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Mode de recherche, n ° 5. La question redouble de complexité avec ce qu’on appelle désormais le « capitalisme cognitif » ou encore le « design capitalism », solidaire de la captation et de la circulation de valeurs immatérielles : savoirs, connais- sances, flux financiers, biens culturels, etc. Le développement de techniques de pro- duction, de reproduction et de diffusion des œuvres, ignorant les repères classiques, outrepasse les frontières géographiques, les législations juridiques des Etats, pour n’avoir de réalité que numérique, et pour seule sanction le marché. C’est dans ce contexte qu’il faut questionner le devenir immédiat de la propriété intellectuelle. Editorial Dans des industries comme la mode, dès lors que la création a pour but de répliquer à une concurrence internationale notamment caractérisée par un faible coût du travail, il reste à s’assurer des moyens de protéger la propriété intellectuelle. Face aux demandes récurrentes des pays du Nord, la Chine se dote progressivement d’un arsenal juridique visant à protéger les composantes immaté- rielles, la création et les marques, afin d’endiguer la contrefaçon. Ces mesures juri- diques soulignent la volonté des pays émergents de ne plus être juste un atelier à moindre coût de production, mais d’entrer à leur tour dans une logique industrielle de conception et de création. Publication semestrielle - janvier 2006 La propriété intellectuelle CENTRE DE RECHERCHE INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE Entretien/ Yann Moulier Boutang Enjeux de la propriété intellectuelle Panorama de la propriété intellectuelle en Chine Marie-Pierre Gendarme Le jeu de dupes autour de l’économie de l’immatériel L’effet Moebius de la financiarisation sur les droits de propriété Antoine Rebiscoul Bibliographie sélective Publications Abonnement gratuit 23 39 41 45 16 4

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La propriété intellectuelle

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Modede recherche,n°5.

La question redouble de complexité avec cequ’on appelle désormais le « capitalismecognitif » ou encore le « design capitalism »,solidaire de la captation et de la circulationde valeurs immatérielles : savoirs, connais-sances, flux financiers, biens culturels, etc.Le développement de techniques de pro-duction, de reproduction et de diffusion desœuvres, ignorant les repères classiques,outrepasse les frontières géographiques, leslégislations juridiques des Etats, pour n’avoirde réalité que numérique, et pour seulesanction le marché. C’est dans ce contextequ’il faut questionner le devenir immédiatde la propriété intellectuelle.

Editorial

Dans des industries comme la mode, dèslors que la création a pour but de répliquer àune concurrence internationale notammentcaractérisée par un faible coût du travail, ilreste à s’assurer des moyens de protéger lapropriété intellectuelle. Face aux demandesrécurrentes des pays du Nord, la Chine sedote progressivement d’un arsenal juridiquevisant à protéger les composantes immaté-rielles, la création et les marques, afind’endiguer la contrefaçon. Ces mesures juri-diques soulignent la volonté des paysémergents de ne plus être juste un atelier àmoindre coût de production, mais d’entrer àleur tour dans une logique industrielle deconception et de création.

Publication semestrielle - janvier 2006

La propriétéintellectuelle

CENTRE DE RECHERCHEINSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

Entretien/Yann Moulier Boutang

Enjeux de la propriété intellectuelle

Panorama de la propriété intellectuelle en Chine

Marie-Pierre Gendarme

Le jeu de dupes autour de l’économie de l’immatériel

L’effet Moebius de la financiarisation sur les droits de propriétéAntoine Rebiscoul

Bibliographie sélective

Publications

Abonnement gratuit

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Entretien/Yann Moulier Boutang

Enjeux de la propriété intellectuelle

Panorama de la propriété intellectuelle en Chine

Marie-Pierre Gendarme

Le jeu de dupes autour de l’économie de l’immatériel

L’effet Moebius de la financiarisation sur les droits de propriétéAntoine Rebiscoul

Bibliographie sélective

Publications

Abonnement gratuit

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Le Centre de Recherche de l’IFM bénéficie du soutiendu Cercle Jean Goujon qui regroupe les entreprisesmécènes de l’Institut Français de la Mode :

CHANELDISNEYLAND PARIS

GROUPE ETAMKENZO

L’ORÉAL PRODUITS DE LUXEVIVARTE

YVES SAINT LAURENT

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Le développement de techniques decommunication, de production et dereproduction, tant des savoirs que desœuvres, soulève aujourd’hui des diffi-cultés inédites qui obligent à repenserles cadres économiques, juridiques,politiques et sociaux où s’inscrit la propriété intellectuelle.

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maritime, création de compagnies colonia-les par actions au XVIIe siècle). Les agentsprincipaux sont les marchands, l’Etat et lesesclaves. C’est un capitalisme financier quis’empare du monde et qui tourne autour dela production de biens monde (le bois, l’or,les diamants, le sucre, le café, l’indigo, lecoton). Son problème est essentiellementd’assurer l’offre de marchandises. Il seheurte vite dès 1550 à quatre obstacles : leslimites du pillage de l’or et l’argent par lesconquistadors, une pénurie de main-d’œu-vre généralisée et la piraterie (c’est-à-diredes niveaux de résistance multiples) et lamise au travail des pauvres au centre avec lacréation de droits de propriété axés sur latransféra-bilité sans limites. Il passe d’uneéconomie de comptoirs à une économie deproduction dans des enclaves colonialesreposant essentiellement sur l’esclavage,tandis qu’émerge corrélativement l’Etatmoderne. Le capitalisme industriel qui lui succède(1775–1975) est avant tout un capitalisme dela production matérielle. Il produit des mar-chandises au moyen de marchandises et samarchandise centrale est la force de travailsalariée libre, ce qui suppose une prolétari-sation forte de la société (avec une classeouvrière largement hégémonique) puis unesalarisation croissante de la main d’œuvre. Ilest dominé par une division croissante dutravail (de Smith à Taylor) à la fois techniqueet sociale. Le travail est avant tout unedépense d’un quantum d’énergie physiqueet l’usage de machines qui requièrent uneportion croissante des investissements. Sesinstitutions les plus caractéristiques sont lagrande entreprise de taille transnationale(beaucoup plus spécifique que le marché ouque la finance) et l’Etat nation régulateur ducycle économique à travers sa politiqueindustrielle, sa politique sociale et soncontrôle de l’offre de monnaie et de ladépense publique. Son indicateur est le pro-fit moyen obtenu dans son cœur productif, àsavoir la grande entreprise. Il repose sur uneoffre de travail abondante, un bas coût dematières premières et des énergies carbo-fossiles et une baisse du prix relatif des biensindustriels.

Economiste, directeur de la revueMultitudes, Yann Moulier Boutang estactuellement Professeur de sciences écono-miques à Université de Compiègne,Directeur du COSTECH (Connaissance,Organisation, Systèmes techniques)Université de Technologie de Compiègne. Ilpoursuit ses recherches sur l’histoire dumouvement ouvrier, sur l’esclavage et lesalariat, les migrations internationales, lestransformations actuelles du capitalismedans la mondialisation et l’Europe, les nou-veaux modèles productifs dans l’entrepriseet les territoires à partir des nouvelles tech-nologies (logiciels libres, open source) etleur impact sur les droits de propriété intellectuelle.

Olivier Assouly : Comment se distinguent lesdifférents âges du capitalisme ? En quel sensdoit-on parler d’économie immatérielle ?

Yann Moulier Boutang : Les trois âges ducapitalisme se distinguent essentiellementpar la substance de la valeur économique,par leur mécanisme d’extraction de cettevaleur et par ses acteurs principaux.Pour le capitalisme mercantiliste(XIVe–XVIIIe siècle) : production de valeurau moyen de l’échange marchand, donc duprofit commercial résultant essentiellementde la mise en communication de zonesautrefois cloisonnées et de création desinstruments techniques permettant d’assu-mer les risques inhérents à ce typed’échanges (lettre de change à Gènes auXIVe siècle, produits dérivés, c’est-à-direachat à terme, compagnie d’assurance

Entretien/Yann Moulier BoutangEnjeux de la propriété intellectuelle

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Le capitalisme cognitif dans lequel noussommes entrés en 1975 (fin des trente glo-rieuses) voit un changement simultané depresque toutes les composantes du capita-lisme précédent. La production centralepour la formation de la valeur économiquedevient la production de connaissances aumoyen d’autres connaissances ou du vivantau moyen du vivant. La création et l’inno-vation sont les éléments qui permettent une diversification des marchés face à une intensification de la concurrence. Lesconnaissances sont composées de deux parties : les connaissances explicites oucodifiées nourries par des informations, desdonnées calculables, mais leur mise enœuvre requiert une coopération entre cer-veaux reliés par des ordinateurs ; ce quiimplique une attention et l’accumulation decompétences à travers un apprentissagecontinuel et donc des connaissances impli-cites. L’interface emblématique de cetteproduction est l’activité à partir d’un ordina-teur qui cumule quatre composantes : lematériel (hardware), le logiciel (software),la vie cérébrale (wetware) et le réseau (net-ware). Le deuxième élément emblématiqueest le déplacement du modèle de la produc-tivité de l’horloge mécanique avec desrendements de 10 000 % au maximum à des modèles biologiques où la puissanceréplicatrice du vivant est maîtrisée par lesbiotechnologies. Dans le vivant produit aumoyen du vivant on passe de quelques cellules à deux ou trois milliards.

Ce capitalisme produit des immatériels (services, biens connaissances, biens infor-mations) même si pour le faire il consommede l’énergie, et de l’économie matérielle (enparticulier les énormes investissements enréseaux numériques). L’émergence dunumérique (informatique, numérisation,puissance de calcul et mémoire des ordina-teurs qui croît, révolution de la transmissiondes données) bouleverse totalement l’éco-nomie matérielle. Le machinisme sous lecapitalisme industriel s’était substitué à laforce physique, c’était donc la coordinationdu travail physique qui devenait la ressourceéconomique. Avec les ordinateurs les

aspects répétitifs de l’activité mentale sontincorporés dans les données et dans les processus de traitement formalisés (les logi-ciels). Désormais ce qui représente le cœurde la valeur, c’est l’activité cérébrale nonrépétitive, créatrice de gains de temps, degains d’organisation et de nouveauté et demémoire. C’est aussi ce qui permet l’organi-sation collective, la coopération mentale.Bref cet implicite qui accompagne la coopération des cerveaux reliés par desordinateurs. Dans ce type de capitalisme,l’aspect immatériel de la production (bre-vets, marques, droits d’auteurs, services,compétence, organisation, bref ce que lescomptables nomment les intangibles, ouplus généralement les externalités positives)devient beaucoup plus important. Le prixauquel peut être vendu une chaussure Nikene correspond à des coûts de productionmatérielle que pour 20 %, le reste est lamarque qui est un condensé de ressourcesdifficiles à évaluer, mais très importantes,comme la qualité des réseaux de sous-traitants, des vendeurs et l’opinion et laconfiance des clients. La valeur des immo-bilisations physiques et financières deMicrosoft représentait en 2000 à peine 10 %de sa capitalisation boursière (son évalua-tion par les marchés). Pour Cisco, ce ratioétait de 5 %1.Une dernière caractéristique : ce qui condi-tionne la possibilité même d’extraire unevaleur économique, c’est l’opinion com-mune partagée par un grand nombre depersonnes. Ce n’est pas simplement l’utilitésubjective (par rapport à la vieille théorieobjective de la valeur travail) comme l’avaitvu les marginalistes néoclassiques, c’estdirectement l’opinion commune qui devientla mesure du temps. On a de cette transfor-mation comprise depuis longtemps par lespublicitaires et les départements du marke-ting dans les entreprises des versionsnobles, quasiment constitutionnelles. Ladémocratie mesure le pouvoir, qui a la possi-bilité d’accéder à la gestion de l’argentpublic à la faculté de rassembler le plusgrand nombre. Le pdg d’entreprise tire sonpouvoir (ses marges d’action économiques)

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d’auteur qualifiant les créations et la marquetraduisant la confiance des fournisseurs, desconsommateurs dans l’organisation, puis-qu’elle est censée fournir une informationpertinente sur le produit ou le service et sur-tout permet d’acheter les yeux fermés lesuivant. Mais il faut bien comprendre trois facteursqui rendent ces trois solutions de plus enplus difficilement transposables dans unmonde où les interactions (et donc les effetsexternes que les économistes appellentaussi du nom barbare d’externalités) jouentun rôle croissant et où la partie économi-quement la plus riche de la production estconstituée de biens connaissance et debiens vivants :

– Les droits de la propriété intellectuelle(DPI) sont toujours, par rapport au secret (àla non divulgation), un compromis. Enéchange du bénéfice social de la révélationd’une invention (le brevet), d’une œuvre(droit d’auteur), de qualités stables de pro-duits (la marque), l’inventeur, l’auteur, ledépositaire de la marque se voient attribuerun monopole temporaire artificiel (l’exclu-sivité qui permet d’en faire des biensmarchandisables) sans quoi, ces biensconnaissances ne pourraient être produitsdans le secteur marchand. Ils devraient êtrefinancés par l’impôt à qui se trouverait alorsdévolu en totalité la charge de rémunérer lescréateurs. Si, comme c’est déjà largement lecas, la création et l’innovation sont financéespar l’impôt (il suffit de penser que l’effort derecherche est supporté à concurrence de 1,5 % du PIB en France par l’Etat, les entre-prises se bornant à 0,5 %) le compromissocial tend à exiger davantage de « révél-ation » au public que dans un cas inverse(celui où le secteur marchand finance direc-tement plus de la moitié de l’effort derecherche). C’est sans doute là une des raisons majeures des différences d’accepta-bilité du marché qui existe entre la Franceou l’Europe en général et les Etats-Unis.

– Une convention de propriété privative est,comme toute convention sociale (à la diffé-rence d’une norme naturelle, ou quasimentnaturelle), largement dépendante de son

doublement de l’opinion commune (de sesactionnaires pour le nommer ou le révo-quer), de ses actionnaires qui déterminentles fluctuations de la capitalisation boursièrequi conditionnent sa capacité de s’endetterauprès des banques.

O.A : Dès lors, en quoi ce que vous appelezcapitalisme de la connaissance touche-t-ildirectement à la propriété intellectuelle ?

Y.M.B : Si la transformation que nous venonsde décrire est exacte, cela veut dire que l’es-sentiel de la valeur économique se formedans les intangibles. Mais comme leur nommême l’indique, les intangibles sont difficile-ment capturables, touchables. Comment lesévaluer ? Une quantité physique peut se délimiter, se diviser, se remplacer de façoncertaine. Elle ne comporte pas la dose d’a-léas que comportent les immatériels. Tousceux qui travaillent dans les métiers artis-tiques, dans la création, dans la mode, brefqui ont affaire au public (et pas simplementau consommateur lambda des modèlesmicroéconomiques) savent que le public estcapricieux, changeant imprévisible. Le suc-cès en matière de goût ne se décrète pas. Ilne suffit pas d’avoir un bon produit, il fautattirer l’attention, fidéliser, innover, et mal-gré cela il faut beaucoup embrasser pourpeu étreindre. Cette croissance de l’incerti-tude conduit les investisseurs à augmenterla liquidité de l’économie. Comme son noml’indique, la liquidité permet de s’engagertrès vite mais aussi de se dégager très vite.C‘est ce que l’on appelle la financiarisation.Peu importe ce qui est fabriqué ou le com-ment, ce qui compte c’est la rentabilité ducapital engagé et réalisable rapidement. Etc’est là qu’on débouche sur le problème desdroits de propriété intellectuelle et la diffi-culté qu’ils soulèvent. Les immatériels aussi difficiles à évaluer quele potentiel d’innovation et de création del’entreprise, que l’organisation ou que lecapital intellectuel de ressources humainesavaient été apprivoisés dans le capitalismeindustriel par trois moyens : le brevet don-nant la mesure de l’innovation, le droit

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acceptation par la société (donc par leconsommateur mais aussi par le citoyen ou,dans le capitalisme reposant par la connais-sance, par les apprenants, les créateurs et les producteurs de connaissance). Or laconnaissance nécessite pour être créée etinventée en amont (avant d’être valorisée defaçon marchande) une dose croissante d’interaction libre et de « disclosure » (révé-lation)2. Les inconvénients collatéraux del’établissement d’une clôture plus étroitedes domaines intellectuels par des brevets,des droits d’auteurs et des marques tendentà être de plus en plus importants et demoins en moins supportés par les consom-mateurs, les citoyens et les acteurs de lanoosphère (écoles, universités, instituts deformation, centres de recherche).

– A ces deux premiers facteurs vient s’enajouter un troisième. Les trois modalités dedéfense de la propriété exclusive (tempo-raire ou renouvelable pour la marque) desDPI, qui n’ont jamais été faciles à imposerdepuis le XIXe siècle3, pouvaient s’appuyerpour être mises en œuvre (enforced dit l’anglais) sur les obstacles techniques à lareproduction des supports des créationsimmatérielles : l’imprimerie, la photogra-phie, la copie analogique par le cinéma, latélévision ou le magnétoscope. En effet,dans l’univers de la reproduction analogiquequi est à la base du développement dumonde industriel et de l’innovation (paropposition au caractère singulier, unique del’œuvre à un exemplaire), la copie ne vautjamais l’original. Elle subit à chaque opéra-tion une déperdition de qualité d’une partet, le plus souvent ses supports se dégradentà l’usage (voir l’exemple des microsillons envinyl usés par les diamants ou saphir destêtes de lecture). Or la révolution du numé-rique a levé pratiquement tous les obstaclestechniques à une divulgation parfaite, trèsfacile, à très faible coût de réalisation et detransport de fichiers numériques. Une copienumérique est aussi bonne que l’original. Lesupport initial gardé comme original decopie renouvelable pour pallier les accidentsarrivant aux supports numériques (DVD,disque de stockage) permet de renouveler

de façon quasiment indéfinie ses disques,ses films, l’ensemble de ses fichiers numé-riques. Les obstacles de temps, de coûtsd’une divulgation rapide des informations etdes biens connaissances, sont menacés et leseront toujours davantage, par la puissancecroissante en mémoire des ordinateurs, dedébit des tuyaux véhiculant, de puissancecombinatoire de calcul. Le monde numé-rique permettant de stocker en quelquessecondes de click la totalité des images etdocuments sonores du MOMA, du BritishMuseum ou du Louvre approche rapide-ment. Celui des objets interactifs également.La marchandisation du capitalisme indus-triel reposait sur une rareté des biens.L’abondance possible de biens informationset de biens connaissances fait apparaître ceque Pierre-Noël Giraud4 appelait le « spectrede la gratuité ».

