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    [Paru dans Encyclopdie berbre, XXXVI, 2013, p. 5946-5958] O41. OUARSENIS : Langue et sociolinguistique

    Ltymologie berbre de loronyme Ouarsenis est transparente : il sagit dun

    syntagme compos de war , morphme privatif "sans" + (s-)nnig, prposition locative au-dessus + -s lui (aff. pers. 3e pers. sing.), avec affaiblissement de la vlaire [g] en semi-voyelle palatale [y] (API [j]), caractristiques des parlers de la rgion, puis vocalisation en [] long, selon un processus dailleurs largement attest dans divers parlers berbres contemporains :

    war snnig-s > war snniy-s > Warsnns = Sans rien au-dessus de lui Cette dnomination fait videmment allusion la haute altitude du massif montagneux

    il culmine au pic Sidi Amar 1.985 m , que lon voit des plaines du Chlif jusqu celles du Sersou.

    Dans lAntiquit, les sources latines le mentionnent deux fois, chez Pline lAncien

    (XIII, 95) et, trois sicles plus tard, chez Ammien Marcellin (XXIX, 5, 25), sous la forme Anc(h)orarius, qui prsente une trs vague ressemblance avec le nom moderne, mais une tymologie latine est la plus plausible (cf. O41, note complmentaire de J. Desanges). Les sources arabes mdivales le dsignent gnralement sous la forme : Wanar ("Ouancharich"), plus rarement warenis (Ibn Khaldoun, Histoire des Berbres, notamment : I, 248 ; IV, 221).

    Donnes sociolinguistiques

    Lenqute mene par E. Doutt et E.-F. Gautier en 1913 rapporte un fait significatif

    quant au processus darabisation de la rgion et la dperdition de la langue berbre. Selon ladministrateur-adjoint de la commune mixte de lOuarsenis, le berbre tait en nette rgression, et mme en voie de disparition ; dans son courrier du 27 avril 1911 Doutt & Gautier, il en explicite la principale cause qui est, pour ses informateurs, dordre conomique : les berbrophones de la montagne entretiennent des relations dchanges commerciaux denses et rgulires avec les arabophones des pimonts et plaines. Il prcise (Doutt & Gautier, p. 82) que :

    Ils sont ainsi arrivs, en deux gnrations, dlaisser dabord au dehors puis dans leurs relations familiales, leur dialecte, au point, me disait un homme de trente ans, "que nous ne savons plus dsigner la nourriture en kabyle".

    Plus loin, il note : Lpithte de "Kabyle" est mme devenue dans leur bouche un terme mprisant .

    Ce qui confirme un sentiment dinfriorit linguistique, voire de dconsidration sociale.

    Il y a un sicle, Doutt & Gautier (1913) donnaient comme berbrophones, en totalit

    ou en partie, les points suivants (tableaux des pages 118-121 ; voir carte ci-dessous) : Commune de Djendel : Djebel Louh (= Hamza, Zbala, Ouled-Mahdi en partie) Commune de Theniet El-Had : Haraoua et Tighzert. Commune du Cheliff : Beni Boudouane (= Beni Rached : disparition rcente) Commune de lOuarsenis : Tikerdjichet, Bethaa (en partie), Beni Bou-Khannous.

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    Fig. 1 : Le berbre dans le massif de lOuarsenis, daprs Doutt & Gautier, 1913. [Molire = Bordj Bounaama ; Marbot = Tarik ibn Ziad ; Letourneux = Derrag ; Voltaire = An Lechiakh]

    Fig. 2 : Le berbre dans le massif de lOuarsenis. Service cartographique du Gouvernement Gnral de lAlgrie, 1922.

