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B. CRISP 2015/24 CRISP – Centre de Recherche de l’Institut Supérieur de Préparation GROUPE ISP© – 18 rue de Varenne, 75007 Paris – 01.42.22.30.60 – www.prepa-isp.fr Actualités, réflexions et controverses dans le domaine des sciences juridiques et humaines Clefs et vecteurs de réussite aux concours préparés par l’ISP. L’article du mois Sommaire L’édito p. 3 L’article du mois p. 4 L’actualité p. 7 N°24 – Décembre 2015 Peut-on contester la qualification de génocide pour les massacres perpétrés en Arménie il y a maintenant 100 ans ? La Cour européenne, dans un arrêt de Grande Chambre du 15 octobre 2015 Perincek c. Suisse, sanctionne le droit suisse pour la condamnation pénale infligée à Dogu Perincek, président du Parti des travailleurs de Turquie. Ce dernier avait soutenu que « les allégations de “génocide arménien” sont un mensonge international » et qu'« il n'y a pas eu de génocide des Arméniens en 1915 » (...) ». La Cour considère que les propos litigieux ne visaient aucunement à nier les massacres ni à attiser la haine à l’égard de la population arménienne, mais à alimenter un débat d’intérêt public quant à la qualification de génocide. Par Grégory PORTAIS

N°24 – Décembre 2015 - Prépa ISP · Par Grégory PORTAIS B. CRISP 2015/24 CRISP – Centre de Recherche de l’Institut Supérieur de Préparation GROUPE ISP© – 18 rue de

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Actualités, réflexions et controverses dans le domainedessciencesjuridiquesethumainesClefset vecteursde réussiteauxconcourspréparésparl’ISP.L’articledumois

SommaireL’édito p.3L’articledumois p.4L’actualité p.7

N°24 – Décembre 2015

Peut-on contester la qualification de génocide pour lesmassacres perpétrés en Arménie il y a maintenant 100ans?La Cour européenne, dans un arrêt de Grande Chambre du 15octobre2015Perincekc.Suisse,sanctionneledroitsuissepourlacondamnationpénale infligéeàDoguPerincek,présidentduPartides travailleurs de Turquie. Ce dernier avait soutenu que « lesallégations de “génocide arménien” sont un mensongeinternational » etqu'« il n'yapas eudegénocidedesArméniensen 1915 » (...) ». La Cour considère que les propos litigieux nevisaient aucunement à nier lesmassacres ni à attiser la haine àl’égard de la population arménienne,mais à alimenter un débatd’intérêtpublicquantàlaqualificationdegénocide.

ParGrégoryPORTAIS

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[email protected]é[email protected]é[email protected]éscientifiqueJacobBERREBIjacob.berrebi@prepa-isp.frMatthieuTHAURYmatthieu.thaury@prepa-isp.frDirectriceGénéraleISPJulieHABERMANjulie.haberman@prepa-isp.frGroupeISPInstitutSupérieurdePréparation18ruedeVarenne75007PARIS�01.42.22.30.60http://www.prepa-isp.frRCSParis331302877

L’ISPestouvertdulundiauvendredide9h30à18h30�et le samedide10hà13hMétro 12 : Rue du Bac ou SèvresBabylone�Métro10:SèvresBabylone�—ou—�Bus:68,69,83,84,94

Proposez-nousvosarticlesLe bulletin du CRISP est susceptible de publier vosarticles de fond ou commentaires. Toute personneintéressée doit contacter le rédacteur en chef FranckTOURET([email protected])afindeluiproposerle thème et un résumé de sa proposition d'article (15lignesmaximum). Après avis favorable du rédacteur enchefetfixationd'undélaideremise,l'articleserasoumisauComitéscientifiquequidonnerauneréponsedansles15jours.

LeBulletinMensueld’ActualitésduCRISP,inscriptionnewsletterparmail:[email protected]

Vousvoulezpasserlesexamensdel’avocature,delamagistratureoupasserlesgrandsconcoursdelafonctionpublique,l’ISPpropose,depuisplusde30ans,desformationsdédiéesetéprouvées.LESFORMATIONSDEL’INSTITUTSUPERIEURDE

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« S’iln’yavaitpasdemauvaisesgens,iln’yauraitpasdebonsavocats »DeCharlesDickens,TheoldcuriosityshopOpéréepar l’arrêtédu11septembre2003, ladernière réforme du CRFPA a fixé leprogramme et les modalités de l’examen.Après plus d’une décennie d’examens, KamiHAERI a remis un rapport au mois denovembre 2013 au barreau de Paris. Sefondantsurunbilanchiffrédel’accèsinitialàla profession d’avocat, il en ressort « uneaugmentation importante et continue dunombre d’inscrits à l’examen d’entrée auCRFPA ». Aussi, le rapport formule septpropositions, dont la plus symbolique est lacréationd’unexamennational.Véritable serpent de mer, cette idée d’unexamenunifiéarefaitsurfacerécemment.Eneffet, lorsdelaséanceduConseilnationaldudroit du 18 décembre dernier, le secrétaired’État chargé de l’enseignement supérieur,ThierryMANDON,aactélamiseenplaced’unexamennational.Commel’ajustementrelevéson conseiller personnel, le ProfesseurThomas CLAY, l’examen d’entrée à laprofession d’avocat ne permet pas d’assurerl’égalitéentre lesétudiants.Eneffet, les tauxderéussiteentrelesIEJvarientde13%à58%et ce ne sont pas moins de 704 sujetsd’examendifférentsquisontproposéschaqueannée. Les candidats plancheront dans unavenir proche sur un sujet unique, le mêmejour et avec des critères de correctionsidentiques.À la lecture des différentes déclarations, lecalendrier des réformes demeure encoreincertain. Toutefois, l’on peut rassurer lesétudiants déjà inscrits pour la prochainesession, qui ne seront pas concernés par laréforme. La réforme sera réalisée en deuxtemps. D’abord, l’instauration d’un examennational pourrait être effective à partir deseptembre 2016. Ensuite, les épreuves

d’admissiondevraientfaire l’objetd’unerefonte enprofondeur.À ce titre, laréflexion surlecontenudel’examendel’avocaturedevraitdébuteràcompterde janvier2016,pourunemise en application en 2017. Néanmoins, iln’est pas exclu que l’ensemblede la réformen’intervienne qu’en 2017. D’autant plus,qu’une telle réforme ne semble pas fairel’unanimité,entémoignentlesdéclarationsdePierre CROCQ, président de l’association desdirecteursd’IEJ,quiasoulignélesrisquesd’unexamenunique.Si elle ne manque pas de susciter desinquiétudesdelapartdesétudiants,unetelleréforme, est assurément une avancée poureux et pour la profession. En effet, il est àsouhaiterquelaréformeeffacelesdifférentesinégalités. Il est désolant de constater qu’unétudiant ayant une formation publiciste soitdésavantagé par rapport à un privatiste. Despropositions émises, il semblerait que laréforme de l’accès à la profession d’avocatsoit inspirée du concours de lamagistrature.D’ailleurs, Thomas CLAY n’a pas manqué dereleverquel’instaurationd’unexamenunique« rehausseraleprestigedecetexamenàboutde souffle », et de « faire comme pourl’ENM ».Ainsi,commepourlamagistratureendroitciviletpénal,ilestévoquél’instaurationde la dissertation comme type d’épreuve.Finalement,commecelaapuêtrelecaspourla magistrature, espérons que l’examendevienne plus professionnalisant et moinsacadémique pour les futurs litigants.

