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Revue française desociologie2003/2 (Vol. 44)

Pages : 212Affiliation : Numéros antérieursdisponibles sur www.persee.fr

ISBN : 9782708010536DOI : 10.3917/rfs.442.0275Éditeur : Presses de Sciences Po(P.F.N.S.P.)

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Vous consultezLa pièce manquante de la sociologie du choixrationnel [*]

par Olivier FavereauUniversité Paris X-Nanterre 200, avenue de la République – 92001 Nanterrecedex

favereau.at.u-paris10.fr

Article précédent Article suivant Pages 275 - 295

A. de Saint-Exupéry, Citadelle, XI

Le projet colemanien de refondation du langagethéorique de la sociologie

« Car vous avez besoin d’une étendue que le langage seul en vous délivre. »

1es années quatre-vingt ont été consacrées par James Coleman à un projet derefondation de la théorie sociale à partir du postulat du choix rationnel,

dans une perspective qui appelle la plus grande attention des économistes – detous les économistes : les économistes orthodoxes du courant dominant(mainstream) par ce en quoi ce projet entend ressembler au leur, les économisteshétérodoxes par ce en quoi ce projet entend aussi s’en différencier.

L

2Au Congrès annuel de l’Association des économistes américains, en décembre1983, James Coleman avait commencé d’ouvrir quelques pistes sur « la façon laplus fructueuse d’incorporer l’organisation sociale dans la théorie économique ».Il concluait : « Il ne s’agit pas d’abandonner la conception de l’action rationnelledes individus, mais de changer les hypothèses organisationnelles qui traduisentl’action individuelle en action collective ou systémique. » (1984, p. 88). Certes,précisait-il, le marché est un puissant « moteur d’agrégation » (micro-to-macroengine), mais les économistes eux-mêmes ont démontré son inefficacité pour les

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engine), mais les économistes eux-mêmes ont démontré son inefficacité pour lesbiens publics ou le choix social, et dans le cas de la confiance, le travaild’identification du mécanisme micro-macro pertinent n’a pas encorecommencé.

3Deux ans plus tard, il intervient dans une conférence sur le « Choix rationnel »qui regroupe des économistes et des psychologues, intéressés par les résultatsd’économie ou de psychologie expérimentale pour défendre la thèse, paradoxaledevant ce public, que la théorie économique aurait plus à gagner en mettantdavantage de structure (sociale) dans le passage micro-macro plutôt quedavantage de structure (psychologique) dans le choix rationnel. De façon trèsfriedmanienne (ou beckerienne), il n’ignorait pas les faiblesses descriptives dumodèle micro mais il estimait qu’en plus de ses vertus normatives, ce modèledemeurait « adéquat pour la plupart des problèmes de théorie économique, entant que théorie descriptive » (1987, p. 184). Indiscutablement, le projet était surles rails et il n’était plus temps de faire place aux doutes quant au réalisme dumodèle standard de choix rationnel.

[1] Nous faisonsallusion à la

célèbre etinfluentedéfense...

[1]

4La contribution de James Coleman au numéro mixte sociologie/économie del’American journal of sociology, en 1988, témoigne de la rapidité avec laquelle leprojet va se concrétiser : la notion de « capital social », à travers trois de sesavatars (« obligations et attentes, canaux d’information, et normes sociales »)sert d’« outil conceptuel », et de première illustration, pour « introduire de lastructure sociale dans le paradigme de l’action rationnelle ». Les propositionscentrales de cet article novateur seront plongées dans un ensemble plus vaste etplus ambitieux qui forme la Partie II des Foundations : une théorie générale desnormes – sans nul doute le cœur théorique de l’ouvrage, publié en 1990. La mêmeannée, James Coleman se livre enfin à un exercice de simulation, qui a le grandmérite de retraduire cet ambitieux projet théorique dans un modèle opératoireréduit, d’une remarquable netteté.

5Telles sont les principales étapes et références du projet colemanien qu’il me fautmaintenant introduire plus précisément. L’article de 1988 est très clair : face auxdeux grandes traditions de recherche en sciences sociales, l’individualismeméthodologique qui part de l’individu optimisateur et égoïste pour construire leniveau macro, et le holisme méthodologique qui fait de l’individu un être mû par« des normes sociales, des règles et des obligations » (1988, p. 95), le moment estvenu de développer une « orientation théorique » qui parte du premier pourassimiler une partie du second. James Coleman est parfaitement averti, à traversles tentatives d’assimilation antérieures à la sienne, des deux risques inhérents àce genre d’entreprise : risque de « pastiche » , c’est-à-dire d’addition devariables ad hoc dans un corpus jusque-là homogène, risque de « miniature » ,c’est-à-dire de multiplication de micro-analyses sans déboucher sur les macro-propositions qui font la force des économistes. S’il faut re-socialiser le contextedécisionnel de l’homo economicus, ce n’est pas seulement pour rendre mieuxcompte de ses actions individuelles ou de l’évolution des organisationséconomiques (ce à quoi lui paraît se limiter la critique du nouvelinstitutionnalisme économique par Granovetter, à travers la méthodologie del’« embeddedness »), mais c’est aussi pour accroître l’intelligibilité desorganisations proprement sociales. Le choix rationnel ainsi re-socialisé feraitretour sur cet environnement socioculturel, pour contribuer à l’expliquer, au lieude le laisser fonctionner comme une variable indépendante. Pour le dire (trop)

[2] A. Bouvier mefait remarquer

que le terme« patchwork »...

[2]

[3] Ce label, à ladifférence du

précédent, est de

[3]

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simplement, il s’agit de corriger non plus seulement le « rational choice » parl’« embeddedness », mais aussi l’« embeddedness » par le « rational choice ».

6On peut affirmer, sans complaisance aucune, qu’un tel projet recueillerait, dansles années 2000, parmi les économistes, un assentiment plus large encore quelorsqu’il fut formulé, au seuil des années quatre-vingt-dix. Il reprend en effet lepostulat du choix rationnel, majoritairement accepté par les économistes, touten l’appliquant de façon plus souple, plus flexible, avec un environnementrichement structuré en données sociales, culturelles, politiques, qu’il essaie enmême temps d’endogénéiser.

7C’est justement pourquoi les obstacles auxquels me semble se heurter ce projetsont tellement révélateurs. Nous verrons comment la puissante machinerie queJames Coleman a conçue pour relier « choix rationnel », « normes » et« organisation sociale » finit par se bloquer d’elle-même, lorsqu’on la met enmouvement. Tout se passe comme s’il manquait une pièce, ou une composanteessentielle, dont il était impossible de repérer l’absence, avant le travaild’extension, de généralisation et de socialisation du paradigme du choixrationnel, auquel James Coleman a voué les dernières années de sa vie.

8Ma thèse sera que la « pièce manquante » est le langage. Nous serons en effetconduits à la conclusion que la nouvelle variable « organisation sociale », au lieud’enrichir la théorie du choix rationnel, la fait imploser : la théorie du choixrationnel est incapable de « parler » d’organisation sociale, tout simplementparce que l’homo rationalis, conçu comme une machine à calculer, est, lui-même, incapable de « parler ».

