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Définition : Un Organisme Génétiquement Modifié est un organisme vivant (végétal ou animal, micro- organisme…) dont le patrimoine génétique a été transformé par l’introduction d’une petite construction génétique issue d’autres organismes vivants. La technique implique d’isoler des gènes et de les transférer d’une espèce à une autre (c’est pourquoi on parle de transgénèse ou d’organismes transgéniques). Ainsi, les organismes vivants créés combinent des caractères nouveaux qui n’au- raient pu exister naturellement. La création d’OGM nécessite donc d’intervenir directement sur la molécule ADN, ce qui a été rendu possible par les progrès récents de la bio- logie moléculaire. Cela permet le franchissement de la barrière sexuelle entre espèces : il s’agit donc d’une rup- ture scientifique, car jusqu’à ce jour, la sélection conventionnelle consistait à utiliser la variabilité des êtres vivants à l’intérieur d’une même espèce ou par croisement d’espèces apparentées. L’histoire des OGM est très récente : le 1 er OGM a été mis au point en 1983 (tabac), et le 1 er pro- duit commercialisé est une tomate à mûrissement ralenti en 1994. Intérêt de la technique : Les OGM présentent de nouvelles propriétés héré- ditaires qu’on ne trouve pas à l’état naturel : par exemple, la majorité des plantes génétiquement modifiées disposent de nouvelles caractéris- tiques génétiques comme la production de leur propre insecticide, une meilleure tolérance aux herbicides,… En agriculture, cela permet donc d’améliorer les techniques culturales,grâce à de meilleurs rendements et par exemple une résis- tance accrue aux prédateurs. Dans le domaine médical, des produits pharmaceutiques nou- veaux voient le jour (comme l’hormone de crois- sance BST pour forcer la lactation des vaches). Aujourd’hui, les OGM tolérants aux herbicides (soja, colza) représentent les 3/4 des OGM pro- duits dans le monde. La technique est aussi uti- lisée pour le maïs, la banane, la chicorée, le coton, etc. Actualité des OGM : La plus grosse part des OGM est produite sur le continent américain (le premier pays étant les Etats-Unis, puis l’Argentine), mais la technique com- mence depuis quelques années à s’étendre dans le reste du monde. L’Europe a adopté une position spécifique : en 1999, elle a appliqué un moratoire qui suspend les nouvelles autorisations de mise en culture d’OGM destinés à la consommation (cependant, certains pays comme l’Espagne ont autorisé cer- taines cultures). D’autre part, les essais à voca- tion de recherche sont autorisés et la précédente commission a facilité l’importation d’OGM (aujourd’hui, environ 25 OGM sont commercia- lisés sur le marché européen). Des règles strictes existent en Europe : les produits vendus aux consommateurs et contenant des OGM doivent obligatoirement être étiquetés (si les OGM repré- sentent plus de 0,9 % de la composition de l’ali- ment) et présenter des informations sur la tra- çabilité. L’opinion publique européenne est plutôt défa- vorable aux OGM, en particulier en France. 1 INTRODUCTION OGM : éléments de réflexion Document réalisé par Hélène Farelly, enseignante en économie et gestion, anciennement animatrice de développement rural, et responsable de la formation à la FADEAR (Fédération Associative pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural).

OGM : éléments réflexion - selfrance.org · ture scientifique,car jusqu’à ce jour,la sélection ... Il est donc intéressant de lister les avantages et les inconvénients de

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Définition :

Un Organisme Génétiquement Modifié est unorganisme vivant (végétal ou animal, micro-organisme…) dont le patrimoine génétique a ététransformé par l’introduction d’une petiteconstruction génétique issue d’autres organismesvivants.La technique implique d’isoler des gèneset de les transférer d’une espèce à une autre (c’estpourquoi on parle de transgénèse ou d’organismestransgéniques). Ainsi, les organismes vivantscréés combinent des caractères nouveaux qui n’au-raient pu exister naturellement.La création d’OGM nécessite donc d’intervenirdirectement sur la molécule ADN, ce qui a étérendu possible par les progrès récents de la bio-logie moléculaire.Cela permet le franchissement de la barrièresexuelle entre espèces : il s’agit donc d’une rup-ture scientifique, car jusqu’à ce jour, la sélectionconventionnelle consistait à utiliser la variabilitédes êtres vivants à l’intérieur d’une même espèceou par croisement d’espèces apparentées.L’histoire des OGM est très récente : le 1er OGMa été mis au point en 1983 (tabac), et le 1er pro-duit commercialisé est une tomate à mûrissementralenti en 1994.

Intérêt de la technique :

Les OGM présentent de nouvelles propriétés héré-ditaires qu’on ne trouve pas à l’état naturel : parexemple, la majorité des plantes génétiquementmodifiées disposent de nouvelles caractéris-tiques génétiques comme la production de leurpropre insecticide, une meilleure tolérance auxherbicides,… En agriculture, cela permet donc

d’améliorer les techniques culturales, grâce à demeilleurs rendements et par exemple une résis-tance accrue aux prédateurs. Dans le domainemédical, des produits pharmaceutiques nou-veaux voient le jour (comme l’hormone de crois-sance BST pour forcer la lactation des vaches).

Aujourd’hui, les OGM tolérants aux herbicides(soja, colza) représentent les 3/4 des OGM pro-duits dans le monde. La technique est aussi uti-lisée pour le maïs, la banane, la chicorée, le coton,etc.

Actualité des OGM :

La plus grosse part des OGM est produite sur lecontinent américain (le premier pays étant lesEtats-Unis,puis l’Argentine),mais la technique com-mence depuis quelques années à s’étendre dansle reste du monde.L’Europe a adopté une position spécifique : en1999, elle a appliqué un moratoire qui suspendles nouvelles autorisations de mise en cultured’OGM destinés à la consommation (cependant,certains pays comme l’Espagne ont autorisé cer-taines cultures). D’autre part, les essais à voca-tion de recherche sont autorisés et la précédentecommission a facilité l’importation d’OGM(aujourd’hui, environ 25 OGM sont commercia-lisés sur le marché européen). Des règles strictesexistent en Europe : les produits vendus auxconsommateurs et contenant des OGM doiventobligatoirement être étiquetés (si les OGM repré-sentent plus de 0,9 % de la composition de l’ali-ment) et présenter des informations sur la tra-çabilité.

L’opinion publique européenne est plutôt défa-vorable aux OGM, en particulier en France.

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INTRODUCTION

OGM :éléments de réflexion

Document réalisé par Hélène Farelly,enseignante en économie et gestion, anciennement animatrice de développement rural, et responsable de la formation à la

FADEAR (Fédération Associative pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural).

• une meilleure efficacité agricole : amélioration possibledes rendements à l’hectare (grâce à la résistance desplantes par exemple) et de la productivité du travail (parexemple, l’agriculteur peut passer moins de temps sur saparcelle pour la traiter). En conséquence, les coûts de pro-duction baissent.

Contre-arguments : les rendements augmentent très peuet l’amélioration de la productivité bénéficie surtout auxgrandes exploitations des pays développés.

• les OGM peuvent permettre de limiter les différents trai-tements (herbicides, insecticides,…), ce qui est favorableà la protection écologique des sols.

Contre-arguments : Les OGM résistants à certains traite-ments permettent d’amplifier l’utilisation de ceux-ci. Lesherbicides sont par exemple toujours autant utilisés maisleur nature change. Or, ce sont souvent les mêmes entre-prises qui vendent les semences OGM et les traitementscorrespondants, elles peuvent donc avoir intérêt à favori-ser la production d’OGM nécessitant des produits qu’ellesfabriquent également.

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I) AVANTAGES ET INCONVENIENTS DES OGML’intérêt et les risques des OGM soulèvent aujourd’hui dans le monde un large débat, si bien que deux « camps » s’opposent :les « pro-OGM » et les « anti-OGM ». Il est donc intéressant de lister les avantages et les inconvénients de cette techniquerécente, avant d’en délimiter les enjeux pour l’avenir de l’humanité et de la planète.

