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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Nicolas Fréret et la théorie de l'origine septentrionale des Etrusques Author(s): Marcel Renard Source: Latomus, T. 3, Fasc. 2 (Avril-Juin 1939), pp. 84-94 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41515503 . Accessed: 14/06/2014 07:45 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.47 on Sat, 14 Jun 2014 07:45:30 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Nicolas Fréret et la théorie de l'origine septentrionale des Etrusques

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Nicolas Fréret et la théorie de l'origine septentrionale des EtrusquesAuthor(s): Marcel RenardSource: Latomus, T. 3, Fasc. 2 (Avril-Juin 1939), pp. 84-94Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41515503 .

Accessed: 14/06/2014 07:45

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Nicolas Fréret et la théorie

de l'origine septentrionale des Etrusques

Parmi les diverses théories sur Г origine des Etrusques, il en est une qui consiste à voir en eux un peuple descendu en Italie à travers les Alpes. Cette théorie, qui a longtemps joui d'un grand succès et qui compte encore des partisans, est souvent attribuée à Berthold Georg Niebuhr. C'est bien à tort : elle est l'œuvre d'un savant français du XVIIIe siècle, Nicolas Fréret, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

En montrant qu'à lui seul revient le mérite d'une solution ori- ginale du problème des origines étrusques - solution injuste- ment attribuée à Niebuhr - j'espère attirer suffisamment l'at- tention sur l'œuvre de Fréret pour qu'on réagisse, lorsqu'on parle de l'hypothèse de l'origine continentale des Etrusques, contre cette tendance trop générale à laisser son nom dans l'oubli. En effet, à part de-ci de-là une discrète mention de ses recherches (1), même ses compatriotes l'ignorent. Il n'y a guère que M. Pericle Ducati, qui lui ait rendu, chaque fois qu'il a pu, un hommage mérité (2).

♦ * *

Né à Paris le 15 février 1688, Nicolas Fréret fit preuve de dons remarquables alors qu'il était tout jeune encore. Versé dans toutes les sciences de l'époque, aussi bien dans les sciences mathématiques que dans l'histoire et les littératures anciennes et modernes, Fréret abandonna bien vite le barreau auquel son père l'avait destiné pour se livrer aux études qui le passion- naient. Admis à 19 ans dans la société de certains membres de

(1) Par exemple L. Homo, L'Italie primitive (Parie, 1925), p. 68; B. Nog ara, Gli Etruschi e la loro civiltà (Milan, 1933), p. 13; A. Piganiol, Histoire de Rome (Parie, 1939), p. 20.

(2) P. Ducati, Etruria antica, 2« éd., t. I (Turin, 1927), p. 31; Gli Etruschi (Borne, 1928), p. 10; Lo stato presente degli studi etruschi dans Nuova Antologia (1932), p. 503; Le problème étrusque (Parie, 1938), pp. 36-37.

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FRÉRET ET L'ORIGINE SEPTENTRIONALE DES ÉTRUSQUES 85

l'Académie des Inscriptions et Médailles, il était élu à l'unani- mité, le 20 mars 1714, dans la classe des élèves de la docte compagnie, et cela sans avoir fait les visites habituelles.

Son discours de réception sur Y Histoire de Г origine des Français , hautement loué plus tard par Augustin Thierry, fut accusé bien à tort de plagiat par l'abbé de Vertot, à une dénon- ciation duquel, dit-on, Fréret dut d'être enfermé à la Bastille. En 1716, l'Académie des Inscriptions supprima la classe des élèves, mais elle s'empressa de rappeler Fréret quelques jours plus tard avec le titre d'associé. Le 8 janvier 1743, il fut élu secrétaire perpétuel. Travailleur infatigable, Fréret vivait dans une retraite presque absolue, afin de consacrer tout son temps à l'étude. Il accumulait mémoire sur mémoire, traitant tour à tour de géographie, d'histoire, de chronologie, de mythologie, de religion, de philologie, de linguistique, passant avec aisance de Tun à l'autre, qu'il s'agît de grec, de latin ou de chinois. Telle était son activité qu'il ne parvenait plus à remplir tous les devoirs de sa charge de secrétaire perpétuel et ne trou- vait même pas le temps de publier tous ses propres travaux. Epuisé par l'effort, il mourut à Paris, le 8 mars 1749, à l'âge de 61 ans, après avoir contribué d'une manière éclatante au progrès des sciences auxquelles il s'était intéressé.

