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Mort ou transfigurations de l'harmonie

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M O R T OU

TRANSFIGURATIONS D E

L ' H A R M O N I E

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B I B L I O T H È Q U E I N T E R N A T I O N A L E D E

Dirigée par GISÈLE BRELET

M O R T OU

TRANSFIGURATIONS D E

L ' H A R M O N I E par

EDMOND COSTÈRE

Préface d'Etienne SOURIAU Membre de l'Institut

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

1 0 8 , B O U L E V A R D SAINT-GERMAIN, P A R I S

1 9 6 2

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EDMOND COSTÈRE

MORT ou TRANSFIGURATIONS d e L 'HARMONIE

ERRATA

Prière de bien vouloir lire :

PAGE 11, 2 ligne : avec les deux sons. PAGE 16, note 7 : pp. 145 à 149.

PAGE 22, note 13 : DO pour la gamme diatonique de LA♭ majeur.

PAGE 49, avant l'exemple musical : « muss es sein? » et « es muss sein! ».

PAGE 107, 17 ligne : vient confirmer. PAGE 112, 5 ligne, avant la fin : SOL♯ (au lieu de SI♯). PAGE 130, 1 ligne : de cet e x e m p l e PAGE 133, 5 ligne : reproduites (au lieu de citée). PAGE 212 : [180] HOSSEIN (Robert), Le goût de la

violence 6

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A GISÈLE BRELET, sans qui ce livre n'aurait pas été écrit;

A ETIENNE SOURIAU, de qui je tiens les quelques principes esthé- tiques qui le fondent;

A MAX DEUTSCH, pour m'avoir révélé le vrai visage de Schoen- berg qui fut longtemps son maître;

A ABRAHAM MOLES, qui m'a poussé à préciser l'idée d'une socio- logie des hauteurs;

A ANDRÉ JOLIVET et à OLIVIER MESSIAEN, à qui je dois de mieux connaître l'harmonie modale qu'ils ont magnifiée;

A PIERRE SCHAEFFER, à qui je dois de mieux connaître les magies sonores qu'il a maîtrisées;

A PIERRE BOULEZ, à qui je dois de mieux connaître les techniques sérielles qu'il a parfaites;

...et à mes élèves

dont les questions m'ont acculé toujours plus loin dans mes réponses.

EDMOND COSTERE.

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P R É F A C E

D EPUIS la naissance de la musique, sur laquelle nous ne savons rien (quand l'homme a-t-il commencé à chanter?), et à travers les siècles, jusqu'à nos jours où tout semble désireux de repar- tir à zéro, l'art musical a toujours été écartelé entre deux tendances contraires.

D'un côté, il est de tous les arts celui qui exige le plus d'authen- tique inventivité : il ne vit que de dons inattendus, de mélodies soudain jaillies, inentendues encore, d'accords nouveaux, d'impro- visations inspirées. Car à peine la musique est-elle née et épanouie, qu'elle se dissipe et meurt, et il faut que naisse une musique nou- velle. C'est par cette inlassable nouveauté que la musique peut faire acte de présence perpétuelle. Et, d'un autre côté, c'est le plus conser- vateur de tous les arts. Les incantateurs primitifs cherchaient avant tout à respecter les « justes intonations » du chant magique tradi- tionnel; car de cette exactitude de répétition dépendait, pensait-on, toute sa vertu. Les éphores de Sparte ont condamné Terpandre pour avoir osé ajouter une corde de plus à sa lyre. Vers 1860, au Conser- vatoire (ce mot seul fait programme) on interdisait aux élèves pianistes de jouer par cœur, de peur que cessant un instant d'avoir le texte sous les yeux, ils vinssent à changer la moindre note à l'œuvre des maîtres. Et au début du XX siècle, les bénédictins de Solesmes sont parvenus à restaurer dans toute sa pureté le plain- chant du VII siècle, qui règne à nouveau dans nos églises.

