourd’hui une grande activité
économique et culturelle, et qui restent très
attractives.
HALLE
LA VILLE AUX TEMPS MULTIPLES
moquette des sièges du tramway ligne 9,direction neustadt. C'est seulement en s'approchant qu'on peut voir des
petites voitures oranges dans un bouchon gigantesque : la
société des transports en commun « HAVAG » veut probablement
nous inciter à prendre le tram.
« Les plaques d’égoût présentent le sigle
de Halle. Mais je ne le sais pas encore, et
je pense que ces plaques ont été
offertes par un riche émir d’Orient. Ce
signe représente néanmoins la saumure
et l’extraction de sel.»
« Tiens, il est encore vivant celui-là !
C’est le chanteur des années 80 qui
représentait pour moi ce qu’il y avait
de plus ennuyeux !»
Halle se trouve dans une vaste plaine avec des
champs et des forêts. Quand l’air est froid et
limpide, on peut voir de la vapeur d’eau ou de la
fumée qui monte des cheminées des sites industriels
alentour.
La ville est aussi entourée d’un grand nombre de
petits lacs qui sont dus aux mines d’exploitation
charbonnière. La rivière Saale traverse Halle. cecours d’eau faisait partie de ceux qui étaient lesplus pollués de la rda, les habitants pouvaient observer des changements de couleur de l’eau causés
par les rejets industriels. Depuis quelques années
seulement, on peut s’y baigner à nouveau et les
poissons d’eau douce ont réinvesti la Saale.
Ce qui est étonnant c’est que les rues et les
bâtiments sont en grande partie bien entretenus,
mais on observe souvent dans une même allée des
immeubles rénovés, et d’autres, à côté qui tombent
en ruine, et qui sont entourés de clôtures pour
prévenir du risque de chute de gravats. Parfois,
des immeubles ont été enlevés telle une dent
malade, et on y retrouve un trou qui sert de parking.
en me déplaçant dans cette ville, j’ai eu l’impression de changer radicalement d’époqued’un endroit à un autre, comme si le temps s’était arrêté par ci, par-là. Il suffit de faire 100 m à
partir de la place historique et rénovée du marché,
et l’on se retrouve comme en RDA avec des immeubles
qui n’ont pas été refaits, et portant encore le
gris-noir d’avant la réunification.
> FRANK FRICKE
ter mon métier et j’ai commencé à
revendre des vieux manteaux et des
articles en cuir. En RDA il fallait un
salaire mensuel pour une veste, alors
les gens ont fait la queue !
Je faisais partie d’un groupe de punk.
en rdA, nous ne pouvions pAs critiquer,Alors il fAllAit pArler entre les lignes.Par exemple, les textes des groupes de
musique étaient examinés par
l’instance qui s’occupait de la censure.
Pour avoir la permission de les jouer,
les groupes utilisaient des images et
des métaphores. Les artistes y
puisaient leur inspiration. Puis, les
contrôleurs se demandaient pourquoi
les concerts étaient tant visités : ils ne
comprenaient pas forcément les textes !
Puis, après la chute du mur, ces
groupes ont été délaissés, le public
s’est tourné vers la musique occidentale.
En 1990, un grand journal allemand a
publié une grande partie des noms des
IM, les informateurs de la STASI.
Nous étions 15 à nous voir régulière-
ment pour boire un verre, et un soir le nom d’un entre
nous est apparu dans cette liste. Bien sûr il n’est jamais
revenu. Et les autres faisaient des commentaires du type :
« Je comprends maintenant pourquoi il m’avait appelé un
soir à 22h30 » ou « de toute façon il était bizarre au
travail ». Tout le monde s’y est mis.
Une semaine plus tard, un autre nom était publié, et ainsi
de suite…
Mais il faut bien comprendre dans quel état étaient ces
IM. Ils avaient rendez-vous avec la STASI une fois par
mois, et devaient la renseigner sur leurs amis ou collègues.
Et l’air de rien, le lendemain ils revenaient au travail.
Je pense que certains devaient carrément oublier qu’ils
étaient IM ; ils n’auraient pas pu le faire autrement, cela
aurait été insupportable. Ils changeaient de personnalité
– ils devaient être en quelque sorte schizophrènes pour
supporter cette double vie. il fAut imAginer à quel point
ce système de surveillAnce et de dénonciAtion étAit per-vers. je comprends que certAins en soient devenus fous.
