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Mode de recherche, n ° 11. croissante, comment des logiques esthé- tiques et économiques alternatives se développent-elles avec ce qu’il est convient de désigner comme des parfums de niche ? Ce numéro se propose de sonder l’éco- nomie du parfum dont les enjeux sont économiques tout autant que fondamenta- lement esthétiques. Editorial S’il a fallu attendre l’avènement de la chimie au XIX e siècle pour que le parfum se sophis- tique en se dégageant de ses attaches exclusives avec les matières végétales et ani- males, il s’est depuis développé sur une base industrielle qui a orienté massivement le marché du parfum à partir des manières de le consommer. En effet, les stratégies de concentration industrielle comme celles de la grande distribution n’ont-elles pas eu pour effet d’étendre de manière spectacu- laire le champ des consommateurs au risque d’effacer les aspérités olfactives et les signa- tures créatives ? Face à une uniformisation Publication semestrielle – janvier 2009 Le Parfum Entretien/ Jean-Claude Ellena Le parfum à l’épreuve des marchés Le parfum, des temples égyptiens aux temples de la consommation Annick Le Guérer Art et parfum : de la fascination à la co-création Frédéric Walter Parfum et mode, l’histoire d’un paradoxe Anne-Sophie Trébuchet-Breitwiller La présence des parfums en marge des parfums de masse Catherine Têtu Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ? L’attachement aux marques de parfum Benoît Heilbrunn Bibliographie Abonnement 38 3 9 16 20 24 30 43

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Le parfum

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Modede recherche,n°11.

croissante, comment des logiques esthé-tiques et économiques alternatives sedéveloppent-elles avec ce qu’il est convientde désigner comme des parfums de niche ?Ce numéro se propose de sonder l’éco-nomie du parfum dont les enjeux sontéconomiques tout autant que fondamenta-lement esthétiques.

Editorial

S’il a fallu attendre l’avènement de la chimieau XIXe siècle pour que le parfum se sophis-tique en se dégageant de ses attachesexclusives avec les matières végétales et ani-males, il s’est depuis développé sur une baseindustrielle qui a orienté massivement lemarché du parfum à partir des manières dele consommer. En effet, les stratégies deconcentration industrielle comme celles dela grande distribution n’ont-elles pas eupour effet d’étendre de manière spectacu-laire le champ des consommateurs au risqued’effacer les aspérités olfactives et les signa-tures créatives ? Face à une uniformisation

Publication semestrielle – janvier 2009

Le Parfum

Entretien/Jean-Claude Ellena

Le parfum à l’épreuve des marchés

Le parfum, des temples égyptiens aux temples de la consommation

Annick Le Guérer

Art et parfum : de la fascination à la co-créationFrédéric Walter

Parfum et mode, l’histoire d’un paradoxeAnne-Sophie Trébuchet-Breitwiller

La présence des parfums en marge des parfums de masse

Catherine Têtu

Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ?L’attachement aux marques de parfum

Benoît Heilbrunn

Bibliographie

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Le Centre de Recherche de l’IFM bénéficie du soutien duCercle IFM qui regroupe les entreprises mécènes del’Institut Français de la Mode :

ARMAND THIERYCHANEL

DISNEYLAND PARISGALERIES LAFAYETTE

GROUPE ETAMKENZO

L’ORÉAL PRODUITS DE LUXEVIVARTE

YVES SAINT LAURENT

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Jean-Claude Ellena : Il est avéré qu’en Occidentle sens visuel prévaut sur le sens olfactif.S’agissant de l’appauvrissement du sens olfac-tif, j’y vois deux raisons : une standardisationolfactive du goût et donc de l’odeur et uneacculturation générale. Où que vous soyez enEurope, le goût de la fraise, de la vanille est sté-réotypé, identique et il existe ce que j’appelledes archétypes de goût, qui sont plutôt descaricatures de goût. Ces caricatures de goûtsont par définition beaucoup plus saillantes et lorsqu’on mange un yaourt à la fraise ou au citron on reconnaît la fraise ou le citronmais on ne discerne ni la variété ni d’autressubtilités.

La formation olfactive s’opère à partir du goûtet nous avons ainsi en mémoire des stéréo-types qui forment le goût. Les mêmesstéréotypes, qui ont été unifiés par le goût, seretrouvent dans le parfum. Un exemple m’asurpris dernièrement quand ont été lancés desyaourts au thé ressemblant étrangement à l’unde mes parfums l’Eau Parfumée au Thé deBulgari. En mangeant ce yaourt j’avais l’impres-sion d’avoir en bouche ce parfum et la raisonen était simple : ils avaient fait un thé à la bergamote, un Earl Grey, mais on ne sentaitque la bergamote, et pas le thé. On avait là unecaricature de thé. Cela conditionne une stan-dardisation des archétypes qui guiderontensuite nos choix olfactifs.

Par ailleurs il existe une acculturation générale,car les goûts américains sont apparus dans lesparfums dans les années 70. Pour conquérir lemarché américain qui était l’un des plus grosde l’époque, les parfumeurs ont créé des par-fums qui correspondaient aux normes et auxgoûts américains et qui n’en étaient pas moinsvendus en Amérique et en Europe comme desparfums français. C’était surtout la stratégiedes grands groupes comme Saint-Laurent,Dior que d’imposer cette acculturation en sebasant sur des références olfactives de typeaméricain.

OA : Mais comment identifiaient-ils ces typesolfactifs ?

JCE : Cela se faisait en prenant comme pointsde repère des parfums américains qui étaientdes archétypes aux Etats-Unis et en les modi-

Jean-Claude Ellena est le parfumeur exclusif dela maison Hermès depuis 2004. Auparavant, il acréé de nombreux parfums parmi lesquelsFirst (1976) pour Van Cleef & Arpels, l’Eauparfumée (1992) pour Bulgari ou Déclaration(1998) pour Cartier. Chez Hermès il a créénotamment la collection Hermessence (exclu-sivement vendue dans les magasins Hermès),Un Jardin sur le Nil (2005), Terre d’Hermès(2006) et Kelly Calèche (2007). En 2008, ilsigne le troisième tome de la collection desParfums-Jardins d’Hermès, Un Jardin après la Mousson. Il a composé pour l’ArtisanParfumeur, les Editions Frédéric Malle etDifferent Company.En septembre 2007, Jean-Claude Ellena apublié aux Presses Universitaires de France lanouvelle version du Que sais-je ? Le Parfum,laquelle succède à la première parue en 1980sous la plume d’Edmond Roudnitska, parfu-meur et notamment auteur en 1951 de l’Eaud’Hermès, le premier parfum de cette Maison.Il a également publié Mémoires de parfum(avec Josette Gontier, éd. Equinoxe, 2003).

Olivier Assouly : Quelle est l’importance de laculture olfactive au regard de la prédomi-nance du sens de la vue dans une culture ditede l’image. L’olfaction n’est-elle pas le senspauvre ou tout du moins délaissé enOccident. Est-ce que cela a un impact sur lavariété et la richesse des fragrances ?

Entretien/Jean-Claude EllenaParfumeurLe parfum à l’épreuve des marchés

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fiant. Par exemple Opium de Saint-Laurent estune reprise de Youth Dew d’Estée Lauder : il ya eu là un amusant jeu de miroirs. Opium a euun énorme succès mondial et a pris beaucoupde parts de marché à Youth Dew de telle sortequ’Estée Lauder a sorti Cinnabar, un parfuminspiré d’Opium, mais qui, lui, n’a pas connude succès.

OA : Est-ce que vous pensez qu’en Occident laculture de l’olfaction est minorée par rapportau sens de la vue ?

JCE : Je crois qu’elle est importante mais qu’onn’en parle pas pour de nombreuses raisons.C’est particulièrement important dans la rela-tion à l’autre mais cela reste un code non dit.Les codes dits sont des codes visuels.

Il est certain qu’aujourd’hui le visuel a pris lepas sur l’odeur et que pour vendre de l’odeur,il suffit souvent de mettre une image par des-sus. Le public achète du visuel plus que del’odeur. Et cela d’autant plus que dans les gran-des surfaces il y a un tel « bruit » olfactif qu’il estimpossible d’apprécier vraiment une odeur. Jedois ajouter qu’on appauvrit conceptuelle-ment le sens de l’olfaction en lui offrant descaricatures. On se retrouve dans la mêmeapproche que pour le vin. Dans le film deJonathan Nossiter, Mondovino, un viticulteurdit : « Moi je fais des vins verticaux », puis ilajoute : « je n’aime pas les choses horizontales ».Dans la parfumerie, les choses sont compara-bles dans la mesure où l’on fait des parfumslisses, pas trop signés (horizontaux). C’estpourquoi il existe côte à côte une parfumeriede masse, une parfumerie de niche dont nousparlerons plus loin et une parfumerie d’au-teurs, comme Hermès et Cartier qui font desrecherches dans ce sens.

OA : Quelle est votre formation initiale ?

JCE : C’était une formation sur le tas dans uneentreprise qui fabriquait des matières premiè-res naturelles. J’avais donc eu un contactphysique, un corps à corps avec la matière. Jereparlerai plus tard de l’importance de cecontact charnel, sensuel et non pas intellectuelavec la matière. Ensuite, en 1976 j’ai intégré l’école Givaudan, qui ouvrait ses portes à

Genève, pour une formation de trois ans. Maisje n’y suis resté que neuf mois car j’avaisbesoin d’une approche directe. Ce n’est queplus tard que j’ai intellectualisé ce que je fai-sais. Ce n’est que progressivement, au coursdu temps que survient le passage à l’intellec-tualisation, à la conceptualisation. Je suis passéde l’apprentissage d’un savoir-faire à l’acquisi-tion d’un savoir.

Il m’apparaît que les structures éducatives neforment pas des parfumeurs mais des techni-ciens qui ont acquis des connaissances sur lemétier. Comme on devient cuisinier, ondevient parfumeur par l’expérience et lecontact avec ses pairs. Cela veut dire que lesstructures éducatives seules ne suffisent pas etil faut les compléter avec une éducation par sespairs. Malheureusement la plupart des indus-triels veulent recruter des gens opérationnelsau sortir de l’école et cela ne fonctionne pastrès bien.

OA : En quoi votre itinéraire a-t-il éventuelle-ment été décisif dans votre conceptionactuelle de votre création ?

JCE : Au départ, les choses se sont passées àGrasse, un milieu consacré à la parfumerie et àdes industries qui fabriquent des matières pre-mières naturelles. C’est pourquoi je vousparlais de relation physique, charnelle avec lamatière. Cette expérience a été décisive dansma conception actuelle de mon métier et dema création. Je suis à l’aise avec les matièrespremières naturelles alors qu’elles font peuraux jeunes qui sortent de l’école car ils sontmalhabiles à les manier.

Ceci est paradoxal pour au moins deux raisons.D’une part, la matière première naturelle estcomplexe alors que la matière de synthèse esttrès simple. On peut les comparer respective-ment à un mur et à une brique. Construireavec un mur déjà échafaudé est plus difficileque construire avec des briques qui sont d’unmaniement plus aisé. D’autre part, avec le pro-duit naturel, il faut se libérer de l’origine de lamatière. Il faut prendre l’odeur pour l’odeur.On s’attache à ennoblir l’origine naturelle maisla rose ne sent pas la rose au sens de l’odeur dela fleur. Elle devient un concept d’odeur

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parce que les matières nécessaires étaientcoûteuses. Il faut beaucoup de temps pourfaire l’impasse sur le coût et après avoir faitcette impasse on peut se poser la question àl’envers : aurais-je pu réaliser la même effluvepour un prix moindre ?

D’ailleurs, les astreintes ne sont pas tant sur lecoût que sur l’approvisionnement. Si je tra-vaille pour la grande distribution, un marchégrand public que je ne contrôle pas, il va falloirapprovisionner pour le million de flacons àvendre. La disponibilité des matières est unedonnée que j’ai en mémoire tout comme lesodeurs des matières et leur coût. Lorsque j’é-cris une formule je sais à dix pour cent prèsson coût. C’est le fruit de l’expérience.

OA : Le marketing et les techniques de venteexercent-t-ils une influence très marquée,voire déterminante, sur le développement dujus ?

JCE : La commercialisation actuelle souffre depauvreté car on vend surtout du visuel. Lesmagasins, avec leur bruit olfactif, ne permet-tent pas de sentir et l’émotion ne passe pas.On est dans l’achat d’impulsion. De plus, lemarketing donne lieu à une approche ellip-tique du marché. Il travaille en permanenceavec un rétroviseur, ce qui oblige à une production par comparaison avec d’autres pro-duits et lorsqu’on est dans la comparaison onest juste dans la performance.

Il y a un autre problème que j’aimerais évo-quer, c’est celui de la dépendance au flacon.Pour le marketing le flacon est plus importantque le parfum sans doute parce que le visuelest plus facile à cerner que l’olfactif. Au débutdu XXe siècle, François Coty a révolutionné lemarché en lançant l’idée d’un flacon pour unparfum à destination d’une clientèle très éli-tiste ; idée qui perdure de nos jours pour uneclientèle de masse. J’imagine parfaitementqu’on pourrait changer ce code et proposer àce public de masse non pas un mais deux,trois, cinq parfums pour un flacon, sachant quele développement de cinq formules n’est pasplus onéreux que celui d’une formule. De lasorte il s’agirait enfin de revendre de l’odeurplutôt que du flacon

lorsque nous prenons conscience que nouspouvons utiliser la rose au-delà de l’odeur de lafleur, lorsqu’elle devient abstraite, concep-tuelle. C’est ainsi que je deviens parfumeur etbeaucoup plus habile. En tout cas, c’est unmétier lent qui requiert beaucoup de temps àmoins de faire des imitations mais c’est unautre parcours.

O.A : De quelle manière construit-on idéale-ment un parfum en prenant en compte que leparfumeur situe son activité dans une entre-prise dont les motivations sont économiquesavant d’être purement esthétiques. A la question adressée à l’architecte Tadao Ando :« Que serait-ce de concevoir un bâtiment sanscontrainte ? », ce dernier répond que ce n’é-tait pas même envisageable, à moins deconsidérer à tort l’architecture comme uneforme d’art.

JCE : Je le rejoins sur ce point. Comme pourl’architecture, on veut faire du parfum un artmais pour des raisons économiques il estramené à quelque chose qui n’est pas de l’art.Il faut travailler avec ce tiraillement qui n’estpas dénué d’intérêt. Idéalement, la premièreétape passe par la technique, la connaissance,l’imitation, l’accumulation d’un savoir, dont onne peut faire l’impasse. Ensuite c’est la phased’analyse, de synthèse, qui sont encore dusavoir. Jusqu’ici c’est de la technique, de la raison. Au dernier stade on passe dans ledomaine de l’émotion et il est nécessaire d’ê-tre sensible aux autres formes d’art. Deséchanges avec des peintres, des danseurs, desmusiciens, dont la démarche intellectuelle estla même, me donnent des réponses à mesquestions. Tout cela participe de la créationidéale d’un parfum.

C’est une banalité de dire que l’économie estliée à la technique et l’esthétique est liée à l’émotion. Dès lors que c’est acquis, il est envi-sageable de se défaire de l’économie pour seconsacrer totalement à l’esthétique. En tantque parfumeur je peux faire un parfum quisent merveilleusement bon pour un coût déri-soire. C’est dire que l’équation entre le renduémotionnel et le prix n’est pas un problème. Ilm’est arrivé de faire des parfums coûteux

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OA : Quelle appréciation portez-vous sur lesméthodes dominantes qui consistent à testersystématiquement les produits en amont ?

JCE : Je ne les comprends pas. J’ai travaillé avecces tests. C’est ce que j’appelle le travail sur lecurseur. Les parfumeurs sont devenus destechniciens où il s’agit seulement d’ajuster l’odeur par rapport aux résultats du test. Onsait faire une console de curseur frais, doux,féminin, masculin, boisé, etc. Mais l’objectifétant de prendre 2 % de parts de marché il mesemble qu’on dépense beaucoup d’argentpour un risque minime.

En principe, le test a pour fonction de limiterl’incertitude en matière de commercialisation,de se protéger par le recours à une méthode,mais il y a plus d’un exemple de produit per-formant en test qui n’a jamais répondu auxattentes lors de sa mise sur le marché. Je nel’explique pas mais c’est un fait.

OA : Comment peut-on concilier une logiquede création forte et des politiques de massi-fication de la consommation des parfums ?

JCE : Je ne crois pas qu’on le puisse. On va allerde plus en plus vers une parfumerie de masseavec ses propres codes et une parfumerie plusélitiste avec des codes différents et il s’agit desavoir où on se situe. C’est la même chose quepour le vin. Il n’y a aucune raison pour que celachange.

OA : Comment peut-on nourrir et non seule-ment exciter la sensibilité olfactive desindividus en sachant que c’est une conditionsine qua non à l’appréciation de parfumsplus complexes et riches ?

JCE : Il faudrait sensibiliser le public par toutessortes d’actions et j’admire au reste le travaild’explication du vin par les œnologues dont ilfaudrait sans doute s’inspirer. La Fédération dela Parfumerie devrait se poser ces questions etpeut-être trouver des solutions. Il y a eu desexpositions sur le parfum, mais cela reste tropévénementiel et limité.