    A. Basset dans son Atlas des parlers berbres (Algrie. Territoires du Nord) de

    1936/1939 confirme lexistence de deux zones berbrophones dans lOuarsenis, lune au nord de Bordj Bounaama (ex-Molire), lautre au nord-est de Theniet El-Had, et mentionne :

    Commune de Djendel : Djebel Louh (= Hamza, Zbala et Oued-Mahdi) ; Commune de Theniet El-Had : Haraoua (= Beni Yala, Chekama, Ouled

    Abderrahmane, Amrouna) ; Tighzert (= Saada, Younes, Sebaa) ; Commune du Cheliff : Beni Bou-Khannous (= Ouled Assa, Layayda) ; Beni Bou

    Attab (= Ikhenchoufen, Beni Djertin, Beni Bou Settour, Tarwa Maamer). Les diffrences entre les deux listes correspondent sans doute plus des redcoupages

    administratifs (sur les communes du Cheliff et de lOuarsenis) et des fluctuations ou changements de dnominations qu une relle volution de la situation linguistique sur le terrain. En tout tat de cause, on retiendra plutt les donnes dAndr Basset car elles reposent sur une vritable enqute linguistique de terrain, mene dans le cadre de son Atlas, alors que

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    celles de Doutt & Gautier, plus anciennes, rsultent dune enqute par questionnaire certes systmatique, mais nanmoins indirecte conduite travers le rseau des administrateurs et maires des communes de lAlgrie du Nord.

    En 1936, Paul Beltzung, administrateur-adjoint de la commune mixte de Cheliff rdige

    un rapport, transmis au Gouvernement Gnral, o il notait que lOuarsenis est peupl de huit douars regroupant prs de 45.000 habitants pas tous dorigine arabe ; il signale notamment que :

    lencontre des autres groupes berbres de lAlgrie, lOuarsenis a de bonne heure t pntr par la domination arabe. . (p. 3).

    Au contact de lenvahisseur, ils [les berbrophones] perdirent leur murs et leur langue. Par contre les Bni-Boudouane, qui, par la suite de leur isolement et de leur loignement de tout centre tranger ont gard plus longtemps un cachet particulier, et mme leur langue (p. 4).

    En 1972, Dj. Sari, qui soulignait le surpeuplement de la zone culminante du massif

    ne fait aucune mention de lusage du berbre. Dans son tude de 1971, il mentionnait que : Lusage du berbre tait trs limit dans lentendue de la chaine [] le souvenir des

    dialectes berbres, mme par les vieilles personnes, a compltement disparu . A la mme priode, J. Vignet-Zunz (1972/1974, Chap. II/6) considrait que le berbre

    tait teint dans la rgion, information que reprenait L. Galand dans sa chronique des tudes berbres (1979, rf. 1083, p. 141, mais aussi rf. 948, p. 126).

    Les troubles de la seconde moiti du vingtime sicle ont contraint beaucoup de

    villageois berbrophones du massif sinstaller dans les villes limitrophes. Lapparition dun maquis communiste en 1955, les oprations de larme franaise, ainsi que linstallation dun maquis de lOAS, ont pouss certains habitants dserter leur village (cf. Boudiba 2003 ; Sudry 2008). Dans les annes 1970, lexode rural sest acclr la suite de la politique du gouvernement algrien : lessentiel des investissements dinfrastructures de lEtat ayant t concentr sur les villes alors que les zones rurales, et surtout de montagnes, ont t largement dlaisses. Les troubles des annes 1990 les maquis islamistes taient particulirement actifs dans la rgion ont de nouveau contraint beaucoup de villageois abandonner le massif pour se rfugier dans les villes voisines.

    Fait insolite, les descendants des immigrants kabyles, nombreux dans la rgion depuis les annes 1920 (Theniet El-Had), continuent utiliser la langue berbre, alors que la plupart des berbrophones de lOuarsenis prfrent larabe, allant parfois, jusqu nier leur origine berbre.

    Ctait l du moins la situation qui prvalait jusquaux annes 1990. En fait, et malgr

    les affirmations ou constats (?) de Sari (1971, 1972) et de Vignet-Zunz (1972/1974), on restera trs circonspect sur la question de la survie du berbre dans la rgion : prendre acte de sa disparition serait sans doute imprudent. On noubliera pas que la priode laquelle ont t mens ces travaux tait marque en Algrie par une vigoureuse politique darabisation et un contexte politique global autoritaire et trs anti-berbre1 ; de plus, aucun des observateurs pris comme rfrence ntait berbrisant ou berbrophone. Il ne serait pas tonnant que lamlioration du statut institutionnel et symbolique de la langue berbre en Algrie ait pu 1 On rappellera que le dbut de la dcennie 1970 correspond lapoge du rgime de Houari Boumediene, issu du coup dEtat du 19 juin 1965. Parti unique, contrle absolu de lespace et de lexpression publiques, rpression systmatique et expditive des oppositions (assassinats politiques et dtentions arbitraires), politique darabisation systmatique et affirmation officielle de lidentit arabe et musulmane de lAlgrie sont, avec ltatisme conomique pouss lextrme, les principaux traits de cette priode, peu propice lexpression de la berbrit et de quelque particularisme que ce soit.

