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Adresse du Président de l'Institut National de Recherche Pédagogique Pierre LENA Université Denis Diderot et Observatoire de Paris, 92195 MEUDON Cedex Les savoirs s'accumulent à une échelle encore jamais atteinte. Non seulement leur volume croît, mais leur échanges s'intensifient par Ie jeu des bases de données, des réseaux informatiques à faible ou haut débit, de Ia mul- tiplication des publications scientifiques et colloques en tous genres. Dans Ie même temps s'accroît l'inégalité de l'accès au savoir, entre Ie Nord et Ie Sud à l'évidence, mais également au sein même des pays développés. Ce phéno- mène est particulièrement frappant lorsqu'il s'agit des savoirs scientifiques et techniques. Les maîtriser, ne serait-ce que modestement, favorise l'emploi, éclaire Ie jugement sur les choix de société, accroît Ia capacité d'en accom- pagner les mutations. Les ignorer isole, ouvre à l'illusion des pseudo-savoirs, fait perdre Ie contact avec Ia beauté et Ia complexité de Ia nature. Mais avec Ia complexification des savoirs, leur transmission est elle-même devenue plus difficile. Il ne suffit plus de décliner un ensemble de règles ou de connais- sances. Le processus même d'apprentissage est devenu objet de science, de savoir et de savoir faire. C'est par une analyse fine de ces processus qu'aug- mente Ia productivité d'une entreprise, comme s'améliore Ie transfert de connaissances dans Ie système éducatif. On objectera volontiers que rien ne vaut un bon maître ou formateur, passionné de son sujet et tout entier dévoué à ses élèves. C'est vrai à coup sûr, l'amour de son prochain et de son métier n'a jamais fait de mal à personne. Pourtant, nous ne pouvons plus désormais Pages 7-8 Didaskalia - n° 1 - 1993 m

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Adresse du Président de l'Institut National de Recherche Pédagogique

Pierre LENA Université Denis Diderot et Observatoire de Paris, 92195 MEUDON Cedex

Les savoirs s'accumulent à une échelle encore jamais atteinte. Non seulement leur volume croît, mais leur échanges s'intensifient par Ie jeu des bases de données, des réseaux informatiques à faible ou haut débit, de Ia mul­tiplication des publications scientifiques et colloques en tous genres. Dans Ie même temps s'accroît l'inégalité de l'accès au savoir, entre Ie Nord et Ie Sud à l'évidence, mais également au sein même des pays développés. Ce phéno­mène est particulièrement frappant lorsqu'il s'agit des savoirs scientifiques et techniques. Les maîtriser, ne serait-ce que modestement, favorise l'emploi, éclaire Ie jugement sur les choix de société, accroît Ia capacité d'en accom­pagner les mutations. Les ignorer isole, ouvre à l'illusion des pseudo-savoirs, fait perdre Ie contact avec Ia beauté et Ia complexité de Ia nature. Mais avec Ia complexification des savoirs, leur transmission est elle-même devenue plus difficile. Il ne suffit plus de décliner un ensemble de règles ou de connais­sances. Le processus même d'apprentissage est devenu objet de science, de savoir et de savoir faire. C'est par une analyse fine de ces processus qu'aug­mente Ia productivité d'une entreprise, comme s'améliore Ie transfert de connaissances dans Ie système éducatif. On objectera volontiers que rien ne vaut un bon maître ou formateur, passionné de son sujet et tout entier dévoué à ses élèves. C'est vrai à coup sûr, l'amour de son prochain et de son métier n'a jamais fait de mal à personne. Pourtant, nous ne pouvons plus désormais

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Pierre LENA

ignorer que notre cerveau, quelle que soit son extraordinaire adaptabilité, ne fonctionne pas comme une machine désordonnée, que Ia pensée a ses règles, même si aujourd'hui celles-ci nous apparaissent encore comme largement in­déchiffrables, tels des hiéroglyphes. Voilà l'éducateur ou Ie maître confrontés à une problématique nouvelle. Certains improvisent brillamment, dotés par Ia naissance et l'entraînement d'un talent tel qu'il paraît soudain facile de "faire passer" Ia science. Hs montrent Ie chemin, sont Ia didactique en intuition, en acte. Mais ceux-là n'épuisent pas Ia nécessaire réflexion, l'expérience sur Ie terrain, l'analyse de ses conclusions, leur communication enfin. L'appareil théorique de Ia didactique peut paraître lourd à certains, voire un écran de fumée destiné surtout à masquer l'ignorance dans les disciplines concernées. Le reproche est parfois fondé, mais il serait aussi imprudent de l'ignorer que de renoncer.

Rigueur de l'évaluation, confrontation internationale des recherches, exigence épistémologique, lien étroit entre ceux qui font Ie savoir et ceux qui Ie transmettent, voici les objectifs majeurs de cette nouvelle revue en langue française. Il faut qu'elle soit de haut niveau, et pourtant lisible : ce ne sera pas une mince affaire que d'assurer ainsi une communication, une percolation du savoir entre nos prix Nobel et Ia longue cohorte de ceux qui veulent moderni­ser notre enseignement des sciences et des techniques, restaurer Ie goût de Ia démarche expérimentale face à une abstraction qui fait fuir trop de jeunes. Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, étroitement liés à Ia re­cherche dans leurs Universités-partenaires, offrent l'occasion d'une étroite symbiose entre les formateurs, les futurs maîtres et ceux qui produisent Ie sa­voir « disciplinaire » dans ces Universités. Il n'est pas irréaliste d'attendre de cette fécondation mutuelle un renouveau de Ia recherche en éducation. Selon Ie "Robert", les Didascalies sont "les instructions données par Ie poète drama­tique à ses interprètes", nous dirions aujourd'hui les indications de mise en scène. Le beau titre de Didaskalia convoque tous ceux qui sont préoccupés de cette transmission des savoirs à cette mise en scène raffinée qu'est toujours un enseignement réussi.

Didaskalia - n0 1 - 1993

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Éditorial

Jacques BESANÇON et Andrée TIBERGHIEN

Didaskalia, revue sur la communication et l'apprentissage, veut faire face au défi que représente aujourd'hui la formation scientifique et technique. Plus particulièrement, il s'agit de contribuer au développement de la recherche en didactique des sciences et des techniques. En effet, la communauté scien­tifique correspondante est récente, elle a besoin de se renforcer tout en se si­tuant dans ses rapports avec les autres communautés scientifiques et avec les professionnels de la formation et de la diffusion des sciences et des tech­niques.

Cette revue se fixe plusieurs défis : publier des articles de recherche de haut niveau, être un lieu de débat scientifique et permettre ainsi le renfor­cement et l'ouverture de la communauté scientifique des didacticiens. Dans cette perspective, la revue présentera des articles de recherche et de syn­thèse, des points de vue, des innovations et bien sûr des notes de lecture et annonces de rencontres. A ces défis, la revue en ajoute un, celui d'utiliser la langue française.

Les articles de recherche présenteront le mieux possible les probléma­tiques et les méthodologies mises en œuvre, ces explicitations étant essen­tielles au débat. Ainsi, la revue participera à l'élaboration de théories indispensables au développement de la didactique.

Pour contribuer à la dynamique de la recherche, il nous a semblé im­portant que puissent s'exprimer des "points de vue" sur la recherche et la for­mation émanant de différentes communautés de chercheurs, en particulier didactique, disciplines scientifiques et techniques, sciences cognitives. Nous visons ainsi à maintenir des liens entre les chercheurs en didactique d'une dis­cipline et les praticiens de cette discipline. Par ailleurs, il s'agit de permettre à la didactique de participer au développement des sciences cognitives.

Pages 9-11 Didaskalia - n° 1 - 1993

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J. BESANÇON et A. TIBERGHIEN

Nous avons tenu également à avoir une section "innovation". Cette section nous paraît tout aussi importante que les articles de recherche. On peut constater que les innovations sont particulièrement oubliées : elles sont peu publiées et, même dans ce cas, peu exploitées. Cette section vise à per­mettre leur présentation de manière argumentée afin qu'elles puissent être uti­lisées non seulement pour d'autres innovations mais aussi pour Ia recherche. Il est vital pour Ia recherche de se nourrir des innovations et inversement. Cette dialectique "innovation-recherche" est, nous semble-t-il, un élément de Ia dy­namique de Ia discipline.

En ce qui concerne l'utilisation de Ia langue française, nous partons du constat que les chercheurs publient et accèdent aux résultats de recherche principalement dans des revues de langue anglaise. Or Ia langue, en particu­lier quand l'objet d'étude comme c'est Ie cas en didactique relève de l'homme et de Ia société, a une grande importance ; de ce fait, Ie développement de certaines problématiques de recherche a pu être limité. Publier en français peut donc contribuer à enrichir Ie débat international. Par ailleurs, Ie manque de revues en langue française rend difficile Ia diffusion des résultats de re­cherche auprès des utilisateurs, enseignants et formateurs, dans les pays fran­cophones. Didaskalia vise à pallier cette carence. Grâce à une diffusion mondiale, cette revue constituera un vecteur de communication en langue française entre les chercheurs en didactique des sciences et des techniques, les formateurs et les enseignants. EIIe pourra également constituer un lieu d'échanges entre les milieux de l'éducation et du travail. EIIe représente donc une contribution à Ia promotion d'un espace de coopération dans Ie domaine des recherches en didactique et plus généralement des modes de diffusion des connaissances scientifiques et techniques.

Cette revue paraîtra trois fois par année et comportera un total annuel de 300 à 400 pages. Un numéro spécial thématique s'ajoutera occasionnelle­ment aux numéros réguliers. Seront couverts par cette revue, d'une part les ni­veaux de l'enseignement des sciences et des techniques de l'école primaire à l'université ainsi que Ia formation d'adultes, et d'autre part les types d'éduca­tion scientifique non formelle (vulgarisation, expositions, musées, clubs scien­tifiques de jeunes...).

Les éditeurs désirent établir des critères de qualité quant aux articles devant faire l'objet de publication. A cet effet, nous avons choisi comme pro­cédure de demander à deux experts, choisis dans Ie comité de lecture ou spé­cialistes du domaine, d'évaluer les articles.

Le conseil scientifique, constitué de scientifiques de haut niveau, par­ticulièrement engagés dans Ia formation scientifique et technique, sera garant de Ia qualité de Ia revue.

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Editorial

Chaque numéro comprendra les sections suivantes :

- Articles de recherche

Cette section regroupera des articles de recherche en didactique des sciences et des techniques. Peuvent être abordés tous les niveaux de l'ensei­gnement et de l'apprentissage ainsi que Ia formation d'adultes, et tous les types d'éducation scientifique non formelle (vulgarisation, expositions, musées, clubs scientifiques de jeunes...).

- Point de vue

Ces "points de vue" concerneront les orientations de recherche en di­dactique ou Ia formation scientifique. Hs peuvent émaner de chercheurs in­ternes ou externes à Ia communauté de didactique, en particulier des chercheurs des disciplines scientifiques et techniques et des sciences cogni­tives.

- Comptes rendus d'innovations

Dans cette partie seront publiés des articles exposant :

• des approches nouvelles de l'enseignement des sciences et des techniques, ainsi que des expériences de formation et de recyclage réalisées en milieu de travail,

• des nouvelles formes d'expositions et d'animations concernant Ia dif­fusion des sciences et des techniques.

Le rédacteur en chef et les éditeurs s'assureront avant publication de l'intérêt de ces innovations.

- Notes de lecture

Sous cette rubrique seront regroupés des comptes rendus courts avec commentaires et critiques rédigés par des chercheurs sur des livres en didac­tique des sciences et des techniques, des thèses, des rapports de recherche, des actes de colloques portant sur Ia formation et Ia diffusion des sciences.

Seront également incluses des annonces de rencontres scientifiques, de nouvelles structures de formation ou de recherche. La secrétaire de rédac­tion a Ia charge d'évaluer ces notes.

Certains numéros comprendront une revue de synthèse qui concer­nera un aspect spécifique de Ia didactique ou de Ia vulgarisation des sciences et des techniques.

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ARTICLES DE RECHERCHE

La causalité dans Ie raisonnement des étudiants

Résumé

Cet article concerne Ia manière dont les étudiants comprennent les re­lations entre grandeurs physiques du point de vue du temps, en particulier celles qui concernent des grandeurs considérées au même instant Des résul­tats d'enquêtes montrent qu'il y a là des difficultés importantes liées à Ia re­cherche de causes. Les caractéristiques principales du "raisonnement linéaire causal" à propos de phénomènes relevant d'analyses quasi-statiques sont dé­crites et illustrées. Ce texte se termine par une discussion sur les objectifs de l'enseignement

Abstract

This paper deals with the way that students interpret relationships bet­ween physical quantities with respect to time, especially those involving physi­cal quantities that are considered at the same time. Research findings show some important difficulties which are probably linked with a causal interpreta­tion of phenomena. The main features of "linear causal reasoning" about sys­tems, as opposed to a quasi-static analysis, are described and illustrated. The paper ends with a discussion about pedagogical goals.

Pages 13-27 Didaskalia - n° 1 - 1993

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

Laurence VIENNOT Université Paris 7 Laboratoire de Didactique de Ia Physique dans l'Enseignement Supérieur Tour 24 - 2 Place Jussieu 75251 Paris Cedex 05 case 7021

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Laurence VIENNOT

L'analyse causale des phénomènes, dans Ie domaine de Ia physique comme ailleurs, conduit à raisonner en termes de causes, antérieures à leurs effets. Le temps est naturellement présent dans notre recherche d'intelligence du monde, et s'y associe à l'idée de succession. Les réponses que nous ap­porte Ia science prennent, elles, Ia forme de relations dont un caractère fon­damental est leur permanence dans Ie temps.

C'est à cette permanence que l'on s'intéresse dans cet article. Celle-ci s'oppose en effet, d'une certaine façon, au désir de comprendre en termes d'événements enchaînés dans une succession causale. On décrit dans ce qui suit, à propos de quelques thèmes de physique élémentaire, certaines ten­dances de raisonnement qu'une série d'enquêtes réparties sur quinze ans ont permis de repérer chez des étudiants en fin d'études secondaires ou à l'uni­versité. Ces tendances communes consistent à nier, implicitement ou non, Ie fait que toutes les grandeurs impliquées dans des relations où ne figurent pas Ie temps soient à considérer au même instant, et que chaque relation elle-même doive être satisfaite quelque soit cet instant. Une explicitation un peu lourde de ces contraintes conduirait à écrire, par exemple, F (t) = m a (même t), quelque soit t. Sous cette forme, il semble qu'il s'agisse d'une trivialité. La suite devrait montrer que tel n'est pas Ie cas, contribuer à situer les difficultés correspondantes, et amorcer une réflexion sur les objectifs d'enseignement.

Il s'agit donc d'une contribution très spécifique, et limitée. Nulle pré­tention ¡ci à survoler l'ensemble des questions que soulèvent temps et causa­lité en epistémologie, deux thèmes dont l'ampleur décourage toute tentative de synthèse rapide.

1. LE TEMPS, VARIABLE PRIVILÉGIÉE

D'une certaine façon, Ie temps est une variable privilégiée chez les étu­diants. Interrogés sur Ia signification du mot constante ^/iennot, 1982, 1992) dans un énoncé du type : "telle grandeur est une constante", les étudiants ré­pondent Ie plus volontiers qu'il s'agit d'une grandeur indépendante du temps. On dit aussi, en des termes symptomatiquement ambigus, qu'une constante, c'est quelque chose qui vaut toujours Ia même chose. La variation d'une grandeur, dans un premier réflexe de raisonnement, est d'abord rapportée au temps. C'est aussi en relation avec cette remarque que l'on peut interpréter Ia préférence des étudiants pour une formulation du type "à telle chose donnée, telle autre est une constante" plutôt que "telle grandeur ne dépend que de telle autre". La première, en effet, évoque une permanence dans Ie temps qui en entraîne une autre, alors que Ia seconde renvoie, ne serait-ce qu'implicitement, à des non-dépendances vis à vis d'autres grandeurs.

Est-ce à dire que Ia relation au temps des grandeurs physiques est ma­nipulée avec précision ? Ce qui suit tend à montrer que c'est Ie contraire qui se produit quand certaines difficultés liées à l'analyse causale des phéno­mènes sont présentes.

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

2. QUAND IL FAUT TROUVER UNE CAUSE : DÉLOCALISATION TEMPORELLE DES GRANDEURS ET DES RELATIONS

Prenons l'affirmation commune, bien identifiée maintenant, consistant à dire qu'en haut d'une trajectoire de chute libre un mobile est soumis à une force nulle. "Vitesse nulle entraîne force nulle" : telle serait une traduction sim­plifiée de cette réponse. En fait, l'examen d'énoncés de ce type fait apparaître d'autres aspects tout aussi importants dans Ia compréhension des raisonne­ments associés. Ainsi celui-ci : "en haut de Ia trajectoire, ¡I y a Ia pesanteur qui agit et aussi Ia force du lanceur". Très fréquents aussi sont les commentaires où il est question, pour Ia phase ascendante, de "Ia force de Ia masse vers Ie haut". C'est qu'il s'agit à chaque fois de trouver une cause pour une situation paradoxale au premier abord : une sorte de "suspension" en haut de Ia tra­jectoire, ou même une montée, malgré Ia pesanteur. Cette cause, on va Ia chercher dans Ie passé du mouvement, c'est Ie geste du lanceur. Et, pour faire Ie lien entre présent et passé, on imagine un stockage de Ia cause dans Ie mo­bile, cela devient "Ia force de Ia masse" : un "capital de force", selon l'ex­pression d'un étudiant. Même si, dans Ia question, il s'agit bien de Ia force agissant sur Ia masse à l'instant t où Ia vitesse est nulle, Ia recherche d'une cause renvoie Ia réponse dans Ie passé, via l'idée de stockage ^/iennot, 1979). On observe des effets analogues à propos de propagation de signaux méca­niques ou sonores, dont Ia vitesse est indûment associée aux conditions ini­tiales, via l'idée de force stockée (Maurines, 1992).

Autre exemple dans un domaine proche : une question d'examen de première année universitaire dont les réponses ont été analysées ^/iennot, 1979) porte sur Ia condition de compression minimum pour qu'à Ia détente, un ressort posé verticalement au sol éjecte une masse simplement posée sur son extrémité supérieure. L'approche adaptée à cette question est en termes d'énergie potentielle, mais beaucoup d'étudiants (50%, N=416) se lancent plu­tôt dans des comparaisons de type bilan de forces. Ceci est impropre pour plusieurs raisons. Remarquons simplement que Ia masse, au moment du dé­collage, ne subit aucune force vers Ie haut de Ia part du ressort. De plus, com­parer Ia force du ressort sur Ia masse à celle de Ia masse sur Ie ressort, stratégie souvent adoptée, ne constitue pas, en bonne physique, un bilan de forces susceptible de décider du mouvement d'un objet donné, puisque pré­cisément ces deux forces agissent sur des objets différents.

Le point ici est que ces tentatives inadaptées, au demeurant très fré­quentes, se fondent sur une vision causale : quelque chose doit pousser plus fort que Ie poids, et ce ne peut être que Ie ressort. Cette idée, faute de se rac­corder facilement à Ia description du physicien, va chercher l'agent "Ie plus fort", là encore dans Ie passé. Au plan verbal, rien ne situe dans Ie temps les termes évoqués - "Ie ressort doit pousser plus fort que Ie poids de Ia masse" - sinon parfois Ia mention "à Ia compression maximum". Mais les expressions algébriques associées sont révélatrices. Souvent inhomogènes (c'est une

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Laurence VIENNOT

caractéristique habituelle de ce genre de raisonnement), elles peuvent prendre par exemple les formes suivantes :

k (Z1-Z0) > mg k (Z1-Z0) > mgz0

(1/2) k (Z1-Z0)2 > mgz0

où Z1 et z0 sont respectivement les altitudes de l'extrémité du ressort à Ia com­pression maximum et au décollage.

- 4 >

La relation "EF = un vecteur vers Ie haut", probablement sous-jacente à ces tentatives, est pratiquée de façon délocalisée dans Ie temps : les diffé­rents termes qu'y mettent ces étudiants ne sont pas relatifs au même instant.

Dernier exemple ^/iennot, 1979), l'idée de stockage associée à celle de cause recherchée dans Ie passé peut également rendre compte de grandes différences dans les réponses d'étudiants à propos de deux situations pour­tant équivalentes pour Ia question posée : deux virages à l'horizontale et de même rayon de courbure, l'un en cours depuis longtemps et l'autre qui s'amorce tout juste à Ia suite d'une ligne droite. La question, dont peu impor­tent ici les détails, porte sur ce que devient un objet lâché dans un véhicule qui se trouve dans chacune de ces situations, à module de vitesse constant. A l'instant considéré, l'accélération est Ia même dans les deux cas et les ré­ponses correctes sont identiques. Les étudiants (première année à l'université et classes préparatoires aux grandes écoles, N=450), font massivement Ia dif­férence (>70% dans tous les groupes interrogés). Pour eux, Ie mouvement de l'objet lâché s'explique par ce qu'il a stocké ("inertie", "élan", "force", "force centrifuge"), faute de s'expliquer par une cause bien évidente. Ce stockage re­lève de Ia phase antérieure, laquelle est différente dans les deux cas. Leur pré­férence va vers Ia prédiction d'un mouvement radial pour Ie virage en cours et d'un mouvement tangentiel pour celui qui s'amorce (sans que Ia distinction des référentiels, mentionnée dans Ia question, ne soit nécessairement reprise dans les réponses : autre problème bien connu (Saltiel & Malgrange, 1980).

3. SITUATIONS DE PROBLÈMES ET DÉLOCALISATION TEMPORELLE DES GRANDEURS ET DES RELATIONS

S'il est si peu évident pour les étudiants que les relations ne mention­nant pas Ie temps sont à comprendre comme impliquant des grandeurs toutes relatives au même instant, si l'interprétation causale de Ia situation proposée est un point si sensible, alors on peut s'attendre à d'importantes différences dans Ia façon dont les étudiants résolvent des problèmes selon Ie contexte spatio-temporel proposé. S. Fauconnet (1981, 1983) a mené une recherche sur ce point. On aborde avec cette étude Ie domaine plus complexe des systèmes composés de plusieurs sous-systèmes identifiés, et plus généralement celui des problèmes à plusieurs variables envisagés dans une analyse quasi-sta-

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

tique (comme en mécanique ou en thermodynamique) ou quasi-stationnaire (comme en électrocinétique). Outre Ia permanence des relations dans Ie temps, qui signe ce caractère quasi-statique ou quasi-stationnaire, ces pro­blèmes nécessitent Ia prise en compte de l'évolution simultanée d'un grand nombre de variables.

Par exemple, l'une des situations étudiées par S. Fauconnet est un sys­tème de deux ressorts (de raideurs k1? k2) pendus au plafond bout à bout, et dont on déplace l'extrémité inférieure. Les relations qui doivent être satisfaites en permanence entre force extérieure (Fext), tensions T1, T2, et allongements AITota|, Al1, Al2 (chaque indice renvoyant à un ressort) sont :

T1 = K1 Al1

Alrotai = Al1

T2= k2 Al2 ^ext - ^ 1 - T2

+ AU

Une écriture quelque peu lourde, mais explicite, retraduirait ainsi les contraintes rappelées plus haut :

T1(Q= K1 AI1C) T2(Q= k2 Al2(t)

AITota|(t) = AI1(I) + Al2(t) FeXtW=TiW=T2W

Serge Fauconnet a choisi de présenter à des étudiants de fin de Se­condaire deux problèmes mettant en scène Ie même système, ici l'ensemble des deux ressorts en question, et les mêmes équations. L'un des problèmes évoque Ia transformation d'un tel système (version "transformation", voir en­cadré 1). L'autre (version "états") propose Ia comparaison de deux systèmes statiques identiques, l'un dans l'état initial et l'autre dans l'état final de Ia trans­formation évoquée dans l'autre version. On donne l'allongement total final et on demande Ie déplacement du point de jonction des ressorts.

Encadré 1 : Résumé d'une question portant sur Ia transformation d'un système mécanique

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QUESTION (résumée) :

On tire sur l'extrémité inférieure et on Ia déplace de 10 cm. Quel est Ie déplacement du point de jonction des ressorts et quelle force extérieure doit-on exercer?

Notations et valeurs numériques : T1, T2 : tensions des ressorts R1, R2

kv k2 : constantes de raideur K1 = 3 N/cm, k2 = 2 N/cm Al1, Al2 : allongements des ressorts

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Laurence VIENNOT

Les résultats font apparaître des différences importantes dans les ré­ponses d'élèves de Terminale et de DEUG (populations rassemblées, respec­tivement N=93 et N=87) à ces deux problèmes. Ainsi Ia relation Fext =T1= T2

apparaît plus souvent en version "transformation" (60% contre 32%), tandis que Ia relation erronée Fext =T1+ T2 apparaît plus souvent en version "états" (32% contre 17%). Cette dernière relation accompagne probablement une vi­sion statique d'une force extérieure s'opposant aux résistances conjointes et simultanées des deux ressorts. La relation correcte, elle, peut correspondre à une analyse conforme à l'analyse du physicien, mais aussi parfois à une lec­ture du problème en termes de transmission différée. Certains expriment clai­rement ce dernier point de vue, comme en témoigne Ia réponse résumée dans l'encadré 2.

Une réponse typique

Fext = T 1 = k 1 A l 1

= 3 . 10 = 30N

La force T1 est alors transmise à R2 : 30 N = k2 Al2

Al2 = 15 cm

Le premier ressort devrait s'allonger et l'autre, au bout d'un certain mo­ment, il devrait s'allonger aussi.

Structure du raisonnement

L'allongement de R1 est assimilé au déplacement de l'extrémité inférieure : analyse locale

....une nuance temporelle....

on trouve une valeur supérieure au dé­placement de l'extrémité inférieure!

confirmation du caractère chro­nologique de l'analyse

Encadré 2 : Une réponse typique à Ia question de l'encadré 1

Tout commence au point où l'on tire : Ia relation erronée Fext = ^ AITota| traduit une analyse très locale (AITota| est Ie déplacement du point du bas), qui ignore Ie fait que les deux ressorts se déforment en même temps (en fait Fext = ^ Al1 = R1(AIy0 i - Al2). La suite explicite Ia non-simultanéité des allon­gements : "au bout d'un certain temps, Ia force se transmet au ressort de des­sus". Cette "mise en histoire" de l'analyse peut attirer Ia sympathie du physicien scrupuleux, qui sait bien qu'en toute rigueur, l'information ne se transmet pas instantanément dans un système. Mais il faut savoir ce qu'elle coûte : Ie renoncement aux relations caractéristiques des ressorts données plus haut, et parfois, comme dans Ia réponse paraphrasée ci-dessus, un ré­sultat absurde (compte tenu des valeurs des raideurs, Ie point de jonction des ressorts se déplacerait plus que l'extrémité inférieure !). Une étude parallèle menée sur une situation de vases communicants, analogue du point de vue des équations en cause, amène à des résultats en tout point similaires : cen-tration initiale sur Ie point où a lieu l'action extérieure, "mise en histoire" de Ia transmission des volumes déplacés, toutes choses qui apparaissent préféren-tiellement en version "transformation".

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

De cette étude très riche il faut sans doute conclure que, pour des pro­blèmes relevant d'un jeu d'équations analogues, de grandes différences se manifestent quant aux raisonnements qu'ils suscitent chez les étudiants selon leur contenu spatio-temporel et selon Ia façon dont ils appellent, ou non, une interprétation causale. Une situation de transformation perceptible dans l'es­pace et dans Ie temps, associée à l'évocation d'un agent humain conduit plus fréquemment les élèves à bousculer Ie caractère quasi-statique de Ia descrip­tion - au profit d'une "mise en histoire" - que Ia comparaison de deux systèmes constitués des mêmes éléments, immobiles, chacun dans un état différent.

Au passage, l'étude de S. Fauconnet montre bien qu'il serait mal avisé d'étudier les processus de résolution de problèmes chez les élèves sans faire intervenir l'influence des contenus particuliers en cause, à structure formelle donnée.

4. TRANSFORMATIONS QUASI-STATIQUES OU QUASI-STATIONNAIRES DANS LES RAISONNEMENTS COMMUNS : LES CARACTÉRISTIQUES DE BASE DU RAISONNEMENT LINÉAIRE CAUSAL

La recherche de S. Fauconnet a ouvert Ia voie à des études impor­tantes sur les raisonnements à propos de systèmes définis par plusieurs va­riables.

Le raisonnement séquentiel en électrocinétique (Closset, 1983) consiste toujours, dans ses diverses formes, à ignorer Ia validité simultanée et permanente des équations représentant Ie régime stationnaire des circuits électriques, ou encore à nier l'influence mutuelle permanente de tous les élé­ments du circuit. Là encore, c'est plus volontiers une histoire que l'on raconte, quelque chose (qui peut être, selon Ie niveau et Ia question, "de l'électricité", "du courant" ou "de Ia tension", ou même "Ia phase") partant du générateur pour subir ensuite des aventures locales sans rétroaction de l'aval sur l'amont.

Par rapport à l'étude pionnière de S. Fauconnet, on trouve essentielle­ment, à propos d'électrocinétique, une différence d'échelle : c'est d'un véri­table raz-de-marée qu'il s'agit. Le raisonnement séquentiel en électrocinétique est un des plus "gros" phénomènes observables en matière de raisonnement commun. A (presque) tout niveau de formation (Closset, 1983) et dans tous les pays où l'on a pris Ia peine d'enquêter (Shipstone & al, 1988), on trouve lar­gement cette tendance. Mais cette différence d'importance mise à part, on est, pour les circuits comme pour les ressorts bout à bout, dans une situation où une structure spatiale guide Ie raisonnement et suggère un "parcours de cau­salité", donc aussi des décalages temporels entre phénomènes. C'est d'ailleurs encore Ie cas pour des situations de propagation de Ia chaleur

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(Rozier, 1988) ou d'hydrodynamique (Closset, 1992) qui, de façon prévisible, donnèrent lieu à des résultats de même nature.

Qu'en est-il, plus largement, pour les transformations quasi-statiques de systèmes à plusieurs variables sans structure spatiale marquée ? Une recherche centrée sur Ia thermodynamique (Rozier, 1988) répond largement à cette question. EIIe resitue, par Ia même occasion, les résultats précédents dans une description plus générale.

Un premier aspect du raisonnement commun sur les problèmes à plu­sieurs variables est son aspect linéaire. On entend par là Ie fait que les expli­cations sont de Ia forme : O1 ~* O2 ^ O3 — 0N^...., chaque phénomène O mentionné étant spécifié à l'aide d'une seule variable.

Par exemple, pour expliquer l'augmentation de pression lors d'une compression adiabatique d'un gaz parfait, les étudiants (trois premières an­nées universitaires et classes préparatoires, résultats rassemblés) fournissent des argumentations du type :

V (volume) \ ^ n (densité particulaire) / ^ chocs (nombre de chocs par...) / ^ p fc>ression) /

Le facteur cinétique est oublié. Les exemples de telles réductions dans l'analyse des facteurs intervenant dans les phénomènes physiques sont légion ^/iennot, 1992) mais ce n'est pas Ie sujet ici.

Venons-en donc au second aspect marquant du raisonnement com­mun, qui est plus directement lié à l'approche causale.

Requis d'expliquer pourquoi Ie volume augmente lors du chauffage iso­bare d'un gaz parfait, de nombreux étudiants (mêmes types de populations) manifestent à nouveau Ia tendance aux argumentations linéaires. Les com­mentaires du type "Q (chaleur reçue) ^ T / ~* p / ^ V /" abondent (43%, N=120).

Mais là, on assiste en outre à ce qui peut apparaître comme une franche contradiction entre un élément de Ia réponse, p /, et l'énoncé "on chauffe à pression constante". Qu'en est-il ?

La clef de cette énigme réside dans Ie fait que Ia réponse commune se fait sur fond de chronologie. Implicite chez Ia plupart, celle-ci est parfois clai­rement explicitée. Il y a deux temps dans cette réponse. Dans un premier temps, "Q (chaleur reçue) ~* T /~* p / " , Ie piston est bloqué, et dans un se­cond temps "Ie piston est relâché, Ie volume augmente et Ia pression reprend Ia valeur extérieure". Ainsi aménagée, chacune des étapes de l'explication est bien cohérente, et, en fin de compte, Ia pression rejoint Ia contrainte de l'énoncé.

C'est Ie moment de remarquer une systématique ambiguïté du langage. On pourrait croire qu'une bonne traduction des flèches horizontales utilisées

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

plus haut pour résumer les argumentations serait un "donc" logique. S'il s'agit d'une histoire, Ia flèche recouvre un indicateur de chronologie : "ensuite". Mais c'est un terme parfaitement intermédiaire qui vient naturellement dans l'argu­mentation : "alors". Le tableau 1 montre que Ie français n'est pas Ia seule langue à offrir pareille commodité.

Statut i

Logique

Intermédiaire

Chronologique

Français

donc

alors

ensuite

Anglais

therefore

then

later on

Espagnol

por eso

entonces

despues

Tableau 1 : Plusieurs langues, même dérive de signification

En résumé, les caractères du raisonnement linéaire causal sont les sui­vants :

- ce raisonnement enchaîne linéairement des phénomènes (O) spéci­fiés chacun à l'aide d'une seule variable: O1 — O2 ~* O3 — 0 N «*,

- Ia relation conduisant de chaque phénomène au suivant a un statut ambigu, intermédiaire entre une implication logique et une indication de suc­cession chronologique.

Cet aspect temporel donne à l'argumentation un statut proche de celui d'une histoire enchaînant des phénomènes simples. Il s'oppose, rappelons-le, à l'analyse quasi-statique où toutes les variables évoluent en même temps.

5. RAISONNEMENT LINÉAIRE CAUSAL ET DIFFICULTÉ DE CONCEVOIR LES RÉGIMES PERMANENTS

Une conséquence immédiate de l'introduction d'une succession tem­porelle dans l'argumentation est que chacun des phénomènes observés s'ins­crit dans une durée - d'existence ou d'évocation, on ne sait trop - qui est nécessairement limitée. Compris comme successifs, les événements Ie sont aussi comme temporaires. CeIa peut conduire à une grande tolérance vis-à-vis d'argumentations qui, lues sans cette clef, apparaissent au physicien comme génératrices de contradictions ou d'absurdités. Ceci a déja été illustré plus haut, à propos de l'élément de réponse " p / " qui, donné à propos du chauffage isobare d'un gaz parfait, contredit, mais temporairement seulement, l'énoncé. On peut s'attendre, à ce point de l'exposé, à ce que Ie cas des ré­gimes permanents soit particulièrement propice à l'apparition de divergences entre l'analyse du physicien et celle qu'offre Ie raisonnement linéaire causal.

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C'est d'abord à propos de Ia compression adiabatique d'un gaz parfait que cette difficulté a été débusquée (Rozier, 1988). Priés d'expliquer pourquoi Ia température T augmente, de nombreux étudiants (42%, N=140) donnent une argumentation du type " V v * n /^ Chocs /^ T / " , avec parfois Ia précision : "les chocs entre molécules dégagent de Ia chaleur". Devant un tel commen­taire, une question devrait surgir : comment cela peut-il durer ? Si un récipient thermiquement isolé comporte à l'intérieur un générateur permanent de cha­leur, à savoir les chocs entre molécules, Ie phénomène va diverger, et on voit mal d'autre issue que l'explosion. Ce raisonnement par l'absurde ne se produit pas chez les étudiants. Il n'est pratiquement jamais évoqué par des ensei­gnants en formation (N=85) à qui l'on demande ce qu'ils répondraient si un de leurs élèves leur proposait cette argumentation ^/iennot & Kaminski, 1991). La question de Ia permanence, c'est Ie moins qu'on puisse dire, n'occupe pas Ie devant de Ia scène. Et certains étudiants à qui on Ia soumet explicitement s'en tirent parfois par cette réponse : "C'est seulement pendant que leur nombre augmente que les chocs dégagent davantage de chaleur". On retrouve là cette transposition du découpage de l'argumentation dans un découpage temporel des phénomènes. Dans cette perspective, Ia question de Ia permanence, Ie rai­sonnement par l'absurde, n'ont plus aucune prise sur l'analyse.

Ce n'est donc pas par hasard que les explications usuelles de vulgari­sation sur des phénomènes tels que l'effet de serre se centrent avec une telle prédilection, mais pratiquement toujours sans Ie dire, sur les régimes transi­toires plutôt que sur les régimes permanents. Qui n'a Iu de ces textes où l'on explique l'effet de serre en disant qu'il fait plus chaud à l'intérieur parce qu'il rentre plus d'énergie qu'il n'en sort ? On voit mal comment Ia chose peut durer sans risques importants pour l'installation, mais là encore, Ia question n'est pas posée. On tient une explication - un surplus d'énergie à l'entrée - qui est aussi Ie début de l'histoire, et lorsque l'épisode suivant - ¡I fait chaud - se pro­duit, il n'y a plus de question d'énergie ni de permanence qui soit encore d'ac­tualité. Les bilans d'énergie, envisagés toujours temporairement, ne peuvent avoir de conséquences dramatiquement divergentes.

