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Nabatéens Les Nabatéens (en arabe : اط ب ن الأal-Anbɑːṭ) étaient un peuple commerçan t du sud de la Jordanie et de Canaan, et du nord de l'Arabie, dont les peuplements dans les oasis au temps de Flavius Josèpheont donné le nom de Nabatène à la région frontalière entre la Syrie et l'Arabie, entre l'Euphrate et lamer Rouge. Leur capitale était la cité troglodytique de Pétra, située aujourd'hui en territoire jordanien. Leur commerce se déroulait principalement entre les oasis, où ils pratiquaient l'agriculture de manière intensive. Ces oasis étaient reliées par des routes commerçantes. Les frontières de cet ensemble n'étaient pas précisément définies. L'empereur romain Trajan soumet les Nabatéens définitivement et les incorpore à l'Empire, où leur culture se dissipe et disparaît. Culture La culture nabatéenne est connue grâce aux milliers d'inscriptions retrouvées qui témoignent d'un bon degré d'alphabétisation, bien que l'on n'ait pas de traces d'une littérature (Il n'en est pas fait mention dans l'Antiquité et les temples ne comportent aucune inscription. ). Des analyses onomastiques indiquent

Nabatéens

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Nabatéens

Les Nabatéens (en arabe : األنباط al-Anbɑːṭ) étaient un peuple commerçant du sud de la Jordanie et de Canaan, et du nord de l'Arabie, dont les peuplements dans les oasis au temps de Flavius Josèpheont donné le nom de Nabatène à la région frontalière entre la Syrie et l'Arabie, entre l'Euphrate et lamer Rouge.

Leur capitale était la cité troglodytique de Pétra, située aujourd'hui en territoire jordanien.

Leur commerce se déroulait principalement entre les oasis, où ils pratiquaient l'agriculture de manière intensive. Ces oasis étaient reliées par des routes commerçantes. Les frontières de cet ensemble n'étaient pas précisément définies.

L'empereur romain Trajan soumet les Nabatéens définitivement et les incorpore à l'Empire, où leur culture se dissipe et disparaît.

Culture 

La culture nabatéenne est connue grâce aux milliers d'inscriptions retrouvées qui témoignent d'un bon degré d'alphabétisation, bien que l'on n'ait pas de traces d'une littérature (Il n'en est pas fait mention dans l'Antiquité et les temples ne comportent aucune inscription. ). Des analyses onomastiques indiquent que la culture nabatéenne pourrait avoir inclus de nombreuses ethnies.

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Des textes antiques sur les Nabatéens suggèrent que leurs routes commerciales et la provenance de leurs produits étaient considérées comme des secrets commerciaux. Diodore de Sicile les décrivit comme une tribu puissante d'environ 10 000 guerriers, prééminente parmi les tribus nomades d'Arabie, évitant l'agriculture, les habitations fixes et l'usage du vin. En plus de leur activité pastorale, ils commerçaient avec les ports. Les marchandises transportées étaient principalement de l'encens, de la myrrhe et des épices d'Arabie heureuse (c'est-à-dire de l'actuel Yémen), ainsi qu'avec l'Égypte (bitume provenant de la mer Rouge).

Leur pays aride était leur meilleure protection contre les envahisseurs. En effet, ils réussirent à leur cacher les citernes collectrices d'eau de pluie, en forme de bouteilles, qu'ils avaient creusées dans la pierre ou dans l'argile.

Les dieux principaux vénérés à Pétra étaient Dusares et Uzza.

Langue 

La langue des inscriptions nabatéennes, qui fleurissent durant le II e siècle av. J.-C., montre qu'il s'agit d'une modification locale de la langue araméenne, lingua franca qui cesse d'avoir une importance suprarégionale après la fin de l'empire achéménide en -330. L'alphabet nabatéen dérive de l'alphabet araméen. Le nabatéen est fortement influencé par les dialectes arabes, des peuples des environs. Finalement, à partir duIVe siècle l'influence arabe devient prépondérante, le nabatéen glissant de l'araméen à l'arabe. L'alphabet arabe lui-même puise ses origines dans les variantes cursives du nabatéen du Ve siècle. À partir du III e siècle, les Nabatéens arrêtent d'écrire en araméen et utilisent le grec à la place.

Histoire 

Origines 

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Les routes commerciales terrestres des Nabatéens.

Les origines des Nabatéens restent obscures. En se basant sur la similarité de leur nom, Saint Jérôme a proposé un lien avec la tribu Nebaioth (de Nebayot, l'aîné des douze fils d'Ismaël) mentionnée dans la Genèse, mais les historiens modernes sont prudents quant à cette interprétation et l'origine des premiers Nabatéens reste mal connue . Une autre hypothèse rapproche leur nom du mot hébreu nabata. À l'époque de Teglath-Phalasar III, les Hébreux appelaient ainsi les Araméens, puis plus tard, il fut employé pour les tribus arabes nomades qui payaient tribut à Assurbanipal.

Avec la captivité à Babylone (à partir de 586 av. J.-C.), débuta en Judée une époque sans pouvoir franchement établi. Les Édomites s'emparèrent du sud de la Judée et les Nabatéens occupèrent vraisemblablement sans heurts le territoire délaissé par ces derniers et poursuivirent leur commerce. C'est en effet à cette époque que des inscriptions nabatéennes sont retrouvées sur le territoire

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édomite. Cette migration, dont la date reste inconnue, les rendit maîtres des côtes du golfe d'Aqaba et de l'important port d'Elath.

Herodote mentionne un roi des Arabes, allié des Perses, qui aurait aidé Cambyse dans la conquête de l'Égypte. Il pourrait s'agir déjà des Nabatéens. Selon Agatharchide, au IIIe siècle av. J.-C., les Nabatéens se comportaient en tant que pirates et brigands sur les routes commerciales reliant l'Égypte à l'Orient, jusqu’à ce que les Ptolémées mettent fin à leurs attaques.

Les Nabatéens ont subi très tôt des influences culturelles étrangères, notamment araméennes. Les Nabatéens écrivirent une lettre à Antigone en caractères syriaques. L'araméen continua à être la langue utilisée pour leurs pièces et inscriptions quand la tribu devient un royaume, et profita de l'affaiblissement des Séleucides pour étendre leur territoire vers le nord sur les terres fertiles à l'est de la Jordanie.

Le roi Arétas II aurait battu les troupes du grand-prêtre et roi de Jérusalem, Alexandre Jannée en 93 av. J.-C.. Ils occupèrent la région de l'Hauran, et autour de 85 av. J.-C., leur roi Arétas III devint seigneur de Damas et Cœlé-Syrie. « Nabatéens » devint le nom arabe pour Araméens, à la fois en Syrie et en Irak, un fait qui a été à tort utilisé pour prouver que les Nabatéens étaient des immigrants araméens venant de Babylone. Des noms appropriés sur leurs inscriptions suggèrent qu'ils étaient des Arabes passés sous influence araméenne. Starcky pense que les Nabatu du sud de l'Arabie étaient leurs ancêtres. Cependant, différents groupes parmi les Nabatéens écrivent leurs noms de manière significativement différentes. C'est la raison pour laquelle les archéologues répugnent à dire qu'ils étaient tous de la même tribu, ou qu'un des groupes était les Nabatéens originels.

La période gréco-romaine 

Article détaillé : Pétra.