L’édito

L’éd

ito

FranckTOURETRédacteurenchefBMA

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Peut-oncontester laqualificationdegénocidepour lesmassacresperpétrésenArménieilyamaintenant100ans?Peut-on contester la qualification de génocidepour lesmassacres perpétrés enArménie il y amaintenant100ans?C’estensubstance laquestionquiétaitposéeàlaCoureuropéennedesDroitsdel'Hommedansl’affaire Dogu Perincek c/ Turquie et qui ajustifié, le15/10/2015unenouvelledécisiondelaCoureuropéennedesDroitsdel'Homme.À l’origine de l’affaire se trouve un hommepolitique turc qui à l’occasion de plusieursévènements publics en Suisse affirme que « lesallégations de génocide arménien sont unmensongeinternational »etqu’iln’yapaseude« génocide des Arméniens en 1915 ». Il estimportant de préciser que pour l’auteur, il y abien eu des massacres, mais d’une part cesmassacreseurentlieudechaquecôtéet,d’autrepart, ces massacres ne justifient pas laqualificationlégaledegénocide.Leproblèmeà l’originede l’affaire résideàdirevrai dans les dispositions de l’article 261 bis duCode pénal suisse. La disposition en questionpunitd’unepeined’amendeoudeprison toutepersonnequinieraouminimiseragrossièrementun génocide ou tout autre crime contrel’humanité. À la suite d’une plainte d’uneassociation, c’est une amende (de 3000 francssuisses)quifutinfligéeaurequérant(ainsiquelacondamnationàréparerlepréjudicecausé).Sans surprise, le requérant considère que cettecondamnation constitue une atteinteinconventionnelle à sa libertéd’expression tellequ’elleestgarantiepar l’article10de laCESDH.La Cour européenne des Droits de l'Homme adonné raison au requérant à l’occasion d’unpremier arrêt rendu le 17 décembre 2013. LaSuisseaalorsdemandé le renvoide l’affaireenGrande Chambre, formation solennelle –d’aucunsdirontpluspolitique.Onpeutdirequela solutionétait ainsi attendue (I) et révèleune

nouvelle foisla subtilitédesraisonnements de la Cour(II).I/UnedécisionattendueLa décision était assurément attendue tant lecontextefrançaissemblaitparticulier.A/Unedécisionattendue…parlaFrance!Particulierd’abordparcequelaFranceaadoptéde longue date une position engagée à l’égarddugénocidearménien.Elle l’a reconnuen2001sous l’instigation de Jacques Chirac (Loi du 29janvier 2001 relative à la reconnaissance dugénocidearméniende1915.)Elle a ensuite cherché à en sanctionner lacontestation, lors du quinquennat de NicolasSarkozy. Par sa décisiondu28 février 2012 (Loivisant à réprimer la contestation de l'existencedes génocides reconnus par la loi), le Conseilconstitutionnel,saisidanslecadreducontrôleapriori, aura finalement bloqué ce projet. Aprèsavoir rappelé la valeur constitutionnelle de laliberté d’expression, après avoir repris à soncompte les formulations employées par la CoureuropéennedesDroitsdel'Homme,leConseilajugé qu'en réprimant la contestation del'existence et de la qualification juridique decrimes qu'il aurait lui-même reconnues etqualifiéescommetels, lelégislateuraportéuneatteinte inconstitutionnelle à l'exercice de lalibertéd'expressionetdecommunication.

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GrégoryPORTAISEnseignantdeDroitpublic

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En avril 2015, c’est François Hollande qui arappeléqu’il souhaitait réprimer lacontestationdu génocide arménien… C’est dans ce contexteparticulier que le gouvernement français ad’ailleurs formulé à l’occasion de cette affaireunetierceintervention.B/ Une décision attendue afin de clarifier lajurisprudencedelaCoureuropéennedesDroitsdel'HommequantauxdiscoursdehaineContexte particulier ensuite, car la décision de2013 s’inscrit dans la suite des affairesmettanten cause la négation des génocides. S’agissantdugénocidejuif,laquestionsemblebienétablieen jurisprudence : la contestation de lamatérialité des faits est impossible tant lespreuves de son existence sont patentes (Coureuropéenne des Droits de l'Homme,23/09/1998, Lehideux et Isorni). En outre, laCour européenne des Droits de l'Homme avaiteuàseprononcersurladifficilequestion:peut-on se prévaloir de la liberté d’expression pourremettreenquestion le sensdu terme solutionfinale, le chiffre précis des victimes ou encorel’existence et l’étendue des chambres à gaz(Cour européenne des Droits de l'Homme, 24juin 2003, Garaudy c. France) ? Dans unesolution très circonstanciée il est vrai, la CoureuropéennedesDroitsde l'Hommeavait relevéque le but de l’auteur n’était pas d’établir unvéritable travail de recherche, mais plutôt deréhabiliter le régime national socialiste. Elleconclut à l’absence d’atteinte à la libertéd’expressionense fondant sur l’article17de laCESDH.II/Unraisonnementd’équilibristeLa solution de la Cour se devait de trouver unpérilleux équilibre : ne pas se prononcer surl’existencedugénocidearménien–puisqu’iln’ya pas de consensus en Europe sur cettequalification – protéger la liberté d’expression,respecter ses lignes jurisprudentielles. Elleatteint parfaitement ce triple objectif enrespectant, formellement, ses lignesjurisprudentielles.A/UneingérenceprévueparledroitetlégitimeElle réussit toutd’abordà conserver ses lignesjurisprudentiellestraditionnelles

Elle vérifie ainsi scrupuleusement que l’atteinteàlalibertéd’expressionétaitbienprévueparledroit suisse : la disposition du Code pénal estunedispositionlégislative–prised’ailleurspourassurer l’application de la convention de l’ONUde 1965 relative à l’élimination desdiscriminationsraciales.Ellevérifieensuitequ’elle répondbienàunbutlégitime.C’estsurcettequestiondelalégitimitédubutquelaquestionétaitassezdélicateàdirevrai : est-il légitime d’interdire la négation degénocide et si oui, pourquoi ? On aurait pupenser que c’est sur le fondement de laprotection de l’ordre public que la Coureuropéenne des Droits de l'Homme allait ici sefonder : en clair, interdire la négation d’ungénocide serait nécessaire, car en permettre lacontestation, c’est risquer de laisser se réaliserde violentes manifestations… le fait est que lasituation en Suisse était sur ce point plutôtcalme!Dèslors,laCouroptepourunesolutionparticulièrementastucieuse :elleconsidèrequec’est l’objectif de protection des droits d’autruiqui justifie ici la législation suisse. En effet,d’après elle, nombre de descendants desvictimes des massacres ont bâti leur identitéautour de l’idée que leur communauté a étévictime d’un génocide, c’est donc en vue deprotéger cette identité qu’il était possible deréprimer la contestation de génocide. Leraisonnement est particulièrement astucieux,carcefaisant,lacourn’apasàseprononcersurla question de l’existence d’un génocide : il luisuffitdesefondersurlefaitqu’unepartiedelapopulation a le sentiment d’avoir été victimed’ungénocide…B/UneingérencedisproportionnéeEnfin,laCourdevaitseprononcersurladélicatequestion de savoir si l’ingérence dans la libertéd’expressionétaitounondisproportionnée.Ellereprend ici ses lignes jurisprudentiellestraditionnelles afin d’établir que l’ingérence estici disproportionnée. Sans surprise, on trouvedonc dans cet arrêt des références à lajurisprudenceHandysidec/RoyaumeUni(1976): la cour rappelle à loisir que la libertéd’expression vaut pour tout type de propos,ceux qui sont accueillis avec faveur ou

