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Ohadata D-10-60 L'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ DES PARTIES DANS LA VENTE COMMERCIALE (OHADA) 1 ADJITA Akrawati Shamsidine Maître-Assistant Faculté de Droit Université de Lomé Penant, n° 841, octobre-décembre 2002, p. 473 INTRODUCTION I - LES DIRECTIVES D'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ A. UNE INTERPRÉTATION CENTRÉE SUR LE PRIMAT DE LA VOLONTÉ INTERNE a. La recherche de la volonté interne d'une partie b. La loyauté du contractant, critère d'évaluation de la volonté interne A. UNE VOLONTÉ INTERNE TEMPÉRÉE a. Une volonté interne saisie in abstracto b. La loyauté contractuelle, critère de détermination du contenu obligatoire du contrat II - LA MISE EN OEUVRE DES DIRECTIVES D'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ A. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS LIES AU CONTRAT a. La recherche de l'intention rendue nécessaire par l'expression d'une volonté d'essentialisation des éléments des négociations b. La recherche de l'intention rendue nécessaire par l'appréciation du comportement des négociateurs A. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS LIÉES A L'ENVIRONNEMENT DU CONTRAT : LES PRATIQUES ET USAGES PROFESSIONNELS a. a. La recherche de l'intention par la prise en considération des pratiques établies entre les parties b. La recherche de l'intention par la prise en considération des usages en vigueur dans la profession CONCLUSION INTRODUCTION La théorie du contrat, en tant qu'accord de volonté, reste inspirée par le principe, le dogme, de l'autonomie de la volonté 2 . Fondée sur une analyse philosophique individualiste des droits subjectifs, le dogme de l'autonomie de la volonté s'est développé au XIX è siècle sous l'influence de la doctrine économique libérale. 3 C'est, semble-il, chez Grotius, au début du XVIII è siècle, et chez ses successeurs, qu'il faut trouver l'origine directe du principe de l'autonomie de la volonté. 4 Il est, dans cette conception, de l'essence abstraite des hommes d'être libres et égaux. Leur autonomie naturelle fait qu'aucune volonté autre que la leur ne peut 1 Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique. 2 Jacques GHESTIN, Traité de droit civil, la formation du contrat, éd 1993, p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1. Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, Droit civil, les obligations, tome II, 1 er volume, p. 30. 3 3 Jacques GHESTIN, ibid., p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1. Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, ibid. p. 30. 4 Jacques GHESTIN, ibid., p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1.

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Ohadata D-10-60

L'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ DES PARTIES DANS LA VENTE COMMERCIALE (OHADA) 1

ADJITA Akrawati Shamsidine Maître-Assistant Faculté de Droit Université de Lomé

Penant, n° 841, octobre-décembre 2002, p. 473 INTRODUCTION

I - LES DIRECTIVES D'INTERPRÉTATION DE LA

VOLONTÉ

A. UNE INTERPRÉTATION CENTRÉE SUR LE

PRIMAT DE LA VOLONTÉ INTERNE

a. La recherche de la volonté interne d'une partie

b. La loyauté du contractant, critère d'évaluation de la

volonté interne

A. UNE VOLONTÉ INTERNE TEMPÉRÉE

a. Une volonté interne saisie in abstracto

b. La loyauté contractuelle, critère de détermination du

contenu obligatoire du contrat

II - LA MISE EN OEUVRE DES DIRECTIVES

D'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ

A. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS

LIES AU CONTRAT

a. La recherche de l'intention rendue nécessaire par

l'expression d'une volonté d'essentialisation des éléments

des négociations

b. La recherche de l'intention rendue nécessaire par

l'appréciation du comportement des négociateurs

A. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS

LIÉES A L'ENVIRONNEMENT DU CONTRAT : LES

PRATIQUES ET USAGES PROFESSIONNELS

a. a. La recherche de l'intention par la prise en considération

des pratiques établies entre les parties

b. La recherche de l'intention par la prise en considération des

usages en vigueur dans la profession

CONCLUSION

INTRODUCTION

La théorie du contrat, en tant qu'accord de volonté, reste inspirée par le principe, le

dogme, de l'autonomie de la volonté2. Fondée sur une analyse philosophique individualiste

des droits subjectifs, le dogme de l'autonomie de la volonté s'est développé au XIXè siècle

sous l'influence de la doctrine économique libérale.3 C'est, semble-il, chez Grotius, au début

du XVIII è siècle, et chez ses successeurs, qu'il faut trouver l'origine directe du principe de

l'autonomie de la volonté.4 Il est, dans cette conception, de l'essence abstraite des hommes

d'être libres et égaux. Leur autonomie naturelle fait qu'aucune volonté autre que la leur ne peut

1 Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique. 2 Jacques GHESTIN, Traité de droit civil, la formation du contrat, éd 1993, p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1. Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, Droit civil, les obligations, tome II, 1er volume, p. 30. 3 3 Jacques GHESTIN, ibid., p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1. Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, ibid. p. 30. 4 Jacques GHESTIN, ibid., p. 200 et suiv., "L'utile et le juste dans les contrats", D. S. 1982, chron. p. 1.

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les commander. Les relations sociales ne peuvent être organisées que sur un fondement

volontariste, c'est-à-dire contractuel. Les institutions politiques elles-mêmes ne se déduisent-

elles pas d'un contrat social ?

L'indépendance, la liberté de l'individu ne peuvent être restreintes que par sa propre

volonté. Il n'y a de meilleures règles que celles qui naissent de la convention librement

conclue par les hommes. La volonté libre est donc placée au premier plan et l'autonomie de la

volonté traduit la primauté de l'individu sur la société. La théorie de l'autonomie de la volonté

explique tout le système juridique par le contrat et par la volonté.5

Le contrat a pour effet d'engendrer une ou plusieurs obligations. L'effet principal du

contrat est de faire naître, de transmettre ou d'éteindre des obligations. La détermination de

cette ou de ces obligations peut soulever des difficultés diverses dont l'une est celle de

l’interprétation du contrat6.

Comme l'a souligné le Professeur Paul AMSELEK, l'interprétation se situe au centre

de l'expérience juridique7. Mais que faut-il entendre par ce vocable ? Demolombe, qui a

consacré de longs développements aux préceptes d'interprétation des contrats, ne s'est pas

préoccupé d'en définir la notion. Il s'est tout juste contenté de dire que "l'interprétation des

conventions est surtout une œuvre de discernement et d'expérience, de bon sens et de bonne

foi" 8. Pour M. Boré, plus pragmatique, l'interprétation du contrat consiste à déterminer

l'existence et le contenu des obligations respectivement assumées par les contractants9.

Monsieur PACLOT, dans sa thèse intitulée "recherche sur l'interprétation

juridique" , a insisté sur le caractère ambivalent de la démarche interprétative. D'abord

l'interprétation est une opération destinée à retrouver un sens qui préexiste, mais dont la

5 Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, Droit civil, les obligations, tome II, 1er volume, p. 30. 6 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit Civil : les obligations, tome.II ; 1er volume, Sirey 1962, p. 197 ; n° 240, tome 1, 2è éd. 1988 7 Paul AMSELEK dans son article "l'interprétation à tort et à travers", in Interprétation et Droit, BRUYLANT BRUXELLES, Presses Universitaire d'Aix-Marseille 1995, p.11 8DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon , Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, tome II, 1871, n° 1, p. 3. 9 BORE, La cassation en matière civile, Sirey 1980, préface P. RAYNAUD, n° 221, p. 413. - V. pour une définition voisine, G. MARTY et P. RAYNAUD, les obligations, Sirey 1988, p. 240 : " Interpréter un contrat, son existence et sa teneur établies, c'est dans le cadre de cette teneur, préciser son sens et sa portée et les obligations qu'il fait naître " - V. encore plus volontariste Ph. SIMLER, J. -Cl., art. 1156 à 1164, 1984, ou J. -Cl., Not. rép., v. contrats et obligations (en général), fasc. 29 à 36, 1984, n° 6 : " Interpréter un contrat, c'est,

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formule - sa révélation au monde extérieur - est défectueuse, soit qu'elle est obscure ou

ambiguë, soit qu'elle est absurde. Ensuite, l'interprétation a pour fonction d'élaborer une

solution juridique appropriée compte tenu des besoins et des intérêts à satisfaire, car la pensée

exprimée comporte, soit des défectuosités (l'interprétation est corrective), soit des lacunes

(l'interprétation est constructive)10 Par interprétation du contrat, il faut donc entendre

interprétation de la volonté "commune" des parties à la convention en vue d'une bonne

exécution des obligations qui en résultent.

Le législateur de l'O.H.A.D.A. a pris la mesure du problème. L'interprétation de la

volonté en droit uniforme relève du domaine de l'article 206 de l'A.U.D.C.G.11. Ce texte

relève du Livre V intitulé "La vente commerciale", plus précisément du Titre I intitulé

"Champ d'application et dispositions générales". Il constitue la première disposition du

chapitre II de ce Titre intitulé "Dispositions générales", lui-même précédé du chapitre I relatif

au "Champ d'application".

L'article 206 de l'AUDCG dispose : "En matière de vente commerciale, la volonté et

le comportement d'une partie doivent être interprétés selon l'intention de celle-ci, lorsque

l'autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.

La volonté et le comportement d'une partie doivent être interprétés selon le sens

qu'une personne raisonnable, de même qualité que l'autre partie, placée dans la même

situation, leur aurait donné.

Pour déterminer l'intention d'une partie ou celle d'une personne raisonnable, il doit

être tenu compte des circonstances de fait, et notamment des négociations qui ont pu avoir

lieu entre les parties, des pratiques qui se sont établies entre elles, voire encore des usages

en vigueur dans la profession concernée".

Ce texte de l'Acte Uniforme, applicable depuis le 1er janvier 1998 dans les États

membres de l'OHADA12 est à rapprocher du texte de l'article 8 de la Convention de Vienne du

11 avril 1980 sur la vente internationale des marchandises13 dont le législateur de l'OHADA

plus précisément, rechercher le sens exact que les parties ont entendu donner aux dispositions contractuelles qu'elles ont arrêtées". 10 Y. PACLOT, "Recherche sur l'interprétation juridique", thèse, Paris, dacty., 1988, n°s 417 et suiv. 11 Acte uniforme relatif au droit commercial général, 2è éd., 12 En mai 1999, 15 États sont membres de l'O.H.A.D.A. : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. La Guinée Conakry devrait être le 16è Etat à ratifier le Traité O.H.A.D.A. L'organisation est ouverte à tout Etat, membre ou non de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.), qui voudrait y adhérer. 13B. AUDIT, La vente internationale de marchandises, convention des Nations Unies du 11 avril 1980, L. G. D. J. 1990, Voir annexe art.8.

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s'est fortement inspiré. On peut même dire qu'il s'agit d'une pure reproduction du texte de

l'article 8 ( dans la mesure où les dispositions sont pratiquement les mêmes ), lequel a repris,

en les améliorant, des principes formulés dans les conventions de 196414.

De façon générale, la "vente commerciale" est au centre des préoccupations du

législateur de l'Acte Uniforme dans la mesure où l'harmonisation du Droit des Affaires dans

les pays signataires du Traité en constitue l'objectif primordial. Cependant, que faut-il

entendre par "vente commerciale" ? L'Acte Uniforme n'en donne pas la définition. Ce qui

nous renvoie, conformément aux dispositions de l'article 205 dudit acte, au droit commun de

la vente, plus précisément au Code civil français dans les États où il est encore applicable.

En effet, l'article 1582 du Code civil définit la vente comme "une convention par

laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer ”. L'article 1583 du même Code

ajoute : “ elle est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur, à

l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas

encore été livrée ni le prix payé". La vente est donc définie à partir des obligations qu'elle

génère, à savoir, d'un côté la livraison de la chose par le vendeur et de l'autre le paiement du

prix par l'acheteur15. Elle se caractérise ainsi par ses obligations principales : l'existence d'un

prix, d'une chose et d'un transfert de propriété suffit à qualifier le contrat. Plus précisément

pour qu'il y ait vente, "il ne suffit pas que l'on soit en présence d'un objet, d'un prix et d'un

transfert de propriété. Encore faut-il que le transfert de propriété porte sur l'objet et que le prix

serve de contrepartie à cet objet"16. C'est l'affirmation du principe du consensualisme.

La vente commerciale peut être ainsi définie comme le contrat par lequel un vendeur

(professionnel) s'oblige à transférer à un acheteur (professionnel) un droit patrimonial de

nature mobilière ou immobilière17, tandis que l'autre s'oblige à lui en payer la valeur convenue

14 Le 25 avril 1964, une conférence diplomatique réunie à la Haye a mis le point final à des travaux qui duraient depuis trente quatre ans en adoptant deux conventions, l'une portant Loi Uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (L.U.V.I.), plus précisément sur les obligations nées de la vente internationale, l'autre portant Loi Uniforme sur la formation des contrats de vente internationale des objets mobiliers corporels (L.U.F.V.I.), Conventions datées du 1er juill. 1964, R.T.D. com. 1964, p.689. 15 V. J. GHESTIN et B. DESCHE, La vente, L.G.D.J.,1990, p. 1 16 F. TERRE, L'influence de la volonté individuelle sur les qualifications, n°s353 et suiv. Par GHESTIN et DESCHE, ibid. p. 1. 17 L'article 203 AUDCG exclut du champ d'application de l'Acte : 1. Les ventes aux consommateurs, c'est-à-dire à toute personne qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ; 2. Les ventes

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en argent18. La vente commerciale est un contrat consensuel en ce sens qu’elle se conclut, en

principe, par le seul échange de consentement, par la simple manifestation d'un accord de

volontés sans autre forme particulière19. Elle est en même temps un acte de commerce au sens

de l'article 3 de l'A.U.D.C.G. (O.H.A.D.A.), car pratiquée par un vendeur professionnel. Elle

est aussi un contrat synallagmatique en ce sens qu'elle se caractérise par la réciprocité des

obligations qui lient les parties intéressées20. Cette réciprocité des obligations réalise l'échange

des biens qui est la fonction économique essentielle de la vente21. Elle est l'instrument type de

la vie économique22.

De façon générale, la vente commerciale est un contrat et en tant que tel, il se

caractérise par sa procédure spécifique de création d'effets de droit : un accord de volontés23.

Cet accord de volontés doit être destiné à produire des effets de droit, condition nécessaire

pour donner aux volontés leur pleine signification. La volonté joue alors un rôle très important

dans la formation et dans l'exécution du contrat ; car on ne s'oblige que si l'on a voulu, c'est le

principe de l'autonomie de la volonté avec son corollaire, la liberté contractuelle : liberté de

contracter ou de ne pas contracter, liberté de choisir son cocontractant, liberté de fixer le

contenu du contrat.

La volonté est donc le nerf du contrat en ce sens qu’elle y joue un rôle déterminant.

Mais elle fait aussi le plus souvent l'objet d'une difficile maîtrise en ce qui concerne sa portée.

La principale difficulté vient de son dédoublement en volonté interne et volonté déclarée24.

Aucune difficulté majeure ne se pose dès lors qu'il y a accord entre volonté interne et volonté

déclarée. Cette logique répond à une théorie toute simple : la formation du contrat exige le

concours de déclaration de volontés. Il n'y a d'accord concevable que sur des volontés

sur saisie, par autorité de justice, et les ventes aux enchères ; 3. Les ventes de valeurs mobilières, d'effets de commerce, de monnaies ou devises et les cessions de créances. 18 GHESTIN et DESCHE, La vente, op. cit. p.1, n°1. 19 Ibid. n°11, p.10. 20 Ibid. n° 6, p. 6. 21 ibid. 22 Luc BIHL, Ventes commerciales, Répertoire de droit commercial, 31 août 1984, p. 1 23 J. GHESTIN, Le contrat : formation, L.G.D.J., 1992. n°178. 24 V. Raymond SALEILLES La déclaration de volonté, in Études du Code Civil allemand - MEYNIAL, la déclaration de volonté, R..T.D. civ. 1902, p. 545 - CHARMONT, "De la déclaration de volonté", Rev. crit. légis. et jurispr., 1902, p. 456 - J. CHABAS, La déclaration de volonté en droit civil français, th. Paris, 1931, p.23 et s. P. LEREBOURS-PIGEONNIERE, "La contribution essentielle de R. SALEILLES à la théorie générale de l'obligation et à la théorie de la déclaration de volonté", in "l'oeuvre juridique de Raymond SALEILLES", spécialement p. 417 et s. ; J. BOULANGER, Volonté réelle et volonté déclarée, in Liber amicorum Baron Frédericq, 1965 - G. CORNU, Regards sur le titre III du livre III du Code civil..., Cours DEA droit privé, Paris II, 1976-1977, p.183 et s. n°235 et s.

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manifestées. Cette extériorisation est également nécessaire pour faire la différence entre la

simple intention dépourvue d'effet juridique et la volonté de s'engager auquel le droit

reconnaît certains effets25. Selon cette logique, seule la volonté active, exprimée, peut faire

naître un contrat. C'est pourquoi la jurisprudence, à partir d'une formule d'AUBRY et RAU26

affirme que "tout contrat exige essentiellement le concours de deux ou plusieurs

déclarations de volonté, se manifestant d'un côté par une offre ou proposition et de l'autre

par son acceptation".

Mais comme l'a bien dit un auteur, le langage, qu'il soit exprimé oralement ou par

écrit, est un véhicule imparfait de la pensée. Le langage juridique, en tant qu'il exprime des

normes, paraît, autant ou plus que d'autres, souffrir de cette infirmité congénitale27. Et dans un

contrat, il peut arriver qu'il y ait désaccord entre volonté interne et volonté déclarée des

parties. L'une d'elles par suite d'une erreur d'expression ou de transmission, a fait une

déclaration qui ne correspondait pas à sa volonté réelle. Convient-il alors de faire prévaloir la

déclaration sur la volonté interne ? Pour répondre à cette question, on s'est demandé si le

contrat était formé par les déclarations de volonté concordantes, ou par l'accord des volontés

réelles, dans toutes leur complexité psychologique28, y compris les représentations

intellectuelles qui précèdent le consentement29. Sur ce point, il existe une opposition entre les

doctrines françaises et allemandes.

