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Daniel Poliquin Nouvelles de la capitale Le Canon des Gobelins nouvelles Extrait de la publication

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nouvelles

Daniel Poliquin Nouvelles de la capitale Le Canon des Gobelins

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« Voilà une vingtaine d’années que Daniel Poliquin construit une œuvre narrative de première force. Le vent dans les voiles, elle en est déjà à l’étape réjouissante des premières rééditions et de la reconnaissance institutionnelle, et heureusement, elle aura encore beaucoup à offrir et à faire découvrir. L’œuvre est portée par de puissantes qualités d’écriture (les dons du conteur, l’habileté à camper les personnages, la finesse de l’humour) et marquée par une unité structurale tout aussi séduisante qu’impressionnante, qu’il convient avant tout de saluer. Cette unité, dont participe éloquemment l’écriture des recueils Nouvelles de la capitale (édition originale de 1987) et Le Canon des Gobelins (édition originale de 1995), réunis ici en un seul volume, est constituée de multiples renvois thématiques, idéologiques ou formels entre les ouvrages qui composent l’œuvre. »

François Ouellet

DANIEL POLIQUIN est à la fois germaniste, comparatiste et traducteur. Il a traduit de nombreux auteurs de langue anglaise, dont Jack Kerouac, Mordecai Richler et Matt Cohen.Ses romans les plus connus sont La côte de sable (1990), L’Écureuil noir (1994), L’homme de paille (prix Trillium 1998) et La Kermesse. Son essai Le Roman colonial lui a valu le prix Shaughnessy-Cohen en 2002.

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Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

La Bibliothèque canadienne-française a pour objectif de rendre disponibles des œuvres importantes de la littérature canadienne-française à un coût modique.

Éditions Prise de parole C.P. 550, Sudbury (Ontario)

Canada P3E 4R2www.prisedeparole.ca

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programme Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

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Nouvelles de la capitale &

Le Canon des Gobelins

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Du même auteur

RomansL’Historien de rien, Montréal, Éditions du Boréal, 2012.Temps pascal, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2012 [Éditions du

Nordir, 2003 et 1982].La Kermesse, Montréal, Éditions du Boréal, 2006.La Côte de Sable, Montréal, Bibliothèque Québécoise, 2000 [publié

originalement sous le titre Visions de Jude, Éditions Québec Amérique, 1990].

L’homme de paille, Montréal, Éditions du Boréal, 1998.L’Écureuil noir, Montréal, Éditions du Boréal, 1994.L’Obomsawin, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1987.

Essais et biographiesRené Lévesque, Montréal, Éditions du Boréal, 2009.Le Roman colonial, Montréal, Éditions du Boréal, 2001.

Livres pour la jeunesseSamuel Hearne : Le marcheur de l’Arctique, Montréal, XYZ éditeur,

1995.

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Daniel Poliquin

Nouvelles de la capitale &

Le Canon des Gobelins

Nouvelles

Bibliothèque canadienne-française Éditions Prise de parole

Sudbury 2013

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Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Cet ouvrage a été publié originalement aux Éditions du Nordir.Copyright © Ottawa, 2009 pour la version papierCopyright © Ottawa, 2012 pour la version électronique

Mise en pages : Robert YergeauPhotographies de la couverture et de l’auteur : François DufresneConception graphique : Christian QuesnelCorrection des épreuves : Jacques CôtéImprimé au Canada.

Diffusion au Canada : Dimédia

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaPoliquin, Daniel Nouvelles de la capitale ; et, Le canon des Gobelins [ressource électronique] / Daniel Poliquin. (Bibliothèque canadienne-française) Monographie électronique. ISBN 978-2-89423-695-6 (PDF).– ISBN 978-2-89423-565-2 (EPUB) I. Titre. II. Titre : Canon des Gobelins. III. Collection : Bibliothèque canadienne- française (Sudbury, Ont. : En ligne) PS8581.O285N68 2012 C843’.54 C2012-905735-5

ISBN 978-2-89531-053-2 (Papier)ISBN 978-2-89423-695-6 (PDF)ISBN 978-2-89423-565-2 (ePub)

Réimpression 2013

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PRÉFACE

Une esthétique de l’identité en construction

VOILÀ UNE VINGTAINE D’ANNÉES que Daniel Poliquin construit uneœuvre narrative de première force. Le vent dans les voiles, elle en est

déjà à l’étape réjouissante des premières rééditions et de la recon-naissance institutionnelle, et heureusement, elle aura encore beaucoup àoffrir et à faire découvrir. L’œuvre est portée par de puissantes qualitésd’écriture (les dons du conteur, l’habileté à camper les personnages, lafinesse de l’humour) et marquée par une unité structurale tout aussiséduisante qu’impressionnante, qu’il convient avant tout de saluer.Cette unité, dont participe éloquemment l’écriture des recueils Nouvellesde la capitale (édition originale de 1987) et Le Canon des Gobelins (éditionoriginale de 1995), réunis ici en un seul volume, est constituée demultiples renvois thématiques, idéologiques ou formels entre les ouvragesqui composent l’œuvre.

Au premier titre, l’on pensera au principe balzacien du retour despersonnages d’une histoire à l’autre. Les personnages de Poliquincirculent entre les romans (par exemple, Roland Provençal figure dansL’Obomsawin et dans L’écureuil noir), entre les romans et les nouvelles (parexemple, Léonard Gouin, le narrateur de Temps pascal, revient commepersonnage secondaire dans Nouvelles de la capitale), ainsi qu’entre lesnouvelles d’un recueil. Ce trait d’écriture si particulier réduit les diffé-rences génériques de façon notable. Notons, sans insister, que ce rappro-chement entre les genres se manifeste à divers degrés. Ainsi, la parfaitemaîtrise du romancier pour développer une « tranche de vie » a souventpour effet d’isoler et de faire accéder à une autonomie narrative des épi-sodes romanesques. Inversement, le recueil recherche une continuitépropre au temps du roman lorsque Poliquin donne la parole à un narra-teur unique dans Nouvelles de la capitale et confie à une narratriceanonyme du Canon des Gobelins la prise en charge de trois nouvelles. Enoutre, récemment, l’auteur a introduit des personnages fictifs dans sonessai Le roman colonial. Manifestement, Poliquin se donne toute latitudecréatrice pour fabriquer une œuvre qui énonce ses propres lois esthétiques.

