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2008 - N° 101 FORMATION EMPLOI 41 Regards croisés sur les relations formation-emploi Numéro anniversaire L’ancien, l’établi, l’émergent et le nouveau : quelle dynamique des activités professionnelles ? Didier Demazière* L’analyse sociologique révèle que les processus d’émergence, de formation, de cristallisation de nouvelles activités professionnelles forment un mouvement ambigu et paradoxal. Elle débouche ainsi sur une théorisation plurielle : professions, professionnalisation, professionnalisme… Les activités professionnelles constituent un objet fuyant, en raison des incertitudes persistantes sur la signification du qualificatif « professionnel ». L’alternative (ce qui n’est pas professionnel) fait d’ailleurs l’objet de désignations multiples : béné- vole, militant, domestique, amateur, profane, débu- tant sont autant de manières de caractériser des pratiques de travail. Plus encore le tracé des limites est, chaque fois, malaisé et sujet à controverses. Par ailleurs, l’hétérogénéité interne des activités profes- sionnelles ajoute encore à cette confusion. Ici aussi la palette des termes permettant de caractériser, spécifier, distinguer, mais aussi classer, ordonner, hiérarchiser, est extrêmement riche : le métier, la profession, la qualification, la spécialisation, la certi- fication, l’occupation, l’emploi, la fonction, etc., peuvent tour à tour être convoqués. S’y ajoutent encore les dynamiques de changement, qui font des distinctions entre activités professionnelles des divi- sions relatives et instables. Si ces processus et jeux sont mieux identifiés et renseignés, c’est parce qu’au cours des dernières décennies les recherches empiriques se sont multi- pliées, offrant une abondance de monographies sur des mondes professionnels toujours plus variés 1 . Ces 1 Il est impossible de dresser, dans le cadre de cet article, un panorama exhaustif de ces recherches. Mais l’éventail des activi- tés professionnelles étudiées par les sociologues s’est rapidement élargi : à côté des domaines assez classiques, comme la santé (médecins généralistes, chirurgiens, infirmières, psychothérapeutes, ou encore acuponcteurs ou homéopathes…), le droit (avocats, juges, * Didier Demazière est sociologue, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire Printemps, univer- sité Versailles Saint Quentin. Il a notamment publié : Demazière D. & Gadéa C. (dirs.), Sociolo- gie des groupes professionnels. Acquis récents, nouveaux défis, Paris, La Découverte, collection « Recherches », 2008 (sous presse). Demazière D., Sociologie des chômeurs, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2006.

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2008 - N° 101 FORMATION EMPLOI 41

Regards croisés sur les relations formation-emploi

Numéro anniversaire

L’ancien, l’établi, l’émergent et le nouveau : quelle dynamique

des activités professionnelles ?

Didier Demazière*

L’analyse sociologique révèle que les processus d’émergence, de formation, de cristallisation de nouvelles activités professionnelles forment un mouvement

ambigu et paradoxal. Elle débouche ainsi sur une théorisation plurielle : professions, professionnalisation, professionnalisme…

Les activités professionnelles constituent un objetfuyant, en raison des incertitudes persistantes sur lasignification du qualificatif « professionnel ».L’alternative (ce qui n’est pas professionnel) faitd’ailleurs l’objet de désignations multiples : béné-vole, militant, domestique, amateur, profane, débu-tant sont autant de manières de caractériser despratiques de travail. Plus encore le tracé des limitesest, chaque fois, malaisé et sujet à controverses. Parailleurs, l’hétérogénéité interne des activités profes-sionnelles ajoute encore à cette confusion. Ici aussi lapalette des termes permettant de caractériser,spécifier, distinguer, mais aussi classer, ordonner,hiérarchiser, est extrêmement riche : le métier, laprofession, la qualification, la spécialisation, la certi-fication, l’occupation, l’emploi, la fonction, etc.,peuvent tour à tour être convoqués. S’y ajoutentencore les dynamiques de changement, qui font desdistinctions entre activités professionnelles des divi-sions relatives et instables.

Si ces processus et jeux sont mieux identifiés etrenseignés, c’est parce qu’au cours des dernièresdécennies les recherches empiriques se sont multi-pliées, offrant une abondance de monographies surdes mondes professionnels toujours plus variés1. Ces

1 Il est impossible de dresser, dans le cadre de cet article, unpanorama exhaustif de ces recherches. Mais l’éventail des activi-tés professionnelles étudiées par les sociologues s’est rapidementélargi : à côté des domaines assez classiques, comme la santé(médecins généralistes, chirurgiens, infirmières, psychothérapeutes,ou encore acuponcteurs ou homéopathes…), le droit (avocats, juges,

* Didier Demazière est sociologue, directeur derecherche au CNRS, Laboratoire Printemps, univer-sité Versailles Saint Quentin. Il a notammentpublié : Demazière D. & Gadéa C. (dirs.), Sociolo-gie des groupes professionnels. Acquis récents,nouveaux défis, Paris, La Découverte, collection« Recherches », 2008 (sous presse). DemazièreD., Sociologie des chômeurs, Paris, La Découverte,collection « Repères », 2006.

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recherches ont aussi permis de mettre en évidence lavariété des niveaux d’analyse de ces mondes, qu’ilssoient appréhendés à travers le prisme du groupeprofessionnel (Dubar & Tripier, 1998) ou du métier(Piotet, 2002). Le même terme de métier peut dési-gner, selon les cas, des objets analytiques trèshétérogènes : un secteur ou domaine d’activité carac-térisé par une production spécifique, par un systèmed’offre et demande de travail, par une relationsalariale ; ou bien une fonction productive interne àune entreprise inscrite dans l’organisation du travailet les modalités d’agencement des compétencesnécessaires à la production ; ou bien encore une acti-vité professionnelle maîtrisée par un ensemble depersonnes détentrices du même diplôme, possédantles mêmes attributions, voire intégrées dans unecommunauté plus ou moins organisée ; ou bienencore un ensemble reconnu, de diverses manières,de savoirs professionnels auquel l’individu peut seréférer pour énoncer son identité au travail.