* * *

Qu'on me permette d'abord de rappeler, si connu qu'il soit, le récit d'Hérodote sur l'origine des Etrusques (1). Comme la famine sévissait dans leur pays, les Lydiens inventèrent des jeux pour se distraire du souci de manger et s'abstinrent d'ali- ments un jour sur deux. Après dix-huit ans de ce régime, la situation empirant, le roi Atys fit deux groupes de son peuple et le sort désigna l'un de ces groupes pour émigrer. Ces Lydiens, qui allaient s'appeler Tyrrhéniens du nom de leur chef Tyr- rhénos, fils d 'Atys, s'embarquèrent à Smyrně et abordèrent chez les Ombriens où ils s'établirent.

L'autorité de cette tradition fut attaquée dès le XVIe siècle par Cluverius dont les opinions, comme on sait, contribuèrent beaucoup au développement du scepticisme à l'égard de l'his- toriographie antique. Selon Cluverius, le récit d'Hérodote, basé

(1) HERODOTE, I, 94.

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sur des sources lydiennes, a justement été contesté par Denys d'Halicarnasse (1): ce n'est qu'une légende (2), les Etrusques n'ont rien à voir ni avec les Pélasges ni avec les Lydiens et le nom de Tyrrhéniens qu'on leur donna appartenait en réalité aux Pélasges établis en Italie (3). La Circumpadane aurait constitué le premier habitat des Etrusques qui seraient passés de là dans l'actuelle Toscane (4).

Tout en admettant que les Etrusques sont d'origine orientale, le chanoine Simmaco Mazzochi, professeur d'Ecriture sainte à Naples, défendit lui aussi l'idée que les Etrusques auraient d'abord occupé la plaine du Pô (5).

Cependant Cluverius se contentait d'accumuler les négations : il n'apportait pas de solution au problème étrusque et ne laissait derrière lui qu'un champ de ruines. Nicolas Fréret reprit la ques- tion et lorsque, grâce à des considérations qu'il estimait perti- nentes, il fut arrivé à la conviction que le récit d'Hérodote ne pouvait résister à l'examen critique, - au contraire de Cluve- rius - il essaya d'expliquer autrement la présence des Etrusques en Italie. On verra d'ailleurs que ce ne fut pas le seul mérite du savant français.

C'est dans un mémoire intitulé Recherches sur Yorigine et Г ancienne histoire des différens peuples de Г Italie (6) que Fréret, après avoir parlé des « colonies Illyriennes », des « colonies Ibériennes ou espagnoles », des « colonies Celti- ques », des « colonies Grecques ou Pélasgiques », en vient

(1) Den. HAL., I, 27-30. (2) Cluverius, Italia antiqua , t. I (Leyde, 1624), p. 423 : Hactenus Hero -

( lotus ex ipsorum Lydorum, ut ait , relatione , fabulam verius , quam rem gestam recenset : quam eamdem Dionysius Halicamassensis , una cum aliis eius gentis fálsis originationïbus , réfutât argumentis quam gravissimis.

(3) Ibid., pp. 430-431 : Sed satis ex hactenus allatis patet, ñeque Pelasgicum пес Maeonium sive Lydium genus quidquam ad Etruscorum originem spectasse ; пес Tyrrhenicum quidem nomen : quae Pelasgorum in Italia propria ас pecu- liaris fuit adpellatio; postmodum perperam , per summam sive ignorantiam seu simplicit ate m, in Etruscorum gente Graecis usurpata .