Economiques

Environ-nementaux

PRINCIPAUX AVANTAGES MIS EN AVANT

PRINCIPAUX INCONVÉNIENTS MIS EN AVANT

• l’achat de semences transgéniques coûte cher,un surcoûtqui n’est pas forcément toujours compensé par les éco-nomies d’intrants.

• les agriculteurs pourraient être « pris en otage » car sou-mis à l’achat annuel de semences OGM (dont la repro-duction est interdite ou impossible) : problème de sécu-rité alimentaire des populations rurales.

• le commerce des OGM (réservé à un petit nombre d’en-treprises qui en possèdent les brevets) peut être vu commeune privatisation du vivant,qui peut être considéré commerelevant du secteur non-marchand car appartenant à l’hu-manité dans son ensemble.

Contre-arguments : la méthode en est à ses débuts, lesprogrès et la baisse des coûts seront croissants à l’avenir.

• l’adaptation des parasites aux traitements exige une recru-descence de l’utilisation de (nouveaux) produits.

• risques pour la biodiversité : les OGM peuvent provo-quer la disparition de certains insectes ou plants et désé-quilibrer la chaîne animale, et la diffusion de modèlesuniques (de maïs transgénique par exemple) est à termeun renoncement de la biodiversité.

• les cultures proches des OGM peuvent être contaminéespar leur pollen (par dissémination).

• les séquences génétiques insérées dans les plantes peu-vent se « réarranger » de façon imprévisible et diffici-lement maîtrisable.

• les résultats des tests confinés en laboratoire et en champsexpérimentaux ne peuvent être raisonnablement extra-polés à la diversité des milieux et des conditions danslesquelles sera cultivée et transformée la variété trans-génique commercialisable.

Contre-arguments : on peut limiter les risques de conta-mination en décalant les périodes de floraison des par-celles voisines (de 2 ou 3 semaines).Ce sont surtout les 10 premiers mètres des cultures voi-sines qui peuvent être touchés par une contamination àplus de 0,9 %, seuil qui exige d’étiqueter sur la présenced’OGM.

La réticence au risque

Notre société accepte difficilement lanotion de risque,et la crainte des OGM estune des nombreuses peurs qui s’y répandent.Aux Etats-Unis et plus récemment enEurope s’est développée une forme de « judi-ciarisation » de la société : les possibilitésde plaintes puis de procès découragent laprise de risques.Les craintes dans le domainealimentaire sont sans doute les plus aiguëscar elles se rapportent à un besoin vital : celuide se nourrir. On comprend alors que lesOGM soient un terrain d’expression de cescraintes.En effet,très récentes au regard del’histoire de l’humanité,les biotechnologiesne bénéficient pas encore du recul néces-saire à une juste appréciation de leur dan-ger ou de leur innocuité.Pourtant,il est sur-

prenant de constater que la réticence aurisque dans le domaine alimentaire concernesurtout l’Europe,et beaucoup moins les Etats-Unis où les OGM font moins débat – le faitque ce soient des entreprises américainesqui soient leaders sur ce marché n’y est cer-tainement pas étranger.

Ces risques liés aux OGM sont par exemplecelui de ne plus maîtriser les OGM, orga-nismes vivants, mais aussi de découvrirultérieurement des effets dramatiques surla santé humaine (comme pour l’amiante)et sur l’environnement.

Les particularités de lascience au regard du risque

L’analyse approfondie (menée par le CRII-GEN1) des dissensions dans l’évaluationdes OGM montre que deux conceptions

scientifiques s’affrontent à ce sujet.

La première est une vision scientifique dite« réductionniste » (en tous cas présentéecomme telle par ses détracteurs) car elles’assied sur une vision particulière de labiologie moléculaire : « un gène corres-pond seulement à une protéine et unefonction ». Ainsi un maïs transgénique neserait qu’un maïs comme un autre, avecun peu d’insecticide dedans. Cette visionpeut être également considérée commeréductionniste car elle s’appuie sur desméthodes d’évaluation de la toxicité àcourt terme uniquement. Elle est soute-nue par des lobbys industriels,scientifiqueset politiques,et la réglementation conçuedans les années 1980 y est conforme.La seconde vision scientifique qui prendde l’ampleur aujourd’hui est dite « à com-

PRINCIPAUX AVANTAGES MIS EN AVANT

PRINCIPAUX INCONVÉNIENTS MIS EN AVANT

Ce débat complexe comprend donc plusieurs enjeux qu’ilconvient d’explorer pour se faire une opinion sur les OGM.

Les avantages et inconvénients listés montrent que lesenjeux sont de plusieurs ordres :• des enjeux liés à la notion de risque : la nouveauté des OGM

met en évidence des peurs et des réticences quant aux éven-tuels dangers pour l’avenir.

• des enjeux liés à la notion d’intérêt : qui a intérêt au déve-loppement des OGM ? les populations souffrant de la faim

et l’humanité en général, les agriculteurs, les firmes produi-sant et commercialisant les semences et intrants ? Ces inté-rêts sont-ils compatibles et sont-ils homogènes sur l’en-semble de la planète, au Nord comme au Sud ?

• des enjeux philosophiques, moraux, éthiques et théologiquesqui peuvent apparaître au regard de l’origine des OGM (sup-pression de certaines barrières entre espèces), et au regarddu développement des produits contenant des OGM malgrél’opposition de l’opinion publique, en particulier européenne.

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• les OGM peuvent permettre de limiter les différents trai-tements (herbicides, insecticides,…), ce qui est favorableà la protection de la santé humaine.

• l’introduction de nouvelles propriétés dans les alimentspeut être favorable à la nutrition (exemple : le riz trans-génique enrichi en vitamine A - riz doré - a la particula-rité de limiter les risques de cécité des enfants malnu-tris).

• la recherche apporte de nouvelles perspectives enmatière de production de médicaments : étude despathologies humaines à partir d'animaux génétique-ment modifiés, création par transgénèse de médicamentstrès ciblés sur un sous-groupe de maladie, ce qui facilitele contrôle des effets toxiques.

• la transgénèse ouvre la voie à la réduction, voire à l'éli-mination,de la présence de certains composants toxiquesnaturels dans les aliments, tels que le cyanure dans lemanioc.

Contre-arguments : selon Greenpeace, il faudrait consom-mer 9 kg par jour de riz doré pour obtenir sa ration néces-saire de vitamine A.Aucune absence de risque pour la santé humaine n’estscientifiquement prouvée.

Liés à la santéhumaine

• certaines plantes OGM (maïs Bt) présenteraient une résis-tance aux antibiotiques, éventuellement transmissibleà l’homme.

• certaines plantes OGM (maïs Starlink) auraient deseffets allergènes.

• la nouveauté des techniques impliquerait de rester pru-dent et de tester les effets sur une longue durée.

Contre-argument : aucun risque pour la santéhumaine n’est scientifiquement prouvé.

II) 1er ENJEU : LES OGM ET LA NOTION DE RISQUE

1 CRII-GEN : Comité d’expertise Indépendant sur les OGM

Selon la FAO3, 800 millions de personnessont actuellement concernées par unesous-alimentation chronique. Pour sefaire une idée sur ce que peuvent appor-ter les OGM à ces populations en très

grande difficulté (beaucoup périssent), ilest intéressant de comparer les argu-ments des pro-OGM et des anti-OGM.

Arguments favorables à l’utilisationdes OGM pour combattre la faimdans le monde :Plus de 70 % des pauvres (vivant avec

moins de 1 $ par jour) des pays en déve-loppement vivent dans des zones rurales.De plus, selon la FAO, pour compenserl’augmentation démographique mondiale

plexité intégrée ». Elle met en avant queles gènes ont souvent des fonctionne-ments régulés de manière corrélée et com-plexe, voire inattendue. Surtout, la fonc-tion présumée d’un gène peut ne pas êtreconservée d’une espèce à l’autre. Cettevision nécessite de considérer l’OGMcomme un nouvel organisme à partentière. Elle est soutenue par un certainnombre de scientifiques et par des asso-ciations de consommateurs, d’agricul-teurs ou de distributeurs.