Certains IM essayaient d’autres stratégies : ils ne
disaient que des banalités sur les autres : « C’est un
ouvrier exemplaire, patriotique et il a des chats à la mai-
son ». Nous nous appelions par des petits noms, comme
« moineau » ou « cheval qui chuchote ». Ainsi les IM ne
pouvaient pas nous identifier.
«
»
HALLE
Frank tient un magasin de vêtements en cuir dans
le centre-ville de Halle non loin des bars
estudiantins.
Né à Halle en 1959, il y est resté tout en
voyageant, souvent de façon clandestine. AvAnt
1998, il s’est risqué en union soviétique sAns
AutorisAtion. Cependant, l’idée de fuir la RDA ne lui
est jamais venue. Frank a fait partie des mouve-
ments contestataires des milieux artistiques
d’avant 1989 ; il s’ est désinvesti lorsque les mani-
festations ont commencé à être un phénomène de
masse.
Tous ceux que j’ai rencontrés à Halle connaissent
Frank et l’apprécient. C’est quelqu’un de la RDA qui
n’a pas perdu ses convictions.
J’ai passé plusieurs soirées en sa compagnie à
écouter sa voix grave et son rire profond.
J’étais garagiste en RDA. Un jour j’ai
fait les puces et quelqu’un vendait des
boucles d’oreilles fabriquées par lui-
même. ça m’a fait tilt et j’avais envie
d’en faire des plus réussies. J’ai
décidé d’en vendre en 1988 ; j’aurais
pu le faire en tant qu’artiste, mais
pour cela il fallait une attestation
d’état qui certifie que j’avais suivi des
études d’art.
Cependant, sans travail je risquais la
prison.
Finalement j’ai obtenu une « autorisa-
tion de vente en temps de loisir » et
j’ai travaillé dans la « Solidarité du Peu-
ple», une structure d’aide aux
personnes où je me suis occupé de
deux mamies. J’ai pu ainsi fabriquer
et vendre mes bijoux. Cette structure
était aussi un réceptacle pour
d’autres artistes sans attestation.
Ainsi le chAngement A été plus fAcile
pour moi, vu que je trAvAillAis déjà
d’une fAçon ‘cApitAliste’.Mais vers 1989/90 la clientèle s’est
jetée sur les bijoux de l’Ouest mer-
diques et bon marché. J’ai dû réinven-
« En écoutant Frank, je me suis dit qu’il a vécu autant de vies qu’il y ade vêtements dans son magasin. »
> RENé KLOTHmourir bête, je voulais connaître les
nouvelles techniques de l’Ouest.
Aujourd’hui je vis à Halle à cause d’une
histoire d’amour qui n‘a pas fonctionné.
Je n’aime pas être ici. Au début de la
réunification, beaucoup de personnes
étaient malhonnêtes, mais je suis toujours
resté, et je resterai là, parce que je
déteste les changements, et puis, j’ai 7
chats dont je m’occupe. Désormais, je
commence d’abord à regarder les
gens pour savoir s’ils sont honnêtes ou
pas, et j’arrive à ne plus tomber dans le
panneau.
Finalement je suis bien, les gens viennent
ici pour boire un café et pour parler.
Toute cette communication entre les
gens a disparu avec la réunification,
mais je suis en train de reconstruire
tout ça dans mon magasin. Par exemple,
une femme vient me demander de garder
sa fille le temps qu’elle aille chez le
docteur, et puis la petite peut faire un
peu de poterie. je fais attention aux voi-tures des voisins etc, et ainsi, je ramène
ici le village de mon enfance lorsque
j’étais plus heureux.
«
»
HALLE
René vit et travaille dans le quartier de St Paulus
de la ville de Halle où il tient une poterie.
Le magasin et l'atelier attenant sont le point de
rendez-vous du quartier tout entier. Il y a toujours
quelqu'un qui lit, un voisin qui travaille sur une pièce
de poterie, ou des habitants du quartier qui s'y
arrêtent pour boire le café qu'il leur offre.
Il partage les locaux avec sept chats, dont trois ont
le droit de dormir dans son atelier.
Tous les enfants du quartier connaissent René et
à l’entrée, il y a un grand pot rempli de bonbons où
tout le monde peut se servir. il prend un malin
plaisir à faire croire aux enfants qu'il est en réalité
le père noël, et qu’ils ont la chance de pouvoir le
voir pedant l'année, en train de fabriquer tous les
cadeaux pour le réveillon.
