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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d’Études Politiques de Lyon Musique classique : d’une classe à l’autre Delphine Berçot Communication Culture et Institution, Réseaux de coopération culturelle Sous la direction de : Monsieur Mahfoud Galloul Jeudi 2 Septembre 2010 Jury : Mahfoud Galloul

Musique classique : d’une classe à l’autredoc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/... · 2013. 6. 18. · 2 Jacques Siron, Dictionnaire des mots de la musique,

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  • UNIVERSITÉ LYON 2Institut d’Études Politiques de Lyon

    Musique classique : d’une classe à l’autre

    Delphine BerçotCommunication Culture et Institution, Réseaux de coopération culturelle

    Sous la direction de : Monsieur Mahfoud GalloulJeudi 2 Septembre 2010

    Jury : Mahfoud Galloul

  • Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie 1 : La musique classique, une question de classe ? . . 12

    Chaptire1 : Le public de la musique classique . . 121.1. Une vision qualitative du public de la musique classique. . . 121.2. Une vision quantitative : le public français de la musique classique. . . 15

    Chapitre 2 : La société à l’étude : classes et pratiques culturelles. . . 212.1. Pratiques culturelles et styles de vie : le modèle de la distinction. . . 222.2. La légitimité culturelle en question : évolution d’une société stratifiée ? . . 27

    Chapitre 3 : la musique classique en question. . . 353.1. Définition de la musique classique : barrière symbolique ? . . 363.2. La relation à l’art : des émotions complexifiées. . . 38

    Partie 2 : D’une classe vers l’universalité ? . . 41Chapitre 4 : Une prise en compte de la société : du coup de foudre à la réalité. . . 42

    4.1. De la démocratisation à la démocratie culturelle : nouveaux enjeux, nouvellessolutions. . . 434.2. Le goût pour la musique : de l’utilité marginale croissante. . . 45

    Chapitre 5 : Les projets éducatifs ou comment s’adresser à l’universel. Le projet Take aBow ! en lumière. . . 47

    5.1. Le projet take a bow ! : « une hiérarchie de la société musicale 108

    ». . . 485.2. La structuration du projet : de la difficulté au succès. . . 495.3. Ouvrir une fenêtre, la saisir ? . . 525.4. De la domination ? . . 55

    Partie 3 : L’action culturelle : mouvement perpétuel. . . 61Chapitre 6 : Pour une notion de Service Public. . . 61

    6.1. L’exigence démocratique : l’ouverture culturelle. . . 626.2. L’importance des initiatives : du développement personnel à une dynamiquegénérale, la musique classique support d’épanouissement. . . 63

    Chapitre 7 : Innovation ou démarcation ? . . 677.1. Une perpétuelle remise en question ? . . 677.2. Le mouvement perpétuel facteur de remise en question ? . . 69

    Conclusion . . 70Annexes . . 73

    Annexe 1 : Questionnaires . . 73Annexe 2 : Entretiens . . 73Annexe 3 : Le projet Take a Bow : dossier de presse. . . 73Annexe 4 : Articles de presse. . . 74

    Article Classica . . 74Article Le Figaro . . 74

    Bibliographie . . 75Ouvrages généraux . . 75

  • La politique culturelle . . 75Sociologie et classes sociales . . 75Sociologie et pratiques culturelles . . 75Culture et démocratie . . 76

    Ouvrages spécifiques : La musique en question . . 76La musique . . 76La question des goûts musicaux . . 76Musique et sociologie . . 77Musique et société . . 77Musique et anthropologie . . 78Le projet Take a Bow ! . . 78

  • Remerciements

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    Remerciements« La culture n’est qu’un point brillant piqué sur une vie grise, si elle n’est pas une pratique régulièrequi transforme la vie de chaque jour, elle n’est qu’un faux semblant »

    Jacques Rigaud

    Je tiens à remercier toute l’équipe pédagogique de Take a Bow !, notamment Julie David,responsable des concerts pédagogiques à la Cité de la musique, Benoit Faucher, professeur demusique au collège Anatole France de Sarcelles, ainsi que Craig Thorne, responsable des projetspédagogiques au London Symphony Orchestra.

    Je tiens également à remercier Chahinez Razgallah, responsable des concerts pédagogiquesà l’Orchestre de Paris, pour les réponses qu’elle a pu m’apporter au cour de l’entretien qu’elle apu m’accorder.

    Je voudrais également adresser ma gratitude aux personnes ayant répondu au questionnaire,pour l’aide qu’ils m’ont apportée en confiant leur ressenti quant à la musique classique.

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    Introduction

    « Il n’y a que deux sortes de musique, la mauvaise et la bonne1 ». Si la musique estuniverselle, présente dans toutes les cultures2 elle est, comme tout art, divisée en deuxcatégories, le savant et le populaire. Ces deux grands genres qui composent la musique sedéfinissent par opposition l’un à l’autre. Ainsi, la musique savante est « raffinée, recherchéeet érudite ; en opposition à la musique populaire » qui elle « provient des couchespopulaires ». Implicitement, on pourrait en déduire que la musique populaire n’est pasraffinée et que la musique savante provient des couches nobles de la société. La musiqueclassique que jacques Siron définit en tant que musique savante occidentale s’oppose à latradition populaire3. Au sens strict du terme, la musique classique proviendrait donc de laclasse supérieure, et de plus serait raffinée et érudite. Ajoutant à cela la définition du Robertde ce qui est savant, « ce qui mérite d’être imité », la musique classique, par opposition àla musique populaire mériterait d’être imitée. Si l’on définit la musique classique en tant quemusique savante par opposition à la musique populaire, alors seule la musique classiquemérite d’être imitée. Lorsqu’on imite, on tente de reproduire, de prendre pour modèle. Lamusique classique en tant que savoir et pratique raffinée serait un modèle pour les classespopulaires ?

    La musique, est le témoin du monde passé et de ce qu’il est ; elle est aujourd’hui lamarque de ce qu’est le monde. Il semble donc moins étonnant que tant de débats se soientconstruits autour de la musique, de son utilité, de sa place dans la société, de l’importanceà lui accorder dans les politiques culturelles menées tant au niveau local que national. C’estcela qui nous conduit également au questionnement sur les relations que chacun entretienavec la musique. Aussi, si la musique est le témoin de notre société4, il est d’autant plusaisé de constater et de comprendre que chaque type de musique reflète une particularitésociale imprégnée par l’opposition entre musique savante et musique populaire.

    Il est vrai qu’on oppose aisément la musique métal ou rock par exemple à la musiqueclassique ; l’une appartenant à ce qu’on qualifie de musique populaire et l’autre à lamusique savante. Aussi, la différence de définition nous conduit à une divergence dans laconstatation du public face à ces deux types de musique. On retrouvera de façon générale,dans le public de la musique métal ou rock, une population plus modeste que dans lespublics de la musique classique. Mais, si la musique « est la seule chose qui puisseêtre universelle, elle peut être comprise par tous en même temps et indépendammentde la langue de chacun »5. Alors en quoi consiste la séparation en deux genres biendistincts s’opposant l’un à l’autre ? Si la musique est universelle, alors il ne peut y avoirde cloisonnement entre les différents styles de musique. En effet, si on définit la musique

    1 Duke Ellington2 Jacques Siron, Dictionnaire des mots de la musique, édition outre mesure, Paris, 2002.3 Jacques Siron, Dictionnaire des mots de la musique, édition outre mesure, Paris, 2002.

    4 Une anthropologie de la musique classique occidentale. La culture comme « autre », Bruno Nettl, édition de l’EHESS,L’Homme 2004/3-4-n°171-172, ISBN 2-7132-1832-2.

    5 Kristian Järvi, chef d’orchestre, propos recueillis lors du concert qu’il a dirigé à la pyramide du Louvres avec l’Orchestre deParis, le 21 juin 2010.

  • Introduction

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    populaire comme « provenant des couches populaires », et cela en ajoutant à la définition« en opposition à la musique savante », alors on admet que la musique savante, et plusparticulièrement la musique classique ne provient pas des couches populaires, donc descouches aisées de la population. Il en découle une première constatation : la musiquepopulaire provient des couches populaires, et la musique classique est alors introduite parles couches donc non populaires, donc supérieures. A la différence du langage, comme lamusique n’a pas besoin de traduction, qu’importe l’origine et la provenance des individusamenés à la jouer, elle pourra être entendue par tous.

    Nous avons élaboré un questionnaire visant à recueillir l’opinion des différentespersonnes sur la musique classique. Les opinions, provenant de personnes de toute origineet classe confondues, à propos de la musique classique laissent principalement entendreque, même si l’on admet qu’elle est la « base de toutes les musiques » (cf. « ce quimérite d’être imité »), rares sont les sondés qui répondent en connaisseurs ; il s’agiraitd’une affirmation communément admise : la musique classique fait partie intégrante denotre patrimoine. Toutefois, s’il est admis que cette musique, est à part des autres stylesconnus, elle ne semble pas pour autant faire partie du quotidien des personnes interrogées.Au demeurant, toutes répondent positivement à la question « connaissez vous la musiqueclassique ?» mais celle-ci reste seulement emblématique. La référence au passé estsouvent abordée, ainsi que la référence à un public particulier. Pour certains, « c’est lamusique qu’on écoute à Versailles 6» et qui « reste élitiste7 ». Une des personnes interrogéerépond qu’il y a « une différence d’associer la musique classique à des compositeurs et lamusique moderne aux interprètes. »8 ; Ainsi, si « la littérature a ses chefs d’œuvres hugolienla musique ses monuments classiques »9, alors on est bien dans l’idée reçue que la musiquereste emblématique. De même, une autre personne nous dit que « le classique c’est connu,mais pour une grande majorité, on ne se l’approprie pas 10», ce qui tend à souligner uncertain écart entre la musique classique en tant « ce qui mérite d’être imité » et la réalité.La référence à la complexité de ce genre musical « il y a des règles11 » revient souventaussi dans les réponses obtenues. Elles, soulignent la relation que nous entretenons avecce genre musical et pour beaucoup elle semble compliquée, virtuose, inabordable, en bref« on ne se l’approprie pas ». En quelque sorte, ces réponses illustrent tout à fait le sentimentde complexité tel que nous l’avons préalablement exposé. En revanche et malgré cetteidée d’élitisme, on constate et d’une façon générale, que les orchestres12, font salle comble,et ne peuvent satisfaire la totalité des demandes. Par exemple, la salle Pleyel, où résidel’Orchestre de Paris et l’Orchestre Philarmonique de Radio France affiche des taux defréquentation qui oscillent entre 90% et 95% depuis 200613.

