Musset (Lucien)_Relations Et Échanges d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

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    Lucien Musset

    Relations et changes d'influences dans l'Europe du Nord-Ouest

    (Xe-XIe sicles)In: Cahiers de civilisation mdivale. 1e anne (n1), Janvier-mars 1958. pp. 63-82.

    Citer ce document / Cite this document :

    Musset Lucien. Relations et changes d'influences dans l'Europe du Nord-Ouest (Xe-XIe sicles). In: Cahiers de civilisationmdivale. 1e anne (n1), Janvier-mars 1958. pp. 63-82.

    doi : 10.3406/ccmed.1958.1034

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1958_num_1_1_1034

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ccmed_24http://dx.doi.org/10.3406/ccmed.1958.1034http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1958_num_1_1_1034http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1958_num_1_1_1034http://dx.doi.org/10.3406/ccmed.1958.1034http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ccmed_24
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    Lucien

    MUSSET

    Relations

    et

    changes

    d influences

    dans

    l Europe

    du

    Nord-Ouest

    (Xe-XIe sicles)

    A

    ces

    deux leons

    nous avons

    volontairement conserv, en les abrgeant,

    leur forme orale. On

    se

    souviendra,

    en les lisant,

    que

    leur auteur

    a sim

    plement voulu exposer un auditoire non

    spcialis

    quelques

    interpr

    tations

    ouvelles,

    quelques

    points de

    vue personnels. Sur

    des faits

    qui

    ont donn lieu, sans tre toujours bien connus, des discussions inter

    minables il n'a aucunement

    prtendu dire

    le

    dernier

    mot.

    Il

    a mme

    sciemment accept de faire leur

    large

    part la conjecture et l hypo

    thse

    e travail,

    dfaut qui sera

    sans

    doute plus apparent dans

    l'imprim

    que dans l'improvisation orale.

    L aire gographique

    que

    nous

    avons

    choisi d tudier

    correspond,

    en

    gros,

    au

    domaine

    de l expansion

    Scandinave. Tournons-nous donc vers

    la Scandinavie

    pour tenter

    de

    trouver la clef des principaux problmes

    (i).

    Vers la

    fin

    du vme sicle,

    la suite de

    rvolutions

    dans la

    technique

    nautique et d une

    pousse dmographique, les

    Scandinaves avaient

    dcouvert les

    chemins de la haute

    mer

    (2).

    Signals

    pour la

    premire fois en Angleterre entre

    786

    et

    793,

    en Irlande en

    795, en

    Gaule

    en 799

    ou

    800, ils vont

    couvrir

    trs

    rapidement toutes

    les

    mers de

    l Occident (et

    bientt aussi la mer

    Noire et

    la

    Caspienne)

    de leurs

    embarcations, les

    snekkjur, les

    esnques

    ,

    pour employer

    le terme

    sous la

    forme

    o

    il fut, un temps,

    naturalis en Normandie (3). L ge des

    Vikings

    commence.

    (1 ) On trouvera une bibliographie,

    laquelle

    nous renvoyons

    une fois

    pour toutes, dans notre ouvrage :

    L. Mussbt, Les peuples Scandinaves au

    moyen

    ge, Paris,

    1951

    ;

    sur

    la priode des Vikings, les exposs les

    plus

    commodes restent

    : T. D. Kendrick, A History of the

    Vikings,

    Londres,

    1930, et

    H. Arbman

    et

    M.

    Stenberger, Vikingar i

    Vsterled,

    Stockholm, 1935, en attendant la prochaine parution de : H. Arbman,

    The Vikings,

    dans la

    coll.

    < Ancient

    Peoples

    and

    Places

    , Londres,

    d.

    Thames and

    Hudson.

    (2 )

    Sur les

    premires expditions

    vers l'Ouest, nous restons fidle aux vues raisonnables d'A.

    Johannson,

    Die

    erste

    Vestrviking,

    dans Acta philologica scandinavica , t.

    IX, 1934,

    p.

    1-68,

    sans retenir les thses

    aven

    tureuses soutenues sans nettet par

    Arne

    Melvinger, Les

    premires

    invasions des Vikings en Occident d'aprs

    les sources arabes,

    Upsal, 1955

    (propose de dater les premiers raids en Espagne du milieu du vin*

    sicle).

    (3 )

    Esnque : ingens paro qui

    barbant

    lingua isnechia

    dicitur

    , texte du xi sicle, Miracula S.

    Vulfranni

    dans AA.SS., mars,

    III,

    153

    ; voir galement

    plus

    loin, n. 47. On

    se souviendra

    que l'expression

    un

    drakkar

    est un solcisme viter.

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    L. MUSSET

    L Occident, stupfait,

    assista

    cette gigantesque expansion

    sans

    trouver de riposte

    approprie.

    Ni

    les

    garde-ctes de

    Charlemagne,

    ni

    les

    ponts fortifis de Charles le

    Chauve

    n avaient

    t efficaces

    ;

    la

    flotte

    mme

    d'Alfred

    le

    Grand, plus

    utile

    et

    plus

    durable,

    tait

    venue

    trop tard. Les uns

    aprs les

    autres,

    les

    princes avaient d

    consentir aux

    Vikings des avantages considrables,

    d abord

    financiers (danegeld), puis, et surtout,

    territoriaux. Ainsi taient

    ns

    outre-mer divers

    tats Scandinaves.

    Les uns taient des

    territoires occups sans conscration

    juridique: ainsi

    l Islande, les Orcades, les Shet

    land, Man et les Hbrides, les ports d Irlande (Dublin et

    Limerick

    surtout, puis

    Water-

    ford, Wexford et Cork). D autres tous ceux o les Danois semblent avoir

    tenu

    un

    rle prdominant avaient t lgitims par une concession en bonne et due forme ;

    le IXe sicle

    avait vu

    s en constituer cinq, presque tous phmres

    (en 826

    aux bouches

    de la Weser,

    en 841 aux

    bouches

    de

    l Elbe, en

    876

    York,

    en 877 dans l Est

    de la

    Mercie

    autour

    des

    Cinq

    Bourgs

    ,

    en

    879

    en

    Estanglie)

    ;

    deux encore

    natront

    au

    dbut du

    Xe sicle : en

    911

    autour

    de

    Rouen, en

    919

    autour

    de Nantes.

    De

    toutes

    ces crations,

    deux seulement eurent

    une relle

    importance : le royaume d York et le duch

    de

    Nor

    mandie.

    Le dchet,

    on

    le

    voit, fut considrable.

    Cette

    constatation

    force

    examiner de plus

    prs une

    opinion reue, juste sans doute dans

    une certaine mesure,

    mais

    qu il

    serait

    imprudent

    de gnraliser.

    On a coutume

    d admirer la

    brusque mutation par

    laquelle

    les

    Vikings, de dtestables

    pirates, d individualistes effrns, impatients

    de

    toute autorit,

    se

    sont mus

    en fondateurs d tats, et

    mme d tats dont

    l organisation tait

    singu

    lirement en

    avance

    sur leur

    temps

    :

    la

    Russie kivienne,

    la

    Normandie

    et ses

    filiales.

    C est

    d abord

    oublier que la mentalit des

    Vikings nous

    est surtout connue par des

    textes norvgiens, tandis

    que

    ces

    tats

    sont sudois ou danois. C est surtout faire fi

    des gnrations, oublier que

    cinq

    vies d hommes

    se

    sont coules

    de

    Rollon Guillaume

    le Conqurant, et plus

    sans

    doute encore

    depuis

    l obscure fondation du

    khanat

    des

    Russes jusqu aux jours

    o la

    principaut

    kivienne devint une

    puissance apprcia-

    ble (4).

    La vrit,

    si l on

    prte

    la

    chronologie toute l attention

    voulue, c est que,

    malgr leurs

    multiples tentatives,

    les

    Vikings du IXe et du dbut du Xe sicle ont t

    peu prs

    inca

    pables d'difier des constructions politiques valables. Rien

    de

    plus instable,

    de

    plus

    informe, que

    les

    crations dont ils furent

    d abord

    responsables. Ce n'est que beaucoup

    plus tard, une fois la notion d tat naturalise

    dans

    le Nord, que

    les

    Scandinaves,

    mris

    par

    une

    longue

    exprience,

    russirent, en

    se

    mettant

    l cole

    de

    l'tranger,

    devenir des fondateurs

    d tats.

    (4)

    L'expression khanat des Russes est un emprunt aux Annales de Saint-Bertin, anno

    839

    : rex i l lorum

    (se. Rhos), Chacanus vocabulo .

    Son

    emploi

    est

    justifi par l'article

    fondamental

    de Ad.

    Stender-Peter-

    sen, Dos

    Problem

    der ltesten byzantinisch-russisch-nordischen

    Beziehungen,

    dans Xe Congrs international

    des sciences

    historiques,

    Rome,

    1955, * IH P- 165-188.

    Pour

    tout ce

    qui

    concerne les Vargues,

    on se

    contentera de ce renvoi et de F. Braun,

    Das

    historische Russland

    im

    nordischen

    Schrifttum,

    dans Festschrift

    Eug. Mogk , Halle, 1924, p. 150-196 :

    il

    n'est nul

    besoin

    d'entrer ici

    dans

    les querelles

    des

    normannistes

    et

    des slavisants.

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    L.

    MUSSET

    Ces dbuts difficiles,

    ces

    longs

    ttonnements,

    ne

    peuvent

    tre mieux saisis en

    leur

    complexit que dans le Nord-Est de l'Angleterre (5). Aprs une trentaine d annes de

    ravages

    dsordonns,

    dbarque

    en

    865 une grande arme

    danoise,

    dont

    l organisation

    apparat fort

    efficace. Elle

    a

    des

    chefs nergiques,

    apparents

    vraisemblablement aux

    rois danois,

    Ivarr et

    Halfdan. Leurs mthodes de

    combat

    sont

    trs souples (ils savent

    improviser

    sur

    place une cavalerie

    et

    s en

    servir), leur habilet

    diplomatique vidente

    (par

    exemple

    quand

    en

    867 ils imposent

    York, leur

    conqute, un

    roi-fantoche

    anglais,

    Ecgbert) : tout cela semble

    prouver leurs

    aptitudes politiques. De

    fait, ils

    se

    proccupent

    trs tt

    d tablir,

    sur les ruines

    accumules,

    un

    embryon

    d tat : on les voit

    battre

    monnaie. Le successeur

    de

    Halfdan, Guthred, fils

    de

    Harthaknut (882-894), va beaucoup

    plus loin : comme plus tard Rollon en Normandie, il

    est

    chrtien,

    il rappelle dans sa

    cathdrale

    l archevque

    Wulfhere, il traite

    avec

    le roi Alfred le Grand. Cet tat danois

    du Nord

    dispose

    mme

    d un

    lment de

    stabilit inhabituel pareille date :

    une vraie

    capitale,

    York,

    qui

    est

    aussi

    une mtropole commerciale.