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La province romaine d'Arabie pétrée, créée à la place du royaume nabatéen.

Pétra est construite rapidement au I er siècle av. J.-C. au temps de la splendeur hellénique, atteignant son apogée avec environ 20 000 habitants (« City of Stone », Petra: Lost City of Stone [archive], American Museum of Natural History ). À cette époque, les Nabatéens sont alliés aux premiers Hasmonéens dans leur lutte contre les monarques Séleucides. Ils deviennent ensuite les rivaux des dynasties judéennes. Ces frictions sont une des causes principales des désordres qui conduisent à l'intervention de Pompée en Judée. Beaucoup de nabatéens sont convertis de force au judaisme par le roi hasmonéen Alexandre Jannée ( Johnson, Paul, A History of the Jews, George Weidenfeld & Nicolson Limited, London, 1987 ), qui envahit Moab etGilead. Le roi Obodas savait qu'Alexandre Jannée allait l'attaquer, et il put donc piéger ses forces près de Gaualne, détruisant ainsi l'armée israélite ( Josephus ; The Jewish War ; 1:87 page 40, traduit par G.A. Williamson à l'anglais en 1959, édité en 1981 ).

L'intervention romaine obtient des résultats mitigés et le roi Arétas III peut garder, en tant que vassal des romains, la plus grande partie de son territoire, y compris Damas. En -62 Marcus Aemilius Scaurus accepte un pot-de-vin de 300 talents pour lever le siège de Pétra, en partie à cause du terrain difficile et en partie parce que ses vivres avaient beaucoup diminué. Hycanus, ami du roi Arétas, est envoyé par Scaurus pour obtenir la paix. Arétas accepte et garde son territoire, y ajoutant Damas, et il devient vassal deRome (Josephus 1:61, page 48 ).

Sous Malichos II, en -32, Hérode Ier le Grand déclare la guerre aux Nabatéens avec l'appui de Cléopâtre. Il saccage et pille la Nabatène avec sa cavalerie et occupe Tell al-Ashari. Les Nabatéens battent en retraite jusqu’à Qanawat (aujourd'hui en Syrie). Athenio, le général de Cléopâtre, envoie les habitants de cette ville attaquer les forces d'Hérode, qui fuient vers Ormiza. Un an plus tard, ces forces battent les Nabatéens (Josephus 1:363-377, pages 75-77 ).

Après un tremblement de terre en Judée, les Nabatéens se soulèvent et envahissent Israël, mais Hérode traverse le Jourdain à Philadelphie. Les deux camps se retranchent. Les Nabatéens, sous Elthemus, refusent de commencer la bataille, Hérode décide alors d'attaquer leur camp. Les

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Nabatéens, désorientés, luttent et sont battus. Les survivants battent en retraite, Hérode les poursuit, les assiège et certains se rendent. Les survivants offrent aux forces d'Hérode 500 talents, mais il refuse. Plus tard, les Nabatéens sont forcés de sortir de leur position retranchée, afin de chercher de l'eau, ils sont battus lors de cette dernière bataille (Josephus 1:377-391 pages 78-79 ).

Sous l'Empire romain, les Nabatéens continuent de prospérer au cours du Ier siècle. Leur pouvoir s'étend sur une grande partie de l'Arabie, de la Mer Rouge au Yémen. Malgré un déclin dû à l'émergence de la route commerciale entre Myos Hormos (Myoshormus) et Coptos sur le Nil, Pétra reste un centre commercial cosmopolite. Soumis à la Pax romana, les Nabatéens perdent leurs habitudes guerrières et pastorales et deviennent un peuple pacifique voué au commerce et à l'agriculture.

Sous Trajan, l'influence de Pétra se réduit et les Nabatéens perdent leur indépendance lors de la réduction de leur royaume en province romaine d'Arabie Pétrée.

Au IV e siècle, ils se convertirent au Christianisme. Les nouveaux envahisseurs arabes, qui se faisaient pressants dans la péninsule, trouvent les derniers Nabatéens transformés en fellahun, ou paysans.

Rois nabatéens 

Début de règne

Fin de règne

Nom du souverain

Inconnu

-170 -168 Arétas Ier

Inconnu, Rabbel Ier ?

Vers -120 -96 Arétas II

-96 Vers -85 Obodas Ier, fils d'Arétas II

-84 Vers -62 Arétas III « Philhellène »

-62 -60 Obodas II

-60 -30 Malichos Ier

-30 -9 Obodas III

-9 40 Arétas IV

40 70 Malichos II, fils d'Arétas IV et époux de la

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reine Shaqilat

70 106Rabbel II, fils de Malichos II et époux de la

reine Gamilat puis d'Hagru

Source (Christian Augé et Jean-Marie Dentzer, Pétra, la cité des caravanes, Gallimard, 1999. )

Les Nabatéens, caravaniers et bâtisseurs

François VilleneuveProfesseur d'archéologie de la Méditerranée et du Proche-Orient hellénistiques et romains à l'université de Paris I Bibliographie Imprimer cet article Joyau de l'art universel, Petra fascina tout autant les lieutenants d'Alexandre, les archéologues qui la redecouvrirent au XIXe siècle, et les voyageurs d'aujourd'hui. Taillée dans la pierre, la « cité rose » fut la capitale monumentale d'un peuple de caravaniers qui s'enrichit dans le commerce de la myrrhe, de l'encens et des denrées précieuses venues de l'Arabie Heureuse. Laissons François Villeneuve nous guider dans les défilés de Petra, et nous présenter les plus récentes découvertes archéologiques qui nous aident à mieux connaître les Nabatéens.

De l'archéologie au tourisme : découverte, notoriété, fascination

Les Nabatéens habitaient le sud du Levant et le nord-ouest de l'Arabie à l'époque hellénistique et romaine. Ils font partie de ceux que les Grecs et les Romains appelaient les « barbares » et que les historiens du monde « classique », à leur suite, considèrent avec un peu de condescendance comme les « peuples périphériques ». Ils sont pourtant bien différents de ces nombreuses peuplades, voisines du monde gréco-romain, que nous ne connaissons en général, et bien peu, que grâce à de brèves mentions des auteurs grecs ou latins, comme les Blemmyes de Nubie, les Garamantes du sud de la Tripolitaine, les Yazyges d'Europe orientale, les Chattes de Rhénanie : tous peuples qui ne sont guère plus pour nous que des noms dans des notices chez Diodore de Sicile, Strabon, Tacite ou Dion Cassius.

Les Nabatéens nous sont beaucoup mieux connus. Ils sont même, de façon remarquablement constante, sous les feux de l'actualité. Popularisés par une page fameuse du Coke en stock d'Hergé, plus récemment par des spots télévisés publicitaires tournés à Pétra, ils suscitent chaque année une abondante littérature savante et de vulgarisation. Fin 2003 a eu lieu à New York, au Museum of

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Natural History, la plus grande exposition de synthèse qui leur ait jamais été consacrée, exposition présentée ensuite à l'Institut du monde arabe à Paris. Cet engouement n'est pas vraiment dépendant des aléas d'un tourisme variable – à destination de la Jordanie, de la Syrie, de l'Arabie Séoudite, d'Israël ou d'Égypte – ou de l'évolution de la situation au Proche-Orient : Pétra a suffisamment de notoriété pour que les Nabatéens fascinent toujours. De même, l'activité archéologique, qu'on pourrait croire dépendante des incertitudes politiques comme des incidences économiques du tourisme, ne cesse de croître, particulièrement depuis le début des années 1990, à Pétra et sur les autres sites nabatéens, modifiant très rapidement ce que l'on savait de cette civilisation.

