30
MUSIQUE PÉDAGOGIE & La revue FAMEQ à la une volume 31 | numéro 3 | Été 2017 INFORMATION • Mot du président • Du violon à l’oreille PORTRAITS • 50 ans pour la SMCQ et 20 ans pour son volet jeunesse ! APPROCHES PÉDAGOGIQUES O Passo CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES • L’apport de stratégies de réflexion sur la capacité de création musicale des élèves de premier cycle du secondaire sans acquis musicaux RÉCITS DE PRATIQUE • Les Vocalies des Premières-Seigneuries • Le Festival Jazz Pop de Québec CHRONIQUES • Musique et apprentissages! • Les Musicales de l’éducation

MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

MUSIQUE PÉDAGOGIE&L a r e v u e F A M E Q à l a u n e volume 31 | numéro 3 | Été 2017

INFORMATION• Mot du président

• Du violon à l’oreille

PORTRAITS• 50 ans pour la SMCQ et 20 ans pour son volet jeunesse !

APPROCHES PÉDAGOGIQUES• O Passo

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES• L’apport de stratégies de réflexion sur la capacité de création musicale des élèves de premier cycle du secondaire sans acquis musicaux

RÉCITS DE PRATIQUE• Les Vocalies des Premières-Seigneuries

• Le Festival Jazz Pop de Québec

CHRONIQUES• Musique et apprentissages!

• Les Musicales de l’éducation

Page 2: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut
Page 3: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

MUSIQUE PÉDAGOGIE&

1 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

sommaire MOT DU PRÉSIDENT

par Gaétan St-Laurent 2

INFORMATION

Du violon à l’oreille : une nouvelle ressource pédagogique en musique trad

par Christine Bricault 3

PORTRAITS

50 ans pour la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et 20 ans pour son volet jeunesse!

par Claire Cavanagh 5

APPROCHES PÉDAGOGIQUES

O Passo : une approche à découvrir

par Jonathan Bolduc et Karine Guay 8

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES

L’apport de stratégies de réflexion sur la capacité de création musicale des élèves du premier cycle du secondaire sans acquis musicaux

par Pierre Loiselle et France Simard 10

RÉCITS DE PRATIQUES

Les Vocalies des Premières-Seigneuries : Chantons les grands d’ici

par Mireille Soucy 15

Festival Jazz Pop de Québec

par Stéphane Boulanger 16

CHRONIQUES

Musique et apprentissages!

par Jonathan Bolduc et Véronique Gaboury 18

Les Musicales de l’éducation : Quand le rapport analogique entre deux domaines s’invite dans les questions pédagogiques

par Muriel Deltand 20

ÉditeurFédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec

Éditrice déléguée Daniela GiudiceProfesseure de piano, Cégep de Saint-Laurent

[email protected]

Coordination, administration et abonnement institutionnelMaryse ForandDirectrice générale de la FAMEQ

[email protected]

Révision linguistiqueAmélie BoisProfesseure de clarinette et chef de l’Orchestre à vent du Cégep de Sainte-Foy

Assistant à la publication Vincent B.-Valentine, Ph.D.Professeur en pédagogie musicale, Département de musique, Université du Québec à Montréal

Comité scientifique • Jonathan Bolduc, Ph.D.Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages

Professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval

Directeur du laboratoire Mus-Alpha

• Thierry Champs, Ph.D. Professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du

Québec à Montréal

Directeur de l’unité des programmes de 1er cycle

• Yves de Champlain, Ph.D. Professeur adjoint en éducation, Secteur Administration, Arts et Sciences humaines,

Université de Moncton, Campus de Shippagan

• Muriel Deltand, Ph.D.

Enseignante chercheuse qualifiée en Art (section 18) et en Sciences Psychologiques et de l’éducation (section 70) – CNU (France)

Chercheuse permanente du laboratoire CIREL, équipe Trigone (EA 4354), Université de Lille 1 (France)

Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire, Haute École de Bruxelles, département pédagogique (Belgique)

Didacticienne des Arts et coréférence du pôle éveil, Haute École de Bruxelles, Département pédagogique (Belgique)

Conférencière dans les Écoles Supérieures des Arts belges

Musique et pédagogie accepte la soumission de textes et de photos, selon les conditions énoncées sur le site www.fameq.org

Les textes publiés présentent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas la FAMEQ

Dépôt légal: ISSN 0841 9428

Page 4: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

Mot du président

Une fin d’année scolaire est toujours effervescente. Effervescence des concerts, effervescence des réalisa-

tions de fin de parcours, effervescence des émotions. Et la FAMEQ n’y échappe pas !

La préparation du congrès annuel demeure au centre de nos activités. Cette année, il se tiendra au département de musique de la Faculté des Arts de l’Université du Québec à Montréal à la fin du mois d’octobre, du mercredi 25 au vendredi 27 octobre 2017. Tenu plus tôt cette année, le Congrès FAMEQ 2017 coïncide avec le 50e anniversaire de sa fondation. De nombreux événements spéciaux sont prévus. Nous sommes d’ailleurs très heureux d’annoncer que maestro Kent Nagano a accepté la présidence d’honneur de ce grand congrès et que c’est lui qui prononcera la conférence d’ouverture. Je vous invite à consulter régulièrement notre site web pour découvrir la programmation, riche en nouveautés. Un 50e anniversaire qui promet !

Avec ce numéro de Musique et Pédagogie, nous lançons officiellement la chronique

Musique et apprentissages ! de Jonathan Bolduc, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, et professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire à la Faculté de musique de l’Université Laval. Ses démonstrations de l’importance de l’éducation musicale chez les enfants sont inestimables.

Plusieurs de nos membres sont sur la ligne de front et luttent pour la survie de la musique dans leur école. La FAMEQ est derrière eux et les soutient. Plus que jamais, faisons valoir que l’enseignement de la musique chez les jeunes est essentiel. Que la musique prenne la place qui lui revient dans le cheminement scolaire de l’enfant, de la maternelle aux études supérieures.

Je termine en vous souhaitant de belles et bonnes vacances, oh combien méritées !

Au plaisir de vous retrouver énergisés et toujours débordants de projets l’automne prochain !

G a é t a n S T - L A U R E N T , président et enseignant de musique au primaire, Commission scolaire des Phares.

2 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Page 5: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

Du violon à l’oreille : une nouvelle ressource pédagogique en musique trad

I N F O R M AT I O N

C h r i s t i n e B R I C A U LT , coordonnatrice au Conseil québécois du patrimoine vivant.

Musiciens-éducateurs, vous avez envie de découvrir un répertoire différent ou de proposer de nouveaux défis à vos élèves ? La musique traditionnelle québécoise offre un répertoire unique, riche et quasi inépuisable. Elle représente une musique de plaisir et rassembleuse, qui intéresse les jeunes et les moins jeunes et qui en a fait raccrocher plus d’un à la musique. Osez tenter l’expérience ! Vous constaterez l’intérêt certain qu’elle suscitera. Les capsules vidéo Du violon à l’oreille enseignent des morceaux trad, joués à vitesse normale ou plus lentement, et expliquent plus généralement la façon de jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut l’essayer au moins une fois dans une vie. Cette fois, pas de partition. Apprendre un instrument à l’oreille est une technique particulièrement enrichissante pour un musicien qui permet de développer des aptitudes singulières. Voici donc une belle occasion d’approcher une nouvelle technique d’apprentissage tout en (re)découvrant un répertoire qui nous appartient tous.

Le Conseil québécois du patrimoine vivant est heureux de présenter Du violon à l’oreille, un projet de partage et de formation en musique traditionnelle. Pour chacun des six

musiciens de la ville de Québec sélectionnés, une série de 3 capsules vidéo a été produite, entièrement tournées au Palais Montcalm. Cette série se compose d’une interprétation, d’une capsule d’apprentissage du morceau joué lentement, ainsi que d’une note ethnomusicale (relation au morceau). Le caractère unique de ce projet provient entre autres de la qualité des musiciens qui ont accepté d’y participer et de la diversité de leur parcours respectif. Ils représentent trois générations de musiciens reconnus dans le milieu qui font vivre avec fierté la musique traditionnelle :

• Jade Gauthier : le Reel de Lévis• Jean-Marie Verret : le Quadrille des Lanciers – 4e partie• Liette Remon : la Gigue des Quatorze• Martin Racine : le Reel de Chicoutimi• Daniel Fréchette : le Reel de l’Enfant• Louis-Simon Lemieux : le 5-4-3

En plus des capsules vidéo, le site web du projet propose un portrait détaillé de chacun des musiciens sous forme de fiche encyclo-pédique. Comment ont-ils pris contact avec la musique traditionnelle? D’où vient leur ré-pertoire? De quelles influences leur jeu est-il empreint? Tapent-ils du pied? Composent-ils des airs? Autant de questions auxquelles les artistes participants ont pu répondre afin de créer une banque d’informations des plus enrichissantes.

3 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Crédit photo : Conseil québécois du patrimoine vivant

Page 6: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

4 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

I N F O R M AT I O N

Le projet Du violon à l’oreille est mené en collaboration avec Le violon de Jos, un projet multimédia d’encyclopédie vivante et dynamique du violon traditionnel québécois, conçu pour valoriser et partager la pratique de celui-ci, ainsi que pour en faciliter l’apprentissage. Allez découvrir toutes les possibilités pédagogiques de cette plate-forme.

UN ATELIER DU VIOLON À L’OREILLE CHEZ VOUS? C’EST POSSIBLE!

Le projet de médiation technologique Du violon à l’oreille peut également être présenté dans les établissements d’enseignement de la musique grâce à un service d’animation-conférences et selon une formule flexible adaptée à vos besoins, tout en utilisant les capsules vidéo pédagogiques comme outil complémentaire. Les élèves peuvent ensuite consulter en ligne ces ressources pour apprendre des techniques et du répertoire trad, autrement non enseignés dans le système public.

Soyez curieux! Allez jeter un coup d’œil et laissez-vous transporter par les surprenants airs traditionnels. Vos élèves aimeront sans aucun doute découvrir ces reels, quadrilles, six-huit et autres pièces transmises de génération en génération. Pour visionner la capsule promotionnelle et les 18 capsules vidéo, rendez-vous à l’adresse suivante : patrimoinevivant.qc.ca ou leviolondejos.wiki.

Le CQPV constitue l’ONG de regroupement national dans le secteur du patrimoine immatériel et des traditions vivantes, reconnu et soutenu par le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

Depuis 1993, il rassemble et défend les artistes, artisans, chercheurs, individus et plus de 70 organismes dans le domaine des traditions orales, incluant la musique. Le CQPV agit officiellement à titre d’organisation conseil auprès de l’UNESCO dans le cadre de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Pour plus d’information sur les ateliers Du violon à l’oreille, contactez Mme Christine Bricault, au 418-524-9090 | [email protected]

Page 7: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

50 ans pour la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et 20 ans pour son volet jeunesse !

P O R T R A I T S

C l a i r e C A V A N A G H , chargée de projets éducatifs à la SMCQ.

1966 : premières émissions de télévision en couleur à Radio-Canada, inauguration du Planétarium et du métro de Montréal.

1966 : fondation de la Fédération des femmes du Québec, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, dépôt de la Commission Rioux sur l’enseignement des arts au Québec.

1966 : nouvelles routes et gratte-ciel qui explosent à Montréal alors que les préparatifs pour Expo 67 battent leur plein.

1966 : effervescence de la Révolution tranquille où la société québécoise clame sa soif de liberté et d’ouverture sur le monde !