Le résultat, c'est qu'à l'heure présente, musiques du passé et musiques du présent (pour ne pas dire de l'avenir) se juxtaposent d'une manière étrange autour de nous, sous les doigts des musiciens, dans les salles de concert, ou sur les ondes ou par les disques; se disputant, s'arrachant même notre sensibilité mise en lambeaux. Sur

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un plateau de la balance, s'appuie le poids sans cesse accru de la tradition, toujours étonnamment vivace. On nous fait entendre au XX siècle, Vivaldi ou J.-S. Bach, Beethoven ou Weber, Berlioz ou Chopin, avec une fréquence et une assiduité qu'ignoraient leurs contemporains. Sur l'autre plateau, s'entasse une troupe d'innova- tions sans cesse plus nombreuses, plus téméraires, plus revendica- trices, plus blasphématoires par rapport au passé. Debussy paraît maintenant bien sage auprès de Schoenberg, et Schoenberg bien timide par rapport à Boulez. A qui prêterons-nous l'oreille? A qui (problème plus grave) confierons-nous le soin de former l'oreille de nos enfants? Dois-je désespérer musicalement de ma petite-fille, parce qu'avec un goût nettement tonal, elle s'amuse spontanément à faire une seconde partie du genre de la seconde partie de cor, à une ronde enfantine chantée par son frère? Est-elle déjà perdue pour la musique dodécaphonique? Dois-je envier à mes voisins les dons de leur enfant qui, tapant du matin au soir sur des boîtes vides ou sur le plancher, témoigne peut-être ainsi d'un goût précoce pour la musique concrète?

Dans ce désordre, à mes yeux se présente (comme il est dit dans le Songe d'Athalie) un enchanteur qui, la baguette en main, se targue de tout réconcilier, de faire entrer dans un même chœur, se tenant par la main, une sonate de Mozart ou la dernière œuvre de Webern, le Concertino de Strawinsky ou quelque mélopée du folklore bolivien; et de leur faire, tous ensemble, rendre hommage à une même déité, mère d'Inô.

Et c'est qu'il y réussit! Cela ne doit pas nous surprendre, l'en- chanteur étant Edmond Costère, qui déjà dans un précédent livre avait posé les bases du système dont il nous donne à présent le développement complet sous une forme définitive.

Esprit lucide et constructif, il ne condamne rien d'un passé glo- rieux, il prend en charge les innombrables chefs-d'œuvre qui sont fondés sur l' « harmonie de résonance », — celle qu'une fructueuse collaboration de la physique et de l'esthétique a mise au point au cours des XVII et XVIII siècles, et dont on a pu croire un instant que les lois étaient définitives, et les résultats architectoniques indes-

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tructibles. Mais M. Costère s'aperçoit (et c'est une découverte remar- quable) que ces lois ne sont ni générales ni primordiales; qu'en deçà d'elles, et plus en profondeur, dans la musique à l'état naissant, si je puis dire, il est tout un ensemble de phénomènes premiers, véri- table clef des architectoniques classiques et romantiques. Cette clef qu'il nous propose, et qui ouvre toutes les portes, c'est la loi des affinités.

Selon une expression que lui a suggérée Abraham Moles, excel- lent chercheur, le réseau de relations qui résultent de ces affinités est nommé par M. Costère une « sociologie des hauteurs ». Ce qui, s'il me permet de le lui dire, a l'inconvénient de paraître, pour un lecteur hâtif, s'opposer symétriquement à cette « psychologie des profondeurs » dont le temps présent est si féru. Image pour image, j'aimerais mieux référer cela à cette chimie psychologique ou à cette psychologie chimique, qui a fourni à Gœthe le thème des « affinités électives ».

Le peuple des notes, des sons musicaux, apparaît alors comme mû dans ses relations mutuelles par des attractions, des appels, des élans, des mouvements quasi-passionnels, dont les lois un peu gros- sières et roides de l'harmonie classique ou romantique ne font que tracer les principales figures sans expliciter les forces vives dont ces

principales figures ne sont que les résultantes structurales les plus manifestes et les plus aisément cataloguables.

Et c 'est alors qu'arrive la merveille. Si de là on va vers les formes

les plus récentes, vers les formes post-debussystes de la musique, polytonales, atonales, dodécaphoniques, sérielles, on s'aperçoit que si ces architectures sonores sont bien différentes des précédentes, les forces vives qui suscitent ces architectures et les assemblent sont

encore, pour l 'essentiel, ces mêmes affinités dont le dynamisme ani- mait les formes du passé. En d'autres termes, musique du passé, musique du présent (et il faut bien ajouter effectivement musique de l'avenir, si l'auteur voit juste) sont justiciables de cette même

clef universelle. La musique est une. Elle est toujours la Musique, formant démiurgiquement une pluralité de mondes, tous animés pourtant par la même nature vivante, fondamentale.