La fascination qu'exercent les Nabatéens est due au fait qu'ils ont laissé des traces matérielles importantes, parfois explicites, comme leurs monnaies et leurs inscriptions, et presque toujours spectaculaires. Il s'agit avant tout, bien sûr, de Pétra, de nos jours en Jordanie. Ce nom grec, « la Roche », a été repris par les Romains, alors que le nom nabatéen était Reqem, « la Bigarrée » en araméen, un toponyme inspiré par la bigarrure des grès. Petra fut redécouverte dès 1812 par l'explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt puis par l'Anglais William John Bankes : redécouverte, en effet, car elle avait été visitée au Moyen-Âge par le pèlerin germanique Thetmar en 1217 – qui l'identifiait encore comme « Archim », soit Reqem légèrement déformé – et par la caravane du sultan mamelouk Baibars en 1276 – qui ne comprenait rien à ses ruines, où son chroniqueur voulait voir les « maisons des Fils d'Israël ». Mais il s'agit aussi de Bosra, dans le sud de l'actuelle Syrie, certainement la deuxième ville nabatéenne par ordre d'importance ; de Hégra (Meda'ïn Sâlih, aujourd'hui en Arabie Séoudite), une grande nécropole rupestre, mais aussi une ville dont l'importance n'est pas encore évaluée ; des belles bourgades du Negev comme Mampsis, Oboda, Nessana, et encore d'une foule de villages et de sanctuaires ruraux, identifiés, et parfois fouillés, en Jordanie surtout, depuis les années 1930. Nous pouvons donc confronter ces vestiges aux quelques notices détaillées sur les Nabatéens que nous ont transmises des auteurs de langue grecque – car nous ne possédons malheureusement pas pour l'instant de littérature nabatéenne –, et éclairer Pétra par les autres sites qui sont à présent connus.

L'image que nous avons des Nabatéens est désormais assez précise et leur destin apparaît bien particulier : des origines arabes obscures ; puis un petit royaume établi aux marges des États hellénistiques ; puis un important royaume-client en lisière du monde romain à la fin de la République romaine et sous les empereurs Julio-Claudiens et Flaviens ; ensuite, un peuple intégré dans l'Empire romain sans y perdre sa civilisation propre ; enfin, aujourd'hui, une référence importante dans le monde arabe pour les origines de l'arabité. Ce dernier point est parfaitement justifié. En effet, l'inscription datant du IVe siècle ap. J.-C. découverte à Nemara, dans le désert de Syrie, et exposée aujourd'hui au

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Département des antiquités orientales du Louvre, est à la fois l'un des textes les plus tardifs en écriture nabatéenne ou araméenne, et l‘un des plus anciens en langue arabe. C'est ainsi que des savants de plus en plus nombreux pensent que l'écriture nabatéenne a donné naissance, par évolution de la graphie, à l'écriture arabe. Et les fameux papyrus découverts à Pétra en 1993 dans la grande église du VIe siècle montrent que, si les Nabatéens de l'époque byzantine utilisaient le grec pour rédiger leurs archives, ils parlaient l'arabe, puisque les noms de lieu contenus dans ces archives sont des noms arabes.

Jalons chronologiques : d'Alexandre au séisme de 363 ap. J.-C.

On peut dire que rien n'est connu des Nabatéens avant Alexandre le Grand. Leur pays, ou futur pays, est sous domination perse, probablement très lâche. Le pays est quasiment vide, parcouru seulement par quelques groupes nomades ; ses anciens habitants, un peuple sédentaire qui occupait la région de Pétra aux VIIe, VIe et Ve siècles av. J.-C., les Édomites, avaient émigré vers un territoire situé au sud de la Judée auxquels ils ont donné leur nom, l'Idumée. Au IVe siècle, les Nabatéens sont certainement là, du côté de Pétra, mais totalement nomades, et nous ne savons rien d'eux.

Vers 312 av. J.-C., ils sont toujours nomades, mais déjà fort riches. Diodore de Sicile explique qu'à cette date Antigone le Borgne, un des successeurs d'Alexandre, et ses lieutenants, tentent trois opérations militaires pour s'emparer, à Pétra, des richesses des Nabatéens. Il explique cette richesse : si les Nabatéens sont de purs nomades, ils excellent dans les techniques qui permettent de trouver, stocker et cacher l'eau dans le désert ; ils pratiquent le brigandage avec brio ; ils collectent l'asphalte à la surface de la mer Morte pour le revendre ; et surtout ils maîtrisent, grâce à leurs caravanes, le commerce des « aromates » de « l'Arabie Heureuse ». Leurs trésors, ils les stockent sur une « roche » – Pétra. Les trois expéditions d'Antigone sont des échecs retentissants : la « Roche » des Nabatéens, sans doute la butte d'Umm al-Biyârah à Pétra, apparaît imprenable. Cet échec va dissuader les rois hellénistiques de continuer à s'attaquer aux Nabatéens : ceux-ci, indépendants, peuvent peu à peu construire un État, qui va prospérer pendant les siècles suivants aux confins du royaume lagide d'Égypte, du royaume séleucide de Syrie et du désert.

Aux IIIe et IIe siècles av. J.-C., cet État se bâtit et sort peu à peu de l'ombre. Pétra se construit peu à peu et les Nabatéens poussent leurs incursions de plus en plus loin vers le nord, jusque dans la région de Bosra en Syrie. Ils ne tardent pas à se heurter à l'expansion des juifs de Judée conduite par les princes hasmonéens. Au IIe siècle un régime monarchique apparaît constitué à Pétra, avec des rois qui ont pour nom Arétas, Malikou, Obodas, Rabbel, et des reines qui jouent un rôle très important. Dès le début du Ier siècle, ces rois battent

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monnaies. À ce même moment, les royaumes hellénistiques sont en crise générale, pratiquement démembrés par des querelles intestines, et le royaume nabatéen, comme le royaume hasmonéen, atteint sa plus grande marge de manœuvre, en particulier sous le roi Arétas III.

Dans les années 66 à 63, Pompée et les armées romaines conquièrent le Proche-Orient, et une province romaine de Syrie est créée. Comme les conquérants macédoniens deux cent cinquante ans plus tôt, les lieutenants de Pompée s'intéressent de fort près à la richesse des Nabatéens : l'un d'eux, Scaurus, s'empare de Pétra en 58. Mais il s'agit de faire du butin, d'imposer un tribut, et de réduire les Nabatéens en royaume-client de Rome, non pas de l'annexer. De fait, le royaume nabatéen va subsister pour plus d'un siècle et demi encore et prospérer de plus belle, profitant pour son commerce de l'unification du marché méditerranéen sous tutelle romaine.

Ainsi, de l'époque de Pompée à celle de Trajan, Pétra et les Nabatéens connaissent leur apogée. C'est l'époque où sont taillés dans le roc, ou bâtis en pierre, la plus grande partie des monuments de Pétra et de la région ; c'est l'époque des grands rois que sont Arétas IV, au très long règne (8 av. J.-C.- 40 ap. J.-C.), Malikou II et le dernier souverain Rabbel II (70-106 ap. J.-C.). De leurs relations compliquées avec leurs voisins juifs sous la royauté d'Hérode et de ses successeurs, relations faites d'alliances matrimoniales – Hérode est le fils d'une princesse nabatéenne –, de liens financiers et de guerres incessantes, les Nabatéens se tirent plutôt à leur avantage, une fois passé le règne brillant d'Hérode lui-même.