Dans la parfumerie la distribution a un rôle deformation à jouer. On sait qu’un client passe en

moyenne sept minutes chez Sephora alorsqu’il passe trente minutes dans une boutique.C’est en boutique que la vendeuse peut effec-tuer un travail de conseil, d’initiation et deformation. C’est ce qu’on essaie de faire chezHermès, mais seulement dans nos boutiques,car ainsi on peut s’assurer de la qualité du dis-cours que va tenir la personne qu’on met àdisposition de la clientèle. On va travailler deplus en plus dans ce sens avec des personnesqui sont formées à la connaissance du parfumet pas simplement à la vente. La vente seréalise parce qu’on a su traduire les qualités etles singularités du parfum. A cet égard Hermèsest une bonne maison car c’est une maisond’artisans et l’artisan y a la parole. Un discoursd’artisan est beaucoup plus intéressant qu’undiscours de vendeur.

Les boutiques y gagneront la fidélisation de laclientèle et également la présence d’une autreclientèle. Dans la grande distribution, il ne s’a-git que de consommation pure faute de temps.On y est dans la consommation au premierdegré. Pour moi cela rejoint la Fnac, où, il y aquelques années on pouvait avoir un échangeavec des spécialistes qui aimaient cela, maisaujourd’hui il n’y a plus de dialogue. On nepeut avoir d’informations que sur la disponibi-lité du produit.

Je voudrais revenir sur votre question à proposd’aiguiser la sensibilité olfactive en sachant,comme vous disiez, que c’est une conditionsine qua non à l’appréciation de parfums pluscomplexes et riches. A mon avis, en parfume-rie, complexité et richesse sont des moyens demasquer la pauvreté de la créativité. Plus lesparfums sont complexes et riches, plus ils seressemblent. Or, je considère que les valeursporteuses du parfum et du luxe dans l’idéalsont la simplicité, la justesse, la distinction etl’exigence. Entre le vin et le parfum il y a unedifférence notoire. Le vin est un matériautransformé par l’homme. L’odeur du jus de rai-sin contient 400 molécules et quand il esttransformé en vin, il passe à 1 800 molécules etlà il est cohérent de parler de complexité et derichesse. L’artisan transforme un matériau, leraisin en vin, comme chez Hermès, l’artisantravaille sur le cuir pour le transformer en sacKelly ou Birkin, en le complexifiant pour lui

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donner une signification. Pour le parfum il nes’agit pas d’une transformation mais d’unecomposition de matières comme en musiqueou en peinture.

OA : Ne pourrait-on pas répondre que lesassemblages de cépages dans le vin sont com-parables à ce travail de composition desmatières dans le parfum ?

JCE : Non, car si l’on prend l’exemple desroses, je pourrais travailler avec différentesvariétés ou terroirs de roses qui correspondentà des cépages, mais si je combine uniquementdes roses, j’obtiendrai toujours une odeur derose et non un parfum.

OA : Selon vous l’émergence des parfums deniche – l’expression est loin d’être heureuse –traduit-elle une saturation des marchés demasse qui marquerait l’apparition d’exigen-ces plus singulières ? Pour ma part, dans lamesure où je préfère ici le terme d’amateur(celui qui discerne et hiérarchise) à celui duconsommateur (qui jouit sans savoir), peut-on comparer les amateurs de parfum auxamateurs de vin ?

JCE : Oui bien sûr. J’aime le mot d’amateur etmême on peut aller plus loin avec le terme deconnaisseur, celui qui sait. L’amateur discerneet hiérarchise et le connaisseur en sait plusencore. En tout cas, cela fait suite à une exi-gence de singularité d’une clientèle qui n’estpas satisfaite des parfums neutres, lisses etsans signature. De même pour le vin l’amateurcherche un vin qui ait du caractère et pas seu-lement le goût de bois ou de vanille. Et celaexige un travail et il est extraordinaire de ren-contrer des amateurs qui produisent ce travail.Aujourd’hui on voit apparaître des blogs deparfums et ces blogueurs sont de véritablesamateurs de parfum. Par exemple, il existe denombreux blogs sur ma propre personne avecdes analyses très fines de mon travail. Audépart ce sont des amateurs, mais malheureu-sement les grosses sociétés se sont aperçuesque ces blogueurs pouvaient influencer lesconnaisseurs et ils les courtisent en les invitantà des lancements ou à différents événementspromotionnels. A terme, il y aura certainement

une dépendance. Mais il n’en reste pas moinsque j’ai lu des discours très étayés, particulière-ment pertinents et que j’encourage. Aupassage, je crois nécessaire de mettre en gardeles journalistes qui risquent de se faire phago-cyter s’ils n’ont pas un discours plus critique.Ils dépendent évidemment des annonceurs. Ilsprétendent critiquer entre les lignes, mais toutle monde ne lit pas entre les lignes.

OA : Pour en revenir au vin, Anne-SophieBreitwiller, qui achève sa thèse sur le parfumau CSI (Centre de sociologie de l’innovation)et travaille à l’IFM, a montré comment le vins’est développé à partir de la vigne en tantque produit naturel. En effet, au début duXIXe siècle, il y a eu des tentatives pour pro-duire du vin à partir de raisins secs et vers lafin de ce même siècle une législation a stipulél’interdiction formelle d’appeler vin un pro-duit non issu de raisin entièrement naturel,donc pas séché et sans ajout de produit chi-mique. Anne-Sophie Breitwiller a bien vucomment, au contraire, le parfum a connuson essor avec la chimie organique – c’estvous qui avez souligné que la vanilline avaittransformé la parfumerie chez Guerlain – etce qui était proscrit pour le vin est devenupour le parfum, non seulement la norme,mais aussi la condition de son progrès et desa sophistication.

JCE : Oui, c’est la chimie qui a transformé leparfum. C’est grâce à elle qu’il est devenu unart : par la chimie il se libère de ses origines etdevient quelque chose d’abstrait, de concep-tuel et d’artistique. Avant l’introduction de lachimie le parfum était très proche de la nature,il portait des noms de fleur ou de bouquet flo-ral et était composé de matières naturelles. Labeauté du parfum résultait essentiellement dela beauté, de la rareté et du prix de la matière.La lavande était peu coûteuse et la rose oné-reuse, c’est pourquoi la rose était perçuecomme une odeur extraordinaire, alors quel’odeur de lavande était banale. La chimie alibéré tout cela et a permis de faire autrechose.

Pour des raisons écologiques et marketing, on entretient un discours sur les bienfaits du

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naturel. Il a certes un intérêt économique et jesuis certain qu’il peut trouver un public. Enrevanche, le naturel m’intéresse lorsque jepeux changer le regard sur la matière. En cemoment, en travaillant sur la vanille et lalavande. Par exemple, la lavande est codifiée entermes d’hygiène et de produits sanitaires. J’aidonc repris une lavande naturelle que j’ai faitretravailler lors de la distillation pour en effacercertaines caractéristiques olfactives qui sontles odeurs de transpiration et d’urine. Parailleurs, je suis revenu à une vanille naturellesans utiliser la vanilline. C’est donc une vanilledifférente du stéréotype dont on a l’habitudeet ce qui m’intéresse, c’est de susciter la curio-sité. Une nouvelle odeur n’est pas suffisante, ily a ensuite un travail de composition et il fautque le parfum soit beau. Il y a là toute une miseen scène, dans le jeu des apparences que jetrouve amusant.

OA : Le fait de cultiver son goût au sens large– olfactif comme alimentaire – favorise-t-il ledéveloppement du sens critique ?

JCE : C’est ma conviction et plus qu’uneconviction, j’en ferais un manifeste.Développer son goût et sa sensibilité est lemeilleur moyen pour civiliser un homme. Avec« la pensée de Midi », Albert Camus montrebien qu’en Occident la raison prévaut sur l’émotion et qu’il est temps de prendre cons-cience de l’importance de la sensibilité dans leprocessus de civilisation. C’est une croyancequi m’est chère et que j’aime à défendre.

La raison a été primordiale pour la rechercheen parfumerie. Il suffit de se référer à tout letravail chromatographique et analytique desodeurs dans la nature. Il y a eu d’extraordinai-res travaux sur la captation de l’odeur desfleurs in situ, mais qui ont produit une aberra-tion. Ainsi, lorsque vous sentez le produit decette captation, c’est désolant de banalité, celacorrespond à une photo d’une fleur par unphotographe du dimanche. Le photographe sesouviendra de la beauté de la fleur réelle, maisla photo est si commune qu’elle ne représen-tera rien de cette beauté pour quelqu’und’autre.

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sang du Christ. Cette incarnation est ensuitefonctionnelle car elle concerne également les fonctions assignées au parfum. Très long-temps, il a joué un rôle capital dans lapréservation du corps humain. Pharmacie etparfumerie étaient étroitement mêlées. Elleest enfin substantielle car elle touche la sub-stance même du parfum dont l’élaboration asouvent fait appel à la chair et au sang.

La parfumerie ne s’est détachée que très lente-ment de cette emprise qui s’est exercéependant des millénaires. On peut dire quec’est seulement à l’époque moderne que leprocessus de désincarnation a trouvé sonaboutissement et que le parfum est devenu unproduit de consommation parmi d’autres ausein de l’industrie du luxe.

Incarnation religieuse

La sueur des dieux du Nil

Dans l’Egypte pharaonique, berceau de la par-fumerie, les huiles aromatiques et les onguentssacrés sont pour les Egyptiens la « transpirationdu dieu ». Chaque matin, Pharaon lui-même ettous les prêtres font non seulement des encen-sements mais des onctions odorantes sur lastatue du dieu, censé être enduit avec « sa pro-pre odeur, la sueur qui est sortie de sa chair ».Les aromates et les parfums sont également au premier rang dans les pratiques d’embau-mement, essentielles pour accéder à une « deuxième vie » et devenir, selon le Rituel del’Embaumement, un « Parfumé », un dieu.Dans le procédé le plus coûteux, la cavitéabdominale du défunt est débarrassée de sesviscères, nettoyée, puis remplie de myrrhe etde cannelle et recousue. Enfin, le corps estenveloppé de bandelettes de lin très fin endui-tes de gomme aromatique. Pendant que lesofficiants font des onctions d’huiles et d’on-guents parfumés, les prêtres s’adressent audéfunt en lui disant : « Que la sueur des dieuxpénètre jusqu’à toi… Reçois le parfum de fêtequi embellira ton corps et te protégera ! Que leparfum étant venu jusqu’à toi, tu sois heureuxéternellement ». Ils lui disaient aussi : « Je com-plète ton visage avec le parfum provenant del’œil d’Horus… Il rattache tes os, il rassembletes membres, il réunit tes chairs et dissipe tesmaux ! Quand il t’enveloppe, son agréable

Pendant des siècles, le parfum a été conçucomme un produit sacré, magique et doté depouvoirs extraordinaires. Il y a une légende,rapportée par le poète latin Ovide, au premiersiècle de notre ère, qui est typique de cetteconception. Pour sauver de la mort le roi Eson,la magicienne Médée prépare un parfum à l’o-deur très puissante. Puis, elle se saisit d’uneépée, ouvre la gorge du vieillard et remplaceson sang anémié par le parfum qu’elle a pré-paré. Aussitôt la barbe et les cheveux blancs dumourant redeviennent noirs, le corps retrouvesa vigueur, les rides du visage disparaissent.Eson, stupéfait, est à nouveau un jeunehomme.

Cette « transfusion » dévoile le secret desextraordinaires pouvoirs attribués au parfum.Le parfum apparaît comme un substitut dusang, substance vitale par excellence. Dans lepassé, les senteurs n’étaient pas faites unique-ment pour l’agrément du corps. Leur rôle nese bornait pas à une action de surface. Ellesétaient censées agir en profondeur, capablesde pénétrer jusqu’au tréfonds de l’être en luicommuniquant les vertus dont elles sont por-teuses. Entre le parfum et la chair existaitdavantage qu’une proximité, presque uneconsubstantialité qui va dominer la plusgrande partie de son histoire.

Cette incarnation du parfum est d’abord reli-gieuse car lui a longtemps attribué une originedivine. Les Egyptiens de l’époque pharaoniquel’identifiaient à la sueur, à la chair de leursdieux et une certaine tradition chrétienne au

Le parfum, des temples égyptiens aux temples dela consommationAnnick Le Guérer

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parfums égyptiens, ne sert pas seulement àhonorer les dieux. Mélangé à des boissons, ilest également prescrit dans les affections pul-monaires, intestinales et hépatiques. Il sertaussi à détendre et rendre euphorique.D’après l’écrivain grec Plutarque, ses effluvesdétendent le corps et effacent sans le secoursde l’ivresse la pénible tension des soucis de lajournée. Les ingrédients de base de ce parfumfameux sont : le souchet, une plante qui res-semble au papyrus et dont le gros rhizome aune odeur de violette et de gingembre, lesbaies de genièvre, les raisins secs, la résine detérébinthe (elle s’écoule du térébinthe(Pistacia terebinthus), pistachier poussantprincipalement en Lybie, Syrie et dans tout leMaghreb), le roseau odorant (Acorus calamusou Calamus odoratus), le jonc odorant(Andropogon schoenanthus L.,), les fleurs degenêt, le miel, la myrrhe (une gomme résineprovenant d’un arbre qui pousse notammentau Yémen).

L’eau de la reine de Hongrie

Le parfum continue à jouer un rôle médical auMoyen-Age. En 1370, apparaît une composi-tion parfumée qui va faire date : L’eau de lareine de Hongrie. C’est la première formulede parfum alcoolique connue en Europe. Sonapparition est liée au progrès de la distillationque les Arabes maîtrisaient depuis longtempsdéjà et qui pénètre en Occident par l’Espagneet l’Italie. Cette formule à base de romarin etd’esprit de vin (alcool éthylique) aurait étémise au point pour la reine de Hongrie. Selonla légende, elle aurait même permis à cettesouveraine, alors âgée de 72 ans, de guérir detoutes ses infirmités, de retrouver force etbeauté et d’être demandée en mariage par leroi de Pologne. L’eau de la reine de Hongrieconnaît un succès foudroyant. Elle apporte, eneffet, une légèreté et une fraîcheur inconnuesjusqu’alors. Mais cette eau de beauté et de jouvence est également considérée comme unmédicament. La liste des vertus médicales dece produit à usage à la fois externe et interneest impressionnante. C’est un excellentremède contre toutes les maladies du cerveau,des nerfs et des jointures, les rhumatismes, lagoutte, les maux de tête, les douleurs dentai-res, les brûlures et même les tumeurs. Cette

odeur est sur toi… Tu enchante par ton odeurle cœur des dieux1 ». Le défunt, défié par lessubstances aromatiques, va devenir à son tourun « Parfumé », un dieu, et son corps momifiépourra reposer en paix dans un sarcophage.

Le baume du Christ et l’odeur de sainteté

Bien des siècles plus tard, une certaine tradi-tion chrétienne reconduit la filiation duparfum à la chair et au sang. Le corps suppliciédu Christ est censé répandre un baume qui soi-gne les âmes meurtries et empuanties par lepéché. Au XIIIe siècle, l’archevêque de Gênes,Jacques de Voragine compare le corps duChrist à un vase rempli d’un parfum à l’odeurde cannelle ; et il déclare « Le Christ voulut queson corps soit percé par la lance d’un soldatpour que son parfum précieux en sorte et gué-risse les pécheurs qui puent2. » Par référenceau Christ qui sent bon, c’est tout naturelle-ment que la bonne odeur corporelle a étéassociée à la sainteté. « Etre en odeur de sain-teté », « mourir en odeur de sainteté », ne sontpas des expressions purement abstraites.Certains mystiques comme Thérèse d’Avila ouThérèse de Lisieux auraient eu le privilège d’é-mettre, de leur vivant ou après leur mort, desparfums considérés comme miraculeux.

Plus près de nous, le Padre Pio, un prêtre ita-lien, décédé en 1968, qui faisait, paraît-il, desguérisons miraculeuses présentait des stigma-tes aux mains et aux pieds qui, d’après certainstémoins, diffusaient une odeur florale trèsagréable. Mais quelle que soit l’explicationdonnée à ces phénomènes, stigmates et par-fums mystiques sont révélateurs de la force etde la permanence d’un imaginaire qui prête auparfum des origines divines.

Incarnation fonctionnelle : l’aromathérapie

Avec des origines aussi prestigieuses, le par-fum devait forcément avoir des vertus extra-ordinaires. De l’Antiquité jusqu’à l’époqueindustrielle, on a cru qu’il était capable de soi-gner les corps, de les préserver de la maladie.

Le Kyphi

Ainsi le Kyphi, qu’on appelait « le parfum deuxfois bon », et qui était l’un des plus célèbres

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eau gardera son prestige pendant plusieurssiècles. Madame de Sévigné en fait une grandeconsommation. Quant à Madame deMaintenon, elle est si persuadée des bienfaitsde ce produit, qu’elle demande à ce que sespetites pensionnaires de Saint-Cyr l’utilisentrégulièrement. Le triomphe de l’eau de lareine de Hongrie va évidemment susciter desimitations.

L’eau des Carmes

Dès 1379 les religieux de l’abbaye de Saint-Justcomposent pour le roi Charles V une eau desCarmes à base alcoolique qui comporte aussidu romarin. Mais ils y ajoutent beaucoup d’au-tres ingrédients comme la mélisse, l’anis, lamarjolaine, le thym, l’absinthe, la sauge, lesbaies de genièvre, la cannelle, la cardamome,le coriandre, le clou de girofle. Elle sera utili-sée, en particulier, dans le traitement del’épilepsie et des maladies intestinales. La pro-duction des parfums va prendre uneimportance grandissante car, dans les classesaisées tout au moins, ils vont avoir pour fonc-tion non seulement de protéger des maladiesmais aussi de remplacer l’eau dans la toilette.Les plus riches créent autour de leur châteaudes jardins aromatiques pour se faire des par-fums. En effet, depuis la grande peste de 1348qui a décimé le quart de la population enEurope, les médecins pensent que les bains etspécialement les bains chauds favorisent lapropagation des épidémies en ouvrant lespores de la peau à l’air pestilent. Sous leurpression, on assiste à la fermeture progressivedes étuves ou bains publics. A la fin du XVIe siè-cle, les étuves auront presque toutes disparu.