C’est dans ce bouillonnement politique, économique et culturel qu’a lieu, le 15 décembre 1966, le premier concert de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) présentant des œuvres de Pierre Boulez, Bruce Mather, Murray Schafer et Serge Garant. La Presse publiait le 3 décembre 1966 que « [la fondation récente de la SMCQ] marque aussi, et pour la première fois à l’échelle officielle, la reconnaissance de l’importance du compositeur dans la vie musicale d’une nation. » En effet, doyenne en Amérique du Nord dans le domaine, la SMCQ se

donne pour mission d’offrir une tribune aux musiques d’avant-garde et de faire connaître les compositeurs de notre temps. Ayant connu trois directeurs artistiques, soit les compositeurs Serge Garant, Gilles Tremblay et Walter Boudreau, la SMCQ jouit d’un développement remarquable, devenant en Amérique l’une des plus fortes institutions non gouvernementales consacrées aux musiques d’aujourd’hui. Elle a su acquérir ce statut privilégié grâce à la mise en place de grands événements rassembleurs et récurrents, dont le Festival MNM Montréal/Nouvelles Musiques et la Série hommage, en plus d’un volet jeunesse au dynamisme incomparable.

LE MILIEU SCOLAIRE : UN ALLIÉ INDISPENSABLE

Afin de toucher toutes les générations, la SMCQ instaure en 1997 son volet jeunesse qui propose des spectacles pour enfants, mais aussi des outils pédagogiques conçus avec et pour les enseignants. Les professeurs dans les écoles, véritables catalyseurs culturels, deviennent des alliés indispensables pour éveiller les jeunes à la musique d’aujourd’hui dans toute sa richesse et sa diversité. Afin d’apporter une réelle contribution et de répondre aux exigences du milieu scolaire, nous travaillons étroitement depuis plusieurs années avec des pédagogues, dont la conseillère pédagogique en musique Hélène Lévesque de la Commission scolaire de Montréal (CSDM). Cette précieuse collaboration a d’ailleurs conduit à la signature d’un partenariat officiel en mai 2015. Grâce à ce travail d’équipe, nous sommes fiers de constater que les écoles participent aux projets de la SMCQ en plus grand nombre et avec un enthousiasme toujours croissant. En 2015-2016, ce sont plus de 32 783 jeunes au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick qui ont découvert le compositeur

5 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

BiographieClaire Cavanagh est chargée de projets éducatifs à la SMCQ depuis 2010, ce qui l’a amenée à travailler avec des compositeurs, des enseignants et des jeunes pour coordonner des événements et concevoir des outils pédagogiques. Elle a animé des ateliers pour la SMCQ dans les écoles primaires et a donné des cours de piano en parascolaire. Parallèlement à ses activités professionnelles, elle a aussi entrepris une maîtrise en éducation musicale à la Faculté de musique de l’Université Laval sous la direction de Valerie Peters et de Catherine Ratelle. Son mémoire porte sur l’impact d’une collaboration entre un organisme culturel et les écoles dans le cadre de l’enseignement de la création musicale.

Page 8: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

P O R T R A I T S

6 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

John Rea dans le cadre du projet Grand jeu/Grande écoute (voir encadré) : un véritable record !

DES CRÉATIONS SUR MESURE ET UNE PLATE-FORME WEB POUR FÊTER LE 20e ANNIVERSAIRE DU VOLET JEUNESSE !

Un 20e anniversaire, ça se fête ! Et pour l’occasion, la SMCQ Jeunesse lance deux magnifiques projets. D’abord, le recueil « Chantons nos compositeurs » qui regroupe des œuvres écrites spécialement pour chœurs d’enfants du primaire par six compositeurs de renom : Éric Champagne, José Evangelista, Denis Gougeon, François-Hugues Leclair, John Rea et Ana Sokolovi. Alors que les compositeurs étaient invités à relever le défi de synthétiser leur esthétique personnelle par des moyens musicaux accessibles, les jeunes auront la fierté d’interpréter des œuvres écrites sur mesure à leur intention. Ils goûteront à l’univers fascinant de nos artistes, tout en s’ouvrant à de nouvelles sonorités. C’est d’ailleurs déjà mission accomplie : le recueil a été lancé officiellement aux Choralies de Gatineau en mai 2017 par 1 500 élèves. Les sourires des choristes et les échos positifs des enfants, des enseignants et des parents témoignent de la richesse et de la pertinence de ce projet, fruit d’un grand travail de collaboration avec un comité éducatif, les compositeurs, la conseillère pédagogique en musique Johanne Couture et les enseignants de la Commission scolaire des Draveurs. Pour ceux qui n’étaient pas présents, il sera possible d’entendre les œuvres du recueil au Grand

concert FAMEQ 2017, interprétées cette fois-ci par les Chœurs de l’École des jeunes de l’Université de Montréal sous la direction de Tiphaine Legrand. Un atelier sera également offert pendant le congrès afin de découvrir ces bijoux avec la dynamique Mme Legrand.

Le deuxième projet novateur, une nouvelle plateforme éducative, sera lancé à l’automne 2017. Tout le matériel produit au fil des ans — bandes dessinées, guides pédagogiques, capsules vidéo, extraits audio — sera disponible gratuitement en téléchargement pour les abonnés. Des activités interactives (entre autres pour tableaux numériques interactifs [TNI]) s’ajouteront progressivement et un espace de partage permettra de mettre en ligne des enregistrements, des photos et des commentaires des projets réalisés… afin de s’inspirer mutuellement et de mettre en commun toutes les bonnes idées !

Par ces projets, la SMCQ poursuit sa mission de créer des ponts entre les compositeurs, bâtisseurs de notre héritage culturel, et la génération future qui en sera la gardienne et le prolongement. L’invitation est lancée : en 2017, joignez-vous à la fête avec vos élèves et célébrez avec nous la musique d’aujourd’hui !

Pour recevoir des informations sur les projets à venir, veuillez écrire à Claire Cavanagh : [email protected]

PROJET GRAND JEU/ GRANDE ÉCOUTE

La SMCQ offre une trousse pédagogique gratuite pour découvrir en classe le compositeur à l’honneur :

- Bande dessinée sur la vie du compositeur- Guide proposant des activités d’appréciation,

d’interprétation et de création et des fiches reproductibles et d’évaluation

- Capsules vidéo- Extraits audio en lien avec les activités- Affichette

Quelques commentaires d’enseignants ayant participé à la dernière édition autour du compositeur John Rea :

« Les idées proposées étaient stimulantes, elles apportent un angle nouveau sur la manière d’apporter des concepts musicaux et de création. »

« Les enfants sont très réceptifs à ce genre de musique. De plus, les activités “clé en main“ préparées par la SMCQ sont vraiment aidantes. Je ne pense pas que je le ferais si je devais faire toutes les recherches moi-même en plus d’inventer l’activité. »

« J’ai l’intention de me réinscrire à cette activité puisque j’ai compris l’importance de l’ouverture d’esprit de mes élèves. Nous leur faisons découvrir de la musique des autres pays, mais nous n’accordons pas assez d’importance à la musique d’ici. Celle-ci est différente, mais elle fait partie de notre société. »

« C’est par ces activités que je développe mon expertise à faire créer les jeunes. Ça m’inspire et me nourrit. »

Surveillez la prochaine édition autour du compositeur José Evangelista qui paraîtra en octobre 2017 !

Des élèves de l’école François-de-Laval sous la direction de Jean-Marc Dugré interprètent Pincer, penser, chanter de John Rea au concert « Compositeurs en herbe 2016 » à la Cinquième salle de la Place des Arts en présence du compositeur (avril 2016).

Crédit photo : Marc-André Robitaille

Page 9: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

7 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Des élèves de l’école de la Samare sous la direction de Roxanne Turcotte présentent leur création Symphonie d’insectes inspirée de L’Homme Papillon de John Rea au concert « Compositeurs en herbe 2016 » à la Cinquième salle de la Place des Arts en présence du compositeur (avril 2016).

Crédit photo : Marc-André Robitaille

Le compositeur John Rea rencontre des élèves du Collège Jean-de-la-Mennais qui s’inspireront de son œuvre Las Meninas pour leurs propres créations (mars 2016).

Lancement du projet « Grand jeu/Grande écoute John Rea » à l’école Saint-Luc en septembre 2015.

Page 10: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

8 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

O Passo : une approche à découvrir

A P P R O C H E S P É D A G O G I Q U E S

K a r i n e G U AY , étudiante à la maîtrise en éducation musicale, Université Laval. J o n a t h a n B O L D U C , Ph. D, professeur titulaire en éducation musicale, Université Laval, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages.

Il est reconnu depuis plusieurs années que l’intégration des approches actives (Dalcroze, Orff, Kodaly, Martenot) est à la base d’une éducation musicale de qualité au primaire. Les raisons en sont simples : ces approches tiennent compte du développement global de l’enfant et sollicitent sa participation ainsi que son engagement continu en se fondant sur des expériences authentiques et significatives. Au cours des derniers mois, nous avons découvert l’approche O Passo qui repose également sur ces assises. Élaborée depuis 1996 par le musicien brésilien Lucas Ciavatta, elle est le fruit de plusieurs années de questionnements, de recherches et de collaborations. Cet article vise d’abord à vous présenter les fondements, les principes et les piliers de cette approche active. Nous décrirons ensuite quelques concepts pédagogiques qui y sont associés.

FONDEMENTS, PRINCIPES ET PILIERS

En portugais, O Passo signifie « le pas ». Basée sur un mouvement de marche précis associé à des rythmes et à du solfège, cette approche vise la construction de connaissances permettant une meilleure compréhension du rythme et du son en général. L’intégration des éléments-clés de la musique se fait oralement, corporellement et graphiquement. Selon la philosophie de cette approche, une connaissance musicale n’est acquise que lorsqu’elle est physiquement et mentalement comprise. O Passo s’appuie sur deux principes et quatre piliers qui sont décrits ci-dessous.

D’une part, l’inclusion est l’un des principes de l’approche O Passo. Les connaissances se développent au contact de l’environnement musical, ce qui revient à dire que tout ne repose pas sur des

composantes biologiques (facteurs innés). De ce fait, lorsqu’on évalue un enfant, on ne lui demande pas s’il sait ou non; on l’invite plutôt à réaliser un exercice, un pas, une frappe de mains, qui lui donnera la certitude qu’il connaît bien la notion enseignée. Dès lors, on comprend que l’une des grandes forces d’O Passo est d’être basé sur la marche, faculté maîtrisée par la majorité des apprenants.

D’autre part, l’autonomie constitue le second principe de l’approche O Passo et vise à développer l’indépendance chez l’élève. Au fil des années, Ciavatta a observé que des musiciens, dans un groupe de percussions par exemple, peuvent passer plusieurs années à jouer ensemble sans acquérir de notions rythmiques précises. Autrement dit, ils se fient aux autres pour suivre leur partie rythmique ou pour savoir quand commencer leur phrase. Ciavatta propose, avec O Passo, une sorte de méthode d’alphabétisation musicale. De ce fait, l’approche O Passo tend à promouvoir l’autonomie des apprenants par une nouvelle compréhension et une nouvelle intégration des éléments musicaux.

Les quatre piliers sur lesquels s’appuie l’approche O Passo sont le corps, l’imagination, le groupe (musique d’ensemble) et la culture. Le corps est vu comme l’instrument indispensable par lequel passe la compréhension et l’intégration des éléments musicaux. C’est aussi à travers lui que se développe le concept de schéma corporel. Ce concept est lié à la capacité de représenter mentalement son corps par rapport à une série de mouvements. De plus, les notions d’espace et de temps seraient construites par l’expérience corporelle vécue en musique.

