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Nul ne sait vraiment qui se cache derrière celui oumultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332572509.pdf · Si ce n’est que je suis une salope, une de ces filles que l’on

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Nul ne sait vraiment qui se cache derrière celui ou

celle, qui a décidé un jour de coucher quelques instants de vie, sur une page restée blanche jusqu’alors ! Pourtant, en ce qui me concerne, il n’a jamais été question de vous cacher quoi que ce soit, ou plutôt devrais-je dire, il n’a jamais été question d’user à tort, et surtout à travers, d’un quelconque subterfuge, qui s’attacherait à vous laisser envisager que je ne fusse que la narratrice de cette histoire, alors qu’en fait, j’en suis le principal protagoniste.

Oui, « le principal » ! Je sais, cela peut troubler, moi-même, je le suis, et à vrai dire, je suis même agacée par ce masculin qui m’est imposé par mon correcteur orthographique Microsoft qui n’a de cesse de me rappeler, que quoi que l’on en pense, quoi que l’on puisse en dire, nous vivons dans une société à telle point patriarcale que sa grammaire elle-même, n’a de cesse de se fourvoyer dans une masculinité imposée par la diachronie d’une étymologie qui a le plus grand mal à revoir sa copie.

Que faire alors, si ce n’est patienter, jusqu’à ce qu’une bande de vieillards engoncés dans leur costume d’académicien, se penchent un jour sur ce mot afin de lui accorder un féminin qui mettrait fin une fois pour

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toutes, à l’éventuelle ambivalence d’un genre qui pourrait-être donné à un mot, tout en s’attachant à ce qu’il ne s’agisse pas seulement d’une figure de style consentie, pour satisfaire une anecdotique meute de chiennes de garde, en mal de polémique.

Protagoniste de ce livre, je le suis et je le resterai donc ! N’en déplaise à certains machos qui considéreraient qu’un livre écrit par une femme, ne peut-être qu’un livre de gonzesse écrit pour des gonzesses, je vous invite à me suivre dans ce récit, on verra ensuite si une femme, aussi talentueuse puisse t’elle être, ne peut offrir à ses lecteurs qu’un ramassis de clichés sentimentaux à tels point sirupeux qu’ils en deviennent écœurants, pour celui qui n’a pour unique maître à penser, qu’une bonne dose de testostérone.

Ceci dit, moi-même durant un instant, j’ai douté, jusqu’à arriver même, à me convaincre qu’il serait peut-être préférable que je m’invente un personnage ! Une autre, un autre moi fantasmé, en harmonie avec l’idée que l’on se fait d’une héroïne de roman qui recouvre bien souvent les traits d’une belle plante au visage mutin et à la longue chevelure flavescente, à l’image de toutes ces princesses que notre enfance s’est vue imposer par des contes qui n’ont eu de cesse de nous convaincre que notre existence se réduirait à attendre qu’un jour, notre prince viendra.

A vrai dire, j’ai longtemps hésité, jusqu’à envisager même, que si les traits d’une princesse de conte enchanté seraient peut-être quelque peu attendus, je pourrais néanmoins m’affubler de quelques apparats qui me rendraient séduisante, au point de faire frémir quelques braguettes qui se sont vu imposées, et ceux dès leur prime adolescence, des canons de beauté aux formes généreuses, et aux

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chutes de reins soumises à une cambrure quasi scoliotique, pour exposer un séant aux fesses rebondies, que les hommes disent ne regarder que contraints et forcés.

Comme chacun sait, l’homme est ainsi fait, et qui pourrait lui en tenir rigueur ? Il est un être soumis à quelques attractions incontrôlables qui précipitent son regard vers le bas quand d’un autre côté son bien le plus cher est lui, soumis à une attraction qui n’a rien de terrestre.

Je suis, voilà tout ! Et bien que j’eusse certainement aimé correspondre peu ou prou à ce fantasme d’un corps parfait qui plait tant aux hommes, je ne suis qu’Abigaïl, une femme parmi tant d’autres, qui faute de mieux, se revendique comme étant une femme libérée du carcan imposé par cette société où l’apparence règne en maître absolu.

Ne croyez pas en cela, que je n’aime pas les hommes, bien au contraire, je crois bien que je les ai toujours aimé et que plus encore, que j’ai toujours recherché dans leur regard cette petite lueur de désir qui m’aurait certainement convaincu que ce que m’avait un jour lancé ma grand-mère, paix ait son âme, n’avait été qu’une maladresse.