    Si le capital culturel au sens où Bourdieu l’entend n’est pas le seul déterminant de laplace des individus dans la hiérarchie sociale, il est cependant un déterminant important. On

    6 Questionnaire Hervé, annexe p1687 Questionnaire, Manuel, annexe p1238 Questionnaire, Jean-Gabriel, annexe p1409 Questionnaire, Mathieu, Annexes, p17010 Questionnaire Nathalie, annexe p14811 Questionnaire Sibylle, annexe p15212 La musique classique et les projets culturels, conférence publique donnée le jeudi 20 avril 2000, lors du cycle de conférence

    « les jeudis de la Sorbonne » consacrés aux thèmes « arts et projets culturels » ; retranscrite par Julia Longavesne et Faustine Urbain.13 Site internet de la cité de la musique, la salle Pleyel, une extension du projet artistique de la cité de la musique.

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    le constate d’ailleurs, d’après l’étude mené par le Ministère de la Culture sur les pratiquesculturelles14, que seulement 24% de la population a déjà assisté un concert classiqueau moins une fois dans sa vie15, et, si peu de gens vont aux concerts classiques, lapopulation reste socialement stigmatisée. Si les salles sont pleines, alors elles rassemblentune minorité de la population.

    Peut-on vraiment se demander pourquoi et comment la musique classique est réservéeà une certaine catégorie sociale ? Cette musique exige t-elle une attention particulière d’unecomplexité plus importante et pourquoi malgré sa complexité ne devrait-elle pas satisfaireun plus large public ? Est-ce une vision fataliste de la société de considérer que ce qui neva pas de soi n’est pas accessible de fait ?

    Sans apprentissage, l’art ne nous est pas familier et peut par conséquent paraîtrecompliqué, donc inaccessible. L’école n’ayant pas à son programme l’apprentissage de lamusique classique, la familiarité à cette pratique reste déterminée par le bagage culturelauquel chaque individu a accès via son cercle de socialisation primaire, ce que Bourdieuqualifie lui, de capital culturel. L’école tend à fournir un ensemble de savoirs, qui constitueraitun bagage culturel, car l’objectif premier de cette institution aux volontés égalitaristes etuniverselles était de pouvoir donner un accès au savoir, et cela indépendamment du capitaléconomique et social16 de chacun. L’éducation gratuite avait donc pour objectif de nivelerles inégalités. Si le rôle de l’école a pu être critiqué, il aura eu un effet de massification del’enseignement, qui permet un accès à l’instruction. L’école a pour mission de démocratiserle savoir sachant que celui ci n’est pas possible sans transmission. Qui connaitrait VictorHugo sans l’intervention de l’école ?

    La musique classique, elle, à l’inverse de la littérature ne bénéficie pas de structureoù, l’accès y est obligatoire et, donc où l’approche de sa pratique y devient familière pourbeaucoup d’enfants et d’adolescents. Le seul moyen donc d’être touché par la musiqueclassique, est que, le cercle de socialisation primaire, c’est à dire la famille et l’entourageproche y ait eu aussi accès.

    Le principe même de démocratie qui a modelé notre mode de vie, ne peut tolérerque l’accès à la culture soit soumis aux conditions sociales et économiques, créatricesd’inégalités, et donc privatrice de liberté. La question des inégalités se pose notamment etsurtout en matière de culture qui, pour Jacques Rigaud est par essence un domaine oùrègne les inégalités. Le rôle de l’État en tant que régulateur des inégalités a pu prouverl’importance de son influence et sa portée par le biais des politiques qu’il a mis en place, maisavant tout par la préoccupation qu’il a su mettre en exergue dans l’agenda des politiquespubliques.

    La création du Ministère de la culture en 1958, bien qu’il ne soit qu’un fait circonstanciel,marque le début des préoccupations qui n’allaient que s’accentuer en matière de culture.André Malraux, figure emblématique du Ministère de la culture entame un processus dedémocratisation de la culture, politique qui restera marquée par la volonté de « rendreaccessible à tous les grandes œuvres de l’humanité 17». Il convient de questionnerl’utilisation du terme d’œuvre de l’humanité, dans la mesure où cela fait référence à uneculture spécifique. De même, on peut interroger cette affirmation, que sont les grandes

    14 Art lyrique, musique et danse, Chiffres clés 2010, statistiques de la culture, Ministère de la culture.15 Art lyrique, musique et danse, Chiffres clés 2010, statistiques de la culture, Ministère de la culture.16 Pierre Bourdieu, La distinction17 Discours, André Malraux prononcé à l’occasion de l’inauguration de la maison de la culture à Amiens, le 19 mars 1969.

  • Introduction

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    œuvres de l’humanité ? Quels critères permettent de définir une pratique ou une œuvrecomme grande œuvre au sens où Malraux l’entend. Il semble que cette expression faceréférence à ce que Bourdieu désigne comme la culture légitime, la culture que la classedominante érige en tant que bonne culture. Dans ce cas, il y a une bonne culture et unemauvaise, et cette bonne culture serait universelle, donc accessible à tous. Cela ne peutque créer des barrières entre les détenteurs de cette bonne culture, ceux qui l’établissent etles autres. Ainsi, la volonté de rendre accessible à tous les grandes œuvres de l’humaniténe considère pas les barrières que peuvent constituer les différences de codes sociaux,entre ce qu’on qualifie de bonne culture et ceux qui n’y auraient pas accès de fait.

    En considérant que l’accès aux grandes œuvres de l’humanité n’est qu’une conditionde prix, alors une baisse du prix des places de concerts classiques serait une solution pourdiversifier les publics de la musique classique. Il semble pourtant que cette politique n’aitpas atteint les buts qu’elle s’était fixée. La culture n’est donc pas universelle puisqu’elleest codifiée. Cela va de soi, tout langage nécessite un apprentissage. La culture n’est pasun mode de communication universel, elle nécessite elle aussi un apprentissage, ce quel’expression de Malraux semble éluder.

    L’expression que Brecht utilise en regard à la démocratisation de la culture sembleplus imagée quant à la difficulté que cela comporte. Pour lui, il faut « élargir le cercle desconnaisseurs ».

    Ainsi, la création du Ministère des affaires culturelles marque pour beaucoup lecommencement d’un grand chantier culturel. Pourtant, il convient de remarquer que cen’est pas exclusivement sou la Vème République que ces préoccupations sont nées.Comme aime à le rappeler Jacques Rigaud, la création du Ministère chargé des affairesculturelles est une pure affaire de circonstances, et n’a pas été le commencement de tousles questionnements en matière de politiques culturelles. Cependant, si les préoccupationsautour de la culture ne sont pas récentes et encore moins liées à la création d’un ministère,les politiques en matière de musique se sont avérées elles, inexistantes, ce que Malraux,devant le désert musical français a invoqué, « on ne m’a pas attendu pour ne rien faire enmatière de musique ». Ce n’est qu’en 1966 qu’on décide de mettre fin à ce désert musicalqui caractérisait alors la France. La nomination de Marcel Landowsky et l’élaboration duplan décennal pour la musique voit naitre des orchestres nationaux dans les différentesvilles de France, ce qui jusque là, avec les Opéras faisait cruellement défaut. Tout d’abord,l’orchestre de Paris prend la suite de l’orchestre de la société des conservatoires, puisl’Orchestre National de Lyon, l’Orchestre de Lille et des Pays de la Loire sont créés. LaFrance retrouve des couleurs musicales à partir de la mise en place de ce plan et de lanomination d’un chargé aux affaires musicales. Les politiques de grands travaux de FrançoisMiterrand verront la création de l’Opéra Bastille, puis de la Cité de la musique, temple dela démocratisation de la musique classique. C’est avec l’arrivée de Maurice Fleuret que lapolitique d’ouverture de la musique savante s’établit. Si elle avait été délaissée, la musiqueretrouve peu à peu une fonction importante et dispose de préoccupations renouvelées ausein des politiques culturelles. Mais, cette période, qui invoque un décloisonnement desdifférentes cultures et qui prône l’égalité de tous les genres musicaux voit les politiques enfaveur de l’élargissement s’éparpiller sur de vastes styles musicaux. Si on reconnaît la valeurde la musique que l’on qualifie de populaire, on attribue toutefois à la musique classiqueune valeur universelle. En effet, cette même période marque l’avènement du soutien auxamateurs et aux différentes activités pédagogiques en faveur de l’élargissement du publicde la musique classique et de l’éducation musicale. Cette politique, dont l’emblème resterala fête de la musique marque le lien naissant qui se noue entre la société, la musique

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    classique et les enjeux d’accessibilité qui sont désormais posés. La musique classique est,à partir de la mise en place du plan décennal pour la musique, prise en compte dans lespréoccupations de démocratisation.

    Actuellement, près de 40% des crédits alloués au spectacle vivant sont consacrésà la musique, soit 300 millions d’euros. Comment, ayant pris en compte l’importancedes efforts consentis à « l’élargissement du cercle des connaisseurs », de la constitutiond’infrastructures près à accueillir, à moindre frais un public qu’il soit à Paris, à Lilleou à Bordeaux, peut-on encore aujourd’hui constater que, la musique classique resteune pratique élitiste ? Pourquoi, constate t-on toujours que lorsqu’il s’agit de musiqueclassique, de musique donc savante, on y associe des codes, de la perfection et uneclasse supérieure ? La musique classique semble donc résistée par sa constitution mêmeà l’élargissement du public.

    Peut-on considérer, que la musique classique entendue en tant que musique savante,soit par sa définition même une pratique élitiste ?

    La réponse nous brûle les lèvres ; aucune pratique culturelle ne peut être élitiste ou alorsles émotions sont élitistes. La musique est le reflet de notre société, elle nous aide à vivreet à ressentir, car qui mieux que la musique peut, sans mot dévoiler les passions commela violence dans le Tristan de Wagner, la douleur et la peine évoquée dans le Requiem deMozart, ou le « va piensero » de Verdi qui illustre le désir de liberté ?