En fait, le caractère exacerbé des campagnesdes grands médias de l’information et desindustries culturelles contre le téléchar-gement gratuit de fichier peer to peer,comme si le monde se transformait en unebibliothèque interactive mutualisant les ressources existantes apparaît comme lerévélateur d’une crise des brevets, des droitsd’auteurs et des marques. La croissance de lacontrefaçon des griffes pour les industriesde mode reposant essentiellement sur desmarques, pour l’ensemble des industries dehaute technologie reposant sur des brevetset des téléchargements gratuits de musique,de films et de livres en sont les illustrations.L’Internet qui constitue un vecteur sanspareil de développement des réseaux de dif-fusion de biens matériels (les livres commesupports papier) et donc de marchandisa-tion de tout est en même temps un agentnon moins puissant de dé-marchandisationdes ressources immatérielles. C’est là évi-demment la différence de la bataille desclôtures à laquelle le passage au capitalismecognitif donne lieu avec celle qui s’étaitdéroulée à la fin du XVIIIe siècle, précédéed’ailleurs d’épisodes bien plus sanglantsd’inculcation des droits de propriété debiens matériels lors du passage des sociétéscommunautaires aux sociétés « chaudes ».

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cognitif) pour pouvoir penser des réponsesintelligentes et appropriées, donc adaptéesà chaque secteur. Il est clair par exemplequ’il est des secteurs de la mécanique, de lachimie lourde en particulier, qui ne souf-frent pas d’une crise aussi aiguë que lesecteur pharmaceutique ou que le secteurinformatique qui représentent les 3/4 de l’in-flation délirante des brevets à laquelle on apu assister depuis la législation américaine(Arrêt Chakrabarty et Bayh-Dole Act de1980). Si l’on n’a pas de théorie de la dynamique ducapitalisme, on risque fort de se fourvoyerdans une attitude aussi rétrograde qu’impro-ductive finalement. Il faut en effet être bienconscient de la puissance de la révolution dunumérique qui est loin d’être arrivée à sonterme avec le passage à une ère post-siliciumde stockage atomique de l’information sur lamatière et de la pénétration de la sphère dela production matérielle par le numérique.Aujourd’hui la sous-traitance allie le CDinformatique le plus sophistiqué (qui dissé-mine inévitablement les savoirs à partir dumoment où ils sont codifiés) et la connais-sance des spécialisations de main d’œuvrenon mécanisables, qu’on retrouve dans lessavoirs traditionnels (ce que les économis-tes appelle les échanges idiosyncratiques,c’est-à-dire singuliers). On en revient tou-jours à la question des immatériels ouintangibles et à leur conjugaison historiqueavec l’outil de mesure et de communicationuniverselle qu’est l’informatique.

O.A : La question de la contrefaçon renvoie-t-elle à une approche résolumentindustrielle, matérielle, de la propriétéintellectuelle ?

Y.M.B : Le terme même de contrefaçon semble à première vue bien renvoyer à ladivision artisanale et industrielle des tâches.Mais en fait l’accusation de contrefaçon ren-voie toujours à l’accusation de transgressiond’une norme qui se réfère à de la propriétéintellectuelle même si cette dernière n’a pasencore émergé et si l’auteur n’est pasencore un individu. Ainsi, au Moyen-âge,

Prenons plusieurs exemples récents quiillustrent la crise de chacun des compar-timents classiques de la propriétéintellectuelle. L’affaire des médicaments génériques et deslicences obligatoires pour les pays du Sud,(en particulier ceux de l’Afrique) illustre ladifficulté de maintenir la législation des bre-vets et l’obligation pour les pays du Sud dese plier aux règles de l’OMC (prévue dans lesaccords de Marakkech de 1995 aux termesdesquels ces derniers avaient dix ans pourappliquer les règles de protection des DPI)pour les anti-rétroviraux à la base des trithé-rapies. Les accords du Doha ont légitiméune limitation du respect du DPI par lerecours aux licences obligatoires (sorte deréquisition) par les Etats ayant décrété une « urgence sanitaire ».Le dossier de la contrefaçon industrielle en provenance du sud-est asiatique, notam-ment en Chine, (ce qui expliquel’empressement des pays du Nord à faireadhérer ce pays à l’Organisation Mondialedu Commerce) est très fourni. Mais dans desdomaines plus immatériels, les déconve-nues des industriels qui ont refusé despartenariats de partage de connaissancesdans l’électronique ou les logiciels : la firmefrançaise Wawecom spécialisée en télé-phonie mobile, a été confrontée à un casclassique de rétro-ingéniérie de ses pro-grammes et elle a dû abandonner le secteurpour se replier sur les puces équipant diversdispositifs dans les automobiles.

O.A : Peut-on globalement poser la questionde la propriété intellectuelle ou faut-ilprendre soin de décliner la question sui-vant les différents secteurs de production ?Par exemple, les transferts de technologiedans le domaine pharmaceutique ne sontni du même ordre ni liés aux mêmes consé-quences que dans les industries de lacréation comme la mode.

Y.M.B : Ma réponse est simple : il faut avoirune compréhension globale de la crise quiaffecte les DPI (c’est-à-dire les mettre en perspective de l’avènement du capitalisme

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lorsque lorsqu’un compagnon ne se voyaitpas attribuer le chef-d’œuvre (c’est-à-direl’équivalent du diplôme qui donnait le droitd’exercer le rôle de Maître et donc d’embau-cher des Compagons et des Apprentis selonla réglementation des corporations), il exer-çait souvent au noir, comme travailleur « libre » (libre veut dire ici libre des règlesdes corporations). On appelait ces contreve-nants des chambrellans et ils faisaientl’objet de campagne de répression qui nesont pas sans rappeler la chasse aux immi-grés clandestins sans lesquels des pansentiers de l’activité économique seraientbien incapables d’exister sous la forme quiest la leur (sans compter le travail régulierqui dépend lui aussi de ce travail irrégulier.De fait le travail non agricole, donc hors cor-porations a représenté très vite la moitié dutravail artisanal et primo industriel5.La contrefaçon d’un objet matériel (plagiatpour une œuvre littéraire) a besoin d’un « corps » du délit, donc d’un objet, mais c’estle non respect du monopole exclusif conféréà l’inventeur, au producteur (fût-il collectifquand la notion d’individu n’est pas juridi-quement bien assise) qui constitue le cœurde la question. En ce sens, il ne faut paschercher à reconstituer un corrélat matériel(de plus en plus aléatoire) dans l’universnumérique à la contrefaçon, mais plutôtessayer de relire les conflits de droits de pro-priété intellectuelle sous l’ère industrielle envoyant le type d’immatériel qui était déjà encause. Prenons le cas le plus flagrant et le plus dou-loureux, qui s’est avéré fondateur de lamodernité et de l’ère de l’industrie : celui dela « contrefaçon » de la parole divine, c’est-à-dire de la Réforme sous la Renaissance enEurope occidentale. Au départ, on a uneEglise chrétienne, l’Eglise Catholique, qui aconquis durement (voir la lutte contre lepaganisme puis contre les hérésies) lemonopole de la parole chrétienne.L’interprétation de cette parole (ou « évan-gile », c’est-à-dire « bonne nouvelle ») estassurée par un clergé soumis à des règlesstrictes de transmission du sacerdoce, et dela catéchèse. Le support matériel du dogme

est constitué certes des manuscrits recopiésmanuellement en nombre très limité, desEvangiles et de l’Ancien Testament, mais surtout de l’interprétation de la foi (laconfession récitée par les fidèles dans lesymbole de Nicée ou Credo). L’organisationde l’Eglise catholique, c’est-à-dire du clergéet les substrats matériels de son fonctionne-ment (des rites aux archives des textesadministratifs du droit canon) sont bien plusimportants que la source historique et primaire (la Bible). Mais ce monopole delabellisation du christianisme (traduit pardes actes symboliques comme le baptême)va se trouver bouleversé par l’invention del’imprimerie par Gutemberg. La mise àdisposition de la Bible à plusieurs milliersd’exemplaires ouvre une brèche dans lemonopole interprétatif détenu par le clergé.Si le croyant peut accéder aux sources de lafoi, l’interprétation personnelle de lacroyance, de la conformité de son action à laparole apparaît comme le fondement bienplus que l’autorité de la tradition et le mécanisme de formation collective de l’obéissance au dogme. L’individu modernenaît avec toutes les conséquences sur lemodèle d’organisation de la religion, de sonrapport avec le pouvoir politique et enfin dumodèle de la cité politique. Dans un premier temps, de la naissance du « Grand Schisme » quelques vecteurs essen-tiels de l’échange symbolique6 par exempleles reliques des Saints et des Indulgences(monnaie d’échange permettant des remi-ses de peine de Purgatoire), sont atteintsdans leur crédibilité. Puis c’est le principemême du culte des Saints modèles d’identi-fication collective, l’autorité même del’Eglise romaine, puis son principe mêmequi est remis en cause. Les réactions del’Eglise catholique contre la contrefaçonqu’est pour elle la Réforme (ce qu’elle nom-mera toujours la Religion « prétendumentréformée ») vise à rétablir le monopole dog-matique par la limitation de l’accès à la Bible,par une spécification de la Bible catholiquepar rapport à la Bible protestante, par uneréglementation des conditions d’interpréta-tion qui doit être conduite sous l’autorité

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différence de l’optique industrialiste maté-rielle, il faut qu’elle incorpore étroitement àun support qui par définition n’est pas sin-gulier (à la différence du prototype de lahaute couture), quelque chose d’artistiquequi peut être caractérisé par rapport auxcanons du beau, du style, mais plus sûre-ment par rapport au goût du public (et passeulement du consommateur ou usager). Cegoût du public intrinsèquement variable,imprévisible, comme l’opinion publique (G. Tarde) est l’élément de différenciationdes produits, des services. Il fait la différenceentre ce qui est validé comme innovation(c’est-à-dire imité, répété, donc générateurd’un marché potentiel) et une découverte,une curiosité excentrique ou œuvre singu-lière encore à la recherche de son public). Lestyle par rapport à la phrase banale, estindex de sa différence, de son écart par rap-port aux usages déjà effectué des mots, desimages, des couleurs, des tons et d’un publicqui la valide ou est susceptible de la valideren un temps déconcertant (le fameux « cycle court » qui court-circuite les straté-gies industrielles de captation des marchéspar sa variabilité, sa volatilité). A la source de la mode et des industries quitravaillent sur ce créneau d’expansion trèsrapide d’un public et d’une clientèle, il y al’émulation, l’imitation contagieuse. Aussibien dans la conception, l’invention, la production du trait innovant, que dans leressort d’expansion. A la base de l’inventionde nouvelle forme, il y a le travail de docu-mentation, le pillage au sens figuré del’inspiration glanée au fil des promenadesdans la ville et de l’observation des com-portements collectifs, des vitrines photogra-phiées, le pillage au sens propre des pressbooks des élèves stylistes, lors de leurs offresde service ou entretiens d’embauche. Il fautdes milliers de variations souvent impercep-tibles pour qu’émerge la trouvaille dont lamise en œuvre suppose un potentiel tech-nique, des capacités d’agencement de diverssegments productifs, mais aussi la capacitéde tirer parti des rentes de localisationmétropolitaine, c’est-à-dire des nombreusesexternalités positives qu’offre la vie urbaineet l’inventivité sociale7.

d’un membre du clergé, sans compter lesméthodes plus directement répressivescomme l’excommunication des fidèles, lasuspensio a divinis (l’interdiction d’exercerle ministère pour les prêtres) et l’éliminationphysique.En fait, la question de la « contrefaçon » protestante, qu’on peut comparer à desstandards d’accès à l’espèce d’échange par-ticulier qu’est le « commerce de la vieéternelle » ou « salut de l’âme » se réglera parle nombre de fidèles (c’est-à-dire d’usagersou clients pour ce service particulier).S’instaureront, non sans mal, en Europeoccidentale en trois siècles la coexistence oucohabitation de normes différentes ainsi quela liberté de choix du culte (y comprisl’espèce particulière de culte qui consiste enn’en avoir aucun). Cet exemple pourra sem-bler artificiel. Mais il suffit de remplacerGutemberg et l’imprimerie par le numé-rique et l’Eglise Catholique par les instanceschargées d’établir et de faire respecter lesrègles de l’échange de cette autre espèced’échange particulier qu’est la propriétéintellectuelle (un immatériel non sans rapport avec une vision de la créationhumaine), pour se demander s’il n’y auraitpas à glaner dans l’expérience historique. Audemeurant, il est fascinant de voir que cesont dans des pays de tradition protestantequ’est apparue le plus facilement la révolu-tion numérique, même si ce sont aussi lespays qui, protestantisme et individualismeobligent, avaient le plus vite élaboré unethéorie de la propriété privée et un traite-ment des ressources immatériels par lemécanisme d’une concession d’un mono-pole privatif temporaire.

Quittons cet exemple limite mais instructif,pour revenir à la contrefaçon dans les indus-tries de mode. La mode n’est pas exclusivede l’industrie puisqu’elle repose toutcomme l’industrie sur la reproductibilité (ouréplication) d’un bien, d’un service, d’unhabitus (comportement souvent complexeet très généraux, comme les manières d’être, de se tenir, de se vêtir, de manger, deconsommer) puis, aujourd’hui d’une expé-rience de vie (Rifkin et Lazzarato). Mais, à la

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La pluralité, l’imitation, la différenciation parle style constituent le cœur de métier desindustries de mode. Des méthodes de miseen œuvre de la propriété intellectuelleempruntées à des industries classiques quireposent sur des cycles de vie des produitslongs, sur une innovation technique et nonpas directement de goût, sont à la fois peucrédibles et surtout risquent de se révélerdestructrices des gisements même d’innova-tion et de créativité. La protection du droit d’auteur sur la créa-tion originale d’un artiste, d’un motif detissu par exemple, celle sur une marque engénéral, celle qui couvre un modèle déter-miné ne dépendent pas au même titre del’univers imitatif et naturellement plagiairede la création artistique. Les techniques descanérisation numérique des images, l’inte-ropérabilité entre l’ensemble des médiasvouent à l’échec nombre des qualificationstraditionnelles des délits de contrefaçon.Breveter ou déposer une marque sur deséléments modulaires de dimension trèspetite, solution adoptée dans des industriesmécaniques ou électroniques est peu appli-cable. En revanche la mutualisation des marquesautour d’un ensemble territorial de typeappellation contrôlée, terroir paraît nette-ment moins contraignant et surtout plusconforme à la nature du style. Si le caractèrecréatif ou innovant d’une mode qui s’installeou se renouvelle dépend fortement desexternalités positives captées sur place, lenom ou un ensemble de marques localiséesdans un territoire dans une culture ont deschances de s’avérer efficaces, c’est-à-direessentiellement de rencontrer l’aval ou lavalidation d’un public content de se trouverainsi exprimé ; tout comme les Bordelaiscitent l’ensemble des vins de Bordeauxcomme une caractéristique positive de leurrégion.D’autre part, au lieu de multiplier les DPI surdes éléments d’une seule marque, ou devouloir breveter, ou protéger l’amont de laconception, entrant ainsi sur le terrain glis-sant du brevetage des idées générales, il fauts’interroger sur le pourcentage de la valeur

économique qui est réalisé sur les produitsdérivés de nature moins contestable.Prenons l’exemple d’un produit qui a exigéune mise de fonds très importante commele film La Guerre des étoiles. Il faut savoirque si ce film a engrangé des recettes en sal-les considérables, il a rapporté davantage surses produits dérivés : les DVD bien sûr, maissurtout la vente des personnages commejouet labellisé. Dans ce cas, qui devient deplus en plus fréquent (voir les droits detransmission télévisuels des championnatsde football, de basket, les vêtements sportifsornés de la griffe du club), le piratage (pourle film la copie pirate de DVD ou les télé-chargements bord à bord8) constitue lapromotion la plus efficace des produits dérivés. Le producteur perd la recette desspectateurs (pas toujours), mais s’il a biengéré les droits dérivés, il récupère leursachats de produits aussi variés que les bois-sons, les gadgets, les jouets, les cartespostales.

O.A : Quelle pourrait être la contributionpositive des entreprises – et des marques –dans le cadre d’une approche autre querépressive ?

Y.M.B : Cela découle largement de ce que j’évoquais pour répondre aux deux ques-tions précédentes. Les entreprises de mode comme un nombrecroissant d’entreprises dont le cœur demétier repose sur la captation de la richessesociale (celle qui se forme à partir des processus de vie et de connaissances), nepeuvent transformer cette richesse en valeuréconomique que parce qu’elles s’insèrentdans des territoires fertiles en externalitéspositives. L’urbain est défini par les écono-mistes comme un gisement d’externalitéspositives. La ville met en contact des gens,des savoirs, des produits, des processusdont l’accumulation provoque des synergiesfavorables à la création. Or ces externalitéspositives incorporent une quantité consi-dérable d’activités gratuites, de travailsalarisable effectué sans reconnaissance deson utilité et de sa contribution à la produc-

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implication citoyenne, environnementale oubio-ethique. La façon dont Benetton a géréson budget publicitaire est très instructive.Mais il semble aussi que la mutualisation desmarques constituant des pôles de défensenon pas de telle ou telle marque, mais de lamode française, ou de Paris capitale de lamode (qui n’est sans doute plus la (seule)capitale mondiale de la mode), soit unepiste qui devra être explorée face aux ambi-tions chinoises par exemple.

O.A : Le capitalisme de la connaissanceoffre-t-il un nouvel espace public ?