En 106 ap. J.-C., Trajan décide d'annexer le royaume nabatéen, pour constituer la province romaine d'Arabie, avec Bosra pour nouvelle capitale. Si les conditions de cette annexion restent non élucidées – acquisition, voire achat, plutôt que guerre de conquête semble-t-il –, le contexte qui la justifie est bien clair : les Romains ont triomphé trente ans plus tôt de la révolte juive et réduit définitivement la Judée en province romaine et l'annexion du dernier territoire qui manque pour « boucler » la domination romaine du pourtour méditerranéen s'impose avec logique ; de plus, à ce moment, Trajan prépare sa grande offensive contre les Parthes : il doit donc finir auparavant d'organiser rationnellement l'Orient romain.

Si les aristocrates nabatéens disparaissent à ce moment-là, subitement, de l'histoire, il serait tout à fait faux de croire que Pétra périclite ou que la civilisation nabatéenne cesse d'exister. Au contraire, durant les deux siècles et demi qui suivent, les monuments continuent à fleurir et à s'orner, les sanctuaires à s'étendre – à la campagne en particulier, à Khirbat adh-Dharih par exemple, au nord de Pétra –, et la langue nabatéenne à subsister, peu à peu concurrencée par

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le grec pour les usages écrits. Cette période nabatéo-romaine est en vérité la mieux connue par l'archéologie, sinon à Pétra, du moins dans les villages, à Bosra et dans le Negev.

Un coup d'arrêt lui est donné, fort tard, par un cataclysme naturel : au soir du 19 mai 363, un terrible séisme, décrit par une lettre en syriaque, que toutes les fouilles archéologiques confirment amplement, détruit Pétra et la plupart de villes et villages de la région. Certes Pétra s'en relèvera, et les fouilles actuelles montrent que la période byzantine, qui s'étend jusqu'à la conquête musulmane du VIIe siècle, n'y fut pas si médiocre qu'on l'a longtemps cru. Mais c'en est fait désormais de la grandeur de cette ville. Le séisme survenait au moment même où de profonds changements historiques avaient lieu : les guerres et les relations avec la Perse, beaucoup plus au nord, accaparaient l'attention romaine, laissant les questions arabes tout à fait à l'arrière-plan ; la conversion au christianisme commencée au IVe siècle s'y développait activement. Sur ce plan, Pétra et la religion nabatéenne, fortement arabe avec le culte des bétyles, et polythéiste, avec un grand dieu, Dûshara, et une grande déesse, Al-‘Uzza, semble avoir tenté de résister, y compris militairement : mais les Nabatéens furent convertis, avec vigueur et miracles à l'appui, par le thaumaturge Barsauma, dans les années 420, et leurs fameux bétyles furent détruits. Aux Ve et VIe siècles, le monde nabatéen devenu chrétien a perdu, sinon sa population, du moins toute unité administrative politique.

Le peuple nabatéen

Le nom « Nabatéens » dérive de noms anciens, tous similaires et qui semblent désigner tous le même ensemble : nabatu en nabatéen et dans les autres langues araméennes, nabataioi en grec, nabatei en latin, anbat en arabe classique. La signification en est fort discutée. En arabe classique, le verbe nabata signifie « tirer de l'eau d'un puits » ou « creuser un puits », ce qui évoque un point essentiel de la civilisation nabatéenne : la maîtrise de l'eau, dans un environnement le plus souvent subdésertique. Était-ce le nom d'un peuple ? Sans doute celui d'un clan plus important que les autres, qui a ensuite donné aux autres groupes son nom, de façon générique, sans que l'absorption soit totale : au Ier siècle ap. J.-C., Pline l'Ancien donne les noms, dans la région sous contrôle nabatéen située entre Pétra et le Hejaz, d'une douzaine de peuples, dont les Nabatéens eux-mêmes. Y avait-il une « identité nabatéenne » ? C'est probable, puisque, en dehors du royaume nabatéen, à Palmyre par exemple, on a trouvé quelques inscriptions laissées par des personnages qui se définissaient comme « Nabatéens ». À partir de l'époque byzantine, en revanche, le nom « Nabatéens » semble avoir disparu de l'usage – même s'il faut attendre le début du XIXe siècle, semble-t-il, pour que les derniers descendants, chrétiens, des Nabatéens quittent leur dernier village des environs de Pétra. Mais, curieusement, on

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retrouve des « Nabatéens » (Nabat), à l'époque arabe médiévale en Irak, et l'on a conservé de cette époque un important traité arabe d'agronomie, l'Agriculture nabatéenne, écrit à l'origine en syriaque, sans pour autant que le lien – s'il existe – avec les Nabatéens de l'Antiquité soit clair : on peut seulement dire que les « Nabatéens » des sources arabes du Moyen-Âge sont des paysans araméophones de Mésopotamie, parfois chrétiens de tendance nestorienne.

Petra, capitale de la Nabatène

La « Nabatène » est le nom, d'origine latine, que l'on donne au vaste ensemble régional où vivaient les Nabatéens. Le centre géographique et la capitale en est indiscutablement Pétra, ville antique où ont été identifiées des données archéologiques allant de l'époque édomite, antérieure aux Nabatéens (VIIe-VIe siècle av. J.-C.) jusqu'à l'époque omeyyade (VIIe siècle ap. J.-C.). Après l'époque omeyyade ce site est presque complètement abandonné, à l'exception d'un monastère au mont Aaron, et d'une réoccupation par les Croisés de deux forteresses, aux lieux-dits Al-Habîs et Wueira. La ville antique, nabatéenne, a connu un apogée manifeste entre le Ier siècle av. J.-C. et 363 ap. J.-C. On admire à bon escient la splendeur de ses façades rupestres mais il faut tout autant s'étonner du choix d'un pareil site pour implanter une ville, et qui plus est la capitale d'un royaume notoirement caravanier : entre le plateau calcaire à l'est de Pétra et la dépression de la Arabah, au sud de la mer Morte, à l'ouest, la dénivellation, en quelques kilomètres à vol d'oiseau, est de plus de 1200 mètres. Les grès nubiens où Pétra est installée sont profondément ravinés, créant une alternance de rares sommets plans, de parois abruptes, de vallées et défilés étroits, autour d'une « cuvette » centrale au relief tout de même très agité. Les circulations à l'intérieur de la ville sont donc d'une difficulté extrême. Les possibilités de liaison avec l'extérieur sont misérables : difficiles vers le nord, l'est et le sud, elles sont tout simplement impossibles vers l'ouest, en direction du Negev et de la Méditerranée. Pétra n'était donc pas prédisposée à être un carrefour caravanier – même si elle l'est devenue, au prix de voies de contournement passablement longues. En revanche, ce site a sûrement été choisi par les Nabatéens de haute époque pour ses avantages inhérents à ses défauts : cachée, inaccessible, hors des voies naturelles de passage, pourvue de buttes-refuges aux parois vertigineuses, comme Umm al-Biyârah ou Al-Habîs, Pétra offrait de remarquables possibilités défensives ; c'était une bonne cache pour des tribus qui s'enrichissaient par le commerce caravanier et pratiquaient à l'occasion le rezzou. En outre, elle disposait de possibilités en eau : grâce au cours du Wadi Moussa – qui sera plus tard « li Vaulx Moyse » des Croisés –, et grâce à une pluviosité relativement favorable, en général supérieure à 200 mm d'eau par an, dans la région environnante, ce qui est assez exceptionnel dans le sud du Levant intérieur. Cela, à condition de développer méticuleusement canalisations et citernes, ce que les Nabatéens firent de main de maître.