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indifférence,maiségalementpourlesproposquichoquent, qui heurtent ou qui inquiètent. Sanssurprise également, la cour rappelle que sansliberté d’expression, il n’est pas de démocratie.Sans surprise enfin, la cour rappelle que leslimitations à la liberté d’expression ne peuventêtre justifiées qu’en raison d’un besoin socialimpérieux. En somme, la Cour européenne desdroits de l’homme devait mettre en balance laliberté d’expression, largement entendue etprotégée,etlaprotectiondesdroitsd’autrui.Son analyse de la proportionnalité de l’atteinteestlàencoremarquéedusceaudelatradition:la cour relève sans surprise la qualité durequérant (un homme politique), souhaitanttraditionnellement considérer que les hommespolitiques bénéficient d’une large libertéd’expression. Elle considère que le propos enquestion,quine comportait aucune incitationàla haine, ne saurait faire l’objet de poursuitespénales…

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1/ Nouvelle illustration de l’interdépendancecontractuelleCiv.1re,28octobre2015,pourvoin°14-11.498La Cour de cassation fait une nouvelle foispreuve de pédagogie sinon d’insistance pourexpliquer et justifier son importanteconstruction prétorienne en matièred’ensembles contractuels. Depuis 2013, la Courrégulatrice a édifié le principed’interdépendance contractuelle en matière delocation financière (Ch. mixte, 17 mai 2013, 2arrêts ;Com.7janvier2014,BMA2014/2,p.15 ;Com.4novembre2014,BMA2014/12,p.9).En2015, les juges du droit reprenaient lefondementdel’article1218duCodecivil,relatifàl’indivisibilitéconventionnellepourdéterminerlanaturedulienentreuncontratdeventeetdeprestationetlecontratdeprêtconcluenvuedufinancement du matériel acquis (Civ. 1re, 10septembre 2015, 2 arrêts, BMA 2015/22-23, p.8).La présente décision du 28 octobre 2015 offreune nouvelle illustration du mécanismed’interdépendance contractuelle et desconséquences qui s’y attachent. Les faitsrappellentceuxquiavaientétéexaminésparleshautsconseillersdans lesaffairesdeseptembre2015:uncontratdeventeetd’installationd’untoit photovoltaïque est formé entre unprofessionnel et un particulier. Pour financercette acquisition, ce dernier conclut un contratde prêt accessoire. Trois années plus tard, àdéfaut de paiement des échéances deremboursement,labanqueprêteusel’assigneendéchéancedutermeducontratetenpaiement.Le contentieux se cristallise sur le point dedépartde laprescriptionbiennaleapplicableenl’espèce (art. L.137-2C. conso.)dès lorsque lecontrat de prêt ne stipule pas la date de

paiement de la première échéance. Seul lecontratdeventeprévoitque leprixde laventeetde l’installationserapayéà l’aided’uncréditdifféré.Autrementdit,seposait laquestiondesavoirsiles juges devaient uniquement se fonder sur lecontrat de crédit et donc considérer l’actioncommeprescriteouprendreenconsidérationlastipulation figurant dans le contrat de vente etd’installation et donc considérer le report dupointdedépartdudélaideforclusion.La cour d’appel a emprunté cette seconde voiepour dire que le délai de forclusion n’avait paspucommenceràcouriravantlepremierincidentde paiement non régularisé et donc dire quel’action en paiement était recevable. Les jugesdufondsontapprouvésparlaCourdecassationqui justifie cette analyse en employant lemécanisme d’interdépendance contractuelle:« le contrat de crédit affecté et le contrat devente ou de prestation de services qu’il financeétant interdépendants, la mention, dans lesecond,queleprixserapayéàl’aided’uncrédità amortissement différé, supplée le silence dupremier quant à cette modalité deremboursement ». La solution de la Haute courest limpide: dans un ensemble contractuel,lorsque l’interdépendance conventionnelle estcaractérisée, il convient d’interpréter lesobligations des parties en fonction desstipulations contenues dans l’une ou l’autre deconventions.2/ Un rappel de l’immunité de principe dupréposéCiv.2e,10décembre2015,pourvoin°14-26.649L’article 1384 alinéa 5 du Code civil porte ledispositif de responsabilité du commettant dufait dupréposé. Sur ce fondement, l’Assembléeplénière de la Haute juridiction a posé, dansl’important arrêt Costedoat le principed’immunité du préposé: « n’engage pas saresponsabilité à l’égard des tiers le préposé quiagitsansexcéderleslimitesdelamissionquiluiaétéimpartieparsoncommettant »(Ass.plén.,25 février2000,Costedoat).Demeurequecette

DroitdesobligationsJacobBERREBI

EnseignantdeDroitprivé

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immunité n’est pas absolue: la responsabilitépersonnelledupréposépeutêtreengagéesurlefondement de l’article 1382 du Code civilnotamment dans l’hypothèse où le préposé« agissant, sans autorisation, à des finsétrangèresàsesattributions,s’estplacéhorsdesfonctions auxquelles il était employé » (Ass.plén.,19mai1988),c’est-à-diredanslecasd’unabus de fonction du préposé. La présentedécisionrevientsurcecasdefigure.En l’espèce, un incendie s’est déclaré dans unimmeuble louépar lasociétéP. IlestétabliqueMonsieurY.,employédecettesociété,setrouveà l’origine de cet incendie accidentel ayantentraîné lesblessuresd’un tiers. LecontentieuxsecristallisesurlaresponsabilitépersonnelledeMonsieur Y. Les juges du fond la retiennent enconstatant que l’employé a bien commis unefaute de négligence de nature à engager saresponsabilité en ayant pris seul l’initiatived’enflammer le carburant déposé au sol sanss’être assuré que le bidon d’essence avait bienétéreferméetreposésurl’étagère.Sur le fondement des articles 1382 et 1384alinéa 5 du Code civil, la Cour de cassationcensure l’arrêt d’appel: les hauts conseillersreprochent logiquement aux juges du fondd’avoir affirmé la responsabilité personnelle del’employésansavoirdémontréquecepréposéaexcédé les limites de la mission qui lui a étéconfiée.