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François Ouellet

Dans ces conditions, le recueil de nouvelles ne sera pas un « sous-genre », et la preuve en est d’abord une structure finement orchestrée.Voyons d’abord comment Daniel Poliquin a composé Nouvelles de lacapitale. Le personnage-narrateur, Jocelyn Joanisse, raconte chacune desnouvelles du recueil, ce qui favorise la reprise de certains thèmes, le retourdes personnages (ses parents, ses amis), la mise en place récurrente d’uneambiance et d’un cadre urbain bien précis (les cafés du Marché By, lemilieu universitaire, le quartier de la Côte de Sable). La nouvelle initialecouvre plusieurs années de la vie du narrateur (de son adolescence àOttawa jusqu’à son retour dans cette ville après un « exil volontaire » àNotre-Dame-de-Waxville). En revanche, les nouvelles qui suivent, malgréqu’elles contiennent parfois des allusions à des événements relatés dans lapremière nouvelle, sont d’une portée thématique plus ciblée et ne tou-chent plus qu’indirectement le narrateur : il raconte essentiellement la viedes autres. Quant à la neuvième nouvelle, qui clôt le recueil, elle fait échoà la première, ouvrant de nouvelles perspectives de vie pour JocelynJoanisse.

De façon plus précise, les nouvelles 1 (« Four Jays ») et 9 (« Les beauxdimanches ») posent un cadre narratif qui concerne directement le narra-teur quant à la réflexion qu’il mène sur sa propre vie, au sein duquel lesnouvelles intermédiaires paraissent disposées en fonction de la qualité desliens qui rattachent le narrateur aux autres. Les nouvelles 2 (« La fable deJacques ») et 3 (« Pour Anne ») se rapportent à des membres de sa famille,respectivement son oncle Jacques et sa fille Anne. Les nouvelles 4 à 8relatent la vie d’amis du narrateur au temps de ses études universitaires :Rita (« Rita d’Islande »), les poètes Willard McIlharghey et Roger Des-lauriers (« Wasteland »), Bizarrio (« Bizarrio bilingue »), Solange (« His-toires de Solange ») et Serge Théberge (« Théberge quidam ») ; mais cedernier groupe de nouvelles se subdivise, puisque la nouvelle 7, danslaquelle Jocelyn éprouve pour Solange un sentiment qu’il n’ose lui avouer,et la nouvelle 8, où Jocelyn souscrit au désir de son ami Théberge d’écriresa vie, sont sentimentalement plus proches du narrateur que les nouvelles4 à 6. Autrement dit, plus la structure se referme sur les nouvelles cen-trales, moins le narrateur s’y trouve personnellement engagé. Les épisodesles plus intimes du narrateur se situent aux extrémités du recueil (lesnouvelles 1 et 9), tandis que les nouvelles avoisinantes le concernent

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Préface

personnellement, mais dans une moindre mesure (les nouvelles 2 et 3, puis7 et 8), et que les nouvelles qui gravitent autour du centre (« Wasteland »)font place à des histoires vis-à-vis desquelles le narrateur prend sesdistances (nouvelles 4 à 6).

De plus, on notera le lien formel entre les nouvelles 2 et 3 d’une part,et 7 et 8 d’autre part. Ainsi, « La fable de Jacques » se termine sur cesmots, qui font allusion à l’histoire de Jacques que la famille se raconteà chaque année à Noël : « On la raconte pour Anne, ma petite fille, quichaque fois rit aux larmes. » Dès lors, la nouvelle qui suit s’intitulera« Pour Anne ». Quant à « Histoires de Solange », c’est grâce à Théberge,dont il sera question dans la nouvelle subséquente, que le narrateur, qui aperdu son amie de vue depuis des années, continue d’avoir de sesnouvelles ; c’est plus précisément sur ces informations glanées à Thébergeque se termine « Histoires de Solange » : ne restait en somme qu’à intro-duire Théberge, qui, incidemment, est de tous les amis du narrateur celuidont le nom revenait le plus fréquemment d’une nouvelle à l’autre.Ajoutons que l’amitié du narrateur pour Théberge le place dans uncontexte d’écriture (« Théberge quidam »), ce qui annonce la mise enscène de la dernière nouvelle, où Jocelyn est attablé au café Wim pourécrire.

C’est au portrait du narrateur en situation d’écriture qu’aboutit lastructure d’ensemble de Nouvelles de la capitale. De quelle écriture s’agit-ilalors ? Théberge se reconnaît mal dans le récit que Jocelyn Joanisse fait desa vie, parce que, à l’instar de plusieurs personnages de Poliquin, il est unparfait mythomane, il n’y retrouve pas celui qu’il aurait voulu être etque, dans une certaine mesure, il croit être. Pour sa défense, le narrateurréplique à Théberge : « J’invente ce que je vois. » Belle définition de l’écri-ture. L’écriture ne reproduit pas le réel mais le construit, ce qui faitd’ailleurs sa force subversive.

Dans cette perspective, le lien qui unit les deux dernières nou-velles de Nouvelles de la capitale n’est pas seulement scripturaire (passagedu récit de la vie de Théberge au récit de l’écrivain par lui-même), maisidentitaire, puisque à la vision du narrateur (« J’invente ce que je vois »)vient s’ajouter celle de sa fille, Anne. Ainsi, dans « Les beaux dimanches »,Anne, maintenant enceinte, et son père, qu’elle a rejoint au café Wim,sortent se promener dans les rues du Marché By. Jocelyn clôt fièrement la

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nouvelle sur ces mots : « [...] Anne et moi, elle, pleine de vie, qui serre mamain sur son épaule, elle, qui désormais voit pour moi ». Le regard de lafille, qui relaie celui du père écrivain, soutient l’écriture. Reconnaissonsque, depuis qu’on lui racontait l’histoire de l’oncle Jacques, la jeune fillea bien appris sa leçon.

C’est aussi que le don de la parole est affaire de famille. Dans « Lafable de Jacques », Jocelyn cède la parole à sa grand-mère et à son oncleRobert afin qu’ils narrent l’histoire de Jacques ; plus tard, ce sera au tourde la mère de Jocelyn, encouragée par celui-ci dans « le rôle de mon oncleRobert », de raconter cette histoire à Anne. Dans la nouvelle qui suit,« Pour Anne », l’enfant, ayant compris que le comportement de la familleLecuyer (autrefois L’Écuyer) est dicté par un profond sentiment d’alié-nation culturelle, fait la fierté de son père. Jocelyn et Anne vibrent d’uncommun accord. À l’acquisition du don de la parole se joint une compé-tence d’ordre identitaire, propre à déjouer le complexe du colonisé. Laparole circule : de Jocelyn à la grand-mère et à l’oncle, puis à la mère, puisà la fille, laquelle cependant tient une place privilégiée, car elle est sollicitéepour guider le regard du narrateur, pour maîtriser ce qui se donne à voirau profit de l’authenticité de l’imaginaire identitaire. Le lien langagier,appelé à devenir écriture pour Jocelyn, renforce le lien identitaire ; nuldoute que la littérature construit l’identité.