L’eau d’Ange

A la même époque, la parfumerie s’enrichit denouveaux ingrédients. En effet, avec le déve-loppement du commerce maritime, il est plusfacile d’importer des produits exotiques. L’eaud’Ange, très à la mode à la Renaissance, estcaractéristique de cette évolution. Elle com-porte notamment du benjoin, unegomme-résine qui vient d’un arbre qui pousseà Sumatra, des clous de girofle et de la can-nelle, du storax (résine odorante de l’ali-boufier, un arbre qui ressemble au cognassier),

coriandre, calamus (roseau odorant) et citron.Cette eau a été célébrée par François Rabelaisqui en prescrit un usage quotidien aux religieu-ses de l’abbaye de Thélème. A la Renaissanceaussi les techniques de distillation s’améliorentavec le développement du système du serpen-tin. Ces progrès techniques et l’élargissementdes matières premières concourent à unediversification de plus en plus grande des pro-ductions parfumées.

Santa Maria Novella

La célèbre pharmacie du couvent de SantaMaria Novella à Florence est typique de cetteévolution. Elle a été fondée par les moinesdominicains, au XIIIe siècle et elle a bénéficiéde la protection des Médicis, grands amateursd’alchimie et de philtres en tous genres. Seseaux odorantes et ses élixirs acquièrent auXVIIIe siècle une notoriété internationale. SonEau de lys s’exporte dans toute l’Europe et lescommandes arrivent même de Chine.Aujourd’hui la pharmacie de Santa MariaNovella accueille toujours les visiteurs par unparfum intense. Parmi ses productions tradi-tionnelles, il faut faire une placeparticulièrement à l’Eau de la reine, crééespécialement pour Catherine de Médicis. Parceque cette Eau de la Reine serait avec l’Eau dela reine de Hongrie l’ancêtre de l’eau deCologne.

L’eau de Cologne

A la fin du XVIIe siècle, lors d’une visite à SantaMaria Novella, un négociant italien en parfumsétabli en Allemagne, à Cologne, du nom deGiovanni Paolo Feminis, aurait été séduit parcette eau parfumée à base d’agrumes. Il auraitréussi à en obtenir la formule, par des moyensplus ou moins avouables, et l’aurait ramenéeen Allemagne et améliorée. Avant de mourir,en 1736, sans descendance, il transmet à l’unde ses petits-neveux, Jean-Marie Farina, le secret de sa préparation. Elle est composéed’esprit-de-vin, de romarin, de mélisse, d’es-sences de bergamote, de néroli, de cédrat etde citron. Ce produit va connaître une célé-brité sans égale et donner lieu à bien desimitations et à des présentations très variées.Ce qui est remarquable, c’est que l’eau de

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Cologne est intégrée immédiatement dans lapharmacopée de l’époque. On s’en frotte et onen boit sans hésiter car elle est dite efficacecontre un grand nombre de maux comme l’a-poplexie, la jaunisse ou les bourdonnementsd’oreille. Plus tard Napoléon en fera uneconsommation considérable. Madame deRémusat, l’épouse de son grand chambellan,affirme qu’il en utilisait jusqu’à 120 litres parmois. Il apprécie les flacons en forme de rou-leau qu’il peut fourrer dans ses bottes lorsqu’ilest sur les champs de bataille. Il s’en frotteénergiquement et n’hésite pas, comme beau-coup de ses contemporains, à pratiquer le « canard Farina », c’est-à-dire y tremper unmorceau de sucre et à l’avaler. Durant son exilà Sainte-Hélène, Ali, son fidèle mamelouk,réussira, avec les ingrédients disponibles surplace, à reconstituer approximativement l’eaufavorite de l’empereur déchu.

L’importance sanitaire accordée aux parfumsrepose sur une conviction forte : les médecinspensent que l’odeur véhicule l’énergie detoute substance et possède la faculté singulièrede pénétrer le corps en profondeur.Lorsqu’elle est fétide, elle corrompt les orga-nes et apporte la maladie. Quand elle estaromatique, elle peut au contraire guérir laplupart des affections. Lorsqu’en 1686, parexemple, Louis XIV souffre d’une tumeur, sonmédecin, Antoine d’Aquin, lui applique unemplâtre très odoriférant qui contient, entreautres ingrédients, du galbanum, de l’opopa-nax, de la myrrhe, de l’oliban et du mastic.Pour les médecins du roi, « Toute la vertu desmédicaments ne consiste que dans la commu-nication d’un certain parfum3 ».

Incarnation substantielle

C’est au stade de la composition des parfumsque l’incarnation est la plus évidente. Les grais-ses, les peaux, les chairs, le sang et diversessécrétions animales ont tenu, en effet, uneplace très importante dans ce domaine.

Graisses et chairs

Depuis les origines, les graisses et les chairsanimales entrent en abondance dans toutessortes de crèmes, baumes et onguents. Le

cône parfumé que les Egyptiens et lesEgyptiennes portent sur leur tête pendant lesbanquets est composé de graisse de crocodileet d’hippopotame et de résines aromatiques.Les parfumeurs de la période médiévale, de laRenaissance ou de l’époque classique utilisentlargement les graisses : graisse d’ours, de loup,de cerf, de chevreau, de pourceau, de pigeon, dechapon. Ils y ajoutent parfois des vers de terre,des fourmis, des scorpions et des cloportes.

Chiens aromatiques

Au XVIIe et XVIIIe siècles, le chien entre dansde nombreuses préparations aromatiques quisemblent aujourd’hui bien barbares. Pour effa-cer les tâches du visage, il faut distiller unedouzaine de chiots avec du sang de veau et desplantes aromatiques. Une autre recette pres-crit de couper en morceaux des petits chiensqui viennent de naître, et de les faire cuire avecdes ingrédients aromatiques. Il est recom-mandé de remuer le mélange avec une spatulede bois, afin que les petits chiens n’attachentpas au fond. L’huile obtenue, après expression,est versée chaude sur des plantes aromatiques.L’inventivité des parfumeurs ne connaît pas delimites. Et, à la veille de la Révolution, Jean-François Houbigant qui tient boutique àl’enseigne de la Corbeille de Fleurs, rue duFaubourg Saint-Honoré, amasse une fortunegrâce à sa crème de rose aux limaçons.

Le sang

Le sang est également très présent dans lesparfums magiques destinés à séduire irrésisti-blement. Cornélius Agrippa, par exemple, quifut médecin de la mère de François Ier, préparedes parfums « pour faire aimer » qu’il recom-mande de faire « flairer de temps en temps » àla personne qu’on veut séduire. Dans ses formules il mêle le sang de chat, de pie, decigogne, d’hirondelle, de pigeon ou dechauve-souris, au musc, à l’ambre et aux roses.La chair humaine elle-même est mise à contri-bution pour réaliser des compositionsparfumées à usage médical. L’exemple le plusfrappant est une préparation aromatiquemacabre, à usage interne et externe, appelée « momie ».

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et flotte sur la mer. Son odeur, d’abord nauséa-bonde, se transforme en une très agréablesenteur quand l’ambre, brossé par les vagueset chauffé par le soleil, est mis en infusion dansl’alcool.

La civette est une sécrétion du chat-civette,petit quadrupède africain de la taille d’unrenard, à longue queue traînante. C’est unepâte molle, beige ou brune à l’odeur fécalerépugnante. Mais, mélangée à d’autres matiè-res odoriférantes, elle perd son caractèreagressif et devient puissante et sensuelle. A ladifférence du musc et du castoréum, elle peutêtre recueillie sans tuer l’animal producteur.Ce sont également deux glandes internes ducastor qui fournissent le castoréum, substancecireuse/huileuse qui donne une note cuirée,chaude et douce. La parfumerie égyptienne aignoré ces diverses matières. Pas de traces irré-futables non plus dans les compositionsgrecques et romaines. Le castoréum est certesmentionné mais uniquement dans des recettesà usage purement médical.

Pommes de senteurs, gants à la civette

C’est grâce à ses contacts avec la civilisationarabe que la parfumerie occidentale a intégréces matières animales. Les croisés en rappor-tent de leurs expéditions orientales. Ellespermettent notamment de confectionner despréparations parfumées présentées dans dessphères d’or ou d’argent, appelées pommes desenteurs. En 1174, le roi de Jérusalem offre àl’empereur Frédéric Barberousse plusieurspommes d’or remplies de musc. En raison deleur prix, l’ambre et le musc sont réservés àune clientèle riche. La plupart des pommessont remplies d’ingrédients aromatiquesmoins coûteux. Emporter partout avec soi sapomme de senteurs permet à la fois de mar-quer son statut social et de faire écran auxeffluves nauséabonds vecteurs d’épidémies. La civette entre très souvent dans un produittrès célèbre : les gants de peau parfumés.Catherine de Médicis, venue épouser le futurHenri II, les met à la mode en France. Leurconfection est longue et délicate. Les gantstaillés et cousus sont disposés dans des caissesentre des couches de fleurs qui sont renouve-lées toutes les douze heures. Ce traitement

La momie

Comme son nom l’indique, ce produit est, àl’origine, fabriqué à partir de momies égyptien-nes farcies de substances aromatiques etconfites de liqueurs odorantes. Il est connudès le Moyen-âge. Par la suite, la vogue du pro-duit est telle que la véritable momie se fait rare.Catherine de Médicis va même envoyer sonaumônier en Egypte, en 1549, pour qu’il luirapporte le précieux remède capable de guérirune grande variété de maux et même de luttercontre la peste. L’offre ne pouvant répondre àla demande, de nouvelles recettes apparais-sent. Celle du grand Paracelse, célèbremédecin suisse du XVIe siècle, consiste à distiller des morceaux de chair humaine, pro-venant d’un cadavre bien sain, avec du musc etdes plantes aromatiques. Il faudra attendre laseconde moitié du XVIIIe siècle pour que cettemédication marque un recul. La momie ne s’efface que très difficilement d’un univers profondément marque par l’interpénétrationdu balsamique et du charnel.

Musc, ambre, civette, castoréum

Ce tableau de l’incarnation substantielle duparfum ne serait pas complet sans l’évocationde quatre sécrétions animales odorantes quiont joué un grand rôle en parfumerie : le musc,l’ambre, la civette et le castoréum. Elles sontréputées sublimer les senteurs végétales touten leur apportant puissance et sillage. Le muscprovient d’une sorte de chevreuil très primitif,le chevrotain porte-musc, aujourd’hui protégé.Il vit notamment sur les hauts plateaux boisésde l’Himalaya, du Tibet, de l’Afghanistan. Uneglande abdominale, située sous la peau, entrele nombril et les organes sexuels du mâle, pro-duit une sécrétion liquide qui se transforme engrains ayant la texture du café moulu. L’odeurfécale et de sang est suffocante mais aprèsvieillissement du produit, elle s’affine, etdonne une note animale, très persistante. Il estaujourd’hui difficile de s’en procurer par desvoies légales.

L’ambre est une concrétion pathologique quise forme dans les intestins du cachalot lorsqueses parois intestinales sont blessées par le becdes grands calmars qui sont sa nourritureessentielle. Il est expulsé par les voies naturelles

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Un produit artificiel, intellectuel, artistique…

En 1874, par exemple, Tiemann et Reimer,fabriquent industriellement le principe olfactifde la gousse de vanille, la vanilline. Une quin-zaine d’années plus tard, Aimé Guerlain s’enservira pour créer le toujours célèbre Jicky. Unchef-d’œuvre incontesté de la parfumeriemoderne comme le N°5 de Chanel doit beau-coup aux aldéhydes aliphatiques que le grandparfumeur Ernest Beaux avait osé utiliser pourla première fois. Les produits animaux sontégalement remplacés par des produits de syn-thèse. Dans les années 1888/91, Baur réalise unmusc artificiel, beaucoup moins onéreux quela sécrétion du chevrotin porte-musc et, en1926, la société Synarome commercialise l’am-brarome absolu, destiné à remplacer l’ambregris. Depuis 1990, les produits animaux, àcause de leur coût et de la protection animale,sont abandonnés. Aujourd’hui, ils ont presquecomplètement disparu des formules.

Le remplacement progressif des composantsnaturels par des composants artificiels a desrépercussions directes sur la conceptionmême du métier de parfumeur. Celui-ci estdésormais lié à la chimie et prend donc uncaractère plus scientifique, plus intellectuel,plus abstrait, plus artistique. Dès la fin du XIXe

siècle, la vision d’un parfumeur artiste s’im-pose. Il est souvent comparé au compositeurde musique. Comme celui-ci, il assemble desnotes et recherche des accords. Le parfumeurEdmond Roudnitska, auteur de la célèbre EauSauvage, conçoit la parfumerie comme un artabstrait. Il affirme que le parfumeur ne com-pose pas avec son nez mais avec son cerveau. Il serait même capable de créer, après avoirperdu l’odorat, de la même façon queBeethoven, devenu sourd, avait pu composerla 9ème symphonie. Pour cette raison, EdmondRoudnitska demande pour les créations de laparfumerie la protection du droit d’auteur.Dans la période récente, plusieurs tribunauxfrançais ont donné une réponse favorable àcette demande. Mais un arrêt de la cour deCassation du 13 juin 2006 vient de briser cerêve, du moins provisoirement.

appelé « mise en fleurs » dure au moins huitjours.

Avec ce produit les gantiers vont véritablementdevenir, au début du XVIIe siècle, les ancêtresdes parfumeurs actuels. La parfumerie étaitjusque là une activité éclatée qu’ils se dispu-taient avec les apothicaires, épiciers etmerciers. En janvier 1614, les gantiers reçoi-vent du roi la « permission de se nommer etqualifier maistres Gantier-Parfumeurs » et vontdisposer avec Louis XIV de statuts solides. Pourdevenir Maître Gantier-Parfumeur, il fallait plu-sieurs années d’apprentissage où l’onapprenait à travailler, coudre et surtout parfu-mer les gants. Ils connaissent au XVIIe et auXVIIIe siècles une vogue extraordinaire dontcertains malveillants ont, paraît-il, profité pouren faire un usage très spécial. René leFlorentin, le parfumeur de Catherine deMédicis, fut accusé d’avoir confectionné desgants parfumés empoisonnés. Et la PrincessePalatine raconte dans ses Mémoires queMadame de Maintenon qu’elle appelle la « vieille sorcière » ou la « vieille ordure » futsoupçonnée d’avoir essayé d’empoisonner laDauphine avec une paire de gants parfumés.

Mais sous la Régence, on commence à sedétourner des notes animales en faveur sousLouis XIV. Elles sont jugées trop lourdes et l’a-ristocratie leur préfère des fragrances plusfraîches et plus légères que l’on sait mainte-nant mettre dans de l’alcool plus concentré.Elles ont des noms évocateurs : Eauxd’Adonis, de Venise, Eau mignonne, céleste,divine… L’eau couronnée, portée par la reineMarie-Antoinette, inclut notamment de la vio-lette, iris, jonquille, fleurs d’oranger, rosesmusquées blanches, tubéreuse, macis, clou degirofle, bergamote, orange du Portugal.

Vers la désincarnation

A l’orée du XIXe siècle, le parfum a perdu laplupart de ses anciens ancrages. Le temps estbien loin où il était « la sueur des dieux ». Legant parfumé qui réunissait l’animal et le végé-tal dans le parfumage de la peau humaine adisparu. De plus, la parfumerie et la pharmaciese sont séparées définitivement en 1810.

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Un produit industriel et marketing

L’arrivée de la chimie a eu d’autres conséquen-ces importantes. Elle a fait de la parfumerieune grande industrie et a permis une démocra-tisation des produits. Ceux-ci ne sont plusvendus seulement dans des boutiques spéciali-sées. Ils sont aujourd’hui accessibles dans cestemples de la consommation que sont lessupermarchés. Mais cette industrialisation a euaussi des effets pervers. Elle s’inscrit dans unelogique de production de masse et de recher-che permanente de l’abaissement du prix derevient qui apparaît en contradiction avec lesambitions artistiques des créateurs. Et celad’autant plus que dans les années 1970 entreen scène un nouvel acteur venu des Etats-Unis,le marketing. Il entend déceler les attentes duconsommateur et orienter la création du par-fumeur. En réalité, le marketing va bienau-delà. En affirmant son emprise depuis laconception jusqu’à la commercialisation, il ainstauré un rapport de valeurs nouveau danslequel la communication sur le produitcompte plus que le produit lui-même. Devenuun prétexte, la simple illustration d’un conceptélaboré par des commerciaux, le parfum s’estdématérialisé. Il est victime d’une perte desubstance certaine qu’un grand parfumeurrésume en une boutade : « On nous imposeaujourd’hui des coûts de matières premièresqui font qu’on ne peut plus rien mettre. Il fau-drait faire des parfums avec de l’eau parce quece n’est pas cher ».

La parfumerie est également menacée par labanalisation et l’uniformisation. La mondialisa-tion va dans le sens de produits sans risque,acceptables par le plus grand nombre. De plus,la politique de lancements à haute fréquencede produits éphémères, favorise les copies audétriment de l’originalité. Pour enrayer cettetendance à la banalisation, des petites maisonsde parfums, appelés « de niche », cherchent àredonner de la qualité et de la création en fai-sant appel à de beaux ingrédients et enrefusant de se plier à la dictature des tests et dumarketing. Dans leur sillage, quelques grandesmarques, pour redorer leur image, lancent àcôté de leur production de masse, des collec-tions confidentielles et prestigieuses. AinsiGuerlain présente dans sa boutique desChamps-Elysées des flacons à 20 000 euros.