CeIa dit, il suffit d'essayer d'expliquer verbalement l'effet de serre en termes de déplacement d'un régime permanent (de non-équilibre) pour mesu­rer Ia complexité du raisonnement. Et l'on se surprendra facilement, devant cette complexité, à séquentialiser Ia description en évoquant successivement bilans énergétiques et variations de température, tel cet essai : "Ie système, vitre comprise, reçoit un peu plus d'énergie qu'il ne peut en émettre, compte tenu de Ia bande passante du verre, alors sa température augmente, si bien qu'il émet un peu plus d'énergie dans cette bande, alors Ie bilan est encore déséquilibré mais moins qu'avant, etc. jusqu'à ce qu'il puisse sortir autant d'énergie qu'il en rentre", ou bien l'équivalent pour un refroidissement de Ia serre.

Envisager Ia simultanéité de plusieurs phénomènes est déjà difficile. Lorsqu'il s'agit de simultanéité d'évolutions, c'est encore moins naturel (voir

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aussi Ménigaux, 1992). Les physiciens font appel à Ia démarche différentielle pour légitimer et rendre fructueuse l'approche esquissée dans l'explication ci-dessus. Par passage à Ia limite, cette procédure conduit à des résultats ana­lytiques respectant les contraintes rappelées plus haut : permanence des relations, simultanéité des évolutions. C'est Ie prix à payer pour maîtriser Ie passage du désir initial d'explication - ¡I rentre plus d'énergie qu'il n'en sort -avec Ia description du régime permanent et de son éventuelle évolution quasi-statique. Ce prix est conceptuellement très élevé. Accéder à Ia maîtrise d'une telle procédure n'est évidemment pas simple, mais ¡I apparaît aussi qu'il est même difficile de comprendre ce qu'elle effectue (Artigue, Ménigaux & Vien-not, 1990). Les explications vulgarisantes évoquées au début de cette discus­sion en témoignent largement.

6. RAISONNEMENT LINÉAIRE CAUSAL ET COMPRÉHENSION DE TEXTE

A propos de cet exemple de l'effet de serre, on pourrait dénoncer Ia désinvolture ou Ie défaut de vigilance de l'explication, et s'en tenir là. Ce se­rait négliger Ie plus important : Ia satisfaction engendrée par ce type d'expli­cations chez ceux qui Ia reçoivent. Peut-être mesure-t-on encore mieux cette faveur lorsqu'elle se manifeste à propos d'un texte ne comportant pas d'er­reurs de physique, mais dont Ia compréhension est distordue par un effet de proximité qui met en quelque sorte Ie raisonnement linéaire causal des étu­diants "en résonance".

Ainsi des étudiants (Math. Sup, Math. Spé, Licence, I.U.T., résultats rassemblés (Rozier, 1988) ont été d'abord priés de lire Ie texte suivant ^/alen-tin, 1983) :

"L'énergie d'agitation que possède en moyenne chaque molécule est suffisante pour empêcher les molécules des gaz qui nous environnent de se lier les unes aux autres : dans un gaz, les molécules passent leur temps à se cogner et à rebondir de façon aléatoire. Mais, si l'on abaisse Ia température, Ie système pourra se liquéfier et même se solidifier. Ces phénomènes surviennent quand, à force de diminuer Ia température, les molécules ont une énergie cinétique moyenne si basse qu'elles ne peu­vent plus résister à l'attraction électromagnétique qu'elles exercent les unes sur les autres : elles commencent par s'agglutiner dans l'état li­quide et finissent par se lier dans l'état solide".

La question posée ensuite porte sur l'affirmation suivante : "A un instant donné de Ia liquéfaction, l'énergie cinétique moyenne d'une molécule du gaz est supérieure à celle d'une molécule apparte-

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nant au liquide (liquide et vapeur sont en équilibre thermique à l'instant considéré)".

On demande aux étudiants s'ils pensent, d'une part que Ie texte sug­gère l'affirmation, d'autre part que l'affirmation est vraie. Une écrasante majo­rité considère que Ie texte suggère l'affirmation (77%, N=181), et que celle-ci est vraie (80%). L'auteur précise bien lui-même une page plus loin, qu'à l'équi­libre thermodynamique, les énergies cinétiques moléculaires moyennes sont les mêmes dans Ie liquide et dans Ie gaz. L'affirmation est donc fausse. EIIe n'est pas contenue dans Ie texte. Pourtant, ces étudiants ont cru l'y lire. Com­ment interpréter ce résultat ?

Avec prudence, d'abord. On est là à un niveau de conjecture qui inter­dit d'être péremptoire. Par exemple, on pourrait dire simplement que, puisque les étudiants pensent que l'affirmation est vraie, ils ont tout simplement cru lire ce qu'ils pensaient déjà. Mais ces précautions n'empêchent pas d'établir des rapprochements et de poser des interrogations, dont celle-ci : pourquoi les étudiants pensent-ils que l'affirmation est vraie ?

Un retour sur Ia structure du texte conduit à constater qu'il est marqué par une succession d'indicateurs de chronologie : "Si... pourra... quand... à force de... ne peuvent plus... commencent par... finissent par...". Cette struc­ture peut se schématiser par Ia chaîne suivante :

(gaz) T\~* ec (énergie cinétique moyenne..) \~* les interactions gagnent ~> état liquide ^ ~* état solide.

La tendance commune à inclure du temps dans l'explication trouve ici un terrain de choix. Le texte peut alors être Iu comme une histoire. Au début de l'histoire : Ie gaz. Plus tard : Ie liquide. Entre-temps : Ia diminution de Ia température, puis celle de l'énergie cinétique moléculaire moyenne. Dans l'af­firmation proposée, les deux phases sont à l'équilibre, c'est-à-dire présentes simultanément, à Ia même température. Il semble, à travers les réponses des étudiants, que Ia structure chronologique attribuée au texte ait balayé l'idée de simultanéité présente dans l'énoncé, et se traduise logiquement par l'idée que l'énergie cinétique moyenne est plus faible dans une phase, celle "de Ia fin", que dans l'autre, celle "du début".

La subtilité de cette analyse peut laisser certains sceptiques. Le taux massif de lecture distordue ne peut, lui, laisser indifférent.

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

7. EN CONCLUSION : QUELQUES ÉLÉMENTS POUR DISCUTER LES OBJECTIFS D'ENSEIGNEMENT

L'indifférence n'est pas, d'habitude, Ia première caractéristique des dé­bats soulevés par ce type de résultats. C'est qu'ils touchent de très près nos manières de raisonner les plus familières, et pas seulement en physique.

Familières, elles Ie sont parce que satisfaisantes par leur simplicité et leur inscription dans Ie registre des histoires, celui de notre vécu quotidien. Ces modes de raisonnement nous apparaissent également très fructueux car ils semblent parvenir à leurs fins, alors qu'en fait ils sont Ia plupart du temps té­léguidés par une conclusion connue d'avance. A chaque conclusion visée, sa chaîne explicative. Si l'on invoque par exemple une diminution de Ia densité particulaire, ce peut être une fois pour expliquer que Ia pression est faible en altitude (sans parler de température), une autre pour expliquer l'ascension d'une montgolfière (sans dire qu'alors Ia pression n'est pas pour autant dimi­nuée à l'intérieur). On se garde bien de confronter une explication à une autre : Ie but, alors, n'est pas de théoriser, mais de signaler les facteurs importants et de donner une sorte de vision du phénomène. L'économie et son cortège d'ex­plications des effets d'une hausse ou d'une baisse du dollar, par exemple, ren­voient bien souvent à cette même constatation.

Enfin ces raisonnements sont très voisins, en surface, de ceux que les scientifiques mettent en jeu avec profit. Hs se rapprochent des discours entre pairs, où les fréquents raccourcis de langage peuvent laisser croire qu'on ne s'inquiète pas des facteurs non mentionnés. Le souci de vulgariser, ou tout simplement de "faire passer" leur message, peut conduire ces mêmes scien­tifiques à mettre leurs explications en résonance avec les tendances naturelles de leur public, à savoir Ie raisonnement linéaire causal : les phénomènes im­portants y apparaissent bien dégagés, et l'auditoire est heureux d'avoir l'im­pression de comprendre.

Là se trouve l'un des enjeux importants dans cette discussion : l'im­pression de comprendre. L'autre enjeu est l'éducation du raisonnement à plu­sieurs variables, Ia cohérence qui s'y attache, et Ie prix que cela coûte. Au moment de fixer les objectifs d'un enseignement, quel qu'il soit, ces enjeux méritent examen et discussion. Les situations de physique, en effet, mais aussi Ia vie tout court, sont des problèmes à plusieurs variables.

Si l'on prend, par exemple, l'enseignement de physique délivré dans l'enseignement secondaire français, on observe qu'il n'y figure pratiquement pas d'incitations à raisonner sur des dépendances multifonctionnelles. Bien entendu, les relations ("formules") enseignées mettent en jeu plusieurs gran­deurs. Mais c'est Ie plus souvent sous forme de valeurs numériques, et non de variables, que ces grandeurs interviennent dans les activités proposées aux élèves. Quand, de son côté, l'enseignement des mathématiques se centre sur les fonctions d'une variable, il ne faut pas s'étonner que les élèves soient bien

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désarmés devant les problèmes multifonctionnels. Plus largement, sur Ie rôle du temps en physique, sur Ie statut des lois où cette variable ne figure pas, on trouve encore peu, dans les textes officiels, d'encouragements à faire réfléchir les élèves. C'est que des objectifs qui ne correspondent pas à un contenu par­ticulier trouvent difficilement leur place dans des libellés de programme. On les voit actuellement poindre dans les "exigences et apprentissages" attendus (voir par exemple, Ie programme de Quatrième (grade 8), 1993) et dans les textes d'accompagnement illustrant l'esprit et les activités suggérées pour ces enseignements (par exemple, celui de Seconde (grade 10), 1993, paragraphe "dépendances mutuelles entre grandeurs et cas limites"). De telles incitations prendront véritablement leur effet quand Ia nature des activités proposées aux élèves sera comprise comme largement aussi importante que Ia liste des contenus à traiter.

Peut-être aussi ces préoccupations prendront-elles d'autant mieux ra­cine dans l'enseignement qu'elles apparaîtront comme gérables simplement. Il n'est pas nécessaire d'introduire les dérivées partielles pour introduire une analyse des dépendances multiples et montrer les contraintes correspon­dantes : des questions sur ce que devient Ia surface d'un rectangle quand lon­gueur et/ou largeur sont modifiées peuvent y suffire. Quant au rôle du temps dans les relations entre grandeurs, Ia plus simple des actions est de ne pas (ne plus ?) Ie considérer comme évident. Envisager l'éventualité d'une inter­prétation causale, d'une lecture chronologique des relations par les élèves, c'est être ouvert dans Ie dialogue à des indices qui risquent autrement de pas­ser inaperçus. Peut-être faut-il avoir vu une étudiante en formation au métier ^'enseignant s'émerveiller que l'on puisse continuer à appliquer Ia formule F = q v A B, même pour une particule évoluant dans un champ non uniforme, "parce que tout est modifié en même temps mais Ia formule tient toujours", pour considérer que les objectifs d'enseignement discutés ici méritent vérita­blement de l'être ?

Mais surtout, c'est Ie champ d'intervention considérable de ces préoc­cupations qui donne à penser. En tout domaine, il importe de savoir juger si l'on peut conclure ou non, si les chaînes explicatives qu'on se voit présenter sont d'authentiques chaînes d'implications, ou bien seulement des argumen­tations qui n'ont de contraignantes que l'apparence.

De tels objectifs ne peuvent s'inscrire que dans Ie long terme. Mais dire cela, ce n'est pas renoncer d'avance.

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Temps et causalité dans les raisonnements des étudiants en physique

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Approches théorique et empirique de Ia causalité

John OGBORN Department of Science Education Institute of Education University of London 20 Bedford Way LondonWC1H OAL

Résumé

La causalité est discutée de deux points de vue complémentaires : théorique et empirique. Dans Ia discussion théorique, nous nous élevons contre Ia position adoptée par Hume selon laquelle il n'existerait pas de causalité, et reprenons des idées issues des travaux de Piaget et des sciences cognitives pour développer une analyse de Ia causalité. Ce point de vue est appuyé par des arguments de nature linguistique. Nous décrivons ensuite plusieurs études empiriques du raisonnement causal intéressant l'enseignement des sciences. L'une teste une théorie causale des idées quotidiennes de force et de mouve­ment ; les autres explorent l'ontologie attribuée par des sujets à des entités quotidiennes ou scientifiques. Nous proposons enfin quelques dimensions on­tologiques fondamentales.

Abstract

Causality is discussed from two complementary points of view : theore­tical and empirical. The theoretical discussion attacks the position adopted by Hume that there is no such thing as causality. It takes ideas from Piaget and from Cognitive Science to present an analysis of causality in which action and

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John OGBORN

concrete models are important This view is supported by arguments from lin­guistics. Several empirical studies of causal reasoning relevant to science edu­cation are described. One tests a causal theory of everyday ideas about force and motion. The others explore the ontology attribute by subjects to a number of entities, including everyday entities and others of interest in science. Some fundamental ontological dimensions are proposed.

1. L'EXPLICATION CAUSALE : PERSPECTIVES THÉORIQUES

Pour penser Ie raisonnement causal, on peut faire appel à différentes perspectives théoriques : perspectives philosophiques, point de vue piagétien sur Ia construction de l'intelligence, et quelques idées issues des sciences co­gnitives et de l'intelligence artificielle. On peut trouver également un appui dans Ia linguistique.

1.1. La perspective philosophique

Dans Ia pensée du sens commun, nous attribuons fréquemment aux personnes et aux objets un pouvoir causal par rapport aux événements. De­puis les travaux de David Hume, les philosophes sont fortement influencés par Ia critique bien connue de ce point de vue, critique qui réduit Ia causalité à Ia concomitance systématique des événements. Parmi les rares philosophes moins influencés par Ia critique humienne (on peut y inclure Bunge, Wartowski et Bhaskar), se trouve en particulier Harré :

"Pouvons nous réellement nier que nous percevons parfois vraiment que les vagues rongent Ia côte, que Ia hache fend Ie bois et que l'avalanche ravage Ie paysage ? Ronger, fendre et ravager sont clairement des concepts causaux. Un philosophe humien considère pourtant comme impossible Ia per­ception de l'action d'un pouvoir causal."

(Harré & Madden, 1975 ; voir également Harré, 1986)

Bhaskar (1978) désigne très clairement les erreurs fatales de l'argu­mentation humienne.

Tout d'abord, elle repose sur une ontologie anthropocentrique dans la­quelle l'expérience humaine, et non Ia matière, est Ia composante essentielle de Ia réalité. Pour Bhaskar, l'expérience ne constitue pas Ie bon type de ma­tériau pour construire des objets matériels. Le monde existait et évoluait bien avant que les humains en aient l'expérience.

Par ailleurs, Ia concomitance systématique des événements n'est pas du tout usuelle dans l'expérience ; elle doit en général être laborieusement créée lors d'expérimentations soigneusement contrôlées. Les exemples que l'on donne habituellement, tels que Ie fait que Ie soleil se lève tous les jours

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Crayon
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Approches théorique et empirique de Ia causalité

sans exception, sont pris parmi les cas particuliers d'objets interagissant fai­blement avec d'autres.

Dans Ia plupart des cas, et justement à cause de Ia diversité des pro­priétés causales que possèdent les objets, un effet recherché est bloqué ou dissimulé par une autre action. Bacon avait raison de dire que Ia Nature révèle mieux ses secrets lorqu'on Ia torture de façon ingénieuse par l'expérimenta­tion. Si Hume avait raison, Ia logique de l'expérimentation deviendrait circu­laire, créant des concomitances systématiques afin d'y croire.

De ces réflexions, nous pouvons conclure qu'il est parfaitement rai­sonnable d'accepter au moins l'intuition du sens commun pour laquelle per­sonnes et objets ont Ia propriété de causer des événements, et par suite d'explorer les conséquences de cette assertion. Cet article présente quelques tentatives de suivre cette voie, de différentes manières.

Pour ce faire, ¡I nous faut prendre l'ontologie beaucoup plus au sérieux qu'on ne Ie fait habituellement. Les philosophes des sciences ont été beau­coup plus préoccupés par les fondements de Ia vérité (l'épistémologie) que par Ia nature fondamentale des choses telle que Ia science Ia pense (l'ontologie). Mais si nous revenons à un monde constitué d'objets et à une science consti­tuée de descriptions d'objets, par opposition à un monde construit par l'expé­rience directe, et une science faite de propositions concernant des expériences, nous devons prêter attention à ce que sont ces objets. Nous sommes conduits à rejeter les fameuses propositions ouvrant Ie Tractatus de Wittgenstein :

"Le monde est tout ce qu'il advient Le monde est Ia totalité des faits, non des choses. "

et à réaffirmer Ie sens commun qu'il récuse : "Le monde est tout ce qui est Le monde est Ia totalité des choses, non des faits. "

1 . 2. La perspective piagétienne

Dans son dernier travail, Piaget tentait de construire une logique des significations (Piaget & Garcia, 1987 ; voir également Piaget, 1971), en mon­trant comment une logique de Ia signification des objets et des actions est dé­veloppée et sous-tend les développements cognitifs ultérieurs, incluant Ia logique.

Pour Piaget, les actions de l'enfant sont les matériaux essentiels pour Ia construction des significations. La signification attribuée à un objet a trois origines non indépendantes :

- ce qu'on peut lui faire, - ce qu'il peut faire, - ce dont ¡I est fait (parties, constituants, relations).

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Ces trois origines sont liées à l'action. "Ce qu'on peut lui faire" établit une relation entre Ia nature de l'objet et les actions que l'on peut exercer sur lui. "Ce qu'il peut faire" établit une relation entre l'objet et les actions qui peu­vent lui être attribuées. "Ce dont ¡I est fait" concerne les objets (Piaget & Gar­cia, 1987 ; voir également Ricco, 1990 ; Byrnes, 1992). Que pousser une balle Ia fasse rouler constitue une partie de Ia signification de "pousser" ; qu'une balle qui roule ait été poussée constitue une partie de Ia signification de "rou­ler". La balle elle-même a Ie sens de "quelque chose qui peut rouler et être poussé. "Pousser" implique "rouler" en ce qu'ils tirent une signification de ce qu'ils peuvent provoquer : Ie déplacement d'une balle. "L'implication signi­fiante" opère sur les significations des actions et des objets en les incluant l'une et l'autre comme des composantes essentielles. Ce que l'on peut prévoir est une conséquence naturelle de Ia manière dont on conçoit Ia nature des choses. Et Ia manière dont les choses agissent fait partie de leur conceptuali­sation.

La figure 1 illustre Ia structure de Ia conception piagétienne. Les ac­tions et Ie mouvement sont essentiels. Des actions dérivent les objets, inva­riants dans l'action, et les causes, actions exercées sur les objets ; du mouvement dérivent l'espace, cadre invariant dans lequel s'effectuent les mouvements, et Ie temps, déroulement du changement.

action mouvement

cause

L localisé

objet

j statique

dynamique^

espace

Figure 1 : Relations entre l'action et Ie mouvement et les catégories fondamentales de Ia pensée sur Ia réalité.

L'objet et l'espace reflètent les principaux aspects statiques du monde. Le temps et Ia cause reflètent les aspects dynamiques, changeants. Comme l'action, Ia cause et l'objet sont localisés, alors que Ie temps et l'espace sont les "lieux" dans lesquels les actions et les objets prennent place.

Ainsi, ce que nous pouvons retenir de Piaget est une explication d'une possible structure de base du raisonnement ontologique sur les objets et les

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Approches théorique et empirique de Ia causalité

causes, et une manière de penser qui cherche les racines de l'explication cau­sale dans les conceptions de Ia nature des choses : ce que l'on peut leur faire, ce qu'elles peuvent faire, et ce dont elles sont faites.

1.3. Points de vue issus des sciences cognitives

Les chercheurs cognitivistes n'ont pas eu beaucoup de complexes à attribuer une pensée causale aux personnes et à tenter de trouver des moyens de construire des systèmes artificiels qui utilisent de telles formes de pensée. Leurs efforts sont assez variés dans leur forme et leur but ; cependant nous pouvons en extraire quelques points de vue intéressants.

1.3.1. La tradition des modèles mentaux

Dans leurs explications de Ia vie quotidienne, les gens semblent être d'un irrémédiable réalisme naïf. Hs supposent que Ie monde est constitué d'ob­jets physiques réels et d'événements se produisant vraiment, parmi lesquels ils se comptent eux-mêmes. Hs considèrent comme important qu'un événement se produise réellement ou non, ou qu'un objet existe réellement ou non.

Voilà Ie point de vue largement développé dans Ia tradition des mo­dèles mentaux, où les aspects importants de Ia pensée sont considérés comme Ia manipulation mentale d'objets de pensée, par opposition aux pro­cessus symboliques ou logiques, suivant par exemple Johnson-Laird (1983, 1991) et Gentner & Stevens (1983) :

"... Ie raisonnement quotidien ne recourt pas à une logique comportant des règles formelles d'inférence. [...] Au contraire, les personnes raisonnent en élaborant une représentation des événements décrits par les prémisses." (Johnson-Laird, 1983)

Le travail sur les modèles mentaux consiste principalement à décrire comment les personnes conçoivent les objets et les événements, et à en étu­dier les conséquences sur leur compréhension du monde. Ce que sont ces conceptions peut avoir des conséquences radicales sur Ia recherche des causes. Par exemple, Wiser et Carey (1983) montrent comment les premiers chercheurs en thermodynamique furent naturellement conduits à rechercher les différents effets du "froid" suivant que ce froid provenait d'une source ou d'une autre. L'ontologie considérait Ie chaud et Ie froid, qui ne faisaient jadis qu'un avec Ia température, comme des propriétés spécifiques des objets par­ticuliers ; aux sources de chaud et de froid étaient attribués des rôles causaux.

1.3.2. Imaginer (Envisioning)

De Kleer et Brown (1983, 1984) posent Ia question de ce qui est né­cessaire à un système cognitif pour découvrir comment peut fonctionner un

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système physique, par exemple une pompe. Hs voient quatre étapes dans ce processus :

- Ia représentation du système, - l'imagination (envisioning) des types de fonctionnement possible, - Ia simulation mentale d'un type de fonctionnement, - Ia confrontation avec Ia réalité.

Hs supposent que Ie système cognitif (dans leur cas un programme in­formatique) possède un engagement ontologique de base : tout événement a une cause. Ils modélisent Ie raisonnement plutôt en termes de causalité que de légalité. Leur système peut même inventer des causes mythiques, élabo­rées pour maintenir une cohérence ontologique.

Le raisonnement causal repose selon eux sur deux principes fonda­mentaux :

- un principe de localité : Ia cause est structurellement proche de l'effet,

- un principe d'asymétrie : Ia cause précède l'effet.

Prenant appui sur les travaux de Bunge (1959), Gutierrez et Ogborn (1992), dans un article récent, y ajoutent :

- Ia productivité : s'il y a un effet, il y a une cause ; - Ia constance : s'il y a une cause, il y aura un effet ; - l'unicité : Ia même cause produit Ie même effet.

Hayes (1978, 1985) et Forbus (1983, 1985) offrent d'autres façons de penser dans Ia même direction. Schank (1986) offre un menu copieux, sinon digeste, de manières de voir comment les explications, y compris les expli­cations causales peuvent être construites de façon créative par modification de l'ontologie affectée aux objets et aux événements.

1.4. Les apports de l'étude du langage

Les linguistes, particulièrement ceux qui étudient l'analogie et Ia méta­phore, ont beaucoup à proposer quant aux besoins d'interprétation de Ia cau­salité et de l'explication causale. Lakoff et Johnson (1980) par exemple décrivent ce qu'ils nomment "Ia Gestalt expérlentielle de Ia causalité", un schéma "prototypique" de relation causale directe qui a l'ensemble des carac­téristiques suivantes :

- ¡I y a un agent du changement, - ¡I y a un patient sur lequel l'agent agit, - l'agent a pour but un certain changement du patient, - l'agent possède un plan pour provoquer Ie changement, - Ie plan exige une action motrice effectuée par l'agent, - l'agent contrôle cette action motrice, - l'agent dirige !'"énergie" vers Ie patient,

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- l'agent touche Ie patient, directement ou à l'aide d'un instrument, - Ie changement subi par Ie patient est perceptible, - il y a un seul agent spécifique et un seul patient spécifique.

La ressemblance entre cette manière de voir et Ie schéma de De Klee et Brown (voir ci-dessus) est frappante. Andersson (1986) a tenté de dévelop­per Ia Gestalt expérientielle de Ia causalité pour obtenir une description unifiée de Ia diversité des représentations spontanées du changement physique.

La caractérisation par Rozier (1988) du raisonnement linéaire causal constitue une autre tentative utile d'analyse générale des schémas de raison­nement causal ; elle semble pouvoir être mise en relation avec Ie point de vue de Lakoff et Johnson, particulièrement en ce qui concerne Ie dernier item de Ia liste de caractéristiques précitées ci-dessus.

La notion de "prototype", issue des travaux de Rosch (1977) et déve­loppée par Lakoff (1987), est particulièrement féconde. Nous retrouvons Ia même idée dans Ia notion de "primitives phénoménologiques" développée par Di Sessa (1988) à propos de Ia causalité et des schémas de changement ; "une pression crée un flux qui s'oppose à une résistance" en est un exemple.

1.5. Vue d'ensemble théorique

On peut résumer les directions de compréhension de Ia causalité dé­veloppées dans les perspectives théoriques précisées ci-dessus de Ia manière suivante.

1. Nous devons analyser Ia manière dont les gens conceptualisent les objets et les événements, en admettant que les pouvoirs causaux puissent être des propriétés intrinsèques d'un objet ou d'un événement.

2. Cette analyse doit être ontologique (plutôt qu'épistémologique). La conceptualisation des objets et des événements peut être approchée en po­sant les questions suivantes au sujet d'un événement :

Que peut-il faire ? Que peut-on lui faire ? De quoi est-il fait ?

3. Nous devons nous attendre à ce que l'action humaine soit un mo­dèle de référence pour les relations causales.

4. Des exemples spécifiques de relations causales peuvent seulement être comparés à un niveau assez profond et abstrait, qui a trait aux compo­santes essentielles de Ia pensée sur Ie monde physique.

5. La causalité n'est pas une catégorie (au sens où elle posséderait des critères de définition nécessaires et suffisantes) mais un prototype présentant un ensemble complexe de caractéristiques connectées par une compréhen­sion élémentaire de Ia nature des choses.

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2. ÉTUDES EMPIRIQUES

Cette partie décrit brièvement un certain nombre d'études empiriques récemment menées dans notre groupe de recherche et reprenant dans les grandes lignes Ie cadre théorique précisé ci-dessus. Ces études présentent une certaine diversité, dans leur but et leur nature ; toutes impliquent cepen­dant, de différentes manières, des aspects de causalité.

2 . 1 . Force et mouvement

Whitelock (1990, 1991) a mis à l'épreuve une théorie (Ogborn, 1985) des structures naïves de base de Ia compréhension des causes du mouve­ment. Cette théorie est fondée sur l'analyse des structures causales possibles, essentiellement :

- absence de cause • pas d'effet • l'événement se produit naturellement.

- présence d'une cause • Ia cause est un empêchement

elle empêche Ie changement elle échoue à empêcher Ie changement

• Ia cause provoque Ie changement elle agit naturellement elle agit "violemment"

• elle est exercée par un agent extérieur / par l'entité sur elle-même

• elle contrôle / elle initie • de "l'énergie" est consommée / n'est pas

consommée.

L'analyse a été centrée sur Ia description de deux caractéristiques es­sentielles des causes du mouvement, à savoir "l'effort" et "Ie support". Ainsi "tomber" peut être décrit comme Ia conséquence d'une absence de support (qui empêche Ia chute) qui est Ia cause de ce qui se produit. "Marcher" peut être décrit comme dû à un effort interne de Ia chose qui se déplace, égale­ment supportée par Ie sol. Des exemples de neuf prototypes de mouvement, tels que marcher, voler, être poussé et être porté, ont été élaborés et repré­sentés dans des bandes dessinées. Whitelock a demandé à des enfants de 7 à 16 ans d'indiquer sur une échelle à quatre degrés si les causes du mouve­ment étaient semblables ou différentes dans ces images prises deux à deux. Il a utilisé, avant l'expérimentation avec les élèves, Ie cadre théorique précisé ci-dessus pour évaluer chaque paire de prototypes, en les classant comme semblables ou différents suivant les caractéristiques indiquées. Ces classe­ments théoriques, lorsqu'ils incluent Ie caractère vivant ou inanimé des objets,

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permet de prévoir de façon assez satisfaisante les classements des enfants (taux de corrélation d'environ 0,8 entre les deux séries de classements).

Des études complémentaires par entretien (Bliss, Ogborn & Whitelock, 1989) ont contribué à établir que les termes "d'effort" et de "support", utilisés de façon cohérente avec Ie schème ci-dessus, permettent une interprétation raisonnable des manières dont les élèves, qu'ils aient suivi un enseignement de physique ou non, peuvent décrire les mouvements qui leur étaient présen­tés sous forme de bandes dessinées.

Ces idées ont, depuis, été reprises dans une perspective développe-mentale de l'origine des notions de cause du mouvement dans Ia petite en­fance (Bliss & Ogborn, 1990, 1992).

Law (1990) a étudié les idées des élèves concernant les causes du mouvement en leur faisant programmer (en PROLOG) des "systèmes-experts" simples qui décrivent Ie mouvement comme ils Ie voient. Les programmes ont pu être analysés du point de vue de Ia structure de base qu'ils présentaient. Une structure courante est Ie couple "agent - patient", comprenant deux ob­jets : l'un fournit une substance qui assure Ia médiation de Ia cause (force) et l'autre qui en subit l'influence, ce qui entraîne son mouvement. Les propriétés de l'objet influencé modifient l'effet de Ia force sur l'objet. Law a également mis en évidence des formes de pensée prototypiques, dans lesquelles les mouve­ments et leurs causes sont souvent distingués par des ensembles de caracté­ristiques ; par exemple Ie mouvement est causé par Ie vent si Ie mouvement de l'objet est instable, si l'objet est léger et se déplace dans l'air au-dessus du sol.

Gutierrez et Ogborn (1992) ont utilisé explicitement les rubriques pro­posées par De Kleer et Brown (voir ci-dessus 1.3.2.) pour analyser les ré­ponses d'élèves espagnols âgés de 13-14 ans d'une part, de 17-18 ans d'autre part, auxquels on avait demandé de décrire et d'expliquer des mouvements, présentés ici aussi sous forme de bandes dessinées. Nous avons trouvé des formes de raisonnement qui peuvent être interprétées dans les termes de De Kleer et Brown, et d'autres qui, bien que tendant initialement à s'accorder avec Ie schème du raisonnement linéaire causal de Rozier (1988), ont ensuite ten­dance à se complexifier en impliquant des formes de causalité circulaires et des causes indépendantes entrant en compétition. Nous avons essayé tout particulièrement de décrire les évolutions du raisonnement, plutôt que de ca­ractériser différentes formes de raisonnement. Un type d'évolution particulier est l'invention de causes mythiques pour expliquer les contradictions dans une interprétation. Par ailleurs, les élèves ont tendance à examiner d'abord les agents causaux dynamiques, et seulement plus tard les causes structurelles (c'est-à-dire les contraintes).

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2.2. Les études ontologiques

Dans une série d'études en cours, Mariani et Ogborn (1990, 1991, 1993) ont étudié quelques aspects fondamentaux du raisonnement à propos des objets physiques et des événements, en s'appuyant sur Ie point de vue piagétien rappelé au paragraphe 1.2.

Une première étude exploratoire (Mariani & Ogborn, 1990) a consisté à étudier Ia conservation en relation avec l'action. On a demandé à des élèves italiens de 14-15 ans et de 16-17 ans, à propos de trente-six entités, dont cer­taines, comme une horloge ou une rivière, étaient concrètes et quotidiennes, d'autres comme Ie système solaire ou une étoile, plus lointaines ; d'autres en­core, comme un atome ou un électron, microscopiques ; d'autres encore, comme Ia lumière ou Ia chaleur, immatérielles ; d'autres enfin, comme Ia force ou l'énergie, conceptuelles ; si ces entités :

- pouvaient être en mouvement permanent, - pouvaient fonctionner indéfiniment, - ne pouvaient pas être créées ou détruites, - ne pouvaient pas s'arrêter d'elles-mêmes, - pouvaient produire quelque chose sans aide extérieure.

On a aussi demandé aux élèves de choisir pour chacune des caracté­ristiques ci-dessus l'entité qui représentait au mieux chacune des caractéris­tiques, et de justifier leurs choix en quelques mots.

Deux facteurs peuvent rendre compte des corrélations entre relations entités-caractéristiques :

- conservé / non conservé, - source de changement / non source de changement.

Le soleil, une personne par exemple, apparaissent commes des sources de changement non conservées. Les objets quotidiens sont en général non conservés et ne sont pas des causes de changement. L'énergie est Ia princi­pale entité à Ia fois conservée et source de changement. Les réponses écrites donnent un aperçu de Ia base de tels jugements. Hs reposent sur Ia possibilité d'une action causale. Des entités telles que l'espace, Ie temps, l'atome, sont considérées comme hors d'atteinte et donc conservés. Cette inaccessibilité à l'action peut apparaître pour deux raisons : par principe comme pour l'espace et Ie temps, et en pratique, comme pour l'atome (trop petit pour qu'on puisse agir sur lui) ou une étoile (trop lointaine pour qu'on puisse agir sur elle).

Ceci suggère que nous ne pouvons pas comprendre Ia causalité sans en même temps prêter attention aux aspects invariants du monde considérés comme inamovibles en général parce que les causes ne peuvent ni les at­teindre, ni les toucher. L'action est impliquée dans Ia conservation aussi bien que dans Ia causalité.

Deux études ultérieures (Mariani & Ogborn, 1991, 1993 ; Mariani, 1992) ont utilisé une nouvelle méthodologie, développée pour mettre à l'épreuve

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notre conviction qu'il est important d'étudier les ontologies fondamentales. Au lieu de demander aux élèves, comme on Ie fait habituellement, à propos d'une entité ou d'un concept X : "Que pensez-vous de X ? Qu'est-ce que c'est que X pour vous ?", nous avons élaboré une liste des questions ontologiques très élémentaires, comme :

- Pouvez-vous Ie toucher ? - Pouvez-vous Ie voir ? - Pouvez-vous Ie détruire ? - Pouvez-vous l'arrêter ? - Peut-il agir par lui-même ? - Peut-il se déplacer ? - Peut-il provoquer des changements ? - Existe-t-il sans rien faire ? - Est-il réel ? - Est-il seulement dans l'esprit ? - Peut-on Ie trouver dans des lieux particuliers ? - Est-il partout ?

Dans Mariani & Ogborn (1991) et Mariani (1992), nous avons développé une liste de soixante questions de ce genre (avec pour certaines quelques va­riations) groupées sous les trois rubriques mentionnées précédemment : Que peut-on lui faire ? Que peut-il faire ? De quoi est-il fait ? A quoi ressemble-t-il ? Ces questions ont d'abord été posées à des élèves brésiliens de 16 à 18 ans à propos de neuf entités conceptuelles importantes en science : matière, éner­gie, temps, espace, mouvement, chaleur, lumière, son, force.

Plus tard (Mariani, 1992), Ie nombre d'entités a été étendu et les groupes d'âge des sujets interrogés élargis pour aller d'élèves de 8-10 ans jusqu'à des étudiants en licence de physique.

Les résultats sont cohérents d'un âge à l'autre et malgré des variations sur les entités avec quatre facteurs qui peuvent être interprétés comme :

- statique / dynamique - lieu / localisation - cause / effet - discret / continu.

En utilisant les scores factohels ou les coordonnées multi-dimension-nelles, nous pouvons placer les questions et les entités dans "l'espace onto­logique" à quatre dimensions comme Ie montre Ia figure 2.

Nous pouvons remarquer, premièrement, que Ia causalité apparaît comme une dimension fondamentale de l'ontologie. Ceci est présent dans Ia pensée des élèves et est utilisé pour distinguer les entités. Nous pouvons noter, deuxièmement, qu'elle est construite de manière très particulière. C'est seulement dans Ia région dynamique, localisée, de l'espace (Ie coin en bas à gauche de Ia figure 2) que Ia distinction cause / effet opère. Seules les entités

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Figure 2 : Les entités dans l'espace ontologique

se trouvant dans ce coin sont distinguées sur les deux dernières dimensions indiquées ci-dessus. Ainsi Ia cause et l'effet sont tous deux considérés comme dynamiques et localisés, par opposition par exemple à Ia matière et aux ob­jets matériels (statiques et localisés), l'espace (statique et comme un lieu), ou Ie temps (dynamique et comme un lieu).