Il reste que l’ouverture à de nouveaux terrains, asso-ciée à des réflexions plus transversales, a indéniable-ment permis de porter une attention particulière à ladynamique des activités professionnelles (Lucas &Dubar, 1994). Les fils ont ainsi été renoués avec destravaux plus anciens et inauguraux qui, s’ils ont étéquelque peu éclipsés, soulignaient les caractèrespluriel et incertain des processus de structuration desactivités professionnelles (Tréanton, 1961 ; Maurice,1972 ; Chapoulie, 1973). Cette inflexion, à la foisempirique et théorique, a correspondu à un déplace-ment des terrains hors du champ étroit des professions

établies ou libérales (les professions au sens anglo-saxon). Des expressions comme « nouveaux métiers »,« nouvelles professions », « métiers émergents »,« professions émergentes » en témoignent. Mais ellesinvitent aussi à s’interroger sur les catégories dunouveau et de l’ancien, de l’établi et de l’émergentdans le champ professionnel. Il est difficile de traitercette question en dressant un tableau classificatoiredes activités professionnelles, d’autant que le risqueest alors grand de reprendre des catégories politiquesou administratives. Mais cette interrogation constitueun solide point d’entrée pour tenter d’identifier quel-ques problématiques saillantes qui rendent comptedes dynamiques professionnelles et des processus deconfiguration des activités de travail.

Le cheminement proposé est organisé autour de troisbalises, enracinées dans des cadrages théoriques endébat aujourd’hui : nous partirons du procès de divi-sion du travail et de spécialisation professionnelle, quiconstitue un objet d’analyse classique de lasociologie ; puis nous interrogerons les modèles de laprofession et de la clôture des marchés du travail, quidialoguent avec les analyses des recompositionsprofessionnelles ; enfin, nous analyserons les figuresdu professionnel qui sont à l’œuvre dans la recomposi-tion continue des activités de travail, sous les traits dela professionnalisation ou du professionnalisme.

DIVISION DU TRAVAIL ET SPÉCIALISATION PROFESSIONNELLE

Marx a bien montré combien la division du travail estun thème central de la réflexion, philosophiqued’abord et économique ensuite, sur le social et l’exis-tence même des sociétés (Marx, 1867). C’est que ladivision du travail n’est jamais réductible à sa dimen-sion technique. Elle est intrinsèquement sociale, etelle distribue les hommes dans des « métiers » dontl’éventail est en correspondance avec les « besoins » :dès lors, en instaurant une interdépendance entre lesindividus, la division du travail fonde la société.Cette conception originelle s’est enrichie peu à peud’une dimension historique, formulée par l’économiepolitique à partir du XVIe siècle en termes de progrès,et qui pourrait être résumée ainsi : « la division du

procureurs, mais aussi médiateurs juridiques), ou l’enseignement(professeurs du secondaire, instituteurs, chefs d’établissements, ouencore formateurs d’adultes), ou encore le travail social (assistantessociales, assistantes maternelles, conseillères conjugales, aidesfamiliales, ou encore médiateurs sociaux), s’ajoutent des activitésfort diverses, comme les arts (comédiens, musiciens d’orchestreclassique, baroqueux, jazzmen, artistes de cirque ou encore restau-rateurs d’œuvres d’art), les services aux particuliers (vendeurs,chauffeurs-livreurs, postiers, téléopérateurs, conseillers bancaires,facteurs, conseillers funéraires ou encore courtiers en ligne), desactivités intellectuelles (journalistes, urbanistes, créatifs en publi-cité, ou encore chasseurs de tête), des petits métiers traditionnels(pêcheurs, concierges, ouvriers, boulangers ou encore dockers), desagents de l’administration publique (policiers, conseillers profes-sionnels, liquidateurs de caisse de retraite, inspecteurs du travail,aides-soignantes, ou encore guichetiers dans diverses organisa-tions), des formes atypiques d’activité (dirigeants associatifs béné-voles, élus locaux, sportifs de haut niveau, prostitués, écrivainspublics, développeurs de logiciels libres ou encore vendeurs dejournaux à la criée), etc. Pour un aperçu de cette production, on peutse reporter à Demazière & Gadéa, 2008.

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Regards croisés sur les relations formation-emploi

travail n’est pas simplement un fait acquis, sanc-tionné et illustré par l’existence traditionnelle desmétiers […] ; c’est un instrument économique à ladisposition des entrepreneurs. » (Séris, 1994, p. 15)Smith est emblématique de cette perspective, qui,notamment dans son célèbre exemple de la manu-facture d’épingles, voit dans la division du travail lasource de la productivité du travail et, partant, de larichesse des nations (Smith, 1776).

Une division morale et fluctuanteLa division du travail apparaît dès lors comme unprocès de recomposition continue des activitésprofessionnelles qui, ce faisant, affecte l’organisationsociale. Tout en dénonçant ce qu’il considère commeune vulgate libérale, Durkheim reprend cette idée,présente chez Smith, selon laquelle la division dutravail est la base du lien social dans les sociétésindustrielles, et il fait même de l’analyse des évolu-tions de la division du travail un des fondements dela sociologie (Durkheim, 1893). Car si, selon sacélèbre formule, elle doit être source de « solidaritéorganique » et de coopération volontaire, elle nedevient pas automatiquement un ciment efficace dela cohésion sociale, en témoigne l’extension de lamisère ouvrière, des conflits sociaux, de l’individua-lisme destructeur, de l’anomie. C’est pourquoi, dansla préface à la seconde édition (1902), Durkheim enappelle à une emprise plus forte de la division dutravail sur l’organisation sociale, à travers la créationde corps intermédiaires constitués sur des basesprofessionnelles, et figurant des autorités moralesdépartageant les conflits et assurant l’ordre, commecela était déjà le cas pour « l’avocat, le magistrat, lesoldat, le professeur, le médecin et le prêtre »(Durkheim, 1902 , III).