L’imagination, quant à elle, s’articule autour du concept d’unité entre le corps et la pensée dans le processus d’apprentissage. En d’autres termes, la pensée organise la connaissance en même temps que le corps bouge et s’approprie la musique.

En complément, le travail de groupe (musique d’ensemble) est essentiel. Les réalisations polyphoniques, rythmiques et chantées sont encouragées aussitôt que possible. Celles-ci permettent une écoute de soi et des autres,

8

Biographie de Lucas CiavattaMusicien, éducateur et titulaire d’une maîtrise en éducation de l’Université Fédérale Fluminense, il a créé la méthode O Passo en 1996. Il est aussi directeur de l’Institut d’O Passo et directeur de l’ensemble Bloco d’O Passo et de Bloco d’O Passo na Rua. Depuis la création d’O Passo, il a été appelé à voyager au Brésil, aux États-Unis, en France, au Chili, en Autriche, en Uruguay et en Allemagne afin de former des musiciens éducateurs et de faire connaître sa pédagogie.

Pour des informations supplémentaires, pour visionner des vidéos et voir des exemples de partitions d’O Passo : www.opasso.com.br

Page 11: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

A P P R O C H E S P É D A G O G I Q U E S

mais aussi un dialogue et un partage collectif de la musique où chacun contribue au groupe dans lequel il participe.

Enfin, la culture populaire brésilienne est une référence fondamentale dans O Passo, mais l’approche se transpose dans n’importe quelle culture. Des exercices rythmiques aux chorals de Bach, de la musique de Wagner à la samba, tout est possible!

NOUVEAUX CONCEPTS PÉDAGOGIQUES

O Passo introduit de nouveaux concepts pédagogiques dans l’enseignement-apprentissage du rythme et du son, comme la position et l’espace musical. On retrouve également d’autres modalités, tels le mouvement (le pas) et un système de notation orale, corporelle et graphique.

Le concept de position, élément nouveau et intéressant, est proposé comme un nouveau paramètre sonore. La compréhension du concept de la durée s’est souvent révélée insuffisante pour tenter de résoudre des difficultés rythmiques observées pendant l’enseignement. En ajoutant un espace musical, soit un mouvement - une verticalité à la représentation de la durée musicale - on permet au corps et à la pensée de mieux intégrer les temps et les contretemps, ou les temps et ses divisions; une dimension supplémentaire intéressante à considérer.

L’approche O Passo préconise aussi le solfège (pulsation et justesse de la voix). Par la marche, O Passo travaille d’abord l’intériorisation de la pulsation. Pour ce qui est de la justesse, O Passo privilégie

le solfège par degrés. Au lieu de chanter les notes de la gamme diatonique avec leurs noms (do-ré-mi), on chante les notes avec les chiffres correspondants à leur degré dans la gamme (1 à 7). En complément, il existe trois formes de notation privilégiées qui permettront le développement de l’autonomie de l’élève. La notation corporelle, la notation orale et la notation graphique sont travaillées simultanément et systématiquement dans la démarche d’enseignement-apprentissage, l’objectif étant que l’élève comprenne l’organisation musicale par les trois formes de notation. En plus du mouvement de marche qui représente une forme de battue avec les pieds, O Passo utilise la partition O Passo, notation graphique qui exprime des idées musicales par des chiffres et des voyelles. Ces chiffres et voyelles sont exprimés à voix haute (exemple de notation orale) lors du travail rythmique. Les trois notations associées permettent une meilleure compréhension rythmique et musicale.

EN RÉSUMÉ

Accessible aux musiciens et aux non-musiciens, à des gens de tous âges et de toutes les cultures, O Passo se veut une nouvelle approche active d’enseignement de la musique. En offrant des bases rythmique et musicale solides, cette pédagogie pourra servir à enrichir les méthodes d’éducation musicale actives déjà utilisées par les musiciens éducateurs.

9 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

RÉFÉRENCES

Ciavatta, L. (sous presse). O Passo, Musique et éducation. (C. Thomasset, trad.). Paris, France : Symétrie. (Ouvrage original publié en 2009 sous le titre O Passo - Música e Educação. Rio de Janeiro).

Récupéré le 10 mai 2017 du site du Conservatoire de Proximité : http://www.avousdejouer07.org/La-vie-de-l-Association/manifestations-passee/2011-2012/Stage-de-rythme-O-Passo

Récupéré le 10 mai 2017 du site Combinacion Perfecta : http://www.combinacion-perfecta.com/node/21

Récupéré le 10 mai 2017 du site La Musique et Vous : http://la-musique-et-vous.com/o-passo/

Page 12: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

L’apport de stratégies de réflexion sur la capacité de création musicale des élèves du premier cycle du secondaire sans acquis musicaux

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

Nous possédons tous la capacité de créer, mais seule une minorité de personnes arrive à la concrétiser. Dans notre société, les créateurs sont par conséquent une denrée très prisée, peu importe le secteur d’activités : toutes les entreprises du monde sont à la recherche d’employés capables de résoudre des problèmes de manière innovante et de générer des idées novatrices qui leur permettront de se positionner avantageusement par rapport aux concurrents. La créativité n’est donc pas l’apanage des arts. Elle se manifeste au contraire dans tous les domaines comme l’un des principaux vecteurs d’adaptation et de développement. C’est pourquoi la plupart des systèmes d’éducation y accordent une très grande importance. Au Québec, dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), la créativité figure au nombre des compétences transversales à développer chez les élèves dans toutes les matières. En musique, elle est spécifiquement mobilisée par la compétence disciplinaire Créer/Inventer des œuvres musicales. En effet, à travers le processus de création musicale, l’élève doit exploiter et structurer de manière créative des idées, des moyens sonores et des éléments du langage musical. Ce processus de création n’est pas simple et, pour être significatif, le développement de la compétence Créer/inventer devrait prendre appui sur des stratégies pédagogiques appropriées. Or, les enseignants de musique sont peu outillés pour soutenir le développement de cette compétence, notamment en ce qui a trait aux processus cognitifs qui sous-tendent la créativité. PIERRE LOISELLE

Crédit photo : Gabrielle Lusignan

FRANCE SIMARD Crédit photo : Robin Drolet

Mais quels sont ces processus et comment pouvons-nous les stimuler dans un cours de

musique? Nous avons trouvé des réponses à ces questions durant notre cheminement dans le programme de la maîtrise en enseignement des arts de l’UQAM. Les cours de pratique supervisée nous ont amenés à élaborer un projet pédagogique novateur et mobilisateur dans lequel les élèves ont réalisé les apprentissages nécessaires à la création d’une œuvre musicale évaluable et adaptée à leur niveau.

Ce court texte exposera les grandes lignes de notre démarche de recherche et montrera de quelle manière la créativité peut être stimulée en classe de musique. Plus spécifiquement, nous verrons que la formulation de critères d’évaluation

mesurables et observables a permis de faire une quantification significativement valable de la compétence Créer et d’évaluer l’efficacité des séquences d’enseignement élaborées pour engager les élèves dans un processus de création musicale.

LES STYLES COGNITIFS

Plusieurs auteurs se sont penchés sur les styles cognitifs et ont émis l’idée qu’il existe différentes formes de pensée dans la démarche de création. Selon Cottraux (2010), le terme style cognitif réfère à la manière dont un individu perçoit, mémorise et traite l’information. Parmi les facteurs cognitifs les plus connus, on retrouve la pensée divergente, qui, selon Besançon (2011), est un processus mental qui permet de produire de nombreuses idées à partir d’un stimulus unique. Il définit aussi la

P i e r r e L O I S E L L E , enseignant de musique au secondaire, Commission scolaire de Laval.F r a n c e S I M A R D , professeure associée, Département de musique, Université du Québec à Montréal.

10 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Page 13: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

11 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

flexibilité mentale comme l’aptitude à trouver différentes solutions à un problème et à envisager un problème sous des angles différents; il ne s’agit pas que de multiplier les idées, mais de changer d’angle d’attaque, de se dégager des habitudes de pensées.

Un autre auteur, Edward De Bono, a développé un modèle qui, à notre avis, permet de mieux développer le processus de création chez nos élèves : la pensée latérale. De Bono (2013) la définit comme la recherche de solutions à un problème en utilisant des méthodes non orthodoxes qui peuvent même paraître illogiques. La pensée latérale a donc un sens plus large que la pensée divergente, car elle cherche à modifier les méthodes systématiques utilisées pour modifier les concepts et les perceptions dans le but d’en créer de nouveaux. Pour y arriver, l’auteur a choisi d’attribuer un style cognitif particulier à chacun des membres d’une équipe afin de créer ce déséquilibre (modification de perception). Nous détaillerons plus

loin ce processus. Dans le cadre de cette recherche-action, nous avons intégré ces processus et avons aussi mis en action la pensée convergente qui, elle, suit un ensemble d’étapes logiques pour parvenir à une solution. De Bono (2013) affirme que même les gens qui possèdent un talent créatif ont besoin d’un cadre pour progresser, mais celui-ci doit être souple et flexible, non axé sur la critique, afin que les différents processus de pensée puissent être appliqués sans crainte. En résumé, si le but à atteindre est de stimuler la créativité des élèves, il faut trouver un moyen simple et efficace de faire en sorte que les élèves qui doivent créer puissent appliquer différents styles cognitifs dans leur processus de création. Mais pourquoi vouloir créer? Voici quelques arguments qui mettent en évidence les effets positifs de l’acte de créer.

LE CERVEAU CRÉATEUR

Existe-t-il des bienfaits à l’acte de création sur le cerveau des élèves? Besançon (2011) a démontré une activité plus élevée du flux sanguin dans le lobe frontal chez des sujets soumis à des tests de pensée divergente. Todd Lubart (2003), démontre quant à lui que les gens créatifs présentent une plus grande quantité de neurones qui établissent des connexions entre les six couches corticales du cerveau et que le facteur de la flexibilité mentale est directement lié à une activité neurologique. Ainsi, si on tient compte de la plasticité du cerveau, on peut dire que toutes les actions entreprises dans le cadre des activités de création musicale seront bénéfiques à la croissance du cerveau des élèves et par conséquent à leur apprentissage.

LE PROJET ET L’EXPÉRIMENTATION

Le projet novateur mis de l’avant dans cette recherche-action était au cœur même d’une situation d’apprentissage et d’évaluation qui s’intitule Sonorisation d’une bande vidéo. Au terme du projet, les élèves ont tourné eux-mêmes, avec leur appareil mobile, une courte vidéo d’une durée de deux minutes. Ils y ont ajouté, en synchronisation

Crédit photo : Gabrielle Lusignan

Biographie de Pierre LoisellePierre Loiselle enseigne la musique à la Commission scolaire de Laval depuis 2008, principalement à l’école secondaire Saint-Maxime. Après des études en guitare jazz, il a entrepris une carrière sur les différentes scènes du Québec comme musicien pigiste, comme membre de différents groupes et comme directeur musical de spectacles en salle. En 2015, il a obtenu une maîtrise en enseignement des arts (concentration musique) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), avec un projet de recherche-action dirigé par France Simard : l’apport de stratégies de réflexion stimulant la créativité sur la capacité de création musicale des élèves du premier cycle du secondaire sans acquis musicaux.

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

Page 14: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

avec l’image, une piste de bruitage, puis un court thème musical de leur cru pour appuyer l’ambiance de la vidéo.