9Plus précisément, cette thèse va consister en trois propositions (et troisdéfinitions) interdépendantes. D’abord les propositions : si Coleman ne parvientpas au bout de son projet, et si la sociologie du choix rationnel échoue, mesemble-t-il, à intégrer « l’organisation sociale », c’est parce que 1) le concept dechoix rationnel emprunté aux économistes (à savoir une capacité de calcul) estinapte au traitement de tout objet « collectif », car 2) le traitement d’un objetcollectif requiert le « langage », or 3) le langage requiert que le concept de choixrationnel subsume la capacité de calcul sous une capacité d’« interprétation ».

10Dans ces propositions, trois termes sont à définir : « langage », « collectif »,« interprétation ». Ce cahier des charges aurait de quoi décourager l’économistele plus présomptueux. Heureusement nous allons pouvoir nous contenter dedéfinitions minimales, parce que l’espace intellectuel où se déploie « l’orientationthéorique » de Coleman, et qui cantonne la rationalité dans l’ordre du calcul, vame permettre d’emprunter les catégories, taillées à la serpe, de la logiqueformelle.

11Commençons par « langage ». Le lecteur attentif des Foundations aura peut-êtreété choqué par l’affirmation que le langage est absent de la socio-logie du choixrationnel de Coleman ; il serait en droit de citer les pages consacrées au rôle de la« légitimité » à propos des normes, ou mieux encore au rôle des « commérages »(gossip) à propos des réputations. Je vais, de fait, corriger mon diagnostic, maisdans un sens qui n’implique aucun repentir, compte tenu de ce qu’est le« langage ordinaire » : cette sociologie suppose moins l’exclusion de toute formede langage que la forme exclusive (typique du positivisme logique !) d’un langageisomorphe au monde. Dans les termes de la logique formelle, le langage est dit[4] Voir Haack [4]

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isomorphe au monde. Dans les termes de la logique formelle, le langage est dit« extensionnel ». Il mobilise le principe d’extension ou d’extensionalité, selonlequel deux ensembles qui comportent les mêmes éléments sont identiques. Enrevanche, « les partisans de la compréhension, ou intension, exigent davantage.Identiques en extension, l’ensemble des nombres impairs compris entre 4 et 8, etcelui des facteurs premiers de 35 ne le sont pas en compréhension, parce qu’ilscorrespondent à des concepts différents. Le point de vue de l’extension est celuiqui se prête le mieux au calcul mathématique » (Vax, 1982, pp. 28-29 ; [enitaliques dans le texte]).

[4] Voir Haack(1978) et Malherbe

(1981). Onretrouverait,...

[4]

12Passé à travers le tamis du principe d’extension, il ne reste du langage qu’unecollection d’étiquettes posées sur les objets d’une réalité extérieure, qui pourraitse définir indépendamment de celui-ci : le langage peut « seulement » dire le vraiou le faux sur le monde, ce qui n’est pas si mal, mais il ne contribue pas à lefaçonner, à le transformer, à l’agrandir – bref à faire œuvre créatrice, commeaurait pu dire cet adversaire implacable du positivisme logique que fut Popper . On aura l’occasion de souligner, en conclusion, que cette « neutralité » dulangage, dans la sociologie du choix rationnel, rejoint étonnamment la« neutralité » de la monnaie, dans l’économie du choix rationnel. La conjonctionde ces deux neutralités scelle une méthodologie de recherche en sciences socialesprofondément instrumentaliste, dans la lignée du positivisme logique .

[5] Dans laterchap. 3), aux

mondes1minologie de

Popper...

[5]

[6] Voir Friedman(1953) et Malherbe(1981), ainsi que...

[6]

13Quant aux deux autres termes, au niveau de cette introduction, il suffira, pourl’intuition du lecteur, d’indiquer d’une part qu’un « collectif » est une entité quine se définit qu’en intension (c’est un concept, et pas seulement une collectiond’individus) ; d’autre part, qu’alors que le calcul revient à choisir un élément dansun ensemble défini en extension (c’est-à-dire comme une collection d’éléments)

, l’« interprétation » implique de construire, par intension, l’ensemble au seinduquel on devra choisir un élément. En temps utile, nous adopterons descaractérisations plus riches et plus sophistiquées.

[7] Cetteconception du

calcul renverraiten logiqueformelle...

[7]

14Muni de ces définitions, il nous faut enfin introduire la différence entre projet etmodèle(s) colemanien(s), pour pouvoir expliciter complètement le contenu de lathèse et la méthode d’argumentation. On l’a déjà laissé entendre, Colemanpropose deux modèles : un modèle général, développé dans les chapitres 10,11 et12 des Foundations, et un modèle appliqué, qui a servi de support à des travauxde simulation, publiés la même année que les Foundations . Je m’attacherai,dans une première partie, au modèle général et, dans une seconde, au modèleappliqué.

[8] J’ai préférérecourir aumodèle de

simulation,plutôt...

[8]

15Le résultat du modèle général est essentiellement négatif : le projet desocialisation du choix rationnel n’aboutit pas, en raison de la nature même duchoix rationnel, tel qu’il est conceptualisé dans la tradition à laquelle Colemanentend se rattacher. C’est le modèle appliqué qui va permettre de formuler unehypothèse positive sur ce qui manque au choix rationnel : l’aptitude à qualifierdes appartenances collectives, laquelle suppose le langage, un langage qui ne soitpas seulement extensionnel ou calculatoire, mais aussi intensionnel ouinterprétatif.

16Le projet colemanien – s’il faut risquer une conclusion – appelle donc d’autrestypes de modèles, qui devraient être cherchés à la jonction d’un certain type destructuralisme (en termes de réseaux) et d’un certain type d’individualisme (en

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Le modèle général colemanien et le langage de larationalité calculatoire

termes de conventions).

17Dans les chapitres 10,11 et 12 des Foundations, Coleman se propose de rendrecompte à la fois de la fonction et de l’émergence des normes , en évitant ledouble écueil du fonctionnalisme, propre à une certaine sociologie, et duréductionnisme, propre à la théorie économique néoclassique. La premièrecondition à l’existence d’une norme est la présence d’une externalité, c’est-à-dired’un événement (qui peut être une action) entraînant des conséquences, soitpositives, soit négatives, pour des acteurs qui n’en ont pas le contrôle. Il peutalors s’établir un marché spontané des « droits de contrôle », auquel cas unenorme serait inutile. Le raisonnement est ici emprunté à Coase (1960) : s’il n’y apas de coût de transaction et si le bénéfice retiré de l’annulation de l’externalité(supposée négative) par les « victimes » dépasse le bénéfice de l’externalité pourses auteurs, il y a une transaction mutuellement profitable, où il est indifférentque ce soit les victimes qui « dédommagent » les auteurs, ou que ce soit lesauteurs qui indemnisent les victimes, de sorte que la répartition des droits estsans importance. Naturellement ce cas n’est pas le plus fréquent – mais il estintéressant de noter au passage que les normes ne sont jamais que des solutionsde second rang, par rapport à l’échange marchand. C’est donc en l’absence demarché pour les droits de contrôle qu’apparaît la « demande de norme ».

[9] Coleman endonne la

définitionsuivante

(Foundations,...