Y.M.B : J’ai défini récemment9 l’activité ducapitalisme cognitif comme la production dedifférents types de public. C’est dire deuxchoses. Tout d’abord il n’y a pas de possi-bilité de produire la nouvelle chaîne de lavaleur économique sans la formation sous-jacente du partage d’un fonds humaincommunicationnel, linguistique, culturel etbiopolitique, ce que j’appelle la noosphèreet la biosphère, qui est dominé par la diver-sité et l’impératif de préserver cette diversitési l’on veut avoir de nouvelles combinaisonsqui émergent. Ces nouveaux biens commu-naux virtuels sont à la base de l’extraordinaireproductivité de la société numérique.Autrement dit, il y a du public, du commun.Pour parler d’un espace public et pas simple-ment d’une multitude d’espaces communs,il faudrait que les Etats nations soient capa-bles de dépasser la vision de la souverainetéet de son corrélat politique, le Peuple, pourcréer ce que François Fourquet appelaitdans son ouvrage célèbre Les Equipementsdu pouvoir10, les équipements, les infras-tructures immatérielles des nouveaux travailleurs productifs.Ces équipements qui supposent de nou-veaux droits pour les multiples agents quiconcourent à la productique numérique etcognitive, de nouvelles fonctions de l’actionpublique, requièrent des investissementsdont seuls quelques pays nordiques ontcompris l’importance. La Norvège par exem-ple, qui finance la recherche en lui affectantla totalité des gains des jeux publics

tivité globale des facteurs. La production deces externalités positives n’est pas très sou-vent intégrable à des entreprises qui ontplutôt tendance à pratiquer l’out-sourcinget la sous-traitance accrue. En revanche uneimplication plus importante des entreprisesdans les organismes existants ou à créer deformation, de capitalisation intellectuelledes territoires, de diffusion des techniques,des modèles innovants est indispensable.Les entreprises françaises ne participent pasassez (sauf exception) à l’effort de recher-che. Il faudrait qu’elles multiplient leureffort par trois à l’échelle globale. Mais leurproposer de se charger elles-mêmes degérer l’interface avec les organismes derecherche, d’éducation et de formation,c’est courir à l’échec. Elles n’ont ni le temps,ni les compétences en leur sein pour ajouterces tâches à leur arc. Il faut des organismescapables de recruter des évaluateurs de pro-jets, de financer des formations, des stages,des doctorats, des projets. Ainsi les étudian-tes et étudiants des écoles de mode, des artsgraphiques, du design devraient être finan-cés beaucoup plus largement pour que lesentreprises puissent se nourrir dans unvivier d’externalités positives au lieu de pra-tiquer une prédation sauvage qui nes’interroge pas sur les conditions collectivesde sa reproduction. La meilleure défense des marques n’est pasle gendarme de la contrefaçon qui peut s’avérer indispensable en certain cas, maisassez rares ou bien insaisissables. Par exem-ple l’étendue de la contrefaçon dans leSud-est asiatique est directement fonctiondu degré d’exploitation de la main d’œuvre.La corruption généralisée que suppose undegré de contrefaçon à l’échelle industrielle,permet à un petit nombre de détourner 0 à30 % des bénéfices de ce trafic, mais il nefaut pas oublier qu’une majeure partie durevenu généré est le plus souvent redistri-bué dans des pays où la redistributionsociale est quasiment inexistante. La défenseefficace des marques dépend de la commu-nauté des clients, usagers et défenseurs de la marque. La popularité d’une marquedépend largement de son mécénat, de son

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(courses, loto, tiercé) mais aussi privé (taxa-tion des jeux numériques).Cet espace public encore à naître dans ledroit et dans la formation des agents del’Etat, s’est révélé en pointillé lors des débatsde décembre sur la loi sur les droits d’auteurs et droits voisins dans la sociéténumérique. 10,5 millions de foyers sontéquipés en Internet et plus de 7 millions enhaut débit. Le téléchargement de fichiers degré à gré entre internautes (peer to peer)concerne dorénavant un si grand nombred’Européens que la législation prévue tantpar la Directive européenne de 2002 que parsa transposition en France est applicable etvieille avant que d’être née. Et faisons atten-tion : il ne s’agit pas du romantisme de lagratuité, il s’agit de façon bien plus cruciale,de la condition de survie d’une économieinnovante et de sa transformation en capita-lisme contemporain, donc des véritablesemplois de demain.

O.A : Dans les industries culturelles, sous lerapport de la défense des intérêts desauteurs, on assiste au déploiement de toutun arsenal législatif destiné à restreindreles possibilités de reproduction et de diffu-sion des œuvres. Que penser del’engagement des Etats du Nord dans unemission de lutte contre la contrefaçon ?

Y.M.B : L’application de droits de manage-ment numérique (Digital RightsManagement en anglais) résulte d’uneapplication mécanique des droits de pro-priété intellectuelle tels qu’ils s’étaient misen place sous le capitalisme industriel ententant de mettre la puissance du numé-rique au service d’une clôture des droitsd’usage des biens numériques. Dans unetelle conception qui ressemble à celle que lebrigand Procuste appliquait à ses victimes,on étire ou mutile les jambes du consomma-teur pour le faire entrer dans le vieux litindustriel. En particulier, puisque toutfichier numérique (une suite de 0 et de 1)est très facile à copier à l’identique quelleque soit sa longueur, on trace les utilisateurset on soumet leur ordinateur personnel à un

espionnage permanent qui vérifie si ce qu’ilsont téléchargé (y compris les logiciels) esten règle du point de vue des droits d’auteur.D’autre part on équipe les DVD et CD dedispositifs anti-copiage. George Orwell n’a-vait pas pu imaginer un degré pareil desurveillance des individus, la notion de pri-vacy ou privauté indissociable de la libertédes citoyens se trouvant allègrement sacri-fiée. Stallman avait cependant bien montré11

que la logique d’exécution des droits d’auteur sur les logiciels conduirait à l’inter-diction de lire des livres prêtés, de prêterson ordinateur et avait écrit une nouvellesinistre décrivant la vie des étudiants sur lecampus des universités ainsi normalisées.Comme on ne peut avouer au consomma-teur, surtout s’il est programmeur, qu’il estconsidéré comme l’ennemi, ces instructionssont cryptées. Du coup, cette back door(porte d’entrée dans l’ordinateur dont l’exis-tence n’est pas connue de l’utilisateur, maisseulement du fabriquant) facilite l’intrusionde virus. On en a eu un exemple très récentavec l’installation par Sony sur son dernierlogiciel de jeu d’un dispositif DRM de cettenature. L’infection de 160 000 ordinateurs declients par un virus a conduit au rappel duproduit tandis que les consommateurs por-taient plainte. De façon plus générale,indépendamment des questions de sauve-garde des libertés publiques, la philosophiedes DRM en considérant le consommateurcomme l’ennemi par excellence et à prioricomme un fraudeur présumé, est totale-ment contraire à la construction et à lafidélisation du public qui est à l’œuvre dansle capitalisme cognitif qui mise sur une interaction positive avec les utilisateursinnovateurs et non sur une relation de subordination passive. L’engagement des Etats du Nord de luttercontre la contrefaçon a de grandes chancesde rester un vœu pieux, une promesse quine coûte rien, et qui n’engage que ceux quila croient tant que les pays du Sud d’unepart et les pays en voie de décollage (les cinqpetit dragons asiatiques, le dragon chinois,l’Inde, le Brésil, le Mexique) seront loin destandards d’emploi de leur main d’œuvre

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(Maroc, Tunisie, Egypte) dans un sens plusinnovant, sur des séries courtes. Il faut regar-der quels besoins futurs nouveaux émergentde la société cognitive, celle qui correspondau capitalisme cognitif. Je pense à l’incorpo-ration des puces et des équipements cyberpar exemple. Nous savons, autre exemple,que nombre d’équipements de surveillancedes malades en temps réel seront inclusdans les chaussures, dans les ceintures. Onpeu imaginer des vêtements dont les tissusréagissent au taux de pollution. Mais ce sontsurtout les nouvelles activités, les nouvellesformes de loisirs qui inventent des vête-ments. Il n’est que de penser aux lignes demaillots des surfeurs. Autre point : il faut se préparer à des parte-nariats technologiques (accompagnés detransfert) avec les pays comme l’Inde, laChine, le Brésil et ne pas en rester à l’op-tique néo-coloniale qui chercherait oudonnerait simplement à penser que nouscherchons à les cantonner dans le rôle demanufacturiers de la vieille ère industrielle.Si nous les traitons en ennemi ou rivaux, leréveil sera amer. J’ajouterai que les transfertsde technologie peuvent s’opérer dans lesdeux sens : je ne serai pas étonné que lesChinois, dont l’aptitude commerciale estproverbiale, aient beaucoup de choses ànous apprendre, y compris dans le serviciel(logiciel de service).

O.A : Dans quelle mesure ces mesures sont-elles compatibles avec ce mouvement dedémarchandisation dû à la profusion destechniques de reproduction ?

Y.M.B : Comme je l’ai expliqué, ces mesuresd’enforcement ou de renforcement des DPIressemblent dans leur ensemble (je n’excluspas que sur quelques points secondaires, il yait des mesures justifiées) à une nouvelleligne Maginot. Les gains qu’il faut en atten-dre sont faibles mais ce n’est pas le plusgrave. Elles concourent à alimenter laconviction que la mondialisation est forcé-ment négative, qu’elle est un jeu à sommenulle (les gains des uns étant forcémentcompensés par les pertes des autres). Or

non qualifiée. Comme je le soulignais plushaut, le bénéfice d’une partie de la contrefa-çon industrielle et massive (celle qui fait leplus mal car les autres sont plutôt des fac-teurs d’appel vers les véritables marques)rémunère un peu mieux les salariés sur-exploités du Sud. La meilleure arme contrela contrefaçon, ce sont les grèves des paysdu Sud et l’élévation du niveau de rémuné-ration de leurs salariés. Pour l’ensemble despays du Sud (y compris les moins dévelop-pés en Afrique qui ont très peu d’industriede transformation), le problème des DPIperçus surtout sur les services et les hautestechnologies est qu’ils incarnent la nouvelleforme d’échange inégal : les royalties qu’ilsimpliquent épongent totalement les bénéfi-ces de l’ouverture tardive des marchés desproduits agricoles et industriels de l’écono-mie matérielle.

O.A : Dans les industries du textile, quelssont les enjeux et la pérennité d’un modèlequi assigne respectivement le contrôle de lacréation aux pays du Nord et la productionentre autres à la Chine?

Y.M.B : J’évoquais précédemment la volontéchinoise affirmée de « remonter » les filièresde produits vers l’amont et vers les seg-ments incorporant du travail qualifié, desinnovations. En particulier, les responsableschinois ne font pas mystère de leur intentionde se servir de leur hégémonie sur la fourni-ture de la soie (qui repose pour l’instant surles coûts extrêmement bas des cocons payésaux paysans et du filage) qui ne durera paséternellement pour construire une industriede la mode et hisser Shanghai aux rang descapitales de la mode mondiale. De façonplus générale, je crois qu’il serait dangereuxde penser que le modèle actuel de la Chine ,simple atelier manufacturier du monde, vadurer longtemps et de compter sur la péré-nisation de cet état de fait pour assurer lasurvie de l’industrie textile, de la confection,du prêt-à-porter. Les enjeux dont dépendrala survie du textile français dépend de saréorganisation à l’échelle de l’Union euro-péenne et de la rive sud de la méditerranée

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dans la transformation en cours, les droitsde propriété seront profondément modifiésdans un sens compatible avec la croissanceet pas l’inverse. Les conventions de pro-priété privée et collective (publique)requièrent un consensus minimal d’une partet remplissent le rôle de facilitateurs de l’instauration d’un régime stabilisé de capita-lisme cognitif. L’application des droits depropriété intellectuelle selon le modèle dix-neuviémiste (hégémonie de la transféra-bilité intégrale de la propriété d’actifsimmatériels par attribution d’un monopoletemporaire) ne correspond plus ni à l’intérêtgénéral du capitalisme, ni à celui de son sec-teur le plus avancé. Ricardo pourchassaitdans ses Principes de l’économie politiqueet de l’impôt (1919) la rente foncière. Notreproblème est différent quant à son objetmais non dans sa forme : il s’agit aujourd’huide nous débarrasser au plus vite de la renteindustrielle lié à l’économie de productionmatérielle et énergétique si nous voulonsentrer dans une économie de l’innovation etde l’intelligence.

Yann Moulier Boutang

1. B. Lev, Intangibles, Management, Measurement andReporting, The Brooking Institution, 2001, p. 31.2. Voir en particulier Paul A. David “The Economic Logicof ‘Open Science’ and the Balance between PrivateProperty Rights and the Public Domain in Scientific Dataand Information: A Primer,” in National ResearchCouncil, The Role of the Public Domain in ScientificData and Information, Washington, D.C.: NationalAcademy Press, 2003.3. Les Etats-Unis n’ont pas reconnu le copyright des livrespubliés en Angleterre pendant presque tout le XIXe siè-cle. Les Pays-Bas ont refusé tout brevet pendant unepériode. Les pays communistes n’ont pas reconnu lesbrevets ni les droits d’auteur entre 1917 et 1991.4. P.N. Giraud, « Un spectre hante le capitalisme : la gra-tuité », Le Monde, 5 mai 2004, http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-363592,0.html5. Voir notre De l’esclavage au salariat, économie histo-rique du salariat bridé, PUF, 1998, chap 10-11-12. 6. Ce dernier relève d’une espèce particulière d’échange.La religion (au sens du lien selon l’étymologie du mot)régit par des règles sophistiquées de la théologie l’échange continué entre des agents asymétriques etincommensurables (Dieu et sa créature).

7. M. Lazzarato, A. Negri, G. Santini, Des entreprises pascomme les autres, Benetton et le Sentier, Paris, PubliSud,1993.8. Nous traduisons ainsi dans la langue de Molière l’an-glais peer to peer (échange entre pairs), en filant lamétaphore navigatrice de l’espace cybernétique. Le « bord à bord » se pratique quand deux vaisseaux ne vontpas à quai et ne transitent pas par un port pour échangerleur cargaison.9. Yann Moulier Boutang, « La viabilité d’un capitalisme àla fois porté par la dynamique des connaissances et ledéveloppement de la finance », Université de Toulouse I,LEREPS/ GRES, Isys-Matisse/7 juin, Toulouse (2005). 10. Les équipements du pouvoir : villes, territoires etéquipements collectifs, UGE, 1976.11. Voir le premier texte de l’Anthologie réalisée parFlorent Latrive et Olivier Blondeau, Libres enfants dunumérique, Editions l’Eclat, 2000.

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Raphaël ou le Guerchin2 donnèrent euxmêmes l’exemple d’une spéculation en fai-sant exécuter par leur élèves des répliquesde leurs tableaux auxquelles ils ajoutaient lesdernières touches, mais qu’ils vendaientcomme étant de leur main. Il existait mêmedes ateliers, véritables organisations de dis-ciples copistes, sous l’égide du maître. Cettepratique s’est développée au point que lacopie est devenue un usage. La copie étaitalors destinée à des amateurs d’art qui nepouvaient se procurer des œuvres originaleset faisaient appel à des copistes pour imiterparfaitement les grands maîtres3. Dans l’uni-vers de la peinture, qui plus est pour lestechniques de reproduction par l’estampeou la gravure, l’industrie de la copie s’estrépandue et a poursuivi son développe-ment, en France, en Allemagne, en Russie etplus tard en Amérique. Nombre d’œuvressont exécutées d’après ou à la manière de tel ou tel maître sans pour autant considérerses pièces originales comme des contrefa-çons.

Le seul domaine dans lequel la notion decopie est limitée est celui de la sculpture. Lacherté des matériaux et la complexité du tra-vail, l’absence de technique de reproductionlimitent la production de copie, à l’excep-tion de copies d’antiques4. Aussi force est deconstater que les notions d’imitation, qui seretrouvent en Orient et en Occident, ontlargement contribué à développer les BeauxArts. Jean-Jacques Rousseau ne notait-il pasque « l’esprit d’imitation a produit les beauxarts ».

D’une manière plus globale, l’écriture chi-noise faite de signes, de dessins reflète unereprésentation de la réalité. L’idéogrammereprésente de façon stylisée l’objet signifié(table, maison, etc). A chaque mot correspond un caractère dessiné. Les menta-lités ne sont rien moins que structurées àpartir de cette relation à la copie, avec unereprésentation imitative entre le signe et leréférent, entre l’expression linguistique et laréalité. Comme le souligne Muriel Detrie « l’écriture chinoise présente donc l’avan-tage, par rapport à l’écriture alphabétique,

« La Chine forme un autre monde, qui s’estconstitué indépendamment de nos catégo-ries de pensées et de nos références, unmonde qui met donc en question ce quenous prenons d’emblée comme universel ».

François Jullien

Un environnement culturel favorable à la copie

Dans la vision confucéenne, la copie n’estpas perçue de manière négative. En effet,reproduire trait pour trait, imiter servile-ment une œuvre, c’est reproduire rienmoins que l’œuvre originale du maître. Lacopie qui est une exécution fidèle de l’œu-vre originale ne présente aucun caractèrefrauduleux. Ainsi, à propos de la premièrepériode classique de l’art pictural chinois(Dynastie des Tang), François Cheng noteque l’art pictural chinois s’inscrit dans lalignée de la copie avec une liberté de « réinterpréter » une œuvre originale : « Lalongue histoire de la peinture chinoiseconjugue en fait à peu près constamment,de façon complémentaire et indissociableles valeurs apparemment opposées de lacontinuité et du renouvellement. »1. Cettetradition de la copie que l’on évoque natu-rellement à propos de la Chine n’estd’ailleurs pas propre au monde oriental.

On retrouve cette tradition en Occident àpartir de la Renaissance. C’est en Italie, quel’usage de la copie a pris naissance et a été leplus répandu. Des grands maîtres comme

16 Panorama de la propriété intellectuelle en ChineMarie-Pierre Gendarme

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de donner à voir le monde directement, sanspasser par l’intermédiaire des sons et sansuser de symboles arbitraires »5.

Plus près de nous, Paul Claudel s’était inté-ressé à l’écriture chinoise. Dans « Religion dusigne », il précisait en 1896 à propos de laChine « l’écriture a ceci de mystérieux qu’elleparle » sans passer par l’intermédiaire dessons. Pour échapper à la lecture linéaire dela langue française, au moins dans un pre-mier temps, Claudel a d’ailleurs fait unetentative d’insertion d’idéogrammes chinoisdans au moins deux de ses œuvres : Centphrases pour éventail (1927) etIdéogrammes occidentaux (1944). Il cher-che alors à adopter une écriture manuscritequi, par la forme et la disposition des lettres,offre « une certaine représentation desobjets qu’elle signifie ».