La première nouvelle nous en dit un peu plus à ce sujet, car elleexpose les circonstances dans lesquelles Jocelyn est devenu écrivain. Nousapprenons qu’il s’est mis à écrire à Notre-Dame-de-Waxville, quand lesévénements se sont précipités : il se sépare de sa femme, il est congédié deson poste d’enseignant, puis la mineure qu’il a séduite, Charlène, et lui semettent en ménage. Dans la dernière nouvelle, il y a plus d’un an queCharlène a quitté Jocelyn, lequel ne travaille plus, sans que l’on sachetrès bien quelle maladie l’en empêche. Les circonstances l’ont néanmoinsramené chez ses parents, qu’il a ensuite quittés pour habiter avec son amiGouin. Mais cette situation elle-même est temporaire, car après être enfinparvenu à se soustraire à l’influence de ses parents, il faut maintenant qu’il« apprenne à [s]e débrouiller seul ». Alors que, dans la première nouvelle,Jocelyn avait appris à devenir un homme dans sa relation avec son amiBinette, il semble, dans la dernière nouvelle, qu’il lui faille tout ré-apprendre : les difficultés sentimentales qu’il a vécues l’ont conduit à une

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Préface

régression psychologique. L’âge d’homme est à reconquérir. Mais enplus devenir un homme, c’est savoir accepter que l’on revient toujours aupoint de départ (telle est en effet la leçon que le narrateur tire à la fin de lapremière nouvelle).

En fait, nous revenons doublement au point de départ, dans lamesure où la situation d’écriture dans laquelle se trouve Jocelyn dans « Lesbeaux dimanches » nous ramène à « Four Jays ». On voit encore une foiscomment l’identité (la difficulté d’atteindre l’âge d’homme) et l’écrituresont indissociables chez Poliquin, comment l’une se pense obligatoire-ment en référence à l’autre. Aussi la structure même du recueil met-elle en évidence ce qui en apparaît comme le thème central : unpersonnage devenant écrivain (et le recueil que nous lisons serait peut-êtrecelui que Jocelyn Joanisse a commencé d’écrire à Notre-Dame-de-Waxvilleet qu’il termine assis au café Wim à Ottawa), selon un mouvement deproximité et de distance (regard du narrateur sur soi, puis sur les autres,avant d’opérer un retour sur sa vie), qui trouve son point d’équilibredans la nouvelle « Wasteland ». Du coup, cette structure dévoile sadimension cathartique, puisque Jocelyn ne devient pas écrivain sansraison. À l’instar des narrateurs dépressifs de L’Obomsawin (Louis Yelle) etde L’écureuil noir (Calvin Winter), Jocelyn Joanisse devient écrivain parnécessité morale. La complexité des événements, les épreuves qu’ils onttraversées, en ont fait des écrivains. Ce sont tous des personnages qui,grâce à l’écriture, à la suite d’une séparation, surmontent la dépressiondans laquelle ils ont sombré et redonnent un sens à leur vie. L’écritureest foncièrement « réparatrice ». Il se pourrait bien que Poliquin ait faitde ce déploiement exemplaire d’une écriture le propos central de sonœuvre.

Le Canon des Gobelins reproduit partiellement la structure auctorialequi caractérise Nouvelles de la capitale. Cette fois-ci, la narratrice principaledu recueil raconte trois nouvelles : la première (« Les trois sœurs »), la der-nière (« Anonyme nue »), ainsi qu’une nouvelle centrale (« Les bonnessœurs »). Elle a une fille, qui est la narratrice de « Avoir su », et elle se faitun nouvel ami à la fin de « Anonyme nue », qui se trouve être le narrateurde « L’art avunculaire en trente-neuf leçons ». Enfin, la nouvelle « L’An-glaise » raconte une histoire dont la narratrice principale entendait parlerlorsqu’elle était petite. Ainsi se trouve tissée une nouvelle série de liens

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narratifs qui cependant n’offrent pas la parfaite unité du premier recueil.Toutefois, non seulement les personnages reviennent d’une nouvelle àl’autre, comme dans Nouvelles de la capitale, mais ces personnages de-viennent narrateurs ; si un ensemble langagier circule pour permettre àJocelyn Joanisse de « mieux voir », cette vision hiérarchique est cette fois-cifragmentée et partageable. Dans un sens, nous pourrions dire queNouvelles de la capitale est, par rapport au Canon des Gobelins, ce qu’estL’écureuil noir par rapport à La Côte de Sable (nouveau titre du romanVisions de Jude). À la structure du narrateur unique de Nouvelles de lacapitale et de L’écureuil noir s’oppose une structure aux narrateurs –narratrices – multiples dans les seconds.

Mais il y a plus. D’une part, ce sont essentiellement des femmes quiprennent en charge la narration dans Le Canon des Gobelins (six nouvellessur dix), tandis que La Côte de Sable repose sur les récits de quatre narra-trices ; structure par ailleurs très proche de la composition et de la théma-tique de la nouvelle « Victoria », où trois narratrices, logeant dans lamême maison de pension, alternent pour raconter les déboires amoureuxde Micki. D’autre part, aucune de ces narratrices n’écrit, contrairement àJocelyn Joanisse, Calvin Winter ou Louis Yelle. À ce propos, nous appre-nons, dans « Anonyme nue », que la principale narratrice du recueil refaitsa vie avec le narrateur de « L’art avunculaire en trente-neuf leçons », quiest... un écrivain. En d’autres mots, lorsqu’il s’agit par amour d’écrire, leregard est masculin; lorsqu’il s’agit de décrire l’amour, le regard est fé-minin : l’écrivain « voyeur » est un amoureux exhibé.

Indéniablement, l’écriture de Poliquin est une écriture du regard. Uneécriture de théâtre, de la scène, de la parade, qui révèle un aspect fonda-mental de l’identitaire : le paraître. On songe aux comédiens qui jouentune « Passion » dans L’homme de paille, et qui vont jusqu’à endosser le rôlede chacun des autres personnages du roman. En quelque sorte, Poliquinrenouvelait là brillamment le principe du retour des personnages : au lieud’un personnage qui tient un seul rôle dans plusieurs textes, L’homme depaille offre des personnages qui tiennent plusieurs rôles dans un mêmeroman. Jocelyn Joanisse et les personnages dont il raconte des portionsde vie sont tous profondément marqués par la question de l’identité,laquelle s’incarne très souvent dans une surenchère des poses, des décors,des façades. Rita d’Islande vit dans un véritable univers de fiction, sa vie

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Préface

tient du cinéma. Il était couru qu’il en vienne un jour à financer unfilm dans lequel il s’est donné un petit rôle ; et c’est sur l’écran que lenarrateur le voit pour la dernière fois. Jocelyn est amoureux de Solange etde son visage d’actrice de cinéma, qui lui rappelle « les images despremières héroïnes à moitié saintes de la Nouvelle-France ». La dernièrefois qu’il la rencontre, elle est habillée « à la manière des héroïnes de laRésistance française qu’on voyait autrefois, dans les films du Cinémainternational, à la télévision ». Ce que nous enseigne le traité avunculairequi forme la troisième nouvelle du Canon des Gobelins, c’est qu’un oncleaura du succès auprès de ses neveux et nièces s’il accepte de jouer lacomédie, s’il préfère l’invraisemblance et l’imaginaire à la stricte vérité.Dire la vérité aux enfants ? « À quoi bon ? Vous pourriez leur faire de lapeine », conclut-il.