Cette opposition amène une réflexiongénérale sur les risques liés aux OGM.D’après Jacques Testard (directeur del’INSERM et père scientifique du 1er bébééprouvette), les séquences génétiquesinsérées dans les plantes se « réarrangent »de façon imprévisible et difficilementmaîtrisable.La recherche sur les OGM estdonc en phase expérimentale et nedevrait pas déboucher déjà sur de la pro-duction à grande échelle car elle concernele vivant, par nature bien plus complexeque le monde inanimé. Par contre, selonPhilippe Vernet2, le risque environne-mental principal est couru par les varié-tés sauvages situées à proximité desOGM. Le problème est réel pour une cul-ture comme celle de la betterave, dont ilexiste des variétés sauvages. Celles-ci ris-quent d’être modifiées génétiquement parcontact avec les betteraves cultivées.

Pourtant, la science ne se conçoit jamaissans un minimum de prise de risque. Il estpossible,sur le plan scientifique,de démon-trer l’existence d’un danger mais enrevanche, il est impossible de prouver l’ab-sence d’un risque. C’est d’autant plus vraidans le domaine de la biologie, qui s’ap-puie sur les observations de l’existant (oudu passé) mais ne peut pas prévoir l’ave-nir car il s’agit d’une science empirique.Les scientifiques qui se sont exprimés

devant la mission parlementaire fran-çaise réunie en 2004-2005 pour étudier lesOGM sont unanimes : le risque zéron’existe pas. « Il faut prendre conscienceque la science contemporaine est fondéesur l’incertitude » et l’accepter.

Le principe de précaution semble récon-cilier l’approche du progrès scientifique etcelle de la mise en évidence des risquesinduits par celle-ci. Il appelle la mise enplace de procédures limitant le risque,grâce à des études et recherches orientéesvers les effets des découvertes scienti-fiques. Cependant, le principe de pré-caution doit être entendu comme unprincipe d’action, et non d’abstention.Mal compris, il pourrait en effet constituerun frein à la recherche et à l’innovation,qui a déjà tant apporté à l’humanité surle plan de la santé et de l’amélioration desconditions de vie.Or,concernant les OGM,ce principe de pré-caution peine à s’appliquer : les promoteursdes OGM (Cf. le site Internet de Monsanto)mettent en avant toutes les précautionsprises avant la commercialisation d’unOGM,et défendent leur position par la réa-lisation d’études scientifiques sérieuses,sans préciser par qui ces dernières ont étéconduites.Les opposants des OGM arguentdu fait que les expériences de long termea priori et les contrôles a posteriori sontquasi-inexistants voire inexistants. Quicroire ?

Le problème de cette évaluation desrisques est qu’elle est sans doute fausséepar un autre enjeu qui cristallise le débat :celui de tous les avantages supposés desOGM,en particulier leur capacité à contri-buer à juguler la faim dans le monde. Eneffet, que pèsent des risques non délimi-tés pour l’instant par rapport aux perspec-tives de centaines de millions de vies sau-vées à travers le monde ? Certains

peuvent voir le rejet des OGM comme unluxe des pays riches où l’alimentation estsurabondante.

Conclusion :

Des intérêts très contestés peuvent-ils jus-tifier un développement non raisonné desOGM ? Est-ce aux générations futures dedécouvrir a posteriori si les découvertesétaient bénéfiques ou nuisibles ?

Il semble à ce niveau de la réflexionqu’une position à la fois ouverte et pru-dente pourrait être de favoriser larecherche sur les OGM (pour en dévelop-per de nouveaux mais aussi pour en véri-fier l’innocuité), tout en l’encadrant. C’estce que propose la mission parlementairesur les OGM quand elle suggère la créa-tion d’un comité indépendant chargéd’évaluer les risques et de les compareraux bénéfices attendus des OGM. Larecherche des laboratoires privés ne peutapparemment suffire pour remplir cettemission car elle est trop chargée d’inté-rêts financiers liés à l’exploitation commer-ciale des découvertes. Mais la sagesseserait aussi de dire qu’il est un peu tôt pourgénéraliser la technique des OGM à l’en-semble de la planète (ce qui est pourtanten train de se réaliser), car les garantiesne sont pas suffisantes.En fait, les conclusions diffèrent selonqu’on parle de recherche ou d’applicationcommerciale de cette recherche. Dans ledomaine des OGM, des freins aux appli-cations seraient sans doute judicieux, carla transgénèse concerne un domaine (labiologie moléculaire), non seulementchargé d’incertitude (encore que c’est lepropre de toute nouveauté scientifique),mais aussi chargé de questions éthiquescar c’est la vie qui est en jeu.

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III) 2ème enjeu : les intérêts liés aux OGMa) Les OGM comme solution à la faim dans le monde : présentation des pistes deréflexion

2 Philippe Vernet : professeur émérite, généticien au labo-ratoire de génétique et évolutions des populations végé-tales, Université Lille I3 FAO : Food Administration Organization

à venir, la production mondiale de nour-riture devra croître de 2,3 % par an. Unaccroissement de la production agricoledans ces zones rurales (grâce à des culturesOGM économes en intrants, en temps detravail et plus productives) pourrait per-mettre :• d’améliorer la satisfaction des besoins

alimentaires locaux• de faciliter l’insertion des producteurs

sur le marché mondial grâce à unemeilleure compétitivité de leur pro-duction (dans le domaine du coton parexemple) : la richesse ainsi créée seraitredistribuée dans le cercle familial et vil-lageois,au bénéfice d’un grand nombre.

• de maîtriser certaines maladies et para-sites foudroyants qui mettent en périlles récoltes (patates douces ou maniocen Afrique par exemple).

Ainsi, le Programme des Nations Uniespour le Développement considère aujour-d’hui les cultures OGM comme le meilleuroutil de développement des agriculturesdéfavorisées. C’est l’humanité touteentière qui tirerait profit de cette formi-dable avancée de la science.

Arguments qui remettent en causel’utilisation d’OGM pour résoudre leproblème de la faim dans le monde :

• La question de la pauvreté et de la faimn’est pas liée à une insuffisance deproduction mais à sa répartition : c’estla position défendue notamment par leprix Nobel d’économie Amartya Sen.« Lafaim n’est pas le résultat d’un manquede ressources alimentaires mais d’unemauvaise organisation ou d’une absencede contrôle politique sur les ressources ».Par exemple, l’Inde disposait en 2003 de40 millions de tonnes de surplus agricole,alors qu’une partie de sa populationsouffre de la faim ou de malnutrition.

• La question de la faim doit être analy-sée au regard de la structure de la pro-duction dans les pays du Sud, et en par-ticulier de la place occupée par lescultures d’exportation. Il existe en effetde fortes inégalités au sein d’un mêmepays dans les modes de productionagricole et dans l’accès à la nourriture.Ainsi,au Brésil, les firmes multinationalespossèdent plus de terres que l’ensemble

des agriculteurs brésiliens.Ces terres sontsurtout utilisées pour des cultures des-tinées à l’exportation.Le Brésil est le qua-trième exportateur mondial de pro-duits agricoles, mais 40 % de lapopulation brésilienne souffre de sous-alimentation. Le FMI4 conseille les paysdu Sud fortement endettés de s’insérersur le marché mondial des produitsagro-alimentaires plutôt que de dévelop-per les cultures vivrières.Parallèlement,les productions orientées vers la satis-faction des besoins alimentaires locauxsouffrent de la concurrence accrue (etfortement contestée comme étantdéloyale) des productions des paysriches qui subventionnent leurs expor-tations. L’introduction sur une grandeéchelle d’OGM dans les pays souffrantde la faim pourrait donc avoir poureffet de réorienter les agricultureslocales vers des cultures d’exportation(en effet, le soja, le maïs et le colza quireprésentent la grosse majorité desOGM produits dans le monde sont descultures d’exportation). D’autre part,elles pourraient impliquer une profondemodification des structures agricoles versune mécanisation et une intensificationde la production, avec la même évolu-tion que celle vécue dans les paysriches : augmentation de la taille des par-celles et des exploitations pour s’adap-ter aux exigences d’une agricultureindustrialisée, diminution du nombred’actifs agricoles (et donc du nombred’emplois),dégradation de l’écosystèmedue aux pratiques agricoles producti-vistes.

• Les OGM sont mal adaptés aux besoinsdes agriculteurs des pays du Sud qui ontpeu de capacités d’investissement. Or,il faut acquérir les semences et lesintrants correspondants aux types devariétés OGM cultivées.

