Narcisse et les licornes. Magie noire et “amour-propre ... · Narcisse et les licornes. Magie noire et amour-propre dans l’ Astrée Jean-Yves Vialleton, « Éloge de Climanthe

Narcisse et les licornes. Magie noire et amour-propre dans l’Astrée

Narcisse et les licornes. Magie noire et “amour-propre” dans

l’Astrée d’Honoré d’Urfé



François Spierincx, Urgande présente la lance à Amadis (1590-1595)


Galathée victime du faux magicien Climanthe

Gravure de Michel Lasne (1590-1667), L’Astrée, I, 5, 1632-1633.

Source des gravures de ce diaporama :

http://utpictura18.univ-montp3.fr/




Jean-Yves Vialleton, « Éloge de Climanthe : le motif du miroir dans L’Astrée comme emblème de l’œuvre »

dans D. Denis dir., Lire L’Astrée, Paris, PUPS, coll. « Lettres françaises », 2008, p. 125-133.

Le secret des licornes. Magie noire de l’amour-propre dans l’Astrée

« Assez près de là dans un autre carré, était la fontaine de la vérité d'amour, source à la vérité merveilleuse ; car, par la force des enchantements, l'amant qui s'y regardait, voyait celle qu'il aimait, que s'il était aimé d'elle, il s'y voyait auprès, que si de fortune elle en aimait un autre, l'autre y était représenté et non pas lui, et parce qu'elle découvrait les tromperies des amants, on la nomma la vérité d'amour. » (I, 2)


« il nomma [la fontaine] vérité d'amour, parce que qui aime, s'il y regarde, il voit sa dame, et s'il en est aimé, il s'y voit auprès, ou bien celui qu'elle aime ; que si elle n'aime rien, elle paraît toute seule. » (I, 11)


« Tout ainsi que les autres eaux représentent les corps qui lui sont devant, celle-ci représente les esprits. Or l'esprit qui n'est que la volonté, la mémoire et le jugement, lorsqu'il aime, se transforme en la chose aimée ; et c'est pourquoi lorsque vous vous présentez ici, elle reçoit la figure de votre esprit, et non pas de votre corps. » (I, 3)


« L’amant se transformeen l’aimé » (I, 6)


Double enchantement

● Sort de métamorphose (tombe changée en fontaine de vérité d’amour)

● Sort d’inaccessibilité (fontaine gardée par des lions et des licornes)


« L'enchantement ne peut finir qu'avec le sang, et la mort du plus fidèle amant, et de la plus fidèle amante, qui fût oncques en cette contrée. » (III, 2)


Le serpent de l’Astrée, ce n’est pas Eros, “c’est le doute”

(E. Henein, op. cit. p. 135)


Le Guerchin (1591-1666), Et in Arcadia ego, (1618-1622), huile sur toile, Rome, Galerie nationale d'art ancien


La fontaine du paradis

“Je donnerai gratuitement à boire de la source d’eau vive à celui qui aura soif.” Frères van Eyck, Polyptique de l’Agneau mystique, Gand

Apocalypse, 21, 6


Nicolas Poussin (1594-1665), Et in Arcadia ego (1628-1630), Chatsworth House (Royaume-Uni). Première version.

Nicolas Poussin (1594-1665), Et in Arcadia ego (1638-1640), Musée du Louvre. Seconde version


« Moi aussi, j’ai vécu en Arcadie où vous vivez aujourd’hui : moi aussi j’ai connu les plaisirs que vous connaissez aujourd’hui et cependant je suis mort et enseveli dans ce tombeau. »

Erwin Panofsky, « Et in Arcadia ego. Poussin et la tradition élégiaque », dans L’Œuvre d’art et ses significations, trad. Marthe et Bernard Teyssèdre, Gallimard, 1969.


La source de vie :symbole du paradis chrétien

Le tombeau : symbole du paradis pastoral

“La vérité d’amour”


« Ainsi, gentil berger, nous avons perdu la commodité de cette fontaine, qui découvrait si bien les cachettes des pensées trompeuses. » (I, 3)


« Pour sortir de tant de peine,Dedans les forêts, un jour,Vous pourrez voir la fontaineDe la vérité d'amour. »

(III, 4)


« Et d'autant que la vertu de la fontaine lui venait par les enchantements d'un magicien, Mandrague qui a surmonté en cette science tous ses devanciers, la lui put bien ôter pour quelque temps. » (I, 11) Grotte de la Bastie

d’Urfé, détail


« Son père ne s'en aperçut point, soit que les charmes de la magie ne puissent rien sur les charmes d'amour, ou soit qu'attentif à ses études, il ne jeta point l'œil sur elle. » (I, 11)


« Car aussitôt qu'il sut qu'elle usait de charmes et de magie, il crut que toute l'affection qu'il lui avait portée n'était procédée que de la force des démons, et non pas de beauté ni de mérite qui fût en elle, et dès lors en prit une si grande horreur, qu'il s'en retira plus vite qu'il ne s'en était pas affectionné ; et depuis, quand il en parlait, il ne la nommait plus Adelonde, mais sa Circé et sa Médée. » (III, 4)