    Et

    pourtant

    l chec

    de

    cet

    tat

    est

    patent. Son fondateur, Halfdan, a

    t

    expuls par ses

    troupes

    au bout d un

    an

    ;

    aprs

    le

    rgne

    de Guthred, c est un vrai tourbillon de souverains on trouve deux rois

    en quatre ans, un

    interrgne,

    un

    roi

    anglais qui

    rgne

    deux ans, un nouvel

    interrgne,

    assez

    prolong puis les Danois font appel un Norvgien

    d Irlande, Ragnald,

    fils

    du

    roi

    de

    Waterford, qui meurt ds

    923

    ;

    aprs

    lui quatre ou

    cinq

    de

    ses neveux ou cousins

    se

    disputent York, o par deux fois

    les

    Anglais rentrent (avec Athelstan de 925 940 ;

    avec

    Edmond

    et Edred de 944 946). Entre temps, c est un ex-roi de Norvge, Eric la Hache

    sanglante, qui gouverne en 946-947 et en 952-954... Au milieu

    de

    ces troubles, les colons

    nordiques se

    sont

    diviss en deux partis, l un favorable

    aux princes

    paens venus d Ir

    lande,

    l autre aimant

    mieux

    se

    soumettre

    aux

    rois

    trs

    chrtiens

    des

    Anglo-Saxons.

    En

    954 ce second parti triomphe : le royaume d York avcu.

    Les

    deux

    autres

    tats Scan

    dinaves

    d Angleterre

    sont

    dj

    morts

    depuis

    longtemps,

    aprs

    des carrires

    beaucoup

    moins brillantes, celui des Cinq Bourgs en

    942,

    celui d Estanglie

    ds

    917.

    On

    pourrait

    exposer paralllement

    les origines

    de la Normandie,

    et aboutir aux

    mmes

    conclusions.

    Au moment

    mme

    o

    vacille

    le royaume d York, la fondation de Rollon

    est bien prs de disparatre,

    aprs

    l assassinat

    de Guillaume

    Longue-Epe

    Picquigny

    en 944. Cette anne, o Edmond

    rentre

    dans York, l autorit carolingienne se rintroduit

    Rouen. Et aussitt

    les

    habitants

    de la

    Normandie se

    divisent en deux

    partis,

    comme

    ceux de la

    Northumbrie : les

    uns

    se

    rallient

    aux

    Franais

    quidam principes se

    rgi

    committunt,

    quidam Hugoni

    duci,

    crit

    Flodoard,

    tandis

    que

    d autres

    font

    appel

    des

    paens venus d'outre-mer, sous la direction d un certain Haigrold.

    La

    diffrence est

    que ces derniers ont finalement triomph,

    le

    13 juillet 945, dans la

    valle

    de la

    Dive (6).

    (5 ) L'histoire du royaume d'York a

    t

    clairement rsume par Charles Oman, The Danish Kingdom

    of

    York,

    dans Archaeological

    Journal

    , t. XCI,

    1934,

    P- I 21

    mais il reste

    indispensable

    de se

    reporter

    dire

    ctement

    aux diverses versions de

    la

    Chronique anglo-saxonne.

    (6 )

    II ne saurait tre question de donner

    ici une

    bibliographie

    normande

    ;

    contentons-nous

    d'un

    renvoi

    H. Prentout, Etude critique

    sur

    Dudon de Saint-Quentin, Paris,

    1916

    ; J. Steenstrup,

    Normandiets

    Histori

    under

    de

    syv

    farsteHertuger, Copenhague,

    1925

    ; et, pour les

    vnements

    de 944-945, P.

    Lauer, Le rgne

    de

    Louis

    IV

    d O utremer,

    Paris,

    1900.

    66

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    EUROPE DU NORD-OUEST

    Ainsi, il faut se rendre l vidence vers le milieu du Xe sicle, le

    succs

    politique des

    Vikings tait encore incertain,

    vacillant, sans

    profondeur.

    Les

    Scandinaves ne devinrent,

    politiquement,

    les

    matres de

    l Occident

    pour

    paraphraser

    un mot

    clbre

    de

    sir

    F. M. Stenton

    (7)

    que sensiblement plus

    tard,

    une poque o l'esprit des

    Vikings

    s tait bien modifi,

    o mme l on

    ne

    peut

    plus exactement parler

    de

    Vikings.

    En effet, si,

    prolongeant l ouvrage de Vogel (8),

    on

    essaie de reconstituer la succession

    des raids

    Scandinaves

    au Xe sicle,

    on

    dcouvre que, de 930

    980

    en gros, se

    place une

    csure extrmement profonde.

    Non

    que razzias et

    escarmouches

    viennent

    cesser. Mais

    on ne

    voit

    plus oprer

    de grandes armes navales.

    Que

    l on

    dpouille

    la

    chronique

    anglo-saxonne

    ou

    les sources

    continentales,

    l impression d accalmie

    est

    concordante. En

    Angleterre aucun dbarquement Scandinave n'est cit entre 954 et 980. Dans le

    secteur

    norvgien

    le repos

    est

    moins net on note

    quelques

    raids en Galles et en Westmore-

    land,deux

    attaques

    srieuses contre

    le

    califat

    de

    Cordoue,

    mais

    il y

    a

    tout de mme

    un relatif rpit

    dans

    les catastrophes qu enregistrent les

    annales

    irlandaises,

    jusqu

    la

    bataille

    de

    Tara en

    980

    (9). Dans l tat

    actuel

    des

    recherches,

    les causes

    de ce

    temps

    d arrt au milieu du Xe sicle restent

    obscures.

    On

    peut

    tout au plus relever

    quelques

    concidences chronologiques,

    dont la

    valeur explicative est

    assez mince

    :

    c est l poque

    des grands

    succs des

    Vargues en Europe orientale, celle

    o l argent

    iranien afflue

    en Scandinavie, o culmine l activit commerciale dans

    la Baltique

    et en Russie. C est le

    moment

    o

    les

    tats norvgien et danois prennent figure dfinitive : l'unification de la

    Norvge, uvre de Harald

    aux

    Beaux cheveux,

    mort vers

    930,

    commence porter

    ses

    fruits ; au Danemark

    surtout,

    ce sont

    les

    rgnes dcisifs des rois de Jelling, Gorm l Ancien

    (mort

    vers

    940)

    et

    son

    fils

    Harald

    la

    Dent bleue

    (mort

    vers

    986).

    Il

    se

    peut

    que

    le

    Nord

    ait t

    absorb

    par

    ses

    problmes

    intrieurs

    et

    par

    l expansion vers le Sud-Est. Quoi qu il

    en soit, cette csure

    met

    fin,

    aprs cinq

    gnrations (vers 79O-vers93o), la vritable re

    des Vikings. L expansion

    Scandinave

    s'est presque arrte

    durant

    deux vies

    d hommes.

    Mais ce n'est

    pas

    seulement

    un

    chec politique, une trve

    militaire

    qu il faut

    enregistrer

    au

    milieu du Xe sicle.

    Un

    changement complet des structures

    conomiques affecte

    aussi l Europe du Nord. Le commerce du Nord,

    peu

    prs

    exclusivement

    fond sur des

    articles de luxe (vins

    et

    textiles

    d Occident,

    changs contre fourrures et esclaves) [10],

    avait pour

    axe

    principal,

    au

    ixe

    sicle

    et dans la premire moiti du Xe, l'itinraire

    ctier

    menant des

    bouches

    du Rhin

    vers

    l'isthme d u

    Slesvig et

    la rgion du

    Malar, en

    Sude

    centrale.

    Par

    cette voie entraient

    en

    communication

    des

    milieux

    trs

    diffrents

    ;

    (7 )

    Ce mot s'applique aux Normands de

    1066

    : F. M. Stenton, Anglo-Saxon England (

    The

    Oxford History

    of

    England ), t. II, Oxford,

    2 d.,

    1947, p.

    678.

    (8 )

    W. Vogel, Die Normannen

    uni

    das frnkische

    Reich, Heidelberg, 1906.

    (9 )

    Nous avons procd une vrification mthodique

    sur

    les diverses annales irlandaises ; voir galement

    H.

    Shetelig,

    An Introduction

    to

    the Viking History of Western Europe ( Viking Antiquities in Great Bri-

    tain and Ireland , t. I), Oslo, 1940, p.

    46-61.

    (10) Les

    plus

    sages considrations sur la nature du commerce Scandinave nous paraissent tre celles de

    J. Bjernum, Vikingetidens

    Handel

    og dons Betydning for Nordens Folk,

    dans

    Aarboger for nordisk Oldkyn-

    dighed og Histori , 1948, p. 294-302 ; mais

    il

    e6t toujours

    utile

    de consulter P. Kletler, Nordmesteurofas

    Verhehr im frilhen MittelaUer, Vienne, 1924.

    67

  • 7/23/2019 Musset (Lucien)_Relations Et changes d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

    7/21

    L.

    MUSSET

    le

    signe

    le

    plus manifeste de leur

    opposition

    est l emploi

    fait

    de la

    monnaie

    : usuel dans

    le

    monde

    carolingien, d o

    partait

    le trafic, et chez

    les

    Frisons,

    ses

    principaux agents,

    il

    est,

    sinon inconnu, du moins tout

    fait

    nglig

    dans

    le

    Nord. Sitt

    arrives en Scan

    dinavie, les pices occidentales

    sont fondues

    en barres

    ou

    en

    anneaux (baugar), que

    l'on pse

    la

    balance,

    et

    cela

    jusque vers

    940-960.

    Le contact

    entre l conomie occident

    let cette conomie reste un stade prmontaire est videmment trs profitable

    ceux qui

    s en

    instituent les intermdiaires.

    Ainsi s explique la

    floraison

    des grandes

    sta

    t ions

    de traite : Dorestad (Wijk bij Duurstede), au

    point

    de

    dpart,

    l'extrme sud de

    la Frise,

    sur le delta Meuse-Rhin ; Hedeby, aux portes

    de l actuelle

    Slesvig ; et Birka,

    une

    vingtaine

    de

    kilomtres

    l ouest de

    Stockholm. Ce

    sont des

    emporta trs originaux,

    disposant certainement

    d une

    relative autonomie politique,

    o

    les

    trangers

    abondent ;

    comme

    marchands ou

    comme esclaves, les

    chrtiens y sont

    assez

    nombreux ds

    le

    milieu

    du

    IXe

    sicle.

