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PIERRE KERROC'H ESRA 3 ANNÉE 2013-2014 MÉMOIRE LA CINÉMAGIE : GUÉRIR PAR LA MAGIE DU CINÉMA

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PIERRE KERROC'HESRA 3 ANNÉE 2013-2014

MÉMOIRE

LA CINÉMAGIE : GUÉRIR PAR LA MAGIE DU CINÉMA

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SOMMAIRE

INTRODUCTION MÉTHODE AVERTISSEMENT

I. ENTRÉE1. CONTEXTE AUTO-BIOGRAPHIQUE2. CONTEXTE AUTO-HISTORIQUE

II. PLAT 1. CONCEPTS CINÉMAGIQUES2. PRINCIPALES INFLUENCES a. La psychomagie b. La magie du chaos3. LES OUTILS DE LA CINÉMAGIE a. Le tarot au service de la cinémagie b. L'art au service de la cinémagie c. La science au service de la cinémagie d. La religion au service de la cinémagie e. La philosophie au service de la cinémagie f. L'éthique de la cinémagie g. Le rêve au service de la cinémagie4. LA CINÉMAGIE TELLE QU'ELLE EST a. La vidéo comme moyen de la cinémagie b. La guérison comme fin de la cinémagie 5. ARMORIKA – UNE COMÉDIE INITIATIQUE - a. Le film cinémagique b. Limites de la cinémagie

III. DESSERT 1. UTOPIE : LA CINÉMAGIE SOCIALE2. POTENTIEL DE LA CINÉMAGIE 3. AUTOCRITIQUE ET OUVERTURES

CONCLUSION : LE CINÉMAGICIEN

BIBLIOGRAPHIE

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INTRODUCTION

Voici un sujet de mémoire qui me semblait important d'aborder, tant toutes mes connaissances et expériences de ces dernières années convergeaient vers lui. Je me dois de commencer par dire qu'au premier abord, il n'est pas comme les autres : tout au long de ce mémoire, nous ne parlerons pas de cinéma, ni d'analyses filmiques, ni de techniques cinématographiques. Pourtant, le cinéma et la vidéo sont le moteur de ce qui est appelé ici la cinémagie. Cette dernière n'est pas possible sans ces moyens de médiation, tant dans leur dimension technique qu'artistique.

Je dois aussi dire que c'est très important pour moi, et c'est un grand plaisir aussi de rédiger ce mémoire, car c'est la première théorisation que je fais à propos de cet art en gestation, c'est-à-dire qui n'est pas encore né, qu'est la cinémagie. Je n'ai pour l'instant eu l'occasion d'en parler qu'à des amis, ou des personnes rencontrées, dont certaines travaillaient dans le monde du théâtre. Aussi, j'ai écrit quelques articles sur ce sujet sur internet, sur mon blog (poderkeroko.over-blog.com). Ayant accès au nombre de visites, je vois que ces écrits sur la cinémagie ont eu relativement un bon succès.

La cinémagie étant un art aspirant et absorbant tout ce qui vient vers lui, nous parlerons évidemment de vidéo, de cinéma, de scénario, de certains films ainsi que de leurs réalisateurs, mais d'autres sujets auront une place importante : arts, sciences, spiritualités, philosophies. Notamment, nous aborderons brièvement une dimension éthique inhérente à la pratique de la cinémagie. Et, bien sûr, nous donnerons des exemples précis de ce qu'on appelle des « sketchs cinémagiques », car j'ai déjà commencé à expérimenter cet art.

Tout au long de ce mémoire, nous allons donc tenter d'éclaircir ce qu'est ce nouvel art, inséparable de la thérapie, et ayant une finalité qu'on pourrait qualifier d'« humaniste ». Nous nous permettrons de développer la théorie à propos de la cinémagie, tout en allant à l'essentiel et en donnant des exemples concrets de pratiques.

En conclusion de cette introduction, je voulais rappeler donc, qu'ici seront en majeure partie abordés des sujets comme la thérapie, l'ésotérisme, ou encore le « développement personnel » et la psychologie. Je considère quant à moi que la cinémagie, et vous le verrez sans doute au fur et à mesure des chapitres qui vont suivre, reste un grand cri d'amour au cinéma et à ses potentiels merveilleux.

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MÉTHODE

Il faut que j'aborde ici le problème de la méthode de rédaction de ce mémoire, en partie pour justifier certaines techniques d'écriture. Cela fait maintenant 14 mois que j'écris des articles sur un blog évoqué plus haut. J'en suis aujourd'hui à 2500 articles, dont 2000 aphorismes. Ma technique est entièrement intuitive, elle utilise l'imagination, la métaphore et l'écriture spontanée. Je ne sais écrire autrement. J'utilise aussi la « langue des oiseaux », qui est une approche ludique et artistique des mots et des lettres : jeux sur les sonorités, les homophonies, les anagrammes, les étymologies. Cette technique est très créatrice et ouvre sur des sens variés. Bien sûr à chaque fois cela sera justifié, et, au lieu de nous écarter du sujet, ça nous aidera à l'approfondir. C'est un jeu sérieux.

J'ai plus de 1000 pages de notes accumulées depuis un an, manuscrites et surtout dactylographiées, et dans celles-ci, de façon éparse mais fourmillants, se trouvent des paragraphes qui parlent de cinémagie. Ne pouvant les relire, car cela prendrait beaucoup trop de temps, je me permets de faire ce mémoire de mémoire, selon mes souvenirs. Aujourd'hui, étant le lundi 23 juin 2014, je me donnerai donc 24 heures pour le rédiger, car tout est déjà prêt dans ma tête. Je ne dis pas ça par prétention, au contraire, c'est ma technique de rédaction, car écrire sur plusieurs jours crée une différence gênante dans le style et l'esprit dans lesquels les paragraphes ont été rédigés.

Enfin, étudiant et pratiquant le tarot, dont nous parlerons rapidement dans un chapitre ultérieur, depuis maintenant 2 ans, j'utiliserai de temps en temps ses images pour aborder certains sujets, mais toujours de façon justifiée, qui nous rapproche du sujet. Cet outil intuitif est de plus inséparable de la pratique cinémagique.

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AVERTISSEMENT

Avant de commencer, j'aimerais prévenir de certaines choses. La cinémagie est un art qui, bien que je le pratique, n'est pas encore né. Il est à la fois en gestation et en expérimentation continuelles. De plus, tout ce dont je vais parler, je ne vais pas le faire de façon universitaire. Je ne suis spécialiste ni de psychothérapie, ni de science, ni de philosophie, ni d'art, ni de religion, ni de tarot, etc. J'inclus seulement certains éléments sinon indispensables, du moins utiles à la pratique de la cinémagie, mais je ne connais aucune de ces disciplines. Cet avertissement est important car je ne peux que rester humble, ne connaissant rien à rien, n'ayant encore presque rien pratiqué ou expérimenté. La cinémagie naîtra peut-être dans 10 ou 20 ans, que sais-je ? Nous y reviendrons en fin de ce mémoire.

Vous verrez aussi que le plan de ce mémoire est divisé en entrée, plat, et dessert. J'ai fait ce choix car les 1400 pages de notes que j'avais, je voulais les rendre moins indigestes. Et elles sont toutes dans ma tête : avec une recette d'éléments épars je vais donc essayer de préparer un bon repas dactylographié. D'autant qu'en cinémagie, vous le verrez plus loin, on considère que, dans ce monde, tout se digère et est digéré.J'applique le plus souvent possible ce que j'appelle une vision cinémagique du monde : sinon, à quoi servirait cet art ?

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I. ENTRÉE

1. CONTEXTE AUTO-BIOGRAPHIQUE

Tout commença quand j’imitais mon frère étant petit, pour me faire accepter de lui. Style vestimentaire, expressions verbales et physiques, démarche… Depuis tout petit alors j’ai imité plein de références. N’ayant pas été marqué par un père à imiter, j’ai créé des re-pères. Au collège, j’imitai Tyler Durden, personnage du film Fight Club de David Fincher joué par Brad Pitt, un élégant philosophe anarchiste spécialisé en chimie et fabriquant de bombes : ça excitait évidemment les filles mais j’augmentai ma moyenne en physique-chimie de 15 points, et ça me lançait dans la philosophie. J’avais alors 12 ans. J’imitai ensuite Arthur Rimbaud, allant me promener dans les vergers, faisant des poèmes, cherchant les visions. Puis ce fut le tour de Gérard de Nerval, William Blake, Dino Campana... Je passai alors au chanteur et poète américain Jim Morrison : ce fut impressionnant car ce boulimique de livres me lança dans une boulimie de lecture, j’appris à chanter en quelques semaines, et, à la surprise générale de toute la famille, mes cheveux qui avaient toujours été lisses commencèrent à boucler ! J’ajoute que mon visage se transforma selon son visage : mâchoire carrée, arcades prononcées, stries aux joues. Je dansais comme lui, parlais comme lui, m’habillais comme lui, bougeais comme lui, pensais comme lui, buvais comme lui… durant 5 ans. Ensuite je commençai à imiter le « philosophe » français Edgar Morin (qui avait presque 90 ans alors). C’était moins bien pour les filles, mais je lisais tout ce qui me tombait sous la main, je faisais des enquêtes sociologiques, le jour, la nuit. Puis vint l’artiste multiforme Alejandro Jodorowsky, à qui ce mémoire doit beaucoup, car tout ce dont il parlait rejoignait mes centres d’intérêt. Je commençai alors à avoir les cheveux blancs, à 21 ans, Jodorowsky ayant 83 ans à cette époque. Si je raconte cela, c’est pour dire que la cinémagie fut un long processus dans ma vie, et la première leçon que tout ça m’apprit, c’est que si nous croyons en quelque chose ou si nous l’imitons, ça aura un impact réel dans la vie quotidienne, à la fois psychique et physique. C’est aussi pour introduire quelle est ma nature depuis toutes ces années : je suis un imitateur, j’absorbe et je digère à ma façon les caractéristiques des autres, en recrachant ce qui ne m’est pas utile, les transformant à ma sauce. Quand j’avais 7 ans, j’ai fait un numéro de possession à un ami. Durant plus de 3 heures, je mettais des masques d’Halloween, un par un, je prenais la voix du masque, en inventant son histoire, sa personnalité, son lien avec les autres masques. En le retirant, je tombai inanimé, puis j’en mettais un autre, et ainsi de suite, avec une quinzaine de masques. Mon ami était tour à tour effrayé, fasciné, désorienté, des heures durant. Je passe mon temps à faire ça, sous d’autres formes aujourd’hui. J’appris alors le pouvoir de ce qu’on peut appeler « la possession contrôlée ».

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Aussi, durant cette adolescence tumultueuse, durant laquelle je vivais des masques en y croyant tellement que je ne m'en rendais même plus compte, le cinéma a été une expérience essentielle. Je ne parle pas de tous les films, mais ceux qui, je crois, ont été importants dans la gestation de la cinémagie. Je parlais de Fight Club (1999) de David Fincher, où j'imitais Tyler Durden joué par Brad Pitt. Il y eut aussi Sexe Intentions (1999) de Roger Cumble, où j'imitais Sebastian Valmont joué par Ryan Philippe, sorte de Liaisons Dangereuses de Laclos remise au goût des adolescents. Mais ce qui a été déterminant, toujours vers mes 12 ans, ce fut Les 11 Commandements de François Desagnat et Thomas Soriaux, où Michaël Youn et sa bande faisaient des « conneries », sorte de happenings à la Jackass, dans des magasins, des hôtels, des maisons, etc. L'influence du film Fight Club retentit, à l'époque, dans toute mon école. Les élèves avaient demandé une salle, après de difficiles négociations avec le directeur, afin « d'avoir une pièce où on puisse écouter tranquillement de la musique ». Un jour un ami me demanda : « Tu es déjà allé au Fight Club » ? C'était comme dans le film. Il m'y amena, par une entrée secrète, gardée par un ami grand et baraqué. « Ok, entrez ». Je découvrai que cette salle, dont le centre était un cercle de tables accolées décrivant les limites du ring, servait de Fight Club clandestin. Avec ou sans gants de boxe, on s'y battait jusqu'à saigner (un jour, l'appareil dentaire d'un ami lui rentra dans les lèvres et les gencives après avoir reçu un féroce uppercut). Je n'y participais pas, mais j'y assistais, reproduisant le fantasme de mon film préféré. On vivait un mythe. Je me rendais alors compte qu'un film pouvait pousser à l'imitation et à la possession. Un jour, en plein combat de deux frères jumeaux, une surveillante nous « grilla », et nous devions fermer boutique. Le mythe s'estompa. Pour Les 11 Commandements, ce fut encore pire. Tout le monde voulait reproduire les « conneries » que faisaient Michaël Youn et sa bande, d'autant que la fameuse émission du « Morning Live » avait marqué toute une génération. Grâce à mes sommaires connaissances en sociologie, je me mettais à non seulement participer, mais aussi analyser ces mouvements éphémères (de plusieurs mois), qui suivaient la diffusion du film en salle. C'était la première fois que je voyais un public de salle de cinéma applaudir à chaque fin de séquence. En sortant de la salle, on balançait des bonbons sur les gens, on montait sur les voitures, on jouait aux funambules sur les bords des ponts de la Vilaine (à l'époque, le cinéma Gaumont était sur les quais de Rennes), on pissait sur les vitrines, on se masturbait en public. Ça me plaisait beaucoup car je lisais alors un livre sur les Cyniques grecs (Cynismes, de Michel Onfray, 1990), où Diogène de Sinope et ses acolytes faisaient à peu près les mêmes actions que nous, mais dans une perspective philosophique, pour secouer les consciences et faire vibrer les cortex. Plus tard, me souvenant de cette époque où nous voulions nous « décoincer le cul » selon notre expression d'alors, je concluais temporairement que les Grecs imitaient de même leurs héros : Alexandre le Grand commençait par Hercule, et quand il rentrait d'Inde il s'identifiait à Dionysos (ce qui est narré de façon magnifique dans les Vies Parallèles de Plutarque). En fait, toute civilisation imitait ses héros ou ses dieux, grâce à la mythologie : on parle bien de l'Imitation du Christ chez les Chrétiens. Nous faisions pareil, il s'agissait bien d'une

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« constante anthropologique ».

Et ce, donc, par le biais du cinéma, mais aussi par le biais de la littérature. Nous avions besoin de nous initier, dans une civilisation qui a oublié toute évolution par le biais de l'initiation. Il fallait vaincre nos timidités, nos limites, et surtout l'influence de notre famille. C'est pour ça qu'un livre comme Sur la Route de Jack Kerouac influença, outre deux générations entières (Beat Generation des années 50, et Hippies des années 60), ma génération aussi : nous partions en auto-stop, au fond de la France, ou dans d'autres pays, sans beaucoup d'argent, en dormant chez des gens qui voulaient bien nous accueillir. J'imitai alors Dean Moriarty, pseudonyme de Neal Cassady, personnage très speed et vif, ayant un débit de parole hallucinant. À l'époque, on me demandait alors si je prenais de la cocaïne. Non, j'imitais un personnage sans le savoir vraiment.

Par là, je tente de faire une « généalogie » de la cinémagie, remonter à ses racines. Car la cinémagie reposera sur ça : les vidéos qu'on fera seront censées donner envie à celui ou celle qui les regarde de faire une chose similaire. J'y reviendrai évidemment. Cela nous offre un contexte non seulement auto-biographique, mais aussi un contexte « auto-historique », dans lequel placer la cinémagie, et que nous allons maintenant aborder.

2. CONTEXTE AUTO-HISTORIQUE

Cette formulation n'est sans doute pas la meilleure, mais par là je souligne que ce n'est que ma vision subjective du contexte socio-culturel dans lequel est en train de naître la cinémagie. Et j'illustrerai cela par une expérience précise : lorsque que je suis allé voir Bilbo le Hobbit : Un Voyage Inattendu à sa sortie fin 2012, ce qui fut mon « baptême du 3D ». En entrant dans le cinéma Gaumont, j'eu une intense sensation d'étrangeté. Le long des couloirs et dans la salle, je regardais des formes aux murs, qui me semblaient être des spermatozoïdes de néon : ils y sont, vous pouvez aller voir. J'en conclus qu'on entrait dans une matrice intra-utérine. Dans la salle, je regardai les couleurs : noir de l'obscurité, blanc de l'écran, et rouge des sièges et du sol. En alchimie, cela correspondait aux 3 couleurs du Grand Oeuvre. Cela me dit que la salle était un fourneau alchimique dans lequel la matière, les spectateurs, venaient se transformer, ou se transmuter. Je passai alors la moitié du film, qui me violait littéralement le mental (les images 3D sont comme des phallus qui pénètrent le cortex visuel), à regarder les spectateurs, avec leurs lunettes 3D. J'étais stupéfié, bouleversé, et fasciné. Des centaines de personnes, regardant tous dans la même direction, se faisant violer en masse. Des spectateurs passifs, le corps réduit à l'état de somnambule. Je compris alors tout ce que j'avais lu sur le cinéma. Cette caverne platonicienne, où l'on regardait des ombres projetées. Cette matrice confortable, où l'écran joue le rôle du placenta qui nous communique les sentiments de la mère. Cette nouvelle religion de la lumière, avec ses héros et ses dieux, qu'on vénérait, qui vivent des aventures à notre place, qui sucent tels des vampires psychiques la substance de nos vies. C'était la société du spectacle que décrivait Guy Debord. J'étais un

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spectateur à l'envers, durant une heure et demie, qui regardait dans le sens contraire du courant psychique.