On peut espérer avec ces nouvelles démarchesque le parfum trop banalisé, trop appauvri,retrouvera plus de substance, de créativité etrécupérera de son ancien prestige.

Annick Le GuérerLIMSIC, université de Bourgogne, Dijon

1. Cf. J.-C. Goyon, Rituels funéraires de l’ancienne Egypte,Paris, Editions du Cerf, 1972, p. 43-44. 2. Jacques de Voragine, Quadragesimale aureum, 1874, I,415.3. Abbé Rousseau, Préservatifs et remèdes universels tirésdes animaux, des végétaux et des minéraux, Paris, 1706, p. 107.

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Phalle, etc…), qui sont autant de produits dérivés. Enfin, c’est dans des expositions éphémères ou à l’occasion de manifestationsponctuelles, que sont exposés des projets danslesquels dimensions plastiques et aspectsolfactifs sont travaillés avec le même désir decréativité.

La première expérience artistique intégrant unparfum date de 1921. Marcel Duchamp, sous lepseudonyme de Rrose Sélavy, crée BelleHaleine, eau de voilette. En 2009, FrancescoVezzoli, rend hommage à Duchamp en créantGreed, un parfum-œuvre dont le flacon est unecitation du Belle Haleine de Duchamp. Si prèsd’un siècle sépare les deux artistes, leurdémarche est comparable. Tous les deuxappréhendent le parfum de la même manière.Ils explorent et parodient ses codes de communication, en détournant l’image traditionnelle de la féminité et en la mettant enscène de façon outrancière et caricaturale, sanss’intéresser à sa dimension olfactive. C’est lecontenant qui est le sujet de leur œuvre, lecontenu olfactif est évacué.

Suivant la technique du readymade, Duchampprend un objet déjà manufacturé, en l’occur-rence un flacon d’Un Air Embaumé, unparfum créé par Rigaud, et le transforme pouren faire une œuvre. S’il investit littéralementtous les codes de la parfumerie des années 20(un flacon en cristal dépoli Lalique, une éti-quette délicatement décorée par un portraitde femme, une marque commerciale, un nomromantique), c’est pour mieux les détourner.Le portrait réalisé par Man Ray représenteMarcel Duchamp, déguisé en Rrose Sélavy,son avatar féminin. C’est une parodie de packaging, dont les codes de féminité ont été exacerbés et travestis pour souligner laconvention du genre. La marque RS reprendles initiales de Rrose Sélavy dans la typographiede la marque Rigaud. Le nom Belle Haleine,est faussement évocateur et renvoie plutôt àune odeur peu agréable. Son sous-titre, eau devoilette est un jeu de mot ironique qui dé-tourne l’appellation convenue d’eau detoilette.

Francesco Vezzoli poursuit le travail deDuchamp. Il lui rend hommage en choisissantun flacon identique à celui de Belle Haleine. Il

Andy Warhol commença sa carrière en dessi-nant des vitrines pour les grands magasinsnew-yorkais. S’il devint, à partir des années 60,une figure incontournable de la scène artis-tique internationale, Warhol n’en oublia pasmoins ses débuts, lorsqu’il réalisa un ensemblede sérigraphies représentant le N °5 de Chanel.Aussi étonnante qu’évidente cette rencontreentre le parfum le plus vendu au monde et lepape du pop-art, fit date dans l’histoire de l’artet du parfum.

Apparemment proches, art et parfum appar-tiennent en fait à des secteurs assez distincts,et les exemples de rapprochements entre cesdeux univers, que nous allons présenter icimontrent à quel point ils sont différents. Mais ils entretiennent des rapports de fascina-tion mutuelle et réciproque, qui expliquentquelques aventures communes. L’art fascinepar son avant-gardisme, sa liberté, sa créativitésans contrainte et son exclusivité ; le parfumattire par son mystère, son pouvoir de séduc-tion, son accessibilité et sa force de frappeéconomique. L’art redonne au parfum unerareté et une exclusivité perdue par l’accrois-sement récent des lancements et del’accessibilité des produits. Le parfum apporteau monde de l’art la possibilité d’explorer unnouveau support de créativité et d’utiliser cenouveau média pour toucher un nouveaupublic.

Les initiatives rapprochant ces deux universpeuvent se répartir en trois catégories, qui cha-cune apparait dans des espaces spécifiques.

C’est dans les galeries d’art que sont montréesles démarches d’artistes, comme MarcelDuchamp ou Francesco Vezzoli, qui travaillentsur les codes de communication liés au parfum(parodie du nom, intervention sur les flacon-nages, caricature des supports publici-taires...). C’est dans les parfumeries et lesgrands magasins que sont présentés les par-fums d’artistes (Salvador Dali, Nikki de Saint

Art et Parfum : de la fascination à la co-créationFrédéric Walter

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continue sa démarche de citation littérale ense faisant photographier par FrancescoScavullo, travesti en femme. Et son portraitorne l’étiquette du flacon de Greed, commecelui de Rrose Sélavy, alias Marcel Duchampdécorait, celui de Belle Haleine. Il prolonge sacritique en baptisant son parfum d’un nom iro-nique Greed (cupidité, avidité). Si lathématique du désir est fréquente dans lesconcepts de parfums, (Covet de Sarah JessicaParker, Envy de Gucci) Vezzoli décide de latraiter de façon caricaturale et outrancière.

Il met en scène l’opposition entre deux modè-les de féminité, incarnés par deux archétypesféminins : la brune douce et innocente, oppo-sée à la blonde méchante et machiavélique.Sacrifiant aux lois de la communication du par-fum, voulant que les actrices de cinéma aientremplacé les top-modèles dans le rôle d’am-bassadrices internationales de marques deluxe, Vezzoli a distribué ces rôles à des starsd’Hollywood : Nathalie Portman jouant labrune, Michelle Williams incarnant la blonde.

Elles apparaissent dans le film publicitaire desoixante secondes, réalisé pour la vraie campa-gne de lancement de ce faux parfum.Revisitant les techniques de communicationdu genre, Vezzoli a confié la réalisation du filmà une star du septième art, Roman Polanski. Ilfilme un affrontement entre deux femmes,dont l’enjeu est un flacon de parfum. D’abordfeutrée, tournée dans un intérieur cossu, l’am-biance se fait plus violente quand les deuxprotagonistes commencent à s’affronter pourdétenir ce parfum.

Dans ces deux cas, la distribution de ces vraisfaux parfums est très exclusive. Donnés à voirdans des musées et à acquérir dans des gale-ries, ils sont réservés à un public restreint etaverti, celui des amateurs et des collection-neurs d’art.

Ces objets sont moins des parfums que desœuvres d’art, leur prix en découle. C’est celuid’œuvres uniques, ou fabriquées en très peud’exemplaires, qui n’a rien à voir avec ceux pra-tiqués dans le monde du parfum.

Le plus étonnant dans cette démarche artis-tique est que la dimension olfactive estinexistante. Ce n’est pas le propos de l’artiste :Marcel Duchamp a conservé la fragrance d’un

air embaumé, suivant le principe d’appropria-tion de l’objet utilisé pour un readymade,Francesco Vezzoli n’a pas fait créer de parfum.L’olfactif n’est pas évoqué. Il a été évacué. Leparfum n’est qu’un prétexte, un support quipermet d’analyser et de dénoncer les codes decommunication d’un genre précis, en l’occur-rence celui de la séduction. Mais il met aussi enrelief l’ambiguïté inhérente de la perceptionde la réalité, lorsqu’elle est troublée par le pou-voir de séduction du langage.

La démarche des parfums d’artiste laisse plusde place à l’aspect olfactif. Apparus dans lesannées 80, ces fragrances vendues en parfume-rie, sont ce que l’on appelle des parfums decélébrité. Ils sanctionnent la notoriété interna-tionale d’artistes dont le nom devientl’équivalent d’une marque commerciale.Connus par le plus grand nombre et reconnuspour leur créativité, ils peuvent légitimementsigner un produit de luxe, associant créativité,raffinement et accessibilité.

De Salvador Dali à Nikki de Saint Phalle, enpassant par Arman ou Andy Warhol, ces par-fums procèdent du même phénomène que les parfums de couturiers et de créateurs demode : ils sont une porte d’entrée dans l’uni-vers du créateur. Ses aspects plastiques, flaconet supports de communication sont essentiels.Ils doivent séduire et attirer les consomma-teurs en le faisant pénétrer, immédiatement etsans ambiguïté, dans l’œuvre de l’artiste.

Nikki de Saint Phalle a signé son parfum épo-nyme en 1982. Le bouchon de son flaconreproduit fidèlement l’une de ses sculptures :deux serpents enlacés qui symbolisent l’unionentre la beauté et la passion. « Dans mon par-fum, le serpent or est le mâle et serpent femmeest bien sûr le serpent coloré, le serpent glo-rieux » indique Nikki de Saint Phalle. C’est unobjet d’art accessible, presqu’une édition d’ar-tiste, une sculpture de verre doré et émaillé.Même démarche pour les parfums SalvadorDali, dont chaque flacon fait directement réfé-rence à l’œuvre de l’artiste catalan. Le premierparfum Salvador Dali est lancé en 1983. Dalidessine lui-même son flacon s’inspirant de satoile « Apparition du visage de l’Aphrodite deCnide ». Il choisit pour donner un visage à sonpremier parfum, le nez et la bouche de sonAphrodite.

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pas ou peu été impliqué dans la création duparfum, son intervention s’est limitée au flaconet à ses supports de communication.

Force est de constater que le médium olfactif aété peu exploité par les artistes. Explorant tou-tes les possibilités de création sollicitant lesautres sens, ils ont rarement investi le parfum.Si l’histoire de l’art moderne et contemporaina vu la multiplication des créations hybrides,multimédia et multi-supports (peinture, sculpture, film, musique, installation, perfor-mance…) rares ont été les tentatives d’inté-gration de parfum dans une œuvre d’art. Muspar un désir d’innovation et la volonté d’explo-rer un support laissé encore vierge dans lacréation contemporaine, certains ont entreprisd’incorporer une facette olfactive dans leur travail.

Répondant souvent à l’invitation d’un commis-saire d’exposition, ou issues d’une rencontreavec un parfumeur, ces initiatives sont rare-ment spontanées. Elles sont le plus souventdes réactions ou des commandes. Le mondedu parfum paraît tellement mystérieux et spé-cialisé que peu d’artistes ont spontanément ledésir d’aller l’explorer.

L’originalité de la démarche et sa rareté méri-tent d’être soulignées. Elle est motivée par unevraie curiosité pour l’olfactif, et rares sont les artistes qui en ont fait preuve. Elle néces-site une véritable rencontre entre un artisteplasticien, dont l’univers créatif est souventgraphique, visible, matériel et un parfumeur,ou « nez », dont le registre de création est olfac-tif, invisible, immatériel. L’objectif de cetterencontre est de traduire un univers plastiqueen odeurs.

Le parfumeur se met au service du plasticienen lui permettant de donner une dimensionolfactive à son œuvre. Ce processus de créa-tion est le plus souvent lieu de collaboration.C’est un travail à quatre mains et deux nez, oùdeux univers créatifs se conjuguent, seconfrontent et s’associent pour créer uneœuvre hybride, fruit de leurs talents respectifs.En juin 2006, l’exposition « Essences Insensées »présenta à l’Ecole nationale supérieure desBeaux-Arts à Paris, les collaborations de treizeduos formés par un plasticien et un parfumeur.Organisée par Anne Pierre d’Albis, dans le

Les supports publicitaires citent aussi l’œuvrede l’artiste. Simple photo du flacon sculpturepour Nikki de Saint Phalle, ou intégration dansune toile du maître pour les parfums deSalvador Dali, tout concourt à souligner l’ap-partenance du parfum à l’ensemble de l’œuvrede l’artiste.

Le traitement de l’olfactif est lui aussi trèsimportant, car si flacon et publicité séduisentle client pour un premier achat, c’est l’adhé-sion au parfum qui assurera son rachat.Développés par des marketeurs, rompus auxarcanes de la création olfactive, en collabora-tion avec des maisons de création commeGivaudan ou Firmenich, les parfums d’artistessont en général consensuels. Ils sont forte-ment influencés par les tendances quidominent le marché, au moment de leur lance-ment. Créée par Alberto Morillas, la note duparfum Salvador Dali est un accord chypreclassique, avec des facettes florales : jasmin, lafleur préférée de Salvador Dali, et rose, la fleurpréférée de Gala, sa femme et son égérie.

Car si le flacon doit intriguer et séduire, le par-fum doit rassurer et plaire. L’originalité nefranchit par la frontière du flacon. Ici l’objectifn’est pas de créer une œuvre olfactive mais derendre accessible l’œuvre d’un artiste, grâce àun produit dérivé.

Le réseau de distribution est sélectif, maismultiple : grands magasins, parfumerie, etaujourd’hui Internet. Ce sont les points devente habituels des parfums de luxe. Les parfums d’artistes doivent être accessibles, ilssont destinés à plusieurs centaines de milliersd’acheteurs.

En toute logique, la politique de prix est com-parable à celle des parfums de luxe. De l’ordrede 50 euros à 70 euros pour un flacon de 50 ml.

Les parfums d’artistes empruntent les codesdes parfums de luxe dans chacun des élémentsdu mix marketing. L’artiste a le même rôle quele créateur de mode : il est la légitimité créativeet narrative qui nourrit la marque. Le parfumd’artiste est donc un produit dérivé. Tel unaccessoire développé à l’occasion d’unegrande rétrospective, il permet de posséder unextrait de l’œuvre d’un artiste. Mais c’est unaccessoire précieux car il est paré de l’aura deluxe propre au parfum. L’artiste en général n’a

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cadre du Parcours Saint-Germain, cette mani-festation donnait à voir et à sentir treizeœuvres olfactives.

Le propos était de créer le contenant idéalpour le parfum idéal. Les créations furent l’occasion d’échanges entre plasticiens et par-fumeurs : les seconds essayant de pénétrerdans l’univers des premiers. De véritables for-mations olfactives furent organisées. Lesplasticiens acquirent les repères olfactifs, aveclesquels ils guidèrent la construction de leurparfum. En parallèle, ils partageaient avec lesparfumeurs le développement de leur flacon.

Ainsi le designer Patrick Jouin travailla avecChristel Bergoin sur la notion d’illusion denature. Ensemble ils créèrent Syn, œuvre com-posée d’une sculpture délicate et troublante,créée par stéréo-lithographie, un procédé danslequel l’homme n’intervient pas, et d’une sen-teur étonnement naturelle, exclusivementcomposée d’ingrédients de synthèse. Unedémarche parfumeur/plasticien démiurgeessayant de mimer la nature, en n’utilisant quedes éléments non-naturels.

La démarche du plasticien Sam Samore et duparfumeur Michel Girard fut plus naturaliste.Elle consista à créer une expérience chama-nique en explorant les pouvoirs hallu-cinogènes d’un champignon mexicain. Unesenteur boisée, évoquant la fumée et l’encens,au pouvoir hallucinatoire suggestif, accompa-gne un bol rituel dans lequel des tribus boiventleurs potions narcotiques. Ce dernier est posésur un miroir gravé de mots, dont la lecturenécessite une concentration absolue. A l’instardu parfum, les mots deviennent halluci-natoires et ouvrent un nouvel espace de participation active au public.

D’autres expériences associant parfumeurs etplasticiens furent tentées avec succès : le par-fum Nuit Blanche élaboré par Christine Nagel,pour Bertrand Lavier, dans le contexte de laNuit Blanche, en 2004, à Paris ; le parfum vertdéveloppé par Michel Girard pour l’expositionde Claude Lévêque, au Mamco de Genève, en2003. Citons les soirées nomades Odorama,organisées par Isabelle Gaudefroy et HervéMikaeloff à la fondation Cartier en 2004. Cesœuvres furent présentées lors d’expositionsou d’événements ponctuels. Ce caractère

éphémère mérite d’être souligné. L’œuvreolfactive s’expérimente dans le temps : celui del’exposition ou de l’événement, mais aussicelui nécessaire aux spectateurs pour appré-hender la senteur.

Ces événements sont organisés par des insti-tutions culturelles et non des galeriescommerciales. Ce qui rend problématique laquestion de la commercialisation et de la ventede ces œuvres spécialement créées. S’il estlégitime que ce sujet puisse être abordé, il n’aen aucun moment été à l’origine du projet. Cesœuvres n’ont pas de prix. Ou du moins leurprix est virtuel. Il n’a jamais été déterminé. Entoute logique, les galeries des plasticiensdevraient servir d’intermédiaires pour la ventede ces œuvres.

Dans ces projets, la démarche créative est lamême : l’olfactif est intégré dès le début dansle processus. Parfumeurs et plasticiens travaillent ensemble et sont co-auteurs desœuvres. Les œuvres n’ont pas pour but d’êtrevendues, mais exposées.