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    amener une partie des habitants de la rgion revendiquer leurs racines berbres, voire assumer leur berbrophonie jusque l honteuse et soigneusement cache : on connat de nombreux cas similaires de berbrophonie nie que lon a vu "resurgir" lorsque les conditions sont devenues plus favorables, y compris parmi les locuteurs des grands dialectes berbres (chaoui notamment). Prcisons galement que le recensement algrien de la population de 1966, le seul qui ait comport le rubrique langue maternelle , nest en loccurrence daucun secours car les rsultats qui en ont t publis sont globaliss au niveau des wilayates (dpartements), alors que dans le cas despce, il faudrait pouvoir disposer des rsultats par communes qui existent certainement, mais qui ne sont pas publics. Des enqutes de terrain prcises mritent donc dtre menes sur ce point dans la rgion et lon vitera toute conclusion premptoire et dfinitive2.

    Il convient aussi de souligner que si lusage de la langue berbre parat trs menac dans lOuarsenis, elle y demeure trs fortement prsente dans la toponymie.

    Donnes linguistiques

    La varit de berbre de lOuarsenis fait partie de lensemble znte* dans la

    classification du R. Basset (1887, p. 3), qui qualifie mme les parlers locaux de znatia (cf. son ouvrage de 1895). Cette dnomination/classification nest pas sans poser problme et doit tre reue avec circonspection :

    Il semble bien que ce sont les savants franais (surtout Ren Basset) qui dnommaient ainsi le berbre de lOuarsenis. Il ne parat pas du tout tabli que les populations locales aient jamais us du mot znatiya ou taznatit, du moins dans cette rgion ; on sait au contraire quelles utilisaient le terme "kabyle". Rappelons que la dnomination "Kabyle" / (langue) "kabyle", (lqbayl / taqbaylit > haqbaylit > aqbaylit), issue de larabe qabil, "tribus", tait trs largement employe, au moins jusqu la fin du XIXe, par les arabophones citadins pour dsigner toutes les populations berbrophones du nord de lAlgrie, en rfrence la forme de leur organisation sociale en tribus. Cet usage est mme trs ancien et remonte aux premiers sicles de la conqute arabe, alors que les Arabes installs en Afrique du Nord taient tous des citadins ; cet usage large se retrouve notamment dans le Raw al-Qirs de Al ibn Abd Allh Ibn Ab Zar al-Fs (dbut du XIVe sicle). Sur le ( )sujet, on trouvera des dveloppements trs prcis chez larabisant dialectologue Philippe Marais (1954, p. 24-27). Ren Basset lui-mme emploie dailleurs expressment le terme kabyle pour dsigner tous les parlers berbres de lAlgrie du Nord (1890, p. 1).

    La dnomination et la classification paraissent en ralit fondes avant tout sur les grandes classifications gographiques et tribales des historiens arabes mdivaux : les Zntes couvraient une large bande oblique Nord-Ouest / Sud-Est correspondant essentiellement aux hautes plaines et rgions steppiques continentales, de lEst du Maroc jusquau Djebel Nefoussa* ;

    Il existe certes un ensemble de critres linguistiques qui permettent de poser un ensemble znte (cf. Chaker 1972 ; Kossman 1989, 1995a & 1995b) ; mais il convient de souligner que ces critres linguistiques sont quelque peu fluctuants et pas toujours nettement discrimants par rapport au reste du berbre. Et dans le cas de lOuarsenis, sur la base des donnes disponibles, ils ne semblent sappliquer que trs partiellement (cf. infra). Les principales spcificits linguistiques de lOuarsenis sont nanmoins rapprocher plutt de celles des parlers du Chenoua*, du Mzab*, de Ouargla*...