Le Code civil, qui donne tant d'importance au consentement, ne vise que de façon

incidente, dans l'article 1135, la volonté "exprimée". La conception individualiste, qui sous-

tend le dogme de l'autonomie de la volonté, a fait prévaloir dans la doctrine française, au

moins au XIXe siècle et même jusqu'à une époque récente, la volonté interne30. Mais la

tendance actuelle est en faveur de la déclaration de volonté. La justification vient de la

"crise"31 du contrat, du remplacement du fondement volontariste consécutif à la remise en

25 Cf. P. GODE, Volonté et manifestations tacites, th. Lille 1977, préface de J. PATARIN, spécialement p. 19 à 21, n° 11 et 12. 26 AUBRY et RAU, Droit civil, Obligations, T.IV § 342-2. 27 Ph. SIMLER, Interprétation des contrats, Juris-classeur, Droit civil, fasc. 29 à 36, 1984, p. 3. 28 Cf. Trajan R. IONASCO, "De la volonté dans la formation des contrats", in Recueil d'Études sur les Sources du Droit en l'honneur de François GENY, Tome II, Recueil Sirey, p. 368 et s. 29 Ibid. J. GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. p. 345. 30 V. Par exemple, COLIN et CAPITANT, par JULLIOT de la MORANDIERE, tome II, 10è éd. 1948, n° 42 : "La manifestation extérieure ne tient sa valeur que de sa conformité à la volonté interne". 31 L'expression est du Professeur Ghestin, La formation du contrat, op. cit., p. 162.

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cause du dogme de l'autonomie de la volonté32. L'idée est aujourd'hui communément admise

que le contrat tire sa force obligatoire non pas dans la volonté des parties, mais du droit

objectif qui la lui confère.33

En Allemagne, lors de la rédaction du Code civil (B.G.B.), une vive controverse a

opposé les partisans de la volonté réelle (Willenstheorie) à ceux de la déclaration de volonté

(Erklärungtheorie)34. Pour ces derniers, seule la déclaration peut donner à la volonté le

caractère objectif, social, qui lui est indispensable pour parvenir à la vie juridique. Le B.G.B.

se réfère constamment à la déclaration de volonté35. Depuis les études de SALEILLES36, il est

classique d'opposer sur ce plan le droit allemand et le droit français. En fait, la doctrine

allemande a mis sur le même pied l'interprétation subjective, ligne de principe selon le §133

du B.G.B., et l'interprétation objective, par référence à la bonne foi et aux usages, selon le

§157 du B.G.B.37 La jurisprudence allemande tout comme la jurisprudence française est

beaucoup plus nuancée38.

Dans l'interprétation des contrats39, les partisans de la volonté interne entendent

rechercher celle-ci, tandis que les tenants de la déclaration de volonté limitent leur analyse aux

clauses exprimées40. Pour les partisans de la volonté interne, il convient de prendre en

considération les mobiles qui l'ont déterminé, alors que les tenants de la déclaration de

volonté, pour ceux qui affirment sa primauté, elle se suffit à elle-même41.

32 GHESTIN, op. cit., p. 343 et suiv. ; MARTY et RAYNAUD, op. cit., p. 33 et suiv.; Cathérine THIBIERGE-GUELFUCCI, "Libres propos sur la transformation du droit des contrats", RTD civ. avril-juin 1997, p. 367. 33 H. KELSEN, La théorie juridique de la convention, Archives de philosophie du droit, 1940, p. 33, n° 13 : "la convention est obligatoire […] dans la mesure […] où une norme d'un degré supérieur autorise les sujets à créer (par délégation) une norme d'un degré inférieur"., Voir également J. Ghestin,, La formation du contrat, op. cit., p. 201 et suiv. 34 J. GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. p.345. 35 Ibid. 36 Cf. R. SALEILLES, art. préc. 37 GHESTIN, op. cit. p. 345. 38 GHESTIN, Les effets du contrat, L.G.D.J. 1992, n° 31 ; cf. A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand, thèse. Strasbourg, L.G.D.J. 1961, Préface de R. PERROT, Spéc. p.368 et s., n° 375 et s. ;G. CORNU, Regards sur le titre III du livre III du Code civil, p. 183 et s. n°s 235 et s. 39 GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. n°31. 40 GHESTIN, la formation du contrat, op. cit. p. 346, n° 386. "Les premiers acceptent de tenir compte des réserves mentales et des contre-lettres modifiant l'acte apparent, les seconds leur refusent toute efficacité. Pour les premiers les vices du consentement, et spécialement l'erreur qui altère les représentations intellectuelles ayant déterminé la volonté psychologique, doivent être entendus largement, tandis que les partisans de la déclaration de volonté en limitent la portée. 41 Ibid.

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Ces querelles doctrinales sont aujourd'hui dépassées, et "il paraît artificiel, à l'heure

actuelle, de rechercher la substance de l'acte juridique, dans la seule intention ou dans la

seule déclaration"42 parce que le contrat constitue un bloc dont le sens et la portée des termes

doivent être recherchés, au travers de l'interprétation juridique, dans les deux paramètres de la

pensée humaine.

La jurisprudence a adoptée une solution de compromis par la conciliation des deux

tendances doctrinales, à travers les principes directeurs qui régissent le contrat43. Le principe

de la justice contractuelle conduit à évaluer dans chaque cas les intérêts en présence. Le

principe de bonne foi, qui en est le corollaire, interdit de se prévaloir d'une déclaration que

l'on sait non conforme à la volonté réelle de son auteur. C'est sur cette notion de confiance

légitime que repose dans la doctrine suisse, la vertrauensthéorie intermédiaire entre le système

de la volonté interne et celui de la déclaration de volonté44.

Mais le contrat est un instrument, un outil au service de la société. La justice

contractuelle doit donc se concilier avec l'utilité sociale du contrat. L'intérêt général peut

exiger le contrôle des mobiles qui ont déterminé la volonté interne. Surtout si le contrat ne

remplit pleinement son rôle que s'il met en application les principes de liberté et de

responsabilité des parties, et de sécurité juridique. Celui de liberté tend à faire prévaloir la

volonté interne, psychologique45. A priori, l'individu ne se sent véritablement engagé que

parce qu'il a réellement voulu. Or ce sentiment est objectivement utile à l'effectivité de

l'engagement contractuel. Mais le principe de responsabilité, inséparable du précédent, met

l'accent sur les devoirs qui s'attachent à l'usage de la parole. La parole "donnée" à respecter

est, par définition, un fait extérieur46. C'est sur elle que se fonde la confiance de l'autre partie.

Encore faut-il que cette confiance soit légitime47.

42 A. RIEG, thèse précitée, p. 9, n° 5 - Add. Dans le même sens, J. HAUSER, Objectivisme et subjectivisme dans l'acte juridique, thèse. Paris 1971, L.G.D.J. Préface P. RAYNAUD, p. 186, n° 112. 43 J. GHESTIN, Formation..., op. cit. p. 346. 44 V. A. CHIREZ, De la confiance en droit contractuel, thèse. Nice 1977, p. 73, n° 46 : "une partie est liée par sa déclaration telle qu'elle pouvait être comprise par son cocontractant selon les règles de la bonne foi" ; Cf. R. PATRY, le principe de la confiance et la formation du contrat en droit suisse, thèse. Genève, 1953. 45 GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. p. 346, n° 387. 46 Cf. J. CARBONNIER, Obligations, §30. 47 J. GHESTIN, Traité de Droit Civil, La formation du contrat 3è éd. 1993, p. 346, n° 387.

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La conciliation de ces principes directeurs par la jurisprudence interdit donc tout choix,

tranché entre la volonté interne et la volonté déclarée. La volonté interne est mise en avant

dans l'interprétation chaque fois qu'elle se trouve intégrée dans le champ contractuel. C'est le

cas notamment lorsque l'une des parties connaissait la raison, le motif ou le mobile qui a

amené l'autre à contracter. Dès lors que la volonté interne n'est pas dans le champ contractuel,

qu'elle n'a pas été saisie par l'autre partie au contrat, on s'en tient à la volonté déclarée.

L'article 206 de l'AUDCG reflète cette conciliation jurisprudentielle. Dans son alinéa

1er, il met en avant l'interprétation centrée sur le primat de la volonté interne, c'est-à-dire

l'intention des parties. Celle-ci doit être le cas échéant scrutée pour savoir si un contrat s'est

bien formé, ou s'il a été modifié afin de déterminer l'étendue des engagements souscrits ; elle

doit également être scrutée pour interpréter les notifications et autres communications

susceptibles d'intervenir au cours de l'exécution du contrat. L'alinéa 2 du texte tempère la

volonté interne et consacre l'interprétation de la volonté déclarée en référence à un

comportement type, celui d'une personne raisonnable. Il s'agit là d'une recherche de la volonté

basée sur l'abstrait, une appréciation in abstracto, une recherche objective à partir des termes

du contrat en cause.

A travers ces deux premiers alinéas, l'O.H.A.D.A. marque son adhésion aux

conceptions classiques en matière d'interprétation du contrat, plus précisément aux deux

méthodes d'interprétation en matière de vente commerciale : la conception subjective et la

conception objective. Ce faisant, le texte formule des directives quant à l'interprétation de la

volonté et du comportement en matière de vente commerciale. Mais l'interprétation qui se

situe au centre de l'expérience juridique48 ne va pas de soi. Qu'il y ait lieu de déterminer

l'intention d'une partie ou ce qu'aurait compris une personne raisonnable, l'article 206, alinéa 3

invite l'interprète à tenir compte "des circonstances de fait" qui ont entouré la conclusion du

contrat. Autrement dit, l'alinéa 3 du texte indique les éléments à prendre en considération pour

mettre en œuvre la technique d'interprétation juridique en matière de vente commerciale.

Deux voies ou axes d'étude se dessinent et s'imposent après analyse des différentes

divisions du texte de l'article 206 de l'A.U.D.C.G. : les directives d'interprétation de la volonté

48 Paul AMSELEK, L'interprétation à tort et à travers, in Interprétation et Droit, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1995. p. 11.

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en matière de vente commerciale (I) et les éléments à prendre en considération pour leur mise

en oeuvre (II).

I - LES DIRECTIVES D'INTERPRÉTATION DE LA VOLONTÉ

La vente est le plus usuel des contrats49. Le contrat a pour effet d'engendrer une ou

plusieurs obligations50. La détermination de cette ou de ces obligations peut soulever des

difficultés diverses dès lors que l'expression de la volonté, élément essentiel du contrat, n'est

pas claire.

L'interprétation de cette volonté s'avère donc nécessaire. L'office du juge est donc

sollicité. Il l'est davantage en matière commerciale où la rapidité des transactions conduit

souvent à des malentendus sur certains termes du contrat.

Si le pouvoir souverain du juge est reconnu par le législateur en ce qui concerne la

recherche de la volonté d'une ou des parties, elle reste cependant enfermée dans un schéma

classique, voire cartésien appelé méthodes ou directives. Il doit rechercher la volonté d'une

partie ou des parties, s'il y a lieu, en tenant compte de ces directives. Deux méthodes

d'interprétation sont reconnues par la loi : la méthode subjective et la méthode objective.

L'Acte Uniforme de l'O.H.A.D.A. relatif au droit commercial général se situe dans

cette logique. En disposant dans son article 206, alinéa 1er qu'"en matière de vente

commerciale, la volonté et le comportement d'une partie doivent être interprétés selon

l'intention de celle-ci, lorsque l'autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention",

l'Acte Uniforme consacre le caractère subjectif de la volonté de l'individu, partie au contrat de

vente (A).

En déclarant dans l'alinéa 2 du même texte que "la volonté et le comportement d'une

partie doivent être interprétés selon le sens qu'une personne raisonnable, de même qualité que

l'autre, placée dans la même situation, leur aurait donné", il reconnaît par là que la volonté

peut se détacher de son auteur et être comprise selon les termes qui la composent ; en d'autres

termes, son sens objectif (B). Mais ces deux directives d'interprétation, et c'est là l'originalité

49 C. DUCOULOUX-FAVARD, Droit de la vente, éd. EXROLLES, p. XV. 50 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, les obligations, T. II 1er vol. Sirey 1962 p. 197.

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du texte de l'article 206 de l'Acte Uniforme, loin d'être antagonistes51 se complètent pour

donner à la volonté son sens réel.

A. UNE INTERPRÉTATION CENTRÉE SUR LE PRIMAT DE LA

VOLONTÉ INTERNE

Le principe de l'autonomie de la volonté implique qu'on ne soit lié que dans la mesure

exacte de ce qu'on a réellement voulu52. En déclarant qu'"en matière commerciale, la volonté

et le comportement d'une partie doivent être interprétés selon l'intention de celle-ci, lorsque

l'autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention", l'article 206 alinéa 1 de l'Acte

Uniforme rentre dans cette logique. Le législateur fait donc de la recherche de l'intention de la

volonté interne de la partie contractante une obligation pour le juge (a). Cette recherche n'est

pas neutre, elle est avant tout motivée par le souci d'assurer une bonne exécution du contrat,

une exécution loyale de l'obligation (b).

a. La recherche de la volonté interne d'une partie

Si la formation du contrat exige le concours de déclaration de volontés, il n'y a

d'accord concevable que sur des volontés manifestées. Cette extériorisation est également

nécessaire pour faire la différence entre la simple intention dépourvue d'effet juridique, et la

volonté de s'engager auquel le droit reconnaît certains effets53.

En matière de vente commerciale, la commune intention des parties n'est en réalité

qu'une fiction juridique, elle est souvent inexistante sur le point litigieux : la formation du

contrat est plutôt envisagée comme le produit de deux actes unilatéraux54. L'interprétation de

la volonté d'une partie par rapport à l'autre se situe donc au stade de l'exécution du contrat,

voire après celle-ci, l'une des parties se plaignant des prestations ou du comportement de

l'autre, le litige portant sur la portée réelle du contrat55. L'interprétation suppose donc un litige

51 A. WEILL et F. TERRE, Droit civil, les obligations, 4è éd. 1986. p. 36. 52 A. BENABENT, Droit civil, les obligations, 5è éd. Montchrestien, p. 152. 53 P. GOGE ; Volontés et manifestations tacites, thèse, Lille 1997, préface J. PATARIN, spécialement p. 19-21, n°s 11 et 12. 54 B. AUDIT, La vente internationale de marchandises. Convention des Nations Unies du 11 avril 1980, L.G.D.J. 1990, p. 42. 55 A. BENABENT, op. cit. p. 152.

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sur la portée réelle de la volonté d'une partie par rapport à l'autre, son intégration dans le

champ contractuel.

De façon générale, une volonté interne ayant intégrée le champ contractuel n'est

susceptible d'interprétation que si elle revêt plusieurs sens, des sens contradictoires, si elle ne

permet pas aux parties contractantes d'exécuter fidèlement le contrat. L'interprétation est donc

exigée en raison, soit de l'ambiguïté de l'acte (1), soit de l'insuffisance ou de la défectuosité de

l'acte (2).

1. Une ambiguïté manifeste

L'ambiguïté naît d'un excès ou d'une insuffisance d'information. L'excès se manifeste

par des discordances de l'acte exprimant une pluralité de versions discordantes ou contraires,

de la commune volonté des parties56. L'acte est donc obscur. L'obscurité peut se manifester au

niveau des sujets57, de l'objet du contrat58, voire à propos de l'existence d'un accord59. C'est le

cas notamment du contrat d'assurance qui est congénitalement complexe dans sa rédaction

non seulement parce qu'il ne porte pas sur un événement certain et déterminé, mais parce qu'il

est un contrat d'adhésion dans lequel coexistent des dispositions générales prérédigées avec

des clauses particulières manuscrites60. Il en va de même du contrat de cautionnement qui est

fréquemment soumis au juge aux fins d'interprétation parce qu'il est bien souvent rédigé en

termes généraux, ne précisant pas toujours sa durée ou le montant des sommes garanties61 ou

des lettres d'intention entre une société mère et ses filiales dans le domaine du crédit

bancaire.62

56 Th. IVAINER, "L'ambiguïté dans les contrats" D. 1976, chron. p. 153. 57 Civ. B. 18 déc. 1967, Bull. civ. III, n° 421, p. 397 ; 20 nov. 1974, Bull. civ. III, n°s421, p. 322. 58 Civ. 1ère, 11 mai 1965, D. 1965, p. 629 ; civ. 3è, 23 janv. 1970. Bull. civ. III, n°s 63, p. 45. 59 Com. 3 oct. 1973, Bull. civ. IV, n°s 269, p. 242, 30 nov. 1971, D. 1972, 209, civ. 1ère 18 juin 1974, Bull. civ. I, n°186, p.161. 60 V. en ce sens J. MESTRE et A. LAUDE, "L'interprétation "active" du contrat par le juge", in le juge et l'interprétation du contrat, Colloque I.D.A., Aix-en-Provence, 28 mai 1993, Presses Universitaire d'Ai-Marseille, p. 11. 61 Ibid. 62 Ibid.

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Installée dans l'espace, l'ambiguïté crée des doutes sur la mesure des choses

mesurables63 pour les prestations projetées dans l'avenir, elle fait surgir le trouble en omettant

d'enfermer le temps dans une durée64. L'ambiguïté est effective lorsque ces documents

contractuels sont imparfaits65. Leur imperfection peut avoir des sources différentes :

l'ambiguïté peut être le résultat d'un malentendu, d'une maladresse de rédaction de l'acte.

Toutes ces différentes formes d'ambiguïté se rencontrent dans les contrats de vente

commerciale, domaine par excellence des négociations rapides. De façon générale, "la

plupart des informations utilisées par le rédacteur d'un contrat constitue des genres d'une

espèce. Deux techniques sont possibles : se borner à ne viser que le genre ou procéder à

une énumération des espèces. Le premier procédé est générateur d'équivoque, le second

engendre ou favorise l'oubli"66.