La notion de parfums d’artistes est ambiguë.Elle recoupe plusieurs réalités : une œuvreconceptuelle comme « Belle Haleine » deMarcel Duchamp, de laquelle le propos olfactifest absent ; un produit dérivé comme le par-fum Salvador Dali, dont la fragrance estclassique ; une œuvre plastique avec une véri-table dimension olfactive, comme cellesmontrées dans l’exposition Essences Insensées.Entre l’œuvre d’un artiste conceptuel, sansparfum et la sculpture parfumée, sans destincommercial, une voie existe pour de véritablesœuvres olfactives commercialisées dans desgaleries. Co-créations entre plasticiens et par-fumeurs, elles intègrent aspects formels etolfactifs dans leur conception. Associantséduction formelle et émotion olfactive, attraitdu visuel et trouble de l’invisible, elles rappro-chent le plus éduqué de nos sens, la vue, et leplus primitif, l’olfactif. Elles proposent unenouvelle forme d’art, un nouvel hybride artis-tique, qui doit trouver, attirer et éduquer sonpublic.

Frédéric WalterCreative Marketing Directeur Fine Fragrance,Givaudan France

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Quelles relations entretenaient le parfum avecla mode avant la naissance du parfum-coutu-rier ; et quelles relations entretient-il avec elleaprès ? Comme l’analyse avec précisionMarylène Delbourg-Delphis, par ailleursauteur d’ouvrages sur la mode, dans le livrequ’elle consacre au parfum1, la réponse à cesquestions est pour le moins paradoxale. Entrele Second Empire et la première guerre mon-diale, avant la naissance du parfum-couturierdonc, mode et parfum semblent évoluer simul-tanément, comme s’il existait un lien orga-nique entre eux : « Lorsque le Second Empire,écrit-elle, créant une silhouette imposante,place la femme sur un piédestal, la bienséancerequiert la modestie en matière d’odeurs (…).Après 1870 la tendance est progressivementmais inéluctablement à l’allongement de la sil-houette. Parallèlement les odeurs serenforcent. (…) Entre 1850 et 1914, la mode etle parfum ont varié en fonction inverse, maisde connivence : ce qui s’est perdu en quantitéde tissu a été gagné en intensité d’effluves. »2

Puis, aussi surprenant que cela paraisse au pre-mier abord, à partir des années 1920, et doncde la mise en place impérieuse du parfum-cou-turier, cette connivence va se faire de moins enmoins évidente…

Le parfum va opposer comme une résistanceau désir d’unité entre parfum et couture –désir largement affirmé dans la presse et parles couturiers eux-mêmes dans les années1920. Il va s’affirmer comme un objet auto-nome, non soluble dans la mode. Tout d’abordquand la mode d’analytique, se fait plus syn-thétique (le fameux « total look » de Chanel), leparfum reste extérieur à cette synthèse : il est àcôté, comme un complément. Des différencesde rythmes se font également sentir : lerythme des créations de parfums des coutu-riers ne suit pas celui des collections, lestendances lancées par la couture semblentreprises avec retard dans la parfumerie (quandelles sont reprises). Enfin certaines fragrancesvont s’installer, durer, perdurer, jusqu’à échap-per complètement à « l’empire de l’éphémère »3.Cette stabilité tenant d’abord à la fidélité stu-péfiante des clientes (mais aussi au soutienconstant de certaines maisons de couture àleurs parfums vedettes), va bientôt s’imposer,

Les relations qu’entretient le parfum avec lamode sont à la fois évidentes et paradoxales.Evidentes parce que la plupart des parfumsvendus et achetés dans le monde (en Europetout au moins) porte le nom d’une marque demode ; paradoxales parce que, comme nousallons le voir, le parfum est simultanément unobjet qui échappe largement à la mode. Al’aube du XXIe siècle, c’est même au prix d’uneémancipation et d’une réaffirmation de sa spé-cificité, qu’il reprend des couleurs ; c’est en selibérant de l’emprise de la mode qu’il rede-vient à la mode.

Le parfum n’est pas soluble dans la mode : retour surla naissance du parfum couturier (les années 1910-1940).

La parfum-couturier est un phénomène duXXe siècle. Avant cette période les produitsparfumés ou parfumants furent vendus tour àtour par les épiciers puis les apothicaires(Moyen-âge et Renaissance), les gantiers-par-fumeurs (XVIIe et XVIIIe siècles) et enfin lesparfumeurs (XIXe siècle et XXe siècles) – maisjamais par les merciers ou les marchandes demodes.

Le premier couturier à investir dans les par-fums fut Paul Poiret, qui en 1911 crée à cette finune société spécialisée « La maison de Rosine ».Pratiquement tous les grands noms de la cou-ture lui emboîteront le pas dans les années1920 : Worth, Jean Patou, Jeanne Lanvin,Chanel, Molyneux, Lucien Lelong – mais aveccette différence importante que les parfumsseront commercialisés sous leur nom de griffe.

Parfum et mode, l’histoire d’un paradoxeAnne-Sophie Trébuchet-Breitwiller

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Etats-Unis notamment, est la dernière étape en date d’une parfumerie qui s’est largement « popularisée ».

Ainsi, à partir des années 1920, et de façongrandissante tout au long du siècle, la concur-rence a été rude pour les premiers acteurs, lesproducteurs traditionnels de la parfumerie,ceux qui n’étaient que parfumeurs… En 1941les ventes de parfums sont encore dominéespar les produits de parfumeurs, mais sur laseconde partie du siècle, le parfum-couturieret ses émules va se généraliser jusqu’à margi-naliser les maisons de parfums traditionnelleshéritées du XIXe siècle : Guerlain, Coty, Roger& Gallet, Piver, Houbigant, etc.

Néanmoins les parfums de parfumeurs n’ontjamais complètement disparu. De grandesmaisons françaises toujours vivantes (Guerlain,Caron) en témoignent, mais aussi des maisonsitaliennes (Santa Maria Novella, Acqua diParma) ou anglaises (Creed, Floris,Penhaligon’s), pour ne citer que quelquesexemples. Ces maisons ont su traverser le vingtième siècle, assez discrètement dans sadernière moitié il est vrai, comme pour trans-mettre le flambeau de la parfumerieautonome, indépendante de la mode et desmarques globales, au vingt-et-unième sièclenaissant.

Autonome, le parfum redevient « à la mode » : larenaissance de la parfumerie contemporaine.

S’il est un phénomène qui a marqué la parfu-merie ces dix dernières années, c’est sansconteste l’explosion de la parfumerie de niche,et de son corollaire, le parfum d’intérieur.

Ce que nous appelons aujourd’hui la parfume-rie de niche réunit à la fois certaines de ces trèsanciennes maisons qui ont su traverser le XXe

siècle, et de nouvelles marques (dont les pre-mières naissent dans le dernier quart duvingtième siècle) qui parfois s’en inspirent : cen’est pas un hasard si la pionnière du genre,Diptyque, qui crée ses premières bougies par-fumées en 1963, importe au même momentles produits de la très chic parfumerie anglaisetraditionnelle (Floris, Culpeper, Penhaligon’setc.). Jean Laporte crée l’Artisan Parfumeurplus de dix ans plus tard, en 1976. Les années

comble d’ironie, comme la mesure même de laréussite d’un parfum !

Comme voué au « classicisme », le parfum estet reste ce qu’il a toujours été : un produit deluxe, beaucoup plus qu’un produit de mode.Et c’est bien ainsi que le comprendront lesmaisons de couture qui sauront le mieux l’inté-grer : pour Chanel, Lanvin, et quelques autres,les parfums deviennent bientôt un pôle de sta-bilité, contre-point au flux des collections, oùla maison peut dire simplement son identité etsa fiabilité ; et ce d’autant mieux que la marqueaura su construire une signature olfactive pro-pre en travaillant avec des nez attitrés (unepolitique à laquelle Chanel n’a jusqu’à présentjamais dérogé). Avec le recul, les années 1920-1930 notamment apparaissent même comme «l’âge d’or » de la parfumerie moderne.

De la mode au luxe : quand le parfum incarne le pro-duit d’« access » (second XXe siècle)

En intégrant les parfums, les grands couturiersdes années 1920 n’ont donc pas réalisé l’unitéde la mode et du parfum rêvé par quelquesuns. Ils ont en revanche, ce faisant, comprisl’intérêt pour les marques de luxe, très élitistesà l’époque, de développer des produits acces-sibles à une clientèle plus vaste que leurclientèle d’origine.Ce qu’on nommera plus tard l’« access » – unconcept qui n’a pas fini de faire la fortune desmarques de luxe –, fut en un sens inventé parles couturiers parfumeurs. La mode ayantouvert la brèche, bijoutiers, joailliers, selliers,maroquiniers, horlogers, ont tôt fait de d’yengouffrer. Le XXe siècle avançant, tous vont semettre à commercialiser des parfums. Une ten-dance que les grands couturiers de l’aprèsseconde guerre mondiale reprendront :Christian Dior, Givenchy, Yves Saint Laurent,pour ne citer que les plus grandes marques, seferont à leur tour un nom dans le parfum.

Dans les années 1970, le parfum s’internatio-nalise et se massifie. Des marques deprêt-à-porter moins prestigieuses : Cacharel,Lacoste, Hugo Boss entre autres, se mettent auparfum ; de même que des marques de cosmé-tiques : Estée Lauder et Shiseido par exemple ;enfin la vogue des parfums de célébrités, aux

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véritable laboratoire de tendances et d’idéesde la parfumerie contemporaine. En témoignela rapidité avec laquelle ses idées sont repriseset parfois réinterprétées par les marques glo-bales, y compris les marques de mode. Levintage, le sur-mesure, la bougie, le retour dunaturel, la mise en avant des nez, sont autantd’inventions ou de réinventions souvent néesdans les niches, et que l’on retrouve aujourd’-hui dans les grandes marques à travers desphénomènes tels que : l’intégration de parfu-meurs maisons (Jean-Claude Ellena chezHermès, François Demachy chez LVMH,Thierry Wasser chez Guerlain), le sur-mesure(chez Cartier, Guerlain, Jean Patou)6, les ré-éditions (Lancôme, Guerlain, Dior, Givenchy),les collections (les Eaux de Cologne de HediSlimane pour Dior, les Hermessences de Jean-Claude Ellena pour Hermès, la collectionArmani Privé), les parfums millésimés (lesRécoltes de Givenchy), etc.

Qu’elle soit le fait de petites ou de grandesmarques cette parfumerie qui se veut qualita-tive, luxueuse, et finalement très « parfumeur »,offre un second souffle au marché, sur les« petits prix » comme sur les « prix chers » – aumoment précis où celui-ci marque le pas. Lacroissance à deux chiffres de certaines nichescontraste de fait fortement avec un marchémainstream plutôt atone7. Et la distributionsélective s’appuie désormais sur ces produits.Si les parfums de niches et les bougies parfu-mées sont d’abord sortis de leur boutiquepour investir les concept-stores (par ailleurstrès « fashion »), devenant d’emblée des piliersde Colette ou L’Eclaireur à Paris, Browns àLondres, ou du 10, Corso Como à Milan ; ou les« scent bars », ces lieux de vente très pointusqui ne distribuent que de la niche(ScentSystem ou Senteurs à Londres, Senteursd’ailleurs à Bruxelles, le Scent Bar de LosAngeles) ; les grands magasins (departmentstores) ont suivi, et voient aujourd’hui leursventes de parfumerie significativement por-tées par ces produits (Le Bon Marché à Paris,Selfridges à Londres, Barney’s ou BergdorfGoodman à New York) ; même des enseignescomme Sephora ou Marionnaud leur fontaujourd’hui une place, au moins dans leurs « flagships », comme pour retenir une clientèleen proie à des tendances centrifuges…

1980 sont déjà plus prolixes : Annick Goutalfonde sa première boutique en 1980, MaîtreParfumeur et Gantier, de même que Patricia deNicolaï voient le jour à la fin de la décennie,Serge Lutens qui travaille déjà pour Shiseido àcette époque créera les Salons du Palais Royalen 1992. Mais c’est surtout à partir de 2000 quele nombre de ces petites marques semble semultiplier (Editions de parfums Frédéric Malle,IUNX, Jar, The Different Company, etc.). Etnous ne citons ici que des exemples français ;l’Italie, l’Angleterre, les Etats-Unis ne sont pasen reste.

Il est difficile de résumer dans un chiffre lepoids de cette parfumerie de niche dans l’en-semble de la parfumerie contemporaine. Uneenquête parue dans Economie Matin estimaitle chiffre d’affaires du marché français de laparfumerie de niche à 400 millions d’euros(édition du 5 janvier 2006)4. Pour la mêmepériode (2005) la seule addition des ventes deparfums alcooliques des groupes L’Oréal,LVMH, Estée Lauder, Interparfums, PPR,Clarins et Hermès, produit déjà un chiffre d’af-faires total de 4 724 millions d’euros5. La partde la parfumerie de niche serait donc réduite àla portion congrue ? Dans une interview accor-dée à Cosmétique Magazine (n° 84, décembre2007-janvier 2008), Nicolas Mirzayantz (GroupPresident Fragrances de IFF) semble cepen-dant lui reconnaître un poids économiquesensiblement plus important : « Sur le marchécohabitent désormais les gros lancements desgrandes marques, déclare-t-il, des lancementsplus confidentiels de ces mêmes griffes, et leslancements des marques de niche et des peti-tes marques. Nous sommes sortis du modèle80/20 et c’est cette multitude de nouveautésqui donne le choix aux consommateurs, quiporte la demande. »

Le fait est que l’impact de la parfumerie deniche semble pour l’heure plus qualitatif quequantitatif. Par une inversion spectaculaire duphénomène du « parfum-couturier » qui avaitvu le jour dans années 1920 et marqué tout lesiècle à suivre, il semble qu’aujourd’hui, prèsd’un siècle plus tard, ce soit les parfumeursspécialisés qui prennent le leadership sur lamode parfumée et qui donnent le ton. La par-fumerie de niche apparaît de fait comme le

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En quelques années, une parfumerie auto-nome, émancipée en un sens des marques demode ou de toute autre tutelle, s’est ainsi affir-mée plus « chic et trendy » que jamais ! Commes’il avait fallu au parfum, tourner le dos à lamode pour redevenir vraiment « à la mode ».Pour les jeunes générations, le choix d’un par-fum n’est plus aussi identitaire qu’il avaitcoutume de l’être pour leurs aînés8 ; sans êtreinfidèles les clientes ou les amateurs ont deplus en plus de parfums différents dans leur « garde-robe », préférant souvent le flacon de50 ml, voire de 30 ml, au traditionnel 100 ml.

A nouveau luxueux et pointu comme unauthentique accessoire de mode, le parfum ?

Anne-Sophie Trébuchet-BreitwillerProfesseur, IFM, Centre de sociologie de l’innovation

1. Marylène Delbourg-Delphis, Le sillage des élégantes. Unsiècle d’histoire des parfums, Paris, J.-C Lattès, 1983.2. Marylène Delbourg-Delphis, op. cit., p. 67.3. Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère, Paris,Gallimard, 1987.4. Cité par Catherine Têtu, « La question de la rentabilité etde l’intérêt de l’exploitation intégrée d’un parfum pour unemarque de jeune créateur », mémoire de fin d’études, IFM,2005. 5. NPD Beauty-Trends – Décembre 2005, cité par CatherineTêtu, op. cit.6. Avec des prix pouvant varier de 8 000 euros à 60 000euros. Cité par Catherine Têtu, op. cit.7. Stagnation des ventes en volume avec une progressionlimitée à + 0,3 % en 2006, après une chute de - 5,2 % en 2005.D’après une enquête NPD, citée par Les Echos, 30-01-07.8. Emmanuelle Garcin, « Comment choisir son parfum à tra-vers le prisme du goût ? », mémoire de fin d’études, IFM,2008.

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La présence des parfums en marge des parfums de masseCatherine Têtu

rielle. Et par conséquent, « entre un téléphoneportable et un parfum, on ne fera plus franche-ment la différence » (Vera Strubi)2.

Or le parfum est par essence un produit forte-ment impliquant. Les scores concernant lescinq facteurs qui, selon Kapferer et Laurent3

constituent le concept d’implication sont parti-culièrement élevés : l’intérêt du consom-mateur pour le produit est fort ; la probabilitésubjective de faire une erreur lors de la déci-sion d’achat est grande ; la gravité perçue desconséquences d’une telle erreur est impor-tante, ne serait-ce que sur le plan financier ; lavaleur de signe social associé au produit esttrès présente ; et la valeur émotionnelle ouhédonique du produit, enfin, est considérable.Au même titre que le maquillage qui camoufleles imperfections, le parfum est une protec-tion, une façade, voire un masque posé surune personnalité. Le parfum révèle et affecteles domaines du fantasme, du plaisir et du res-senti « en touchant les gens avec les émotionset quelque chose de particulier » (VéraStrubi)4.

Tout ce qui permet d’affirmer sa propre « dis-tinction » s’avère être une voie d’accès à unnouveau territoire d’expression des marquesqui reconnaît comme seul souverain l’essenced’un produit. Et non pas son apparence.L’essor des parfums dits « de niche », en margedes parfums de masse, correspond à la renais-sance d’un territoire affranchi de libertinageolfactif, une enclave dans le monde normé dela parfumerie soumis aux exigences des com-manditaires marketing qui conforment leursdésirs et des profits à court terme avec lesgoûts du plus grand nombre. Comme unretour aux sources essentielles du parfum, cesinitiatives favorisent l’innovation : des aventu-res plutôt que des marques prennent le relais.

Marques de niche : qui sont-elles ?

Les marques de niche ne sont pas forcémentdes petites marques. Il s’agit d’un luxe diffé-rent promouvant l’audace, la qualité et lacréativité. Si la parfumerie de niche ne disposed’aucune fédération pouvant attester de sacroissance par des chiffres précis, le marchéfrançais est estimé à 400 millions d’euros5.

Quels destinataires ?