1/MajeurprotégéetconsentementaumariageCiv.1re,2déc.2015,n°14-25.777Au visades articles459et 460duCode civil, laCour de cassation, affirme que «si le mariaged’unmajeur en tutelle doit être autorisé par lejuge des tutelles, il constitue un acte dont lanature implique un consentement strictementpersonnel et qui ne peut donner lieu àreprésentation».En l’espèce, une personne a été placée soustutelle. Son tuteur a saisi le juge des tutelles

d’unerequêtetendantàvoir levoirautoriser lemariage du majeur protégé. Les juges du fondaccueillentlademande.Auxtermesdesarticles458et460duCodecivil,si le mariage d’un majeur en tutelle doit êtreautoriséparlejugedestutelles,les«actesdontlanature impliqueunconsentementstrictementpersonnel ne peut jamais donner lieu àassistance ou représentation de la personneprotégée». Lemajeur protégé est donc soumisaux dispositions cumulatives de l’article 458 et460 du Code civil: le consentement del’intéresséaumariagedoitêtrerecueilliaucoursdel’auditiondesfutursconjoints.Ilnepeutêtreprésumé par le représentant du majeur placésoustutelle.Dèslors,laHautejuridictiondéclarela demande d’autorisation présentée par latutriceirrecevable.2/ La vie privée confrontée au débat d’intérêtgénéralCEDH 10 nov. 2015, Couderc et HachetteFilipacchiAssociésc.France,req.n°40454/07Dans cette espèce, le Prince Albert deMonacoestimant que la publication d’un article dansParis-Matchportaitatteinteàsesdroitsà lavieprivée et à l’image assigna la directrice depublicationet lasociétéd’éditionàcomparaîtreaux finsdevoir condamner la sociétééditriceàlui payerdesdommages-intérêts et àpublier ladécision qui serait prise en première page dumagazine.La Cour juge en particulier que, eu égard à lanature de l’information en cause, lesrequérantes pouvaient être reconnues commeayant contribué à un débat d’intérêt général.Elleobservequelapublicationtouchaitcertesaudomainede lavieprivéeduPrinceAlbert,maisestimeque l’élémentessentielde l’information,l’existence de l’enfant, dépassait le cadre de lavieprivée,comptetenuducaractèrehéréditairedesesfonctionsdechefdel’Étatmonégasque.ElleestimedoncquelesargumentsavancésparleGouvernementquantàlaprotectiondelavieprivéeduPrinceAlbertetdesondroitàl’image,ne peuvent être considérés comme suffisantspour justifier la condamnation en cause. Lesjuridictionsinternesn’ontpastenucomptedansune juste mesure des principes et critères demise en balance entre le droit au respect de lavie privée et le droit à la liberté d’expression

Droitdespersonnesetdelafamille

FranckTOURETEnseignantdeDroitprivé

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définis par la jurisprudence de la Coureuropéennedesdroitsdel’homme.3/Mariageentrepersonnesdemêmesexe: leConseild’Étatvalidelestextesd’applicationConseil d’État, 18 décembre 2015, M. C... etautres,N°369834Le25mai2013,àlasuitedel’adoptiondelaloidu 17 mai 2013 ouvrant le mariage auxpersonnesdemêmesexe,undécretetunarrêtéont été pris pour son application. Puis unecirculaire, en date du 29mai 2013, prise par lagarde des Sceaux a interprété et rappelé lesdiverses modifications législatives etréglementaires. Enfin, une circulaire du 13 juin2013 du ministre de l’Intérieur a rappelé auxpréfets les conditions dans lesquelles lesautorités compétentes peuvent célébrer unmariage et les conséquences auxquelles elless’exposentencasde refus illégaldeprocéderàunetellecélébration.Danscecadre,desélusetdesassociationsontdemandéauConseil d’Étatd’annuler ces textes et ces circulaires. Plusieurscentaines d’élus locaux sont intervenus ausoutiendeleursrequêtes.Le Conseil d’État a d’abord refusé de renvoyerau Conseil constitutionnel plusieurs questionsprioritairesdeconstitutionnalité.D’unepart,ilarelevé que le Conseil constitutionnel avait déjàdéclaré l’article165duCodecivil, telqu’issudela loi du 17 mai 2013, conforme à laConstitution.D’autrepart,ilaconstatéquelaloiétaitapplicabledanslesdépartementsduHaut-Rhin,duBas-RhinetdeMoselleetadoncécartéles arguments selon lesquels la loi ne pourraitpas s’appliquer en Alsace-Moselle, ce quiconduirait à une violation du principe d’égalité.LeConseild’Étataégalementjugéquelestraitésinternationauxgarantissantledroitdesemarieret le consentement des époux au mariagen’imposent pas que le mariage et l’adoptionsoient réservés aux couples de personnes desexe opposé. Il a jugé demêmeà propos de laconvention sur la protection des enfants et lacoopération en matière d’adoptioninternationale.Enfin, il a jugéqu’aucun texteniaucunprincipen’imposeauxofficiersd’étatcivild’approuverleschoixdeviedespersonnesdontils célèbrent le mariage. Eu égard à l’intérêtgénéralquis’attacheaubonfonctionnementetàlaneutralitéduservicepublicdel’étatcivil,ila

jugé que l’interdiction faite aux officiers d’étatcivil de refuser de célébrer les mariages, endehors des cas prévus par la loi, neméconnaîtpas la liberté de conscience garantie par laconvention européenne de sauvegarde desdroits de l’homme et des libertésfondamentales.

1/ De la distinction entre l’exclusion etl’évictiondel’actionnaireCom.29septembre2015,pourvoin°14-17.343Le contentieux en matière d’exclusion d’unassocié a largement occupé les prétoires aucoursdesvingtdernièresannées.Onrappelleraque l’exclusion judiciaire est le plus souventexclue par les juges eux-mêmes (Com. 12mars1996). Quant à l’exclusion conventionnelle,laquelle renvoie aux questions de la validité etde l’efficacitédes clausesd’exclusion,on sait lesujet délicat depuis longtemps, même si lesjugessemblentdeplusenplusenclinsàaffirmerleurvaliditésousconditions(Com.13décembre1994, affaire « Midi libre » ; Com. 23 octobre2007 dans les SAS). Reste qu’en la matière, lajurisprudence semble bien établie de sorte queles derniers arrêts en lamatière constituent desimples, mais d’utiles confirmations (Com. 9juillet2013 ;Com.10février2015).Pour autant, la question demeure intéressanteet c’est sous un angle nouveau qu’elle estappréhendée par la Cour de cassation dans leprésent arrêt du 29 septembre 2015. Enl’espèce,MonsieurXétait salariéetactionnaired’unesociétédontlesstatutsprévoientquetoutactionnaire qui cesse d’être salarié perd saqualité d’actionnaire. Or, Monsieur X prend saretraite, mais souhaite demeurer salarié. Lasociétéluirefusecedroitseretranchantderrièrela clause statutaire. Monsieur X assigne lasociété arguant d’une exclusion « illégale etdiscriminatoire » et contestant lesmodalités dela cession de ses actions. Les juges du fond le