L’objectif de la démarche était de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’utilisation d’une combinaison de séquences d’apprentissages éprouvées au cours des deux années précédentes, arrimées cette fois-ci à l’apport de différents styles cognitifs et de stratégies de pensées

stimulant la créativité, aurait un effet direct sur la capacité des élèves à produire une création musicale valable, évaluable et mesurable selon des critères et des indicateurs mesurables et observables. Les trois groupes à l’étude étaient en tous points semblables. Les deux groupes de contrôle et le groupe témoin se composaient en moyenne de 26 élèves âgés de 13 ans sans acquis musicaux. Au terme de quatre mois de cours de musique, les élèves avaient acquis certaines connaissances musicales et certains comportements sociaux pour pouvoir travailler en groupe. Voici où en étaient les 26 élèves en deuxième partie d’année :

LE DÉROULEMENTNous avons formé 5 groupes d’élèves. En utilisant la méthode du plan cartésien, chaque groupe a produit un plan de montage vidéo. Puis, avec un téléphone, chaque équipe a tourné une vidéo d’une durée de deux minutes. Tous ont ensuite eu à répéter et à exécuter une séquence de bruitage synchronisée avec les images tournées. L’enseignant a enregistré les productions sur son ordinateur. C’est à l’étape de la création du thème musical que les facteurs cognitifs de pensées divergente, latérale et convergente ont été présentés aux élèves du groupe expérimental. C’est notamment avec ce nouvel ajout que la présente recherche-action prenait tout son sens. La mise en application de ces facteurs a été réalisée à partir de la stratégie des six chapeaux de De Bono (2013) qui s’est avérée un outil très efficace

quant à l’attribution, à tour de rôle, des différentes formes de pensée divergente, convergente et latérale. À l’intérieur des équipes du groupe cible, on a attribué à chacun des élèves une étiquette représentant un chapeau imaginaire à porter. À ce chapeau était associé un rôle, un comportement cognitif à adopter dans le processus de production et de sélection des idées. Toutes les idées amenées par les membres des équipes ont dû passer par le processus du jeu de rôles créé par la technique des six chapeaux.

Chapeau blanc : L’information - Prise en charge des solutions émises par le chapeau jaune et les autres.

Chapeau rouge : L’intuition, les sentiments - Aspect conatif. Ce que la tâche ou les solutions inspirent.

Chapeau noir : Questionnement des solutions. Pensée convergente. Évaluation des solutions émises par le chapeau jaune et les autres.

Chapeau jaune : Possibilités. Pensée divergente en rapport avec la pensée convergente.

Chapeau vert : Nouvelles possibilités. Prise de risques, pensée latérale, amorçant le brainstorming.

Chapeau bleu : Retour critique, évaluation des choix. Pensée convergente, régulation de la situation.

12 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Crédit photo : Gabrielle Lusignan26

Arrivent à faire des rythmes en utilisant la prononciation Martenot

25 Arrivent à compter une pulsation de départ

26Peuvent utiliser différentes formules rythmiques pour combler une mesure de 4/4, 2/4, 3/4

26Arrivent à composer une mélodie de 4 mesures en util-isant les notes des accords attribués à ces mesures

24 Peuvent identifier les notes sur la portée en clé de sol

26 Arrivent à jouer ces notes à la guitare - après répétition

26Appliquent les techniques de base de la répétition en petit groupe : pulsation et répétition en blocs courts

24Arrivent à synchroniser des frappes de bruitage à une séquence vidéo muette (avec métronome)

26Fonctionnent bien au sein d’une équipe sans tensions interpersonnelles

Tableau 3 – Vérification des acquis nécessaires pour entamer le projet de création pour les 26 élèves du groupe cible

En exemple, l’étiquette du chapeau bleu et le rôle de celui-ci.Crédit image : Pierre Loiselle

Page 15: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

13 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Le résultat de chaque démarche de création a été soumis à l’approbation des pairs. Une idée proposée faisait face à trois destins. Une sanction majoritairement positive la propulsait au rang d’idée retenue; une approbation mitigée la renvoyait au départ et elle devait refaire le cycle; une mauvaise cote la conduisait à la poubelle. Nous avons nommé ce cycle progression cyclique de création.

Au cours de cette activité, les élèves ont appris à ne pas avoir peur du ridicule, de l’erreur ou de la compétition, à faire preuve de flexibilité en acceptant les idées des autres, à prendre des risques

et à mettre de côté la logique au profit du renouveau. Il a été noté que les élèves ont utilisé d’emblée la stratégie des six chapeaux de la réflexion stimulant la créativité en tout temps. Une fois tous les thèmes musicaux créés, répétés, interprétés par les élèves et sauvegardés par l’enseignant, il a fallu évaluer chaque vidéo et tenter ensuite d’interpréter les résultats obtenus.

Afin d’assurer la solidité et la précision de l’évaluation des différentes productions, un panel de juges a été formé. Aucune définition explicite de ce qu’est la créativité ne fut fournie aux juges et tous les films, ceux du groupe expérimental et ceux des groupes contrôles, furent projetés dans un ordre aléatoire. La grille d’observation utilisée par les juges comportait des critères précis tels que le respect des règles, l’originalité, la prise de risque, la nouveauté, l’exploitation des ressources, la complexité et, surtout, la création de l’ambiance. Chacun de ces critères possédait également plusieurs indicateurs observables. Ainsi, après analyse et compilation des résultats attribués par les juges, la moyenne générale du groupe expérimental fut de 10 % supérieure à celle des groupes de contrôle. L’amélioration la plus importante fut notée au critère de l’ambiance qu’apporte le thème musical créé au film produit.

EN CONCLUSION

Sans savoir qu’ils expérimentaient des styles cognitifs, les élèves du groupe expérimental ont mis en œuvre la pensée divergente, la pensée latérale, la prise de risques, le brainstorming et la pensée convergente. Aussi serait-il faux de prétendre que les équipes des groupes de contrôle n’ont pas mis en œuvre tous ces styles cognitifs.

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

Biographie de France SimardFrance Simard est professeure associée au Département de musique de l’UQAM. Elle détient un doctorat en sciences biomédicales de l’Université de Montréal et a complété un stage postdoctoral à l’UQAM où elle a étudié les bases neurologiques de la mémoire de travail chez l’enfant musicien. Ses recherches portent sur les mécanismes neurologiques qui supportent le développement de la mémoire de travail chez l’enfant. Pour ce faire, elle utilise l’électroencéphalographie chez les enfants. Ses autres intérêts de recherche portent sur les rythmes cérébraux associés à la mémoire (EEG), la relation entre le développement moteur et le développement cognitif de l’enfant. Elle est chercheure au laboratoire Cerveau, Motricité, Langage de l’UQAM.

Progression cyclique du processus de création.Crédit image : Pierre Loiselle

Page 16: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

RÉFÉRENCES

Barth, B.-M. (2013). Élève chercheur, enseignant médiateur. Paris : Retz.Besançon, M. (2011). Les clés de la créativité. Cerveau & Psycho 46, Édition Internet, Paris.Besançon, M. Lubart, T., Barbot, B. (2013). Creative Giftedness and educational opportunities. Educational & Child Psychology 30 (2): 79-88. Cottraux, J. (2010). À chacun sa créativité. Paris : Odile Jacob.De Bono, E. (2013). La boîte à outils de la créativité. Paris : Eyrolles.Lubart, T. et al. (2003). Psychologie de la créativité. Armand Colin, ePub.

14 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

Dans tout travail de groupe, une action apparentée à la méthode des six chapeaux survient de façon naturelle, non provoquée. Il n’y avait certes pas absence totale de pensées stimulant la créativité, mais celles-ci n’étaient ni structurées ni encadrées. La présence non intentionnelle de cette action naturelle de styles cognitifs pourrait expliquer que l’on ne retrouve pas de différence énorme entre les moyennes générales des groupes. Par contre, si, selon Barth (2013), l’esprit ne comprend

que ce qu’il sait construire, les élèves du groupe expérimental sont maintenant à même de comprendre comment construire une action créatrice et peuvent faire intervenir consciemment différents styles cognitifs et ainsi transférer ces connaissances dans d’autres domaines.

On peut retrouver tous les éléments, démarches et grilles d’évaluation de cette activité sur le site : www.pierreloiselle.com

Page 17: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

Les Vocalies des Premières-Seigneuries : Chantons les grands d’iciM i r e i l l e S O U C Y , enseignante à la commission scolaire des Premières-Seigneuries.

Les Vocalies des Premières-Seigneuries ont vu le jour en 2010 à l’initiative d’enseignants de musique de la commission scolaire des Premières-Seigneuries. Leur intention : rassembler les enfants de différents milieux dans un événement extraordinaire afin de partager leur passion commune, le chant choral. La mission première de cet événement est de permettre à des enfants de tous les milieux de pouvoir vivre une expérience culturelle enrichissante.

Les écoles qui participent à ce projet proviennent d’un vaste territoire, allant de Charlesbourg jusqu’à la Côte de Beaupré, en passant par le Lac Beauport, Boischâtel, Beauport et l’Île d’Orléans. De 6 chorales en 2006 lors de la première édition, c’est aujourd’hui 15 enseignantes et enseignants dévoués qui dirigent les chorales et qui permettront à 400 élèves de pouvoir vivre ce fabuleux projet le 4 mai prochain.

L’édition de cette année est toute particulière puisque les chorales qui participent aux Vocalies auront la chance inouïe de chanter avec l’Orchestre symphonique de Québec.

La journée du 3 mai sera consacrée aux ateliers de zoo musical et à la pratique avec l’Orchestre, alors que le 4 mai sera dédié à une générale avec l’orchestre et, bien sûr, à la présentation du concert en soirée. Le programme propose un riche répertoire tiré de notre folklore québécois avec des pièces de Gilles Vigneault, de Félix Leclerc, de Raymond Lévesque, de Fred Pellerin et de Jean-Pierre Ferland. Cette magnifique soirée aura lieu à l’église de la Nativité de Beauport. Le comité organisateur, les enseignants participants et leurs élèves sont extrêmement fiers de pouvoir faire rayonner la culture dans notre région et de chanter les grands d’ici.

D O S S I E R : É C O L O G I E S O N O R E E T S A N T É A U D I T I V E

15 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Page 18: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

16 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

E N T R E T I E N

Crédit photo : Commission scolaire de la Capitale

Crédit photo : Festijazz popquebec.ca

Festival Jazz Pop de QuébecS t é p h a n e B O U L A N G E R , enseignant à l’École secondaire de Neufchâtelpour le comité responsable du Festival Jazz Pop de Québec.

Le 25 mars dernier, à l’École secondaire de Neufchâtel, se tenait la troisième édition du concours Festival Jazz Pop de Québec. Bien que cet évènement soit encore très jeune, ce fut encore un grand succès : 36 groupes inscrits (des ensembles vocaux, des stages bands et des combos) étaient de la fête. Pas moins de 400 participants ont défilé les uns après les autres devant un jury formé de chanteuses et de musiciens professionnels de la région de Québec. Tous les participants ont reçu un prix selon leur performance et ont obtenu les commentaires des juges sur scène, devant le public.

Un prix hommage, remis à nos bâtisseurs de la musique, a aussi été créé. Cette année, il a été remis à Monsieur Marquis Lemieux, enseignant à l’école secondaire de Neufchâtel de 1969 à 2001.

Ce festival, imaginé et mis sur pied par des enseignants de musique de la Commission scolaire de la Capitale, ne pourrait avoir lieu sans l’aide de nombreux bénévoles. L’équipe était composée de membres du personnel et d’élèves de l’école. Selon Iseult Bacon-Marcaurelle, élève de secondaire 5 du groupe stage band de Neufchâtel, cela leur a apporté un grand sentiment de fierté. Elle a réalisé les responsabilités liées à un tel évènement et la somme de travail que cela comporte.