Je partais alors dans un délire, où mon mental était suractif. Ce délire je n'y attache pas d'importance, mais il me donna tout le matériau qui me menait à la cinémagie. Je me dois d'en parler, pour contextualiser ma démarche, ce qui ne me semble pas sans importance. Je sentais dans cette salle l'aboutissement d'une longue genèse de l'adoration de l'image mouvante. Je ré-capitulais alors les visions des premiers chamanes, qui voyageaient dans les mondes « hallucinatoires » : c'est un hallucinéma. J'y ajoutai le Wayang, les jeux d'ombres des cavernes de Java, datant de -4000 ans, les projections d'ombres dans les Mystères grecs (qui auraient inspiré Platon pour sa fameuse allégorie de la caverne dans le livre VII de La République), la camera oscura, les spectacles de lanterne magique du moyen âge, les premiers pas de la photographie, du cinématographe, et du cinéma après lui, mais aussi toute la prolifération d'images, les jeux de cartes, la bande dessinée, les magazines, etc. Plus tard, je vis cette intuition confirmée par un livre de Françoise Bonardel (La Voie Hermétique, 2002), qui parlait de l'Hermétisme, qui est d'une certaine façon l'inconscient spirituel occidental du Moyen Âge, comme d'une adoration de l'image. Encore une « constante anthropologique », mais à chaque fois le rapport à l'image change. La société de consommation, du capitalisme libéral, mélangée aux développements des technologies qui nous regroupons aujourd'hui sous le nom de « Média » ou même de « Mass Media », avait de plus en plus intensifié la schize entre les acteurs et les spectateurs. « Vis à ma place, je te regarde », serait le mot d'ordre sous-jacent et inconscient à cette situation, ce qu'on appelle maintenant couramment la « vie par procuration ». Nous verrons plus loin comment la cinémagie essaye de remédier à cette tragédie, en créant des « spectacteurs ». Il ne s'agit là évidemment pas d'une critique du cinéma, loin s'en faut, mais de la contextualisation d'une approche artistique qu'est la cinémagie, qui part d'une histoire personnelle, d'intuitions et d'expériences vécues.

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II. PLAT

1. CONCEPTS CINÉMAGIQUES

Maintenant que nous avons contextualisé l'art (en gestation) de la cinémagie, nous pensons qu'il peut être utile d'introduire quelques-uns de ses concepts. Nous parlerons par la suite de ses principales influences, pour éclairer ces concepts, mais commençons par définir ces derniers, car ils nous serviront tout au long de ce mémoire.

Tout d'abord, pourquoi la cinémagie ? La cinémagie est un nom qui m'est venu lorsque je regardais des films de Georges Méliès. Sur le boîtier du DVD, c'était marqué « Méliès, Le Cinémagicien ». Dans les commentaires audio de ses films merveilleux, on peut dire qu'était expliquée cette dénomination. Le sens de cinémagicien était, en gros, le fait que Méliès est le père des effets spéciaux au cinéma, qu'il en usait et en abusait. Contrairement aux Frères Lumière qui croyaient initialement à un avenir scientifique du cinéma, ce qu'il était d'ailleurs au début, un jeu scientifique, Méliès voyait en lui une formidable machine à spectacles. Cela nous menait à la fantasmagorie, de vastes illusions aboutissant chez le spectateur à la fascination. Voilà le sens de magicien, et j'aimais beaucoup cette union de ciné-MA-gie, cinéma et magie, vous l'aurez remarqué, ayant en commun la syllabe MA. Mais contrairement à Méliès, la cinémagie dont je parle ne consiste pas à faire de l'illusion fascinante, mais consiste à réveiller l'authenticité des personnes qui la pratiquent. Cela part d'une conception thérapeutique du cinéma. Au lieu d'un numéro de prestidigitation, où ce qui est filmé est le développement d'une illusion, ici ce qui est filmé est le développement d'une authenticité. À la base, cette maxime : guérir, c'est être soi ; dans le sens, guérir, c'est devenir ce qu'on est vraiment et non ce que les autres veulent qu'on soit (ou ont voulu qu'on soit). Grossièrement, mais nous y reviendrons plus loin, nos problèmes quotidiens, selon la théorie cinémagique, proviennent du fait que dans l'enfance on nous ait ordonné de faire ce qu'on ne voulait pas faire, et interdit de faire ce qu'on voulait faire (ou ordonné d'être ce qu'on n'est pas, et interdit d'être ce qu'on est vraiment). La cinémagie filme alors des actes libérateurs, qui ont une fort aspect artistique et métaphorique, - ce que nous développerons plus loin.

Voici une phrase qui nous permettra d'éclairer les autres concepts de la cinémagie, et qui résume le processus cinémagique : « Le cinémagicien donne au Volontaire un sketch cinémagique afin qu'il se transforme lui-même en spectacteur. »

J'ai utilisé le terme « sketch » cinémagique, non pour signifier que c'est drôle, mais pour désigner une courte scène qui se termine bien (ce que m'indiquait le tarot ; nous

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y reviendrons). Cette vision du sketch est influencée par Joseph Campbell, qui dans son livre Le Héros aux Mille et Un Visages définit la comédie : une histoire symbolique représentant une victoire psychologique, le triomphe de la joie euphorique et créatrice inhérente à la vie sur les obstacles qui se présentent à elle.

Le concept de « Volontaire » fait échos aux prestidigitateurs qui interpellent un public : « Y a-t-il un volontaire dans la salle ? ». Ici ce mot met surtout l'accent sur l'aspect non seulement volontaire, mais aussi conscient et lucide de celui qui va opérer un sketch cinémagique, il est le seul aux commandes de son destin. En termes cinématographiques, si le cinémagicien est le scénariste, le Volontaire est à la fois le réalisateur, le metteur en scène, et l'acteur, et parfois même l'accessoiriste, le maquilleur, etc.

Et le Volontaire doit se transformer en « Spectacteur », à la fois spectateur et acteur de sa propre vie. Toujours avec de l'aide, car un sketch cinémagique ne peut se faire seul, le Volontaire filmera son acte libérateur, et pourra le regarder à volonté, comme si on pouvait re-visionner un rêve heureux autant de fois qu'on le voulait. Il est à la fois témoin de son acte, et acteur de sa propre vie.

Ce rapide survol des concepts cinémagiques pourrait être illustré par cette histoire, qui n'a malheureusement pas abouti, mais qui a le mérite de mettre en images concrètes ce dont on vient de parler. Une fille vient me voir pour un tirage de tarot. On convient ensemble qu'elle subit l'influence néfaste de plusieurs générations de femmes dans sa famille, qui ont été dévalorisées, tyrannisées par leur mari. Cependant, elle m'avoue, au bord de l'implosion, à la fin de la séance : « Il me faut autre chose, Pierre, parce que JE PERDS LA BOULE ! ». Je lui dis alors d’aller acheter une boule de pétanque, de la peindre en noir, d’aller à une terrasse de bar et de prendre un café noir, de poser la boule sur la table pour aller payer l’addition ; entre temps un ami complice, déguisé en noir, en voleur, viendra lui voler quand elle arrivera, se faisant surprendre, courant à toute allure avec la boule ; et elle criera : « Noooon! J’ai perdu la boule! ». Le même ami reviendra en blanc et lui dira poliment « Madame, vous avez perdu la boule? Je vais vous aider à la retrouver, j’ai vu où l’a cachée le voleur noir. » Ils iront à l’endroit symbolique où est posée la boule (une cage de oiseau vide, ou au pied de l’arbre d’un parc), qui cette fois-ci est une balle de tennis peinte en blanc. Ils la retrouveront, elle prendra la boule en criant « Oui, j’ai retrouvé la boule! ». Ils prendront une photo d’eux souriant. Ils iront dans un bar et prendront un verre de lait. Ils iront chez elle, prendront un verre de vin rouge, elle peindra la boule en rouge, la recouvrira de miel, la placera sur un meuble avec la photo de lui et de l’homme juste à côté. Elle le remerciera : « Merci, grâce à votre aide, j’ai retrouvé la boule. » Et le sketch se termine. J’ai improvisé ce sketch intuitivement, la fille était aux anges, elle disait que c’était exactement ce qu’elle voulait entendre. Je lui ai expliqué alors les symboles : la boule noire est sa folie, lourde, obscure (boule de pétanque), elle prend un café noir, même signification. Ensuite l’homme blanc arrive, il l’aide, la boule est blanche, purifiée, plus légère (balle de tennis), ils prennent un verre de lait (blanc). Ensuite, la boule devient rouge,

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couleur sang, symbole de vitalité, ils prennent un verre de vin rouge. Elle la peint en rouge et la recouvre de miel, en or, qui signifie l’illumination. On a aussi ici les 3 étapes de l’oeuvre alchimique : oeuvre au noir, oeuvre au blanc, oeuvre au rouge. La fille a quitté son petit ami (qui selon elle la faisait souffrir et perdre la boule) quelque temps plus tard, sans faire l’acte, et je ne la revis jamais, elle partit dans une autre ville. C’est fort dommage ! Voilà en tout cas à quoi ressemblerait un sketch cinémagique. Un directeur de théâtre à qui j’en parlais me disait que même si ça pouvait avoir une valeur thérapeutique, ça pouvait faire des sketchs sur le net qui seraient originaux. Je répondais qu’on ne voulait pas faire de l’art, mais de la thérapie, que c’était du sérieux. Par contre, il faut être capable de créer des scénarios intuitifs qui sont guidés par une volonté profonde de rendre service à l’autre. Nous y reviendrons. Résumons : le cinémagicien scénarise des sketchs qu’un volontaire met en scène et exécute afin de devenir spectacteur de sa vie. On dissout la barrière acteur/spectateur.

2. PRINCIPALES INFLUENCES

a. La psychomagie

Pour moi la découverte d’Alejandro Jodorowsky, artiste né au Chili en 1929, qui fut poète, marionnettiste, mime (années 1950, avec Marcel Marceau), homme de théâtre (années 1960, mettant en scène Ionesco, Arrabal, mais aussi Nietzsche, etc), co-créateur du « théâtre panique » avec Fernando Arrabal et Rolland Topor (années 1960), cinéaste (des années 1950 à aujourd’hui, avec des films comme La Cravate en 1955, Fando y Lis en 1968, El Topo en 1970, The Holy Mountain en 1973, Tusk en 1979, Santa Sangre en 1989, Le Voleur d’Arc en Ciel en 1991, et dernièrement La Danza de la Realidad en 2013), tarologue reconnu mondialement (avec des livres comme La Voie du Tarot, Le Chant du Tarot), écrivain d’une vingtaine de livres (Cabaret Mystique, Le Théâtre de la Guérison, Contes Paniques, L'Arbre du Dieu Pendu...), scénariste culte de bandes dessinées (dont L’Incal avec Moebius, Juan Solo et Le Lama Blanc avec Bess, Les Méta-Barons avec Gimenez, Le Pape Terrible avec Manara, Bouncer avec Boucq, et tant d’autres), psychothérapeute novateur (justement avec la psychomagie, et des livres comme Métagénéalogie, Manuel de Psychomagie, Le Théâtre de la Guérison, Un Évangile pour Guérir)… Bref sa découverte fut pour moi majeure, car tous les sujets qui m’intéressaient (chamanisme, magie, ésotérisme, tarot, cinéma, théâtre, alchimie, thérapie…), il en parlait dans ses oeuvres. Je le rejoignais sur tous les points. Cette découverte coïncidait de plus avec un changement radical dans ma vie, car j’ai fait un acte psychomagique sans savoir que c’en était un, ce qui va bien introduire ce qu’est la psychomagie. Depuis mes 13 ans je souffrais d’une maladie chronique du dos. Je ne pouvais faire aucun sport. Chaque fois que je courais, que je sautais, ou que je m’amusais simplement, une douleur insoutenable m’arrachait le dos. Je suis allé voir plusieurs spécialistes : l’un me disait que j’avais grandi trop vite, et que mon dos n’avait pas suivi, l’autre me disait que je ne faisais pas assez de sport ni ne buvais assez de lait, un autre disait que j’avais une jambe un millimètre plus courte que l’autre, que j’étais bancal, un autre

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m'annonce que c’était psychosomatique mais qu'il ne pouvait pas m’en dire plus. On m’emmenait chez un kinésithérapeute durant 3 ans, qui me laissait tout seul avec des électrodes collés au dos dans une salle, allongé pendant une demi heure 3 fois par semaine sans résultat… Pendant 7 années je souffrais. Mais à 20 ans, j’ai eu un rêve : j’étais un arbre, mes cheveux étaient des branches qui s’élevaient dans le ciel, et mes pieds des racines s’enfonçant dans le sol. Difficile à décrire par des mots ce que je ressentais, mais j’avais l’impression d’être tout mon arbre généalogique, ainsi que des ancêtres plus lointains, animaux, et aussi des plantes. À la fin le rêve me fit comprendre que si je souffrais du dos, c’est que j’étais en colère contre mon « arbre » généalogique, et que si je voulais me soigner, il fallait que je me réconcilie avec : « Réconcilie-toi avec ton arbre ». En effet c’est à mes 13 ans qu’on m’a révélé que j’avais un père biologique différent de mon père qui m’avait élevé, ce qui a bouleversé mon existence et celle de toute ma famille, qui s’est entre-déchirée à coups de haines et de procès. Me réveillant de ce rêve, le coeur battant, je me suis dit : « Merde, comment je vais me réconcilier avec mon arbre? » Et j’ai pris l’ordre du rêve, ou plutôt son ordonnance, au pied de la lettre (comme j’avais appris à le faire grâce à une pratique alchimique). Je suis allé masser un arbre, en m’enlaçant avec lui, en l’aimant, je l’imaginais comme si c’était mon arbre généalogique, pendant sept jours, une heure par jour. Depuis, je n’ai plus jamais souffert du dos, à la grande surprise de ma famille, qui m’avait vu bloqué dans mon lit une semaine par mois parfois, ayant beaucoup de mal à respirer (car les poumons touchent le dos quand on les gonfle). Sept ans d’enfer guéris en sept jours, de façon radicale. Voici ce qu’est un acte psychomagique. Plus tard, je découvrais avec stupéfaction, dans un livre d'Annick de Souzenelle (Le Symbolisme du Corps Humain, 2000), qu'avoir mal au milieu du dos signifiait l'idée d'une trahison subie, tel un coup de poignard symbolique, que souffrir dans le haut des épaules symbolisait porter un poids trop lourd sur ses épaules, comme Atlas dans la mythologie grecque. Le corps a un langage, mais il est aussi un langage, celui des symboles et des archétypes. Je décidai alors de vouer toutes mes forces auto-destructrices à me construire, et de rechercher des moyens de guérir par la voie des symboles. Deux semaines plus tard, je découvrais Jodorowsky.

La grande découverte d’Alejandro Jodorowsky, après avoir fréquenté nombre de guérisseurs mexicains ou curanderos, est que l’inconscient accepte les métaphores. Comme j’ai dit dans cet acte, masser un arbre en y croyant a fait croire à mon inconscient que je me réconciliais avec mon arbre généalogique. Ce qui est vrai : quelques mois plus tard, je revoyais ma famille paternelle que je n’avais pas vue depuis 5 ans, ainsi que mon frère, ma soeur. C’est que nous avons des noeuds psychologiques, transmis de génération en génération, généralement injectés en nous pendant l’enfance, que nous démêlons sur la durée avec la psychanalyse, ou même avec la méditation zen. Pour donner une image, si je me rappelle bien de cette histoire : à Gordion, capitale de la Phrygie (Anatolie actuelle), les prêtres demandèrent de délier un noeud de cordes apparemment impossible à dénouer. Celui qui arriverait à le défaire irait conquérir l’Orient. Tous tentèrent de le démêler, sans succès. Mais Alexandre, qui n’était pas Grand alors, arriva et le trancha d’un coup

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d’épée. Il partit en guerre en Orient contre Darius à la tête de la grande armée grecque et macédonienne. Voilà en quoi consiste la psychomagie : non à démêler, mais à couper les noeuds psychologiques en peu de temps, par un acte radical. Entendons bien dans psychomagie : tout d’abord psycho, qui signifie qu’on utilise notre hémisphère gauche du cerveau, analytique, scientifique, logique, et magie, où on utilise notre hémisphère droit, intuitif, artistique, créatif. Vu que l’inconscient accepte les métaphores, la psychomagie va employer toutes les formes d’art, où le monde des métaphores pré-domine. Là où la psychanalyse, héritière du positivisme scientifique de la fin du XIXè siècle, continuant de croire que l’homme est un animal rationnel (malgré tout), qu’il peut guérir par la parole, pensant apprendre à l’inconscient à parler le langage du conscient, la psychomagie propose d’apprendre au contraire au conscient à parler le langage de l’inconscient, à utiliser le langage même de l'inconscient afin de résoudre les conflits qui sont en lui. Et ce langage passe par la vue, l'ouïe, mais aussi l'odorat, le goût, et en particulier le toucher. On met alors en scène un acte semblable à un rêve, qui touchera directement le lieu où le noeud, le traumatisme, se trouve : c’est-à-dire l’inconscient. Là où la psychanalyse démêlait le noeud en plusieurs années, la psychomagie le coupe en un coup. La parole guérit moins que l’acte, car l’acte utilise le corps, en passant à travers la barrière rationnelle qui équivaut à un censeur psychique. C’est dans ce sens qu’on peut dire que la cinémagie, dont le nom est très proche de la psychomagie, et ce n'est pas un hasard, est tout simplement l’art de filmer des actes psychomagiques. On pourrait donner des milliers d’exemples d’actes psychomagiques effectifs délivrés par Jodorowsky, mais je préfèrerais donner ici les miens, car nous parlons de cinémagie. Je dois aussi préciser qu’en cinémagie comme en psychomagie, personne ne prétend remplacer la médecine, bien au contraire. J’ai pris conscience de quelque chose d’important ces dernières années : non seulement les médecines occidentales et orientales commencent à dialoguer, et même à co-habiter dans certains hôpitaux, mais les « patients » ne sont pas satisfaits de la seule médecine occidentale, qui prend le « patient » (passif) pour un objet (paradigme de l’Objectivité mécaniste, froide et scientifique de la médecine), pour un corps, c’est-à-dire une somme d’organes sans âme, sans subjectivité. C’est ce que recherchent tant d’occidentaux qui prétendent mieux se soigner quand on s’occupe de l’âme et du corps à la fois. Je rappelle donc que la cinémagie est une forme d’art qui a des vertus thérapeutiques, et qu’elle n’est attestée par personne évidemment, n’étant même pas encore née.