    La question n’a pas pour objectif de montrer la valeur de la musique classique entant que pratique élitiste mais nous amène plutôt par une volonté de questionnementautour d’une constatation à tenter de trouver l’explication de la construction d’une imageautour de la musique classique, image d’Épinal qui semble pérenne. La problématiqueautour de la musique classique et de ses velléités élitistes qu’on lui prête, nous a sembléintéressante afin de comprendre s’il ne s’agissait que d’une construction sociale ou d’unfait ; la musique classique par ses formes et ses codes serait élitiste, donc accessible à uneclasse spécifique ?

    Le projet élaboré en collaboration entre la Cité de la musique et le London SymphonyOrchestra, Take a Bow a semblé être une illustration parfaite de la problématique du rapportentre musique classique et hiérarchisation sociale. La constitution d’un orchestre de violonsfaite de mixité sociale ainsi que de niveaux, allant du débutant au professionnel de lamusique en passant par des amateurs avertis, qu’est ce que cela pouvait donner ? Leviolon, instrument réputé et reconnu pour sa difficulté et son exigence est ainsi considéréen haut de la hiérarchie des instruments classiques et donc symbole de l’inaccessibilitéde la musique classique, a pourtant été le lien qui a noué pendant plusieurs mois desenfants, adolescents et musiciens. Ce réseau de coopération culturelle nous a semblé êtreune bonne illustration dans notre discussion, dans la mesure où il traite de façon généraldu rapport à la musique classique mais aussi, en tant que projet de démocratisation dela musique classique et de l’élargissement du public de cette musique. Cet élargissementdu public est davantage une question sur la relation à la musique classique et à l’art defaçon générale, ce qui serait ou non une condition de pré requis et d’origine spécifique. Sila sociologie des pratiques culturelles peut nous apporter une réponse, il semble qu’elle nesoit qu’une partie de l’explication et il semblerait même que la constatation que l’on peutétablir à partir de statistique soit à considérer avec précaution. Ainsi, il semble que DanielBarenboim résume tout à fait la pensée que nous cherchons à illustrer, puisque si, « l’écoledélivre beaucoup plus d’information que d’éducation », alors il semble évident que « les

  • Introduction

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    grandes institutions musicales devront, au XXIème siècle se préoccuper beaucoup plusd’éducation : de celle du public et de celle des jeunes 18 ».

    18 Daniel Barenboim et Edward W Said, Parallèles et paradoxes, explorations musicales et politiques, édition le serpent àplumes, paris 2003.

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    Partie 1 : La musique classique, unequestion de classe ?

    Chaptire1 : Le public de la musique classiqueNous pouvons remarquer, sur le parvis de l’Opéra Bastille, à l’entrée des salles de concert àParis, ou en province, que le publique n’est pas une représentation minimale de la société.Un regard vierge des politiques culturelles déjà mises en place argumenterait sur les tarifs,trop élevés des places de concert et d’opéra et donc de l’impossibilité pour une famille, uncouple ou tout simplement une personne de classe moyenne voir populaire d’assister à cegenre d’événement. Cependant, en comparant une place de cinéma à une place de concertà la salle Pleyel par exemple, on remarque que le premier est pratiquement identique ausecond. Ainsi, on peut assister à un concert d’Anne Sophie Mutter pour la somme de dixeuros, ou à l’opéra Rigoletto pour 15 euros. Un prix presque similaire s’applique pour uneplace de cinéma, où le public s’y trouve être plus varié, sinon plus populaire. Il est vrai queles politiques culturelles ont en premier lieu pointés le problème lié au cout des places deconcert classique comme principal obstacle à la venue de tout type de public. Toutefois,depuis une dizaine d’années, les prix baissent, des offres tarifaires sont mises en place(le passe jeune opéra à l’Opéra Bastille permet d’obtenir des places à 5 euros, ainsi qu’àl’Opéra de Lyon), mais le publique ne change pas19, « les politiques tarifaires, [seules], çane sert à rien. ». Cette affirmation peut être largement confirmée par l’Opéra de paris où« l’ancien directeur avait mis à disposition du personnel de salle, enfin des femmes quis’occupaient du ménage des places pour la première d’un opéra, je ne sais plus lequel etarrive le soir de la première et toutes ces places bien placées, arrivé le soir de la premièresont restées vides. Personne n’avait osé venir tu vois. Les politiques tarifaires tu vois n’ontpas d’impact. »20. Ainsi les politiques tarifaires n’ont pas d’impact, les mêmes personnesse retrouvent au concert ; la musique classique « est accessible à une seule catégoriesociale finalement. �…� ce sont toujours les mêmes qui continuent à aller au concert, àfaire de la musique, et les mêmes personnes qui continuent à ne pas pratiquer21 ». C’estdonc face à cette constatation que nous nous sommes demandés la raison pour laquelle lamusique classique, en dépit de politiques tarifaires favorable à une extension du publique,à une diversification des auditeurs, pourquoi ce publique reste t-il intact ? Pourquoi est ce« toujours les mêmes qui vont au concert » ?

    Qui sont ces gens qui se rendent aux concerts et qui pratiquent un instrumentclassique ? Peut-on réellement établir une relation entre appartenance sociale et goûtmusical ? La musique classique est-elle une affaire de classe ?

    1.1. Une vision qualitative du public de la musique classique.19 Entretien Chahinez Razgallah, responsable des activités pédagogiques à l’orchestre de Paris ; Annexes, p213-22920 Entretien Chahinez Razgallah, annexe p213-22921 Entretien Chahinez Razgallah, annexe p213-229

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    Nous avons choisi de distribuer à différentes personnes, d’origines sociales diverses, ainsique de lieux différents, des questionnaires portant sur la musique classique et la définitionque l’on pouvait en donner, selon son opinion personnelle. Les personnes ayant réponduesont pu donner leur opinion quant à ce style musical. Il nous a semblé relativement intéressantet important de distribuer des questionnaires afin de ne pas uniquement travailler avec dessources dites figées. Cela nous a permis de travailler avec des réactions concrètes, certesrelativement peu nombreuses quant à notre attente, mais intéressantes dans la mesure oùelles nous ont apporté des réactions très diverses et inattendues. Les questions que nousavons posé sont, et par choix, très larges et pouvaient amener à beaucoup de réponsesdifférentes, selon l’interprétation que chacun faire suivant les questions. Elles pouvaient,et les questionnaires le montrent, conduire à des réponses très courtes ou au contraire,très argumentées. Il faut ainsi noter que les réponses très argumentées ont la plupart dutemps été produites par des personnes relativement intéressées par la musique classique,ou même la culture de façon générale. Ainsi, le désintéressement total, la désaffectioncomplète pour la musique classique ne ressort pas dans ces questionnaires, dans la mesureoù, les questions étant si larges et « compliquées » pour certains , que le questionnaire enquestion a pu apparaître trop long et fastidieux à d’autres. (Nous avons eu plusieurs fois cecommentaire par les sondés ayant répondus et renvoyé le questionnaire ; les questions etnotamment celle « pour vois c’est quoi la musique classique » a pu poser problème)

    En effet, nous avons distribué près de deux cent questionnaires, mais seulementquarante nous sont revenus. C’est à partir du nombre de questionnaires remplis et desretours, commentaires des différentes personnes ayant bien voulues participer à cetteenquête, que nous pouvons remarquer que l’intérêt pour la musique classique a été unfacteur relativement important concernant l’envie de répondre à ce questionnaire. De plus,nous avons pu remarquer par les différents commentaires qui accompagnaient le retourdes différents questionnaires, qu’une certaine retenue avait marqué la plupart des sondésdans la mesure où, à plusieurs reprises la peur de « dire des bêtises » a été soulignée,ainsi que la peur d’être moqué. Ainsi, nous avons pu relativiser les réponses données auxdifférentes questions telles que, « aimez-vous la musique classique » ou « êtes vous déjàallé à un concert classique ». Toutefois, sur une quarantaine de réponses, nous avons puremarquer 21 personnes se disaient amateurs de musique classique et vont au concert,en précisant de façon régulière ou en ne précisant pas la fréquence. Neuf personnes ontrépondu apprécier la musique classique sans aller au concert. Certains précisent qu’ilsy sont allés une fois et qu’ils ont apprécié, ou de temps en temps, rarement mais qu’ilsapprécient et ne reproduisent pas souvent l’expérience par manque de temps ou d’argent.Seulement quatre personnes affirment ne pas aimer la musique classique. Parmi ces quatrepersonnes, on remarque que aucun ne dit connaître la musique classique, au contraire,s’en défendent.

    A la question « c’est quoi pour vous la musique classique », la plupart des sondésrépondent par des noms de compositeurs, et deux noms reviennent souvent, « Beethoven etMozart ». Cinq personnes décrivent la musique classique comme une musique « du passé »,« certains ne l’apprécient pas pour l’image qu’elle renvoie » ou que « c’est une musiqueplutôt vieille dont les jeunes ne sont pas fans », « une musique écrite avant le vingtièmesiècle » et encore « une musique du passé jouée avec des instruments du passé ». Ce qu’ilest intéressant de remarquer ici, c’est que les personnes ayant répondu que la musiqueclassique était une musique du passé, une musique « vieille » se situent dans une tranched’âge entre 19 et 24 ans. On voit donc que, sur quarante personnes entre 18 et 65 ans, lespersonnes ayant qualifiées la musique classique de « musique du passé », donc démodée,un style quelque part voué à l’extinction se situent dans la tranche d’âge la plus jeune, entre

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    18 et 25 ans. Concernant les autres personnes ayant émis quelques réticences quant à leurrelation à ce style musical, leurs mots sont moins tranchés et plus dirigés vers une sorte detolérance envers ce style, qu’ils disent ne pas réellement connaitre. En bref, on ne remarquepas de rejet envers la musique classique comme il peut y en avoir chez les plus jeunespersonnes interrogées.