• Les OGM pourraient rendre les produc-teurs très dépendants des semenciersinternationaux, par le phénomène desbrevets. En effet, les entreprises multi-nationales sont propriétaires dessemences vendues,qui ne peuvent êtrereproduites (elles doivent donc êtrerachetées chaque année, ainsi que lestraitements correspondants).

• Les variétés transgéniques ne sont pasadaptées aux pays du Sud, dont les cul-tures paysannes représentent une fortediversité, sur de très petites parcelles.Or, les OGM tendent à limiter les varié-tés au profit de variétés uniques aux

caractéristiques très ciblées. Il existe doncun risque de perte de diversité au détri-ment de la sécurité alimentaire de cespays. D’autre part, les risques de conta-mination des cultures voisines sontamplifiés dans ces pays du fait de lapetite taille des parcelles.

• Il existe d’autres pistes pour résoudre leproblème de la faim : et en particuliermiser sur le maintien d’une agriculturepaysanne, vivrière, orientée vers lesbesoins locaux, riche en main d’œuvrelocale et permettant la souveraineté ali-mentaire des pays concernés.

Pour aboutir à une synthèse entre ces deuxapproches, il semble pertinent de placerla réflexion sur le terrain de l’analyse éco-nomique, car c’est à ce niveau que l’op-position prend sa source.

b) Analyse économiqueautour des OGM :

Le problème de la faim dans le monde estdépendant du niveau de production agri-cole, des types de productions, et de larépartition des revenus générés par l’ac-tivité. Ce débat est donc lié à des ques-tions de politique économique.

OGM et niveau de produc-tion :En accroissant les rendements, les OGMapportent une perspective intéressanteen terme de quantités produites. Mais denombreux analystes s’accordent à dire queles quantités ne sont pas un élémentdéterminant car la production mondialeactuelle devrait suffire à satisfaire lesbesoins de tous.L’aide alimentaire du Nordvers le Sud grâce à une amélioration desrendements au Nord est une piste, maisuniquement dans des cas extrêmes, pourcertaines situations d’urgence. Si elledevient structurelle, elle ne peut enaucun cas suffire à nourrir la planète carelle mettrait en péril les producteurs duSud (avec augmentation de la pauvretéet déplacement des populations vers lescentres urbains).C’est donc plutôt une aug-mentation des quantités produites dansles pays en développement qui est néces-saire.

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4 FMI : Fonds Monétaire International

OGM et structure de laproduction :Deux types de production agricole sontpossibles : elle peut s’orienter vers des cul-tures vivrières propres à satisfaire desbesoins locaux, ou s’orienter vers des cul-tures destinées à l’exportation. La coha-bitation des deux types de production estbien sûr possible, et elle est d’ailleurs uneréalité actuellement.Quoi qu’il en soit, leséconomies de la quasi-totalité des payss’inscrivent dans un contexte mondialiséoù le jeu de la concurrence influence consi-dérablement les résultats.En effet,en éco-nomie ouverte, les productions vivrièrescomme les cultures d’exportation sontconcurrencées par les productions desautres pays.

Les OGM peuvent contribuer à rendre pluscompétitives les agricultures des paysactuellement les plus en difficulté etfaciliter leur insertion dans l’économiemondiale.

Mais une première réserve peut iciêtre introduite : cette perspective doitêtre rattachée à l’organisation du com-merce mondial et en particulier auxrègles qui le régissent. En simplifiant, onpeut considérer en premier lieu que lesbesoins (notamment alimentaires) detous les habitants de la planète pourraientêtre satisfaits par le libre jeu de la concur-rence. En s’insérant dans le commercemondial, les agricultures du Sud devien-dront compétitives et permettront denourrir toute la population grâce à unemeilleure répartition des richesses.A contrario,on peut considérer que la libé-ralisation des économies et la suppressiondes freins au commerce est le plus sûrmoyen de tuer les agricultures les plus endifficulté et les moins productives, d’au-tant plus que les pays où la productionagricole est la plus moderne (Amériquedu Nord,Europe) sont également les paysqui protègent le plus leur agriculture dela concurrence extérieure (par la PAC enEurope par exemple) ou en octroyant dessubventions à l’exportation. En ce sens,les OGM peuvent être considérés commeun moyen supplémentaire de favoriser lesagricultures européennes et américainestout en condamnant à terme les agricul-tures paysannes des pays les moins déve-loppés, qui n’ont pas les moyens de pro-

téger par des subventions leurs produc-teurs de la tendance à la baisse des coursmondiaux.Les économies induites par lesOGM seront en effet encore très long-temps moins intéressantes pour les paysdu Sud que pour les pays du Nord, du faitde la petite taille des exploitations dansle Sud. Et si un jour les OGM rendent pos-sibles des productions tropicales en zonede climat tempéré, les avantages compa-ratifs du Sud seront en plus remis en ques-tion.

En fait, généraliser les OGM dans lespays en retard de développement (etsouffrant de sous nutrition ou de malnu-trition) pour les rendre plus compétitifs,revient à miser sur l’insertion de cesagricultures dans le commerce mondial.Or, la lutte semble actuellement inégale,tant les agricultures des pays riches sontprotégées par le mécanisme des subven-tions.

La seconde réserve est liée à la prise encompte des logiques individuelles dans ledéveloppement d’un système agricoleoù les OGM tiennent une place impor-tante : en effet, miser sur les OGM pournourrir l’ensemble de la population peutrevenir à croire que le bien-être de l’hu-manité repose sur quelques firmes agro-alimentaires. Celles-ci sont 5 à posséderla quasi-totalité des brevets et des orga-nismes de recherche en biotechnologies,et ce sont elles qui détiennent le plus d’in-térêts financiers dans le développementdes OGM.Comment ces logiques individuelles vont-elles permettre d’atteindre des besoins col-lectifs ?Le système économique mondial actuelrepose en grande partie sur l’idée que lesintérêts individuels s’agrègent harmo-nieusement pour conduire à l’intérêt col-lectif. Ainsi, il faut faire confiance auxacteurs privés en concurrence pour sus-citer une dynamique économique, lacroissance et l’emploi. C’est sur ce postu-lat que les organismes de gouvernancemondiale (FMI, Banque Mondiale, G8,…)fondent leurs décisions et conduisent lesEtats vers une déréglementation au nomdes bienfaits de la concurrence. Plusieurséconomistes s’élèvent depuis plusieursannées pour remettre en cause ce mou-vement (nommé « Consensus deWashington ») ou pour en proposer uneversion allégée.

La science économique tend à montrerque la logique des entreprises privées(recherche du profit pour pérenniser leuractivité) est compatible avec le bien-être de l’humanité, et en particulier avecla possibilité pour chacun d’avoir desconditions de vie décente,à condition quedes mécanismes de répartition d’unepartie des richesses produites soient éga-lement appliqués. Mais l’observationactuelle des tendances montre que la plu-part des pays pauvres, notamment enAfrique, s’enfonce dans un cercle vicieuxde la pauvreté (cette réalité est à nuan-cer, car de multiples facteurs politiques,économiques et sociaux entrent en jeu),et que la fraction la plus riche de lapopulation mondiale s’enrichit encore.D’autre part, les opposants aux OGM rap-pellent que les entreprises productricesde ces organismes appartiennent souventaux mêmes groupes que celles qui détien-nent des brevets sur les médicaments(notamment les thérapies de lutte contrele SIDA), dont le coût ne permet pas auxpopulations pauvres de se soigner. Sanscontester le fait que la recherche du pro-fit soit favorable à la dynamique écono-mique et donc à une création de richessefavorable à tous, il faut ne pas perdre devue que la vocation des entreprises com-mercialisant les OGM n’est en aucun casde favoriser l’accès à la nourriture despopulations les plus pauvres.Elles mettenten avant cette possibilité, mais cela peutêtre perçu comme un argument de com-munication justifiant leur action.Le résul-tat de la généralisation des OGM pour sti-muler la production agricole pourraitêtre la satisfaction des besoins alimen-taires d’un plus grand nombre, mais cen’est pas certain. En effet, les méca-nismes de la pauvreté montrent qued’autres facteurs sont en jeu. C’est la rai-son pour laquelle la confiance en desacteurs privés ne suffit pas : il faut uneprise de conscience publique internatio-nale afin de limiter tous les inconvé-nients listés ci-dessus concernant l’utili-sation d’OGM pour lutter contre la faim.Les avantages des OGM en terme decompétitivité ne seront donc atteintsque si d’autres conditions sont remplies :règles du jeu du commerce internationalréaménagées et introduction de garde-fouspour éviter l’abus de pouvoir des acteursprivés commercialisant les OGM.Force estde constater que la tendance s’oriente versune libéralisation accrue (avec volonté delever les barrières douanières par exemple)

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Les questions éthiques autour des OGMqui font actuellement débat dans lasociété

Ces questions éthiques peuvent s’articu-ler autour de deux dimensions : par rap-port à l’environnement et par rapport àla justice sociale.