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déboutent de ses demandes qu’il porte aumoyend’unpourvoidevantlaHautejuridiction.LaCourrégulatricen’estpasdavantagesensibleà ses arguments. Pour rejeter le pourvoi, leshauts conseillers auraient sans doute pu selimiter à invoquer la force obligatoire desstatuts.LaCourdecassationoffrepourtantunesolution plus étoffée et empreinte de richesenseignements. Précisément, le raisonnementproduit est porté par trois mouvements:d’abord, les juges du droit soulignent qu’envertu de la clause statutaire, le retraité nepouvait ignorer la précarité de sa qualitéd’actionnaire ; ensuite, les hauts conseillersconsidèrent que le retraité a fait l’objet d’uneéviction conformément aux statuts etprésentant un caractère automatique dès leterme de son salariat ; enfin, et c’estl’enseignement principal, une telle éviction nesauraitseconfondreavecuneexclusion,dèslorsle non-respect des conditions d’une exclusionconventionnelleestindifférentenl’espèce.Ainsi, d’un côté, la Haute juridiction rappelleimplicitement la validité de ces clauses liantsalariat et actionnariat ; de l’autre, la Cour decassation pratique une distinction nouvellecependantheureuseentreévictionetexclusion.Resteàl’aveniràconnaîtredesconséquencesdecette distinction et de la possible éviction d’unassocié. Autrement dit, l’on peut légitimementse demander si le contentieux de l’éviction vaprendredanslesprétoireslaplacelaisséeparlecontentieuxdel’exclusion…2/Delarigueurdela loienmatièredereprisedesactesdelasociétéenformationCiv.3e,15octobre2015,pourvoin°13-24.355La reprise des actes passés au nom et pour lecompte de la société en formation fait l’objetd’une réglementation précise à la fois dans leCode civil et dans le Code de commerce. Lareprisedesactesdesociétéscivilesenformationreposesurlesarticles1843duCodecivilet6dudécretdu3juillet1978tandisquelareprisedesactesdesociétéscommercialesestrégiepar lesarticles L. 210-6 et R. 210-5 du Code decommerce.La présente espèce est l’occasion d’uneapplication des textes relatifs à la constitutiond’unesociétécivile.Lesfondateursd’uneSCIenformation contractent au nom de celle-ci une

promessedevente.L’actestipuleexpressémentquel’immatriculationdelaSCIemportedepleindroit reprise de la promesse, l’immatriculationdevant intervenir au plus tard le jour de lasignature de l’acte de vente. Si la société a étéimmatriculéeaujourmêmedelasignaturedelapromesse, la SCI n’a jamais levé l’option. Levendeur agit à l’encontre de la société enpaiement de l’indemnité d’immobilisation. Laquestionseposedoncdesavoirsi lasociétéestdébitrice, ce qui induit que l’acte a étéeffectivementrepris.La cour d’appel pour répondre positivements’estcontentéederappeler les termesde l’acteet la reprise automatique du fait del’immatriculation. La censureétait promise, elleestlogiquementprononcée:lareprisedesactesdelasociétéenformationrésultedurespectdesconditions légales et non d’une stipulationconventionnelle. Or, en l’espèce, n’est pasconstaté l’accomplissement régulier desformalitéslégales.Ànouveau,laCourrégulatricerappelle et souligne la rigueur de sa lignejurisprudentielle, laquelle est gage de sécuritéjuridique.

1/LaCourdecassationmaintientsapositionenmatièredegagedesstocksAss.Plén.,7décembre2015,n°14-18.435Depuisprèsde5ans, jugesdufondet jugesdudroits’opposentquantàl’applicationdel’articleL. 527-3duCodede commerce relatifs au gagedestocks.Rappelonsque legagedesstocksestunmécanismedegarantie créépar la loidu23mars2006relativeauxsûretés.L’opposition s’est cristallisée autour d’unequestion: est-ce que le gage des stocks prévupar les articles L. 527-1 et suivants du Code decommerce est exclusif du gage de droitcommun ? Sous cet angle, la question apparaîtnormative: les juges du fond portent l’idéed’une superposition des mécanismes et donc

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leur caractère alternatif ; les juges du droitportent l’idée d’une exclusivité des textesnaturellement au profit du texte spécial etnouveau. Au-delà de l’aspect normatif, laquestion est d’importance en pratique puisqu’ils’agit de savoir si un établissement de créditpeutobteniràtitredegarantieduprêtconsentiàuncommerçant,ungagesursesstocksfondéssur le droit commun du gage plutôt que sur ledroitspécialissudelaloide2006.Or,legagededroit commun peut apparaître plus intéressantquelenouveaumécanismepourl’établissementbancaire.LaChambrecommercialedelaCourdecassationavait d’ores et déjà répondu à ces questions,allant dans le sens du caractère exclusif dudispositif spécial (Com. 19 février 2013). Cettepositionavaitétéparticulièrementcritiquéeparla doctrine et la pratique, considérantnotammentquel’exclusivitén’étaitnifondéenijustifiée. Au paroxysme de l’opposition entrejugesdufondet jugesdudroit setrouve l’arrêtdelacourd’appelderenvoiensuitedecetarrêtde 2013: les conseillers de Paris, se refusant àsuivre la position de la Chambre commerciale,ontmaintenul’idéed’unealternativeentregagede droit commun et gage spécial (CA Paris, 27février2014).Lasaisinedel’Assembléeplénièreétaitévidente.La solutionportéepar cet arrêtdu7décembre2015 est donc essentielle et supporte l’idéed’une position définitive des hauts conseillersmalgré les vives et multiples critiques: au visades articles 2333 du Code civil et L. 527-1 duCode de commerce, tels qu’ils résultent del’ordonnancedu23mars2006,ratifiéeparlaloidu20février2007,laformationplénièreaffirmeque «s’agissant d’un gage portant sur deséléments visés à l’article L. 527-3 du code decommerce et conclu dans le cadre d’uneopérationdecrédit,lesparties,dontl’uneestunétablissement de crédit, ne peuvent soumettreleur contrat au droit commun du gage demeubles sans dépossession». Autrement dit, laCour de cassation persiste dans la positionadoptée par la seule chambre commerciale.Dans une note explicative, plusieurs argumentssont avancés pour justifier cette solution: leprincipalrésidedans«laspécificitédecerégime(celuimisenplacepar la loide2006) se justifieenraisondelanaturevitaledesstockspouruneentrepriseetlaplaceparticulièrequ’occupe,face

à celle-ci, notamment lorsqu’elle est sondébiteur,unétablissementdecrédit».

1/Défautdecomparutiondel’appelantCiv.2e,19nov.2015,n°14-11.350La Cour de cassation considère qu’il résulte del’article468duCodedeprocédurecivileque,si,sansmotiflégitime,l’appelantnecomparaîtpas,seul l’intimé peut requérir une décision sur lefond.Dans cette espèce, un recours avait été formécontre la décision du bâtonnier d’un ordre desavocats fixant à une certaine somme leshonorairesd’unavocat.Lepremierprésidentdelacourd’appelaconfirméladécisiondéféréeentoutes ses dispositions. En effet, il a considéréque bien que régulièrement convoquées parlettre recommandée avec accusé de réception,les parties n’ont pas comparu et n’étaient pasreprésentées à l’audience. Puis que le premierprésident,saisid’unrecourscontreunedécisiondu bâtonnier prise en matière de contestationd’honoraires d’avocats, entendcontradictoirement les parties. Enfin, il aconsidéré la procédure étant orale, lesmoyensdes parties doivent être oralement exposés àl’audience par l’appelant et l’intimé ou leursmandataires.Toutefois, viole l’article468duCodeprocédurecivile, le premier président d’une cour d’appelqui statue sur le fond alors qu’il n’était saisid’aucunmoyenparl’appelantetquel’intiménelui avait pas requis ce jugement. En effet, auxtermes dudit article «Si, sansmotif légitime, ledemandeurnecomparaîtpas, ledéfendeurpeutrequérir un jugement sur le fond qui seracontradictoire, sauf la faculté du juge derenvoyerl’affaireàuneaudienceultérieure».Oren l’espèce ni l’appelant, ni l’intimé n’avaientcomparudesortequelejugenepouvaitprendrel’initiativederendreunjugementsurlefond.