    À la question « c’est compliqué la musique classique », dix personnes répondentde façon positive, en affirmant « qu’il y a des règles22 », « qu’il faut apprendre », « quec’est compliqué d’apprendre et de connaître », que c’est un style qui demande « uneperfection 23», que c’est « inabordable24 » ou que « seulement les prodiges peuvent jouerdans des orchestres 25». La musique classique garde donc une image de labeur et dedifficulté, de mérite et donc qu’il faut travailler dur avant de pouvoir prétendre en jouer oumême en écouter. Ainsi, sans que la question ne soit posée, de façon explicite tout dumoins, neuf personnes précisent que c’est un style élitiste ; qu’il faut être d’un « milieu socialaisé », que c’est de la musique « d’un haut niveau », « on l’associe souvent à l’élite 26», queles instruments avec lesquels on joue sont « prestigieux » et que si on ne « connaît pas,�on� trouverait ça élitiste ». La question de l’éducation, de l’apprentissage est posée ici.Aussi, sans qu’une question pose explicitement « est-ce qu’il faut être éduqué à la musiqueclassique pour l’apprécier ? », douze personnes précisent que l’éducation est nécessairequand on en vient à l’écoute de la musique classique. Il est donc précisé dans différentsquestionnaires qu’il faut « éduquer l’oreille », ou « préparer l’écoute », « connaître lescodes », que ce n’est pas difficile mais qu’il « faut une éducation » et d’autres répondent plusclairement que « l’accessibilité est quasi uniquement pour des connaisseurs ». La plupartdes sondés ayant répondus qu’une éducation est nécessaire pour l’écoute et le goût pourla musique classique sont musiciens amateurs ou ont pratiqué d’un instrument. Quant àceux qui n’écoutent que très rarement voir pas du tout de musique classique, acquérir « unminimum de connaissances pour ajouter une forme de plaisir » n’est pas évoqué, ni mêmeenvisagé.

    Plusieurs personnes ont employé le mot « fasciné » pour décrire leur ressentienvers la musique classique. « C’est un univers qui me fascine » ou « des instrumentsfascinants ».Cela accentue ce que la musique classique a d’emblématique.

    Enfin, la musique ici analysée et décortiquée a souvent été qualifiée de calme,reposante, favorisant la concentration, la détente ; en bref une musique douce. Une despersonnes interrogée répond que c’est probablement la raison pour laquelle les jeunes nesont pas tellement fans de cette musique.

    Les questionnaires que nous avons obtenus ne traduisent pas un abandon du publicpour la musique classique, puisque seulement quatre personnes disent ne pas du toutapprécier ni connaître cette musique. On peut ici se poser la question de ce qu’estconnaître la musique classique, mais en supposant que cette connaissance est subjective,il semble qu’il y ait un écart entre les réponses que nous avons obtenues et ce que lesétudes concernant les pratiques culturelles montrent. Seulement, les chiffres montrent queles concerts classiques, certes sont complets régulièrement, mais leurs fréquences et le

    22 Questionnaire Sibylle, Annexe, p15223 Questionnaire David, Annexe, p14224 Questionnaire Thomas, Annexe p11925 Questionnaire, Jérémy, Annexe, p11526 Questionnaire Manuel, Annexe, p123

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    nombre de salles dédiées à cet effet montrent que très peu de gens vont aux concertsclassiques.

    1.2. Une vision quantitative : le public français de la musiqueclassique.

    On remarque en effet, que, tout en étant le deuxième type de style musical que les Françaisfréquentent, les concerts classiques font peu d’entrées. 31% des Français on assisté aumoins une fois dans l’année à un concert de musique, tous types confondus27. Parmi ces31%, 26% sont allés assister à un concert de musique classique (hors opéra). Cela situe lesspectateurs de la musique classique en deuxième place, mais loin derrière de l’audiencedes concerts de variété française qui regroupent 43% des Français qui ont assisté au moinsune fois à un concert. La fréquentation des concerts est en majorité pour les concerts devariété française, mais, les autres styles et genres de musique se partagent les 57% restant.Ainsi, on notera que le nombre de Français qui assiste à des concerts de musique classiquereste faible, car cela ne représente que 26% de 31% de Français, autrement dit, 8% desfrançais sont allés au moins une fois à un concert classique en 2008. Si on compare lafréquentation des salles de concerts classiques à la fréquentation des musées, on remarqueune différence notable ; en 2008, 39% des français sont allées au moins une fois dansun musée. Parmi ces 39%, 63% ont fréquenté un musée de peinture et de sculpture del’antiquité au début du 20ème siècle. Autrement dit, plus de 24% des Français ont fréquentéun musée d’art « classique », comparable à un concert de musique dite classique. Onpourrait nuancer ces chiffres du fait qu’il y a plus de musées qu’il n’y a d’Opéra ou desalles de concerts, ou bien que les entrées capitalisées dans les musées ayant répondusà l’enquête ont pu capitaliser beaucoup d’entrées de touristes étrangers. Toutefois, lesconcerts classiques peuvent avoir eux aussi accueilli des spectateurs étrangers, cettenuance doit donc demeurer une supposition ; on ne peut former et établir une réalité etformer une conclusion sur ce que l’on ne peut que supposer ou déduire des chiffres et quin’est pas indiqué dans l’enquête.

    L’enquête démontre ensuite que sur cent Français, 24 sont allés au moins une fois dansleur vie à un concert de musique classique contre 39 à un concert de musique rock mais 19à un concert de jazz. Les personnes ayant le plus fréquenté au moins une fois un concert declassique font parties de la tranche d’âge de 55 à 65 ans (11%) contre les 20-24 ans (4%).La différence de diplôme reste l’élément le plus stigmatisant ; 30% des personnes ayantobtenu un bac+ 4 ou plus sont déjà allée au moins une fois à un concert classique dansleur vie, contre 4% des personnes n’ayant aucun diplôme, un CAP ou un BEP, 5% pourcelles ayant obtenu le Bac et 10% pour celles détentrices d’un Bac + 2 ou + 3. Enfin, 28%des personnes habitant Paris intra-muros sont déjà allés à un concert classique, alors quepour le reste des communes (rurale, de moins de 20 000 habitants jusqu’à l’agglomérationparisienne), les taux de personnes ayant fréquentées un concert classique au moins unefois dans leur vie oscille entre 4 et 9%28.

    27 Les statistiques de la culture, chiffres clé 2008, Jeannine Cardona et Chantal Lacroix, la documentation française, Paris 2008,ISBN : 978-2-11-007158-3

    28 Enquête du ministère de la culture, chiffres clés de la culture 2010.

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    Chiffres clés 2010, statistique de la culture, Ministère de la Culture et de laCommunication Secrétariat général Service de la coordination des politiques culturelles etde l’innovation Département des études, de la prospective et des statistiques.

    De même, la pratique d’un instrument de musique ne regroupe que très peu deFrançais. Toujours selon l’étude du ministère de la culture, 23% des Français savent jouerd’un instrument de musique. La tranche des 15-19 ans regroupe le plus de pratiquantspuisqu’ils sont 46% à savoir jouer d’un instrument. Le pourcentage de personnes ayantdéjà joué d’un instrument décroit en fonction de l’âge, puisque 41% des 20-24 savent jouerd’un instrument, 29% des 25-34, 25% des 35-44, 18% des 45-54, 14% des 55-64 et 12%des 64 et plus. Encore une fois, le diplôme reste déterminant, puisque 39% des personnespratiquant un instrument ont un diplôme Bac + 4 ou plus et 48% sont étudiants. De mêmeque pour la venue au concert, le fait d’habiter Paris intra-muros semble aussi être un facteurimportant, puisque 30% des personnes ici concernées habitent à Paris. Il semble toutefoisnécessaire de noter que les écarts sont moins significatifs ici. Enfin, parmi ceux qui jouentd’un instrument, 31% jouent du piano et 39% de la guitare29; on peut alors affirmer que 12%de la population française pratique un instrument autre que la guitare ou le piano.

    29 Chiffres clés 2010, statistique de la culture, Ministère de la Culture et de la Communication Secrétariat général Service dela coordination des politiques culturelles et de l’innovation Département des études, de la prospective et des statistiques

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    Chiffres clés 2010, statistique de la culture, Ministère de la Culture et de laCommunication Secrétariat général Service de la coordination des politiques culturelles etde l’innovation Département des études, de la prospective et des statistiques.

    Ainsi, ce qu’Olivier Donnat peut affirmer dans Les pratiques culturelles des Français sevérifie au regard des chiffres de la culture « que les amateurs resteront amateurs et que lesmusiciens resteront musiciens et ceux qui ne vont jamais aux concerts n’iront jamais auxconcerts30 » et que « ce sont toujours les mêmes qui continuent à aller au concert, à fairede la musique, et les mêmes personnes qui continuent à ne pas pratiquer31 » et il s’agit desdiplômés, habitant à Paris intra-muros ; en d’autres termes, il s’agit de la classe moyennesupérieure et de la classe supérieure. Car, si on affirme que le diplôme est déterminant, ilconvient de souligner que l’accès aux diplômes et à l’enseignement supérieur est souventconditionné par l’origine sociale.

    D’après une étude du ministère de la culture concernant l’enseignement artistiqueen France sur l’année scolaire 2006-2007, les CRR32 et CRD33 ont accueilli pour lesenseignements de danse, musique et art dramatique, 152 213 élèves34, parmi lesquels 135848 sont inscrits en musique, 17 865 en danse et 2 731 en théâtre. Dans ces conservatoires,8 062 postes sont détenus par des enseignants de musique.

    30 Entretien Chahinez Razgallah, Annexes, p21831 Entretien Chahinez Razgallah, annexes p21532 Conservatoires à rayonnement Régional33 Conservatoire à Rayonnement Départemental34 Ces chiffres n’ont pas pris en compte les doublons (élèves inscrits plusieurs fois dans différents départements ; en musique

    et danse par exemple).

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    Répartition des enseignements de musique, danse et théâtre au sein de CRR et CDR,année scolaire 2006-2007

    On remarque, grâce à ces chiffres, que la situation des écoles de musique a beaucoupévolué au cours de ces dernières années. En effet, sur la période 1996-2000, on remarqueun tassement du nombre d’inscrits et donc une stagnation du nombre d’élèves, dû à unediminution du nombre d’élèves en ENM35. Cependant, et on le remarque actuellement,le nombre d’inscrits tend à croitre depuis 2003-2004. Actuellement, l’effectif moyen parétablissement se trouve être de 1 142 élèves. L’effectif des enseignants quant à lui n’ajamais cessé de progresser ; cependant, le nombre d’enseignants reste inférieur au nombrede poste ; 305 enseignants enseignent dans au moins deux écoles de musique.