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N'en disons pas plus ici : pour le détail, ou pour l'organisation du système, le lecteur a l'œuvre entre les mains. Et l'effort qu'il fera pour la bien pénétrer, pour l'assimiler, ne sera pas perdu.

Car il y faut, certes, un effort. Ce que nous avons dit plus haut, au sujet des affinités électives, pourrait faire penser à un aspect simplement sentimental de ces choses. L'enfant Jean-Christophe, dans Romain Rolland, lorsqu'il découvre les sons qu'on peut faire sortir en touchant un clavier, et qui sont comme des esprits tenus captifs dans une caisse, remarque que « quelquefois, les deux esprits sont ennemis; ils s'irritent, ils se frappent, ils se haïssent... Et d'au- tres fois encore, il y a des notes qui s'aiment : les sons s'enlacent, comme on fait avec les bras quand on se baise; ils sont gracieux et doux. Ce sont les bons esprits... ». Mais chez Edmond Costère, les affinités dont il s'agit ne sont pas simplement des consonances ou des dissonances, et leurs relations ne sont pas simplement sentimen- tales. Il s'agit d'affinités scientifiquement conçues comme des quan- tités mesurables, et dont M. Costère dresse des tableaux dont il faut apprendre le juste usage, et dont les applications à l'analyse musicale sont strictes et précises. Louons grandement l'auteur de n'avoir jamais voulu dissimuler les aspects austères de sa recherche, les aspects rigoureux de sa méthode.

Certes les idées d'Edmond Costère, ses principes fondamentaux et certaines de ses analyses musicales seront, je n'en doute pas (et il s'en doute aussi) discutés, contestés même par un certain nombre de musicologues. Ils bousculent trop de positions prises, ils apportent trop de nouveauté, pour pouvoir triompher sans rencontrer de résistance. Mais notons que notre auteur n'est pas isolé dans son effort. Depuis une quinzaine d'années, plusieurs ont cherché dans ce sens, et ont tenté cette unification des systèmes musicaux. Il me paraît bien qu'aucun d'entre eux n'est arrivé à un succès aussi complet, aussi plausible, aussi brillant que celui dont le livre que le lecteur a entre les mains est le bulletin de victoire. Si certains détails

peuvent être controversés, je crois bien que le véritable principe de toute solution valable du problème est trouvé ici, exposé ici. Nul en tout cas ne pourra reprendre le problème, ni tenter de nou-

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veaux efforts, sans avoir d'abord étudié et médité Mort ou Transfi- gurations de l'Harmonie.

Cette unification des systèmes divers, cette mise bout à bout du présent, du passé, de l'avenir, pour les parcourir d'un seul élan; enfin cette possibilité de se pénétrer d'un seul organum harmonique avant d'affronter les musiques les plus diverses, ne sont pas les seuls bienfaits que nous devrons à cet ouvrage. Il nous ouvre aussi des perspectives bien attrayantes sur l'essence même du fait musical en ce qu'il a de plus vivant, de plus « en mouvement ».

Vous connaissez, dans le Journal d'Eugène Delacroix, cette admi- rable relation d'une conversation de Delacroix avec Chopin, au terme de laquelle ces deux grands romantiques tombent d'accord pour dire qu'en matière d'art, que ce soit peinture ou musique, l'essentiel est la logique. Mais quelle logique? Essentiellement cette raison créatrice qui mène l'œuvre de son origine à sa fin, sur un réseau de rapports successifs, par où chaque moment à la fois exige et suscite le suivant, dans un enchaînement inéluctable.

Il semble bien que le livre important dont le lecteur a sans doute hâte de lire les pages — et nous ne retarderons pas plus longtemps son plaisir — nous livre une des clefs les plus intimes de cette logique créatrice.

ETIENNE SOURIAU.