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Ils le firent non seulement à Pétra, mais dans tout l'environnement nord et sud de la ville, ce qui leur permit de faire, sans doute dès les IVe-IIIe siècles av. J.-C., du petit pays qui s'étend du Wadi al-Hasa au nord jusqu'à la dépression du Hisma au sud, le cœur relativement fertile de leur territoire, la Nabatène.

Frontières et zones d'influences

Mais, partant de ce centre, l'emprise des Nabatéens, politique et militaire d'une part, culturelle d'autre part, s'étendit de façon considérable, jusqu'à atteindre, dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C., des limites considérables.

Au nord, cette emprise atteint la ville de Damas, incluse, prise en 83 av. J.-C. par le roi nabatéen Arétas III, qui l'arracha au roi séleucide Antiochos XII et la conserva quelques années. Ensuite, la frontière nord fut ramenée un peu au nord de Bosra, mais les Nabatéens gardèrent sûrement une présence et une influence à Damas. En témoigne, encore à la fin des années trente ap. J.-C., l'épisode de la fuite de l'apôtre Paul hors de Damas : « À Damas, l'ethnarque du roi Arétas [IV] faisait garder la ville pour m'arrêter. Mais, par une fenêtre, on me fit descendre dans une corbeille le long de la muraille et j'échappai à ses mains » (II Corinthiens, 11, 32). Cet « ethnarque » était le chef de la communauté nabatéenne de Damas, où il était visiblement puissant. Son hostilité à Paul pourrait s'expliquer par une tentative, très mal connue, faite par l'apôtre, peu de temps auparavant, pour évangéliser le grand voisin de la Judée, la Nabatène, tentative fort mal reçue par le roi Arétas.

À l'est, dans la steppe subdésertique du Hamad et du Harra, les frontières étaient naturellement floues, mais les postes nabatéens s'avançaient loin dans le désert, particulièrement loin le long des wadis – itinéraires caravaniers naturels – où les Nabatéens imposaient ponctuellement leur autorité aux pasteurs nomades de cette époque, lesquels nous ont laissé des milliers d'inscriptions en langues safaïtique et thamoudéenne.

Au sud, le pouvoir nabatéen étendait son emprise jusque dans le nord du Hejaz, à coup sûr jusqu'à Hégra, mais peut-être pas plus loin, car Al-‘Ula, l'antique Dedan, ne semble pas avoir jamais été nabatéenne. Ici, les choses ne sont cependant pas assurées car il n'est pas exclu que les Nabatéens aient sécurisé, par des postes militaires plus méridionaux, leurs pistes caravanières vitales en direction de Najran puis du royaume de Qataban, dans l'actuel Yémen. De plus, la localisation du principal port nabatéen en mer Rouge, sur la côte de l'Arabie, Leukè Kômè, ou « Port Blanc », en grec, reste jusqu'à maintenant un sujet d'interrogations.

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À l'ouest, le territoire nabatéen englobait la totalité du Negev, limitrophe de l'Idumée juive au nord, maîtrisa parfois Gaza, et dominait tout le Sinaï. Au Sinaï, montagneux et désertique dans sa plus grande partie, la présence nabatéenne était surtout active dans le nord, avec des haltes caravanières sur les pistes vers l'Égypte, comme Qasr Gheit, et le port de Rhinocolure (aujourd'hui Al-Arish) sur la Méditerranée. La frontière avec l'Égypte des Ptolémées se situait un peu à l'est du grand port de Péluse.

Au nord-ouest enfin, dans des contrées nettement plus peuplées, les frontières étaient plus nettes, plus disputées aussi, avec les territoires juifs et avec ceux de quelques cités qui se considéraient grecques. Si la mer Morte a durablement formé une frontière commode et rarement contestée avec la Judée, en revanche, plus au nord, la possession des bonnes terres bien arrosées du nord-ouest transjordanien et du Golan fut une pomme de discorde constante. Madaba fut toujours nabatéenne, Philadelphia (Amman) le fut parfois, Gerasa (Jerash) presque jamais et, dans le Golan, les conflits furent particulièrement fréquents avec les juifs sous Hérode le Grand et ses successeurs. Il est clair en tout cas que dans ces secteurs les Nabatéens ne faisaient guère, quand ils le pouvaient, qu'imposer leur domination à des villes et des villages de population non nabatéenne. Il est clair également que les Nabatéens ne parvinrent jamais à tenir durablement ces beaux districts aux abords orientaux du lac de Tibériade.

Ce vaste territoire était très disparate en termes de ressources et de population. Parmi d'immenses zones de steppes et de déserts parcourues par les pasteurs et les chameliers et plus ou moins tenues par des postes militaires, quatre zones de peuplement sédentaire plus denses, et donc de vestiges archéologiques nombreux, sont remarquables : la Nabatène propre, autour de Pétra ; le Hauran basaltique dans le Sud syrien, autour de Bosra ; le nord du Negev ; enfin, de façon plus discontinue, le nord du Hejaz.

Le grand commerce caravanier

Peuple caravanier et commerçant, les Nabatéens ont laissé bien des traces de leur passage, de leurs relations économiques ou de leur présence en dehors de leur territoire. Ces traces sont essentiellement de quatre types : leurs monnaies, de bronze, d'argent et d'or, émises par le pouvoir royal nabatéen aux Iers siècles av. et ap. J.-C. ; les inscriptions, écrites en nabatéen (du IIe siècle av. J.-C. au IVe siècle ap. J.-C.) ou témoignant en grec ou en latin d'une origine nabatéenne ; leurs poteries de luxe, tout à fait originales, produites à Pétra surtout (jusqu'au VIe siècle ap. J.-C. pour les ateliers les plus tardifs) et caractérisées par un décor floral géométrisé peint en rouge sur des vaisselles claires très fines à l'argile remarquablement épurées ; leurs monuments architecturaux, souvent

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identifiables par des chapiteaux très typiques, sortes de chapiteaux corinthiens qu'on pourrait croire inachevés où les volutes d'acanthe seraient de simples « cornes » tronquées.

La seule direction vers laquelle les Nabatéens ne semblent pas s'être dirigés est la Mésopotamie, sans doute parce que, dès le Ier siècle av. J.-C. au plus tard, les Palmyréniens contrôlaient le commerce avec cette zone. En revanche, on trouve en abondance la trace des Nabatéens vers le sud, le long des pistes vers Najran et le Qataban, en particulier à Qaryat al-Faw, où une grande fouille séoudienne est en cours. Vers l'ouest, les Nabatéens avaient des établissements dans le delta égyptien. À Jérusalem, leurs productions de poteries ont été brièvement imitées. Vers le nord, leur monnayage irrigua un temps la Syrie, et l'on a trouvé leurs monnaies jusqu'à Antioche, tandis qu'ils marquaient culturellement par leurs monuments religieux les zones du Hauran qu'ils ne contrôlaient pas politiquement. En Méditerranée, ils possédaient des comptoirs dans plusieurs îles et villes : ainsi à Cos, à Kourion et Amathonte en Chypre, et bien sûr en Italie, où ils avaient une petite communauté florissante à Pouzzoles, le grand port d'approvisionnement de Rome jusqu'au règne de Trajan.