Dans un monde qui rejette partiellement lesfaux choix entre produits identiques, innova-tions gadget et produits industriels dénaturés,notre société contemporaine voit naître un « alter consommateur » en quête de profon-deur, de sens et de valeurs authentiques.Ethique et écologique, engagé, actif et cultivé,distancié vis-à-vis des mécaniques publicitai-res, l’alter consommateur oriente son choixsur des produits originaux, différents, enraci-nés dans une culture et dont le mode deproduction fait si possible appel à une compo-sante artisanale.

Aucun secteur n’est épargné : rebutés par l’of-fre pléthorique qui se standardise, ainsi quepar le rythme des nouveautés qui s’accélère,les alter consommateurs rejettent les initiativesbanalisées de rentabilité à court terme. C’estl’émergence d’une « consommation culture »qui implique la nécessaire rencontre de deuxsavoirs pour qu’un produit soit apprécié à sajuste valeur. En quête d’expériences leur per-mettant de sortir du réel via un plaisir sensuelet spirituel, ces consommateurs « évolutionnai-res » cherchent à s’élever « au-dessus de soi » etexplorer leurs émotions subjectives.

Pour séduire ces consommateurs qui, bien quese percevant comme uniques tout en dépas-sant en nombre le quart de la populationfrançaise1, le parfum doit se distinguer à toutprix d’un simple produit de consommation.Sans cela, il dilue ses valeurs de créativité, d’unicité, de rareté et d’excellence qui lui per-mettent de dépasser la simple relationmarchande par l’ajout d’une valeur immaté-

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Centenaires ou très récentes, ces maisons dontl’essor fut amorcé dans les années 2000 cher-chent à fédérer une clientèle curieuse, loyaleet éduquée autour d’un projet à forte person-nalité.

Fidèles aux caractéristiques de luxe de la parfu-merie classique pour laquelle la qualité desingrédients prédomine, les marques de nichedéveloppent des concepts olfactifs systémati-quement forts, articulés autour de notescaractéristiques au sillage puissant, assumé etabouti. Elles rendent à la création sa force sug-gestive. Au contraire des marques à grosvolumes, leurs créations perdurent en attirantdes personnes désireuses d’exprimer leur sin-gularité à travers le choix d’un parfum qui lesdifférencient de la masse.

Une histoire qui renoue avec les racines et latradition de la parfumerie, un circuit de distri-bution en propre, des lancements intimistes etune communication maîtrisée qui privilégie les relations presse, telles sont les pierresangulaires sur lesquelles repose leur stratégied’exclusivité. « Nous mettons de l’argent dansle produit, pas dans le marketing ni dans lapublicité » (Luc Gabriel, The DifferentCompany)6.

Le rôle phare de l’innovation

La conception du produit

Les années 80 signent la vulgarisation de laproposition olfactive : les stratégies appliquéesaux produits de grande consommation (acces-sibilité prix et forte visibilité média) sontcalquées sur le parfum. Des objectifs de renta-bilité et de succès à court terme remplacent laquête de différence, de personnalité et depérennité. Le marketing prend le pouvoir surle parfum qu’il désacralise. « Les parfumeurssont devenus des lessiviers. Le marché sort unnon-événement toutes les trois minutes et aperdu sa connotation magique » (VincentGrégoire, Nelly Rodi)7. Le marketing – don-neur d’ordre – est promu acteur majeur dusecteur. Vrai décideur, il organise la naissanced’un parfum étape par étape. Il détermine enamont ses caractéristiques, sa cible et l’imagequ’il doit véhiculer. Puis il donne l’impulsion

avec un exposé précis des objectifs à atteindresur le plan olfactif tandis qu’il dirige en paral-lèle, le travail du designer flacon et de l’agencemédia.

Les années 2000 et l’essor des parfums deniche permettent d’en finir avec la créativité « àla demande » en réponse à un « brief » marke-ting pour renouer avec une créativitéémotionnelle, libre et instinctive qui valorise leparti pris audacieux et l’inventivité. Ce type destratégie en appelle à la patience, qualité anti-nomique aux stratégies à court terme desgrands groupes qui recherchent des gains mas-sifs et immédiats pour rentabiliser desinvestissements publicitaires colossaux. Lesmarques de niche acceptent d’allonger lestemps de développement dans le plus grandrespect d’une création libérée, qui ne se pro-voque pas. Elles revendiquent le talent des nezpassionnés et une formulation non formatée,incompatibles avec les batteries de tests souve-rains dont le but est de s’assurer que la futurefragrance plaît au plus grand nombre. Les « sniff tests » sanctionnent l’originalité et la sur-prise puisqu’une personne, on le sait,confrontée à brûle-pourpoint à une odeur,préfèrera toujours une odeur familière, plusrassurante. Ce qui a pour conséquence directeque des fragrances sans originalité surabon-dent. Les marques de niche ont su s’affranchirde ces tests et faire le pari de la création. Unepetite révolution dans un univers jusqu’alorsguidé exclusivement par la profitabilité. Lavocation d’un parfum de niche est celle d’unproduit innovant qui fidélise tous ceux à qui ilplaît. Avec elle, « un parfumeur, un produit »reprennent leurs droits. Les clés du succèsétant avant tout fonction du taux de rachat duparfum une fois le feu médiatique éteint, lesmarques de niche semblent avoir fait le bonchoix : « si on veut plaire à tout le monde, onne plaît à personne » (Véra Strubi)8.

La distribution en accès libre apparue aumilieu des années 90 avec des chaînes commeMarionnaud, Séphora, Douglas ou Watson alargement participé au déclassement de la par-fumerie. Depuis l’arrivée du libre-service, lemarché a besoin de parfums qui se « vendent »tout seuls. Choisir un parfum sur mouillettesfavorise les notes de tête faciles et fortes : seule

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restreint, s’impose comme une clé fondatricede leur réussite. Leurs boutiques sont des lieuxde destination en opposition aux adresses depassage. Fortes de la réhabilitation de la créa-tion brute, c’est par la sobriété de l’enveloppe(flaconnage et point de vente) que la force duconcept prend tout son relief. Privilégier despoints de vente confidentiels marque lavolonté que le parfum reste un luxe précieuxet intimiste.

Sans céder aux sirènes de la distribution demasse, les marques de niche ont trouvé dansles grands magasins, au sein d’un réseau de « concept stores » triés sur le volet et surInternet, des relais nécessaires à leur crois-sance. La difficulté est de savoir quand s’arrêtele seuil du restrictif et si un produit élitistepeut résister à une expansion relative de sa dis-tribution sans perdre son âme. Tel est l’enjeu àvenir.

Sur le plan du merchandising, tout est conçuet aménagé pour mettre les fragrances à l’hon-neur. Des plates-formes d’innovation olfactivesont offertes à la découverte du public. Desbibliothèques olfactives donnent envie d’ensavoir plus sur le monde du parfum : ce sontsouvent les préambules aux ateliers décou-vertes et cours d’initiation à la compositionolfactive. Des colonnes à sentir, des cônes-dif-fuseurs et des orgues à parfums permettentd’embrasser le sillage d’un parfum. Ces machi-nes font bénéficier aux visiteurs des moyenstechniques utilisés par les professionnels pourapprendre à connaître et apprécier le parfum.Ainsi le point de vente se transforme en espacede partage où l’intimité règne comme dans lesboudoirs d’antan et où l’accès à l’univers duparfum se fait de manière ludique, technolo-gique et poétique à la fois. The DifferentCompany par exemple, fait découvrir ses justels des nectars dans des verres à vin : en cas-sant les codes classiques d’appréhension desfragrances, la marque réinvente ainsi une « atti-tude parfum ».

Enfin, un soin particulier est apporté à la for-mation du personnel qui distille des conseilsd’expert. En dehors des fragrances et du lieuen soi, le luxe se décline ici au temps et à l’é-coute consacrés aux clients. L’élitisme passepar la juste orientation du choix.

la perception immédiate compte. L’obsessionde plaire dès le départ, avec la « top note », pré-vaut sur la note définitive pourtant essentiellepuisque c’est elle qui définit le sillage d’un par-fum, fondateur du succès des grandsclassiques et des parfums de niche qui mar-quent le retour en grâce des rites d’applicationancestraux comme vecteurs du choix.

L’échantillonnage massif participe à la stimula-tion olfactive incessante : dorénavant, tout estparfumé mais plus rien n’a d’odeur. Les socié-tés occidentales à la fois désodorisées et « sur-odorisées » perdent leurs repères olfac-tifs. La surabondance de bougies, encens etbombes désodorisantes enlèvent et diluent l’identité des choses. De la même manière quela laine doit sentir la laine, le bois, le bois, lecuir, le cuir, les lieux d’aisance doivent sentirl’eau et non pas la lavande. Tout cela affaiblitbeaucoup l’odorat et la connaissance du par-fum qui a du mal à exister dans ce mensongeolfactif permanent auquel les marques deniche refusent de participer. Au standard uni-versel, elles préfèrent le goût singulier qui créede la différence et part en quête de mondesolfactifs inédits. Ainsi nombre d’entre ellesréhabilitent la culture de la parfumerie et déve-loppent des outils didactiques – coulisses de lacréation.

Mais avant toute chose, les marques de nicheconcentrent leurs investissements dans l’olfac-tif : qualité des ingrédients et temps passé àleur assemblage. Alors que le prix de revientindustriel d’un parfum sélectif classiquetourne autour de 4 euros (hors coûts de mar-keting et communication), celui d’un parfumde niche atteint généralement 6 euros. Toutesparlent, directement ou indirectement, ducréateur et soulignent l’importance de leurdon artistique comme le faisait déjà Apolloniusd’Hérophile dans l’Antiquité : « l’excellence dechaque parfum dépend de l’habilité de l’artisteet de la bonne qualité des matériaux ».9

Le mode de distribution

En tant que vecteurs d’image, les points devente s’érigent en porte-paroles incontourna-bles de la philosophie des marques de niche.Leur réseau de distribution en propre, souvent

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Une communication raisonnée

Alors que la surenchère des budgets publicitai-res ne cesse de croître, les marques de nichene cèdent pas aux sirènes des investissementsmédia hors normes ni à celles de l’échantillon-nage massif. Il ne s’agit pas ici de s’acheter uneforte visibilité pour garantir un retour surinvestissement rapide que les groupes finan-ciers qui soutiennent les grandes marquesexigent. Comme pour le produit, la méthodo-logie régulièrement déployée en commu-nication est désormais plus proche de lagrande distribution que du luxe. De fait, lesmessages se font simples, directs, universelspour séduire la clientèle la plus large possible.Toutes les images publicitaires se ressemblent :elles mettent en scène les mêmes mannequinsdans des attitudes similaires. Cette confusiondes genres entretient le sentiment de déjà vucontre lequel luttent les marques de niche enpréférant la transmission d’un secret d’initiéset la fidélité au recrutement massif.

L’omniprésence systématique des innovationsdes grandes marques sur tous types de sup-ports tend à standardiser leur communicationet à lisser leurs stratégies. La multiplication etla systématisation des événements promotion-nels diluent les valeurs intrinsèques d’unparfum et renforcent l’image de discounter dela distribution sélective.

A contrario, la mise en place d’un programmede marketing direct permet de créer des liensaffectifs tenaces avec la marque, participe à lavalorisation d’une clientèle qui aime êtrereconnue et engendre une exceptionnellefidélité. « Les parfums sont des produits d’ex-ception faits pour être introduits de façonextrêmement progressive » (Frédéric Malle)10.Il faut être patient pour que le « nez à l’oreille »,selon une expression de Serge Lutens, puisses’opérer. De bonnes relations presse sont pourcela essentielles. Les événements presse sontpensés comme des cérémonials qui ré-enchan-tent la surprise de la nouveauté.

Réforme des codes de la parfumerie classique ?

Pour tenter de redonner au parfum ses lettresde noblesse, les acteurs de la parfumerie clas-

sique, tant développeurs que distributeurs,s’inspirent des stratégies des marques de nicheet bannissent de plus en plus les discours demix-marketing au profit de parfums qui ont du« goût » au sens de la distinction et de la singu-larité du terme. Les parfumeurs sont ànouveau autorisés à laisser parler leur instinct,inventer de nouvelles formes et écouter leur imagination pour sortir des schémasconventionnels et de la crise créative que laparfumerie traverse. C’est dans cet environne-ment chaotique, en pleine redéfinition, que lesgrandes marques lancent leur contre-attaque.

Retour à une parfumerie de métier et à la tradition duparfumeur maison

La grande majorité des parfums actuels sontsignés par des compositeurs extérieurs tandisque les parfumeurs maison comme JacquesPolge chez Chanel, Jean-Michel Duriez chezPatou et Richard Fraysse chez Caron restentdes cas isolés. Et pourtant ce sont bel et biendes parfumeurs intégrés qui ont développé lessignatures olfactives clairement identifiablesde grandes marques. Ainsi la Guerlinade (unaccord chaud et ambré qui rassemble les matières fétiches de la maison11) et la Mélodie Patou (un duo entre le jasmin et larose) participent encore aujourd’hui solide-ment au succès de ces marques.

Fort de ce constat, certaines marques jouent lacarte du retour à cette ancienne tradition, dansle but de raconter des histoires vraies qui vien-nent de l’intérieur. Ainsi toutes les récentesintégrations sont synonymes de qualité supé-rieure et d’une quête de rupture avec lespratiques marketing habituelles. Après Jean-Claude Ellena chez Hermès, Mathilde Laurentchez Cartier, c’est au tour de LVMH de s’oc-troyer les compétences de François Demarchy :« on revient à un schéma classique qui privilé-gie une affinité entre une marque et unparfumeur » (Antoine Lie)12.

Essor du sur-mesure

Alors que la couture, la joaillerie et les acces-soires ont depuis longtemps recours au sur-mesure, transposer ce service à la parfumerie

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dont les jus redonnent vie à la parfumerie dudébut du siècle dernier. Les distributeurs s’achètent eux aussi une légitimité d’expertspar ce biais.

Autre tactique pour s’attacher les signes d’unequalité traditionnelle : puiser dans les famillesoubliées. Certaines fragrances auparavantjugées trop segmentantes reviennent sous desformes rendues plus accessibles. Ainsi les fou-gères connaissent un retour en force chez lesmasculins. Tandis qu’au sein des féminins, lesfleuris aldéhydés et les chyprés reconnais-sables à leur odeur puissante font leurréapparition. Les notes rétro aussi ont la cote :la violette et la lavande sont réinterprétées ;des notes de myrrhes et d’encens sont à nou-veau utilisées pour créer le sillage desfragrances orientales. Sans oublier que lesCologne oubliées font partie des meilleuresventes depuis leur renaissance en 2000.

Des collections marginales et plus rares

Quelques grandes marques lancent des lignesmarginales conçues comme des collections « image » grâce auxquelles elles expriment leurvision élitiste de la parfumerie traditionnelle.Giorgio Armani par exemple développe la col-lection Armani Privé autour de senteurs quilui sont très personnelles « comme au tempsoù le parfum était une véritable industrie duluxe »13. Leur positionnement prix élevé et leurdistribution confidentielle participent à ladimension d’exclusivité. Jean-Claude Ellenapense la collection Hermessence comme « unnouveau langage pour les initiés en quête d’é-motions différentes, pour des connaisseurs quiattendent qu’on les surprenne ». En lançantdes projets de ce type plus confidentiels, lesgrandes marques segmentent leur offre olfac-tive comme elles le font avec leur mode depuisl’avènement du prêt-à-porter.

Ce portefeuille d’actions stratégiques a pourfonction de retenir une clientèle attirée parl’alternative de la parfumerie de niche de plusen plus nombreuse. Les marques repensentaussi leur réseau de distribution au profit deboutiques en propre conçues comme de nou-veaux espaces intimes et conviviaux quipermettent aux clientes de bénéficier d’une

fait partie des tentatives menées par les gran-des marques pour redonner au parfum seslettres de noblesse. Elles puisent dans cettedémarche un moyen opportun de renoueravec le savoir-faire et des valeurs négligées parla consommation de masse tout en satisfaisantl’individualisme. Libre création, rareté, indivi-dualité et matières nobles justifient leur prixélitiste.

A côté des parfumeurs indépendants commePatricia de Nicolaï ou Francis Kurdjian, de gran-des maisons institutionnalisent la pratique. Les parfumeurs se prêtent volontiers au jeu car le sur-mesure leur permet d’exprimer de vrais partis pris en dehors de toute contraintefinancière.

Néanmoins cette démarche ne se propose pasn’importe où. La France, et notamment Paris,incarne aujourd’hui encore le prestige desmarques anciennes. Jean-Michel Duriez, parexemple, se prête à l’exercice du « ParfumCouture » dans les salons du premier étage dela boutique du 5 rue de Castiglione conçuecomme un « écrin à parfums rares» par EricGizard. Le succès rencontré par cette beautécustomisée s’inscrit dans une forme d’appro-priation exprimée par les consommateurs. Ils’agit d’un besoin de coproduire avec lamarque, d’être co-auteur. La demande estclaire : « faites de moi un être unique ! »

Résurgence de parfums anciens et de notes rétro

D’autres grandes marques signent leur envied’un retour aux sources par la réédition de par-fums de leurs origines. La Violette de Madameet le Mouchoir de Monsieur lancés en 1904 ontété ressuscités lors de la réouverture de la mai-son Guerlain avenue des Champs-Élysées. Etles exemples sont nombreux : Femme deRochas, Habanita de Molinard, Diorling…autant de façons de crédibiliser un ancragedans une parfumerie de tradition.