La construction d’un droit de propriété intellec-tuelle en Chine

Outre les parentés entre Orient et Occident,si l’on revient à la Chine, il est certain que lacréativité personnelle n’a pas été permise en Chine pendant de longues années.Rappelons que le système politique desannées 50–70 n’a laissé aucune place à lacréativité et ceci notamment dans le régimevestimentaire. Le port de la veste ou de lachemise Mao bleue grise ou noire était derigueur, seul le nombre de poches pouvaitvarier. Il n’était pas même concevable decréer. Ainsi, il n’existait aucune école demode et de création dans les années 70 et80. Durant de longues années, la seule créa-tivité admise était celle issue de l’étranger,importée ou contrefaite.

Outre un contexte culturel chinois favorableà la copie, en particulier dans le domaineesthétique, il faut évoquer le contexte éco-nomique. La contrefaçon correspond à uneréalité économique et fait vivre deuxmillions de chinois essentiellement dans leszones rurales. Des régions entières, parmilesquelles les régions du Sud Est travaillentsur la fabrication de ces produits à faiblevaleur ajoutée et la question de la contrefa-

çon prend une dimension sociale. La dyna-mique chinoise est telle, depuis 20 ans, qu’il n’est plus possible, au plan économique,d’accepter cette montée en puissance sansprécédent de la contrefaçon dans tous lesdomaines6. La lutte contre la piraterie mon-diale et les droits de propriété intellectuellesont devenus des préoccupations majeuresdes gouvernements et des organisationsinternationales. Le phénomène de la contre-façon en Chine paraît de moins en moinsacceptable.

Longtemps monopole de quelques paysoccidentaux, en particulier la France, quidepuis de longues années développe un sys-tème juridique de protection des droitsd’auteur, la protection, la défense et la valo-risation des droits de propriété s’inscriventdésormais dans une perspective de dévelop-pement économique de tous les Etats. Dansle cadre des négociations de révision duGatt lors de l’Uruguay Round (1986-1994), lalutte contre la piraterie mondiale des droitsde propriété a été inscrite comme une despriorités, amorçant une accélération desprocessus de protection et de valorisationdes droits de propriété intellectuelle au seinde chacun des Etats signataires et favorisantune harmonisation au niveau international.La Chine ne peut plus ignorer le problèmede la copie, alors qu’il représente 15 à 20 %des produits de l’industrie chinoise et 70 %des contrefaçons du monde. La reconnais-sance du droit de propriété a d’ailleurs étéune des conditions de l’adhésion de laChine à l’OMC. Depuis son adhésion àl’OMC en 20017, la Chine s’est donc engagéeà établir un dispositif de protection desdroits de la propriété intellectuelle et estsignataire des accords ADPIC.

La simple notion de protection de la propriété intellectuelle commence à êtrereconnue en Chine à partir de 1979.Auparavant cette notion n’existait pas dans la mesure où elle renvoyait à « une pro-priété » collective du ressort de l’Etat. Il aurafallu près de 20 ans, pour que la Chine semette au niveau des exigences du com-merce international, que le concept de

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d’étendre la protection auprès de toutes lesdouanes du pays pendant 3 ans. Les saisiessont d’ailleurs en augmentation. L’utilisationnon autorisée d’une marque enregistréeconstitue une infraction au code pénal et estpuni de peines d’amendes ou d’emprison-nement pouvant aller jusqu’à 7 ans. Dans ledomaine des dessins et modèles, la situationest plus complexe et l’OMC n’est pas parve-nue à imposer une situation claire en lamatière. En France ou en Allemagne, la pro-tection des dessins et modèles repose surun droit particulier, en application de lathéorie de l’unité de l’art. En Chine, lesmécanismes de protection des dessins etmodèles sont flous et conjuguent des dispo-sitions sur le copyright et des dispositionssur les droits d’auteur. La protection relativeaux dessins et modèles peut se cumuler aveccelle prévue par les droits d’auteur, à condi-tion que le dessin ou modèle puisse êtreconsidéré comme une œuvre artistique, ausens de la loi sur les droits d’auteur. Il existeune procédure de dépôt des dessins etmodèles, mais celle-ci est longue et com-plexe. Elle nécessite une analyse trèspoussée de la notion d’originalité du dessinou modèle avec un délai de plus de 6 moisd’attente, si bien que pour beaucoup de pro-duits liés à la création cette procédure perdtout son sens.

Quelles sont les garanties d’application decette législation ? Du point de vue juri-dictionnel, deux systèmes ont été mis enplace : d’une part, le système administratifqui confère aux agents administratifs le pou-voir de faire cesser rapidement des actes decontrefaçon. Néanmoins, ce système est peudissuasif, parce qu’à la différence du systèmefrançais, l’amende est liée au prix du produitcontrefait et non à celui du produit authen-tique. Ensuite, le titulaire de droit n’obtientaucun dédommagement, les dommages etintérêts vont directement au gouvernement.Par ailleurs, les entreprises étrangères sont àla merci des administrations locales. D’autrepart, le système judiciaire est construit àpartir d’une juridiction civile et d’une juri-diction pénale. La richesse et la force dusystème repose sur la spécialisation, au pre-

propriété soit ensuite reconnu et qu’unoffice national de la propriété intellectuellesoit ensuite créé (SIPO). Désormais, laChine, qui dispose d’un cadre juridique, amis en place en amont des structures desti-nées à favoriser la protection, la défense et lavalorisation de la propriété. A cet effet, ilexiste un office des marques, (TMO) qui apour vocation d’enregistrer les marquesnotoires. Cet office fonctionne efficacementet témoigne de l’extrême vitalité de lasociété chinoise. En 2005, ont été enregis-trées plus de 588 000 marques ! Cela place laChine au premier rang des dépôts demarques avant les Etats-Unis. Sur ces 588 000 marques, la proportion de marquesétrangères déposées en Chine est minime (5 à 10 %)8.

Les chinois deviennent progressivementconscients de l’enjeu du dépôt. Ils commen-cent à déposer systématiquement tous les noms, chinois ou occidentaux, quitte à revendre ensuite, en spéculant, aux inté-ressés le dépôt de la marque. Sont enregis-trables les marques de produits ou deservice, à l’exception des marques odoran-tes ou sonores. La condition première à toutenregistrement reste la notoriété.Evidemment, les principales difficultés rési-dent plus dans l’appréciation de la notion de« marque notoire » que dans la procédurede dépôt, assez peu onéreuse et relative-ment simple. Qu’est-ce qu’une marquenotoire ? Cette question est complexe carbeaucoup de marques sont peu connues dugrand public. Dans ce cas, la procédure d’en-registrement peut-être ralentie et passer demoins d’un an à plus de trois ans. Cela peut-être un obstacle pour des marquesoccidentales, notamment pour des PME, quin’ont jamais vendues en Chine et dont lanotoriété demeure limitée, à la différencedes grandes entreprises dont l’appréciationde la notoriété ne posent guère de difficul-tés.

La procédure de dépôt permet une protec-tion au niveau national et à l’export. Il existeune procédure de dépôt volontaire auprèsdes douanes peu onéreuse et qui permet

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mier niveau des chambres spécialisées enpropriété et ensuite des cours spécialiséesen brevets et marques ou dessins. Les juri-dictions sont structurées autour des 31régions administratives à partir de troisniveaux : local, municipal, provincial.

En dépit d’une organisation très solide, cesystème juridictionnel chinois présente des défaillances de plusieurs ordres. Lesmagistrats ne disposent pas d’une réelleindépendance. Leur pouvoir reste aléatoireparce qu’ils sont soumis aux pressions administratives et politiques. En outre, àl’exception de villes comme Pékin ouShanghai, les formations des magistrats enmatière de propriété intellectuelle ne sontpas consolidées. Les textes sont assez malconnus. Et il existe un réel décalage entre lanorme juridique établissant le droit de lapropriété et son application. Dans la pra-tique, les saisies sont souvent difficiles àopérer, les trafiquants étant la plupart dutemps prévenu des raids anti-contrefaçon, ilest rare de pouvoir saisir le matériel et lesmarchandises d’une usine. L’effet dissuasifreste limité et les décisions des tribunaux nefont l’objet d’aucune publicité sur le terri-toire chinois, et sont susceptibles d’appel. Lapratique judiciaire montre des jugementsplus favorables à la partie chinoise qu’à lapartie étrangère. Ainsi dans l’affaireMicrosoft Corporation contre ShenzhenReflective Materials Institute en 1992, lecontrefacteur de Microsoft qui avait repro-duit plus de 650 000 hologrammes de CDRom a dû verser 252 $ ! Tout récemment, enseptembre 2005 en Chine, cinq groupesétrangers, Burberry, Chanel, Gucci, Prada etVuitton ont fait une demande de dédom-magement de 300 000 $, contre l’un despropriétaires du marché de la soie à Pékin.La plainte vient d’être validée par le tribunalcivil, qui a condamné le contrefacteur à 13 000 $ de dommages et intérêts9.

Néanmoins, d’une manière générale, ilexiste en Chine actuellement une vraievolonté de contrôler et d’endiguer la contre-façon. Au niveau du pouvoir central, laquestion a été confiée à Madame Han YU,

vice premier ministre, en charge du SRAS en2003. L’idée est bien d’instaurer un nouveaudiscours sur la contrefaçon, de favoriser ledialogue au niveau international afin de par-venir à un système de protection efficace.Depuis deux ans, les autorités chinoises sesont montrées prêtes à coopérer avec degrandes entreprises étrangères (Philips,L’Oréal, etc.). Des campagnes de sensibilisa-tion à la contrefaçon sont allées jusqu’àdiffuser des spots télévisés pour sensibiliserle consommateur chinois à ces questions. Ala différence d’autres grands pays de la zoneAsie, tels que la Thaïlande10 où il n’existeaucune volonté politique, ou encore leVietnam11 où la situation est encore très précaire, la Chine poursuit la constructionde ce droit de propriété et tente de le faireappliquer. Ceci passe par une éducation progressive des entreprises et des consom-mateurs. A ce jour, ce sont surtout desopérations « coups de poing » qui sontmenées pour faire prendre conscience à lapopulation chinoise et aux touristes des maux de la contrefaçon. En décembre 2005,des opérations de saisies ont été ainsimenées dans les villes côtières mais aussidans certaines provinces, au niveau des sitesde production.

Un environnement économique favorable à terme àla création de valeur

La copie ne doit pas s’entendre uniquementcomme le seul phénomène de copie d’unproduit identique. Il faut raisonner au sens plus large de la « copie d’une stratégieindustrielle » : copie de process, maîtrised’un tour de main, copie de matières, copiede produits, copie du marketing et desréseaux de distribution. Nous allons passeren revue les « différents âges » d’un payscontrefacteur.

1. La copie basique

A l’image des pays en développement, long-temps la Chine a produit des contrefaçonsde niveau médiocre. Disposant de systèmede production de masse, les entrepreneurschinois ont mis sur le marché des produits

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qui concernaient à l’origine les produits deluxe ou de sport se sont très vite étendues àd’autres secteurs d’activité plus complexes(jouets, cosmétiques, pharmacie, lait pourbébé sans protéines, matériel médical, pièces automobiles), à des secteurs suscep-tibles de menacer directement la sécurité etla santé des personnes. Elles sont générale-ment vendues 20 à 30 % de moins que le prixdu produit authentique. Dans certains cas, lacontrefaçon est extrêmement difficile àdéceler, souvent de même qualité que leproduit authentique et peut même quelque-fois le surpasser. Le fabricant chinois disposedes matières utilisées par le donneur d’ordre occidental et n’hésite pas à en faireun usage illicite hors des commandes offi-cielles. Il propose ensuite un produit issudes mêmes chaînes de production avec ousans marque. En 2003, plusieurs centainesd’enfants sont morts suite à des lots de laitspour bébé enrichis d’amidon mais sansaucune protéine.

Les produits contrefaisants de qualité sont àdestination d’une part du marché intérieur.En effet, avec le dynamisme économique etcommercial, la demande de produits contre-faisants de qualité s’accroît, avec un goûtprononcé pour les marques étrangères,notamment d’accessoires. Le prix d’un sacPrada contrefait est d’environ 8 euros, le prixd’une montre Chanel variera de 8 à 50 eurosen fonction du niveau de gamme. A présent,la contrefaçon de ces produits qui touchaitsurtout les grandes villes côtières atteint les villes secondaires (Chengdu, Dalian,Shenzhen, Wuhan...). Une femme chinoisedisposant d’un niveau de vie élevéconsomme des contrefaçons de produits deluxe, en complément de produits originaux.Souvent elle dispose d’un original et de plusieurs copies de couleur ou forme diffé-rente. Il n’y a pas concurrence entre copie etproduit authentique mais plutôt complé-mentarité : conjugaison des deux achatsauprès des deux sources différentes d’approvisionnement. On pourrait parlerd’écosystème entre fabricants et contrefac-teurs. En outre, la distribution est de plus enplus sophistiquée. On ne se limite plus aux

contrefaits grossiers, réalisés plus ou moinsadroitement dans tous les domaines : luxe,alimentaire, médicament, équipement automobile, etc. Dans ce cas de figure, lesproduits sont à destination de deux types demarché. D’un côté, pour ce qui est du mar-ché intérieur : le consommateur est peuaverti sur ces questions et trouve un intérêtà se procurer une marchandise à prix faible,autour de 10 à 30 % du prix du produitcontrefait. Les produits contrefaits sont ven-dus dans la rue ou sur des marchés deproximité (marché Xiang Yan Lu à Shanghai,marché de la soie à Pékin…) par de petitscommerçants ambulants. Les acheteurs sontdes chinois peu avertis, voire ignorants desquestions de contrefaçon ou des touristesoccidentaux. Souvent les noms de marquessont réutilisées de manière approximative : « Yves Saint Florent ou Léon Vuitton », et leslogos reproduits de manière grossière àl’instar du crocodile Lacoste qui figureautour d’un château type Disney. De l’autre, pour ce qui relève du marché international : il s’agit de développer uncommerce illicite et frauduleux en passantpar des filières précises, comme le MoyenOrient, plaque tournante avec une diffusionen Afrique ou en Europe. L’absence de sensi-bilisation des populations et des entreprisessur ces questions de propriété a pendantlongtemps été un facteur de progression dela contrefaçon.

2. La copie parfaite

Dans une seconde étape du développementindustriel du pays, on assiste à un processusde production parfaitement maîtrisé et lacopie égale le produit, voire peut même ledépasser. On constate une montée en qua-lité des contrefaçons, tant au niveau duproduit qu’au niveau de son packaging.L’exemple du parfum est à cet égard expli-cite. Les produits contrefaits proposent desjus d’une excellente qualité, ce qui n’étaitpas le cas il y a 5 ou 10 ans, et le packagingatteint un degré de qualité parfait (excel-lence du cartonnage, de l’emballage, justeutilisation des couleurs, des tonalités, destypographies employées). Ces contrefaçons

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marchés à destination des particuliers. Lesmarchés de grossistes se sont développésdans des proportions considérables dans lesprincipales zones de Chine, au Nord, auCentre (marché de Yiwu, Province du Zhe Jiang), et au Sud (marché de Yi fa,Province de Canton) et sont segmentés partypologie de produits (cosmétiques, piècesmécaniques...). Par ailleurs, des centrescommerciaux dédiés uniquement à lacontrefaçon existent surtout dans le Sud etpermettent aux consommateurs de trouvertous types de produits imités.

Pour ce qui est du marché international, lescopies de qualité supérieures sont à destina-tion principalement du Moyen Orient(Dubaï...) et de la Russie. Ce commerce illi-cite s’appuie sur des systèmes de corruptionlocaux et provinciaux. Evidemment considé-rables, les marges alimentent des réseauxmafieux et criminels. On assiste également depuis quelquesannées sur le marché chinois au développe-ment de concepts de boutiques contrefaites.Ce phénomène est très récent. Il est lié audéveloppement de la politique de marque età la volonté de se différencier sur les pointsde vente. Les exemples les plus marquantsont été ceux de Vuitton et de Burberry, oùde faux magasins reprenant tous les élé-ments identitaires du circuit de distributionont été reconstitués, du concept architectu-ral au display en passant par la présence devendeuses disposant des mêmes codes ves-timentaires.

Comme nous l’avons vu précédemmentdans le cadre des procédures de dépôt demarque, il existe des marques occidentales,qui n’ont pas été déposées, et dont l’identitésera reprise à l’identique par des contrefac-teurs chinois. Dans cette hypothèse, lapartie chinoise profite de ce vide juridiquepour copier à la fois le concept et l’image.Ceci est notamment le cas des marques avecune forte identité reprise sous un autrenom. On citera à ce sujet la marque-ensei-gne Caminae, copie à l’identique duconcept « provençal » de l’Occitane ou lamarque-enseigne Xing Bake, copie à l’iden-

tique de la chaîne américaine StarbucksCoffee.

Dans ces différents cas, il s’agit de copies « quasi parfaites », qui démontrent le savoir-faire de copiste de la Chine en productionmais aussi en commercialisation. Cette maî-trise complète du processus de fabricationet distribution n’est pas sans rappeler le casdu Japon, dans les années 80. Dans ledomaine industriel, la question de la contre-façon devient d’autant plus complexe que lapuissance chinoise s’appuie sur des joint-ventures Europe-Chine, qui prévoient destransferts de savoir-faire à terme. Par exem-ple, les ventes d’Airbus en 2005 montrentcombien la question est cruciale. A partir dequel stade, assiste-t-on à un transfert detechnologie, qui peut donner la maîtrisecomplète du savoir-faire à la partie chinoise.

3. La création de valeur d’un produit et ledéveloppement d’un droit de propriétéintellectuelle

L’étape ultime dans la maîtrise de la pro-priété intellectuelle sera accomplie lorsquela Chine sera en mesure, outre ses capacités,de production et de commercialisation dedévelopper de la création de valeur pour ses propres produits (conception /innova-tion/recherche) et d’intervenir avec unedémarche marketing ad hoc tout à fait origi-nale. L’exemple du Japon montre qu’il fautun niveau élevé de maîtrise technologiqueet scientifique pour bien copier et enrichir leproduit original. Aujourd’hui, la Chinecomptabilise le plus grand excédent com-mercial sans qu’une grande marque chinoisen’ait encore émergée, mais cela sembleimminent.

Dans l’univers de la mode et du luxe, lasituation évolue rapidement. Les designerschinois souhaitent créer plutôt que copier.La création personnelle commence non seu-lement à être admise, mais surtout à êtreencouragée. Quelques marques purementchinoises commencent à voir le jour (LiMingpour le sport, Ports ou Yi Fe pour la modefemme, Chin Fe pour les cosmétiques…).Ces dernières incarnent une véritable créa-

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tion artistique chinoise. Lorsque cettedémarche sera plus systématique et que cesproduits seront non plus seulement desti-nés au marché intérieur mais aussi àl’international, la protection de la créationsera indispensable et une accélération desmécanismes de protection sera inéluctable.