Par exemple l'interdiction faite à un confectionneur de costumes masculins, de vendre

des pantalons d'homme, inclut-elle celle de vendre ces articles à une clientèle féminine67 ? Le

genre "sous-location" comprend-il un hébergement gratuit prolongé68 ? Les orages, ouragans

ou autres intempéries, énumérées dans une assurance garantissant ces sinistres, comprend-elle

la grêle non expressément visée69 ? La garantie de non-concurrence s'entend-elle des seuls

concurrents actuels ou vise-t-elle les concurrents futurs70 ? L'acte de vente d'un immeuble qui

interdit à l'acquéreur toute action en garantie pour vice caché, l'autorise-t-il à agir alors qu'il

découvre des termites71 ? Autant de questions quant au sens et quant à la portée des actes

lesquels exigent l'office du juge ou de l'arbitre et que l'on peut fort logiquement retrouver dans

le commerce, notamment dans les contrats de vente commerciale, domaine des intérêts

antagonistes.

De toute évidence, dans un écrit unique entaché d'ambiguïté, celle-ci naîtra

indifféremment de l'énoncé de deux prestations différentes72, de la discordance constatée entre

63 Civ. 1ère 18 déc. 1961, Bull. civ. I, n° 610, p. 486 ; 6 juill. 1964, Bull. civ.I, n° 368, p. 287, 30 nov. 1964, Bull. civ. I, n° 532, p. 411. 64 Civ. 1ère 15 nov. 1975, Bull. civ. I, n° 323, p. 268, D. 1976, IR 27, et à propos de la date ambiguë d'un testament civ. 1ère. 25 nov. 1975, Bull. civ. I, n° 344, p. 283, D. 1976 IR. 52, G.P. 1976, Pan., p. 12. 65 J. MESTRE et A. LAUDE, "L'interprétation "active" du contrat par le juge", in "Le juge et l'exécution du contrat", colloque IDA Aix-en-Provence, 28 mai 1993, P.U. d'Aix Marseille. 66 T. IVAINER : art. préc. p. 154. 67 Com. 23 oct. 1972, D. 1973, 634, note SERRA. 68 Soc. 25 janv. 1961, Bull. IV, n° 101, p. 79. 69 Civ. 1ère, 28 oct. 1970, Bull. civ. I, n° 285, p. 233. 70 Civ. 3è, 3 juill. 1970, Bull. civ. III, n° 466, p. 338. 71 Civ. 3è, 12 nov. 1975, Bull. civ. III n° 330, p. 250. 72 Civ. 1ère 16 avril 1975, Bull. civ. I, n° 135, p. 117 ; D. 1975, Somm. 92.

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une clause imprimée et une clause manuscrite73, ou des dispositions d'une partie générale

incompatible avec celles de la partie spéciale74. Et l'expérience prouve aussi que, par suite

d'un vice de structure, une somme de parties claires peut constituer un ensemble obscur75. Si

l'ambiguïté peut être le fruit d'une pensée confuse, elle est parfois le résultat de malentendus

sémantiques76. Par exemple, qu'est-ce qu'une vigne plantée77 ? Faut-il assimiler la notion de

périmètre à celle de rayon dans une clause de non-concurrence78 ? Autant d'exemples qui

interpellent le juge ou l'arbitre lequel a l'obligation d'en cerner les contours.

L'ambiguïté recèle des paramètres variables que l'interprète qu'est le juge se doit de

maîtriser. Au delà de l'obscurité, l'acte peut comporter des insuffisances, des carences ou des

défectuosités. Tout comme l'obscurité, le manque d'information sur la commune intention des

parties ou sur l'intention véritable d'une partie peut provoquer le doute à propos des mêmes

éléments du contrat (sujets, prestation, accord)79.

A propos, une distinction entre l'oubli et l'imprévision s'impose : l'omission peut

concerner la réalité présente ou des situations futures. Dans le premier cas, la carence se

manifeste au plan de l'information, dans le second, elle relève d'un manque de prévision.

Omettre de dire, en vendant un lot, à qui incomberait les frais de lotissement y afférents, c'est

un simple oubli. Omettre de stipuler quel sera le sort d'une vente payée à l'aide de recettes d'un

cinéma en cas de cessation d'exploitation, c'est manquer d'imagination80. On doit l'entendre

comme l'omission d'insérer dans le champ contractuel, des événements futurs qui peuvent

normalement se produire et doivent, comme tels, y figurer par anticipation pour que la volonté

individuelle de chaque partie puisse se manifester à leur propos81. C'est l'intérêt des

négociations ou des pourparlers82 dans le commerce, donnant naissance à des contrats

commerciaux dont la vente commerciale en est une illustration. L'ambiguïté peut aussi naître

73 Com. 7 janv. 1969, JCP 1969, II. 16121, note PRIEUR. 74 Com. 27 nov. 1973, Bull. civ. IV, n° 341, p. 304. 75 Civ. 1ère 26 nov. 1958, Bull. civ. I, n° 520, p. 424. 76 Th. IVAINER art. préc. p. 154. 77 Civ. 3è, 4 janv. 1973, Bull. civ. III, n°6. p. 4. 78 Civ. 1ère, 12 mars 1974, Bull. civ. I., n° 84, p. 71. 79 T. IVAINER, art. préc. n° 9, p. 154. 80 ibid. 81 ibid. 82 Xavier BIRBES, "L'objet de la négociation", RTD com. juillet-septembre 1998, p.471 et suiv., Bernard BEIGNIER, "La conduite des négociations", RTD com. juillet-septembre 1998, p. 462 et suiv.

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du rapprochement d'actes matériellement distincts, mais concourant au même objet83. Est

encore "ambiguïté tout terme investi dans la loi des parties et confronté à une réalité

postcontractuelle vécue par celles-ci, auquel la Cour de cassation refuse une dénotation

précise en affirmant son inadéquation à ces contingences singulières"84. L'ambiguïté

résulte de la confrontation de l'acte, dont les termes sont pourtant clairs, avec un contexte

extérieur dans lequel les parties sont placées volontairement ou non lors de l'exécution de

leurs obligations85.

De façon générale, ce sont ici, ces documents ambigus, obscurs voire équivoques que

le juge interprète. Pour ce faire, il doit se retrancher derrière la volonté des parties.

2. Une obligation d'interprétation pour le juge

L'article 1156 du Code civil. dispose : "On doit dans les conventions rechercher

quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens

littéral des termes".

En affirmant dans l'article 206, alinéa 1 de l'A.U.D.C.G. "qu'en matière de vente

commerciale, la volonté et le comportement d'une partie doivent être interprétés selon

l'intention de celle-ci, lorsque l'autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette

intention", le législateur de l'O.H.A.D.A. semble emboîter le pas au législateur français à un

double degré : d'un côté, en s'attachant à l'intention des parties dans l'interprétation de la

convention, il consacre le principe de l'autonomie de la volonté qui en est son corollaire86 ; de

l'autre, en employant le verbe "devoir" dans le texte, il en fait une obligation pour le juge.

Cette obligation n'est pas arbitraire, elle trouve son fondement dans la jurisprudence de la

Cour de cassation française du 7 janvier 197587.

83 V. Par exemple Cass. civ. 1ère, 13 oct. 1965, Bull. civ. I. n° 541, p. 40. civ. 1ère 30 nov. 1964, Bull. civ.I, n° 531, p. 410 ; Cass. civ. 11 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 320, p. 213 (Interprétation exclusive de dénaturation par rapprochement de testaments successifs). 84 Théodore IVAINER : "La lettre et l'esprit de la loi des parties", JCP 1981, I, 3023, n° 48. 85 J. GHESTIN : Droit civil, Les obligations, les effets du contrat L.G.D.J. 1992, p. 27, J. GHESTIN et M. BILLIAU ; le prix dans les contrats de longue durée, L.G.D.J. 1990, coll. droit des affaires, n° 74 et 5. 86 Ph. SIMLER, Contrats et obligations, interprétation des contrats, in Répertoire notarial, civil, Fasc. 29-36, 1984, Juris-Classeur Droit civil, p. 8. 87 Com. 7 janv. 1975, D. 75, 516 note Ph. MALAURIE.

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Le Professeur IVAINER n'a pas manqué, à juste titre d'ailleurs, de le souligner : " en

interprétant un texte légal, obscur ou muet , le juge crée des règles de conduite ayant force

de loi : c'est la jurisprudence ; en interprétant les clauses de la loi des parties, son jugement

devient une source d'obligations contractuelles sanctionnées par l'article 1341 du Code

civil. Refuser d'interpréter la loi, c'est commettre un déni de justice, sanctionné par l'article

4 du Code civil ; refuser d'interpréter les conventions ambiguës, c'est manquer à un devoir

reconnu comme tel par la Cour de cassation. L'obligation d'interprétation s'impose donc à

lui au même titre que l'application littérale d'une clause claire et précise" 88.

Si l'interprétation de la volonté du ou des contractants est un impératif pour le juge,

quel rôle doit-il exactement jouer dans la mission qui lui est assignée ? D'ores et déjà, l'article

206, alinéa 1 lui imprime un rythme, une ligne de conduite à suivre en ce qui concerne la

recherche de l'intention d'une partie. Celle-ci n'est possible que "lorsque l'autre partie

connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention". la volonté doit donc intégrer le champ

contractuel pour qu'elle puisse faire l'objet d'une interprétation par le juge. Ce qui s'explique,

car la formation du contrat exige la rencontre des volontés, celui-ci étant par nature le terrain

de prédilection des intérêts antagonistes on comprend par là, par cette formule, que l'Acte

Uniforme ne s'appuie pas systématiquement sur une fiction de volonté commune laquelle est

en effet souvent inexistante sur le point litigieux. Il envisage la formation du contrat comme le

produit de deux actes unilatéraux. En ce sens l'article 206, alinéa 1 de l'Acte Uniforme se

rapproche de l'article 8 alinéa de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 dont il est une

pure copie89. L'expression employée confirme que l'article 206, alinéa 1 peut s'appliquer aux

échanges postérieurs à la formation du contrat. Cependant, en quoi consiste la démarche du

juge ? Étant admis qu'il faut par priorité respecter l'intention de la partie qui s'engage,

comment cette intention peut-elle être perçue par le juge ? Si l'on raisonne sur l'hypothèse la

plus courante où il existe un écrit, il faut assurément scruter d'abord le contenu de cet écrit90.

Aussi imparfait que soit le langage comme mode d'expression de la pensée. Si cette

expression est claire et dénuée de toute ambiguïté, elle doit être tenue pour juste, pour des

raisons évidentes de sécurité du commerce juridique91. Telle est la justification du contrôle par

la Cour de cassation de la dénaturation des clauses claires et précises.

88 Th. IVAINER : "L'ambiguïté dans les contrats", art. préc. p. 156, n° 21. 89 B. AUDIT, op. cit., p. 42. 90 Ph. SIMLER art. préc. p. 11. 91 Ibid.

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Si l'interprétation a pour but de préciser le sens des stipulations ambiguës d'une

volonté d'un contrat92, la mission du juge (interprète) dans cet exercice "doit tendre vers la

découverte de la volonté interne de l'auteur desdites dispositions et non de la volonté déclarée

; elle doit, plutôt que de s'arrêter à la lettre du contrat, poursuivre son investigation pour

atteindre la volonté réelle, la volonté psychologique"93

Sur ce point, l'article 206, alinéa 1 de l'Acte Uniforme se rapproche de l'article 1156 du

Code civil qui recommande de rechercher la commune intention des parties plutôt que de

s'arrêter au sens littéral des termes. Cela ne signifie-t-il que l'intention profonde doit

l'emporter sur la lettre, celle-ci fût-elle claire et précise ?

Dans cette démarche on a naguère opposé le droit français au droit allemand, le

premier étant censé donné plein effet à la volonté interne, le second à la volonté déclarée94. La

démonstration a été magistralement faite que les deux systèmes, qui reposent en effet sur des

approches théoriques opposées, se rejoignent, au point qu'en définitive le constat d'une réelle

unité jurisprudentielle a pu être dressée95. L'article 133 du Code civil. allemand contient une

disposition qui ressemble fort à celles de l'article 1156 du Code civil. français et de l'article

206, alinéa 1 de l'Acte Uniforme de l'O.H.A.D.A. "Pour l'interprétation d'une déclaration de

volonté, il faut rechercher la volonté réelle et ne pas s'en tenir au sens littéral de

l'expression"96. Une volonté qui serait restée purement interne est à l'évidence hors d'atteinte

par le juge et, au surplus insusceptible de preuve par celui qui l'a prétendument conçue. Seule

une volonté perceptible, donc extériorisée de quelque manière que ce soit peut produire des

effets juridiques.

Au demeurant, l'article 206, alinéa 1 de l'A.U.D.C.G. tout comme l'art 1156 du Code

civil. oppose au sens littéral non la volonté interne, mais "l'intention d'une partie". Or cette

92 MARTY et RAYNAUD, op. cit., p. 197. 93 Ibid. P. 198. 94 J. GHESTIN, Droit civil, La formation du contrat L.G.D.J. 3è éd. 1993, p. 345, Ph. SIMLER, art. préc. p. 11 ; MARTY et REYNAUD, op. cit. p. 199. 95 SIMLER, op. cit. p. 11, MARTY et REYNAUD, op. cit. p. 199, GHESTIN op. cit. p. 345 et s.; A. RIEG, le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand, LGDJ 1961, n° 365 et s. 96 MARTY et REYNAUD, op. cit. p. 199, GHESTIN, op. cit. p. 345.

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expression implique qu'il y ait eu accord de volontés par échange de consentement, c'est-à-dire

déclaration de volonté.

Sur ce point, il y a lieu de faire une distinction entre volonté et consentement en droit

des contrats. En effet, dans le langage juridique et surtout en droit des contrats, on a l'habitude

d'utiliser des acceptions bien différentes dès lors que l'on parle de volonté et consentement. On

parle souvent de rencontre de volonté et d'échange de consentement97. Tout comme volonté et

consentement ne peuvent se réduire l'un à l'autre, échange et rencontre ne doivent pas

s'assimiler98. "La volonté est au coeur de l'humanisme et marque l'intériorité incommensurable

de l'homme, tandis que le consentement est un objet conséquence de la volonté, symbole et

extériorisation de la volonté, mais distinct de la volonté"99

Au minimum l'intention de l'une des parties doit-elle avoir été perçue, comprise et non

contestée par l'autre. Autrement dit, l'article 206 alinéa 1 n'oppose pas une volonté interne à

une volonté déclarée, mais permet à la première de prendre l'ascendant sur la seconde en cas

de discordance entre la volonté effectivement déclarée, pour peu qu'elle puisse être prouvée, et

son imparfaite expression écrite100. Rechercher ce qu'a voulu faire une partie au contrat,

l'intention qui a animé ou "qui est derrière son agissement c'est rechercher un fait, un fait

psychologique"101. En le faisant le juge poursuit un objectif : permettre une bonne exécution

des obligations réciproques, une exécution fidèle du contrat. L'interprétation vise en quelque

sorte une certaine loyauté du contractant.

b. La loyauté du contractant, critère d'évaluation de la volonté interne.

Maurice HAURIOU a présenté le contrat comme la tentative "la plus hardie qui se

puisse concevoir pour établir la domination de la volonté humaine sur le fait, en les intégrant

d'avance dans un cadre de prévision"102. Or, une telle conception ne peut se développer sans la

97 Marie-Anne FRISON-ROCHE, "Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats", R.T.D. civ. 1995, p. 573. 98 ibid. 99 ibid. 100 Cf. Pour un legs d'une certaine somme, interprété comme ne désignant pas des francs nouveaux, quoique le testament fût postérieur à 1959, mais des anciens francs, cass civ. I, 6 juin 1971, JCP 71, II. 16709 obs. M. D. 101 Paul AMSELEK, "L'interprétation à tort et à travers", in Interprétation et Droit, volume publié sous la direction de P. AMSELEK, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1995, p. 18. 102 Maurice HAURIOU, Principes de droit public, Paris, 2è éd. Sirey, 1916, p. 106.

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conscience du caractère obligatoire de l'accord de volontés103. Comme l'a écrit GOUNOT, " le

contrat perdrait de sa raison d'être si l'incertitude devait planer sans cesse sur sa réalisation et

si le juge pouvait, au nom de l'utilité générale ou de la justice, en transformer arbitrairement

les clauses"104.

Le principe de la force obligatoire du contrat se trouve consacré par le législateur dans

le texte de l'article 1134 alinéa 1 du Code civil qui dispose : "les conventions légalement

formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". C'est le fondement même de la

sécurité juridique dont toutes les relations économiques découlent105.

Mais ce principe n'a de valeur que si on le concilie avec des exigences d'ordre moral

lesquelles le rendent supportable et compatible avec nos rapports économiques et sociaux106.

Aussi, le législateur a-t-il renchéri dans l'article 1134 alinéa 3 que "les conventions doivent

être exécutées de bonne foi". Il s'agit là d'un complément indispensable, un "frein

harmonieux"107 à l'alinéa 1 du même article. "Ne pouvant régler de façon exhaustive tous les

problèmes relatifs à l'exécution du contrat laissés dans l'ombre par les parties, il a délégué une

partie de son pouvoir normatif au juge, misant sur le pouvoir évocateur et la souplesse de la

notion éthico-juridique de la bonne foi"108. Selon le Doyen RIPERT, "la bonne foi est l'un

des moyens utilisés par le législateur et les tribunaux pour faire pénétrer la règle morale

dans le droit positif"109. Le contrat est le domaine par excellence de "la lutte des intérêts,

chacun s'efforçant d'obtenir le plus grand avantage moyennant le plus faible sacrifice" ;

"lutte féconde, car elle est productrice d'énergie et conservatrice de richesse, lutte en tout

cas fatale, car l'intérêt est le principal mobile des actions humaines, tout au moins,

lorsqu'il s'agit de l'échange des produits et services"110. L'activité commerciale est le

domaine par excellence des échanges et la vente commerciale une application pratique.