ProcédurecivileFranckTOURET

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2/ Absence de communication des pièces etprétentionsCiv.2e,3déc.2015,n°14-25.413La Haute cour considère que le défaut decommunication de pièces en cause d’appel neprive pas à lui seul les juges du fond de laconnaissancedesmoyensetdesprétentionsdel’appelant. Ainsi, la cour d’appel qui s’estdéclarée dans l’impossibilité de procéder àl’examen des moyens et prétentions del’appelant a violé l’article 132 du Code deprocédurecivile.Danscetteespèce,pourconfirmerun jugementen ses dispositions déboutant une partie et lacondamnant à payer diverses sommes à titreprincipal, une cour d’appel avait retenu quel’appelantn’anotifiéaucunepièceausoutiendeson appel de sorte que la cour est dansl’impossibilité de procéder à l’examen desmoyens et prétentions qu’il avance sur lesconditions de sa mise en cause en qualité decaution des engagements d’une société et que,dès lors, la décision déférée devait êtreconfirméeentoutessesdispositions.Toutefois, les juges du droit reprochent auxjugesdufondd’avoirviolé l’article132duCodede procédure civile. En effet, le défaut decommunication de pièces en cause d’appel neprive pas à lui seul les juges du fond de laconnaissancedesmoyensetdesprétentionsdel’appelant. Selon les termes de l’article 132 duCodedeprocédurecivile,«Lapartiequifaitétatd’une pièce s’oblige à la communiquer à touteautre partie à l’instance. La communication despièces doit être spontanée». L’erreur commisepar les juges du fond était de considérer qu’enl’absence de pièces étayant les allégations dudemandeur, il lui était impossible de seprononcersurlesprétentionsémises.OrlaCourd’appeldevaitstatuersurlesprétentionsémisespar l’appelant, même à défaut de pièces lessoutenant.

1/DelanécessitéetdelaproportionnalitédespeinescomplémentairesConseil constitutionnel, QPC, 16 octobre 2015n°2015-493QPC.Leprononcéd’unepeineenmatièrepénaleestencadré par différents principes. Il en vanotamment ainsi du principe d’individualisationde la peine, mais aussi, et surtout de celui denécessitéetdeproportionnalitédelapeine.Cesprincipes s’appliquent à toute peine pénale,quelle qu’en soit la nature, peined’emprisonnementoud’amende,maisaussiquelapeinesoitprononcéeàtitreprincipalouàtitrecomplémentaire.C’estprécisémentcepointquiaétéexaminéparlesSagesdelarueMontpensierdansladécisiondu16octobre2015.Eneffet, l’article L.3352-2du Code de la santé publique soumis à leurexamenprévoitunepeinede3750€d’amendelorsqu’undébitdeboissonsde3eet4ecatégorieà consommer sur place est ouvert en violationdes dispositions légales. Le législateur aparallèlement prévuunepeine complémentairequi est la fermeture du débit de boissonconcerné. Le requérant considère que cettepeinecomplémentaire,pourlaquelle,iln’estpastextuellement prévu que le juge puisse enmoduler ladurée,porteatteinted’unepartà laliberté d’entreprendre et d’autre part auprincipe de nécessité et de proportionnalité dela peine posé à l’article 8 de laDéclaration desdroitsdel’hommeetducitoyen.Les arguments du requérant sont rapidementévacués par le Conseil constitutionnel quidéclareladispositionconformeàlaConstitution.Encequiconcerne lesprincipesdenécessitéetde proportionnalité et d’individualisation de lapeine, les Sages rappellent tout d’abord leurofficeenlamatière.Eneffet,ilsnedisposentpasicid’unpouvoiranalogueàceluiduParlement.Ilne leur appartient pas de se prononcer surl’opportunité de l’adjonction de telle ou tellepeine à la commission d’une infraction. Lecontrôle de constitutionnalité, par eux réalisé,tend alors à s’assurer qu’il n’y a pas dedisproportionmanifesteentre lecomportementsanctionné et la peine prévue. Le Conseilconstitutionnel rappelle ensuite que le respectde ces principes implique un rôle actif du juge,qui doit pouvoir décider d’appliquer ou non lapeine au cas d’espèce qui lui est soumis. En

ProcédurePénaleMorganeWERNER

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l’espèce, la fermeture du débit de boissonss’analyse en une peine complémentaireobligatoire, pour autant, elle peut êtretemporaire ou définitive, ce qui confère unpouvoir d’appréciation au juge pénal etd’adaptationaucasd’espèce.L’objectifdecettepeine, qui tend à assurer la protection de lasantépubliqueetlaluttecontrel’alcoolismeestaussi pris en compte par le Conseilconstitutionnel. Enfin, les Sages prennent enconsidération l’article132-21duCodepénalquipermetà lapersonnecondamnéededemanderle relèvement de la peine prononcée.L’ensemble de ces considérations a conduit lesSagesàconsidérerquelapeinecomplémentairede fermeture du débit de boissons n’est pasdisproportionnée.LadispositionestdèslorsdéclaréeconformeàlaConstitution. Cette décision présente le méritede rappelerque l’ensembledespeines,qu’ellessoient prononcées à titre principal oucomplémentaire, sont soumises aux exigencesconstitutionnelles de nécessité, deproportionnalitéetd’individualisation.L’examenopéré par le Conseil constitutionnel démontreque l’office du juge en la matière estdéterminant.2/Leslimitesdudroitd’appeldelapartiecivilepréciséesCrim.20octobre2015,pourvoin°15.83-441Lapartiecivileestunevéritablepartieauprocèspénal.Àcetitre,elledisposededifférentsdroitscomme celui de formuler des observations à laclôturede l’instruction,dedemanderdesactes,mais aussi de faire appel de certainesordonnances du Juge d’instruction. C’estprécisément les limites de ce droit qui sontprécisées par la chambre criminelle de la Courde cassation dans son arrêt du 20 octobredernier.Une instruction est ouverte du chef deharcèlement moral. Les investigationsdiligentées par le juge d’instruction semblentmettre en évidence la participation dedifférentes personnes dans les faits, de sortequeleMinistèrepublicprenddesréquisitionsdemiseenexamensupplétive.Lejuged’instructionrend une ordonnance refusant cette mise enexamen. Un appel est interjeté par la partiecivile et la Chambre de l’instruction infirme