    Nombre d’élèves et d’enseignants de musique, théâtre et danse, dans les CRR et CDRde 1992 à 2007

    Ainsi, la situation de l’apprentissage de la musique classique n’est pas dans unesituation d’expansion incroyable, mais les écoles augmentent leurs effectifs, donc leurpublic. Il faut noter que, 63,56% des élèves en CRR et 65,3% en CRD ont moins de 16

    35 École Nationale de Musique

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    ans. Ainsi, si, 41% des 20-24 jouent d’un instrument, 46% des 15-19 ans et 48% desétudiants, alors la tendance tend à s’accroitre d’ici quelques années concernant la pratiqued’un instrument.

    Indice d’évolution des effectifs d’élèves et d’enseignants de 1992 à 2007Le choix des instruments reste toutefois stable, dans la mesure où l’instrument de

    prédilection reste le piano, choisi par la majorité des élèves, suivi par les cordes, ainsi queles bois. Les filles représentent au sein de ces conservatoires 55,7% des élèves en musiqueet sont en moyenne majoritaires dans toutes les régions. Les adultes sont présents dansles conservatoires à hauteur de 15,6% dans les CDR et 6,8% dans les CRR.

    Ces chiffres montrent donc que l’activité de pratique d’un instrument en amateura évolué depuis les dix dernières années, de façon lente puis plus progressive. Lesstatistiques de pratique d’un instrument pourraient être interprétées de façon négative ; eneffet, il serait facile de souligner que seulement 23% des Français ont pratiqué ou pratiquent,régulièrement ou non d’un instrument de musique. Cependant, une telle remarque seraitbeaucoup trop rapide, et risquerait de biaiser les constats éventuels. Olivier Donnat,remarque dans son article Les CSP : un outil encore efficace dans l’analyse des disparitésculturelles qu’il est dangereux de « travailler à la fois sur les valeurs relatives (pourcentages)et sur les valeurs absolues (effectifs) pour éviter l’effet d’écrasement de la réalité par lespourcentages (raisonner en % induit « par nature » une lecture pessimiste des résultats) oul’effet « enchanteur » des effectifs (raisonner en millions d’individus peut conduire à l’effetinverse). Ainsi, une exposition au Grand Palais qui attire 500 000 visiteurs sera vite qualifiéede phénomène de société par les médias alors qu’elle ne concerne en réalité que 1 % dela population française, et une émission d’Arte ayant réalisé un taux d’audience de 2 %,ce qui représente à peu près le même nombre de personnes, sera facilement dénoncéepour son caractère élitaire. ». Aussi, il nous semble plus juste de constater que la pratiqued’un instrument de musique reste réservée à une certaine partie de la population et reste enproportion faible, mais est en constante évolution. Il faut de même souligner que la pratiqued’un instrument en conservatoire reste, bien que les conservatoires publics aient un système

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    de paiement par répartition, onéreuse, donc excluant forcément la partie de la populationla plus préoccupée par le quotidien36 ; plus encore que la venue au concert qui pour « desfamilles où il y a tellement de problèmes que bah ça c’est accessoire37 », la pratique d’uninstrument de musique est d’autant plus accessoire et que ces catégories sociales restentdonc fatalement hors de ces statistiques.

    Le tableau ci-contre38 énumère les pratiques artistiques choisies par les élèves desdifférents conservatoires témoins. Les activités de formation musicales regroupent le plusd’élèves dans la mesure où cette formation reste la plupart du temps obligatoire. Enrevanche, les activités de composition, d’écriture ne sont pas bien relayées ; cela pourraitêtre corrélé avec les affirmation des différents sondés, la musique classique est une musique

    36 Entretien Chahinez Razgallah, annexes p 21337 Ibid38 Répartition des élèves par groupe de discipline, source les chiffres clés de la cultures, Ministère de la culture et de

    l’information.

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    du passé. En effet, très peu assistent à des cours d’écriture et de composition, donc deperpétuation de la musique classique en tant que musique écrite.

    Les élèves sont nettement plus nombreux en pratique de groupe type orchestre oumusique de chambre. Les instruments les plus plébicités par les élèves restent le piano,comme nous l’avons déjà évoqué, puis les cordes et les bois avec plus de 28 000 élèvespour les cordes et près de 20 000 pour les bois. Cela peut paraître en terme de chiffres et enrapport à la population française totale, dérisoire, mais cela reste énorme pour une pratiquedite « du passé » ou « élitiste ». Force est donc de constater, en partant d’une analyse desquestionnaires que nous avions reçu et de la fréquentation des conservatoires publics, quela connaissance de la musique classique n’est acquise que par une minorité de personne,bien qu’elle soit assez relayée tant par les professeurs que la volonté, croissante des élèvesinscrits en conservatoire. De plus, les chiffres des différentes études réalisées, en France,sur une période récente nous confirme ces dires ; les Français vont peu aux concerts, etque, malgré une mise en place de politique tarifaire, ce sont toujours relativement les mêmesqui assistent aux concerts classiques, c’est à dires les urbains, d’origine sociale favorisée.Bien qu’Olivier Donnat insiste sur la dangerosité d’une analyse trop hâtive des données,il semble tout de même que, la musique classique reste une affaire de classe. De plus, sil’on regarde la fréquentation des concerts sur les douze derniers mois, il ne reste plus que7% de la population totale, alors que le nombre de représentation des orchestres et Opérane cessent d’augmenter ; le public n’augmente pas ou très peu avec. Dans tous les cas,le public n’évolue que très peu.

    Les français assistent à des concerts (39% sont déjà allés au moins une fois dansleur vie à un concert de variété, 29% à un concert de rock39), vont au musée, assistent àdes spectacles de danses (43% ont déjà assisté à un spectacle de danse folklorique40),mais ne vont pas ou très peu à des concerts classiques, et de façon très sectorisée. Ilnous paraît important, face à de telles constatations, d’en trouver les raisons, ou du moinsde pouvoir introduire une explication. La segmentation sociale étant bien marquée, entreles différents niveaux de formation, donc a fortiori entre les différentes classes, les zonesgéographiques, ainsi que les générations permettent tout d’abord de contextualiser lestendances des pratiques culturelles. On ne peut alors nier l’importance de l’appartenancesociale quant aux préférences culturelles, et plus largement aux pratiques culturelles.

    Chapitre 2 : La société à l’étude : classes et pratiquesculturelles.

    La question ici est de taille ; pourquoi constate t-on que les public de la musique classique estprincipalement composé par la classe supérieure voir moyenne/supérieure et notammentparisienne ? Une partie de l’explication pourrait résider dans le fait que beaucoup de sallessont concentrées dans Paris intra-muros41. En effet, il est plus facile de circuler dans Parismême et plus facile d’assister à un concert (nous entendons facile ici au sens de la pratiquepure), puisqu’il y a une multitude de salles de concerts, donc une possibilité d’obtenir une

    39 Chiffres clés de la culture 2010, section Art lyrique danse et musique ; ministère de la culture.40 Ibid

    41 La musique classique et les projets culturels, conférence publique donnée le jeudi 20 avril 2000, lors du cycle de conférence « lesjeudis de la Sorbonne » consacrés aux thèmes « arts et projets culturels » ; retranscrite par Julia Longavesne et Faustine Urbain

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    place et de trouver un spectacle à son goût plus importante que pour une personne vivantdans une commune de moins de 20 000 habitants, ou en zone rurale par exemple.

    Toutefois, si l’on observe le nombre de concerts donnés par chaque orchestre enFrance, on constate que ce n’est pas l’Orchestre de Paris, et loin de là qui donne le plusde concerts. Arrive en tête l’orchestre national des Pays de la Loire avec 218 concerts dont175 dans le ville siège en 2008. L’Orchestre de Paris lui comptabilise 85 concerts au totalet 65 dans sa ville siège. D’ailleurs, l’Orchestre de Paris n’arrive qu’en seizième place survingt six Orchestres, membres de l’association française des orchestres. Ainsi, même siParis concentre plusieurs orchestres, l’Orchestre résident n’est pas celui qui offre le plus depossibilités42. Il n’y a donc pas qu’une explication de lieux, ou de possibilité, car après tout,l’Orchestre National de Lyon offre un nombre important de concerts.

    Pourquoi le fait d’assister à un concert classique serait conditionné à l’appartenancesociale ?

    2.1. Pratiques culturelles et styles de vie : le modèle de la distinction.« les systèmes de goût et les pratiques culturelles participent fondamentalement àla reproduction des rapports de domination par l’imposition d’un arbitraire culturel, quicorrespond à la culture des classes dominantes ».

    Pierre Bourdieu

    2.1.1. Classes sociales et pratiques culturelles, un lien indéfectible ?Il convient ici de remarquer que l’analyse des pratiques culturelles est dominée par laconviction d’une hiérarchie des arts. On considérera qu’il est de bon ton de lire un ouvrage deProust, plutôt que de lire un roman de Marc Levy. L’un est plus compliqué, plus intellectuel ;l’autre est distrayant. L’un est classé dans la littérature savante, et c’est ce qui semble fairepour beaucoup, toute la différence. De même pour le septième art ; les films d’auteurs, peuvu, moins médiatiques, et esthétiques seront mieux considérés qu’un film à succès. Enfin,en musique, comme les questionnaires nous ont donné l’occasion de constater, la musiqueclassique, considérée comme la base de toutes les musiques « fascine », est « élitiste etc’est dommage43», et dont les « jeunes ne sont pas spécialement fans44 ». Alors est-ce uneaffaire générationnelle, une affaire de classe ? Pourquoi le public de la musique classiquereste t-il si homogène?