103 Yves PICOD, Le devoir de loyauté dans l'exécution du contrat, thèse publiée L.G.D.J. 1989, p. 9. 104 GOUNOT, Le Principe de l'autonomie de la volonté, Dijon 1912, p. 387 et 388. 105 PICOD, thèse préc. p. 9. 106 ibid. 107 L'expression est de Yves PICOD, thèse préc. p. 9. 108 ibid. 109 RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, L.G.D.J. 1949, 4è éd. p. 157. 110 ibid. p. 157.

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Peut-on rêver d'une égalité absolue dans les discussions donnant naissance à l'émission

des volontés, à l'échange des consentements ?111 Il ne s'agit là que d'un "rêve" et alors même

"qu'elle serait apparente, elle ne peut exister entre deux êtres qui ont une pensée, une volonté,

un but différent"112. Tant que la supériorité tient à la formation intellectuelle et morale de la

personne humaine, à la modération de ses désirs, à la compréhension de ses intérêts, à la

prévision des événements, la morale approuve qu'elle s'affirme par l'avantage contractuel,

serait-il acquis aux dépens d'autrui113. L'inégalité est fatale et il est juste que les qualités

manifestées dans le commerce juridique soit source d'avantages114. Mais si chacun se présente

avec ses qualités naturelles ou acquises, il ne faut pas que la lutte contractuelle soit déloyale et

elle le devient dès que l'un des contractants abuse de sa position, de sa supériorité115, ce qui

constitue une entorse à la bonne foi contractuelle. Faire appel à la loi morale peut servir à

"renforcer, atténuer ou affiner la règle juridique"116.

Au demeurant, que faut-il entendre par bonne foi en matière contractuelle ? Pour

VOLANSKY, la bonne foi est "la fidélité aux engagements ou la sincérité dans les

paroles"117. En revanche pour d'autres auteurs, en l'occurrence PLANIOL et RIPERT, "être

de bonne foi, c'est se conduire en homme honnête et consciencieux"118.

D'une manière générale, la bonne foi de l'article 1134, alinéa 3 interpelle la conscience

individuelle de l'auteur de la volonté (donc du consentement) d'exécuter loyalement le contrat,

conformément à la parole donnée. La bonne foi contractuelle s'entend d'un devoir de loyauté

qui est la notion la plus imprégnée de morale, est une exigence dans la procédure d'élaboration

du contrat. La théorie du dol, les concepts d'obligation précontractuelle de renseignement et

d'obligation de négocier de bonne foi la formation du contrat en sont l'émanation la plus

directe. Dans la phase postérieure à l'élaboration, la loyauté est présentée par l'article 1134,

alinéa 3 du Code civil. comme une directive d'exécution du contrat. De façon fort

remarquable, AUBRY et RAU ont résumé l'article 1134, alinéa 3 du Code civil. dans la

111 M.-A. FRISON-ROCHE, art. préc. p. 573 et s. 112 RIPERT, La règle morale ..., op. cit. p. 74. 113 ibid. 114 ibid. 115 RIPERT, op. cit. p. 74. 116 ibid. p. 8. 117 VOLANSKY, "Essai d'une définition expressive du droit basée sur l'idée de bonne foi" Paris, 1929, n° 76. 118 V. Notamment PLANIOL et RIPERT, Traité pratique du droit civil français T. IV, n° 379, par ESMEIN. (67) Y. PICOD, thèse préc. p. 13.

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formule suivante : "les conventions doivent être exécutées de bonne foi", c'est-à-dire

conformément à l'intention des parties et au but en vue duquel elles ont été formulées"119.

Or la recherche de l'intention passe par l'interprétation de la volonté d'une ou des parties.

Aussi, de nombreux auteurs n'ont-ils pas hésité à rattacher l'article 1134, alinéa 3 aux règles

d'interprétation des articles 1156 à 1164 du Code civil. Selon LAGARDE, lesdites règles

constituent "une paraphrase prolixe et médiocrement heureuse de l'article 1134 alinéa 3"120.

Pour d'autres auteurs comme GORPHE, l'article 1134, alinéa 3 aurait une double vocation :

ainsi considère-t-il que "la bonne foi est à la fois un critère d'évaluation et un critère

d'interprétation du contrat"121.

De façon générale le principe de bonne foi ou de loyauté dans l'exécution du contrat

est un "critère d'évaluation effectif et concret d'un comportement d'une volonté, et ne constitue

aucunement un critère d'interprétation122. Il est plutôt le corollaire indispensable sur lequel

s'appuie le juge pour permettre à la volonté de retrouver toute son efficacité dans sa phase

exécutoire. Pour Robert VOUIN, "la bonne foi contractuelle est un motif de décision qui

permet (au juge) de déterminer le contenu obligatoire du contrat et d'apprécier

simultanément les conséquences juridiques des actes qui le suivent et s'y rapportent"123.

En effet, selon l'article 206 alinéa 1 de l'Acte Uniforme, l'office du juge consiste à

rechercher l'intention d'une partie en analysant la volonté et le comportement de celle-ci. Le

juge est donc un simple interprète dans un jeu contractuel dont il ne possède pas les cartes124.

Aussi lorsque la doctrine classique utilise-t-elle l'expression "devoir de loyauté", il faut

traduire devoir de fidélité à la parole donnée125. Dans cette optique, l'alinéa 3 de l'article 1134

119 AUBRY et RAU, Droit civil français, T. IV. 6è éd. par BARTIN, 1942, n° 946 ; v. Également COLIN et CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, T. II. par JULLIOT de la MORANDIERE, 1959, n° 74, PLANIOL et RIPERT préc. par ESMEIN, T. IV. n° 379. 120 BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIERE, cours de droit civil français, T. VIII, 2è éd. 1936 n° 307, LAGARDE ajoute "ce sont de simples conseils pour le juge ; un pourvoi en cassation ne saurait être fondé sur la violation des articles 1156 et suiv. (op. cit. loc. cit) 70 Y. PICOD. 121 GORPHE, "le principe de bonne foi" Paris 1928, p. 20 et s. ; 32 et s. 122 Y. PICOD, "l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat" in "le juge et l'exécution du contrat", colloque IDA, Aix-en-Provence, 28 mai 1993, P.U. d'Aix-en-Provence 1993, p. 57 et s. 123 Robert VOUIN, La bonne foi, notion et rôles actuels en droit privé français, Bordeaux 1939, n° 46. 124 Y. PICOD, thèse préc. p. 17. 125 Ainsi, VOLANSKY, (op. cit, loc cit.) définit la bonne foi comme "la fidélité aux engagements ou la sincérité dans les paroles".

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du Code civil. n'est que le prolongement de l'alinéa 1 selon lequel les conventions tiennent

lieu de loi à ceux qui les ont faites126.

Ainsi, l'obligation de faciliter l'exécution pour son cocontractant, ou encore l'obligation

de lui procurer une exécution utile, sont conçues, par le droit français, comme des applications

directes du devoir de bonne foi ou du devoir de loyauté dans les contrats127. Le fameux adage

de POTHIER selon lequel "s'obliger à faire quelque chose, c'est s'obliger à le faire

utilement" participe de ces mêmes idées128 : si le débiteur129 doit offrir "d'exécuter de la

façon la plus utile possible, en présence d'un contrat qui n'a pas prévu toutes les modalités

de son exécution", ou encore doit "dépasser ses intérêts égoïstes pour faciliter la réussite de

l'entreprise de son créancier", le seul fondement juridique de son action est, pour la doctrine,

"le devoir de loyauté que l'article 1134, alinéa 3 lui dicte"130. Si la loyauté du contractant peut

être le fil conducteur de la recherche de la volonté interne par le juge, elle est motivée avant

tout par un souci d'exécution utile du contrat. Or on ne peut le faire qu'en respectant la parole

donnée, la règle morale du respect de la parole donnée peut être ainsi justifiée par son utilité

sociale. Une fois le sens de cette parole mis à jour par le jeu de l'interprétation, le juge ne peut

qu'en faire application, imposant ainsi à la partie ou aux parties concernées la loi qu'elles se

sont elles-mêmes donnée131.

Une chose demeure cependant certaine : le législateur de l'OHADA n'a pas fait de la

recherche de la volonté interne le seul pôle d'orientation de la démarche du juge dans sa

mission d'interprète. Si la recherche de la volonté interne reste la règle en matière

d'interprétation, elle reste insuffisante dès lors qu'elle n'a pas intégré le champ contractuel.

Aussi, a-t-il opté pour une solution de compromis en permettant au juge de recourir à la

volonté déclarée pour cerner le sens et la portée du contrat de vente commerciale. Il s'agit là

d'un tempérament apporté à la règle de la primauté de la volonté interne en matière

d'interprétation.

126 Y. PICOD, thèse préc. p. 17. 127 J. GHESTIN, Traité de droit civil, la formation du contrat, op. cit. N°210. 128 Par GHESTIN, idid. 129 Il faut noter que le créancier est également tenu d'une obligation de coopération. 130 Y. PICOD, thèse préc. n° 83, p. 97 et 98. 131 Cathérine THIBIERGE-GUELFUCCI, "Libres propos sur la transformation du droit des contrats", R.T.D. civ, avril-juin 1997, p. 367.

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B. UNE VOLONTÉ INTERNE TEMPÉRÉE

Si le principe de l'autonomie de la volonté vise à privilégier la recherche de la volonté

interne pour déceler l'intention d'une partie, que faire lorsque celle-ci reste indécelable ?

L'article 206 alinéa 2 de l'Acte Uniforme de l'O.H.A.D.A. donne une orientation. Dans

ce cas "la volonté et le comportement d'une partie doivent être interprétés selon le sens

qu'une personne raisonnable, de même qualité que l'autre partie, placée dans la même

situation leur aurait donné". C'est une orientation vers la recherche du sens objectif de la

volonté et du comportement de la partie concernée. Autrement dit, si la recherche de la

volonté interne s'avère nécessaire pour la détermination de l'intention d'une partie, celle-ci ne

pourra être cernée dans toute sa globalité qu'en recourant à la méthode objective de

l'interprétation (a). Le recours à la méthode objective est motivé par le souci légitime du

respect du contenu du contrat. On voit dans cette méthode le moyen de compléter les

insuffisances nées de la loyauté du contractant. La loyauté contractuelle (b) permettra de

remédier ainsi à ces carences.

a. Une volonté interne saisie in abstracto

En invitant l'interprète à rechercher "la volonté et le comportement d'une partie selon

le sens qu'une personne raisonnable, ..., leur aurait donné", le législateur de l'OHADA procède

à une sorte de combinaison astucieuse de l'interprétation subjective et de l'interprétation

objective de la volonté. C'est la recherche de l'intention dans l'abstrait, dans le jugement d'une

personne raisonnable.

Cependant, que faut-il entendre par personne raisonnable ? Selon le Petit Robert, une

personne raisonnable est une personne rationnelle, intelligente, qui se conduit avec bon sens et

mesure. C'est la référence au comportement d'un commerçant honnête de bonne capacité

moyenne. On réunit, ainsi dans un concept , les qualités reconnues au bon gérant d'affaires ou

au commerçant et celles qui caractérisent le bon père de famille du Code civil132.

132 Roger DUROUDIER et Robert KUHLEWEIN, "De l'influence des usages commerciaux et des "conditions générales d'affaires" sur les contrats entre commerçants dans la loi allemande", R.T.D. com., 1956, p. 35.

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Si la méthode subjective poursuit la recherche de la volonté de l'auteur de l'acte

juridique en se servant des mobiles qui lui ont donné naissance comme support juridique, la

démarche objective en est le complément nécessaire, le prolongement indispensable. Elle

impose au juge une démarche toute simple : faire produire au contrat des effets utiles133.

L'article 206 alinéa 2 de l'Acte Uniforme lui donne la directive, la voie à suivre pour

réaliser cet objectif : rechercher le contenu de la volonté dans la déclaration de volonté, en

donnant à celle-ci "le sens qu'une personne raisonnable, de même qualité que l'autre partie,

placée dans la même situation, leur aurait donné".

Certes, toute préoccupation du type objectif n'est pas absente dans la démarche

consistant à rechercher subjectivement l'intention d'une partie dans la réalisation de sa volonté.

Mais le recours à des critères objectifs s'impose lorsqu'il y a absence "d'une intention

commune prouvée ou présumée"134. On est alors en présence d'une volonté dont les lacunes

sont manifestes et qui empêchent le contrat de produire tout effet utile. Quel doit être donc le

fil conducteur de l'interprète, la juste marche à suivre par un juge appelé à appliquer le droit

conformément à la loi contractuelle dictée par l'expression de la volonté ?

Il doit avant tout apprendre à discerner la sphère de la volonté. Il faut comprendre par

cette expression non seulement ce que le texte de la volonté exprimée exige

incontestablement, mais aussi ce qui en découle avec une certitude logique135. Ainsi, le juge

passe du domaine des études consistant à connaître ce qui existe, et qui le lie - car la loi

contractuelle le lie - au domaine des lacunes à combler, et donc au domaine de la création136.

Dans cette entreprise, l'interprète qu'est le juge ne dispose pas d'une totale liberté

d'appréciation. L'article 206, alinéa 2 de l'AUDCG lui impose une directive : la recherche in

abstracto de la volonté d'une partie doit se faire "selon le sens qu'une personne raisonnable, de

même qualité que l'autre partie placée dans la même situation leur aurait donné".

133 GHESTIN, La formation du contrat, op. cit., n°47, p.54. 134 Ph. SIMLER, art. préc. n° 87, p. 21. 135 M. Frédéric ZOLL, Méthode d'interprétation en droit privé positif in "Recueil d'Etudes sur les Sources du Droit" en l'honneur de François GENY. T.II, Librairie du recueil SIREY, p. 437. 136 Ibid., p. 438.

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Comme le disait si justement, LABANA, le droit est, en effet "un monde de la pensée

où la suzeraineté revient toujours à la logique"137. Ainsi, la directive d'interprétation de la

volonté de l'article 206 Acte Uniforme n'est-elle pas moins emprunte d'une logique. C'est une

logique d'interprétation dictée par la raison et orientée vers la recherche de l'éthique, de

l'équité dans l'exécution des obligations réciproques. L'équité138 et la loyauté doivent guider le

juge dans sa quête de vérité contractuelle. En ce sens l'article 206, alinéa 2 de l'Acte uniforme

est à rapprocher des directives d'interprétation objectives en droit français des articles 1134 du

Code civil selon lequel "les conventions doivent être exécutées de bonne foi" et 1135 du

même Code qui enseigne que "les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé,

mais à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donne à l'obligation d'après sa

nature" .

Comment faut-il comprendre ces directives d'interprétation de la volonté ? Elles

mettent en évidence une idée toute simple : "le contenu obligatoire du contrat n'est pas

nécessairement et uniquement déterminé par l'intention ou par la commune volonté des

parties139 ; mais aussi par des compléments de pensées ou adjonction d'éléments essentiels que

le juge, dans la logique juridique, ajoute aux termes contractuels insuffisants ou inefficaces.

De façon générale, il y est des situations régulières dans les conventions qui obligent à jouer

son rôle. Ces situations dans lesquelles la volonté de l'individu présente des lacunes de nature

à priver le contrat de tout effet utile. Il est humainement reconnu que nul ne peut tout prévoir,

pas plus les contractants que le législateur lui-même dont l'oeuvre doit constamment être

complétée par la jurisprudence. Même dans les contrats les plus détaillés, il apparaît des

situations exceptionnelles ou intermédiaires qui n'ont pas été réglées, à plus forte raison, dans

les contrats simples et quotidiens telle que la vente commerciale, où la rapidité des opinions

peut-être source d'imprécision ou d'insuffisance de certains éléments essentiels du contrat140.

Aussi, sous couvert d'interprétation objective, le juge est-il amené à faire produire au

contrat des effets utiles en alliant à la méthode empruntée la logique juridique et l'équité. Il

137 Ibid p.438. 138 Pierre BELLET, "Le juge et l'équité", in "Etudes offertes à René RODIERE", p. 9 et suiv. 139 J. GHESTIN; Les obligations, les effets du contrat, op. cit. n° 38, p. 42. 140 A. BENABENT, op. cit. n° 276, p. 156.

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doit faire triompher la volonté supposée c'est-à-dire celle que la partie aurait émise si elle avait

envisagé cette question sur la volonté réelle141.

Une espèce rendue par le tribunal de Hambourg dans le cadre de la vente internationale

de marchandise régie par la convention de Vienne du 11 avril 1980 en est une illustration.

"Une personne physique A, domiciliée en Allemagne, passe commande de vêtements pour une

somme avoisinant 100.000 DM et ce, le 2 juin 1988142. A remet au vendeur italien V une carte

de visite où figure sous son nom celui d'une entreprise "AG Import-Export". Il apparaît par la

suite que cette entreprise n'existe pas, qu'une entreprise de dénomination voisine "AMG-

GmbHs"143 est inscrite au registre du commerce d'une petite ville du nord de l'Allemagne. A

prétend avoir voulu contracter au nom de cette dernière entreprise dont il n'a pourtant pas fait

état lors de la vente. Les marchandises sont livrées à Hambourg. Le prix n'ayant pas été réglé

lors de l'échéance, les parties conviennent d'un report et A remet à V une lettre de change tirée

sur "AMG-GmbH" qui l'accepte. A la suite du non paiement de la lettre de change, V assigne

A devant le tribunal de Hambourg.