Les causes varient également suivant leur caractère discret ou continu. Energie et force sont considérées comme des causes discrètes, mais Ia lu­mière est considérée comme cause mais aussi comme étendue et comme fluide. Le son est considéré aussi comme fluide mais davantage comme un effet que comme une cause.

Il ne faudrait pas considérer que ces catégories ontologiques sont ri­gides et immuables. Elles fonctionnent non pas tant comme des catégories dé­terminées dans lesquelles les entités restent, que comme l'argile conceptuelle avec laquelle on peut se former une idée d'une entité. Ainsi, pour certains étu­diants, l'énergie change de place dans l'espace ontologique, en étant consi­dérée, ainsi que Ia lumière, comme une substance fluide répartie. De façon analogue, les élèves peuvent envisager des dimensions superposées, par exemple, en imaginant l'espace comme matériel.

Dans un travail récent (Mariani & Ogborn, 1993), nous avons com­mencé à étudier l'ontologie des événements plutôt que celle des objets. Dans une étude préliminaire, nous avons posé à nouveau une large palette de ques­tions ontologiques élémentaires, modifiées pour s'adapter aux événements mais choisies essentiellement comme décrit ci-dessus. Les principales modifi­cations concernent les buts et les finalités. Environ soixante questions ont été posées sur trente événements comprenant des événements de Ia vie quoti-

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dienne (comme un objet qui se casse), des événements scientifiques (comme une réaction chimique), des événements permanents (comme Ia rotation de Ia Lune autour de Ia Terre ou l'été) et des événements abstraits comme Ie fait de penser. Deux groupes ont été utilisés : des professeurs de l'école primaire et des élèves de 15-16 ans, l'un et l'autre en Grande-Bretagne.

En l'occurence, nous avons mis en évidence quatre dimensions claires et interprétables, Ia causalité jouant même un plus grand rôle 1. Dans l'ordre d'importance, nous avons trouvé dans cette analyse les facteurs suivants :

- provoqué / non provoqué - événement / action - état / transformation - finalisé / non finalisé.

Les figures 3a et 3b montrent Ia place des événements dans cet es­pace ontologique commun pour chacun des groupes étudiés. Tous les événe­ments n'ont pas été proposés aux deux groupes mais nous voyons que lorsque les mêmes événements leur ont été présentés, leurs positions dans l'espace sont en général assez semblables. On voit quelques différences mi­neures intéressantes. Par exemple, Ie temps qui passe est considéré par cha­cun des groupes comme un événement sans cause, mais davantage comme une action par les élèves plus jeunes et plutôt comme un événement par les enseignants. Les enseignants Ie considèrent aussi plus fortement que ne Ie font les élèves plus jeunes comme un état sans but.

Trois des quatre dimensions sont très semblables en nature à celles des objets. La dimension cause-effet des objets se divise en deux : provoqué / non provoqué et action (cause) / événement (effet). Ceci paraît refléter Ia double possibilité pour un événement d'être un initiateur ou un résultat (ou les deux). Ainsi un événement peut ne pas avoir de cause lui-même, mais être Ia cause d'un autre événement. Une telle ontologie s'accorde bien avec l'élabo­ration de chaînes causales, en "crochetant" d'autres événements aux deux ex­trémités d'un maillon d'une chaîne.

La dimension état / transformation pour les événements est analogue à Ia dimension lieu / localisé pour les objets. Un événement qui est plutôt sta­tique et persistant, comme Ie temps qui passe ou l'été, ou qui est cyclique et persistant, comme Ia Lune tournant autour de Ia Terre, est considéré d'une certaine façon comme un événement au sein duquel on se trouve. Au contraire, les événements tels que Ie déplacement d'un objet sont considérés comme un changement d'une entité localisée.

1. Une réanalyse récente modifie légèrement ces résultats, sans en changer l'essentiel.

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enseignants du Primaire

Figures 3a : L'espace ontologique des événements (enseignants du Primaire)

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élèves de 14-16 ans

Figures 3b : L'espace ontologique des événements (élèves du Secondaire)

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2.3. Énergie et action causale

Nicholls et Ogborn (1993) ont réalisé une petite étude de l'ontologie spécifique de l'énergie. CeIa vaut Ia peine de l'évoquer ici brièvement, ainsi qu'une étude ultérieure non publiée. L'une et l'autre montrent que l'énergie est considérée suivant une dimension source / consommateur, ce qui peut être compris comme Ia même idée que celle exprimée dans Ia Gestalt expérientielle de Ia causalité de Lakoff et Johnson (voir paragraphe 1.4).

La seconde étude (non publiée) pose spécifiquement Ia question de sa­voir si certains événements ont une cause en demandant en même temps comment ils impliquent l'énergie. L'existence d'une cause s'avère fortement associée avec l'idée de Ia nécessité de l'énergie dans un événement. Des groupes allant d'élèves de l'école primaire à des adultes scientifiquement in­formés donnent des profils de réponses semblables de ce point de vue, mais différant par exemple en ce qu'ils considèrent ou non l'énergie comme consommée.

3. CONCLUSIONS

On doit admettre que Ie travail théorique et empirique décrit ici est de nature tout-à-fait exploratoire, et qu'il est prématuré de présenter des conclu­sions fermes ou claires. Ce qu'il nous semble suggérer est que les études de l'ontologie des choses, de Ia manière dont elle est comprise par les gens et dont elle est utilisée dans leur raisonnement, et où Ia causalité joue un rôle im­portant et parfois dominant, peut au moins suggèrer des voies de compré­hension de ce raisonnement.

Une telle compréhension fonctionne à un niveau quelque peu abstrait, et il n'est pas du tout évident que les gens soient conscients des catégories ou prototypes qu'ils utilisent (bien que Mariani (1992) ait pu montrer que lorsqu'on leur demande explicitement de situer les entités selon les dimensions qui ont émergé de l'analyse statistique, les gens font essentiellement les mêmes choses que celles que l'analyse a livrées).

Ce qui semble émerger de façon consistante est :

1. l'importance de l'action, comme modèle de relation causale et comme mise à l'épreuve de Ia conservation ;

2. l'importance du mouvement comme modèle de changement ;

3. l'importance d'une dimension du type objet / espace, qui considère Ie monde comme des entités localisées dans des lieux, mais où Ie "lieu" est généralisé de façon à inclure des événements et Ie temps aussi bien que l'es­pace. La cause est fondamentalement localisée ;

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Approches théorique et empirique de Ia causalité

4. Ie caractère fondamental de l'action causale comme élément de rai­sonnement non détaché des objets et des événements, mais considérée comme une partie essentielle de leur signification.

Dans Ia suite de ces idées, une nouvelle tâche intéressante consiste­rait à étudier leur utilisation dans Ie raisonnement analogique (voir par exemple Vosniadou & Ortony, 1989). Une autre serait d'analyser comment les change­ments ontologiques dans Ia science elle-même peuvent éclairer l'histoire des sciences et être également source de difficultés pour les étudiants. Un exemple serait Newton, qui détruisit fondamentalement l'ontologie antérieure du mouvement en annonçant qu'il n'avait pas de cause, alors que Ie mouve­ment était Ie paradigme de l'effet d'une cause. Un autre exemple est Coper­nic, qui fit voyager Ia Terre dans l'espace ontologique, en Ia faisant passer d'un lieu statique dans lequel nous vivons à un objet dynamique, localisé, voyageant comme n'importe quel caillou. A ce point de l'histoire des sciences nous voyons les physiciens travailler dans l'ontologie quotidienne, mais en même temps lui donner de nouvelles significations. Et c'est ainsi, après tout, que Pia­get voyait fonctionner notre esprit.

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La formation à l'enseignement des sciences : Ie virage épistémologique

Jacques DÉSAUTELS, Département de didactique

Marie LAROCHELLE Département de psychopédagogie

Benoit GAGNÉ, Département de didactique

Françoise RUEL, Département de didactique

Faculté des sciences de l'éducation

Université Laval, Québec (Qc), G1K 7P4

Résumé

Depuis plusieurs années, les travaux que nous avons effectués dans Ie domaine de l'éducation à Ia science, suivant une perspective constructiviste, nous ont permis de distinguer, parmi les nombreux problèmes qui jalonnent l'enseignement et l'apprentissage des sciences, des problèmes d'ordre épisté­mologique. Dans Ia recherche que nous relatons succinctement dans cet ar­ticle, nous nous intéressons cette fois à Ia formation à l'enseignement des sciences. Nous avons en particulier conçu et mis à l'épreuve, en contexte uni­versitaire, une stratégie de formation qui, tout en puisant aux travaux contem-

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porains en epistémologie, en socioiogie et en histoire des sciences, se préoc­cupe de faciliter chez les apprentis-enseignants Ie développement d'un point de vue réflexif et averti à l'égard de leur propre epistémologie «spontanée» et de ses inévitables effets sur leur pratique professionnelle.

Abstract

In the last several years, within the framework of a constructivist pers­pective of science education, our work has allowed us to distinguish, among the problems related to teaching and learning science, some problems of an epistemologica! nature. This paper focuses specifically on teacher education, with particular emphasis on the conception and testing of a pedagogical stra­tegy at the university level. Although influenced by the contemporary findings in epistemology, sociology and history of science, this strategy has encouraged the pre-service teachers to develop a reflexive and informed point of view re­garding their own «spontaneous» epistemology and its inevitable effects on their professional practice.

Dans Ia foulée du programme de recherche1 que nous menons depuis plusieurs années à divers ordres d'enseignement, nous avons conçu et mis à l'épreuve, en contexte universitaire, une stratégie de formation à l'enseigne­ment des sciences. Cette stratégie pédagogique, de type constructiviste, visait à permettre aux apprentis-enseignants une mise en forme de leurs représen­tations à l'égard des sciences, de leur enseignement et de leur apprentissage, afin de développer un point de vue sur Ie sujet viable sur les plans théorique et empirique. L'une des hypothèses qui sous-tend cette recherche est que toute stratégie pédagogique prend relief et sens suivant, entre autres, l'option épistémologique de son auteur et Ie type de rapport au savoir qu'il a déve­loppé, dont Ie rapport au savoir scientifique. Or, dans Ie domaine où nous œu­vrons, l'option qui a Ia faveur «spontanée» des apprentis-enseignants est Ie plus souvent de type empiriste, ce qui les conduit à des impasses pédago­giques non négligeables lorsque les élèves avec lesquels ils interagissent ne voient pas ce qu'ils seraient présumés voir. CeIa les conduit aussi à des glis­sements épistémologiques et idéologiques quant à Ia représentation qu'ils vé­hiculent, explicitement ou non, des modes de pensée, de travail et de décision des scientifiques. C'est donc en vue de faciliter chez ces apprentis-ensei­gnants un examen critique et averti de leur epistémologie spontanée, tout comme de celle que nous leur proposions, que nous avons pensé cette stra-

1. La recherche dont il est question dans cet article a été rendue possible grâce à une sub­vention du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. De plus, Françoise Ruel et Benoît Gagné ont bénéficié d'une bourse d'excellence pour des études de doctorat du Fonds pour Ia Formation de Chercheurs et l'Aide à Ia Recherche du gouvernement du Québec.

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La formation à l'enseignement des sciences : Ie virage épistémologique

tégie. Toutefois, avant de présenter quelques éléments de celle-ci et quelques illustrations de ses "effets", voyons comment une epistémologie qui s'ignore a tout de même des effets très pratiques qui, dans Ie cas relaté et que nous em­pruntons à Geddis (1988), ne sont pas très heureux !

1. LES MÉSAVENTURES PÉDAGOGIQUES DE M. WINTERS

Nous sommes dans une classe du Secondaire où Ie concept à l'étude est celui de transformation chimique. M. Winters, l'enseignant, s'inspire d'un manuel qui propose en guise d'introduction à ce thème Ie cas de Ia formation des images sur Ia pellicule d'un appareil photo Polaroid. L'expérience de "dé­monstration" en cause est celle de Ia photosensibilité du chlorure d'argent, dans Ie but de jeter les bases pour expliquer Ia variation de Ia qualité des images photographiques suivant les conditions de lumière qui président à leur production : images sombres et indistinctes lorsque Ia photographie est prise dans des environnements sombres, images claires et délavées lorsque l'envi­ronnement est très éclairé.

A cet effet, M. Winters confie aux élèves (par groupes de deux) trois tubes transparents de chlorure d'argent, l'un de ces tubes devant être placé à l'obscurité (dans Ie placard), un autre à Ia lumière du jour (sur Ie rebord de Ia fenêtre) et, enfin, un dernier à Ia lumière ambiante, soit sur leur pupitre. Il leur demande d'observer chaque tube après trois minutes, six minutes et neuf mi­nutes d'exposition, puis de consigner leurs observations sur Ia feuille conçue à cet effet par l'auteur du manuel. Sur cette feuille il est rappelé aux élèves que cette expérimentation leur permettra d'étudier plus à fond "Ie changement qui se produit iorsque Ia lumière intervient dans Ia fabrication des images qui leur ont été présentées. Cette information pourra être alors utilisée pour donner une explication complète du processus de production d'une photographie" (cité dans Geddis, 1988, p.13).

De manière générale, les élèves notent que seul Ie chlorure d'argent ex­posé à Ia lumière du jour a changé de coloration. L'extrait suivant, qui relate l'échange qui s'est alors tenu entre M. Winters et les élèves, est particulière­ment instructif quant aux prémisses épistémologiques qui orientent l'interven­tion de l'enseignant :

1. M. Winters : Très bien. Que s'est-il passé ? Décrivez-moi ce qui s'est passé sur Ie pupitre. Vous avez obtenu... Prenez vos feuilles.

2. Un étudiant : Hs étaient tous deux encore clairs. 3. M. Winters : Depuis neuf minutes ? Aucun changement ? 4. Un étudiant : Non. 5. M. Winters : Pas de changement ? Personne n'a observé de chan­

gement ?... sur Ie bureau, quand ils étaient sur Ie bureau. 6. Nora : Celui à Ia fenêtre a changé.

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7. M. Winters : Non, je parle de celui sur Ie bureau. 8. Les étudiants : Oh ! 9. M. Winters : Ken ? Pas de changement du tout ?

10. Ken : Non. (Inaudible) 11. M. Winters : Personne n'a obtenu de changement quel qu'il soit ? 12. Dave : C'est devenu juste un petit peu plus foncé. 13. M. Winters : Un petit peu plus foncé ? 14. Dave : Oui, bien, c'est ... c'est comme, comme, euh, un nuage

blanc et il ... ¡I est devenu juste un petit peu plus gris. 15. M. Winters : Est-ce ... Est-ce normal ? Vous attendiez-vous qu'il

devienne un petit peu plus grisâtre, un petit peu plus pourpre ? 16. Dave : Bien, pas dans Ia lumière de Ia pièce. Peut-être ... ¡I était

blanc sur Ie dessus et il y avait un petit peu de substance grise comme ... (Inaudible) sur Ie bas.

17. M. Winters : Ainsi, ¡I y a un changement chimique, une réaction chimique avec Ia lumière de Ia pièce ? Vrai ? D'accord ? Barry, vous attendiez-vous que ça arrive ? ... Avez-vous regardé très soigneusement ?

18. Barry : Non, je n'ai pas pensé que ... (Inaudible) fenêtre. 19. M.Winters Oh!(petitrire)(lnaudible) 20. Barry : Ça n'a pas changé beaucoup. 21. M. Winters : Oh, mais vous n'avez pas regardé soigneusement ...

minutieusement. 22. Barry : Je l'ai regardé avant.

Apparemment anodin ne serait-ce que par sa brièveté, cet épisode illustre néanmoins les effets bien pédagogiques du point de vue, ici empiriste, qu'entretient M. Winters à l'égard de Ia connaissance et de son appropriation. En effet, M. Winters soumet aux élèves une tâche avec pour seule consigne d'"observer", comme si les faits ou les données de Ia tâche allaient transmettre d'eux-mêmes leur charge cognitive aux élèves. On reconnaît dans cette orga­nisation des activités pédagogiques l'un des éléments de Ia perspective empi-rico-réaliste de Ia connaissance, soit Ia croyance en l'évidence comme source de connaissances.

Cette croyance habite également Ie pseudo-protocole que M. Winters fournit aux élèves. Ce protocole, peu loquace sur l'ancrage théorique et les conditions opératoires de l'observation, véhicule une promesse à saveur em­piriste, à savoir que Ie "changement" attendu est en définitive Ia "preuve" de l'interaction "chlorure d'argent et lumière", et de surcroît Ie résultat d'une cau­salité simple entre les deux. Or, même pour un photographe du dimanche, il va de soi que chaleur et humidité peuvent contribuer au dit changement. Pour­tant, ces autres possibles, selon Ie mot de Piaget, ne pourront être envisagés par les élèves que si Ia tâche s'est muée en problème pour ceux-ci, au sens où il leur est loisible d'expliciter leur compréhension spontanée, de mettre en forme leurs attentes et d'esquisser une ébauche d'explication qui guidera leur exploration ultérieure. Or, dans l'épisode sus-mentionné, rien ne permet de

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La formation à l'enseignement des sciences : Ie virage épistémologique

penser que cette activité de théorisation ait été requise. C'est plutôt, si l'on se fie aux interventions de M. Winters, Ia minutie du regard qui est en cause, ce qui, par ailleurs, est conforme au rôle passif dévolu au sujet connaissant dans Ia perspective empiriste et qui est révélatrice d'un certain rapport au savoir. En effet, comme les caractéristiques de l'objet à connaître sont d'abord vues comme intrinsèques à celui-ci, puis divulguées par l'observation et l'expéri­mentation, toute activité de construction et de négociation de sens est court-circuitée, et ¡I n'y a dès lors qu'une vérité possible. Toutefois, l'enseignant qui adhère à ce point de vue se trouve dans une fâcheuse situation lorsque les "observables" des élèves ne concordent pas avec ceux qui sont prévus par Ia connaissance "véridique" des phénomènes. La seule manœuvre qui lui reste alors est, comme Ie formule Voigt (1985), de ré-institutionnaliser Ie savoir offi­ciel, Ie savoir valide, et ce à un coût éducatif considérable.

La façon dont M. Winters s'est sorti de l'impasse dans laquelle sa stra­tégie pédagogique l'a amené, est instructive à ce propos et illustre bien com­ment son option épistémologique, en tant que forme de rapport au savoir, structure son action pédagogique, laquelle, inévitablement, instille chez les élèves un certain type de rapport au savoir. Ainsi, puisqu'il suffit pour M. Win­ters de mettre les élèves (récepteurs) en présence des faits, ceux-ci ayant Ie pouvoir d'émettre un message (une information) clair et univoque, il est alors inévitable qu'il considère les élèves comme de piètres observateurs. Il entre­prend d'ailleurs de les convaincre que c'est bien Ie cas et qu'ils auraient dû noter à tout Ie moins une petite différence (paragraphes 13 à 22). Les élèves doivent donc nier Ia valeur de leurs propres compétences cognitives : ils n'ont pas vu ce qu'ils auraient dû voir, si M. Winters dit vrai. Mais selon quel type d'argumentation ce dernier peut-il les convaincre ? Notons tout d'abord que les observations rapportées par les élèves ne s'accordant pas avec l'explica­tion officielle, celle-ci leur est alors imposée (paragraphe 17) en vertu non seu­lement de l'option épistémologique (toujours implicite) de M. Winters, mais aussi de l'autorité qui lui est dévolue par l'institution. C'est ce qui légitime M. Winters d'affirmer qu'il y a eu une réaction chimique selon Ie même mode lan­gagier qu'il utiliserait pour dire qu'une pomme est tombée de l'arbre, c'est-à-dire sans précautions d'usage, sans spécification du contexte théorique que les scientifiques se sont donné pour distinguer l'interaction en question et lui conférer une certaine intelligibilité. C'est donc un argument d'autorité tradi­tionnelle, et non pas d'autorité rationnelle (Russell, 1983), que M. Winters uti­lise pour dénouer l'impasse : Ia réaction chimique est une évidence, elle peut être pointée du doigt. En ce sens, Ie but de l'épisode s'apparente bien à Ia ré­institutionnalisation du savoir officiel et, d'une certaine façon, de Ia position de M. Winters dans l'institution scolaire, Ie tout à l'insu des élèves. Mais qu'en est-il du rapport au savoir qu'ils peuvent développer dans un tel contexte pé­dagogique ?

La réponse à cette question n'est certes pas simple, mais on peut pen­ser que c'est ainsi que les élèves se fabriqueront une idée de ce qu'est Ie tra­vail scientifique (Désautels & Larochelle, 1989), même si cela ne fait pas l'objet

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d'un enseignement explicite (Ie "curriculum caché"). Il est également plausible de penser que les élèves seront ainsi amenés, tout doucement au long de leur scolarité, à se fabriquer une image dépréciative d'eux-mêmes en tant que su­jets connaissants, d'autant plus qu'il leur sera constamment rappelé, plus ou moins subrepticement, que leurs schèmes de compréhension et leurs savoirs, ceux du sens commun, sont erronés, voire illusoires. Il s'agit là, et nous em­pruntons l'idée de Bourdieu (1980), d'une instance manifeste de domination symbolique dans Ia mesure où, peu à peu, les élèves sont inconsciemment amenés à appliquer les critères dominants d'évaluation (scientifiques ou pseudo-scientifiques) à leurs propres pratiques de connaissance. C'est ainsi que seront inculqués des habitus intellectuels qui les disposeront à accepter sans critique Ia hiérarchie sociale des connaissances et à penser que Ia pro­duction de ce capital symbolique est réservée à une minorité de personnes douées (Désautels & Larochelle, 1989).

En d'autres termes, toute position épistémologique et toute stratégie pédagogique qu'elle inspire font Ia promotion d'un certain rapport au savoir, depuis Ie rapport de soumission et de dépendance intellectuelle jusqu'à celui qui favorise une certaine autonomie, par Ie biais du contrôle réflexif sur ses propres productions de connaissance et celles des autres, dont les scienti­fiques. Les recherches récentes sur l'enseignement des sciences tel qu'il se fait sont instructives à ce propos et permettent d'observer que Ie cas de M. Winters n'est pas isolé, Ie théorique ayant des effets très pratiques, comme di­sait Sartre.

2. DE L'ENSEIGNEMENT À LA FORMATION À L'ENSEIGNEMENT

Parmi les nombreuses recherches sur l'enseignement des sciences au quotidien (Roth, Anderson & Smith, 1987 ; Tobin & Gallagher, 1987), celle conduite par Brickhouse (1990) est particulièrement éloquente quant aux rela­tions entre Ie cadre épistémologique des enseignants et enseignantes et cer­taines dimensions de leur pratique pédagogique. Par exemple, un enseignant du Secondaire, qui conçoit Ia méthode scientifique comme un processus ra­tionnel et linéaire conduisant à Ia vérité, pense que les procédures scientifiques sont prédéterminées et que Ia question de Ia reproductibilité des résultats des expériences est cruciale. CeIa Ie conduit notamment, selon Brickhouse, à pri­vilégier de façon prononcée l'obtention de Ia bonne réponse et, dans Ia conduite des travaux pratiques, à attacher plus d'importance aux aspects pro-céduraux qu'aux aspects conceptuels. Dans Ia même veine, lors d'une vaste étude ethnographique, Gallagher (1991) a mis en évidence Ia prépondérance de l'épistémologie empiriste dans les points de vue qu'entretiennent les en­seignants à l'égard de leur objet d'enseignement. En fait, des 27 enseignants qu'il a observés durant plus de mille heures de classe, 25 s'inspireraient d'une idée de Ia science désuète du type empirico-réaliste pour orienter leur pratique

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pédagogique. En somme, tout comme l'illustrent les mésaventures pédago­giques de M. Winters, ces travaux tendent à montrer que Ia représentation de Ia science que se font les enseignants oriente, au moins en partie, les straté­gies pédagogiques qu'ils mettent en œuvre dans Ia classe et Ie laboratoire.

D'une certaine façon, ces observations ne devraient guère nous sur­prendre. Il est en effet reconnu que, de manière générale, les enseignants ad­hèrent à une vision empirico-réaliste de Ia science (Ogunniyi, 1982 ; Terhart, 1988) qui les conduit à privilégier un enseignement assez traditionnel dans le­quel ni Ie statut épistémologique des élèves (en tant que re-producteurs du sa­voir) ni Ie caractère construit et social du savoir scientifique ne sont considérés. Par ailleurs, Ia formation des enseignants est Ie plus souvent étroitement dis­ciplinaire et ne comporte que peu d'ouvertures sur les interprétations contem­poraines des sciences que proposent les travaux d'épistémologie, d'histoire, de sociologie et d'anthropologie des sciences (Pickering, l992). Dans ces conditions, les enseignants auraient assimilé, à l'instar de leur élèves, Ia re­présentation implicite aux curriculums, c'est-à-dire Ia version empirico-réaliste de Ia production du savoir scientifique (Hodson, 1988 ; Collins, 1989 ; Hag-gerty, 1992). C'est ainsi que se bouclerait Ie cycle qui va du Primaire à l'Uni­versité pour y revenir, lequel cycle assurerait Ia pérennité d'une certaine idée de science, tant dans l'institution scolaire que dans Ia société en général.

Les tentatives répétées des formateurs d'enseignants pour briser ce "cercle vicieux" se sont révélées plus ou moins fructueuses (Jungwirth & Za-khalka, 1989 ; Trumbull & Johnston Slack, 1991). Les études plus générales sur Ia socialisation des enseignants indiquent d'ailleurs que Ia mise en oeuvre des programmes de formation a peu d'effets significatifs sur les représenta­tions à l'égard de l'enseignement, de l'apprentissage, etc., que les apprentis-enseignants ont construites au cours de leur scolarisation antérieure (Zeichner & Gore, 1990). En l'occurrence, ce sont ces représentations qui constitueraient, comme Ie formule Jodelet (1989), les grilles conceptuelles à partir desquelles ils donnent relief et sens aux discours des formateurs et se les rendent di­gestes, selon l'expression de Moscovici (1984).

L'étude de HoIt Reynolds (1992) illustre fort bien ce processus en mon­trant comment les neuf étudiants et étudiantes qu'elle a interrogés (six en en­seignement d'anglais et trois en mathématiques) ont réinterprété ou rejeté les arguments de leur formateur en faveur d'un modèle constructiviste de Ia lec­ture, en s'appuyant sur leurs représentations antérieures de l'enseignement et de l'apprentissage. Hs ont ainsi interprété Ia relation que suggérait leur forma­teur entre Ia passivité de l'élève et Ie caractère essentiellement magistral d'un cours comme Ie seul symptôme d'un ennui ou d'un manque d'intérêt, plutôt que dans les termes d'un modèle de cognition. De même, leurs représenta­tions du savoir comme "quelque chose" de transmissible, les a amenés à mi­nimiser l'intérêt éducatif de certaines stratégies pédagogiques. Par exemple, Ie travail en petits groupes et les discussions entre élèves n'auraient pour toute

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valeur, à leur avis, que de moduler Ie rythme de l'enseignement et d'éviter Ia monotonie.

Au regard de l'orientation de plus en plus constructiviste qui marque Ia formation à l'enseignement des sciences, l'une des leçons que l'on peut tirer de ces diverses recherches peut être formulée comme suit : en l'absence d'une considération explicite des représentations Ie plus souvent empiristes des apprentis-enseignants, d'un examen critique des présupposés (épistémo-logique, métaphysique, etc.) qui les fondent ainsi que d'une confrontation, là encore explicite, à d'autres possibles, on ne peut guère attendre qu'ils saisis­sent Ia signification des discours constructivistes qu'on leur propose, et qu'ils donnent leur aval aux propositions pédagogiques qui en découlent.

Pour comprendre les tenants et aboutissants de Ia rupture épistémolo-gique que propose Ie constructivisme avec l'interprétation courante de l'acti­vité cognitive, ¡I ne suffit pas de reconnaître que Ia connaissance résulte de Ia coordination et des distinctions qu'effectue Ie sujet au sein de son répertoire et de ses expériences de cognition, qu'il s'agisse de l'appropriation ou de Ia production des savoirs. Il faut aussi comprendre que ce sujet n'est pas un co­gito isolé et que son activité est éminemment sociale dans son processus comme dans ses produits. D'une part, cette activité participe d'une vision du monde et des formes de connaissance socialement reconnues dans un groupe et à une époque donnés. D'autre part, elle suppose une négociation constante entre les acteurs (de Ia communauté savante ou de Ia communauté éducative) quant à Ia reconnaissance de sa légitimité et de Ia valeur de ses produits, comme en témoignent, par exemple, l'étude de Voigt (1985) à propos de l'éta­blissement des patterns d'interaction dans Ia classe, ou encore les récentes controverses scientifiques au sujet de Ia fusion à froid ou de Ia mémoire de l'eau.

Dans cette optique, il est donc nécessaire que les futurs enseignants mettent en question leurs représentations, les problématisent, c'est-à-dire construisent des problèmes là où, pour eux, il ne semble y en avoir aucun (ex­cepté des problèmes relevant des techniques de communication de l'informa­tion, de l'intérêt-motivation des élèves et de Ia discipline en classe). Et cela serait d'autant plus marqué que Ia majorité d'entre eux, en tant qu'étudiants, auraient éprouvé peu de difficultés à cheminer dans Ia filière scolaire (Guns-tone, White & Fensham, l988). En bref, Ia formation à l'enseignement des sciences dans une perspective constructiviste serait, pour une large part, une question de développement et de complexification conceptuels (Larochelle & Désautels, 1992).

Les didacticiens et didacticiennes des sciences se retrouvent ¡ci en pays connu, si l'on peut dire. N'est-ce pas Ie type de conclusion auquel ils sont parvenus au terme du vaste programme de recherche centré sur les concep­tions spontanées des élèves (Driver, 1989 ; Pfundt & Duit, 1991), à savoir qu'une pratique pédagogique ne peut faire fi du savoir des apprenants : il faut composer avec ! CeIa a évidemment conduit à une révision radicale du statut

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épistémologique accordé à l'élève et à ses connaissances, de même qu'à Ia conception de stratégies pédagogiques congruentes avec cette compréhen­sion constructiviste (Millar, 1989 ; Lyons, 1990). Or, d'une façon similaire, il semble bien que Ia fécondité du projet constructiviste dans Ia formation à l'en­seignement des sciences soit aussi tributaire de nos capacités à composer avec Ie savoir, cette fois, des apprentis-enseignants, et à concevoir des stra­tégies pédagogiques visant à les aider à Ie complexifier.

Dans les pages qui suivent, nous présentons brièvement quelques élé­ments d'une stratégie de formation à l'enseignement des sciences que nous avons conçue et mise à l'épreuve auprès de 26 apprentis-enseignants. Hs étaient tous en possession d'un premier diplôme universitaire en sciences et sept d'entre eux avaient déjà suivi un cours, lors d'études pré-universitaires, où ¡I était question de philosophie des sciences.

3. LE CONTEXTE PÉDAGOGIQUE GÉNÉRAL

D'entrée de jeu, il faut signaler que si composer avec Ie savoir des étu­diants n'est pas une tâche de tout repos, donner une forme pédagogique exemplaire et cohérente à cette intention ne l'est guère plus. Tout enseignant un tant soit peu rompu aux rudiments du métier connaît bien Ia tentation du "faites ce que je dis et non ce que je fais". Toutefois, œuvrer dans Ie domaine de Ia formation à l'enseignement rend l'abandon à cette tentation d'autant plus critique que ce n'est pas tant Ie modèle conceptuel proposé que retiendraient les futurs enseignants que celui que nous aurions mis en actes, si l'on peut dire. Comme nous l'avons évoqué plus haut, ce serait avant tout sur Ia base de leurs expériences d'apprenants qu'ils concevraient leur pratique profes­sionnelle (Paré, l977), ce qui laisse penser que les modèles qu'on leur présente n'acquièrent une intelligibilité et une fécondité que s'ils peuvent, en quelque sorte, les "essayer sur eux" d'abord. Par ailleurs, en conformité avec notre op­tion constructiviste (Ruel, 1992), nous ne pouvions certes pas prétendre leur "transmettre" les enseignements de Ia recherche sur les problèmes d'éduca­tion à Ia science, si éloquents nous paraissent-ils, pas plus que nous ne pou­vions nous abstraire, c'est-à-dire faire comme si nous n'avions aucun point de vue, aucun engagement épistémologique, éthique, etc.

Nous avons donc bâti notre stratégie de formation, à visée indéniable­ment épistémologique, en privilégiant deux voies pédagogiques dont l'imbri­cation était croissante au fur et à mesure des cours. Une première voie (qui fut aussi Ia première chronologiquement) peut être métaphoriquement qualifiée d'épistémologie in vivo. EIIe a pris forme en Ia conception et Ia réalisation d'activités qui invitaient les étudiants non pas à se subordonner aux discours savants sur l'épistémologie des sciences ou sur l'enseignement de celles-ci, mais bien, selon l'heureuse formule de Lebuis (1990), à se concevoir et à se

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structurer comme sujet connaissant par l'explicitation, Ia mise à l'épreuve et, éventuellement, Ia complexification de leur propre epistémologie spontanée2. La réalisation de ces activités, comme de celles qui suivent, était à Ia fois œuvre collective (travaux d'équipe) et œuvre privée (tenue d'un journal épisté-mologique). Ainsi en est-il, par exemple, de l'une des activités portant sur Ia problématique des conceptions spontanées. Dans un premier temps, les étu­diants devaient préciser individuellement leur compréhension des concepts scientifiques en jeu dans l'explication du phénomène de Ia propagation de Ia chaleur dans une tige de métal. Dans un deuxième temps, ils devaient, au sein de leur propre équipe, élaborer et étayer un consensus qui constituait Ia ma­tière première des discussions ultérieures avec les autres équipes. Outre que cette activité était un préalable incontournable pour l'entretien qu'ils devaient réaliser sur Ie sujet avec des jeunes de Ia fin du Secondaire, elle a permis à Ia majorité des étudiants d'apprécier de façon très étroite Ia viabilité de Ia pro­blématique en cause avant qu'elle leur soit présentée. Ainsi, Ia plupart ont pu prendre conscience de Ia pérennité des conceptions spontanées dans leur propre compréhension (dans Ie cas présent, leur tendance marquée à confondre les concepts de chaleur et de température).

Une seconde voie, qui s'apparente davantage à l'épistémologie in vitro, renvoie à Ia prise de connaissance systématique des savoirs établis à Ia fois en epistémologie et en didactique des sciences. EIIe a consisté notam­ment en Ia présentation (orale et écrite) de quelques-uns des points de vue marquants sur les sciences et leur enseignement. Ainsi en est-il des activités «conférences-ateliers» par exemple, au cours desquelles les étudiants ont pu prendre connaissance tant du point de vue de théoriciens que de celui de pra­ticiens, tels les suivants : l'apprentissage en tant qu'activité constructive (avec Ernst von Glasersfeld), les activités de métaphorisation dans les savoirs sa­vants et populaires ainsi que dans les pratiques pédagogiques (avec Wilfrid Bi-lodeau), Ia problématique Sciences-Techniques-Sociétés dans l'enseignement des sciences (avec Glen S. Aikenhead) et Ie caractère rituel des activités ex­périmentales en laboratoire (avec Normand Lessard).

Enfin, certaines activités facilitaient Ia conjugaison des voies précitées, telle l'activité de simulation de certaines conditions de Ia production du savoir scientifique par Ie biais d'un logiciel conçu à cet effet (Larochelle & Désautels, 1992) ; ou encore celle de simulation des conflits et controverses qui jalonnent l'établissement de Ia scientificité d'un savoir, par Ie biais d'un jeu de rôle im­pliquant Ia mise en scène d'une controverse «actuelle», soit Ie cas de Ia so­ciobiologie humaine (Gagné, à paraître).

Il va sans dire que ce choix pédagogique de même que son déroule­ment s'appuyaient sur plusieurs des principes qui sous-tendent notre examen

2. Notons à cet égard que nous nous sommes grandement inspirés de Ia forme (et, à quelques reprises, du contenu) des activités proposées dans les ateliers de formation à l'ensei­gnement des sciences conçus à l'Université de Leeds. Voir Johnston (Ed.), I990.

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des mésaventures de M. Winters. Ainsi, il nous importait de considérer d'en­trée de jeu Ie savoir d'expérience des étudiants et de renverser l'habituel rap­port au savoir qui, du Primaire à l'Université, favorise Ie plus souvent des «schémas de docilité», selon l'expression de Foucault (1975), au savoir ensei­gné, les étudiants ayant peu de pouvoir sur ce qu'ils apprennent. D'autre part, il semblait également plausible de penser que les contenus de Ia didactique et de l'épistémologie des sciences prendraient un relief très différent de celui qui leur échoit dans les cours traditionnels, en s'inscrivant dans Ia foulée d'activi­tés qui auraient favorisé chez les étudiants l'objectivation de leurs habitudes et options de cognition. Enfin, dimension non négligeable, cette considération du savoir des étudiants nous semblait aussi susceptible de leur permettre de se doter graduellement des moyens conceptuels et discursifs requis pour partici­per de façon réflexive et avertie à Ia "conversation" que devait induire l'en­semble des cours à propos de "matières problématiques" (Bateson, 1977).

