Upload
college-des-bernardins
View
214
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Depuis octobre 2010, le Collège des Bernardins propose une série de soirées consacrées à la musique et au thème de la transmission, afin de favoriser une démarche de médiation auprès d’un large public. La table ronde « Musique et transmission » s’inscrit donc dans la continuité de ce projet en accueillant Marc-Olivier Dupin et René Martin, deux professionnels qui, depuis de longues années, transmettent leur goût de la musique classique à tous types de publics.
Citation preview
Mardi des Bernardins 22 mars 2011
Musique et transmission La musique est depuis l'aube de l'humanité une dimension essentielle et universelle de la culture, elle habite
notre quotidien. Destinée à rassembler, la musique laisse apparaître aujourd'hui un ressenti antagoniste entre
les musiques populaires d'une part et les musiques classique et contemporaine d'autre part. Ces dernières sont
parfois perçues comme exclusives et réservées à quelques initiés. Mais derrière la différence des genres
musicaux, comment s’affranchir de cette frontière symbolique ? Entre pratique et écoute, comment transmettre
les musiques ? Cette transmission nécessite-t-elle un apprentissage ?
Catherine Escrive accueille pour ce débat deux intervenants de renom :
Marc-Olivier Dupin, compositeur, a exercé de nombreuses responsabilités : il fut ainsi Directeur du
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (1993-2000), conseiller du Ministre
Jack Lang au sein de la Mission de l'Éducation Artistique et de l'Action Culturelle (2000-2002) et
directeur général de l'Orchestre National d'Ile-de-France (2002-2008). Il fut ensuite directeur de
France Musique et directeur de la musique à Radio France jusqu’en février 2011. Il a écrit et publié,
dans sa propre maison d’édition Tsipka Dripka, Petits secrets de musicien et Ecoutez, c’est très simple.
René Martin, fondateur et directeur du CREA (Centre de réalisations et d’études artistiques) à Nantes,
est le créateur et l’organisateur de nombreux festivals de musique, comme le Festival international de
piano de la Roque-d’Anthéron (depuis 1981) et la Folle journée de Nantes (depuis 1995).
Depuis octobre 2010, le Collège des Bernardins propose une série de soirées consacrées à la
musique et au thème de la transmission, afin de favoriser une démarche de médiation auprès d’un
large public. La table ronde « Musique et transmission » s’inscrit donc dans la continuité de ce projet
en accueillant Marc-Olivier Dupin et René Martin, deux professionnels qui, depuis de longues années,
transmettent leur goût de la musique classique à tous types de publics.
Le débat sur la transmission de la musique s’ouvre pourtant sur un constat en demi-teinte.
L’éducation musicale en France est « sinistrée » pour Marc-Olivier Dupin, qui regrette que
« l’éducation nationale et les écoles de musique contribuent bien trop peu au développement du
goût pour la musique du plus grand nombre ». Malgré l’importance des moyens engagés par l’État et
les collectivités locales dans ce domaine, il existe un vrai « handicap » français dû à son passé
révolutionnaire. En effet, c’est à la révolution que la France s’est coupée de ses racines musicales : le
folklore local et ses transmissions millénaires se sont perdus au profit d’une culture nationale, tandis
que l’interdiction des maîtrises, bien qu’elle ait engendré le développement des conservatoires, a
freiné le développement des musiques savantes d’église. Or, la pratique du chant choral – encore
très présente dans certains pays européens – était une vraie richesse : comme en témoigne
Condorcet dans ses Mémoires sur l’instruction publique, cette pratique formait les enfants à l’écoute
de l’autre et à la vie sociale. L’intérêt de Marc-Olivier Dupin pour le chant choral est vif : durant deux
ans, il a travaillé au sein du ministère de l’Éducation nationale à la création de « Chartes
départementales du développement de la pratique chorale » en réunissant les forces pédagogiques
et artistiques des départements. Enfin, selon lui, la création du ministère de la culture eut un effet
pervers sur l’éducation musicale, puisque l’éducation nationale ne fut plus directement en charge
des enseignements artistiques, qui s’en sont trouvés paradoxalement affaiblis.