Pour beaucoup, certainement, cela n’aurait pas eu l’effet que cela a eu en moi, mais pour moi, je l’avoue, ce fut un cataclysme !

« Chaque pot à son couvercle, mon enfant ! Ne t’inquiète pas, un jour un homme saura apprécier ce que tu es. Il faut juste laisser le temps au temps ! Il y a bien un homme en ce bas monde qui saura apprécier ton caractère, et en plus regarde, combien tu es douée,

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bachelière à 12 ans et demi, Major de ta promo à 14, lauréate du conservatoire de Paris… »

Qu’avais-je donc à faire de tout cela, si je n’étais qu’un vulgaire pot à qui on destine un énigmatique couvercle faute de ne pas pouvoir trouver en moi, un soupçon de séduction qui ne m’oblige pas à espérer que seul celui qui saura apprécier en moi, une beauté intérieure, saura être séduit par qui je suis.

Je n’ai que faire de mes diplômes, je n’ai que faire de mes récompenses, si la vie m’impose à accepter le premier couvercle venu, trop convaincue que je suis, qu’il n’existe pour des filles comme moi, qu’un seul et unique couvercle, alors qu’autour de moi, je ne compte plus le nombre de mes amies qui, si pot elles sont, n’ont cependant que très peu à faire de savoir si le couvercle qui ne demande qu’à les couvrir est bien celui qui leur a été destiné.

J’ai longtemps pensé en fait, que je n’étais que l’argument le plus significatif qui a un jour inspiré une réflexion qui a fait sourire, si ce n’est même rire, des générations et des générations d’hommes : « Dieu a créé l’alcool pour que les femmes moches baisent quand même. » 1

Je ne sais pas si dieu dans sa grande mansuétude en a réellement décidé ainsi, mais ce que je sais, c’est que pour moi ces mots raisonnèrent d’une telle manière, qu’à l’heure où la honte d’être encore pucelle s’érige comme un handicap, ils vinrent me soulager et me convaincre que ce serait pour moi, l’unique moyen de devenir une femme, comme on aime à le penser, quand on n’est qu’une gamine âgée à peine de seize ans. 1 Coluche – Extrait du Sketch intitulé, « La politesse »

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Alors, oui, je l’ai fait ! Et des couvercles, j’en ai connus, des grands, des petits, des ronds, des carrés, des plus étanches, des mal foutus, des paumés, des timides désinhibés par quelques verres de whisky-coca, ou d’autres, complètement bourrés qui ne connaissaient pas même mon prénom, mais qui l’acte accompli étaient fier de revenir auprès de leurs amis, pour se vanter de m’avoir fait hurler comme une chienne entre la cuvette des toilettes et la porte d’un WC laissée entrouverte pour qu’une bande d’ados attardés profitent du spectacle.

Cela vous choque ? Et bien soit, mais voilà qui je suis, ou du moins qui je fus à l’heure où l’on rêve que sa première fois reste un souvenir inoubliable.

J’ai très vitre compris en fait, que j’avais un potentiel de séduction ! Certes, pas celui peut-être, d’être sifflée au coin d’une rue, mais celui d’avoir très rapidement acquis une réputation qui fit de moi ce que l’on appelle un bon coup, et quoi qu’il en soit, en cet instant précis, seule une chose comptait alors pour moi, éveiller le désir de tous ces mâles qui ne m’auraient jusqu’alors pas même, consentis un regard.

Je me souviens encore aujourd’hui d’une réflexion lancée à ses copains par un de mes amants d’un soir pour justifier son acte : « Quoi, vous êtes jaloux ? Et bien, vous aviez qu’à y aller vous ! Pour moi, un trou, c’est un trou, et une queue n’a pas d’œil ! »

Je sais, c’est violent ! Pourtant aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne m’a en rien dérangé, bien au contraire, car je venais là, de me taper dans les toilettes, ce qu’on appelle un beau gosse. Un de ces gars qui auraient très bien pu être épinglés sur le mur d’une chambre d’adolescente. Un beau gars, un

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Apollon, un David des temps modernes, à qui la Nature avait tout donné, si ce n’est peut-être un cerveau, mais à quoi bon un cerveau ! Je n’avais que faire de son cerveau, comme lui, n’avait que faire de savoir que j’en avais un !