    De

    Hedeby

    et

    de

    Birka,

    quelques

    rameaux

    du

    trafic

    se prolongent

    vers

    la

    rive orientale de la

    Baltique, vers les escales (saeborgir)

    de la Courlande,

    aux mains

    de

    Sudois

    ou de

    Gotlandais (11).

    Cet antique commerce de traite disparat vers le milieu du Xe sicle, pour faire place

    des formes

    d changes

    plus avances, qui s alignent

    sur

    les normes reues en Occident.

    Entre

    la

    Scandinavie et le

    reste

    du monde,

    de

    nouveaux

    itinraires

    apparaissent,

    qui relaient la vieille route des Frisons. On en

    possde

    de multiples indices, qu il est

    encore

    assez malais

    de

    coordonner.

    La

    monnaie, d abord, fait son

    apparition dans le

    Nord (12).

    Les

    premires missions

    srieuses se placent Hedeby vers

    940,

    sans avoir

    d ailleurs beaucoup d importance conomique. C est

    surtout

    sous

    la

    forme d espces

    trangres

    que la

    monnaie

    est utilise :

    pices

    anglaises, dont l'afflux commence

    avec

    le

    rgne

    d Edgar

    (959-975), et, dans un sens oppos, pices

    musulmanes

    dites

    coufiques ,

    provenant en majorit des tats samnides du Turkestan aujourd hui russe, dont le

    flot

    culmine vers 910-940,

    se

    prolonge jusque vers 1000 et

    amne

    en Sude plus de

    80.000

    pices

    actuellement connues.

    Vers

    le mme

    temps, les

    emporta de traite commenc

    entdcliner.

    Birka,

    menace par des troubles

    dans

    la rgion du Mlar, doit

    se

    forti

    fier ers 940-950 et disparat tout

    fait vers 975 ; son

    hritire,

    Sigtuna, qui apparat

    au dbut du xie sicle,

    sera

    toujours

    beaucoup

    plus efface.

    Hedeby,

    d abord

    demi

    autonome

    sous une dynastie

    sudoise, est conquise en

    934

    par Henri Ier d Allemagne,

    change

    de caractre

    elle

    reoit une colonie

    saxonne, sans doute un vch,

    et,

    (11)

    Sur les

    emporta

    de

    l'Europe

    du Nord,

    les

    travaux

    fondamentaux sont

    :

    Hedeby

    :

    H.

    Jankuhn, Haithabu,

    ein

    Handelsplatz

    der

    Wikingerzeit,

    Neumtinster,

    3e d.,

    1956

    ;

    Birka

    :

    H.

    Arbman,

    Birka

    Sveriges

    ldsta

    handelstad, Stockholm,

    1939

    ; Dorestad : publications diverses, dont on

    trouvera

    un commode rsum dans

    B. Rohwer, Der friesische Handel im frhen

    Mittelalter,

    Borna, 1937, P-

    45

    e^ ss- saeborgir : B. Nerman

    Sveriges fgrsta storhetstid, Stockholm,

    1942,

    p. 26-125 ;

    Ed.

    Sturms, Schwedische

    Kolonien

    in Lettland, dans

    Fornvnnen , t. XLIV, 1949, p. 205-217.

    (12) Sur

    l'histoire

    de

    la

    monnaie, voir avant

    tout,

    dans

    la srie

    Nordisk Kultur,

    le

    t. XXIX,

    Mont, d.

    par

    Svend Aakjaer, Copenhague, 1936, et R. Skovmand, De

    danske Skaitefund

    fra Vinkingetiden og

    den

    aeldste

    Middelalder indtil 1150,

    dans Aarbger

    for nordisk Oldkyndighed of

    Histori,

    1942, p. 1-275. Consulter ga

    lement, pour l'Occident, L. Musset,

    Les

    relations extrieures

    de

    la Normandie du IXe

    au

    XIe

    sicle,

    d'aprs

    quelques

    trouvailles

    montaires rcentes,

    dans

    Annales

    de

    Normandie,

    t. IV, 1954, P-

    3I-3^

    et pour l'Orient

    la

    trs commode mise au point de U. Linder-Welin,

    Arabiska mynt,

    dans Kulturleksikon

    for nordisk

    Middelalder ,

    1.

    1, Copenhague, 1956,

    col. 182-194.

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    EUROPE

    DU NORD-OUEST

    aprs 970,

    dcline

    rapidement ;

    son site

    sera

    abandonn vers

    1040.

    Enfin

    le trafic se

    dplace. On

    voit l'itinraire

    direct Angleterre-Scandinavie

    prendre une grande

    impor

    tance

    (la

    prsence

    des

    colons

    Scandinaves

    du

    Danelaw

    y

    est

    pour

    beaucoup),

    tandis

    que

    se dveloppent les routes

    transbaltiques, relies

    elles-mmes aux grands fleuves

    orientaux.

    Aux

    dpens

    de l Uppland

    (Sude

    centrale), on

    voit

    fleurir

    Wollin,

    aux bouches

    de

    l Oder,

    ou

    Holmgard (Novgorod),

    et surtout Gotland.

    Ainsi,

    pour

    toutes ces

    raisons,

    politiques, militaires, conomiques, on

    peut

    admettre que,

    vers

    le milieu du Xe sicle, une premire forme de l expansion Scandinave a pris

    fin.

    Mais le mouvement

    n est pas

    dfinitivement arrt.

    Il va

    bientt, assez

    diffrent

    de

    lui-mme,

    reprendre un

    nouveau

    dpart, et enregistrer cette fois

    des

    succs sensiblement

    plus importants.

    Cette seconde phase

    occupe, en gros, les

    annes

    980-990 1020. Ce

    renouveau d activit

    s'tend

    tout le

    monde

    Scandinave. Il touche

    la

    Sude,

    o

    il

    culmine

    et

    prend

    fin

    avec

    la

    grande

    et

    catastrophique

    expdition

    du

    prince

    upplandais

    Ingvar

    vers

    le Serkland

    les pays

    musulmans

    au sud-est de la Russie, peu

    avant

    1040.

    Il agite

    la

    Norvge ;

    une

    nouvelle et vive

    pousse

    en Irlande est encadre par les

    deux

    dates

    de 980

    (bataille de Tara) et

    de

    1014 (bataille

    de

    Clontarf). Mais c est au Dane

    mark

    qu il

    est le plus

    net, et qu il

    faudra

    surtout

    l tudier.

    Enfin c est l poque

    o,

    dans

    un contexte passablement diffrent, la seule

    domination

    politique durable fonde par

    les

    Vikings, la Normandie,

    se

    mue

    en un

    vritable

    tat, capable

    de

    tenir un

    rle de

    premier

    ordre dans

    le jeu politique de l Occident.

    La profonde transformation

    de la puissance

    danoise, au

    cours de la

    seconde moiti

    du

    Xe et des

    premires

    annes

    du

    XIe sicle, n tait

    que

    trs

    imparfaitement

    souponne

    voici dix

    ou

    quinze

    ans,

    grce

    quelques

    mentions

    dans les

    chroniques,

    ou

    l'illustre

    inscription runique de Jelling, plus laconique encore.

    On constatait

    bien qu un

    change

    mentonsidrable

    avait

    eu lieu ;

    la

    conqute

    de

    l'Angleterre par un Sven

    la Barbe

    fourchue, ou plus encore un Knut le Grand, ne ressemble videmment en rien l action

    des Halfdan et des Ivarr cent cinquante ans plus

    tt.

    Mais on tait hors d tat de dis

    cerner

    pourquoi et comment

    les

    entreprises danoises avaient soudain acquis

    cette formi

    dable efficacit. Grce l'une des russites

    les

    plus remarquables de

    l archologie

    Scan

    dinave,

    l'historien peut aujourd hui en rendre

    compte

    d une manire point

    trop

    incomp

    lte 13).

    On connat

    depuis

    longtemps, par des rcits d allure

    trs

    lgendaire

    {Jmsvkinga

    saga,

    avant

    tout),

    l existence,

    vers

    la

    fin

    du

    Xe

    sicle, en

    pays

    slave,

    prs de

    l embouchure

    de

    l'Oder, Jmsborg, d une socit de jeunes

    guerriers

    soumis une

    discipline

    efficace

    (13) Sur la question des camps de Vikings danois du xie sicle, la bibliographie

    est

    encore trs disperse. Sur

    Jmsborg,

    le

    plus sage est de s'en tenir la seule source existante, la Jmsvkinga saga,

    d.

    Cari af Peter-

    sens, Copenhague, 1882, trad. anglaise de

    Lee

    M. Hollander, Austin

    (Texas), 1955

    ; pour

    Trelleborg,

    publication monumentale de

    Poul

    Nrdlund, Trelleborg ( Nordiske Fortidsminder, IV, 1),

    Copenhague,

    1948

    ; rsums commodes en franais de M. de Board,

    Un

    camp viking, Trelleborg,

    dans

    Annales

    de

    Normandie ,

    t. I, 1951, p.

    1

    18-124 ; en

    anglais de

    P.

    Hunter

    Blair, An Introduction

    to

    Anglo-Saxon

    En-

    gland,

    Cambridge, 1956. Publication provisoire

    des

    fouilles d'Aggersborg : C.

    G. Schultz,

    Aggersborg,

    Vikingelejren ved Limfjorden,

    dans Fra Nationalmuseets Arbejdsmark ,

    1949,

    p. 91-108

    ;

    les

    fouilles

    de

    Fyrkat

    n'ont pas

    encore

    fait l'objet de publications commodes.

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    L.

    MUSSET

    et prcise.

    Si

    sa fondation parle

    Viking

    Palnatoki

    doit sans doute tre

    relgue parmi

    les

    mythes, on possde,

    partir de 985 environ, des mentions

    assez convaincantes

    de son

    intervention

    dans les

    affaires

    danoises, puis anglaises.

    Il se

    peut

    que

    les deux

    conqurants

    de l'Angleterre,

    Sven et Knut, aient d

    une

    partie

    de

    leur formation militaire aux

    Vikings

    de

    Jmsborg. En tout cas, les Jmsvikings conduits par leur

    chef

    Thorkell le

    Haut,

    jourent un

    rle

    dcisif,

    partir de

    1009, dans

    l arme de Sven.

    /

    La

    prodigieuse

    organisation

    du

    camp danois

    d'Aggersborg Jutland)

    d'aprs

    G. Schultz

    12 carrs forms chacun de

    4

    maisons

    murs

    courbes

    de no pieds de long.

    Jmsborg n tait pas un organisme

    accidentel, isol.

    Depuis

    1936, les

    admirables fouilles

    de P.

    Nrlund

    ont rvl

    Trelleborg, entre Slagelse et Korsr, dans

    l le de

    Sjaelland,

    le

    cadre matriel o avait vcu une

    socit toute

    semblable,

    mais ignore

    des textes.