On peut varier les actes psychomagiques à l'infini, donc les scénarios cinémagiques aussi. Et il est important de rappeler certaines choses. La psychomagie n'est pas une science, elle ne peut ni être universitaire ni commerciale, car chaque acte est créé « sur mesure », selon la personne et son histoire, sa singularité. Il est extrêmement rare de voir deux actes psychomagiques similaires. La psychomagie est donc un art. J'en conclus aujourd'hui qu'un acte psychomagique ne soigne pas la personne, mais enclenche un processus d'auto-guérison dans son inconscient, étant donné l'impact émotionnel et symbolique de ces mises en scène, et l'investissement du « consultant ». Face à des problèmes graves, le psychomage pourra donner un acte psychomagique, mais renverra vers un psychologue, un médecin, ou un avocat, c'est

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selon.

b.La magie du chaos

Une des influences principales de la cinémagie est la magie du chaos. C’est un courant magique né dans les années 1970, notamment avec des personnalités comme Peter Carroll et Ray Sherwin, qui se réclament eux-mêmes d’artistes et de magiciens, dont les principaux sont Aleister Crowley (1875-1947, occultiste, magicien et écrivain anglais membre de la Golden Dawn, société secrète fondée en 1888), et plus particulièrement Austin Osman Spare (1886-1956, dessinateur, artiste et magicien anglais à l’origine de la technique des « Sigils »). Ma définition personnelle de la magie du chaos est : « Le magicien du chaos joue avec les croyances sur le mode scientifique ». Nous parlons donc bien de magie, c’est-à-dire d’une action concrète de l’esprit sur le monde, mais nous soulignons son aspect ludique, son aspect religieux, et son aspect scientifique à la fois. La magie du chaos est plus une attitude qu’autre chose. La difficulté est qu’elle est par essence impossible à définir, comme le Tao (« Le Tao qu’on peut nommer n’est pas le Tao »). Le Chaos est souvent d’ailleurs comparé au Tao. Mais si on doit la définir, c’est un méta-système dont la spécificité est d’emprunter n’importe quel système afin de produire un effet concret sur le monde. En gros, un magicien du chaos sera un jour chrétien, un autre bouddhiste, un autre, il aura un système fondé sur l’imagerie Maya, un autre il empruntera un symbolisme d’une série télévisée. Personnellement, j’ai eu des résultats très positifs avec le symbole de Bugs Bunny. Ce qui compte est le résultat (Ray Sherwin sortira d’ailleurs un livre fameux nommé The Book Of Results). Tout devient possible tant que ça a une utilité (Bouddha disait : « Est vrai ce qui est utile »), ayant un impact concret dans la réalité. Ce qui implique qu’il ne suffit pas de croire dans un système, mais il faut aussi et surtout le mettre à l’oeuvre dans la vie quotidienne. On peut se servir de personnages de BD, de logos publicitaires, prendre comme pentacles des enjoliveurs. Vu que tout est symbole, toute chose est sacrée. On peut trouver autant de significations sacrées dans la Bible, les Védas, une blague Carambar, dans une BD de Picsou, ou dans un épisode de Pokémon. Le symbole n’est que le reflet de l’état de conscience de celui qui le regarde (Oscar Wilde : « La beauté est dans les yeux de celui qui regarde », bien qu’on dise que cette phrase est de Lao Tseu). Dans l’unité, tout est sacré, et susceptible d’être utilisé pour parvenir à nos fins. Peter Carroll disait justement que la magie du chaos considère les croyances comme des moyens plutôt que comme des fins en soi. Je comparais alors, avec tout le respect, les croyances à des préservatifs, qu’on jetait après avoir joui avec. En ce sens, Phil Hine, un « Chaoïste » célèbre, sortit un livre qui s’appelle Chaos prêt à cuir, soulignant cet aspect utilitaire et « à usage unique » des croyances. Une des seules réticences que j’ai en ce qui concerne la magie du chaos, c’est un certain aspect destructeur qu’on trouve chez certains de ses praticiens. Ils prônent la drogue, l’alcool, la douleur, le sadomasochisme, etc. Une phrase que j’ai alors c’est « Il faut transformer la magie du K.O. en la magie du O.K. », l’orienter vers la positivité. Mais c’est aussi bien que tant de pratiques co-existent dans ce « mouvement ». En cinémagie, la pratique de la

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magie du chaos sera essentielle, car elle vise l’efficacité, mais aussi elle induit que l’esprit de chaque Volontaire peut s’adapter à n’importe quel système de croyance (fut-ce durant un seul sketch cinémagique), soit déjà existant, soit inventé. Elle s’en sert jusqu’à ce que le système ne soit plus utile, ou inefficace. J’ai personnellement pratiqué la magie du chaos depuis mon enfance, mais sans le savoir. Et je pense que nous le faisons tous. Tout le monde est dans un système de croyance qui forme sa réalité. Ici, il s’agit de jouer avec ça. C’est ce qu’on appelle « le saut de paradigme ».

Pour donner un petit exemple, un ami était alité depuis plusieurs jours, avec une forte fièvre et des maux de tête, ainsi qu’un mal de gorge très gênant. N’ayant pas de sécurité sociale dans son pays, il m’en parle sur le net. Je lui conseille alors d’aller vomir un serpent invisible de 30 mètres dans ses toilettes, qui symbolisera sa maladie, et d’imiter ce vomissement avec le plus de théâtralité possible. Voici le résultat de son acte : « Pendant près de deux heures je me concentre pour matérialiser ma maladie dans ce serpent fictif. Quand je sens que la maladie fait partie intégrante du serpent je vais aux toilettes et d’abord doucement je tire ce serpent fictif hors de moi, puis de plus en plus violemment jusqu’à hurler et pleurer. Après ces efforts je me sens exténué et à bout de force. Je retourne au lit et très rapidement je glisse dans un sommeil extrêmement profond et sans rêves. Le lendemain je me réveille en sueur. Mon mal de gorge a disparu, ainsi que la fièvre et les maux de tête. » Cette idée du serpent à vomir m’est apparue évidente, mais après coup j’ai pris conscience que j’avais emprunté ce symbole aux tribus amazoniennes et aux rituels chamaniques de l’ayahuasca, où le patient vomit des serpents de plusieurs mètres sous forme d’hallucinations, pour extérioriser ce qu'il n'arrivait pas à « digérer ». Cependant, mon ami savait que ce serpent était fictif, comme il le dit, et que ce qu’il a fait était dans le cadre d’un théâtre symbolique (je dirais un théâtre sacré). J’ai même expliqué la symbolique, ne prenant pas la personne pour un enfant, mais lui disant que c’était de la fiction. En ce qui concerne la magie du chaos, je savais qu’en utilisant cette symbolique universelle du serpent, un esprit qui n’est pas forcément attaché à cette culture chamanique « ingérerait » le symbole spontanément (pour le vomir). Si on avait filmé cette scène, avec un avant (la personne explique son problème), un pendant (l’acte en lui-même), et un après (le résultat de l’acte), ça aurait été de la cinémagie.

Il n'est pas du tout facile de définir la magie du chaos, car elle se base surtout sur de la pratique. La définir serait la limiter. C'est comme de la « théologie négative » : on ne peut que définir la « Chaos Magick » par ce qu'elle n'est pas. Ce n'est pas une secte, ce n'est pas une vision du monde, ce n'est pas une strip teaseuse que j'ai connue au Rubis Palace à Rennes. Trois choses qu'on peut retenir : le magicien du chaos joue avec les croyances sur le mode scientifique, il expérimente des systèmes de croyance et des rituels empruntés, mélangés ou purement inventés dans un but pratique et immédiat. Ce qui compte est ce qui marche. On pourrait illustrer ça par 3 paroles : « Est vrai ce qui est utile » (Bouddha), « Est vrai ce qui agit » (Antonin Artaud), et rajoutons « Est vrai ce qui augmente ma santé » (Friedrich Nietzsche). Une fois un système inutile ou inefficace, voire nuisible, il faut le jeter, pour passer à un autre.

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Pour conclure, on pourrait dire que pour la magie du chaos l'âme agit du chaos.

3. LES OUTILS DE LA CINÉMAGIE

a. Le tarot au service de la cinémagie

Un élément essentiel dans la pratique de la cinémagie est le Tarot. Je vais donc devoir en parler brièvement, sans entrer dans des détails techniques, mais en allant à l'essentiel, et dire en quoi il sert en vue de la cinémagie. Je l'étudie et le pratique quotidiennement depuis deux ans maintenant. Généralement quand on dit tarot on pense Madame Irma, vieille et grosse femme habillée en violet avec une mouche sur le visage, lisant le futur dans une caravane très parfumée. Bref, de la cartomancie. Le tarot tel que je l'utilise relève non de la cartomancie, mais de la tarologie. On ne lit pas le futur, car prédire le futur à quelqu'un est une prise de pouvoir sur lui, l'inconscient de la personne obsédée par la prédiction (ex : tu vas avoir un accident) s'arrange toujours pour réaliser ce qui a été « prédit ». La personne a un accident et Madame Irma gagne un client. Alors j'oriente ma lecture (par essence gratuite) de tarot sur le passé, et sur le présent, le voyant comme un outil d'exploration psychologique, de développement spirituel, et de créativité artistique.

Le tarot est constitué de 78 arcanes, ou images, dont 22 arcanes majeurs et 56 mineurs. Ces images étranges sont si ambiguës dans leur contenu qu'il est facile pour quiconque de se projeter dessus. C'est un outil de projection donc, et ce qui est intéressant c'est qu'à chaque fois que la personne se projette, ce sont les contenus de son inconscient qui se révèlent. La plupart du temps, ce sont des problèmes liés à l'enfance, à la formation dans la famille, voire à la gestation et à la façon d'avoir été accouché. Ces arcanes (du latin arcanum, mystère) ne veulent donc rien dire d'autre que ce qu'on y projettera. Il n'y a pas de significations, c'est juste un reflet de notre âme, de notre état de conscience présent, et une fenêtre sur l'esprit. Avant de créer un sketch cinémagique, il faudra, dans l'idéal, passer par une séance de tarot dans et par laquelle on élucidera les problèmes du consultant. La séance pourra être filmée pour être intégrée dans le sketch.

Vu qu'on peut y projeter n'importe quoi, mais que l'art du tarot consiste justement à projeter les plus belles et les plus utiles interprétations sur ses contenus, je peux dire que le tarot m'a inspiré tout l'art de la cinémagie. J'ai projeté à la fois des systèmes philosophiques, spirituels, symboliques, artistiques, qui peuvent être utiles dans la pratique de l'art cinémagique. On pourra, entre autres, se servir d'un tirage afin d'en créer le scénario d'un sketch. Je disais au début de ce mémoire que c'est le tarot, d'ailleurs, qui m'a inspiré l'idée de sketch, une mise en scène symbolique qui se termine toujours par le positif. Car dans la numérologie du tarot, le chiffre 9 par exemple, s'écrit en chiffre romain « VIIII » et non « IX » (4 s'écrit IIII, et non IV, 19 s'écrit XVIIII et non IXX, etc), car le tarot est positif, additionnel, orienté vers la progression, et non vers la soustraction : 4=1+1+1+1 et non 4=5-1.

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En fait, le tarot m'a tellement servi à élaborer la cinémagie que je le considère comme l'outil clé, l'instrument type du cinémagicien. Il aidera à développer l'intuition, la créativité, et même l'activité onirique. De la même façon qu'un film est une suite d'images, de combinaisons et de permutations, le tarot suit le même principe. On pourra donc s'en servir à volonté. Personnellement, le tarot m'a sorti de situations stagnantes, et produit un élan vers la guérison en moi. Je peux dire que grâce à lui je suis littéralement re-né des cartes.

b. L'art au service de la cinémagie

Étant donné que la cinémagie consiste à filmer des actes psychomagiques, variables à l'infini, taillés sur mesure selon la singularité de la personne, et partant du principe que l'inconscient accepte les actions métaphoriques, nous pouvons alors utiliser tout ce qui s'adressera à l'inconscient de façon symbolique. Et l'art, qui se révèle à travers les arts, est utilisé ici pour ses vertus thérapeutiques. Tous les arts sont donc au service de la cinémagie. Les arts au sens large : non seulement la peinture, mais aussi la cuisine et les jeux vidéo. Ou comme nous l'apprend la magie du chaos, n'importe quel système d'images. La cinémagie n'étant qu'un art en gestation, bien que des expériences aient été faites et se sont révélées efficaces et bénéfiques, je ne peux donner encore beaucoup d'exemples qui ont été réalisés. Ma pratique de cet art n'a que 2 ans, les exemples se multiplieront au fur et à mesure des années qui vont suivre. Je vais donner alors des exemples qui ne sont que fictifs, pour illustrer ce que pourraient être des sketchs cinémagiques pour quelques arts (ne pas les tester : c'est pour illustrer).

Fabriquer des marionnettes représentant sa famille, et les faire parler. Cela aide le Volontaire à comprendre sa famille, faire parler chacun de ses membres, y compris ceux qu'il ne connaît pas (une grand mère défunte, un père absent, etc). Mystérieusement, et tout marionnettiste le sait, la marionnette commence à un moment à prendre de l'autonomie, et parle « toute seule » par notre bouche. On enverra, si on le souhaite, cette mise en scène filmée à la famille.

En ce qui concerne une femme, pour redonner de la valeur à une féminité dévalorisée, causant un sentiment de culpabilité vis à vis de sa sexualité et de sa créativité, il conviendra de peindre un autoportrait avec son sang menstruel, et l'encadrer dans un cadre en argent, suspendu sur un mur bien visible, celui de la salle à manger par exemple. Inviter ensuite la famille, en particulier le père, ainsi que les amis pour un dîner solennel. Cet acte a été fait par des centaines de femmes, et les résultats ont été très bénéfiques, surtout en ce qui concerne leur travail.

Un jour une femme, mère de 3 enfants, vient me voir en me disant qu'elle ne se sent pas entière, qu'elle vit à moitié, comme si un fantôme vivait à sa place. Elle s'appelle Sylvie. Je lui demande alors son deuxième prénom, elle me répondit que c'était Renée. Puis je lui demande si elle a un frère mort-né. Elle me répond que oui. Je

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venais, il y a un an, de lire un livre de psychologie qui parlait exactement de ça. Elle me demande comment j'ai deviné, car elle revenait de presque 10 ans de psychanalyse et venait tout juste de convenir avec son psy que son problème venait de là. Je lui dis que l'inconscient fait des jeux de mots et que ses parents avaient « involontairement » projeté son frère mort-né sur elle, en partant de ses prénoms : Sylvie se prononce « S'il vit » et Renée veut dire « re-né », renaître. J'appris plus tard que cette femme avait fabriqué une statuette à l'effigie de son frère qu'elle n'avait pas connu mais dont elle avait porté l'identité toute sa vie, la coupant émotionnellement de ses enfants, et l'avait enterrée symboliquement, en plantant un arbuste dessus (il faut toujours finir par un symbole de vie, de la vie qui reprend). Elle se sentait alors beaucoup mieux.

On a là 3 exemples : marionnette, peinture, sculpture. On pourrait les multiplier à l'infini. Mais il faut que j'aborde maintenant quelques actes que j'ai moi-même faits, et qui ont eu des effets bénéfiques. Car dans les arts il y a évidemment la Poésie.