[9]

18Cette demande ne se concrétisera que si une condition supplémentaire estvérifiée, assurant que le « problème de passager clandestin d’ordre deux » estrationnellement résolu. En termes clairs, il faut que « les bénéficiaires de lanorme, agissant rationnellement, parviennent soit à partager efficacement lescoûts d’application des sanctions pour les acteurs déviants, soit à engager dessanctions d’ordre deux à l’encontre des bénéficiaires, suffisantes pour inciter unou plusieurs d’entre eux à sanctionner les acteurs déviants » (Foundations, p.273). Moyennant la satisfaction de ces deux conditions, l’existence des normesest garantie par une sorte d’analyse coûts-avantages généralisée (dont leprincipe est emprunté aux économistes néoclassiques, sans recourir à leurformalisme mathématique) : l’obéissance aux normes « résulte simplement del’application du principe de la maximisation de l’utilité sous différentescontraintes » (ibid., p. 286).

19Avouons-le sans la moindre malice : tout cela est de l’excellente économie,quoique passablement orthodoxe, mais plutôt plus élégante et plus intuitive,avec, de surcroît, le mérite de viser un objet jusque-là rebelle à l’analyseéconomique : les normes en tant que règles multilatérales, au-delà du casparticulier (privilégié par la nouvelle microéconomie ) où l’analyse se restreintaux « contrats », c’est-à-dire aux règles bilatérales, issues d’un accord de volontésprivées.

[10] Voir, pourune présentation

non technique,Favereau...

[10]

20Le seul reproche qu’un économiste puisse se permettre d’adresser à ce modèle, sison exposé s’arrêtait là, c’est qu’il est bien peu fidèle au projet de son auteur : eneffet, où se trouve donc « l’organisation sociale » qu’il s’agissait d’incorporer à lathéorie du choix rationnel ?

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21C’est la notion de « capital social » qui va faire revenir les exigences du projet, àl’intérieur du modèle. « Le capital social se définit par sa fonction. Ce n’est pasune entité particulière, mais une variété d’entités différentes, présentant deuxcaractéristiques communes : elles consistent toutes en quelques aspects d’unestructure sociale, et elles facilitent certaines actions des individus qui sont dansla structure » (Foundations, p. 302 ; 1988, p. 98). Coleman va sélectionner troismanifestations de cette variable multi-dimen-sionnelle : 1) les obligations etattentes réciproques, qui autorisent les membres d’une structure à se montrerconfiants dans l’aide qu’ils peuvent solliciter/recevoir les uns des autres ; 2)l’accès à des détenteurs d’informations, qui font gagner du temps et économiserde l’attention ; 3) l’existence de normes sociales, qui stabilisent les anticipationssur le comportement d’autrui et garantissent certaines formes de coopération.

22Cette énumération, on le voit, comporte un trait singulier. Nous sommes partisdes normes, avec le projet de les arracher à une sociologie par trop holiste pour les réintégrer dans une sociologie du choix rationnel ; en un sens, nousavons trop bien réussi, puisqu’il n’y a plus guère de trace de l’organisationsociale, et c’est pourquoi nous introduisons l’idée (peu discutable dans sonprincipe) que divers aspects de la structure sociale peuvent constituer uneressource productive pour des agents rationnels, à tout le moins certains d’entreeux : un de ces aspects consiste précisément dans les normes !

[11] Ici laréférence de

rigueur est Wrong(1961).

[11]

23En réalité, il n’y a là aucune faute de raisonnement. Coleman doit éviter le doubleécueil du pastiche et de la miniature. La notion de capital social, d’une part, vientnaturellement enrichir la mécanique des choix individuels rationnels, sous laforme d’une ressource supplémentaire, dans les programmes de maximisationde l’utilité – voilà pour le risque de pastiche ; d’autre part, fournit un raccourciefficace dans « la fabrication de la transition micromacro, sans avoir à élaborerles détails socio-structurels à travers lesquels elle s’opère » (Foundations, p. 305 ;1988, p. 101) – voilà pour le risque de miniature.

24Dès lors, même en l’absence d’une formalisation explicite de la structure sociale,nous disposons d’un modèle conceptuel complet : la structure sociale peut seprojeter dans les différentes variétés de capital social ; celles-ci peuvent êtreintégrées aux calculs d’utilité qui structurent les choix rationnels des individus ;il ne reste plus qu’à se demander si l’addition et l’interaction de tous ces choixreproduisent bien, sinon la forme structurelle de l’organisation sociale (objectifdémesuré), du moins sa forme réduite que constituent les variétés de capitalsocial (objectif nettement plus réaliste).

[12] Je reprends àdessein la

terminologie deséconomè...

[12]

25Je vais maintenant distinguer deux cas – et commencer à dessiner l’impassedans laquelle s’enferme le modèle colemanien, lorsqu’on le met en mouvement.

26Le premier cas est celui où le modèle produit une solution qui a la vertu depouvoir se reproduire : il y a un « point fixe » , dans la chaîne qui va du capitalsocial (notamment les normes) vers les choix individuels rationnels et de ceux-civers le capital social initial (donc les normes). C’est un succès pour le modèle,mais qui va se payer très cher pour le projet. D’abord la nécessité de remonter ducapital social à l’organisation sociale se fait moins pressante ; ensuitel’enrichissement par le sociologue de l’économie du choix rationnel se réduit àpeu de chose, car dans ce cas, le recours du sociologue au vocabulaire des« droits » et du « consensus » ou de la « légitimité » (introduit pourtant dès le

[13] Enmathématiques,un point fixe ou

invariant Md’une...

[13]

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« droits » et du « consensus » ou de la « légitimité » (introduit pourtant dès lechapitre 3 des Foundations) devient essentiellement rhétorique : nous sommes àl’intérieur d’une logique purement calculatoire des intérêts individuels, qui sesuffit à elle-même.

27Le deuxième cas est celui où le modèle ne dégage pas de solution d’équilibre : iln’y a pas de point fixe. Les choix individuels ne reproduisent pas le contextesocial qui les a inspirés. Ce n’est pas forcément un échec du modèle, même sicelui-ci doit clairement être complété, d’abord par une analyse des conditionsqui empêchent la reproduction (cette fois il est indispensable de remonter ducapital social vers l’organisation sociale), ensuite par une description desscénarios d’évolution possible. Coleman s’engage effectivement dans cettedirection.

28La recherche de scénarios possibles nécessite de développer des points demeurésjusque-là implicites, par exemple l’opposition, parmi les trois variétés de capitalsocial, entre celles qui correspondent à des ressources appropriables (les« relations » en langage vulgaire) et celles qui renvoient à des ressourcesintrinsèquement collectives (le degré de coopération dans la structure sociale).Les normes relèvent, pour l’essentiel, de la seconde catégorie, laquelles’apparente étroitement à la famille des biens collectifs (public goods), c’est-à-dire des biens dans lesquels des individus rationnels auront naturellementtendance à sous-investir, selon un mécanisme bien connu des économistes. Aucontraire, les individus rationnels sont incités à entretenir soigneusement leurcapital de relations, en rendant service à ceux qui pourraient leur rendre service.Cette opposition rend le pronostic foncièrement pessimiste quant à la possibilitéde rétablir un point fixe, tout au moins pour ce qui concerne les normes – maisn’étaient-elles pas, et à juste titre, l’objet de toute l’attention analytique deColeman, dans l’accomplissement de son projet ? Pis encore, en s’avançant danscette direction, le modèle a un effet destructeur sur la pertinence du projet. Lediagnostic que permet de porter ce modèle sociologique du choix rationnelidentifie parfaitement la source unique du problème : ce n’est ni plus ni moinsque le choix rationnel lui-même, du moins tel qu’il est repris par Coleman à latradition néoclassique de l’individualisme méthodologique.