    Il

    s agit

    d un camp fortifi tabli sur

    la

    cte

    la

    fin

    du Xe

    sicle. Une muraille en

    terre

    rigoureusement

    circulaire, paisse de 17

    m. 60, enserre

    une

    place

    de

    137 m.

    de

    diamtre,

    divise

    en quatre

    par

    deux

    voies se coupant

    angle

    droit.

    Dans

    chaque

    quartier s lvent

    quatre

    maisons

    de bois

    longues

    de 29

    m.

    disposes

    en

    carr. L ensemble hbergeait

    sans

    peine

    de 1000

    1.500 guerriers ; on l agrandit d ailleurs ultrieurement. Ce camp fut

    abandonn vers le milieu du xie sicle. Ce seul

    dtail

    que

    les

    charpentes

    exigrent plus

    de 8.000

    pieds

    de chne,

    suffit montrer combien devait tre puissante l autorit qui

    le fit difier.

    La

    publication de cette trouvaille fit

    aussitt

    chez les historiens une impres

    sion

    onsidrable.

    Mais

    il y a plus presque aussitt

    aprs,

    C. G. Schultz dcouvrait et fouillait, Aggers-

    70

  • 7/23/2019 Musset (Lucien)_Relations Et changes d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

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    EUROPE DU NORD-OUEST

    borg (sur le Limfjord, l'ouest

    d Aalborg),

    un

    camp

    encore plus vaste et non moins

    rigoureusement ordonn.

    Il

    y avait ici douze quartiers, au lieu de

    quatre,

    et quarante-

    huit

    maisons

    (plus grand es),

    au

    lieu de

    seize

    :

    un logement

    pour

    toute

    une

    arme.

    Ce

    camp,

    cr en

    mme temps

    peu prs

    que

    Tvt

    leborg,

    fut dtruit en

    1085

    par

    une

    insurrection locale. Depuis lors, deux camps ont encore t dcouverts : Fyrkat

    (prs de Hobro), et

    Odense. Tout

    cela rvle une armature politique et

    militaire

    extrmement

    solide,

    telle

    que nul autre tat europen n en possdait

    alors.

    Dans ces

    camps s'est forg, pour

    la

    conqute de l'Angleterre,

    un instrument

    remarquablement

    efficace. D o a

    pu

    venir l ide

    premire d une telle

    organisation ? On n en sait encore

    peu prs rien,

    quoique certains indices

    d'ordre mtrologique, notamment

    paraissent orienter vers des pays o les

    traditions de

    l Empire romain

    pouvaient

    survivre. Un rudit allemand, O.

    Hfler,

    a tent de prouver que la

    pierre

    runique de

    Rk,

    en Sude,

    attestait

    ds

    le

    IXe

    sicle l existence

    de groupements

    analogues

    parmi

    les

    Vikings : ses thses aventureuses ont fait

    peu

    de convertis (14).

    Sans

    doute, ds

    l'origine,

    les

    Vikings

    danois se

    sont distingus

    par un

    plus grand sens de l'ordre et par la

    hirarchie. En dpit de ces

    rserves,

    il semble bien s'agir d une cration autochtone,

    originale et fort

    russie du Xe

    sicle danois.

    Sur

    le

    matriel

    humain

    entran

    dans ces camps, la tradition crite,

    anglo-saxonne

    ou

    Scandinave, apporte des lumires

    suffisantes. Selon

    la meilleure tradition des Vikings,

    il

    tait fort ml : une majorit de Danois

    se

    sont joints,

    on

    l a vu,

    beaucoup

    de Jmsvi-

    kings

    et

    pas mal

    de

    Sudois. Ces bandes

    taient rgulirement

    salaries sur les

    produits

    du

    danegeld ;

    n'en cherchons pour

    preuve

    que la

    belle

    inscription

    runique

    sudoise

    d Yttergarden,

    en

    Uppland, qui

    clbre un certain

    Ulf,

    bien connu

    comme

    artiste en

    pierres runiques

    :

    ... mais Ulf a

    trois fois pris part

    un

    tribut

    en

    Angleterre, la pre

    mire lors du

    tribut

    de

    Tosti sans doute un danegeld

    lev lors d une des premires exp

    ditions

    de Sven

    la Barbe

    fourchue),

    la seconde lors du

    tribut

    de Thorketill

    (Thorkell

    le

    Haut, de

    Jmsborg ; danegeld

    lev

    en 1010),

    la

    troisime lors

    du

    tribut

    de Knut

    (dane

    geld ev par Knut le Grand en 1018). (15).

    Il est vident

    que ces

    formes nouvelles d encadrement militaire et politique

    rendent

    les

    assaillants Scandinaves

    de la deuxime

    vague beaucoup

    plus aptes

    se

    muer

    en or

    nisateurs d tats. Le succs presque miraculeux

    de

    Knut le Grand en Angleterre s ex

    plique

    sans

    doute en partie par les qualits personnelles du roi,

    mais

    s explique encore

    plus par cet instrument

    remarquable

    dont il disposait et qui

    avait

    t mis au point

    au Danemark

    durant les

    deux gnrations

    qui l avaient

    prcd.

    L activit Scandinave

    reprend,

    avons-nous

    dit,

    vers 980.

    Sous

    cette

    date, la

    chronique

    anglo-saxonne note : Et cette mme

    anne,

    Southampton fut

    mise

    sac

    par

    une force

    navale, et

    la

    plupart

    des

    habitants furent

    tus ou

    pris ;

    la mme

    anne

    Thanet (

    l em

    bouchure

    de la Tamise) fut ravage, et le pays de

    Chester

    fut

    ravag

    par une flotte venue

    du Nord.

    Quelques

    entreprises de piraterie

    individuelle

    se manifestent nouveau sur

    (14)

    O.

    HOfler, Gertnanisches Sahraknigtum,

    1.

    L, Der Runenstein von Rk, Tiibingen, 1952, p.

    308

    et ss.

    (15) E. Brate,

    Sveriges

    runristare,

    Stockholm,

    1925, p. 11, n 2.

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    11/21

    L. MUSSET

    les

    ctes du continent, par exemple en

    991,

    contre Stavoren, en

    Frise,

    ou

    vers

    1000,

    quand la

    vicomtesse

    de Limoges Emma est enleve

    sur

    la cte poitevine.

    Aux

    Orcades,

    Man

    et

    surtout

    Dublin,

    l activit

    des

    flottes

    norvgiennes

    se rveille.

    On voit

    ds l abord que

    cette seconde

    vague du

    mouvement viking est beaucoup plus

    limite que la

    premire. Elle

    n'est vritablement importante que pour

    l'histoire

    des

    les Britanniques. Notre propos n'est pas d en

    retracer

    ici

    les

    tapes : des raids isols

    jusqu en

    991,

    puis de grandes armes navales levant d normes danegelds, et,

    aprs

    une

    brve accalmie de 1000 1002, le paroxysme, dclench par le

    massacre

    de la Saint-

    Brice (13 novembre 1002),

    enfin

    l enchanement qui ne s arrtera plus

    avant la

    totale

    conqute

    de

    l'Angleterre par

    les

    Danois,

    en 1014 puis en 1018. Insistons

    plutt

    sur

    ce

    tournant dcisif de l anne 1002. Sans nul doute, aprs le meurtre de sa sur

    Gunnhild,

    Sven

    la Barbe fourchue a

    conu,

    premier

    des chefs vikings, un programme net :

    se

    venger des

    Anglais

    en

    les

    soumettant

    entirement.

    Pour la

    premire

    fois,

    l'historien

    peut

    vraiment parler d une politique danoise l gard de l'Angleterre.

    Bientt,

    quand

    dix ans de luttes acharnes auront mri

    les esprits, on assistera

    mme la

    naissance

    et

    au

    dveloppement

    d un vritable jeu diplomatique

    participants

    multiples, ce qui

    tait une notion

    absolument

    trangre au

    premier

    mouvement viking.

    Jusqu en 1002, l'histoire des entreprises Scandinaves est

    d une

    sinistre

    monotonie, une

    histoire-batailles

    au scnario

    simpliste

    : les Vikings

    se

    jettent sur leurs victimes,

    les

    malmnent horriblement, et s en retournent

    avec

    leur

    butin, peu

    prs sans

    ennuis.

    C est un drame deux acteurs, l un

    presque

    toujours vainqueur et l autre toujours

    atrocement

    pill. Mais maintenant tout change. Depuis 990

    peu

    prs, dans

    leur

    lutte

    contre

    l'Angleterre, les

    Danois

    rencontrent

    plus

    d un

    partenaire. A ct de leurs

    grands

    ennemis, les

    rois de la dynastie de

    Wessex,

    il leur faut

    tenir compte

    de plusieurs

    concur

    rents

    u allis, le jeune duch de

    Normandie

    avant tout,

    mais

    aussi la Flandre, la

    Norvge,

    etc.

    A

    partir de la premire dcade du xie sicle, nous assistons une

    intrigue

    fort serre, mais trs

    intressante,

    trois

    ou quatre acteurs.

    Il

    est indispensable de

    camper

    ici un bref portrait de cette Normandie, bientt

    prota

    goniste sur

    la

    scne anglaise. Nous sommes

    alors vers les

    dbuts du long

    rgne

    de

    Richard II (996-1026),

    au

    moment

    o le duch, pour la premire fois, apparat

    avec des

    traits assez

    nets,

    bien que largement, conjecturaux encore.

    Il

    semble que,

    depuis

    l ori

    gine (911),

    l autorit

    ducale ait deux faces.

    Le descendant

    de Rollon est videmment

    d abord, pour

    ses

    compagnons Scandinaves,

    le

    jarl de

    Rouen,

    Ruihu jarl,

    comme

    diront

    les

    sagas

    (16).

    Le pre du

    duc

    rgnant avait

    encore bien appris le norois (17). Des chefs

    nordiques

    sont

    encore

    souvent reus

    la cour de

    Rouen : vers

    1003

    un Sven, qui

    est

    peut-tre le roi

    de Danemark

    Sven

    la Barbe

    fourchue ; vers 1013-1014 Olaf le

    Gros,

    le futur

    saint

    Olaf ; et encore

    vers

    1025 le scalde islandais Sigvatr Thordharson.

    Les

    (16) L'expression Rudhu

    jarl

    est employe la fois par

    Snorri

    Sturluson,

    Heimskringla

    (Saga d'Olaf le

    Saint, 20 ;

    saga de

    Harald le Svre,

    75

    et 95) et par

    des

    sources

    indpendantes (Landnmabk,

    Hauks-

    bk,

    270

    ; Sturlubk,

    309

    ; Morkinskinna,

    etc.)