Parmi ces matières problématiques, les suivantes, dont l'ordre n'est qu'énumératif, ont occupé une place de choix :

- Ia production des connaissances scientifiques (loi, théorie, obser­vation, expérimentation, objectivité, postulat, supposition, concepts et méta­phores, débats et consensus, etc.),

- l'apprentissage des connaissances scientifiques (développement intellectuel, approches de Ia cognition, assimilation, accommodation, auto-ré­férence, récursivité, conflit cognitif, etc.),

- l'enseignement des sciences (buts et stratégies, conceptions spon­tanées, changement conceptuel, développement et complexification concep­tuels, etc.),

- histoire et enseignement des sciences (les formes de l'histoire des sciences, débats et controverses, l'histoire dans les manuels, etc.).

En d'autres termes, il s'est agi d'une stratégie de formation qui visait à favoriser chez les apprentis-enseignants Ie développement de leur capacité à réfléchir et, éventuellement, à complexifier les contenus, instruments et habi­tudes de connaissance sur lesquels ils fondent à Ia fois leurs idées sur Ia science, sur l'enseignement et sur l'apprentissage des sciences, et ce, dans une perspective de renouvellement de l'enseignement des sciences. Mais que nous apprend l'étude de leurs points de vue quant à l'intérêt d'une telle stra­tégie ? Nous n'examinerons ici, à titre indicatif, que certaines dimensions de leur perspective épistémologique. Mais auparavant, quelques mots sur les conditions de recueil et de mise en forme des données.

Notes méthodologiques

Étant donné notre intérêt de recherche, soit Ia mise au jour du déve­loppement et, Ie cas échéant, de Ia complexification du point de vue qu'en­tretiennent des apprentis-enseignants à l'égard de Ia science, de son

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enseignement et de son apprentissage, nous avons retenu plusieurs instru­ments d'enquête (questionnaire, entretien, journal épistémologique) dont Ie trait commun réside en ce qu'ils pouvaient aussi constituer des outils pédago­giques3. Toutefois, comme les analyses des journaux et des entretiens sont en cours de réalisation, nous nous contenterons ici de préciser Ia teneur du ques­tionnaire utilisé pour caractériser, au début et à Ia fin de Ia stratégie, les points de vue des apprentis-enseignants à l'égard de Ia science et de sa production. Nous avons fait usage du questionnaire à choix multiples "Views on Science, Technology and Society" élaboré par Aikenhead et coll. (1987), qui permet de traiter de l'idée de science et de sa socialité suivant divers angles d'entrée. Il s'agit d'ailleurs là de l'intérêt essentiel de ce questionnaire que l'on peut ca­ractériser comme suit. D'une part, relevant comme tout test d'une option épis­témologique, Ie questionnaire V.O.S.T.S. s'intéresse surtout à « Ia science en action » et aux controverses qu'elle suscite dans Ie champ de ses exégètes. CeIa est manifeste dans Ie choix des thèmes qu'ont effectués les auteurs et qui portent aussi bien sur Ia traditionnelle croyance en l'élégance et Ia simpli­cité de Ia nature, que sur Ia participation des scientifiques à Ia "Big Science" (complexe scientifico-militaro-industriel). CeIa est également patent dans Ia forme même qu'ont retenue les auteurs pour traiter d'un thème particulier. Suite à une proposition, Ia personne répondante est confrontée à une gamme de points de vue sur Ie sujet et conviée à y effectuer un choix ou bien à pré­ciser qu'aucun de ces choix ne lui convient4. D'autre part, il s'agit d'un ques­tionnaire aux usages souples et multiples, dans Ia mesure où ¡I comporte une banque d'items à laquelle on peut puiser suivant les intérêts de recherche (ce qu'illustrent notamment les catégories proposées par les auteurs - epistémo­logie, sociologie "externe" et "interne", etc. - et qui peuvent être conjuguées selon Ia problématique de recherche, ce que nous avons d'ailleurs fait !).

3. Ainsi, Ie questionnaire et les entrevues initiaux étaient plutôt des outils de type "déclen­cheur" de Ia réflexion, alors que Ie journal épistémologique, par Ia temporalité même de sa réali­sation, a constitué davantage un outil de soutien à Ia réflexion, d'autant plus que nous l'avons recueilli et commenté à cinq reprises durant les douze semaines qu'a duré notre intervention (à raison de six heures par semaine).

4. De notre point de vue, l'optique des auteurs du questionnaire est doublement intéres­sante si l'on pense aux tests d'attitudes classiques. En effet, ceux-ci présentent des positions de philosophes (Popper et Kuhn sont particulièrement prisés ; à titre d'illustration, voir Rowell & Caw-thron, 1982) sur lesquelles se prononce Ie répondant par Ie biais d'une échelle Likert. Or, ces énon­cés, en plus d'être décontextualisés de Ia pensée qui les englobe, sont Ia plupart du temps choisis suivant les thèmes chers aux philosophes classiques des sciences. Sur ce plan, Ie questionnaire V.O.S.T.S. est beaucoup plus complexe et près de Ia science-qui-se-fait, car on y interroge éga­lement Ie rôle des interactions entre scientifiques dans Ia construction du savoir, celui des projets sociaux plus vastes, etc. Par ailleurs, les divers points de vue offerts aux répondants permettent de traduire Ia variété effective des controverses plutôt que de les réduire à une simple dichoto­mie. En outre, ces points de vue sont rédigés suivant un langage plus "ordinaire". Enfin, comme ce questionnaire a été validé au cours d'une vaste étude pancanadienne à laquelle certains d'entre nous ont participé, sa formulation langagière n'a requis que des ajustements mineurs, ayant déjà fait l'objet d'une traduction, d'une adaptation et d'une validation.

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4. RESULTATS PRELIMINAIRES

Parmi les items que nous avons choisis pour notre étude, nous ne considérerons ici que les cinq items pour lesquels nous avons invité les étu­diants, lors de Ia première passation du questionnaire, à commenter leur choix en quelques lignes et, lors de Ia deuxième passation, à expliquer Ie maintien ou Ie changement de leur point de vue initial. L'intérêt de cette présentation, par ailleurs illustrative, réside en ce que les items commentés permettent de donner accès aux choix «bruts» des étudiants de pair avec les raisons qui les motivent. Nous ne nous attarderons cependant qu'à l'examen d'un seul de ces items (figure 1), selon Ia technique du cas suggestif fTremblay,1968), et n'évo­querons les autres que de façon sommaire.

Q. 1 En se basant sur les mêmes connaissances, deux scientifiques peuvent, d'une manière indépendante, développer Ia même théorie. Le contenu d'une théorie n'est PAS influencé par les caractéristiques individuelles d'un ou une scientifique.

Passation Choisis l'énoncé qui exprime Ie mieux ta position personnelle : (Lis les énoncés de A à I et choisis-en un seul). 1 2 Les caractéristiques individuelles d'un scientifique n'influenceront PAS Ie contenu

d'une théorie : A. car ce contenu est basé sur des faits et obtenu à l'aide de Ia méthode

scientifique, lesquels (faits et méthode scientifique) ne sont pas in- 0 0 fluencés par l'individu.

B. car ce contenu est basé sur des faits. Les faits ne sont pas influencés par l'individu. Toutefois, Ia façon dont un scientifique conduira une expé- 3 0 rience sera influencée par ses caractéristiques individuelles.

C. car ce contenu est basé sur des faits. Cependant, Ia façon dont un scien­tifique interprète ces faits sera influencée par ses caractéristiques in- 7 1 dividuelles.

Les caractéristiques individuelles d'un scientifique influenceront Ie contenu d'une théorie :

D. car les différents scientifiques mènent leurs recherches de manière diffé­rente (par exemple, ils creusent plus ou moins une question ou formu­lent des questions légèrement différentes). En conséquence, ils obtiendront des résultats différents. Ceux-ci influencent alors Ie 6 13 contenu de Ia théorie.

E. car des scientifiques différents penseront de manière différente et auront 1 3 des idées et des points de vue légèrement différents.

F. car Ie contenu d'une théorie sera influencé par ce à quoi veut croire un 3 9 scientifique. Les biais ont une influence.

G. Je ne comprends pas. 0 0 H. Je ne connais pas suffisamment Ie sujet pour effectuer un choix. 1 0 I. Aucun de ces énoncés ne correspond à l'essentiel de mon point de vue. 5 0

Figure 1

L'examen des choix privilégiés par les étudiants au premier item du questionnaire indique, au terme de Ia stratégie de formation, un changement de point de vue, dans Ie sens d'une reconnaissance accrue de l'idée selon

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laquelle les caractéristiques individuelles du scientifique influenceraient Ie contenu d'une théorie. On remarque qu'un seul des vingt-six étudiants main­tient un point de vue contraire, alors qu'ils étaient initialement dix à Ie parta­ger. On note par ailleurs que, pour treize étudiants, cette influence procéderait des intérêts individuels des scientifiques (position D), alors qu'elle serait tribu­taire pour les douze autres soit du cadre de pensée (position E), soit des croyances des scientifiques (position F). Mais quelles sont les raisons invo­quées pour justifier les choix initiaux et, Ie cas échéant, les changements de points de vue ?

De manière générale, les dix sujets qui ont initialement choisi les posi­tions B ou C partagent Ie point de vue selon lequel Ie contenu d'une théorie repose sur des faits qui préexistent à l'activité de recherche. Toutefois, ils re­connaissent l'influence de l'individu dans les choix méthodologiques ou encore dans les interprétations que celui-ci propose des faits, par ailleurs, "inalté­rables" : "Un fait est un fait et ne peut être influencé directement par l'individu qui ne fait que constater le(s) resultat(s). Mais Ia façon de mener une expérience risque fort bien d'être influencée par l'individu. Chacun a sa propre façon de procéder à l'intérieur d'une démarche scientifique uniforme" (S-10) ; "Les faits sont à mon avis inaltérables [...] Toutefois, je crois qu'effectivement les carac­téristiques individuelles peuvent avoir une très grande influence quant à l'inter­prétation de ces faits. C'est probablement pourquoi, encore aujourd'hui, plusieurs théories basées sur les mêmes faits se contredisent" (S-15).

Le caractère empiriste des points de vue exprimés ici est assez net, mais l'on peut se demander si les raisons de ceux qui ont choisi Ia position D s'en démarquent d'une façon significative. Il est difficile de Ie préciser pour les sujets 4 et 5 qui ne font que ré-affirmer l'importance des différences indivi­duelles dans Ie choix des orientations de recherche, bien que l'un d'eux ajoute, sans commenter davantage, qu'à un certain niveau, Ia science devient sub­jective (S-4). Les autres sujets ont élaboré des discours plus explicites sur Ie plan épistémologique. Par exemple, l'un d'eux (S-6) semble adopter une posi­tion empiriste sophistiquée. Par Ie biais d'exemples historiques, il souligne à l'appui de son choix que, dans certains cas (Snell-Descartes), les mêmes faits ont conduit à Ia même formulation des lois, alors que dans d'autres cas (Schrodinger-Heisenberg-Dirac), des "points de vue différents [à l'égard] des mêmes faits" ont conduit à des formalismes différents qui se révéleront éven­tuellement complémentaires. Le point de vue d'un autre sujet laisse transpa­raître un point de vue davantage constructiviste :"Ia méthode scientifique assure une standardisation de l'expérience que conduira Ie chercheur. Mais un travail de recherche est issu de l'imagination du chercheur et fait appel à son intuition basée sur Ia perception qu'a préalablement celui-ci de Ia "realite".Le chercheur formule des hypothèses et tente de les vérifier afin de construire son modèle. NuI ne peut prétendre détenir Ia "vérité". On peut prouver par un contre-exemple Ia fausseté d'un modèle mais on ne peut montrer qu'un mo­dèle est vrai [que] dans les limites qu'on s'était préalablement fixées" (S-19).

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Ainsi, l'interprétation du choix de Ia position D ne va pas de soi et ¡I est donc nécessaire d'exercer une certaine prudence avant de conclure. Notons aussi que si les positions E et F posent moins de problèmes sur Ie plan de l'in­terprétation, cela ne signifie pas pour autant que ceux qui les ont retenues avaient au départ un point de vue plus articulé, comme en témoigne Ie dis­cours qui suit : "La science tente d'atteindre Ia réalité par Ie biais du scienti­fique. Celui-ci possède ses propres motivations et fait tout pour atteindre ses objectifs qui sont rarement Ie désir « pur » de connaître" (S-3).

Enfin, on remarque que près du quart des sujets ont souligné ne pas pouvoir effectuer un choix parmi les positions proposées. Toutefois, l'examen des commentaires effectués par cinq de ces sujets permet de situer leur point de vue sur Ie spectre des positions suggérées. Ainsi, les points de vue des su­jets 9, 23, 26, rejoignent l'esprit des positions A, B et C, dans Ia mesure où ces sujets n'ont pas remis en question l'idée que Ie contenu d'une théorie est basé sur des faits indépendants. Telle est, par exemple, l'association que l'on peut faire du discours qui suit avec les positions C et D : "Puisque, suivant notre expérience, nous comprenons les faits à certains degrés qui seront ap­pelés à se raffiner au fil de notre vécu, il va de soi, à mon avis, que l'interpré­tation puisse en différer, surtout lorsqu'il y a l'implication de plusieurs personnes" (S-9). Les sujets 2 et 24, pour leur part, ont exprimé des points de vue qui s'apparentent aux positions D, E, F, comme Ie souligne explicitement d'ailleurs Ie sujet 24 : "Deux scientifiques travaillant sur un même sujet peuvent développer deux théories différentes. Pourquoi ? Les réponses sont à mon avis D et E". Quant au sujet 2, c'est plutôt l'incomplétude de Ia proposition qui jus­tifie son choix, Ie travail scientifique étant aussi une affaire collective et so­ciale : "Les caractéristiques d'un scientifique influenceront «sa» théorie, mais aussi beaucoup d'autres choses [l'influenceront] : Ie travail fait par d'autres scientifiques, Ia société (au sens large) qui l'entoure, etc. Une théorie établie est toujours une œuvre collective" (S-2).

Au terme de cette première analyse, quel portrait d'ensemble peut-on dessiner quant aux points de vue exprimés par les étudiants ? En tenant compte de l'interprétation donnée aux commentaires accompagnant Ia posi­tion I1 et des positions des sujets qui, tout en ayant choisi Ia position D, four­nissent des arguments d'inspiration empiriste, il semble que Ia majorité des étudiants (environ 60%) conçoivent Ia production du savoir scientifique sous un mode empiriste. La teneur des options épistémologiques des autres étu­diants est cependant plus difficile à caractériser. L'analyse des choix effectués pour les autres items nous aidera à brosser un tableau plus complet à ce sujet, mais pour l'instant voyons ceux effectués pour l'item 1 lors de Ia se­conde passation du questionnaire.

Parmi les 26 étudiants, 17 ont modifié leur choix initial, ce changement paraissant indiquer une remise en question, à tout Ie moins, de l'option empi-rico-réaliste qui dominait les points de vue initiaux. Les commentaires effec­tués par les étudiants pour justifier leurs nouveaux choix sont éclairants à ce

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propos. Ainsi, des neuf étudiants qui ont effectué Ie passage de B ou C à D, trois évoquent explicitement une transformation de leur point de vue à propos du statut épistémologique des faits scientifiques. Par exemple, S-12 remet en question Ia neutralité de ces faits : "Je crois que Ie concept de «fait» est aussi influencé parl'individu", alors que S-10 explicite Ie changement de sa position comme suit : "Par contre, je croyais que les faits n'étaient pas influencés par l'individu comme si les faits étaient immuables et que peu importe ce qu'on réalise, on arrive aux mêmes faits". Le point de vue des six autres étudiants re­pose sur diverses justifications. L'un d'eux (S-1) attribue l'influence des carac­téristiques personnelles à l'appartenance religieuse ou à l'éducation du scientifique, alors qu'un autre évoque l'une des activités pédagogiques du cours (Ia simulation de Ia production du savoir scientifique) pour illustrer com­ment les caractéristiques individuelles, dont Ie type de formation antérieure (biologie, physique, etc.), conditionnent "Ia façon de voir Ie problème, de l'aborder, de se questionner [...] ce qui oriente Ia recherche et conduit à des résultats différents" (S-23).

Il est également intéressant d'examiner Ie type de raisons invoquées par ceux qui ont effectué Ie passage de B, C, ou D à E ou F. On retrouve dans ce groupe deux sujets qui justifient leur nouveau choix par Ia révision de leur idée de fait, alors qu'un troisième souligne Ie rapport entre Ia pensée et l'ob­servation : "La façon de penser d'une personne influence l'explication qu'elle donnera de ses observations". D'autres sujets (S-11 et S-24) évoqueront Ie vécu et les aspirations personnelles, ou encore, Ia culture et l'éducation pour expliquer comment les caractéristiques individuelles influencent Ie contenu des théories, alors que pour un sujet (S-25) c'est l'idée même de science que sou­tient un individu qui est en cause : "L'idée que se fait un scientifique de Ia science influence ses recherches".

En première approximation, ¡I semble donc que les points de vue rete­nus par les étudiants au terme de Ia stratégie de formation tendent à s'éloi­gner de Ia position empirico-réaliste qui marquait leurs choix initiaux, sans que nous ne puissions, à partir des seuls commentaires sur les changements de points de vue (4 ou 5 lignes), reconstruire cette nouvelle représentation. À cet égard, les autres matériaux flournaux et entretiens) seront sans doute plus in-formatifs. Toutefois, Ia tendance qui caractérise les points de vue énoncés à l'item 1 du second questionnaire devient en quelque sorte une tendance forte, si l'on considère les positions retenues aux autres items de type épistémolo­gique que nous leur avons également soumis. Par exemple, on remarque que 21 étudiants adoptent un point de vue que l'on peut qualifier de relativiste en ce qui concerne les rapports entre les modèles scientifiques et Ia réalité, 23 pensent que les observations sont tributaires des cadres théoriques et 21 estiment que les scientifiques inventent les lois plutôt qu'ils ne les découvrent toutes faites dans Ia nature.

À travers ces courtes illustrations et à ce stade de l'analyse, il est pré­maturé d'énoncer quelque conclusion que ce soit quant à l'intérêt de Ia stra-

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tégie mise en oeuvre. On peut penser cependant qu'à certains égards, celle-ci témoigne d'un potentiel épistémologiquement stimulant qu'il nous faudra sans doute mieux explorer pour tenter d'en connaître et les "grandeurs" et les "misères"...

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

Daniel JACOBI Centre de Recherche sur Ia Culture et les Musées

Université de Bourgogne

36, rue Chabot-Charny 21000 Dijon

Résumé

Les termes spécialisés sont nécessaires et irremplaçables pour écrire un texte scientifique. On sait qu'ils représentent, pour les lecteurs novices, l'une des difficultés de ces textes. Les vulgarisateurs, pour aider leurs lecteurs, mettent en œuvre des opérations de reformulation. Les mécanismes essentiels de reformulation sont décrits à l'aide d'exemples.

Abstract

Specialised terms are necessary and irreplaceable for writing scientific texts. We know that they present difficulties for inexperienced readers. In order to help their readers, popularisers therefore make use of reformulation pro­cesses. The principal reformulation mechanisms are described with some examples.

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Daniel JACOBI

1. DISCOURS SCIENTIFIQUE ET POPULARISATION

Qu'est-ce qu'un discours scientifique ? La question peut paraître sau­grenue. Et, il y a encore une quinzaine d'années, certains linguistes pensaient assez naïvement que Ie discours scientifique pouvait constituer une catégorie spécifique un peu comme les récits, les descriptions ou les textes injonctifs (Gardin, 1977). On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. Les discours scientifiques constituent un ensemble flou.

Dans cet ensemble, il est prudent de distinguer trois pôles : celui des discours scientifiques primaires (écrits par des chercheurs pour d'autres cher­cheurs) ; puis celui des discours à vocation didactique (comme les textes des manuels d'enseignement scientifique) ; et enfin Ie pôle que l'on peut appeler l'éducation scientifique non formelle (vulgarisation, presse, documents de culture scientifique...), pôle dont seul il sera question dans ce texte (Jacobi & Schiele, 1990 ; Lucas, 1991).

Les discours scientifiques produits par les chercheurs et les savants, lorsqu'ils présentent des résultats de recherches à d'autres spécialistes, offrent des caractéristiques très stables, aujourd'hui bien connues. On note d'abord que Ie texte scientifique spécialisé est ordonné selon un plan standard. Intro­duction, matériel et méthodes, résultats, discussion et conclusion s'enchaînent de manière immuable. Ce plan s'appuie sur un modèle canonique, dit expéri­mental.

En second lieu, Ie chercheur qui écrit se montre particulièrement pru­dent. Il prend beaucoup de précautions pour justifier ses méthodes et Ia qua­lité des résultats qu'il a obtenus. Il se garde de toute affirmation péremptoire. Il ne généralise pas au-delà de son tout petit domaine d'investigation... Bref, l'écriture inclut ce qu'on pourrait appeler une série de précautions élémentaires reliées à Ia méthode expérimentale (BaIIy, 1951 ; Pearson, 1969).

Enfin, curieusement, et en tout cas pour les textes écrits en français, les chercheurs n'apparaissent pas dans leurs textes. Un auteur peut en effet facilement être au centre d'un écrit. Pensons à un texte autobiographique où je (celui qui écrit) est Ie héros dont Ie texte parle. La science, dans les textes des spécialistes, semble se parler seule. Les protagonistes humains (Ie cher­cheur-auteur, ses concurrents, ses collaborateurs, les lecteurs pour qui il écrit...) sont - au moins en apparence - écartés ou volontairement oubliés. Celui qui écrit se cache derrière on ou nous. Ou bien encore, il utilise les formes verbales passives grâce auxquelles les choses semblent agir seules (Heslot, 1983 ; Candel, 1984 ; Mortureux, 1991).

Enfin Ie choix des mots - même si ce n'est pas Ia seule particularité des textes scientifiques - les distingue de Ia langue de tous les jours : les textes scientifiques mobilisent obligatoirement des terminologies. Ce caractère

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

est de loin Ie plus connu, au point que l'on a pendant longtemps pensé que les difficultés des textes scientifiques spécialisés tenaient exclusivement (ou presque) à l'usage de celles-ci (Guilbert, 1973).

2. TERMES SPÉCIALISÉS ET MOTS DE LA LANGUE COMMUNE

Vocabulaires ou terminologies scientifiques ont donné lieu à une multi­tude d'exégèses, les unes savantes et documentées, d'autres plus spécula­tives. La genèse de ces terminologies, leurs propriétés sémantiques, leur stabilité diachronique ou au contraire leur stratification, leur logique taxino-mique ont été tour à tour vantées et explorées (Kocourek, 1982 ; Guespin & Pierzo, 1991).

Pourtant, il n'est pas sûr que nos connaissances sur ce domaine soient très précises. Comment, par exemple, reconnaît-on un terme spécialisé ? L'existence des terminologies suppose Ia définition préalable d'un répertoire (Ia langue commune) qui constituerait ainsi une norme de référence : seraient des termes spécialisés les mots qui ne figurent pas dans cette base. Ou bien un mot est connu, ou du moins utilisé avec un sens admis et recensé. Ou bien il semble inconnu. On Ie qualifie alors de néologisme.

Cette règle, qui paraît très simple, provoque dans son application, des problèmes délicats. Il n'existe pas aujourd'hui une liste des mots français com­muns. Et celles qui pourraient être utilisées à cet effet (par exemple l'ensemble des mots et de leurs emplois attestés qui figure dans un dictionnaire courant de langue française) n'offrent aucune garantie de représentativité. Comment, dans ces conditions, peut-on affirmer qu'un mot constitue, à coup sûr, un néo­logisme ?

En fait Ia perspective néologique inclut nécessairement Ia réaction du destinataire. Pour un lecteur, les termes scientifiques des langues de spécia­lité sont intuitivement ressentis comme étrangers, différents des mots de Ia langue de tous les jours (ou langue commune). Le lecteur éprouve, lors de l'oc­currence des termes, un sentimentnéologique. Le sentiment néologique est in­stable. Il varie bien entendu en fonction du degré de familiarité du lecteur avec Ie domaine de spécialité et sa terminologie (Gardin & al., 1974).

3. LES PROPRIÉTÉS SÉMANTIQUES DES TERMES SPÉCIALISÉS

Les lexicologues ont décrit fréquemment les caractéristiques formelles des terminologies. Hs se sont en particulier attachés à différencier les règles de création de deux grandes catégories de néologismes : morphosyntaxiques et sémantiques (Guilbert, 1975). Pour résumer cette question, il est plus facile de prendre quelques exemples.

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Daniel JACOBI

Le terme phéromone a été proposé pour désigner une substance chi­mique volatile, émise par certains insectes, et qui stimule ou provoque des ré­actions comportementales chez des insectes de Ia même espèce. Le mot phéromone est un néologisme construit en prenant appui sur une langue an­cienne, Ie grec. Sa forme exhibe son caractère néologique.

Le terme période correspond à Ia seconde veine. Dans Ia langue de tous les jours une période est un espace de temps plus ou moins long. Mais pour un géologue période houillère de l'ère primaire), pour un historien d'art (Ia période bleue de Picasso), pour un physicien (Ia période d'un astre, d'un pendule), pour un biologiste (lapériode de l'ovulation), etc., Ie motpér/ode ac­quiert un sens précis, stable, spécifique du domaine. La relation au temps et à Ia durée est encore perceptible dans certains de ces termes spécialisés. Mais elle ne l'est plus du tout dans d'autres. Toutes ces acceptions óepériode peuvent être qualifiées de néologismes sémantiques.

Au delà de ses règles de création, Ie terme scientifique présente une autre propriété que les lexicologues ont soulignée. Dans les limites de son do­maine de spécialité, il tend à s'autonomiser du texte. Son signifié est relative­ment indépendant de son environnement linguistique immédiat. En effet les noms (simples ou composés) s'utilisent rarement de façon isolée. Ns sont ha­bituellement insérés dans des phrases qui constituent des combinaisons syn­taxiques simples (phrase de base) ou élaborées (phrase complexe).

Pour faire apparaître les propriétés des termes, comparativement à celles des mots de Ia langue commune, il est nécessaire de recenser leurs em­plois en discours. Dans ce cas, on est conduit à observer Ia nature du cortège linguistique qui est utilisé avec un mot, comme avec un terme scientifique spé­cialisé. On appelle cotexte aussi bien Ia phrase qui enchâsse Ie terme pivot, que Ia série des mots qui précède Ie pivot (cotexte gauche), ou suit celui-ci (cotexte droit). Le sens que construit Ie lecteur résulte toujours du traitement de cet ensemble, lui-même inséré dans un contexte d'emploi : thème, type de discours, situation de communication, nature des interlocuteurs... (Gumprez, 1989).

Pour simplifier, on peut considérer que Ia différence entre mots de Ia langue commune et termes scientifiques d'un domaine de spécialité tient à leur degré d'autonomie vis-à-vis du cotexte. Les mots de Ia langue commune sont polysémiques. Leurs sens dépend fortement du cotexte. Examinons quelques exemples d'emploi d'un mot qui incontestablement se range dans Ia langue commune : tête.

1 - J'ai trop Iu aujourd'hui et j'ai mal à Ia tête.

2 - C'est un beau garçon, mais H a une tête un peu forte.

3 - C'est un garçon courageux, mais parfois un peu forte tête.

4 - Le second saltimbanque I N'était vêtu que de son ombre I Je Ie re­gardai longtemps I C'est Un homme SanS tête. (G. Apollinaire, Calligrammes, Gallimard, p. 56)

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

Pour comprendre ces phrases, Ie lecteur n'a pas d'effort particulier à faire. Il n'a pas non plus besoin de disposer d'une définition préalable stable du mot tête. La tête, partie du corps nommée et connue dès Ia petite enfance, peut acquérir, comme signe, une multiplicité de signifiés différents les uns des autres. La grammaire et les cotextes suffisent à topicaliser Ie sens. Et Ie mot tête contribue à l'élaboration de signifiés hétérogènes comme : j'ai mal à Ia tête, une tête un peu forte, une forte tête. Toutes ces significations se construi­sent instantanément par Ie jeu du langage en acte.

Dans Ie cas du poème, Apollinaire effectue un travail original sur Ia langue. Le vers C'est un homme sans tête décrit évidemment un homme qui a bien une tête (description anatomique). L'absence des traits du visage, et du regard (peut-être parce qu'il sont cachés dans l'ombre) confère au secondsal-timbanque une allure inhabituelle, énigmatique, inquiétante peut être... Cet homme sans tête construit un personnage étrange, insaisissable, différent du commun des mortels, empreint de Ia tristesse infinie du saltimbanque sans do­micile ou de l'acteur qui échappe au quotidien.

4. AUTRES PROPRIÉTÉS FORMELLES DES TERMES SCIENTIFIQUES

Par opposition avec les mots de Ia langue commune, les termes scien­tifiques sont monosémiques ou monoréférentiels. Ns ont un seul sens et ren­voient à un unique référent (cas d'éléments observables avec les sens) ou à une seule notion ou un seul concept. On dit des termes scientifiques qu'ils obéissent à Ia règle de biunivocité : chaque concept est désigné par un seul signe linguistique, et un signe ne peut renvoyer qu'à un seul et même concept (Gentilhomme, 1984).

Revenons au terme phéromone. Phéromone est une néologisme mor­phosyntaxique. Il a été construit à partir de deux racines grecques : hormone (de horman = exciter) et du préfixe phéro- (de phéro = transporter). Les sub­stances volatiles, émises par un insecte femelle, et qui - à de longues dis­tances - attireront les mâles, s'appellent des phéromones sexuelles. Et dès que Ie lecteur rencontre Ie terme phéromone dans un texte, il ne peut pas l'inter­préter dans un sens différent de celui-ci.

Les termes scientifiques spécialisés présentent en outre toute une série d'avantages. Ns sont en principe internationaux : un accord existe dans Ia communauté scientifique mondiale des spécialistes pour les nommer de façon identique. Autrefois Ie latin remplissait cette fonction pour les classifications de l'histoire naturelle (un système de codage graphique permet même de distin­guer visuellement Ie genre, de l'espèce). Ce rôle est plus ou moins joué par l'anglais aujourd'hui, mais avec de notables exceptions et des possibilités de traduction dans d'autres langues naturelles, même lorsque Ia siglaison (et donc l'emploi d'acronymes) se généralise.

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Daniel JACOBI

Une autre particularité fascinante des terminologies tient à leur stabilité diachronique. Les utilisateurs ne peuvent modifier Ia forme, ni modifier Ie sens des termes. Les terminologies fonctionnent par tout ou rien et il faut une ré­volution pour qu'une terminologie ancienne devienne subitement caduque. EIIe est alors entièrement remplacée par une nouvelle nomenclature en accord avec d'autres modèles théoriques.

Pourtant les termes scientifiques n'échappent pas complètement à l'économie formelle des langues naturelles. Pour leur construction, ils utilisent Ia préfixation et Ia suffixation. Par exemple immunité est un mot qui est devenu un terme scientifique en 1866. Le mot immunité (du latin immunitus) désignait jusque là une exemption ou une prérogative. Il nomme alors une propriété des organismes vivants : celle de résister naturellement à certains agents patho­gènes.

Le terme scientifique immunité a produit ensuite une série longue et complexe de termes dérivés et construits à partir de lui. Parmi ces termes on peut relever des noms, comme immunologie, immunisation, et des verbes, comme immuniser. Plus tard, il a produit un adjectif : immun (1953) et un pré­fixe immuno. Le préfixe immuno- a donné naissance à une série très riche avec : immunochimie, immunofluorescence, immunocompétence, immunodéficience, immunodépresseur, immunoglobuline... Ces noms peuvent à leur tour s'adjec-tiver : immunitaire (à partir ó'immunité), immunocompetent, immunodéficient, immunotolérant...

Toutes ces caractéristiques formelles et sémantiques expliquent donc pourquoi les termes scientifiques sont toujours pourvus dans tous les diction­naires de Ia même définition. Cette définition - complexe au besoin - est Ia seule possible. Un terme dénomme et désigne sans ambiguïté : il monosémise. Ceci a une conséquence très importante : Ia synonymie est interdite. Tout autre mot "proche" ou "voisin" ne peut recouvrir Ie signifié plein d'un terme scientifique. Autant de qualités qui peuvent devenir rapidement encombrantes.

5. COMMENT CONTOURNER LES TERMES OBSTACLES

Si personne ne discute l'efficacité des termes spécialisés au sein des petites communautés sociolinguistiques d'experts qui les mobilisent, on sait que, dans une perspective de sociodiffusion, à destination d'un plus grand nombre d'interlocuteurs, non-spécialistes ou novices, ces terminologies ces­sent d'apparaître comme un excellent vecteur communicationnel pour se muer en obstacles. Ce paradoxe conduit à les accuser de devenir des sortes de jar­gons, peu compréhensibles (Etiemble, 1966).

C'est ce contexte qui explique, ou en tout cas justifie, l'existence d'un secteur particulier de l'édition, qu'on a pris l'habitude d'appeler Ia vulgarisation

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

scientifique. Le terme vulgarisation n'est sans doute pas du meilleur goût : dans vulgarisation, on entend vulgaire, et Ie sens habituel que prend cet épi-thète, dans Ia langue commune, tend à dévaloriser ce champ d'activités, quand ¡I ne donne pas naissance à d'inutiles procès (Laszlo, 1993). Il serait préférable de parler de diffusion (terme plus neutre) ou de popularisation en adoptant l'appellation anglaise qui est directement traduisible en français (Ja-cobi et Shinn, 1985).

On s'accorde à considérer que Ia popularisation est une tâche néces­saire, mais difficile. Pourtant, Ia vulgarisation existe depuis des siècles (Ben-saude-Vincent & al., 1988 ; Béguet, 1990 ; Raichvarg & Jacques, 1991 ; Niderst, 1991). Non seulement cette rhétorique est nécessaire, mais elle est suscitée par Ie mouvement même qui tend à créer et développer les termino­logies. Le lecteur d'un texte de vulgarisation devrait-il en permanence se réfé­rer à son dictionnaire de langue ? Et, s'il Ie consultait, Ie dictionnaire serait-il réellement un bon recours ?

Les terminologies des spécialistes contraignent Ie lecteur à opérer un travail de compréhension plus élaboré. Comment procèdent les vulgarisateurs pour aider les lecteurs non-spécialistes ? Le scripteur, lorsqu'il produit un texte de vulgarisation, est plus ou moins conscient de cette difficulté. Aussi s'ef-force-t-il de Ia prévenir. Et pour cela, il utilise un certain nombre de procédures, toutes potentiellement disponibles dans Ia langue, que nous avons proposé d'appeler Ia reformulation (Peytard, 1984).

Jakobson, en effet, a pointé une propriété fascinante du langage : il met en œuvre des opérations naturelles destinées à vérifier que Ie scripteur et ses lecteurs potentiels accordent Ie même sens aux mots qu'il utilise (Jakob­son, 1967). Puisque, pour écrire Ia science, il est difficile de ne pas recourir à des termes scientifiques et que les lecteurs risquent d'ignorer Ie sens précis, comment parvenir à résoudre cette contradiction ?

Pour décrire les opérations de base qu'utilisent les reformulateurs, Ie plus simple est de décrire un exemple qui nous permettra de baliser rapide­ment Ie périmètre des reformulations (Jacobi, 1993) :

"En fait, presque toutes les bactéries développent des résistances. L'une des plus douées dans ce domaine est Ie staphylocoque doré. Ce microbe à l'origine de nombreuses infections hospitalières se retrouve dans Ie pus des abcès et peut entraîner un choc toxique fatal." [Sciences & Avenir, 549, nov. 1992, p. 70J

Dans cet extrait d'un article de vulgarisation, Ie journaliste est amené à citer Ie staphylocoque doré. Et il sait bien que beaucoup de lecteurs ne connaissent ni Ia nature, ni Ia forme de ce microorganisme. Staphylocoque doré est un terme pivot, peu connu parce qu'il est emprunté à une langue de spécialité (biologie - médecine).

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Le journaliste a placé Ie syntagme staphylocoque doré à Ia fin d'une phrase. La suivante commençant par Ce microbe, "staphylocoque doré" et "Ce microbe" sont donc placés côte à côte dans Ie texte, et Ie déterminant-déic-tique Ce insiste pour renvoyer, sans Ia moindre ambiguïté, microbe à staphy­locoque doré. Microbe présente l'avantage d'être un mot commun. Il appartient à Ia langue de tous les jours. Pour un spécialiste, il est vague, in­exact même ; mais il permet de rapprocher rapidement Ie syntagme nouveau, staphylocoque doré, d'un mot qui a du sens et, provisoirement, ¡I fournit une approximation commode du terme pivot peu connu.