L’exhibitionnisme devient ainsi le comble de la réussite. Rita, qui afait fortune dans la restauration, obtient son plus grand succès lorsque levendredi soir il ferme son restaurant et offre à ses clients « sa versionislandaise des Feuilles mortes en imitant Yves Montand ». Dans « Histoiresde Solange », la femme de Raymond Saikaley, une Québécoise originairede Pointe-Gatineau, devient « une danseuse célèbre au Moyen-Orient ».Willard McIlharghey, qui selon le narrateur est « le plus grand poètecanadien-anglais de notre époque », se saoulait, bien qu’il supportât mall’alcool, pour avoir l’air d’un poète. Serge Théberge a d’abord cherché lagloire dans la chanson, puis dans la politique, qu’il considère toutes deuxcomme « du spectacle ». Cependant, il aura échoué après avoir « frôlé lagloire » comme valet du gouverneur général : Théberge restera toujours un« quidam ».

En fait, le paraître est fondamental chez Poliquin en vertu de lathéorie selon laquelle ce sont toujours les autres qui construisent notreidentité. C’est la logique identitaire du précepte de l’écrivain, « j’in-vente ce que je vois » : nous sommes ce que le regard des autres fait denous. Dans L’Obomsawin, cette vérité était révélée par l’entreprise bio-graphique de Louis Yelle : « On ne s’en sort pas, on ne s’exprime jamais,on reste toujours soi-même par les autres, on devient soi par autrui. » C’estl’idée centrale de la nouvelle « Le Canon des Gobelins », mais cette fois-cisur un mode ludique. Un Français décide sur un coup de tête, à dix-neufans, d’émigrer en Amérique pour devenir acteur. Or, il comprend assez

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vite que les possibilités de travail sont, en ce qui le concerne, liées à l’imagestéréotypée que les Américains se font d’un Français : le narrateur serad’abord garçon de café, maître d’hôtel, cuisinier, puis professeur titula-risé de langue et littérature françaises à l’Université de l’Iowa, obligeant sesétudiants à lire des auteurs que lui-même ne lira jamais. Le cinéma de-vient réalité : « je ne serais pas Charles Boyer mais au moins, j’avais unrôle et un bon ». Qu’il ait tenu le rôle de professeur diplômé de la Sor-bonne pendant une trentaine d’années, c’est dire combien ce rôle « existaitdéjà dans la tête de ces sympathiques universitaires» qui l’ont embauché.C’est en amour que cette théorie de la représentation surgit avec le plusd’évidence : on aime l’image qu’on se fait de l’autre, on aime celui oucelle qui correspond à l’image recherchée. Non seulement le faux pro-fesseur en fait l’expérience, mais aussi la principale narratrice du Canon desGobelins (« Les bonnes sœurs »).

Bref, à la question « qui suis-je ? », les personnages de Poliquin ré-pondent non pas tant « celui qui paraît », que « celui que le regard desautres a construit ». L’identité est un principe actif qui échappe à celui quiest concerné.

Cependant, c’est aussi le discours inverse que paraissent véhiculer lespersonnages de Poliquin. Car les personnages revendiquent une entièreliberté individuelle, réclament le droit d’accès à une identité qui n’est pasdonnée par essence, mais qui se construit. J’invente ce que je vis, pourrait-on dire. Chacun, à la manière de l’écrivain, s’invente, et du coup invente lemonde dans lequel il vit. Et ce monde, comme l’univers de fiction, sestructure. C’est bien le mythe de « l’écureuil noir », qui caractérise leparcours existentiel de Calvin Winter, mais aussi celui de la communauté.En décidant de s’assimiler aux écureuils afin d’éviter de disparaître, lesrats noirs d’Ottawa choisissent collectivement de « se réinventer en unenouvelle race » (« Pourquoi les écureuils d’Ottawa sont noirs »). À la findes « Trois sœurs », la famille de la narratrice vend sa ferme au cousinYrénée afin de s’installer en ville pour « se faire une autre vie ». Nousserons tenus au courant, dans les nouvelles ultérieures, de la réussiteurbaine des parents des trois sœurs. La nouvelle « Avoir su » expose defaçon excessive, mais par cela particulièrement efficace, cette idée essen-tielle. La narratrice, assassinée par un motard à l’âge de treize ans, est enattente de son retour à la vie. « J’ai hâte à ma vie après la mort. » Il serait

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Préface

évidemment simpliste de déduire de cette nouvelle que Poliquin croit en laréincarnation : l’idée ne sert qu’à mettre en évidence ce qui est foncière-ment le pivot esthétique de toute l’œuvre. S’il y a, en effet, une situationqui lie les nouvelles entre elles et les recueils aux romans, bref qui tra-verse l’ensemble de l’œuvre, c’est bien le désir obsessionnel des person-nages de changer de vie. C’est encore ce trait qui explique la présence dupersonnage velléitaire et mythomane, que Poliquin, avec un impi-toyable sens de la drôlerie, excelle à portraiturer : c’est Roland Provençaldans les romans, c’est Bizarrio et Serge Théberge dans Nouvelles de lacapitale, auxquels le narrateur de « L’année prochaine » dans Le Canon desGobelins donne magnifiquement la réplique. C’est tout l’art de Poliquin defaire de l’extraordinaire avec de l’ordinaire.

De nombreux personnages croient même qu’il suffit de changer denom pour produire de nouvelles perspectives de vie. Ils se forgent un autrenom tout d’une pièce (Rita Albertsson au lieu de Gaston Giguère, BenbowSartoris à la place de Roger Deslauriers), modifient légèrement le nomd’origine (Yrénée à la place de Fernand-René), adoptent un surnom(Bizarrio à la place de Raymond Verrette, Gwendoline au lieu de Judy ;Rita a d’abord été un surnom, et Roger Deslauriers se faisait appeler Maxavant d’émigrer au États-Unis), anglicisent leur nom (Binette devientBennett) ou le « déjudéisent » (Max Lasky à la place de Sheldon Cohen,Leon Corbie à la place de Leon Feinkorb). Quant à Serge Théberge, quiaurait pu préférer un surnom pour éviter l’effet homophonique quid’ailleurs le dérange, il désire qu’on l’appelle simplement Théberge.Toutefois, il multiplie à souhait les versions sur ses origines.