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A V A N T - P R O P O S

Les exemples musicaux qui illustrent le présent ouvrage n'ont pu être établis que grâce à l'aimable autorisation des maisons d'éditions suivantes : COSTALLAT, DELAGRAVE, DURAND, ESCHIG, HEUGEL, LEDUC et SALABERT de Paris, BOOSEY & HAWKES et PETERS de Londres, WILHELM-HANSEN de Copenhague, et UNIVERSAL EDITION de Vienne. Quelles veuillent bien trouver ici l'expression de notre gratitude, en même temps que de nos excuses pour l'imperfection de ces reproductions parfois schéma- tiques, que l 'auteur a tenu à établir lui-même afin de faciliter son exposé, et dont certaines ont été par lui transposées en vue de leur rapprochement au sein d'une même gamme. Il n'est pas douteux que le lecteur attentif aura profit à compléter sa documentation en se reportant chaque fois à l'œuvre citée. Il trouvera dans ce but toutes les indications nécessaires dans le répertoire bibliographique et discographique par noms d'au- teurs qui figure in fine et auquel renvoient les numéros entre crochets inserrés dans le texte. Quant au lecteur pressé, il pourra, sans perdre le fil, se dispenser des passages imprimés en petits caractères qui ont été réservés aux exposés plus particulièrement techniques et aménagés de telle sorte que le reste du texte se suffise.

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I N T R O D U C T I O N

Pourquoi cet ouvrage sur l 'harmonie contemporaine? Pour cette raison très simple qu'en en lisant l 'intitulé certains se

scandaliseront de la mort de l 'harmonie qu'ils croient impensable, alors que d'autres au contraire, t rop assurés de sa mise à néant, lui dénieront une résurrection jugée impossible. Eternelle querelle des anciens et des modernes, dira-t-on! Oui, mais combien tragique en son antinomie : tout l 'avenir de la musique y est en jeu avec le des- tin même de l 'harmonie qui, ne l 'oublions pas, fut en Occident la vraie dispensatrice de son prodigieux essor.

C'est que, depuis Debussy, la musique a subi de telles transforma- tions et en un temps si court, que l'on assiste à ce paradoxe de la coexistence d'un enseignement officiel toujours fidèle à une concep- tion de l 'harmonie plusieurs fois centenaire, de musiques modales atonales et sérielles dont cette harmonie est incapable de rendre compte, de musiques concrètes et électroniques dont les échelles ultrachromatiques sont totalement irréductibles à ses données, et de théories qui en nient jusqu'aux fondements. Comment dès lors audi- teurs et musiciens ne se trouveraient-ils par écartelés devant la musique de leur temps?

Certains, fascinés par les chefs-d'œuvre passés, la refusent en leur nom. Mais ne risquent-ils pas d'être conduits à ne tolérer que celles des musiques d 'aujourd'hui dont l 'harmonie se contente d'en proro- ger les recettes, pareilles à ces pauvretés prétentieuses et vaines du mobilier du château de Compiègne, par quoi l ' impératr ice Eugénie a déparé en croyant s'en inspirer les merveilles de Marie-Antoinette et de Marie-Louise? Qu'ils consentent à découvrir ici, au sein même des musiques aimées qui leur sont familières, non plus des recettes à imiter, mais déjà la genèse des mutations à venir, la démonstration de l'inefficacité d'une interprétation harmonique scolastique, et la pré- figuration des harmonies d'aujourd'hui.

D'autres ont déjà apprécié les pouvoirs des vrais renouvellements de la musique. Mais eux aussi n 'entendent point rompre avec l 'har- monie traditionnelle, en sorte que l 'outrance de certains théoriciens

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qui ont creusé un abîme entre le passé et le présent n'a pu que les braquer contre cette musique vivante qu'ils croient incompatible avec elle. Qu'ils apprennent donc ici l 'imposture de ceux qui ont inconsidérément cassé en deux la musique, les uns en en méconnais- sant délibérément les renouvellements, les autres en en dénaturant les attaches passées, tel l 'apprenti-sorcier éparpillant des secrets qu'il n'avait point percés.

Quant à ceux des tenants de l 'avant-garde musicale qu'avait saisi le vertige de refuser le passé au nom du renouveau, ils connaîtront ici, dans leur objectivité naturelle, les quelques lois non écrites de l 'agencement des hauteurs qui viennent éclaircir et justifier jus- qu'aux règles les moins explicables de l 'harmonie traditionnelle, tandis que ceux qui n'avaient pas désespéré des musiques passées parce qu'ils en pressentaient les liens avec les musiques nouvelles, constateront que ces mêmes lois non écrites de la logique des sons suffisent effectivement à assurer, mais autrement, la continuité de la musique de toujours par-delà les fossés que l 'ignorance ou le fana- tisme avaient abusivement creusés.