    Pour Bourdieu, les individus intériorisent les normes et les valeurs de la société, ils sontsoumis à la pression de l’idéologie dominante ; ils adoptent des comportements adaptésà leur position dans l’espace social. Leurs goûts sont générés par un habitus et traduisentune logique de domination par laquelle les classes dominantes imposent un arbitraireculturel. Les pratiques culturelles et le bon goût sont socialement construits. A l’opposé,on note une sociologie du déterminisme qui met en avant l’expérience personnelle afind’expliquer les goûts et différences de pratiques culturelles. Il ne s’agit pas cependant dedeux positions radicalement antagoniques, mais de deux points de vue qui tentent de donnerune explication sur le comportement des acteurs et tentent d’expliquer les raisons d’une

    42 Chiffres clés 2010, statistiques de la culture, Ministère de la Culture et de la Communication Secrétariat général Service dela coordination des politiques culturelles et de l’innovation Département des études, de la prospective et des statistiques43 Questionnaire Manuel, annexes p12344 Ibid

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    différence de goût entre ces acteurs. Ainsi, même si depuis les années 70, la sociologie despratiques culturelles reste « dominée par le concept de l’homologie structurales de l’espacedes positions sociales et de l’espace des styles de vie 45» théorisée par Bourdieu, d’autresmodèles ont su s’imposer, comme la théorie du choix.

    Le modèle du déterminisme demeure pour certains référant dans la mesure où lesdifférentes études réalisées au sein de la société française visant à cerner les pratiquesculturelles l’ont toujours confirmé.

    Pour Bourdieu, les pratiques culturelles sont déterminées par l’appartenance socialedes individus et cela pour plusieurs raisons.

    Les pratiques culturelles ne sont pas liées à des goûts innés, mais résultentde déterminismes sociaux ; la place des individus dans l’espace social influence defaçon décisive leurs pratiques culturelles. Ces pratiques culturelles sont elles mêmeshiérarchisées puisqu’elles font l’objet de jugements sociaux qui eux mêmes, contribuent àreproduire la différenciation sociale et les phénomènes de domination.

    Bourdieu, afin d’expliquer la relation entre le comportement des individus dans tousles aspects de la vie propose le concept d’habitus. Cela signifie de façon générale unemanière d’être, un comportement général. Ce que Bourdieu entend définir par habitussont les dispositions que l’individu a intériorisé et qui génèrent par la suite des pratiquesqu’il perçoit comme allant de soi, et qui pour lui expriment des choix personnels, fondéssur un goût vierge de toute influence extérieure. Or, ce que les individus ont intériorisé,ce sont les pratiques, les goûts du milieu qui les a construit en tant qu’individu. Ainsi, lemilieu dans lequel chacun évolue va fatalement constituer ce que Bourdieu appelle l’habituset donc ce qui sera condition des goûts et réaction de chaque individu. C’est la matricedes comportements individuels, elle influence tous les domaines de la vie, notamment enmatière de culture. Ainsi, lorsqu’au sein d’un groupe les pratiques culturelles sont courantes,les individus qui évoluent au sein de ce même groupe les considèrent comme allant desoi. Donc, si dès le plus jeune âge, un individu est habitué à aller assister à des concertsclassiques, cela deviendra une pratique de la vie courante. À l’inverse, si dans un milieudonné, allé au concert n’est pas une pratique habituelle, alors l’action même d’écouter dela musique sera vécue comme étrangère, non familière. C’est le capital culturel, c’est à direl’ensemble des ressources culturelles dont l’individu dispose, le plus souvent attesté parses diplômes qui rentre aussi en compte ici. Cela fait partie intégrante de l’habitus. Ainsi,le capital culturel forcément influencé par l’habitus, qui va aussi déterminer les pratiquesculturelles des individus.

    Ainsi, la consommation des biens culturels continue de refléter les caractéristiquesde la stratification sociale, et cela nous conduit inlassablement à constater que le bilande la démocratisation culturelle s’avère limité. On peut donc supposer ici que le bilande cette démocratisation culturelle reste restreint dans la mesure où, le principe mêmede démocratisation affronte des rigidités sociales, et des barrières infranchissables. Lasociologie du goût, le désir de consommer, qu’on limitera ici aux consommations culturelles,est imprégnée de légitimité culturelle et de rigidité ; on consomme selon la classe à laquelleon appartient. Pour Bourdieu, chaque classe est caractérisée par la détention de capitauxéconomiques et culturels qui déterminent le goût et notamment la notion du « bon goût » ;nous voyons donc la société et ce que nous appelons les biens consommables, les biensculturels par le prisme de la classe à laquelle on appartient. Bourdieu affirme alors que, « les

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  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    pratiques culturelles remplissent une fonction de légitimation des différences sociales » ; ditmoi ce que tu consommes et je te dirais qui tu es.

    Ainsi, contre l’idéologie qui tient les goûts en matière de culture pour un don de lanature, l’observation scientifique montre que les besoins et goûts culturels sont le produitde l’éducation, liés au niveau d’instruction, et secondairement à l’origine sociale. Bourdieumontre ainsi dans La distinction, que le concept d’habitus est transposable, puisque, lesdispositions des agents sont unifiées entre elles. L’ensemble des comportements desagents sont reliés entre eux, par un style commun et chaque pratique est déterminée parl’appartenance sociale qui elle détermine l’habitus. Bourdieu met en lumière tout au long decet ouvrage l’existence de ce qu’il appelle les « styles de vie » fondés sur les positions declasse ; par le biais de cette théorie, il fait apparaître le lien entre les différentes pratiquesdes ouvriers, ce qui nous permettra de mettre ce principe en lumière de façon plus concrète.Ainsi, le rapport que les ouvriers entretiennent face à la nourriture se trouve être un rapportd’homologie avec leur conception de l’art. Pour les ouvriers, la nourriture doit être avant toutnourrissante, c’est-à-dire utile et efficace, et elle est souvent « lourde » et « grasse », sansautre considération, utilité que celle d’être rassasiée vite et bien. La vision que les ouvriersont de l’art est fondée sur un rejet de l’art abstrait et privilégie l’art réaliste, c’est-à-dire utile,selon Bourdieu, « lourd » et sans « finesse ». Ce dernier applique le principe d’ « utilité » pourle type de vêtements portés par les ouvriers, qui sont avant tout « fonctionnels ». Ce style devie est donc unifié par un petit nombre de principes, que sont en particulier la fonctionnalitéet l’absence de recherche de l’élégance. Pour Bourdieu, le style de vie des ouvriers sefonde fondamentalement sur le privilège accordé à la substance plutôt qu’à la forme dansl’ensemble des pratiques sociales. Ainsi pourrait on appliquer cette analyse à la musiqueclassique. On pourrait dire que certaines musiques sont plus « efficaces » que d’autres,qu’elle reste un style « savant », demandant une certaine connaissance et appréhension.Cela va donc à l’encontre de ce que Bourdieu qualifie d’ « efficace », ce qui ne peut doncêtre associée à la musique classique, dans la mesure où elle n’est pas « fonctionnelle »puisqu’ « elle ne raconte rien46 », elle ne dit rien, dans tous les cas, explicitement. Commentsavoir si l’on ne connaît pas l’histoire de la Neuvième Symphonie de Beethoven, qu’ellecélèbre la fraternité et la liberté des peuples, et que La Flûte enchantée de Mozart retrace lesdifférents rites initiatiques des Francs-maçons ? En revanche, il est plus aisé de comprendreune chanson chantée en français. C’est là, la différence entre une musique efficace et une« musique savante », dont il faut connaître les rouages afin de pouvoir la saisir.

    A l’inverse, dans certains milieux, l’intérêt que la classe « dominante » pourrait porterà la musique classique, considérée comme étrangère à l’espace social propre, peut fairel’objet d’un discrédit.

    Ainsi, si les pratiques culturelles sont socialement influencées, il convient de soulignerl’importance de ce que Bourdieu qualifie de légitimité culturelle dans la construction de « cequi vaut la peine d’être imité ».

    2.1.2. La légitimité culturelle, condition de la hiérarchisation desconsommations culturelles.

    « A toutes les époques, les marqueurs d’un statut élevé semblent naturels, c’est àdire évidents et inaltérables »

    Richard Peterson

    46 Entretien Chahinez Razgallah, annexes, p216

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    La légitimité culturelle peut paraître tout à fait paradoxale dans une société comme lanotre, où nous prônons l’égalité d’accès par exemple à l’éducation, aux soins, mais pas àla culture ? L’Etat, pourtant a mis en place des politiques de démocratisation de la culture,afin que tous puissent y avoir accès, et cela notamment via une politique d’abaissementdes tarifs. Malgré les efforts des institutions culturelles ainsi que du ministère de la culture,il semblerait que la participation aux diverses pratiques culturelles soient encore et toujoursfortement influencées par le milieu social d’origine. Pour rendre compte de façon claire dela persistance des inégalités culturelles, il convient non pas de s’arrêter à la théorie del’intériorisation du milieu et des pratiques de ce milieu social, mais aussi la théorie de lalégitimité culturelle. En effet, on ne peut croire que la hiérarchie entre les différentes classesqui composent notre société ne soit naturelles et indéfinies. Il existe bien, « une lutte declasse pour le classement », et la classe dominante en est le décideur. Il s’agit pour lesmembres de cette classe de conserver la place qu’ils occupent, en haut de la pyramidesociale, et pour cela, il leur est nécessaire de conserver et de contrôler les différentescatégories de capitaux. Les pratiques culturelles permettent à la classe dominante de sedistinguer ; il s’agit ici d’une haute valeur symbolique. Aller à l’Opéra permet d’être vu entant qu’amateur d’art lyrique, et permet de se constituer un réseau de contacts. Mais, celane constitue pas une explication satisfaisante. Le concept de légitimité culturelle fait appelà la violence symbolique. Les pratiques culturelles dites « légitimes » nous sont présentéescomme naturelles, c’est l’ordre naturel des choses. Il y a l’élaboration d’un classemententre les différentes productions culturelles, qui donne lieu ensuite à une hiérarchisationde ces pratiques. Cette hiérarchie est présente dans toutes les formes de pratiques, et,c’est la classe dominante qui détermine les pratiques et les œuvres légitimes (c’est-à-direvalorisées quant au jugement que l’on porte sur elles). C’est ainsi qu’il sera considérécomme plus valorisant de connaitre le cinéma de Bergman plutôt qu’un film de Louis deFunès. Il faut aussi comprendre que l’art est un produit de l’histoire. Le répertoire de Mozarten est la preuve, puisque ses œuvres n’ont pas été reconnues par la société de son temps(et c’est, ce qui fut pour N. Elias la cause de sa déchéance47), mais redécouvert par lasuite. Les œuvres de Mozart, sont aujourd’hui considérées comme majeures et témoind’une finesse et d’un génie exceptionnel. Un autre exemple pourrait être celui de l’interprèteAndré Rieu, considéré par la classe supérieure comme « l’horreur absolue », mais quipourtant joue du Strauss et autres compositeurs classiques. Le beau Danube bleu est bienjoué à chaque 1er janvier lors du concert de la nouvelle année à Vienne, haut lieu de lamusique classique. On constate bien qu’il s’agit d’une construction de ce qui est légitimeou pas, et les exemples rien que dans le domaine de la musique classique, ne pourraientconstituer une liste exhaustive. L’analyse peut sans doute être nuancée, mais il n’en restepas moins que les goûts et les pratiques culturelles ne se distribuent pas au hasard et que,au regard des jugements sociaux, tous les goûts et toutes les pratiques ne se valent pas.La musique classique, fait partie des pratiques légitimes, ce serait donc pour cette raisonque les fréquentations de concert sont si segmentées, et que Si certains individus, du fait deleur socialisation, se sentent légitimes et compétents pour certaines pratiques culturelles,d’autres, à l’inverse, vont intérioriser l’idée que la musique classique n’est pas pour eux ;« cela me paraît inabordable48 ». De là, il nous paraît plus aisé de comprendre les réactionsque nous avons pu lire en parcourant les questionnaires ; la musique classique est classéeparmi les pratiques « légitimes » et donc est élitiste, elle « fascine », elle est compliquée,