Le Festival a également pu compter sur le soutien de nombreux commanditaires et a eu l’honneur de recevoir la visite de deux députés provinciaux, Madame Véronique Tremblay et Monsieur Patrick Huot, ainsi que de Monsieur Gérard Deltell, député fédéral.

Nous sommes donc très fiers de vous annoncer que la prochaine édition du Festival Jazz Pop de Québec aura lieu le 24 mars 2018 à l’école secondaire de Neufchâtel. C’est un rendez-vous !

Page 19: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut
Page 20: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

MUSIQUE ET APPRENTISSAGES!

C H R O N I Q U E : M U S I Q U E E T A P P R E N T I S S A G E S

V é r o n i q u e G A B O U R Y , étudiante au doctorat en éducation musicale, Faculté de musique, Université Laval.

J o n a t h a n B O L D U C , P H . D . , titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval.

Dans la chronique de ce numéro, nous ferons la synthèse d’une première méta-analyse qui documente

l’apport de l’éducation musicale sur le développement du langage. Mais avant toute chose, qu’est-ce qu’une méta-analyse ? Il s’agit d’un regroupement de plusieurs études indépendantes qui traitent d’un même sujet. Cette démarche est fréquemment utilisée en médecine. Les objectifs sont de confirmer ou d’infirmer une information obtenue dans les études originales, d’augmenter la puissance statistique et la précision des mesures, d’identifier les principales lacunes et, enfin, de formuler de nouvelles pistes de recherche pertinentes.

En 2008, Jayne Standley, professeure émérite à l’Université d’État de Floride, a colligé 30 études examinant l’apport de l’enseignement de la musique sur l’amélioration des compétences en lecture auprès d’enfants âgés de 4 à 14 ans. Chaque recherche comportait une condition expérimentale, une condition contrôle (formation musicale régulière) ou une condition sans traitement (sans musique). En plus d’activités musicales usuelles (chanson, activité rythmique, comptine, activité de motricité, pratique instrumentale), les conditions expérimentales intégraient des activités complémentaires, telles que l’écoute de musiques sélectionnées pour améliorer la concentration, des activités d’arts combinés ou, encore, des activités interdisciplinaires en langage. Le programme musical de certains groupes expérimentaux était basé sur les principaux fondements des approches actives d’éducation musicale (Orff, Kodàly ou Dalcroze).

Les résultats des études sont très diversifiés. Dans plusieurs d’entre elles, on remarque une amélioration des compétences en lecture (en particulier en ce qui concerne le décodage des mots écrits) auprès des participants qui ont pris part à une condition expérimentale (activités musicales usuelles et activités complémentaires). Toutefois, quatre recherches font état d’une amélioration plus significative des compétences en lecture chez les sujets qui participaient à des conditions contrôles (groupes avec formation musicale régulière ou, encore, sans musique).

Dans sa méta-analyse, Standley note également que plus les participants sont jeunes, plus l’effet de l’apprentissage de la musique sur le développement des habiletés langagières semble concluant. Par ailleurs, la chercheuse souligne que les enfants à risque obtiennent généralement de meilleures performances en lecture lorsqu’ils participent à une condition expérimentale (activités musicales usuelles et activités complémentaires).

D’après Standley, l’éducation musicale est essentielle au développement de l’enfant, peu importe sa durée ou sa fréquence. Elle recommande de poursuivre les recherches et d’examiner davantage comment les activités de discrimination auditive pourraient améliorer les compétences en éveil à l’écrit et en lecture.

Selon le travail réalisé par Jayne Standley, l’organisation du programme idéal devrait tenir compte des éléments suivants. Ainsi, tous les ingrédients seraient réunis pour favoriser le développement optimal des habiletés musicales et langagières.

18 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Page 21: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

En conclusion, dans sa méta-analyse, Standley (2008) constate que l’éducation musicale — qu’elle intègre d’autres activités ou non — peut contribuer à améliorer les habiletés langagières. De plus, les actions précoces et les conditions intégrant des enfants à besoins particuliers seraient très efficaces. Il apparaît également qu’il existe des conditions gagnantes pour contribuer au développement du langage par la mise en place d’un programme structuré.

C H R O N I Q U E : M U S I Q U E E T A P P R E N T I S S A G E S

19 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

PopulationToujours favoriser une approche inclusive et intégrer les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage. Prioriser l’enseignement de la musique dès le niveau préscolaire.

Durée et fréquence des activités

La méta-analyse de Standley ne statue pas sur une durée et une fréquence idéales. Toutefois, si l’on tient compte des normes établies par le National Association for Music Education (NAfME), une période minimale de 45 minutes par semaine devrait être dédiée à la musique à l’école.

Contenu des programmes musicaux

Intégrer les approches actives d’éducation musicale. Réaliser des activités qui amènent l’enfant à bien maîtriser les éléments-clés de la musique par l’entremise de comptines, de chansons, d’activités rythmiques, d’activités de motricité et par la pratique instrumentale.

Combiner les activités musicales à des activités en conscience phonologique au préscolaire : syllabes, rimes et phonèmes.

Intégrer des activités de discrimination auditive pour stimuler la mémoire. Cela contribuera à développer le vocabulaire réceptif et à améliorer les habiletés en lecture.

RÉFÉRENCES

National Association for Music Education (NAfME). Consulté le 18 mai 2017 depuis : http://www.nafme.org/category/advocacy

Standley, J. M. (2008, novembre). Does music instruction help children learn to read? Evidence of a meta-analysis. Update: Applications of Research in Music Education, 27(1), 17-32.

Page 22: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

QUAND LE RAPPORT ANALOGIQUE ENTRE DEUX DOMAINES S’INVITE DANS LES QUESTIONS PÉDAGOGIQUES M u r i e l D E LTA N D , Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire à la Haute École Bruxelles-Brabant et chercheuse permanente au Laboratoire CIREL, équipe Trigone, Université de Lille 1.

« Enseigner est plus difficile qu’apprendre, parce qu’enseigner veut dire « faire apprendre ». Celui qui véritablement enseigne ne fait même rien apprendre d’autre qu’apprendre. »

Martin Heidegger (1959).

Les anglo-saxons invoquent « teaching is not telling » renvoyant au champ musical qu’enseigner, c’est bien au-delà de « parler » ou « faire » en situations pédagogiques : c’est mettre en présence, en lien et en construction continue un ensemble d’éléments propres aux apprentissages permettant ainsi aux élèves de cheminer en développant des savoirs signifiants. Dans ces conditions, apprendre ne peut donc plus passer par une transmission verticale dyadique1 où se reproduisent des actes instrumentaux, techniques et interprétatifs ; c’est plutôt faire rechercher, amener à comprendre, faire construire, développer et faire s’exprimer dans et par des modes de communication artistiques adéquats se croisant presque à toutes les étapes de progression développementale. Il est donc loin le temps où le « maître », par son seul charisme, son talent et sa position « de celui qui sait », prodiguait un enseignement à ses disciples uniquement par le médium de la parole.

Si cette conception dite transmissive fait partie intégrante de la longue histoire de l’éducation, elle ne remet pourtant

pas en cause la place de la « parole » au sens « d’articuler et de communiquer une pensée » dans les pratiques enseignantes. Au contraire et par extension, revenir sur le lien naturel de parenté entre le langage et la musique est toujours aussi vivant dans les recherches scientifiques actuelles.

Pourtant, la musique commence véritablement au-delà d’un discours verbal qui en devient limitatif, reposant alors sur une approche de la binarité musico-langagière. Ainsi, si Wagner évoquait « là où s’arrête le pouvoir des mots commence celui de la musique », la question du lien de parenté entre les deux domaines est un débat assez ancien rien qu’en musicologie, philosophie ou linguistique. Elle renvoie communément à deux postulats souvent bien commodes dans les discussions pédagogiques, car ils

sont admis par un grand nombre, mais qui ne peuvent véritablement se démontrer : la langue musicale est soit estimée inaccessible pour les non-initiés, soit prise comme une langue universelle par excellence prête à être approchée et à se faire découvrir. Entre ces deux propositions, chaque professionnel de l’éducation choisira...

Traiter la question du rapport analogique est donc avant tout délicat et il nous sera difficile de rendre compte d’une manière exhaustive de toutes les dimensions possibles que ce lien suppose. Par contre, dessiner quelques directions permettant de saisir la complexité de cette parenté sera l’objectif de cette contribution en commençant par le situer le plus clairement possible en décidant de convoquer plusieurs disciplines : la linguistique, la musicologie, la littérature, la poésie et l’esthétique.

20

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

20 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

1Emprunté au dérivé grec δυαδικός , duadikós (« qui se rapporte au nombre deux »), nous employons le terme de « dyadique » dans son sens communicationnel le renvoyant au dialogue entre deux acteurs (enseignant et apprenant) au sein d’une situation pédagogique.

2Non pas à un langage au sens unique et médian, mais bien aux langages artistiques sous toutes leurs formes et leurs modes de production.

3Nous faisons ici référence aux travaux du philosophe George Steiner (2003, p.108) qui a publié notamment un excellent ouvrage sur la relation « maître-disciple » et qui expose que « le grand enseignement est celui qui éveille les doutes chez l’élève, qui est école de dissension. C’est préparer le disciple au départ (« Quitte-moi maintenant », commande Zarathoustra). Au terme, un maître valable doit être seul. »

Page 23: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

MUSIQUE, LANGAGE ET DISCIPLINES : Y A-T-IL UN LIEN DE PARENTÉ ?

Dans la littérature scientifique, questionner le lien de parenté entre « musique et langage » revient à positionner le débat en estimant que l’attache entre les deux revient à les faire se croiser, dialoguer, se raconter, se distinguer ou s’opposer de par leurs formes et leurs matériaux d’expression (verbes et sons). Tout en les utilisant alors le plus souvent par des médians explicatifs tels que l’analogie, la correspondance, la conjonction ou même, pour certains auteurs, la fusion.

La première discipline qui nous vient à l’esprit pour traiter le rapport analogique est celle qui emploie le verbe au sens strict du terme : la poésie. Étudier ce qui unit la poésie et la musique est déjà une démarche très ancienne pour la recherche scientifique. Nous en trouvons déjà des traces dans l’Antiquité grecque (avec Platon et Aristote), mais également au Moyen Âge où il expose dans ce cas la dimension chantée que convoque inévitablement la poésie. Lorsqu’on se rappelle qu’à ses origines, celle-ci était en effet psalmodiée ou chantée, nous renvoyant vers le chant grégorien, la proximité des liens est alors directement présente.

Analysons le lien qui les unit. La musique (son langage et son vocabulaire) est construite, tout comme la poésie, sous une somme de règles de structuration qui lui est propre. La particularité de la musique tonale se concentre sur une gamme chromatique composée de

12 demi-tons qui en font une série de sons qui deviennent le matériau pour composer. La poésie quant à elle utilisera les mots et les phrases composées le plus souvent en vers, mais aussi en proses privilégiant, tout comme la musique, l’expressivité de la forme choisie (sens et sonorités), ainsi que leur agencement (rythmes, métrique, figures de style). Le rapport analogique appelle également l’utilisation d’un appareil médian (instrument ou voix) qui peut alors réaliser toutes les combinaisons sonores propres aux possibilités disciplinaires et au sens esthétique choisi. Cette combinaison sonore produit la mélodie qui permet de construire la phrase poétique et la phrase musicale, construites toutes deux par une rythmique et des phrasés rendant l’ensemble harmonieux. Reste enfin la pièce ou l’œuvre finale (le produit artistique diront certains) qui a vocation et fonction de matériaux signifiants et immatériels à destination de l’auditeur.