Nous étions, là, l’un et l’autre ! Pour l’un, c’était un moyen d’assouvir de bas instincts animal, pour l’autre, un moyen d’étancher un mal-être, et bien soit, lui comme moi, nous étions semble t-il satisfait, et je l’étais pour ma part d’autant plus, que je savais que bon nombre des étudiantes qui jouaient de leur croupion sur la piste de danse, en étaient verte de jalousie.

Choqué, vous l’êtes certainement et ce j’imagine, que vous soyez un homme ou une femme ! Oui, je sais, je n’avais alors que seize ans ans, seize petites années d’une existence réduite à devenir une élève brillante, vouée à un bel avenir professionnel, et pourtant, si je vous interroge, que pensez-vous de moi ? Si ce n’est que je suis une salope, une de ces filles que l’on aime pointer du doigt en l’affublant des pires adjectifs, faute de ne pas avoir peut-être essayé de comprendre ce qui avait pu l’amener à ne devenir qu’un vulgaire paillasson sur lequel une bande de mecs prennent un malin plaisir à venir éponger de façon spasmodique quelques millilitres d’un liquide visqueux, opaque et gris opalescent.

L’acte sexuel serait-il ainsi révélateur d’une condition qui ferait de l’homme un prédateur et de la femme une proie ?

Dans l’esprit collectif, oui, sans aucun doute ! Pourtant en ce qui me concerne, il n’a jamais été question d’être une proie. Il n’a jamais été question d’être la victime de qui que ce soit, et certainement

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pas de ces hommes qui sont venus par leurs assauts répétitifs me révéler une féminité alors sclérosée par un physique dont j’avais le plus grand mal à accepter l’image réfléchie par un miroir en pied, placé malencontreusement sur le mur qui faisait face à la cabine de douche de la salle de bain familiale.

Si je me souviens bien, jusqu’à l’âge de dix ans, ce miroir n’avait pour moi qu’un seul et unique intérêt, celui de savoir se recouvrir très rapidement de buée pour que je puisse y faire glisser mes doigts, et y laisser quelques éphémères scribouillages qu’une main maternelle viendrait effacer avec agacement dès ma sortie de la salle bain.

Puis ce fut l’entrée au collège, et au regard de mon soit disant potentiel intellectuel, ce fut aussi ce jour qui bouleversa à tout jamais mon existence. Pour moi, il n’était pas question d’une entrée en sixième, ou encore en cinquième, pas même en quatrième, mais directement en troisième dans une classe d’une quarantaine d’élèves, qui, contraints et forcés, m’accueillirent au sein de leur communauté alors que je n’étais encore qu’un bébé à peine sorti des jupes de sa mère.

On parle souvent de conflit de génération et en général il s’agit d’une bonne vingtaine d’années qui justifient une incompréhension latente qui oppose deux êtres qui n’ont de cesse de vouloir s’affirmer l’un sur l’autre.

Ici, il ne s’agissait pourtant que de quatre petites années, quatre pauvres petites années qui me séparaient d’eux, mais qui à l’échelle de l’ontogénèse psychologique se révélaient être un abyssal gouffre qui m’empêchait ne serait-ce qu’à espérer que l’on puisse considérer que je ne sois autre chose qu’un

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vulgaire cerveau monté sur un corps sur lequel je n’avais jusqu’alors, jamais prêté la moindre attention.

Et ce corps, je m’y suis alors très rapidement intéressée, et ce dois-je dire, grâce aux réflexions cinglantes qui n’ont pas tardé à venir régulièrement s’imposer comme le sujet principal d’une discussion à laquelle on m’invitait soit disant à participer.

« Ah, tu es de face là, je croyais que tu nous tournais le dos ! », « C’est une impression là, ou c’est juste que tu as oublié tes nichons à la maison, ce matin ? », sans parler des sempiternelles et pseudo invitations à des soirées, juste pour me lancer : « Tu sais, si tu veux tu peux venir, mais il faudrait tout de même que tu passes au chirurgien esthétique du coin avant, pour voir s’il n’aurait pas en stock une paire de nichons et quelques gouttes de sex-appeal ! Bon sinon au pire, ce n’est pas grave, tu pourras aller jouer avec ma petite sœur ! Elle est presque aussi grande que toi, on vient de fêter ses quatre ans… »

Qui n’a pas un jour ou l’autre souffert de telles plaisanteries ? Oui, j’en conviens ! Cependant en ce qui me concerne, elles sont venues me frapper à un instant de ma vie durant lequel je n’étais pas encore assez mâture pour comprendre que la méchanceté d’un enfant envers un autre est un acte pulsionnel. Un besoin irrépressible de se servir de l’autre pour satisfaire le sentiment aigu de sa toute puissance, alors qu’en ce même instant, lui-même connaît des bouleversements physiologiques qui submergent sa psyché avec une telle brutalité qu’il pourrait en perdre pied s’il n’arrivait pas à se rassurer en faisant subir à autrui, ce qu’il redoute tant de subir lui-même.