Sans doute la Chine ne peut-elle pas mettreen place des mécanismes totalement opé-rant de protection et de valorisation de lapropriété de manière immédiate. Cela passepar un travail d’éducation qui doit être menéen parallèle auprès des entreprises (tant chi-noises qu’étrangères) et par une prise deconscience des consommateurs. Les avan-cées enregistrées dans ce domaine par lapuissance chinoise seront d’autant plusdéterminantes qu’elles auront un effet delevier et accélèreront le développement dudroit de la propriété dans l’ensemble del’Asie, aujourd’hui zone sauvage de produc-tion et espace de diffusion des contrefaçons.

Marie-Pierre GendarmeJuriste, chargée de cours à l’université Aix-Marseille III, directeur de la FormationContinue à l’IFM

1. François Cheng, L’espace du Rêve, 100 ans de peinturechinoise, Phébus, 1981.2. Le Guerchin a été copié avec une habileté extrême parson beau-frère Ercole Gennari et ses neveux Benedetto etCesari Gennari.3. Simon Vouet a été pastiché par Claude Goyard, Poussinpar Angelica Kauffman, Claude Lorrain par Borzone,Watteau par Deshayes, Greuze par ses filles.4. Fabrique d’antiquités à Rome, Naples ou Florence.5. Muriel Detrie, France-Chine. Quand deux mondes serencontrent, Paris, Découverte, 2004.6. La croissance chinoise a été en moyenne de 9,6 % de1979 à 2004. Elle a atteint 10,1 % en 2004, Les Echos,25 janvier 2006.7. La Chine est entrée à l’OMC le 11 décembre 2001 mar-quant ainsi sa volonté de figurer parmi les plus grands,Minefi-DREE, Chine.8. La France se situe au 5e rang des puissances étrangèresà déposer des marques.9. International Herald Tribune, 4 janvier 2006. 10. Grand pays producteur de contrefaçon (importationsparallèles ou contrefaçon pure), la Thaïlande n’est passignataire de l’OMC ni des accords ADPIC.11. Pour le Vietnam, la question de l’entrée du pays dansl’OMC peut amener à la mise en place de standard minimum de règles pour développer la lutte contre lacontrefaçon.

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Le constat de la financiarisation

Le développement actuel de ce qu’il estconvenu d’appeler la financiarisation portepeut-être en lui-même une crise aiguë desdroits de propriété sur les fondamentauxéconomiques. Lorsque l’outil de mesure aune incidence profonde sur ce qu’il mesure,il faut interroger avec un œil nouveau l’en-semble des pratiques et concepts qui neprétendent qu’au statut de médiation.

La finance, comme la comptabilité, dansleurs formes pures, ne prétendent officielle-ment à rien d’autre qu’à la mesure factuelle(comptabilité) ou actualisable (finance) descapacités productives (actifs) dans leur rapport aux réalisations productives (exploi-tation). Elles se veulent raisons pures, dontl’exactitude formelle des résultats, permet-tant toutes les comparaisons d’un contextesingulier à l’autre, est d’autant plus garantiequ’elles se posent comme extérieures à leurobjet d’étude : les ratios constatés ici neprennent sens et valeur que par différenceavec d’autres résultats, par intégration etenveloppement d’un horizon de comparabi-lité sans cesse reconduit. De ce point de vue,on peut bien parler, si on en reste à cetteconstatation de la constitution d’un horizonde comparabilité irréductible à ses propresobjets, d’un pouvoir propre de la finance1,dont le ressort principal est sa propre auto-référentialité2.

Et, de fait, la recherche d’une transparencefinancière accrue et les normes de la nou-velle gouvernance d’entreprise ont pourfinalité principale de réaliser immédiate-ment l’ensemble des valeurs latentes du

tissu économique. La financiarisation donnetoujours le sentiment d’une réduction dutemps économique et de l’investissement,parce qu’elle oblige à une décomposition età une révélation des complémentaritésorganiques de l’entreprise, dont le rythmede développement propre, le temps intrin-sèque, le nœud complexe des différenteslignes de force qui l’agencent, sont considé-rés comme autant d’obstacles à la valeurd’échange – et comme autant de pertes d’efficience.

Mais, dès lors, pourquoi évoquer une crisedes droits de propriété portée, impliquéepar la financiarisation ? Si on ne regarde queles déséquilibres qui se creusent depuisquinze ans entre capital et travail, entre lesvolumes des transactions financières et destransactions marchandes, si on écoute cer-tains observateurs avisés, qui ne sont pas àproprement parler des altermondialistes, ilsemble bien que la messe soit dite : le capita-lisme est devenu total3, et la figure de lal’actionnariat encapsule absolument l’en-semble des droits de propriété.

L’essence de la finance

Mais cet angle de vue, porteur de toutes lesindignations d’horreur économique, est pri-sonnier d’une compréhension bien étroitedu capitalisme, réduit à son seul travail dunégatif. Les critiques économistes actuellesont ainsi toujours tendance à décrire l’inver-sion du régime d’accumulation, du travailvers le capital, sans interroger le change-ment de nature à l’œuvre dans ce qui estcapitalisé du fait même de ce nouveau déséquilibre. Ces critiques tirent les consé-quences de ce que la financiarisation produitdavantage que de ce qui la rend possible –voire de ce qu’elle permet. Ils y voient laréalisation unilatérale d’un potentiel de ressources, et non une forme d’actualisationde virtualités de richesses.

Or, l’essence même de la finance n’est-ellepas définissable par une irréductibilité desvirtualités de profit aux réalisations effecti-ves de profit ? C’est bien parce que ce qui est

Le jeu de dupes autour de l’économie de l’imma-térielL’effet Moebius de la financiarisation sur les droits depropriétéAntoine Rebiscoul

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financières. Il est inverse. Quelles sont lesincidences de la virtualisation financièrehors de la finance elle-même, dans tout cequ’elle peut révéler et impliquer pour le producteur le plus immédiat de biens.Comment en vient-il à requalifier les para-mètres de son action afin d’intégrer la pleinemaîtrise des horizons de temps par lafinance ? Quel type de médiations nouvel-les peut-il inventer afin de créer unecontinuité tenable entre son réel et son pos-sible ? Quel rapport de force peut-il mettreen œuvre au cœur de l’économie, par lafinance, et contre la financiarisation ?

La genèse de la financiarisation

Pour comprendre les termes de cette dialec-tique entre économie productive etéconomie financière, il convient de rappelerbrièvement ce que fut, dans les années 90, lagenèse de la financiarisation.

Le modèle congloméral a connu son heurede gloire pendant les trente glorieuses, enraison d’une supériorité du « marché internedes capitaux » sur la complexité et la relativeinefficacité des marchés financiers, soumis àdes règlementations nationales protectriceset à une réglementation anti-trust limitantles options alternatives de croissance.

A partir du début des années 80, la massedes investissements nécessaires pour at-teindre des tailles critiques pousse au « recentrage », dont les finalités sont encoreindustrielles : tirer partie des gains de pro-ductivité internes (moins mais mieux) etgagner la prime au leadership dans sonindustrie.

Dans les années 90, les stratégies de recen-trage et de « pure player » deviennent plusfinancières qu’industrielles : en diversifiantson portefeuille de placements, l’actionnairegère plus efficacement les risques que nepeuvent le faire les groupes en pilotant eux-mêmes leur diversification.

Cette inversion est décisive, et faut bien encomprendre les termes :

1. L’asymétrie de l’information existant entreactionnaires et exécutifs des entreprises

actualisable dans les séries anticipables deprofit ne coïncide pas nécessairement avecles réalisations effectives de profit qu’appa-raissent des risques et des options, dont letraitement et le marché est l’objet propre dela finance. Cet objet propre dessine le terri-toire de la valeur. La valeur est à la foisl’actualisation des séries de profits (lecturedu futur), et, par l’anticipation des croise-ments, des complémentarités, et desdestructions des lignes de profit les unespar rapport aux autres, elle est aussi le jeudes variations d’intensité des actualisationsde profit (appréciation du futur). Ce qu’onappelle financiarisation est une inversion del’ordre des fondations entre lecture du futuret appréciation du futur : lorsque l’apprécia-tion du futur devient première, lorsqu’elleprécède la lecture du futur, elle devientdétermination pleine du futur. La questionde la valeur, dès lors, précède celle du profit.En ce sens, il faut entendre la virtualisation4

financière non comme une déréalisation, uneffacement pur et simple du réel écono-mique derrière la mathesis universalisfinancière, mais comme un plan de réalitépropre, riche de nouvelles formes envisage-ables de mises en commun, d’investissement,d’innovation, de singularisation, et de crois-sance : effets de réseaux, transferts derégimes d’accumulations, effacement, parl’interconnexion des chaînes de valeurs etde production, de la dialectique des tempo-ralités de l’offre et de la demande. La finance n’est pas un simple outil demesure, qui n’aurait aucune incidence sur cequ’elle mesure. Elle crée un horizon detemps spécifique, des anticipations et desactualisations qui, en retour, modifient trèsprofondément l’ensemble du tissu écono-mique comme le degré de conscience, parles acteurs, de leurs marges de manœuvre.Qu’est-ce que la finance actualise véritable-ment, hors d’elle-même, au-delà de laconstitution de sa propre autoréférentialitéet des mimétismes qui lui donnent corps ?

Le point de vue qu’on voudrait défendren’est pas contradictoire avec la pertinencede ces regards portés sur les phénomènesd’endogénéisation et d’autoréférentialité

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s’est retournée au profit des actionnaires, enraison de la constitution de grands fonds depension et d’investissement d’une part etdes ruptures technologiques introduites par les NTIC permettant une comparabilitégénéralisée des performances des entrepri-ses à une échelle mondiale et en temps réeld’autre part. Classiquement, l’actionnaireconfie ses fonds à l’entreprise, et ne peutcalculer leur rendement que ex post. Avec laconstitution de fonds puissants, pourvus decapacités d’information globalisées, l’action-naire dit à l’exécutif : je vais gérer moi-mêmemes risques et, puisque je peux comparerles performances des investissements, jet’impose un engagement sur un taux que jefixe ex ante.

2. Cette asymétrie nouvelle a rendu possiblela mise en application effective de la « créa-tion de valeur pour l’actionnaire ». Lesstratégies d’actifs ont été déconcentrées auxniveaux de gestion les plus fins à l’intérieurdes groupes, afin de faire apparaître danstoute décision prise le coût d’opportunité5

du capital engagé. Ce fut, dans les stratégiesd’entreprises, notamment pour les groupesles plus industriels fortement consomma-teurs de capital immobilisé sur un tempslong, la mode de l’Economic Value Added(EVA)6 qui a beaucoup prospéré à la fin desannées 90. Ainsi, le coût du capital n’est plusconsidéré comme une conséquence de l’ex-ploitation : c’est en fonction du coût ducapital que les structurations des lignes d’ex-ploitations, le périmètre des business units,les décisions de « faire ou faire faire à l’exté-rieur » sont prises. La recherche de créationde valeur pour l’actionnaire incite àdémontrer en permanence que l’entrepriseen demande de capitaux est au moins auniveau de ce que l’ensemble du marché desplacements est susceptible d’offrir. En cesens, le capitalisme dit actionnarial estaussi et peut-être en premier lieu un capita-lisme actuariel : il organise toute l’entreprise,et toute sa chaîne de valeur, en fonction desa capacité à atteindre un niveau de rentabi-lité des capitaux engagés supérieur au tauxd’actualisation, qui n’est lui-même que l’ex-pression de la puissance de comparabilitédes actionnaires.

3. Les métiers du risque et de la diversifica-tion, dès lors, ne sont plus guère ceux desentreprises, mais sont devenus ceux desinvestisseurs. Ce n’est plus à l’entreprise dese diversifier : sa mission est de se rendrecomparable par rapport à ses concurrents etde réaliser des « synergies internes » permet-tant une progression de la productivitémixte capital-travail comptabilisée par leReturn on Capital Employed (ROCE), quine prend sens qu’en fonction d’un CoûtMoyen Pondéré du Capital (CPMC, ouWeighted Average Cost of Capital, WACC)déterminé non par l’entreprise elle-même,mais par le niveau de risque fixé par leconsensus des analystes financiers.

4. Afin de réduire le coût moyen pondéré ducapital, les entreprises ont mis en œuvretrois leviers principaux : – l’endettement, qui est une forme de trans-ferts de risques liés au coût du capital sur lescréanciers, et qui permet d’accroître l’EVA ;depuis cinq ans cependant, le désendette-ment massif des grandes entreprises cotéesa créé une forme de spécialisation de manie-ment de l’endettement par les fonds deprivate equity ;– la réduction de la base des actifs par exter-nalisation (asset light strategy) qui permetd’augmenter le Return On Equity (ROE) ;– le rachat d’actions, qui mécaniquementaugmente leur résultat par action (p.e.r.).

5. Le capital et les actifs ne sont plus considé-rés comme des stocks et des socles stablespermettant une réassurance des variationsde l’exploitation. Les actifs acquièrent uneréalité en flux : leur valeur d’échange prendla primauté sur leur valeur d’utilité. Cetteautonomisation du marché des actifs, dont la vivacité des pratiques de fusions etacquisitions est l’illustration, incite à une « désimmobilisation» forte de l’ensembledes structures de production. Une forteprime est donnée aux entreprises capablesde reconfigurer rapidement leurs outilsindustriels : ce qui concourt à la sécuritéd’un investissement, ce n’est plus sa péren-nité, voire son effet de taille, mais biendavantage la capacité de le redéployer vers

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balancier vers une conception « mécaniste »de l’entreprise, comprise comme agrégat devaleurs réelles ou latentes. Elle amoindrit l’idée même de « corps propre » ou de « corpssocial » de l’entreprise, qui ne peut plus êtrecompris comme un lieu « hors marché » demise en commun de capacités et d’énergiesayant une consistance organique.

Les nouveaux relais de croissance imagina-bles par l’entreprise sous fort contrôle de « gouvernance » doivent surmonter unecontradiction considérable, qui ne peutqu’aller grandissante, entre – normes de comparabilité imposées par les marchés lorsqu’ils regardent l’entreprisecomme un tout organique irréductible à lasomme de ses parties qui, comme tel, estproducteur de « synergies » et d’effets derendementset – obligation, imposée par les mêmes mar-chés, de mise en lumière de la « séparabilité »analytique des activités permettant de révé-ler la « juste valeur », la fair value des actifs.

L’extériorisation des critères de valeur

La seule voie viable du point de vue de lacréation de valeur, bien que risquée et hasar-deuse, semble être dès lors celle de lamontée en compétences massive du cœurde métier : apparaître ainsi non plus commeun acteur de son industrie, mais commecelui qui la structure de fond en comble, par la maîtrise des droits d’accès, ou de la « convergence » entre « contenants et conte-nus », ou de la supériorité technologique, oude la puissance de la marque.

Cette extériorisation des principales sourcesde valeur porte en elle-même les lignes decompréhension de la crise des droits de pro-priété. Le capital n’est plus un patrimoineconstitué par une longue agrégation desavoir-faire secrets, invisibles, immobilisésdans un outil de production stabilisé : lesactifs immatériels sont des savoirs vifs, enmouvement permanent, tournés non versl’accumulation mais vers la différenciation.Ils se multiplient avec une rapidité décon-

un secteur d’activité plus performant. Plusl’outil de production apparaît comme léger,aisément mobilisable, adaptable, ou liquida-ble, et plus la présence dans le capital peutêtre facilement reconsidérée.

6. Ce qui fait la valeur fondamentale d’unactif n’est plus le lien « dynamique » qu’ilentretient avec les capacités d’exploitationdont il dessine le périmètre – les variationssouhaitables de ce périmètre dessinant àleur tour les objectifs d’investissement. C’estbien plutôt son degré de transférabilité, savaleur de cession potentielle, sa valeur pro-pre à la découpe si on veut, qui, parce qu’ilsinscrivent l’actif dans son propre marché,incitent à le voir « statiquement » commeentité séparable – d’autant plus valorisablequ’elle est séparable.7 Plus la valeur de l’actifdevient contractuelle, moins elle est sub-stantielle et assise sur les fondamentaux del’exploitation. Plus c’est la valeur de marchéqui compte et qui apparaît comme l’horizonde toute conception de la valeur, et plus laglobalisation du calcul de rentabilité du capi-tal incite à une « liquidabilité permanente de ce que l’entreprise (ou les collectivitéspubliques) considéraient comme des intan-gibles, ou des actifs mobilisables à très longterme »8.

7. Comme le note justement Patrick Artus, « la question de la temporalité est au cœurde l’approche par la juste valeur : en s’inté-ressant exclusivement à la valeur instantanéede l’entreprise (une sorte de valeur à lacasse, ce qui montre bien qu’elle est adaptéeavant tout aux besoins des investisseurs sou-cieux de connaître à tout moment la valeurde leurs actifs comme de ceux qu’ils sontsusceptibles d’acheter), elle pousse les dirigeants à choisir les investissements ren-tables rapidement de préférence à ceuxdont la rentabilité sont obtenus plus tardive-ment (…). Dans cette logique d’évaluation,l’entreprise n’est pas perçue comme un toutdans lequel les activités se valorisent les unsles autres, mais comme une simple additiond’activités que l’on pourrait à tout momentdécouper selon le pointillé »9. De fait, la fair value est comme un mouvement de

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certante : si je te donne une idée, je ne laperds pas en te la donnant. Mais, revers de lamédaille, les actifs immatériels sont forte-ment volatils. Ils n’ont de réalité reconnueque parce qu’ils sont visibles et prennent le risque de s’exposer. Leur évaluationimbrique indissociablement – mais de ma-nière parfois déséquilibrée – l’analyse deleurs fondamentaux et de leur valeur perçuepar la société. L’entreprise reine, dans cecontexte repensé, réussit le tour de forced’être à la fois peu consommatrice de capitalimmobilisé et d’acquérir une valeur perçuemaximale. Son ressort secret, c’est d’orches-trer le rendement le plus habile possible detendances, de modes de consommation etd’échanges, dont elle réussit l’appropriationalors même qu’elle a plus contribué à lesmagnifier qu’à les créer10. Attirante, grati-fiante, distinguante, elle assemble et sublimedes phénomènes sociaux qui, à priori, n’ap-partiennent à personne en particulier. Saprincipale bataille, c’est la perpétuation desa présence au cœur de l’espace public.11

Les mutations des modèles économiques enjeu sont considérables. Il s’agit de passer dela comptabilisation et de l’optimisation desvolumes outputs, régis par les lois de la pro-ductivité des facteurs de production, à lavalorisation des outcomes (droits d’accès,forfaits, valorisation des dynamiques departs de marché et des capacités de custo-mer relationship, évolution du revenumoyen par consommateur).12

Puisque les investissements lourds sont difficiles à justifier auprès d’actionnaires exi-geant des retours sur engagement de plusen plus rapides, et que, en un sens, la notionmême d’investissement est devenue problé-matique, la source principale de valeurajoutée devient la captation d’externalités13

positives sur lesquelles aucun droit de pro-priété n’est établi : marques se créant unelégitimité dans l’identité culturelle collec-tive, détournement des codes et « signifiantsflottants » à forte charge symbolique, explici-tation des finalités de l’entreprise sous uneforme non-économique, voire anti-utilitariste– par les thématiques du « développement

durable », de « l’entreprise citoyenne » ou,plus décisivement encore, par la construc-tion de la figure de la génialité visionnaire oucréative du patron, du designer, toutes indi-vidualités respectables qui deviennent autantde badwills ou goodwills sur pattes14.