Au fil de l’histoire, les compositeurs ne se sont d’ailleurs pas privés d’allier la mélodie de la langue du verbe à celle de la musique dans leurs compositions. Citons par exemple Francis Poulenc qui se sentait intimement proche de la poésie, au point d’en faire des pièces musicales remarquables qui surprennent encore d’admiration les étudiants d’aujourd’hui quand on les travaille en formation, ou les compositions de Schubert qui a subtilement traduit musicalement sous forme de lieds des poèmes de langue allemande, ou alors Debussy, rendant sa finesse à la poésie de

Baudelaire, enveloppée par une musique intime, délicate et empreinte de cette plénitude qu’on lui connait. En évoquant ces musiciens, on conçoit alors plus difficilement la position de Lévi-Strauss (1971, p. 579) qui écrivait que « la musique, c’est le langage moins le sens ». La poésie et la musique sont inévitablement une rencontre de signifiance à ce point importante que les musiciens enseignants ne peuvent que s’y intéresser pour mobiliser des apprentissages expérimentant le rapport analogique de la musique et de la poésie.

Tout proche, tant du point de vue des disciplines que de leurs histoires, le lien entre musique, langage et littérature qui, au 19e siècle, s’est fortement intéressé à la question. Quelques années plus tard, les travaux de Souriau (1947) du point de vue esthétique ou ceux de Brown (1948) dans une investigation plutôt comparatiste amènent à son paroxysme l’étude de parenté, alors que dans un même temps, les linguistes vont plutôt s’intéresser au langage et à la musique proposant une vision du lien plutôt complémentaire et parfois à bonne distance d’éventuelles oppositions. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter la musique vocale au travers de différents genres disponibles (dramatiques ou lyriques), mais aussi dans les lieds par exemple. C’est pourtant non pas à un musicologue, mais à des linguistes américains, Noam Chomsky et George A. Miller (1963, p. 283), que l’on doit la définition la plus proche du langage et du musical : « un ensemble, fini ou infini, de

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

21 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

4 À ce sujet, les phénomènes d’affects (transmission du musicien au sujet auditeur) selon Aristote (1993, p. 534) venaient du fait que « la musique a le pouvoir de doter l’âme d’un certain caractère ».

Par contre, Descartes (1987, p. 54.) au sein de son « Compendium Musicae » estime que certaines propriétés du son (« affectiones ») engagent directement les passions (« affectus »), considérant alors que la musique a la fonction « de plaire et d’émouvoir en nous des passions variées ».

5Nous renvoyons le lecteur vers l’ouvrage de Dragonetti intitulé « La Musique et les lettres. Études de littérature médiévale » de 1986.

6À titre illustratif, nous pouvons prendre le dialogue de saint Augustin (extrait de La Musique) qui est travaillé poétiquement en insistant sur le dégagement rythmique et de métrique. Il y a, dans cette illustration, un rapport analogique entre les rythmes verbal et musical au travers des performances, notamment par la diction et par la prosodie musicale.

7Ici, nous attirons le lecteur sur les poèmes épiques qui sont divisés en chants (et non pas en chapitres comme on pourrait le penser).

8Cette gamme chromatique en 12 demi-tons a été saisie par les musiciens sériels sous différentes formes : par renversement qui travaille la figure symétrique de la série des sons de départ, par rétrogradation qui prend un mouvement dit en écrevisse qui travaille la série sonore sous une manière déroulée et à reculons, par rétrogradation du renversement. Au final, les musiciens sériels construisent quatre séries de départ travaillées à partir des 12 demi-tons et finalisant une combinaison de 48 gammes fondatrices qui deviennent l’identité stylistique d’un compositeur, à l’exemple du musicien belge Henry Pousseur vers qui nous renvoyons le lecteur.

Page 24: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

phrases, chacune finie en longueur est construite par concaténation à partir d’un ensemble fini d’éléments ». Le rapport analogique est alors qu’une « phrase verbale » est estimée équivalente à un « fragment musical » lui-même constitué d’un ensemble de motifs (unités seraient plus justes au sens de Chomsky et Miller). Ces motifs sont alors ordonnés dans une temporalité linéaire (concaténation) afin d’arriver à des rapports pouvant relever soit de l’harmonie (composition verticale renvoyant en simultané non pas à une mélodie, mais à des accords ou superpositions de sons et de notes) ou du contrapuntique (vision horizontale et linéaire renvoyant à l’ordination de lignes mélodiques se croisant les unes et les autres).

Une autre approche des liens de parenté entre langage et musique serait de comparer différentes langues parlées et écrites (anglais, français, allemand, espagnol, etc.) avec la musique. Klinkenberg (2000) estime que ce rapport analogique se caractérise par la nature graphique et acoustique de ces deux domaines. Il évoque que le système musical est écrit et encodé graphiquement, rendant la partition musicale comme un médian de nature méta-langagière tout comme un texte dans une langue verbale précise. Ainsi, le langage verbal, l’écriture et le discours oral seraient examinés comme des pratiques de réalisation distinctes du système verbal, ce à quoi la linguistique française répond par l’importance de distinguer la langue de la parole.

La langue se définit par deux acceptations ; d’une part, elle renvoie à un système linguistique employé par des groupes sociaux déterminés qui l’utilisent comme moyen d’expression et d’échanges. D’autre part, ce même système comprend différentes langues comportant un certain nombre de caractéristiques communes qui tissent un vocabulaire riche, varié et souvent complexe. La parole, quant à elle, désigne à la fois une activité qui mobilise une langue au sein de situations spécifiques et le résultat de cet acte plus communément appelé « discours » qui peut prendre des formes allant de l’oral à l’écriture.

Ferdinand de Saussure (1916) insistait d’ailleurs et de manière forte sur cette importance de distinguer parole et langage et rappelait alors à nos enseignants l’importance d’être précis dans ce qu’ils souhaitent signifier, tout en adaptant leur discours aux âges et aux possibilités des apprenants. En effet, l’enseignant utilise un langage précis où le discours a pour fonction de communiquer des contenus, d’expliciter

des attentes, ou, plus largement de dialoguer et d’échanger de, sur et par la musique vers des apprentissages visés. La parole (activité mobilisant la langue verbale et son résultat, le discours) est alors le moyen de communication privilégié avec ses apprenants et son discours, chargé de sens, est organisé par un vocabulaire disciplinaire dans une intention précise.

Dans ces conditions, le couplage « langage et parole » au sens du discours pédagogique et musical revient à les rendre complémentaires. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Ruwet (1972, p. 53) « qu’il n’y a au contraire aucune incompatibilité entre musique et langage, [que] la relation musique-langage est toujours pertinente ». La pertinence du langage se traduit par signifiance chez Adorno, mais il n’est pas simple de traduire directement son contenu de par le fait que la musique tant à brouiller cette communication. En effet, Adorno (1982, p.6), dans sa vision esthético-philosophique, renvoie que « tout langage signifiant tend vers un sens absolu, et que cet absolu ne cesse de lui échapper. La musique, elle, l’atteint immédiatement, mais au même moment il lui devient obscur, tout comme l’œil est aveuglé par une lumière excessive, et ne peut plus voir ce qui est parfaitement visible ». C’est ce qui fait dire à Florence (2008, pp. 63-64) que la musique est au-delà du signifié verbal « la musique ne parle donc pas parce qu’elle est déjà parlée, elle résulte de la transposition d’un autre discours ». C’est donc une question de traduction et de rapport qui rendrait la complexité d’établir la lisibilité du discours pédagogique. Le lien de parenté entre langage et musique et alors aussi et dans son expression, difficilement verbalisable et visible. La musique ne remplaçant pas le langage qu’il soit écrit ou oral et le langage ne pouvant rendre et traduire exactement ce que la musique signifie.

Entre les deux, s’articule pourtant le fait que la musique est bien un langage qui s’appuie sur des formes et des moyens d’expression qui lui sont propres. L’axe temporel articule la durée, le rythme et la métrique (ici la ponctuation et les mots de la langue verbale) tout en les organisant de manière précise. L’axe spatial permet de situer précisément les sons dans l’espace, tout en articulant alors la hauteur avec le timbre et le volume.

Là où le lien de parenté entre langage et musique se distingue, c’est que la langue a une fonction dénotative à contrario de la musique qui, selon Escal (2007, p. 15) « mot à mot, phrase à phrase, ne dit rien ». La langue est également articulée en deux fois (le monème et

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

22 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

9Ceci nous renvoie au travail que nous avons effectué cette année académique 2016-2017 à Bruxelles en formation initiale chez les instituteurs du primaire lors de la didactique de l’éducation musicale. Le travail tournait autour du cycle des pièces « Le Bestiaire » d’après des textes de Guillaume Apollinaire que Poulenc (1919) avait traité à la manière de fables rendant des portraits surprenants d’animaux. Les réactions de surprise et d’étonnement ont été questionnées dans ce cadre. Ce travail sera l’objet d’une future publication.

10Tel que « Erlkönig » (« Le Roi des aulnes »), op.1, D.328, d’après un poème de Goethe.

11À ce titre, Claude Debussy fit éditer en 1890 ses « Cinq poèmes de Baudelaire » qui adaptaient musicalement les poèmes de Charles Baudelaire.

12Concaténation au sens linguistique du terme renvoie à un agencement d’unités d’une langue dans une temporalité ordonnée spécifique à celle-ci.

Page 25: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

le phonème), alors que la musique se fonde sur une articulation simple rendant ses effets aléatoires et le plus souvent non-mesurables.

MUSIQUE, LANGAGE ET RAISONNEMENT : UN STATUT DE PAROLE DE SOI

Mâche (2001) approche la question du lien de parenté comme un rapport innéiste hors raisonnement qui serait « [...] vraisemblablement de type métonymique, c’est-à-dire qu’il s’agit de deux organisations sonores qui participent sans doute d’une origine commune, encore immergée dans la pensée animale. [...] On voit qu’en musique, plutôt que de s’empresser de remonter du sonore au logique, de la parole aux lois du langage, comme si l’essentiel était de découvrir, d’inventer, ou d’appliquer des lois, il est possible de concentrer son attention sur le domaine concret du jeu avec les symboles sonores, conçu comme un développement du jeu primitif où les mêmes sons ont pu fonctionner tantôt comme signaux et tantôt comme symboles ». Mâche met l’accent sur l’importance de l’expérience au travers de symboles ou de signaux sonores, les différentes formes de langages permettant à terme de pouvoir dialoguer sous toutes les formes autres que celles du verbe. Loin d’être simple, c’est toute la question de l’inné et de l’acquis qui se pose ici. Le langage, tout comme la musique, est le résultat d’une construction, d’une élaboration et d’une acquisition passant par des processus d’apprentissage. Pourtant et sans statuer clairement, apprendre ne signifie pas qu’il n’y a pas de prédispositions innées au départ envers l’un ou l’autre domaine. Les inclinaisons pour certaines formes d’expression sont de plus en plus démontrables chez les apprenants ; celles-ci apparaissent comme des moyens d’expression importants dans le développement de l’individu. Créer par les formes d’expression s’envisage alors comme une signifiance qui vient de l’auteur (sorte de parole intime de soi exposée par une forme d’expression). Pour nous, ce dialogue

des formes expressives possède finalement un statut de véritable « parole de soi » (Deltand, 2015) mobilisant alors à la fois une grammaire artistique particulière ainsi qu’une syntaxe et des formes structurelles chargées de sens (l’intention de celui qui l’a créé).