Mais seuls les « débuts à la musique » semblent fragiles en France : le pays compte un grand
nombre d’élèves en musique ainsi que des écoles prestigieuses, comme tient à le souligner René
Martin. Il n’y a pourtant pas de spécificité française dans la transmission musicale, puisqu’aujourd’hui
les formes d’enseignement se rejoignent dans les grandes institutions internationales. Les étudiants
sont de plus en plus mobiles, à la recherche de grands pédagogues avec qui ils auraient les meilleures
affinités.
Quelles sont les clés d’une bonne transmission ? René Martin et Marc-Olivier Dupin soulignent à
plusieurs reprises deux points fondamentaux dans l’éducation musicale, afin de former des
« mélomanes » : il faut donner aux élèves les clés nécessaires pour aborder et comprendre les
œuvres, mais aussi les rendre « acteurs ». Les exemples de projets abondent : Marc-Olivier Dupin a
ainsi permis à des classes de collégiens de monter un spectacle musical au Zénith, tandis que René
Martin a créé des lieux de répétition et des ateliers de transcription de musique classique dans les
maisons de quartiers de la région de Nantes. L’implication des jeunes est réelle : il est donc
nécessaire de généraliser leur accès à ce genre de projets, mais aussi de renforcer la formation des
enseignants à ces pratiques. Si les professeurs de conservatoires bénéficient aujourd’hui de
formation diplômantes pour « apprendre à enseigner », les professeurs des écoles ont encore une
formation trop faible et trop théorique pour éveiller l’intérêt des élèves à la musique classique.
Comment transmettre le goût de la musique classique à un large public ? René Martin, en
créant la Folle Journée de Nantes, souhaitait rendre la musique classique accessible et faire venir aux
concerts un nouveau public.1 Cette démocratisation s’appuie sur deux mesures concrètes : la
production de concerts courts de 45 minutes avec des œuvres intégrales, et la baisse significative des
prix. L’immense succès de cette journée, qui a accueilli lors de sa dernière édition 140 000 personnes
dont environ 12% de jeunes pour 280 concerts, s’appuie surtout sur l’exigence de René Martin, qui
ne sacrifie en aucun cas l’excellence de la programmation et des interprètes. Seul l’accès au chef-
d’œuvre, pour Marc-Olivier Dupin, peut « créer du désir » chez les enfants et les adolescents, qu’ils
soient auditeurs ou acteurs. Il explique : « c’est parfois beaucoup plus important de prendre les gens
par l’émotion du chef-d’œuvre que de les lasser par des exercices théoriques ». Bientôt, ce sont les
chefs-d’œuvre du XXème siècle que René Martin aimerait faire découvrir au public. Le concept de sa
Folle Journée s’exporte aujourd’hui dans de nombreux pays avec toujours autant de succès, prouvant
que la musique, grâce à ce riche travail de médiation, trouve encore son public.
René Martin et Marc-Olivier Dupin se présentent comme des « marieurs » qui font rencontrer les
institutions, les artistes et le public. C’est par la présence de tels professionnels, de « passeurs »
sachant adapter leur discours et introduire les œuvres au public, que la transmission musicale et
l’éducation de mélomanes se poursuivent aujourd’hui.
1 La Folle Journée de Nantes se présente ainsi : « Événement populaire, La Folle Journée repose néanmoins sur des bases
artistiques exigeantes, clefs de son succès retentissant. Sa plus grande satisfaction est de détrôner les préjugés sur la
musique classique, sans briser les valeurs de celle-ci, offrir une proximité unique avec la musique et les musiciens sans
céder à une vulgarisation hâtive, ouvrir des horizons nouveaux sans imposer une voie unique. »