(4) Ibid., pp. 432-433 : Verum , sive duodecim heic sive pauciores numero, seu tandem nullae per ea tempora in Circumpadana Etruria fuerint urbes; haec certe Etruscorum antiquíssima ас prima fuit sedes; ex qua postea in earn migrarunt regionem, quae inter Apenninum et mare inferum Macramque amnem ac Tiberim dicta est Etruria.

(5) Sod mémoire fut publié en 1741 dane le troisième volume dee Saggi di dissertazioni de l'Académie étrueque de Cortone, cf. Ducati, Le problème étrusque, p. 33.

(6) Histoire de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XVIII (Paris, 1753). Les citations seront faites ici d'après l'édition en vingt volumes, dite dee Œuvres complètes, t. IV (Parie, an VII [1796]), pp. 178-274.

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à traiter, à Y article V, Des Etrusques, ou anciens habitans de la Toscane (1).

Le plan suivi par Fréret aborde la plupart des problèmes de l'étruscologie. Après une introduction sur l'extension géogra- phique de l'Etrurie et un bref aperçu sur l'état de la question étrusque, l'auteur passe à l'essentiel : il fait d'abord la critique du récit d'Hérodote sur l'origine transmarine des Etrusques, il recherche ensuite la voie suivie, selon lui, par les immigrants et s'efforce d'établir la chronologie de cette invasion. La tâche lui devient alors plus aisée pour traiter sommairement de l'orga- nisation du peuple étrusque, de sa langue et de sa religion. Examinons sommairement chacun de ces points.

Le cadre géographique attribué à l'Etrurie proprement dite est assez exact dans l'ensemble, encore que Fréret semble considérer la région du nord-ouest, qui s'étend le long de la mer Tyrrhénienne, comme aussi profondément étrusquisée que le teritoire situé au sud de l'Arno.

Sur les travaux de ses prédécesseurs, à propos desquels il cri- tique « les fictions absurdes d'Annius de Viterbe » (2). Fréret se montre fort bref et justement sévère. Son époque, en effet, fut celle de l'étruscomanie : il lui eût été facile de suivre dans leurs extraordinaires hypothèses des érudits comme Antonio Francesco Gori (3) et Giambattista Passeri (4) et les publications de sociétés comme l'Académie étrusque de Cortone (5) ou même de rivaliser d'ingéniosité avec eux, ainsi que le fera un peu plus tard Mario Guarnacci (6). Mais Fréret, avec un bons sens dont il faut le louer, fut peut-être le seul savant de son époque à résister à des théories dont la fantaisie ne prouvait que la fécon- dité d'imagination de leurs auteurs; il eut le courage de recon- naître que la question étrusque restait une énigme.

(1) Op. cit., pp. 226-274. (2) Op. cit., p. 227. En 1498, Annio da Viterbo avait publié un ouvrage

dans lequel il s'efforçait de déchiffrer certaines inscriptions étrusques. Cluve- rius l'attaqua violemment, mais Fabretti et Danielsson ont montré que ei Annius s'est laissé aller à des exagérations, il n'a pas été d'aussi mauvaise foi qu'on l'a dit. Cf. Ducati, Le problème étrusque, pp. 26-27.

(3) Auteur d'un Museum etruscum exhïbens insignia veterum Etruscorum monumenta, 3 vol. (Florence, 1737-1743).

(4) Dans ees Lettere Roncaliesi publiées en 1742, il faieait venir l'étrusque de l'hébreu, maie il désavoua cette idée en 1767 dane ses Paralipomena ou De Etruria regali de Dempster.

(5) Elle est cependant louée par Fréret. Elle fut fondée en 1738. (6) Dane ees Origini italiche , 3 vol. (Lucquee, 1767-1772).