Les juges de Hambourg sont ainsi confrontés à la question de savoir si le contrat a vu

le jour entre V et A ou bien entre V et "AMG-GmbH". Ainsi la question sur l'identité du

cocontractant interfère avec le jeu éventuel de la représentation que la convention laisse en

dehors de son champ d'application. La frontière entre ce qui relève des droits nationaux de la

représentation144 et du domaine de la convention devait être tracée par les juges. Le tribunal de

Hambourg conçoit la ligne de partage en ces termes : "l'interprétation de la déclaration du

défendeur et de son comportement a priorité sur la question de savoir si le défendeur a pu

engager "AMG-GmbH". Seule cette dernière question doit faire l'objet d'un rattachement

autonome et être réglée d'après le droit applicable à la représentation". Partant, les juges se

livrent à une interprétation du comportement du défendeur "peu importe que celui-ci ait pu

avoir la volonté secrète d'agir pour "AMG-GmbH" : une telle volonté n'était pas connue du

demandeur (article 8 alinéa 1, 2è partie de la phrase) et n'était décelable d'aucune manière

141 ibid. 142 L. G. HAMBOURG, 26-09-1990, RIW 1990, p.1015 et s. ; IPRax 1991, p.400 et s. ; CLOUT, 17-05-1993, p.4 par Claude WITZ, in "Les premières applications jurisprudentielles du droit uniforme de la vente internationale" ; convention des Nations Unies du 11 avril 1980 ; L.G.D.J. , EJA 1995, p. 51 et 52, n° 32. 143 Trad. AMG SARL. Ibid.

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(article 8 alinéa 2)". Puis les juges se réfèrent à article 8 alinéa 3 d'après lequel "il faut tenir

compte du comportement ultérieur des parties pour interpréter les déclarations de volonté". Le

comportement du demandeur postérieur à la conclusion du contrat ne donne aucune raison

d'interpréter le comportement du défendeur au 2 juin 1988 de manière telle que le demandeur

ou une personne raisonnable ait pu déceler que le défendeur avait agi au nom de "AMG-

GmbH"145.

Cette jurisprudence va dans le sens de la réflexion d'un auteur : "on peut, lorsqu'il est

nécessaire de fixer les effets juridiques d'un contrat, ne pas rechercher les intentions des

parties mais demander ce qui est socialement le plus utile ou ce que la justice indique

comme devant être les conséquences de l'acte" 146. L'auteur ajoute en substance "la volonté

n'étant plus l'âme du contrat, elle ne peut plus être la mesure de son interprétation"147.

Ainsi, la démarche du juge consiste-t-elle non à rechercher l'intention véritable d'une

partie par rapport à sa volonté interne, mais d'oeuvrer de manière à "élaborer une solution

juridique appropriée compte tenu des besoins et des intérêts à satisfaire"148 et à protéger.

Cependant, dans ce domaine guidé par la logique et l'utilitarisme de l'exercice, il reste

un vaste champ pour la création149, ce que certains auteurs entendent par "forçage"150 ou

"renforcement"151 de la volonté du contractant. Et qui dit création dit tendance à l'arbitraire du

juge152 lequel conduit le plus souvent à une réfaction ou modification sensible des termes du

contrat. "Dans un système juridique fondé, en matière de contrat, sur le principe de

l'autonomie de la volonté, il est impossible, voire dangereux de reconnaître au juge le pouvoir

144 ibid. Dans l'attente de l'entrée en vigueur de la convention sur la représentation en matière de vente international de marchandise (Genève, 17 février 1983) ; sur cette convention, voir Vincent HEUZE, La vente internationale de marchandises, éd. GLN Joly, Paris, 1992, p. 165 et s. 145 Claude WITZ, op. cit. p. 51 et 52. 146 J. LOPEZ SANTA MARIA, Les systèmes d'interprétation des contrats, thèse Paris 1968, p.2. 147 Ibid p. 111 148 GHESTIN, les effets du contrat, n°10, p. 10. 149 F. ZOLL, art. préc. P.438. 150 Ph. MALAURIE et L. AYNÈS, cours de droit civil, les obligations T. VI éd. CUJAS 1996, n° 632, p. 362. 151 GHESTIN, les effets ... op. cit. n° 43, p. 49. 152 Ph. CONTE, l'arbitraire judiciaire : chronique d'humeur, JCP 1988, V, n°3343.

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de refaire le contrat défectueux ou de le compléter dans l'un de ses éléments essentiels153,

même si un tel agissement ou comportement paraît conforme à l'équité154.

Mais dans un arrêt du 8 juin 1977155, la première Chambre civile de la Cour de

cassation française a censuré une décision d'une cour d'appel qui avait estimé devoir refuser

toute efficacité à l'accord incomplet des parties au motif "qu'il incombait aux juges du fond de

déterminer par tous les moyens à leur disposition les éléments qui pouvaient permettre de

fixer les droits des intéressés". Le Professeur CHABAS voit dans cette décision une

manifestation de la "tendance de la jurisprudence à pallier le silence des parties ...

lorsqu'une des obligations a été, au moins en partie, exécutée"156.

De façon générale, le juge ne peut, par son exercice interprétatif, compléter la volonté

d'une partie d'après ses opinions propres ou personnelles sur ce qui est utile "il ne saurait se

guider par ses sympathies ou empathies, par ses goûts ou ses points de vue subjectifs ; tout

doit être en parfaite harmonie avec toutes les lois en vigueur, être fidèle aux idées directrices

... et respecter les principes éthiques"157. Le juge ne peut formuler ses règles arbitrairement158,

mais doit chercher la voie la plus juste et la plus conforme aux idéaux de la vie sociale159.

De toute évidence, la logique juridique assignée au juge interprète se retrouve

condensée dans la citation de BACON :"les sciences, dit ce penseur, constituent surtout le

domaine des empiriques et des dogmatiques : les empiriques rassemblent et utilisent ce

qu'ils ont rassemblé. Comme les fourmis, les dogmatiques tissent ; seules les abeilles

indiquent la bonne route : elles volent dans les champs et les jardins, sucent le meilleur suc

des fleurs, le travaillent, le transforment par leur propre savoir."160 Et ce sont elles qui

fournissent un produit utile161. Si la démarche du juge interprète vise à faire produire à la

volonté un effet utile, c'est pour un certain idéal social : celui de la justice contractuelle,

153 Ph. SIMLER, art. préc. n°116, p. 27. 154 Depuis le célèbre arrêt du canal de Craponne, tout pouvoir de modifier une convention valablement conclue est refusé au juge civil, même si les circonstances ont rendu l'exécution actuelle manifestement contraire à l'équité cass. civ 6 mas 1876, DP 1876, I, 193, S 76, I, 161 - V. en dernier lieu, cass. com. 18 déc. 1979, Bull. civ; IV, n°339 ; JCP 1980, éd. G. IV 89, GP 1980, I. Somm. 232 ; RTD civ. 1980, 780 obs. LORNU. 155 Cass. civ. I, 8 juin 1977, Bull. civ. I, n°269. 156 CHABAS, le rapport de la Cour de cassation ; JCP 1979, éd. GI 2953, n°18. 157 ZOLL, art. préc. p. 438. 158 CONTE, art. préc. 159 STAMMLER, cité par ZOLL, art. préc. p.438. 160 BACON, cité par ZOLL, art. préc. p. 438.

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laquelle ne peut exister sans un minimum de loyauté dans l'exécution des obligations

réciproques.

b. La loyauté contractuelle, critère de détermination du contenu obligatoire du contrat

La recherche de la solution juste doit donc mettre en oeuvre toutes les ressources de la

logique juridique162. La conformité du contrat au droit objectif est autant conformité à la

justice qu'au droit positif. En conséquence, le principe fondamental qui doit inspirer

l'interprétation et l'orientation du droit positif est d'abord celui de la justice163. Il doit être

complété par le principe de bonne foi. Comme l'ont observé MARTY et RAYNAUD, "la

valeur de la volonté est subordonnée aux exigences de la justice et de la bonne foi"164.

Au demeurant que faut-il entendre par justice contractuelle ? La réponse à cette

question est sujette à la maîtrise des contours du terme juste qui conditionne la démarche du

juge. Dans un sens premier, le juste peut être défini comme "ce qui est conforme au droit"165.

Pour les positivistes étatiques, le juste, c'est ce qui est conforme au droit positif. Cette

logique permet d'expliquer l'article 1134 du Code civil qui ne reconnaît de force obligatoire

qu'aux contrats légalement formés, c'est-à-dire conformes au droit positif166.

Pour les tenants du droit naturel tels ARISTOTE et St Thomas d'AQUIN, le droit c'est

ce qui est juste, c'est-à-dire ce qui sera tenu concrètement pour juste dans une situation

considérée167. Pour Saint Thomas d'AQUIN, "la loi humaine doit être juste, c'est-à-dire

orientée vers le bien commun du peuple auquel elle est destinée"168. Et comme le contrat est

la loi des parties, il doit tendre vers la solution la plus équitable, la plus juste. On rejoint la

célèbre formule de FOUILLET selon laquelle "qui dit contractuel dit juste". Ce qui ne se

vérifie plus de nos jours. Le contrat de vente commerciale étant par nature le domaine des

161 ZOLL, art. préc. p. 440. 162 GHESTIN, Introduction générale n° 33 et 34. 163 GHESTIN, Formation du contrat, op. cit. n°251, p.226. 164 MARTY et RAYNAUD, op. cit. 2è éd. 1988, n°43. 165 GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. n°252, p.226 ; "L'utile et le juste dans les contrats", chron. D. 1982, p. 5. 166 Ibid. 167 MARTY et RAYNAUD, op. cit. n° 39. 168 Ibid n°116.

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intérêts antagonistes, cette formule ne répond plus aux exigences du temps. Aussi, le juge se

doit-il de rétablir sous couvert de l'interprétation le juste, l'équilibre rompu.

Le principe d'équilibre contractuel doit donc guider la mission du juge. Il concerne non

la personne des contractants, mais le contrat lui-même. C'est la méthode objective qui permet

au juge d'atteindre ce but. En vertu de ce principe, le contrat, dans sa formation et dans son

exécution, doit respecter un équilibre entre les prestations et un équilibre entre les droits et les

obligations des parties et entre les clauses169, chaque partie doit donc non seulement recevoir

l'équivalent de ce qu'elle donne, mais aussi ne pas se trouver soumise à des obligations

disproportionnées au regard de celles de l'autre dans l'économie globale de l'acte. En droit

positif, l'équilibre recherché est, non un idéal, mais un minimum qui ne s'accommode pas des

disproportions significatives. Si donc un déséquilibre significatif existe, le principe d'équilibre

peut ainsi permettre au juge, à la demande de l'une des parties ou des deux, soit d'établir un

équilibre contractuel là où il faisait défaut, soit de le rétablir s'il a été rompu170. Dans cette

démarche, la situation égalitaire des parties importe peu. En effet, si souvent, l'égalité entre les

personnes peut apparaître comme un vecteur d'équilibre dans le contrat, le lien n'a rien de

systématique entre les deux principes171, et en matière de vente commerciale, l'équilibre peut

être faussé par le jeu habile des uns et des autres motivés avant tout par le souci d'accumuler

beaucoup d'avantages. C'est le domaine par excellence des intérêts antagonistes.

Ce principe d'équilibre trouve son fondement dans la justice commutative et participe

de l'aspiration grandissante à la justice contractuelle172. Le synallagmatisme qu'illustre

parfaitement le contrat de vente commerciale lui offre un terrain d'élection, l'exigence d'une

contrepartie sérieuse garantissant l'équilibre contractuel173. Ce principe est exprimé non

seulement expréssement par la doctrine174, il l'est également de façon implicite par la loi175 et

la jurisprudence.

169 Pour la recherche de cet équilibre entre les clauses ; J. CALAIS-AULOY, "L'influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats", R.T.D. civ. 1994, p. 239, Spéc. p. 240 : "les innovations apportées (en droit des contrats) par le droit de la consommation peuvent être considérées comme des facteurs d'évolution du droit". 170 THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc. p. 380. 171 Ibid. 172 J. GHESTIN, Formation du contrat, n° 253. 173 THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc. p. 380. 174 J. GHESTIN, Formation du contrat n° 253, D. BOULANGER, L'indétermination de l'objet pécuniaire du contrat engendrant une vente de marchandises, Thèse, LILLE, 1994, qui partant du constat d'un "équilibre compromis" explore les voies d'un équilibre possible".

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En imprimant sa marque par la recherche de l'équilibre des prestations réciproques, le

juge exige une certaine dose de loyauté dans l'exécution du contrat. Le principe de la justice

contractuelle conduit à évaluer dans chaque cas de litige à lui soumis les intérêts légitimes en

présence. Le principe de la bonne foi entendu sous l'angle de la loyauté des parties dans

l'exécution du contrat, et qui en est son corollaire, interdit de se prévaloir d'une déclaration

que l'on sait non conforme à la volonté de son auteur176. Les relations d'affaires reposent sur la

confiance mutuelle des parties et c'est sur cette notion de confiance légitime que repose, dans

la doctrine suisse, la Vertrauensthéorie, intermédiaire entre le système de la volonté interne et

celui de la déclaration de volonté177.

La loyauté, exige non seulement que le contractant adopte un comportement positif de

nature à faciliter l'exécution du contrat, mais aussi qu'il respecte le contenu du contrat. Le

passage de la "loyauté du contractant" , critère d'évaluation concrète de la conduite des

parties, à la "loyauté contractuelle" , critère de détermination du contenu contractuel, est

particulièrement illustré par la consécration prétorienne de nouvelles obligations qui

traduisent une éthique de solidarité et de communauté d'intérêts178. Ainsi, l'exigence de la

bonne foi, donc de la loyauté contractuelle, va-t-elle relayer la volonté d'une ou des parties

chaque fois que celle-ci sera insuffisamment exprimée.

Dans les contrats commerciaux internationaux, l'exécution de bonne foi couvre,

compte tenu de l'importance des enjeux et de l'éloignement des parties, un vaste domaine

d'obligations secondaires179. Ainsi, ce n'est pas un hasard si la bonne foi a été consacrée

comme principe directeur par la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les ventes

175 Pour une évocation explicite récente, voir L. n° 96-588 du 1er juillet 1996, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, D. 1996, III. 295. 176 J. GHESTIN, Formation du contrat p°346, n°387. 177 A. CHIREZ, De la confiance en droit contractuel, thèse NICE, 1977, p. 73, n° 46 "Une partie est liée par la déclaration telle qu'elle pouvait être comprise par son cocontractant selon les règles de la bonne foi"- Cf. R. PATRY, le principe de la confiance et la formation du contrat en droit suisse, thèse Genève, 1953. 178 PICOD, "L'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat", in "Le juge et l'exécution du contrat", colloque I.D.A. Aix-en-Provence P.U. d'Aix Marseille, 1993, p. 63. 179 E. LOCQUIN : "L'amiable composition en droit comparé et international" Litec 1980, n° 642 ; v. également G. MORIN : "Le devoir de coopération dans les contrats internationaux", droit et pratique du commerce Inter. 1980, p. 9 et s. ; M. FONTAINE :"les contrats internationaux à long terme", in "Etudes R. HOUIN", 1985, p. 263 s.

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internationales de marchandises180. En effet, le principe de la bonne foi constitue désormais

"un principe général" de la convention. D'une part, les parties à un contrat de vente

internationale doivent agir conformément à ce principe et, d'autre part, le principe constitue

également une norme selon laquelle l'une ou l'autre des parties peut avoir à rendre compte de

ses actes. Cependant, que représente le principe de la bonne foi dans le commerce

international ? Quels doivent être son contenu et ses conséquences ? La convention ne

contient pas de dispositions à son sujet et laisse la recherche des solutions appropriées à

l'entière discrétion des tribunaux et des organes d'arbitrage nationaux181.

L'article 206 de l'A.U.D.C.G. qui est une reproduction fidèle du texte de l'article 8 de

la Convention de Vienne prouve aussi que le législateur dudit acte en fait un principe directeur

dans l'interprétation du contrat de vente commerciale.

La loyauté contractuelle est le complément nécessaire de la justice contractuelle182.

Cette obligation de loyauté imprègne le droit tout entier au travers du principe moral de bonne

foi, elle-même synonyme de sincérité, de franchise et plus largement de loyauté183.

L'évolution du droit positif traduisant un souci croissant de l'équilibre contractuel, elle

s'accompagne d'un accroissement, voire d'une légitimation grandissante du pouvoir du juge

dans l'intervention du contrat et la loyauté en est le corollaire. Le principe d'équilibre interdit

au créancier, en cas de crise du rapport contractuel, d'exercer un droit de repentir lui

permettant d'invoquer, au gré des circonstances, une quelconque défaillance de son débiteur

pour se défaire de ses obligations184. Ainsi, à l'instar du Code civil allemand, la Cour de

cassation française estime-t-elle en matière d'exception d'inexécution, qu'il appartient aux

180 Art. 7.1. La bonne foi est également prise en considération par les rédacteurs de la convention de Vienne ainsi que dans les "principes pour les contrats internationaux" élaborés par Unidroit (V.M. Fontaine : "les principes pour les contrats commerciaux élaborés par Unidroit", Rev. Dr. International et dr comparé 1991, p.25 s). 181 Zhang YUQUING, "Application et interprétation des textes juridiques uniformes", in "Le droit commercial uniforme au XXIè siècle : Actes du Congrès de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international". New York, 18-22 mai 1992, p. 51. 182 Voir PORTALIS "il faut de la bonne foi, de la réciprocité et de l'égalité dans les contrats" Discours préliminaire, Locré, p. 305, n° 87. 183 Voir F. GORPHE, le principe de la bonne foi, thèse Paris 1928, p. 9 et suiv. ; A. BRETON, "Des effets civils de la bonne foi", Rev. critique, 1926, p.86. et suiv. Cf. v. VOLANSKI, Essai d'une définition expressive du droit sur l'idée de bonne foi, thèse, Paris 1929, n°75, p. 159 et s. qui définit la bonne foi comme la concordance entre les actes, les paroles, d'une part et la pensée, l'intention, d'autre part. 184 PICOD, art. préc. p. 64.