Aucune de ces communautés expatriées, cependant, ne semble avoir été très nombreuse. D'autre part, grands caravaniers, ils n'étaient à l'évidence pas grands marins. Aussi bien en Méditerranée qu'en mer Erythrée – l'ensemble mer Rouge et océan Indien des Anciens – ils semblent s'être déchargés sur d'autres, les navigateurs grecs en particulier, de l'import-export par voie de mer. Ainsi s'explique, par exemple, qu'on ne connaisse pas à ce jour de comptoirs nabatéens dans les ports de la côte sud de l'Arabie, de l'Oman ou de la côte occidentale de l'Inde.

Mais qu'était ce fameux grand commerce caravanier, spécialité et fond de commerce des Nabatéens ? Nous le connaissons relativement bien par l'archéologie, qui a permis de découvrir nombre d'étapes caravanières donc de connaître les pistes sans trop d'erreur, mais aussi grâce à quelques textes très explicites chez les grands compilateurs de langue grecque que sont Diodore de Sicile et Strabon à la fin de la république romaine et sous Tibère, et grâce au Périple de la mer Erythrée, une sorte de guide de navigation en mer Rouge et dans l'océan Indien, rédigé en grec vers 50 ap. J.-C. Les Nabatéens assuraient la jonction par voie de terre, par caravanes de dromadaires, entre océan Indien et sud de la mer Rouge d'une part, et la Méditerranée d'autre part, à une époque où la navigation dans le nord de la mer Rouge, difficile, était peu pratiquée. La région de Pétra jouait le rôle de plaque tournante. Elle était liée aux ports de Gaza et Rhinocolure par un réseau de pistes traversant le nord du Negev, et aux ports de la côte sud de « l'Arabie heureuse » (l'actuel Yémen), par une grande piste qui relie Pétra, Hégra, Najran et Tamna'. La Nabatène centrale était aussi

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reliée à d'autres régions par des routes peut-être moins vitales : à la Syrie via Bosra et au golfe Arabo-Persique où une route majeure arrivait à Gerrha, un port encore non localisé.

Quels produits transitaient par ces caravanes ? On aurait tort d'oublier, en premier lieu, les produits propres qu'exportait la Nabatène : l'asphalte de la mer Morte, si important pour tous les travaux d'étanchéité ; le suc des baumiers qui poussaient près de la mer Morte ; et un certain nombre de produits manufacturés, poteries à décor peint, flacons à onguents – et peut-être les onguents eux-mêmes, peut-être fabriqués à Pétra à partir de matières premières pharmaceutiques importées de l'Arabie Heureuse. Mais le plus important des plus-values était réalisé sur des produits importés et réexportés. Dans le sens est-ouest, vers la Méditerranée et Rome, il s'agissait surtout des « aromates », un terme générique des Anciens pour désigner d'une part des résines, d'autre part des épices. Les résines – à usage de fumigations sacrées, de parfumerie, de préparations pharmaceutiques – étaient collectées dans certaines zones de l'Arabie heureuse, notamment dans l'Hadramaout : la myrrhe et l'encens – qui n'existent que là, et dans la corne de l'Afrique –, le labdanum, toutes sortes de gommes. D'autres produits venaient de l'Inde, et étaient débarqués dans les ports de l'Arabia Felix : toutes sortes d'épices, comme le poivre long et la cannelle. Pour d'autres encore, c'est les ports occidentaux de l'Inde qui servaient de premiers centres de redistribution : ainsi le lapis-lazuli du Pamir, ou le nard du Cachemire. Toutes ces denrées, une fois parvenues sur les marchés de la Méditerranée, atteignaient des prix très élevés. En sens opposé, vers l'Inde, les Nabatéens se chargeaient de convoyer, de Gaza ou Rhinocolure vers les ports du Yémen, des métaux précieux – souvent sous la forme de paiement en monnaies –, des lingots de verre, des produits manufacturés de luxe, en céramique, métal, et verre.

La fin d'un monopole

Dès que la bataille d'Actium (31 av. J.-C.) eut rendu l'Empire romain maître de l'Égypte, les autorités romaines s'intéressèrent naturellement de près à ces routes, pour en prendre partiellement le contrôle au détriment des Nabatéens. Dans les années vingt av. J.-C., Auguste confia à Aelius Gallus une mission de reconnaissance en mer Rouge et sur les routes caravanières de l'ouest de la péninsule Arabique. Il lui fallut naturellement s'appuyer sur les Nabatéens, maîtres des lieux au nord et connaisseurs des itinéraires plus au sud. Ceux-ci, conscients certainement du danger, s'arrangèrent, sous la direction de Syllaios, un haut personnage de Pétra, pour que l'expédition romaine fût un fiasco, décimée par la faim et la soif. Mais la reconnaissance des lieux était faite et les Romains ne tardèrent pas à mettre en place une autre route commerciale, par eux contrôlée : d'Alexandrie à Coptos par le Nil ; de Coptos aux ports égyptiens de

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la mer Rouge par un bref tronçon caravanier ; et de ces ports vers ceux de l'Arabie Heureuse et de l'Inde par voie de mer. Dès le tournant de l'ère chrétienne, les Nabatéens perdirent donc leur position de monopole sur le grand commerce Est–Ouest, et leur route caravanière se trouva rudement concurrencée, dans le même temps où, plus au nord, les Palmyréniens développaient rapidement un autre itinéraire, des ports méditerranéens de la Syrie vers Emèse, Palmyre, l'Euphrate, et de là le golfe Arabo-Persique. Il serait cependant erroné de penser que l'activité caravanière des Nabatéens s'effondra alors : son déclin fut très lent, du Ier au IIIe siècle ap. J.-C. sans doute. Ainsi, en 106 ap. J.-C., après l'annexion romaine, les monnaies romaines émises pour célébrer l'annexion représentent encore l'Arabie – la Nabatène – comme une grande figure debout, avec un dromadaire à côté d'elle, et à son bras un faisceau de calami odorati, des sortes de baguettes d'encens. Au demeurant, les Nabatéens avaient accumulé durant les siècles précédents une telle richesse que c'est aux Ier et IIe siècles ap. J.-C. que leur activité monumentale, à Pétra, Hégra et ailleurs, atteignit son apogée. Pour maintenir ce niveau de richesse, ils opérèrent en outre une conversion progressive en direction des activités agricoles : la Nabatène centrale, le Negev, le Hauran passèrent ainsi, au Ier siècle et plus encore après l'annexion romaine, de l'état de zones sous-peuplées à celui de riches régions agricoles, grâce à des techniques d'épierrement, de rétention des sols et de maîtrise de l'eau extrêmement méticuleuses : céréaliculture dans le Hauran, oléiculture dans la région de Pétra, viticulture dans le Negev.