Cette première année de collège fut donc pour moi, cet instant durant lequel je pris conscience du genre qui

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était le mien, et qui plus est, du corps qui se devait d’en être le meilleur ambassadeur. Ce que j’ai cependant omis dans tout cela, c’est que je n’étais alors qu’une enfant qu’une administration avait cru bon de précipiter dans un monde d’adolescents, et très vite, dans celui de jeunes adultes, sans se soucier qu’un QI aussi performant puisse t-il être, n’assurerait pas à une enfant telle que moi la maturité nécessaire pour que je comprenne qu’il faille laisser le temps au temps.

Le temps pour comprendre que ce corps que je regardais dorénavant chaque matin en sortant de ma douche dans le miroir en pied de notre salle de bain, n’était que celui d’une enfant.

Cinq années ont passé, et à mon grand damne, rien n’y a fait, à croire, que cette nature qui m’avait soit disant offert le plus beau des cadeaux en me gratifiant d’un intellect hors du commun, avait oublié que je puisse être autre chose qu’un cerveau !

Mon mètre cinquante huit acquis dès ma onzième année n’avait pas bougé d’un iota, ma silhouette elle, restait incommensurablement celle d’une enfant ! Pas de hanches dessinées, pas de courbes qui sauraient mettre en évidence une féminité naissante, sans parler d’un quelconque mamelon qui saurait me rassurer sur une androgynéité qui m’imposait de revêtir de manière quasi quotidienne les survêtements hérités de mon cousin germain, de quatre ans mon ainé, qui n’avait de cesse de me mettre en boîte en me disant que j’avais, un je ne sais quoi, de Guy Roux. Vous savez, l’emblématique entraineur de l’AJ Auxerre !

Il est un lieu commun d’affirmer que le mot adolescence rime souvent avec confusion. Il serait alors question d’épanouissement, d’affirmation d’une personnalité, si ce n’est de sa construction. Face aux

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bouleversements hormonaux, physiques et irrémédiablement psychiques, il est entendu que la puberté nous impose de faire bon ménage avec son corps pour en accepter ses mutations, et ainsi révéler peu à peu une identité sexuelle.

Soit, j’en conviens ! Mais que se passe t-il quand rien ne se passe ? Quand, développement des seins, apparition de poils pubiens et premières règles ne restent que des thèmes qu’une mère a cru bon d’aborder alors que je n’avais que dix ans et qui, six années plus tard, imposent à cette même mère de venir me rassurer tout en me disant qu’il serait peut-être judicieux de consulter ?

Consulter pour apprendre quoi ? Que le retard pubertaire simple, chez une fille est peu fréquent ? Qu’il serait peut-être temps de considérer qu’il puisse s’agir d’hypogonadisme, d’une insuffisance hormonale telle, qu’un clinicien se risque même à envisager que je puisse être atteinte du Syndrome de Kallmann2 ?

De grâce, je n’ai que faire de toutes ces suppositions qui feraient de moi un être plus à part qu’il ne l’est déjà. Si je n’ai peut-être pas l’apparente maturité d’un corps, je n’en ai pas moins l’intime conviction d’avoir un tempérament qui me permettra

2 Le syndrome de Kallmann (dénommé également syndrome de Kallmann-de Morsier ou dysplasie olfacto-génitale) est une affection rare (estimée à 1/10 000) qui associe un hypogonadisme par insuffisance en hormones gonadotropes hypophysaires et un déficit de la perception des odeurs. Il touche plus souvent les individus de sexe masculin (entre 5 et 10 hommes pour une femme). Les sujets atteints consultent le plus souvent devant une absence de développement pubertaire après l’âge de 14 ans.