Du temps de la RDA, j'ai travaillé à la Reichsbahn
(la société de chemins de fer de la RDA) comme
plombier. C'était un métier rare, et j'étais bien
payé. Et puis je travaillais en plus au noir le week-
end ; c’était permis, ou plutôt
personne ne s’en préoccupait. C’était
tranquille comme travail : vu le
manque de matériel en RDA, nous
n’avions pas grand-chose à faire.
Nous réutilisions du matériel en le
mettant dans de l’acide, un coup de
brosse et c’est reparti. Personne n’en
est jamais mort, à vrai dire. Nous
pouvions aussi récupérer du matériel,
et l'utiliser sans qu'on nous dise quoi
que ce soit, ce n'était même pas
considéré comme du vol.
J’étais bien, nous avions tout. Avec
l’argent que je gagnais en plus, je
pouvais m’acheter une chaîne hifi et
une télé produites en RDA. grâce à
certaines relations, j’ai même obtenu
un appartement en septembre 1989alors que j’étais célibataire ! Mais au lendemain de la réunification,
j'ai donné ma démission : mon contre-
maître refusait de travailler avec le
nouveau matériel de plomberie de
l'Ouest ; il fallait d'abord utiliser les
stocks qui étaient là, c’est-à-dire des
tuyaux en plomb : je ne voulais pas
«Papier d’emballage de beurre de la RDA. Je me dis que René tient tant à ce pays disparu qu’il tente de garderles choses les plus éphémères.»
« René m’a montréune assiette qu’ila trouvée dans les
poubelles : une récompense pour des
citoyens particu-lièrement fidèlesau parti gouverne-
mental de la RDAavec l’emblème desa ville natale :
Stendal.»
Cette carte montre le taux de
chômage en 2010. Les parties les
plus claires ont un taux de chô-
mage inférieur à 3,5% ; celles qui
sont en vert foncé ont un taux
supérieur à 15,9%, la moyenne
étant de 7,7%.
Le chômage explique en grande
partie l’exode des populations Est-
allemandes.
Au moment de la RDA, il y avait le
plein emploi : il n’était pas basé
sur le marché. Les entreprises
ont dû fermer ou licencier massi-
vement pendant et après la
réunification. Depuis, le marché du
travail ne s’en est pas réellement
remis.
Un autre facteur est la différence
du niveau des salaires : les
salaires en Allemagne de l’Est
sont de 20% inférieurs à la
moyenne du pays.
Finalement, la désertification elle-
même est un élément supplémen-
taire qui augmente le chômage.
CHÔMAGE
> ANNETTE SCHILLER
avec des cartons à chaussures comme
urnes, pour demander aux enseignants
s’ils souhaitaient que nous restions à
nos postes de direction ou non. Nous
avions besoin de leur confiance et elle
nous a été donnée.
les collègues anciens membres de la
stasi ont été évidemment renvoyés, les
nouvelles lois de 1990 le préconi-saient. cependant, nous souhaitions que
leurs contrats se terminent convena-blement, et il n’était pas question de les
virer d’un coup sec. Ils ont dû complète-
ment changer de métier, vendre des
assurances ou distribuer des prospec-
tus par exemple.
Avant 1989, les contacts entre la
France et la RDA étaient privilégiés.
Cependant, c’était une destination diffi-
cilement accessible. A partir de 1990,
des étudiants en français ont demandé
un semestre de disponibilité pour
étudier en France. Et ces étudiants
sont tous revenus pour terminer leurs
études, parce qu’ils savaient que
l’enseignement ici était de qualité.
Vers 1992, l’université a accueilli
des étudiants de l’Allemagne de
l’Ouest. Ils imaginaient que les
études étaient plus faciles ici ; ils
n’avaient simplement pas envie de
travailler, et ont raté leurs diplômes.
D’autres sont venus parce qu’ils
trouvaient qu’à l’Est c’était plus
excitant de vivre avec tous les
changements en cours.
Je me souviens d’un enseignant de
l’ouest venu avec une sorte de pitié
pour nous aider à monter un dépar-tement de langues romaines. nous
lui avons expliqué qu’il se trouvait à
l’institut de romanistique le plus
ancien d’allemagne… Il est reparti et
nous ne l’avons jamais revu.
«
»
HALLE
Annette est née en 1955, elle a fait ses études de
français et de russe à l’université à Halle. Elle y est
restée, et enseigne aujourd’hui le français et
l’italien.
Annette est présidente de la « Société Franco-
Allemande », qui se réunit tous les mois pour orga-
niser des évènements et des échanges avec la
France, notamment avec Grenoble.