    ; malgr le caractre tardif de ces sources,

    il est

    sans

    doute

    permis de retenir ce titre pour les

    Xe et

    xi sicles.

    (17) Dudon de Saint-Quentin, d.

    Lair,

    p.

    221

    ; Guillaume de

    Jumiges,

    d. Marx, p. 41.

    72

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    EUROPE DU NORD-OUEST

    chefs de plusieurs

    grandes

    familles se targuent

    de

    leur origine Scandinave ex

    North-

    mannis

    Northmannus

    (18). L historien officiel

    des ducs,

    Dudon

    de Saint-Quentin,

    ne

    perd

    pas

    une

    occasion

    de

    vanter

    ce

    qui,

    dans

    leur

    tat,

    est

    exotique.

    Le

    pote

    favori de

    l archevque Robert,

    frre

    du

    duc,

    Garnier,

    souhaite

    son protecteur de

    vaincre les

    Franais orgueilleux

    (19).

    Au retour

    de leurs expditions,

    les Vikings

    viennent

    rgu

    lirement mettre

    en

    vente sur

    les marchs

    de la

    Seine

    leur butin,

    leurs

    esclaves.

    Mais, en mme temps, le duc est intgr la hirarchie franque.

    En

    911,

    il a t ins

    tall,

    sans doute comme vassal du roi

    de

    France, en tout

    cas

    pro tutela regni.

    Il

    a hrit,

    peut-tre en vertu d une concession en bonne et due forme,

    des

    fiscs royaux et des

    domaines des abbayes

    f

    ranques sises dans son duch ; il protge et nomme

    les

    vques,

    avant tout

    l archevque

    de Rouen.

    Comte

    de

    Rouen,

    tout indique qu il a hrit des pr

    rogatives des comtes carolingiens de cette ville, peut-tre aussi si l on

    en croit

    J.

    Dhondt

    des

    charges

    d un marquis prpos

    la

    dfense des ctes.

    Laquelle

    de ces

    deux

    faces

    est

    la

    plus vridique ? La seconde,

    probablement

    (20). Un

    fait,

    cet

    gard, est rvlateur : l organisation

    territoriale de la

    Normandie est reste

    presque entirement

    franque.

    Elle repose sur les fagi,

    dont

    les limites se

    sont mme

    mieux maintenues qu ailleurs ; seul le Nord du Cotentin a pu voir

    natre,

    titre

    d ailleurs

    trs

    passager, des circonscriptions noms Scandinaves

    (Sarnes,

    Helgenes ?) (21).

    Nulle part

    les

    things, institution de base des

    socits

    nordiques,

    que

    ce soit dans la mre

    patrie ou dans ses colonies

    (Islande,

    Groenland, Danelaw), ne

    se

    sont

    implants.

    Le

    rgime

    social

    est

    peu prs exclusivement franc,

    sauf

    en

    ce

    qui

    concerne certains aspects

    de l esclavage domestique. Le

    rgime

    foncier parat intgralement

    franc,

    et mme remar

    quablement

    conservateur. Mme

    dans l organisation

    militaire,

    on

    ne

    voit

    rien

    de

    typ

    iquement

    Scandinave.

    Seules quelques institutions

    prives, pnales

    (touchant

    la famille

    du

    duc,

    sa personne,

    sa

    paix)

    ou maritimes ont des

    racines

    videmment

    nordiques (22).

    Dans cette cration

    assez htroclite,

    beaucoup

    d historiens

    commencer

    par l un

    des

    plus

    notables,

    M . D. Douglas

    ne veulent voir encore vers l an mil

    qu un

    tat

    barbare, informe,

    et pensent que

    l unification

    du duch,

    l tablissement

    de

    l autorit

    (18) Le mot

    est

    de Roger

    II

    de

    Montgommery,

    vers

    1082

    : R. N. Sauvage, L'abbaye de Saint-Martin de

    Troarn, Caen, 1911, p. 352, n

    III.

    (19) L. Musset, Le

    satiriste

    Garnier de Rouen et son milieu, dans Revue du moyen

    ge

    latin , t. X, 1954,

    p.

    237-266,

    la p. 266.

    (20)

    L'unit

    de

    vues n'est

    pas

    encore

    ralise

    sur

    les

    origines

    du

    pouvoir ducal

    en Normandie

    ;

    en

    attendant

    un

    ouvrage

    dtaill,

    un

    rsum de notre thse

    a

    t

    donn

    :

    L.

    Musset,

    Ruine

    et

    reconstruction

    d'une

    admin

    istration

    de la Neustrie franque la Normandie ducale, dans Rev. hist. de droit

    franc.

    , t. XXX, 1952, p.

    275

    contra : M. de Bouard, De la Neustrie carolingienne la Normandie fodale, continuit ou discontinuit

    ?,

    dans

    Bulletin of

    the Institute of Historical Research ,

    t.

    XXVIII,

    1955, p. 1-14.

    Consulter galement

    J.

    Yver,

    Le dveloppement du pouvoir

    ducal

    en Normandie,

    de

    Vavnement

    de

    Guillaume

    le

    Conqurant la

    mort d'Henri Ier (1035-1135), dans Atti del convegno internaz. di studi Ruggeriani , Paenne, t. 1, 1955,

    p. 183-1204.

    (21)

    Sur

    ces

    noms,

    L. Musset,

    Aperu

    sur

    la colonisation Scandinave dans le

    Nord du Cotentin,

    dans

    Annuaire

    des

    cinq dpartements

    de

    la

    Normandie ,

    t.

    CXI,

    1953,

    p.

    34-37.

    (22) Voir avant tout J. Yver,

    L'interdiction

    de

    la

    guerre

    prive

    dans le trs

    ancien droit normand, dans

    Tra

    vaux

    de

    la

    semaine

    d'histoire du droit

    normand de Guernesey , Caen,

    1928,

    p. 307-347,

    et

    R.

    Besnier,

    La

    coutume

    de

    Normandie,

    histoire

    externe,

    Paris,

    1935.

    73

  • 7/23/2019 Musset (Lucien)_Relations Et changes d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

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    L.

    MUSSET

    ducale, ont t l uvre personnelle de Guillaume le Conqurant,

    beaucoup

    plus tard,

    entre

    1047 et 1066

    (23).

    Nous

    ne

    saurions

    partager cette

    opinion. D abord, ce

    n tait

    pas

    celle

    des

    contemporains

    :

    l immense

    prestige

    des

    ducs

    de

    la

    fin

    du

    xe

    et

    du

    dbut

    du

    XIe sicle interdit

    de voir

    en eux

    de

    simples

    Vikings

    peine

    assagis. Comment

    croire

    qu un

    Richard

    II

    n ait

    t qu un

    archipirate

    ,

    pour

    parler comme Richer, quand on

    voit

    le Bourguignon

    Raoul

    Glaber, renseign par un

    tmoin

    aussi exigeant

    que

    le rfo

    rmat eur Guillaume

    de Volpiano, clbrer

    avec un zle redondant

    la

    paix

    commune ,

    la

    concorde d une foi

    inviolable , l honntet

    commerciale

    qui rgnent

    dans son

    tat ? Quand

    sa

    rputation rayonne jusqu au Sina (d o

    l on vient

    lui demander

    l aumne)

    ? Quand un Richard

    de

    Saint-Vanne place

    sous son

    patronage

    une

    expdition

    en

    Terre

    Sainte ? (24). Il

    y aurait

    encore

    bien

    d autres arguments,

    que ce n'est pas

    le

    lieu

    de

    dvelopper ici.

    Sans

    doute

    la

    Normandie

    fodale,

    qui

    triomphera

    en 1066,

    est-elle

    une

    cration

    relativ

    ementardive, gure antrieure au second quart du xie sicle. Mais avant

    elle,

    avec

    science, avec nergie, Richard

    Ier

    et surtout Richard II avaient su difier

    un systme

    administratif, admirable d efficacit pour l poque, o le duc commandait des comtes

    choisis dans sa famille, rvocables ad

    nutum,

    ou des vicomtes

    qui

    taient de simples

    fonctionnaires, dans sa dpendance troite (25). Un

    chef, qui

    a

    su

    conserver ou

    ressusci

    ter

    son

    profit les plus

    utiles des droits rgaliens

    dont

    avaient joui

    les

    Carolingiens,

    commande une

    aristocratie

    qui a gard toute l'activit, toute l nergie des

    Vikings

    :

    tel

    est le rsum le plus simple et le plus juste que l'on puisse prsenter de la situation

    en Normandie

    vers l an

    mil.

    Le

    duch normand

    n'est

    pas

    encore

    une

    puissance

    ;

    mais

    il

    a

    maintenant toutes

    les

    ressources

    ncessaires

    pour en devenir une. Comme le

    Danemark

    de Sven et

    de

    Knut,

    il s y est prpar par une rapide et rigoureuse rorganisation intrieure. A

    ses

    portes,

    un

    drame

    se droule :

    la cure de

    l'Angleterre. La Normandie saura y

    prendre sa

    place, modeste d abord, au temps de

    la

    prpondrance danoise, et bientt,

    aprs

    la

    ruine de

    la

    dynastie de Knut, prpondrante.

    C est vers le troisime quart

    du

    Xe sicle

    qu apparaissent

    les

    premiers

    documents uti

    lisables sur les relations anglo-normandes : des

    paves

    d une correspondance

    de

    bon

    voisinage

    entre

    les moines

    de Saint-Ouen

    et

    le

    roi Edgar (26).

    Mais bientt la

    seconde

    vague

    des Vikings commence dferler sur

    l'Angleterre,

    et les

    esnques

    trouvent souvent

    un

    abri

    dans les ports normands. En

    991,

    l anne du premier

    danegeld

    et

    de la

    bataille

    de

    Maldon, le

    problme normand, pour la premire

    fois, s impose

    l attention d un roi

    anglais. Ethelred

    II

    envoie l vque de Sherborne en ambassade auprs de Richard Ier

    tandis

    que

    s'entremet l apocrisiaire Lon,

    ce

    commis par Rome, et un accord satis-

    (23) David

    Douglas,

    The Rise of Normandy,

    dans

    Proceedings

    of the British Academy , t.

    XXXIII,

    1947.

    (24) Richer,

    d.

    Latouche, I, p.

    156

    ;

    II,

    p. 293, 329... ; Raoul

    Glaber, d.

    Prou, p.

    20

    ;

    Hugues

    de

    Flavigny,

    M.G.H., SS., VIII, 393.

    (25) Voir l'excellent article de D.

    Douglas,

    The

    Earliest Norman

    Counts,

    dans

    English

    Historical Review

    ,. LXI, 1946, p. 129-156.

    (26)

    Ed.