D'autres équivalences sont proposées aux lecteurs. Le staphylocoque doré est relié, dans Ia même phrase, à l'une des plus douées. Mais l'une des plus douées est une reprise qui renvoie à son tour, dans Ia phrase précédente, à toutes les bactéries. Tous ces mots (ou ces syntagmes) reformulent Ie terme pivot. Bactéries, l'une des plus douées, ce microbe sont des reformulants du terme pivot staphylocoque doré.

Pourtant, ce jeu d'équivalences n'est pas suffisant pour aider Ie lecteur à construire du sens. Comment faire pour expliquer et préciser ce qu'est exac­tement un staphylocoque doré ? Le journaliste pour cela travaille un peu comme l'auteur d'un dictionnaire : il propose des définitions sommaires et ra­pides des termes inconnus (Chaurand, 1990). C'est Ie rôle que joue, dans ce passage, Ia phrase : Ce microbe à l'origine de nombreuses infections hospita­lières se retrouve dans Ie pus des abcès et peut entraîner un choc toxique fatal.

Microbe est Ia catégorie dans laquelle Ie vulgarisateur propose de ran­ger Ie staphylocoque doré ; à l'origine de nombreuses infections hospitalières, et peut entraîner un choc toxique fatal sont des caractéristiques spécifiques de ce microbe (ou de cette bactérie). Le lecteur peut distinguer dorénavant Ie sta­phylocoque doré d'autres bactéries : il est dangereux et provoque des mala­dies parfois mortelles. Il est caractérisé par des conséquences sur Ia santé.

Le mot microbe n'est pas un terme scientifique. Il est vague, mal dé­fini et renvoie à une catégorisation aujourd'hui dépassée. Est microbe aussi bien un virus, qu'une bactérie, une algue ou un champignon. Pour un spécia­liste Ie mot microbe est à proscrire. Mais, par contre, c'est un mot connu, fa­milier dès l'enfance. Et son sens habituel (tout petit, invisible, dangereux et susceptible de provoquer des maladies) est suffisant pour aider Ie lecteur à rapprocher Ie syntagme savant de Ia langue commune.

En mettant bout à bout tout ces éléments, on obtient une définition assez complète d'un staphylocoque doré : une des plus douées [des bacté­ries] qui développent des résistances ; à l'origine de nombreuses infections hospitalières, [elle] se retrouve dans Ie pus des abcès et peut entraîner un choc toxique fatal.

De ces fragments, destinés à expliquer Ie sens d'un terme pivot, nous dirons qu'ils sont des définissants. Reformulants et définissants sont les deux

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

solutions qui s'offrent au vulgarisateur pour permettre aux lecteurs d'accéder au sens. En combinant ces deux mécanismes, les vulgarisateurs disposent déjà d'un véritable répertoire métalinguistique dont ils peuvent combiner les deux paradigmes : désignationnel et définitionnel (Mortureux, 1985).

6. EXPANSION ET SUBSTITUTION

"La cartographie détaillée d'une quinzaine de massifs d'ophiolithes à travers Ie monde a montré qu'il y avait ophiolithe et ophiolithe." Cette phrase, en apparence paradoxale, est extraite d'un texte de vulgarisation publié par un chercheur (Adolphe Nicolas) dans La Recherche (La dynamique des dorsales océaniques). Comment peut-on proposer à un public plus large que Ie cercle des géologues cette opposition imprévue ?

Pour comprendre cette figure, il convient de re-situer Ie rôle du terme ophiolithe dans ce texte. Dans Ie résumé du sommaire (texte très court d'ac-croche, destiné à donner envie de lire, et qui se trouve au début de Ia revue) on Nt par exemple :

"LA DYNAMIQUE DES DORSALES OCÉANIQUES parAdolphe Nicolas

Comment se forme Ie fond des océans ? L'analyse des ophiolites, frag­ments d'océan échoués accidentellement sur les continents, permet aujourd'hui de proposer un nouveau scénario."

Dynamique est déjà un terme spécialisé mais connu pour un bachelier. Dorsales est plus bizarre. Le lecteur sent bien que Ie sens habituel de l'épithète est ¡ci inopérant. Un dictionnaire courant mentionne Ie sens de dorsale dans ce texte de géologie en Ie rattachant au domaine de Ia géographie. Mais, dès Ie résumé, survient ophiolite qui est lui absent d'un dictionnaire de langue ha­bituel. Aussi Ia rédaction de Ia revue l'a-t-elle autoritairement reformulé.

On désigne du nom de reformulation intradiscursive l'opération, à ca­ractère métalinguistique, par laquelle Ie scripteur revient sur un terme inconnu pour aider Ie lecteur à s'en approprier Ie sens. Cette fonction est à ce point in­tégrée au discours que ces opérations, à Ia différence du dictionnaire, qui les affiche ou les exhibe, sont comme cachées dans Ie texte. Pourtant, on dispose aujourd'hui, avec les travaux de quelques linguistes, d'une description à peu près complète de ces opérations (Mortureux, 1985, 1988 ; Jacobi, 1986, 1987 ; Moirand, 1988, 1989, 1992).

En combinant désignation et définition, les vulgarisateurs disposent d'un répertoire métalinguistique, répertoire que bien entendu Nicolas mobilise, comme dans ce passage :

"La cartographie structurale [...] nous a révélé, il y a une dizaine d'an-nées, l'existence, sous Ie Moho, d'une montée de manteau plus ou

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moins tubulaire. Par anaiogie avec les diapirs de sel, qui sont des co­lonnes irrégulières de sel montant spontanément grâce à leur densité inférieure à celle des sédiments qu'ils traversent, ces cheminées de ma­tériel mantélique furent nommées «diapirs» ." [La Recherche, N°239, janvier 1992, p. 25J

Le terme pivot, qui appartient à Ia langue des spécialistes est «diapirs» que Ie scripteur a muni, pour Ie mettre en évidence vis-à-vis du reste de l'énoncé, de guillemets français. Ce signe de ponctuation est un élément pa-ralinguistique utile pour signaler un décalage lexical. Le terme pivot «diapirs» est introduit par un verbe à fonction métalinguistique furent nommées. Les verbes comme nommer, désigner, dire, appeler, etc., permettent d'opérer Ia re­formulation tout en attirant l'attention du lecteur sur Ie fait qu'on effectue, à son intention, ce travail métalinguistique.

Cette opération de dénomination met en relation «diapirs» et ces che­minées de matériel mantélique. Le déictique ces permet de souligner l'opéra­tion (ce sont bien celles-ci, les cheminées dont il est question) et de renvoyer à une partie antérieure de l'énoncé. Pourtant, en retournant en arrière, on he trouve pas de cheminée. La mise en relation de l'anaphore nominale n'est pos­sible que par l'épithète mantélique. L'adjectif mantélique est une reprise de manteau présent dans Ia phrase précédente : une montée de manteau plus ou moins tubulaire.

Manteau, ou plutôt matériel mantélique, certes, mais pourquoi chemi­née ? Il est nécessaire ici de repêcher au passage un fragment de Ia définition embusquée dans une relative : qui sont des colonnes irrégulières de sel mon­tant spontanément. Le lecteur doit donc associer tube (montée plus ou moins tubulaire), colonne (colonnes irrégulières montant) et monter (montée, montant) pour construire ces cheminées.

Ce second exemple nous permet de mettre en évidence une autre ca­tégorie d'opérations de reformulation. Mais, à Ia différence des précédentes, qui se développaient par expansion, celles-ci fonctionnent par substitution. Le reformulant remplace purement et simplement Ie terme pivot dans des phrases où, dans Ia même position, on aurait pu attendre Ie terme scientifique. Dans ce cas, il appartient au lecteur d'opérer, par inférence, des mises en relation entre des segments différents, dispersés mais coréférents, du texte.

Ce fragment contient encore une autre séquence intéressante. Nicolas écrit : Par analogie avec les diapirs de sel, qui sont des colonnes irrégulières de sel... Ce faisant ¡I instruit une analogie (ou plus exactement une comparai­son). Les cheminées de lave ou diapirs s'appellent ainsi parce qu'elles res­semblent à des colonnes de sel qui montent dans les sédiments. Cette troisième catégorie nous permet de pointer un autre type de ressources de re­formulation : l'axe dit métaphorique. Soulignons au passage, que Ie recours aux images ou aux comparaisons, contrairement à certaines idées reçues, n'est pas Ie mécanisme Ie plus fréquent de Ia reformulation.

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

7. IL Y A OPHIOLITHE ET OPHIOLITHE

Comment est reformulé Ie terme ophiolithe ? Pour cela il suffit de considérer que Ie nom ophiolithe (au singulier ou au pluriel) est un terme pivot. On relève ensuite dans Ie texte, aux adresses du pivot, les cotextes gauche et droite de celui-ci. Les fragments d'énoncés qui apportent une reformulation de ce terme pivot sont reproduits dans Ie tableau 1.

1 - L'analyse des ophiolithes, fragments d'océan échoués accidentellement sur les continents,... (résumé du sommaire, p. 3)

2 - Les observations accumulées [...] sur les ophiolithes, fragments d'océan échoués accidentellement sur ces continents, permettent... (chapeau, p. 20)

3 - C'est l'étude des ophiolithes, épaves de lithosphère océanique échouées surles continents, qui... (légende figure 1, p. 21)

4 - Les études menées [...] sur les ophiolithes, fragments d'océans échoués accidentellement sur les marges des continents [...] et plus particulièrement sur l'ophiolithe d'Oman, permettent aujourd'hui de proposer des modèles satisfaisants de cette structure profonde... (p. 21 et 22) (phrase de 61 mots)

5 - Actuellement « posée » sur Ia marge orientale du continent arabe, l'ophiolithe d'Oman s'est extraite de l'océan Indien voici cent millions d'années (lé­gende figure 1, p. 21)

6 - Reconnues dès 1815 [...], les ophiolithes, ces étranges roches vertes ren­contrées en pays montagneux, ont fait l'objet d'études [..Jjusqu'à ce qu'un groupe de géologues [...] réalisent que les « pietre verdi » dérivaient d'émissions volcaniques émises sur Ie plancher des océans (p. 23) (phrase de 64 mots)

7 - Le domaine océanique qui séparait ces continents a été progressivement résorbé [...] et ne se retrouve plus qu'à l'état de témoin, les ophiolithes. (lég. fig. 3 p. 24)

8 - Les ophiolithes sont des morceaux de lithosphère océanique, (légende de Ia figure 4, p. 25)

9 - L'étude des ophiolithes disséminées à Ia surface du globe a permis de définir deux grand types d'ophiolithes : Ie type harzburgite représenté en Oman [...] (légende de Ia figure 4, p. 25)

10 - La cartographie détaillée d'une quinzaine de massifs d'ophiolithes à tra­vers Ie monde a montré qu'il y avait ophiolithe et ophiolithe. (p. 28)

Tableau 1 : Quelques reformulations du terme pivot ophiolithe(s)

Ce tableau suggère plusieurs remarques. Notons tout d'abord que Ie terme ophiolithes est paraphrasé plusieurs fois de façon assez voisine (occur­rences n° 1, 2, 5 et 8) dans Ie début du texte et dans Ie paratexte. La raison de ces apparentes redites résulte de l'organisation délibérée du document. L'éditeur souhaite favoriser des parcours de lecture différents et, par consé-

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quent, il fait du résumé du sommaire, du chapeau et des légendes des illus­trations des énoncés autonomes. Le lecteur peut commencer à lire par où ¡I Ie souhaite sans être mis en difficulté par ophiolithes, qui donc, à chaque occur­rence est paraphrasé, comme si cela n'avait pas déjà été fait préalablement.

La reformulation Ia plus fréquente est assez paradoxale. Les ophiolithes sont paraphrasées par fragments d'océan. Or, littéralement, il est difficile de comprendre comment un fragment d'océan (masse liquide ? portion d'eau salée ?) peut constituer un ensemble minéral, voire une montagne. De ce point de vue, plancher des océans (n° 4), morceaux de lithosphère océanique (n° 8) ou épaves de lithosphère (n° 3) sont plus explicites que Ia métonymie précé­dente. Dans fragments d'océan est sous-entendu fragments [du fond] de l'océan.

Fragments, morceaux ou, plus poétiquement, épaves de lithosphère (océanique) constituraient des indications plus explicites. Mais c'est alors li­thosphère qui pourrait faire obstacle. Croûte ou plaque pourrait sans difficulté remplacer lithosphère. Mais Ie scripteur ne juge pas utile de Ie faire. Et ¡I faut attendre l'évocation des ophiolithes repérées dans les chaînes montagneuses (n° 6) pour qu'une définition très explicite précise à Ia fois leur composition mi­nérale (pierres vertes) et leur origine (émissions volcaniques sur Ie fond de l'océan).

Les reformulations ainsi accumulées tissent un ensemble hétérogène. Tour à tour les ophiolithes sont présentées comme des fragments, des épaves, une structure profonde, d'étranges roches vertes fou pietre verdi), témoin, des morceaux. Ce souci de fournir au lecteur une série de traits référentiels est d'autant plus nécessaire que Ie propos essentiel de l'article est d'opposer deux catégories d'ophiolithes (llya ophiolithe et ophiolithe !) qui refléteraient des dif­férences de vitesse d'expansion du fond des océans.

Mais l'art du vulgarisateur n'est-il pas également de faire rêver ? Ces épaves échouées répondent à Ia belle ouverture du texte : La tectonique des plaques est fille des mers. Ces grandes plaques rigides qui, inexorablement, se meuvent, de façon complexe, tout au fond de l'immensité des océans ont fait basculer Ia géologie. Avec Ia tectonique des plaques, les géologues, à leur tour, tentent d'interroger de grandes énigmes quasi métaphysiques (Gohau, 1991).

8. LA REFORMULATION, AU RISQUE DE SE PERDRE

Dans un texte de vulgarisation, on peut donc rechercher au moins trois catégories de mécanismes de reformulation : ceux qui relèvent du paradigme désignationnel, par opposition à ceux qui s'inscrivent dans Ie paradigme défi-nitionnel. Enfin une troisième famille peut être distinguée à partir de l'axe dit métaphorique.

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Les terminologies et leur devenir dans les textes de vulgarisation scientifique

On a souvent comparé Ie travail du vulgarisateur à un travail de tra­ducteur : il réécrirait Ia science, exposée par les chercheurs dans un jargon in­compréhensible, avec les mots de tous les jours. Cette image, pourtant séduisante, est inexacte. Si Ia science aime à fabriquer des mots nouveaux, c'est que les mots usés et polysémiques de notre langue commune semblent comme incapables de dire Ia science. Et en remplaçant les termes scienti­fiques par des synonymes approximatifs, on ne peut que déformer, transfor­mer, réduire, caricaturer, bref dénaturer Ia science.

Les termes scientifiques sont donc nécessaires. Mais ils doivent être reformulés. Le travail de reformulation est souple, labile, peu visible en pre­mière lecture. Le vulgarisateur dispose de ressources nombreuses et aussi di­verses que Ia substitution, Ia définition, Ia comparaison, l'analogie, Ie recours à des catégories prototypiques ou des séries... (Jacobi, 1993). Et, si de plus c'est un scripteur habile, il peut les combiner et les assembler à sa guise pour expliquer de façon claire et alerte.

Vulgariser est une entreprise qui se situe au cœur d'une contradiction : comme Ie scripteur se propose de faire connaître Ie sens des notions et des concepts spécialisés construits par les sciences, il est contraint d'utiliser les termes et les lexies des langues de spécialité ; mais, en employant dans son texte des termes spécialisés, il redoute - à juste titre - que les lecteurs ne puis­sent en comprendre Ie sens ; pour prévenir les difficultés d'accès au sens des destinataires, Ie scripteur recourt à une série de mécanismes, de type méta-linguistique Ie plus souvent, qui lui permettent de mettre en relation les termes scientifiques avec les mots connus de Ia langue commune.

Ces mécanismes, qui s'apparentent à des stratégies de reformulation, parviennent-ils effectivement à opérer un accès sémantique ou un partage du sens ? Cette question est discutée, et pas seulement pour les textes de vul­garisation. Les manuels scientifiques affrontent en effet les mêmes obstacles OMIkie, 1991 ; Wellington, 1991 ; Einsiedel, 1992 ; Eltinge & Roberts, 1993).

Il est a priori impossible d'admettre que Ia reformulation parvienne tou­jours à aider tous les lecteurs : si l'équivalence entre terme spécialisé et frag­ments reformulés en langue commune était effective, cela conduirait à mettre en cause l'utilité et Ia pertinence de Ia langue de spécialité. Et une langue de spécialité est un instrument fonctionnel, pas une construction perverse desti­née à compliquer Ia tâche des apprenants. L'acculturation scientifique passe par l'acquisition et Ia maîtrise de cette langue. On peut par conséquent se de­mander si cette tension, cette volonté de tenter, malgré tout, d'accomplir une tâche théoriquement impossible, ne constitue pas l'une des vertus de Ia rhé­torique de vulgarisation.

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Système tutoriel intelligent pour Ia résolution de problèmes en thermodynamique

Michel VEILLETTE Faculté des sciences appliquées, Département de génie mécanique

Bernard MARCOS Faculté des sciences appliquées, Département de génie chimique

Loïc THÉRIEN Faculté d'éducation

François BOURGET Faculté des sciences appliquées, Département de génie mécanique

Jean LAPOINTE Faculté des sciences appliquées, Département de génie mécanique

Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec, Canada, J1K2R1

Résumé

L'enseignement stratégique a traduit plusieurs principes de l'approche cognitive dans une démarche d'enseignement en faisant de Ia résolution de problèmes une partie importante du curriculum scolaire. Cet article présente un système tutoriel intelligent qui accompagne l'étudiant dans sa démarche de ré­solution et lui offre des interventions spécifiques et graduées, lorsqu'il éprouve

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M. VEILLETTE, B. MARCOS, L. THERIEN, F. BOURGET, J. LAPOINTE

des difficultés. Le tutoriel s'appuie sur un ensemble de catégories d'erreurs dé­terminées expérimentalement et utilise Ie formalisme mathématique associé au domaine d'application à travers les formules, les hypothèses et les valeurs nu­mériques. Appliqué à Ia thermodynamique, un prototype a été expérimenté et a fourni des résultats intéressants.

Abstract

The strategic learning has expressed several principles of the cognitive approach in a learning process by making the problem solving an important part of curriculum. This paper presents an intelligent tutoring system that helps students in the problem solving process and proposes specific interventions when students meet with difficulties. The tutoring system relies on a classifi­cation of errors produced by the students and uses the mathematical forma­lism related to the application field such as mathematical expressions, hypotheses and numerical values. In the domain of thermodynamics, a proto­type has been experimented and has provided promising results.

1. LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES

L'approche cognitive a influencé Ie développement de plusieurs logi­ciels en offrant un modèle concernant l'organisation et l'utilisation des connais­sances de l'humain et en faisant ressortir les facteurs qui favorisent ou diminuent l'efficacité de celles-ci. L'enseignement stratégique a traduit plu­sieurs des principes de l'approche cognitive dans une démarche d'enseigne­ment, suggérant des orientations privilégiées (Jones, 1987). L'enseignement stratégique propose ainsi l'activité de résolution de problèmes comme Ia pierre angulaire du curriculum scolaire, car c'est l'activité Ia plus susceptible de pro­duire des apprentissages significatifs et permanents et de provoquer et soute­nir Ie transfert de connaissances. La résolution de problèmes constitue, de plus, une forme appropriée pour favoriser et vérifier l'intégration des connais­sances.

Anderson (1990, 1983), dans son modèle ACT, montre que Ia résolu­tion de problèmes est une activité qui permet Ia procéduralisation et Ia com­position des connaissances et qu'elle participe au processus de généralisation et de discrimination de celles-ci. Pour que l'activité de résolution de problèmes soit efficace, il faut s'assurer que l'étudiant prenne une part active à l'élabora­tion de ses connaissances. Il ne doit pas assister seulement à un exposé de connaissances. Il doit explorer les solutions possibles, préparer une stratégie de résolution, questionner sa démarche, s'assurer que les règles qu'il utilise sont adéquates. Il doit modifier, s'il y a lieu, les schèmes mentaux dans un pro-

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Système tutoriel intelligent pour Ia résolution de problèmes en thermodynamique

cessus de changement conceptuel, de façon à intégrer de nouvelles connais­sances dans un réseau cohérent et compatible avec les connaissances qu'il possède déjà. À l'intérieur de ce processus, l'enseignant a plusieurs rôles à jouer. Il doit fournir à l'apprenant un contexte d'apprentissage qui favorise Ie choix de l'information pertinente et Ia construction du réseau de connais­sances. Ce rôle nécessite parfois une intervention plus explicite pour fournir à l'étudiant une rétroaction sur Ie processus de Ia tâche au niveau des connais­sances à utiliser, des stratégies à choisir et de l'exécution des procédures de résolution 0"ardif, 1992).

Dans les domaines scientifiques, Ia résolution de problèmes prend une place prépondérante. De façon générale, c'est Ia méthode utilisée pour diag­nostiquer les difficultés et les manques de l'étudiant et pour évaluer sa maî­trise des divers concepts. Il est donc important d'aider l'étudiant dans Ia résolution de problèmes, de diagnostiquer ses difficultés et d'intervenir adé­quatement. La diversité des démarches individuelles requiert souvent des in­terventions particulières que l'enseignement traditionnel ne permet pas. Le développement de tutoriels spécifiques à Ia résolution de problèmes apporte un support intéressant aux professeurs. Mais pour être efficaces, de tels tuto­riels doivent non seulement présenter un problème et un environnement de ré­solution, mais doivent aussi diagnostiquer les erreurs commises par l'étudiant et lui apporter des moyens de poursuivre ou modifier sa démarche avec suc­cès.

Au niveau universitaire, notamment dans les facultés d'ingénierie, l'en­seignement est traditionnellement constitué de leçons magistrales accompa­gnées de séances d'exercices dirigés, dont Ia fonction est d'aider les étudiants à intégrer et à manipuler les concepts appris. Durant ces séances, un corrigé des exercices est distribué. Les séances d'exercices sont un lieu propice d'aide aux étudiants qui éprouvent des difficultés. Très souvent, Ia tâche de répondre aux questions des étudiants relève d'assistants de cours, choisis ha­bituellement parmi les étudiants gradués de Ia faculté. Or, en pratique, plu­sieurs difficultés ont été relevées et plusieurs auteurs se sont penchés sur Ia fonction d'assistant et des charges assumées (Righter, 1987). Ainsi on note les points suivants : il est difficile de trouver des assistants ; Ie ratio étudiants/as­sistant est important ; les assistants n'ont pas toujours les habiletés néces­saires au niveau de l'enseignement et des stratégies de résolution de problèmes ; Ia motivation des assistants et des étudiants n'est pas toujours présente ; une majorité des assistants sont des étudiants étrangers qui ont des difficultés de communication et une pratique différente de l'enseignement ; les étudiants complètent souvent leurs exercices en dehors des séances prévues et ne peuvent recevoir l'aide de l'assistant ; les assistants et les professeurs ne sont pas toujours disponibles au moment où l'étudiant en a besoin ; les cor­rigés fournis ne constituent qu'une solution exacte et ne peuvent apporter d'explication quant aux erreurs commises, ni graduer l'information donnée sur les étapes de Ia solution.

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M. VEILLETTE, B. MARCOS, L. THÉRIEN, F. BOURGET, J. LAPOINTE

Les périodes d'exercices sont essentielles à Ia phase de consolidation des connaissances. Elles offrent aux étudiants Ia possibilité d'acquérir une ex­périence pratique pour bien intégrer et appliquer les concepts reçus et pour développer des heuristiques particulières à Ia résolution de problèmes. Mais cette expérience doit être soutenue par l'accès à des aides tout au long de ce processus. Nous croyons que cette aide doit être apportée lorsque l'étudiant en a besoin, qu'elle doit être graduée en fonction du contexte et qu'elle doit leur transmettre une méthodologie les aidant à vérifier leur démarche. C'est en fixant ces objectifs que nous avons considéré Ie développement d'un système tutoriel intelligent (STI). Ce STI fournit une aide personnalisée en identifiant les concepts manquants ou mal maîtrisés et en apportant une intervention appro­priée et graduée. Cette intervention peut prendre Ia forme d'une simple notifi­cation d'erreur, d'un indice relatif à l'erreur commise, d'un correctif à apporter ou d'un renvoi à une source d'information spécifique. De plus, Ie STI apporte à l'étudiant une formalisation du domaine et une méthodologie de résolution de problèmes. Le STI tente de reproduire l'aide que fournirait un "bon assis­tant".

2. LE DÉVELOPPEMENT D'UN SYSTÈME TUTORIEL INTELLIGENT

Dans une démarche d'aide à Ia résolution de problèmes, un enseignant fait appel à plusieurs connaissances et stratégies plus ou moins explicites qui sont souvent difficiles à énoncer et surtout à systématiser. Pour reproduire une telle démarche, il est essentiel de déterminer ces connaissances et stratégies. Ainsi, Ia réalisation d'un tutoriel intelligent pour Ia résolution de problèmes amène plusieurs considérations et soulève plusieurs questions.

Le choix d'un type d'activité. Le type d'activité choisi a des consé­quences sur l'ensemble du développement du STI. Il faut déterminer Ie genre de problème que l'on donne à l'étudiant et Ie degré de liberté alloué dans Ia recherche d'une solution. L'étudiant doit-il déterminer les lois qui sous-tendent Ie domaine considéré ou doit-il utiliser sa connaissance des lois et les appli­quer à un problème spécifique ? S'agit-il d'un problème de simulation ou d'un problème de conception ?

Le choix d'un style d'enseignement. L'approche cognitive préconisée détermine les éléments d'informations et les stratégies qui doivent être modé-lisés dans Ie STI. Plus une démarche d'aide ou d'enseignement tient compte de divers facteurs et offre des alternatives, plus il y a d'éléments à modéliser et plus elle s'avère complexe à systématiser pour l'ordinateur. Doit-on adapter nos interventions en fonction des préférences cognitives de l'apprenant ? Sous quelle forme Ie STI doit-il exprimer sa connaissance ?

La représentation du domaine considéré. Les manipulations, Ie trai­tement et les inférences engendrées par l'utilisation d'une connaissance

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dépendent largement de Ia forme de représentation utilisée, de sa facilité à re­présenter les objets et les concepts du domaine et de sa capacité à offrir un niveau de détail suffisant pour répondre aux besoins de l'activité. Chaque re­présentation a ses forces et ses faiblesses.

Le traitement du problème. Le STI doit-il être capable de résoudre lui-même Ie problème ou possédera-t-il une solution préalable ? Doit-il élaborer tous les chemins de solution ? Peut-il considérer des solutions qui dévient du chemin prévu ? Doit-il présenter une solution à l'apprenant ?

Le choix du type d'interaction. De quelle façon l'apprenant interagit-il avec Ie tutoriel ? L'interface laisse-t-elle place à l'exploration de plusieurs chemins de solution ou donne-t-elle un cadre rigoureux ? De quelle façon tient-on compte des aspects cognitifs de l'apprenant telles les limites liées à Ia mémoire et à Ia charge cognitive ? Une lourdeur excessive peut rapidement indisposer l'usager.

Le diagnostic d'une erreur commise. A partir de quels éléments diag-nostique-t-on qu'il y a une erreur et quelle est cette erreur ? Peut-on considé­rer les erreurs multiples qui peuvent s'additionner au cours de Ia résolution d'un problème ? Comment faire pour discriminer une erreur par rapport à une autre lorsqu'elles se traduisent par une même conséquence (ce cas est fré­quent lorsque l'on manipule des valeurs numériques) ?

Le choix d'une intervention appropriée. Le choix d'une intervention doit mettre en relation les informations relatives aux erreurs commises et celles relatives à l'étudiant. A quel moment doit-on intervenir lorsqu'une erreur est détectée ? Comment choisit-on une intervention lorsqu'une erreur est com­mise ? Quelles sont les diverses formes d'intervention et peut-on les graduer ? Comment génère-t-on les interventions auprès de l'étudiant ? L'intervention doit-elle s'attarder aux modèles mentaux erronés de l'étudiant ? Que faire lorsqu'une intervention s'avère inefficace ? Comment doit-on poursuivre lorsqu'une intervention particulière est complétée ?

La modélisation de l'étudiant. Le modèle étudiant constitue Ia repré­sentation qu'a Ie logiciel de l'étudiant. Quelles sont les informations néces­saires pour modéliser l'étudiant et tenir compte de ses préférences cognitives ? Comment peut-on évaluer l'état de ses connaissances ? Quelles sont les in­terventions antérieures qu'il a reçues ? Comment peut-on déterminer Ia qua­lité du transfert de connaissances apporté par l'activité ?

3. DES MODÈLES PROPOSÉS

Actuellement, il n'existe pas de réponse absolue à toutes ces questions dans Ia construction d'un STI. En fait, Ie choix du domaine d'application et du type d'activité a un tel impact sur Ie contexte de construction qu'il faut à

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chaque fois reconsidérer l'ensemble de ces questions. Plusieurs démarches ont ainsi été proposées, chacune d'elles apportant des réponses intéressantes mais partielles. Parmi celles-ci, certaines présentent des similitudes qui per­mettent de dégager quelques modèles généraux.

Les modèles de type logiciel-outil. Cette approche consiste à déve­lopper des environnements d'aide à l'exploration des connaissances et à l'ac­quisition d'habiletés techniques (Paquette, 1991). Ce type d'application s'éloigne du rôle de professeur pour adopter un rôle d'outil intelligent simulant un environnement réel de travail. Un tel outil s'intègre dans Ie cadre d'activités pédagogiques supervisées par un professeur qui suggère les démarches et vé­rifie Ia qualité du transfert de connaissances. Ce genre d'approche apporte des solutions au niveau de l'acquisition de concepts et de lois, mais offre peu de support lorsqu'il s'agit de vérifier Ia maîtrise de ces connaissances dans divers contextes.

Les modèles par recouvrement (overlay model). Cette approche consiste à évaluer Ia connaissance de l'étudiant par rapport à un modèle idéal de cette connaissance organisée en réseau (Goldstein, 1982). Chaque utilisa­tion efficace d'une connaissance augmente Ia probabilité que celle-ci soit connue. L'évaluation de l'apprentissage de l'étudiant est déterminée par une fonction plus ou moins complexe dont Ie résultat servira au choix du prochain exercice à effectuer ou de Ia matière à consulter. Le modèle de recouvrement offre peu d'information sur Ie type d'erreur et permet une intervention spéci­fique au contenu mais pas à l'erreur commise.

Les modèles par fausses-règles (mal-rule, buggy model, buggy steps). La fausse-règle modélise les règles erronées que l'étudiant peut pos­séder (Brown, 1978 ; Anderson, 1990 ; Kuzmycz, 1992). Le comportement de l'élève est analysé en faisant correspondre les conséquences observées à celles générées par l'application d'une fausse-règle. L'intervention du tutoriel est liée à Ia fausse-règle diagnostiquée et permet de concentrer l'aide appor­tée sur une difficulté particulière. L'utilisation de fausses-règles soulève plu­sieurs réserves (Sack, 1988 ; Guin, 1990) : chaque fausse-règle est utilisée avec une importance égale, les fausses-règles sont idiosyncratiques et ne peu­vent représenter une même difficulté qui s'exprime de plusieurs façons. De plus, leur représentation est spécifique au type d'application. Enfin, un modèle utilisant les fausses-règles n'offre pas d'interventions si celles-ci ne peuvent reproduire Ia réponse donnée par l'étudiant. Ainsi, face à des données numé­riques, des difficultés surviennent notamment pour identifier les erreurs de cal­cul et pour s'assurer que Ie chiffre obtenu provient bien de l'erreur suspectée.

Les modèles par reconnaissance de plan. Cette approche cherche à reconnaître l'intention de l'étudiant en déterminant Ie plan de résolution mis en œuvre par celui-ci à partir de Ia démarche observée (Genesereth,1982 ; Py, 1991). Il s'agit alors de reconnaître les plans infructueux de façon à conseiller l'étudiant dans sa démarche.

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Crayon
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Les modèles par scénarios de tâches. Cette approche intègre des ensembles de scénarios permettant de reconnaître et de solutionner une tâche complexe en Ia décomposant en une succession d'actions ou de tâches plus simples ^/an Marcke, 1992). Les règles d'intervention sont fonction de l'endroit où l'erreur s'est produite dans cette décomposition.

4. UNE APPROCHE PAR CATÉGORIES D'ERREURS

Face aux besoins constatés à l'université dans Ie cadre des séances d'exercices, les recherches de notre équipe se sont portées sur l'élaboration d'un STI capable d'aider l'étudiant dans Ia résolution de problèmes et de lui proposer les ressources adéquates. Cette aide ressemble à celle apportée par un professeur ou un assistant lorsque l'étudiant se présente avec une solution plus ou moins complète. A partir de cette ébauche de solution, Ie professeur détecte et utilise les erreurs commises par l'étudiant pour choisir une inter­vention adéquate. En ingénierie, Ia plupart des domaines enseignés présentent une caractéristique commune : ils sont mathématiquement formalisables, c'est-à-dire que ces domaines s'appuient sur Ia manipulation d'un ensemble fini de relations (ou formules) liant des états, des objets mathématiques et des variables. Ainsi, l'information disponible pour détecter des erreurs est consti­tuée des valeurs numériques de l'étudiant, de Ia notation et des unités utili­sées, des constructions élaborées, des expressions employées et des hypothèses formulées.

L'observation d'un didacticien dans l'enseignement du domaine montre que celui-ci ne possède pas une connaissance explicite de toutes les formes d'erreurs qu'un étudiant peut commettre. Il possède cependant une idée des formes d'incompréhension des étudiants et des stratégies à adopter en fonc­tion de ces formes. C'est en ce sens que nous avons orienté notre recherche. En effet, l'enseignant possède une connaissance des types d'interventions né­cessaires pour corriger des catégories d'erreurs qu'il reconnaît à partir des élé­ments de Ia solution de l'étudiant. Une même intervention peut être efficace pour plusieurs formes d'erreurs qui appartiennent à une même catégorie. Le professeur n'a pas à connaître de façon exhaustive les formes que prennent les erreurs.

Une telle approche se démarque bien de celle des fausses-règles par l'orientation donnée au diagnostic de l'erreur, en fonction de l'intervention de l'enseignant plutôt qu'en fonction de Ia forme d'erreur de l'étudiant et Ia mo­délisation exhaustive des différentes erreurs. Notre approche ne cherche pas à reproduire l'erreur commise par l'étudiant. A partir des éléments présents, absents ou erronés de Ia solution de l'étudiant, elle tente plutôt de détecter des points communs de l'erreur commise avec une catégorie particulière d'er­reurs.

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Descripteur

TRANS

LECT

INAT

CALC

COINC

REINC

DOINC

COMAM

REMAP

DOMAM

CANR

MU

AH

STRANP

STRANE

STRANC

MIP

REFAU

ARROND

EVOL

ABS

Catégorie

Erreur de transcription

Lecture erronée

Inattention

Calcul erroné

Concept inconnu

Règle inconnue

Domaine inconnu

Concept mal maîtrisé

Règle mal appliquée

Domaine mal maîtrisé

Conditions d'applications non remplies

Mauvaises unités de mesure

Ajout d'hypothèses

Stratégie non permise

Stratégie non efficace

Stratégie non complétée

Mauvaise interprétation du problème

Règle fausse

Arrondi

Erreur volontaire

Réponse absurde

Définition

Erreur commise en recopiant des données en cours de résolution

Oubli d'une donnée ou d'une hypothèse lors de la lecture du problème

Étourderie due à l'inattention, sans être une erreur de transcription ou de lecture

Erreur en effectuant un calcul

Erreur due à l'ignorance d'un concept

Erreur due à l'ignorance d'une définition, d'une règle, d'une formule ou d'un théoème

Erreur due à l'ignorance d'un domaine de connaissances

Erreur due à un concept connu, mais mal maîtrisé

Erreur due à une définition, une règle, une formule ou un théorème connus, mais mal appliqués

Erreur due à un domaine de connaissances connu, mais mal maîtrisé

Erreur due à l'utilisation d'une règle, d'une formule ou d'un théorème dont les conditions d'application ne sont pas remplies

Erreur due à l'absence ou à de mauvaises unités de mesure

Erreur due à l'ajout d'hypothèses ou de données non contenues dans l'énoncé

Erreur due à l'utilisation d'une stratégie ou d'un outil non permis par le contexte

Utilisation d'une stratégie valide, mais non efficace pour la résolution du problème

Utilisation d'une stratégie efficace pour la résolu­tion du problème, mais non conduite à terme

Erreur due à une mauvaise interprétation de l'énoncé du problème (mots, données, symboles, sens, etc.)