La cinémagie est un prolongement de ma pratique de la poésie. Écrivant des poèmes depuis mes 13 ans, je suis passé par diverses phases. D’abord, la recherche de la forme, j’en suis arrivé aux vers libres. À partir de mes 14 ans, j’ai commencé la poésie orale, mettant à exécution ce que Gaston Bachelard appelait, dans son livre L’Air et les Songes, la télépoésie. J’inventais des poèmes à imagerie collective (influencé par Jung), je demandais à une personne de s’installer confortablement en fermant les yeux, et je le lui récitais - souvent, je faisais de longues improvisations de plusieurs heures. Mon but était, par la dynamique de l’imagerie, d’amener la personne dans un voyage mental, pour arriver à la source de son être, symbolisée par une fontaine de lumière dans la nuit, par un enfant dansant dans un enfer de flammes, une coquille Saint Jacques dans un océan de métal liquide, etc. Le résultat est que les personnes me remerciaient pour le « trip » fascinant qu’ils faisaient, et c’était à l’époque tout ce que je voulais. Je me rends compte aujourd’hui que la cinémagie concrétise dans la réalité quotidienne ce que je faisais alors seulement mentalement, ce qui maintenant a un impact beaucoup plus puissant, car le corps entier sert à l’expérience. Et à la différence, la cinémagie ne consiste pas à atteindre la source de notre être, je ne suis pas un charlatan de ce genre, mais à donner de nouvelles perspectives à une existence enchaînée dans le passé. La cinémagie, comme le tarot, est un outil. Donnons un exemple que j’ai vécu moi-même : une nuit je sors de chez moi pour faire une action poétique, emporté par un mouvement qui me dépasse. D’un coup je veux être un dinosaure, je marche en me mouvant comme lui, un T-Rex, je cris comme lui. Je me dis qu’il faut que je retrouve mes baskets de dinosaure. Je passe le grillage d’un terrain privé et gigantesque. J’y pénètre et vois un chien de garde sans chaîne, dans l’ombre totale ; j’ai si peur que je veux fuir en courant mais je m’en approche, et remarque que ce n’était qu’un sac plastique ! Je « tombe amoureux » d’une colline, alors je monte dessus, pensant qu’elle a mes baskets de dinosaure. On voit la lune, alors pour célébrer le mariage, je me mets à pisser en lui déclarant mon amour. En partant, je me trouve dans un bosquet, un rayon de lune seul éclaire le sol, perçant les ramages, et en regardant, je trouve un bouton de veste ayant

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9 trous. C’était une expérience très forte, totalement et spontanément improvisée. Il faut laisser l’imagination et l’intuition nous guider. En rentrant chez moi, j’analyse un peu ce rêve vécu. J’ai pris le dinosaure pour remonter (ou redescendre?) dans mon cerveau reptilien, retrouvant les sensations les plus instinctives possibles ; chercher les baskets c’est chercher l’évolution vers l’être humain (remonter au néo-cortex) ; le chien représente l’ombre, la résistance de l’inconscient, qui n’est autre qu’une illusion ; la colline, lien entre terre et ciel, est le symbole maternel afin de renaître ; la lune aussi, mais symbole maternel cosmique ; je pisse sous la lune, mariant l’or solaire de l’urine aux rayons d’argent lunaires ; ensuite, au milieu du bosquet, l’inconscient, je trouve un bouton à 9 trous, ce qui est un mandala (Jung voyait des mandalas même dans les chapeaux melons), mais plus particulièrement un ennéagramme (étoile à 9 branches probablement d’origine soufie reprise par l’occultiste Georges Gurdjieff). Je ne veux pas trop théoriser (on pourrait voir un processus d’individuation dans cet acte, au sens jungien, et la trouvaille du bouton, une synchronicité, une sorte de hasard prenant sens pour l’expérimentateur), car ce qui compte est le résultat : l’élargissement de l’imagination, l’expérience de la peur surmontée, l’exploration de l’inconnu, et enfin un sentiment euphorique d’exister. Plus tard, j’ai découvert que l’école du théâtre-laboratoire de Jerzy Grotowski (avec Peter Brook et en particulier Ryszard Cieslak), ainsi que Walter Orioli et ce qu'il nomme la théâtro-thérapie (Théâtre et Thérapie, 2010), utilisaient des procédés similaires pour dissoudre les barrières corporelles (blocages perceptifs et gestuels) ou mentales (blocages psychologiques et spirituels) de ses acteurs. Il est très important de souligner qu’après ce genre d’expérience, il y a un avant et un après, nous ne sommes plus jamais le même. Certains pourraient dire qu’on utilise rationnellement la folie pour guérir (en espagnol, « la lo-cura es lo que cura », la folie est ce qui guérit), et qu’il faut être fou de temps en temps afin de ne pas devenir fou pour de bon.

Lorsque j'ai appris que l'école du Théâtre-laboratoire de Grotowski pratiquait ces méthodes, j'ai su que l'intuition était bonne. Je touchai quelque chose. Et j'avais découvert chez Grotowski (que ce soit dans son livre Vers un Théâtre Pauvre, 1971, où dans un livre collectif merveilleux récemment paru L'anthropologie théâtrale selon Jerzy Grotowski, 2013), la dynamique de la théâtralité en cinémagie. Selon lui, le théâtre ne consiste pas à apprendre des techniques, mais à éliminer nos résistances. Je parle de ça, car la cinémagie repose principalement sur la théâtralité. Ensuite, je découvrais la théorie de la TAZ d'Hakim Bey (pseudonyme de Peter Lamborn Wilson, qui écrivit TAZ en 1991), ainsi que l'Immédiatisme qu'il prônait (Sermons Radiophoniques, 2011). La TAZ, ou Zone Autonome Temporaire (en français), consistait à créer spontanément et provisoirement une sorte d'espace sacré, improvisé, où tout devenait possible, où une action libératrice pouvait naître. Cette théorie donnait naissance plus tard aux Rave Party, mais je l'utilisai comme une base théorique où déployer des actions magiques. Je pense alors que la cinémagie peut se pratiquer n'importe où, n'importe quand, avec n'importe qui et n'importe quoi. J'imaginai une petite foule dans la rue, en cercle, le cinémagicien au milieu interrogeant un homme. L'homme travaille dans le garage de son père, ce dernier

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voulant de lui qu'il reprenne les rênes de l'entreprise familiale. L'homme dit alors ne pas se sentir complet, il veut autre chose. Le cinémagicien, filmé par les Iphones des gens, détecte le problème. Il dessine sur une feuille le symbole de la marque TOTAL, en lien avec le métier de réparateur de voiture du monsieur. Il dit « Tiens, tu ne te sens pas complet, alors je vais te frotter avec la marque TOTAL, pour que tu retrouves ton Essence. » Cela provoque quelques rires mais ça fait partie du rituel. Ensuite, il conseille à l'homme d'aller voir son père habillé en petit enfant, muni d'une petite niche où il aura mis une pastèque, devant son père il enlèvera la pastèque et l'écrasera à coup de pieds : « Je ne suis plus l'enfant que tu voulais, maintenant, je suis moi ! » Il se déshabillera devant lui et mettra des vêtements nouveaux, laissant à son père une petite voiture, une PORSCHE peinte en rose.

Nous pouvons donc conclure temporairement que la cinémagie n'est nullement une synthèse des arts et des thérapies, mais bien plutôt un creuset susceptible de tous les accueillir. Car le cinéma est un art « cannibale », capable de digérer les autres arts en lui : c'est son point commun avec la psychomagie. Nous voilà donc avec la cinémagie. J'avais un jour lu « cinéma » en langue des oiseaux, ça donnait « Si naît ma », il y a bien une idée de naissance conditionnelle. Et à l'envers, « cinéma » donnait « amenic », l'âme nique. En cinémagie, il y a cinéma si l'âme nique, si on sent dans nos profondeurs une jouissance dans l'affinité des images qu'on partage avec elles, affinité que réclamait notre inconscient. La cinémagie consistera donc à ré-équilibrer le manque de certaines images, pour donner une information manquante à l'inconscient, due à un excès ou une carence vécus.

Parlons aussi quelques lignes de ce que j'appelle le théâtre invisible, qui va nous éclairer sur ce qui anime la cinémagie. Quand j'avais 14 ans, j'ai lu Les Seigneurs et Les Nouvelles Créatures (1970) de James Douglas (Jim) Morrison, dont la première partie est, à mes yeux, le plus brillant et prometteur essai d'esthétique sur le cinéma, mais aussi une poésie authentique, sous forme d'aphorismes et de vers libres, pouvant appeler nombre d'interprétations enrichissantes chez le lecteur. Une des phrases était : « L'idée de hasard est absente dans le monde de l'enfant et du primitif. » J'en déduis que nous pouvions inventer à volonté un monde de synchronicités, c'est-à-dire non pas retomber en enfance, mais refaire monter l'enfance en nous. Un enfant peut jouer avec un bout de bois, dans la rue, il s'inventera un monde entier invisible, et deviendra un héros durant 6 heures d'affilée. Nous connaissons tous ça : je veux parler du théâtre invisible. Cela part du principe que sur la réalité matérielle est calquée un monde imaginaire au potentiel infini. Ce que je raconte un peu plus haut sur mon expérience en tant que dinosaure à baskets est un bon exemple de mise en pratique du théâtre invisible. À une époque j'adorais faire rire les piétons en leur ouvrant une porte invisible, et en leur indiquant gestuellement et poliment de passer. Il y a donc une part de mime dans le théâtre de l'invisibilité. C'est une théâtralité métaphorique, ou des gestuelles concrètes renvoient à une réalité imaginaire, qui pourtant est efficiente car efficace. Je pense sincèrement que c'est sur ce monde que les shamans, les magiciens, les sorciers agissent, et qu'ils en sont les spécialistes. Dans son livre Les Jeux et les Hommes, Roger Caillois parlait très justement d'une

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« hystérie professionnelle » (expression reprise par Morrison dans The Lords quand il parle des séances de chamanisme). Il s'agira, en cinémagie, d'agir dans le monde du théâtre invisible, en ayant conscience que pour le Volontaire, imiter métaphoriquement un acte revient à le faire réellement. Pourquoi ? Parce que toute expérience est vraie pour le corps. Nous avons des « neurones-miroirs » qui s'activent lorsque nous imaginons, voyons ou imitons une action, qui sont les mêmes que si on la fait réellement. À un consultant qui nous confiera qu'il n'arrive pas à aimer qui que ce soit, nous pouvons lui conseiller de se faire une nouvelle carte de visite en se donnant un pseudonyme et un métier imaginaire, par exemple « Éolux - masseur de vent -». Son acte quotidien consistera très sérieusement et avec dévotion, avec un amour total, à masser le vent, une heure au moins par jour. Il devra y mettre tout l'amour qu'il peut. Dans son cerveau, les mêmes neurones s'activeront que s'il massait par amour n'importe quoi d'autre (Éolux renvoie à Éol, le dieu du vent, et à Lux qui veut dire lumière, cette dernière étant confondue avec l'or et l'amour dans l'inconscient, le don impersonnel). Durant un temps, j'avais fait de même en me nommant « Pierrokey, Masseur de Fantômes », avec mon numéro, mon blog, sur cette carte de visite que je donnais à chaque personne rencontrée. Cela renvoie au théâtre invisible : masser des fantômes c'est pouvoir toucher ce qui est impalpable, faire du bien au corps spirituel des gens.

Un jour, une amie était effondrée devant moi, et l'écoutant des heures je suis entré en transe. D'un coup je lui ai demandé avec douceur, assurance et autorité de se coucher par terre sur le dos. Je lui demandai si elle me permettait de lui retirer les toiles d'araignées de son passé sur tout son corps. Décrivant d'abord un cercle magique invisible avec mon doigt dans lequel elle s'allongeait (pour la séparer et la protéger symboliquement des influences du monde profane et délimiter un espace sacré), je coupais avec la main tous les liens qui l'attachaient au dehors (en faisant des sfuit, sfuit, sfuit, imitant des bruits de lame), à un millimètre de son corps (sans la toucher, sinon ça deviendrait une agression). Ensuite, alors qu'elle aussi était en transe, je lui enlevai les toiles d'araignées métaphoriques sur toute la surface du corps, durant peut-être 45 minutes, parfois en « simulant » un immense effort. Par exemple, arrivé au niveau de sa moelle épinière, je sentais une résistance, je retirai un bout de toile sans la toucher, et elle poussa un cri de douleur. Pareil au niveau des pieds. De temps en temps, je lui soufflai au dessus du crâne, au niveau du ventre, et au niveau de la gorge, pour insuffler un élan de vie nouvelle. Après coup je me rendis compte que j'avais imité la pratique du fameux shaman péruvien Kestenbetsa. À un moment, quand je la tournai ventre sur le sol, une de ses chaussures se retira, et instinctivement je la lui remis avec une attention infinie. Une fois la séance finie, elle se sentait extrêmement bien, et me faisait part de son expérience (le ressenti de la douleur alors que je ne la touchais pas, l'histoire de la chaussure...). Moi, j'étais à la fois inconscient (totalement absent) et surconscient (infiniment présent), dans une transe dévouée à prendre soin de la personne, à la guérir. Une sorte d'attention hyper aiguë, où chaque geste était parfait, comme si on agissait à travers moi. Bien que l'expérience fut exceptionnelle, je me promis de ne plus jamais recommencer, avant d'être plus évolué dans mon chemin. Cette séance était inspirée d'une thérapie par le toucher qu'a reprise

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Jodorowsky en la nommant psychochamanisme. Comme les membres fantômes (amputé, la jambe nous démange encore), nous avons un corps fantômes sur lequel on peut agir par l'acte métaphorique : par le théâtre invisible, où nous pouvons imiter une opération chirurgicale symbolique par exemple. C'est une autre facette de la cinémagie que j'explorerai peu à peu, sans prendre de risques, en y allant avec des pincettes, et bien sûr en me renseignant le mieux possible sur le sujet par des pratiquants confirmés et professionnels.

c. La science au service de la cinémagie

Il est certain, en vue des pratiques de la magie du chaos sous-jacentes à la cinémagie, que nous pourrons aussi utiliser des systèmes provenant des sciences pour les inclure dans un sketch cinémagique. Mais, au stade où nous en sommes pour l'instant, il y a deux sciences utilisées principalement : la métagénéalogie, qui est d'ailleurs plus un art qu'une science, et la noologie, dont nous allons parler très brièvement.

La métagénéalogie est le nom que donnent Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa à ce que d'autres appellent psycho-généalogie (cf bibliographie : Métagénéalogie, 2011). Il s'agit de l'étude des influences qu'a notre héritage psycho-familial sur nos vies. Tout ce qui nous arrive est généralement arrivé, d'une façon ou d'une autre, à un membre de notre famille. Et selon des procédés de répétition, d'opposition, de compensation, et d'interprétation, nous reproduisons ce qui est arrivé aux membres de notre arbre généalogique, parfois sur plusieurs générations, sans même le savoir. Avant un sketch cinémagique, à l'aide du tarot et de la métagénéalogie, il s'agira de faire une séance au consultant, afin de débusquer les problèmes centraux auxquels il est confronté. Cette séance pourra éventuellement être filmée. Il est essentiel de la faire, sinon le scénario cinémagique pourra être faussé, ou incomplet. Comme à la guerre, il vaut mieux connaître le terrain où a lieu le conflit. Je n'irai pas plus loin dans la description de la psycho-généalogie, car bien que nous soyons en plein dans la cinémagie, ça risquerait d'obscurcir le sujet.

La noologie, ou étude de la vie de l'esprit, initiée par Pierre Teilhard de Chardin dans les années 1920, et systématisée par Edgar Morin (La Méthode IV, Les Idées, 1991), est aussi très pratique pour une approche cinémagique. Dans notre perspective, elle est liée à la magie du chaos : par exemple, si je crée un système, il va rétro-agir sur moi. La connaissance de cette « discipline » est utile pour le cinémagicien, car elle résume de façon efficace, bien qu'étant conceptuelle, la manière d'approcher la pratique cinémagique. Imaginons une maladie qu'on traîne depuis longtemps, elle sera symbolisée par une boule de bowling noire que l'on mettra dans un sac à dos noir durant 7 jours. On se déplacera avec, et au bout de ce laps de temps, on y accrochera suffisamment de ballons gonflables pour aller la jeter dans un fleuve, la regardant partir au loin. Ou encore, si une nostalgie de notre pays d'origine nous obsède, alors que nous ne pouvons y aller, nous commanderons un peu de terre de ce pays, la mettrons au fond d'un petit bac, dans lequel nous mettrons nos pieds nus chaque matin et chaque soir, ou bien chaque fois que nous aurons une soudaine nostalgie.

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Ces petits actes, par leur simplicité même, parlent à l'inconscient, qui passe à la fois par la vue, mais aussi l'ouïe, l'odorat, le goût, et le toucher. Mais c'est un principe même de la noologie que nous utilisons là : celui de la récursion qui dit que « ce que je produis me produit », ou la rétroaction qui dit « ce que je fais revient sur moi en boomerang ». Nous créons ici des récursions et des rétroactions positives, délibérément, en parlant au cerveau droit, celui de l'imagination intuitive et des symboles.

Par extension, les données de toutes les sciences (qui peuvent être projetées sur les arcanes du tarot, afin d'en faire des systèmes cohérents), de la biologie moléculaire à la psychologie analytique en passant par la physique quantique, pourront être utiles. Vu que nous sommes en occident, il est vrai que le consultant a souvent besoin sinon d'explications rationnelles à propos des actes prescrits, du moins des langages parfois validés par la science. Pourquoi pas ? Vu que tout est symbole, nous pouvons utiliser à peu près n'importe quoi, tant que ça a un impact positif, utile et bénéfique pour le consultant. Ce qui compte, c'est que l'intuition du cinémagicien soit assez développée pour capter ce dont l'inconscient du consultant a vraiment besoin. Et c'est bien par la pratique que nous arriverons peu à peu à l'essentialisation du geste.

d. La religion au service de la cinémagie

La cinémagie considérant que les croyances ne sont pas des fins en soi mais des moyens, elle empruntera n'importe quel symbolisme ou pratique à n'importe quelle religion. Rajoutons que les convictions intellectuelles n'influent pas sur l'impact des symboles (religieux ou pas) sur l'inconscient profond, on pourra donc scénariser un sketch cinémagique à une personne athée. Bien sûr, il est préférable pour une personne hindouiste d'inclure dans son sketch des symboles de sa religion, car l'intellect ne fera pas d'opposition du tout, et cela pourra faciliter l'acte. On pourra donc voir dans un sketch cinémagique une personne qui, issue d'une famille iranienne qui a eu des accidents de voiture à répétition et dont la religion est le zoroastrisme, pourra dans un premier temps changer la marque de sa voiture avec le logo Mazda qu'il collera : Ahura Mazda étant le Dieu suprême du mazdéisme, dont le prophète est Zarathoustra (d'où le zoroastrisme), l'inconscient du consultant sera plus en harmonie lors de ses conduites, qui auparavant lui nouaient le ventre.

Évidemment l'attitude sceptique et rationnelle ne voudra pas croire à tout ça et criera à la superstition. Le problème, de nos jours, n'est plus de croire en la vérité, mais d'utiliser des vérités temporaires tant qu'elles sont utiles. Le monde n'étant pas rationnel mais relationnel, n'étant pas logique mais analogique, pas intellectuel mais artistique, on ne pourra que se fier aux résultats. Nous utilisons une partie du cerveau qui fut utilisée par tellement d'ancêtres, que nous en avons un héritage certain : la nier serait se priver de potentiels créatifs et thérapeutiques vitaux. Il ne s'agit pas de croire en des superstitions, ou mettre nos espoirs dans des symboles puérils : à chaque fois,

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le consultant ou le volontaire sait que ce qu'il fait est fictif. Là où c'est intéressant c'est que l'inconscient, lui, accepte ce langage métaphorique.