La distribution leur emboîte le pas : Séphorajoue la carte vintage en relançant Fracas deRobert Piguet (1948) et une version duMétopion, célèbre parfum égyptien. Harrod’s àLondres crée un espace consacré aux réédi-tions d’anciens succès tandis que le BonMarché référence les créations de Téo Cabanel

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multitude de services. Le temps reprend sonsouffle. L’alerte est donnée.

Catherine TêtuDirectrice Conseil, Mode & Beauté, Nelly Rodi

1. Etude Thema 2004 (qualitative/10000 questionnaires)réalisée avec l’appui de Universal Comcord, TGI Europa etSigillat.2. L’originalité comme principe du succès, Parfums etSenteurs, n° 7, mai 2001.3. J.-N. Kapferer ; G. Laurent, La Sensibilité aux marques,Paris, Editions d’Organisation. 1992.4. « La domination contestée des géants des cosmétiques »,in Le Monde, 15 septembre 2005.5. Résultat d’une enquête parue dans Economie Matin le 5 janvier 2006.6. « La domination contestée des géants des cosmétiques »,in Le Monde, 15 septembre 2005. 7. « Le parfum aspire à renouer avec le luxe », in Les Echos,2 janvier 2004.8. « Le pari de la différence », in Fashion Beauty, octobre2002.9. Denis Diderot, Encyclopédie ou dictionnaire raisonnédes arts et des métiers, Jean Leron d’Alembert, 1780.10. www.luxe-magazine.com, Frédéric Malle éditeur de par-fums, 7 avril 2004.11. Creezy Courtoy, Les Routes du parfum, Paris Editions,2003.12. Caroline Schmollgruber, « Les contraintes stimulent lacréation », in Cosmétique Magazine, n° 70, juillet/août 2006.13. Dossier de presse Armani Privé, mai 2005.

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« – Seuls les saints, je te l’ai dit souvent, seuls les saints nesentent rien. Ou sentent bon pour dire plus juste.– Mais pourquoi les saints ne sentent-ils pas ? pourquoi ont-ils de si bons effluves ?– Parce qu’ils ignorent le péché. Parce qu’ils n’en commet-tent pas. C’est le mal qui sent. Et il n’y a pas de mal en eux.(…)Aujourd’hui me souvenant de ces choses, je pense à saintAugustin. Ces réalités elles-mêmes, dit le saint, « d’où sont-elles rentrées en moi ? »Et il fait parler son nez. « Les narines disent : si ces chosessont odorantes, c’est par nous qu’elle sont passées. »

Jacques Chessex, L’éternel sentit une odeur agréable,Grasset, 2004, réédition Le Livre de Poche, p. 10-11 et 19.

A force de mettre l’emphase sur la dimensionsymbolique et imaginaire du parfum, le marke-ting a quelque peu terni l’étude de l’ancrageproprement sensoriel et expérientiel du pro-duit. Or, « les individus ne se contentent pas deconsidérer, contempler, examiner, désirer etadmirer les objets, ils les touchent, les goûtent,les sentent dans une collaboration constantedes cinq sens2. Comment alors désenfouircette approche sémantique pour convoquer lecaractère charnel et résolument polysensorielque met en branle le parfum ? Si le parfumtient une place si importante dans nos vies,c’est parce qu’il en occupe un espace olfactif,un espace mental (en remplissant notre espritde tergiversations sur le choix, l’utilisation, lerangement, le rejet) et un espace temporelmais aussi un écheveau de sensations et d’é-motions. Le parfum convoque des pratiques,

des rituels et donc une culture. A partir dumoment où nous ne consommons pratique-ment plus que des produits marqués, se posela question du rôle du produit et de l’expé-rience sensorielle et corporelle dans le choix etl’utilisation d’une marque de parfum. En effet,la constante scénarisation (via un packaging,un nom de marque, la convocation d’un uni-vers féérique) peut rapidement laisser penserque la marque de parfum institue le signecomme principal pourvoyeur de sens et doncde jouissance, réduisant alors le parfum à uneexpérience sémiotique. Le fait de réduire lamarque à des éléments proprement communi-cationnels oblitère très souvent la sensorialitéet la gestualité dont est nécessairementempreinte toute expérience olfactive. En d’au-tres termes, l’indéniable capacité dethéâtralisation de la marque ne risque-telle pasde substituer le signe aux sens? Nous allons iciretourner la question en nous demandantcomment l’olfactif peut susciter de l’affection,des sentiments, des émotions. En d’autres ter-mes nous allons nous demander commentcréer de l’affectif avec de l’olfactif.

Le parfum, complexe du marketer

On réduit souvent le marketing du parfum àdes visuels forts et des scénarisations impac-tantes aux codes souvent glamour. Au premierabord, on peut penser que le rôle du marke-ting est de valoriser un produit en le replaçantdans un univers féérique et aspirationnel. Maisle considérable pouvoir de séduction de l’ol-faction apparaît néanmoins paradoxal si l’on seplace du point de vue du marketing. En effet,alors que le parfum représente (avec les ciga-rettes) l’une des catégories de produits ayantun taux de fidélité le plus élevé, il est égale-ment celui pour lequel la sensibilité à lamarque apparaît nettement plus déterminanteque le seul effet-produit. Ainsi le positionne-ment des marques de parfum ne se situe quetrop rarement dans un rapport à l’ingrédientou à la matière, mais davantage dans desleviers tels l’exotisme, la séduction, le statutsocial, qui n’ont pas partie prenante dans lacomposition du produit. Le marketing abordele sens olfactif de biais en construisant unevaleur émotionnelle essentiellement à partir

Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ?L’attachement aux marques de parfum1

Benoît Heilbrunn

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la marque. De ce fait le marketing du parfumest souvent mythique en ce qu’il opère undécrochage entre la valeur substantielle etingrédientielle du produit et la scénarisationthéâtrale chargée de construire la valeur de lamarque. La question que pose le marketing del’olfaction est donc souvent de nature commu-nicationnelle : comment évoquer au moyend’un discours verbal, visuel, son pouvoir olfac-tif si ce n’est de façon latérale en déconnectantla valeur substantielle du produit (en référenceà ses matières) de sa valeur sociale ou psycho-logique ?

Il est urgent de repenser cette question sousun autre angle pour quitter cette approchestrictement communicationnelle de la marque(de parfum). En effet, d’instance de communi-cation, les marques se sont donc muées envéritables systèmes de transmission capablesde modifier de façon significative une chaînesignificative d’éléments structurels de l’envi-ronnement socio-économique (système decroyance, règles de comportements, rituels,etc.). La marque joue davantage sur le modede l’empreinte et de la pérennisation d’un sys-tème de croyances et de valeurs alors qu’elle asouvent été pensée sur le mode de l’actualitéet la vitesse. C’est justement en tâchant d’ana-lyser le pouvoir de transmission des marquesque nous proposons de mettre à jour les sou-bassements du pouvoir affectif et effectif desmarques olfactives. L’idée que nous allonsdéfendre ici est que pour comprendre lesenjeux du marketing de l’olfaction, il est néces-saire de sortir du champ rhétorique etspectaculaire propres à la marchandisation decet univers du parfum pour revenir au plusproche de l’expérience vécue par le consom-mateur. Nous allons ici aborder l’olfaction àpartir de l’expérience singulière qui pousse unconsommateur à développer des relationsaffectives à l’égard d’une marque dont l’olfac-tion est un attribut saillant, pour tenterjustement de mettre à jour les modalités opé-ratoires du levier affectif olfactif. Pour ce faire,nous allons ici considérer le parfum au senslarge en incluant certaines catégories de pro-duits (telles le café ou la lessive) pourlesquelles le registre sensoriel est particulière-ment saillant pour le consommateur.

d’un levier rhétorique. Pourtant on ne peutdécemment expliquer la fidélité voire l’atta-chement des consommateurs à leur marque(s)de parfum en se référant à uniquement à desleviers rhétoriques et visuels. Comment alorsexpliquer ce fort pouvoir émotionnel d’un pro-duit qui est souvent mis en scène de façonvisuelle et verbale, comme si paradoxalementl’effet olfactif n’avait pas partie prenante alorsqu’il représente par excellence l’attributsaillant de cet univers de produits ?

L’olfaction a largement de quoi désarmer lemarketer ainsi que l’illustre le récent et timideessor du marketing olfactif. Pour reprendre lafameuse typologie des sens que l’on doit àGoethe, l’olfaction n’est ni un sens du proche(le toucher, le goût), ni un sens du lointain (lavue, l’ouie), mais participe d’un registre inter-médiaire pour lequel le marketing n’a que(depuis) peu développé d’expertise. Alors quele parfum s’enorgueillit d’un fort pouvoir sen-soriel, le marketing semble ne pouvoirl’aborder de face mais seulement de biais.N’oublions pas en effet que le marketing estd’abord un enfant de la sphère audio-visuelleet ne se penche que depuis peu sur la polysen-sorialité. Pourtant, la montée en puissance dela consommation dite expérientielle forcemaintenant le marketing à rentrer davantagedans la sphère d’intimité du consommateur endéveloppant des modes opératoires liés autoucher, au goût et à l’olfaction ainsi qu’entémoigne par exemple le timide essor des « logolfs ». Par ailleurs, le marketer a du mal àparler de l’olfaction du fait d’une carencesémantique qui empêche le consommateur desémantiser son expérience (mettre des motssur des expériences), sachant qu’une expé-rience de consommation qui n’est pasverbalisée n’est pas pleinement vécue. Le mar-keting doit donc parler du parfum de travers,en ayant recours à d’autres régimes sensoriels. Ce malaise du marketing explique en partiepourquoi la communication des marques àforte dominante olfactive va souvent de pairavec la convocation d’un imaginaire riche et leplus déconnecté de la dimension proprementsensorielle. Le paradoxe du marketing du par-fum est justement de disjoindre les sphèrespolysensorielles du produit et sémantique de

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Du sens aux valeurs

S’intéresser aux motifs d’attachement desconsommateurs aux marques, c’est d’une cer-taine façon se poser la question de la nature etde la force du lien qui lie les individus aux pro-duits et aux marques. Autrement dit, les leviersd’attachement jouent comme autant de pointsd’ancrage de la relation affective que les indivi-dus sont susceptibles d’entretenir à l’égard dumonde de la marchandise. L’attachement estd’abord susceptible de porter sur les différentsniveaux de présence de la marque sur son mar-ché : jus, packaging, échantillons, visuels. Ainsicette répondante nous parle-t-elle des diffé-rents leviers de son attachement à la marqueAngel : « J’aime tout dans Angel. Son odeur :sucrée, chaude, enivrante, fine. Son flacontout en facettes qu’on peut garder et « ressour-cer » quand il est vide. Le toucher de sonpaquet en carton, les visuels pub. Sa couleurbleutée qui se retrouve du packaging jusquedans le jus. Sa gamme de produits variée etcomplète. Les échantillons que je reçois par laposte, comme une surprise. Je bouillonnequand j’essaie un nouveau produit Angel et jesautille de joie quand je vais remplir monétoile. »

Une brève analyse des motifs d’attachement àla marque met clairement en évidence un pre-mier registre éminemment sensoriel quirenvoie à la force des arômes et des odeurs : « Ce qui me plaisait, à l’époque où je n’enbuvais pas encore nous dit une répondante àpropos de la marque Nescafé, c’était sonodeur, le sentir dans son emballage d’abordpuis dans l’eau bouillante ensuite ». L’odeur estsouvent importante du fait de la richesse de lamémoire olfactive qui permet de faire resurgircertains moments importants de l’existence : « J’achète OMO lessive pour son odeur. Monchoix a un côté affectif fort, car l’odeur merappelle la « belle vie » l’année de mes 17 ans :j’étais fille au pair à Rennes et la famille chezqui je travaillais utilisait OMO. Pour moi, sonodeur représente une forte marque française,car le produit était utilisé régulièrement parcette famille, la première famille françaiseque j’ai connue. Comme la famille avait éga-lement une femme de ménage qui travaillait

tous les jours dans leur maison et qui étaittrès efficace, maternelle et propre (et qui fai-sait tout, y compris le linge), j’associe l’odeurd’OMO à cette efficacité, cet aspect maternel,et bien sûr, à la propreté. »

La sensation de plaisir engendrée par le pro-duit est globale et diffuse, ne se distinguant pasde ce qui est immédiatement sensoriel ou biende ce qui émane du lien avec les autres ouencore des souvenirs de l’enfance. La sensa-tion de plaisir s’inscrit dans un imaginairecomposite fait de corps à corps avec le produit,d’ancrage de liens familiaux et amicaux, desouvenirs personnels ; tout semble commemélangé et se concentre dans une perceptionagréable et diffuse3. Le caractère synesthé-sique de l’expérience olfactive montre à quelpoint la consommation s’origine dans unelogique hédonique. D’ailleurs, il n’est pas rareque le consommateur agrège les dimensionshédoniques et esthétiques d’une marque : « Lenom Dior rime avec Or. La marque a lavolonté de briller comme de l’or, elle donneune image de lumière et d’éclat. C’est unemarque chaleureuse qui rompt avec les habi-tudes de certaines autres marques de luxe,plus froides et plus distantes. Christian Diorsymbolise la joie de vivre et le plaisir »

La force du marketing est justement de nousfaire intérioriser un univers de valeurs et unimaginaire pour le faire nôtre. La marque estde ce point de vue un mécanisme visant à jeterun pont entre un régime matériel (lié à la poly-sensorialité du produit) et idéel (lié aux valeurset à la rhétorique véhiculées par la marque).Au-delà d’un proprement sensoriel qui n’esten fait que rarement évoqué en tant que tel parles consommateurs, le partage de valeursesthétiques renvoie souvent à un style de lamarque susceptible d’entrer en résonanceavec celui du consommateur. L’attachement àune marque traduit donc très souvent le par-tage de valeurs, notamment esthétiques en cequi concerne les marques de parfum : « Cettemarque (Christian Dior) me plaît particuliè-rement car elle représente le raffinement.Christian Dior s’affirme comme une marquede luxe, un luxe ni outrageux, ni provoquant,mais plutôt un luxe symbole d’élégance et dedistinction »

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marque a, pour moi, une personnalité forte.C’est la parfaite conjugaison de la jeunesse,de l’élégance, de la beauté authentique, dudynamisme, tout ceci soutenu par un carac-tère relativement fier. »

La marque enjoint donc une façon de penser,de sentir mais aussi d’être par sa manière dedéfendre des valeurs et une représentation dumonde. C’est par cette capacité à transmettredes schèmes de pensée et d’action que peuts’instaurer une véritable résonance identitaireentre le consommateur et la marque.

De l’incorporation à l’extension

Le parfum est typiquement un produit biocen-trique, à savoir que les objets biographiquessont en symbiose avec leur possesseur et parun mécanisme d’incorporation des activités del’usager finissent par pénétrer son intimitéactive. Ainsi, « l’objet et l’usager s’utilisentmutuellement et se modifient l’un par l’autredans la plus étroite synchronie »4. Malgré soncaractère fugace, le parfum illustre à quel pointla marque peut revêtir une signification symbolique importante quant à la façon dontles individus se perçoivent et perçoivent lesautres. La consommation a donc un rôleimportant dans la constitution ou la mainte-nance du sentiment d’identité. De même,McCracken5 dans un article sur le rôle des figu-res célèbres de représentation des marquesaffirme que les consommateurs utilisentsciemment les sens projetés par la célébrité surle produit dans la construction de leur soi.S’instaure alors une relation d’identification àla marque et à ses représentants qui vienttémoigner d’une véritable résonance identi-taire instaurée entre l’individu et la marque : « Lancôme est pour moi la marque de cosmé-tiques et de parfums qui représente le mieuxla femme dans toute sa féminité. Tout dans sapublicité et dans sa présentation symbolise laperfection. Tout comme l’Oréal qui me touchebeaucoup moins, elle utilise des ambassadri-ces connues, mais à la différence de l’Oréal, ils’agit uniquement d’actrices. Celles-ci sonttoutes belles, intelligentes et extrêmementsexy. Cette marque me plaît parce qu’elleassocie le glamour et le cinéma, soit deux

Cet univers de valeurs d’autant plus importantdans le cas d’une marque qui comme Hermèsa su développer son propre savoir-faire dans ledomaine des parfums : « Cet art de créer desobjets dans la plus pure tradition me laisse enadmiration. Je définis cette marque par uneextrême simplicité : l’originalité, l’élan créa-teur de ses artisans que le perfectionnismepréserve de toute routine, la sympathie et l’a-mitié de sa clientèle. Hermès suscite un culteadmiratif car la marque est toujours à larecherche des merveilles naturelles que sesmétiers tâchent toujours de servir et d’hono-rer (.. ) Pour moi, Hermès c’est également larecherche de la perfection, le désir de trans-mettre un savoir-faire et un amour des belleschoses »

L’on voit ici à quel point une grande marque sedéfinit tout d’abord comme un opérateur detransmission qui est d’ailleurs parfois véhiculépar un représentant de marque chargé d’em-blématiser les valeurs et le savoir-faire de lamarque : « Ce goût que j’ai pour cette marque(J.-P. Gaultier) renvoie non seulement auxcréations du styliste, mais aussi à sa person-nalité, son monde intérieur, son goût pourl’imaginaire, le sordide et aussi son étatd’esprit très ouvert, ses idées avant-gardistes(…) je m’identifie à lui car nous avons desgoûts communs »

Ainsi une situation dans laquelle le porte-dra-peau est perçu comme cohérent avec lesvaleurs véhiculées par la marque est très sou-vent propice au développement d’une relationd’attachement par identification : « Il y aencore cinq ans, je ne m’intéressais pas auxproduits de la marque Lancôme car je laconsidérais comme une marque s’adressantuniquement aux femmes mûres, à travers desproduits chers qui répondaient aux besoinsspécifiques de cette clientèle (…) Cependant,depuis environ trois ans, Inès Sastre est deve-nue un des porte-drapeaux de Lancôme, plusparticulièrement pour le parfum Trésor. Etdepuis, le regard que je porte à la fois sur lamarque et sur ses produits a totalementchangé : à travers ce mannequin aux origi-nes espagnoles, la manière dont ses traits etles collections de maquillage se mettent réci-proquement en valeur, aujourd’hui, cette

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notions qui m’attirent particulièrement.J’aime le fait que tout dans cette marque esttrès élaboré et que tout laisse transparaître cedésir de perfection.»