Ce point de vue, normatif, met l’accent sur la dimen-sion institutionnelle de la division du travail, quidevrait se traduire par la constitution de groupements– professionnels – intercalés entre l’État et les indi-vidus. Mais la question des tensions entre la recom-position des activités professionnelles et cetteinstitutionnalisation n’est pas résolue : comments’articule le processus permanent de division dutravail et l’émergence de nouveaux groupements ?Toutefois, cette approche a le mérite de soulignercombien le travail ne peut être réduit à un geste

technique, à une action économique, à un échangemarchand, mais incorpore une dimension morale.Cette idée a été largement reprise depuis, en particu-lier par les perspectives interactionnistes, qui font dela division du travail la matrice des changementsprofessionnels, des transformations des occupations,des évolutions des métiers.

En affirmant que « la division du travail dans lasociété n’est pas purement technique comme on lesuggère souvent. [Qu’] elle est aussi psychologiqueet morale », Hughes (1951, p. 89), dessine un cadredans lequel s’inscriront nombre de travaux empiri-ques contemporains sur les recompositions des acti-vités professionnelles. Son point de vue signifie toutd’abord que la division du travail ne se réduit pas à ladifférenciation des activités, mais implique l’interac-tion. Cela a plusieurs implications. Ainsi les diffé-rentes tâches accomplies par tel ou tel individu sontinsérées dans des ensembles plus vastes : tout travailest inscrit dans une « matrice institutionnelle » deplus en plus complexe, dans laquelle interviennentd’autres catégories de travailleurs, mais aussi « unefoule de non-professionnels » (Hughes, 1956 , p. 67).Ces autres acteurs, travailleurs ou non travailleurs,organisés ou non organisés, développent leurspropres conceptions de ce que doit être le travail, sonproduit et son résultat, les introduisent dans lemaillage des relations sociales, les défendent demanière plus ou moins véhémente. Tout travail estdonc pris dans des faisceaux d’interactions quiportent sur la délimitation des territoires profession-nels, qui ont pour enjeux des monopoles et desconcurrences, qui visent à redéfinir les attributions,qui produisent des jugements de légitimité, etc. Ence sens, les différenciations professionnelles sontinstables, les métiers sont provisoires, les spécialitéssont temporaires, et « de plus en plus de travailleursinterviennent dans une division du travail aux limitestoujours fluctuantes » (Hughes, 1956 , p. 67).

Un indice de changement : les appellations d’activité

Les recompositions des activités professionnellesapparaissent d’emblée au centre de cette perspec-tive qui, en cela, pose frontalement la question dece qui change, de ce qui est nouveau. L’attentionaux appellations et dénominations utilisées pour

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désigner les activités professionnelles est une pisterégulièrement empruntée pour interroger le change-ment – éventuel –, repérer l’émergence de fonctionsinédites, débusquer des cristallisations à l’œuvre. Defait, dans notre société, chacun fait un travail qui a unnom, voire plusieurs2. Et la catégorisation du travailest bien au cœur des interactions professionnelles,qui sont une matrice de production de significations,dont le langage est un véhicule privilégié (Demazière,2003). Les étiquettes professionnelles sont dessymboles, et leur prise en compte ne doit pas dériververs une approche nominaliste qui verrait dansl’apparition d’un nom de métier la preuve de l’émer-gence d’un « nouveau métier » (Zune, 2003). Car si laproduction, l’appropriation et la diffusion d’un nom– appelé couramment nom de métier – signalent aminima une tentative de constitution d’un domained’expertise, en revanche l’existence d’un tel nom nesignifie pas que l’on n’a pas affaire à un « métierflou » (Jeannot, 2005). D’autant que les noms sontdes ressources symboliques mobilisables pour établirdes appartenances et fixer des exclusions, pour (se)qualifier ou pour disqualifier. Ils ont un grandpouvoir d’évocation, sont des armes au service de lacaricature comme de la glorification, incorporentfierté ou mépris (Hughes, MacGill, 1952). Mais dumoins le repérage des appellations professionnellesconstitue un point d’entrée pour diagnostiquer enquoi il y a ou non des changements dans le travail.

Un terrain propice à cette approche est celui dutravail social, parfois rebaptisé intervention sociale,car s’y sont multipliées de nouvelles dénominationsd’activité, à côté des appellations « installées »(Beynier, 2002, p. 37), c’est-à-dire plus anciennes etappuyées sur des diplômes spécialisés, telles« assistant de service social » créée en 1932,« éducateur de jeunes enfants » en 1959, « éducateurspécialisé » en 1967. Une enquête conduite auprès deplusieurs centaines de personnes appartenant à lanébuleuse du travail social a fait émerger, après reco-

dage des catégories indigènes, près d’une trentained’appellations désignant des formes d’exerciceprofessionnel qui, pour une bonne part, ne correspon-dent à aucun diplôme spécifique, mais sont en usagedans le secteur, comme : animateur d’insertion,accompagnateur social, conseiller d’insertion, agentde développement, agent de proximité, etc. La priseen compte des tâches et des fonctions correspon-dantes met en évidence d’importants décalages avecles dénominations professionnelles. Plus, celles-cirecouvrent, et en quelque sorte dissimulent, des fais-ceaux d’activités hétérogènes, dispersées, sans véri-table cohérence, au point qu’une « lecture desprofessions de l’activité du secteur social à traversune classification inspirée de l’histoire des profes-sions sociales et de leur mode de certification n’estsans doute plus pertinente » (Ibid, p. 48). Les acti-vités du travail social sont donc traversées par unesorte de chaos linguistique qui peut être interprétécomme un signe de mutation des classements profes-sionnels et de déstabilisation d’une division dutravail qui s’était cristallisée dans des appellationscodifiées. Mais cette frénésie sémantique n’informepas en tant que telle sur d’éventuels agencements denouvelles activités ou sur les déplacements defrontières ; elle en constitue une trace, dont les signi-fications restent à expliciter (Ion, 1998 ; Autès,1999 ; Chopart, 2000).