Au point où j'en suis avec la cinémagie, c'est-à-dire à des balbutiements expérimentaux, j'en suis arrivé à la conclusion temporaire que nous sommes d'abord des occidentaux. J'ai parfois tiré le tarot à des Asiatiques (qui, en plus, parlaient mal français), et les symboles, pour la plupart, ne leur parlaient pas. Sans doute qu'il y a un inconscient collectif donc certains archétypes peuvent parler à tout le monde, mais il faut reconnaître que notre inconscient culturel est d'abord occidental. Qu'avons-nous donc à portée de main ? L'ésotérisme en général, et plus particulièrement l'alchimie, qui est une de nos plus grandes matrices de symboles. Nous avons aussi le druidisme, dont nous savons pas grand chose, ou le celtisme. Une fille qui avait un grand défaut de communication me demandait un acte pour mieux s'exprimer. Je lui ai conseillé d'aller dans une forêt, de se « planter » comme un arbre, se sentir comme si elle était un arbre, et de chanter le plus fort possible, en imaginant que les arbres lui répondent par le bruissement de leur feuilles. Après ça, elle retrouva la force de communiquer avec ses parents, et de faire beaucoup de nouvelles rencontres. Ce n'est pas du celtisme, ou du druidisme, mais ce que je veux dire par là, c'est qu'en nous l'inconscient a besoin de refaire des connexions poétiques avec la vie, car c'est précisément ça qui lui parle, ré-enchanter le monde, pour sortir de la prose (selon les termes d'Edgar Morin, Méthode V, L'Humanité de l'Humanité).

Certains auteurs parlent d'ésotérisme dans le cinéma, dont Maxime Scheinfeigel dans Cinéma et Magie, ainsi que Yann Calvet dans son excellent Cinéma, Imaginaire, Ésotérisme, que ce soit de façon thématique, c'est-à-dire où on retrouve explicitement des éléments de l'ésotérisme dans des films de cinéastes apparemment au courant, mais aussi en tant que pensée magique (et dans les mécanismes même du cinéma, pouvant être vu comme la réactivation d'une sensibilité animiste du monde). Toutefois, même si ces ouvrages ont été très importants, et continueront à l'être, dans l'élaboration de la cinémagie, cette dernière tend à inverser le processus : si nous retrouvons des éléments de l'ésotérisme occidental, que cela provienne par exemple du gnosticisme, de l'alchimie, de l'hermétisme, de la Rose Croix, de la Franc Maçonnerie, ou même du Christianisme, etc, c'est que nous utilisons ces symboles dans un but thérapeutique. Et cela non pour exprimer une vision du monde, ou transmettre des messages, ou encore éveiller la pensée magique du spectateur, mais bien pour que ça ait tout simplement un impact direct sur l'inconscient du Volontaire.

Et j'en profite pour parler de la catharsis. Cette « purge des émotions » définie par Aristote lorsqu'il parlait du théâtre grec, consistait pour le public à regarder un acteur être dévoré par son destin inéluctable sur scène. Le spectateur, saisi de terreur et / ou de pitié, déchargeait alors ses émotions comme sur un bouc émissaire, personnifié par l'acteur tragique. Ici encore, la cinémagie inverse le processus. Ce n'est pas en étant témoin d'un acte que la catharsis, ou la cure, va arriver : c'est en accomplissant nous-même l'acte. Il y a plusieurs façons de se débarrasser d'une pulsion : soit on la refoule, mais elle reste et s'exprime à travers des lapsus, des actes manqués, qui

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peuvent se révéler catastrophiques, ou toutes sortes de déviations névrotiques ; soit on sublime la pulsion, par exemple dans un projet ou une œuvre d'art ; soit on réalise métaphoriquement la pulsion. Cette dernière solution appartient à la psychomagie. La psychanalyse se rend compte que quand un patient a un complexe d'Oedipe (ou, selon la terminologie de C.G. Jung, un complexe d'Électre, pour les filles) très prononcé, disons : « J'ai envie de faire un enfant à mon père », il ne peut s'en débarrasser ni en le refoulant, car ça n'aboutira qu'à une transposition pure et simple de la pulsion à travers un transfert ; ni par la sublimation, car la frustration revient très vite, et le résultat est le même. Par contre, en psychomagie, nous réalisons la pulsion pour s'en débarrasser, mais de façon métaphorique. Comme disait Lord Henry dans Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde : « Le meilleur moyen de se libérer d'une tentation, c'est d'y céder. » La consultante trouvera un homme de bonne volonté, empruntera des vêtements appartenant à son père, collera une photo de son père sur l'homme, et fera l'amour avec lui, jusqu'à l'orgasme (qui, le cas échéant, devra être simulé le mieux possible). Et la pulsion, réalisée, bien que métaphoriquement, s'en va. Il est de la plus haute importance, tant en psychothérapie qu'en psychomagie ou en cinémagie, de se placer d'un point de vue amoral, sans esprit critique mais sans limites mentales non plus. Il vaut mieux réaliser métaphoriquement une fois une pulsion que vivre toute sa vie avec un complexe qui nous ronge, et dont souvent nous culpabilisons. Tout ceci pour dire que le bienfait de la catharsis n'appartient pas forcément au spectateur, en cinémagie, mais bien au Volontaire.

e. La philosophie au service de la cinémagie

Il va de soi que pouvant adopter n'importe quel système de croyance, nous y incluons notamment les systèmes de pensée. Il est surprenant aujourd'hui comme de plus en plus de personnes cherchent des systèmes de pensée pouvant donner cohérence au monde. On en parvient à croire que le don du sens est aussi vital que le don du sang. La prolifération de gourous, de maîtres à penser, de voyages chez les chamanes, de pratiques spirituelles, de thérapies individuelles et collectives, l'essor de la pensée positive, et des emportements New Age, montrent que les valeurs mourantes de l'occident font que la recherche de sens n'a jamais été aussi profonde et répandue. D'un autre côté, on ne veut plus de réponses toutes faites, et chacun veut créer son propre système. La cinémagie a son propre système, qu'elle inclut dans la scénarisation de ses sketchs. Il serait beaucoup trop long de le développer entièrement ici, mais comme un système de pensée sous-tend la cinémagie, nous nous devons de l'évoquer ne fut-ce que brièvement. Ce système se retrouve entièrement dans le tarot de Marseille restauré par Philippe Camoin et Alexandro jodorowsky en 1997.

Afin de bien capter ce dont a besoin le consultant, et donc ensuite de lui tailler sur mesure un scénario cinémagique qui lui corresponde et qui soit efficace et bénéfique, il faut avoir à l'esprit certaines choses. D'abord, de quoi le consultant est-il fait ? En cinémagie, on considère que l'être humain est composé de 4 énergies, ou centres issus de l'évolution du cosmos. Comme nous l'avons vu, dans le sens des chapitres, la

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cinémagie considère que l’humanité a 4 voies de connaissance principales : la philosophie, la religion, l’art, et la science. Elle utilise donc toutes les philosophies, toutes les religions, tous les arts, toutes les sciences, comme des moyens en plus pour s’appliquer et être efficace. On pourrait dire que le chiffre 4 est assez présent en cinémagie : l’humain a 4 centres : raison, passion, pulsion, action. Ils correspondent, dans le tarot, respectivement aux 4 couleurs symbolisées par les 4 personnages de l’arcane XXI, Le Monde : l’aigle pour les épées (air), l’ange pour les coupes (eau), le lion pour les bâtons (feu), le cheval pour les deniers (terre). Toujours respectivement, cela s’applique à nos 4 centres issus de l’évolution du cosmos jusqu’à nous : le néo-cortex, le cerveau mammifère, le cerveau reptilien, et la matière vivante. En allant plus loin, cela correspond à nos 4 centres, dont chacun a son propre langage : le centre intellectuel (idées, pensées, croyances), le centre émotionnel (émotions, affects, sentiments), le centre libidinal (désirs, instincts, pulsions), le centre corporel (besoins, actes, matérialité). Rajoutons que ces 4 centres sont divisés en 2 : hémisphère gauche du cerveau (contrôlant le côté droit du corps), ayant des capacités d’analyse, de calcul, de séparation, représentant l'animus, esprit essentiellement masculin, et l’hémisphère droit du cerveau (contrôlant le gauche du corps), ayant des capacités d’intuition, de créativité, d’union, représentant l'anima, âme essentiellement féminine. Chaque être humain, en plus d'être 4 donc, est 2 : à la fois masculin et féminin (physiologiquement, le cerveau est double, le cœur est double, le sexe est double, le corps est double). Ces 4 centres de l’être humain sont les « entrées » qu’utilise la Conscience pour entrer en expansion. La conscience est la quinte-essence, le cinquième élément, la cinquième essence, alors que les 4 éléments, ou centres, en sont les manifestations. Cette rapide théorie est inspirée du tarot donc, qui est divisé en 4 couleurs (épées, coupes, bâtons, deniers), mais aussi de la théorie du cerveau triunique du neurophysiologue Paul Donald MacLean, reprise par Henri Laborit (notamment dans Mon Oncle d'Amérique d'Alain Resnais, 1980), et du système qu'avait créé l'occultiste G.I. Gurdjieff (sur lequel a été réalisé un film en 1977 : Rencontre avec des hommes remarquables, par Peter Brook, justement un des principaux collaborateurs de Jerzy Grotowski), ainsi que du Dogme et Rituel de la Haute Magie (1856) d'Éliphas Lévi. Un livre de Jérémy narby m'a confirmé cela (Intelligence dans la Nature, 2005) : le premier être polycellulaire des océans primordiaux était à la fois un cerveau, un cœur, un sexe, et un système digestif. Ces fonctions qui n'étaient pas différenciées se sont spécialisées chez nous dans les 4 centres. L'avoir à l'esprit est très utile car il invite à voir le consultant comme une conscience divisée en 4 parties : le mental s'accomplit dans l'illumination (lumière) et dans une vision numineuse du monde (tout est béni et sacré), le cœur s'accomplit dans l'extase (amour) et dans une vision attractive du monde (tout s'attire et se connecte), le sexe s'accomplit dans l'orgasme (énergie) et dans une vision érotique du monde (tout s'accouple et s'engendre), et le corps s'accomplit dans la transe (matière) et dans une vision digestive du monde (tout digère et est digéré). Voilà l'idéal de la cinémagie : de retrouver finalement notre joie euphorique et créatrice, qui est sous-jacente à toute parcelle de vie. L'Alchimie dirait « aller chercher l'étincelle divine de lumière enfermée dans la matière. » Ou selon la formule d'Éliphas Lévi (Pseudonyme de l'abbé Alphonse Louis Constant, occultiste du XIXè siècle ayant écrit des livres

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essentiels sur la magie) : « Spiritualiser la matière, matérialiser l'esprit ; corporaliser l'esprit, spiritualiser le corps. » Et cela nous mène inéluctablement vers une éthique cinémagique.

f. L'éthique de la cinémagie

La cinémagie n'existe pas pour rien. Elle est partie de crises et de convulsions. Elle est partie aussi d'une certaine poésie vécue. Je résumerai ici son éthique. Où que nous tournions notre regard, tout est en expansion. Que ce soit dans l'infiniment grand ou dans l'infiniment petit, l'univers est en expansion, de la même façon que le cerveau est en expansion. Nous en concluons temporairement que tout est en expansion de conscience. Chaque être, des atomes aux astres, en passant par nous, est venu créer de la conscience.

Quand nous sommes dans le ventre maternel, nous commençons comme une cellule unique (spermatozoïde), allant vers une autres cellule (ovule). Ces deux cellules s'accouplent, et alors se produit une partouze biologique, un coït continuel et exponentiel de cellules de 9 mois, nous faisant passer d'une cellule unique à 10.000 milliards de cellules (les chiffres varient), spécialisées et différenciées pour chaque fonction et organe : cellules du cœur, des os, du cerveau (neurones), du foie, etc. Il est totalement stupéfiant de prendre conscience de cette évolution. Cependant, dès la gestation, et dès que nous sortons du ventre maternel, la famille, la civilisation, l'école nous imposent leurs limites : intellectuelles, émotionnelles, libidinales, matérielles. Le même bébé né en Chine aurait parlé chinois, mais il est né en Espagne et parle espagnol. Tout est possible pour le nouveau-né, mais là où il naît il aura des déterminations. Mozart né 500 mètres plus loin, aurait été dresseur de chevaux. La famille peut être un piège ou un trésor. On nous interdit d'être ce qu'on est, et on nous ordonne d'être ce qu'on n'est pas. On finit par devenir ce que les autres ont voulu qu'on soit, et pas ce qu'on est vraiment. Guérir, c'est devenir ce qu'on est vraiment : dans nos profondeurs se trouvent nos plus hautes valeurs. Comment alors continuer cette expansion continuelle, et empêcher qu'elle soit ralentie par des limites familiales, sociales, culturelles ? Les rites initiatiques ont tenté de répondre à cette question par des pratiques transmises et transformées à travers les siècles.

Le bébé qui naît (embryogenèse), répète le schéma de l'évolution des espèces (phylogenèse), ainsi que celui de la naissance de l'univers (cosmogenèse). D'une cellule dans le liquide amniotique, comme la première cellule née dans les océans primitifs il y a 4 milliards d'années, il prend la forme d'un poisson, puis d'un reptile, puis d'un petit mammifère, puis d'un petit singe, et enfin d'un fœtus humain. Comme les poissons qui devinrent amphibiens puis reptiles en s'échouant sur les plages, changeant leur branchies aquatiques en poumons aériens, aspirant un oxygène différent, en passant de l'eau obscure à l'air et la lumière, le nouveau-né aussi passe de l'eau obscure à l'air lumineux. C'est bien pour ça qu'on cherche l'or en alchimie : on entend ces deux lettres OR, O et R, autrement dit eau et air, passer de l'eau à l'air.

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Pour cela, il faut passer par un accouplement symbolique du masculin et du féminin, de l'animus et de l'anima, le cerveau gauche et droit, le corps calleux n'étant plus une barrière, mais un pont entre nos polarités, passant de l'opposition à la complémentarité. Pour émerger, il faut que ça converge : une rencontre entre CON et VERGE. Pareille aux initiations, la cinémagie tente de créer un espace où la personne puisse renaître symboliquement, c'est-à-dire psychologiquement.

L'expérience donc, doit dans l'idéal à la fois concerner les 4 centres : le corps et l'action (perceptions les plus larges possibles), le cerveau reptilien (avec les pulsions, les instincts mis en jeu), le cerveau mammifère (laisser une grande place aux émotions), et le cerveau humain (que le mental subisse une secousse positive, souvent liée à la dimension onirique de l'acte.) ; mais aussi le cerveau droit, intuitif, qui parle à l'inconscient, grâce à l'acte symbolique, et le cerveau gauche, rationnel, car tout est expliqué, on dissout l'aspect superstitieux, bien qu'au final l'inconscient se prenne au jeu.

Précisons que ce système est inutile en soi lors de la pratique de la cinémagie. Il est relativement important pour moi, car l'ayant dans mon inconscient, c'est un support à l'intuition. Le Volontaire n'aura même pas à être au courant de la pensée du cinémagicien, ce qui compte est que ce dernier se serve de tous les outils (théoriques ou autres) nécessaires à l'efficacité de son intuition.

Enfin, parlons aussi de l'idée de double. Le double désigne plusieurs choses. Notre double se manifeste dans notre reflet dans un miroir, dans notre ombre, dans un rêve où on se voit, sur une photo où nous apparaissons, une peinture où nous sommes représenté, une sculpture de nous-même, une marionnette nous personnifiant, sur un film dans lequel nous sommes présents ou avec un avatar de jeu vidéo qui nous symbolise. Ce double était utilisé par les shamans, les sorciers, les magiciens, afin d'agir dans le monde spirituel (de l'inconscient). Pour l'inconscient, dans chaque partie se trouve le tout, un détail contient la totalité, il est hologrammatique. Agir sur la représentation d'une personne, photo, poupée, objet symbolique, agit sur la personne elle-même. Agir sur une partie de la personne, ongle, cheveu, goutte de sang, agit sur elle. Au cinéma on est dans le monde du double : ce sont des ombres projetées, c'est le monde spirituel, celui des morts, ou plutôt de la vie des morts. Ces ombres sont des présences absentes, des absences présentes (comme Edgar Morin l'a très bien analysé dans Le Cinéma où L'homme Imaginaire, 1956) : dans l'inconscient les contraires sont des compléments. En cinémagie par contre, on inversera le processus. Le spectacteur cinémagique ne doit pas chercher à se libérer par son double : on considère plutôt qu'il est le double lui-même, c'est-à-dire une grotesque et inexacte copie de l'Original qui se cache en lui. Ce double est ce que la famille, l'école et la civilisation ont fait de lui, un ego limité par des ordres et des interdictions. Ces ordres de ne pas être ce qu'il est vraiment et ces interdictions d'être ce qu'il est réellement forment sa maladie. Les forces du passé l'entraînent vers la répétition du même, vers la stagnation, la souffrance en chaîne ; il s'identifie à ces voix sans âme qui lui chuchotent constamment : "Tu n'y arriveras pas", "Tu n'es pas à

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la hauteur", "Tu te connais, tu n'es bon(ne) à rien"… ; tandis que les forces du futur l'appellent pour qu'il accomplisse tout son potentiel, ces chants qui l'appellent vers l'innovation, la création, l'élan de vie. On peut alors dire qu'une des fonctions des actions qu'on filme en cinémagie est d'acquérir l'inné. Tout est déjà en nous, mais attend le bon moment et le bon endroit pour s'exprimer. En cinémagie nous provoquons des « miracles », des synchronicités, des hapax existentiels : c'est ici, c'est maintenant, et c'est toi. Une des fonctions du cinémagicien est de capter par l’intuition ce que la personne veut réaliser secrètement, ce qu'elle n'arrive pas à exprimer. Il doit inventer un sketch qui règle métaphoriquement le problème de la personne. On cesse d'être le double et on commence à devenir l'original. Pour ça, toute vérité est bonne à utiliser. Car on ne cherche pas la vérité, mais l'authenticité : être ce qu'on est et pas ce que les autres ont voulu qu'on soit.