« Belle Léonide, je conseillerais toujours à ceux qui sont en doute de leur bien, ou de leur mal, qu'ils hasardent quelquefois d'en savoir la vérité ; mais ne serait-ce folie à celui qui n'a jamais pu concevoir aucune espérance de ce qu'il désire, de rechercher une plus sûre connaissance de son désastre ? » (I, 3)


« – Jamais nous ne recourons à la fontaine dont vous parlez, pour connaître la volonté de ceux qui nous servent, ayant un moyen beaucoup meilleur et plus assuré.– Et quel est-il, dit incontinent l'étrangère, afin que l'un me défaillant, je puisse recourre à l'autre ?– C'est, répondit Astrée, le temps et les effets. » (III, 2, p. 55)


Le temps, ce ‘hardi et savant chirurgien”

(H. d’Urfé, Epîtres morales)


« D'autant que les esprits qui sont d'un genre supérieur aux hommes, sont tellement puissants, qu'un seul pourrait par sa propre puissance ruiner tout l'univers, si le grand Tautatès pour la conservation des hommes ne les en empêchait. Or ces esprits, par les conventions qu'ils font avec ces hommes qui se nomment magiciens (quoi que ce nom soit trop honorable pour eux), s'obligent si étroitement à exécuter ce qu'ils promettent, qu'il n'y a force humaine qui les en puisse empêcher. »

(III, 2)


La fontaine de Narcisse

Le Caravage, Narcisse, 1598-1599


François de Sales(1567-1622)

« L’amour-propre ne meurt jamais qu'avec notre corps : il faut toujours sentir ses attaques sensibles ou ses pratiques secrètes, tandis que nous sommes en cet exil. »

François de Sales, lettre CLXXX du 7 juillet 1610)


François de Sales

(1567-1622)

L’amour est « un mouvement continuel pour arriver à l'union avec l'objet aimé. »

« L'amour ne doit jamais rester oisif ; en ce monde, sa puissance consiste dans son activité. »

(Traité de l’amour de Dieu)


Augustin d’Hippone (354-430)

« Deux amours ont fait deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. »

La Cité de Dieu, 426, XIV, 28.


« Le druide lui fit entendre qu'il se travaillait en vain [à détruire la fontaine], d'autant que cet enchantement ne pouvait prendre fin par force, mais par extrémité d'amour. » (I, 11)


« Pour sortir de tant de peine,Dedans les forêts, un jour,Vous pourrez voir la fontaineDe la vérité d'amour.

C'est-à-dire : en Forez enfin, vous reconnaîtrez que véritablement vous vous aimez l'un l'autre, et lors vous sortirez de la peine où vous êtes. »

(III, 4)


« Je vous ordonne, ou plutôt le grand Tautatès le vous commande, qu'oubliant toutes les choses passées qui peuvent altérer vos bonnes volontés, et que, sans attendre de voir autre fontaine de la vérité d'amour, vous vous réunissiez d'affection. »


« Encore qu'il jugeât bien que selon l'oracle ils devaient sortir entièrement de l'opinion que la jalousie leur avait fait concevoir l'un de l'autre par la vue de la fontaine de la vérité d'amour [...] il pensa être à propos de leur expliquer l'oracle de cette sorte [et leur conseilla d’attendre] qu'il plût au Ciel de rompre l'enchantement de la fontaine, [de sorte qu’ils] pussent en s'y regardant se guérir entièrement de cette maladie. »(III, 5)


“Le vrai ‘désenchantement’, complet et décisif, devrait supprimer toute illusion en rendant aux eaux et aux animaux leur liberté.” (E. Henein, La Fontaine de la vérité d’amour, op. cit., p. 139)


La fontaine deviendra un “but de promenade… Ils ne désireront pas se pencher sur ses eaux.” (E. Henein, La Fontaine de la vérité d’amour, op. cit., p. 139)



Le mot « lion», dans ce passage : « Le lion de la tribu de Juda a vaincu » s'applique à Jésus-Christ ; et au démon dans cet autre : « Votre adversaire tourne autour de vous pour vous dévorer, comme un lion rugissant. »

(De la Doctrine chrétienne, III, 25)Augustin d’Hippone

(354-430)



Entourage de Martin Schöngauer (1450-1491)


« Mon seul désir »

Tapisserie de la Dame à la licorne, musée de Cluny, début du XVIe siècle


Le Dominicain (1581-1641), Vierge à la

licorne (c. 1602), palais Farnèse


« Tout ce qu'elles purent faire dans cet étonnement, ou plutôt dans cette frayeur, ce fut de repousser ces animaux, et puis de se lever pour s'offrir à eux. »

(Continuation de Baro, V, 9)


La licorne à la fontaine. Dans la tapisserie « La Chasse à la licorne » (début XVIe siècle, New York, Cloisters Museum)


Gravure de Philippe Pelletier pour la série Les Quadrupèdes, vers 1580


« La perfection de l’amour n’est pas d’être aimé, mais d’être amant. » (II, 6)

La perfection de l’amour selon Silvandre


Merci de votre attention!


Documents

Narcisse et les licornes. Magie noire et “amour-propre ... · Narcisse et les licornes. Magie noire et amour-propre dans l’ Astrée Jean-Yves Vialleton, « Éloge de Climanthe