L’environnement : questions éthiques liées àla manipulation du vivant La plupart des chercheurs considèrent latransgénèse comme une étape supplé-mentaire de l’avancée scientifique, aumême titre que les progrès en sélectiondes variétés réalisés depuis des millénairespar l’humanité. Il n’y a donc peu deremise en cause du principe même de latechnologie. C’est la position adoptéepar exemple par le généticien PhilippeVernet. Mais pour d’autres, les manipula-tions génétiques peuvent être considéréescomme enfreignant les lois de la nature(on va peut-être vers une disparition dela notion même d’espèce). Jean-Marie

Pelt5 défend une position assez proche :le développement des plantes transgé-niques s’intègre dans un mouvementd’instrumentalisation généralisée de lanature par l’homme,qui cherche à la domi-ner par une artificialisation croissante desmilieux naturels.Beaucoup d’ONG deman-dent que ce mouvement ne s’opère passans une large réflexion philosophique etéthique. Les associations écologiques etenvironnementalistes se fondent sou-vent sur la nécessité de préserver lanature des dangers que lui fait courirl’homme.

La justice sociale : questions éthiques liées aurespect de l’être humainConcernant les consommateurs que noussommes tous,beaucoup considèrent qu’iln’est pas acceptable de contraindre desindividus à consommer des alimentscontre leur gré, avec des risques exactsméconnus. Or les OGM se répandentpetit à petit dans les produits agro-alimen-taires, avec une information insuffisante.La recherche scientifique doit-elle sepoursuivre si elle n’est pas socialement

acceptée ? Il y a aussi une question dedémocratie dans ces débats, car la popu-lation rejette majoritairement les OGM(mais la majorité a-t-elle toujours raison,et même si elle a tort, son avis ne devrait-il pas primer en démocratie ?).Enfin, cette question de la justice socialeconcerne également les producteurs quipourraient être enfermés dans un schémade production « génétiquement modi-fiée », car liés contractuellement ou éco-nomiquement aux fournisseurs d’OGM etd’intrants pour leurs cultures, et auxintermédiaires pour la vente de leursrécoltes. Il s’agit d’une lutte inégale, celledu pot de terre contre le pot de fer. LesOGM pourraient bien être une « illusionéconomique » destinée à favoriser ceuxqui les développent.

Ces deux dimensions font débat actuel-lement dans la société, beaucoup d’asso-ciations, de mouvements politiques, syn-dicaux et plus largement le mouvementsocial alter-mondialiste s’y investissent.Il est intéressant de se pencher sur la façon

que vers un encadrement renforcé etprotecteur des plus faibles.

OGM et répartition des revenus issus de l’agriculture :A priori, les deux aspects ne sont pas liésdirectement entre eux. En économie desubsistance, les revenus issus de la produc-tion sont répartis immédiatement entreceux qui travaillent la terre et leursproches.Des techniques OGM maîtriséespourraient contribuer à une sécurisationdes récoltes et des revenus. Mais la tech-nologie OGM semble pour l’instant peuadaptée à ce type de production vivrière,car elle exige des investissements(semences, traitements,mécanisation,…),qui ne sont pas à la portée de ce type d’agri-culteurs pour l’instant. D’autre part, larecherche sur les OGM s’oriente plutôtactuellement vers des cultures plus ren-tables,destinées à une commercialisationsur une grande échelle (soja, colza, maïs).Les revenus issus de ces cultures sont trèsaléatoires, car soumis aux cours mon-

diaux et concurrencés par les produc-teurs subventionnés de certains pays.En conséquence, il apparaît que les OGMpourraient peut-être avoir un effet posi-tif sur l’éradication de la faim, mais sousplusieurs conditions.• En favorisant dans un premier temps lesproductions de subsistance, afin de privi-légier la souveraineté alimentaire despays concernés par la faim.• En s’accompagnant de règles écono-miques qui ne soient pas défavorables auxproductions des pays en difficulté écono-mique (n’ayant pas les moyens de seprotéger).• En limitant le pouvoir des acteurs indi-viduels (en particulier les entreprises quipossèdent les brevets) afin de limiter ladépendance des producteurs par rapportà ces entreprises.• En s’accompagnant de précautions rela-tives à la répartition des richesses géné-rées par l’utilisation d’OGM (et parexemple en s’assurant que l’utilisationd’OGM ne soit pas le corollaire d’un tropvaste mouvement de concentration despetites exploitations du Sud).

ConclusionL’approche de chacun influencera sesconclusions : soit la confiance en l’impactpositif des logiques individuelles et del’économie de marché sans régulation,soitla proposition de mécanismes correc-teurs pour protéger les acteurs les plus fra-giles du marché que sont les paysans duSud.

Néanmoins, la solution OGM pourrésoudre la question de la faim doit êtreenvisagée avec beaucoup de prudence.Eneffet, les OGM présentent des atouts enterme de volumes produits, alors que levrai problème est ailleurs. Le cadre éco-nomique dans lequel s’inscrivent les agri-cultures des pays concernés par la faimentre en ligne de compte, car la qualitéde la répartition des richesses est plusimportante que leur quantité.

C’est pourquoi, il paraît indispensable desituer aussi le débat sur un autre plan,plusphilosophique, éthique, voire moral outhéologique.

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5 Jean-Marie Pelt : Professeur émérite de l’Université deMetz, fondateur de l’Institut Européen d’Ecologie

III) Enjeux éthiques et théologiques

dont les chrétiens – et plus particulière-ment les évangéliques – s’impliquentdans ce débat.

Quelques points de vuechrétiens

Dans le monde protestant et évangé-lique, la préoccupation des OGM ne prendpas beaucoup de place et peu de per-sonnes l’ont traitée sous un angle théo-logique. En effet, les chrétiens (en parti-culier les évangéliques) manifestentsouvent une certaine prudence par rap-port aux questions écologiques,parfois per-çues comme « ésotériques », « pan-théistes », reliées au Nouvel Age, etprivilégiant la créature au détriment duCréateur.Il y a trente ans déjà, Jacques Ellul aler-tait les chrétiens : « dans la mesure où leséglises n’ont rien dit et rien fait depuis unsiècle dans ce domaine (écologique), celasignifiait pour le monde qu’il n’y avaitaucune limite. Cela veut dire que leschrétiens ont une fois de plus manqué l’oc-casion de leur sainteté.Cela veut dire qu’ilssont responsables eux et eux seuls dudésastre dans lequel nous commençonsà vivre. »Selon Daniel Rivaud6, les chrétiensdevraient s’intéresser plus aux questionsd’éthique et de société, et entamer uneréflexion pour y voir plus clair sur les OGM.

Mais il est tout de même possible de rap-porter quelques points de vue de plusieurspenseurs, pasteurs, professeurs qui ontabordé dans leurs écrits la question desOGM ou plus largement des biotechno-logies.