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Le savant français s'attache alors à montrer que les Etrusques ne sont pas d'origine lydienne (1). 11 pose en fait que tous les témoignages des anciens sur cette origine orientale procèdent du seul récit d'Hérodote. C'est donc à ce dernier que Fréret s'en prend et il n'énumère pas moins de douze raisons capables d'infirmer, selon lui, la tradition rapportée par le vieil historien d'Halicarnasse (2). Ces arguments sont très divers; qu'on en juge:

1) Le procédé inventé pour remédier à la famine est un conte enfantin;

2) Pourquoi ce remède même s'avéra-t-il inefficace après dix- huit ans ?

3) Cette émigration maritime aurait exigé une flotte énorme; 4) Il eût été impossible, à ce moment de famine, de réunir

les vivres nécessaires; 5) Les Lydiens n'étaient pas un peuple de marins; 6) La navigation était inconnue en Grèce au temps d'Atys et

Homère ne parle pas de Smyrně; 7) S'ils s'étaient embarqués dans ce port, cette région eût été

mieux connue de l'époque homérique; 8) Pourquoi cette flotte nombreuse négligea-t-elle tout le

bassin de la Méditerranée orientale, y compris l'Italie méridio- nale, pour n'aborder qu'en Ombrie ?

9) Les auteurs grecs nous parleraient de cette expédition maritime ;

10) Si les Lydiens avaient abordé à la côte tyrrhénienne, leurs principales villes se trouveraient à la côte;

11) L'historien lydien Xanthos (3) ne faisait pas mention de l'expédition et ne citait aucun prince de sa nation du nom de Ту rr henos ;

12) Denys d'Halicarnasse (4) enfin déclare que les Etrusques et les Lydiens diffèrent en tout.

Que valent ces arguments ? Les adversaires de l'origine trans- marine des Etrusques négligeraient aujourd'hui la plupart d'en- tre eux (5). Il en est qu'ils ne songeraient même pas à avancer,

(1) Op. cit., pp. 228-236. (2) Il est d'ailleurs assez plaisant d© constater que Fréret semble néan-

moins désireux de sauver un peu du prestige d'Hérodote en déclarant que celui-ci n'affirme rien et ne fait que « rapporter l'opinion dee Lydiens mêmee, qui regardent les Toecans de l'Ombrie comme un peuple originaire de leur pays ». Op. cit., p. 229.

(3) Cité par Den. Hal., I, 28. (4) Den. Hal., I, 28 sq. (5) Quelques-une eont encore repris par Nogara, op. cit., p. XXV.

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ainsi les observations de Fréret sur les éléments purement fictifs du récit d'Hérodote, fruit de l'imagination populaire, prompte à introduire le merveilleux dans toute tradition historico-légen- daire. D'autres raisons invoquées par Fréret méconnaissent le caractère de l'émigration étrusque : il ne s'agit pas, en effet, de l'exode de tout un peuple, mais bien plutôt de l'infiltration d'immigrants qui n'étaient qu'une minorité et qui avaient dû pousser jusqu'en Toscane avant d'atteindre une région située en dehors du monde hellénique. Et encore contrairement à ce que pense Fréret, c'est bien sur la côte toscane qu'ils débar- quèrent, c'est là que se trouvaient, à quelque distance des échelles leur servant de ports, les villes les plus anciennes et qui comptaient parmi les principales. Certaines observations reposent également sur une connaissance fort incomplète, voire erronée de l'époque homérique - c'était assez compréhensible à l'époque - ou encore sur le silence de la tradition grecque, ce qui paraît peu satisfaisant.

Cependant les deux derniers arguments de Fréret - silence de Xanthos et distinction profonde entre Lydiens et Etrusques proclamée par Denys d'Halicarnasse - ne laissent pas d'être toujours assez impressionnante et méritent encore l'examen, bien que, pour ma part, je considère qu'ils ont été plusieurs fois victorieusement repoussés (1).