Il est difficile d’établir si ces transformations fontémerger de « nouveaux professionnels du social »(Belhadj, 2006, p. 74), non seulement parce que lanotion de professionnel est éminemment polysémique,nous le verrons, mais aussi parce que le caractère denouveauté exige un examen approfondi, et, ce qui estplutôt rare, une mise en temporalité historique (Muel-Dreyfus, 1983). Du moins il est clair que l’actionpublique en direction des populations les plus vulnéra-bles ou fragilisées a été soutenue par la production d’unvocabulaire renouvelé, désignant les modes d’inter-vention, donc les activités : aide, prévention, accompa-gnement, conseil, etc. Dans le domaine connexe dutraitement du chômage, le terme « conseiller » sembles’imposer pour désigner les agents institutionnels, maisen association avec des objets ou des professionnalitésfort divers : emploi, insertion, recrutement, formation,orientation, carrière, conversion, etc. (Benarrosh,2006 ; Demazière, 2006). Mais leurs activités

2 Ainsi, il y a de multiples manières de définir sa situation profes-sionnelle, en puisant à des registres discursifs variés : intitulés demétier (teinturier, notaire, chauffeur), noms d’entreprise (agentSNCF, salarié chez Peugeot, équipier chez MacDonald’s), dési-gnations de statut (intermittent du spectacle, fonctionnaire, intéri-maire), descriptions de fonction (chef de projet, responsable desachats, chef de service), dénominations de groupes sociaux(ouvrier, employé, cadre), appellations de positions hiérarchiques(contremaître, cadre supérieur, dirigeant), etc.

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Regards croisés sur les relations formation-emploi

(dispenser des conseils, informer sur des recrutements,mettre en relation avec des entreprises, recommanderauprès des employeurs, garantir les qualités du travail,etc.) sont-elles significativement modifiées, leursprofessionnalités sont-elles significativement inflé-chies, leur travail est-il significativement reconfiguré ?Et comment mesurer le significatif ?

Les exemples abondent de redéfinition des appella-tions professionnelles, parfois les mieux établies :« opérateur », « équipier », « collaborateur », sontautant d’expressions désormais en vogue dansl’industrie, le commerce ou les services ; les« femmes de ménage » sont devenues « techniciennesde surface » (Vasselin, 2002), les « éboueurs » sontdevenus « ripeurs » (Dubernet, 2002), les « employésbancaires » sont devenus « conseillers financiers »(Roux, 2006), etc. Et nombre de recherchesl’établissent, ces changements de noms renseignentsur les dynamiques des activités professionnelles,mais au titre de point de départ de l’analyse. Ellesconduisent à considérer l’activité de nomination et decatégorisation elle-même : qui donne un nom, quil’impose, pour combien de temps, avec quelle signi-fication, dans quel but ?

Dans cette perspective, il est indispensable deprendre en compte la diversité des instances d’énon-ciation, variant depuis les travailleurs directementconcernés, constitués ou non en groupe d’intérêt,jusqu’à l’ensemble des acteurs avec lesquels ils inte-ragissent, directement ou non (collègues directs,supérieurs hiérarchiques, clients, autres groupesd’intérêts, autorités publiques…), et la diversité descontextes d’énonciation, variant depuis les échellesde la situation de travail (l’atelier, le bureau, et tousles contacts engagés au travail), en passant par lesespaces de négociation et de représentation (scènesmettant en jeu les employeurs ou les autoritéspubliques) jusqu’aux interactions plus privées (ycompris les échanges avec un enquêteur). Ainsi cesétiquettes englobent des jugements en termes devaleurs, incorporent des niveaux de prestige. En cesens, les appellations professionnelles sont moins destermes descriptifs que des termes symboliques parlesquels les individus ou les groupes – et pas seule-

ment ceux qui sont les premiers concernés – tententde contrôler et infléchir la définition du travail. Cesont des symboles de la conception du travail qui estrevendiquée et/ou attribuée, et qui est prise dans desrapports sociaux.

La définition de ce que sont les activités profession-nelles est donc un enjeu de luttes continues, et c’estsans doute un acquis des recherches que d’en prendreacte pour analyser les fluctuations de la division dutravail comme le produit d’interactions sociales et derapports de pouvoir. Cela conduit à mettre l’accentsur les enjeux d’identification des activités profes-sionnelles, de leur catégorisation – par exemplecomme métier ou profession –, et plus largement deleur reconnaissance sociale. S’y articulent les pistestracées par les approches en termes de modèleprofessionnel ou de clôture des marchés du travail.

MODÈLE DE LA PROFESSION ET CLÔTURE DES MARCHÉS DU TRAVAIL

Le modèle de la profession dans son acception fonc-tionnaliste a été élaboré pour analyser les professionslibérales du droit et de la santé, correspondant auxformes professionnelles les plus établies et consa-crées. Aussi il apparaît peu adéquat pour retracer lesprocessus d’émergence, et de reconnaissance éven-tuelle, d’activités professionnelles indistinctes oumal identifiées. Celles-ci ne peuvent, par définition,correspondre à l’idéal-type de la profession, codifiésuccessivement par Carr-Saunders et Wilson (1933),Parsons (1949), Merton (1957), et surtout Wilensky(1964). Ce schéma fonctionnaliste consiste àdérouler une « mise en histoire d’une définition apriori » (Abbott, 1988, p. 10), qui se ramène finale-ment, de manière normative, à « départager le bongrain de l’ivraie » (Paradeise, 1988, p. 11). Pourautant, l’attention aux stratégies professionnelles declôture des marchés du travail, et aux processus,concurrents de diversification des activités et dedéstabilisation des divisions établies, traversenombre d’analyses.