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le temps venu de comprendre qu’il n’est pas question pour moi de subir un quelconque dérèglement hormonal qui ne soit pas seulement la simple conséquence d’une société qui a cru bon de précipiter une enfant dans un monde d’adulte sans se soucier que cela puisse être dommageable à l’épanouissement de sa personnalité.

Faire sauter des classes, c’est comme affranchir un être de vivre une part de vie, sans se soucier de ce besoin inhérent à chacun d’entre nous de pouvoir trouver à un instant donné, sa place dans un groupe modelé à son image, qui n’est en fait que le mètre étalon avec lequel tout un chacun se doit de construire ce qu’il est.

Si retard pubertaire, il y eut, c’est tout simplement que très vite, trop vite peut-être, j’ai été confronté à l’image de ces adolescentes de quatre années mes aînées. A ces lolitas et irrémédiablement à ces parents captifs d’une société de consommation qui s’ingénie à ce qu’une délicate robe avec son col Claudine et ses socquettes blanches soient remplacées en un claquement de doigt, par un top au décolleté plongeant et un string en dentelle qui dépasse d’un jean taille basse.

Il n’est pas de mon propos ici de polémiquer, et je laisse à chacun la liberté d’apprécier ou non, le bien fondé d’une telle soumission à un monde fait d’apparences et de faux semblants, qui arrive jusqu’à corrompre une éducation qui se devrait cependant de savoir poser quelques limites.

C’est ainsi, voilà tout ! Et aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai tellement espéré devenir l’une ces lolitas à la fois sexy et outrageusement provocantes que l’insistance de ce désir qui se manifestait dans ce

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rapport que j’avais à l’autre, a bouleversé à tel point mon « moi » le plus profond, qu’il n’a pu que se figer et m’imposer une involution en lieu et place d’un développement pubertaire tant espéré.

Devais-je cependant me résoudre à cette condition et attendre que cela se passe, comme on aime à le dire ? Ou pire encore, que je me laisse trifouiller mon « moi » et mon « surmoi » pour ne pas dire autre chose par une bande de psychologues et de cliniciens ?

Non, si j’étais alors convaincue d’une chose, c’était bien celle d’être consciente que j’avais un tempérament qui ne se satisferait pas d’être soumis à des théories les plus fumantes les unes que les autres.

Je ne dis pas, que j’avais raison de penser cela, mais quoi qu’il en soit, en cet instant de ma courte existence, qui aurait pu aller contre ce désir que j’avais en moi de faire les choses comme moi et moi seule, avais décidé de les faire ?

J’étais ce qu’on appelle une enfant surdouée. Un petit génie, qui depuis son plus jeune âge n’avait eu de cesse de faire la fierté de ses parents à tel point de pouvoir les soumettre à ses moindre désirs.

Un père ouvrier à l’usine, un travailleur acharné, plein de bonne volonté qui, quand loisirs, il avait, préférait les passer avec une bande de copains au comptoir du bistrot du coin à taper le carton en s’enfilant quelques demis pour oublier certainement que cette épouse qui l’attendait, l’avait un jour trompé alors qu’il venait à peine de fêter leur premier anniversaire de mariage.

Un coup de canif dans le contrat, me direz-vous ? Soit, pourquoi pas, mais si je suis honnête avec vous, je dois vous avouer que depuis, il s’agirait davantage

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de considérer pour mon père, qu’il fût dorénavant en mesure de quitter la chaîne de montage de son usine pour se mettre à son compte, et ouvrir une coutellerie.

Pourquoi sont-ils encore ensemble aujourd’hui ? Certainement pour moi, j’imagine, et en même temps en disant cela, je prends conscience que je ne suis peut-être qu’un prétexte qui leur permet de s’amender de ce qu’ils sont, pour que soit inconsciemment reportée sur moi, toute la responsabilité de cette relation qui s’est vue un jour imposer l’apparition d’un petit être par un vulgaire capuchon de latex à la DLC 3 douteuse.

Aussi lucide puisse-être mon père, il n’en reste pas moins un homme fragile qui n’a jamais su, ou peut-être même voulu, se confronter à la réalité d’une union qui s’est convaincue à tort, qu’il suffirait de laisser le temps au temps pour qu’une relation qui débuta un soir de beuverie sur la banquette arrière d’une auto, avec les conséquences que nous connaissons, se transforme en un amour réel et partagé.