Persuadé que la tradition de l'origine transmarine est fausse, Fréret s'efforce alors de rechercher la route suivie par l'invasion étrusque (2). Ce peuple, constate-t-il, s'appelait lui-même Rasena et c'est la même nation que les Rhaeti des Alpes Rhétiques. De cette identification évidemment fausse, Fréret conclut que les Etrusques sont descendus en Italie à travers les Alpes Rhéti- ques, par le Trentin et les vallées de l'Adige.

Fréret prétendait même trouver confirmation de sa thèse dans un passage de Tite-Live où celui-ci, après avoir rappelé que les Etrusques envahirent la plaine du Pô jusqu'aux Alpes, ajoute : « Toutes les nations alpines ont eu sans aucun doute la même origine, et les Rètes avant toutes : c'est la nature sauvage de ces contrées qui les a rendus farouches au point que de leur ancienne patrie ils n'ont rien conservé que l'accent, et encore bien corrompu » (3). Il s'agit évidemment d'Etrusques de la

(1) Cf. en dernier lieu Ducati, Le problème étrusque, pp. 21 sq. et surtout pp. 64 sq.

(2) Op. cit., pp. 236-239. (3) Tite-Live, V, 33 (trad, de la collection Nieard).

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go M. RENARD

plaine du Pô séparés de la mère patrie par l'invasion gauloise et qui avaient cherché refuge dans les retraites inhospitalières des Alpes. Mais Fréret accuse Tite-Live d'erreur, en ce sens que, sous l'influence de la tradition orientale, l'historien latin aurait mal interprété les faits et qu'il s'agirait d'Etrusques éta- blis dès l'origine dans les Alpes Rhétiques. Les invasions pos- térieures auraient fait oublier leur origine en les coupant de la Toscane.

Quant au nom de Tyrrhéniens, dira plus loin Fréret (1), c'est par erreur qu'l a été appliqué aux Etrusques. Cluverius avait déjà prétendu que les Tyrrhéniens étaient en réalité des Pélasges établis en Italie avant l'invasion étrusque. Fréret reprend cette idée en essayant de l'établir sur des fondements solides. A l'ori- gine, déclare-t-il, le nom de Tyrrhéniens désignait un peuple de Macédoine dont la ville principale était Crestona (2). Le terme serait devenu synonyme de Pélasges et se serait étendu des Pélasges de Grèce à ceux d'Italie, car les Tyrrhéniens d'Italie ne seraient pas autre chose que des Pélasges, c'est-à-dire des Grecs établis en Italie avant les colonies de la Grande Grèce, autrement dit encore les Italiotes. Les noms de Crestona (Macé- doine) et de Cortona (Toscane) auraient encore favorisé la confusion (3). Lorsque se produisit l'invasion étrusque, le nom de Tyrrhéniens aurait été étendu aux envahisseurs qui n'y avaient nullement droit.

Selon Fréret, l'histoire étrusque pourrait donc se résumer ainsi (4) : les Etrusques pénètrent en Italie par les gorges des Alpes Rhétiques : celles-ci constituent le premier siège de leur puissance. Ils s'emparent ensuite de la Transpadane et s'établis- sent à Mantoue. Ils franchissent alors le Pô et fondent Felsina, chassant devant eux les Ombriens qui occupaient la Cispadane et TEtrurie. Plus tard, l'invasion gauloise leur fait perdre la Transpadane (5) et ils refluent d'abord en Ombrie et dans le Picenum. Les autres traversent l'Apennin et envahissent la Campanie où ils fondent Volturnum qu'ils perdront dans le dernier quart du Ve siècle. A ce moment, il ne leur restera que la Toscane proprement dite, Mantoue et une partie du Picenum.

(1) Op. cit., pp. 253 sq. (2) Krestonia. (3) Sur les confusions de l'historiographie antique entre Krestonia (Thrace)

et Cortona (Toscane), cf. Ducati, Le problème étrusque, pp. 62 eq. (4) Op. cit., pp. 239 sq. et pp. 245 eq. (5) Sauf Mantoue, qui aurait assuré la liaison avec la Rhétie et conservé

aux Etrusques le pays entre le Pô et l'Adige.