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Stratégies professionnelles et production de monopoles

Si la différenciation des activités professionnelles estreliée à des mécanismes de quête de reconnaissance desavoirs légitimes et de compétences spécifiques, àmême de rendre les travailleurs non substituables dansune activité productive donnée, elle peut débouchersur la conquête de monopoles et la clôture du marchédu travail. Les professions libérales correspondent à cecas de figure, mais elles ne constituent qu’un cas parti-culier de contrôle de l’accès au métier, de surveillancede ses marges, de garantie de la compétence technique(Paradeise, 1988). En fait, cette clôture peut résulter dedeux processus historiques bien distincts, de deux« stratégies professionnelles » (Larson, 1977). Lapremière s’appuie sur la mobilisation de travailleursdotés de connaissances spécialisées et d’un certainprestige, qui parviennent à s’équiper d’instrumentsgestionnaires aptes à assurer une clôture technique,symbolique et économique et un contrôle internerigoureux de leur activité, et réussissent à obtenir lareconnaissance de la légitimité de cette stratégie parl’État et leur clientèle. Les avocats constituent un bonexemple d’auto-gouvernement professionnel fondésur un « modèle collégial », suffisamment solide pourrésister au morcellement interne entre pratiques etorientations différenciées (Karpik, 1995). La seconderepose sur la création par l’État d’instruments de régu-lation de l’accès à des positions professionnelles,fixant ainsi le cadre d’une définition institutionnelledu travail. La réglementation des formations, selonune logique parente avec le modèle de la qualification(Dubar, 1996 ; Paradeise & Lichtenberger, 2001) enconstitue une illustration classique mais non exclusive.Ainsi, dans le cas de la batellerie, la création del’Office des voies navigables vise à réglementer l’attri-bution du fret de manière à maintenir une activitéartisanale en déclin (Lesueur, 1986).

Dans un cas, la stratégie de clôture est portée par unacteur collectif (des travailleurs exerçant une activitéspécifiée) qui lutte pour fixer des règles organisantl’exercice de son activité et pour la reconnaissancede son expertise. La construction d’un groupe profes-sionnel organisé joue alors un rôle central. Dansl’autre cas, la stratégie est impulsée par l’État, quiédicte des règles encadrant l’exercice d’une activité,sans que le contrôle des conditions d’entrée et des

modes d’exercice ne soit détenu par une organisationprofessionnelle. Ces deux mécanismes de reconnais-sance professionnelle sont fréquemment articulés.C’est le second qui a surtout été exploré dans lesrecherches françaises récentes, en correspondanceavec le rôle central de l’État et le fait que, « parmices règles, l’obligation de détenir un diplômenational donné pour exercer une activité donnée estassez caractéristique de la situation française »(Labruyère, 2000, p. 35). On peut y voir aussi unetrace de la faiblesse des ressources d’action denombre de catégories professionnelles qui peinent àse mobiliser et à devenir des groupes professionnels,qui sont confrontées à un contexte de déstabilisationde l’emploi, et qui restent identifiées par des fron-tières poreuses et floues (Abbott, 1995), comme c’esttypiquement le cas dans le champ des services à lapersonne. S’y ajoute encore le fait que les terrainsprivilégiés ne portent guère sur les catégories supé-rieures de travailleurs. En effet, ces mouvements ontparticulièrement été étudiés dans le cas des travailleurssociaux, confrontés à d’importants changements :déstabilisation de professions réglementées, transfor-mations du travail et émergence de nouvelles activités,apparition de nouvelles catégories d’intervenants, enparticulier dans l’espace public.

Codification de titres et nébuleuse des fonctions

Le secteur du travail social a été structuré sur la based’une logique qui reliait, dans une correspondancestricte, la certification (diplômes d’État), l’intitulédes postes, et les fonctions exercées. Ce modèleprofessionnel de régulation des entrées sur ce marchédu travail est particulièrement prégnant pour lesassistantes sociales ou les éducateurs spécialisés. Ilorganise également la différenciation des métiers, lahiérarchie des statuts et le déroulement des carrières.Trois composantes saillantes de ce modèle permet-tent d’en comprendre la force. Le recrutement desseuls titulaires de diplômes professionnels certifiéspar l’État est une norme forte du secteur. La déten-tion du diplôme est un fondement majeur de la légiti-mité professionnelle revendiquée par les travailleurssociaux. Elle joue le rôle d’une licence d’expertise,attestant de l’apprentissage de savoirs codifiés,conférant un titre, et garantissant l’appropriation d’une

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Regards croisés sur les relations formation-emploi

déontologie spécifique régulant les relations avec lesdestinataires de l’action sociale. La seconde dimen-sion est l’adéquation entre intitulé de poste et intituléde diplôme : « ces appellations stabilisées en corres-pondance avec des titres diplômants signent la capa-cité d’un groupe professionnel à faire reconnaître lemonopole qu’il a acquis dans l’exercice d’unefonction. » (Chopart, 2000) Le troisième élément, quifait système avec les deux précédents, concerne lesconditions d’emploi : celles-ci sont pour l’essentielencadrées par les règles de la fonction publique et desconventions collectives où le titre diplômant requis estconverti en position dans ces statuts.