Ainsi le lecteur quel qu'il soit trouvera ici les réponses à quelques- unes des questions qu'il avait pu se poser : comment des concepts que l 'harmonie traditionnelle tenait pour essentiels ont-ils pu se défaire? Le diatonisme même élargi n'aboutit-il pas inéluctablement à une impasse? Jusqu'à quel point l 'harmonie a-t-elle été méconnue par les théoriciens d'une part, par les musiques d'autre part? Les musiques modales, atonales, sérielles, concrètes ou électroniques trouvent-elles en elles-mêmes des ressources suffisantes pour pallier sa carence? Leurs commentateurs ont-ils su y découvrir une organisa- tion logique des hauteurs? L'atonalité est-elle une réalité ou une étiquette? N'existe-t-il pas des conditions naturelles d'un agencement strictement objectif des sons successifs ou simultanés? Ces conditions n'engendrent-elles pas des moyens cinétiques d' enchaînements sono- res? Ces moyens n'aboutissent-ils pas à une logique des hauteurs et finalement à une solution du problème de la forme?

Parvenu à ce stade où le feront aboutir les considéi ations les plus rigoureusement déduites de quelques propriétés naturelles des sons, le lecteur aura la surprise de découvrir les applications les plus évi-

dentes de cette logique des hauteurs aussi bien dans les musiques les plus traditionnelles où règnent l 'accord parfait et ses prolongements j diatoniques, que dans les musiques qui en sont le plus éloignées, depuis les musiques dites exotiques jnsqu'aux musiques électromagné- tiques ou en quarts de ton, en passant par les musiques modales con- sidérées au travers d'oeuvres de Debussy, de Scriabine, de Ravel, de

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Bartok, de Stravinsky, de Jolivet, de Messiaen, etc., par les musiques de la période dite «a tona le» , et par les musiques sérielles considé- rées au travers d'oeuvres de Schoenberg, d'Alban Berg, de Webern, de Boulez, de Stockhausen, etc.

Puisse-t-il prendre alors mieux conscience tout à la fois de l 'unité et de l'infinie variété de la musique de toujours, pour peu qu'on place l 'agencement de ses hauteurs sous l 'obédience la plus objective : celle de leurs affinités naturelles qui suffisent à en différencier les innombrables aspects.

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L A C I T A D E L L E

CONNAISSANCE DE L'HARMONIE

Celui qui s'initie à la musique est sensible avant tout à ses élé- ments les plus ostensibles : intensité, mélodie, rythme, timbre. Il discerne volontiers dans sa forme et dans son sens la figure fatidique qui anime la 5 Symphonie de Beethoven, ou l 'arabesque d'un thème wagnérien. La scansion rythmique et les transfigurations instrumen- tales du Boléro de Ravel lui sont familières. Mais il se croit t rop souvent imperméable à l 'harmonie dont il n'ose aborder le domaine réservé, ou même qu'il feint d'ignorer.

Et pourtant il y est sensible : arrêtez une œuvre sur l 'accord de dominante de sa cadence finale et il en exigera la fin, la sachant inachevée; il sait percevoir dans sa plénitude l 'ambiance d'un milieu sonore, et en savourer les inflexions expressives dans celles de ses altérations qui lui sont perceptibles.

Lorsque dans la Sonate pour piano en DO majeur de Mozart N° 545 de Köchel [103], réapparaî t le thème en SOL majeur de l 'andante, il se délecte de cette pureté retrouvée, que souligne à la fois la brus- que transformation majeure du même ton mineur et le brusque con- traste de cette simplicité tonale avec la complexité de l 'épisode modulant qui précède. Et que l'on ne s'avise pas d 'arrêter le pas- sage sur le premier temps de la quatrième mesure citée comme si l 'œuvre se terminait ainsi; il n'y consentirait point.

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De même lorsque le Rondeau en LA mineur de Mozart N° 511 de Köchel [103], après deux mesures terminées sur l 'accord de septième de dominante du ton de FA majeur, module brusquement dans un ton inattendu, en RÉ♭ et sur une figuration sans mélodie véritable qui n 'apparaî t qu'ici, il ressent quelque chose qui va bien au-delà de ce simple effet de surprise : l 'immobilité soudaine du milieu sonore imprévu où la musique vient se complaire lui semble un monde nou- veau dont il lui serait donné d'entrevoir le mystère.