Y aurait-il donc un paradoxe entre l’idée d’une identité construitepar le regard des autres et l’idée d’une identité que l’on choisit de se don-ner ? En réalité, l’une n’exclut pas l’autre ; au contraire, l’une se nourrit del’autre, et le faux professeur du « Canon des Gobelins » en est peut-être lemeilleur exemple. Ayant finalement dû abandonner son poste, il ne s’enfait pas outre mesure, car il s’estime doué pour le bonheur et une nou-velle vie s’offre à lui, comme autrefois lorsqu’il avait émigré aux États-Unis. « Ce n’est qu’un nouveau départ de plus. » Refaire sa vie, dans cesconditions, c’est aussi savoir reconnaître que ce sont les autres qui tiennentvotre destin entre leurs mains. Tel Serge Théberge sous la plume du narra-teur. Les autres décident de ce que j’ai moi-même décidé de devenir,

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pourrait-on dire. La représentation identitaire des livres de Poliquin n’estpas paradoxale, mais certainement complexe.

En témoigne assurément la question de la paternité, qui problématisede façon particulièrement féconde la nécessité de faire peau neuve ; auquelcas ce sera le regard de l’enfant qui redéfinira l’identité du père. Or, lapaternité n’est jamais complètement assumée chez Poliquin. Ici, la quêteidentitaire avorte. Solange ayant couché à la fois avec Raymond Saikaley etIsmaël Kuritzky, il est impossible de savoir lequel des deux est le père.Jocelyn Joanisse lui-même a une fille dont il n’a pas la garde, laquelle, dans« Les beaux dimanches », attend un enfant qui n’aura pas de père. « Ons’arrangera bien », pense Jocelyn. Gwendoline Corbie (« L’Anglaise ») s’estfait faire un enfant par un marin qu’elle ne reverra jamais.

Dans « Anonyme nue », la narratrice convainc son ex-mari de lui faireun autre enfant, sans engagement mutuel de leur part. Elle espère refaire savie avec sa nouvelle fille, qui remplace en quelque sorte celle qu’elle acruellement perdue dans « Avoir su » (il n’est pas impossible par ailleursque ce soit la même personne réincarnée : le principe fertile du retour despersonnages croise ici le motif de la nouvelle vie), et son nouvel ami, lenarrateur-écrivain de « L’art avunculaire en trente-neuf leçons ». À cetégard, la structure familiale que propose la dernière nouvelle du recueilreproduit exactement l’idéal familial qui clôt L’écureuil noir, où lenarrateur-écrivain, Calvin Winter, compte refaire sa vie avec Maud Gallant(qui avant d’être un personnage de L’écureuil noir était la deuxièmenarratrice de La Côte de Sable) et sa petite fille. Dans le cas qui nousoccupe, le couple de narrateurs ne se forme pas par hasard. L’identité dechacun est problématique, car ils ont tous deux à effacer une certainereprésentation d’eux-mêmes afin de s’abandonner à la nouvelle per-ception qui émerge du regard que l’un pose sur l’autre. La narratrice estaliénée par « son double d’autrefois », c’est-à-dire par la photo d’elle-même prise par Max Lasky avant qu’il ne devienne célèbre, et qui estaffichée partout dans la ville d’Ottawa durant l’exposition Lasky. Cettephoto, intitulée l’Anonyme nue, non seulement dépossède la narratrice deson identité patronymique, mais la réduit symboliquement à un paraîtrequi la rend extrêmement vulnérable : est-elle autre chose qu’une image ?Aussi la narratrice, dont nous ignorons le nom, doit-elle tout recom-mencer depuis le début, au premier titre une famille. De ce besoin naît

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Préface

son amour pour le narrateur du traité sur l’avunculat, lequel narrateur, encontrepartie, trouve dans la narratrice l’image dont il est lui-même à larecherche. Car le choix de la narratrice dicte celui de ce narrateur. Cequ’elle veut, c’est un nouveau père pour sa fille ; or, celui qu’elle choisit estprécisément l’auteur du traité sur l’art avunculaire, qui offre donc l’imaged’un écrivain qui s’est renfermé, par l’écriture, dans un second rôle,celui de d’oncle, faute sans doute de savoir être un père, faute de pouvoirécrire un traité du père. L’on écrit toujours, chez Poliquin, pour changerde vie, pour faire advenir une vie qui corrige les blessures du passé (ainsiles trois « tentatives biographiques » de Louis Yelle), peu importent laforme et les limites de l’écrit. Peut-être, auprès de la narratrice et de sa fille,ce nouveau personnage-écrivain saura-t-il passer de « l’état d’oncle » à« l’état de père », et éventuellement devenir une autre sorte d’écrivain...Alors la « vérité » serait possible.

Dans ce parcours identitaire, la ville d’Ottawa occupe une placecentrale. Si Poliquin prend tant de plaisir à indiquer dans ses textes lestransformations résidentielles et commerciales de la ville, où les habitantsne feraient jamais que passer, c’est parce que la ville est à l’image même durenouvellement que désirent les personnages pour eux-mêmes. Écriresur Ottawa, écrire depuis Ottawa, ce sera, aux yeux du narrateur deNouvelles de la capitale, la meilleure façon de se reconstruire une identité,de vaincre sa misère psychologique et de devenir écrivain. Donner auxlecteurs des nouvelles de la capitale, c’est du coup affirmer son existence,affirmer son droit à l’existence, consigner sa volonté, à l’instar de la jeunenarratrice de L’amélanchier de Jacques Ferron, d’occuper le centre dumonde. Dans la dernière nouvelle du Canon des Gobelins, la narratrice, néeau Québec, rénove sa maison de la Côte de Sable, où elle va fonder unenouvelle famille. Le geste est symboliquement le même, la maison rénovéeet la famille restaurée se complètent. De la même manière que se ré-pondent la structure narrative, que j’ai mise en évidence avec son sys-tème de renvois, et la structure familiale. Dans tous les cas, l’écriturecherche à articuler une vision communautaire, plus précisément à faireen sorte que le personnage trouve sa place dans la communauté. Quantau personnage-écrivain, il semble que le café-bistrot tienne lieu, pour lui,de représentation métonymique par excellence de la satisfaction commu-nautaire : dans Nouvelles de la capitale, c’est le Four Jays (première

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nouvelle), où Jocelyn Joanisse fait l’épreuve de l’amitié ; c’est le Wasteland(nouvelle centrale) ; c’est le Wim (dernière nouvelle) : autant d’espaces quibalisent, dans un juste équilibre, la structure narrative.

Les deux poètes de la nouvelle « Wasteland » « disaient toujoursqu’Ottawa est une ville où les poètes ne font que passer ». Heureu-sement que Daniel Poliquin et ses narrateurs ne sont pas poètes...

François Ouellet

Extrait de la publication

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Nouvelles de la capitale

À la mémoire de Jean-Marc Poliquin,iconoclaste clandestin

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Quand on me confia à mon premier dresseur, à Hambourg, je netardai pas à reconnaître les deux possibilités qui s’offraient à moi :le jardin zoologique ou le music-hall. Je n’hésitai pas. Je me dis :essaie de toutes tes forces d’entrer au music-hall ; c’est la seule issue.