Depuis les années 80, ce système d’emplois a étéouvert à d’autres agents, moins diplômés ou qualifiés.Cette ouverture par diversification des fonctionsrépond à une transformation des formes de l’actionsociale et à une spécialisation croissante des activitéscorrespondantes. Le développement des activitésd’aide à domicile en constitue un exemple caractéris-tique : pour des raisons complexes relevant pour partiede la maîtrise des coûts, il a été assuré par le recrute-ment de personnels ayant des niveaux de diplôme plusfaibles et ayant suivi des formations plus diversifiées(Clergeau & Dussuet, 2005). S’y ajoutent des expé-riences, rares mais significatives, de validation desacquis de l’expérience ayant débouché sur la créationde diplôme, comme celle du diplôme d’État d’auxi-liaire de vie sociale (Labruyère, 2006). Cela a eucomme conséquence une très nette complexificationdu secteur avec l’entremêlement des modes d’inter-vention rassemblés dans ce que certains qualifient de« bazar » du social ou de grande « nébuleuse » demétiers (Ion & Ravon, 2000).

Désormais, les intitulés de poste deviennent plusnombreux et fluctuants. Ils renvoient à la descriptiond’une fonction ou d’une mission plus qu’à un titrecodifié. L’entrée dans le secteur, ou du moins l’accèsà certaines positions dans ce secteur – généralementles positions les plus basses – s’appuie moins sur lepassage par des filières de formation spécialisées quesur l’identification de savoirs et savoir-faire – etmême savoir-être – que l’on peut dénommer« expérientiels », tels que la culture d’appartenance,l’expérience personnelle, l’histoire familiale, l’enga-gement, ou tout simplement la jeunesse qui « devientune compétence » (Divay, 2003). Cela est particuliè-

rement souligné à propos du recrutement de candi-dats pour le travail de médiation sociale. Car ce sontles savoirs pratiques, personnels et quasi domes-tiques, déconnectés de tout processus d’apprentis-sage et même de toute expérience professionnelle,comme la capacité à entrer en contact avec la popula-tion, qui sont valorisés (Demazière, 2004). Ainsi« les compétences individuelles, les expériencesaccumulées, voire même des qualités identitairespermettent l’accès à un marché du travail social quiserait désormais plus “ouvert” » (Chopart, 2000).Cette priorité donnée aux « savoirs du proche »(Boltanski & Thévenot, 1991) sur les savoirs savantsattestés par des titres scolaires ou des qualificationsprofessionnelles validées introduit une rupture dansla tradition du travail social. Et le dispositif public ditdes « emplois-jeunes » a, à cet égard, joué un rôle derévélateur en mettant en visibilité, sur un modevolontariste traduisant l’objectif politique de créationde « nouveaux emplois » correspondant à des« nouveaux services », des activités professionnellesfaiblement configurées et mal définies (Cahiers de laSécurité Intérieure, 2000 ; Bouygard & Gélot, 2002).

Le devenir des professions réglementées et l’émer-gence d’activités floues ne sont donc pas deuxprocessus complètement étanches. Non pas parce quela conquête de monopole serait une perspectivenécessaire et un passage obligé dans le procès dedifférenciation des activités, mais parce que lesmécanismes de fermeture sont, au moins potentielle-ment, provisoires. Dès lors, les dynamiques profes-sionnelles doivent être analysées en contextes, dansune perspective écologique prenant en compte lesenvironnements et les jeux d’acteurs et institutionsexternes dans lesquels les ensembles professionnelsévoluent (Abbott, 2003). Cette perspective est appro-fondie autour des interrogations sur les figurescontemporaines du professionnel et les ambiguïtés dela professionnalisation.

AMBIGUÏTÉS DE LA FIGURE DU PROFESSIONNEL

Les instances de définition du travail et de sescontours, et de contrôle des modes opératoires et de

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l’efficacité, sont multiples : managers et hiérarchiedans le modèle de la bureaucratie, consommateurs etclients dans le modèle du marché, ou encoretravailleurs spécialistes eux-mêmes dans le modèledu professionnalisme (Freidson, 2001). C’est à cettetroisième logique qu’est classiquement associée lafigure du professionnel, qui implique alors la déten-tion de savoirs d’expertise reconnus et acquis àl’issue d’une formation spécifique, et un contrôle del’espace d’exercice de l’activité. Si des recherchesrécentes ont bien mis en évidence la montée en puis-sance de cette figure, elles montrent aussi qu’elle nes’épuise pas dans les revendications des travailleurs,mais devient un horizon d’attente externe, porté pardes acteurs qui tentent de configurer de l’extérieurdes activités de travail. La professionnalisation, entant que catégorie de l’action, en est une premièretraduction, et le professionnalisme une seconde.

La professionnalisation des travailleurs et des services

Ce terme est devenu, au cours des années 90, une« catégorie d’intervention publique » (Guitton,2000). Associée aux objectifs de développement desemplois familiaux, les plus proches des activitésdomestiques réputées non professionnelles (Causseet alii, 1997), elle s’est diffusée au système éducatifoù elle est appliquée aux formations, cursus,diplômes (HCEE, 1996), et elle est devenue incon-tournable dans le cadre des politiques de lutte contrele chômage où elle a dévalué la matrice antérieure dela qualification (Labruyère, 2000). Le programme« nouveaux services, nouveaux emplois »3 a fourniun terrain fertile pour analyser les métamorphoses dela professionnalisation, en particulier dans ledomaine de la prévention des conflits dans lesespaces publics, de l’animation urbaine, de l’entre-tien des liens sociaux, etc. (Collard, 2001 ; Gadrey &alii, 2001 ; Divay, 2002 ; Astier, 2007), autant d’acti-

vités promues par le truchement de la volonté poli-tique et de l’action publique au rang de « nouveauxmétiers ». Ces recherches ne mettent jamais enévidence l’émergence de formes d’organisationcollective des travailleurs engagés dans ces activités,dont le but serait de faire valoir leur expertise et denégocier, avec des employeurs ou l’État, une recon-naissance, et a fortiori une fermeture du marché dutravail. D’ailleurs, la professionnalisation est moinsune revendication explicite des travailleurs qu’unobjectif fixé en amont même de leur recrutement parles pouvoirs publics promoteurs du dispositif dit des« emplois jeunes ». De quoi s’agit-il au juste ?