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FRÉRET ET L'ORIGINE SEPTENTRIONALE DES ÉTRUSQUES gì

Au contraire de tout cela, il apparaît aujourd'hui que l'infil- tration étrusque se fit à partir de la côte tyrrhénienne, qu'elle s'étendit ensuite à toute la Toscane et qu'au cours de la seconde moitié du VIIe siècle et durant le VIe les Etrusques se rendirent maîtres du Latium, de la Campânie, de la Corse et de la val- lée padane.

L'hypothèse de Fréret avait cependant le grand mérite de la simplicité et de la clarté et, n'était l'erreur fondamentale du point de départ, elle s'avérait même fort logique.

Pour établir la date de l'invasion tyrrhénienne (I), le savant français s'appuie sur les éléments mêmes de la chronologie étrusque tels que la tradition romaine nous permet de la con- naître (2) et que je n'ai pas à exposer ici. En exploitant ces données, Fréret arrive à la conclusion que l'immigration étrus- que se produisit au plus tôt au début du premier millénaire. Fréret est donc partisan de la chronologie longue que les décou- vertes archéologiques empêchent d'admettre d'une manière absolue (3).

Les autres considérations de Fréret sont moins intéressantes et assez sommaires : il est d'ailleurs évident qu'il n'a pas désiré faire un exposé complet sur l'organisation politique, la langue et la religion des Etrusques.

Mais si bref que soit son exposé, on y trouve plus d'une remarque très juste. Ainsi à propos du système politique (4), il distingue nettement l'Etrurie proprement dite, la Campanie et la plaine du Pô qui sont comme « trois corps différens » (5); il montre aussi combien l'absence d'action commune contribua à la ruine de la puissance étrusque. Par contre il se trompe étrangement en considérant Faléries, Véies, Tarquinia, Cosa, Agylla-Caere comme des cités non étrusques, mais essentielle- ment pélasgiques, donc grecques d'origine et enclavées dans l'Etrurie; les raisons qu'il invoque nous paraissent aujourd'hui bien puériles : c'est ainsi qu'à Tarquinia il donne pour étymolo- gie Trachinia que les Sicules de leur côté auraient transformé en Terracina. Agy lia se serait appelée Caere à cause de la formule de salut ycnioe de ses habitants. A propos du nom même

(1) Op. cit., pp. 241 eq. (2) Censorin, De die natali, 17, 6, citant Varron. (3) La chronologie longue a encore ses défenseurs; ainsi Bosch-Gimpera,

dane Studi Etruschi, t. ITI (1929), p. 31 sqq. et Schachermeyr, dane son Etr. Früh- geschichte (Berlin, 1929).

(4) Op. cit., pp. 246 eq. (5) Op. cit., p. 247.

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Etrusci ou Tusci, il repousse les etymologies proposées et, tout en se refusant à le considérer comme latin, il a le bon sens de ne pas se prononcer.

A propos de la langue (I), il est amusant de constater qu'il distingue deux espèces d'inscriptions : les unes, dit-il, sont en caractères étrusques, a c'est-à-dire en anciens caractères que les Phéniciens avaient portés dans la Grèce et dans l'Ibérie » (2) ; les autres seraient en caractères latins et portérieures à la con- quête de l'Etrurie par les Romains, mais hélas ! Fréret doit constater qu'elles ne sont pas pour cela plus intelligibles que les autres ! Néanmoins son bon sens reprend vite le dessus, il rejette énergiquement les tentatives d'interprétation de son époque comme « des divinations purement hazardées », ajoutant qu'avec de telles méthodes « on rapportera ces inscriptions à toutes les langues du monde » (3). Et c'est bien ce qui s'est passé, malgré cette condamnation anticipée de la méthode pseudo-étymologique .