Dans un autre ordre d'idée, voici à l'occasion d'un film récent [180] une démonstration plus accessible encore de ces pouvoirs secrets : une mélopée mélancolique, toujours la même, s'y répète de bout en bout comme un leitmotiv dans les silences de la projec- tion, sous la forme cadentielle habituelle d'une figure musicale ins- table se résolvant sur la figure stable où elle conclut. Or dans les épisodes muets les plus pathétiques, le public ne semble pas parti- ciper à la tension psychologique que l'image crée pourtant intensé- ment. C'est qu'au lieu de s'associer au suspens en suspendant elle-même sa propre fin, la mélodie persiste à renouveler son dérou- lement harmonique imperturbablement chaque fois jusqu'à sa conclu- sion où elle se stabilise avant de recommencer. Chaque fois cette chute de tension musicale vient immanquablement briser la partici- pation la plus fervente du spectateur à la tension de l'action.

Et ce n'est pas méconnaître ces moyens que d'en ignorer la technique! Le lecteur ne distinguerait-il pas le ton de SOL majeur du ton de SOL mineur, un passage modulant d'un passage tonalement uni, où les deux termes d'une cadence parfaite, où l'arrivée d'une modulation, il n'importe. Il suffit qu'il ressente, si confusément que ce soit, le potentiel expressif de ces quelques exemples pour qu'il prenne conscience d'autres sources de délectation musicale que celles qui lui sont le plus familières, et qui sont peut-être plus particuliè- rement savoureuses d'être moins évidentes.

Ni l 'intensité, ni le rythme, ni la mélodie, ni le timbre n'y sont

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entrés en ligne de compte, mais seulement l 'harmonie, telle qu'elle déroule secrètement ses prestigieux pouvoirs, nous le verrons, tout au long des musiques de tous les temps, et à l 'insu parfois de ceux qui les élaborent.

Quant à l ' interprétation traditionnelle de cette harmonie, elle pro- cède par élimination, en tant que «notes é t rangères», de notes con- sidérées comme secondaires soit parce qu'elles ne font qu 'énumérer un fragment de la gamme entre des notes principales, soit parce qu'elles précèdent immédiatement celles-ci d'un ton ou d'un demi- ton et semblent se fondre en elles. L 'harmonie des notes principales dites « réelles », se résoud alors en une succession d 'accords simples n'excédant pas la superposition de quatre tierces. Ce sont ces accords figurés ici sous le texte de Mozart, dont les traités réglementent les enchaînements. Notamment, toute agrégation autre qu'un accord parfait est considérée comme dissonante, et résolue à ce ti tre dans certaines conditions, et plus part iculièrement sur l 'accord parfai t de tonique.

C'est ainsi que les trois accords FA♯ LA DO MI♭, LA DO MI♭, RÉ FA♯ LA DO du premier exemple se résolvent tous l'un après l'autre sur l'accord de tonique SOL SI♭ RÉ. De même dans le second exemple, l'accord LA♭ DO MI♭ SOL♭ de la troisième mesure se résout sur son accord de tonique RÉ♭ FA LA♭, l'accord LA DO MI♭ SOL♭ de la quatrième mesure sur son accord de tonique SI♭ RÉ♭ FA, l'accord SI RÉ FA LA♭ de la cinquième m e s u r e s u r l ' a c c o r d d e t o n i q u e D O M I S O L . P a r c o n t r e l ' a c c o r d D O M I

SOL SI♭ de la seconde mesure ne se résout pas sur son accord de tonique FA LA DO, mais sur l'accord parfait de RÉ♭ majeur dont la tonalité est considérée comme particulièrement éloignée de celle de FA.

Tel est le schéma des normes classiques. On comprend dès lors leur incapacité à régler les problèmes que pose toute agrégation plus complexe que celles-ci, toute musique sans accords parfaits, et finalement au seuil de l'ère électro-acoustique, toute autre échelle que celle par douze demi-tons tempérés.

Devant cette impuissance de l 'harmonie traditionnelle à rendre compte des musiques nouvelles d'obédience modales, atonales ou sérielles, et des musiques ultrachromatiques par quarts de ton ou de technique électromagnétique, les témoins de son effondrement s'inter- rogent.

Pourquoi rien n'est-il venu en remplacer les disciplines? Etaient- elles donc inséparables de normes abolies où elle s'est anéantie? Ou a-t-on seulement perdu le fil d'Ariane qui en ferait retrouver les détours?

A ces questions nul encore n'a expressément repondu. Mais un

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EDMOND COSTÈRE L O I S E T S T Y L E S

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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