l’ordonnancedujuged’instructionetluirenvoielaprocédurepourquedes investigations soientpoursuiviesnotammentàcettefin.La Cour de cassation va casser l’arrêt de laChambrede l’instructionauvisade l’article186alinéa2duCodedeprocédurepénale.Cetalinéadispose en effet que «la partie civile peutinterjeter appel des ordonnances de noninformer,denon-lieuetdesordonnancesfaisantgriefàsesintérêtscivils.Toutefois,sonappelnepeut, en aucun cas, porter sur une ordonnanceousurladispositiond’uneordonnancerelativeàladétentiond’unepersonnemiseenexamenouaucontrôlejudiciaire».Les hauts conseillers, en infirmant l’arrêt de laChambre de l’instruction affirme quel’ordonnancedu juged’instruction refusantunemiseenexamensupplétiveneportepasatteinteauxintérêtsdelapartiecivile.Ellenepeutdoncpaseninterjeterappel.3/Del’immédiatetédelaconsultationduPVdenotification des droits par l’avocat de lapersonnegardéeàvueCrim.17novembre2015,pourvoin°15-83.437La loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à lagarde à vue a renforcé les droits de la défensedès le stade de l’enquête en prévoyantl’interventiondel’avocatpendantlagardeàvue.Outre un entretien confidentiel d’une durée de30minutes et l’assistance de l’individu gardé àvue pendant les auditions, l’avocat peut avoiraccès à certaines pièces du dossier. Parmi cespiècessetrouvenotammentleprocès-verbaldenotification des droits ou encore le certificatmédical relatif à la compatibilité de l’état desantédelapersonneaveclamesuredegardeàvue. La Chambre criminelle de la Cour decassationaétéamenéedansl’espècequiluiestsoumise à se prononcer sur l’encadrementtemporeldecedroit.Une jeune femme est interpellée et placée engarde à vue, après que de la cocaïne ait ététrouvéedanssesbagages.Devantlachambredel’instruction, la requérante sollicite la nullité dedifférents actes de procédures à savoir, unalbum photographique, réalisé selon larequérante par un agent qui ne répondait pasaux exigences d’impartialité ; des écoutestéléphoniquesparcequel’actedeprocédurelesordonnantn’étaitpasmotivéetenfinlamesure

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degardeàvueauxmotifsquesonavocatn’avaitpas accès au procès-verbal de notification desdroits. L’ensembledesmoyensest rejetépar laChambre de l’instruction, la requérante sepourvoitencassation.Si les deux premiers moyens sont rapidementévacuésparlaChambrecriminelledelaCourdecassation,letroisièmemoyenestaccueilli,cequientraînelacassationdel’arrêtdelaChambredel’instruction.En l’espèce,unavocat seprésenteaux lieuxoùest retenu son client pour réaliser l’entretienconfidentiel prévu dans le Code de procédurepénale. Il demande alors au geôlier présent depouvoir consulter le procès-verbal denotification des droits. Cependant, cetteconsultation ne se réalise pas immédiatement.Laconfigurationgéographiqueasonimportancepour comprendre les faitsde l’espèce. Eneffet,le commissariat où se trouvematériellement laprocédureestdistantde300mètresdeslieuxoùsont retenues lespersonnesplacéesengardeàvue.Àl’issued’unepremièreaudition,leprocès-verbal litigieux est présenté à l’avocat. LaChambre de l’instruction en déduit que leprocès-verbal de notification des droits a bienété présenté à l’avocat, et ce dès qu’il s’esttrouvédansleslocauxabritantlaprocédure.Elleen conclut que les exigences textuelles ont étérespectéesetqu’aucuneatteinten’aétéportéeauxdroitsdeladéfense.L’analyse des hauts conseillers serasensiblement différente. En effet, la Chambrecriminelle de la Cour de cassation retient aucontraireque«l’avocatdu requérantavait,dèsl’entretien confidentiel avec celui-ci, formulé lademandeexpressedeconsultationàlaquelleiladroit et qu’aucune circonstance insurmontablene faisait obstacle à ce que la pièce demandéepuisseêtremiseàsadisposition, laChambredel’instructionaméconnule texte susvisé (art.63-4-1duCodedeprocédurepénale)».Cet arrêt a le mérite de rappeler différentsenseignements. Tout d’abord, elle rappelle quelacommunicationà l’avocatdecertainespiècesexpressément listées par le législateur, à savoirle procès-verbal de notification des droits, lecertificatmédical et les procès d’audition de lapersonne assistée par l’avocat est un droit quiparticipe au droit de la défense. Laméconnaissance de ce droit portenécessairement atteinte aux intérêts de la

personne gardée à vue et est donc susceptibled’entraîner lanullitéde lamesure (etdesactessubséquents).Ensuite, laChambrecriminelledela Cour de cassation vient encadrertemporellement l’exercice de ce droit deconsultation. Les documents doivent êtremis àladispositionde l’avocatdès lorsqu’ilen fait lademande, sauf circonstances insurmontables.Plus factuellement enfin, elle indique que laconfiguration matérielle et géographique d’uncommissariat ne saurait constituer une tellecirconstance.4/ La sonorisation des débats d’Assises enquestion:laréponseduConseilconstitutionnelConseil constitutionnel, QPC 20 novembre2015,Décisionn°2015-499QPCLe9 septembre2015, laChambre criminelledela Cour de cassation transmettait une questionprioritaire de constitutionnalité portant surl’article 308 du Code de procédure pénale auConseilconstitutionnel.Lerequérantafaitvaloirque le recours à la sonorisation, n’étant pasprescrit à peine de nullité, relève d’un pouvoirdiscrétionnairedu jugeetqu’encela, ledernieralinéa du texteméconnaît les principes d’accèseffectif au juge et d’égalité entre les citoyens.(BMA2015,n°22/23,p.18).Le Conseil constitutionnel a, dans une décisiondu20novembre2015,déclarécettedispositioncontraire à la Constitution et a prononcé sonabrogation. En effet, il rappelle tout d’abord lecontenu de l’article 308 du Code de procédurepénalequiposequelesdébatsd’assisespeuventfaire l’objet d’une sonorisation sous le contrôledu Président. Les Sages rappellent égalementquel’enregistrementpeutêtreutiliséd’unepartjusqu’au prononcé de l’arrêt et d’autre partdevant les juridictions susceptibles d’êtreamenées à réexaminer l’affaire, comme laCourd’assises statuant en appel. Le Conseilconstitutionnel déduit ensuite de l’examen desarticles 310 et suivants du Code de procédurepénaleque le législateuraentenduconférerunréel droit aux parties en ce qui concerne lasonorisationdesdébatsdevantlaCourd’assises.Toutefois, en précisant que les dispositions nesontpasprescrites àpeinedenullité, il interdittout recours contre la décision du président dela Cour d’assises en ce qui concerne le recoursou non à cette sonorisation. Il en- conclut que

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les dispositions de l’article 308 du Code deprocédurepénalenesontpasconformesl’article16delaDéclarationdesdroitsdel’hommeetducitoyenetsontdoncinconstitutionnelles.Les Sages de la rue Montpensier ont toutefoisdécidédereporterleseffetsdecetteabrogationau1erseptembre2016.