    2 S. Chaker a dans son entourage personnel des amis Kabyles migrs dans la rgion (Theniet El-Had) qui lui ont souvent affirm converser en berbre avec les gens du cr.

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    Dans son Etude sur la znatia de lOuarsenis et du Maghreb central (1895), R. Basset confirme son classement du parler de lOuarsenis parmi les dialectes zntes , en prcisant dans sa prface (p. I), que si :

    plusieurs de ces dialectes berbres se maintiennent intacts, protgs par les montagnes, le dsert ou lhrsie [ibadisme], il en est dautres qui, privs de ces appuis, steignent de jour en jour, supplants par larabe. Il est donc urgent de les recueillir avant quils aient totalement disparus .

    Le berbre de lOuarsenis est donc lun de ces petits parlers rsiduels du centre-ouest

    algrien (Achacha, Beni alima, Beni Menacer) qui sont des lambeaux survivant du grand ensemble socio-historique, peut-tre linguistique, znte (R. Basset 1887, p. 3-4).

    Il ne semble pas quil existe de travaux descriptifs densemble du berbre de

    lOuarsenis depuis ltude de R. Basset (1895). La grande misre de la documentation relative la rgion est confirme par les recensions bibliographiques systmatiques de lAnnuaire de lAfrique du Nord (Galand : priode 1954-1979 ; S. Chaker : priode 1980-1991 ; Cl. Brenier-Estrine : priode 1992-1998) et la somme bibliographique de L. Bougchiche (1997) : elles ne font tat que dun nombre infime de rfrences consacres ce parler, moins de cinq au total, depuis le dbut des tudes berbres.

    Les donnes linguistiques prsentes ici sont donc toutes issues de la monographie de R. Basset (1895), travail dj trs ancien, souvent peu prcis et sujet caution, notamment dans ses notations phontiques qui sont assez approximatives. On dtecte du reste des fluctuations et incertitudes tant phontiques que grammaticales lorsquon compare ses textes du Loqmn berbre (1890) et les matriaux de son Etude (1895). Fluctuations qui pourrait aussi tre dues au fait quil existe (ou existait) des diffrences sensibles, la fois phontique et lexicales entre les deux zones berbrophones de lOuarsenis : les donnes collectes par A. Basset dans son Atlas (1936/1939) donnent par exemple :

    - dans le bloc de Theniet El-Had (Haraouat, Tighzert, Djebel Louh) : yis, cheval et [a]gmar, jument (avec [g], spirante mdio-palatale comme en kabyle)

    - dans le bloc de Bordj Bounaama (ex-Voltaire : Beni Bou Khannous, Beni Bou Attab) : aaui, cheval et [a]ymar, jument (avec semi-voyelle palatale [y]).

    Les dernires donnes linguistiques connues et publies sont donc les quelques

    matriaux lexicaux (et phontiques) fournis par A. Basset dans son Atlas (1936/1939). Phontique-phonologie LOuarsenis prsente un systme vocalique ternaire, tout fait classique : /a, i, u/,

    sans distinction de dure, et un schwa ([]) non phonologique ; les semi-voyelles /w/ et /y/ se distinguent des voyelles correspondants, /u/ et /i/.

    Si lon se fie aux notations de R. Basset, on constate une tendance, elle aussi classique, louverture de la vlaire /u/ (> [o]) : [amu] > [amo] en contexte emphatique ou emphatisant. Sous linfluence des emphatiques, on note ainsi la transformation rgulires des schmes en [o] : /aw/ > [awo], /asmmi/ > [asommi].

    Le parler connat le phnomne de spirantisation* (affaiblissement du mode

    darticulation), largement attest dans les parlers berbres du nord, de la Libye au Nord du Maroc, mais uniquement pour les occlusives dentales et les palato-vlaires : /t/ > [] ; /d/ > [] ; // > []

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    tamut > amu, "femme" adrar > arar, "montagne" tafukt > fuy, "soleil" itri > iri, "toile" adf > af, "entrer/pntrer" abrid > abri, "chemin" tauft > auf, "laine" au > au, "vent" Comme dans de nombreux parlers de la rgion mais aussi des parlers plus loigns