[14] Bourdieu aplutôt privilégié

cette catégoriedans...

[14]

29La conclusion du modèle général est impressionnante, encore qu’informulée : lalimite infranchissable à laquelle se heurte la mobilisation théorique du choixrationnel en tant que cause principale de l’existence des normes, ce sont sesconséquences intrinsèques ![15] Notre critique

n’est pas quel’explication des

normes...

[15]

30On s’attendrait ici que le recours aux « droits » et à la « légitimité » vînt ausecours de la logique défaillante des intérêts individuels. Mais cela n’est paspossible, en raison de la définition de ces termes retenue par Coleman. Le« droit », pour un individu, de mener une action se fonde sur l’absence decontestation (dispute) de la part des autres individus, qu’affecte cette action :« les droits impliquent un consensus intersubjectif » (Foundations, p. 50). D’oùvient donc ce consensus ? Il ne vient ni du droit, analysé d’ailleurs comme unepure contrainte (ibid., p. 49), ni d’une référence à ce qui est juste (ibid., p. 53),mais du même jeu d’intérêts (et/ou de pouvoir) que les normes (ibid., p. 52) !En somme, alors que, dans le premier cas, « droits » et « légitimité » étaientinutiles, dans le second cas, où leur utilité serait évidente, ils sont inopérants pardéfinition. S’il y a « droit », c’est qu’il n’y a pas « dispute » ; s’il y a « dispute », c’estqu’il n’y a pas « droit ». Pourtant on aurait pu penser qu’une « dispute »

[16] C’est donc laprésence

systématique etmassive

d’externalités...

[16]

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Le modèle appliqué de Coleman et le langage de larationalité interprétative

qu’il n’y a pas « droit ». Pourtant on aurait pu penser qu’une « dispute »entraînerait l’ouverture d’un débat, où se confronteraient arguments etjustifications. Mais en écartant délibérément toute référence juridique ouéthique, parce qu’il convient de rester strictement à l’intérieur d’une rationalitéindividuelle calculatoire et non coopérative , le sociologue du choix rationnel(tout comme son collègue économiste) fait fi de l’intense activité discursive quientoure les normes, dans nos sociétés, et limite strictement la compétencelangagière de l’homo rationalis à la formulation des intérêts individuels .

[17] Il est probableque sur ce point

l’influence de

[17]

[18] Cela ne va passans créer de

fortes tensions

[18]

31Particulièrement instructif est le bref paragraphe consacré à la « légitimité » desrègles (Foundations, pp. 287-289 ; voir aussi p. 293). Il s’ouvre sur une étonnanteconcession (« Il se peut que toute acceptation [d’une norme contraire à l’intérêtimmédiat] ne soit pas justiciable de la théorie du choix rationnel, dans saformulation courante » [italiques rajoutées par moi]), et poursuit en exhibantdes cas de figure où la notion de « légitimité » se dissout entièrement dans lalogique de l’intérêt individuel bien compris. Un peu plus loin, il s’interditd’assimiler la « légitimité » d’une norme à son inculcation, sous le motif que cettedernière, qui repose sur l’intériorisation d’un système de sanctions desdéviations par rapport à la norme, est autrement plus puissante que celle-là .Hors de l’intérêt individuel, point de salut !

[19] Sans cettesanction,

l’individu pourraitdévier de...

[19]

32Le langage de la rationalité calculatoire n’a pas d’autonomie par rapport à laréalité des intérêts individuels : il l’exprime (position du sociologue) ou il ladissimule (position de l’économiste) , il ne saurait la transformer, ni ladéplacer, ni la dépasser . Le modèle colemanien ne parvient pas à résoudre lesproblèmes qu’il réussit néanmoins à poser.

[20] Cetravestissement,

selon laterminologie des

économistes,...

[20]

[21] Les pages283-286 des

Foundations

[21]

33On comprend que Coleman ait souhaité remonter du capital social versl’organisation sociale pour sortir de l’impasse, ou, en tous cas, pour en explorerles recoins. D’où vient cette étrange propriété du choix rationnel qui bride sonpropre pouvoir d’explication ? Évidemment telle n’est pas la question que poseColeman – mais ce n’en est pas moins celle à laquelle il va répondre, à travers leséléments de reconstitution de l’organisation sociale, esquissés dans l’article de1988 et le chapitre 12 des Foundations, puis repris, précisés, généralisés etsystématisés dans l’exercice de simulation publié l’année même de la parutiondes Foundations.

34Ils sont au centre de la seconde partie.

35Dès son article de 1988 (pp. 105-109), repris et étendu au sein des Foundations,Coleman avait posé quelques jalons dans la perspective de remonter du capitalsocial vers l’organisation sociale, suggérant que le système de sanctions externessur lequel repose son modèle général d’émergence et de fonctionnement desnormes est conditionné par le degré de clôture des réseaux sociaux dans lesquelsévoluent les individus concernés. Un réseau ouvert verra très difficilements’installer un contrôle mutuel des individus, tandis qu’un réseau fermé est unecondition nécessaire à la mise en place d’un tel mécanisme – nécessaire mais passuffisante, en raison de la nature de biens collectifs de la plupart des normes decoopération. On sait que le dilemme du prisonnier est le type de jeu qui structure

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coopération. On sait que le dilemme du prisonnier est le type de jeu qui structureles interactions sous-jacentes au problème de fourniture des biens collectifs .[22] Coleman se

réfère aux travauxd’Ullmann-

Margalit (1977)...

[22]

36Coleman va donc élaborer (et publier en 1990) un modèle de simulation, pourexplorer les conséquences d’une variation du degré de clôture des réseauxsociaux sur les comportements de coopération (inversement : de défection)d’individus rationnels, dans une structure d’interaction de type « dilemme duprisonnier » (répété). Chaque individu se remémore l’identité de ceux aveclesquels il a interagi, lors des « m » dernières interactions, gardant en mémoire lecomportement de son vis-à-vis lors de la dernière interaction, et le sien lors del’interaction précédant cette dernière. Un vis-à-vis non identifié est un« étranger », un vis-à-vis identifié est une « nouvelle connaissance » (s’il y a euune interaction commune dans les m précédentes) ou une « vieilleconnaissance » (s’il y en a eu au moins deux) : on peut donc différencier jusqu’àtrois types de stratégie. Par exemple, choisir la défection avec un étranger +choisir la coopération [défection] avec une connaissance, nouvelle ou ancienne,si à l’interaction précédente, elle a choisi la coopération [défection], à moins que,dans le cas d’une vieille connaissance, on ait choisi la défection à l’interactionencore précédente, ce qui rendrait excusable la défection de l’autre, àl’interaction qui suit. Par ailleurs, on peut faire varier le nombre d’individus dansle réseau (de 3 à 10).

37En fonction de ces divers paramètres, Coleman se livre à trois séries desimulation , dont le résultat d’ensemble semble corroborer les intuitions dumodèle général : « Ces résultats montrent […] que le degré de fermeture de lastructure sociale peut affecter fortement les actions dans une population fixe etencore plus fortement la répartition entre ceux qui coopèrent avec les étrangerset ceux qui les exploitent » (Foundations, p. 268). D’une façon générale, en effet,plus s’élève le nombre d’individus avec lesquels on est susceptible d’interagir,plus est faible le pourcentage d’équilibre des individus coopératifs.

[23] Je néglige iciles calculs (sans

simulation)relatifs...