Enfin quelques considérations sur la religion (4) sont bien pauvres. Pourtant la mise en valeur de certains traits communs aux religions romaine et étrusque constitue déjà comme une invitation à des recherches plus approfondies en ce domaine (5).

* # *

Venons-en maintenant à Niebuhr et examinons sa théorie (6). Pour éviter toute accusation de parti-pris, je donnerai le résumé de sa doctrine en me servant des termes mêmes de M. Ducati (7)

(1) Op. cit., pp. 257 sq. (2) Op. cit., p. 257. (3) Op. cit., p. 258. (4) Op. cit., pp. 259 sq. (5) Dans la dernière partie de eon mémoire, pp. 263 sq., Fréret essaye de

leves la contradiction résultant dee affirmations des anciens selon lesquelles d'une part les Bomaine n'eurent pas de flotte avant la première g*uerre punique tandis que d'autre part, Borne apparaît comme une puissance navale, notam- ment dans eee anciens traités avec Carthage. La démonstration est assez spé- cieuse : au Yle siècle, lee habitante de Caere, qui avaient une flotte, firent alliance avec les Bomaine. Ceux-ci leur accordèrent « tous les avantages dee citoyens sans les charges », faisant d'eux des Bomaine d'adoption. Dès lors, tout e'expliquerait : la flotte romaine eerait en réalité la flotte de Caere; ainei Borne pourrait être considérée tantôt comme n'ayant pas de flotte, tantôt comme une puissance maritime selon que l'on considère que les navires appar- tiennent à leurs alliée ou que ces alliés sont des Bomains d'adoption, faisant partie de la même communauté que les Bomaine proprement dits !

(6) B. G. Niebuhr, Römische Geschichte, neue Ausgabe von M. Isler, t. I (Berlin, 1873), p. 90 sqq.

(7) Le problème étrusque, pp. 38-39.

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FRÉRET ET L'ORIGINE SEPTENTRIONALE DES ÉTRUSQUES 93

Après avoir attaqué, lui aussi, Aunius de Viterbe, « Niebuhr n'hésita pas à adhérer à l'observation critique de Deny s d'Hali- carnasse (I, 28) que voici: le Lydien Xanthos... ne fait pas allusion à l'émigration des Lydiens sous la conduite de Tyrrhé- nos... Niebuhr en déduisit que le fameux conte d'Hérodote ne s'appuie sur aucune tradition lydienne et que, quand bien même celle-ci eût existé, elle n'eût pas mérité créance... Denys ajoute encore qu'il n'y a aucune ressemblance ni de langue ni de civilisation entre le peuple étrusque et le peuple lydien; c'est pourquoi rien ne confirme, d'après Niebuhr, l'origine transma- rine des Etrusques ».

L'historien allemand prend ensuite à Fréret son identification Rasena-Reti d'après laquelle les Rhètes seraient des Etrusques restés dans les Alpes depuis le moment où leur invasion les franchit pour déferler en Italie. Tout comme Fréret encore, Niebuhr prétend trouver confirmation de sa thèse dans le pas- sage de Tite-Live invoqué par le savant français (1). Il n'est pas jusqu'à l'attribution du nom de Tyrrhéniens aux Etrusques que Niebuhr n'explique exactement comme Fréret. Qu'on me permette de continuer à citer M. Ducati : « ... Selon Niebuhr, les Grecs auraient donné aux Etrusques le nom de Tyrrhéniens par erreur parce que le pays entre l'Arno et le Tibre aurait été la Tyrrhénide avant d'être l'Etrurie; en d'autres termes, avant d'être habité par des Etrusques venant d'au-delà des Alpes, il aurait été habité par des Tyrrhéniens, c'est-à-dire des Pélasges. Les Grecs n'auraient donc fait aucune différence entre ces Tyrrhéniens ou Pélasges, habitants de la Tyrrhénie pré-étrusque, et les Etrusques, habitants de la Tyrrhénie deve- nue Etrurie, et arrivés dans cette Tyrrhénie par voie de terre ».