Mais au delà d’un mécanisme bien connu d’i-dentification à des figures de représentationsde la marque sur lesquelles ont toujours jouédes marques comme Chanel N°5 ou Lux, l’atta-chement recèle également une formed’incorporation. Ce mécanisme d’incorpora-tion renvoie aux analyses de Sartre dans L’êtreet le néant sur le sens de la possession. Selonlui, il existe une relation intime originelle entreles trois catégories de l’existence humaine :faire, avoir et être. Ces trois catégories seréduisent en fait à deux puisque le faire estpurement transitif. En ce sens, la propriétépeut être conçue, comme « un prolongement del’être », d’où un lien intime entre la possession,l’avoir et l’être ainsi que l’énonce Fromm : « jesuis ce que j’ai et ce que je consomme »6. N’est-ce pas par exemple ce que suggère cetterépondante lorsqu’elle affirme : « ce parfumest vraiment lié à ma peau, mon identité, c’estpour moi le… pour moi, c’est mon odeur » ?

Ainsi nombre de consommateurs attachés àune marque considèrent la marque commepartie intégrante d’eux-mêmes : elle leur per-met de définir pour eux et pour les autrescertaines de leurs facettes identitaires. D’oùl’impression de ne pas être véritablement soi-même en cas d’absence de la marque du faitdes pouvoirs que la marque semble procurer àson utilisateur(trice) : « Angel me fait sentirtrès forte et très douce à la fois. Il me met debonne humeur. Les matins où j’oublie d’enmettre, je me sens désemparée et là, dans l’as-censeur, je mets mon écharpe et je retrouvel’odeur aimée. »

L’une des théories essentielles pour envisagerle sens et l’importance des possessions est jus-tement la théorie de l’extension du soi forgéepar Russel Belk7. L’idée principale est que lesoi s’étend à travers des possessions qui repré-sentent alors ce que l’on est et pas seulementce que l’on possède ou consomme. Les posses-sions peuvent être représentées dans l’espritcomme faisant partie du soi, au même titre queles traits de caractère, les rôles sociaux ouencore les traits de mémoires autobiogra-

phiques. Cette tendance de l’être humain àprolonger son propre corps dans des objets, àfabriquer des prothèses est caractéristiqued’un phénomène de périphérisation de la viepsychique8.

Une fois évoqué le mécanisme d’incorporationpsychique des valeurs de la marque d’attache-ment, il nous faut revenir à la valeur de lien que sous-tend l’idée même d’attachement.L’incorporation est en effet un mécanismed’accueil de l’autre en soi. Mais n’oublions pasque l’olfaction est un sens projectif qui vise d’a-bord à sortir de soi pour créer du lien.

L’entre-deux

Revenons en effet à cette idée fondamentaleque l’olfaction est liée à l’entre-deux : il est unesorte de pont jeté avec le monde, avec autrui.Que dit-on justement quand on dit que le par-fum est porteur d’émotions, si ce n’est qu’ilincite le sujet à sortir de lui-même ? Commeson nom l’indique, l’é-motion n’est pas un étatpurement intérieur ; mais davantage un mou-vement qui fait sortir de soi le sujet quil’éprouve et qui s’exprime par une modifica-tion du rapport au monde9. L’être ému setrouve débordé au-dedans comme au-dehors.Par son pouvoir émotionnel, le parfum joue unrôle essentiel de médiateur ; et ce, à un doubletitre puisqu’il a ce pouvoir si particulier de per-mettre un double processus d’extensionphysique et symbolique. Il peut servir à expri-mer ou extérioriser certains traits de caractèreou de personnalité de son usager par une sortede mécanisme d’incorporation et de périphéri-sation de la vie psychique. Le parfum permetune forme d’extension de l’enveloppe corpo-relle et psychique de l’individu. Il opère unemédiation entre le consommateur son envi-ronnement et joue surtout comme médiateurdes relations interpersonnelles. A ce titre l’ol-faction permet de réactiver la présence d’unepersonne éloignée ou disparue ; c’est ce quenous rappelle Michel Onfray dans l’un des trèsbeaux passages qu’il a consacré à son père : « D’abord, l’odeur grimpait l’escalier, et c’estelle qui me réveillait dans mon lit : le café noir,cuit et recuit, aux effluves de caramel brûlépour la raison qu’il chauffait en permanence

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ainsi que l’atteste le témoignage suivant quirelate l’évolution d’une relation d’amitié à tra-vers un parfum (« Quartz de Molyneux ») : « Jel’ai connu parce qu’une amie très très prochele portait, et… le collège, c’est la période danslaquelle on a des grandes amitiés avec desgrandes copines, et elle le portait depuis unan, et… par attachement toutes les deux,enfin, par un attachement l’une à l’autre, onest venu à porter, je suis venue à porter lemême parfum qu’elle… en troisième. Elle aabandonné le parfum par la suite… enseconde, elle a déménagé, elle est partie àplus de 300 km de là où on habitait. Donc, onest resté en correspondance, mais, euh… onest resté liées l’une l’autre, mais, elle s’estdétachée du parfum, alors que moi j’ai conti-nué à le porter et je le porte encore. (…) C’estelle qui me l’a offert. »

En plus de l’axe idéel-matériel qui est apparucomme déterminant pour comprendre lamécanique sémiotique propre à la marque, ilnous faut également envisager un axe lié auxrelations interpersonnelles telles qu’elles sontmédiatisées par la marque. Alors que la socio-logie de l’objet a essentiellement mis enévidence l’influence de notre relation aux autres sur notre relation aux objets (à travers lafameuse valeur de signe de l’objet), notreétude sur l’attachement montre qu’inverse-ment notre rapport aux autres est largementconditionné par notre rapport aux objets etaux marques. Autrement dit, l’attachement à lamarque médiatise toujours plus ou moins unrapport à autrui. En effet, même si toute expé-rience de consommation est par essencemulti-modale, la consommation d’un produitest une expérience synesthésique quiconvoque, au-delà de l’empreinte sensorielle,un univers de consommation affectivisé etsocialisé12. L’attachement à une marque tra-duit donc très souvent un fort attachement àune personne. Il est donc possible au-delà dela dichotomie matériel-idéel de croiser unautre spectre qui renvoie à la dichotomie sujet-objet en considérant différents gradiants misen évidence par Boutaud relativement à sonanalyse sémiotique du goût. L’axe sensible-idéel peut en effet s’envisager parallèlement àun axe objet-sujet, ce qui va nous permettre de

sur la fonte de la cuisinière à bois (…) Monpère, c’est d’abord ce fumet de café, sécurisantet doux, un peu fade, qui me disait au fond demon lit, la demi-heure qui me restait avant lelever à proprement parler. Je consacrais cetemps à laisser vagabonder mon esprit, à pen-ser à tout et à rien, à réfléchir à de minusculesproblèmes, à imaginer, à rêver. A savourer laquintessence du temps mesuré, heureux dansla chaleur des draps (…) le café racontait monpère, la nuit, les petits matins et le sommeilqu’on n’en finit pas de tirer… »10

Ce phénomène d’incorporation n’a d’ailleurspas échappé à certains fabricants de parfumcomme Calvin Klein qui intègrent dans leur juscertaines molécules caractéristiques des par-fums lessiviers d’antan afin d’entretenir unlevier nostalgique. C’est à ce titre que le par-fum peut jouer le rôle d’un médiateur entre lespersonnes, c’est sa propriété éminemmentrelationnelle11. Or cette histoire d’attache-ment montre bien la médiatisation d’unerelation forte avec la mère : « Mon premiercontact avec les produits Nivea, et plus parti-culièrement la crème Nivea, remonte à monenfance. La boîte bleue était le compagnon leplus fidèle de ma mère : il y en avait une dansla salle de bain, une plus petite dans son sac àmain et une troisième à son lieu de travail,cachée dans le tiroir de son bureau. Et mamère, une femme de nature très belle, avait lapeau de visage toujours incroyablementdouce et au parfum si délicat. Pour moi, ellesentait toujours la fraîcheur et la vitalité.J’avais dix ans quand ma mère m’a offert mapremière boîte de crème Nivea. J’avais étédéjà conquise par cette crème : j’aimais lafinesse de son parfum, sa texture agréable autoucher, son pouvoir hydratant et adoucis-sant. Et je lui suis restée fidèle jusqu’àaujourd’hui. »

Du bien au lien

Le phénomène d’attachement se noue trèssouvent à travers des interactions micro-socia-les. Un produit a parfois le pouvoir deconvoquer un écheveau de relations sociales,si bien que la marque peut être amenée à assu-rer la substitution symbolique d’une personne

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tion des gestes qui facilite la transmission desmanières de voir mais aussi des manières defaire : de mère en fille, le savoir-faire ménagerse perpétue par imitation et apprentissage detechniques jusqu’à constituer un attachementidentitaire profond de la femme au linge inscritdans des gestes simples, au caractère évidentet naturel.

La marque olfactive est donc le creuset d’unetransmission de gestes et de valeurs opérantes.Ainsi l’attachement manifeste bien souventune incorporation d’un patrimoine idéolo-gique mais aussi gestuel qui se manifeste par latransmission de schèmes socio-culturels etsocio-corporels. Ainsi : « Je me rappelle trèsbien de mes vacances estivales chez Mémé etPépé, en Bretagne, et tout particulièrement demon réveil le matin. Je me rappelle parfaite-ment de cette odeur si familière qui venait mechatouiller les narines et me tirer du lit aupetit matin… Mémé nous préparait toujoursdu pain grillé et du chocolat chaud. Elle avaitune de ces manières de chauffer le lait à lacasserole !... Elle y versait cette poudre fine-ment chocolatée au délicat parfum debanane, et mélangeait en douceur la mixturepour en faire un mélange bien homogène.Cette odeur si agréable me sortait vite du lit(ce que mon grand-père appelait « le branle-bas-de-combat »), et me conduisait tout droità la cuisine, où la simple vue de cette boîte auvisage familier me creusait un cratère dansl’estomac. »

La marque traduit une empreinte socio-cultu-relle dans la trajectoire de l’individu. Elle estliée à un écheveau de sensations, mais aussi àune mémoire, à des personnes. La marque estégalement associée à de forts rituels qui per-mettent une sorte d’incorporation demanières de faire (en l’occurrence ici desmanières de table) : « Puis, avec soin, Mémémettait des tartines de pain à griller, que jetartinais malicieusement de beurre salé sau-poudré de cette fine poudre de cacao. Mais lemoment que je préférais, c’était celui où jetrempais mes tartines ainsi préparées etencore chaudes dans ma tasse de lait choco-laté ! Quelle gastronomie ! Un vrai bonheurd’avoir tant de bonnes choses dans ma finebouche d’enfant. (…) Quand je retourne chez

mieux comprendre le rapport que la dimen-sion de matérialité de l’instance marquée entre-tient à l’égard de la relation interpersonnelle.

L’attachement enclenche toujours un rapportinterpersonnel, que ce rapport soit réel(comme dans le cas de la consommation d’unservice) ou mémoriel (dans ce cas la marquejoue le rôle d’un substitut interpersonnel). Ilest donc toujours question à la fois de lien etde bien dans une relation d’attachement.

Transmettre le sens, transmettre les gestes

L’approche interactionnelle de l’olfaction per-met de mettre en évidence la capacité desmarques olfactives à transmettre des pratiques.Cette dimension prescriptive est d’ailleursd’autant plus forte pour les marques de par-fum dans la mesure où la consommation duparfum présuppose une scénographie. Lesmarques olfactives nous mettent donc en pré-sence de “manières de faire” qu’illustre l’acteritualisé de se parfumer : on ne se parfume pasen effet n’importe quand, ni n’importe où etsurtout pas de n’importe quelle façon. L’actese décline selon une grammaire précise de ges-tes qui permettent une appropriation voireune incorporation du produit et de la marque.Cette fréquente ritualisation des gestes de par-fumage rappelle d’ailleurs que les marques deparfum sont souvent factitives dans la mesureoù elles induisent des séquences gestuellesparticulières.

On peut d’ailleurs penser que toute expé-rience sensorielle engageant le sens olfactif est inséparable d’une expérience corporellepropre. C’est ce qu’a notamment montré Jean-Claude Kaufmann dans son analyse durepassage amoureux : « Le repassage amou-reux fait vibrer le corps : le regard, l’odorat, letoucher et même l’ouïe sont convoqués pourrecueillir des émotions mais sont égalementassociés à des gestes. L’odeur manifeste un étatdu linge et donc des pratiques : Madame M aainsi l’impression que le linge devient « de plusen plus odorant à mesure qu’il perd ses faux-plis »13. Yvonne Verdier montre d’ailleurs dansson ouvrage Façons de dire, façons de faire14,qu’à travers le linge se joue une sorte d’éternelrecommencement attribuable à la reproduc-

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Mémé, je me rapproche un peu plus de messensations enfantines. Et là, pas question desortir le lait froid ! Ce serait un sacrilège ences lieux ! Je le veux chauffé à la casserole,comme autrefois, et servi dans ma petite tassefétiche au chien en carriole… un peu ébré-chée depuis. Alors, je retombe en enfance…»

Il nous faut donc envisager la marque olfactivecomme un opérateur de transmission d’unpatrimoine idéologique mais aussi de valeurs,de gestes et de rituels. C’est justement cettecapacité à intégrer des dimensions physiques,idéologiques et comportementales quiexplique le pouvoir des marques à mailler lasensorialité et la sociabilité. C’est en ce sensque l’on peut parler d’un véritable levier olfac-tif-affectif.

Benoît HeilbrunnProfesseur, IFM, ESCP-EAP

1. Ce texte est la version remaniée d’un texte publié dansOlfaction & Patrimoine, quelle transmission ?, sous la direc-tion de Francine Boillot, Marie-Christine Grasse et AndréHolley, Paris, Editions Edisud, 2004.2. Orvar Löfgren, « Le retour des objets ? L’étude de la cul-ture matérielle dans la culture suédoise », Ethnologiefrançaise, « Culture matérielle et modernité », 1, mars,1996, p. 38-49.3. Jean-Claude Kaufmann, « Lettres d’amour du repassage »,Culture matérielle et modernité, Ethnologie française, 1,mars, 1996, p. 41. 4. Violette Morin, « L’objet biographique », in « Les objets »,Communications, 13, 1969, p. 132.5. Grant McCracken, “Who is the Celebrity Endorser?Cultural Foundations of the Endorsement Process”, Journalof Consumer Research, vol. 16, Dec., 1989, p. 310-321.6. Fromm E., To Have or to Be, Abacus, 1979. 7. Russel Belk, “Possessions and the Extended Self ”, Journalof Consumer Research, 15, September, 1988, p. 139-168.8. Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, Paris,Aubier, 1999.9. Michel Collot, La matière émotion, Paris, PUF, 1997, p. 11.10. Michel Onfray, Le désir d’être un volcan. Journal hédo-niste, Paris, Grasset, 1996, p. 172-3.11. Moles A., « Objet et communication », in « Les objets »,Communications, 13, 1969, p. 1-22. 12. Jean-Jacques Boutaud, « Analyses sensorielles : pour unesémiotique du goût », in Jacques Fontanille & Guy Barrier(dir.), Les métiers de la sémiotique, Limoges, PULIM, 1999,p. 64.13. Jean-Claude Kaufmann, « Lettres d’amour du repassage »,Culture matérielle et modernité, Ethnologie française, 1,mars, 1996, p. 38.14. Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. Lalaveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979.

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Mode de recherche, n° 1.Février 2004 (L’immatériel)

Mode de recherche, n° 2.Juin 2004 (Luxe et patrimoines)

Mode de recherche, n° 3.Janvier 2005 (Marques et société)

Mode de recherche, n° 4.Juin 2005 (Développement durable et textile)

Mode de recherche, n° 5.Janvier 2006 (La propriété intellectuelle)

Mode de recherche, n° 6.Juin 2006 (La mode comme objet de la recherche)

Mode de recherche, n° 7.Janvier 2007 (La customisation : la mode entre personnalisation et normalisation)

Mode de recherche, n° 8.Juin 2007 (Le modèle économique de la mode)

Mode de recherche, n° 9.Janvier 2008 (Mode et modernité)

Mode de recherche, n° 10.Juin 2008 (Management de la création)

Mode de recherche, n° 11.Janvier 2009 (Le parfum)

Mode de recherche, n° 12.Juin 2009 (La crise : parenthèse ou refondation)

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Mode de recherche,n°11.Janvier 2009, publication semestrielle

ISSN : 1779-6261

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Directeur de la publication : Olivier [email protected]

Ont collaboré à ce numéro : Jean-Claude Ellena, Benoît Heilbrunn, AnnickLe Guérer, Catherine Têtu, Anne-SophieTrébuchet-Breitwiller, Frédéric Walter

Réalisation :Dominique Lotti