[23]

38Il n’est pas utile de détailler davantage le dispositif expérimental de Coleman, etl’on peut tout à fait accepter la conclusion que le modèle appliqué confirme lemodèle général. Justement, si le premier confirme le second, se trouve à nouveauconfirmée (et sans doute aggravée) la discordance entre le modèle et le projet.N’avons-nous donc progressé en rien ? Au contraire, l’extrême netteté du modèlede simulation (et sur ce point tout économiste saluera ici l’expertise techniquedu sociologue) va faire surgir une information nouvelle et cruciale, un début deréponse à la question qui a conclu la première partie de notre investigation.Notre perplexité d’alors sur la valeur explicative du choix rationnel (qui seretourne in fine contre lui-même) va se transformer presque naturellement enune conjecture précise sur la « pièce manquante » de cette sociologie du choixrationnel – de ce point de vue, plus féconde que l’économie du choix rationnel,parce qu’elle au moins est porteuse d’un projet de refondation, poussant enquelque sorte le choix rationnel au-delà de lui-même…

39Commentons, en premier lieu, la construction du modèle de simulation.Coleman prend soin de préciser qu’il entendra par norme la prescription ou laproscription d’une action, appuyée sur des sanctions externes, à l’exclusion detoute sanction interne (c’est-à-dire intériorisée). Admettons provisoirementcette exclusion. Ensuite Coleman introduit ce qu’il appelle une « conventionterminologique » : « Bien qu’il puisse m’arriver d’utiliser à la fois le terme

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terminologique » : « Bien qu’il puisse m’arriver d’utiliser à la fois le terme“norme” et le terme “sanction”, je ne veux signifier par “norme” rien de plus quel’ensemble des sanctions qui agissent pour diriger le comportement enquestion. » (Foundations, pp. 250-251). Comme le souligne Majewski, dans le« comment » qui suit l’exposé du modèle, cette caractérisation purementcomportementale (et même béhavioriste) des normes manque ce qui définitprécisément la normativité, à savoir cette forme de réflexivité qui fait quel’existence d’une règle ne s’épuise pas dans l’existence d’une régularité decomportement, car la règle doit être suivie (ou non) en tant qu’elle est une règle

. Cette critique a une incidence directe sur la question du langage, puisque lareconnaissance d’une règle comme règle nécessite, dans la quasi-totalité des casauxquels on peut penser, une énonciation langagière et cette opérationmobilise des capacités cognitives d’ordre interprétatif, plutôt que calculatoire.Néanmoins, cette critique est peut-être injuste, dans la mesure où touteentreprise de modélisation se heurte à des contraintes techniques lourdes. Cen’est pas le cas de la critique qui suit.

[24] Ce point estaujourd’hui non

controversé enphilosophie...

[24]

[25] Voir Ganz(1971).

[25]

40Commentons donc, en second lieu, les déductions de ce modèle appliqué. Ainsila « structure sociale d’interaction » a un impact décisif sur le type decomportement (coopératif ou non coopératif) que l’individu rationnel doits’attendre à rencontrer en face de lui – or selon le type de comportement, les« pay off » pour cet individu rationnel vont changer du tout au tout. Parconséquent, dans la stricte mesure où le modèle se présente comme correct, ilrend incompréhensible que des individus prétendument rationnels etcalculateurs n’intègrent pas, dans leurs anticipations et dans leurs préférences

, cet objet nouveau qu’est le collectif qu’ils forment avec leurs congénères.Autrement dit la rationalité calculatoire elle-même, sauf à se contredire,demande d’aller au-delà de ce qui la définit, vers une rationalité plus vaste. Etl’on pressent un possible paradoxe, car aller au-delà des limites du calculatoire,c’est aussi se contredire pour une rationalité calculatoire !

[26] L’exclusiondu traitement

interne desnormes n’était...

[26]

41Pour avancer face à cette série d’interrogations, la solution la plus pragmatiqueconsiste à « essayer » tout simplement de faire rentrer des objets collectifs tellesla « structure sociale d’interaction » ou « l’organisation sociale » dans la fonctiond’utilité, donc dans la rationalité – et à voir le résultat. Ce sera la première étape :nous découvrirons que cette opération est beaucoup plus problématique queprévu. Dès lors, dans une seconde étape, nous « essaierons » cette fois de relierces difficultés à la nécessité de passer d’un langage extensionnel à un langageintensionnel : nous découvrirons que cette opération n’est pas artificielle,comme on aurait pu le craindre.

421. Pourquoi donc ne pas enrichir la rationalité individuelle en ajoutant,dans les arguments de la fonction d’utilité, des variables collectives,comme par exemple le degré de coopération, à côté des variables privéesusuelles, comme par exemple la consommation ou le loisir ? On ressentimmédiatement une certaine gêne à mettre sur le même plan lapréférence pour un collectif plus coopératif et celle pour un pouvoird’achat supérieur. Si l’on explicite les différentes composantes de cetteimpression d’embarras, voire de cette intuition d’incohérence, on peuten repérer au moins quatre :

a. La préférence pour un type de collectif ne se réduit pas auxconséquences des relations avec ce collectif sur les arguments

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usuels, privés, de la fonction d’utilité, il s’y ajoute,indépendamment et au-delà de ces conséquences, uneconsidération sur la nature des ces relations .[27] Cette

composanteinterdit de penser

que notreproblème...

[27]

b. Il est délicat, voire impossible, de séparer les préférences pourune société (par exemple) moins inégalitaire ou plusdémocratique de toute considération normative ou éthique,alors que cette neutralisation normative ne pose généralementpas de problème, en ce qui concerne les choix entre navets etcarottes !

c. Non seulement la marge de manœuvre mais le contenu de laliberté de l’acteur ne sont pas du même ordre, s’agissant depréférences pour les voitures vertes ou pour une organisationsociale (par exemple) solidaire : liberté-autonomie ici, liberté-responsabilité là . L’acteur qui préfère vivre dans un mondeplus coopératif ne peut en rester à un comportement noncoopératif, sauf à être totalement inconséquent : oui ou non,souhaite-t-il sortir du mode prévalent de rationalité ? Leproblème a une parenté certaine avec la question despréférences sur les préférences et/ou celle des préférenceslexicographiques .

[28] Voir Genard(1999).

[28]

[29] Je fournis lesréférences-clésdans Favereau

[29]

d. Préférer plus à moins ne se mesure pas aussi facilement,s’agissant de quantités consommées et de qualités du collectif.Comment instrumentaliser la proposition « je préfère unesociété plus juste à une société moins juste » ?

Par rapport à ces quatre complications, on comprend mieux les vertuspratiques mais aussi les limites radicales de la réduction de la variable« organisation sociale » à la variable « capital social » : la seconde estpeut-être ce qui reste de la première, quand on a décidé d’ignorer toutesces difficultés et de mettre rigoureusement sur le même plan argumentsprivés et arguments collectifs dans la fonction d’utilité.