Une fille vient me voir à cause de ses insomnies. J'improvise alors une théorie qui lui plait. Si elle n'arrive pas à dormir, c'est que son inconscient dit « Je ne veux pas dormir », et elle, elle dit « Je veux dormir ». Si elle n'arrive pas à dormir, c'est pas de la faute de son inconscient, mais de la relation qu'elle entretient avec lui. Il faut qu'elle aille dans son sens. Je lui conseille alors, quand elle est couchée, de fermer les yeux et d'essayer à tout prix de ne pas dormir, en se répétant dans la tête « Je ne dois pas dormir » en boucle, comme un mantra magique. Le lendemain elle vient me voir et me dit « Je te jure, j'ai essayé de ne pas m'endormir, ça a fini par tellement me fatiguer que j'ai dormi toute la nuit ».

g. LE RÊVE AU SERVICE DE LA CINÉMAGIE

Nous devons maintenant aborder le rôle central du rêve dans la cinémagie. Je pourrais affirmer que l'idée de la cinémagie m'est venue directement des rêves. Tout d'abord, en cinémagie il n'y a pas de différence entre le monde quotidien et celui du rêve. C'est pour ça qu'on essaye de recréer un rêve dans la vie quotidienne, grâce à la théâtralisation et la symbolisation, afin d'agir directement sur l'inconscient. Pour l'inconscient, le monde est un jeu d'images. Dans la mémoire, un souvenir quotidien ou un souvenir de rêve ont la même qualité : ce sont des images accompagnées parfois de sensations. Si nous les transformons, nous transformons le cours de nos vies. C'est une des bases de la magie et de la pensée positive.

Un jour, un adolescent me raconta son rêve. Comme à son habitude, il martyrisait sa petite sœur, ici il l'étranglait, mais son cri à elle était si fort et suraigu qu'il se réveilla. Le son du cri était en fait le son que faisait le lavabo rouillé de la salle d'à côté, que son père venait juste d'allumer au milieu de la nuit. Les deux sons s'étaient mélangés, confondus. Ça veut dire que l'inconscient traduit en symboles oniriques des symboles réels (vu que tout est symbole). Une perception extérieure est traduite en images intérieures. De même, une fille rêvait qu'elle se noyait, se réveilla et failli vraiment étouffer. Un homme se faisait poursuivre par un chien en feu qui lui mordit au bras : réveillé, il avait des bleus sur le bras, qui disparurent le lendemain. Un autre faisait un

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rêve érotique et se réveilla en ayant un orgasme, sans même s'être masturbé, ou touché. Cela veut dire que ce qui se passe en rêve a des répercussions sur notre corps. C'est ainsi que nous pensons que toute maladie est le cauchemar d'un organe, c'est un symbole qu'envoie l'inconscient pour dire au conscient que là réside un conflit non résolu. En cinémagie, nous sommes entièrement persuadés que notre imagerie inconsciente est en marche même pendant que nous sommes en veille, et influe non seulement sur notre corps, mais aussi sur toute notre réalité quotidienne. Nous sommes la somme des images que nous portons. Si nous changeons ces images, nous changeons tout. En cinémagie, nous allons essayer de capter le flux d'images qui travaille l'inconscient du consultant, et y mettre des images qui viennent libérer ce qui manque au flux, ce qui le bloque, ce qui le rend malade. En créant un scénario semblable à un rêve, nous changeons alors ce flux de façon bénéfique. Et pour cela, il faut faire passer le consultant d'une attitude fermée à une attitude ouverte.

J'ai eu la chance d'avoir mes premiers rêves lucides quand j'avais 15 ans (en 7 ans, j'ai du en faire un peu plus d'une trentaine). Ce sont des rêves où on se rend compte qu'on rêve. D'abord c'est l'angoisse, mais ensuite tout change. Alors viennent les rêves de pouvoir, où nous pouvons modifier à volonté les lois du rêve. Durant mes premiers rêves de vol, je voulais épater mes camarades, j'allais à mon école et je montrais, dans le rêve, que je pouvais voler. Tout le monde s'en foutait ! Car, en affirmant mon ego (en voulant être le centre de l'attention), je perdais ma lucidité. Puis au fur et à mesure des années les rêves de vol ont évolué. D'abord j'utilisais le vol pour explorer l'architecture du rêve, en traversant la matière ou visitant des planètes et des galaxies, d'autres endroits inaccessibles. Dans mes derniers rêves de vol, je me sers de mon pouvoir pour rendre service aux autres (empêcher l'invasion d'une forteresse), pour leur faire des dons (aller chercher de la neige éternelle pour leur faire goûter), leur faire profiter (dès que je touche la personne, elle peut aussi voler). Si les rêves évoluent de l'égoïsme vers l'altruisme, de l'inconscience vers la lucidité, alors la vie aussi : c'est l'expansion de la conscience, de la fermeture à l'ouverture. C'est exactement ce qu'on cherche en cinémagie, c'est pour ça que c'est fait de façon collective, même si parfois les résultats sont inattendus.

Une fille qui, selon elle, n'avait jamais eu de relation profonde avec ses parents, m'a demandé un acte. Aujourd'hui, je me sens bête d'avoir donné des actes alors que moi-même je ne suis rien, je commence à peine mon évolution, je suis saturé de névroses, et je n'ai aucunes connaissances solides et applicables de façon certaine (j'y reviendrai). De plus, elle avait de l'eczéma sur plusieurs parties du corps et des insomnies chroniques depuis toute petite. Je lui demande comment a été la gestation dans le ventre de sa mère, et comment elle a été accouchée, car le problème venait sûrement de là. Elle ne savait pas. Je lui dis alors de faire deux listes en énumérant 20 qualités de sa mère, et 20 qualités de son père. Après des efforts considérables, elle termine les 2 listes, et je lui demande d'aller les donner à ses parents, puis d'exiger d'eux qu'ils lui fassent un massage au miel (l'eczéma provient la plupart du temps d'un manque d'attention, de caresses et de preuves d'amour de la part des parents, le miel est un symbole universel d'amour et de pacification). Elle pleurait, car cet

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exercice apparemment enfantin la touchait beaucoup. Elle fit tout ça. Aujourd'hui, son eczéma et ses insomnies vont « mieux » selon elle (donc n'ont pas disparu), la relation avec ses parents a changé positivement depuis cette expérience, et de plus sa mère lui a raconté que durant sa gestation elle était en surplus de liquide amniotique, et l'accouchement a été difficile : « Ton corps était constamment en état d'alerte. » D'où, selon moi, découlaient ces insomnies. En faisant ce genre d'actes il arrive des choses inattendues. Étrangement, les choses se passent bien, on ne nous prend pas forcément pour des fous, car souvent l'inconscient de ceux qui participent à l'action, même sans être préalablement prévenus, comprend ce qui se passe. Des parents acceptant un massage au miel, et de renouer des relations plus profondes avec leur enfant après tant d'années, peut paraître assez déconcertant. C'est ce qu'on appelle des synchronicités : le monde va se mettre à danser, les choses bougeront en s'adaptant à notre mouvement, les hasards prendront sens, et ils nous aideront à nous transformer. Il y a même un moment où l'univers semble doué d'intentions. Quand nous nous ouvrons au miracle, il s'ouvre à nous.

J'ai de même, mais beaucoup plus rarement, fait des rêves simultanés, où on a conscience d'être dans 4 endroits différents en même temps (pour mon cas). Dans ce multirêve, j'ai compris que la mort n'existe pas pour l'inconscient : seulement des renaissances qu'il faut accepter. Il faudra donner une dimension « mort-renaissance » au Volontaire, et tout sketch cinémagique s'apparente à un rituel de passage initiatique. On pourra donner à un enfant, s'il est trop « papa maman » alors qu'il rentre dans l'adolescence, le sketch suivant : un cordon ombilical métaphorique (en tissu, voir en chaîne métallique si l'attachement est fort), sera attaché entre lui et sa mère ; elle lui donnera des ciseaux avec lesquels il coupera lui-même le cordon ; il ira ensuite l'enterrer en plantant un arbuste dessus, ou le mettra dans une boîte qu'il conservera, sur laquelle sera écrit « PASSÉ » ; on ira ensuite fêter son rite de passage, approuvé par les parents dans sa nouvelle identité. Dans ces rêves simultanés, je me suis aussi aperçu que la lumière se crée d'elle-même à travers nous. Une loi optique dit qu'il ne peut y avoir de forme sans lumière. Mais dans une salle entièrement noire, je rêve de formes et d'histoires parfois beaucoup plus élaborées que la réalité quotidienne. J'en déduis que le cerveau crée lui-même sa propre lumière. Il faut bien avoir ça en tête : le consultant ne doit plus croire que la réalité est une lumière qu'il reçoit passivement, mais activement. Il passe en cela d'un rêve inconscient à une rêve éveillé, lucide, conscient.

4. LA CINÉMAGIE TELLE QU'ELLE EST

a. LA VIDÉO COMME MOYEN DE LA CINÉMAGIE

Je pense que l'idée de cinémagie m'a été en grande partie influencée par les vidéos que je regarde sur internet. Je regardais et regarde encore beaucoup de vidéos sur, par exemple, des séances de constellations familiales (qui d'ailleurs sont utilisées et essentielles en cinémagie). C'est une séance thérapeutique dans laquelle on va théâtraliser notre arbre généalogique, grâce à des personnes présentes que nous

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choisissons dans une assistance, de façon entièrement intuitive. Nous les plaçons selon notre ressenti : qui a été mal aimé est mis à l'écart ; suis-je au centre ou à la périphérie de ma famille ? Comment est mon père par rapport à ma mère, à son propre père ? Et là commencent à se passer des choses mystérieuses : une femme qui joue la grand mère s'écroule car elle a un énorme mal au ventre. On parvient à la calmer, demandant à la personne qui constelle : « - Que cela signifie pour vous, votre grand mère était-elle malade ? - Elle est morte d'un cancer du foie... » Etc. Bref, que ce soit avec Idris Lahore (trop gourou à mon goût, mais intéressant), Françoise Antier, Éric Laudière (qui a publié un magnifique livre sur le sujet : La Constellation Familiale est un Je, 2007), Alexandro Jodorowsky, Marianne Costa, avec les constellations familiales, ou de réels tarologues comme Nathalie Limauge, Carole Sédillot (qui a écrit le magnifique Jeu et Enjeu de la Psyché, 2011), Moreno Fazari ou encore Houria Boukerma. Ce que je voyais dans ces vidéos, c'étaient des gens qui se guérissaient devant une caméra. Cela me stimulait énormément, et apparemment je ne suis pas le seul, bien au contraire. La fin du documentaire La Constellation Jodorowsky (de Louis Mouchet, 1994) me parle aussi beaucoup car on voit Jodorowsky interpeller Louis Mouchet, lui faire faire une constellation familiale avec un acte psychomagique filmé à la fin du documentaire. Ça aurait très bien pu être une vidéo cinémagique. Mais tous les gens qui passent et se guérissent émotionnellement, et transmettent cette guérison pour dire au reste de l'humanité « C'est possible », ces gens là sont des cinémagiciens, ils pratiquent la cinémagie.

Ce qui nous intéresse ici, c'est la vidéo en tant que moyen, en tant que média. Comme je le racontais au début de ce mémoire, un film ou une vidéo a un pouvoir vraiment important, s'il est bien utilisé : celui qui appelle à l'imitation. Ici il s'agit d'imitation positive. Lorsque je voyais ces centaines de personnes se soigner en live devant des caméras, ça m'a poussé à faire de même. J'ai essayé de trouver mes propres moyens pour faire de la thérapie. Et je pense que la cinémagie peut avoir une grande capacité de séduction, bien que cela puisse être dangereux et qu'elle ait des failles (nous y reviendrons).

Déjà, la cinémagie a un côté cinéma, grâce à son côté mise en scène et scénario qui correspond au sketch cinémagique (mes 3 années d'études en cinéma m'ont été très utiles quand à la création scénaristique). Ensuite, elle est artistique car elle utilise tous les arts de façon ludique, bien que tout soit absolument orienté vers la guérison du Volontaire. Tant de films aujourd'hui nous font aduler des stars qui sont le contraire d'une évolution saine de l'humanité. Les plus aimées, comme Brad Pitt, Leonardo Di Caprio, Clive Owen, Georges Clooney, Natalie Portman (en faire la liste serait interminable) ou en France comme Vincent Cassel, Marion Cotillard ou même Gad Elmaleh, ces stars adulées se retrouvent dans des publicités pour des banques, des vendeurs de parfums et de voitures, de vêtements de marque. Pour moi c'est une abomination, une aberration, c'est le diable, l'horreur de l'horreur. Si je pouvais les tuer en leur transperçant le sternum de mon poing, je le ferais. Alors qu'ils jouent des rôles fabuleux, ça ne les change jamais dans leur vie quotidienne, ils sont toujours aussi cons. Comment peuvent-ils se mettre autant au service de l'argent, perdant toute

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dignité ? Les stars sont de fausses étoiles, ils ne développent la conscience de personne, ils ne font que sucer l'énergie vitale de ceux qui les adulent, monstres d'ego. Comme dit Edgar Morin (Les Stars, 1956) : « La star jouit pour l'univers entier, elle a la grandeur mystique de la prostitué sacrée. »

Voilà où nous mène cette fameuse et fumeuse société du spectacle, et une façon de réagir, en ce qui me concerne, est de mettre tout mon être à créer la cinémagie. Les gens de la vraie vie ont le droit de montrer que le cinéma et la vidéo ne sont pas faits que pour montrer des stars qui sont totalement en retard sur leur temps, tellement conditionnés par le système qui se sert d'eux (La moitié des films parle d'une grosse somme d'argent à se faire, et je pense que dans le futur les humains auront honte de voir cet infantilisme frustré, névrotique et destructeur). Les gens de la « vraie vie » peuvent se filmer et lancer le message qu'il est possible de commencer à se changer, de se libérer des filets du passé, dans lesquels la société, l'éducation et la famille nous emprisonnent. Il ne s'agit pas de se prendre pour un messie, c'est pour moi et pour beaucoup une chose vitale de se guérir, et de montrer qu'il est possible de transformer ses souffrances en créativité. Car, comme le disait Rimbaud dans Une Saison en Enfer (1873), « La vraie vie est absente », surtout dans ce genre de cinéma.

Grâce au média qu'est internet, une vidéo peut très vite circuler. Qu'elle rencontre du succès ou pas, la cinémagie restera ce qu'elle est, en suivant son évolution propre : bénévole, ouverte sur la joie, sur la conscience. Si j'insiste plus sur la vidéo que sur le cinéma, c'est parce qu'il ne me semble pas utile d'en faire des films, et j'en parlerai plus loin. La vidéo est un moyen de médiation bien plus efficace en ce qui concerne la cinémagie, qui se fait sans grand budget. Un sketch cinémagique se fait sans équipe technique, seulement un caméraman avec peut-être un micro, filmant au caméscope ou au iphone, n'importe qui peut filmer. C'est une autre époque dans laquelle nous sommes entrés : tandis que le cinéma tente de se débrouiller avec ses meilleurs ennemis que sont internet et la télévision, des gens peuvent filmer n'importe quelle scène grâce à leur portable, leur tablette, leur caméscope. Je pense que l'avenir de la cinémagie tient dans ça : filmer sur le vif, sans compétence spéciale, faire de petits films, humbles et généreux : car il faut une certaine générosité pour se montrer en train de se guérir émotionnellement. J'insiste encore sur le fait que si la principale motivation du volontaire n'est pas de se guérir, ce n'est pas de la cinémagie.