Ma mère elle, est ce que l’on appelle, une superbe femme, à qui la vie avait imposé le rôle de femme au foyer, alors que très tôt, dès sa prime adolescence, elle s’était jurée de ne jamais reproduire ce schéma parental qui l’avait contraint bien des fois à enfouir sa tête sous l’oreiller posé sur son lit, pour ne plus entendre les pleurs d’une mère soumise à l’autorité d’un mari, que dis-je, d’un despote, qui n’avait de cesse de l’humilier pour satisfaire de bas instincts machistes.

3 Date limite de consommation (DLC), ou date de péremption.

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Alors qui sait, faute de, n’est-ce pas ce besoin compulsif d’aller voir ailleurs, qui lui a permis, et lui permet encore aujourd’hui, d’exorciser ce sentiment d’acte manqué qu’elle porte inconsciemment en elle ?

Peut-être ! Je ne sais pas ! Mais quoi qu’il en soit pour ma part cela m’a permis de considérer très tôt que « le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n’est pas simple, son présent n’est qu’indicatif, et son futur est toujours conditionnel »4.

Ceci dit, en ce qui me concerne, qu’avais-je donc à faire d’un quelconque sentiment d’amour !

Seule l’apparition de quelques poils sur mon intimité, d’un renflement de ma chair sous mon tee-shirt ou encore de quelques gouttes de sang sur le coton de ma petite culotte, étaient dignes de me procurer une réelle émotion.

Et ça, mère Nature n’était semble t-il pas disposée à me l’offrir, du moins jusqu’à ce que je décide à l’âge de seize ans qu’il était temps que les choses changent. Comme je vous l’ai dit, j’ai la prétention d’avoir du tempérament, et ce je pense, depuis ma plus tendre enfance, alors bien m’en fasse, je me suis alors persuadée que si la puberté ne venait pas à moi, ce serait à moi d’aller la débusquer.

Il est entendu que la puberté est aussi la période de construction de l’identité sexuelle et bien soit, en ce qui me concerne je viendrai, comment dire, court-circuiter, autrement dit, mettre en connexion volontaire les deux points d’un circuit entre lesquels il y a une différence de potentiel.

4 Jean Cocteau

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Si une quelconque chronologie physiologique et psychique peut-être établie entre puberté et sexualité, j’ai alors considéré qu’il me suffirait d’en inverser les pôles, et espérer qu’à la manière d’un arc électrique, ce défaut de connexion provoque un claquage du système tel, qu’il pourrait en recouvrer sa polarité d’origine et réenclencher en moi un processus, jusqu’alors mis en veille.

Vous ne comprenez pas ? Comment pourrais-je vous le dire d’une manière plus sommaire et néanmoins intelligible ?

Et bien voilà, je me suis fait sauter par le premier venu ! Je me suis offerte à l’âge de seize ans à un pauvre mec qui n’avait que faire de moi et de mon androgynéité, si ce n’est pouvoir visiter ma virginité et s’accommoder d’un orifice qui saurait satisfaire cet appétit malsain qu’ont certain mâle pour cette fine membrane qui ferme partiellement l’entrée d’un vagin. Cette virginité, cet hymen, érigé à la hauteur d’un Graal que de couards chevaliers aiment venir distendre à grands coups de boutoir comme un signe certain d’une virilité qui ferait d’eux des hommes d’exception.

Qu’ai-je alors ressenti ? Rien en fait, si ce n’est, oui peut-être, un sentiment de satisfaction, un soulagement frisant l’hystérie au point d’être convaincue que j’avais su faire le bon choix.

Je n’avais que faire de ce sexe qui était venu me perforer ; Je n’avais que faire de ce râle de jouissance qui était venu ponctuer un jet de sperme que cet homme avait cru bon de venir faire mourir sur mon visage comme l’ultime acte imposé à une femme que l’on désire souiller de sa semence pour la marquer de sa dominance.

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Pauvre idiot, du haut de ses trente ans, il pensait être le prédateur alors qu’en fait, il n’était que la preuve évidente que dorénavant je saurai trouver, quand et quand, moi seule je le désirerai, une nouvelle proie pour satisfaire le dessein qui était le mien.

Nourrie par cette nouvelle expérience qui aurait été certainement traumatisante pour bon nombre de mes camarades de classe qui n’avaient de cesse de jouer cependant des apparences pour révéler l’affirmation d’une pseudo sexualité revendiquée, je savais pour ma part, qu’il me suffirait de savoir flirter entre l’ingénue et la salope pour me jouer de la naïveté de tous ces mâles qui viendraient à volo se prendre sur ma toile dont je venais à peine d’acquérir le tissage.