    (chaoui, tamazight du Maroc central), la dentale sourde /t/ > [] peut connatre une accentuation de ce processus daffaiblissement et voluer jusqu la laryngale [h], voire zro, dans certains morphmes de haute frquence, notamment les pronoms indpendants, les indices de personne et les affixes personnels du verbe :

    nahnin, "eux", / nahnint "elles" (cf. kabyle : nitni-n / nitnti). ir-ihn, il les vit (< ir-itn) ; hrwlm vous vous enfuyez (< rwlm) ;

    arm, vous voyez (< arm). En revanche, le parler ne semble pas connaitre le phnomne daffriction de la dentale

    tendue /tt/ (> [tts], largement rpandu en kabyle et dans une partie de lAlgrie centrale (Chenoua).

    /g/ > [y] ou []

    g > y argaz > aryaz, "homme" aglim > aylim, "peau" tagmart > aymar, "jument"

    g > agrtil > aril, "natte" anbgi > anui, "invit" agnna > anna, "ciel" gar/gr > ar, "entre" (prp.)

    /k/ > [] kyy/k > kk, toi (masc.) km > m, "toi" (fem.) ikurdan > iuran, "puces" tikli > ili, "marche" kra > ra, "quelque (chose)" Il ne semble pas exclu que /k/ puisse parfois voluer vers la spirante mdio-palatale, du moins si lon accorde foi aux notations de R. Basset, qui donne aab, "renard", transcrit .[en arabe, ce qui laisse supposer plutt un [k] ([akab]) quun [x] ou [ /kk/ > []

    nkk > n, "moi" kkat > a, frapper (Aoriste Intensif)

    Morphologie et syntaxe Comme dans les autres parlers zntes , on relve une tendance nette la chute

    de la voyelle initiale dans les thmes nominaux de structure syllabique initiale CvC : ad, "doigt" (< aad) fus, "main" (< afus) fud, "genou" (< afud). yug / yuy, "boeuf" (< ayug) Ltat dannexion (EA) des noms masculins singuliers (initiale u-) ne semble pas

    toujours marqu ; on relve dans les textes de R. Basset : i-ru -t uryaz = lhomme le vit il-vit -le homme (+EA)

    mais aussi :

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    i-ru -t akab = le renard le vit il-vit -le renard (+EL) Sur ce cas, on ne peut cependant exclure une erreur de R. Basset ou une hsitation

    individuelle de son informateur et on naccordera quune confiance limite ce tmoignage.. Le dictique de proximit post-nominal est, comme en kabyle, -a, alors que lon

    rencontre gnralement -u dans les autres parlers zntes : aryaz-a, "cet homme" Comme en kabyle, les affixes personnels suffixes du nom ("possessifs") se

    prsentent, pour les formes du singulier, sous la variante (primitive) courte (R. Basset 1895, p. 34) :

    iw, "ma, mon, mes" k, "ta, ton, tes" (possesseur masc.) im, "ta, ton, tes" (possesseur fm.) is, "sa, son, ses" Alors quils ont la forme longue au pluriel (-nn, -nnwn, -nsn, -nsnt). Les interrogatifs sont, comme dans tout le reste du berbre lexception du kabyle,

    construits sur la base ma : Qui : ma-na/mi Avec quoi : ma-s Avec qui : ma-kid Pourquoi : ma-f Systme verbal Dans son Etude, R. Basset prsente le systme binaire classique aoriste/prtrit tel

    quon le concevait son poque. Il est donc difficile de se faire une ide du fonctionnement du verbe de lOuarsenis, dautant que les textes quil fournit (1890) sont extrmement brefs et non spontans puisquil sagit de traductions de fables. On peut nanmoins infrer de ces matriaux un certain nombre de donnes :

    Le systme est bien, comme cest largement le cas dans le reste du berbre Nord, ternaire : Aoriste / Aoriste intensif / Prtrit, avec un allomorphe de Prtrit ngatif. Il nest pas possible de vrifier sil y existe un thme dAoriste Intensif ngatif, connu dans plusieurs autres parlers zntes (Kossman 1989).