À un premier niveau, il s’agit bien d’améliorer lesqualités des travailleurs, en les accompagnant, ensituation et sur le tas, dans la découverte d’activitésprofessionnelles mal identifiées et progressivementmaîtrisées. Le recours à la formation (Champy-Remoussard & alii, 2000) ou à la validation desacquis (Charraud, 2000) est parfois utilisé, mais sansque cela ne lève quelques paradoxes. Ainsi l’activitéde ces travailleurs reste, par construction, à distancedes référentiels codifiés, de sorte qu’elle demeuredécalée par rapport aux certifications existantes. Deplus, l’objectif affiché est d’ouvrir les possibilités detransfert de leurs expériences à d’autres secteurs etactivités professionnelles. Aussi la professionnalisa-tion des jeunes est très éloignée de l’installation dansune activité expérimentée, identifiée progressive-ment, formalisée peu à peu, bref candidate à unecodification, une validation, une reconnaissance. Elles’actualise dans le passage par des emplois de transi-tion, qui doivent servir de tremplin pour la poursuitede leur vie active et pour leur inscription sur lemarché de l’emploi : elle est un équivalent fonc-tionnel de l’insertion professionnelle, qui, enl’espèce, privilégie la mise au travail par rapport ausuivi de stages de formation (Rose, 1998).

À un second niveau, la professionnalisation prendune toute autre signification, fondée sur la base d’une« distinction problématique entre professionnalisa-tion des emplois et professionnalisation des jeunes »(Guitton, 2000). Si celle-ci fait écho à l’insertionprofessionnelle – une insertion professionnelle passantsouvent par une mobilité d’emploi et d’activité –, lapremière est conçue comme un levier pour lacréation d’emplois pérennes, c’est-à-dire solvables,

3 Il s’agit d’un dispositif public lancé en 1997 par le ministère del’Emploi dans le cadre de la lutte contre le chômage juvénile, etvisant l’objet de création de 350 000 emplois, répondant à des« besoins sociaux émergents, mal couverts ou non satisfaits ». Lamesure a pris la forme d’un contrat de travail à temps plein, rému-néré au moins au salaire minimum interprofessionnel de crois-sance (80 % du salaire sont pris en charge par l’État), d’une duréede cinq ans. Cette formule est réservée au secteur associatif, auxcollectivités locales et à l’administration publique.

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soutenus par des financements alternatifs à l’aidepublique, répondant à des besoins de clientèle, asso-ciés à des activités vendables, soutenues par unmarché. Pour atteindre un tel objectif, il est indispen-sable de produire un service satisfaisant à des normesde qualité, fussent-elles floues : performance, effica-cité, résultats. Or cette signification de la profession-nalisation l’emporte sur l’autre dans de nombreuxchamps d’activité (Bouygard & Gélot, 2002). Dèslors, la marche de la professionnalisation n’impliquenullement la constitution de professionnels, d’autantmoins sans doute que se manifeste une dissociationdu « processus d’acquisition par les jeunes descompétences nécessaires à l’amélioration de laqualité […] du service […], de la construction deleur propre identité professionnelle » (Labruyère,2000, p. 37). Ces observations, effectuées dans lecadre spécifique d’un dispositif public destiné à faireémerger des activités et services, rencontrent d’autresrecherches contemporaines qui mettent en évidenceune transformation des processus de définition et decadrage de ce qu’est un professionnel, et une inflexiondu sens associé à la notion de professionnalisme.

Le professionnalisme, conquête et injonction

L’hypothèse d’une diffusion de l’idéologie du profes-sionnalisme, et en particulier de son extension auxcouches moyennes salariées des grandes organisa-tions modernes est déjà ancienne (Larson, 1977).Elle a surtout une large portée théorique pointant surune inversion des processus de fabrication desprofessionnels : il ne serait plus seulement interne etmaîtrisé par les travailleurs concernés, mais aussi – etpeut-être surtout – externe et imposé par d’autresacteurs avec lesquels les travailleurs interagissentdans l’accomplissement de leurs activités : clients ouusagers, managers ou encadrement, notamment.S’ouvre alors une piste d’analyse consistant à arti-culer les conceptions du travail défendues par ceuxqui l’accomplissent d’une part et celles portées parles contextes correspondants et leurs acteurs et insti-tutions d’autre part. Ce croisement devient une grilled’identification des dynamiques professionnelles quitraversent toutes les activités de travail et qui, selonles cas, sont orientées dans des directions extrême-ment diverses : naissance, constitution, délimitation,

catégorisation, renforcement, essor, légitimation,recomposition, concurrence, domination, fragilisa-tion, disqualification, déclin, disparition d’activités,de métiers, de segments, de groupes professionnels(Demazière & Gadéa, 2008).

Les dynamiques professionnelles apparaissent alorsenchâssées dans des mouvements généraux qui affec-tent les recompositions du travail, qu’il s’agisse de laprogression du modèle libéral et des pressionsconcurrentielles qui en résultent, du développementdes logiques mercantiles et des contraintes de renta-bilité qui en découlent, de l’individualisation et desimplications managériales qui l’accompagnent, de ladiffusion de la logique du client et des exigencespesant sur le travail qui en émanent, etc. Mais il estremarquable que ces forces ont des traductions hété-rogènes dans les situations concrètes de travail, etcontribuent de manière différenciée à la recom-position continue des activités professionnelles(Lallement, 2007). Ainsi la montée en puissance descontraintes de rentabilité accompagnant des processusde privatisation ou d’ouverture à la concurrenceprovoque une dévalorisation des activités techniques,une émergence de fonctions commerciales, et undéplacement des spécialités professionnelles. Maisce tournant commercial prend des formes variéesselon qu’il affecte les activités téléphoniques(Calderon, 2006 ; Dumoulin, 2008), informatiques(Stevens, 2008) ou postales (Demazière, 2008).