Les travaux de Roman Jakobson (1970, p. 99) exposent que « la musique se présente comme un langage qui se signifie soi-même ». Le signifié évoqué par Jakobson (du côté de ce qui est intelligible d’un signe musical) se retrouve dans la musique dans la figure du signifiant (le sensible matérialisé par cette parole de soi issue du créateur). Approcher cette question pour Jakobson (1970, p. 99) c’est investiguer « l’étude formelle de la syntaxe musicale et par la description de l’aspect matériel de la musique à tous les niveaux où il a une réalité (production, transmission acoustique, perception, contrecoups physiologiques tels que rythme cardiaque, etc. »

La musique comme parole de soi s’inscrit dès lors par des moyens expressifs pluriels se communiquant par d’autres supports que celui du verbe (lettres, mots, phrases...) qui deviennent alors une singularité à part entière : non plus l’art pour libérer la parole, mais la parole pour libérer l’art. Beau programme, me direz-vous.

MUSIQUE, LANGAGE ET APPRENTISSAGES : QUELLE DIMENSION ENVISAGER ?

À cette parole de soi libérée en situation pédagogique et s’exprimant par les formes d’expression disponibles, la question de démontrer le lien de parenté n’est pourtant pas encore réglée (si tant est qu’elle le puisse un jour). Ainsi, si beaucoup de formalistes estiment que la musique résiste à se faire capter de par le fait qu’elle a, de par sa nature, des caractéristiques inconvertibles venant de son vocabulaire disciplinaire difficilement traduisible au sens

communicationnel de Jakobson (émetteur — message — récepteur), ce vocabulaire dépasse souvent les règles du signe strict et donc de son signifiant. Essayons alors d’envisager ce lien par des actes précis et présents dans le développement des apprentissages en école. Nous parlons ici de décliner le langage en dimensions (faisant appel aux compétences et aux capacités) qui rendent compte autrement du rapport analogique entre langage et musique.

À titre d’exemple et en référence aux trois apprentissages de base en école primaire (lire, écrire et compter), concentrons-nous sur la capacité de lire (lecture) d’un apprenant.

La lecture est, tant dans l’apprentissage de la musique que dans celui d’une langue, un processus complexe à mettre en place par les enseignants. Son apprentissage est d’ailleurs bien structuré par les systèmes d’enseignement et pas toujours facile à expérimenter.

Parmi les théories proposées pour rendre compte de la progressivité de l’apprentissage de la lecture, le modèle de Frith (1985) est le plus connu. En ce qui nous concerne, nous préférons les travaux d’Hansen et Bernstorf (2002) qui proposent de se concentrer sur la déclinaison du processus de lecture au regard du langage et de la musique. Ils proposent de décliner cinq ressemblances entre les deux dans ce processus dédié à comprendre comment un apprenant apprend à lire. Ces cinq ressemblances s’organisent dans un ordre précis et peuvent être visualisées sous cette forme graphique, voir figure 1.

Nous trouvons ainsi :

La première ressemblance qui relève de la « conscience phonologique » : avoir conscience que chaque mot d’une langue est une construction de sons et de phonèmes. C’est avec cette conscience que

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

23 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Page 26: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

l’apprenant peut percevoir et (dé) construire des mots (syllabes et phonèmes). Il en va de même pour le langage musical sonore qui se décompose en durées et en hauteurs pouvant alors se percevoir et se discriminer auditivement en situation d’apprentissage.

La seconde ressemblance se consacre à la « conscience phonémique » qui renvoie à la capacité de l’apprenant d’identifier et de mobiliser des phonèmes. La langue musicale mobilise cette conscience phonétique quand un élève exécute une lecture de type solfégique, c’est-à-dire quand il chante explicitement les notations traduites vocalement en « sons » nommés spécifiquement.

La troisième ressemblance revient à pouvoir identifier visuellement et sous leur forme graphique, les notes musicales et les lettres. L’apprenant exécute alors une « discrimination visuelle » permettant de distinguer les graphes les uns des autres.

La quatrième similitude s’attache à la « conscience d’un mot, d’une phrase ou d’une phrase musicale », qui par existence

se structure, se construit et se développe avec un début, un milieu et une fin. La temporalité structurelle d’une phrase est donc bien en place.

La cinquième et dernière similitude selon d’Hansen et Bernstorf (2002) est la « fluidité » de la langue pendant l’acte de lecture, liée à la capacité du lecteur-apprenant à lire une phrase musicale ou une phrase composée de mots avec une « conscience orthographique ». Cela renvoie à la précision de l’exécution et à sa vitesse adéquate dans l’exercice afin d’en réaliser un message (verbal ou sonore) clair, lisible et traduisible (décodage).

Ces cinq similitudes entre langage et musique dans un processus de lecture sont tout de même à nuancer car assez réductrices à l’heure actuelle, au regard des formes actuelles de musique disponibles et de la déclinaison possible des lectures qui peuvent être prétexte à l’apprentissage. Ainsi la musique (et son évolution) dépasse largement l’importance du signe stricto sensu de par l’importance que prennent les musiques de jazz, lesquelles s’appuient

sur une intériorisation importante de schèmes structuraux qu’elles réorganisent, les pratiques musicales orales sans signes visuels, les musiques électroniques utilisant plus volontiers des structures graphiques, ou même les musiques contemporaines basées sur d’autres signes et qui explorent ainsi d’autres grammaires comme chez Stockhausen (1995), Schnebel (1969) ou Brown (1971).

Hormis cette réserve, les musiciens enseignants ne peuvent faire l’économie d’un apprentissage de la lecture dans des formes progressives tout en les enrichissant d’exemples et de contre-exemples. L’évolution et les propositions pédagogiques actuelles sur les questions de lecture, et plus largement de langage, restent totalement ouvertes et permettent par le fait même de développer toute la créativité pédagogique d’un enseignant.

LE LANGAGE MUSICAL COMME UNE PAROLE DE SOI : SIGNIFIANT — SIGNIFIÉ EN SITUATIONS D’APPRENTISSAGE

Finalement, si derrière le lien entre musique et langage il était question de revenir à la question de la parole et notamment de considérer que toute création émise par un apprenant est une « parole de soi » créée et exposée lors de situations d’apprentissage ?

Cela implique alors que celui qui produit (l’apprenant) et ce qui est signifié (le contenu artistique) est chargé en signes et en différentes intentions. Nous tentons alors de réexaminer ce que la linguistique nomme comme le « signifiant/signifié », au regard de ce que la musique émet comme pratique.

Pour de Saussure (1964), un signe désigne un élément de la réalité (un objet, un

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

24 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

14 À titre d’exemple, l’œuvre Helikopter-Streichquartett (Quatuor à cordes hélicoptère) commandée par Hans Landesmann pour le Festival de Salzbourg et réalisée en 1995 dans le cadre du Holland Festival.

15 Schnebel D. (1969), Mo-No : Musik zum Lesen, Kölhn, Du Mont Schauberg

16 À titre d’exemple, December 52 de Brown.

1) Conscience phonologique

5) Conscience orthographique

4) Conscience d’un mot, d’une phrase

3) Discrimination

visuelle

2) Conscience

phonémique

Parenté entre langageet musique (le cas

de la lecture)

Figure 1 : Les cinq ressemblances entre langage et musique selon Hansen et Bernstorf (2002) dans unprocessus d’acquisition de la lecture.

Page 27: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

être vivant…) ce qu’il nomme le référent. Il revient donc à être une association entre une idée (le contenu du signe) et une forme donnée. Ainsi, dans tout message, un signe signifie, c’est-à-dire que l’aspect perceptible du signe renvoie à un sens particulier à interpréter. Dans ces conditions, tout langage (et donc les langages artistiques) se base sur un signifiant qui se définit par l’émission du signe ou d’un ensemble de signes vers un signifié, les personnes à qui le musicien ou l’apprenant adresse sa production artistique. Le public est alors mandaté d’apprécier le contenu en fonction de ses propres paramètres esthétiques.

Que recèle alors cette « parole de soi » exposée par l’apprenant et qui se forme sous un langage artistique qui articule d’autres constituants que celui du verbe (au sens de linguistique verbale) ?

Les résultats de nos travaux de recherche précédents (Deltand, 2015) nous permettent d’envisager que le mode d’expression effectué en situation d’apprentissage a effectivement valeur de « parole de soi ». Interpréter sa production construite en formation est « une véritable parole de soi, qui s’exprime dans un langage artistique spécifique recouvrant l’ensemble des signes organisés en systèmes, et qui s’enracine dans une triple configuration subjective : ce que le musicien-apprenant est (soi); ce qu’il mobilise par l’introspection de son senti (intériorité musicale exprimée avec authenticité); ce qu’il transmet à son public (dans un matériau organisé et chargé en couleurs sonores particulières). Cette triple configuration renvoie au mécanique, au sensoriel, au relationnel et au symbolique, difficilement déchiffrables (...) car sous-tendus par un langage qui n’est ni commenté, ni argumenté, ni explicité par des mots. » Deltand (2015, pp. 205-206).

Nous pourrions visualiser ce processus d’exposition d’une parole de soi en situation pédagogique en reprenant globalement les disciplines artistiques qui peuvent se retrouver dans les programmes de formation. L’apprenant mobilise alors :

En visualisant les constituants de ce processus, nous remarquons que chaque discipline artistique qui se retrouve dans le champ éducatif (quel que soit son système d’appartenance) est constituée d’une série d’éléments spécifiques à son langage qui se situe hors d’une linguistique verbale. En même temps, ce processus demande à l’apprenant de distinguer, au sein de sa production, l’intention qu’il y place. Il en va de même pour les professionnels et on peut alors parler d’une empreinte de celui-ci au sens identitaire. S’il est évident que toutes productions artistiques ne peuvent se traduire en mots, celles-ci incorporent pourtant inévitablement un ensemble de dimensions identitaires propres à son auteur. On y trouve toutes les caractéristiques de son identité sous une matérialisation déterminée (sonore, gestuelle, visuelle...) chargée de ses intentions artistiques, sans en oublier les formes esthétiques auxquelles sa production souhaite s’inscrire. C’est donc une véritable « parole de soi » sous toutes ses dimensions.

C’est d’ailleurs ce que propose Mâche (2001) dans son travail où il donne à la

musique le statut de « parole », au sens « d’exprimer sa parole » ou en « prenant la parole ». Mâche conçoit que la syntaxe (aspects structuraux) peut se concevoir comme des modèles envisageables au-delà des dimensions phonétiques ou

prosodiques. Pour lui, ce sont ces dimensions qui ont la charge du lien qui unit le langage et la musique. Si ce statut est alors réellement un élément constituant la formation, quand est-il de son enseignement et des choix qu’il faudra opérer en situation d’apprentissage ou de formation pour arriver à travailler ces dimensions ?

APPRENTISSAGE DU LANGAGE MUSICAL ET CONDITIONS DE FORMATION : UNE QUESTION DE CHOIX

Si c’est au musicien enseignant à initier et à travailler cette parole de soi en situation de formation, charge à lui aussi d’organiser et de mettre en place son enseignement sans éluder la question de l’évaluation en fin de processus. Dans ces conditions, une série de questions se bousculent : comment sensibiliser, faire progresser et rendre compte institutionnellement de cette parole de soi propre à la langue musicale au sein d’espaces pédagogiques ? Ceci alors que :

• l’acte musical renvoie directement à des dimensions mécaniques, sensorielles

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

25 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Figure 2 : Processus de la « parole de soi » dans les différentes disciplines présentes dans les programmes d’enseignement (Deltand, 2015)

Langage articulé

« Parole de soi » Ensemble de signes formant d’autres systèmes de sens

Grammaire particulière, syntaxe et formes structurelles spécifiques…

Matériaux artistiques : - Musique : sons, gestes…- Arts plastiques : couleurs, formes, perspectives…- Danses : mouvement, regard…- …

Signifiance du et par le sujet : - Dimension de soi- Intention(s)- Esthétique(s)- …Renvoie au mécanique, au sensoriel, au relationnel

et au symbolique hors linguistique verbale.