Erreur due à l'utilisation d'une règle, d'une formule ou d'un théorème déformés ou inventés

Erreur due à un arrondissement excessif en cours de résolution ou dans la réponse

Réponse intermédiaire ou finale volontairement modifiée pour obtenir un résultat plausible

Réponse intermédiaire ou finale, manifestement fausse par le contexte

Tableau 1 : Les catégories d'erreurs

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Notre approche est basée sur une classification des erreurs par caté­gories et sur un ensemble de stratégies de diagnostic permettant de faire cor­respondre une erreur particulière à une catégorie. Pour construire les catégories d'erreurs, nous avons utilisé une approche pragmatique basée sur une expérimentation et des observations auprès d'étudiants de niveau secon­daire professionnel et de niveau universitaire. Deux domaines d'application ont été choisis : Ia trigonométrie pour Ie secteur secondaire professionnel et Ia thermodynamique pour Ie secteur universitaire. Ces deux domaines nous ont permis de confirmer Ia généralité de notre démarche.

Ainsi, des tests ont été distribués et l'analyse des réponses a permis d'identifier et de regrouper les erreurs. En tout, une vingtaine de catégories d'erreurs ont été implantées. Ces catégories sont présentées dans Ie tableau 1. Parmi celles-ci, deux catégories sont reliées au contexte du problème : les er­reurs d'unité et les erreurs d'ordre de grandeur. Cette classification contient aussi des erreurs relatives à l'utilisation d'expressions mathématiques : erreur de calcul, conditions d'application inconnues ou non remplies, concept mal maîtrisé, concept inconnu (ignorance de l'existence de cette expression), etc. D'autres erreurs font référence à Ia démarche même de l'étudiant : erreur de lecture (donnée oubliée ou mal comprise présente dans Ie texte du problème), stratégie non permise (utilisation d'un rapporteur d'angle), stratégie incomplète (l'étudiant est en situation de blocage) et stratégie inefficace (étapes qui ne mènent pas à Ia solution), etc.

Le travail d'analyse des erreurs fut effectué en considérant les points suivants : regroupement des erreurs identiques ; description d'erreurs de même type ; cause commune probable de l'erreur ; exploration d'interventions correctives ; fréquence d'un même type d'erreur. De plus, les catégories d'er­reurs ont été établies de façon à y associer des stratégies de diagnostic pro­grammables. Ce critère est intimement lié à Ia présence d'informations utilisables et associées à Ia catégorie d'erreurs. Les stratégies de diagnostic associent une erreur à une catégorie d'erreurs en utilisant les informations fournies par l'étudiant lors de Ia résolution du problème.

5. UNE DÉMARCHE DE DIAGNOSTIC

Nous voulions, dans notre recherche, simuler l'approche de l'ensei­gnant qui aide l'étudiant dans Ia résolution d'un problème. C'est pourquoi nous avons systématisé une démarche de diagnostic d'erreur de façon à simuler cette approche. EIIe se fait habituellement de Ia façon suivante : Ie professeur regarde d'abord Ia solution de l'étudiant et constate les erreurs évidentes re­latives à Ia réponse proposée (unité, ordre de grandeur, etc.). Puis il localise l'endroit où les valeurs intermédiaires de Ia solution de l'élève dévient de Ia bonne réponse ou d'une réponse acceptable. A partir d'un élément inexact, il

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note ensuite les objets mathématiques ou les formules qui sont inexacts ou mal utilisés et qui ont conduit à une valeur erronée. Il vérifie ensuite les causes possibles de cette divergence : mauvaises hypothèses, mauvaise règle, ajout d'hypothèse, etc. Enfin, il vérifie les calculs effectués par l'étudiant.

Cette démarche procède à partir des éléments de solution de l'étu­diant. EIIe converge rapidement vers l'erreur parce qu'elle n'utilise d'abord que les valeurs intermédiaires représentatives d'une étape pour identifier Ia valeur à partir de laquelle on a observé une déviation. A partir de cette valeur, des in­formations supplémentaires sont recueillies de façon à déterminer l'origine exacte de l'erreur et à l'associer à une catégorie. L'implantation de cette dé­marche pour un STI est décrite en détail dans ^/eillette, 1991).

Le choix d'une intervention est fonction de l'erreur détectée. Dans ses interventions, l'enseignant essaie de minimiser les informations qu'il donne à l'étudiant de façon à lui faire prendre une part active à Ia modification de ses schèmes de connaissances. Pour une même erreur, il peut offrir de l'informa­tion graduellement, selon plusieurs niveaux, jusqu'à ce que l'étudiant puisse corriger et compléter son problème. Nous avons identifié sept niveaux d'inter­ventions :

1 - l'indication qu'une étape est franchie avec succès,

2 - l'indication localisée d'une erreur sans indice,

3 - l'indication localisée d'une erreur annotée d'une aide appropriée,

4 - l'indication d'un indice en se basant sur l'information contenue dans Ie modèle étudiant, dans Ie modèle étudiant idéal et à l'aide des éléments du solutionneur, lorsque l'étudiant est en situation de blocage,

5 - l'indication localisée d'une erreur et Ie renvoi à un contenu externe,

6 - Ie renvoi à un problème d'un niveau plus facile,

7 - l'affichage de Ia solution de l'étape ou du problème.

6. DES PRINCIPES D'ÉLABORATION

L'analyse de l'approche d'un enseignant nous a conduits à utiliser les principes de développement suivants qui se retrouvent dans les STI que nous avons réalisés.

Autonomie de Télève, Il est important de laisser place à Ia créativité de l'élève dans l'élaboration d'une solution. Dans des domaines comme Ia thermodynamique, plusieurs chemins de solution sont possibles pour arriver au résultat. Il est non seulement important de considérer l'ensemble de ces chemins mais aussi de laisser à l'élève Ia possibilité de dévier d'un chemin exact et de lui expliquer pourquoi ce chemin est erroné. Nous avons résolu cet

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aspect dans nos STI en utilisant un principe de décomposition par tableaux utilisé conjointement à un solutionneur. Le solutionneur peut à Ia fois résoudre un problème à partir des données de l'énoncé, vérifier si un chemin de solu­tion proposé par l'étudiant est valable et déterminer à quel endroit de ce che­min de solution s'est produite une erreur.

Économie d'intervention. Ce principe est basé sur l'expertise du pro­fesseur qui, dans sa démarche, commence par regarder Ia réponse de l'étu­diant et les unités utilisées pour Ia réponse. Le professeur ne cherche pas à connaître, dès Ie début, tous les détails de Ia solution avant d'intervenir. Il re­garde d'abord les étapes utilisées avant de vérifier les hypothèses posées et les calculs effectués.

Intervention minimale et graduée. A chaque catégorie d'erreurs est relié un ensemble de gabarits d'interventions possibles. En conservant les in­terventions antérieures dans Ie modèle étudiant, l'aide est donnée graduelle­ment de façon à s'assurer que l'étudiant prenne une part active à Ia correction de l'erreur. Par exemple, en ne signalant d'abord que Ie lieu de l'erreur, l'étu­diant vérifie sa démarche en concentrant son attention à cet endroit et apporte très souvent Ia correction nécessaire.

Intervention adaptée au niveau de Terreur. Il est important d'adop­ter une intervention qui soit conséquente avec l'importance de l'erreur. Par exemple, une erreur de calcul ne nécessite pas l'exposé de toute Ia solution. Par contre, une erreur fréquente concernant les conditions d'utilisation d'une formule nécessite Ie renvoi à un contenu théorique ou à une activité suscep­tible de favoriser l'acquisition des concepts manquants.

Construction des connaissances. L'étudiant doit prendre une part active à l'élaboration de ses connaissances et Ie tutoriel doit favoriser Ia mo­dification des schèmes mentaux inefficaces. Par exemple, Ia mauvaise utilisa­tion d'une règle amène Ie logiciel à indiquer Ie type d'erreur commis et Ia forme que cette erreur a prise dans Ia solution de l'étudiant, de façon à permettre Ia modification de sa connaissance et Ia réactualisation des règles qu'il possède.

Principe du tableau. Le principe du tableau a été élaboré pour re­cueillir Ia solution de l'étudiant et pour définir une démarche de résolution au­tomatique d'un problème. Selon ce principe, chaque élément fondamental du domaine est représenté comme une case d'information dont l'aspect est fonc­tion du type d'élément et de son contexte d'utilisation. Chacune de ces cases (ou éléments) peut être décomposée en éléments plus simples. Par exemple, une formule est décomposée en un ensemble d'éléments qui représentent les étapes d'utilisation de celle-ci. Ces éléments sont les conditions d'application de cette formule et les variables qui Ia composent. Les variables sont présen­tées dans un tableau que l'étudiant remplit et où il peut indiquer récursivement comment chaque valeur est déterminée, par l'utilisation d'une autre formule par exemple.

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Le tableau est un outil fondamental de notre approche. Il permet de gé­néraliser nos stratégies de diagnostic d'erreur. En effet, d'un domaine à l'autre, Ia représentation des éléments, leur regroupement et leur manipulation peu­vent varier au niveau de l'interface avec l'usager ; mais leur aspect fondamen­tal en termes de type d'élément et de représentation interne demeure similaire. Les stratégies de diagnostic sont appliquées à cette représentation interne et peuvent ainsi être transférées à d'autres domaines. Par exemple, pour chaque élément d'un tableau, Ia stratégie de diagnostic analyse l'exactitude de Ia va­leur contenue dans cet élément, Ia possibilité d'utiliser cet élément dans Ie contexte du problème, Ia pertinence de son utilisation et Ie fait de l'avoir ou de ne pas l'avoir utilisé. Le diagnostic est posé en plaçant les éléments de Ia so­lution de l'étudiant dans Ie contexte du problème.

Chaque case d'un tableau constitue une étape intermédiaire possible dans Ia résolution d'un problème. La détermination de Ia valeur d'une case doit se faire en une étape de résolution, par l'utilisation d'une expression mathé­matique du domaine qui établit une relation entre cette case et les autres élé­ments du problème. Chaque élément est indépendant des calculs qui ont généré sa valeur, facilitant ainsi l'analyse de tous les moyens permettant de Ie trouver. Le tableau permet enfin de formaliser Ia démarche de l'étudiant en transmettant une méthodologie qui lui offre des moyens de se vérifier.

7. EXEMPLE DE FONCTIONNEMENT DE THERMEX

Le STI Thermex a été développé pour aider les étudiants lorsqu'ils ten­tent de résoudre des exercices de thermodynamique. Il a été construit à par­tir des principes exposés dans les sections précédentes. Pour illustrer son fonctionnement, voici un court exemple d'une session d'utilisation de Thermex. Thermex commence une session de travail en présentant Ia liste des chapitres pour lesquels il existe une série d'exercices. L'étudiant choisit un exercice et Ie logiciel affiche alors Ie texte, un schéma si nécessaire et les questions. Voici Ie texte de l'exercice 5.27 (figure 1) :

De l'air contenu dans un cylindre muni d'un piston est comprimé au cours d'une évolution quasi statique. Pendant Ia compression, Ia rela­tion entre Ia pression et Ie volume est donnée par P V1-25 = Cte. La masse d'air dans Ie cylindre est de 0,1 Kg. La pression initiale est de 100 Kpa alors que Ia température initiale est égale à 20 0C. Le volume final est égal à 1/8 du volume initial. Calculer Ie travail fait durant Ia compression.

Si l'étudiant est arrivé à une solution, ¡I entre Ia valeur numérique cor­respondant au travail ; Thermex vérifie cette valeur et si cette dernière est exacte, Thermex félicite l'étudiant et Ie renvoie au menu principal. Si Ia valeur numérique n'est pas correcte, Thermex recherche l'origine, c'est-à-dire Ia classe de l'erreur qui a conduit à cette valeur numérique incorrecte. Pour cela,

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Réponds aux questions et appuie sur F10 lorsque tu as terminé.

De l'air contenu dans un cylindre muni d'un piston est comprimé au cours d'une évolution quasi statique. Pendant Ia compression, Ia relation entre Ia pression et Ie volume est donnée par P V1,25 = cte. La masse d'air dans Ie cylindre est de 0,1 kg. La pression initiale est de 100kPa alors que Ia température initiale est égale à 2 0 0 C . Le volume final Vf est égal à 1/8 du volume initial Vj.

o Calculer Ie travail : W = ? kJ o Calculer Ie transfert de chaleur : Q = ? kJ

(1)

M = 0,1 Kg

P = 100 kPa T = 20 0C

PV1'25 = eté

(2)

I V 1 = 1/8V¡

F1:aide F3:uni te Espace:menu Esc:annuler

Figure 1 : Présentation de l'énoncé d'un problème

Thermex vérifie des informations relatives à Ia préparation de l'exercice : Ie système thermodynamique retenu doit être Ie cylindre, Ie système est fermé (ni ouvert à écoulement uniforme, ni ouvert à régime permanent), Ie constituant est de l'air et les états thermodynamiques sont : début de compression et fin de compression. Une fois ces informations vérifiées, Thermex demande à l'étu­diant d'entrer les valeurs qu'il connaît directement de l'énoncé (données) et les valeurs qu'il a calculées (figure 2, page suivante). Ces valeurs sont des gran­deurs numériques ou symboliques. Le logiciel vérifie d'abord les données puis analyse les valeurs calculées. Dans Ie problème 5.27, Ia pression à l'état initial est donnée et une erreur liée à cette valeur est une erreur de lecture ou une erreur d'unité ; Ia classe étant identifiée, Thermex lui associe l'intervention adé­quate qui se résume à pointer l'erreur et à renvoyer l'étudiant au texte. Si Ia valeur erronée est une valeur calculée, Thermex demande quelle expression a été utilisée pour calculer cette valeur. Si l'étudiant indique qu'il a calculé Ie travail pour l'exercice 5.27 à l'aide de l'expression 5.23, Thermex demande quelles sont les conditions d'application de cette expression. L'étudiant ré­pond "transformation polytropique" (c'est-à-dire transformation pour laquelle Ia pression P et Ie volume V suivent Ia relation P Vn = Cte), alors que l'expres­sion n'est valable que pour des transformations isothermes. Thermex identifie ainsi une erreur appartenant à Ia classe "mauvaise condition d'application" et propose comme intervention Ie rappel des conditions d'application de cette expression. Puis Thermex efface Ia valeur erronée et renvoie l'étudiant au pro­blème.

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M. VEILLETTE, B. MARCOS, L. THÉRIEN, F. BOURGET, J. U\POINTE

Écris seulement les éléments du tableau que tu connais. Appuie sur F10 lorsque tu as terminé.

État 1 : o M 0,1 o P 100 o V 0 , 0 8 4 1 o T 20 o v

kg kPa m3

0 C m3/kg

ok ok ok ok

État 2 : o M 0,1 o p 1344 o V 0,01 o T o v

kg kPa m3

0 C m3 /kg

ok ok ok

Question n0 1 : o Composé o Système o Nature o État o Éq. états

Air Cylindre Fermé État 1 - état 2 Gaz parfait

État 1 - état 2 : o Isobare o Isochore o Isotherme o Isentrope o Réversible o Adiabatique o M = eté o PV = eté o PVn = eté o n o W o Q

[ ] [ ] [ ] [ ] [ oui ] [ ] [ ] [ ] [ oui ] 1,25 ? kJ ? kJ

ok

ok ok

F1:aide F3:unite F4:equilibre F5:texte Tab:tableau Espace:menu

Figure 2 : Tableaux représentant une transformation

Thermex peut donner de l'aide lorsque l'étudiant est en situation de blocage. L'aide est progressive et dépend des valeurs que l'étudiant a déjà données ou calculées. Dans l'exercice 5.27, si l'étudiant a bien recueilli les données et calculé correctement Ie volume final et initial, Thermex lui indique qu'il peut calculer Ie travail. Si cette aide n'est pas suffisante, Thermex lui rap­pelle que l'on a une transformation polytropique, réversible et que l'état initial et final sont déterminés. Si ce n'est pas suffisant, il lui suggère d'employer Ia relation 5.25 qui s'applique pour les transformations polytropiques et réver­sibles. Ces aides sont ainsi graduées pour forcer l'étudiant à compléter Ie plus possible par lui-même l'exercice. Durant les expérimentations, les aides et in­terventions ont été suffisantes pour permettre à l'étudiant de résoudre l'exer­cice.

8. DISCUSSION ET CONCLUSION

Nous avons présenté une approche originale pour l'élaboration d'un tu-toriel intelligent capable de diagnostiquer les erreurs de l'étudiant dans Ia ré­solution de problèmes et d'apporter des interventions appropriées et graduées. Cette approche s'appuie sur un ensemble de catégories d'erreurs développées expérimentalement et sur des stratégies de diagnostic reliant ces catégories d'erreurs à Ia solution plus ou moins complète de l'étudiant. Les interventions

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sont choisies en fonction de Ia catégorie d'erreurs diagnostiquée, des inter­ventions passées et de Ia gravité de l'erreur. Un solutionneur manipulant les éléments du domaine est incorporé à notre architecture, afin d'analyser les dif­férents chemins de solution proposés par l'étudiant et de fournir des informa­tions qui lui permettront de compléter sa démarche avec succès.

Un prototype fonctionnel nommé Thermex a été réalisé selon cette ap­proche. Thermex contient une quarantaine d'exercices, une centaine de rela­tions thermodynamiques et les tables thermodynamiques pour l'eau, l'air, Ie fréon et l'ammoniac. Il est écrit en Prolog et en C et fonctionne sur des ordi­nateurs compatibles DOS et équipés d'un moniteur VGA. Thermex offre de plus un ensemble d'outils permettant aux professeurs d'entrer eux-mêmes les données des problèmes soumis aux étudiants. Thermex a été expérimenté à trois reprises par des groupes différents d'étudiants. Bien qu'il y ait peu d'éva­luations quantitatives, les étudiants des groupes témoins ont obtenu de bons résultats en n'utilisant que Thermex lors de leur séance d'exercices.

Notre approche offre plusieurs avantages. EIIe permet de traiter Ie che­min de solution de l'étudiant et d'intervenir lorsque l'étudiant requiert une aide. Notre approche rassemble aussi les erreurs qui ont une même origine mais dont les effets sont différents. C'est une qualité intéressante lorsque Ie do­maine traité contient des valeurs numériques. Les stratégies de diagnostic mi­nimisent l'information à demander à l'étudiant puisqu'on localise une erreur pour ensuite cerner de plus en plus son origine. Ces stratégies détectent d'abord une valeur suspecte puis complètent l'information relative aux mani­pulations qui l'ont générée. Une telle architecture est ouverte à l'intégration des techniques existantes lorsque l'on désire raffiner Ia précision des interventions, inférer les contenus connus ou analyser Ia démarche globale de l'étudiant. Par exemple, un modèle par recouvrement peut ajouter une analyse des contenus maîtrisés à partir des éléments conservés dans Ie modèle étudiant.

Les catégories d'erreurs ont été utilisées avec succès pour Ie domaine de Ia thermodynamique et celui de Ia trigonométrie. Elles sont suffisamment générales pour s'appliquer à d'autres domaines. La plupart des domaines for-malisables mathématiquement sont accessibles à une approche par catégories d'erreurs.

Nous poursuivons nos travaux de recherche, consistant à étendre les catégories d'erreurs à d'autres aspects de Ia résolution de problèmes. Les ca­tégories énoncées portent principalement sur Ia résolution proprement dite du problème. Plusieurs erreurs se produisent au niveau de Ia préparation même du problème et de Ia représentation qualitative que l'étudiant se fait du pro­blème. C'est un aspect primordial en thermodynamique. D'autres catégories d'erreurs peuvent être établies au niveau de Ia démarche et de Ia stratégie de l'étudiant. A ce niveau, les travaux relatifs à Ia génération de plan apportent un éclairage intéressant.

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iM3^M::3s3POim DE VUE d'un chercheur en didactique de Ia biologie

Jouer les notes sans connaître Ia mélodie : Ie caractère étroit de Ia recherche en didactique de Ia biologie

A.M. LUCAS Principal's Office King's College London Strand London WC2R 2LS

Résumé

Au cours des vingt dernières années, de nombreuses recherches ont été menées sur Ia façon dont les élèves et les étudiants comprennent les concepts scientifiques. Ce mouvement international a fourni un corpus très vaste de données intéressantes, mais malheureusement beaucoup d'études ont concerné des concepts isolés et étroits. Très peu s'intéressent à Ia façon dont les apprenants intègrent les idées dans une structure conceptuelle large. Ce manque est particulièrement important dans Ia recherche en didactique de Ia biologie ; celle-ci doit non seulement tenir compte des concepts de phy­sique, chimie et mathématiques, mais aussi des concepts biologiques "englo­bants", dont Ia signification se développe au sein des sciences biologiques.

Abstract

During the past twenty years there has been much research into the ways that school and university students understand science concepts. This in­ternational movement has produced a very large body of interesting data, but

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unfortunately most studies have been concerned with single narrow concepts. There are very few studies that look at the way that learners integrate ideas into a broad conceptual structure. This omission is especially important in biology education research, which has to take into account not only concepts from physics, chemistry and mathematics, but also 'overarching1 biological concepts, which have themselves been extending their meaning within the bio­logical sciences.

INTRODUCTION

La recherche sur les "conceptions alternatives" qui a dominé l'éduca­tion scientifique ces vingt dernières années a surtout étudié les concepts des sciences physiques. Dans ce domaine, il y a eu beaucoup de travaux sur Ia mécanique, l'électricité, l'optique et Ia théorie particulaire de Ia matière, avec un travail important sur Ia lumière et Ia cosmologie (voir Driver, Guesne & Ti-berghien, 1985 ; Driver, 1991 ; Solomon, 1993a, pour des revues de questions). Il y a eu peu de travaux en biologie publiés en anglais ; ils concernent surtout Ia nutrition des plantes et Ia photosynthèse (voir les références citées dans Wa-heed et Lucas, 1992), Ia génétique (Clough & Wood-Robinson, 1985 ; Kind-field, 1991), et l'évolution (Deadman & Kelly, 1978). Dans Ia littérature française et espagnole, on trouve des études sur un plus grand nombre de sujets biolo­giques qu'en Angleterre, en particulier des études sur les conceptions enfan­tines à propos de Ia digestion humaine, l'excrétion et Ia reproduction, aussi bien que sur les thèmes qui dominent Ia littérature anglophone. Beaucoup d'exemples ont été publiés dans les Actes des Journées de Chamonix (voir les différents volumes édités par Giordan & Martinand). Giordan et De Vecchi (1987) ont synthétisé certains de ces travaux, avec de nombreuses illustrations montrant les représentations des enfants sur les structures biologiques. Ga­gliardi (1983) a également travaillé sur les concepts en génétique. Un grand nombre d'études ont été faites en Espagne, Ia plupart publiées dans "Ense-ñenza de las Ciencias", et quelques thèses qui commencent à paraître (Jime­nez, 1989).

Mon but n'est pas ici de passer cette littérature en revue, mais plutôt de commenter celle qui concerne les travaux sur les "idées" des enfants. Je conclurai que les carences sont encore plus sérieuses en biologie qu'en phy­sique, car les chercheurs ignorent les réelles différences de nature entre Ia bio­logie et Ia physique, qui continue à servir de paradigme pour Ia science.

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1. PRENDRE DES EXEMPLES AU HASARD OU DÉVELOPPER UNE THÉORIE DE L'APPRENTISSAGE ?

Dans notre récente collection d'ouvrages (Black & Lucas, 1993), nos contributeurs approchent les problèmes de l'apprentissage des enfants selon des perspectives variées. Tous doutent que Ie label "constructivisme" four­nisse un guide suffisant pour un développement théorique. Dans sa forme sim­pliste, les constructivistes ont recours au lieu commun selon lequel les apprenants ne sont pas des récepteurs passifs d'informations venant de l'ex­térieur, et qu'ils doivent en quelque sorte "construire" leur propre interpréta­tion. Peu d'auteurs sont en désaccord avec cette proposition, mais celle-ci est stérile en tant que base théorique : elle permet peu de prévisions quant aux données à collecter, car on ne peut pas en déduire de prédictions précises. En conséquence, Ia littérature contient un grand nombre de domaines concep­tuels étudiés de façon isolée. Mais ces listes de concepts ne nous permettent pas de faire de prédiction utile sur Ie type d'explication qu'un enfant donnera dans un autre domaine. Bien que les données s'accumulent à chaque sortie d'un journal d'éducation scientifique, notre compréhension théorique de Ia co­gnition et de l'apprentissage n'en est pas enrichie. Un coup d'oeil à Ia biblio­graphie de Pfundt et Duit (1991) confirme l'augmentation rapide du nombre d'exemples de concepts étudiés.

Plus important encore est Ie fait que nous ne pouvons faire l'hypothèse que ces données extensives fournissent des éléments suffisamment solides sur Ia façon dont les apprenants comprennent Ie sujet étudié. Comme Claxton (1993) Ie souligne :

"Affirmer que les intuitions scientifiques des gens sont Ie reflet direct de Ia nature et de Ia structure de leur savoir antérieur - leurs «cadres al­ternatifs» -, c'est se montrer coupable d'une grossière sursimplification de leur psychologie... Ce que nous interprétons de manière trop en­thousiaste comme un «cadre alternatif» certain n'est pas plus que Ie re­flet de Ia tentative éphémère et hésitante de prendre en charge Ia demande intellectuelle et sociale du moment présent (initiée par Ie chercheur). "

Sans modèle d'apprentissage explicite, l'accumulation continue de données ne peut se justifier que par Ia croyance en l'induction naïve baco-nienne. Peu d'entre nous pensent qu'une telle croyance est justifiée.

Selon Ia version du "constructivisme social", Ie contexte social joue un rôle prépondérant dans Ie processus d'apprentissage. Solomon (1993b) montre comment Ia discussion entre pairs influe sur un groupe d'élèves étu­diant l'énergie. Il est certain que nous devons tenir compte du contexte cultu­rel pour expliquer Ia façon dont les gens apprennent. Réciproquement, nous devons éviter une généralisation excessive, même si une étude semble avoir été reproduite de façon identique dans différents pays. A titre d'exemple,

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Villalbi et Lucas (1991) ont reproduit Ie mieux possible à Barcelone l'étude ori­ginale faite en Nouvelle-Zélande sur Ia manière dont les enfants comprennent Ie mot "animal" (BeII & Barker, 1981). Nous avons trouvé que, comparative­ment aux pays anglophones, il y avait beaucoup moins d'enfants qui avaient des difficultés à classer les organismes non-mammifères comme des animaux. Nous avons interprété ceci en terme d'environnement linguistique général : l'expression courante anglaise "animals and birds" n'a pas d'équivalent dans les langues qui n'utilisent pas de façon vernaculaire Ie mot "animal" pour Ie mot "mammifère". Certains enfants catalans avaient des problèmes, mais ils concernaient surtout Ie classement des humains parmi les animaux.

Ces propositions prennent en compte Ie transfert social de Ia connais­sance, plutôt que sa création individuelle par chaque apprenant réagissant seul à des phénomènes physiques. Cependant leur point faible est là aussi de ne pas permettre des prédictions qui puissent être testées de façon précise. Fi­nalement, il n'y a pas une grande différence avec l'accumulation des études basées sur une approche "constructiviste" plus simpliste.

Il y a d'autres versions plus élaborées du constructivisme que celles qui sont rejetées plus haut. Par exemple, certains auteurs intéressés par Ia philo­sophie des sciences voient des parallèles très forts entre Ia manière dont les enfants sont supposés apprendre et une "epistémologie constructiviste" des sciences. Les problèmes liés à ces versions du constructivisme ont été étudiés par ailleurs, par exemple Matthews (1992) et Ia réfutation philosophique par Suchting (1992) de Von Glasersfeld (1989).

Ne vous méprenez pas : ces travaux ont eu beaucoup d'importance pour les enseignants. Comme je l'ai affirmé par ailleurs :

"Ce thème à Ia mode nous a valu un débordement d'articles très inté­ressants qui ont montré aux chercheurs en didactique des sciences que les hypothèses des projets de développement de curriculum anglo­phone étaient trop simplistes. Il est clair maintenant qu'investir de l'ar­gent, du temps et des expertises dans Ie développement d'activités d'apprentissage n'est pas suffisant. Il faut aussi que ces activités d'ap­prentissage prennent en compte Ie sens que les élèves donnent aux concepts qui sont «évidents» pour l'enseignant et Ie responsable de curriculum. La recherche sur les « perceptions alternatives » a eu aussi beaucoup de valeur pour les enseignants qui, s'ils l'ont lue avec atten­tion, ne peuvent plus considérer comme acquis que les enfants parta­gent tous les mêmes vues, après que l'enseignant ait exposé sa version d'un phénomène. Pour certains enseignants, cette recherche a légitimé leur expérience professionnelle, en confirmant que les idées qu'expri­ment certains de leurs élèves sont communes; que ce n'est pas leur enseignement qui produit ces « aberrations »." (Lucas, 1990).

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Mes objections sont que nous n'allons pas au-delà de Ia phase de "col­lecte" de cette tradition de recherche, dans Ia mesure où Ie constructivisme ne fournit pas une théorie satisfaisante pour interpréter ces données.

Je ne suis pas compétent pour proposer un meilleur modèle ou une meilleure théorie psychologique, qui serait certainement complexe, avec une prise en charge des problèmes suivants : Ia façon de prendre en compte Ie contexte, Ie champ d'application, Ie niveau d'abstraction, Ia métacognition, les dynamiques de renouvellement et de changement, les interactions concept-processus, les traitements parallèles, les effets de Ia motivation, les percep­tions de l'adéquation et du rôle de l'autorité extérieure. Il y a un résumé de ces questions dans Ie chapitre de conclusion de Black et Lucas (1993), où nous soulignons que :

"Toute théorie devrait se positionner sur Ia signification des moyens uti­lisés pourrecueillirles faits. L'enquête de recherche avec les enfants ne doit pas être interprétée comme si elle était une jauge ou un instantané captant un état fixé du système. EIIe doit être considérée comme un élément de l'apprentissage, et comme une conversation entre Ie cher­cheur et l'élève. Les notions de dynamique de changement, de l'effet des perceptions, de l'intention et de l'autorité de l'enquêteur, entrent toutes en ligne de compte : toute théorie doit collecter et interpréter les faits dans Ie cadre de son propre modèle. La phase de «collecte» de Ia recherche dans ce domaine pourrait bien, rétrospectivement, être sé­rieusement limitée par les hypothèses cachées derrière sa méthodolo­gie."

2. CONSÉQUENCES SUR LES BUTS DE L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES

Même si une théorie psychologique conduit les recherches, il y aura encore des difficultés à en utiliser les résultats pour l'enseignement des sciences. Pire, Ie type d'investigation peut renforcer un modèle présentant Ia science comme un système de pensée atomiste plutôt qu'holistique ; analy­tique plutôt que synthétique ; restreint par les limites de chaque sous-disci­pline, plutôt que capable de fournir un ensemble de concepts et d'idées qui interagissent pour expliquer les phénomènes.

Il existe peu d'études qui s'intéressent à un ensemble complet de su­jets. Même les ensembles de recherches les plus développés traditionnelle­ment, en électricité et en dynamique, prennent de façon typique un seul concept, comme Ie courant ou Ia force, et l'étudient de façon isolée. Très peu de travaux considèrent un système complet de concepts en interaction, ce qui est caractéristique de Ia théorie scientifique. On trouve une exception notable

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en sciences physiques : Ie travail de Bliss, Ogborn et leurs étudiants (Bliss & Ogborn, 1992, 1993 ; Bliss, Ogborn & al., 1989), qui ont développé un modèle cohérent d'une théorie "spontanée" non-newtonienne du mouvement. Ceci leur permet de tester l'utilité de leur modèle en tant qu'explication de Ia façon dont les jeunes enfants mettent en relation les concepts de démarrage et d'arrêt, de support, de force et de mouvement dans leur monde quotidien. Même des études relativement complexes sur l'électricité (Shipstone, 1985) se focalisent sur Ie courant en excluant Ia charge, Ia différence de potentiel, les relations entre courant électrique et ionisation, l'électrolyse, l'induction ma­gnétique, etc. (voir aussi : Black Harlen, 1983). Ainsi les recherches, dans Ia mesure où elles influent sur les responsables de curricula scientifiques, sug­gèrent que les sciences à l'école doivent être enseignées comme une série de sujets sans relations, qui ne sont pas repris et renforcés quand un nouveau thème est abordé.

Bien entendu, nous pouvons conclure en disant qu'il est beaucoup plus facile et plus sûr d'analyser un sujet abordable. Lorsqu'on supervise les re­cherches d'étudiants, ¡I vaut certainement mieux s'assurer qu'ils ne se lancent pas dans des sujets trop importants pour eux. De fait nous pouvons tirer un grand profit de certaines thèses : Paris Amestoy (1992) a fourni une étude très solide sur Ia façon dont les apprenants abordent les problèmes d'acides et de bases. Cette étude a pris en compte de façon approfondie les difficultés qu'ont eues les chimistes avec ces concepts.

Je n'en conclus pas que les études individuelles ont nécessairement besoin de tenir compte de toutes les ramifications d'un ensemble de concepts. Nous avons besoin de programmes de recherche bien développés, et non de séries d'études individuelles. Mais, à l'exception du programme de Bliss & Og­born, même les groupes de recherche les plus actifs ne semblent pas avoir élaboré de plans pour des études séquentielles ou parallèles.

Pour comprendre Ia biologie, il est particulièrement important d'être ca­pable d'utiliser un certain nombre de concepts issus des sciences physiques et de les appliquer au contexte biologique. Connaître les concepts ne suffit pas : il faut savoir les ordonner pour expliquer des phénomènes qui ne sont pas strictement réductibles à Ia physique ou Ia chimie. Il est facile de se moquer des physiciens qui argumentent à partir de principes faux, dans cet extrait du salutaire conte de Bohren :

"Une expérience commune d'un matin d'été consiste à marcher sur une pelouse apparemment mouillée par Ia rosée. Mais en regardant de plus près, on peut constater que toutes les gouttes sont suspendues à l'ex­trémité des brins d'herbe. Des étudiants en trouvèrent une explication dans Ie livre d'un météorologue dont l'esprit critique avait été émoussé par un excès de sciences physiques :

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« La rosée se forme d'abord à l'extrémité ... des brins d'herbe, parce que Ia diffusion de Ia vapeur d'eau de l'air vers l'extrémité des tiges peut venir d'un grand nombre de directions. Ainsi, les extrémités peu­vent rayonner de toutes parts vers Ie ciel, sans subir autant de rayon­nements en retour d'autres objets. »

C'est une explication qui doit satisfaire les physiciens, mais pas les bo­tanistes, car elle est absolument fausse. Les gouttes d'eau ne sont pas des gouttes de rosée, c'est de Ia guttation... La nuit, l'eau continue de monter dans les tiges des plantes en raison de Ia pression racinaire mais, les stomates étant fermés, l'eau sort au bout du vaisseau, à l'ex­trémité de Ia tige." (Bohren, 1991)

Même si on peut plaindre Ie physicien qui traite les systèmes vivants comme des artefacts physiques, et qui explique les phénomènes associés sans se référer aux complexités du monde vivant, je ne cherche pas en citant cette histoire à encourager l'autosatisfaction des biologistes. Mon intention est d'illustrer les dangers qui existent à traiter les phénomènes en terme d'un ou deux concepts uniquement.

Un objectif important de l'enseignement des sciences est certainement d'encourager et de développer Ia capacité de l'apprenant à avoir une vision globale, et pas seulement Ie point de vue pris en cours de chimie, de physique, de biologie ou de géologie.

3. LE PROBLÈME DE LA BIOLOGIE

Aucun biologiste moderne ne peut nier que les systèmes biologiques sont composés des éléments et des particules qui intéressent les physiciens et les chimistes, ni que les lois de Ia physique et de Ia chimie s'appliquent aux systèmes vivants. Cependant, un système vivant constitue un environnement beaucoup plus complexe qu'un tube à essais, et nous devons prendre en compte ces différences quand nous explorons Ia façon dont les gens com­prennent les phénomènes biologiques. Un simple exemple peut illustrer ce point.

Hallett (1989) souligne que certains phénomènes importants en biolo­gie cellulaire sont imprédictibles, dans Ia mesure où Ie même stimulus ne pro­voque pas toujours Ia même réponse. Il interprète ce phénomène par Ie fait qu'il y a un très petit nombre de molécules impliquées. Imaginons Ie cas ex­trême où il y aurait une seule molécule impliquée par cellule : si Ia réponse à Ia stimulation de Ia membrane cellulaire dépend de Ia présence de Ia molécule dans Ia même moitié de cellule que Ie point de stimulation, alors dans 50% des cas il n'y aura pas de réponse. Il n'existe vraisemblablement jamais de système aussi simple que celui-là, mais il en existe beaucoup où les concen-

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trations d'une substance sont assez faibles pour que les effets probabilistes de Ia distribution des molécules dans un compartiment donné produisent l'im-prédictibilité observée.