    W. Stubbs, Memorials of Saint-Dunstan ( Rolls

    Sries

    , n 63), Londres, 1874, p.

    363.

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    14/21

    EUROPE

    DU NORD-OUEST

    faisant est conclu le Ier mars 991 :

    la

    paix

    rgnera

    entre

    Anglais et

    Normands,

    aucune

    des parties ne donnera asile

    aux

    transfuges ou

    aux

    ennemis de l autre (27). Le

    duc

    de

    Rouen

    ne

    se

    sentait

    donc

    aucun

    degr

    solidaire

    des

    Vikings

    danois

    ;

    il

    tenait

    bien

    davantage

    ses

    bonnes relations commerciales surtout,

    sans

    doute

    avec

    le royaume

    d Outre-Manche.

    Mais bientt, sous

    les

    coups

    rpts

    de Sven,

    l'Angleterre

    tombe

    en

    ruines

    :

    la tentation

    de reprendre

    les

    vieilles habitudes

    se

    fait la

    plus forte. Dans l t

    de

    l an mil,

    une

    flottille

    qui venait

    de ravager le

    Kent

    est

    autorise (par le duc ?

    ou

    par quelque chef

    local

    ? on

    ne sait) faire

    relche

    en Normandie

    avant de

    retourner p iller le Devon (28). Il semble

    que ce

    geste

    inconsidr

    entrana un

    raid

    d avertissement

    anglais

    en

    Cotentin.

    L amiti,

    cependant,

    persiste

    entre Richard II et Ethelred : au

    printemps

    1002, le roi anglais,

    veuf, se remarie

    avec

    Emma, sur

    du

    duc normand,

    quelques

    mois

    avant ce

    massacre

    de

    la

    Saint-Brice

    qui

    va

    amener

    la

    guerre

    inexpiable

    entre

    le

    Danemark

    et

    la

    dynastie

    de Wessex. L vnement, on le sait, fut gros de

    consquences,

    que l on ne pouvait aper

    cevoir

    toutes en 1002 : il valut Ethelred, pour tout le reste de sa vie, la neutralit

    trs bienveillante

    de la

    Normandie

    ;

    il

    dressa dfinitivement au moins jusqu en 1086

    la dynastie normande

    contre

    celle de Danemark

    ; il

    introduisit

    en

    Angleterre

    un

    premier noyau normand, dans l entourage de la reine qui, bien que rebaptise Aelfgifu,

    resta

    d abord trs

    normande enfin il

    jeta la semence des

    bouleversements

    de

    1066 (29).

    Il

    se peut que

    Sven

    ait aperu une

    partie

    du danger,

    si, comme l'affirme

    Guillaume de

    Jumiges,

    il trouva le

    temps,

    en 1003,

    de venir

    Rouen

    signer avec

    Richard

    un

    trait

    d amiti (30).

    Le

    geste resta sans effets ; mais il

    est

    significatif

    de voir, presque

    en

    mme

    temps,

    les deux

    adversaires

    solliciter

    l amiti

    normande.

    Un dernier partenaire,

    enfin,

    ne saurait tre oubli : la

    colonie

    Scandinave tablie,

    depuis le milieu

    du ixe

    sicle,

    dans le Nord de

    l'Angleterre. Rallis

    la

    couronne anglaise

    depuis

    954, ces

    gens

    du Danelaw taient rests jusque vers 1013 assez

    en

    dehors du dbat

    entre Ethelred

    et Sven. Le

    massacre

    de 1002

    ne semble

    pas

    les

    avoir

    touchs. Pratique

    mentous les grands

    raids

    danois depuis

    991 ont

    eu

    pour thtre

    le Sud

    ou

    le

    Sud-Est

    de l'le, Hamsphire,

    Sussex,

    Kent, Essex, Estanglie. Le

    Nord

    continuait sa vie part ;

    sous

    la direction assez

    lointaine

    du

    roi anglais, il dpendait, en

    fait, d une

    dynastie locale

    toute Scandinave, dont

    le

    reprsentant tait

    alors le

    comte Ucthred,

    fils

    de Waltheof,

    sur

    lequel

    on possde

    une

    curieuse saga

    latine

    qui mriterait

    d tre tudie de prs

    (31).

    (27)

    Texte

    de

    la

    paix

    :

    d.

    Stubbs,

    ibid.,

    p.

    397

    ;

    Guillaume

    de Malmesbury,

    Gesta

    regum,

    d.

    Stubbs,

    t. I, p. 191 ; P.L., CXXXVII, 843. Commentaires : H.

    Prentout,

    op. cit., p.

    398

    ; Steenstrup, op. cit.,

    p. 157-

    (28) Chronique anglo-saxonne, anno

    1000

    ; M. Ashdown, English and Norse

    Documents

    Relatin to the

    Reign of Ethelred the Unready, Cambridge, 1930, p. 46.

    (29) Pour ce qui concerne la reine Emma,

    voir le

    travail trs inform d'Alistair Campbell, Encomium

    Emmae reginae,

    Londres,

    1949.

    (30) Guillaume de Jumiges, d. Marx, p.

    80.

    (31) Le texte

    est

    publi par

    Th.

    Arnold, sous le titre

    De

    obsessionsDunelmi et de probitate Ucthredi comitis ,

    a

    la suite

    de son

    dition

    de Symeon

    de Durham,

    Londres,

    1882, t.

    I, p.

    215-220 ; la

    seule

    tude littraire

    semble en tre celle,

    trs

    partielle, de C. E. Wright, The Cuttivation of Saga in Anglo-Saxon England, Edim

    bourg et

    Londres,

    1939, p. 182

    et

    ss.

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    L.

    MUSSET

    Cet

    Ucthred,

    gendre

    par

    son

    troisime mariage

    du

    roi

    Ethelred,

    resta

    dans

    l ensemble

    assez

    fidle

    son

    beau-pre. Mais en 1013, sans doute

    entran

    par ses troupes, il se

    rallia

    Sven,

    et

    avec

    lui, dit

    la

    chronique

    saxonne,

    toute l arme

    (ce

    terme

    dsigne

    les colons danois) au Nord de la Watling

    Street

    . Cette dfection du Nord scella le

    destin

    d Ethelred, qui fuit vers l le

    de

    Wight, puis vers Rouen.

    Sautons quelques

    annes. Sans doute les

    morts

    successives

    de Sven,

    puis

    d Ethelred

    et

    d Edmond,

    ont

    amen bien

    des pripties.

    Mais l automne

    1016 Knut

    se

    trouve

    seul

    matre de l'Angleterre.

    En

    juillet 1017

    il pouse Emma,

    veuve de son

    prdcesseur et

    ennemi, un mariage

    videmment politique: il s agit de politique

    intrieure,

    de concilier

    l ancienne

    dynastie et

    la

    nouvelle, beaucoup plus

    que de se

    raccommoder

    avec la

    Nor

    mandie.

    Emma,

    en effet, soutiendra dsormais sans restriction

    le parti de son

    deuxime

    mari,

    tandis que

    la

    dfiance persiste

    entre

    Richard

    II

    et

    Knut.

    La

    Normandie

    continue

    donner

    asile

    aux

    enfants

    d Ethelred

    ;

    Knut accueille

    les

    bannis

    normands,

    notamment

    un ancien

    comte d Avranches,

    Richard, qui

    avait complot l assassinat de

    Richard II.

    Ces rapports

    tendus

    durrent tant

    que

    rgna en Angleterre

    la

    dynastie danoise.

    L opposition normande resta assez inoffensive pour Knut tant que vcut Richard

    II.

    Elle se durcit sous son

    successeur Robert

    le Magnifique. Ce

    duc

    parat avoir encourag

    le

    jeune Edouard

    prendre

    le titre royal

    (32)

    ;

    sa

    sur

    Godgifu il

    procura un mariage

    intressant

    (avec

    Dreu, comte de Vexin) ; peut-tre mme, en croire Guillaume de

    Jumiges

    et Guillaume de Malmesbury, songea-t-il une expdition maritime

    en Angle

    terre (33). Knut,

    dont le

    pouvoir

    solidement

    tabli

    n avait gure

    s mouvoir de

    ces

    piqres

    d'pingle,

    n exera

    pas de rtorsion

    ;

    il

    parat

    mme qu il excepta

    les

    gens

    d glise

    de

    l inimiti

    qu il

    portait

    aux

    Normands (34). D ailleurs,

    tendu

    tout

    entier

    vers ses entreprises

    nordiques,

    il ne

    se

    souciait sans doute

    pas de

    faire natre des comp

    lications

    sur

    la

    Manche.

    Mais

    l pisode

    eut, pour la Normandie, des rpercussions

    considrables : il

    acheva de la

    dtacher

    de l espace

    Scandinave.

    Le

    duch

    n avait

    sans

    doute jamais

    t

    qu une

    dpendance marginale du monde

    nordique ; mais enfin c tait

    du

    Nord

    que

    lui venaient les secours en

    cas de

    danger, c est vers le Nord

    (Angleterre

    ou

    Irlande)

    que

    ses

    aventuriers

    se

    dirigeaient (35)

    ;

    son commerce, surtout

    celui

    de

    Rouen,

    s anastomosait

    au commerce nordique (les

    monnaies

    normandes du Xe sicle

    se retrouvent

    en

    Ecosse,

    au Danemark, en Pomranie, en Pologne,

    mme

    en Russie) ;

    l un

    des

    potes favoris

    de la cour de

    Rouen sous Richard

    II,

    Moriuht, tait un

    Irlandais

    (32)

    Edwardus

    rex

    apparat

    seulement

    dans

    une

    charte dite

    par Ch.

    H.

    Haskins,

    Norman

    Institutions,

    Cambridge

    (Mass.),

    191

    7, p. 260-263 e^e

    n'est

    pas

    l'abri de

    tout soupon d'un remaniement postrieur

    1042.

    (33)

    Guillaume de

    Jumiges,

    d. Marx, p. 109-110; Guillaume de Malmesbury, Gesta regutn, d.

    Stubbs,

    1. 1,

    p. 418. Les

    deux versions diffrent d'ailleurs

    profondment.

    (34) Cf. la donation consentie Fcamp,

    d.

    Ch. H. Haskins, dans English Historical

    Review

    , t. XXXIII,

    1918,

    p.

    343-344-

    (35) Aventuriers normands en Angleterre : R. T. Graeme Ritchie,

    The

    Normans in En gland Before Edward

    the Con)

    essor,

    Exeter,

    1948

    ;

    y joindre le

    comte Richard

    d'Avranches, cit plus haut

    : Vita Gauzlini,

    d.

    L. De-

    lisle, dans Mmoires de la Socit archologique de l'Orlanais , t. II, 1853, p. 282-283, e* un certain

    Osmond Drengot :

    Orderic

    Vital,

    d.