L'art et la religion

Dans cette esquisse historique, nous avons dû laisser de côté l'art, les tombeaux, la religion, pour lesquels le lecteur se reportera à sa visite de Pétra ou à la bibliographie qui suit. Qu'il suffise de dire qu'à travers eux se manifeste, de façon très claire, l'histoire même des Nabatéens. Le fondement, l'origine, en est arabe, nomade : les tombeaux purement nabatéens sont de très simples monuments, comme on en rencontre des centaines sur les parois rocheuses de Pétra, tours basses pratiquement sans décor, où les défunts sont enterrés dans de simples fosses, sans bijoux ni mobilier funéraire. La religion est faite de dévotion à des dieux anonymes, honorés sous forme de stèles de pierre sans aucune image, les bétyles, placés sur des bases plus ou moins monumentales, les môtabs. L'art, dans le principe, répugne fortement à toute représentation d'êtres animés – dieux, hommes, animaux –, au point que l'on a pu parler d'une iconophobie nabatéenne et chercher dans l'histoire de ce peuple des épisodes d'iconoclasme. Cet art est en revanche vigoureusement décoratif, à base de motifs végétaux et géométriques – comme dans l'art islamique, dont il apparaît comme un antécédent –, surabondants, parfois omniprésents, à tel point qu'on a pu le qualifier de « baroque arabe ». Mais, d'un autre côté, placés par leur

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histoire et leur commerce en relations avec l'Égypte et la Syrie hellénistiques et avec le monde parthe, puis avec Rome, puis à l'intérieur même du monde romain, les Nabatéens ont été au plus haut point influencés par l'art, les religions et les civilisations du monde environnant. L'influence la plus forte fut sans conteste celle de l'Égypte grecque puis romaine, terminus naturel des caravanes nabatéennes sur la Méditerranée. Les grands tombeaux royaux et aristocratiques et les sanctuaires du centre ville de Pétra sont ainsi, au Ier siècle av. J.-C. et aux deux premiers siècles ap. J.-C., l'une des manifestations les plus éclatantes de l'art hellénistique tardif et de l'art impérial romain – un art plaqué, certainement, sur une civilisation qui restait profondément arabe et qui ne tarderait pas, quelques siècles plus tard, à ressurgir, plus au sud, du côté de La Mecque, débarrassée, non sans mal, des bétyles, que les pèlerins musulmans du hajj lapident, jusqu'à nos jours, comme ils maudissent les « trois déesses », Allât, Manât et Al-‘Uzza, toutes trois nabatéennes.

François Villeneuve

Langue et écriture nabatéennes

Laïla NehméChargée de recherche au CNRS

Le nabatéen, langue des habitants de Pétra et du royaume nabatéen – IVe siècle av. J.-C.- IIe siècle apr. J.-C. –, appartient à la famille linguistique du sémitique du Nord-Ouest, dont font également partie, pour ne citer que quelques langues, l'ougaritique, le phénicien, l'hébreu et l'araméen ; comme le palmyrénien de l'oasis nord-syrienne, il est d'ailleurs l'une des variantes dialectales de l'araméen, langue bien implantée dans la région depuis l'époque néoassyrienne et devenue langue administrative et diplomatique à partir de l'époque perse achéménide, au VIe siècle av. J.-C. L'écriture nabatéenne est donc, naturellement, l'une des formes prises par l'écriture araméenne au cours de son évolution… Laïla Nehmé nous explique les caractéristiques de cette langue complexe, dont nous restent quelque six mille inscriptions au Proche-Orient.

Remarque liminaire : en raison de problèmes techniques liés à la saisie des caractères diacrités, les points, traits ou autres signes diacritiques identifiant les lettres qui n'existent pas dans l'alphabet latin ne sont pas placés sous ou sur la lettre, mais après elle ; ainsi : h. = h pointé en dessous. Par ailleurs, deux caractères soulignés doivent être lus ensemble ; par exemple, sh de shlt. wn doit être lu « ch » et non « s » suivi de « h ».

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Les milliers de documents épigraphiques nabatéens et les quelques textes à l'encre prouvent, sans conteste, que les Nabatéens écrivaient en araméen, mais les savants s'accordent généralement pour penser qu'ils parlaient une certaine forme d'arabe archaïque qui n'a survécu sous forme écrite que dans quelques inscriptions tardives, des IIIe et IVe siècles de notre ère, en caractères nabatéens mais en langue arabe. Il est certain que les Nabatéens, originaires d'Arabie, portent souvent des noms propres d'étymologie arabe et on peut déceler, surtout dans les régions méridionales de la Nabatène, une influence certaine mais limitée de l'arabe dans le vocabulaire. Ces arguments ne permettent cependant pas de tirer de conclusions définitives quant à la langue parlée par les Nabatéens. On pourrait utiliser, comme contre-argument, les nombreux graffitis, en fait des signatures individuelles, écrits spontanément en araméen par des personnages ordinaires. La plupart obéissent toutefois à un formulaire assez stéréotypé, comprenant seulement quelques variantes, où les éléments proprement araméens peuvent être considérés, par leurs auteurs arabophones, comme des éléments d'une formule toute prête, apprise et simplement reproduite.

Une langue étudiée scientifiquement depuis le XIXe siècle

Les inscriptions écrites sur les rochers du Sinaï dans une variante de nabatéen très proche de celui de Pétra, la capitale du royaume, sont connues depuis le XVIIe siècle par les récits de voyageurs européens et ont fait l'objet d'interprétations plus ou moins heureuses. Il faut cependant attendre 1818 pour que la première inscription de Pétra soit copiée par le voyageur anglais W. J. Bankes qui a immédiatement noté, dans son journal encore inédit, des similitudes avec les graffitis qu'il avait copiés trois ans plus tôt dans le Sinaï. C'est à un savant allemand, E. Beer, que revient le privilège d'avoir suggéré, dans une publication, l'hypothèse d'un lien entre les graffitis sinaïtiques et les Nabatéens. C'est également à lui que l'on doit le déchiffrement de vingt lettres de l'alphabet sur vingt-deux, et la lecture d'un premier lot de 148 inscriptions. En 1860, après la publication de plusieurs nouvelles inscriptions nabatéennes, M. A. Levy a enfin montré qu'il existait un rapport entre les graffitis du Sinaï, les inscriptions de Pétra et celles du Hawrân en Syrie du Sud. Le lien entre les inscriptions et les personnes qui les ont gravées était donc définitivement tracé. Trente ans plus tard, certaines des inscriptions copiées par Ch. Doughty en Arabie du Nord-Ouest ont immédiatement été identifiées comme étant écrites dans un alphabet très proche de celui qui était alors appelé « nabatéen ».

Une écriture consonantique

Comme de nombreuses autres langues sémitiques, le nabatéen s'écrit de droite à gauche à l'aide d'un alphabet de vingt-deux lettres parmi lesquelles dix-huit sont utilisées exclusivement comme consonnes, et quatre alternativement comme

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consonnes et comme voyelles. Ces dernières sont connues sous le nom de matres lectionis car elles sont une aide précieuse à la lecture. Comme en arabe, il existe deux catégories de voyelles, des brèves et des longues. Les premières ne sont pas notées dans l'écriture nabatéenne tandis que les secondes le sont, dans certaines positions seulement pour le a long, par les quatre lettres qui peuvent être soit voyelles soit consonnes, c'est-à-dire le', le h, le y et le w. Ainsi, le mot dkyr, « que soit commémoré », se lit dekîr et le mot shlt. wn, « commandement » se lit shilt. ûn. Cette notation limitée des voyelles fait de l'écriture nabatéenne une écriture dite consonantique : les mots y apparaissent comme une succession de consonnes, les voyelles étant instantanément restituées au fur et à mesure de la lecture du texte. Les ouvrages de référence ou livres pour enfants en arabe et en hébreu, aujourd'hui vocalisés, ne dérogent pas à cette règle. La vocalisation, ajoutée aux caractères sous la forme de points diacritiques, petits traits, points ou autres, est en effet un phénomène tardif daté seulement du VIIIe siècle.