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juges du fond d'apprécier si l'inexécution des engagements d'une partie est suffisamment

importante pour affranchir l'autre de ses obligations185.

De la même façon, en matière de résolution, le créancier ne saurait invoquer une

inexécution manifestement disproportionnée par rapport au but à atteindre afin de sortir des

liens contractuels186. Le droit commercial a, à ce titre, consacré depuis longtemps la technique

de la réfaction en matière de vente de meubles corporels pour éviter les conséquences brutales

de la résolution quand elles apparaissent disproportionnées au défaut de conformité187. Ainsi,

l'injustice, l'iniquité qui peuvent résulter d'une application trop rigide de la force obligatoire du

contrat serait alors tempérée par le possible rééquilibrage du contrat par le juge. La sécurité

juridique y gagnerait dans sa conciliation avec la justice contractuelle188.

Le principe d'équilibre contractuel aurait également le mérite de permettre au juge

d'étendre l'éradication des clauses abusives aux contrats de vente commerciale telle

qu'appliquée aujourd'hui entre professionnels et consommateurs. En effet, une clause abusive

entame l'équilibre du contrat et porte atteinte à la justice contractuelle quels que soient la

qualité des parties et le type du contrat qui la contient189. Le simple fait qu'elle s'y trouve

atteste l'impossibilité de s'en défendre du cocontractant qui la subit, fut-il particulier comme

son cocontractant ou professionnel de la même spécialité que lui. En application du principe

d'équilibre contractuel, ce serait le déséquilibre objectif qui guiderait l'action du juge et non

des supputations sur les conséquences subjectives des parties190. C'est donc le déséquilibre

objectif et significatif des prestations des droits et obligations des parties ou de l'économie du

contrat qui justifierait l'intervention du juge, à la demande de l'une des parties191.

La sécurité juridique pour l'une, créancière, se mesurerait à l'aune de la justice

contractuelle pour l'autre, débitrice, parfois renforcée par une sollicitude contractuelle qui ne

185 V. par exemple, Cass. civ. 26 nov. 1951, Gaz. Pal. 1952,1,72, Cass. civ. 3è, 12 mars 1969, Bull. Civ. III, n° 220, p. 168 ; Com. 30 janv. 1979, D. 1979, IR. 317, 31 mai 1983, Bull. civ. IV, n° 162, p.140. 186 PICOD, art. préc. p. 64. 187 Ibid. 188THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., p. 382. 189 D. MAZEAUD, D. 1995, Somm.81 : "la notion de clause abusive est indépendante de la qualité du contractant à qui elle a été imposée." 190 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art., préc. p. 382. 191 Ibid.

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cesse de se déployer au point de faire émerger aujourd'hui ce qu'il faut entendre par la

fraternité contractuelle192.

De façon générale, la mission assignée au juge interprète n'est pas facile. Pour

atteindre un résultat qui ne souffre aucune contestation, l'utilisation de certains éléments

attachés à la vie du contrat s'avère nécessaire à la réalisation de cette mission.

II - LA MISE EN OEUVRE DES DIRECTIVES D'INTERPRÉTA TION

DE LA VOLONTÉ

"Pour déterminer l'intention d'une partie, ou celle d'une personne raisonnable, dispose

l'article 206 alinéa 3 de l'AUDCG, il doit être tenu compte des circonstances de fait, et

notamment des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des pratiques qui se sont

établies entre elles, voire encore des usages en vigueur dans la profession concernée".

Ce dernier alinéa du texte de l'article 206 de l'AUDCG met en évidence l'exercice

auquel devrait se soumettre le juge interprète dans sa délicate et difficile mission qu'est

l'interprétation de la volonté en matière contractuelle. Il doit prendre en considération non

seulement les éléments qui ont donné naissance au contrat à savoir les négociations (A), mais

aussi les éléments qui lui ont servi de guides ou de facteurs de simplification des tâches dans

les négociations : il s'agit des pratiques et des usages professionnels (B).

A. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS LIES AU C ONTRAT

Il s'agit ici en fait des éléments liés à la phase précontractuelle, des éléments tirés des

pourparlers entre les parties, des éléments résultant de leurs négociations et des cendres

desquels le contrat a pris naissance, a émergé. La démarche est rigoureuse et le juge doit faire

des éléments des négociations des outils de son exercice dans l'accomplissement de sa

mission. C'est ce qu'un auteur a appelé "le constat judiciaire des pourparlers"193. La mission

du juge ici confine à une vision objective des choses. Il doit non seulement prendre en

192 Ibid. 193 Il s'agit là de l'intitulé de l'article de Anne LAUDE dans le cadre du colloque portant sur "la négociation du contrat" organisé le 19 mai 1998 par l'Université des Sciences Sociales de Toulouse et publié à la Rev. Trim. Drt. Com. 1998, p. 551.

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considération les éléments résultant du contenu des négociations elles-mêmes (a), mais aussi

procéder à une appréciation objective du comportement des négociateurs qu'ont été les parties

(b).

a. La recherche de l'intention rendue nécessaire par l'expression d'une

volonté d'essentialisation des éléments des négociations

A l'origine du contrat de vente, les négociations jouent des rôles variables : absentes

des contrats de simple adhésion, elles s'imposent à la préparation d'opinions complexes

couvrant des intérêts économiques importants194.

Durant l'existence des conventions, leur rôle se développe lorsque "le contrat est

soumis à un processus de renégociation occasionnelle ou régulière"195. La doctrine

internationaliste, en particulier, reconnaît fréquemment dans les usages commerciaux, voire

dans la lex mercatoria196, de véritables obligations de renégociation des accords197.

A l'extinction des accords, on les rencontre, enfin, lorsqu'il s'agit de négocier la

liquidation des relations commerciales passées ... voire leur prolongement ou leur

renouvellement ; il s'agit (là) moins, alors, de la fin d'un contrat ancien que de la naissance

d'un accord nouveau ... le phénomène contractuel se réamorçant sans cesse198.

194 Pierre MOUSSERON, "Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, R.T.D. Com. 1998, p. 244. 195 M. FONTAINE, "Droit des contrats internationaux", coll. Feduci-Féc. Litec 1989, p. 346. Le phénomène s'est accru avec l'importante jurisprudence du 1er déc. 1996 qui place la fixation du prix de la formation d'exécution du contrat. V. not. D. 1996 note L. AYNÈS, JCP 1996, II. 22565, note J. GHESTIN. 196 E. LOQUIN, "La réalité des usages commerciaux internationaux", Rev. Gén. Dr. Éco. 1985, 163 ; F. OSMAN, Les principes généraux de la Lex mercatoria, Bibl. dr. Privé, n° 224, L.G.D.J. 1992, p. 162 et s. ; Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDAM, Traité de l'arbitrage com. Inter., Litec 1996, p. 843, n° 1483 ; M. FONTAINE, "Les clauses de hardship, aménagement conventionnel de l'imprévision dans les contrats à long terme", Dr. Prat. Com. Inter., mars 1976, p. 7. 197 Plusieurs sentences arbitrales ont eu l'occasion d'engager la responsabilité d'opérateurs manquant aux exigences de bonne foi dans la renégociation. Citons la sentence CCI "Valenciana" du 23 janv. 1990 : "le comportement de V. à partir de mai-juin 1986 n'a pas été, dans l'ensemble conforme à son obligation de négociation de bonne foi même s'il est arrivé par moment que V. ait donné l'apparence d'une négociation loyale. Mais les déloyautés sont si répétées qu'elles rendent difficile de croire à des loyautés intermittentes. Elles pourraient avoir été destinées à sauver les apparences. Quoiqu'il en soit, les déloyautés commises suffisent à établir le comportement fautif de V." (Aff. 5953, p. 48, extraits in CCI, Rec. de sentences arbitrales, tome V., éd. KLUVER 1994, p.437, obs. Y.D.) V. Également : J. Q. De CUYPER et W. PETER, Renégociation d'accords inter. à long terme et flexibilité : réflexions à partir du cas GHANA/VACO, RD. Aff. Inter. 1995. 775, n° 7. 198 P. MOUSSERON, art. préc. p. 245.

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Les négociations prennent donc une place importantes en matière de vente

commerciale, aussi leur traitement s'avère nécessaire. "Le constat judiciaire des

pourparlers"199 ou des négociations s'impose donc au juge.

La problématique est toute simple, elle consiste pour le juge à rechercher si un contrat

a émergé des pourparlers ou négociations, c'est-à-dire si une offre et une acceptation se sont

bien rencontrées à l'issue des négociations200.

En effet, une négociation débouche sur un contrat dès lors que l'interprète relève que

les négociateurs s'étaient d'ores et déjà accordés sur les éléments essentiels du contrat,

autrement dit, qu'il y a eu accord sur les éléments essentiels du contrat projeté. L'exemple de

l'affaire Texaco est révélateur de cet état de choses. Dans cette célèbre affaire, les juges, en

interprétant le contrat, ont retenu, dans leur investigation, qu'un protocole d'accord dénommé

"memorandum of agreement" exprimait de manière suffisante un accord des parties sur tous

les éléments essentiels201. La phase des pourparlers s'achevant au moment où l'accord des

volontés des parties cristallise l'ensemble des éléments essentiels, pour découvrir ces

éléments, le juge se doit donc de rechercher l'existence des éléments de formation du contrat

en cause202. Un accord sur la chose et sur le prix203 peut être un indice caractéristique de la

volonté des parties de nouer des relations commerciales immédiates ou futures. Si le

désaccord ne porte que sur des points jugés secondaires, les négociations peuvent alors être

interprétées comme ayant atteint un stade de maturité suffisant, ce qui permettra au juge de

conclure à l'existence d'un contrat valablement formé. La constatation de la présence

d'éléments essentiels des négociations est faite de manière objective, sans état d'âme204. Aussi,

199 Anne LAUDE, "Le constat judiciaire des pourparlers", RTD Com. 1998, 551. 200 Ibid p. 551. Mais cette analyse est, on le sait, peu pertinente lorsque les pourparlers ont duré longtemps, et ont été engagés avec le concours de nombreux participants. Les négociateurs des différentes parties finissent en effet bien souvent par mettre au point un texte commun soumis à l'approbation des responsables respectifs des entreprises impliquées. Dans ce processus, il est donc devenu impossible de déceler le moment où apparaît une offre précise et celui où elle a été acceptée. En ce sens voir, M. FONTAINE : "La formation des contrats. Codifications récentes et besoins de la pratique" in "Vie et droit des affaires", p. 681, spéc. p. 688. 201 UGO DRAETTA : "Le cas Pennzoil et l'effet contraignant des lettres d'intention dans la pratique du commerce international" in RDAI 1988, p. 155 et s. 202 A. LAUDE, "Le contrat judiciaire ...", art. préc. p. 552. 203 C'est ainsi, par exemple, que pour un contrat d'exploitation d'une carrière, la Cour de cassation relève que "la convention litigieuse, qui mentionnait sans ambiguïté les parcelles à exploiter, qui précisait que l'exploitation serait faite jusqu'à complet équipement et qui fixait un prix ferme, contenait l'accord des parties sur la chose et sur le prix, et comprenait les éléments nécessaires et suffisants pour constituer un contrat synallagmatique parfait", cass. 1er civ. 30 oct. 1979, Gaz. Pal. 1980, Pan. 45. 204 A défaut pour le juge de constater un accord des négociateurs sur les éléments essentiels du contrat, l'accord des parties, aussi formalisé soit-il ne peut entrer dans la sphère contractuelle et demeure au stade de simples

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dans une espèce relative à la vente des bâtiments, plus précisément à la détermination des

bâtiments et terrains ayant fait l'objet d'une cession, le juge a-t-il estimé que "les échanges

intervenus ne constituaient que des pourparlers et que, faute d'accord sur la chose, le contrat

de vente ne s'était pas formé. L'hypothèse en présence implique un rôle relativement passif du

juge. Son rôle ici se réduit à celui d'un "simple observateur qui se doit de vérifier que sont

bien présents les "les éléments essentiels" du contrat, sachant que le standard des éléments qui

doivent exister pour conduire à la constatation d'un contrat sont la prestation financière et les

contreparties, qui peuvent être des plus variées"205.

La seconde hypothèse qui interpelle fort activement le juge est celle dans laquelle les

parties disposent de la faculté de transcender certains éléments accessoires ou

"circonstanciels" en éléments essentiels. Elles ont la possibilité de subordonner leur volonté

de conclure le contrat à un accord sur des points de détails, par exemple, les modes de

paiement, les garanties ou de manière plus dangereuse l'accomplissement d'une formalité

ultérieure206. Le rôle du juge ici est actif. Il quitte son statut de simple observateur pour se

mouvoir en un prospecteur d'éléments essentiels des négociations et desquels le contrat a pris

naissance. Il devient un contrôleur de la phase précontractuelle qui peut imprimer sa marque,

c'est-à-dire donner sa propre interprétation de la situation en procédant librement à une

relecture de l'opération projetée207.

L'interprétation des documents contractuels issus des négociations se fera au regard du

principe de bonne foi, autrement dit au regard des exigences de loyauté contractuelle. Elle

permettra au juge d'apprécier si les parties ont entendu s'obliger avant la conclusion du contrat

définitif.

Le juge doit donc effectuer un contrôle strict des éléments supposés essentiels par les

négociateurs pour empêcher l'un d'eux de se soustraire à ses obligations. Ce contrôle l'amènera

pourparlers. Autrement dit, même si les parties s'étaient d'ores et déjà rapprochées au cours des négociations et même si ce rapprochement avait donné lieu à l'élaboration d'une convention, le défaut de précision des éléments du contrat disqualifie la convention en simples pourparlers : en ce sens Cass. civ. 3è, 26 fév. 1975, Bull. civ. III, n° 83, p. 62 ; Cass. civ. 3è 30 mai 1978, Gaz. Pal. 1979, p. 355 ; s'agissant d'une promesse de société V. également CA Paris, 21 mars 1989, Bull. Joly 1989, p.439 et s. note B. SAINTOURENS. 205 Cass. civ. 3è, 26 fév. 1975, Bull. civ. III, n° 83, p. 62. 206 A. LAUDE, "Le contrat judiciaire ...", art. préc. p.552. 207 Ibid.

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à conclure, soit à l'absence d'un contrat, soit à l'émergence d'un contrat, source

d'obligations208.

En pratique, les négociations ou pourparlers encore appelés contrats préparatoires sont

souvent constituées par un échange de lettres, que l'on qualifie parfois de "lettres d'intention".

Généralement rédigées par des non juristes, ingénieurs ou services commerciaux, elles sont

souvent ambiguës, d'autant plus que leurs rédacteurs "cherchent à faire accepter un document

qui les engage le moins possible, tout en liant le partenaire"209.

Cette ambiguïté des documents issus des négociations peut parfois ruiner l'existence

du contrat "dès lors qu'elle rompt les éléments que le juge a relevé comme ayant été

considérés comme essentiels par les négociateurs"210. Ainsi, dans le cadre d'une négociation

portant sur la vente de vins nouveaux, "le juge a-t-il considéré que l'on est toujours dans la

phase des négociations tant que les parties, outre l'accord sur la chose et le prix, ne se sont pas

entendues sur l'époque de la livraison"211.

Parfois les parties aux négociations peuvent subordonner l'existence du contrat à la

rédaction d'un acte ultérieur et donc de faire de la signature de ce document un élément

essentiel qui n'a pas été clairement précisé. La lecture judiciaire de la négociation est dans ce

cas délicate. Aussi, le juge fera-t-il appel à son libre arbitre, à son pouvoir souverain

d'appréciation des termes du document212. Ainsi, dans le cadre d'une vente de fonds de

commerce de café dans laquelle il était envisagé un paiement partiel au comptant du prix,

mais alors que ni le montant de la somme qui serait payé comptant, ni les époques de

paiement n'avaient été envisagés, les juges ont considéré que "l'ensemble de ces éléments

démontre que les parties ont voulu subordonner à la passation de cet acte, la perfection du

contrat"213. Le juge déduit de ce contrat qu'en l'espèce, les parties étaient encore en

208 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 553. 209 FONTAINE, "Synthèse des travaux du groupe de travail sur les lettres d'intention dans la négociation des contrats internationaux", Droit et pratique du commerce International, 1977, tome 3, n° 2, p. 115 - V. J. TERRAY, Les lettres de confort, Banque, 1980, IR p. 329. - v. pour un exemple : trib. com. Paris 27 oct. 1981, D. 1982, IR. p. 198, obs. VASSEUR ; Banque, 1981, p.1455, obs. MARTIN. Pour d'autres exemples d'ambiguïté d'engagements dont le caractère obligatoire et la nature juridique sont incertains : Cass. com. 15 janv. 19 mars et 16 juill. 1991, D. 1992, p. 53, note I. NAJJAR, s'agissant de lettres d'intention ou de confort. 210 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 553. 211 C.A. Bordeaux, 17 mai 1870, D.P. 1870, 2, 206, C.A. Douai, 5 déc. 1849, D.P. 1850-5-463. 212 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 554. 213 Req. 16 avril 1883, D. 1884, 1, 75.

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pourparlers, et qu'aucun contrat n'avait pu émerger puisque d'après l'interprétation qu'il a faite

de la volonté des parties, il apparaissait que la passation de l'acte ultérieur avait

nécessairement dû être considérée comme essentielle, et qu'à défaut le contrat pouvait être

conclu214.

Le juge dans sa recherche de l'intention peut parfois aller plus loin et considérer tel ou

tel élément ordinairement accessoire, un élément subjectivement essentiel donc normalement

nécessaire à la perfection du contrat comme un élément essentiel à partir duquel le contrat a

émergé. Il y a là un dépassement de la volonté des parties215.