2. Ces difficultés s’éclairent-elles, si on les rapproche du type de langagesous-jacent à la rationalité calculatoire du modèle colemanien ? Laréponse est affirmative et, en vérité, va bien au-delà : il est impossibled’en rester à un langage extensionnel – et indispensable d’en venir à unlangage intensionnel, si l’on veut saisir, dans la rationalité individuelle,un objet collectif. Trois raisons à cela, qui sont autant de spécificationsde l’« intensionnel » :

i. Un collectif ne se définit pas comme un ensemble d’individus(ce qui correspondrait au principe d’extension) mais commeune structure sur cet ensemble : c’est donc un concept, plutôtqu’une énumération ; cette première manifestationd’intensionnalité de tout objet collectif peut se résumer ainsi : ilfaut le dire pour le voir. Un collectif, plus encore qu’un objet dela nature physique, ne se perçoit (abstraitement, de surcroît)qu’à la condition d’être nommé . Cette fois le langage n’estplus tout à fait isomorphe au monde, il le précède, il le devance,il l’excède : comment s’interroger sur la démocratie dans unpays ou sur la coopération dans un groupe, sans le langageadéquat, c’est-à-dire comportant le concept approprié ?

[30] Je bénéficieici du renfort de la

thèse de Searle...

[30]

ii. Nous venons de parler de perception (abstraite) pour les objets

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collectifs. Cette expression métaphorique doit être remplacéepar le terme technique, en logique, d’attitude propositionnelle,et plus précisément par cette attitude particulière qu’est lacroyance. L’acteur concerné par le type de collectif dira qu’ilcroit ou qu’il pense que la structure sociale d’interaction est(par exemple) fermée. Il ne s’agit pas de dévaloriser ce contenupropositionnel mais de prendre conscience d’une propriété,bien connue en logique, des opérateurs d’attitudepropositionnelle : l’opacité référentielle. La substitution determes singuliers avec la même dénotation, de prédicats avec lamême extension, ou d’énoncés avec la même valeur de vérité,ne préservent plus la vérité de l’ensemble . « La façon donton réfère aux objets, dit très bien Searle (1995, p. 19), affecte lavérité de l’énoncé. » À nouveau le langage affirme une certaineindépendance par rapport à la réalité objective. Cette deuxièmemanifestation d’intensionnalité de tout objet collectif peut serésumer ainsi : il faut le croire pour le voir.

[31] Voir Haack(1978). Laréférence

fondatrice estQuine...

[31]

iii. Nous venons d’introduire, pour pouvoir parler d’objetscollectifs, une nouvelle entité, qu’il faut ajouter aux entitéshabituelles du monde (dans la terminologie de Popper, lesobjets matériels et physiques du monde 1 et les états subjectifset personnels du monde 2) : les « façons de référer » à cesmêmes entités. Mais nous ne pouvons en rester là : après tout ils’agit de qualifier des collectifs et les individus vont êtredirectement intéressés par le point de savoir si leur façon deréférer aux collectifs est partagée par leurs congénères. Si c’estle cas (et nous ne dirons rien ici des modalités que revêt cetteaccession à l’intersubjectivité), alors le langage a permisd’enrichir l’équipement ontologique de l’univers des humains,en ajoutant aux mondes 1 et 2, le monde 3, celui des contenusobjectifs de pensée. Si ce n’est pas le cas, on aurait seulementaugmenté la population des entités du monde 2. Parallèlementl’équipement cognitif des humains doit être enrichi pour qu’ilssoient aptes au traitement de cette troisième famille d’entités.Nous dirons que leur rationalité n’est plus seulementcalculatoire mais interprétative , en rappelant qu’avait étédésignée par-là, dans l’introduction, la capacité de choisir à lafois un concept et un élément à l’intérieur de l’ensemble définipar le concept . On peut maintenant mieux fairecomprendre au lecteur pourquoi nous parlons ici et ainsid’« interprétation ». Cette expression a un sens précis enlogique formelle : c’est une structure qui consiste dans laspécification « concrète » des éléments du monde et de leursrelations auxquels s’applique l’ensemble des formules correctesdu système formel. Si toutes ces formules sont vraies dans cetteinterprétation, on dit que cette interprétation est un « modèle »de cet ensemble de formules. Cette définition vaut aussi bienpour un langage extensionnel que pour un langageintensionnel. Ce qui change, c’est que la spécification dumonde « concret » devra désormais inclure un double

[32] « Manners ofreferring » (Quine,

1961, p. 148).

[32]

[33] Surl’articulation

d’une rationalité

[33]

[34] Caractérisation

que j’avais

[34]

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agrandissement de ce qu’il convient d’appeler le monde« concret » : d’une part, une inclusion de variables de« contexte » où nous pourrons ranger nos « façons collectives deréférer » , d’autre part, une inclusion de « mondespossibles » associés aux attitudes propositionnelles ,individuelles ou collectives, que nous avons décidé d’intégrerpour pouvoir parler des collectifs. Il me faut enfin surmonterune réticence certaine du lecteur à penser que nous avonstotalement comblé la distance entre la version formelle dulogicien et la version discrètement herméneutique duphilosophe du droit. Voici ce que dit Ricœur, au terme d’unlong et minutieux parcours philosophique (rapprochant texte etaction) : « Ce qui est à comprendre dans un récit, ce n’est pasd’abord celui qui parle derrière le texte, mais ce dont il est parlé,la chose du texte, à savoir la sorte de monde que l’œuvre déploieen quelque sorte en avant du texte. » (1986, p. 168 ; voir aussipp. 114-115, pp. 208-211). En tout état de cause, il doit être clairaux yeux du lecteur que ce n’est pas avec la seule ressourced’une logique binaire vrai/faux assise sur les mondes 1 et 2que nous explorerons cette « sorte de monde » qu’est le monde3. La troisième manifestation d’intensionnalité de tout objetcollectif peut donc se résumer ainsi : il faut l’interpréter pour lecroire.

[35] Un élémenttrès encourageantpour la pertinence

[35]

[36] Et d’unefaçon générale

aux modalités (« il

[36]

[37] Dans laphilosophie du

second

[37]

43Au terme de cette investigation du langage (intensionnel) comme étant la piècemanquante de cette sociologie du choix rationnel, deux constats s’imposent.Même si notre enquête est évidemment trop rapide, peut-on espérer que lelecteur soit au moins convaincu de la très grande difficulté des problèmes quepose le projet colemanien de greffe de l’organisation sociale sur la théorie duchoix rationnel ? Notre point de vue rétrospectif sur le(s) modèle(s)colemanien(s) et sur les obstacles rencontrés dans la réalisation du projet est quele langage extensionnel d’une rationalité purement calculatoire ne peut intégrerles objets collectifs qu’en les désintégrant.

44En définitive le projet colemanien pèche par sous-estimation des compétencescognitives de l’individu. Le lecteur pourra penser justement que notre critiqueidéalise l’individu en lui prêtant un intérêt pour un objet aussi macro-économique (ou plutôt macro-social) que l’organisation collective, dont il n’estau mieux qu’un modeste membre. Dans ce cas, revenons un instant au modèlede simulation. Un résultat surprenant, non encore mentionné, est que « desmémoires longues compensent un moindre degré de clôture dans l’interactionsociale » (Foundations, p. 260) : en augmentant la valeur de m, l’individucontribue à fabriquer plus de coopération dans le dilemme du prisonnier répété,parce qu’il est mieux à même de récompenser des coopérations antérieures oude sanctionner des défections passées. Coleman tenait là un levier puissant etoriginal pour illustrer l’aptitude des individus à tisser du lien social , mais s’ildétenait la solution, il lui manquait le problème.

[38] Cemécanisme estsymétrique du

choix parl’individu...