Plus généralement, les systèmes biologiques ont une histoire, et cette histoire est une partie de l'explication de Ia façon dont ils fonctionnent. L'his­toire est à Ia fois développement et évolution. Bien que ce ne soit pas toujours apparent, l'histoire sous-jacente du développement et de Ia sélection naturelle est toujours là. Ainsi des concepts tels que "structure et fonction", ou l'ho-méostasie, qui ont été mis en place à l'origine pour comprendre Ia physiologie individuelle, comme l'œil et Ia vision, Ie système circulatoire, Ia reproduction, ont été étendus à Ia structure écologique de Ia forêt, à Ia "circulation" globale d'énergie et de matière, aussi bien qu'aux processus d'extinction et de suc­cession des espèces.

Mais en termes de didactique, ce sont des concepts difficiles à explo­rer. Il y a des concepts englobants, applicables à une grande quantité de phé­nomènes apparemment dissemblables. Il est très difficile d'isoler des cas qui permettent au chercheur d'explorer de façon fiable les explications des ap­prenants sur, disons, "Ia rareté des animaux sauvages" (Colinveaux, 1980) ; ou sur comment Ie fait de manger est contrôlé par les hormones, Ie système ner­veux, les glycorécepteurs, les habitudes sociales, et les mécanismes com­plexes de stockage des hydrocarbonés dans Ie foie, etc. Prendre Ie chemin Ie plus facile en isolant chacun de ces facteurs pour l'étudier, c'est déformer Ia complexité des phénomènes expérimentés.

Je ne propose pas pour autant que toutes les études de didactique de Ia biologie examinent des concepts aussi larges. Ce serait un désastre, en rai­son de cette complexité même. Ce que je suggère, c'est Ia nécessité de pro­grammes de recherche progressifs, où les sous-thèmes à étudier fassent partie d'un projet élaboré sur un thème plus vaste. En fait il n'est pas nécessaire que toutes les recherches soient menées par Ie même groupe : l'aspect essentiel est d'aller plus loin que d'accumuler un nombre croissant d'études isolées concernant les "idées" des enfants sur des concepts étroits.

Un de mes étudiants, Talaat Waheed (1990), s'est intéressé à Ia pho­tosynthèse, qui est un sujet bien étudié dans Ia formation scientifique (par exemple, Test & Heward, 1980 ; Simpson & Arnold, 1980, 1982 ; Wandersee, 1983 ; Roth al, 1983 ; Smith & Anderson, 1984 ; Driver & al, 1984 ; BeII & Brook, 1984 ; BeII & al, 1985 ; Haslam & Treagust, 1987 ; Stavy, Eisen & Yaa-kobi, 1987 ; Eisen & Stavy, 1988 ; Barker & Carr, 1988a, b, 1989 ; Simpson & Marek, 1988). Il a construit son travail à partir de Ia littérature : après une ana­lyse préliminaire très complète des ramifications de Ia photosynthèse au sein de Ia biologie, il a identifié les domaines où des études sur un seul concept avaient déjà été publiées. La photosynthèse est un sujet biologique complexe qui comporte de nombreux aspects conceptuels. Par commodité, il a pris en

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compte les aspects liés à l'écologie, Ia biochimie, l'anatomo-physiologie et les changements énergétiques.

Il est important de considérer Ia photosynthèse comme un sujet com­plexe pour comprendre que Ie monde fonctionne comme un écosystème et que Ia photosynthèse est un pont entre Ie monde vivant et Ie monde non-vi­vant. Vu de cette façon, Ie thème de Ia photosynthèse permet aux élèves de comprendre les relations mutuelles des organismes à l'intérieur d'un écosys­tème, ce qui est l'un des principaux objectifs de l'enseignement de Ia biologie. On ne peut comprendre Ia photosynthèse comme un concept intégré que lorsqu'on réalise que Ie flux d'énergie dans un écosystème et Ie recyclage des gaz (dioxyde de carbone et oxygène) dans l'environnement sont des concepts qui établissent des liens entre les différents aspects de Ia photosynthèse.

Waheed, en étudiant des élèves âgés de 15 ans, a établi avec certitude que Ia majorité des étudiants avait compris l'aspect écologique et que plu­sieurs avaient une certaine compréhension des aspects physiologique et bio­chimique. Cependant, peu d'entre eux paraissaient avoir compris l'aspect "changements d'énergie", et encore moins (5 sur 56) avaient compris les quatre aspects. Il a été montré pour un seul de ces étudiants qu'il comprenait les six interrelations entre les quatre aspects de Ia photosynthèse, et les preuves étaient faibles pour trois de ces interactions. Waheed a également analysé quelques manuels parmi les plus couramment utilisés à ce niveau en Angleterre. Un seul d'entre eux établit explicitement les relations entre les dif­férents aspects de Ia photosynthèse. Dans l'un des manuels les plus vendus, les interrelations sont implicites : bien que l'auteur mentionne les idées clés des interrelations entre les différents aspects dans les sujets directement ou indirectement associés, il ne donne pas les références croisées. (Après Ia pu­blication des résultats OA/aheed & Lucas, 1992), l'auteur en question, Dr Mike Roberts, m'écrivit qu'il avait inclus des références croisées dans Ie manuscrit du livre (Roberts, 1986), mais que les éditeurs avaient insisté pour qu'elles soient supprimées !). Les examens nationaux renforcent également l'idée que les enseignants doivent traiter ces aspects séparément : il a été rarement trouvé, dans les papiers des deux Comités d'examens que Waheed a analy­sés, une question qui demande aux candidats de mettre en relation ne serait-ce que deux de ces aspects.

J'ai décrit Ie cas de Ia photosynthèse en détail, car il fait ressortir l'im­portance d'essayer d'aider les apprenants à comprendre les implications des concepts qu'ils apprennent, et ceci pas seulement avec des applications à des exemples du monde réel, mais aussi comme un moyen de construire des structures de savoir cohérentes et se renforçant mutuellement. Comme l'affir­ment Black & Harlen (1993), Ia production d'un réseau de relations entre concepts peut être un moyen intéressant "d'étendre Ie champ de catégorisa­tion".

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De tels arguments ne sont pas valables uniquement pour l'étude de Ia biologie. Il peut en être de même pour les phénomènes géologiques. Un autre de mes étudiants-chercheurs a commencé à travailler sur Ia façon dont les en­fants utilisent des concepts dans Ie contexte d'un thème plus vaste. Le "cycle de l'eau" est un sujet universellement étudié à l'école en cours de science et de géographie. Pour Ie comprendre complètement, il faut être capable d'utili­ser aussi bien les concepts associés aux changements d'état et à Ia théorie particulaire de Ia matière, qui sont beaucoup étudiés, que les théories sur Ia viscosité (on a besoin de Ia loi de Stoke pour expliquer pourquoi il ne pleut pas continuellement quand Ie ciel est couvert, puisque l'eau dans les nuages est à l'état solide et liquide). Parmi les étudiants portugais étudiés par Carvalho (1991), très peu étaient capables de relier les concepts concernés pour rendre compte de façon complète du cycle de l'eau, même à un niveau descriptif.

CONCLUSION

J'en reviens à mon titre. L'insatisfaction croissante qui commence à se manifester par rapport à Ia valeur à long terme des recherches de ces vingt dernières années pourrait motiver un nouveau style de compositeurs, plus in­téressés par Ia forme globale du sujet que par les motifs isolés. La résurgence de l'intérêt pour les problèmes d'éducation à l'environnement peut nous en­courager à jouer une mélodie globale, et ainsi à introduire dans nos propres traditions de recherche une idée que les curricula d'éducation à l'environne­ment sont bien obligés de reconnaître : que "chaque chose est reliée aux autres". Mais nous ne pratiquons pas toujours ce que nous prêchons, comme Lucas & Tobin (1987) l'ont montré par une étude critique sur Ia façon dont on enseigne l'expérimentation aux enfants. Peut-être les éditeurs de nouvelles re­vues pourraient-ils saisir cette opportunité pour agir comme des chefs d'or­chestre dirigeant, par Ia manière dont ils examinent et acceptent les manuscrits, Ia production d'un symphonie synthétique ?

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COMPTES RENDUS D'INNOVATIONS

L'enseignement scientifique et technique à l'école élémentaire

Sophie ERNCT INRP 29 Rue d'Ulm 75230 Paris Cedex 05

Résumé

Trois types d'arguments, économiques, politiques, humanistes, plaident pour un renouveau de l'enseignement des sciences, qui doit s'adresser à tous et pas seulement à une élite, qui doit commencer dès l'école élémentaire et viser à donner une culture au double sens de système de représentation du monde et de formation de l'esprit Les principes et les modalités d'une forma­tion des professeurs d'école susceptible de répondre à ce défi ont été exami­nés lors d'un séminaire organisé par Ie Ministère de l'Éducation nationale et de Ia Culture.

Abstract

The science teaching should be renovated for economical, political, and cultural reasons ; its goal is to reach every child and not only the best ones : this implies an early start at elementary school, and ultimately the build up of a culture, namely a certain representation of the world and structuration of the mind. Principles and forms of a primary school teachers' education likely to come up to this challenge have been examined during a seminary organized by the Ministère de l'Éducation nationale et de Ia Culture.

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Sophie ERNCT

Un séminaire a rassemblé à Ia Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette, les 18, 19, 20 Janvier 1993, deux cent cinquante personnes im­pliquées à des titres divers dans Ia formation initiale et continue des ensei­gnants du premier degré. Cette session qui avait lieu sous l'égide du Ministère de l'Éducation nationale et de Ia Culture, à l'initiative conjointe de Ia Direction des Écoles et de Ia Direction des Enseignements supérieurs, avait pour sujet Ia culture scientifique et technique des maîtres d'école, et se proposait trois objectifs : amorcer une réflexion de fond sur Ie problème, constituer un ré­seau d'échanges entre formateurs, faire des propositions d'actions suscep­tibles d'améliorer Ia formation dans ce domaine.

Ces journées ont alterné des exposés par d'éminentes personnalités scientifiques et des séances de travail en petits groupes, et ont décliné plu­sieurs registres, du plus théorique au plus pragmatique : on a échangé des points de vue sur Ia nature et l'importance d'une éducation scientifique et tech­nique, recensé ce qui se fait dans les IUFM et dans les circonscriptions, mis à plat les problèmes de Ia formation des maîtres en ces matières, défini des prin­cipes d'actions susceptibles d'insuffler une dynamique positive, et commencé à mettre en place des projets, pour lesquels Ie ministère proposait une aide fi­nancière. Les autorités politiques, administratives et scientifiques n'ont pas manqué d'apporter leur appui à cette initiative tout-à-fait nouvelle.

Nouvelle en ce que les transformations possibles ne sont plus pensées dans Ie cadre d'un système standardisé et hiérarchisé, où Ie changement dif­fuse à partir du centre par programmes et instructions, mais dans une logique où les pôles de recherche, de ressources et d'innovations sont désormais multiples, et où Ie rôle spécifique du niveau national serait de coordonner les efforts. Le ministère a signifié nettement une volonté de mobiliser les énergies en mettant en place ce dispositif pluricatégoriel à deux niveaux et en ré­seau, favorisant une large concertation. La communauté scientifique semble avoir pris conscience du problème. Etaient venus en témoigner MM. Edgar Morin, Pierre Richard, Pierre Léna, Pierre-Gilles de Gennes, Philippe Kourilsky, Jean-Marie Lehn. Leurs conférences ont tendu à dégager les principes d'un enseignement scientifique à l'école élémentaire : c'est de ce seul aspect dont je vais ici rendre compte.

1. POURQUOI FAUT-IL ENSEIGNER LES SCIENCES ET LA TECHNOLOGIE ?

Première raison, généralement bien admise, d'ordre économique : l'indus­trie, l'équipement, les services reposent sur les applications de Ia recherche scientifique, elle-même organisée comme une production, et utilisent des tech­nologies toujours plus sophistiquées. Les emplois tendent à être de plus en plus qualifiés, en termes de savoir scientifique et de compétence technolo-

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L'enseignement scientifique et technique à l'école élémentaire

gique, et exigent une capacité d'auto-formation qui permette de s'adapter à un renouvellement rapide des techniques. Hs requièrent donc une formation qui ait donné beaucoup de connaissances sans avoir étouffé l'inventivité et l'adapta-bilité.

Or, Ie système scolaire actuel fonctionne de façon trop malthusienne sur Ia sélection d'une élite restreinte de bons élèves en maths, aptes à assi­miler une masse de savoirs formels. Cette élite scolaire n'est pas toujours ca­pable de retrouver l'esprit d'enfance, l'esprit de questionnement et d'expérience qui permet l'invention de solutions ingénieuses aux problèmes tant scientifiques que pratiques. Pierre-Gilles de Gennes a insisté sur Ia né­cessité, dans les formations scientifiques, de garder l'esprit d'étonnement et Ie sens du bricolage et de réhabiliter un sens pratique intuitif que l'école a tendance à méconnaître, et qu'en tout cas l'instauration des mathématiques dites modernes a peu valorisé.

Une bonne formation de base aux sciences et techniques doit être donnée à tous pour que se dégage véritablement les talents requis par les be­soins de Ia production, et cette formation doit mobiliser Ia large palette d'ap­titudes dont les savants nous disent l'importance, bien au-delà de Ia seule intelligence déductive et de Ia docilité adolescente exigées par les sections scientifiques de prestige.

Une deuxième série d'arguments, d'une tout autre nature, plaide pour un renouveau de l'enseignement scientifique dans Ie cycle élémentaire.

Si Ia logique économique tend d'une part à Ia spécialisation des connaissances, d'autre part à Ia détention par quelques-uns de compétences rares, il faut pour des raisons politiques tendre à diminuer les effets de cette inégalité de savoir, et diffuser auprès du plus grand nombre les éléments d'une culture scientifique indispensable à l'exercice de Ia citoyenneté et à Ia sauve­garde de Ia liberté. L'argument était déjà celui de Condorcet, à une époque où Ia connaissance scientifique tenait encore dans les limites de Ia culture de l'honnête homme, comme l'a rappelé Edgar Morin. La dissociation advenue entre culture humaniste et culture scientifique, Ia très haute technicité de celle-ci, sa parcellisation poussée, rendent Ie problème à Ia fois plus ardu et plus aigu. La ténébreuse affaire du sang contaminé a montré Ie risque d'un pouvoir confisqué par les politiques et les experts. Il faut que Ie savoir soit partagé pour que soit limité Ie pouvoir du savoir.

Cette exigence démocratique d'une culture scientifique accessible à tous n'est pas excessive : il faudrait pourvoir chacun du minimum de compé­tences, et peut-être surtout de l'intérêt (mais les deux sont liés et se condi­tionnent mutuellement) qui permettrait de lire une revue ou de regarder une émission de vulgarisation.

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Troisième raison, plus fondamentale et souvent oubliée, d'ordre éthique et culturel.

S'en tenir à Ia seule fonctionnalité de l'école, ce serait réduire les êtres humains qu'on forme à produire, à utiliser, à réparer les machines, au rang de machines. L'humanité de l'homme exige que l'éducation vise en lui, bien au-delà de Ia nécessaire formation à un métier, l'accomplissement de ses facul­tés. L'école a donc à instruire pour élever chaque enfant à Ia dignité d'être humain. Et cette dignité est comprise, dans Ia tradition culturelle qui est Ia nôtre, comme autonomie de Ia personne à construire par Ia réflexion dans l'ac­quisition de savoirs.

La finalité propre de l'école est d'enseigner les savoirs, d'une manière non dogmatique, mais réflexive, non pas en vue des besoins de l'économie mais "pour l'honneur de l'esprit humain". Et l'honneur de l'école républicaine est de postuler que chaque enfant a droit à cette instruction, non pas en termes d'égalité des chances pour une sélection scolaire ouvrant à une mobi­lité sociale, mais en termes d'égalité du droit fondamental de chacun à accé­der à une culture qui Ie grandit à ses propres yeux.

Il faut donc enseigner les sciences et les technologies à tous dès l'école élémentaire parce qu'elles constituent une culture fondamentale. Et ce, aux deux sens du mot culture - mode de vie d'une société, et perfec­tionnement de l'esprit.

Il appartient aux adultes de donner aux enfants des représentations du monde qui soient celles de leur monde : Ie nôtre est un monde connu par les sciences, façonné par les technologies qui en sont issues, et un monde qui change. Vivre ensemble dans ce monde commun, cela ne passe plus par des mythes religieux mais par ces savoirs communs, qu'on ne doit pas laisser fonctionner comme des mythes.

Car Ia vie sociale nous harcèle d'informations et nous baignons dans une idéologie à coloration scientifique ; et il faut bien s'apercevoir à quel point les sciences et les techniques, en tant qu'elles sont transmises par imprégna­tion ou socialisation, jouent un rôle irrationnel : on apprend à saluer Ia science sans Ia comprendre, tout comme au 17e siècle on s'inclinait devant Ie latin des médecins ou les bonnets carrés des magistrats. Les apparences de Ia scien-tificité servent de caution et donnent du pouvoir en dehors de toute compré­hension rationnelle. L'excès même des informations apportées par les médias, leurs confusions et leurs simplifications parfois abusives imposent qu'on ait pris Ie temps, dès l'enfance, d'organiser ces bruits divers en connais­sances, avec ordre et méthode, en construisant des savoirs élémentaires qui soient des savoirs fondamentaux donnant Ia capacité de discerner entre science et simulacre de science et permettant l'acquisition ultérieure de toutes sortes de savoirs.

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L'enseignement scientifique et technique à l'école élémentaire

Il importe de donner ces connaissances en montrant comment elles sont construites pour former en même temps une exigence d'explication rationnelle qui ne s'arrête ni à l'apparence ni à à Ia première explication venue, qui sache poser Ie pourquoi et Ie comment sans s'abandonner à l'argument d'autorité.

2. POURQUOI ET COMMENT FAUT-IL ENSEIGNER LES SCIENCES DÈS L'ÉCOLE ELEMENTAIRE, ET MÊME DÈS LA MATERNELLE ?

Les diverses théories des stades des psychologies de l'apprentissage ont mis en garde contre un formalisme précoce inaccessible aux petits. On ne peut sans doute pas enseigner les sciences n'importe comment, cela ne veut pas dire cependant qu'il ne faut pas les enseigner avec une démarche appro­priée, plus fidèle d'ailleurs à leur esprit de sciences d'observation et d'expé­rience. Il est étonnant de constater que Ie piagetisme, comme vulgate, a fonctionné en freinant l'ambition éducative, comme si l'éducation ne devait surtout pas anticiper sur Ie développement.

S'il est un âge où l'on est avide des sciences de Ia nature, c'est bien celui de l'enfance. Il est bien dommage de commencer à étudier physique et chimie à l'adolescence, précisément à l'âge où les jeunes sont absorbés par Ia découverte d'eux-mêmes (de leur "fort" intérieur) et des phénomènes hu­mains, plus intéressés par Ia psychologie ou l'éthique que par l'étude du monde physique. A deux ans on compare ce qui flotte et ce qui coule, à trois ans on est un physicien captivé par les objets techniques dont on s'applique à tester Ie fonctionnement, à huit ans on se pose les questions naïves et pro­fondes qui sont celles-là mêmes de Ia science. Alors que les expériences sur l'électricité et Ie magnétisme du Palais de Ia Découverte ont fasciné des gé­nérations de bambins, au point que celles-ci font rituellement partie des bio­graphies de savants, c'est seulement à quinze ans, quand il faudrait commencer à faire de Ia philosophie, qu'on se met à bachoter tristement sur des programmes exécrés de mécanique et d'électricité ! Il ne faut pas tant tar­der à nourrir cette soif enfantine de connaissances scientifiques, qui vient de Ia fraîcheur du regard capable de s'étonner et d'exiger une réponse au pour­quoi et au comment - ce que nous perdons en vieillissant avec Ia fréquenta­tion des choses et l'habitude prise de les utiliser sans avoir besoin de les connaître.

Les sciences sont-elles "trop abstraites" pour les enfants ?

La curiosité de l'enfant lui fait poser des questions naïves et néanmoins profondes, qui cachent les réponses sophistiquées que Ia science a élaborées au moyen d'une grande technicité, d'acquisition longue et ardue. Pierre Léna est parti de ce décalage, particulièrement sensible dans sa discipline, l'astro-

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physique, pour tenter de définir Ia nature d'une initiation scientifique au niveau du Primaire.

Il a fait remarquer que si l'astronomie était devenue une science à par­tir du moment où l'on avait compris que Ie grand livre de l'univers était écrit en langage mathématique, cependant Ia science s'écrit aussi en images et perceptions. Celles-ci soutiennent l'intuition et donnent un contenu sensible aux mots qui disent Ie monde, aux notions, aux relations, aux thèses qui l'ex­pliquent : ainsi se met en place un système de représentation, par lequel l'enfant se rapporte non pas à une masse d'expériences sensorielles brutes mais à un monde naturel qui est celui de sa culture. La Terre est-elle plate ou ronde ? C'est-à-dire, en fin de compte, est-ce qu'on tombe au bout ? L'idée d'une Terre ronde, troublante et paradoxale pour Ie sens commun (comment peut-on être antipodiste !), n'a été véritablement acceptée qu'après Ia diffusion des images de Ia Terre vue de Ia Lune.

Au niveau de l'école élémentaire, on laissera de côté l'aspect mathé­matique, qui prendra toute sa place ultérieurement, et une place sans doute mieux comprise si d'abord Ia physique a été réellement perçue pour ce qu'elle est : un effort pour connaître les secrets de Ia nature, pour rendre raison des paradoxes. Car il faut dépasser les premières évidences sensibles dès lors qu'une autre expérience, sensible elle aussi, met en question l'évidence im­médiate en lui opposant une certitude contradictoire : Ie travail scientifique substitue une expérience probante, parce que construite, à l'expérience com­mune qu'elle contredit. Au niveau élémentaire, on n'ira pas au delà de Pémer-gence de Ia question et de Ia construction intuitive - mais raisonnée - du système de représentation. Mais c'est déjà beaucoup si on donne aux en­fants cette perspective d'erreurs rectifiées qui caractérise, selon Bachelard, Ia pensée scientifique, ainsi que Ie sens d'une question bien posée.

Car s'il est prématuré d'enseigner les sciences aux enfants sous leur forme achevée, hautement abstraite et éloignée de l'expérience commune du monde vécu, il n'est pas trop tôt pour leur apprendre à penser, apprendre à juger, apprendre à abstraire, en apprivoisant Ia notion que Ia réalité est autre que l'opinion et l'apparence, et que l'esprit peut dépasser ses premières intui­tions en élaborant les données phénoménales.

Il faut enseigner les sciences parce qu'elles sont à Ia base de notre culture, au sens anglo-saxon de mode de vie et de représentation, et donc en­seigner leurs résultats : Ia somme des représentations de Ia nature, de Ia ma­tière, de Ia vie qu'elles ont établies et qui en tant que telles véhiculent une philosophie déterministe. Il est important que les enfants sachent ce que c'est que Ia pluie ou Ia neige, que Ia terre est ronde et qu'elle tourne autour du so­leil ! Et ils ne Ie sauraient pas avec certitude, s'ils ne l'avaient appris en appre­nant en même temps comment ces savoirs ont été acquis, par quelles preuves, par quelles expériences ; il faut donc enseigner ces résultats non comme des données à croire, mais comme des résultats produits par des méthodes.

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L'enseignement scientifique et technique à l'école élémentaire

On doit alors noter qu'introduire les enfants dans cette culture, au sens de représentation du monde, exige donc que les sciences soient aussi enseignées comme une culture, au sens latin de formation de l'es­prit : on apprend par Ia pratique scientifique à observer et à s'étonner, à rendre raison des faits observés par des causes qui ne sont pas apparentes, on ap­prend à fabriquer des modèles explicatifs et à les éprouver par des expé­riences, on apprend à rendre compte d'un fonctionnement en termes de structure... A ne rien admettre par argument d'autorité, mais par raison et ob­servation, expérimentation et vérification. On apprend que pour connaître, ¡I faut imaginer en liberté et réfuter avec rigueur.

Eveiller et exercer l'intelligence, si l'on admet que c'est une des visées de l'éducation, consiste entre autres à faciliter Ia représentation et Ia modé­lisation, par laquelle on opère une simplification du réel qui est une abstrac­tion : abs-traire, c'est tirer de Ia plénitude confuse du concret quelques traits caractéristiques. Les sciences ne sont pas "trop abstraites" pour les enfants : elles forment leur capacité à forger de bonnes abstractions et à user d'une langue précise.

CeIa se fait par Ie travail des mots : on apprend à décrire avec jus­tesse, à raisonner de façon valide, à argumenter avec rigueur et finesse. Par Ie travail du schéma, du plan, du dessin, de Ia maquette, on repère un ordre dans les choses. Il est important de faire comprendre très tôt aux enfants, et Ia maternelle n'est pas trop tôt, que l'on se rapporte au monde par des repré­sentations diverses qu'il faut savoir maîtriser, et pouvoir compléter l'une par l'autre. Ce qu'on déplore en parlant incorrectement d'abstraction, c'est Ie for­malisme de l'enseignement scientifique tel qu'il se pratique souvent : formel parce qu'il expose les théories achevées en s'épargnant tout Ie préalable de construction de l'interrogation et Ie travail d'élaboration des données phéno­ménales, par lequel s'opère une modélisation comprise comme un proces­sus dynamique.

Si l'on veut enseigner les sciences non comme une somme de résul­tats, mais comme une formation de l'esprit de façon à en faire une culture, il faut se donner les moyens de les enseigner comme des théories construites par observation, modélisation et expérience. CeIa demande tout d'abord de prendre du temps, tout Ie temps nécessaire au déploiement d'une expéri­mentation. Et dans une démarche réellement hypothétique, on se sera aussi fourvoyé dans des voies sans issue. Du point de vue de Ia formation intellec­tuelle, il est essentiel que l'enseignement scientifique laisse sa part au tâton­nement et permette à l'erreur de suivre sa propre logique. Il y a longtemps que l'épistémologie a établi qu'une expérience qui fermait une possibilité et infir­mait une théorie était précisément une bonne expérience - une réfutation d'hy­pothèse. CeIa va contre Ie point de vue spontané de l'enfant, qui n'est content que si ça marche : d'ailleurs, Ia pédagogie des sciences au lycée Ie confirmera dans cette conception, en ne lui proposant jamais que des expériences au ré-

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Sophie ERNCT

sultat attendu, qui confirment Ia théorie. C'est ainsi que l'enseignement des sciences, tel qu'il est pratiqué, forme quelques très bons élèves, et aux autres impose l'imaginaire d'une science infaillible. Il y a une manière de transmettre du vrai qui ouvre à un rapport superstitieux au présumé vrai.

Pour que les enfants acceptent Ie ralentissement de leur hâte à vouloir conclure, ¡I faut que ce temps de détour soit un temps riche où l'on ne fait pas n'importe quoi, mais où l'on observe avec efficacité parce qu'on sait quelles sont les questions qu'on se pose. Il faut, pour qu'une expérience intéresse, qu'elle soit entièrement raisonnée et insérée dans une argumentation. Il faut faire confiance aux savants en herbe, et se convaincre qu'ils vont aimer ce pouvoir de Ia pensée : aller au devant du réel. On pourrait dire que les sciences enseignées ne sont si peu empiriques que parce que les expériences prati­quées en classe ne sont pas raisonnées.

Car s'agissant de l'enseignement des sciences et de Ia technologie à l'école élémentaire, il faut préciser ce qu'on entend par manipulation. Il y a dans Ie monde enseignant, dans les vulgates pédagogiques diffuses dans Ia profession, ce qu'il faut bien appeler une idéologie de Ia manipulation, qui est un inductivisme borné et qui n'a plus grand chose à voir ni avec ce que les scientifiques appellent une "manip", ni avec les théories de Piaget. L'enfant est ainsi supposé "construire son savoir", par des manipulations au sens littéral du terme : en prenant les choses dans ses mains. Un temps de manipulation "préalable" est laissé à l'enfant, pour qu'il se "sensibilise" : il manipule, livré à lui-même, puis on fait Ie tour des opinions, simplement recensées, pas tra­vaillées (encore heureux si l'on ne fait pas voter, histoire de faire en même temps de l'éducation civique), enfin Ie maître assène Ie savoir scientifiquejuste. On juxtapose ainsi un "faire" à l'état brut, privé de direction et d'élaboration, et un exposé dogmatique inconscient de son propre dogmatisme - puisque l'enfant a été "mis en situation de recherche".

Une pédagogie qui reconnaît l'erreur comme une façon de cheminer pour accéder au vrai nécessite beaucoup de connaissances chez l'enseignant. "Il faut mettre les enfants en situation de recherche, leur laisser Ie droit à l'er­reur" : ces excellents principes pédagogiques sont des slogans dangereux quand Ie maître, par défaut de connaissances, ne sait pas pour sa part où les enfants vont quand ils tâtonnent, et ce qu'ils cherchent quand ils manipulent. L'enseignement des sciences et de Ia technologie exige donc une culture scientifique des maîtres d'école, qui comprenne à Ia fois des connaissances, Ia maîtrise des méthodes par lesquelles s'acquièrent les connaissances et de l'épistémologie. Comment favoriser l'acquisition de cette culture, sachant que les futurs maîtres n'ont suivi que très rarement des cursus scientifiques, tel est l'ardu problème auquel ont travaillé les ateliers de ce séminaire.

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L'ordinateur outil d'investigation scientifique au lycée : propositions et implications didactiques

Daniel BEAUFILS Institut National de Recherche Pédagogique Unité "Informatique et Enseignement" 91 rue G. Péri 92120 Montrouge

Résumé

Les possibilités de mesurage et de traitement de données des logiciels "outils de laboratoire" pour l'enseignement ne suffisent pas à garantir Ia cohé­rence des utilisations. Deux références, l'une épistémologique et l'autre infor­matique, permettent de préciser Ie rôle de l'ordinateur comme moyen d'investigation dans des activités de résolution de "questions de physique". Ceci impose alors une évolution des contenus enseignés et des compétences requises chez les élèves.

Abstract

In physics teaching computer is essentially used as a laboratory tool (for measurement and data processing), but without a clear coherence between ac­tivities and computational tools. Here, epistemological concepts and computa­tional modelling are used as references to specify didactic activities in which computer is considered as a tool for solving physics problems. This leads to an evolution of the teaching contents and the competences required from the stu­dents.

Pages 123-130 Didaskalia - n0 1 - 1993

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Daniel BEAUFILS

1 . L'ORDINATEUR OUTIL DE LABORATOIRE EN QUESTIONS

La présence de l'informatique dans l'enseignement des sciences phy­siques est caractérisée par Ie choix d'utiliser l'ordinateur non pas comme ma­chine à enseigner mais "pour faire de Ia physique d'abord" (Durey et al., 1983). Conformément à cette idée, il s'agit alors de concevoir et d'utiliser des logi­ciels qui possèdent des possibilités de mesurage et des fonctionnalités d'ana­lyse numérique et graphique. Mais il s'agit aussi de viser des activités plus proches de réelles activités de recherche scientifique. Ces idées se sont concrétisées à travers Ia création d'interfaces analogique-numérique et Ia réa­lisation de logiciels. Mais les exemples d'utilisation ne sont pas sans soulever d'importantes questions sur l'adéquation aux compétences des élèves, Ia di­mension expérimentale des activités, Ia nature des démarches.

En ce qui concerne plus particulièrement Ie dernier point, les dé­marches dites "du physicien" présentées aux élèves sont souvent fondées sur une mise en avant exclusive de l'expérience (découverte de loi, induction de théorie, expérience cruciale, etc.), démarches qui sont actuellement critiquées. Si l'alternative centrée sur les méthodes modernes de modélisation relève d'une epistémologie plus satisfaisante en ce qui concerne Ia relation théo­rie/expérience, elle reste problématique au niveau de l'enseignement secon­daire dès lors qu'elle se place sur un plan quantitatif et mathématique. EIIe ne peut en effet être mise en œuvre de façon immédiate du fait, en particulier, de Ia limitation de Ia complexité des modèles mathématiques et des méthodes informatiques.

Une analyse plus complète conduit à constater que dans Ia plupart des cas, les outils informatisés ont été isolés de leurs pratiques de référence (Mar-tinand, 1983), et replacés dans l'alignement des contenus, activités et pra­tiques pédagogiques classiques de l'enseignement ; ¡I y a alors perte de cohérence entre contenu, activités et outils. Dans Ia suite, nous indiquons comment les références à un "modèle épistémologique" et à Ia modélisation expérimentale peuvent permettre de spécifier des activités scientifiques et de définir un ensemble d'outils informatisés alors mis en cohérence (Beaufils, 1991).

2. DES OUTILS POUR DES ACTIVITÉS D'INVESTIGATION SCIENTIFIQUE

2 . 1 . Cadre général : Ie "modèle épistémologique"

C'est dans La structure des révolutions scientifiques de T. Kuhn (Kuhn, 1983) et Ia Construction des sciences de G. Fourez (Fourez, 1988), que nous avons trouvé Ia référence Ia plus adaptée à l'enseignement scientifique au ni-

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veau secondaire et Ia plus féconde. Un bref rappel de deux des concepts qui nous ont paru pouvoir être ainsi être pris comme des "invariants" pour notre transposition est fait ci-dessous.

Selon T. Kuhn, Ie travail dans Ia "science normale", se concentre sur les "énigmes", c'est-à-dire des problèmes dont Ia solution peut être obtenue en faisant fonctionner Ia "théorie-paradigme" — Ia science étant essentielle­ment "dirigée vers l'articulation des phénomènes et théories que Ie paradigme fournit déjà". En d'autres termes, l'essentiel du travail du physicien-chercheur est donc de résoudre des problèmes de physicien, et ce, en faisant fonction­ner les connaissances en cours.

Pour T. Kuhn toujours, mais plus encore pour G. Fourez, "tout ce qu'on demande du modèle (de Ia théorie) c'est qu'il nous satisfasse dans nos projets, [...] vérifier une loi c'est moins un processus purement logique que Ia consta­tation que Ia loi nous satisfait". En d'autres termes Ia relation fondamentale entre théorie et expérience est plus fondée sur un processus d'argumen­tation et de conviction que sur un processus de démonstration et de preuve.

La transposition à l'enseignement de ce modèle épistémologique, per­met d'apporter un certain nombre de réponses aux questions évoquées dans l'introduction. Ainsi, en cours, Ie rôle de l'enseignant sera-t-il d'abord de mon­trer comment à l'heure actuelle Ie physicien interprète tel phénomène, avec quelle théorie et avec quelles méthodes ; en travaux pratiques, l'activité cor­respondante de l'élève sera centrée sur Ia résolution de ce que nous appelons "questions de physique".

Ces "questions de physique" — ou, mieux encore, ces "questions de physicien" — sont bien sûr des problèmes scientifiques dont Ia réponse ne peut être donnée que par des méthodes scientifiques — mesures et calculs, en particulier. Mais il s'agit aussi de questions dont Ia solution ne requiert que Ia mise en œuvre de concepts ou lois générales préalablement introduits. La tâche de l'élève est de montrer que les (ses) connaissances de physique correctement appliquées permettent bien de décrire ou d'interpréter tel ou tel phénomène.

De plus, les solutions de ces problèmes doivent être a priori acces­sibles aux élèves, et ce point est essentiel. Il s'agit en effet d'une part de Ia disponibilité des connaissances de physique (et de mathématiques) requises, mais également de Ia faisabilité technique. Celle-ci est à comprendre non seu­lement en terme de moyens instrumentaux disponibles, mais également en terme de temps de réalisation, et de ce point de vue l'ordinateur apparaît comme un outil privilégié qui permet d'envisager des études détaillées dans Ie temps d'une séance de travaux pratiques.

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De plus, en référence au concept de conviction, on doit attendre de l'élève qu'il fournisse sa réponse, avec à l'appui, non pas une preuve indis­cutable, mais des éléments convaincants : copies d'écrans montrant Ia superposition de points expérimentaux et d'un tracé théorique, par exemple. L'évaluation ne portera alors pas sur Ia comparaison à une certaine conformité attendue, mais sur Ia cohérence interne de Ia réponse de l'élève.

2.2. Cadre spécifique : modélisation expérimentale

Si Ie rôle de l'ordinateur dans les laboratoires se situe parfois dans Ia prise de mesures, il l'est essentiellement dans leur analyse quantitative et leur modélisation. A l'ordinateur instrument de mesure, il convient alors de préférer l'ordinateur instrument d'analyse — Ia confrontation théorie/expérience de­vant alors être comprise comme confrontation modèle/données.