Dans un exercice de visualisation intérieure que je pratique depuis mes 15 ans, mélangeant méditation et chant, paupières closes, j’ai un jour eu une vision qui m’a appris beaucoup de choses, y compris à propos de la cinémagie. Sans doute influencé par les livres de Jérémy Narby (Le Serpent Cosmique, 1995), de Romuald Leterrier (La Danse du Serpent, 2011), des tableaux de Pablo Amaringo (Ayahuasca Visions, 1999, avec l'ethnobotaniste Luis Eduardo Luna), des films de Jan Kounen (Blueberry, 2004 ; D’autres mondes, 2004), des gravures de William Blake (Book of Thel, 1793) ou de diverses gravures alchimiques (Ouroboros, Caducée), de la nouvelle poétique de Gérard de Nerval Aurélia (1855), du poème philosophique de Nietzsche Ainsi Parlait Zarathoustra (1883), et des poèmes de Jim Morrison (la chanson The End,

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1965, mais aussi certaines de ses interviews), je visionnai deux serpents entrelacés, sans commencement ni fin, dont les écailles étaient des pellicules de bobines cinématographiques. Très cliché on pourrait dire, je voyais le monde mouvant sur leurs écailles ondulantes, qui étaient à la fois des miroirs, ou des fenêtres s’ouvrant sur d’autres mondes encore. J’appris dans cette vision, entre autres, que si on changeait une écaille, on changeait tout le serpent. Comme dans un montage, si on change une image, ce n’est plus le même film, ou si on change une carte du paquet, la partie change de cours. La cinémagie consiste à mettre des images où des gens volontaires et conscients se soignent sur des vidéos. Ils parlent de leur expérience, si elle a changé quelque chose pour eux. Dans ce sens, chacun peut mettre sa pierre, commencer à changer le flux d’images du monde, sans prétendre le changer : par contre on peut toujours commencer à le transformer. Il ne s’agit pas de développement personnel (toujours fondé sur du commerce spirituel), mais d’un don de soi. Il n’y aurait aucun problème pour que ce genre de vidéo soit diffusée sur Youtube, sur Viméo, ou sur des blogs, etc (il en foisonne déjà des centaines). Il suffit simplement d’une autorisation du volontaire, préalablement demandée, sauf s'il fait sa vidéo lui-même. Après, comme je le disais plus haut, cela relève du don de soi : « Ce que je donne, je me le donne, ce que je ne donne pas, je me l'enlève ; rien pour moi qui ne soit aussi pour les autres. » (A. Jodorowsky)

b. LA GUÉRISON COMME FIN DE LA CINÉMAGIE

Un jour une fille vint me consulter au tarot, et sa question débouchait sur cette formulation : « Pourquoi suis-je malade ? ». C'est aussi pour ça qu'il peut y avoir des cinémagiciens ou des tarologues, afin de proposer du sens là où il ne semble pas y en avoir, surtout quand on pose ce genre de question à un médecin, qui ne peut s'autoriser à répondre, car, pour lui, l'âme n'a aucune réalité. Sa question, qu'on avait à peu près réglée en explorant son arbre généalogique, devenait de nature existentielle. Alors je commençai à lui dire, en imitant les lacaniens, que la maladie c'est ce que le « mal a dit », et chez elle en particulier c'est ce que le « mâle a dit » (son père, dans un accès de rage, lui avait dit qu'à cause d'elle il avait du se marier avec sa mère, qui ne lui avait pas dit qu'elle était enceinte), alors pour attirer l'attention, cette fille tombait toujours malade, et se reniait. Je lui dis alors de retourner à l'envers les lettres de « maladie », ce qui donnait « eidalam », qu'elle prononçait « aide à l'âme ». Voilà, toute maladie était une aide à l'âme, le signal qu'il fallait se transformer à un niveau de son être profond. Ça donnait la perspective (pas forcément rassurante, car beaucoup veulent rester malades pour continuer à s'accrocher au passé : la maladie nous lie à la famille aussi sûrement qu'un métier, une maison héritée ou une croyance religieuse), de concevoir la maladie comme un allié, un maître qui peut nous apprendre à évoluer : sous cet angle, on peut voir la cinémagie comme une aide à panser.

Rappelons qu'on ne fait pas de l'art mais une thérapie sacrée. La cinémagie est inimaginable si la motivation première de la personne n'est pas de guérir. Rappelons

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que c'est une thérapie artistique, et non un art thérapeutique : c'est un art qui peut avoir des vertus thérapeutiques. De même qu'il est absurde de se remettre à fumer après la guérison d'un cancer, celui qui ne veut pas vraiment guérir ne pourra pas bénéficier des effets curatifs de la cinémagie. La cinémagie ne panse pas, c'est une aide à panser, elle accompagne un processus d'auto-guérison qui dépend de l'union, chez le Volontaire, de sa volonté consciente et de sa volonté inconsciente. On l'a vu, notre inconscient, paradoxalement, tend à vouloir créer de la conscience : il obéit à l'expansion de conscience de notre cerveau et de l'univers. Dans cette perspective, amour, joie, extase, illumination, bonheur, transe, liberté, connaissance, euphorie de vivre, sont synonymes. En cinémagie on pense d'ailleurs que l'essence de l'être est une euphorie de créer. L'oeuf au riz c'est l'unité (œuf) de la multiplicité (riz). Quand on trouve cette euphorie d'exister, qui est le contraire de l'hystérie, on guérit (des hippies lacaniens diraient que guérir c'est le gai rire, passer de la guerre au rire).

Une fille française était en stage à Londres dans un cabinet d'avocat, depuis quelques semaines, mais ça faisait une semaine qu'elle était cloîtrée dans son studio, ne voulant plus voir personne, entamant une sérieuse dépression, elle avait des plaques de démangeaison sur tout le corps. Pourtant très bonne vivante de nature, elle vint me voir sur le net afin de m'annoncer qu'elle avait des idées suicidaires. Je lui fis un discours de pensée positive, mais les mots ne soignent pas, alors je lui ai conseillé d'aller, le lendemain, dans un parc ensoleillé, s'acheter un fruit qui représente la positivité, et d'écouter une musique qui lui inspire le bonheur. Elle me dit qu'il pleuvait depuis 3 semaines. Je lui dis qu'il fera beau si elle le veut vraiment. Elle me contacte le surlendemain, me dit qu'il avait fait très beau, qu'elle avait fait l'acte en entier, et même plus : elle avait offert des cadeaux (des pâtisseries), à tous ses amis et ses collègues. Sa dépression avait totalement disparu, ainsi que ses idées suicidaires, de même que ses plaques de démangeaison. Il suffisait de le vouloir.

5. ARMORIKA – UNE COMÉDIE INITIATIQUE

"La quête du sens, est, selon une interprétation psychanalytique, comme la quête du Graal : c'est-à-dire la recherche d'une plénitude intérieure (…) En ce sens, le cinéma nous offre ici la possibilité de vivre intérieurement la quête gnostique, alchimique. C'est-à-dire de faire une démarche pour soi-même, orientée dans le sens d'un progrès spirituel » Yann calvet (dans Cinéma, Imaginaire, Ésotérisme, 2003)

a. LE FILM CINÉMAGIQUE

Ce film est en partie né d'une expérience personnelle : l'année dernière, j'avais alors 21 ans, je suis allé vivre sans tente dans la forêt de Brocéliande pendant 3 jours, sans manger ni boire ni dormir. À la fois épuisé et en excitation mystique, parcourant les chemins, j'ai aperçu seulement ce que pouvait être une initiation. Ce n'était pas grand chose, mais pour moi c'était déjà beaucoup. J'ai eu des visions dues à mon état, ayant l'impression de vivre une sorte de mythe atemporel, le scénario m'est alors apparu.

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Revenant de ce voyage, j'ai affiné le film.

Armorika est mon film de fin d'année et d'étude à l'ESRA. Ce n'est pas un sketch cinémagique, mais c'est un film cinémagique. Il est composé d'un peu de cinémagie. Moins il y a de cinéma, au sens classique du terme, plus il y a de cinémagie. On ne peut pas « jouer » à se soigner. Dans ce film, je raconte l'histoire de Noé, un tueur-violeur en série, transsexuel et cannibale, zoophile et nécrophile, qui s'évade de l'asile psychiatrique, blessé par balle, et qui va se réfugier dans la forêt de Brocéliande. Il s'y évanouit et rencontre Merlin l'Enchanteur, qui va le recueillir et l'initier en lui donnant des champignons hallucinogènes (dont on saura plus tard qu'ils sont placebo), et grâce auxquels il va faire face à son passé chaotique : toutes les scènes traumatiques de sa vie vont se matérialiser devant lui, et alors il leur donnera une issue positive. Et le film, étant une comédie, se termine bien, Noé se transforme en Éon (inverse de son nom), et va apporter de la conscience au monde.

Ce film est pour moi une bombe atomique dans mon esprit. J'ai réalisé, scénarisé, créé les dialogues, les costumes, j'ai composé les musiques, et j'ai fait les castings et joué l'acteur principal, le fou qu'on transforme en saint. Je pourrais parler des jours de ce qui s'est passé, mais j'irai à l'essentiel en parlant de l'aspect cinémagique du film. Dedans, j'y soigne ma famille intérieure. Ayant un père qui ne m'accepte pas, car il voulait un fils et non une fille (je suis transsexuel, une adolescente joue moi plus jeune), on apprend dans le film que j'ai changé de sexe pour enfin « avoir des couilles », et gagner l'amour de mon père. Toutes les scènes traumatiques de mon passé surgissent devant mes yeux, au milieu des arbres : mon père qui me bat et me vire de chez mes parents (d'abord, je suis impuissant devant cette scène), le moment où un prêtre pédophile chez lequel je me suis réfugié tentait de me toucher (je crucifie alors le prêtre pour l'élever au niveau du christ et je sauve mon Moi adolescent qui s'échappe avant le viol, transformant mon souvenir), je dis tout ce que j'ai sur le cœur à mon père pendant son enterrement que je revis, en lui donnant des fleurs cette fois-ci. Et ensuite, je lui donne une blouse de scientifique, et à ma mère une toile de peinture vierge pour qu'ils aillent soigner le monde avec la science et l'art. Pour nous guérir, il faut commencer par guérir notre famille intérieure. Après, Merlin me propose de mourir : je fais donc mon propre éloge funèbre, on me rase totalement les cheveux longs, on me met tout nu, et on m'enterre, ne laissant que mon visage couvert par un voile. Ensuite je renais, en me déterrant et en criant mon nouveau nom, je m'habille tout de blanc et le film se termine quand je tue l'équipe technique, pour mettre fin aux illusions. Sans faire de description symbolique du film (qui est peuplé de symboles ésotériques, alchimiques, tarologiques), je peux parler brièvement de l'expérience vécue. À un moment, je reproduis la scène où je masse mon arbre généalogique. J'ai pris des photos de ma famille dans des vieux albums, j'ai accroché ces photos à un arbre, et j'ai enlacé l'arbre. Durant cette scène, j'ai réellement pleuré. Une fille de l'équipe me félicitait pour mon jeu d'acteur, mais c'était exactement le contraire. Tout en massant l'arbre, j'ai réellement pleuré en ressentant toute la souffrance qu'il contenait (en fait, que je projetais sur lui, étant devenu un symbole, c'est-à-dire un réceptacle de mon inconscient), toutes les

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incompréhensions, les défauts d'amour : « Tout amour qui n'est pas partagé met des masques de monstres », dit alors Merlin. Très difficile de décrire avec des mots ce que je ressentais alors, ce fut une grande émotion : j'ai senti par exemple l'absence d'un père, mon père biologique qui m'a seulement avoué qu'il l'était quand j'ai eu 13 ans, et qui, dans mes rêves, se confond avec le père qui m'a éduqué et que j'ai aimé pendant 13 ans comme mon seul vrai père. J'ai senti la souffrance de mes frères et sœurs, pris d'une compassion immense, et cela commençait à s'étendre à toute l'humanité, et à toute la création. Parfois je riais, car je me sentais à la fois lié aux souffrances, mais aussi à chaque joie, orgasme ou à chaque rire d'enfant. Ce fut indiciblement puissant sur ma psychologie. Une autre scène, quand je dis à mon père tout ce que j'ai sur le cœur à son enterrement, j'ai failli m'évanouir, pas de peur, mais de rage. J'avais tellement de rage ! Ensuite, je lui donne un bouquet de fleurs, j'allais tellement bien, je sentais de la sagesse monter en moi. Dernier exemple, pour la scène finale, on a du m'enterrer pas sous de la terre, car à Brocéliande, c'est de la caillasse rougeâtre, du schiste, donc j'avais, selon le directeur artistique, sans doute 200 kilos de terre sur moi. On a mis 3 jours à creuser la fosse, avec des pioches. Enterré sous cette caillasse glacée et lourde, entièrement nu, je ne sentais plus mon sang circuler dans mes pieds, puis mes jambes, puis jusqu'aux épaules, au bout de 20 minutes. Je me sentais littéralement aspiré et digéré par la terre, qui m'appelait. Je sentais que l'attraction était l'amour qui nous faisait appartenir à elle. Quand on me déterrait après mille efforts (4 figurants ont du s'y mettre, improvisation totale), on filmait alors, j'ai senti la plus grande libération de ma vie, j'étais euphorique, dans une joie spirituelle intense, qui dépassait mon imagination. Il n'y a pas de mots pour décrire ça. En tout cas, ce fut une renaissance totale.

J'ai veillé à ce qu'il n'y ait aucun acteur dans ce film : la plupart des figurants sont des gens de l'équipe technique, Merlin est un homme qui travaille dans un magasin de voitures et qui l'été est conteur traditionnel, moi je ne suis pas acteur pour 2 sous, et sinon ce sont des amis qui sont venus nous aider avec une grande générosité. Ce film restera une expérience comme le sont toujours les premières expériences : limitées mais profondément déterminantes pour la suite de l'aventure.

b. LIMITES DE LA CINÉMAGIE

Ce film fut donc un des premiers pas vers la cinémagie : ayant une dimension cinémagique, ce n'est pourtant pas du tout un sketch cinémagique. Ce n'est d'ailleurs pas ce que je voulais faire. Pourquoi ? Car nous avons fait de l'art, et pas de la thérapie sacrée. Or la cinémagie utilise l'art comme moyen, pas comme fin en soi. Personne d'autre que le volontaire n'a le droit de dire « action » ou « coupez » ou « on la refait », pas le droit aux problèmes techniques, etc. Dans un sketch cinémagique, il ne faut aucune prétention à faire de l'art, tout est motivé d'un bout à l'autre par la volonté de guérir de la part du consultant. Ici, nous avons fait de l'art, c'est-à-dire que c'est cinématographique, pas cinémagique.

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Mais cela me permet quand même d'aborder les limites de la cinémagie, et je remercie l'expérience de ce film de me faire avancer dans cet art naissant. Tout d'abord, dans ce film nous étions contraints par des limites de temps : il fallait suivre et respecter un plan de travail. Alors quand toi tu pleures sur ton arbre généalogique et que l'assistante réalisateur crie « Allez on se bouge le cul là, on est en retard de 20 minutes ! », tu te dis que tu vas la tuer. Mais tu te dis que c'est toi-même qui t'as mené ici, et que c'est une chance incroyable, arrête de réfléchir et profite. Après les limites temporelles il y a des limites spatiales : il faut des autorisations pour tourner, il faut déplacer 30 personnes d'un coup. Ensuite, il y a des limites psychologiques : comme un tournage n'est jamais parfait, certaines personnes se plaignent parce qu'il ne fait pas beau, parce qu'il a mal aux pieds à cause de la marche, parce qu'il ne comprend tout bonnement pas ce que tu fais. Évidemment j'exagère, je caricature depuis le début, ça ne s'est pas passé comme ça, mais c'est pour illustrer. Ensuite il y a tous les problèmes liés à la pression d'un tournage, car c'est le monde professionnel, et les pressions économiques sont oppressantes (même dans un court métrage). Mais le problème principal reste celui-ci : le fait de se faire filmer en train de se guérir peut avoir, pour certaines personnes, un aspect malsain ou gênant. Je viens tout de suite dire que cet aspect malsain s'en va tout de suite quand on sait qu'on ne fait pas seulement ça pour soi, mais - osons le dire - pour l'humanité, et même pour l'univers entier. Cette dernière pensée, même si elle peut paraître illusoire à certains, prétentieuse voire mégalomane, est cependant très utile : nous disions qu'on utilisait les pensées pour mener nos actions à bout, puis qu'on pouvait les jeter après. Mais il est vrai que ça peut gêner d'avoir quelqu'un qui nous filme pendant qu'on fait des actes thérapeutiques. Il faudra alors bien avoir à l'esprit, en cinémagie, que ce qu'on fait pour soi, on le fait aussi pour les autres : ce que je donne, je me le donne ; ou, comme disaient les Bâtisseurs de Cathédrales : « Ce que je fais me fait. » Donc, à la différence, dans un sketch cinémagique, il n'y aura pas de pression économique, il n'y aura pas d'équipe technique, sinon une personne qui filme, il n'y aura pas de contrainte de temps (sauf si le sketch le demande vraiment, par exemple danser au clair de lune avec notre ombre, ce qui peut nous réconcilier avec certains de nos côtés sombres, habituellement rejetés), il n'y aura pas de contrainte d'espace (j'imagine que les vidéos amateur youtube ne demandent pas de droits de filmer). Et celui qui filme doit quand même être suffisamment complice avec le Volontaire.

Ensuite, les limites de la cinémagie ne sont pas forcément liées à elle, mais surtout au Volontaire lui-même. Il arrive que le piège de l'arbre généalogique, de façon subtile, nous empêche d'arriver au bout de notre œuvre, nous enfermant dans la névrose d'échec. Mon père me disait toujours : « Si tu veux devenir artiste tu finiras dans la rue à crever la dalle. » Après le tournage du film, j'ai décidé de fêter tout ça, et je suis tombé dans l'alcool et le tabac : piège de l'arbre généalogique appelant les projets à ne pas se réaliser, ou à être enfantés très difficilement. Pendant 9 mois, je n'avais pas bu ni fumé pour préparer ma guérison et le film, Armorika. Heureusement, pendant que j'écris ces lignes, j'ai de nouveau arrêté de me détruire pour continuer ma quête : on n'évolue pas sans obstacles, et le seul obstacle, c'est nous-même. Au bout du chemin se trouve nous-même, mais débarrassé de toutes nos limites actuelles. Voilà pourquoi

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la cinémagie n'est pas une thérapie, mais elle est thérapeutique. Elle fait partie d'un processus général, qui lui-même est motivé par la seule chose qui compte : la volonté de guérir. On ne fume pas après la guérison d'un cancer. De même que les plaies peuvent se rouvrir si nous le voulons. C 'est un travail sur soi permanent. Une spirale évolutive, créatrice et perpétuelle : qui n'avance pas recule, qui ne progresse pas régresse, dans ce monde qui tourbillonne.

