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Mardi des Bernardins 22 mars 2011 Musique et transmission La musique est depuis l'aube de l'humanité une dimension essentielle et universelle de la culture, elle habite notre quotidien. Destinée à rassembler, la musique laisse apparaître aujourd'hui un ressenti antagoniste entre les musiques populaires d'une part et les musiques classique et contemporaine d'autre part. Ces dernières sont parfois perçues comme exclusives et réservées à quelques initiés. Mais derrière la différence des genres musicaux, comment s’affranchir de cette frontière symbolique ? Entre pratiq ue et écoute, comment transmettre les musiques ? Cette transmission nécessite-t-elle un apprentissage ? Catherine Escrive accueille pour ce débat deux intervenants de renom : Marc-Olivier Dupin, compositeur, a exercé de nombreuses responsabilités : il fut ainsi Directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (1993-2000), conseiller du Ministre Jack Lang au sein de la Mission de l'Éducation Artistique et de l'Action Culturelle (2000-2002) et directeur général de l'Orchestre National d'Ile-de-France (2002-2008). Il fut ensuite directeur de France Musique et directeur de la musique à Radio France jusquen février 2011. Il a écrit et publié, dans sa propre maison dédition Tsipka Dripka, Petits secrets de musicien et Ecoutez, cest très simple. René Martin, fondateur et directeur du CREA (Centre de réalisations et détudes artistiques) à Nantes, est le créateur et lorganisateur de nombreux festivals de musique, comme le Festival international de piano de la Roque-dAnthéron (depuis 1981) et la Folle journée de Nantes (depuis 1995). Depuis octobre 2010, le Collège des Bernardins propose une série de soirées consacrées à la musique et au thème de la transmission, afin de favoriser une démarche de médiation auprès dun large public. La table ronde « Musique et transmission » sinscrit donc dans la continuité de ce projet en accueillant Marc-Olivier Dupin et René Martin, deux professionnels qui, depuis de longues années, transmettent leur goût de la musique classique à tous types de publics. Le débat sur la transmission de la musique souvre pourtant sur un constat en demi-teinte. Léducation musicale en France est « sinistrée » pour Marc-Olivier Dupin, qui regrette que « l’éducation nationale et les écoles de musique contribuent bien trop peu au développement du goût pour la musique du plus grand nombre ». Malgré limportance des moyens engagés par lÉtat et les collectivités locales dans ce domaine, il existe un vrai « handicap » français dû à son passé révolutionnaire. En effet, cest à la révolution que la France sest coupée de ses racines musicales : le folklore local et ses transmissions millénaires se sont perdus au profit dune culture nationale, tandis que linterdiction des maîtrises, bien quelle ait engendré le développement des conservatoires, a freiné le développement des musiques savantes déglise. Or, la pratique du chant choral encore très présente dans certains pays européens était une vraie richesse : comme en témoigne Condorcet dans ses Mémoires sur linstruction publique, cette pratique formait les enfants à lécoute de lautre et à la vie sociale. Lintérêt de Marc-Olivier Dupin pour le chant choral est vif : durant deux ans, il a travaillé au sein du ministère de lÉducation nationale à la création de « Chartes départementales du développement de la pratique chorale » en réunissant les forces pédagogiques et artistiques des départements. Enfin, selon lui, la création du ministère de la culture eut un effet

Musique et transmission

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Depuis octobre 2010, le Collège des Bernardins propose une série de soirées consacrées à la musique et au thème de la transmission, afin de favoriser une démarche de médiation auprès d’un large public. La table ronde « Musique et transmission » s’inscrit donc dans la continuité de ce projet en accueillant Marc-Olivier Dupin et René Martin, deux professionnels qui, depuis de longues années, transmettent leur goût de la musique classique à tous types de publics.

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Page 1: Musique et transmission

Mardi des Bernardins 22 mars 2011

Musique et transmission La musique est depuis l'aube de l'humanité une dimension essentielle et universelle de la culture, elle habite

notre quotidien. Destinée à rassembler, la musique laisse apparaître aujourd'hui un ressenti antagoniste entre

les musiques populaires d'une part et les musiques classique et contemporaine d'autre part. Ces dernières sont

parfois perçues comme exclusives et réservées à quelques initiés. Mais derrière la différence des genres

musicaux, comment s’affranchir de cette frontière symbolique ? Entre pratique et écoute, comment transmettre

les musiques ? Cette transmission nécessite-t-elle un apprentissage ?

Catherine Escrive accueille pour ce débat deux intervenants de renom :

Marc-Olivier Dupin, compositeur, a exercé de nombreuses responsabilités : il fut ainsi Directeur du

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (1993-2000), conseiller du Ministre

Jack Lang au sein de la Mission de l'Éducation Artistique et de l'Action Culturelle (2000-2002) et

directeur général de l'Orchestre National d'Ile-de-France (2002-2008). Il fut ensuite directeur de

France Musique et directeur de la musique à Radio France jusqu’en février 2011. Il a écrit et publié,

dans sa propre maison d’édition Tsipka Dripka, Petits secrets de musicien et Ecoutez, c’est très simple.

René Martin, fondateur et directeur du CREA (Centre de réalisations et d’études artistiques) à Nantes,

est le créateur et l’organisateur de nombreux festivals de musique, comme le Festival international de

piano de la Roque-d’Anthéron (depuis 1981) et la Folle journée de Nantes (depuis 1995).