• Au niveau international7,on constate queles chrétiens dans le monde (en particu-lier occidental), n’ont pas les mêmes opi-nions vis-à-vis des OGM en agriculture.Certains semblent penser qu’ils peuventêtre bénéfiques, comme un groupe cana-dien d’agriculteurs chrétiens (CFFO :Christian Farmers Federation of Ontario),selon qui l’utilisation des biotechnologiespermet d’explorer des nouveaux moyenspour améliorer leur « stewardship for God’sCreation »,c’est-à-dire leur mission au ser-vice de la Création de Dieu. Quoiqu’il ensoit, le CFFO reste prudent quant aux

conditions d’utilisation des OGM, notam-ment vis-à-vis de leur commercialisation.D’autres,au contraire, s’y opposent ferme-ment, telle l’Eglise Protestante AllemandeEKD, qui a lancé en 2003 une campagnecontre la culture des OGM sur les terri-toires de l’église, pour la raison principaleque les risques environnementaux sontmal connus.

• En France, peu de prises de position ontété répertoriées.

En 2002, le rapport d’un groupe de travailsur la bioéthique et les biotechnologiesde la commission « église et société »(Conférence des Eglises Européennes)propose une « théologie de la création quicherche l’équilibre entre une interventionhumaine admissible et la nécessaire limi-tation imposée par le souci de l’êtrehumain et des autres aspects de l’ordrecréé par Dieu. Il n’y a pas de condamna-tion de principe sur la modification géné-tique,mais un regard critique à porter des-sus ».La Fédération Protestante de France s’estpositionnée (en 1999) de la façon suivante :« nous rappelons que l’être humain a étéfait par Dieu, non pas propriétaire, maisdépositaire et gestionnaire de la création.C’est pourquoi nous nous inquiétons decertaines recherches et manipulationsdans le domaine agroalimentaire effec-tuées par de grandes entreprises multina-tionales. Il s’agit en particulier du déve-loppement des semences « TPS »nommées « Terminator » par les médias.Ces semences ont pour particularité devoir leur capacité de germination bloquéepeu avant la récolte. La conséquence estl’impossibilité de prélever une partie desgraines récoltées pour des semailles ulté-rieures. Les pays pauvres risqueraientfort de ne plus avoir les moyens d’ache-ter des semences, sinon au prix fort. Lesrisques de famine à l’échelle planétaires’en trouveraient considérablement accrus.Nous estimons devoir alerter l’opinion etdire notre préoccupation face à de tellesdérives, contraires à toute éthique chré-tienne. Il n’est pas acceptable,en effet,quedes intérêts purement économiques fas-sent courir des risques aussi graves,mena-çant la survie de populations entières,notamment dans les pays les plus pauvres,voire celle de toute l’humanité. Il n’est paspermis de jouer aussi cyniquement avecla nature et les vies de nos frères et sœurs.Ni la justice ni l’amour voulus par Jésus-

Christ n’y trouvent leur compte. C’estpourquoi nous appelons à la plus grandevigilance face à toute dérive scientifiquerisquant de mettre en péril ce que Dieunous confie ».

Ces prises de position « officielles » pren-nent donc en compte la place de l’hommedans la création et le souci de la préser-vation de la dignité de l’être humain. Entant que gestionnaire de la création,celui-ci doit mesurer son interventionsur la nature créée par Dieu et préserverle sort de ses semblables, dans un soucide justice et d’équité. Il n’y a donc pas decondamnation absolue des OGM, mais lamanifestation d’une certaine prudence vis-à-vis de ces derniers.

Pistes de réflexion théolo-gique

Il est délicat de forger son opinion sur lesOGM au regard de ce que nous dit la Bible,car il n’en est évidemment pas fait clai-rement et directement allusion. Mais plu-sieurs ont fait part de leurs réflexions fon-dées sur la Bible,en rédigeant des ouvragesou des articles pour des revues chré-tiennes (L’Avènement,Nuance,ConstruireEnsemble, Servir en L’attendant, IDEA…).Les réflexions bibliques ci-dessous s’ins-pirent de ces auteurs d’articles ououvrages :

Michel Johner (professeur d’éthique àla Faculté de Théologie d’Aix)Thierry Hernando (dans L’Avènement)Steve Tanner (dans L’Avènement)Pierre Berthoud (professeur à la Facultéde Théologie d’Aix)Corinne Fines (pasteur)Charles Nicolas (pasteur)Norma Schenkel (biologiste)Samuel Debrot (vétérinaire)Walter Wahli (professeur de biologie àLausanne)Lydia Jaeger (physicienne, professeurà l’Institut Biblique de Nogent)Jean-Pierre Bory (pasteur)Francis Schaeffer (écrivain, « la pollu-tion et la mort de l’homme »)

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6 Daniel Rivaud : pasteur, association Sentinelle, membredu CPDH (Comité Protestant évangélique pour la DignitéHumaine)7 Recherches réalisées par Sophie Tron (A Rocha)

Remarque importante : ces analysessont des pistes de réflexion et de dis-cussion et ne présentent pas de carac-tère absolu et définitif.

L’environnement : passages bibliques

La question des OGM (non traitée direc-tement dans la Bible) peut être reliée àcelle de l’environnement. Il est donc inté-ressant de se pencher sur les passagesbibliques qui peuvent nous aider à nousforger une opinion sur ce sujet.

Romains 1 – 20 : « depuis la création dumonde, les perfections invisibles de Dieu,sa puissance éternelle et sa divinité sevoient dans ses œuvres quand on y réflé-chit. »Psaume 19 – 2 : « les cieux racontent lagloire de Dieu et l’étendue manifestel’œuvre de ses mains ».Psaume 119 – 91 : « selon tes ordres, toutsubsiste aujourd’hui,et tout dans l’universse tient à ton service ».‘ analyse possible : la création nous

parle de qui est Dieu, elle rend gloireau Créateur. La détruire ou la boulever-ser reviendrait donc à supprimer un desmoyens par lequel Dieu se révèle à l’hu-manité.

Romains 8 – 19 à 22 : « aussi la créationattend-elle avec un ardent désir la révé-lation des fils de Dieu. Car la création aété soumise à la vanité - non de son grémais à cause de celui qui l’y a soumise -avec l’espérance qu’elle aussi sera affran-chie de la servitude de la corruption,pour avoir part à la liberté de la gloire desenfants de Dieu ».‘ Analyse possible : la création toute

entière fait partie du plan du salut deDieu. Si Dieu désire la restaurer, rienne justifie donc de la mettre en périlet de la considérer comme juste bonneà satisfaire les besoins de l’être humain.

Genèse 2 – 15 : « Dieu prit l’homme etl’établit dans le jardin d’Eden pour le cul-tiver et le garder. »

‘ Analyse possible : l’homme a undouble mandat : exploiter la terre enla protégeant. Cultiver implique unetransformation, mais jusqu’où ? La créa-tion a un ordre voulu par Dieu, et ellea une valeur car elle est l’œuvre de savolonté créatrice. D’après F. Schaeffer,la religion conditionne la vision qu’a unesociété de la nature, et le christia-nisme est souvent considéré commeétant à l’origine de la crise écologiqueactuelle parce qu’il a justifié et souventencouragé la domination de la naturepar l’homme. Depuis la chute, l’hommefait mauvais usage de sa place privilé-giée au sein de la création (en tant quecréé à l’image de Dieu), car il se placelui-même au centre de l’univers. Or, sil’homme est chargé de dominer lanature, rien ne l’invite dans la Genèseà en devenir le souverain. Après ledéluge, Dieu a d’ailleurs établi unealliance avec tous les êtres vivants, avecune place privilégiée pour l’être humain.Une bonne gestion de la créationimplique donc une certaine responsa-bilité de l’intendant : un espace deliberté, une utilisation pertinente desdons que Dieu a accordés à l’êtrehumain (son intelligence pour se lan-cer dans la recherche afin de com-prendre l’ordre de l’univers voulu parDieu et afin d’améliorer sa condition),mais en respectant l’intégrité de ce quilui a été confié. La nature n’est pas unmatériau inerte malléable dont ondoit abuser.

Genèse 1 – 11 : « que la terre se recouvrede verdure, d’herbe portant sa semence,et d’arbres fruitiers produisant du fruitselon leur sorte, portant chacun sasemence »‘ Analyse possible : la formule « cha-

cun selon son espèce » ou « chacunselon sa semence » revient une dizainede fois dans les premiers chapitres dela Genèse. Elle peut être comprisecomme une invitation à considérerque la semence vient de la plante elle-même ; l’homme n’aurait donc pas àintervenir pour créer la semence enmodifiant la structure d’une semenceexistante. La manipulation génétiquetransforme et ne respecte pas l’es-pèce (Norma Schenkel). Elle remetpeut-être en cause l’ordre naturel etl’harmonie préétablie par le Créateur.