    47 Mozart, sociologie d’un génie, Norbert Elias, la librairie du XXe siècle, Seuil, octobre 1991.48 Questionnaire, Thomas, Annexe, p119

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    c’est la « musique d’un haut niveau 49 », joué avec des « instruments prestigieux 50» par« des prodiges 51». Un schéma s’est construit autour de la musique classique, commeun style compliqué, exigeant et dont « certains diront �qu’elle sert� à se distinguer descouches populaires, qui aujourd’hui encore semblent en écouter peu52 ». La référence auxcodes de la musique classique (notamment durant les concerts) fait partie intégrante decette construction de la légitimité culturelle. Un concert de rock a lui aussi ses codes, ilsne sont pourtant pas pour autant intimidants, comme on les caractérise souvent pour lamusique classique.

    Toutefois, il nous paraît important de souligner le fait que l’école n’a pas d’influence surles pratiques musicales qui restent donc conditionnées à l’origine sociale plus fortement quene pourrait l’être la littérature par exemple. Bien que Bourdieu ne rende pas grâce à l’écolerépublicaine et lui attribue le fait d’enrichir et d’accentuer les inégalités, on ne peut nier que lamusique classique n’y est pas ou voir très peu enseignée. À raison d’une heure par semainependant quatre ans durant le second cycle, les professeurs de musique doivent abordersur quatre ans tous les styles de musique, selon leurs choix pédagogiques. Souvent, etcomme nous l’a expliqué le professeur de musique Benoit Faucher du collège AnatoleFrance à Sarcelles que nous avons pu interroger, que souvent, pour intéresser les jeunes« Moi j’ai commencé au début par le rap53 ». Il est donc plus facile, selon les professeursde musique et de penser de façon commune qu’on captive plus facilement l’attention desjeunes adolescents par le biais d’une musique qu’ils connaissent déjà. Alors, la musiqueclassique n’est pas, comparée à la littérature, enseignée, ni abordée à l’école, du collègeau Lycée. Il y a donc surement un travail d’éducation qui manque à la musique classique.

    49 Questionnaire, Martine, Annexe p14550 Questionnaire, Jérémy, Annexe p11551 Ibid52 Questionanire, Alexandre, Annexe p10553 Entretien avec Benoit Faucher, annexe p197-212

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    Pierre Bourdieu, schéma de l’espace socialLa musique reste donc un des points où les différences se font sentir dans la mesure où

    l’éducation fait défaut puisqu’elle n’est pas dispensée, au moins au cours de l’apprentissageà l’école. On le voit, symbolisée dans le schéma de l’espace social de Bourdieu, qu’elle sesitue à l’extrême, là où tous les capitaux sont concentrés.

    La théorie que Bourdieu a développé se voit toujours relayée par des adeptes dans lamesure où la réalité sociale semble encore calquée à cette théorie. Toutefois, des auteursont pu, à plusieurs reprises démontrer que la société avait évolué, et les pratiques avec.

    2.2. La légitimité culturelle en question : évolution d’une sociétéstratifiée ?

    2.2.1. Omnivore et Univores : une nouvelle hiérarchisation ?

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    « En matière de goût, plus que partout, toute détermination est négation, et lesgoûts sont sans doute avant tout de dégoûts »

    BourdieuL’hypothèse, omnivore - univore est apparue aux Etats-Unis, grâce au travail de Richard

    Peterson qui, voulant vérifier le modèle de la distinction de Bourdieu, enquête sur larelation entre goûts musicaux et classes sociales. Dans un premier temps, la thèse deBourdieu se vérifie dans la mesure où « comme prévu, les emplois supérieurs étaientassociés à la musique classique et à l’opéra et qu’il y avait une plus grande probabilitéque ces répondants de statut élevé participent à toutes les activités artistiques54 ». Onremarque que, contrairement à aujourd’hui, la distinction entre goût raffiné et goût dit,vulgaire était courante jusqu’au début du vingtième siècle. Le racisme de classe était enpleine vogue car on « distinguait les races soit disant supérieures d’Europe du Nord dotéed’une grande capacité crânienne et les races inférieures55 ». Ce qui était alors de mise étaitle « snobisme intellectuel repose sur la glorification des arts et le dédain des divertissementspopulaires56 », alors que le capital culturel désormais détenu par la classe « dominante »,apparaît plus comme une aptitude à apprécier l’esthétisme différent d’une vaste gamme deformes culturelles variées qui englobent non seulement les arts, mais aussi tout un éventaild’expression populaire et folklorique. C’est avec cette remarque et cette constatation faiteaprès une étude approfondie de la classe américaine que Peterson dégage la théorie del’omnivorité. Cela va à l’encontre d’une vision de la société divisée entre intellectuels et« rustres ». L’enquête menée a révélé que ceux qui détenaient les emplois les plus qualifiés(les emplois supérieurs) ont tendance à s’intéresser à une gamme d’activité beaucoup plusvaste que ce que Bourdieu décrit dans la Distinction et que c’est à partir de cela que Petersonconstate que la société n’est forcément modelée à la façon dont Bourdieu a pu la décrire. Lesplus privilégiés, ceux qui détiennent les diplômes les plus élevés ont tendance à s’intéressernon pas à un type d’activité et de pratiques culturelles n’appartenant pas à la culture légitime,à la « culture cultivée », mais aussi à des pratiques de statut inférieur, tandis que ceuxqui occupent des emplois inférieurs avaient tendance à fréquenter une gamme d’activitéculturelles limitées, correspondant de façon restrictive à la classe dont ils étaient originaires.Paterson les qualifie d’univores.

    Les individus que Peterson qualifie d’omnivores sont plutôt jeunes, ils appartiennentà la génération née après la seconde guerre mondiale, dans une société libérée de toutpréjugé raciste, dans la mesure où l’épisode du nazisme a balayée toute « facilité »à exposer des théories racistes, que ce soit à l’égard d’une race ou d’une classe. Lagénération, ou devrait on dire les générations d’omnivores ont aussi été favorisées parl’ascension sociale. Les individus ayant la possibilité d’avoir accès à un emploi supérieurà leurs parents, ont tendance à perpétuer les pratiques de leur classe d’origine, ce qui atendance donc à favoriser l’hétérogénéité des pratiques culturelles. Cette tendance à ce quePeterson appelle l’omnivorité, n’est pas uniquement commune aux Etats-Unis. On auraitpu penser que l’existence d’un tel phénomène comme peu susceptible à l’établissementd’une théorie si les symptômes constatés ne l’avaient été que sur une partie du globe.Ce n’est pourtant pas le cas, dans la mesure où Olivier Donnat, en France fait la même

    54 Richard Peterson, Le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectives, Sociologie et sociétés, vol. 36, n° 1,2004, p. 145-164. http://id.erudit.org/iderudit/009586ar

    55 Combs, 186556 Richard Paterson, le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectives, Sociologie et société, vol. 36, n°1,

    2004, p. 145-164.

  • Partie 1 : La musique classique, une question de classe ?