17En nous inspirant des travaux de Ferdinand de Saussure (1964, pp. 98-101), nous renvoyons le lecteur à plusieurs éléments qui sont en lien pour mieux comprendre la relation entre « signifiant et signifié ».

Page 28: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

26 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

et relationnelles, sans oublier sa charge symbolique difficilement lisible pour nos élèves (et souvent inexistantes chez nos collègues des autres disciplines).

• notre langage musical n’est ni commenté, ni argumenté, ni explicité précisément.

• les choix pédagogiques que nous pren-drons seront sujets à caution et à limiter nos actions ce qui rend complexe la question de l’évaluation.

À ces questions, certains enseignants choisiront de distinguer et de travailler ce qui est observable, à l’exemple du mouvement instrumental (l’interprétation musicale « physique ») de celle plus interprétative (plus « intentionnelle » dirons-nous). Travailler sur les couleurs sonores particulières ainsi que sur l’ensemble des éléments susceptibles d’éclairer l’intention et le sens mis en place par l’apprenant. C’est toute la notion de sensible qui accompagne l’apprentissage des capacités à percevoir, recevoir, éprouver, apprécier, ressentir, imaginer, évoquer, interpréter... sans oublier l’étayage du geste présent dans cette dimension physique de l’acte musical (incitation, gestualité, intentionnalité...) qui sera envisagé. Il s’agit donc ici de prendre les pratiques psycho-socio-affectives comme source et conditions de formation et d’apprentissage pour travailler et faire progresser.

D’autres mettront l’accent sur l’importance de varier les contextes d’apprentissage et les situations de production tout en insistant sur le besoin de faire ressortir les particularités artistiques que chaque apprenant possède en lui (parole de soi) : développer les potentialités musicales en vue de dépasser les « apprentissages fondamentaux » permettant de donner les moyens d’expression afin de

mettre au premier plan les productions au sens premier (et pas comme de simples témoins des pratiques artistiques faites en classe).

D’autres encore estimeront que si l’une des missions de l’enseignant est de former l’apprenant au langage musical (ses pratiques et la libération de cette « parole de soi »), il est préférable de commencer par mettre en place les éléments de construction d’une pensée disciplinaire en travaillant sur l’intention artistique. Si la signification est la structure intentionnelle du langage, sans elle, la musique ne serait qu’une somme de sons et de silences dans un espace donné. Ce couplage (signifiant/signifié) inscrit le langage musical comme un élément central de l’expérience pédagogique.

Nous le voyons, faire des choix en situations pédagogiques alors que les liens de parenté entre musique et langage sont certes présents comme nous avons essayé de l’exposer, reste et restera un exercice complexe. Chaque proposition dépendra de l’inscription consciente ou non de l’enseignant à des conceptions de l’apprentissage, à des valeurs, à des méthodes... et à sa manière d’aborder la question.

CONCLUSION

Tout au long de ces lignes, rapprocher les termes « musique et langage » donne inévitablement un effet binaire et souvent étriqué. Chaque fois que l’on se penche sur les liens de parenté entre eux, l’exercice impose, tant aux chercheurs qu’aux musiciens enseignants, de définir chacun d’eux afin de ne pas confondre leurs rapports, tout en incorporant la prise en compte des dimensions d’expériences subjectives nécessairement liées dans l’acte artistique. La non-conformité du verbe et du sonore, si elle apparaît le

plus souvent avérée, n’élude pourtant pas le fait que la musique s’inscrit dans un périmètre institutionnel envisageant de manière incontournable des transformations articulatoires entre les modes d’expression artistiques, modes d’expression verbale et attendus du programme d’enseignement.

Le lien de parenté s’appuie finalement sur des indices organisés en structures hiérarchisées. C’’est la syntaxe, l’intention et plus largement les processus et ses modes d’expression qui décriront et distingueront les dimensions de ces deux champs. Dans ces conditions, les espaces d’apprentissage qui mettent en place les apprentissages musicaux convoquent directement un certain nombre de capabilités allant de l’attention et de la mémoire tout en mobilisant des éléments spatio-temporels afin d’en libérer cette parole de soi.

Une parole de soi, de par les liens de parenté entre langage et musique, renvoie finalement à un questionnement de niveau plus transversal. Pour Chabanne, quatre dimensions incontournables sont à considérer dans le champ pédagogique. Il s’agit de se questionner sur :

1- la dimension épistémologique : le langage comme la mise en forme du « savoir » (artistique dans notre cas);

2- la dimension cognitive : le langage comme médian pour l’acte d’apprendre;

3- la dimension pédagogique : le langage comme un instrument de travail;

4- la dimension méthodologique : le langage comme « trace » de l’activité artistique.

18La musique (notes et accords) et le langage (phonèmes, lettres, mots)

19Jean-Charles Chabanne —Institut Français de l’Éducation —ENS de Lyon —Université de Lyon —Laboratoire Acté.

Page 29: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

27 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

BIBLIOGRAPHIE

Adorno, T. (1982). Fragment sur le rapport entre musique et langage. Paris : Gallimard.

Aristote (1993). Les Politiques, VIII, 5, 1340 b11-12, (trad. P. Pellegrin). Paris : Flammarion.

Brown Calvin S. (1948). Music and Literature. A Comparison of the Arts, Athens (Georgia, EU), The University of Georgia Press.

Brown E. (1971). Sur la forme. Musique en jeu, 3/1, 29-44.

Brousseau, G. (1998). Théories des situations didactiques. Grenoble : La pensée sauvage.

Chomskv, N. et Miller, G.A. (1963). Introduction to the formal analysis of natural languages. In R.D. Luce, R.R. Bush, and E. Galanter (Eds.) Handbook of mathematical psychology. (269-321), Volume II. New York : Wiley.

Deltand, M. (2015). Paroles sur soi et complexité des formes de biographisation. Education permanente, 203, 205-218.

Descartes, D. (1987). Abrégé de musique, trad. F. de Buzon. Paris : Presses universitaires de France.

Dumesnil R. (1947). Humanisme et musique. Bulletin de l’Association Guillaume Budé,4, 37-46.

Dumesnil R. (1954). Richard Wagner. Paris : Editions Plon.

Dumesnil R. (1958). Réalistes et Naturalistes. In J. Combarieu et R. Dumesnil (6ds.), Histoire de la musique, 4, Paris : Armand Colin.

Dragonetti, R. (1986). La Musique et les lettres : Études de littérature médiévale. Genève : Droz.

Escal, F. (2007). Le sens en musique : parcours d’une recherche In Márta Grabócz (dir.), Sens et signification en musique. Paris : Hermann Éditeurs.

Florence, B. (2008). Musique, sémiotique et pulsion, Paris : l’Harmattan

Frith, U. (1985). Beneath the surface of developmental dyslexia. In K.E. Patterson, J.C. Marshall et M. Coltheart (dir.), Surface Dyslexia: Cognitive and Neuropsychological Studies of Phonological Reading (301-330). Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum.

Hansen, D. et Bernstorf, E. (2002). Linking music learning to reading instruction. Music educators journal, 88(5), 17-21.

Hanslick, E. (1854, trad. française 1986). Du beau dans la musique. Paris : Christian Bourgois.

Heidegger, M. (1959). Qu’appelle-t-on penser ?. Paris : Presses universitaires de France.

Jakobson R., (1971). Word and Language. In The Hague, v.II, Paris : Mouton.

Jakobson, R. (1960). Linguistics and Poetics. In T. Sebeok, ed., Style in Language, (350-377), Cambridge : MA: M.I.T. Press.

Klinkenberg, J.M. (2000). Précis de sémiotique générale. Paris : Seuil.

Lévi-Strauss, C. (1971). L’Homme nu. Paris : Plon.

Mäche, F —B. (2001). Musique au singulier. Paris, Editions Odile Jacob.

Merker, ?, et Brown, S. (2001). The Origins ofMusic. Cambridge : The MIT Press.

Ruwet, N. (1972). Langage, musique, poésie. Paris : Le Seuil.

Saussure, F. de (1974). Cours de linguistique générale. Edition critique par R. Engler, t.2, Wiesbaden : Harrassowitz.

Schnebel D. (1969. Mo-No : Musik zum Lesen. Kölhn : Du Mont Schauberg

Chacune de ces dimensions permet de nous questionner tant au niveau de notre posture que sur le cadre des apprentissages et des formations que nous donnons. Même s’il y a des distinctions entre signe musical et signe verbal (pourtant si proches) et même si nos conceptions de l’enseignement sont parfois en opposition à ce qui est

attendu au plan institutionnel, à nous de faire nos choix pédagogiques afin de permettre à l’apprenant et à l’art d’être au centre des enjeux éducatifs d’aujourd’hui.

Page 30: MUSIQUE PÉDAGOGIE - Fédération des Associations de ...jouer les airs de folklore québécois. Jouer de la musique traditionnelle, c’est un peu comme sauter en parachute : il faut

C H R O N I Q U E : Q U A N D L E R A P P O R T A N A L O G I Q U E E N T R E D E U X D O M A I N E S S ’ I N V I T E D A N S L E S Q U E S T I O N S P É D A G O G I Q U E S

28 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 31 | numéro 3

Schlœzer, B. de (1947, 1979). Dans Introduction à J.-S. Bach. Essai d’esthétique musicale. Paris : Gallimard.

Souriau, E. (1947). La Correspondance des arts. Éléments d’esthétique comparée. Paris, Flammarion.

Vergnaud, G., Brousseau, et Hulin, G. (Eds). (1988). Didactique et Acquisition des Connaissances Scientifiques. Actes du Colloque de Sèvres, Grenoble : La Pensée Sauvage.

Verret, M. (1975). Le Temps des études. Paris : Honoré Champion.

POUR EN SAVOIR PLUS

Steiner, G. (2003). Maître et disciple. Paris : Gallimard.

Francès, R. (1958). La perception de la musique. Paris : Vrin.

Miroudot, L. (2000). Structuration mélodique et tonalité chez l’enfant. Paris : l’Harmattan.

Molino, J., (1975). Fait musical et sémiologie de la musique. Musique en jeu, 17, 37-62.

McAdams, S. et Bigand, E. (1994). Penser les sons. Paris : Presses universitaires de France.

Imberty, M. (1979). Sémantique psychologique de la musique I. Entendre la musique. Paris : Dunod.

Imberty, M. (1981). Sémantique psychologique de la musique II. Les écritures du temps. Paris : Dunod.

Lalitte, P. (2006). Quelques réflexions à propos du langage et de la musique chez François-Bernanrd Mäche. In D. Pistone (Ed.), L’universel et l’utopie, Hommage à François-Bernard Mâche, série « Hommages », 1, Paris : Observatoire Musical Français / Université de Paris-Sorbonne, 93-110.

Boucourechliev, A. (1993). Le Langage musical. Paris : Fayard.

Sloboda, J. A., (1985). L’esprit musicien, psychologie cognitive de la musique. Liège-Bruxelles : Mardaga.