[38]

45La concision excessive de notre enquête sur la pièce manquante de la sociologiedu choix rationnel, à travers la dernière figure de l’œuvre de James Coleman,nous permet ou plutôt nous commande d’ouvrir la discussion par trois

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généralisations en guise de conclusion.

461) Il convient d’abord de revenir sur les liens entre le projet colemanien et leprojet de la théorie économique dominante au XX e siècle. Chacun met enévidence des aspects peu visibles de l’autre. C’est ainsi que l’économie(néo)classique énonce que la monnaie n’est qu’un voile, neutre à long terme parrapport à l’économie réelle ; la sociologie du choix rationnel n’énonce pas maisimplique que le langage n’est qu’un voile, posé sur une réalité objectiveindépendante, qu’il ne contribue pas à constituer. S’il est difficile de nier que cesdeux programmes rassemblés forment, sous le label « théorie du choixrationnel » une puissante méthodologie de recherche en sciences sociales, il n’estpas inintéressant de passer derrière le décor, et de constater que cetteméthodologie tend fondamentalement à dissoudre les institutions sociales – entous cas les deux principales : la monnaie et le langage .[39] Parallélisme à

rapprocher (cettefois sur le mode...

[39]

47Si la thèse défendue ici est correcte, ce que nous donne à voir, à travers son échecpartiel, la tentative audacieuse de James Coleman, c’est l’impossibilité de penseren toute généralité la coordination entre les comportements, sans penser lacoordination entre les jugements sur les comportements . L’homo rationalisparle – et s’il parle, il ne peut plus se définir seulement par le fait qu’il calcule ; ilfait plus et mieux : il interprète, et cette faculté d’interprétation est inséparablede la conscience d’appartenir à des collectifs, qu’il faut identifier, qualifier,critiquer, justifier, transformer. Le paradigme du choix rationnel ne pourras’ouvrir de façon cohérente à un certain holisme méthodologique qu’en s’ouvrantégalement à la tradition interprétative, ou herméneutique, en sciences sociales.Pour continuer d’exploiter la référence au positivisme logique et conclure sur unraccourci approximatif mais peut-être suggestif pour le lecteur, le « modèlecolemanien » correspond à la philosophie du premier Wittgenstein, quand le« projet colemanien » exigerait la philosophie du second Wittgenstein .

[40] Cetteimpossibilité est,

selon la remarqueprofonde...

[40]

[41] Je reprendsl’opposition

classique entre le

[41]

48Si nous nous tournons maintenant vers la théorie économique actuelle, sonprojet affiché est de rendre compte des organisations et des institutionsexclusivement en termes d’arrangements contractuels optimaux destinés àrésoudre les problèmes d’information imparfaite asymétrique : aléa de moralité(c’est-à-dire tromperie sur une action cachée), anti-sélection (c’est-à-diretromperie sur une information cachée). Cette étroitesse de vues sans précédentsur ce qui caractérise l’individu interagissant avec ses semblables s’éclaire d’unjour nouveau à la lumière du principe d’extensionalité, que nous avons reconnuà l’œuvre dans le projet colemanien. L’équivalent dans la théorie économique estun postulat, jamais discuté parce qu’il touche au cadre constitutif de la théorie del’équilibre général : il est possible et même sensé de définir une configurationd’information parfaite symétrique, par rapport à laquelle sera étudiée la pratiquedes agents économiques dans le monde réel dégradé, depuis la chute dansl’incertain et l’asymétrie d’information. De là le rêve (ou le cauchemar ?) d’unetransparence absolue. Un tel postulat est proprement insensé en tant quecaractérisation d’un univers humain, à moins de rapetisser suffisamment lesêtres humains pour les ramener à la hauteur d’une ontologie où le langage estneutre . Mais si le langage n’est pas neutre, comme dans le monde 3 dePopper, alors il faut que les économistes et les sociologues du choix rationnel sepréparent à compléter leur investigation des effets de l’asymétrie d’informationpar celle de son versant positif – qui s’appelle l’intelligence distribuée.

[42] Cela suggère(voir note 39) une

hypothèsenouvelle...

[42]

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RÉFÉRENCES

492) L’impasse dans laquelle se sont enfermés les modèles qui traduisent le projetcolemanien de synergie entre les traditions individualistes et holistes ensciences sociales suggère a contrario une autre stratégie : partir directementd’une caractérisation de l’organisation sociale – c’est ce que fait l’approchestructurale en termes de réseaux, et partir tout aussi directement desreprésentations que forment les acteurs de leurs mondes communs – c’est ce quefait l’approche individualiste en termes de conventions. La question de Colemandevient alors celle des intersections entre ces deux approches, c’est-à-dire desinfluences mutuelles entre des catégories de phénomènes aussi dissemblablesque des structures sociales et des représentations mentales .[43] Pour un

premier pas danscette direction,

voirl’introduction...

[43]

503) La critique radicale que cette courte note s’est permis de formuler à l’encontrede l’imposant travail de reconstruction de la théorie sociale, opéré par JamesColeman, est au fond de nature anthropologique. Ce que les humains sontcapables de faire, pour le meilleur comme pour le pire, n’est pas bien saisi par lesmodèles de la sociologie (ou de l’économie) du choix rationnel. Nous avonsargumenté de façon essentiellement spéculative. Il n’est donc pas inintéressantd’évoquer, pour finir, un type d’argument essentiellement empirique :précisément, sur le plan anthropologique, il semble qu’il y ait peu de doute surdeux des conditions permissives d’accès à un état proprement humain : d’unepart, le langage ; d’autre part, le sentiment moral. Bien qu’il ait été apparemmentplus question ici de la première condition que de la seconde , cette note estanimée par la conviction que la théorie du choix rationnel ne pourra justifier saprétention à constituer le fondement de la science sociale que lorsqu’elle auraassimilé ces deux conditions.

[44] Que ces deuxconditions soient

liées se trouveévidemment...

[44]

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Notes

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[*] Ce texte a été profondément influencé par les critiques pénétrantes d’Alban Bouvier, àqui j’exprime ma reconnaissance. J’ai bénéficié aussi des suggestions du comité delecture et de Philippe Mongin. Les erreurs et insuffisances éventuelles sont de monfait.

[(1)] Nous faisons allusion à la célèbre et influente défense et illustration del’instrumentalisme méthodologique (Friedman, 1953) par le collègue de Coleman etBecker, à l’université de Chicago.

[(2)] A. Bouvier me fait remarquer que le terme « patchwork » traduirait mieux la penséede Coleman.

[(3)] Ce label, à la différence du précédent, est de mon fait.

[(4)] Voir Haack (1978) et Malherbe (1981). On retrouverait, dans cette conception du

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[(4)] Voir Haack (1978) et Malherbe (1981). On retrouverait, dans cette conception dulangage, la philosophie du premier Wittgenstein. Cette isomorphie est partagée par lathéorie néoclassique actuelle (comme le révèle son attirance pathologique pour lesproblèmes d’asymétrie d’information, qui porte le phantasme d’une transparenceabsolue du langage). Nous reviendrons, en conclusion, sur ce fonds commun.

[(5)] Dans la terchap. 3), aux mondes 1minologie de Popper (1979, chap. 3), aux mondes 1(celui des objets ou des états matériels) et 2 (celui des états de conscience), il faut« ajouter » le monde 3 (celui des contenus de pensée, objectifs et communicables).Voir aussi De Munck (1999, pp. 102-104, pp. 130-131). Cette idée d’agrandissementsuppose une autonomie du langage qui s’appuie techniquement sur la notiond’« opacité référentielle », définie dans la seconde partie.