Les métiers de production, souvent les plusintenses en capital, sont largement externa-lisés, tandis que l’entreprise cherchera àrenforcer sa notoriété (marketing, commu-nication), sa légitimité perçue, mais aussi laprise directe qu’elle exerce sur son marchéafin de réduire la place des intermédiairesdans la collecte de la marge (enjeu de la maî-trise de la distribution). Ses sous-traitants nesont pas comptabilisés dans son périmètreofficiel, alors même qu’ils supportent la partla plus importante du coût du capital, voiredes risques d’exploitation. Afin de piloter lafair value de ses actifs, l’entreprise n’aurade cesse de chercher à étendre son périmè-tre de légitimité : de productrice de biens,elle deviendra « intégratrice de solutions », « systémier », « concepteur »15.

Plutôt que de créer elle-même en son seinses relais de croissance et d’innovation,intention qui ne passe pas la rampe de laprise de risque financière et de la compara-bilité, l’entreprise passe une forme de pactetacite avec la société : je vais donner forme,sens, et valeur, aux externalités positives surlesquelles n’existent encore aucun droit établi de propriété, en échange d’une exten-sion de mon degré de légitimité. En ce sens,un goodwill, une survaleur, est l’expressionfinancière d’une forme de sphère d’in-fluence de l’entreprise, de son effet d’auradépassant largement ses fondamentaux etson modèle propre. Le goodwill est bienl’actualisation du possible de l’entreprise.Mais, coupée par les nouvelles règles du jeudu capitalisme de toute relation à son corpspropre (qui ne produit pas de valeur parabsence de séparabilité) et au développe-ment de sa temporalité (qui est contraire àl’instantanéité de la fair value), elle pro-gresse désormais non par capitalisation desa propre histoire et de ses savoirs, mais parcapillarité et préemption de territoires d’expression.

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une autre, ou une part d’une autre entre-prise, elle consent le plus souvent à payerune surprime, qui n’est autre que la varia-tion d’intensité du futur dessiné par lenouvel ensemble, ramené aux futurs disso-ciés des deux entités prises séparément. Il ya goodwill lorsque le tout apparaît commesupérieur à la somme des parties. En cesens, ce qu’expriment les goodwills, au-delàde leur définition comptable, c’est bien l’ir-réductibilité des virtualités de l’entreprise àson potentiel identifié de ressources et dedéveloppement. Qu’y a-t-il dans cet écartentre le virtuel et le potentiel, qu’est-ce quile fonde et le constitue ? Ce qu’on voudraitdire ici, c’est que c’est cette question, cellede l’irréductibilité de l’écart entre le virtuelet le potentiel, qui permet, peut-être, decomprendre les lignes organisatrices dunouveau capitalisme, et notamment le rap-port de force inédit qui se dessine entreentreprises et investisseurs.

Ainsi, la montée en puissance considérabledes données dites immatérielles dans lesvalorisations d’entreprise peut être luecomme une forme d’endogénéisation, d’in-tégration et de digestion par l’économie desacteurs productifs du pouvoir de virtualisa-tion de la financiarisation. Un peu comme sila finance – y compris l’autoréférentialitéfinancière – produisait, elle aussi, ses prop-res externalités, sur lesquelles l’économiematérielle trouve comme un terreau fertileet un nouveau type de fondements18.

Il y a ainsi une virtualisation des entreprisesqui est à la fois cause et conséquence de lafinanciarisation, une appropriation par lesentreprises elles-mêmes des virtualités des-sinées par la financiarisation. La finance lesoblige-t-elle à se délester de leur corps pro-pre, de leur intériorité, et de leur tempsintrinsèque, afin de se rendre toutes bench-markables sous le même étalon de lacomparabilité boursière ? Elles obtempè-rent, certes, mais en créant des formesd’organisation inédites, localisées horsd’elles-mêmes, à leurs propres interfacesavec la société et les technologies. Ellesdélaissent, ce faisant, les structures produc-

A la croissance substantielle des modèleséconomiques industriels (par productivitédes facteurs de production et optimisationdes allocations internes de capitaux), lafinanciarisation a répondu par une repriseen main formelle, afin d’en finir avec cestrappes à valeur qui constituent selon elleles corps sociaux des entreprises – trappesdont la cause est à rechercher, pour les idéo-logue de la gouvernance, du côté d’uneexcessive concentration des pouvoirs et desintérêts dans les seules mains des exécutifsd’entreprise. Comparabilité généralisée,séparabilité des actifs, substitution desvaleurs d’échange aux valeurs d’utilité furentde puissants outils de guerre dont la finalitépremière a été de déboulonner les préten-tions excessives du capitalisme managérial.

Or, cette financiarisation, à son tour, crée unmouvement puissant de phénoménolo-gisation16 des critères de valeur et de crois-sance : démonstration permanente de lavaleur des actifs en les soumettant aux suf-frages de l’opinion (des marchés financierscomme des consommateurs), territoria-lisation de la légitimité par captation designifiants instables, sans cesse reconfigurés,sémiologisation de la définition des raisonssociales, abstraction sans cesse revendiquéeet repoussée du bouclage du modèle écono-mique (de producteur à constructeur, deconstructeur à assemblier, d’assemblier àsystémier, de systémier à intégrateur, etc.),sacralisation des marques, devenues pierresde touche ultimes de l’ensemble de l’édifice– son seul liant véritable, qui est à la fois l’indice de sa puissance et celui de soninquiétante fragilité.

Mesurer l’extériorisation des critères de valeur

Les écarts croissants entre goodwill et capi-taux propres pour les grandes entreprisescotées ne sont que l’illustration17 de cetabsence de bouclage continué, assumé, ducœur de métier et du corps propre de l’entreprise. Un goodwill est un reste écono-mique, une valeur irréductible auxfondamentaux, comptables ou d’ores et déjàvalorisés. Lorsqu’une entreprise en achète

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tives classiques, avec leurs identités profes-sionnelles stabilisées, leurs produitsstandardisés, leurs innovations planifiées.Mais elles recréent d’autres moteurs de pro-duction, davantage fondés sur desassemblages de dynamiques sociales et surdes convergences sémiologiques que surdes allocations de ressources matérielles : sile marketing a largement détrôné l’ingénie-rie dans l’ordonnancement de la valeurajoutée, c’est bien parce que la conceptiondes biens est davantage l’expression de posi-tionnements dynamiques que le résultat deséquences de production logées dans l’inté-riorité secrète de l’entreprise.

Ainsi, les actifs les plus contributeurs à lavaleur ne sont plus les capacités de produc-tion tangibles et stabilisées, mais la R&D et l’innovation (valeur du futur), lesmarques (valeur de l’ancrage dans l’opi-nion), la cohérence de la stratégie deportefeuille d’activités (valeur de la capacitéde l’entreprise à étendre son territoire delégitimité et à démontrer ainsi que « le toutest supérieur à la somme des parties »).

Pour rendre compte de cette mutation, quiseule explique la part croissante des écartsd’acquisition (soit : la part de valeur nonréductible aux fondamentaux comptablesou boursiers lors d’une transaction sur unactif), constitutifs des goodwills, il faut bienabandonner une conception exclusivementpatrimoniale de la valeur des actifs. C’esttout le sens du concept de fair value intro-duit comme principe directeur par lesnouvelles normes comptables européennesIFRS19 : « le but de l’adoption d’un réfé-rentiel international est avant tout la compa-rabilité, la transparence, et la lisibilité »20.L’entreprise doit redémontrer chaque annéeque la valeur de marché de ses actifs acquisest au moins maintenue. La vocation desactifs n’est plus nécessairement de concou-rir à une incorporation ou consolidationdurable dans une capacité industrielle inté-gré : c’est bien plutôt la preuve de leurséparabilité potentielle, porteuse d’éven-tuels produits de cession à venir, qui permetla révélation de leur valeur21.

Les comptables, dont le métier était le constat, doivent par conséquent porter uneappréciation et une évaluation sur des don-nées prévisionnelles. Cette financiarisationde la comptabilité n’est pas la moindre desmutations : c’est qu’un changement d’outilde mesure n’est pas une simple modificationd’une convention, mais a une incidence profonde sur l’objet mesuré et sur les incita-tions des acteurs.

Rendre compte des immatériels est unetâche complexe, car ces valeurs obéissent àdes principes bien spécifiques, parfois para-doxaux :

1. Leur périmètre est largement extérieur àcelui de l’entreprise considérée strictementcomptablement (une marque vit dansl’esprit des consommateurs, une R&D défi-nit un futur construit par conjectures, unpositionnement stratégique ne prend senset valeur que par rapport à l’ensemble d’uneindustrie voire, plus décisivement encore,par rapport à une sphère de légitimité nou-velle, permettant à l’entreprise d’apparaîtrecomme un « intégrateur » d’industries diffé-rentes)

2. Leur développement ne progresse pas paréconomies d’échelles à périmètres cons-tants ; ils n’empruntent pas nécessairementles voies de la productivité et des synergies :une entreprise se constituant en « pureplayer », animée par un modèle écono-mique structurant, renoncera à cultiver enson sein l’émergence de nouveaux relaispotentiels de croissance, périphériques àson cœur de métier actuel ; elle favorisera sesactifs tangibles plutôt que ses immatériels.Les synergies unifient et homogénéisent,tandis que les créations d’immatériels viventde séparabilité et de spécificité.

3. Les immatériels sont ainsi grandementvolatils, voire spéculatifs, et défient les nor-mes de la comptabilité, pour des raisons qui tiennent profondément aux modèleséconomiques qui les abritent. « Les investis-sements immatériels obéissent à unelogique du « tout ou rien ». S’ils échouent, ilssont intégralement perdus car ils sont irrécupérables ; s’ils réussissent, les profits

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tion des facteurs de production, l’organisa-tion productive elle-même doit sortir de sespropres murs, et devenir tissu relationnel decaptation d’interfaces. Dans l’entreprise tay-lorienne, il y a interchangeabilité de la maind’œuvre et stabilité des actifs physiques : ceschéma perd largement en pertinence dansune économie de la « connaissance » et de « l’interconnectivité », dans laquelle les actifsles plus stratégiques sont incarnés non dansles facteurs de production, mais dans lesvecteurs de différenciation.

Autant, il est aisé et normé de garantir et préserver des droits de propriété sur des fac-teurs de production endogènes, qu’ils soientmatériels (immobilisation corporelles) ouintellectuels (brevets). Autant, lorsque c’estla puissance relationnelle elle-même quidevient le principal actif productif, son objec-tivation sous forme de propriété définieentre immédiatement en tension avec lanature du processus continué de différen-ciation, qui seul fonde sa valeur et sa réalitééconomique. Par la substitution de la valeurd’échange à la valeur d’usage, par l’exclusi-vité de la lecture de la valeur d’usage à l’aunede la fair value, la financiarisation de lacomptabilité, en retour, marginalise le prin-cipe même d’une capitalisation endogènedes facteurs de production. Or, commentémettre des droits de propriété sur sa propreextériorité ? Quels sont les ressorts d’unecapitalisation de l’activité phénoménale ?Cette antinomie ne trouve de résolution quedans le dépassement, la sursomption si onveut, de la question de l’identité des bienspar celle de l’audience et de la maîtrise desvirtualités de diffusion des biens. C’est en ce sens qu’on peut comprendre l’ex-pression brillante de Yann Moulier Boutang :« on peut soutenir que l’une des principalesactivités du capitalisme cognitif23 est la pro-duction de différentes sortes de publics »24.

L’entreprise phénoménologisée avalise ladissolution de son corps propre rendunécessaire par la conformité aux normes dela bonne gouvernance, mais se resubstanti-fie en quelque sorte hors d’elle-même, aucœur de la communauté de ses clients. Elle

peuvent être considérables grâce à un effetde levier important. L’un des défis majeursauquel sont confrontées les entreprises dansl’économie du savoir et de l’immatériel estde trouver des financements pour ces inves-tissements dont le rendement potentiel estélevé mais incertain »22.

4. Pour cette raison, une forte tension, por-teuse de toutes les crises actuelles dites degouvernance, se fait jour entre la tendancestructurelle de l’actionnaire à imposer lesnormes de comparabilité sectorielles voireintersectorielles aux entreprises d’une part,et la revendication de l’entreprise à fairereconnaître la réalité et la valeur de sesimmatériels d’autre part.

5. Les droits de propriété qu’ils produisentsont plus complexes que ceux liant d’autresactifs : propriété intellectuelle, artistique,mais au-delà, de façon moins balisée, capa-cité à préempter des phénomènes d’opinion, à capter des externalités positives impli-quant de nouvelles formes de négociationsavec les puissances publiques.

L’abandon des droits de propriété sur les biens et leproblème de la maîtrise des publics

C’est précisément cette double mutation,extériorisation des critères principaux de lavaleur ajoutée, financiarisation de la mesuredes relais de croissance extériorisés, quiscelle la crise des droits de propriétéactuelle. Les industries de convergence entrecontenants et contenus (Internet, médias,téléphonie…) en offrent, bien entendu, uneillustration paradigmatique. C’est qu’ellesvivent actuellement le passage d’une écono-mie de l’output (un bien identifiable,séparable de ses conditions d’infrastructu-res) à l’autonomisation des effets de réseaupar rapport à la singularité des biens. Laquestion n’est plus pour elles celle du coûtde reproductibilité de l’ouput, marginale-ment nul, mais celle de la délimitation desdroits d’accès au réseau et de la traçabilité del’usage des biens.

Or, lorsque le problème de la maîtrise de ladiffusion prime sur les enjeux d’optimisa-

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abandonne la question des droits de pro-priété sur les biens, pour mettre l’accent surla maîtrise des publics. Elle n’a de cesse d’a-nimer cette communauté, d’entretenir, parun customer relationship management effi-cace, la vivacité de sa reconnaissance. Elleutilise ses différents publics comme autantde relais, vecteurs d’opinion et de trend-set-ting par eux-mêmes productifs. Les publicsde l’entreprise sont ainsi directement inté-grés dans sa chaîne de valeur, ce quibouleverse plus encore la séquence tradi-tionnelle production – collecte de la margepar commercialisation. Et ne va pas sansposer de redoutables problèmes de valorisa-tion. On passe de modèles tirés par lacomptabilisation et l’optimisation de la pro-duction d’outputs à une valorisation puredes outcomes de l’entreprise. Dans une éco-nomie de l’output, c’est la capacité destandardisation des biens qui est le ressortdes économies d’échelles et des gains deproductivité permettant une croissanceorganique. Dans une économie de l’out-come, c’est la singularité et la spécificité dela relation de l’entreprise à ses publics quipermet tous les modèles de valorisation,souvent extrêmement volatils et spéculatifs,fondés sur les projections et actualisationsdes potentiels de parts de marché.L’entreprise ne valorise plus sa propre pro-duction, mais l’anticipation de sa réceptionpar son marché actuel et potentiel. Elle nefonde plus sa valeur dans ses propres fonda-mentaux économiques, mais dansl’appréciation qu’elle porte sur son proprereflet. C’est en ce sens, profondément,qu’elle se phénoménologise. Et c’est enfonction de ce reflet que, par un retour surelle-même, elle définira ex post sa mission,sa généalogie, son récit – soit : son cœur demétier, ses actifs stratégiques, ses actifs ces-sibles, et ses marques.

La bulle internet, en ce sens, peut être luetoute entière à l’aune de cette efficace nou-velle du reflet, qui a déconcerté en sontemps les acteurs financiers. La question del’actualisation des parts de marché réellesest structurellement (et non par simplelubie des acteurs) apparue comme secon-

daire, pendant toute la montée de la bulle,par rapport au potentiel des parts de mar-ché. Et l’idée même de marché est déjà une notion trop tangible : plus un modèleInternet apparaissait comme créateur de sespropres publics, porteur d’une nouvellefonctionnalité d’usage, plus il gagnait uneprime à la spécificité. La déconnexion entrevaleur et profit économique était à son com-ble, non parce qu’aucun profit économiquen’était attendu in fine, mais parce qu’il fallaitd’abord faire apparaître un reflet, pourensuite en dériver un modèle économique.Les infrastructures d’Internet permettantprécisément une prolifération désintermé-diée des reflets, Internet étant de ce pointde vue un média total, la question des effetsde concurrence et d’interlimitation desmodèles proposés par les start-ups – la sim-ple question en somme de la cannibalisationet l’excès de l’offre – ne se posait, à son tour,que très secondairement. C’est que la cons-titution de la bulle a été due principalementà la constitution d’un reflet pleinementaccompli, plus puissant que tout horizon decomparabilité. Internet faisait apparaître uneimmense diversité d’usages possibles : vir-tualisation des espaces commerciaux,interconnexion des chaînes de valeur,mutualisation des bases de données. Cettediversité échappait à toute logique secto-rielle – traversant à la fois tous les secteurset créant un secteur nouveau. Aux questionsembarrassantes concernant la profitabilitéde leurs modèles, les start-ups répondaientpar la modélisation du secteur classique leplus approchant de leur activité. Tandis que,pour justifier leurs demandes incommensu-rables de valorisation, elles faisaient valoirl’intersectorialité permise par leur modèle.La survaleur trouvait ainsi son origine dansle dépassement revendiqué du secteur de l’ancienne économie préemptée par lemodèle. C’est seulement lorsque, empiri-quement, une comparabilité des valori-sations propre au secteur Internet lui-mêmea pu s’établir que la bulle a commencé à se dégonfler, et qu’un tri entre modèles économiquement fondés et modèles n’ex-primant aucune incarnation possible a pu

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seront devenus les principaux acteurs ducrédit à la consommation, voire des créa-tions de liquidités, leurs cycles industrielsclassiques seront-ils encore pertinents ?Lorsque tel groupe d’agro-alimentaire seradevenu un géant de l’industrie pharmaceu-tique, ou inversement, avec la bénédictiondes consommateurs qui, eux, pourront y lireune parfaite cohérence (puisque la saine ali-mentation comme la pharmacie ne sont quel’expression économique du bien public « santé »), les marchés y liront-ils un superbêta-risque, ou une over-survaleur ?