KafkaConférence pour une académie

Extrait de la publication

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FOUR JAYS

ÀQUATORZE ANS, je me cachais de la messe du dimanche auFour Jays, un restaurant coin Nelson et Laurier tenu par un

Syrien.J’avais cessé de pratiquer par paresse. Je ne communiais plus,

j’avais toujours faim pendant le sermon et, comme nous n’allionsplus à la messe en famille – papa, maman, Estelle et moi –, jesacrais mon camp tout de suite après l’Eucharistie. J’allais à lamesse de midi, il y avait moins de monde et je sentais, comme ça,qu’on me remarquait moins. De plus, je m’assoyais derrière. Unefois, je me suis tanné et je suis parti avant la communion en faisantsemblant de tousser. La semaine suivante, arrivé à l’église à mididix, j’ai décidé d’aller passer la demi-heure qui restait au Four Jays,quitte à repasser pour la messe de cinq heures. À cinq heures cejour-là, je suis resté chez moi. On n’avait rien vu, rien su à lamaison ; j’avais un peu peur qu’on me demande mon avis sur lesermon, mais on ne m’a rien demandé. Le samedi d’après, aumoment de me coucher, j’ai décidé que c’était fini. Le lendemain, àmidi tapant, je buvais mon Coke au Four Jays. Bien sûr, au début,je craignais qu’un paroissien bavard ne me reconnaisse. Ça n’estjamais arrivé non plus ; les seuls clients du Four Jays à cette heure-là étaient des camionneurs fatigués et des étudiants qui se sauvaientde la messe de midi à l’église Sacré-Cœur. Le plus beau, c’est que jene me suis jamais demandé si c’était un péché mortel ou si j’irais enenfer un jour. Jamais.

Peu à peu, j’ai pris l’habitude de m’asseoir à une table plutôtqu’au comptoir et de commander du café et des toasts. C’est auFour Jays que j’ai pris l’habitude de lire le journal et de fumer.C’est là aussi que j’ai fait la connaissance de Binette.

Je le connaissais déjà de vue. Une de mes tantes avait été aucouvent avec sa mère et en parlait des fois. La famille Binette

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NOUVELLES DE LA CAPITALE

habitait la paroisse mais fréquentait l’office des dominicains quel-que part en ville, parce qu’on y voyait du monde un peu mieuxqu’à Sacré-Cœur : des avocats connus, des médecins, des ministresmême. L’église Sacré-Cœur n’était pas assez bonne pour eux. J’avaisvu une fois la famille au grand complet à Pâques, avec le père quifumait le cigare, la mère avec son chapeau neuf, les quatre enfants,dont deux garçons en culottes courtes grises et veston marine, et lesdeux filles en robe rose avec des souliers en cuir patin. C’étaient desgens chic. Le père était propriétaire d’un hôtel (qui était en fait unpeu bordel sur les bords) et faisait de l’argent comme de l’eau. Lamère avait fait son école normale et s’était mariée tout de suiteaprès. On leur prêtait beaucoup de distinction et plus d’argentqu’ils n’en avaient. Comme ils possédaient un chalet, on ne lesvoyait jamais l’été, et ils faisaient du ski l’hiver. Les garçons allaientaux scouts dans une autre paroisse et les filles faisaient leur couventen dehors de la ville.

Au début, rien. Ensuite, comme on se voyait aux mêmesheures au Four Jays le dimanche, on s’est mis à échanger des signesde tête presque involontairement. Un jour, on s’est croisés à lasortie et il m’a dit : À dimanche. La semaine suivante, il s’est invitéà ma table. Après, on était toujours ensemble. Quand l’un oul’autre ne pouvait venir, on se téléphonait. J’habitais rue Besserer etBinette rue Wilbrod, un peu plus haut, mais on ne se voyait que ledimanche pour éviter les questions.

Ce ne fut pas l’amitié classique et quétaine du riche et dupauvre. D’ailleurs, on n’était pas si pauvres que ça chez nous. Monpère travaillait aux Postes. Pas de ski, ni de chalet, bien sûr, mais ona toujours pris trois repas par jour. Et Binette n’a jamais parlé d’ar-gent avec moi. Je savais qu’il en avait et moi pas. Ça s’arrêtait là.

Nous ne parlions pas non plus de nos parents, de ce qu’ilsfaisaient. Je l’ai dit, le père de Binette était hôtelier. Le mien avait lajob la plus plate du monde aux Postes : il découpait des timbres.Tous les matins, son surveillant lui remettait, à lui et aux quarante

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Four Jays

autres dans la pièce, des feuilles de cent et de cinquante timbres.Chacun découpait les timbres en suivant le pointillé et assemblaitdes piles de timbres devant lui. Le surveillant apportait de nou-velles feuilles toutes les heures. Papa a fait ça pendant trente-cinqans. Il n’en avait pas honte ; il trouvait que c’était moins fatigantque travailler la terre. Et ça nourrissait la famille. On était à loyerchez nous, mais Estelle et moi avions chacun notre chambre. Avecça, maman s’arrangeait pour louer la petite chambre du fond à desétudiants. Maman disait toujours, et dit encore : Y en a des piresque nous autres, faut pas se plaindre.

Argent ou pas, en tout cas, je pouvais tenir mon bout. J’avaisune bonne route de journaux, et ma paye du vendredi, ajoutée auxpourboires, valait sûrement l’allocation hebdomadaire de Binette,sauf que lui ne faisait rien pour. Et puis, de toute façon, je n’aimaisni le ski, ni les chalets. Donc, pas d’envie entre nous, juste desdifférences.

Lui, toutefois, avait l’assurance que donne l’argent. Lui nementait jamais ; ses parents se doutaient qu’il n’allait plus à lamesse. Moi, je n’ai jamais osé rien dire aux miens. Je me souviensque la première fois, j’ai menti à Binette au sujet de ma présence auFour Jays. Je lui avais dit : Je vais plus à la messe parce que l’odeurde l’encens et du bois ciré me donne la nausée. Il m’avait répondu :C’est niaiseux, ça ; moi, j’y vais plus parce que je ne crois plus enDieu. J’ai eu honte de sa franchise et de ma menterie. Un moisplus tard, j’avais fait des progrès et je lui disais : Dans le fond, si jevais plus à la messe, c’est parce que j’ai découvert qu’au lieu depasser une heure à faire des gestes inutiles avec une gang d’hypo-crites qui n’y croient pas non plus, je pense qu’on pourrait fairequelque chose pour améliorer le sort de l’humanité, autrement dit,faire quelque chose d’authentiquement chrétien au lieu de faire lecatholique niaiseux. Il avait dit : T’as raison, mais faire quoi ?J’avais bu une gorgée de café et répondu : Justement, je sais pas, jecherche.