Nous avons été ainsi conduits à considérer essentiellement deux types de démarches transposées de Ia "modélisation expérimentale" fTrigeassou, 1988):

- Ia description d'un comportement empirique : Ie système physique ayant été défini, les mesures ayant été effectuées, l'objectif est de trouver une description mathématique du comportement ainsi suivi ; cette étape est fondamentale, car elle traduit Ie passage à une représentation quantitative formelle et calculable, qui peut alors de­venir elle-même un nouveau référent empirique ;

- l'interprétation d'un comportement empirique : ¡I s'agit cette fois d'en produire une interprétation théorique par une démarche hypothé-tico-déductive : modélisation théorique du système et du phéno­mène, application des relations fondamentales, des hypothèses spécifiques, calculs, confrontation aux données. La procédure peut alors conduire à l'ajustement de Ia valeur d'un paramètre, l'objectif final étant de valider Ie modèle en montrant qu'il permet bien de rendre compte des mesures.

En relation avec ces démarches, nous avons spécifié un ensemble d'outils numériques également répartis en trois classes :

- Ie calcul et Ia représentation de grandeurs : fonctionnalités de base qui permettent de choisir les grandeurs adaptées et les représenta­tions pertinentes,

- Ie tracé de courbes et Ie calcul de l'écart quadratique : pour obtenir les tracés de fonctions mathématiques pouvant modéliser des don­nées expérimentales,

- Ia résolution d'équations différentielles : pour obtenir les solutions nu­mériques d'équations que les élèves peuvent écrire mais ne peuvent pas résoudre analytiquement (et dont Ia représentation graphique est également superposable aux points expérimentaux).

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L'exemple donné ici concerne Ia trajectoire d'un objet léger (balle, vo­lant, etc). Une chronophotographie du mouvement met en évidence un fort ra­lentissement qu'il convient d'interpréter. En termes de physicien, Ia question s'énonce : quelles peuvent être les caractéristiques de Ia force de frotte­ment de l'air qui permettraient d'interpréter ce freinage ?

La réponse passe alors par Ia mesure des positions successives et Ia comparaison au comportement théorique (cinématique ou énergétique), ces deux phases étant rendues possibles par l'utilisation d'un moyen informatisé adapté : logiciel permettant l'utilisation d'une tablette à numériser pour Ie me-surage et comportant les outils numériques indiqués ci-dessus (réalisé dans Ie cadre de cette recherche (Beaufils, 1992)). Le déroulement peut alors être Ie suivant :

- hypothèse de départ : Ia force est de Ia forme -k.V,

- établissement théorique des équations différentielles du mouvement,

- relevé des positions au cours du temps,

- choix d'une première valeur de k,

- détermination des conditions initiales et lancement de Ia simulation (résolution numérique des équations différentielles),

- ajustement de Ia valeur de k.

Fichiers Installe Saisie Représent, traitement Modélisation

4 Em 100 mJ/grad.

vHr

d2y

d =

e =

f =

/ dt2 =

-9.8000

+0

-2.5

d + ey + fVy

K

0.> s/grad. ^> t

Exemple d'écran confrontation modèle théorique/points expérimentaux

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3. IMPLICATIONS DIDACTIQUES

3 .1 . L'extension du champ empirique

La présentation ci-dessus conduit évidemment à considérer l'enjeu de l'introduction de l'ordinateur comme celui de l'évolution des contenus et mé­thodes enseignés. Ceci ne sous-entend pas pour autant l'augmentation du ni­veau des connaissances fondamentales de physique et de mathématiques mais, par Ia modification des méthodes d'investigation, l'extension du champ empirique d'application des connaissances "classiques" : ainsi, les vitesses initiales ne sont plus systématiquement nulles, les systèmes ne sont plus uniquement conservatifs, etc. Les méthodes informatisées rendent pos­sibles des études quantitatives, dans Ie cadre des connaissances de base, et sans augmentation de Ia part de calcul analytique.

3.2. Compétences requises et difficultés des élèves

Les observations d'élèves qui ont été effectuées dans Ie cadre de cette recherche se sont, pour une part, appuyées sur l'analyse d'une démarche schématisée en quatre étapes : observer et analyser, organiser les étapes de Ia résolution, réaliser, conclure. A ce niveau, nous avons ainsi retrouvé des dif­ficultés déjà connues : absence de planification préalable et attitude réservée vis-à-vis de Ia manipulation du dispositif de mesure, notamment.

L'analyse complémentaire effectuée sur l'utilisation de méthodes de calcul informatisées nous a conduits à préciser les différentes capacités re­quises : savoirs et savoir-faire relatifs aux méthodes numériques et graphiques, savoir-faire relatifs à leur mise en œuvre dans des activités d'analyse de don­nées expérimentales ou d'étude de modèles théoriques. Une expérimentation auprès d'élèves de Terminale scientifique a permis de repérer un réel obstacle, caractérisé par une forte résistance à Ia compréhension et l'acceptation des méthodes numériques qui obligent à quitter Ie domaine du continu et de l'ana­lytique : dérivation sur points expérimentaux et intégration d'équations diffé­rentielles par itération.

3.3. Conséquences pour l'enseignant

Les difficultés ci-dessus peuvent se traduire en termes de conditions nécessaires à l'intégration — dans l'enseignement de Ia physique au lycée — d'un ordinateur réellement considéré comme "outil d'investigation scienti­fique".

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Ainsi, Ia conduite des démarches de modélisation ne peut se faire sans considérer Ia phase de planification (qui précède Ia réalisation proprement dite) comme une activité négociée entre les élèves et l'enseignant ; celui-ci aide à Ia formulation d'hypothèses et à l'utilisation des outils informatisés, notam­ment. Si les élèves jouent Ie rôle des "chercheurs", l'enseignant doit alors jouer à Ia fois celui de "directeur de recherche" et celui de "technicien".

D'autre part, l'introduction de nouveaux outils et de nouvelles mé­thodes s'accompagne de celle de nouveaux savoirs et savoir-faire. Il s'agit bien sûr de compétences informatiques générales mais également de connaissances spécifiques aux sciences physiques : savoir utiliser un ta-bleur-grapheur pour analyser des mesures, une méthode numérique de réso­lution d'équation différentielle, etc. Mais l'utilisation de ces méthodes ne peut s'envisager sans une explication préalable des modes de calcul qui ne peut se réduire à un simple exposé des principes : il convient de gérer à Ia fois une in­troduction progressive et une mise en situation cohérente des différentes mé­thodes. Enfin, ceci sous-entend l'évaluation d'une nouvelle capacité alors requise chez les élèves : savoir utiliser des outils informatisés.

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Daniel BEAUFILS

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La rénovation du Musée des Arts et Métiers

Bruno JACOMY Ingénieur, adjoint au directeur du Musée national des techniques 292, rue Saint-Martin 75003 PARIS

Résumé

Le Musée des Arts et Métiers * est en cours de rénovation dans Ie cadre des Grands Travaux de l'État Une première phase de travaux sera terminée pour Ie bicentenaire de l'établissement en 1994 : Ia construction de nouvelles réserves à Saint-Denis, Ia restauration et l'aménagement de Ia chapelle rue Saint-Martin. Le défi muséologique de cette rénovation complète, dont sont présentées ici les grandes lignes, consistera à présenter au public un musée entièrement remanié qui présentera ses collections uniques tout en préservant ses caractères originaux, entre émotion et pédagogie.

Abstract

The "Musée des Arts et Métiers" * is being renovated within the context of the Large-scale State Building projects. The first stage of the work is to be

* Le Musée des Arts et Métiers, actuellement en grande partie fermé pour assurer les travaux pré­paratoires au déménagement des collections, a lancé en septembre 1992 un nouveau périodique trimestriel, Musée des Arts et Métiers, Ia Revue, qui rend notamment compte de l'actualité de Ia rénovation de ce Musée. Le numéro 1, septembre 1992, comprend un dossier sur Ie projet mu­séologique et Ia démarche de l'architecte Andrea Bruno ; Ie numéro 3, de mai 1993, présente les réserves visitables (architecte F. Deslaugiers) ainsi que Ie projet de "magasin industriel" proposé par A. Bruno, une structure muséographique originale qui prendra place dans Ia chapelle.

Pages 131-139 Didaskalia - n0 1 - 1993

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Bruno JACOMY

completed for the bicentenary of the institution in 1994 : the building of new storehouses in Saint-Denis and the restoration and development of the Chapel in rue Saint-Martin. The challenge of the renovation in terms of museology will be to offer to the public a completly re-organised museum which shows its unique collections whilst preserving its original features, between emotion and pedagogy.

La rénovation du Musée national des techniques est aujourd'hui lar­gement engagée. Ce musée, entré depuis près d'un demi-siècle dans un état de léthargie qui aurait pu Ie conduire à un oubli total, a fait l'objet d'un ambi­tieux programme de transformation profonde qui Ie conduira, Ie 10 octobre 1994, à rouvrir ses portes sur des présentations rénovées. A cette date anni­versaire de sa fondation, deux siècles plus tôt sous l'égide de Ia Convention, Ia rénovation de Ia chapelle, cœur historique du Conservatoire des Arts et Mé­tiers, sera achevée. Le reste des expositions et les services au public seront pour leur part rouverts dans l'année qui suivra.

Ce projet prend place dans Ie cadre de Ia rénovation des quatre mu­sées parisiens de l'Éducation nationale, dont les trois autres sont Ie Palais de Ia Découverte, Ie Musée de l'Homme et Ie Muséum National d'Histoire Natu­relle. Le lauréat du concours pour Ia rénovation du Musée des Arts et Métiers a été choisi au début de l'année 1992. Il s'agit de l'architecte italien Andrea Bruno, associé à Créatime et à Lévy, Peaucelle et associés.

Cette rénovation qui, pour Ia première fois, verra les 80 000 objets quitter momentanément leur demeure, est tout à Ia fois unique et fidèle. Unique par son ampleur, fidèle par ses ambitions. Déjà au siècle dernier, d'importants agrandissements avaient été réalisés, répondant à l'immense appétit de culture technique du XIXe siècle ; Ie projet d'aujourd'hui suscitera à son tour un re­gain de cette composante essentielle de notre culture. En cela, ¡I constitue un véritable défi. Un défi culturel et éducatif, alors que les formations techniques tentent de surmonter en France une grave crise ; un défi muséologique aussi, à une époque où les écrans des téléviseurs ou des micro-ordinateurs laissent croire que les objets d'arts et de métiers peuvent eux aussi se réduire aux deux dimensions du plan.

1. ENTRE ÉMOTION ET PÉDAGOGIE

Ce défi muséologique se résume à un double devoir, vis-à-vis du pu­blic et vis-à-vis de l'histoire : Ie Musée sera pédagogique et contemporain d'un côté, c'est-à-dire qu'on y comprendra comment fonctionnent ces ma­chines compliquées, à quoi servent ces objets étranges, pourquoi et comment

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La rénovation du Musée des Arts et Métiers

ils ont vu Ie jour, et tout cela en mettant à profit les possibilités les plus ac­tuelles que nous offre Ia muséographie d'aujourd'hui. De l'autre, Ie Musée gar­dera son âme, tout ce qui fait de ce lieu un "musée sans pareil", où l'émotion et Ia chaleur rejoignent Ie savoir.

Le Conservatoire est devenu au fil du temps une institution à deux vi­tesses : à un grand établissement d'enseignement tourné vers les ouvriers, techniciens ou employés en route vers une promotion supérieure du travail, fait face un musée que ne fréquentaient plus que des passionnés, français, mais aussi étrangers pour beaucoup, qui bravaient Ia vétusté des locaux et l'ab­sence de commodités pour goûter un plaisir devenu rare.

C'est un peu en hommage à ce public de fidèles que Ie futur musée va se doter de tout ce qu'un établissement muséal de Ia fin du XXe siècle réclame : un vaste hall pour se sentir vraiment accueilli, une signalétique simple et claire, un espace d'expositions temporaires digne de ce nom, un café pour Ia pause salutaire au milieu de Ia visite, une boutique, des salles de documentation, etc. Et tout ceci sans oublier les visiteurs potentiels du siècle prochain : les en­fants. Un accueil spécifique sera aménagé pour les groupes scolaires, et des ateliers pédagogiques offriront régulièrement aux jeunes usagers les moyens de comprendre et de s'approprier les techniques.

Enfin, parce que rien ne remplacera jamais Ia transmission par Ie geste et Ia parole, une équipe de démonstrateurs et d'animateurs, intégrés ou occa­sionnels, mettra en mouvement des objets ou modèles, expliquera leur fonc­tionnement, répondra aux questions des visiteurs et, bien sûr, assurera des visites guidées régulières. C'est par Ie mouvement et Ia démonstration que Ie Conservatoire a acquis, dès ses origines, ses lettres de noblesse. Ce sont ces principes, naturels mais exigeants, qui ont été largement reproduits au XIXe siè­cle dans tous les grands musées techniques du monde, et même, par un juste retour des choses, dans Ie premier grand centre de culture scientifique et tech­nique, Ie Palais de Ia Découverte, créé en 1937.

Cette priorité donnée aux visites guidées et aux démonstrations im­plique Ia réalisation de modèles pédagogiques installés à proximité des objets. De plus, chacun des grands domaines accueillera aussi un atelier de domaine, c'est-à-dire un lieu comportant des modèles à manipuler par Ie démonstrateur, qui s'en servira pour exposer un principe de fonctionnement particulier - par exemple l'échappement des horloges dans Ie domaine de Ia Mécanique - ou pour brosser une synthèse générale indispensable à Ia compréhension du do­maine - par exemple, l'explication de Ia "chaîne énergétique" dans Ie domaine de l'Énergie.

Enfin, trois ateliers pédagogiques, indépendants de l'exposition perma­nente, seront à Ia disposition des groupes qui voudront soit poursuivre des ac­tivités éducatives manuelles en dehors des heures d'ouverture du Musée, soit pratiquer ces activités en lien avec une exposition temporaire.

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Bruno JACOMY

2. LA TRAME MUSÉOLOGIQUE

Depuis toujours, Ie Conservatoire s'adresse autant aux scientifiques, in­génieurs et techniciens, qu'aux simples curieux. Cette vocation "d'éducation populaire" restera une donnée fondamentale du Musée rénové. Toute l'organi­sation future repose sur ces principes de base et les grandes idées que re­tiendra Ie visiteur, à l'issue de sa visite et de l'exploitation des ressources mises à sa disposition, sont simples.

Tout d'abord, les techniques sont profondément imbriquées, d'une part entre elles, d'autre part au sein d'un système social, économique et culturel. L'histoire des techniques repose sur ces constantes interactions entre sciences, arts, techniques, sociétés. Cette globalité dans l'approche des tech­niques par rapport à un milieu se retrouve aussi à l'intérieur même du champ de ces techniques. On observe aujourd'hui, dans des domaines comme les matériaux ou Ia communication, combien les interférences sont nombreuses entre des secteurs que Ie XIXe siècle avait ramenés au plan de disciplines bien compartimentées. Biologie, métallurgie, chimie de synthèse, intelligence artifi­cielle, tous ces champs, en développement aujourd'hui, s'éclairent à Ia lumière de l'évolution des techniques passées, avant et pendant Ia révolution indus­trielle, pour peu qu'on les mette en perpétuelle corrélation au sein de larges unités thématiques.

C'est pourquoi les quelque vingt-cinq sections anciennes du Musée cé­deront Ia place à seulement sept grands domaines. Grâce à ce nombre restreint de thèmes, on pourra suivre, selon un cheminement chronologique, l'évolution des techniques propres à chaque domaine en appréhendant leurs liens, leurs interactions, leur place respective dans Ia société qui les a engendrées.

[ Schéma des 7 grands domaines

CONSTRUCTION

1 architecture métallique

beton v —

ÉNERGIE

bois —> fer eau —> vapeur

levage, manutention

MATÉRIAUX

tra de

moteurs matières premières

nsmissionX l o c ° s

puissance; au

u t?s

j chaîne

MÉCANIQUE

I métallurgie

bâtis de machines roulements

photo, papier/imprimerie

TRANSPORTS

mesure du temps

COMMUNICATION

INSTRUMENTS SCIENTIFIQUES

, ] précinéma

informatique

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La rénovation du Musée des Arts et Métiers

L'idée maîtresse qui guide l'organisation des expositions permanentes consiste donc en un schéma très simple :

• un premier niveau thématique général en sept grands domaines ; • un second niveau chronologique à l'intérieur des domaines.

Ce découpage chronologique sera d'ailleurs bien davantage une trame de repérage dans Ie temps qu'une représentation spatiale de l'histoire. Quatre périodes ont été choisies pour servir de jalons au visiteur tout au long des salles. Ces périodes ont pour dates charnières 1700, 1850 et 1950.

Pour préserver l'approche globale et chronologique dans laquelle rési­dent l'intérêt principal et l'originalité du projet muséologique, un parcours type guidera Ie visiteur à travers les étapes majeures du développement du do­maine, dans une approche d'ensemble de chacune des périodes, et ceci en gardant toute liberté de suivre son propre parcours, ce qui est indispensable pour approfondir un champ donné et apprécier Ia richesse des collections.

A Ia charnière des sept grands domaines, six espaces intermédiaires, appelés places, joueront un rôle capital dans Ie nouveau dispositif : elles ap-

Schéma du parcours muséographique entrée

MATERIAUX

COMMUNICATION

les techniques hors d'Europe

MECANIQUE

Ia panne

TRANSPORTS chapelle

Ia Renaissance

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Bruno JACOMY

porteront un regard transversal sur les techniques, servant de renvois, mais aussi de respiration dans Ia visite (voir schéma du parcours muséographique). Les six thèmes prévus aujourd'hui pour les places sont : Ie jeu et les tech­niques, les techniques hors d'Europe, dessins et modèles, Ia vie quotidienne, Ia panne et l'accident, et enfin les techniques de Ia Renaissance.

Le Musée des Arts et Métiers, comme les autres grands musées gé­néralistes étrangers, a vocation à faire une place à toutes les techniques. Ne pouvant, sur un thème donné, être aussi complet que les musées spécialisés existant en régions, il proposera, aussi souvent que nécessaire, un renvoi vers ces structures, ainsi que vers les autres lieux de culture technique, permettant ainsi au public de compléter son information : musées de l'automobile, du ma­chinisme agricole ou de Ia métallurgie, centres de culture scientifique et tech­nique, écomusées, mais aussi entreprises en activité accueillant du public (usines hydroélectriques, centres métallurgiques, mines, etc.) ou lieux de for­mation. Cette fonction d'information sera remplie par des kiosques situés au sein même des grands domaines, et donc à Ia disposition du public là où il souhaite trouver de tels renseignements.

Ces renvois concrets vers les autres structures régionales ou étran­gères, vers les formations et les métiers aussi, constituent Ie volet Ie plus vi­sible de Ia mission de "tête de réseau" du Musée. Cette mission traditionnelle du Musée des Arts et Métiers, aujourd'hui en sommeil, sera ainsi réactivée, dans une politique de partenariat vivante.

3. LE MUSÉE DE L'INNOVATION TECHNIQUE

Dès les premières heures du Conservatoire, et avant même son im­plantation dans les murs de l'abbaye Saint-Martin-des-Champs, les collections ont témoigné de l'actualité des techniques, en faisant une large place à ce que nous appelons aujourd'hui les techniques de pointe. Cette vocation renaîtra avec Ie Musée qui, sans tenter de combler Ie "trou" existant dans les collec­tions depuis un demi-siècle environ, exposera les objets les plus actuels dans les parties contemporaines des différents domaines. Ces zones, de même que les places, seront les lieux privilégiés de l'actualisation de l'exposition perma­nente.

Enfin, ¡I faut absolument, s'agissant d'un établissement culturel, que Ie Musée offre les moyens d'appréhender l'histoire dans sa dynamique. C'est-à-dire, pratiquement, de raconter une histoire, celle de Ia lente évolution des techniques, de leur cheminement qui n'a rien d'inéluctable. La grande idée d'une science et d'une technique toutes puissantes, telles que nos prédéces­seurs du XIXe siècle Ia pensaient, est dépassée. On mesure, à Ia lecture de sé­ries d'objets, comme celles qui seront remises en valeur dans Ie musée rénové,

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combien les micro-évolutions, les progrès pas à pas dans Ia mise au point d'une machine, d'un procédé, d'un objet technique, sont Ie lot commun de l'évolution des techniques. Mettre en regard ce cheminement, tantôt cahotant, tantôt triomphant, de Ia pensée technique, avec les hommes qui en furent les acteurs, permet de mieux maîtriser aujourd'hui les mécanismes de Ia création, de l'innovation. La prise en compte de cette dimension historique, évolutive, doit redevenir un élément majeur de Ia culture technique de l'ingénieur, et, plus généralement, de l'honnête homme.

4. OBJETS ET PARCOURS

La présentation des collections permanentes prendra en compte les caractères originaux des objets du Musée des Arts et Métiers, en lien direct avec l'histoire du Conservatoire. Beaucoup des objets ont en effet acquis au cours du temps un statut particulier :

• pour certains, leur rareté, leur intérêt historique, souvent leur qualité esthétique même, leur confèrent un statut unique, proche de celui de l'objet d'art ; par exemple, Ie chronomètre de Le Roy, l'avion d'Ader, etc. Ces objets phares, clairement identifiés, scanderont Ia visite et permettront de dégager rapidement les éléments-clés des présenta­tions ;

• pour d'autres, c'est l'accumulation, Ia présentation de séries, d'en­sembles constitués qui est intéressante et porteuse de sens ; par exemple, les collections d'instruments d'optique, de navettes, de bi­cyclettes, les panoplies d'outils, etc.

Dans Ie premier cas, Ie public peut admirer des chefs-d'œuvre de Ia technique, des traces tangibles du génie de grands découvreurs. Dans Ie se­cond, il peut approcher les processus même de Ia création technique, du lent cheminement des recherches aboutissant à des étapes importantes de l'his­toire des sciences et des techniques.

Il importe donc d'adapter Ia muséographie à ces caractères bien par­ticuliers qui font Ia force et l'originalité du Musée par rapport à ses homologues régionaux ou étrangers. Les chefs-d'œuvre devront être mis en valeur par une présentation aérée, sans discours superflu, alors que les collections consti­tuées pourront être accompagnées d'un contenu didactique plus élaboré. Dans l'un et l'autre cas, Ie principe originel de Ia démonstration par un per­sonnel compétent et suffisamment formé sera largement remis en vigueur.

Les "objets phares" et les "séries" ne représentent pas plus du dixième des objets exposés et, s'ils peuvent permettre une visite rapide du Musée, ils doivent aussi attirer Ie visiteur vers les autres objets, qui constituent Ie corps même de l'exposition permanente.

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En toutes circonstances, Ie pari à tenir est de conjuguer constamment Ia charge émotionnelle des collections et Ie besoin de comprendre légitime du public. Ceci conduira probablement à ne pas "mélanger" deux modes de pré­sentation complémentaires : Ia mise en valeur des objets de collection d'une part, les ensembles explicatifs correspondants d'autre part.

5. UN MUSÉE, DEUX LIEUX DE CULTURE

Mais un musée, ce n'est évidemment pas qu'une exposition. Ce sont aussi des services au public, ainsi que des réserves pour abriter Ia majorité des collections, qui ne peut être montrée dans les galeries permanentes. La confrontation des besoins nouveaux en surfaces et des capacités existantes a révélé dès l'origine du projet Ie problème de Ia place. Comment faire entrer au Musée les services qui lui faisaient cruellement défaut sans mordre inexora­blement sur les surfaces même d'exposition ?

Puisqu'il n'était pas question de réduire les surfaces dévolues à l'en­seignement ni de déménager Ie musée hors de son site historique, Ia solution s'imposait : il fallait créer, en dehors de Paris mais à proximité, un lieu capable d'abriter dignement toutes les collections non présentées au public.

Le Musée sera donc double. Le Conservatoire abritera, dans Paris, Ie grand musée public, dans des salles d'exposition conservant leur surface ac­tuelle et présentant, dans une muséographie entièrement refondue, près de 4 000 objets. Les autres objets, soit plus des neuf dixièmes de Ia collection, seront conservés dans une réserve "visitable" d'une superficie équivalente au site principal. Là, les chercheurs, historiens des sciences et des techniques, conservateurs pourront venir travailler, étudier les collections, préparer des expositions... dans des conditions que jamais Ie musée n'a pu offrir par Ie passé.

Le bâtiment des réserves, situé dans un site où s'implanteront aussi des laboratoires et locaux d'enseignement du CNAM, a lui aussi fait l'objet d'un concours d'architecture. Le lauréat, François Deslaugiers, associé à l'en­treprise de travaux publics Bouygues, a conçu un projet résolument actuel, dont Ia partie visible - Ie sous-sol abritera Ia majeure partie des réserves -consiste en deux bâtiments nettement différenciés reliés par un large sas. D'un côté, un grand hall habillé de bois regroupera les objets les plus imposants : machines à vapeur, véhicules, matériel agricole, grands modèles... De l'autre, un vaste "fuselage" en acier inox abritera tous les services : restauration, en­tretien et nettoyage des objets, gestion des collections et consultation pour les chercheurs. Cette dernière fonction, que Ie Musée ne pouvait assumer depuis fort longtemps dans des conditions honnêtes, permettra enfin de mener à bien un programme de recherche à long terme sur les objets techniques ; ce pro-

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gramme s'avère indispensable, seule une faible partie des collections étant à ce jour documentée. Les espaces de consultation et les outils en cours de dé­veloppement - Ia base de données multimédia notamment - autoriseront Ia poursuite de cette tâche de longue haleine dans de bonnes conditions.

L'enjeu est essentiel : au moment où de nouvelles formations sont mises en place pour développer les filières techniques et professionnelles, Ie Musée doit jouer un rôle actif dans ce nouveau dispositif en élargissant Ie champ culturel aux sciences et aux techniques, reprenant ainsi Ia tradition de l'Encyclopédie visant au rayonnement des Arts et des Métiers.

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NOTES DE LECTURE

ASTOLFI J P . (1992). L'école pour ap­prendre. Paris, ESF

L'objectif de ce livre est de donner des pistes pour professionnaliser Ia transmission des sa­voirs à l'école. Dans cette perspective, il commence par faire l'épistémologie des sa­voirs scolaires, c'est-à-dire par caractériser les rapports que l'école entretient avec Ie sa­voir, grâce à un détour par des manuels sco­laires, des analyses d'interactions verbales en classe et une réflexion à propos de l'évalua­tion.

L'auteur ne demeure pas au niveau du simple constat : il propose différents axes à prendre en compte pour construire des séquences d'enseignement plus efficaces, en s'appuyant sur les apports des recherches en didactique à propos des représentations et des travaux de psychologie et de psycholinguistique met­tant en évidence l'importance de Ia construc­tion de réseaux sémantiques par l'élève.

J.P. Astolfi nous propose ici un authentique savoir théorique permettant de penser autre­ment l'apprentissage scolaire et de construire de nouveaux outils spécifiques à chaque dis­cipline. L'ouvrage, émaillé d'anecdotes pleines d'humour, constitue un exemple de vulgarisation pédagogique.

A mettre entre les mains de tous les ensei­gnants, de quelque discipline qu'ils soient, étudiants en formation et équipes pédago­giques.

C. de Bueger-Vander Borght

»•laiilli-iiis

AUDIGIER F., FILLON P. (1991). Enseigner l'histoire des sciences et des techniques. Une approche pluri­disciplinaire. Paris, INRP.

Parce qu'il donne à l'histoire des sciences une place intéressante dans l'enseignement, l'ouvrage qu'ont coordonné à NNRP F. Audi-gier et P. Fillon est important. Il faut donc sa­luer l'existence de ce document, résultat

d'une recherche menée à Ia fois dans des ly­cées et des collèges. Une réflexion d'ordre théorique portant sur l'enseignement de l'his­toire des sciences et des techniques, et sur sa place parmi les autres disciplines scolaires est d'abord proposée au lecteur. EIIe donne à l'histoire des sciences et des techniques une place spécifique dans une perspective pluri­disciplinaire, dont un des aspects est de s'in­téresser à l'élaboration des concepts dans Ie temps de l'histoire, puis à leur discussion. Reprenant en cela des points du rapport Bourdieu Gros, les auteurs soulignent l'im­portance de Ia formation à l'acquisition d'élé­ments de culture scientifique et technique. L'idée de concept est discutée dans Ia se­conde partie de l'ouvrage, et ¡I lui est substi­tuée Ia notion de trames conceptuelles. Celles-ci sont ainsi utilisées pour une étude épistémologique organisée autour de deux thèmes : "Intensité et tension en électricité", et "Notion d'espèce et d'évolution en biolo­gie". Puisse cet ouvrage particulièrement bien venu, et qui donne en outre une solide biblio­graphie, être Iu et utilisé par Ie plus grand nombre.

A. Mayrargue

BARON G.L. & BAUDÉ J. (Editeurs) (1992). L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et Ia formation des enseignants, Actes du Colloque des 28-29-30 Janvier 1992. Paris, EPI, INRP.

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Vingt ans après les premières opérations na­tionales d'introduction de l'informatique dans les lycées, ce colloque avait pour but de faire Ie point sur les résultats obtenus et de déter­miner les perspectives pour Ia formation et Ia recherche. Délibérément les contributions gé­nérales ont été limitées par les organisateurs au profit d'ateliers thématiques où des débats ont pu avoir lieu. L'ouvrage regroupe les contributions écrites des participants en trois parties.

Dans une première partie sont présentés les enjeux et les perspectives du développement

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Notes de lecture

de l'informatique. La deuxième partie est or­ganisée autour de Ia modélisation et Ia simu­lation, les banques et bases de données, l'ordinateur outil pour l'enseignant. La troi­sième partie est centrée sur les aspects liés à Ia formation.

Ce colloque fait Ie point d'une façon très complète sur Ie problème de l'intégration de l'informatique dans l'enseignement et Ia for­mation des enseignants. Ce vaste ensemble d'innovations et de recherches autour des Nouvelles Technologies de l'Information et de Ia Communication reste néanmoins trop dis­cret sur l'évaluation réelle de leur impact au quotidien. Il faut également remarquer une re­lative faiblesse en quantité des innovations dans Ia formation des enseignants par rap­port aux innovations proposées dans Ia classe. Le souci manifesté par les organisa­teurs de se tourner vers Ia formation des en­seignants semble plus que jamais à prendre concrètement en considération.

A. Durey

DAVALLON J., GRAMONT G. & SCHIELE B. (Editeurs) (1992). L'environnement entre au musée.Lyon, Presses Universitaires de Lyon.

Les musées des sciences ou des techniques évoluent, les nouvelles expériences et les nouvelles institutions en témoignent. Au-delà de leur fonction traditionnelle de conservation et de présentation, les musées participent dorénavant de l'actualité tout en demeurant au rang de témoin, "témoin actif de Ia relation des visiteurs à leur histoire et à d'autres cultures".

Peuvent-ils dès lors devenir Ie témoin d'une actualité en profonde mutation qui leur de­mande d'afficher une prise de position ? Car avec les thématiques de l'environnement, les voilà confrontés à des thèmes de société qu'il s'agit de traiter "à chaud" dans des domaines où il n'y a encore aucun consensus.

Face à de tels changements, les musées sont amenés à revoir leur copie, c'est-à-dire leurs missions et leurs projets. CeIa d'autant plus que les pratiques des publics changent...

Pour tenter d'approcher ces questions, ce livre réunit une palette "d'experts" franco-québécois et présente une vingtaine d'expé-

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riences très diverses sur l'entrée de Ia dimen­sion environnement au Musée.

A. Giordan

HULIN M. (1990). Le mirage et Ia nécessité, pour une redéfinition de Ia formation scientifique de base. Paris, Presses de l'Ecole Normale Supérieure et Palais de Ia Découverte.

Cet ouvrage rassemble les écrits (parfois inédits jusqu'alors) de Michel Hulin concer­nant l'enseignement et Ia vulgarisation scien­tifique. A sa lecture se confirme Ia rôle absolument pionnier que Michel Hulin a joué en France pour Ia réflexion dans ces do­maines, toujours appuyée sur une solide pra­tique de terrain, depuis les travaux de Ia commission Lagarrigue, jusqu'au Palais de Ia Découverte.

Il nous contraint ainsi à prendre au sérieux une affirmation qui était apparue à beaucoup comme une inutile provocation : l'impossibi­lité d'enseigner sur une large échelle Ia phy­sique des physiciens. S'il est en effet permis de pas partager toutes ses conclusions, il n'est désormais plus permis d'ignorer ses ar­guments. Et surtout de ne pas voir Ia contre­partie positive de cette thèse, ce véritable plaidoyer pour une valorisation de Ia tech­nique, pour une approche plus festive et sti­mulante de Ia science, et Ia constitution pour chaque citoyen d'un bagage "d'épistémolo-gie sociale", garant d'un regard critique sur celle-ci.

Un grand merci donc à Nicole Hulin qui a di­rigé avec rigueur cette publication d'un ou­vrage décidément nécessaire.

S. Joshua

HUYGENS C. (1992). Traité de Ia lumière (réédition d'un texte publié en 1690). Paris, Dunod.

Cet ouvrage est une réédition du livre histo­rique publié par Christiaan Huygens à Leide en 1690. Il se compose de deux parties : Ie "Traité de Ia Lumière" et Ie "Discours sur Ia Cause de Ia Pesanteur" qui sont des reprises d'œuvres originales, précédées d'une impor-

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INIULÜtJ U t í IfcJULUÍtJ

tante introduction de Michel Blay (41 pages) qui permet de situer l'auteur et son œuvre dans Ie contexte de son époque.

Dans Ia première partie, Huygens étudie Ia propagation, Ia réflexion et Ia réfraction de Ia lumière. Ce dernier phénomène est utilisé pour expliquer Ia biréfringence du spath d'Is­lande. Le lecteur appréciera Ia grande clarté du texte de Huygens servi par une typogra­phie et une écriture actuelles qui n'enlèvent rien au texte original. On y retrouve les bases de Ia théorie ondulatoire de Ia lumière, avec Ia description des ondes-enveloppes, qui conduira au principe d'Huygens-Fresnel, et l'opposition avec les théories de l'émission de son contemporain Newton. Les démons­trations géométriques des phénomènes de réfraction à partir de Ia théorie des ondes constituent des petits chefs-d'œuvre à ex­ploiter.

Dans Ia deuxième partie, Huygens propose un intéressant modèle explicatif de Ia pesan­teur, de type mécaniste, et exprime de sé­vères critiques à l'encontre des thèses de Descartes.

Un ouvrage à posséder en bibliothèque, à côté du Traité d'Optique de Newton.

R. Lefèvre

PERRIN J. (coordination) (1991). Construire une science des techniques. Limonest, L'interdisciplinaire.

Ce recueil important regroupe les principales contributions à un colloque interdisciplinaire sur Ie thème "Comprendre l'évolution des techniques ; vers une science des tech­niques". Economistes, sociologues, ethno­logues, historiens, psychosociologues, philo­sophes, ont confronté leurs points de vue sur différents aspects d'une connaissance des techniques, ce qui permet d'en faire ressortir les spécificités, les dynamismes, les

connexions, en particulier à l'activité indus­trieuse et à Ia recherche scientifique, comme à Ia formation. Il s'agit de développer toutes les démarches d'une technologie comme "science humaine de l'artificiel", selon Ia pro­position de A.G. Haudricourt en 1964. La ri­chesse du livre, par les points de vue, les exemples concrets (comme les moteurs hy­drauliques ou les immunotoxines), les pers­pectives ouvertes, en font une référence pour les travaux de didactique qui s'intéressent aux disciplines technologiques, à Ia fonction formation en milieu professionnel, comme à l'éducation générale technologique.

J.L. Martinand

PRADES J. (sous Ia direction) (1992). La technosciencet les fractures du dis­cours. Paris, L'Harmattan.

L'ambition de cet ouvrage collectif est de fournir un panorama des discours sur Ia tech­nique, à l'occasion de Ia venue au premier plan de ce que J. Prades appelle, à Ia suite de bien d'autres, Ia "technoscience" : "l'en­semble institutionnalisé de mise en valeur sys­tématique de Ia recherche et d'applications scientifiques et techniques" (p.11). Les ap­proches sont philosophiques, sociologiques, économiques, chaque auteur cherchant à cerner un problème avec sa culture et son style. La première partie, "comment se construisent les techniques" est un petit pré­cis d'épistémologie de Ia technique. La se­conde aborde les tendances ou mutations historiques provoquées par les techniques dans Ie travail et Ia société. Chaque chapitre est rédigé par un ou deux auteurs différents, qui y développent leur point de vue avec vi­gueur ; mais Ie responsable a su donner à l'ouvrage une très forte unité. La techno­science est indispensable pour les didacti-ciens des techniques.

J.L. Martinand

Si vous publiez un ouvrage dont vous souhaitez voir rendre compte dans cette rubrique, en­voyez-le à :

Eliane ORLANDI - DIDASKALIA Equipe COAST - Ecole Normale Supérieure de Lyon 46 Allée d'Italie - 69364 Lyon Cédex 07

ainsi que les annonces de colloques, séminaires ou autres rencontres.

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