Vous dire que je ressentais déjà quelques soupçons d’une puberté naissante serait vous mentir, cependant ce soir là, quand j’ai retrouvé ma chambre d’enfant, quelque chose avait changé en moi. Un je ne sais quoi d’indéfinissable qui m’invita, et ce, pour la première fois à découvrir mon corps.

Nue sur mon lit, empreinte encore de la puanteur de cet homme qui m’avait défloré, je me suis mise lentement à me caresser, à parcourir chaque centimètre, chaque millimètre de ce corps qui me faisait honte jusqu’alors.

De l’aréole d’une poitrine atrophiée, à ce mont de venus lové sous un douillet coussinet de graisse exempt encore d’une quelconque toison, je découvrais alors le plaisir d’une jouissance, en faisant glisser lentement ma main droite vers ces deux grandes lèvres, ces deux ourlets de chair, sous lesquels se blottissent deux petites lèvres qui se rejoignent pour former un petit capuchon qui protège

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un délicat et innervé bouton de rose qui se gonfle de plaisir au simple contact de mon index tremblant.

Oui, ce soir là, j’ai découvert combien pouvait être intense, fragile, et néanmoins imprévisible cette notion de plaisir jamais ressentie jusqu’alors. S’agissait-il de se consentir le droit d’un lâcher-prise pour contrarier les plans névrotiques de cet inconscient qui nous hante ?

Oui, je le pense ! Et ce que je venais alors de ressentir au plus profond de moi en était l’argument le plus révélateur.

Oui, j’ai joui, joui de cet orgasme à la fois inquiétant et si doux qui nous fait basculer dans cette troublante sensation d’une « petite mort » qui envahit tout notre corps.

Portée par ce plaisir intense, je savais que dès à présent ma vie ne serait pas celle, qu’elle semblait vouloir m’imposer. Oui, j’étais différente ! Oui, ma vie ne serait certainement pas celle que l’on pourrait envisager pour une enfant telle que moi ! Mais en même temps, n’est-ce pas ce qu’une certaine Simone de Beauvoir dont j’avais lu l’Essai, intitulé « le deuxième sexe » alors que je n’avais que onze ans, tentait de me dire, en m’incitant à considérer qu’aucune femme n’a de destin tout tracé. Qu’il suffit de prendre conscience qu’une dichotomie puisse exister, pour que la femme s’impose dans un monde dans lequel, le genre masculin revendique sa toute puissance en ne faisant d’elle qu’un « autre » destiné à être soumis ?

Nul homme ne saura et ne pourra maitriser quoi que ce soit en ce qui me concerne !

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En brisant l’hymen, il pensait puérilement prendre possession de mon corps. Pauvre sot ! Crois-tu vraiment qu’il te suffise de brandir cet excroissance à la fois caverneuse et spongieuse au bout distal élargi et côniforme, pour qu’un simple va-et-vient me soumette à cette dominance imposée aux femmes par des hommes névrosés par leur peur ancestrale des puissances de la germination féminine ?

Aussi singulières puissent paraître toutes ces réflexions, elles ne sont pas moins, que ce j’ai pu ressentir à l’instant même où montait en moi ce plaisir intense qu’un simple index avait su produire.

En découvrant mon corps, je découvrais le plaisir, et aussi étrange que cela puisse paraître, je prenais au même instant conscience de la condition faite aux femmes, pour mieux comprendre tous ces mots qu’une certaine Simone de Beauvoir avait cru bon de coucher sur des pages et des pages d’un essai hautement philosophique et existentialiste.

Cependant, mais peut-être suis-je dans l’erreur, ou tout simplement suis-je en train de faire un contre sens, il semblerait que pour Simone de Beauvoir, il fut question d’envisager une émancipation féminine, et qui plus est, d’une émancipation qui ne pourrait-être, que si elle est la résultante d’une volonté solidaire, de l’homme et de la femme.

Là, je vous l’avoue je suis en total désaccord avec elle, et ce, ne serait-ce que par l’utilisation même du terme d’émancipation. Pourquoi devrions-nous être émancipées ?

L’homme et la femme ne sont-ils pas, deux êtres à part entière, dont la dichotomie ne ferait qu’affirmer à l’un comme à l’autre qu’ils existent en temps que