Ces entreprises « mutantes », dessinant unentrepreneuriat d’un nouveau type, ont d’é-tranges caractéristiques organisationnelleset de modèle économique :

1. elles jouent pleinement le jeu de la fairvalue, dans la mesure où elles n’ont decesse de démontrer, voire d’exhiber, la sépa-rabilité de leurs actifs : lancement etrenouvellement perpétuel de leurs bou-quets de services, branding de leur moindrepoche de valeur ajoutée, réponse immédiateà toute modification des comportements deconsommation ;

2. la séparabilité de leurs activités est telleque les critères essentiels de valorisation deleur modèle économique sont en quelquesorte complètement externalisés : leur crois-sance n’est aucunement mesurée à l’aunede leur productivité organique interne, maisen fonction du potentiel de développementde leurs parts de marché, des variations deleur revenu moyen par consommateur, etpar conséquent, in fine, de leur notoriété ;

3. elles fuient comme un danger mortel toutenclavement dans la sphère du business tobusiness, qui les coupe et de la collectedirecte de la marge, et de la visibilité auprèsde leurs consommateurs, qui seule fondeleur notoriété ;

4. elles ne vendent pas des produits substi-tuables et standardisés, mais plutôt desforfaits, des abonnements, le long termed’une relation qu’elle se font fort de remplirde « contenus » ;

5. la question de leur légitimité leur sembleinfiniment plus importante que celle de leur

s’opérer. La maîtrise du maniement du refletest dès lors repassée des mains des entre-preneurs vers les investisseurs.

Devenir proprement in-comparable, sortirdu cadre du la comparabilité par le haut,c’est engranger une valeur perçue incom-mensurable, apparaître comme dépositaired’un possible irréductible à toute actualisa-tion : une entreprise comme General Electrica réussi a conquérir le droit d’aller dansn’importe quel métier, n’importe quel sec-teur d’activité. Ce qui fait sa supériorité, cequi fonde sa sur-valeur, ce n’est pas lasomme de ses différentes activités actuelles,c’est la qualité perçue de son management,son système interne de performance.Autant, lorsqu’ils regardent une entreprised’un point de vie analytique, les analystesfinanciers et plus encore les comptablesdénient toute fair value au « capital humain »en raison de son absence de séparabilité parrapport aux actifs de l’entreprise ; autant,lorsque les mêmes considèrent les critèresde légitimité d’une entreprise commeGeneral Electric à se développer dans unenouvelle industrie, c’est bien sa culture propre, irréductible à ses fondamentauxéconomiques, qui demeure le seul fonde-ment d’une extension de son possible.

Ce qui se joue, par cette course non plus austatut de sage « pure player », mais bien auleadership et à la captation d’une sur-valeur,c’est une remise en cause des analyses « benchmarkées » de comparaisons secto-rielles faisant payer au prix fort touteinnovation perçue comme divergente – etsupportant ainsi immédiatement un « bêtasectoriel », une prime de risque, particulière-ment élevée. Par où, en définitive, lesentreprises risquent bien de tenter de pren-dre le marché, qui n’est finalement que lerègne des moyennes, non celui de l’entre-preneuriat, à sa propre contradiction :lorsque les opérateurs de téléphonie mobileseront devenus propriétaires des chaînes detélévision, des radios, voire de la presse,quels référents le marché le marché inven-tera-t-il pour les comparer – et à quoi ?Lorsque les acteurs de la grande distribution

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profitabilité dans un métier donné : unmétier déficient peut être discrètementsous-traité, voire abandonné à terme, dèsleur que leur droit à la parole, leur visibilité,leur statut d’annonceur, comme disent lesmarketeurs, sont sauvegardés ;

6. ce qui fonde cette légitimité n’est aucune-ment un savoir-faire propre, historique,patrimonial, mais bien plutôt une évolutionde société, de comportement de consom-mation, qu’elle se font fort de s’approprieren apparaissant comme son intégrateurultime – quitte à inventer ex post un mythede l’origine scellé dans une marque dont lapublicité saura, à rebours, mettre à jour lerécit propre, afin d’inverser l’ordre de lacause et de la conséquence : mettre enscène le caractère révélateur de la marque,sa puissance de cristallisation de signifiantssociaux épars, lui permet de s’instituer enmatrice de sens et de significations – et defonder sa légitimité sous la forme d’uneantériorité sémiologique ;

7. elles n’ont de cesse, par conséquent, dedénier la pertinence des marchés financiers(et des consommateurs) à les enfermer dansun secteur, une industrie donnée.

Une idée reçue serait de penser que cesentreprises ne sont finalement que desmodèles de services à haute technologie. Siles caractéristiques ci-dessus décrivent bien,sans doute, le combat titanesque à venirentre Microsoft et Google (qui sera l’intégra-teur ultime de la convergence et des accès àinternet : les standards et le « langage com-mun universel » des logiciels de Microsoft oul’extraction des hypersingularités de recher-che permises par Google ?), il est tout aussilisible que la prime à l’intégrateur se joueégalement actuellement dans l’énergie euro-péenne (EDF, Eon ?), les transports aériens(jeu des alliances et des hubs), la grande dis-tribution… Un biais de lecture consisterait àne pas voir que les positionnements et lestactiques de captation de parts de marchééchappent absolument aux logiques secto-rielles et concurrentielles classiques : leleadership d’EDF passe peut-être, par exem-ple, par la transformation de cette entreprise

en acteur majeur de la distribution du trèshaut débit Internet par le réseau électrique –ou dans l’exploitation de ses infrastructuresmais surtout de sa relation de confiancenouée avec ses différents publics à d’autresfins encore. Peut-être le renforcement de lapénétration d’Air France implique-t-il d’enfaire le leader incontestable de toutes lespratiques de fidélisation des consomma-teurs, bien au-delà de la simple rétributionde l’achat des billets d’avion. Les bataillesentre constructeurs automobiles vont peut-être se déporter vers des domaines encorerelativement marginaux dans leurs modèleséconomiques : offres de crédits à la consom-mation, de produits d’assurance, de « solutionsde mobilité » beaucoup plus large que lasimple livraison d’un objet-voiture25…

Ce sont des propositions d’univers entiers,cohérents, jouant de complémentaritéssémiologiques davantage que de synergiesindustrielles endogènes, qui permettent decapter et de légitimer le nouveau Graal corporate : la survaleur comprise commeprime donnée à l’entreprise qui, à force d’in-comparabilité, d’intégration continuée desecteurs d’activités périphériques sous l’om-brelle de sa légitimité singulière, devient infine le point de rencontre incontournablede pans entiers de l’activité humaine – lieude connectique et de distribution de légiti-mité davantage que de production tangible,laissée aux sous-traitants invisibles qui nepeuvent prétendre à aucune prime de visibi-lité et de légitimité.

Désimpliquée de son propre corps, extério-risant pleinement ses critères devalorisation, l’entreprise phénoménologiséeinverse les séquences classiques de produc-tion – ce qui ne signifie pas qu’elle neproduit pas effectivement des biens et desservices. On a tort, de ce point de vue, d’op-poser nouvelle et ancienne économie – ainsid’ailleurs que la facilité de la réappropriationdu maillage des start-ups par les majorsl’illustre suffisamment. Le bouleversementintroduit par la financiarisation traverse l’en-semble des entreprises pour lesquelles laquestion de la valeur n’est plus réductible à

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lisation de cash-flows futurs actée par leclient lui-même – avec par conséquent une prime de risque bien affaiblie.Indépendamment même des contenuseffectivement délivrés, la relation forfaitiséeavec le client, cheval de Troie enclenchant ledépassement de la légitimation par les seulsoutputs, permet d’envisager toutes lesextensions possibles de fonctionnalités nou-velles.

Un outcome est ainsi une réserve de possibles et de latences, qui implique inter-subjectivité et socialisation afin de prendresens et valeur. C’est cet inachèvement fon-damental de l’outcome qui lui permet d’êtreéconomiquement productif après l’acte d’a-chat. La consommation n’en vient pas à boutentièrement : il excède, par les signifiantsculturels, sociaux, mythiques auxquels il serattache, sa propre consomption. Il laissetoujours des traces, qui sont autant de maté-rialisation de sa survaleur économique.Lorsqu’une marque établie lance un nou-veau produit, elle ne fait qu’activer cestraces, et économise d’autant les surcoûtsliés à la création d’une relation de confianceet de désir d’ores et déjà latente. L’entreprisephénoménologisée territorialise ses proprestraces, les agence et les réagence de façon à créer les conditions d’une convergenceentre différentes latences éparses26. Plus ilest tenable d’avoir un éparpillement étendude latences, et plus la légitimité tend à l’in-comparabilité.

Seules les entreprises intégratrices, démon-trant leur capacité à offrir et capter denouveaux usages de consommation, peu-vent se permettre une telle création decontinuité. Plus leur cœur de métier est pré-senté et perçu comme immatériel, commeune pure machine à rêves, plus elles accom-pagnent leurs offres de disruptions27, etplus la prime de risque occasionnelle causéepar ces disruptions est compensée en retourpar une prime d’incomparabilité qui lesrend pleinement maîtres de la dialectique del’offre, de la demande, des besoins et dudésir.

la question du profit. En déconnectantleviers de création de valeur et optimisationdu profit, la financiarisation bien entendu nerenonce pas au profit, puisqu’elle considèrel’actualisation des profits futurs comme larésolution ultime de l’énigme de la valeur –mais c’est d’abord l’obligation de valeur quiest posée, c’est elle qui détermine le tauxd’actualisation et la prime de risque. Demême que le reflet détermine ex post le péri-mètre du cœur de métier, de même larevendication de valeur détermine ex post lechiffrage de l’obligation de profit. On pour-rait dire, en ce sens, que la financiarisationdonne toujours trop de place au futur ; ellesurdétermine le présent d’anticipations etde jeux d’hypothèses qui ne sont pas la sim-ple continuation raisonnée de ce présent. Lafinanciarisation détermine un horizon d’attente et d’anticipation, qui n’est pasréductible à la simple intégration actualiséede la croissance réelle. En d’autres termes, ilest de la nature même des conventionsboursières (on pense bien entendu auxfameux 15 % de Return On Equity) de s’ap-pliquer aveuglément à l’ensemble dessecteurs d’activité, sans aucune attention àleur spécificité et à leurs enjeux d’investisse-ment. Préemptant la totalité de la substancedu futur, organisant et émettant l’intégralitédes droits de propriété sur le futur, la finan-ciarisation rejette ainsi les entreprises ducôté de leur capacité immédiate à s’alignersur ce futur, sans possibilité de passer par lamédiation de l’investissement. Son rende-ment actuel doit être aligné sur sa valeurfuture, valeur qui est elle-même déterminéepar la comparabilité financière. Pour com-bler cet écart, c’est bien la revendicationd’une survaleur que l’entreprise n’aura decesse de justifier : par la mise en scène deson propre possible, incarné dans le refletde sa valeur perçue par ses propres publics.

La plus forte valorisation donnée structu-rellement aux entreprises en capacité d’im-poser une forfaitisation de leur relation auxclients par rapport aux entreprises à produc-tion discrète (un bien ou un serviceclairement délimité) est la conséquence dece schéma. C’est qu’un forfait est une actua-

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Brève conclusion

L’économie de l’immatériel est fondamenta-lement une économie de la régulation et del’agencement des droits d’accès. C’est en cesens que son problème est juridique plusencore qu’économique. Ses caractéristiquessont les suivantes :

1. remise en cause des concepts de non-riva-lité et non-excluabilité des biens publics,qu’il s’agit de savoir capter afin « d’alimenter »la légitimité des marques ;

2. production à grande échelle d’externalités(effets de réseau, audience, notoriété, publi-cisation des activités) sur lesquels l’émissionde droits de propriété est de plus en pluscomplexe (problème de la traçabilité desbiens et de l’émetteur de biens, problèmede la rétribution des créateurs d’externa-lités, problème de l’écrasement de lasingularité des gestes créateurs sous lesmoyennisations produites par les mesuresd’audience, problème, tout simplement, dela reconnaissance de la valeur des idées nonincarnées…) ;

3. exigences de séparabilité comptable,financière, et marketing permettant de faireapparaître la valeur d’échange des actifs, au risque d’une dissolution complète duconcept d’investissement (par systémati-sation des calculs de coût d’opportunitéportant sur la moindre activité) et des cadressociaux lui donnant corps (recherche, pro-ductions de biens à faible traçabilité et àdistribution non maîtrisable) ;

4. déconnexion entre concept de valeur éco-nomique et concept de profit économique,dont l’intensité peut être aiguë (créationd’une « bulle »), moyenne (vague de fusions& acquisitions dans un secteur d’activité) oufaible (règne de la comparabilité sectorielleet stratégies de « recentrages » sur les cœursde métier).

Antoine RebiscoulDirecteur général The Goodwill CompanySaatchi & Saatchi – Groupe Publiciswww.thegoodwillco.com

1. André Orléan, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob,1999.2. C’est devenu un truisme que d’analyser, pour le dénon-cer ou pour en tirer toutes les opportunités, ledépassement de la finance par elle-même, sa capacité à seprendre elle-même pour objet : la finance d’entreprisepeut ainsi être comprise comme une méta-comptabilité,une comptabilité qui intègrerait et réaliserait la mesuredes incertitudes et des options, tandis que, dans un jeud’emboîtement abyssal, la finance de marché serait uneméta-finance d’entreprise, dépassée elle-même à son tourpar sa propre fragmentation dans des produits dérivéstoujours plus sophistiqués, formalisant et commerciali-sant les incertitudes irréductibles du marché. Plus ductile,plus intelligente en un sens que l’économie, qui est à lafois sa matrice première et sa meilleure ennemie, elleaurait cette étonnante capacité à transformer les imper-fections de ses propres fondements en nouvelles formesd’expression et de pouvoir. De fait, le meilleur des finan-ciers se fiche comme d’une gigne de l’imperfection ou dela non imperfection conceptuelle des marchés et des ter-mes de l’échange ; son métier, parfois son talent, est deformaliser sa propre prise de risque, afin de la relier àd’autres dynamiques d’action que la sienne, et, ainsi, d’enrelativiser la singularité. 3. Jean Peyrelevade, Le capitalisme total, Seuil, La répu-blique des idées, 2005.4. Etant entendu que « le virtuel possède une pleineréalité, en tant que virtuel » Gilles Deleuze, Différence etRépétition, PUF, 1968.5. Cf. la bonne analyse de Yann Moulier Boutang parexemple : « la globalisation traduit l’application systéma-tique de ce que les micro-économistes appelaient le coûtd’opportunité. A une différence près : la mesure de cecoût d’opportunité était partielle, locale et fortementhétérogène, si bien qu’elle n’avait guère d’intérêt opéra-tionnel. Avec un marché financier à l’échelle mondiale etdes procédures de tâtonnement walrasien qui expliquentle ratio très élevé d’allées et venues des capitaux par rap-port aux investissements directs, la norme de rentabilitéfinancière précède la traditionnelle séquence fordiste »La viabilité d’un capitalisme à la fois porté par la dyna-mique des connaissances et le développement de lafinance, Université de Toulouse I, LEREPS/GRES, 7 juin2005.6. Méthode formalisée et brevetée par le cabinet Stern &Stewart en 1991 et largement utilisée, sous d’autres noms,par les autres acteurs du conseil en stratégie (Mc Kinsey,Boston Consulting Group, Bain, etc.). Si le concept decoût d’opportunité n’est aucunement une nouveauté, etconstitue même une banalité micro-économique, enrevanche, l’efficace propre d’une comparabilité générali-sée, intersectorielle, du coût des capitaux engagés dansles décisions d’investissement est bien un paramètreinédit.7. Sur le passage d’une comptabilité « dynamique » à unecomptabilité « statique », voir Michel Aglietta et AntoineRebérioux, Les dérives du capitalisme financier, AlbinMichel, 2004.8. Yann Moulier Boutang, La viabilité d’un capitalisme àla fois porté par la dynamique des connaissances et le