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J’ai cherché au moins trois ans en sa compagnie. Nous discu-tions absolument de tout : de politique, de sport, de nos émissionsde télévision préférées, de principes, de religion et, surtout, de filles.On s’assoyait au fond du restaurant et on se racontait nos amoursprobables. À l’époque, le Four Jays avait équipé ses tables de boîtesà musique où jouaient des disques à dix cents la chanson, ou troispour vingt-cinq cents. On faisait jouer La poupée qui fait non deBruce et les Sultans au moins six fois par dimanche ; de la musiqueanglaise aussi : les Stones, Donovan et les Dave Clark Five.

Une fois, il m’a demandé avec son sans-gêne habituel :Coucherais-tu avec une fille, toi ? J’étais parti à rire : Voyons donc,n’importe quand ! Mais je m’étais repris tout de suite : C’est certainqu’avant de marier une fille, tu vas peut-être me dire que je suiscochon, mais moi, je pense que ça serait mieux qu’on le fasseensemble pour voir si on s’aime vraiment ; pis aussi, si je mettais lafille enceinte, je la marierais, qu’est-ce tu veux ? Il avait réfléchi unmoment : Moi, je pense qu’on peut coucher avec qui on veut,quand on veut. Cette fois-là, j’étais scandalisé, plus encore quequand il m’avait dit qu’il ne croyait plus en Dieu. À tel point quej’avais eu toute la misère du monde à faire le gars blasé, commed’habitude.

J’ai mis longtemps à m’affirmer avec lui, mais j’y suis arrivé.Une fois, comme ça, il m’a ri au nez parce que j’avais dit qu’un jourje me marierais et que j’aurais des enfants. Lui, il partirait pourl’Europe, aurait des maîtresses plus vieilles que lui et ferait ducinéma sur la Côte d’Azur ; ou alors, il ferait le tour du monde avecun orchestre rock ou un cirque. Je lui ai répondu qu’il bouleshitait,que ça ne se passerait pas comme ça et qu’il finirait par faire commemoi. Le dimanche suivant, il n’est pas venu. L’été commençait, ilallait retourner au chalet de ses parents et on se reverrait peut-êtreen septembre.

En septembre, il était de retour. J’avais passé l’été seul au FourJays et j’avais préparé un tas d’arguments pour l’étourdir bien

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comme il faut. Mais quand il est revenu, il ne parlait que de saManon, une fille qu’il avait connue pendant l’été. Il ne parlait qued’elle : la fille était belle à voir dans son bikini rouge et elle avait pasmal d’idées personnelles pour une fille. Elle pouvait discuter den’importe quoi. En octobre, je lui ai demandé : T’as-tu couché avecelle ? Lui, l’air dégoûté : Ça me tentait pas, j’aurais pu, mais ça metentait pas, je voulais pas m’attacher, je veux rester libre. Ennovembre, il a dit : C’est important de rester libre, j’en ai parlé àma mère une fois – elle est le fun, ma mère, on peut parler den’importe quoi, même de sexe –, elle m’a dit que c’est mieux pourun gars de rester libre pis de faire ce qu’il veut. À part de ça, les fillesqui couchent avec un gars, elles se sentent émotionnellement plusattachées, tu comprends ? Elles ont plus de misère à rester libres, çafait que c’est mieux que rien n’arrive, tu comprends ? Et moi, lecave, je lui donnais raison en disant que j’avais lu la même chosequelque part.

Ma vie sentimentale à moi était désespérante. Je n’avais rien àraconter, ou alors rien que des menteries. J’ai essayé de lui fairecroire que j’étais sorti avec une fille au cours de l’été. Que je l’avaisappelée pour lui demander de m’accompagner à une danse. Elleavait dit oui et je l’avais embrassée pendant un slow, et j’aurais pucoucher avec elle n’importe quand mais j’avais pas voulu parce queje la respectais. Il m’a sûrement cru un dimanche ou deux, maisaprès, non. D’un dimanche à l’autre, je me trompais sur le nomde la fille, des fois je disais qu’elle était blonde avec des seins demême, d’autres fois qu’elle était rousse et portait des lunettes. Ils’en est aperçu et m’a envoyé péter dans les fleurs. Avec sonassurance habituelle, il disait : Envoye, c’est quoi son numérode téléphone ? Appelle-la tout de suite devant moi, après je tecroirai. Je m’en suis sorti par un coup de bluff : Appelle Manonfirst, après j’appellerai la mienne; à part ça, si je me rappelle pasle nom de la mienne, c’est parce que je suis sorti avec d’autres,O.K. ? Je mêle les noms, c’est pas de ma faute. Il n’a rien répon-

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du. Il était presque une heure, il fallait partir, et comme il n’avaitpas assez d’argent pour payer son déjeuner, il avait besoin de filerdoux. Alors il n’a plus rien dit, et il a cessé, à compter de ce jour-là,de m’achaler avec sa Manon. Ce jour-là, j’avais été le plus fort,maudit que j’étais content ! Désormais, nous étions à égalité endiscussion. Pendant un an, nous n’avons plus parlé de filles, oualors, juste comme ça de temps en temps. Après, Binette s’est mis àvenir avec un autre, un gars qui allait au séminaire avec lui et quicouchait parfois la fin de semaine chez lui. Un gros gars qui s’appe-lait Denis et qui parlait de cul tout le temps. Rien d’autre ne l’inté-ressait. Et Binette riait très fort de ses farces plates. Je n’aimais pas legars, mais je l’endurais par amitié pour Binette. Plus tard, les deux sesont mis à rire de moi parce que j’allais à l’Académie de La Salle,chez les frères qui sont tous des crosseurs, comme Denis disait. Eux,ils étaient chez les pères oblats et leurs parents payaient plus cherque mon père. Je savais pas quoi répondre et je riais avec eux demoi. Par la suite, Binette et lui entraient au Four Jays avant moi etallaient s’asseoir seuls, sans moi. Après, Binette a cessé de venir.

J’ai su qu’il allait ailleurs. Une crêperie de la rue Rideau quefréquentaient des étudiants de l’Université d’Ottawa et des fillesplus vieilles, dont certaines même qui couchaient pour de vrai. Jel’avoue : j’ai eu beaucoup de peine, je me sentais trahi, c’était renduque j’avais besoin de mes dimanches avec Binette pour mieuxpenser, et tout d’un coup, j’en étais privé. À cause d’un mauditDenis à marde, à cause aussi, peut-être, que j’étais trop niaiseuxpour lui. Alors j’allais tout seul au Four Jays.

Je l’ai attendu. Toujours à la même table du fond. J’ai faitconnaissance avec d’autre monde, dont des filles qui se sauvaient dela messe comme moi. L’une d’elles s’appelait Diane ; je l’ai presqueinvitée à m’accompagner à une danse. Je n’ai jamais osé. Et puis, jecrois qu’elle avait déjà un ami.