Depuis octobre 2010, le Collège des Bernardins propose une série de soirées consacrées à la

musique et au thème de la transmission, afin de favoriser une démarche de médiation auprès d’un

large public. La table ronde « Musique et transmission » s’inscrit donc dans la continuité de ce projet

en accueillant Marc-Olivier Dupin et René Martin, deux professionnels qui, depuis de longues années,

transmettent leur goût de la musique classique à tous types de publics.

Le débat sur la transmission de la musique s’ouvre pourtant sur un constat en demi-teinte.

L’éducation musicale en France est « sinistrée » pour Marc-Olivier Dupin, qui regrette que

« l’éducation nationale et les écoles de musique contribuent bien trop peu au développement du

goût pour la musique du plus grand nombre ». Malgré l’importance des moyens engagés par l’État et

les collectivités locales dans ce domaine, il existe un vrai « handicap » français dû à son passé

révolutionnaire. En effet, c’est à la révolution que la France s’est coupée de ses racines musicales : le

folklore local et ses transmissions millénaires se sont perdus au profit d’une culture nationale, tandis

que l’interdiction des maîtrises, bien qu’elle ait engendré le développement des conservatoires, a

freiné le développement des musiques savantes d’église. Or, la pratique du chant choral – encore

très présente dans certains pays européens – était une vraie richesse : comme en témoigne

Condorcet dans ses Mémoires sur l’instruction publique, cette pratique formait les enfants à l’écoute

de l’autre et à la vie sociale. L’intérêt de Marc-Olivier Dupin pour le chant choral est vif : durant deux

ans, il a travaillé au sein du ministère de l’Éducation nationale à la création de « Chartes

départementales du développement de la pratique chorale » en réunissant les forces pédagogiques

et artistiques des départements. Enfin, selon lui, la création du ministère de la culture eut un effet

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pervers sur l’éducation musicale, puisque l’éducation nationale ne fut plus directement en charge

des enseignements artistiques, qui s’en sont trouvés paradoxalement affaiblis.

Mais seuls les « débuts à la musique » semblent fragiles en France : le pays compte un grand

nombre d’élèves en musique ainsi que des écoles prestigieuses, comme tient à le souligner René

Martin. Il n’y a pourtant pas de spécificité française dans la transmission musicale, puisqu’aujourd’hui

les formes d’enseignement se rejoignent dans les grandes institutions internationales. Les étudiants

sont de plus en plus mobiles, à la recherche de grands pédagogues avec qui ils auraient les meilleures

affinités.

Quelles sont les clés d’une bonne transmission ? René Martin et Marc-Olivier Dupin soulignent à

plusieurs reprises deux points fondamentaux dans l’éducation musicale, afin de former des

« mélomanes » : il faut donner aux élèves les clés nécessaires pour aborder et comprendre les

œuvres, mais aussi les rendre « acteurs ». Les exemples de projets abondent : Marc-Olivier Dupin a

ainsi permis à des classes de collégiens de monter un spectacle musical au Zénith, tandis que René

Martin a créé des lieux de répétition et des ateliers de transcription de musique classique dans les

maisons de quartiers de la région de Nantes. L’implication des jeunes est réelle : il est donc

nécessaire de généraliser leur accès à ce genre de projets, mais aussi de renforcer la formation des

enseignants à ces pratiques. Si les professeurs de conservatoires bénéficient aujourd’hui de

formation diplômantes pour « apprendre à enseigner », les professeurs des écoles ont encore une

formation trop faible et trop théorique pour éveiller l’intérêt des élèves à la musique classique.

Comment transmettre le goût de la musique classique à un large public ? René Martin, en

créant la Folle Journée de Nantes, souhaitait rendre la musique classique accessible et faire venir aux

concerts un nouveau public.1 Cette démocratisation s’appuie sur deux mesures concrètes : la

production de concerts courts de 45 minutes avec des œuvres intégrales, et la baisse significative des

prix. L’immense succès de cette journée, qui a accueilli lors de sa dernière édition 140 000 personnes

dont environ 12% de jeunes pour 280 concerts, s’appuie surtout sur l’exigence de René Martin, qui

ne sacrifie en aucun cas l’excellence de la programmation et des interprètes. Seul l’accès au chef-

d’œuvre, pour Marc-Olivier Dupin, peut « créer du désir » chez les enfants et les adolescents, qu’ils

soient auditeurs ou acteurs. Il explique : « c’est parfois beaucoup plus important de prendre les gens

par l’émotion du chef-d’œuvre que de les lasser par des exercices théoriques ». Bientôt, ce sont les

chefs-d’œuvre du XXème siècle que René Martin aimerait faire découvrir au public. Le concept de sa

Folle Journée s’exporte aujourd’hui dans de nombreux pays avec toujours autant de succès, prouvant

que la musique, grâce à ce riche travail de médiation, trouve encore son public.

René Martin et Marc-Olivier Dupin se présentent comme des « marieurs » qui font rencontrer les

institutions, les artistes et le public. C’est par la présence de tels professionnels, de « passeurs »

sachant adapter leur discours et introduire les œuvres au public, que la transmission musicale et

l’éducation de mélomanes se poursuivent aujourd’hui.

1 La Folle Journée de Nantes se présente ainsi : « Événement populaire, La Folle Journée repose néanmoins sur des bases

artistiques exigeantes, clefs de son succès retentissant. Sa plus grande satisfaction est de détrôner les préjugés sur la

musique classique, sans briser les valeurs de celle-ci, offrir une proximité unique avec la musique et les musiciens sans

céder à une vulgarisation hâtive, ouvrir des horizons nouveaux sans imposer une voie unique. »