    Le Prvost, t. II, p.

    53

    ; Irlande : A. J. Goedheer, Irish and

    Norse

    Traditions

    A bout the Battle of Clontarf, Haarlem, 1938.

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    16/21

    EUROPE DU NORD-OUEST

    vendu comme esclave par des Vikings...

    Tout

    cela cesse dans

    la

    gnration qui suit

    l an mil : la Normandie, dsormais, regarde vers le Sud et le

    Sud-Est. Les

    aventuriers

    normands

    gagnent

    l Espagne,

    l Italie

    surtout,

    et

    mme

    l Empire

    Grec.

    Le

    duc

    Robert,

    leur digne

    chef,

    leur montre

    la route. Ainsi, au moment o elle

    devient

    la

    principale

    concurrente des

    Danois en

    Angleterre,

    la Normandie cesse d tre Scandinave.

    Knut

    avait

    su organiser sa conqute avec un rare talent. Jamais,

    avant

    1066, l Angle

    terre a

    t

    mieux

    administre,

    mieux

    gouverne que

    par

    ce

    Danois. En

    adoptant

    leurs

    murs, en

    protgeant

    leur clerg, il

    sut

    se

    faire

    accepter,

    respecter,

    et

    mme

    aimer

    de

    ses

    sujets

    anglais. En un

    passage

    qui

    mriterait

    d tre fameux, Guillaume

    de

    Malmes-

    bury

    vante, au dbut du xne sicle

    encore,

    sa facilit ,

    oppose

    l implacable rigueur

    du conqurant normand de 1066 (36). Roi des

    Danois,

    d autre part, Knut n eut pas de

    peine mettre fin

    aux

    attaques des

    Vikings

    contre l'Angleterre ; bien plus : il

    russit,

    dans

    leurs

    bandes,

    oprer

    un

    tri,

    conservant

    avec

    lui

    quelques

    lments

    utiles

    pour

    former sa garde redoutable, la

    thingmannalidh,

    compose de

    housecarles

    maniant la

    grande

    hache

    deux mains (ceux-l mme qui devaient tre Hastings le

    dernier

    rem

    part de l indpendance anglaise),

    mais

    renvoyant la grande masse, pourvue d un copieux

    danegeld, dans

    ses

    pays d'origine.

    Tout en

    gardant l anglais

    comme langue

    de

    l tat,

    il donne

    les

    postes de

    commande

    des Scandinaves ou des Anglais compltement

    rallis

    aux

    murs

    danoises, comme

    le fameux Godwine, pre de Harold. C est un vne

    ment digne de

    remarque

    :

    il

    y avait

    en

    Angleterre une

    aristocratie

    danoise implante

    depuis

    150 ans,

    mais

    jamais aucun de

    ses

    chefs n avait accd

    encore

    la direction

    suprieure de

    l tat. Le

    caractre

    nordique

    de l'Angleterre, vraiment

    peu

    sensible dans

    la

    gnration de saint

    Dunstan

    et

    de

    ses

    disciples,

    en

    sera

    profondment

    raviv.

    Knut a attnu le caractre brutal de sa conqute, en

    essayant

    de faire natre quelque

    chose qui dpasse le cadre du pays conqurant

    comme

    du pays conquis.

    Faute

    de docu

    ments, on

    hsite souvent sur la signification de l Empire de Knut ; construction

    toute

    personnelle, dont

    il envisageait le

    dmembrement

    sa

    mort ?

    ou

    empire

    de la mer du

    Nord ? La vrit est entre les

    deux.

    Sans doute il ne faut

    pas

    se

    laisser hypnotiser

    par

    ce

    titre

    de basileus

    qu il prend quelquefois,

    ou

    par les

    a

    cinq royaumes dont l hist

    oriographie lui

    fait souvent

    honneur. Il semble

    que Knut

    a

    tenu

    deux choses :

    tablir

    une

    solide prpondrance danoise dans

    les

    pays

    riverains de la mer

    du Nord ; mettre

    la porte

    des

    Danois la civilisation anglaise. Sans doute envisageait-il cette harmonie

    anglo-danoise

    dans un cadre dynastique,

    entre

    des princes parents et allis, plutt que

    dans

    un

    empire unitaire

    (37).

    Ces considrations permettent

    de

    porter sur l uvre

    de Knut

    un jugement plus nuanc

    qu on ne le fait d habitude.

    Sur

    le plan dynastique, elle a chou,

    vite

    et

    compltement.

    (36) Guillaume db Malmesbury, Gesta

    regum,

    d. Stubbs, t.

    II,

    p. 312-313.

    (37) Sur

    l'Empire de Knut, il faut toujours se

    reporter

    aux

    travaux

    de

    L.

    M. Larson, The

    Politicai Policies

    of

    Cnut

    as

    King of En land,

    dans

    American

    Historical Review , 1909-1910,

    p.

    720-743,

    et Canute the Great

    and the

    Rise

    of the Danish

    Imperialism,

    New-York

    et

    Londres,

    1931 (2e

    d.). Mais il faut tenir compte

    gal

    ement des nombreuses

    inscriptions

    runiques sudoises relatives ses soldats

    et

    de

    la

    critique des sagas

    par

    O.

    Moberg, Olav

    Haraldsson,

    Knut

    den store

    och

    Sverige, Lund, 1941.

    77

  • 7/23/2019 Musset (Lucien)_Relations Et changes d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

    17/21

    L.

    MUSSET

    par

    la mdiocrit de

    ses fils Harald

    et

    Harthaknut,

    peut-tre

    aussi en

    raison de

    cette

    espce de paralysie

    qui, on ne sait

    pourquoi (raisons de

    sant ?), parat avoir

    frapp

    les dernires

    annes

    du

    rgne

    de

    Knut. Mais, dans

    ce

    qu elle

    avait d essentiel,

    son uvre

    lui a survcu : seul Guillaume le Conqurant viendra bout

    de la dtruire.

    Jusque-l

    les Danois

    sont rests

    en

    effet

    l lment dirigeant

    de

    l'Angleterre. Cette suprmatie

    s exprime surtout par la

    prpondrance

    de la famille de Godwine, plus danoise presque

    qu anglaise,

    mais

    aussi par le rle

    dvolu

    bien d autres personnages,

    comme

    ce Bjrn,

    frre du

    roi danois

    Sven

    Estridsen,

    qui

    fut earl

    des Angles du

    Centre

    jusqu en

    1049,

    comme cet Osgod Clapa, staller du roi

    Edouard,

    mais

    aussi

    chef

    en 1049 d un

    vrai

    raid de

    Vikings

    contre le Kent et

    l Essex.

    Mme sous le

    trs

    danophobe roi Edouard,

    le

    cur

    de l arme reste

    form

    par

    les

    housecarles, tous d ascendance et de murs nor

    diques. Et,

    inversement,

    la civilisation

    anglaise

    continue pntrer profondm ent

    au

    Danemark,

    au

    cours du

    long rgne

    de

    Sven

    Estridsen

    (1047-1076),

    qui

    verra

    dans

    les

    Anglais,

    les

    clercs surtout, un instrument utile pour combattre ce que

    les

    influences

    allemandes auraient pu avoir de menaant.

    Passons

    sur les

    rgnes insignifiants des

    fils

    de Knut. Comment la

    situation

    internationale

    se

    prsente-t-elle

    la

    mort de Harthaknut,

    le 8 juin

    1042 ? En Normandie, depuis

    1035,

    une minorit

    met

    la puissance

    ducale peu prs hors

    de jeu, et ce jusqu 1047 ou

    s'affirmera,

    au Val-s-Dunes,

    la

    supriorit

    de

    Guillaume

    le

    Conqurant

    sur

    les barons.

    Cependant s accomplit

    une

    grande

    rorganisation

    intrieure, qui fera

    du duch le

    modle des tats fodaux. Au Danemark, des

    luttes

    dynastiques,

    d abord

    entre

    Har

    thaknut et son rival Magnus le Bon, roi

    de

    Norvge, puis

    entre

    Sven Estridsen, neveu

    de Knut, et Harald le Svre, successeurde Magnus, absorbent toutes

    les

    forces du pays :

    le

    Danemark

    ne redeviendra une puissance de premier plan

    que par la mort

    de

    Harald

    le Svre, en 1066. L Angleterre, prsent,

    pourrait

    donc

    tre

    rendue elle-mme et ses

    dbats intrieurs. Mais deux nouvelles puissances prennent part l'intrigue,

    la

    Norvge

    et la Flandre.

    La Norvge, tout

    fait

    annihile comme

    force politique

    entre

    la bataille de

    Svolder

    (1000) et les

    annes

    1030, venait

    de

    se

    relever d une

    manire

    assez

    sensationnelle. De

    son

    vivant,

    saint Olaf avait

    tent, sans succs,

    d'liminer la

    suzerainet danoise. Sa

    gloire posthume, plus efficace, ralliera tous les Norvgiens ; ds

    avant

    1035 les agents

    de Knut sont

    expulss. Magnus

    le

    Bon, fils

    d Olaf (1035-1047),

    puis et

    surtout

    Harald

    le Svre (1047-1066),

    Viking parfait

    aprs avoir

    t

    le plus grand

    des

    Vargues, auront

    vite fait

    de

    pousser

    la

    Norvge

    au

    premier

    rang

    (38).

    La

    Flandre avait

    depuis longtemps port

    intrt

    aux affaires d'Angleterre. Edouard le

    Confesseur jeune y

    avait

    plusieurs fois sjourn. C est aussi

    de Flandre qu tait

    venu le

    pangyriste

    d Emma

    et de

    Knut,

    le

    moine

    de Saint-Bertin

    auteur

    de VEncomium

    Emmae.

    Finalement,

    et sans doute cause

    de sa rivalit sur

    le

    continent

    avec

    la

    Nor-

    (38)

    Le rle

    de

    la

    Norvge dans les

    affaires anglaises

    ne peut tre

    lucid que grce

    Al. Bugge,

    Smaa

    bidrag

    til Norges

    histori paa lOOO-tallet ( Videnskapsselskapets

    Skritfer

    , II, Hist-Filos. Klasse, 1914 n

    2),

    Kris-

    tiania, 191 4.

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    EUROPE DU NORD-OUEST

    mandie, la

    Flandre

    adhra,

    dans les

    annes

    1030, au parti

    de la

    reine

    Emma

    et

    des

    Danois. Elle

    lui

    restera fidle

    jusqu

    la fin du XIe sicle, sauf

    durant

    la

    passagre

    rcon

    ciliation

    avec

    la

    Normandie qui

    suivit

    le mariage

    du

    Conqurant

    et

    de

    Mathilde

    de

    Flandre.