J’ai pu aller à l’Ouest dans le cadre de mes
études déjà deux fois avant 1989. Mon mari est
originaire de Berlin-Ouest ; nous avions donc des
contacts. En 1989, nous étions conscients, mais
sans passion, de la nécessité de la réunification
ou de l’union monétaire avec la RFA.
Adolescente, les langues étrangères m’intéres-
saient tant, que j’avais commencé à apprendre le
français seule parce que il n’était pas
enseigné à l’école. contrairement aux
idées reçues, être membre du parti
communiste n’était pas indispensable
pour étudier, sauf évidemment pour
les filières recherchées.
En langues, les seuls débouchés
étaient dans l’enseignement. Pour les
interprètes, il fallait être idéologique-
ment « propre » pour pouvoir aller en
mission à l’étranger.
Les langues étrangères occidentales
ont été d’abord enseignées dans
l’idée de connaître l’ennemi à travers
sa langue. Les publications russes ont
beaucoup compté, en sciences,
comme en littérature, parce qu’elles
étaient moins chères et qu’on pouvait
se les procurer plus facilement.
A l’institut, nous avons beaucoup dis-
cuté entre collègues et surtout avec
les étudiants, nous ne voulions pas les
laisser tomber. Avec la directrice,
nous avons organisé des élections,
« Dans la cuisine, il y a ces affiches qui présentent des écritures en langues étranges. Annette les a mises là,juste pour la beauté des lettres. »
« Cet appartement a un style quifait que j’entends un piano,alors que tout est silencieux,comme si la musique était enfouiedans le décor. »
« à côté desbeaux tableauxde peinture,cette corbeillede fruits faitnature morte.D’ailleurs, enallemand on ditplutôt ‘Stillle-ben’ (vie silen-cieuse)»
> STEVE PAGEL
Mais quand cela s’est produit, nous
avons ressenti beaucoup de joie,
malgré tout.
Ma mère a mis beaucoup de temps
avant de se décider à visiter l’Ouest,
mais nous l’avons finalement fait. Une
fois là-bas, nous avons reçu 100 DM :
ce geste avait quelque chose d’humi-
liant pour elle. c’est comme si nous
venDions tous nos effoRts De constRuc-tion De la RDa pouR cet aRgent, tout en
abanDonnant nos cRoyances, comme ça,Du jouR au lenDemain. Puis à partir de l’été 1990, la curiosité
et l‘envie de voir et de consommer ont
pris le dessus.
Halle s’est vite transformée à partir de
1990. Les maisons, les immeubles ont
été refaits. Mais ce qui s’est effrité,
c’est le lien entre les habitants.
Beaucoup de gens sont simplement
partis sans se dire au revoir.
Finalement, je pense que tout cela s’est
passé trop vite.
«
»
HALLeSteve avait 12 ans quand le mur est tombé. Il a tou-
jours été curieux des évènements qui ont précédé
la chute du mur, et il a suivi la révolution de près.
aujouRD’hui, il fait Déjà paRtie De la généRation où
les DifféRences est/ouest commencent à s’effaceR.
Steve a grandi dans la partie Halle-Neustadt. C’est
un immense quartier de tours et d’immeubles,
construit dans les années 70 pour accueillir des
dizaines de milliers d’ouvriers, qui travaillaient dans
les usines chimiques de Leuna se trouvant à proxi-
mité.
Ma mère était procureur à la Cour de Halle. En
tant que représentante de l’Etat, elle était vérita-
blement ancrée dans le système de la RDA et
partageait la politique générale : au journal
télévisé, il lui semblait normal de traiter comme
des criminels les premiers réfugiés qui passaient
par la Hongrie.
Les changements ont été difficiles à vivre pour
elle, et je lui ai posé beaucoup de questions à ce
moment-là.
Peu après la chute du mur, la télévi-
sion commençait à nous informer des
crimes que les dirigeants de la RDA
avaient réellement commis, et le luxe
dans lequel ils vivaient par rapport
aux simples citoyens. Ma mère était
bien sûr extrêmement déçue, notam-
ment lorsque l’omniprésence de la
STASI, à laquelle elle n’avait pas
vraiment cru au temps de la RDA, a
été révélée. Cela l’a bouleversée,
d’autant plus que la réalité était sou-
vent pire que les rumeurs. Peu à peu,
ses pensées, ses opinions se sont
transformées.
Avant de connaître l’Ouest, je l’imagi-
nais totalement coloré, mais j’étais
persuadé que cela cachait de vrais
problèmes de misère ou d’autres diffi-
cultés à vivre comme le chômage. la
RDa Définissait la Rfa comme un état
fasciste et je le cRoyais. La RDA s’af-
firmait donc en permanence comme
l’état-barrage contre le fascisme.