Binette est revenu un bon dimanche. Il m’a dit, de même,comme pour s’excuser : Denis, c’est une petite tapette, je le réinvite

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plus chez moi, je veux plus rien savoir de lui pis de sa gang. Nosdiscussions ont repris comme avant. Nous avions changé. Moi,surtout. J’avais abandonné ma route de journaux, c’est vrai que çafaisait niaiseux, comme disait Denis. J’étais maintenant emballeurchez IGA, je gagnais beaucoup d’argent ; souvent, je payais pour lesdeux, Binette et moi, j’achetais des disques en masse et je m’ha-billais au Château. Le Four Jays avait déséquipé les tables de leursboîtes à musique. Plus de Poupée qui fait non. On ne parlait plus defemmes, la guerre du Viêt-nam était notre seule préoccupation.Binette rêvait d’aller en Chine et moi d’être enfin sincère. Binettem’expliquait la politique et la philosophie, je lui parlais des droitsscolaires des Franco-Ontariens que lui trouvait niaiseux. Je fumaisla pipe, il roulait ses cigarettes. Nous rêvions de partir de cheznous.

Pendant une bonne année, nos rencontres au Four Jays ont ététout à fait plaisantes. Nous nous voyions parfois ailleurs, mais passouvent parce que ça n’était pas pareil. Nous changions de plus enplus. J’avais enfin dit à mes parents que j’avais cessé d’aller à l’égliseet que j’étudiais à la place. Mes parents, qui voulaient croire à cemensonge pieux, se disaient que c’était peut-être mieux ainsi : sileur fils perdait son âme quelques années, il aurait toujours bien undiplôme au bout pour compenser ; après, il pourrait retourner à lamesse. Ma sœur Estelle, qui est plus vieille que moi et qui mefatiguait beaucoup, n’était pas d’accord ; tant pis pour elle. Désor-mais, je passais tout le dimanche matin au Four Jays. Binette aussi.

Nous parlions d’entrer à l’université, nous parlions de noscarrières futures. Je voulais faire le baccalauréat de pédagogie etenseigner dans le Tiers-Monde. Binette disait que c’était noble dema part ; j’avais tant de plaisir à entendre ça. Binette parlait d’ave-nir collectif ; ce qui comptait désormais, c’était le Québec et rienque le Québec. Son raisonnement : les Franco-Ontariens sontassimilés, il y a plus rien à faire ici ; il faut aller au Québec et ycréer le premier État français en Amérique du Nord pour sauver les

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francophones de l’assimilation ; il voyait dans le militant péquisteun beau mélange de croisé du porte-à-porte et de théoricien inter-nationaliste. Il se voyait consul du Québec à San Francisco ou dansun pays en voie de développement.

J’étais fort peu politisé à l’époque ; aussi, ses convictions sépa-ratistes – comme on disait alors – me faisaient un peu de peine.Surtout qu’il remuait comme personne la mythologie des lende-mains québécois : parité du franc québécois et du dollar canadien,canonnière fleurdelisée sur le Saint-Laurent, reconnaissance del’OLP, exode des Rhodésiens du West Island et accueil des frèresacadiens et fransaskois, la coupe de hockey Québec-URSS, etc. Ilm’arrivait parfois de penser comme lui tant il était enthousiaste.Ça, c’était plaisant. Je me demande aujourd’hui comment nousaurions pu endurer la platitude de nos dimanches franco-ontarienssans ces discussions sur la genèse du Québec et ma future carrièrede missionnaire laïc pédagogue. Nous recommencions aussi àparler de femmes, mais en hommes.

C’est vrai que nous devenions des hommes. Parfois, des étran-gers, des adultes faits, venaient s’asseoir avec nous pour savoir ceque pensent les jeunes d’aujourd’hui. Même le patron du FourJays, qui s’appelait Sam, venait nous voir, nous parlait de ses débutsau Canada, de ses rêves d’expansion et nous payait un café. Binettese laissait pousser une moustache et moi des favoris. Il s’était donnéjusqu’à dix-huit ans pour perdre sa virginité ; moi, je disais, commema sœur Estelle, que la virginité est le plus beau cadeau qu’unefemme puisse faire à son mari. Et les dimanches passaient.

Nous nous sommes à peu près séparés au temps de l’université.Je suis allé à l’Université d’Ottawa. Lui, il a essayé d’aller auQuébec, ce qui lui a valu ses premières déceptions. D’abord,l’université Laval n’a pas voulu de lui ; on lui a répondu qu’onn’entrait pas là sans le cégep et que, de toute manière, on n’yreconnaissait pas les études faites en Ontario, surtout les étudesfaites en français. Pour patienter, il a décidé de passer un an à

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TABLE DES MATIÈRES

François OuelletPréface. Une esthétique de l’identité en construction 5

Nouvelles de la capitaleFour Jays 19La fable de Jacques 35Pour Anne 43Rita d’Islande 47Wasteland 54Bizarrio bilingue 65Histoires de Solange 72Théberge quidam 87Les beaux dimanches 97

Le Canon des GobelinsLes trois sœurs 111Le Canon des Gobelins 122L’art avunculaire en trente-neuf leçons 142Pourquoi les écureuils d’Ottawa sont noirs 156Les bonnes sœurs 163L’Anglaise 194Avoir su 209L’année prochaine 219Victoria 228Anonyme nue 240

Daniel Poliquin 251Sur Nouvelles de la capitale 251Sur Le Canon des Gobelins 251Divers 252

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nouvelles

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« Voilà une vingtaine d’années que Daniel Poliquin construit une œuvre narrative de première force. Le vent dans les voiles, elle en est déjà à l’étape réjouissante des premières rééditions et de la reconnaissance institutionnelle, et heureusement, elle aura encore beaucoup à offrir et à faire découvrir. L’œuvre est portée par de puissantes qualités d’écriture (les dons du conteur, l’habileté à camper les personnages, la finesse de l’humour) et marquée par une unité structurale tout aussi séduisante qu’impressionnante, qu’il convient avant tout de saluer. Cette unité, dont participe éloquemment l’écriture des recueils Nouvelles de la capitale (édition originale de 1987) et Le Canon des Gobelins (édition originale de 1995), réunis ici en un seul volume, est constituée de multiples renvois thématiques, idéologiques ou formels entre les ouvrages qui composent l’œuvre. »

François Ouellet

DANIEL POLIQUIN est à la fois germaniste, comparatiste et traducteur. Il a traduit de nombreux auteurs de langue anglaise, dont Jack Kerouac, Mordecai Richler et Matt Cohen.Ses romans les plus connus sont La côte de sable (1990), L’Écureuil noir (1994), L’homme de paille (prix Trillium 1998) et La Kermesse. Son essai Le Roman colonial lui a valu le prix Shaughnessy-Cohen en 2002.

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