Conventionnellement, l'ordre des vingt-deux lettres est celui de l'alphabet hébraïque, soit '(aleph), b (bet), g (guimel), d (dalet), h (hé), w (waw), z (zain), h. (het), t. (tet), y (yod), k (kaph), l (lamed), m (mem), n (nun), s (samek), ‘ (‘ain), p (pé), s. (tsadé), q (qoph), r (resh), sh (shin), t (taw). Les phonèmes que représentent ces caractères sont décrits d'une part d'après les différentes parties de la bouche qui sont sollicitées pour les prononcer – les labiales étant prononcées avec les lèvres, les laryngales dans le larynx… – et d'autre part d'après le type de son qu'ils produisent. Cinq phonèmes, le', le h., le t., le ‘ et le s. n'ont pas d'équivalent dans l'alphabet latin. Le' est une glottale (prononcée avec la glotte) occlusive et correspond à une attaque vocalique simple en français, quelle que soit la voyelle qui suit, comme la première voyelle dans « arbre, objet, unité ». Le h. et le ‘ sont des laryngales, la première sourde et articulée avec une forte pression interne du larynx, la seconde sonore et ressemblant au cri du chameau, toutes les deux étant quasiment imprononçables pour des francophones. Le t. est une occlusive sourde articulée emphatiquement avec le dos de la langue, une sorte de t prononcée avec le palais plutôt qu'avec les dents. Le s. enfin est une sifflante emphatique. On peut rappeler qu'un son occlusif provient du déclenchement ou de l'arrêt brusque de l'écoulement de l'air. Un phonème sourd – contraire : sonore – est un phonème dont l'articulation ne fait pas vibrer les cordes vocales, comme le k, le f et le s français.

Une langue qui, comme l'arabe et l'hébreu, fonctionne sur le principe des racines

Une racine est une combinaison de consonnes, presque toujours trois, qui expriment une notion très générale. La racine KTB exprime ainsi l'idée d'écrire, tandis que PSL exprime celle de sculpter. Les différents sens dérivés de ces notions générales, qu'il s'agisse de verbes ou de substantifs, ont tous un squelette commun formé de ces trois consonnes. Les sens dérivés sont formés par l'ajout

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de préfixes, de suffixes, d'infixes (au milieu du mot) et de voyelles, selon des schèmes définis à l'avance. Ainsi, en nabatéen, la racine KTB a donné les dérivés suivants (les ajouts sont en minuscule) :KeTaB : « il a écrit », 3e personne du singulier de l'accompli ;KiTBet : « j'ai écrit », 1ère personne du singulier de l'accompli ;yiKTaB : « il écrit », 3e personne du singulier de l'inaccompli ;KâTeB : « le scribe », participe actif ;KeTîB : « écrit », participe passif.

On pourrait donc, en théorie, placer tous les mots nabatéens dans un tableau où les lignes seraient occupées par les racines et les colonnes par les schèmes, nominaux ou verbaux. L'existence de schèmes communs à de nombreuses racines permet de donner à l'ensemble des mots dérivés de ces racines une ressemblance phonétique qui les rend immédiatement identifiables. Par exemple, Kâteb, « scribe », Pâsel, « sculpteur », QâRe', « lecteur », présentent tous l'alternance â/e indiquant le schème du nom d'agent. De plus, comme nous l'avons vu avec les dérivés de KTB, l'usage des racines rend immédiatement identifiables tous les mots qui font référence à un même sens fondamental.

Un système original de conjugaisons et déclinaisons

Pour ce qui est de la conjugaison, le nabatéen connaît plusieurs modes mais deux temps seulement : un accompli, qui sert à décrire toutes les actions passées, et un inaccompli, pour toutes les actions présentes et futures – ce qui pourrait simplifier les conjugaisons, si elles n'étaient rendues plus ardues qu'en français par l'existence de schèmes verbaux qui modifient le sens premier du verbe. Ainsi, la racine QTL, qui signifie « tuer », a un schème dit intensif QT [T] L qui signifie « tuer beaucoup, massacrer » – pour simplifier les choses, le second t n'est pas noté dans la graphie nabatéenne ! –, un thème causatif haQTeL : « il a fait tuer », un schème réfléchi hitQeTeL : « être tué »…

Une autre caractéristique originale du nabatéen, qu'il partage avec d'autres langues sémitiques, est l'existence de trois états du nom. L'état absolu est l'état des noms indéfinis : « un chat » – ce qui correspond à la forme nue du nom. L'état emphatique est l'état des noms définis par l'article, ce dernier étant noté en nabatéen par un aleph postposé, c'est-à-dire placé à la fin du mot. Ainsi, QBR signifie « un tombeau », tandis que QBR' signifie « le tombeau ». Il existe enfin un troisième état, dit construit ou état en rapport d'annexion, qui est celui des noms suivis d'un complément du nom. En français, cette relation nom/complément du nom est exprimée par une préposition, par exemple « la maison de l'homme ». En nabatéen, elle s'exprime sans préposition : « maison homme », mais le mot maison revêt une forme particulière – souvent, mais pas toujours, identique à l'état absolu. Ainsi, le pluriel de GWH., « fosse » est GWH.

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YN ; mais le pluriel construit de GWH. est GWH. Y, avec chute du N, l'expression GWH. Y QBR' signifiant « les fosses du tombeau ». Ce système permet de reconnaître d'emblée le caractère déterminé, indéterminé ou en rapport d'annexion d'un mot dans une phrase.

On connaît environ six mille inscriptions nabatéennes trouvées en Syrie, en Jordanie, en Arabie, d'Égypte, au Néguev et au Sinaï. La plus ancienne, datée du début du Ier siècle av. J.-C., provient de Pétra, la plus récente, de 355 apr. J.-C., se trouve à Hégra en Arabie, et il y en a quelques-unes dans les îles grecques et en Italie. Aux inscriptions, il convient d'ajouter quelques papyri trouvés dans des grottes situées non loin de la mer Morte, écrits à l'encre dans une cursive apparentée à l'écriture sur pierre, quelques textes peints sur stuc et, enfin, quelques autres écrits à l'encre sur des ostraca – tessons de céramique – et des galets. Ces textes sont en grande majorité – environ 90 % – des signatures, les 10 % restants étant principalement des dédicaces et des épitaphes, tandis que les papyri sont des contrats privés. Le nabatéen n'a livré ni textes littéraires ni annales royales ou archives administratives. La question de savoir si toutes les régions où ont été retrouvées des inscriptions nabatéennes en assez grand nombre, comme le Sinaï, faisaient partie du territoire nabatéen au sens politique du terme est l'objet d'un débat qui dépasse le cadre de cette brève présentation. En effet, l'organisation territoriale de la Nabatène, avec pour corollaire le mode de domination, de contrôle ou tout simplement de fréquentation d'un territoire qui s'est étendu de Damas à l'Arabie, reste encore mal connue.

Laïla Nehmé