Certes Niebuhr, dont l'érudition est « la plus épineuse, la plus pesante, la plus rebutante » (2), a parlé plus longuement et plus complètement que Fréret de l'organisation politique, de l'art et de la religion des Etrusques. Mais pour ť essentiel de sa théorie sur l'origine transalpine des Etrusques, on ne trouve

(1) Il n'y a pas à tirer argument en faveur de l'hypothèse de l'origine transalpine de la présence d'inscriptions étruscoïdes parmi les cantons rhétiques. Les tenants de l'origine septentrionale eux-mêmes le reconnaissent. Cf. Nogara, op. cit., p. 40. En effet, сев inscriptions sont pour la plupart fort tardives. Cf. l'exposé de la question et une bibliographie sommaire du sujet dans Ducati, Le problème étrusque, pp. 60 sq. D'ailleurs, les découvertes archéologiques n'ont révélé dane ces régions que de rares et tardifs documente étrueques.

(2) Taine, Tite-Live, 4e éd. (Paris, 1882), p. 108. S'il a critiqué durement et juetement l'œuvre de Nietsche, Taine en a montré aueei les mérites.

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Page 12: Nicolas Fréret et la théorie de l'origine septentrionale des Etrusques

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absolument rien chez lui qui ne figure déjà dans l'exposé de Fréret. Contrairement à ce qu'on a dit (I), Niebuhr n'a même pas systématisé la doctrine de Fréret; dans l'ensemble, il Га reprise telle quelle. Il était naturellement loisible à Niebuhr de suivre la théorie de son prédécesseur, mais on peut regretter de lui voir attribuer, alors qu'il n'y a pas droit, une doctrine célèbre et qui a donné lieu à de fécondes recherches. Le cas de Fréret n'est d'ailleurs pas unique et l'exemple de d'Aubi- gnac exploité par Friedrich August Wolf est fameux.

Fréret mérite cependant mieux que l'obscurité dans laquelle on laisse trop souvent son nom. Sa théorie de l'origine septen- trionale des Etrusques était simple et claire et, tout erronée que fût son identification entre Rasena et Rhaeti, elle donnait à son hypothèse une apparence de vérité. Sa doctrine reposait des inventions des étruscomanes en faisant table rase de leurs fantaisies passionnées. En outre, dans les brèves notes qu'il consacrait aux autres problèmes de l'étruscologie, apparaissaient à côté d'erreurs, de fréquentes réflexions pleines de bon sens. Le grand intérêt de sa doctrine apparaît quand on considère le nombre même et la valeur éminente des historiens qui, directe- ment ou indirectement, en totalité ou en partie, lui doivent leur système sur la question étrusque. En Allemagne on pourrait citer, avant Niebuhr, Christian Heyne et plus tard Karl Ott- fried Müller, Walter Amelung, Wolfgang Helbig; en France, Jules Martha et Stéphane Gsell ; en Italie, Luigi Milani, Luigi Pigorini, Gaetano de Sanctis, Luigi Pareti, Bartolomeo Nogara. De combien d'autres « disciples » - parfois involontaires - de Fréret, pourrions-nous encore citer le nom ! Car, depuis le XVIIIe siècle, la thèse de Fréret s'est simplement vêtue « de doctrine historique, linguistique, archéologique, et par dessus tout d'une hypercritique acerbe, implacable (2) ». Mais quelle que soit l'ingéniosité de l'argumentation invoquée par les tenants de l'origine transalpine, il n'en reste pas moins vrai que l'intéressante hypothèse qu'ils mettent à la base de leurs ♦études, c'est à Nicolas Fréret, et à lui seul, qu'ils la doivent.

Marcel Renard.

(1) Homo, op. cit., p. 68. (2) Ducati, Lo stato presente degli studi etruschi dans Nuova Antologia

(1932), pp. 503 sq.

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