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    constatation57, Blewitt au Royaume-Uni, Schalze en Allemagne et bien d’autres dans lesdifférents pays d’Europe, ainsi qu’en Australie. Mais, il conviendrait, selon Peterson denoter jusqu’à quel point cette homogénéité est vrai dans les pays où elle a été observée.Il convient de même de savoir si cette homogénéité se situe toujours au même échelonsocial. Pour Paterson toujours, si cette hétérogénéité des pratiques est remarquable dansles pays d’Europe Occidentale, en Amérique du Nord ainsi qu’en Australie, il n’en n’estpas moins certainement un phénomène historique, apparu à un moment donné et voué àdisparaître. Cette supposition pourrait paraître plausible dans la mesure où Paterson émetl’hypothèse d’un tel changement au niveau des pratiques en rapport à l’ascension socialeque beaucoup ont connu à la suite de la seconde Guerre Mondiale. La société occidentale,en pleine reconstruction, et bouleversée par les découvertes des camps et de l’horreur quepouvaient mettre consciemment en place les Hommes, a pu d’une certaine façon changerla société de l’avant guerre mondiale. Nous sommes donc passés dans une société deprospérité (le témoin en est les années de croissance et d’expansion, le baby-boom, etc),qui laissait la possibilité d’acquérir un statut social différent, supérieur à celui de ses parents.C’est ce que Bourdieu qualifie d’ascenseur social. L’école, en France, obligatoire et gratuitepermet, selon ses objectifs d’aboutir à une telle volonté ; changer l’ordre social, ne pas lelaisser tel qu’il est, et ne pas laisser la reproduction sociale choisir, mais le mérite et letravail. On remarque actuellement que, « face tout à la fois à une stagnation économique delongue durée (depuis près de trente ans) et à l’apparition d’inégalités intergénérationnellesnouvelles, au détriment des nouvelles générations qui subissent une remise en cause de ladynamique d’ascension sociale typique de la période précédente58 ». Alors si ce nouveauphénomène n’est, que passager, on peut bien évidemment se demander s’il franchira lesbarrières sociales. Car, si c’est un concept qui tend à s’accroitre chez les classes dominanteset dans les professions supérieures, les classes « inférieures », populaires sont qualifiéespar Peterson d’univores, pour la plupart. Selon cet auteur, les classes inférieures n’auraientpas une volonté d’omnivorité, mais ne consommerait que de la culture correspondant à laclasse à laquelle ils appartiendraient. Ainsi, pas question pour eux selon Peterson d’aller àun Opéra et le lendemain au stade de foot. L’auteur tente de l’expliquer par la pauvreté et lemanque de ressources de ces classes, ainsi que pas l’habitus restreint dont ils disposent. Ilest vrai, qu’il semble difficile de pouvoir étendre ses activités à une large palette de pratiquequand, le souci du quotidien se trouve en premier lieu être la possibilité de se loger et de senourrir correctement. Aller à un concert classique est somme toute complètement dérisoire,voir futile. Une autre explication que l’auteur expose serait l’étroitesse des goûts liée à uncapital culturel restreint, donc à un habitus restreint lui aussi.

    Il s’agit enfin, de la théorie de l’invisibilité. En effet, qui sont ces univores ? Lesdifférentes études dirigées par Paterson et par d’autres tendent à montrer que beaucoupdisent ne pas avoir d’activités culturelles. Dans un entretien privé avec Jadi Lopez, Petersonconfie que ce dernier, après une enquête sur les pratiques culturelles, a été forcé deconstater que 55% des personnes ayant répondu au questionnaire n’avaient pas depratiques culturelles. Ils ne considéraient pas d’activités culturelles utiles ou moyennementutiles. Sans doute, et Peterson le souligne dans son article59, que ces 55% n’avaient putrouvé dans la liste des activités proposées, des activités qu’ils pratiquaient ou jugeaientintéressantes, utiles. Mais, et Paterson s’interroge ici, ces personnes n’ayant pas trouvé que

    57 Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français, , édition la découverte Ministère de la culture58 Louis Chauvel, Les nouvelles générations devant la panne prolongée de l’ascenseur social, , (doc de travail préparatoire à

    l’article Revue de l’OFCE, janvier 2006, voir www.ofce.sciences-po.fr )59 Richard Peterson, Le passage à des gouts omnivores, notion faits et perspectives sociologie et société, n°1, 2004, p145-164

    http://www.ofce.sciences-po.fr/

  • Musique classique : d’une classe à l’autre

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    les pratiques culturelles étaient utiles, sont elles toutes semblables ? Peut on les classerdans une catégorie sociale, ou sont-elles réparties parmi plusieurs catégories ? L’univorepourtant, ne se trouve pas seulement dans les classes sociales les plus défavorisées, maisaussi chez les plus aisés. Paterson le décrit comme une façon différente de consommer,et qui, d’une certaine façon peut être qualifié de snobisme intellectuel. Mais en constatantque le snobisme intellectuel perdure, on pourrait être amener à se demander pour quelleraison l’omnivorité s’est développée ? Pour quelle raison, une personne occupant unemploi supérieur, aujourd’hui serait attiré par l’Opéra et en parallèle des films de BruceWillis ? Peterson invoque comme responsable de la diversité des pratiques, les médias, etnotamment les différents supports qui permettent d’avoir un accès plus aisé aux différentsarts. Ainsi, la télévision, le Compact Disque, le DVD, la radio, etc ont permis une diffusionexponentielle des arts. Ainsi, le goût du public pour la culture populaire s’accroit aux dépenddes arts raffinés traditionnels60 » par une concurrence directe. Selon Adorno, il est plusfacile, d’avoir accès à de tels divertissements plutôt qu’à des arts raffinés qui demandentune réflexion, une concentration. Selon lui, la « médiocrité, la violence et le sexe �diffusésau cours ces divertissement� va atteindre les bonnes familles ». Aujourd’hui, comme lelaissait entendre Adorno dans ses travaux, les arts « raffinés » ont affaire à une sérieuseconcurrence des arts populaires. Adorno voit cette concurrence d’un mauvais œil, mais fautil faire une opposition entre art populaire, art raffiné, avoir une vision manichéenne? Faireune telle opposition favorise l’exclusion des consommateurs d’art populaire.

    Les profils omnivores seraient, selon Paterson en partie dus à une plus grande difficultéde pratiquer l’exclusion dans la société actuelle. En effet, l’augmentation du niveau de vie,la massification des études (au moins jusqu’au bac) et l’influence des médias rend « legoût de l’élite plus accessible61 ». De même, la mobilité géographique que l’on constateactuellement favoriserait l’ouverture de l’élite. Paterson qualifie ce phénomène d’ouverture,et non de dégradation des pratiques culturelles. Toutefois, il est plus aisé pour l’élite qui créerle goût de s’approprier les différentes pratiques. Certaines pratiques considérées commepopulaires sont, appropriées par l’élite et deviennent, à partir de cet instant, des pratiquesraffinées. Le meilleur exemple que l’on pourrait trouver, dans la musique, serait le jazz. D’unemusique « nègre », ce style a réussi à s’imposer en tant que pratique reconnue. Désormais,le jazz est « branché », et, au vu des statistiques, encore moins accessible que la musiqueclassique (19% de la population française est déjà allé à un concert de jazz au moins unefois dans sa vie, contre 26% à un concert classique).

    Si l’on constate aujourd’hui un développement plus important de l’art populaire, on ledoit notamment à la force du marché et à l’ « esthétisation de la culture populaire62 ». Il nes’agit plus de considérer l’art populaire comme inférieure à l’art raffiné, ainsi, selon Blewitt,« pour décoder un film grand public, il faut autant de codes qu’un film d’art63 ». La valorisationde la culture jeune a elle aussi une importance non négligeable dans la diversification despratiques et genres de la classe supérieure ; La génération Woodstock notamment. Laculture jeune n’est plus, à partir de ce moment une série de pratiques passagères, et on neconsidère plus ces pratiques comme allant évoluées vers les pratiques sérieuses, vers l’artraffiné. La musique de Jimmy Hendrix, ou même des Beatles n’est pas considérée commeune passade, puisqu’elle est toujours écoutée, toujours connue de tous et ces musiciens,

    60 Ibid61 Ibid62 Richard Peterson, , Le passage à des gouts omnivores, notion faits et perspectives sociologie et société, n°1, 2004, p145-16463 Ibid

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    bien que morts pour la plupart, sont encore adulés de tous ; « toute musique qui survit àl’épreuve du temps peut être considérée comme musique classique64 ».

    Paterson souligne alors que, le profil « omnivore » constaté chez les classes ditessupérieures serait le signe d’un esprit universaliste, tandis que les classes dites inférieureset caractérisées par un comportement univore seraient elles caractérisées par un esprit declasse et donc restrictif.

    Ayant exposé cette nouvelle théorie de la répartition sociale des goûts musicaux,on peut toutefois se demander si cette nouvelle répartition de « l’hypothèse « omnivore/univore », plutôt que d’augurer d’un véritable affaiblissement des hiérarchies culturelles, netémoignerait pas, plus modestement, de leur reconfiguration65 ».

    2.2.2. Reconfiguration ou modification des hiérarchies culturelles ?Dans son article Les métamorphoses de la légitimité, classes sociales et goût musical enFrance, 1973-2008, Philippe Coulangeon, sans remettre en doute l’analyse de Petersonet des profils omnivore/univores, ce dernier se demande si ce modèle est une façonde réaffirmer la stratification des pratiques culturelles et plus particulièrement des goûtsmusicaux comme avait pu le théoriser Bourdieu dans La Distinction quelques annéesauparavant.

    Nombre de genres cités selon l’année de l’enquête (Philippe Coulangeon), Lesmétamorphoses de la légitimité

    L’enquête qui met en lumière la théorie de Coulangeon, est en réalité une comparaisonentre plusieurs enquêtes sur les goûts musicaux des Français, faites à plusieurspériodes différentes, s’étalant de 1978 à 2008. Coulangeon remarque une « augmentationsignificative de la proportion de répondants qui citent au moins un genre: elle est passée de

    64 Béatrice, Questionnaire, Annexe p13665 Philippe Coulangeon, Les métamorphoses de la légitimité, Classes sociales et goût musical en France, 1973-2008, ACTES

    DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 181-182 p. 88-105 Ibid

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    62 % en 1973 à 83 % en 2008. 66». Selon cette comparaison entre les différentes époques,on remarque que la part des omnivores « absolus », comme les qualifie Coulangeon, aatteint 3%. Cette omnivorité était cependant négligeable jusqu’en 1997 ; il y a donc eu uneforte évolution au cours des dix dernières années. Dans le questionnaire de 2008, 26 genresmusicaux sont proposés et parmi les répondants 4% des personnes ne choisissent aucungenre,, 0,3% en choisissent 10, mais 96% choisissent au moins un genre, 74% en citentdeux et 46% en citent trois. 5% de la population sondée cite six genres écoutés.

    Pourcentage de citation d’au moins un genre selon la catégorie socioprofessionnelledes répondants et de l’année de l’enquête

    La progression des personnes aux pratiques multiples paraît est « affecté d’un fortgradient social, et les écarts entre les catégories extrêmes sont sous ce rapport plusprononcés en fin qu’en début de période67 ». Ainsi, Coulangeon nous confirme que c’et parmiles classes populaires qu’on trouve le plus « d’amateurs exclusifs, dont les fans représententle cas de figure extrême68 ». D’autre part, le constat de la montée de l’éclectisme chezPeterson, s’intègre dans la logique de développement des arts populaires dont le vecteur,efficace qui plus est, seraient les médias. Cette évolution met pour lui en cause