La confrontation de terrains d’enquête diversifiésmet en évidence des déclinaisons locales de deuxprocessus disjoints et articulés, qui contribuent, dansdes rapports spécifiques à chaque cas, à configurer lefait professionnel, définir les critères de jugement dutravailleur professionnel, attribuer ou retirer cettequalité (Boussard & alii, 2008). Le premier, endo-gène, est initié par les travailleurs eux-mêmes, quitentent d’obtenir un contrôle sur leurs activités etcherchent à maîtriser les critères de gestion de leurtravail. Le second, exogène, fait peser des contraintessur les travailleurs, qui sont soumis à de nouvellesnormes gestionnaires, d’autres organisations dutravail, d’autres cadrages de leur activité.

Il ne s’agit pas d’opposer autonomie des travailleurset contraintes de l’organisation, et de concevoir ainsila professionnalisation comme conquête d’un territoire

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et structuration collective d’un groupe engagé dansune lutte contre une dé-professionnalisation, conçuealors comme imposition d’une concurrence externeet menaces contre les formes d’auto-organisation. Ils’agit plutôt de considérer que la constitution deprofessionnels est ambivalente et polysémique : d’uncôté donc elle est, classiquement, une revendicationdes travailleurs, qui tentent de valoriser leur activité,de maîtriser leur travail, de faire reconnaître leurssavoirs, d’accroître leur légitimité ; de l’autre, ils’agit d’une injonction portée par les organisationsou les clients dans le but de mobiliser les travailleurs,d’améliorer leurs performances, d’intensifier le sensdes responsabilités, d’encourager la compétition, dedéplacer les contours des activités (Evetts, 2003).Devenir professionnel peut tout aussi bien signifiers’intégrer progressivement dans un groupe constituérevendiquant des savoirs et des compétences, maisaussi affronter, ou subir, des injonctions à être effi-cace, responsable, autonome, ou rentable. Cettetension est caractéristique de nombre de situationspourtant très différentes dans lesquelles destravailleurs, de prestige et de statut hétérogènes, sontconfrontés à des demandes externes, prenant desformes et des forces variables : enseignants face auxexigences des parents d’élèves, psychologues face auxréglementations européennes de leur activité, commis-saires de police confrontés aux demandes locales desécurité publique, aides-soignantes face aux reconfi-gurations de la division du travail hospitalier, chefsd’établissement scolaire face à la montée de la culturedu résultat, médiateurs sociaux face aux discoursperformatifs sur leur travail, etc. (Demazière & Gadéa,2008).

La définition des activités professionnelles, entenduescomme un ensemble de tâches rassemblant dans unedésignation supposée leur conférer un sens – et au-delà des formes minimales d’identité et de reconnais-sance – est donc sans cesse renouvelée. Les déclinai-sons contemporaines de la figure du professionnel

l’illustrent bien, chacun devant être – et partant sedevant d’être – professionnel. La professionnalisa-tion et le professionnalisme résultent pour une largepart d’injonctions, destinées à accroître le contrôleexterne (hiérarchique, organisationnel, réglemen-taire, marchand) sur le travail quotidien. Le contrôledes aires de juridiction apparaît ainsi complexe, carproduit de systèmes d’interactions dont les issuessont plus variables, voire incertaines ou instables.

* **

L’analyse sociologique des processus d’émergence,de formation, de cristallisation de nouvelles activitésprofessionnelles est une perspective prometteuse, quia d’ores et déjà fait la preuve de son apport à lasociologie du travail et des groupes professionnels.Elle contribue en effet à approfondir et interroger,tant empiriquement que conceptuellement, desschèmes analytiques féconds : la division du travailest un procès continu et toujours inachevé, la spécia-lisation professionnelle a une dimension morale, lesclôtures des marchés du travail sont relatives, lesprofessions réglementées et les activités floues inte-ragissent, la professionnalisation est un mouvementambigu et paradoxal, le professionnalisme est unprocessus hétérogène et éminemment clivé, etc.Ainsi non seulement les recherches interrogent ce quiest donné ou promu comme « nouveau » et« émergent », ou à l’inverse « ancien » ou « établi »,mais elles parviennent à des approfondissementsanalytiques sans s’enfermer dans les débats récur-rents portant sur les significations des conceptscomme métier, profession, groupe professionnel,voire occupation. La diversification des terrainsempiriques a ouvert la voie à un renouveau théo-rique, mais il reste à conduire des analyses compara-tives systématisées afin de pousser plus avant laconceptualisation.

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L’ancien, l’établi, l’émergent et le nouveau :quelle dynamique des activités professionnelles ?

Didier Demazière

L’ancien, l’établi, l’émergent, le nouveau sont des termes qui qualifient souvent les activités profession-nelles. Partant du constat de la multiplication de monographies consacrées à des mondes professionnelsvariés, cet article interroge le sens de cette terminologie. Il dégage ainsi quelques lignes de force dansl’analyse des dynamiques professionnelles et des processus de configuration du travail, en montrantque : la division du travail est un procès continu et toujours inachevé, la spécialisation professionnelle aune dimension morale, les clôtures des marchés du travail sont relatives, les professions réglementéeset les activités floues interagissent, la professionnalisation est un mouvement ambigu et paradoxal, leprofessionnalisme est un processus hétérogène et éminemment clivé.

Mots clés

Activité professionnelle, division du travail, profession, professionnalisation

Journal of Economic Literature : J 44 Professional Labor Markets

Résumé

05_Demaziere_FE101.fm Page 54 Mardi, 11. mars 2008 10:19 10