Genèse 2 – 1 : « ainsi furent achevés leciel et la terre ».‘ D’après Pierre Berthoud, un monde

achevé n’est pas un monde fini, c’estun monde à vivre, dont les potentiali-tés sont à découvrir, ce que Dieu pro-pose à l’homme de faire en lui enjoi-gnant de nommer les espèces (Genèse2 – 19).

La science apporte à l’homme d’im-menses possibilités d’action sur son envi-ronnement. En lui donnant une place pri-vilégiée dans la création et en luidemandant de cultiver le jardin, Dieu luilaisse une marge de manœuvre considé-rable, à charge pour celui-ci d’en faire bonusage. Les OGM, en modifiant des plantes dansleur nature même, respectent-ils l’ordrevoulu par Dieu dans la création ? Où setrouve la limite de l’interventionhumaine ? Aucune réponse ne fera l’una-nimité parmi les chrétiens, qui doiventavant tout se pencher avec humilité etsagesse sur ces questions.

C’est pourquoi deux autres passages mesemblent bien conclure cette réflexion.

Ezéchiel 3 – 17 : « fils d’homme, j’ai faitde toi une sentinelle ».‘ D’après Jean-Pierre Bory, le croyant est

responsable de veiller à la sécurité etd’avertir du danger, en discernant lesmotivations profondes de chaque acte,les enjeux politiques et financiers, enévaluant les conséquences à long termede l’utilisation qui sera faite des décou-vertes.

Psaume 143 – 8 : « conduis-moi dans Tesvoies ».‘ Si les OGM en tant qu’avancée scien-

tifique et économique sont très discu-tables, si les arguments pour et contrene peuvent être départagés dans l’étatactuel des connaissances, se tournervers la sagesse de Dieu reste un recoursà privilégier. Les voies de l’Eternelsont de pratiquer la justice. Tout déve-loppement des OGM devrait donc res-pecter la nature mais aussi l’êtrehumain.

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Les questions posées sur les OGM sontarrivées à un tel degré de finesse qu’ilest devenu impossible d’y répondre defaçon univoque, parce que les para-mètres sont trop nombreux.Les risques sont pour l’instant surtoutpotentiels, même si des voix s’élèventdésormais pour apporter des preuves(contestées) des conséquences aller-gènes, des contaminations des culturesvoisines,des résistances aux produits,dela perte d’autonomie des paysans enga-gés dans la filière OGM,etc.Même si onn’adhère pas aux mises en garde éthiques(ou à celles fondées sur des passagesbibliques) concernant les OGM, lesénormes inconvénients et risques envi-ronnementaux et économiques parais-sent indéniables. Force est pourtant deconstater que ces risques ne sont pas sou-vent pris en compte par la recherche,qu’elle soit privée ou publique.

Je souhaite en conclusion intégrerquelques extraits des apports du cher-cheur Pierre-Henri Guyon8 qui amè-nent à réfléchir à la relation entrescience et progrès (en particulier concer-nant les OGM),et en extrapolant,qui mepermettent de poser la question durôle du chrétien dans cette dialectique.

« Les sciences et techniques ont été,d’une certaine façon, les vedettes del’époque dite « moderne » où tout pou-vait être sacrifié au progrès. Ce progrèsétait supposé améliorer la vie deshumains et constituer le moteur dudynamisme économique. En fait, toutesces raisons ont permis de définir leprogrès comme un but en soi, n’ayantplus besoin de se justifier. La science ali-mente la technique qui alimente leprogrès et les hommes, et tout va bien.Dans cette vision moderne, le scienti-fique se sent investi d’utilité et d’auto-rité.La période « post-moderne » remet encause cet édifice. Le principe de précau-tion en est un des aspects. Les scienti-fiques se défendent contre ce courantpost-moderne parce qu’il les retire decette situation confortable de noyau de

la machine à progrès. On a souvent vule principe de précaution comme un freinau progrès. L’époque post-modernedemande effectivement un progrès unpeu plus lent dans le domaine de la tech-nique,mais aussi un progrès plus sûr.Cecin’entraverait pas du tout la science,mais pourrait l’amener à se réorienteren fonction des demandes des citoyenset des questions posées par la probléma-tique du respect de l’environnement etdu développement durable.Ceci demande aux scientifiques de s’in-vestir beaucoup plus dans des démarchesprospectives à l’échelle des écosys-tèmes, des populations, de l’épidémio-logie ou de l’atmosphère, par exemple.Or, la recherche scientifique le fait trèsmal à l’heure actuelle. Les scientifiquesn’ont pas été habitués à cela dans la plu-part de leurs domaines. C’est normal, ilsétaient dans la machine à progrès,c’était cela qu’on leur demandait de faireet ils le faisaient bien. Il faudrait qu’ilsarrêtent de croire qu’on exige d’eux lerisque zéro. Il est simplement demandéle mépris zéro.Les derniers avatars du dossier « OGM »illustrent bien cette situation.Des scien-tifiques reconnus sont convaincus qu’ilfaut développer cette technique, et onpeut les suivre sur ce point. Mais pourjuger du dossier dans son ensemble, ilsdevraient se poser la question desimpacts écologiques et économiques del’application de leurs découvertes.Pourquoi des scientifiques si distinguésoublient-ils ainsi les règles déontolo-giques de leur profession ?Il y a ce qu’on peut appeler le « syndromedu pont de la rivière Kwaï ».Dans ce film,des prisonniers anglais (après des négo-ciations avec leurs ennemis asiatiquesqui les ont en charge) ont construit unpont. Ils y ont mis tout leur art, leur tech-nique et leur savoir-faire. Une fois l’ou-vrage achevé, le commandement alliéenvoie un commando pour le détruire ;mais les soldats sont si fiers de leuroeuvre qu’ils tentent de s’y opposerbien que ce soit l’intérêt de leur arméede le faire... Beaucoup de scientifiquesse retrouvent dans cette situation : ils ontété toute leur vie dans cette idée du pro-

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Conclusion générale :

8 Professeur à l’Université de Paris-Sud, à l’Agro et à l’EcolePolytechnique, directeur du laboratoire d’Ecologie,Systématique et Evolution du CNRS

Révolution transgéniqueau Sud ?Dans les décennies à venir, il faudratrouver de quoi nourrir deux milliardsd’individus supplémentaires. D’autrepart, plus de 60 % des populations deséconomies en développement viventdans des régions rurales et dépen-dent donc de revenus agricoles prove-nant, outre la production vivrière, descultures d’exportation. Les OGM sontprésentés par les multinationalescomme un moyen pour les pays du sudde venir à bout de la sous-alimentationet de développer leur économie.Quelssont les avantages et les inconvé-nients des biotechnologies pour cespays ? Des scientifiques qui travaillentsur le sujet nous donnent leur point devue.