    Entre tant

    d ambitions

    rivales,

    l'Angleterre d Edouard

    est sans cesse ballotte. Devenu

    demi normand

    par ses

    annes d'exil,

    le

    souverain

    ne saura

    pas maintenir

    autour

    de

    lui

    l unanimit qui

    l avait

    rappel au

    trne

    en

    104a.

    Sans qu il puisse

    ragir, de prilleuses

    preuves de force

    s'instituent entre les

    trangers de

    l entourage

    du

    roi et les anciens lie

    utenants

    de

    Knut le Grand.

    D autre

    part Edouard n'est qu une solution provisoire ;

    cl

    ibataire jusqu en

    1045,

    il ne s accommodera jamais du mariage qu on

    lui

    fera contracter

    avec

    une

    fille de Godwine.

    De

    1043

    1053,

    le

    roi,

    par son

    antipathie

    systmatique

    l gard

    des Anglo-Danois, manque

    d'attirer

    sur

    l'Angleterre

    la

    catastrophe

    d une

    nouvelle conqute Scandinave.

    C'est

    d abord

    (novembre

    1043)

    l'arrestation

    et l'internement

    de la

    reine-mre Emma qui,

    faute

    d hr

    itier

    danois,

    est

    convaincue d avoir

    report

    ses espoirs sur Magnus

    de

    Norvge. Celui-

    ci

    veut

    riposter ; sa

    mort

    seule sauve

    l'Angleterre

    d une

    invasion. Avec l avnement de

    Harald

    le Svre, le pril ne fait que crotre. En

    1048,

    pour la premire fois

    depuis

    trente ans, une flotte de

    Vikings

    apparat dans la Manche, sous deux chefs norvgiens,

    Lothen et Yrling, et

    la Flandre l accueille

    dans ses ports (39). En 1049 l'Angleterre

    semble revenue la situation

    dsespre

    du dbut du sicle : Osgod Clapa,

    avec

    39 navi

    res

    anois, bass Wulpe en Flandre,

    ravage

    la cte Sud-Est,

    laquelle

    s attaque aussi

    Sweyn,

    fils de Godwine ; venus d Irlande, 36 navires norvgiens pillent

    les confins gallois.

    Comme

    jadis

    son

    pre Ethelred,

    Edouard

    s en

    prit

    d abord

    l ennemi

    intrieur

    ;

    mais

    il

    n'y eut pas de nouvelle Saint-Brice

    : le roi

    se

    borna

    bannir

    les chefs

    du

    parti Scandi

    nave,

    Godwine

    et ses fils, en

    septembre 1051.

    En mme temps, Edouard

    se

    tournait rsolument

    vers

    les

    Normands : leur duc, vain

    queur des barons en 1047,

    venait

    d'touffer le

    dernier

    germe

    de

    rbellion

    en enlevant

    Brionne

    (1050) ;

    il allait

    pouser Mathilde de Flandre ; la

    Normandie

    pouvait rentrer

    en

    scne. Guillaume

    vint-il en

    Angleterre

    l appel

    de

    son oncle

    ?

    Ce n'est gure probab

    lemais il reut sans

    doute, avec des

    demandes de secours

    assez

    prcises,

    des

    enga

    gements successoraux. Pourtant, le duc

    n paula pas srieusement la

    monarchie n

    glaise (40). Dans l'immdiat, d ailleurs,

    la

    succession

    du Maine,

    qui venait

    de

    s'ouvrir,

    l'intressait plus. Et surtout il ne disposait pas

    des

    forces navales qui seules eussent

    pu

    sauver

    Edouard.

    La

    flotte

    anglaise,

    base

    Sandwich,

    suffisait

    peine

    tenir

    la

    Flandre en respect. Harold avait toute libert pour cumer la mer d Irlande

    partir

    de

    Dublin.

    Danemark et Norvge venaient de renoncer pour quelques annes

    leurs

    quer

    elles, et

    leurs

    flottes redevenaient disponibles. L alliance normande, enfin, tait

    trs

    (39) Lothen et Yrling : Chronique anglo-saxonne,

    anno

    1048, version E. Sur la politique danoise, consul

    terrincipalement L. M. Larson, The

    Efforts

    of

    the

    Danish Kings

    to

    Recover

    the

    English Crown After

    the

    Death

    of

    Harthacnut,

    dans

    Annual Report of the

    American Historical Association ,

    1910, p. 69-81.

    (40)

    Sur

    ce problme trs controvers, voir D.

    Douglas,

    Edward the Con) essor, Duke

    William

    of Normandy

    and the

    English Succession,

    dans

    English

    Historical Review ,

    t. LXVIII, 1953,

    P-

    526-545-

    79

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    L.

    MUSSET

    impopulaire

    en

    Angleterre. Le

    systme

    de dfense

    imagin

    par

    Edouard s'effondra

    totalement. A

    l t

    105a, Harold et Godwine,

    les

    Norvgiens d Irlande et

    les

    Danois de

    Flandre

    coordonnent leurs

    mouvements,

    se

    joignent

    au

    large

    de

    Wight

    et

    forcent

    Edouard

    capituler.

    Le 14 septembre

    Godwine

    et sa famille ressaisissent le

    pouvoir

    ;

    jusqu sa mort

    le

    roi reste

    un

    otage

    aux

    mains du

    clan

    danois.

    Ces

    premires annes d Edouard nous

    ont

    longtemps retenu. C est qu elles

    sont singu

    lirement

    instructives.

    On y voit, pour la premire

    fois,

    durant le

    court

    gouvernement

    personnel

    du

    roi

    (sept. 1051

    -

    sept. 1052), l'Angleterre

    hsiter entre

    l attraction Scandi

    nave t

    l attraction

    normande :

    les

    vnements de 1066 s y trouvent

    prfigurs. La

    Normandie, cette fois, n osa pas jouer tout son

    jeu

    infiniment risqu et l pisode

    se solde par un

    ultime

    triomphe

    de la politique prpare par Knut

    le Grand.

    Pour la

    dernire fois, au cours

    de

    ces annes 1052-1066

    (ou,

    plus exactement, 1052-1070,

    car c est

    la

    grande

    dvastation

    des

    comts

    du

    Nord par

    le

    Conqurant qui

    est le

    vrai

    terme),

    monde

    anglo-saxon et monde Scandinave sont en

    contact

    et en communication,

    de

    plain-pied. La

    tradition

    littraire norvgienne rapporte

    qu un

    scalde

    de la cour de

    Norvge, Sneglu-Halli, visita

    la

    cour du Confesseur o, apparemment, il y avait encore

    des gens

    capables

    de le comprendre et de l admirer ;

    mais tel

    n tait pas le cas du

    roi,

    tranger toute

    culture

    nordique : le scalde

    se

    conduisit envers lui en mauvais plaisant,

    dclamant

    srieusement,

    sous

    couleur

    de

    pomes, des propos sans suite... (41). Dans le

    Nord, cependant, il subsistait, autour des jarls anglo-scandinaves, un milieu capable

    d apprcier, et mme de faire clore,

    les

    posies scaldiques : le norvgien Thorkell

    Skallason

    composera

    encore une posie

    funbre

    (Valthjfsflokkr) la mmoire du

    dernier

    reprsentant de leur dynastie,

    le

    comte Waltheof

    que

    le

    Conqurant

    fit

    mettre

    mort

    en 1076... (42). Beaucoup plus tard, au xine sicle, en

    des

    termes nostalgiques, et

    sans

    nul doute exagrs, une saga islandaise

    passablement

    romanesque, la Gunnlaugs saga

    Ormstungu,

    clbre

    cette poque

    comme

    celle o

    on parlait

    la mme

    langue en

    Anglet

    erre

    u en

    Norvge

    ;

    elle

    ajoute : Les langues ne

    changrent qu aprs la conqute de

    l'Angleterre par Guillaume

    le Btard.

    (43).

    Toute une

    branche de l art anglais,

    sous

    Edouard le Confesseur, reste dcidment Scandinave ;

    dcrivant une girouette de bronze

    trouve dans

    la

    plus anglaise des

    villes

    anglaises,

    Winchester,

    et proposant

    de la

    dater

    des annes

    1050-1060, le

    grand archologue anglais T.

    D. Kendrick crit :

    Nothing

    is

    English in it,

    but Viking work

    and Viking taste. (44). Une

    bonne

    part

    de

    l art

    ornemental

    anglais d alors

    est

    en effet, purement et

    simplement,

    un rameau

    du

    style

    Scandinave

    dit

    du Ringerike

    .

    La fin

    du

    rgne d Edouard et

    l invasion

    normande

    sont

    choses

    trop connues pour que

    (41) Finnur

    Jonsson,

    Den oldnorske og oldislandske

    Litteraturs

    Histori, Copenhague, 2e d., t. I, 1920,

    p. 620-622 ;

    Jon

    Helgason,

    Norges

    og Islands Digtning ( Nordisk Kultur , VIII

    B), Copenhague,

    1953,

    p. 128.

    (42) Ce

    pome est

    connu par les citations de

    Snorri

    Sturluson,

    Heimskringla, saga

    de Harald

    le

    Svre,

    96

    et

    97

    ; cf. Finnur

    Jonsson,

    Der norsk-islandske Skjaldedigtning, I A, p.

    414.

    (43) Saga de Gunnlaug Langue-de-serpent, 7.

    (44)

    T.

    D.

    Kendrick,

    Late

    Saxon and

    Viking Art,

    Londres,

    1949, p. 100.

    80

  • 7/23/2019 Musset (Lucien)_Relations Et changes d'Influences Dans l'Europe Du Nord-Ouest, Xe-XIe s. (CCM 1:1, 1958, 63-82)

    20/21

    EUROPE DU NORD-OUEST

    nous entreprenions de

    les raconter,

    mme brivement.

    Il

    suffira, pour

    finir,

    d attirer

    l attention sur deux questions.

    Insistons

    d abord sur

    le rle essentiel que tint, en toute cette affaire, l'lment

    Scandi

    nave u

    Danelaw.

    Harold a succomb

    Hastings

    parce que son

    arme

    tait puise par

    le

    combat

    de Stamfordbridge,

    livr

    dix-neuf jours

    plus tt contre les Norvgiens

    l autre bout

    de l'Angleterre.

    Or l'intervention norvgienne

    s explique

    presque unique

    ment

    ar les incidents dont le Nord

    du

    Danelaw fut

    le thtre en.1065-1066

    (et

    non,

    croyons-nous, par une entente

    entre

    Guillaume

    et

    Harald, que tout destinait

    tre

    concurrents plutt qu allis).

    La population tait en

    mauvais

    termes

    avec son chef,

    Tosti, frre

    de

    Harold, un

    brutal

    , qui