1/Laprescriptiondel’infractiondepriseillégaled’intérêts:obstacleàlaqualificationdereceldel’auteurdel’infractiond’origineCrim.12novembre2015,pourvoin°14-83073Le12novembre2015, laChambrecriminelledela Cour de cassation a énoncé l’impossiblecondamnation pour recel des auteurs del’infraction d’origine, même lorsque celle-ci estprescrite.En l’espèce, des conseillers municipaux sontrenvoyés devant le Tribunal correctionnel duchef de recel de prise illégale d’intérêts. Pourmémoire, la prise illégale d’intérêts est le faitpourunélud’utiliser ses fonctionsauseind’unorganed’unecollectivitépublique,pourentirerunavantagepersonnel.Lajuridictiondupremierdegré les déclare coupables de cette infraction.La Cour d’appel confirme ce jugement et lescondamne à quatre mois d’emprisonnementavecsursiset8000eurosd’amende.Ellerelèveque les faits ont été requalifiés par le juged’instruction en recel, en raison de laprescription du délit de prise illégale d’intérêts.Unpourvoiencassationestformé.Lesrequérantssoutiennentquesilaprescriptioncouvre l’infraction d’origine, elle doit s’étendreau recel puisque les deux infractions procèdentdesmêmesfaits.La Cour de cassation casse et annule l’arrêtd’appel au visa des articles 321-1 et 432-12 duCodepénal,enconsidérant«queledélitdereceldeprise illégaled’intérêtsnepeutêtrereprochéà la personne qui aurait commis l’infractionprincipale,celle-cifût-elleprescrite.»

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que laprescriptiondel’infractiond’origineneconstituepas en elle-mêmeun obstacle à la qualificationde recel (dans ce sens Crim. 16 juillet 1964,pourvoi n°63-91919). En effet, ce quecondamnentici lesjugesdudroitc’estlefaitdepoursuivre du chef de recel de prise illégaled’intérêts, les auteurs de l’infraction principale,quandbienmêmecelle-ciestprescriteetquelapoursuite en cette qualité serait impossible. Eneffet, il n’est pas possible de cumuler, sur unmêmebien, les qualités d’auteur de l’infractiond’origine et de receleur. Une autre solutionreviendrait à enfreindre le principe «non bis inidem»,quiinterditdepunirdeuxfoisunemêmepersonnepourdesmêmesfaits.Enrevanche,lecomplice de l’infraction d’origine peut se voircondamnerégalementduchefderecel,dèslorsqu’ildoitréaliserdesactesdistinctspourtombersouslecoupdecesdeuxqualifications.Les hauts conseillers reprochent également auxjuges du fond, de ne pas avoir recherché eux-mêmes, si le délit était prescrit. On peut lire leprésent arrêt comme un message adressé à laCour d’appel de renvoi de faire usage de sajurisprudence du 16 décembre 2014 (Crim. 16décembre 2014, pourvoi n°14-82939), qui aappliqué, pour la toute première fois, àl’infraction de prise illégale d’intérêt, le régimeprocéduraldes infractionsoccultes.LaChambrecriminelledelaCourdecassationaainsidécidé,comme en matière d’abus de biens sociaux(Crim. 27 juillet 1993 pourvoi n° 92-85146) oud’abus de confiance (Crim. 8 février 2006,pourvoi n° 05-80301) de repousser le point dedépart de la prescription au jour où l’infractionest apparue et a pu être constatée dans desconditions permettant l’exercice de l’actionpublique.Cequiauraitpourconséquence,danslecasd’espèce,depermettrelespoursuitesdesconseillersmunicipaux…2/Diffamation:responsabilitédudirecteurdelapublicationmalgrél’externalisationdelafonctiondemodérationCrim.3novembre2015,pourvoin°13-82645Le 17 janvier 2010 un internaute publie uncommentaire sur le site«lefigaro.fr»à la suited’un article intitulé «Les militants Modem pasopportunistes». Le 19 janvier, considérant queles propos tenus par l’intéressé sont

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diffamatoires, le président départemental duModem demande la suppression de cecommentaire en utilisant la fonction demodération proposée par le site. Malgrél’engagementprispar leservicedemodération,le 20 janvier et une nouvelle réclamationadressée le 6 février, ce n’est que le 8 févrierque le commentaire litigieux est retiré. C’estdans ce contexte que le présidentdépartemental du Modem se constitue partiecivileduchefdediffamationpubliqueenversunparticulier.LeTribunal correctionnel condamnedece chef,en tant qu’auteur principal, le directeur de lapublicationdusite.LaCourd’appelconfirmecejugement en retenant d’une part, «qu’en saqualitédedirecteurdelapublicationd’unservicede publication en lignemettant à la dispositiondu public un espace de contributionspersonnelles, mais également la possibilitéd’alerterentempsréelunservicedemodérationsur le contenu des messages déposés dans cetespace,ledirecteurdelapublicationavaitétéenmesuredès les alertes postées par le plaignant,d’exercer son devoir de surveillance sur lecommentaireencausequ’iln’avaitpourtantpasretiré promptement» ; d’autre part, «que leprévenu ne pouvait utilement se prévaloir ni dece que la fonction de modération aurait étéexternalisée, ni du bénéfice des dispositionsrégissant la responsabilité pénale deshébergeurs.» Un pourvoi en cassation estformé.Reprenant l’argumentation selon laquelle iln’avait pas eu connaissance du commentairelitigieux,leprévenuinvoquenotammentl’article93-3dela loin°82-652du29juillet1982sur lacommunication audiovisuelle. Ce dernierdisposeque «(…) la responsabilité pénale dudirecteur de la publication d’un site internet nepeut être engagée au titre des infractions depresse que s’il est établi qu’il avait eu

effectivementconnaissancedumessagelitigieuxavantsamiseenligneousi,dèslemomentoùilen a eu connaissance, il n’a pas agipromptement pour le retirer». Selon lui,l’absence d’un message personnel à sonintention l’informant du commentaire litigieuxs’oppose à la reconnaissance de saresponsabilitépénale.De manière succincte, les hauts conseillersrejettentsonargumentationenconsidérantque,laCourd’appel a faituneexacteapplicationdel’article93-3delaloin°82-652du29juillet1982surlacommunicationaudiovisuelle.LaChambrecriminelle n’entend pas donner d’échappatoireaudirecteurdelapublicationdusite,quandbienmême la fonction de modération estexternalisée. Le fait que le service demodération du site avait été informé, le 20janvier, de la demande de retrait ducommentaire litigieux suffit à établir que leprévenu en avait connaissance. Aussi, aurait-ildûleretireràpartirdecettedate.Cettesolutionapparaît justifiée au regard du principe deresponsabilitépénaleposéparl’article93-3delaloi du 29 juillet 1982 sur la communicationaudiovisuelle. Au demeurant, le contrôle desprestataires extérieurs semble difficile àmettreàplacesurleplanpratique.LaCourrégulatriceaccueille,toutefois,lesecondmoyendeprévenu.Ellecasseetannuleparvoiede retranchement (cassation partielle sansrenvoi),auvisade l’article111-3duCodepénall’arrêt de Cour d’appel, en ses seulesdispositions ayant condamné le prévenu à ladiffusion de la décision. Elle rappelle que «nulne peut être puni d’une peine qui n’est pasprévue par la loi». En condamnant le directeurde la publication à une peine complémentaireque l’article 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet1881 ne prévoit pas, les juges du fond ontméconnuleprincipedelégalitécriminelle.

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