    Sous rserve des incertitudes des notations de R. Basset, le thme dAoriste nu semble, comme dans de nombreux autres dialectes berbres (tamazight, kabyle), pouvoir tre utilis dans le rcit pour marquer lenchanement des actions (cf. texte ci-dessous) :

    ir-ihn ukab = [] un renard les vit [] Le prverbe ad de lAoriste parat avoir les mmes emplois quen kabyle, la fois

    temporels (futur) et modaux ; il est dfini comme futur par R. Basset. Il semble alterner (?) devant lAoriste avec un prverbe da, bien connu ailleurs

    (Tamazight du Maroc central) comme prverbe de lAoriste Intensif, marquant la dure ou la concomitance :

    ihwa da isw = il eut envie de boire (on attendrait : *ihwa ad isw) Basset donne des exemples dans lesquels le verbe ili, "tre/exister" semble

    fonctionner comme auxiliaire de concomitance/dure, que lon rencontre aussi dans dautres parlers (Mzab, Ayt Seghrouchen) :

    Llan tttn, ils taient ils mangeaient = ils taient en train de manger .

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    On relve lauxiliaire de pass rvolu ittu (+ Prtrit), connu depuis lEst du Maroc (Ayt Seghrouchen) jusquau Mzab et Ouargla, en passant par la Kabylie orientale.

    Le parler prsente lun des traits spcifique de la morphologie verbale des parlers zntes (Chaker 1972 ; Kossmann 1995a & 1995b) : au thme de Prtrit, les verbes bilitres voyelle finale alternante ont un /u/ la 3e pers. du masc. sing. et un /i/ aux 2e et 3e pers. du pluriel : r, "voir"

    ri, "jai vu" iru, "il a vu" tra, "elle a vu" (?) nra, "nous avons vu trim "vous avez vu" trimt "vous avez vu" rin, "ils ont vu" rint, "elles ont vu" La ngation verbale a la forme u ou wala ; le second lment ( ou y) ne

    semble pas obligatoire : wala txdimt tu nas pas fait Lexique Outre le lexique fourni par R. Basset (1895), E. Destaing mentionne 1.675 notations

    dans son Dictionnaire franais-berbre (1914) pour les Matmatas de Djendel et 31 pour les Haraouas. On dispose galement des donnes de lAtlas dA. Basset (1936/39) pour les noms danimaux domestiques.

    Pour ce qui est des textes, il nen existe que cinq, trs courts (en ralit quatre),

    collects par R. Basset : quatre dans le Loqmn berbre (1890 ; fables n 9, p. 58 ; n 17, p. 83 ; n 30, p. 93 ; n 30, p. 128) et un dans son Etude de 1895 (identique la fable n 9 de 1890).

    Yi wass ufn ian aylim n wayrad ; xsn a t-n. Ir-ihn ukab, inn-asn : ittu iddr

    wayrad, a lukan arm mxalibn-is, hrwlm ! (R. Basset, 1890, fable n 30, p. 128). Un jour des chiens trouvrent une peau de lion ; ils voulurent la manger. Un renard les vit et

    leur dit : Ah, lorsque le lion tait vivant, si vous aviez vu ses griffes, vous vous seriez enfuis ! . Sur la base des donnes disponibles, on peut donc constater que si le caractre

    znte du parler est bien confirm par plusieurs traits de morphologie verbale et nominale, ventuellement de phontique mais ce type de critres parat extrmement fragile et peu pertinent , par dautres aspects, il se rapproche plutt du kabyle. Cette conclusion provisoire et prudente tendrait rappeler que la classification linguistique des varits du berbre demeure trs problmatiques : le continuum berbre a certainement toujours t caractris par des transitions douces et le chevauchement des isoglosses.

    Au terme de cette prsentation trop lacunaire, on ne peut que redire lurgence

    denqutes sociolinguistiques et linguistiques sur le terrain, qui auront pour objectif de vrifier la fois la survie et la pratique de langue dans la rgion et de permettre une description plus consistante de cette varit de berbre.

    [Photo O40.] Fig.3 : Fort de cdres de Theniet-el-Had (brochure touristique OFALAC, Alger ; s.d., vers 1930 (photo Gouvernement gnral de lAlgrie).

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    Salem CHAKER

    [avec la contribution de Sad CHEMAKH] [Cette notice bnfici de la relecture attentive et des suggestions J. Desanges et de K. Nat-Zerrad ; nous les en remercions vivement.]