Ainsi, dans une espèce relative à un contrat de vente, a-t-il été considéré que l'on n'était

plus dans la phase précontractuelle, mais, bien au contraire, dans la phase contractuelle dès

lors qu'il apparaissait que les points réservés, en l'espèce le problème de la déduction du prix

de livraison de la marchandise n'avait, d'après l'analyse faite par les juges, été qu'un problème

envisagé entre les négociateurs et n'avait pas eu de suite216. Autrement dit, le défaut de

précision de la volonté d'essentialiser cet élément a permis au juge de conclure à l'émergence

du contrat, alors pourtant que les parties avaient discuté de la déduction du prix de livraison

qui leur était apparu essentiel. Le défaut de discussion assez poussée n'a pas permis au juge de

considérer cet élément comme essentiel217.

L'analyse de la jurisprudence montre une autre démarche du juge. Ce dernier constate

que la négociation a pris une ampleur contractuelle lorsqu'il redoute que l'un des négociateurs

mentionne le caractère essentiel d'un élément ordinairement accessoire, ou plus exactement

s'appuie sur la nature subjectivement essentielle de cet élément pour démontrer qu'à défaut

d'accord sur l'ampleur souhaitée du contrat, on ne pouvait être que dans la phase des

négociations. La démarche du juge vise à éviter qu'un négociateur ne mette en exergue un

élément prétendu essentiel à la seule fin de freiner la formation du contrat218. Parfois, le juge

214 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 554. 215 Ibid. p. 554. 216 Com. 12 mai 1972, Bull. civ. IV, n° 143, p. 554. 217 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 554. 218 Sur ce point cf. A. LAUDE, "La reconnaissance par le juge de l'expérience d'un contrat", thèse PUAM 1992, spéc. n° 424.

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prend en considération l'écoulement du temps pour constater la transformation des relations de

non-droit en relations contractuelles, source d'obligations219.

De toute évidence, les possibilités offertes au juge sont de plus en plus nombreuses,

puisque les principes Unidroit dont s'est largement inspirée le législateur de l'Acte Uniforme

relatif droit commercial général offrent désormais au juge la possibilité de s'appuyer sur le

comportement des négociateurs pour relever qu'un contrat a bel et bien émergé des

négociations220.

b. La recherche de l'intention rendue nécessaire par l'appréciation du

comportement des négociateurs

Le juge peut s'appuyer sur le comportement des parties aux négociations commerciales

pour déterminer la volonté ou l'intention de celles-ci en cas de litige lors de l'exécution du

contrat définitif. Une telle appréciation est possible et facilitée par les Principes Unidroit. Au

regard de ces Principes, le simple comportement ou la seule attitude observée pendant les

négociations peut permettre au juge ou à l'arbitre de justifier l'existence d'un contrat221. Par

rapport à cette démarche, une question se pose : quels sont les comportements susceptibles de

produire des effets juridiques au regard de la constatation judiciaire des pourparlers ?

Autrement dit, quels seront les comportements susceptibles de conduire le juge à conclure soit

à l'existence d'un contrat du seul fait de leur observation, soit à la constatation de simples

pourparlers222 ?

Le juge ou l'arbitre peut partir de l'observation ou de l'appréciation d'un comportement

d'un négociateur pour en déduire des conséquences juridiques génératrices d'obligations

contractuelles dès lors qu'il relève que "la période des négociations avait en fait d'ores et déjà

219 Com. 8 mai 1978, Bull. civ. IV, n° 129, p. 108. Il en est ainsi par exemple lorsque le banquier est en relation avec un client en vue de l'octroi d'un prêt, et que dans l'attente de l'issue de cette négociation, il lui accorde complaisamment un découvert bancaire. La jurisprudence considère alors que cette situation correspond à une véritable convention de crédit. 220 Art. 2.1. des Principes Unidroit. En effet, le commentaire donné par les Principes que "dans la pratique commerciale, les contrats, en particulier lorsqu'ils sont relatifs à des opérations complexes, sont souvent conclus après de longues négociation sans que l'on puisse déterminer la séquence de l'offre et de l'acceptation". 221 Art. 2.1. des Principes Unidroit. 222 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. p. 555.

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été le temps et le lien d'une collaboration223. La jurisprudence relative aux relations médecins-

cliniques est révélatrice de cet état d'esprit. En effet, lorsque "deux protagonistes sont dans

une phase de discussion, donc de pourparlers en vue de la conclusion d'un contrat de

collaboration dans la clinique, et si le médecin a d'ores et déjà commencé à exercer son

activité, et à collaborer dans l'exercice de son art avec la clinique", le juge ou l'arbitre est en

droit de prendre en considération cet état de fait et considérer qu'un contrat a bel et bien

émergé de ces négociations224. Ainsi, dans une espèce à elle soumise, la première Chambre

civile de la Cour de cassation a-t-elle considéré que lorsque "le médecin avait exercé pendant

six ans sa profession dans les locaux mis à la disposition de la clinique, ... il résultait

nécessairement de cette constatation l'existence d'une convention entre les parties225.

Cet état de fait générateur d'obligation contractuelle n'est pas moins fréquent en droit

commercial et notamment en matière de vente commerciale lorsque les parties se connaissent,

sont en relations d'affaires depuis longtemps. Ainsi, le juge peut-il conclure à l'existence d'un

contrat générateur d'obligations entre les parties s'il révèle à partir des éléments des

négociations qu'il y a eu en fait, une identité de comportements qui a été adoptée pendant la

période prétendument précontractuelle226. Cet état de fait se rencontre en droit des sociétés.

Aussi, le fait de se comporter de manière identique, et notamment comme associés d'une

même structure peut permettre au juge ou à l'arbitre de déceler qu'on est dans les liens d'un

contrat de société et non au stade de simples de négociations227. Il en va de même "dans le

cadre par exemple de négociations en vue de la restructuration d'un marché, en l'espèce celui

de la levure fraîche de panification" où "le juge a pu déduire de l'identité de comportements

voire du parallélisme des comportements, l'émergence d'un contrat d'entente entre les

entreprises sur le marché"228.

Au demeurant, dans ces hypothèses, comme l'a bien dit un auteur, "c'est presque

mécaniquement et progressivement que le contrat émerge des prestations réciproques des

223 Ibid. 224 Ibid. 225 Cass. civ. 1ère, 17 nov. 1987, Bull. civ. I. n° 300, p. 215. 226 A. LAUDE, "Le constat judiciaire ...", art. préc. P. 556. 227 Ibid. 228 Décr. n° 89-D-O8 du 22 mars 1989, BOCC 2 avril 1989, Rev. Lamy, note V. SELINSKY ; en l'espèce c'est parce qu'il y avait eu quatre hausses successives du prix départ-Usine de la levure vendue aux négociants intervenus à des dates identiques et pour des montants similaires ne pouvaient s'expliquer que par ces deux

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négociateurs, en quelque sorte presqu'à la manière d'un contrat réel, dans la formation duquel

la volonté joue un rôle moindre qu'à l'ordinaire"229. C'est pourquoi le juge se doit de s'y

appuyer pour découvrir la véritable intention des parties au contrat.

Mais si les éléments des négociations prennent une part importante dans

l'interprétation par le juge ou l'arbitre de la volonté des parties, ils ne permettent pas à eux

seuls de le cerner dans toutes ses dimensions. Aussi, pour y parvenir, le recours à certains

éléments liés à l'environnement du contrat, tels que les usages commerciaux, s'avère-t-il

nécessaire.

B. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ÉLÉMENTS LIÉES A L 'ENVIRONNEMENT DU

CONTRAT : LES PRATIQUES ET USAGES PROFESSIONNELS

"Pour déterminer l'intention d'une partie, ou celle d'une personne raisonnable", "les

circonstances de fait" à prendre en considération ne se limitent pas seulement aux

négociations auxquelles les parties se sont livrées avant la conclusion du contrat définitif ; le

recours aux "pratiques qui se sont établies entre elles, voire "aux usages en vigueur dans la

profession concernée" est vivement recommandée à l'interprète.

L'idée véhiculée par l'article 206, alinéa 3 de l'AUDCG trouve sa suite dans l'article

207 dudit acte qui dispose : "les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti

et par les habitudes qui se sont établies dans leurs relations commerciales. Sauf

conventions contraires des parties, celles-ci sont réputées s'être tacitement référées dans le

contrat de vente commerciale, aux usages professionnels dont elles avaient connaissance,

ou auraient dû avoir connaissance, et qui, dans le commerce, sont largement connus et

régulièrement observés par les parties à des contrats de même nature dans la branche

commerciale considérée."

raisons que les deux sociétés les ayant pratiqué ont été condamnées même si aucune preuve directe n'établissait qu'elles s'étaient entendues sur ces hausses. 229 V. Également J. MESTRE, obs. sous cass. civ. I, 17 nov. 1987, R.T.D. civ. 1988, 310.

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Le texte de l'article 206 alinéa 3 est à rapprocher de l'article 1135 du Code civil. selon

lequel "les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes

les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature".

De façon générale, l'article 206 alinéa 3 in fine met en évidence deux éléments

essentiels que l'interprète se doit de prendre en considération : les pratiques qui sont établies

entre les parties (a) et les usages en vigueur dans la profession concernée (b).

a. La recherche de l'intention par la prise en considération des pratiques

établies entre les parties

Si l'existence d'un contrat suppose un accord de volontés des parties, l'article 1108 du

Code civil. qui en pose les conditions de validité, n'exige aucune forme particulière d'émission

du consentement de la partie qui s'oblige. Ainsi le consentement peut-il s'exprimer par

n'importe quel moyen : par écrit, verbalement voire par simple geste dès que la signification

du geste n'est pas équivoque230.

La liberté des formes d'expression et de la volonté va jusqu'à permettre de retenir la

volonté tacite231 au même titre que la volonté déclarée. L'article 778 du Code civil ne dispose-

t-il pas formellement que "l'acceptation peut être expresse ou tacite : elle est expresse quand

on prend le titre ou la qualité d'héritier dans un acte authentique ou privé ; elle est tacite

quand l'héritier fait un acte qui suppose nécessairement son intention d'accepter, et qu'il

n'aurait droit de faire qu'en sa qualité d'héritier".

Les expressions tacites sont multiples : il est des attitudes qui révèlent ipso facto la

volonté de contracter, telle celle du chauffeur de taxi qui se met en station232, celle du

commerçant qui expose ses articles en vitrine avec une étiquette indiquant le prix, celle de la

péripatéticienne qui fait les cent pas sur le trottoir...233.

230 B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Obligations, 2. Contrat 4è éd. Litec, 1993. p.56, n°146. 231 Ibid, n° 147. Ainsi s'explique la validité d'une vente dont l'acquéreur ne signe l'acte qu'après le décès du vendeur, dès lors qu'il est acquis qu'il avait consenti auparavant. V. en ce sens civ. 3è 27 nov. 1990, Bull. civ. III, n° 255, p. 143 ; D. 1992, somm. 195, obs. PAISANT ; RTD civ. 1991, 315, obs. MESTRE. 232 Civ. 1ère, 2 déc. 1969, Bull. civ. I, n° 831. 233 STARCK, ROLAND et BOYER, op. cit. p. 57, n°147.

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La vente commerciale est un contrat consensuel, qui génère des pratiques, des

habitudes au fur et à mesure que les relations d'affaires durent dans le temps. Il s'y installe.

Certains comportements générateurs d'obligations entre les parties, et lesquels nécessitent une

intervention du juge dès lors que le sens de la volonté est ambiguë. Autrement dit, le silence

gardé par l'une des parties peut être source d'obligations non voulues par l'autre, donc

générateur de conflit.

De façon générale, cette totale liberté dans l'expression du consentement conduit à se

poser la question de savoir si le simple silence gardé par une partie vaut ou peut valoir

consentement de sa part ?

Il existe en matière commerciale, un texte de portée limitée, l'article 18 de la

convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises selon lequel "le silence ou

l'inaction ne peuvent à eux seuls valoir acceptation"234. Que décider en l'absence de

disposition textuelle et surtout lorsque les habitudes ou pratiques se sont établies entre les

parties comme le disposent respectivement l'article 8, alinéa 3 de ladite convention et l'article

206, alinéa 3 de l'A.U.D.C.G. ? Faut-il se régler sur l'adage "qui ne dit mot consent ?".

Cette démarche s'impose au juge dès lors que les parties au contrat sont en relations

d'affaires depuis un certain temps235. Il est par exemple fréquent qu'un fournisseur livre

habituellement les commandes d'un client sans avoir expressément accepté celles-ci ;

l'habitude s'étant ainsi établie que son silence vaut acceptation, il appartient au fournisseur, s'il

n'est pas en mesure de satisfaire une commande donnée, de le faire savoir ; à défaut de quoi le

contrat pourra être considérée comme formé236. Une telle portée donnée au silence, par

rapport aux pratiques existantes entre les parties, suppose l'existence d'une série de rapports

contractuels de même nature, qui ne saurait résulter d'une transaction isolée237.

Ce sont là des questions de circonstances, des questions de fait. Un jugement qui

poserait en principe que le silence ne vaut jamais consentement serait cassé, car il exprimerait

234 B. AUDIT, "La vente internationale de marchandise" ; Convention des Nations Unies du 11 avril 1980 L.G.D.J. 1990, p.69 à 70, n°71. 235 STARCK, ROLAND et BOYER, op. cit. p. 59, n° 152. 236 STARCK ..., op. cit. n° 152 ; AUDIT, op. cit. p.43, n°47. 237 Com. 13 mai 1986, R.T.D. civ. 1987, 533, obs. MESTRE.

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une règle de droit contraire au consensualisme. Mais il peut dire souverainement qu'étant

donné les circonstances de l'espèce, le silence doit être interprété comme un consentement, ou

inversement238.

Dans le domaine de l'exécution du contrat, une tolérance passée dans les délais de

livraison ou une marge dans les quantités livrées ne peut pas faire place brutalement à

l'exigence d'un strict respect des normes239. Le juge peut même aller plus loin dans la

recherche de l'intention et tenir compte du comportement ultérieur des parties. Leur conduite

peut impliquer par exemple la reconnaissance de ce qu'un contrat s'est formé (référence à

"notre accord précédent") ; ou bien encore une contestation sur la qualité des marchandises

vendues pourra être écartée sur la constatation que les premières livraisons ont été acceptées

sans réserve240.

D'une manière générale, la tendance de la jurisprudence relative aux relations

d'affaires, donne effet au silence, dès lors qu'il s'agit d'analyser les pratiques ou habitudes qui

se sont établies entre les parties. La cour de Paris, par exemple, proclame qu'à défaut d'un

accord explicite contraire, les commerçants sont réputés accepter les conditions générales de

toutes les opérations contractuelles entrant dans le cadre de leurs professions dès lors qu'ils

n'ont émis aucune réserve à la réception desdites conditions241. Quant à la Cour de cassation,

elle approuve les juges du fond qui adoptent une telle appréciation ; elle a ainsi admis que la

seule exécution d'un contrat, pourtant non signé, valait acceptation de la clause pénale qui y

était insérée242 ou que l'accusé de réception non protesté de la résiliation d'une police

d'assurance valait renonciation à en contester la validité243.

Somme toute, les pratiques ou habitudes dans les relations d'affaires, notamment en

matière commerciale peuvent servir de moyen efficace au juge pour cerner la volonté des

parties. Mais celles-ci, si elles se poursuivent et se généralisent à la profession entière dans

laquelle s'opèrent les transactions, objet d'interprétation, peuvent se transformer en usages

238 Req. 14 avril 1942, S. 1942, I. 123. 239 AUDIT, op. cit. p. 43, n° 47. 240 Ibid n° 47, p. 44. 241 Paris 16 oct. 1990, D. 1990. Inf. Rap, 259. 242 Com. 25 juin 1991, Bull. civ. IV, n° 234, p. 164. 243 Civ. 1ère 13 nov. 1990, Bull. civ. I, n° 239, p. 171.

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professionnels, eux aussi nécessaires dans la recherche de l'intention des parties à la vente

commerciale.

b. La recherche de l'intention par la prise en considération des usages en

vigueur dans la profession

Si en droit français, l'interprétation la lecture de certains arrêts244 tend à l'admission du

principe "minimum" selon lequel le juge peut se référer aux usages, l'article 206, alinéa de

l'AUDCG en fait un devoir pour le juge, mais un devoir dès lors que les circonstances

l'exigent : l'expression "voire encore aux usages en vigueur dans la profession" en est une

illustration.

De façon générale, l'esprit de l'A.U.D.C.G est de traduire dans les faits les pratiques

effectivement suivies dans la vente commerciale nationale et internationale. Aussi, le juge

doit-il prendre en considération non seulement les usages découlant de la convention des

244 Dans un arrêt du 2 décembre 1947 (Cass. civ. 2 décembre 1947, G.P. 1948, 1, 36), la Chambre civile de la

Cour de cassation française retient "que si l'équité ou l'usage doivent être pris en considération dans

l'interprétation des contrats et des suites qu'ils comportent, le juge n'en saurait faire état pour soustraire l'un

des contractants à l'accomplissement des engagements clairs et précis qu'il a librement assumés". Ainsi, dès

lors qu'il y a ambiguïté et donc nécessité d'une interprétation, l'usage et l'équité doivent, selon cet arrêt, être

pris en considération de la même manière que la commune volonté des parties doit être recherchée dans le

domaine de l'interprétation déclarative. Adde : cf. G. MARTY et P. RAYNAUD, Obligations, tome I, Les sources,

2è éd , p. 244. Cependant, le recours à l'usage est-il un simple conseil prodigué au juge ou une obligation à sa

charge dès lors qu'il est en présence d'une volonté obscure ou ambiguë ? Dans un arrêt en date du 20 février

1980 (Cass. com. 20 février 1980, Bull. civ. IV, n° 91, p. 70.), la Chambre commerciale de la Cour de cassation

française tempère le débat doctrinal suscité autour de l'article 1135 du Code civil en ces termes : "une cour

d'appel qui détermine le sens et la portée d'une clause obscure en fonction de l'intention commune des parties

n'est pas tenue de répondre à des conclusions invoquant des usages professionnels". Voir, en ce qui concerne

le débat doctrinal, GHESTIN, Obligations, Effets du contrat, op. cit. n° 38, p. 42 ; BAUDRY-LACANTINERIE et

BARDE, Traité théorique et pratique de droit commercial français, Des obligations, tome I, 3è éd. 1906, n° 343,

p. 391, J. LOPEZ SANTA MARIA, Thèse préc. p. 67 : "j'avoue que je n'arrive pas à comprendre comment, si la

volonté des parties n'est pas décelable, on puisse expliquer l'emploi des usages au moyen de la volonté, même

tacite", V. également p. 100 et suiv.