Les pays qui passent aux OGM. Enplantant 98 % de soja transgénique, lesArgentins se sont hissés en sept ans surla deuxième marche du podium despays cultivant des OGM. Avec 20 % dela semence mondiale en OGM,l’Argentine est en effet derrière lesEtats-Unis (59 % des OGM dans lemonde) . Colombie , Honduras ,Philippines, ces Etats modestes se lan-cent à leur tour dans les semencestransgéniques. L’exemple à suivre :celui des nouvelles puissances commela Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique duSud.En effet,ces pays développent leurrecherche génétique et produisentleurs propres semences. C’est le cas dela Chine qui possède désormais soncoton transgénique made in China etva bientôt commercialiser trois varié-tés de riz transgénique. JacquesMeunier, directeur du départementd’amélioration des méthodes pourl’innovation scientifique du Cirad*,aime souligner qu’en Inde, c’est sousla pression des petits paysans que lescotonniers transgéniques sont apparusdans les champs. « Le gouvernementne voulait pas les autoriser, les paysansont mis le feu à un centre de recherchedans le Gujarat, des PME se sont pro-curées des semences d’une multinatio-

OGM : le temps du bilan

grès ; ils ont pensé que ce qu’ils faisaientétait bien, et cela l’était ! Et tout d’uncoup, on se met à leur dire que ce qu’ilsviennent de faire, il faut peut-être ne plusle faire. Il est difficile d’admettre l’idéeque ce qu’on essaye de faire depuis 30ans n’était pas la chose à faire sur le plantechnique.Il est vrai que les progrès scientifiquesont été extraordinaires ; les menacesqu’ils sont en passe d’entraîner sont àla mesure.Quand donc l’establishment scienti-fique comprendra-t-il qu’il est temps deréorienter son attitude et cessera-t-il d’in-voquer Galilée en face de son tribunalà chaque fois que la société l’inter-roge ? Aujourd’hui, il faudrait impérativementque les scientifiques,dès le début de leurrecherche c’est-à-dire au moment où ilssont en train de chercher la molécule quisoignera telle ou telle maladie, aumoment où ils sont en train de penserà telle ou telle nouvelle forme demanière de produire de l’énergie ou dela nourriture,ne se posent pas seulementla question de savoir comment celapermettra de faire tourner la machineà progrès, la machine économique, lamachine technique,mais aussi de savoircomment cela s’intégrera dans l’environ-nement, quel jeu cela jouera, et quelsintérêts cela servira. »

Selon Pierre-Henri Guyon, la sociétédoit peser sur la recherche pour l’orien-ter dans le bon sens,vers un progrès plussage, aux conséquences maîtrisées.

Et les chrétiens ?

L’ensemble de cette réflexion m’amèneà proposer quelques pistes.Tout d’abord,il me semble que les chrétiens devraients’intéresser à la question des OGM, sedocumenter,en débattre,et ne pas y res-ter indifférents. Les sentinelles doiventd’abord observer et chercher à com-prendre.Ensuite, je crois qu’ils pourraients’intégrer dans ce débat en réaffirmantleurs convictions, et en y apportantune perspective chrétienne, tout en sepréservant avec l’aide de Dieu de ce quipeut accompagner cette réflexion sur lesOGM : les peurs, ainsi que la tentation

de sacraliser la création plutôt que leCréateur.Une prise de position « chrétienne » estdélicate car aucune réponse tranchée nesemble pouvoir être apportée sous unangle scientifique (pour l’instant) commethéologique. Pourtant, il me paraîtimportant en tant que chrétienne dem’associer à un mouvement qui amèneà réfléchir sereinement sur les OGM etde réaffirmer :

• Que les risques réels ou supposés desOGM doivent inciter à la prudence. Ilme semble que c’est un des rôles deschrétiens de mettre en lumière despoints de vue qui incitent au respectde la création et de l’intégrité de la per-sonne humaine, et de peser pourqu’ils soient à l’avenir pris en compteen amont par la recherche scientifique.En effet, il ne faut pas compter sur lesfirmes « commercialisatrices » pourintégrer ces aspects, ce n’est pas leurrôle. Ces positions chrétiennes n’in-cluent pas une condamnation de larecherche, mais peuvent proposer delui apporter un cadre différent decelui qui existe actuellement (portévers le progrès à tout prix), comme leproposent également certains scienti-fiques comme Pierre-Henri Guyon.

• Que les solutions que les OGM peuventapporter à la question de la faim dansle monde ne suffiront pas à résoudrele problème dans sa globalité, voirepourrait même l’aggraver. Il s’agit doncsurtout pour les chrétiens de réaffir-mer leur engagement à lutter contrela pauvreté, à aider à améliorer la pro-duction actuelle des paysans et l’adap-tation des variétés locales,et à promou-voir une meilleure répartition desrichesses dans le monde par d’autresmoyens, dans le souci de la dignitéhumaine.

• Que l’être humain devrait déployer plusd’humilité dans sa quête du progrès,et réfléchir aux effets qu’elle engendresur la création de Dieu dans sonensemble et sur l’humanité en parti-culier.

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nale, les ont multipliées et dissémi-nées », explique-t-il.

Un remède miracle ? Quels sont lesavantages d’une plante qui peut pous-ser des paysans à incendier un centrede recherche ? « On perd 50 % de laproduction avant la récolte du faitdes maladies, des insectes et du cli-mat », explique Jacques Meunier. « Onn’a pas idée en Europe des dégâts cau-sés par les pesticides sur l’environne-ment et la santé des agriculteurs despays du sud », s’indigne le scienti-fique.Surdosages massifs,pollution desnappes phréatiques, intoxications, lesagriculteurs ne savent pas utiliser cor-rectement des produits dont ils ne pos-sèdent souvent pas le mode d’em-ploi.D’autre part,une plante résistanteaux parasites permet au paysan deréduire le nombre de ses traitementset d’augmenter ses rendements. Sil’on prend l’exemple du soja transgé-nique, cette plante se cultive facile-ment : pas de labour, on sème direc-tement sur le sol, on pulvérise une oudeux fois l’herbicide et le tour estjoué.Enfin,des scientifiques travaillentsur des plantes OGM aux qualitésnutritionnelles améliorées, commedes riz enrichis en provitamine A ouen fer, des nutriments indispensablesà une alimentation équilibrée.

L’envers du décor. « En agriculture iln’existe aucun remède miracle », tem-père Suman Sahai, généticienneindienne. En monopolisant la produc-tion de semences, les grandes entre-prises imposent leur prix. La semenceOGM est vendue cher : les grandsproducteurs peuvent l’acheter mais pasles petits paysans qui sont défavoriséssur le marché.Cette inégalité entraîneune redistribution des terres au profitdes plus gros, surtout en AmériqueLatine. Pour Suman Sahai, le paquettechnologique alliant monocultureintensive et produits chimiques n’estpas la panacée. « En cas de mauvaiserécolte ou de baisse des cours, lesrisques sont plus forts pour une petiteexploitation, qui peut être ruinée enune saison », s’indigne la scientifique.D’autre part, au bout de quelques

OGM : le temps du bilan(suite)

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années d’utilisation non-stop sur lesmêmes sols de l’herbicide le plusvendu avec les OGM, à savoir lefameux Roundup, des plantes résis-tantes apparaissent et il faut augmen-ter les doses. Le bénéfice pour l’envi-ronnement ne dure donc qu’un temps.Enfin, les OGM ne peuvent résoudretous les problèmes liés à l’agriculturedes pays du Sud. Comme l’expliquaitArturo Martinez de l’Organisation desNations Unies pour l’alimentationdans une interview au journalLibération : « Avant d’être un pro-blème de technologie, la faim est unproblème de distribution des richesses,d’accès au marché alimentaire desplus pauvres. Pour l’éradiquer, il fautrégler les problèmes d’accès à l’eau età l’éducation dans les campagnes, enparticulier celle des femmes,car ce sontelles qui cultivent la terre dans de nom-breux pays du Sud. »

Caroline Caldier(Radio France, le dossier de la

semaine, 13 juin 2005)www.radiofrance.fr/reportage/dossier

*Centre de coopération internationale enrecherche agronomique pour le développe-ment

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Sources

Sites Internet :

www.infogm.org

www.crii-gen.orgwww.monsanto.frwww.ogm.gouv.fr (site Internet interministériel)www.ogm.orgwww.cpdh.infowww.afssa.fr

Revues :Le Monde (articles parus entre 2001 et 2005)POUR, revue du groupe de recherche pour l’éducation et la prospective, dos-sier « Sciences et agriculture, accords et désaccords », n°178, p 146-151Revues protestantes : L’Avènement, Servir en l’attendant, Construire Ensemble,Nuance, IDEA

Personnes contactées et/ou rencontrées :

Frédéric Baudin : écrivain et conférencier, directeur de l’association « Culture-Environnement-Médias ».Sophie Tron : chargée de développement à A Rocha France. Tél. 04 90 96 01 58Louis Schweitzer : pasteur et professeur d’éthique à la Faculté de Théologie deVaux-sur-SeineMichel Johner : professeur d’éthique à la Faculté Libre de Théologie Réforméed’Aix-en-ProvenceDaniel Rivaud : Délégué Général du Comité Protestant pour la DignitéHumainePhilippe Vernet : professeur émérite, généticien au laboratoire de génétiqueet évolutions des populations végétales, Université Lille I