Cependant, ce film m'a fait enclencher un processus de thérapie assez profond. J'entame maintenant des recherches sur mes 3 arbres généalogiques : celui de ma mère et celui de mes deux pères. Les actes symboliques viennent soutenir un projet plus vaste, ils ne sont pas une fin en soi. Je me réconcilie avec toute ma famille divisée. Pas selon le fantasme enfantin de la voir réunie, mais pour la comprendre, ce qui est une des finalités de la cinémagie : se comprendre soi et comprendre l'autre, pas seulement au sens intellectuel, avec la tête, mais aussi au sens émotionnel, avec le cœur. De la même façon que chez les alchimistes la Pierre philosophale accélère la croissance des êtres, la cinémagie accélère l'épanouissement d'une âme qui a déjà accepté pleinement son expansion.

III. DESSERT

1. UTOPIE : LA CINÉMAGIE SOCIALE

Après un rêve bouleversant, j’en suis arrivé à une conclusion temporaire : à savoir que l’humanité est prométhéenne. C’est-à-dire que nous essayons de voler le pouvoir des dieux, en les imitant. Tout ce que nous attribuions aux dieux autrefois, et tout ce que les mystiques, chamanes, sorciers, magiciens, prétendaient accomplir intérieurement, grâce à la subjectivité, nous l’accomplissons extérieurement, grâce à l’objectivation. Peu à peu, depuis leur chute, nous volons les pouvoirs des dieux : ils pouvaient voler? Nous avons l’avion. Ils pouvaient atteindre le firmament? Nous avons les fusées. Leur vision perçait la matière et atteignait les corps les plus éloignés? Nous avons les microscopes et les télescopes. Ils pouvaient tout voir, grâce à l’omniscience? Nous avons le cinéma. Ils pouvaient être partout à la fois, grâce à l’omniprésence? Nous avons la télévision. Ils savaient tout, avec leur don d’ubiquité? Nous avons internet. Ils pouvaient communiquer à distance instantanément? Nous avons la téléphonie et les réseaux sociaux. Ils étaient immortels? Nous aurons la régénération artificielle des cellules. Ils pouvaient enfanter à partir de rien? Nous avons le clonage. Ils pouvaient matérialiser les pensées? Nous combinerons l’imagerie cérébrale et les imprimantes 3D. Ils pouvaient tout faire, grâce à l’omnipotence? Nous avons les jeux vidéo. Ils pouvaient tout détruire d’un coup? Nous avons la bombe H. Ils pouvaient contrôler les destinées? On a la manipulation génétique. L’ère techno-scientifique prolonge l’ère mythologique : « La tâche de la civilisation est de se débarrasser des mythes en les réalisant », disait Edgar Morin (Le Vif du Sujet, 1962). Si nous voulons savoir ce que seront les technologies futures, regardons les anciens pouvoirs des dieux. Alors je regarde et je tombe toujours sur le

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chamanisme, c’est-à-dire des guérisseurs qui soignent dans et par un monde symbolique. Je me dis que les prochaines technologies serviront à agir sur le cerveau humain, et j'en suis persuadé, de façon thérapeutique. J'imagine quelqu'un qui s'allonge dans une sorte de cocon qui englobe son corps comme une matrice, le programmeur-chamane lui lance un programme qui vient ré-équilibrer, avec toutes les sensations corporelles, des informations manquantes jusque dans ses cellules, sa mémoire cellulaire (c'est ce que font déjà les chamanes, mais avec procédés qui nous échappent). Tu as vécu une naissance traumatique ? Revis-là mais en une naissance extatique. Tu as eu un père qui était absent ? Transforme le dans un programme et réalise le, qu'il devienne ce qu'il aurait voulu être. Etc. On ne peut changer le passé, par contre on peut changer notre rapport avec lui.

Mais en attendant, il y a la psychomagie et la cinémagie. L'utopie est un lieu qui n'existe pas encore. Et la cinémagie sociale est une possibilité, bien qu'encore sans doute assez lointaine, en germe dans la cinémagie que j'essaye aujourd'hui de faire fleurir. C'est une phrase de Carl Gustav Jung, cité par Joseph Campbell dans Le Héros aux Mille et Un Visages (1949), qui m'a profondément influencé : « Le rêve est le mythe de l'individu, le mythe est le rêve de l'humanité. » Je l'ai changée à ma façon : « Guérir l'individu par le langage des rêves, guérir l'humanité par le langage des mythes. » Car si on peut provoquer une guérison et une évolution dans la conscience de l'individu en parlant à son inconscient par le langage des rêves, pourrait-on faire de même avec l'humanité en utilisant le langage des mythes ? Là où sont les symboles, nous utilisons des archétypes. Il va de soi qu'une telle approche, qu'on pourrait qualifier de guérison collective, est inséparable de l'idée de régénération : comme le disait Edgar Morin à la quasi-fin de son œuvre majeure (La Méthode V, L'Humanité de l'Humanité) : « Ce qui ne se régénère pas dégénère. » C'est ce qui me semblait évident après la lecture des études de Jung sur l'inconscient collectif, de Joseph Campbell sur la quête du héros, ainsi que de Gustave Le Bon lorsqu'il analyse le comportement des groupes (La Psychologie des Foules, 1895). De la même façon qu'une névrose liée à sa généalogie empêche un individu de s'épanouir, une névrose collective, liée à la généalogie de son histoire, peut empêcher tout un groupe humain d'évoluer. On peut remarquer que les individus se comportent souvent comme des collectivités, habités par une multiplicité intérieure et contradictoire, et vice versa que les collectivités se comportent comme des individus. Nous pouvons ainsi ajouter qu'il n'est pas suffisant de guérir son arbre généalogique, mais il faut parier également qu'il est possible d'au moins commencer à guérir la forêt généalogique qu'est l'humanité. L'analyse est la suivante : à chaque époque où tout semble s'écrouler, des mythes fleurissent : des héros nouveaux, incarnés ou non, apparaissent. Certains créent des civilisations, d'autres des mouvements sociaux, d'autres encore sont remarqués des dizaines d'années plus tard seulement. Et le cinéma, et la cinémagie en particulier, pourraient être une des aides à cette évolution inéluctable, voire des catalyseurs. Je n'ai aucune idée de ce qui pourrait se passer, mais l'inconscient collectif, à la fois matrice et réceptacle de ces nouveaux mythes à venir, a besoin de ceux-ci afin d'exprimer sa créativité prête à imploser. Il semble urgent pour nos civilisations de se régénérer dans des mythes nouveaux, car tandis

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que certaines se ressourcent dans des valeurs destructrices et fermées, d'autres meurent de ne plus avoir de valeurs dans lesquelles puiser de l'énergie vitale. Où sont les nouveaux bâtisseurs de pyramides ? Je ne peux malheureusement pas en dire plus, je ne fais que soulever des questions (n'est-ce pas la fonction profonde d'une utopie?).

2. POTENTIEL DE LA CINÉMAGIE

Comme nous l'avons dit au fur et à mesure de ce mémoire, les potentiels de la cinémagie relèvent d'abord de sa capacité à séduire (dans le sens positif du terme). C'est-à-dire qu'en voyant des vidéos sur le Web où l'on voit des personnes montrer la façon dont ils se guérissent, et qu'il est possible de se sortir des filets qui nous retiennent, ceux qui les regarderont auront envie de faire des choses similaires. Je vois alors la cinémagie comme un catalyseur de conscience. Si le côté thérapeutique n'intéresse pas certaines personnes, elles trouveront peut-être leur bonheur dans l'originalité des images utilisées, des situations qui peuvent paraître « drôles » ou hors du commun. C'est du Jackass à l'envers, il faut oser, mais le résultat est bénéfique, positif, toujours orienté vers la lumière. Ces actes peuvent paraître étranges, mais quand j'en conseille à certaines personnes, elles ont plutôt l'impression que c'est exactement le « truc » qu'il leur fallait. Moi-même, je compose ces actes sous le coup de l'impulsion et de l'intuition, une sorte de spontanéité créatrice qui est animée par un désir profond d'être utile et bénéfique à l'autre. Comme le dit Edgar Morin (oui, c'est un auteur très important pour moi) dans le dernier tome de son grand œuvre (La Méthode VI, L'Éthique), il faut sortir de la prose pour entrer dans la poésie de la vie. C'est pour ça que chaque sketch est composé comme un poème, mais un poème en action, parfois convulsif, et qui toujours se termine par la naissance d'une fleur.

3. AUTOCRITIQUE ET OUVERTURES

La cinémagie n'est pas encore née : elle est en gestation. J'ai déjà expérimenté la psychomagie jodorowskyenne, mais jusqu'ici aucun sketch cinémagique n'existe encore. Il y a un film qui a une dimension cinémagique : Armorika - Une Comédie Initiatique -. Je n'ai encore rien appris, rien expérimenté, rien vécu, rencontré personne. Tout est encore à faire, et ce que je sais car je le sens au plus profond de moi, c'est que la cinémagie va me prendre toute une vie à développer, si je continue du mieux que je peux. Je pense que les premiers vrais sketchs cinémagiques commenceront à apparaître dans une dizaine d'années, quand j'aurai commencé à accumuler un minimum de connaissances et d'expériences, quand j'aurai travaillé sur moi, quand j'assumerai enfin de devenir ce que j'appelle un cinémagicien. Et j'ai encore tout à apprendre, pour l'instant rien n'est accompli. Comme le bateleur du tarot, appelé parfois le magicien, tout est là, et il faut faire des choix dans l'infini des possibles. Je sais au fond que tout ce que nous cherchons est déjà en nous, qu'il n'y a plus qu'à s'y mettre, le chemin est l'oeuvre, au bout de la racine se trouve le fruit : « Tes yeux me cherchent partout, alors que je suis ce qui te permet de voir. »

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CONCLUSION : LE CINÉMAGICIEN

Qui est cinémage? C'est d'abord un thérapeute. Le mot thérapeute vient du grec et veut dire "Serviable, qui prend de soin de quelque chose ou quelqu'un." Il sait que le monde est une unité, alors s'il se soigne, il commence à soigner l'autre, et s'il commence à soigner l'autre, il se soigne lui-même. Il peut prendre la formule des bâtisseurs de cathédrales : « Ce que tu fais te fait. » Il est aussi un chaman, dans le sens où il est un spécialiste du monde de l'inconscient, il sait agir dans ce monde, il sait interagir avec. Il est un prêtre, dans le sens du maître de cérémonie, créateur de rituels, dans lesquels on peut commencer une guérison initiatique. Il est un philosophe, dans le sens nietzschéen du terme, c'est-à-dire philosophe-médecin (Le Livre du Philosophe, 1876), ou philosophe-artiste, qui fait dialoguer en lui le rationnel et l'intuitif, et vient donner des possibilités pour les les êtres humains qui l'entourent de se ré-équilibrer, se re-générer. Il est saint, dans le sens « saint laïque », ou « saint citoyen », dans le sens où il est un habitant de la planète qui a une éthique, celle qui est de reconnecter les autres et lui-même à leurs sources de joie créatrice qui est leur essence. Il est « magicien du chaos », dans le sens où il sait utiliser toutes les croyances comme des outils, dans le but de guérir lui et les autres, c'est-à-dire d'élargir la conscience. Il est un clown, dans le sens où il pratique l'auto-dérision et mélange lucidité et ludicité. Il est scientifique, dans le sens où il a une méthode qui vise le résultat concret de sa pratique, des changements constructifs, créatifs, et tangibles dans la réalité quotidienne. Il est artiste, dans le sens de créateur d'univers nouveaux, il sait que l'univers nous a créés afin qu'on crée des univers nouveaux à notre tour. Il est poète, dans le sens où il ne veut que la beauté, vivre dans un état poétique. Corporellement-matériellement, le cinémage devra être indépendant financièrement, ne devra de dettes à personne, qu'il soit pauvre ou riche n'a aucune importance tant qu'il trouve son équilibre ; il ne devra ni boire, ni fumer, ni se droguer, bien se nourrir et nourrir les autres en sachant cuisiner, transformant sa cuisine en art culinaire et en gastronomie ; il devra développer et affiner ses perceptions dans la jouissance, dans la joie d'être présent ; il devra apprendre à ses gestes à aller à l'essentiel ; sexuellement, le cinémage devra transformer sa sexualité en érotisme, ne pas prendre les autres pour de simples objets masturbatoires, mais pour des êtres véritables, des sujets, des âmes corporelles ; il développera la sensualité et aura conscience que la sexualité est partout présente dans son âme et son corps ; créativement, le cinémage pourra exercer n'importe quel métier : baleinier, astronaute, éboueur ou masseur-étaleur de fromage sur des chiens à trois pattes, tant qu'il ne dépend économiquement pas d'une instance parentale (comme ses parents, ou l'État, ce qui revient au même) ; émotionnellement, le cinémage vivra dans la démocratie des âmes qu'est l'univers, citoyen du cosmos, tandis qu'il purifie jusqu'à la fin de sa vie son ego malade en ego sain(t), son être essentiel aime toute la création,

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ou plutôt toute la Créativité de l'univers ; son bonheur est dans la transmutation.

Mes rêves m'ont appris que le cinémagicien devrait connaître aussi les films, les jeux vidéo et les logos publicitaires de son temps. En tant qu'Occidentaux, mais même en Afrique ou en Asie, nous avons été formés dans une société de l'image, et des centaines de milliers d'images types ont envahi et peuplé notre imaginaire inconscient depuis notre enfance. En acquérant des pouvoirs dans mes rêves, j'ai pu quelques fois les visiter à volonté, et remarquer que même des logos comme Nike, ou une mascotte comme Footix à la coupe du monde de foot 1998, ou Link dans le jeu Zelda, ou Robert de Niro, ou la chanteuse Dorothée, ont une vie propre et autonome dans l'inconscient : tout symbole est un être vivant, au même titre qu'une plante ou une planète : image est anagramme de magie, tout symbole est animé, c'est-à-dire qu'il a une âme, une sensibilité, une subjectivité. Tout ce qui a nourri (et empoisonné) l'esprit du Volontaire, le cinémagicien doit pouvoir le percevoir ou, à défaut, en être informé. De cette façon, son éventail de scénarios (non je ne dis pas scenarii, mais des scénarios) à proposer au Volontaire sera plus vaste et plus efficace. C'est pour ça que le cinémagicien ne doit pas seulement connaître le mieux possible les mythologies, les contes et légendes, le théâtre, la magie, la sorcellerie, la philosophie, la peinture, la sculpture… mais aussi la bande dessinée, les tarots, les jeux de cartes (Pokémon, Magic, Digimon, Yugi-Ho…), le cinéma, les séries télé, les dessins animés, les jeux vidéo… Tout ce qui marque l'esprit inconscient d'une génération est susceptible d'être utilisé dans un sketch cinémagique. Car notre esprit d'enfant (et primitif) ne meurt jamais, il est toujours actif, et c'est ce dernier qu'il faut utiliser pour agir en profondeur dans l'inconscient. Ça implique que le cinémagicien doit développer son intuition à fond, mais il doit aussi être informé de pas mal de choses. Je pense qu'avec une discipline et une attention aiguë sur son époque, en ne discriminant rien, même le star system, le cinémagicien peut parvenir à créer une thérapeutique puissante. Une des premières choses à faire pour le cinémagicien, son moteur, c'est de se créer une âme, développer ses connexions neuronales, pas seulement dans la logique et l'analyse, mais aussi dans l'intuition, le rêve, l'imagination vraie, la transe, l'extase.

Le cinémagicien est motivé par la joie de vivre, l'euphorie de créer, la conscience de la beauté et l'amour de l'humanité. Il est à la fois un ultra-optimiste (trouvant les valeurs les plus hautes non seulement pour lui même, mais aussi pour chaque personne, pour chaque chose), et un tragique (faisant des points négatifs et positifs des moteurs pour évoluer et créer). Ce qui guide ses actions est le désir profond d'aider les autres. Il sait que chaque être est une partie de lui-même, qu'il soit humain ou autre, et ne sera pas guéri tant que l'univers entier ne sera pas guéri. Il sait qu'après la mort il y a ce qu'il y avait avant la naissance, c'est-à-dire pas le néant, mais l'amour, une amour tellement géant qu'il nous a permis de naître, et cet amour n'est pas dans le présent, il est le présent : à la fois l'instant, la présence, et le cadeau. Il tente de rendre compte de ça. Sa vie est l'expansion continuelle d'un remerciement à l'existence.

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BIBLIOGRAPHIE

Ne pouvant tous les mettre (ça fait 22 heures que j'écris je n'ai plus assez de temps) voici quelques-uns des livres ayant servi à la rédaction de ce mémoire. De plus, ayant fait ce mémoire de mémoire, avec des souvenirs de notes et d'expériences, je ne pourrai tout citer.

Alexandro jodorowsky – Métagénéalogie, 2011– La Tricherie Sacrée, 2009– De la Cage au Grand Écran, 2009– La Danse le la Réalité, 2001

Joseph Campbell – Puissance du Mythe, 1988– Des Mythes pour se Construire, 2011– Mythologie et Épanouissement Personnel, 2011– Le Héros aux Mille et Un Visages, 1949

Yann Calvet– Cinéma, Imaginaire, Ésotérisme, 2003

S. Nicoloff-Perry, J.P. Avy, M. Herviou...– Mystère Ésotérisme et Cinéma, 2006

Maxime Scheinfeigel – Cinéma et Magie

Edgar Morin – Le Cinéma ou L'Homme Imaginaire, 1956

Marc Louis Questin– La Magie du Chaos, 2014

Marcel Picard – Tarot, 1987

Anonyme– Méditations sur les 22 Arcanes Majeurs du Tarot, 1984

Georges Colleuil – Tarot L'Enchanteur, 1998– La Fonction Thérapeutique des Symboles, 2005

Étienne Perrot – La Voie de la Transformation, 2000

Patrick Burensteinas – De la Matière à la Lumière, 2009

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