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parties (1) mais aussi ceux qui sont considérées comme étant les suites logiques du contrat,

donc les usages objectivement applicables (2).

1. Le recours aux usages convenus par les parties

Le juge dans sa mission interprétative est toujours lié par la volonté des parties au

contrat. Il n'est pas libre de prendre en considération n'importe quels usages. Il doit interpréter

la volonté ambiguë en s'aidant des usages auxquels les parties ont consenti. La directive est

dictée par l'article 207, alinéa 1 de l'AUDCG qui dispose : "les parties sont liées par les usages

auxquels elles ont consenti...". L'exigence du consentement comme condition nécessaire pour

l'application de l'usage dans l'interprétation du contrat est ici significative. Il peut être exprès

ou tacite. La référence aux usages est expresse lorsque les parties s'aident de la rédaction des

usages par une organisation professionnelle. A une telle référence, on peut assimiler l'emploi

d'expressions ou abréviations courantes dans le commerce aussi bien national qu'international

(FOB, CAF, à quai, ex-ship ...)245 Elle peut être tacite, en ce sens qu'elle peut résulter de

l'interprétation de leur volonté selon les dispositions précédentes246. La liberté contractuelle

peut donc amener les parties à écarter les usages dont elle ne souhaitent pas l'application.

Ainsi à défaut de conventions contraires, "celles-ci sont réputées s'être tacitement référées

dans le contrat de vente commerciale, aux usages professionnels dont elles avaient

connaissance, ou auraient dû avoir connaissance, et qui, dans le commerce, sont largement

connus et régulièrement observés par les parties à des contrats de même nature dans la

branche commerciale considérée" ( article, 207 alinéa 2 AUDCG ).

Cette disposition s'explique aisément. Les commerçants sont des professionnels

rompus aux affaires. Et ceux qui réalisent des opérations, soit sur leur place d'origine, soit

dans leur branche d'activité, ne peuvent pas prétendre ignorer l'existence des usages qui

auraient pu s'y développer, car de tels usages s'établissent dans toutes les professions et sur

toutes les places de commerce. Ces usages sont donc réputés connus de tous les professionnels

245 Il se peut toutefois que l'expression employée n'ait pas partout la même signification ; c'est la raison qui a amenée la C.C.I. à préciser la portée d'un certain nombre de clauses (Incoterms) ; en cas de désaccord sur la portée d'un terme employé, il faudra rechercher la volonté des parties selon les principes énoncés à l'article 206 AUDCG. V. BERAUDO et KAHN. 246 B. AUDIT, op. cit. p. 45.

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qui sont présumés les avoir adoptés quand ils ne les ont pas écartés247. Puisant leur force dans

l'autonomie de la volonté, le juge ne pourra les prendre en considération que s'ils sont réputés

avoir été compris tacitement dans le contrat à défaut de les avoir écartés par les intéressés248.

Le juge peut également se référer à un usage particulier entre les parties surtout si

certaines habitudes se sont installées depuis longtemps entre elles. Dans ces conditions,

l'usage régulièrement suivi entre elles déterminera à la fois leurs obligations dans un cas

donné et leur intention. Il s'agira par exemple d'une certaine tolérance concernant les quantités

livrées, la qualité des marchandises ou le respect des dates de questions plus vastes, telles que

la référence à un ensemble de conditions générales, qui cessent d'être annexées à chaque

contrat249.

Les parties peuvent par exemple, ne pas préciser les qualités de la marchandise

vendue. Mais il n'en demeure pas moins que le vendeur est tenue de livrer une marchandise

loyale et marchande, c'est-à-dire conforme aux usages commerciaux et propre à l'usage

envisagé par les parties250.

En matière de vente commerciale, la quantité livrée doit être celle prévue par le

contrat. Lorsque la quantité livrée n'est pas celle prévue, il y a là un manquement à une

obligation essentielle du vendeur et l'acheteur peut demander la résolution du contrat.

S'appuyant sur la règle de l'article 1184 du Code civil selon laquelle la condition résolutoire

est toujours sous-entendue pour le cas où l'une des parties ne satisferait point à son

engagement. Mais le juge peut dès lors que la différence de qualité ou de quantité, est légère

(généralement 10% au maximum) conformément à l'usage des réfactions refuser la résolution

du contrat et ordonner la réduction du prix251.

247 Françoise LEYMARIE, "Les usages commerciaux", Encyclopédie Dalloz Droit com. 1974, n° 36, p. 26 ; com. 9 janv. 1956, Bull. civ. III ; n°17. 248 F. LAYMARIE, art. préc. n° 35. 249 B. AUDIT, op. cit. p. 45, n° 49. 250 V. pour des ruches livrées qui étaient dépourvues de reines : com. 18 mai 1949, Bull. civ.II, n° 207 ; v. également Luc BIHL, Ventes commerciales, Encyclopédie droit com. 1984 p. 24, n° 332. 251 Ibid. p. 24 n° 334, V. également F. LEYMARIE, Usages commerciaux, Encyclopédie Dalloz, Drt com., p. 3, n° 26. Cet usage, consacré par la Cour de cassation est d'une portée telle qu'il ne peut être écarté que par une convention spéciale et expresse rendant la vente résoluble pour le cas où la marchandise serait à n'importe quel degré inférieure à la qualité convenue. Req. 23 mai 1900, D.P. 1901, 1, 269.

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Selon l'article 1610 du Code civil, la délivrance doit avoir lieu au temps convenu par

les parties, ce qui renvoie donc expressément aux stipulations du contrat ou aux usages

commerciaux. Or la grande variété des clauses contractuelles sont, de par leur imprécision

fréquente source de multiples problèmes. Le juge, une fois de plus, conformément aux usages

en vigueur dans la profession considérée, fera usage de son pouvoir souverain d'appréciation

pour interpréter la volonté des parties et rétablir l'équilibre contractuel252.

La référence aux usages ne se limite cependant pas aux usages convenus entre les

parties ; l'interprétation de la volonté par rapport aux usages ne sera complète que si le juge se

réfère également aux suites logiques du contrat et qui sont aussi considérées comme étant des

usages objectivement applicables.

2. Le recours aux usages objectivement applicables

Le contenu obligatoire du contrat n'est pas nécessaire et uniquement déterminé par la

commune volonté des parties. Certaines obligations sont considérées comme étant les suites

logiques du contrat que le juge se contente d'appliquer quoique les parties aient gardé un

mutisme à leur encontre. Le texte de prédilection se trouve être l'article 1135 du Code civil

français qui dispose : "les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais

encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa

nature".

En matière de vente commerciale, certaines pratiques se sont transformées en coutume

à tel point que les parties ne ressentent plus le besoin de les mentionner dans leur contrat.

Elles sont considérées comme étant les suites normales du contrat. Il s'agit notamment de

l'obligation d'information ou de renseignement et de l'obligation de sécurité. Elles sont toutes

les deux considérées comme allant de soi. La doctrine classique les considère comme des

obligations objectivement applicables au contrat253. Le législateur de l'O.H.A.D.A. ne les

ayant pas prévues, il reviendra au juge de les intégrer dans le champ contractuel par le procédé

de l'interprétation, celles-ci existant de par la nature du contrat de vente commerciale. Il s'agit

de toute façon des créations jurisprudentielles que le législateur français a repris à son compte

dans ses différentes interventions législatives relatives au contrat..

252 Luc BIHL, art. préc. n° 360, p. 26. 253 GHESTIN, Obligations, les effets du contrat, op. cit. n° 38, p. 42.

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De façon générale, ces obligations ajoutées au contrat et qui sont considérées comme

des usages commerciaux, sont pour le juge un procédé de "forçage" du contrat254. La common

law d'Angleterre pratique également ce procédé dénommé "implied terms"255.

L'obligation de sécurité est la plus ancienne ; introduite dans les contrats de transport

de personnes dès 1911256, elle a été depuis étendue à tous les contrats pouvant mettre en jeu la

sécurité des personnes257 dont la vente d'objets mobiliers en est un. Quant à l'obligation

d'information ou de renseignement, voire de mise en garde, elle fait partie intégrante de

nombreux contrats et mise à la charge des professionnels dont le vendeur professionnel.

Aussi, le vendeur doit-il informer l'acheteur sur l'impropriété des matériaux au résultat

recherché258, indiquer honnêtement ce qu'il sait259. Elle est non seulement une obligation

générale, mais aussi un instrument suffisamment souple permettant aux tribunaux de contrôler

de manière efficace la moralité et l'équité des contrats et de rétablir l'équilibre contractuel260. Il

y a un moyen pour y introduire une dose de loyauté aussi bien dans la formation que dans

l'exécution des conventions.

CONCLUSION

Les développements relatifs à l'interprétation du contrat de vente commerciale ci-

dessus avancés peuvent facilement se résumer dans la pensée du Professeur AMSELEK :

"L'interprétation se situe au centre de l'expérience juridique : cette place de choix qu'elle

occupe se trouve liée à l'ontologie même du droit. Le droit, les règles juridiques, ce sont des

objets - des outils mentaux - qui appartiennent au monde de l'intelligible et non pas du

sensible ; leur texture, le matériau dont elles sont faites, c'est la pensée, du sens. On peut

les définir comme des contenus de pensée finalisés ou instrumentalisés, chargés de la

vocation instrumentale de servir à diriger la conduite humaine en indiquant, à ceux à qui

ils sont adressés, la marge de leur possibilité d'agir, la marge de possible à l'intérieur de

laquelle doit se tenir leur conduite"261.

254 MALAURIE et AYNÈS, Les obligations, tome VI, 7 éd. CUJAS 1996, p. 362, n° 632. 255 Ibid. 256 Civ. 21 nov. 1911, J.P. 1913, I, 249, note SARRUT, S. 1912, I, 73, note LYON-CAEN. 257 Cf. LAMBERT-FAIVRE, fondement et régime de l'obligation de sécurité, D. 1994, chron. 81. 258 BENABENT, contrats spéciaux, éd. Litec, n° 189 et s. 259 Civ. 3è 4 janv. 1991, Bull. civ. III, n° 9, pour l'existence d'éboulements antérieurs à la falaise vendue- 30 juin 1992, Bull. III, n° 238, pour des risques d'inconstructibilité. 260 Luc BIHL, art. préc. p. 23, n° 305. 261Paul AMSELEK dans son article "l'interprétation à tort et à travers, in Interprétation et Droit, BRUYLANT BRUXELLES, Presses Universitaire d'Aix-Marseille 1995, p.11.

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Le droit est au service des finalités et on ne peut atteindre ces finalités nécessaires pour

l'équilibre social sans un minimum de bonne foi dans l'exécution des obligations

conventionnelles. En matière contractuelle et plus particulièrement de vente commerciale, si

l'interprétation du contrat relève du domaine du juge, celui-ci ne pourra atteindre le résultat

recherché et acceptable pour tous qu'en intégrant une dose de bonne foi, donc de loyauté dans

la conduite des parties. La bonne foi, entendue sous l'angle de la loyauté contractuelle, doit

donc en être le support indispensable pour la réussite de l'entreprise. Mais tout doit se faire

conformément à la volonté des parties. En interprétant objectivement un contrat, le juge fait

oeuvre normative262. L'obligation "découverte", pour utiliser un cliché traditionnel, est

désormais attaché au "type" contractuel considérée, quelle que soit la volonté des parties, alors

qu'en interprétant subjectivement un contrat, le juge envisage ce dernier de façon

individualisé263.

C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation française censure les décisions des

juges du fond qui prennent en considération l'équité et l'usage pour soustraire l'un des

contractants à l'accomplissement des engagements clairs et précis qu'il a librement assumé264.

En revanche, elle admet le recours à ces critères, quand bien même l'acte est clair, lorsqu'il

s'agit d'interprétation constitutive265. RIPERT a pu écrire à cet effet que "les juges ajoutent,

mais il ne se croient pas le droit de retrancher quelque chose aux stipulations des parties"266.

Henri CAPITANT a pu dire à ce propos : "le juge ne doit pas se laisser emporter par

un vague sentiment d'équité car l'équité serait ici contraire à la justice ; la justice, la morale,

l'ordre social veulent que l'homme tienne la parole qu'il a donnée. Que le législateur

intervienne au besoin dans les périodes extraordinaires de crise ; le juge ne doit connaître, lui,

qu'une règle : le respect de la foi promise"267. On le voit, l'interprétation de la volonté est au

centre de l'expérience juridique, mais la bonne foi en est le corollaire indispensable.

262 J. GHESTIN, Les effets du contrat, op. cit. n°47, p.54. 263 Ibid. 264 V. par exemple : Cass. civ. 2 déc. 1947, Gaz. Pal. 1948, 1, 36. 265 GHESTIN, Les effets du contrat, op. cit. n° 47, p. 54. 266 Discussion sur l'exposé de G. MARTY, intitulé "Rôle du juge dans l'interprétation du contrat", lors des travaux de l'association H. CAPITANT, Tome .V, 1949, p. 100. 267 H. CAPITANT, "Les effets des obligations, Rev. Trim. Drt. civ. 1932, p. 723-724.

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La bonne foi est un principe général de droit qu'on retrouve dans le texte de l'article

1134 alinéa 3 Code civil qui dispose : "les conventions doivent être exécutées de bonne foi" .

Le juge ne peut donc se démarquer d'elle dans son rôle d'interprète du contrat. L'exécution de

bonne foi suppose l'exécution loyale du contrat. Or la loyauté dans l'exécution du contrat est le

complément nécessaire de la justice contractuelle268. Pour être complète, elle doit aussi être

observée lors de la formation du contrat. La consultation des codes étrangers montre que le

principe de bonne foi domine l'interprétation et la formation du contrat269.

En droit français le dol entraîne la nullité du contrat270 et la jurisprudence a donné à la

notion de bonne foi une place importante dans le consentement271. Comme l'observe M.

MESTRE272, "même si elle n'est pas expressément formulée par aucun texte, l'exigence de

bonne foi dans la conclusion du contrat inspire depuis déjà longtemps notre jurisprudence.

Les meilleures preuves en sont sans doute ... son attitude vis-à-vis de la conduite des

pourparlers"273. Il ajoute :"le projet de Code civil de l'an VII précisait que "les conventions

doivent être contractées et exécutées de bonne foi" et c'est seulement pour des raisons de

forme que la version définitive de l'article 1134 s'est cantonnée au seul terrain de l'exécution.

On saura gré à la première Chambre civile de la Cour de cassation française d'avoir, près de

deux cents ans plus tard, corrigé cette anomalie de l'Histoire et expressément consacré

"l'obligation de contracter de bonne foi". Ainsi, les choses sont-elles plus claires et en même

temps plus cohérentes : à quoi sert, en effet, d'exiger la bonne foi dans l'exécution du contrat

si l'on ne l'impose pas au stade premier, et à bien des égards décisif, de la formation de l'acte ?

Le contrat forme assurément un bloc, un corps unique ;274" le recours par l'interprète "aux

circonstances de fait" qui ont entouré sa formation, notamment aux "négociations", aux

"pratiques", voire aux "usages" pour son interprétation, en est une preuve. "Il est donc vital

que la bonne foi l'irrigue complètement".

268 PORTALIS disait déjà à cet effet : "il faut de la bonne foi, de la réciprocité et de l'égalité dans les contrats". Discours préliminaire, Locré, p. 305, n° 87. 269 V. G. CORNU, Regards sur le titre III du livre III du Code civil, cours DEA, Droit privé, Paris II, 1976-1977, p. 211, n° 282, qui cite les articles 157 du BGB, et 151, alinéa 2 du Code civil syrien, ainsi que le Code libanais des contrats et des obligations pour l'interprétation ; et les articles 116, 122 et 123 du BGB allemand, les articles 25 et 26 du Code suisse des obligations, les articles 122 et 125 du Code civil syrien, concernant les vices du consentement. 270 Art. 116 du Code civil. français. 271 V. GHESTIN, la formation du contrat, op. cit. n°517, en matière d'erreur sur la substance. 272 M. MESTRE, "l'exigence de bonne foi dans la conclusion du contrat", R.T.D. civ., 1989, p. 736-737. 273 V. GHESTIN, La formation du contrat, op. cit. n°330.

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Le contrat n'est ressenti comme obligatoire que s'il a été librement accepté et à la

double condition d'être utile et juste275. L'interprétation du contrat par le juge a pour but

d'atteindre ces deux finalités : l'utilité sociale et la justice contractuelle. Pour atteindre ces

deux finalités, l'utilisation de la bonne foi dans le contrat, donc de la loyauté dans les

rapports contractuels est le passage obligé pour le juge interprète. L'interprétation a pour but

d'insuffler une dose d'utilité et de justice dans ces rapports sous couvert de la loyauté.

"Dans la vie, tout est signe ... L'univers est fait dans une langue que tout le monde peut

entendre"276. Et le juge peut faire entendre tous les "signes" du contrat aux parties en conflit, à

condition de faire de la bonne foi, donc de la loyauté contractuelle, son "bâton de pèlerin".

274 MESTRE, art. préc. 275 GHESTIN; Les effets..., op. cit. n° 48, p. 54, "L'utile et le juste dans les contrats", D. 1982 chron. p. 1 et suiv. 276 Paulo COELHO, l'Alchimiste, cité par Paul AMSELEK dans son article "l'interprétation à tort et à travers, in Interprétation et Droit, BRUYLANT BRUXELLES, Presses Universitaire d'Aix-Marseille 1995, p.11.