Juste avant l’ouverture du mur nous
avions peur dans la famille, parce que
ma mère véhiculait cette angoisse.
« Une partition pour la guitare : incompréhensible pour moi, je la lis à voix haute comme un poème d’une languelointaine ou disparue.»
Cette carte de l’Allemagne montre
la variation du PIB – Produit
Intérieur Brut entre 2008 et
2009. Le PIB mesure la produc-
tion ou la perte de la richesse d’un
pays ou d’un territoire.
Cette carte illustre surtout que
l’évolution économique de l’Alle-
magne n’est plus centrée sur une
différence est-ouest, mais que la
problématique se joue désormais
sur une différence Nord-Sud, où le
Sud (plus clair) présente un meil-
leur rendement économique que
le Nord. Il est d’ailleurs à noter
que la catégorisation entre habi-
tants de l’Ouest (Wessi) et habi-
tants de l’Est (Ossi) est en train de
s’effacer pour laisser place à des
problématiques plus régionales.
Produit intérieur Brut
« La vue de la fenêtre de chez
Steve est impressionnante et
étrange ; on dirait que les
fenêtres d’en face se sont fermées
comme des yeux qui dorment.»
20 ANS DE LENDEMAINS
Heiko Buchholz est né en 1969 en Allemagne au bord de la Mer du
Nord.
Après son baccalauréat en 1989, il choisit l'objection de conscience
plutôt que le service militaire : il s’installe alors pour deux ans à
Hambourg, où il travaille dans un hôpital en tant qu’aide-soignant. Le
rêve de voyager et de rencontrer d'autres mondes se fait si présent
que Heiko Buchholz prépare un sac à dos et part à travers l'Europe
pendant plus d'une année de voyage en autostop.
La France le retiendra, et il s’y installe définitivement à partir de
1991. Il étudie le français, la psychologie, la sociologie et finalement
l’art du spectacle.
Depuis 1992, il vit en Isère où il travaille depuis 1997 comme acteur
et auteur de pièces de théâtre.
Il revient régulièrement dans son pays d'origine pour voir sa famille
et y travailler.
Quand il était enfant, l'Allemagne était un pays coupé en deux par un
mur. La partie occidentale était la RFA, la partie orientale, la RDA.
Il vivait en RFA.
« Le mur c’était pour moi une fin du monde, comme dans les contes pour enfants. Nous
ne pouvions pas le traverser et nous n'avions que peu d'images de la RDA.
Je m'imaginais ce qui pouvait se trouver derrière ce mur. Je voyais un vaste pays avec
des villes grises et des habitants habillés en marron. Mais un monde sans couleurs cela
n’existe pas ; les couleurs ne pouvaient être que cachées à l'intérieur des gens, derrière
ce mur.
J’ai toujours été attiré par la RDA. Plus tard, quand le mur est tombé, j’y suis allé et je
me suis aperçu, en parlant avec les gens, que mon idée n’était pas si fausse que ça. »
Adolescent, Heiko Buchholz a eu l’occasion d’aller à Berlin-Ouest entre 1984 et 1988
et il a pu visiter quelques villes en RDA.
« Ce qui m’a surtout marqué c’est qu’on rentrait dans un autre monde une fois de l’autre
côté du mur. C’était profondément gris, et cela ressemblait aux films en noir et blanc
de la fin des années 40, comme avant la deuxième guerre mondiale.
L’odeur des villes n’était pas la même : il y avait une atmosphère remplie des émanations
des poêles à charbon, une odeur qui ressemble à celle du jambon fumé. Pour moi, il était
possible de voyager dans le temps, 30 ans en arrière, juste en se déplaçant de l’autre
côté du mur.
Mais je savais aussi que ce monde existait parce que la population était surveillée et
menacée par son Etat. »
Le lendemain de la chute du mur, Heiko Buchholz est allé à Berlin.
C'est la mère de son meilleur ami qui a dit " Qu'attendez-vous, cela ne se présente qu'une
fois dans l’histoire ! Prenez la voiture, le réservoir est plein et voici 100 DM. Foncez ! "
Ensuite, il est retourné régulièrement, jusqu’à aujourd’hui, dans la partie orientale de
l’Allemagne et il a pu voir de près un pays et ses habitants se transformer.
Cette exposition propose son regard, 20 ans plus tard.
carnet de voyage en allemagne de l’est
Edition un euro ne fait pas le printemps
Heiko Buchholz