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rait-il si, par une forme de « révolution copernicienne »,on considérait d’abord les modes de structuration et de valorisation de ce qui semble à première vue sans fondements tangibles, pour ensuite en dériver la compré-hension de l’ordonnancement de ce qui est réputésubstantiel ? 17. Les goodwills et actifs immatériels comptabilisésreprésentent une part pratiquement égale à celle desfonds propres dans les grandes entreprises françaises eteuropéennes. Voir Rentabilité et risque dans le nouveaurégime de croissance, Commissariat général du Plan,2002. Et Nicolas Véron et Bruno Husson, Attention auxgoodwills, Option finance, mars 2004.18. Malgré le sérieux de circonstance qui sied à tels pro-pos, on ne peut pas ne pas relever le comique relatif decette situation et de cette thèse, dont les termes définis-sent un vaste jeu de dupes autour de la question desimmatériels, tantôt compris comme restes transaction-nels par la comptabilité, tantôt lus comme matérialisationdu futur par la finance, tantôt identifiés aux ressorts défi-nitifs de la signification et de la subjectivation par lapublicité et le marketing, pour, en fin de course, révélerles secrets ultimes de l’innovation et de la croissance(économistes orthodoxes), ou la démonstration et d’uneinefficience radicale des marchés, et d’une structurationfondamentale de l’économie par les biens publics (éco-nomistes hétérodoxes). Que tous aient à ce point besoinde ce concept, pour définir les limites de leur proprechamp, pour téléologiser leur propre savoir, est peut-êtrele symptôme d’une mutation profonde, précisément, desmodes de territorialisation des différents champs les unspar rapports aux autres – la question de l’immatériel défi-nissant l’ordonnancement de l’ensemble des savoirspratiques.19. International Financial Reporting Standard, mises enapplication pour l’ensemble des sociétés cotées euro-péennes depuis le 1er janvier 2005.20. René Ricol et Sonia Bonnet-Bernard, « L’applicationdes normes IFRS », Sociétal, n° 50, novembre 2005.21. C’est tout le sens du débat actuellement en cours ausein des professions comptables concernant la mise enapplication de la norme IAS 36 du nouveau référentielinternational. Cette disposition, qui concerne le traite-ment réservé aux dépréciations d’actifs et au choix desparamètres à prendre en compte, permet aussi bien defaire apparaître une valeur d’utilité par actualisation descash-flows futurs de trésorerie que de mettre en évidenceune valeur de marché – voire, pratiquement, de combinerles deux approches. Cette nécessaire pluralité des métho-des de valorisation marque bien l’écart existant entre leconcept de fair value et les situations réelles des condi-tions de l’évaluation, qui disposent (très) rarement d’unmarché « pur et parfait » de référence. Cf. sur ces ques-tions La valeur des actifs du CAC 40 : comment lesgrandes sociétés françaises communiquent-elles surleurs tests de dépréciation ? Alexis Karklins-Marchay et Yann Magnan, Associés, Ernst & Young Valuation,décembre 2005.22. Dominique Plihon, Finance et économie de laconnaissance : des relations équivoques, CEPN-CNRSUMR 7115 Université de Paris 13, Communication auséminaire du Matisse du 29 novembre 2005.

développement de la finance, Université de Toulouse I,LEREPS/GRES, 7 juin 2005.9. Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Le capitalisme esten train de s’autodétruire, La Découverte, 2005, p. 129.10. Les acteurs de cette figure nouvelle de l’entreprisereine correspondent bien, sous l’angle de la sociologiedu travail décrivant ces mutations, au manager « artiste »brillamment analysé par Luc Boltanski et Eve Chiapellodans Le nouvel esprit du capitalisme dès 1999.11. Ce dernier paragraphe reprend pour partie une tri-bune du Monde Economie, 1er mars 2005, « L’associationentre métiers du chiffre et métiers du sens paraît inévita-ble », Félicité Herzog, Philippe Lentschener, et AntoineRebiscoul.12. L’évolution de la téléphonie depuis dix ans, et celle,en cours, du marché de l’énergie, sont particulièrementemblématiques de ce point de vue. 13. Une externalité, pour définir de façon simple ceconcept économique, est la conséquence indirecte d’uneaction ou d’une transaction. Lorsque les abeilles d’un api-culteur butinent et fécondent le verger de son voisin, il ya, par l’action propre des abeilles, qui ne recoupe ni l’in-tention ni les finalités de l’apiculteur, création d’uneexternalité positive. La pollution émise par une usine estune externalité négative. En un sens, l’économie desbiens publics, biens dits non excluables (on peut enexclure personne de leur jouissance) et non rivaux (lajouissance par un agent donné n’en amoindrit pas l’inten-sité pour d’autres) est une économie des externalités. Dèslors qu’une réalité collective n’est pas réductible à destransactions particulières, elle dessine une externalité. 14. Tom Ford quittant Gucci ou l’évaluation des méritesde Daniel Bernard à la tête de Carrefour – de même queles effets comparés des médiatisations de Jean-MarieMessier ou Carlos Goshn deviennent ainsi, dans leurs planètes respectives, des enjeux cruciaux d’analyse finan-cière. 15. Dynamique à laquelle les spécialistes de l’identité de lamarque et de la brand equity, qui théorisent à n’en plusfinir la patrimonialisation des marques autour de la méta-phore de l’ADN et de ses expressions « biologiques », ne comprennent pas grand chose – ou comment le mar-keting réagit plus ou moins consciemment, parsubstantialisation et eugénisation des ses propres objetsd’étude, à l’emprise de la fair value et à la dématérialisa-tion des fondamentaux économiques. D’une façongénérale, plus un marketeur parle de l’authenticité et dela consistance objective de l’expression symbolique de sesproduits, plus il signe sa propre angoisse – il faut les rassu-rer, ce qui allègerait notablement leur néo-scolastique.16. Par phénoménologisation, on entend : toute activitééconomique qui intègre la question de sa perception dansla détermination de sa valeur. C’est le cas lorsqu’unevaleur d’usage ne trouve sa détermination que par savaleur d’échange, actuelle ou virtuelle. Ou encore :lorsque la relation prime sur la substance, lorsque la sub-stance n’est que l’intégration de variations relationnelles,on passe du paradigme des biens tangibles à celui desphénomènes. L’identité et la consistance ne sont plus dèslors que des illusions portées par une réalité plus profonde, celle de l’écart et de la différence. Que se passe-

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23. Voir par exemple : Vers un capitalisme cognitif. Entremutations du travail et territoires, Sous la direction deChristian Azaïs, Antonella Corsani, Patrick Dieuaide,L’Harmattan, novembre 2001.24. La viabilité d’un capitalisme à la fois porté par ladynamique des connaissances et le développement dela finance, Université de Toulouse I, LEREPS/GRES, 7 juin 2005.25. D’ores et déjà, les filiales les plus rentables des grandsconstructeurs sont leurs activités … bancaires.26. Il faudrait (comme souvent avec les questionscontemporaines !) faire ici appel à Gilles Deleuze : « leterritoire n’est pas premier par rapport à la marque quifait le territoire. Les fonctions dans un territoire ne sontpas premières, elles supposent d’abord une expressivitéqui fait territoire. C’est bien en ce sens que le territoire,et les fonctions qui s’y exercent, sont des produits de laterritorialisation. La territorialisation est l’acte du rythmedevenu expressif, ou des composantes de milieux deve-nus qualitatives. Le marquage d’un territoire estdimensionnel, mais ce n’est pas une mesure, c’est unrythme. Il conserve le caractère le plus général durythme, de s’inscrire sur un autre plan que celui desactions ». Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie,Gilles Deleuze et Félix Guattari, 1989, Les Editions deMinuit, p. 388.27. Jean-Marie Dru, Disruption. Briser les conventions etredessiner le marché, Village Mondial, 2003.

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« Petite histoire des batailles du droit d’au-teur », interview dans Powow.net, juin2001,www.freescape.eu/org/biblio/article.php3?id_article=33

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« Les nouvelles clôtures : nouvelles tech-nologies de l’information et de lacommunication ou la révolution rampantedes droits de propriétés », Cepal, Santiagodu Chili, 2002 et UNAM, Mexico, 2004),disponible sur le site www.Pekea.org

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BERTRAND, André, Marques et brevets, dessins et modèles. Appellations d’origine,brevets français, européens, communau-taires et internationaux, biotechnologie,contrefaçon, Paris, Dalloz-Sirey, 2005.

BLONDEAU, Olivier, LATRIVE, Florent,Libres enfants du numérique. Anthologiedu libre, Paris, L’Eclat, 2000.

BOUCHE, Nicolas, Le principe de territo-rialité de la propriété intellectuelle, Paris,L’Harmattan, 2004.

CONSEIL D’ANALYSE ECONOMIQUE,Propriété intellectuelle, Paris, LaDocumentation Française, 2003.

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BENHAMOU, Françoise, GARROUSTE,Pierre, « Cascades, rumeurs, imitation dansla consommation des biens de mode »,Conférence Economie de la Créativité,Turin, 2001.

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Ouvrages sectoriels

BARRERE, Christian, SANTAGATA, Walter, La mode. Une économie de la créativitéet du patrimoine, Paris, La DocumentationFrançaise, 2005.

Bibliographie sélective 39

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COHEN, Denis, Le droit des dessins etmodèles : droit communautaire, droitinternational, et autres droits étrangers,2e édition, Paris, Economica, 2004.

DREYFUS, Nathalie, « Commerce électro-nique et droits des marques », Les Echos,13 avril 2005.

FAUVELIERE, Ingrid, La contrefaçon duluxe : menace pour la France au Japon ?,Paris, L’Harmattan, 2004.

FOUQUET, Claude, « L’industrie de la contre-façon ne connaît pas la crise », Les Echos,22 mars 2005.

JACOMET, Dominique, « Les changementsinduits par l’intégration européenne et lamondialisation sur les stratégies d’influencecollective des entreprises : le cas de l’Uniondes industries textiles », Paris, Institutd’Etudes Politiques, Communication du 24 septembre 2004.

MANZONI, Isabelle, « La filière dialogue àHyères : Le financement des jeunes marqueset la contrefaçon étaient au menu desRencontres », Journal du Textile, 23 mai2005.

MARION, Gilles, Antimanuel de marketing,3e édition, Paris, Editions d’Organisation,2003.

MONIN, Jean-Guillaume, « Le modèle com-munautaire permet de protéger la créationen Europe », Journal du Textile, 4 juillet2005.

MOPIN, Odile, « Contrefaçon : un nouveautexte est sur la table », Journal du Textile,6 juin 2005.

MORRIS Ricky, “Counterfeits : a growingthreat”, Textile View, Spring 2005.

NERI, Alexandra, « Signez des accords denon-contrefaçon », LSA, 24 mars 2005.

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bulences de la mode à l’heure du luxe mar-chand, cet ouvrage s’appuie sur lesdéveloppements récents de l’économie dela culture et de celle des institutions afin deproposer une clé d’analyse où la mode estconçue comme une économie de la créati-vité et du patrimoine. La France a inventé unmodèle original de développement de lacréativité s’appuyant sur un fort patrimoineculturel et institutionnel – le modèle de lamode aristocratique incarné par la Maisonde haute couture. Mais l’heure est au luxemarchand, mondialisé et de masse. C’estalors la confrontation entre ce modèle et lesexigences nouvelles de l’intégration par lesgroupes financiers des industries du luxe quiest mise au cœur des soubresauts contem-porains de la mode.

D.Day. Le design aujourd’huiCatalogue d’exposition, Paris, Editions duCentre Pompidou, 2005

Ce catalogue collectif, qui accompagne l’ex-position « D.Day, le design aujourd’hui »,présentée au Centre Pompidou du 29 juin au15 octobre 2005, fait écho à la richesse deschamps d’investigation du design contem-porain. L’exposition croise aussi bien dessujets comme l’action humanitaire, le déve-loppement durable, l’écoconception, laconsommation, les biotechnologies, ledesign de produits et celui de services, lestechnologies numériques et le graphisme,que des questions qui touchent aux sens, aubien-être et à l’épanouissement personnel.(Extrait de la note de l’éditeur)

Conférences de Bernard Lamarche-Vadel. Labande-son de l’art contemporainBernard Lamarche-Vadel, Paris, IFM/Regard, 2005

Cet ouvrage retranscrit l’essentiel des confé-rences sur l’art moderne et contemporaindonnées par Bernard Lamarche-Vadel àl’Institut Français de la Mode entre 1991 et1999. Au-delà de la compréhension de trajectoires artistiques, Bernard Lamarche-Vadel se saisit surtout des enjeuxphilosophiques et esthétiques de la moder-nité. Cet ouvrage est accompagné d’un CDde l’enregistrement des conférences.

La mode. Une économie de la créativité et du patri-moine à l’heure du marchéChristian Barrere, Walter Santagata, Paris, Documentation Française, Insee,Certu, 2005

En 1946, la mode parisienne comptaitencore 106 maisons de haute couture, ellesne sont plus que 19 en 1967, et aujourd’huimoins de dix. Combien en restera-t-il en2010, alors que Pierre Bergé annonçait, il y avingt ans déjà, que la haute couture ne pas-serait pas le XXe siècle. A ce même tournantdu siècle pourtant, les deux grands groupesfrançais du luxe, PPR et LVMH, se sontaffrontés rudement pour le contrôle deGucci, et de leur côté, les modes italienne etnew-yorkaise cherchent à tailler des crou-pières à la haute couture parisienne dont latradition d’hégémonie est remise en cause.Pour essayer de mieux comprendre les tur-

Publications 41

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Dictionnaire culturel du tissuPatrice Hugues, Régis Debray,Paris, Editions Babylone/Fayard, 2005

Cet abécédaire envisage le tissu dans tousses états : le conscient et l’inconscient, lecourt et le long terme, le fabriqué et le signi-fiant. Il restitue ainsi au tissu sa qualité demedium universel, à la fois tissu-matière,moteur de progrès industriel, tissu-modèlerendant le monde intelligible, tissu-motifporteur de codes et d’identité.

Géométrie du DesignKimberley Elam, Paris, Eyrolles, 2006

Que ce soit dans le contexte d’un environne-ment façonné par l’homme ou dans lanature, l’histoire révèle chez l’être humainune préférence acquise et confirmée pourles proportions établies à partir du nombred’or. En nous faisant pénétrer au cœur de la géométrie – nombre d’or, suite deFibonacci, Divine Proportion, rectangles,ellipses et triangles –, Kimberley Elam lève levoile sur la relation mystérieuse entre lesmathématiques et l’esthétique, dans unelangue simple accessible à tous. Ces systè-mes de proportion étonnants offrent desbases solides à de nombreux artistes et desi-gners. Afin d’illustrer la manière dont l’œilréagit à la composition, Kimberley Elamdécrypte la structure géométrique et l’équi-libre visuel qui sous-tendent diversescréations qui ont marqué l’histoire, des affi-ches de Jules Chéret aux travaux de LeCorbusier, jusqu’à la toute récente Beetle deVolkswagen.

Fashion and textile. An overviewColin Gale, Jasbir Kaur, Oxford, Berg, 2004

Cet ouvrage décrypte les relations étroitesqu’entretiennent les deux secteurs indus-triels que sont la mode et le textile.Soulignant leurs différences culturelles et leurs similitudes, le texte fait état des perspectives d’évolutions professionnelles

et donne des informations sur les rôles et lesemplois clés, des considérations pratiquesconcernant l’économie, le design, l’entre-prise et la vente.

Un design américain. Le streamline de 1930 à nosjoursDavid Hanks, Paris, Flammarion, 2005

200 pièces issues des collections Eric Brill etStewart. Ces objets (trottinettes, machines àécrire, bouilloires…) ont été créés selon lesmodèles de fabrication des voitures, trains etavions : lignes pures, carrosseries élégantes,métal, des années 1920 jusqu’aux années1950. Ce volume, qui servira de catalogue àune exposition itinérante, rend hommage àcette esthétique industrielle.

Fashion-ology. An introduction to Fashion StudiesYuniya Kawamura, Oxford, Berg, 2005

Cet ouvrage propose une approche sociolo-gique de la mode. A l’inverse des rechercheshabituelles sur la mode, il établit une distinc-tion entre le vêtement, protection matérielletangible et la mode, produit culturel symbo-lique. Il traite à la fois du progrès socialinduit par la mode et révèle une nouvelleperspective de la mode comme systèmeinstitutionnalisé.

La mode et ses enjeuxFrédéric Monneyron, Paris, Klincksieck, 2005

L’auteur propose une brève histoire de lamode qui, concept et phénomène socialoccidentaux, ne naît vraiment qu’au XIXe

siècle et qui aboutit aujourd’hui à uneremise en question des différences entre lesclasses et entre les sexes. L’ouvrage fait lebilan des principales interprétations socio-logiques que vêtement et mode ont pususciter.

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Trading up. Why Consumers Want New Luxury Goodsand how Companies Create ThemMichael Silverstein, Neil Fiske, John Butman, Boston Consulting Group, 2005

Cet ouvrage tente de définir le « nouveauluxe », produits et services qui ont un plushaut niveau de qualité, de goût et d’aspira-tion que les produits de la même catégorie,mais qui ne sont pas assez chers pour êtreinaccessibles. Il présente le comportementet les attentes de ces « nouveaux » consom-mateurs face à de nouvelles forces socialeset à des pressions émotionnelles et laréponse des marques à ces attentes.

La consommation et ses sociologiesHeilbrunn, Benoît, Paris, Armand Colin, 2005

A un degré inédit dans l’histoire des socié-tés, la consommation s’est aujourd’huidécouplée de la stricte réponse aux besoinsnaturels ; elle s’offre désormais comme un “territoire” aux frontières sans cesse éten-dues au sein duquel groupes et individusmanipulent sens et valeurs et mobilisent unepart croissante de leurs ressources (entemps, effort et énergie psychique). Laconsommation implique la domination decroyances et de pratiques transmises à tra-vers des systèmes d’échange et d’influenceet fonctionnant via des processus adaptés de construction et de manifestation de l’identité individuelle. Ce livre éclaire cettequestion majeure pour la compréhensionde nos sociétés. Il met en lumière les différentes facettes des pratiques de consom-mation en synthétisant l’apport desapproches sociologiques, anthropologiqueset sémiotiques, et donne à réfléchir en cer-nant avec précision les enjeux liés àl’extension de la consommation à l’ensem-ble de la vie sociale.

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Publication semestrielle en versions française et anglaise : Mode de recherche (IFM Research Report)Offrir un instrument d’information sur la recherche dans les domaines de la mode et des industries de la création.Conférer à cet instrument de veille et d’analyse une dimension internationale.

Mode de recherche, n° 1.Février 2004 (L’immatériel)

Mode de recherche, n° 3.Janvier 2005 (Marques et société)

Mode de recherche, n° 2.Juin 2004 (Luxe et patrimoines)

Mode de recherche, n° 4.Juin 2005 (Développement durable et textile)

Mode de recherche, n° 5.Janvier 2006 (La propriété intellectuelle)

Mode de recherche, n° 6.Juin 2006 (Penser la mode)

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Cette publication est disponible sous formeimprimée ou en version électronique. Nous vous proposons de recevoir gratuite-ment Mode de recherche enremplissant ce bulletin à renvoyer au Centrede Recherche de l’IFM ou en vous abonnanten ligne sous la rubrique Reflexion et exper-tise de notre site Internet : www.ifm-paris.org

Prochain numéro : juin 2006

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Mode de recherche,n°5.Janvier 2006, publication semestrielle

33 rue Jean Goujon75008 ParisFrance

T. +33(0)1 56 59 22 22F. +33(0)1 56 59 22 00

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Directeur de la publication : Olivier [email protected]

Ont collaboré à ce numéro : Marie-Pierre Gendarme, Yann MoulierBoutang, Antoine Rebiscoul, Marie Weigel

Réalisation :Dominique Lotti