[(6)] Voir Friedman (1953) et Malherbe (1981), ainsi que Popper (1963, chap. 3), surl’instrumentalisme en philosophie des sciences.

[(7)] Cette conception du calcul renverrait en logique formelle à la notion de « machine deTuring » (voir, par exemple, Parrochia, 1992, appendice) – et, dans l’axiomatique duchoix rationnel, au caractère fixe et prédéterminé de l’ensemble des états du monde :il n’y a pas de « contingences imprévues » (voir Kreps, 1990).

[(8)] J’ai préféré recourir au modèle de simulation, plutôt qu’au modèle formel du chapitre30 des Foundations, parce qu’il offre davantage de matière nouvelle, par rapport aumodèle général des chapitres 10 à 12.

[(9)] Coleman en donne la définition suivante (Foundations, p. 243) : « Il existe une normeconcernant une action spécifique quand le droit de contrôler l’action, socialementdéfini, est détenu non par l’acteur mais par d’autres. Comme on l’a discuté dans lechapitre 3 [Rights to act], ceci implique qu’il y a un consensus dans le système ousous-système social sur la détention du droit de contrôler l’action par d’autres. »

[(10)] Voir, pour une présentation non technique, Favereau et Picard (1996), ou le vastepanorama de Brousseau et Glachant (2000).

[(11)] Ici la référence de rigueur est Wrong (1961).

[(12)] Je reprends à dessein la terminologie des économètres.

[(13)] En mathématiques, un point fixe ou invariant M d’une transformation u est tel queu(M) = M. Là encore je reprends, métaphoriquement, la technique de liaison micro-macro que Coleman enviait tant aux économistes : M est la structure du capital social,et u est l’ensemble des comportements individuels, influencés par cette structure.

[(14)] Bourdieu a plutôt privilégié cette catégorie dans son approche du capital social (voirson texte pionnier de 1980). Sur la variété des conceptions du capital social, voirBorgatti (1998).

[(15)] Notre critique n’est pas que l’explication des normes par le choix rationnel estimparfaite, ce qui serait trivial, mais que cette imperfection tient à l’essence même duchoix rationnel, tel qu’il est pensé par Coleman – de sorte que l’explication rationnelledes normes devient l’exception, plutôt que la règle.

[(16)] C’est donc la présence systématique et massive d’externalités qui différencie les« normes » des « droits », notions entre lesquelles la différence est plutôt de degré quede nature.

[(17)] Il est probable que sur ce point l’influence de Coase (1960, pp. 43-44) a étédéterminante : un « droit » fait partie des « choses » qui s’échangent, comme les biens,ce qui fait passer au second plan sa nature langagière.

[(18)] Cela ne va pas sans créer de fortes tensions dans le texte. Deux illustrations : 1)Coleman récuse, on l’a dit, toute idée de « juste » pour fonder l’acceptation des« droits », mais n’en use pas moins du qualificatif « approprié et correct » pourcaractériser le jugement porté sur les actions conformes aux normes (Foundations,p. 242) ; 2) les exemples d’évolution des croyances permettant une réallocation des« droits » (ibid., pp. 54-59) impliquent, en pratique, des discussions et même desinterrogations éthiques où l’on se met à la place d’autrui.

[(19)] Sans cette sanction, l’individu pourrait dévier de la norme, si son comportement n’estpas observable (ibid., p. 293). C’est justement cette configuration qui est le point dedépart de la microéconomie des contrats et des incitations (voir ci-dessus note 10) : en

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départ de la microéconomie des contrats et des incitations (voir ci-dessus note 10) : ence sens le modèle colemanien de la norme et le modèle économique de la relationd’agence forment un tout, qui traverse les frontières disciplinaires.

[(20)] Ce travestissement, selon la terminologie des économistes, prend l’aspect soit del’« aléa de moralité » (action cachée) soit de l’anti-sélection (information cachée).

[(21)] Les pages 283-286 des Foundations étudient la sanction par les commérages (gossip)mais il est frappant que Coleman conclut à leur efficacité, conditionnellement à laclôture des réseaux sociaux, seul facteur essentiel, comme on le verra dans la secondepartie.

[(22)] Coleman se réfère aux travaux d’Ullmann-Margalit (1977) et d’Axelrod (1984).

[(23)] Je néglige ici les calculs (sans simulation) relatifs au problème du « passagerclandestin » du second ordre, où Coleman se limite à trois individus.

[(24)] Ce point est aujourd’hui non controversé en philosophie du droit, voir Hart (1976,chap. 1) et en philosophie du langage (du moins dans une mouvance post-Wittgenstein) : voir Baker et Hacker (1984, pp. 312-313). Voir aussi note 17, ci-dessus.

[(25)] Voir Ganz (1971).

[(26)] L’exclusion du traitement interne des normes n’était donc pas, dans la démarche deColeman, une hypothèse anodine : elle l’empêche finalement d’aborder de façonsatisfaisante le traitement externe. De même sa position devant les psychologues, en1985, procédait d’une méprise : la priorité aurait dû aller plutôt à la révision deshypothèses micro, dans la mesure même où l’objectif était d’enrichir le passage micro-macro !

[(27)] Cette composante interdit de penser que notre problème d’intégration du collectifpourrait se résoudre au moyen de la notion de bien public. Pour une applicationéclairante à l’économie de la famille de la distinction, à propos des relationsinterpersonnelles, entre leur nature et leurs effets, voir Thévenon (2003, chapitre 2).

[(28)] Voir Genard (1999).

[(29)] Je fournis les références-clés dans Favereau (1995).

[(30)] Je bénéficie ici du renfort de la thèse de Searle (1995) : les « faits institutionnels » sontd’une nature distincte des « faits bruts » : ils supposent le langage (intensionnel). Voiraussi De Munck (1999) et Livet et Ogien (2000).

[(31)] Voir Haack (1978). La référence fondatrice est Quine (1961, chap. 8) à qui j’empruntel’exemple suivant : soit l’énoncé : « Philippe croit que Tegucigalpa est au Nicaragua » ;si l’on substitue « la capitale du Honduras » à « Tegucigalpa » (qui sont liés par uneidentité), l’énoncé résultant « Philippe croit que la capitale du Honduras est auNicaragua » n’a clairement pas la même valeur de vérité !

[(32)] « Manners of referring » (Quine, 1961, p. 148).

[(33)] Sur l’articulation d’une rationalité calculatoire et d’une rationalité interprétative, voirFavereau (1998), Piore (2002) et Favereau, Biencourt et Eymard-Duvernay (2002).

[(34)] Caractérisation que j’avais empruntée au philosophe du droit Dworkin (1989).

[(35)] Un élément très encourageant pour la pertinence empirique de notre approche est le« framing effect », mis en évidence, en psycho-logie expérimentale, par Tversky etKahneman (1986).

[(36)] Et d’une façon générale aux modalités (« il est possible que », « il est permis que », etc.)que les acteurs vont utiliser, et dont Quine (1961) a montré qu’elles étaient la secondesource d’opacité référentielle. Ma présentation se veut la plus simple possible. Pourplus de rigueur, voir Chellas (1980) et Stalnaker (1999).

[(37)] Dans la philosophie du second Wittgenstein, on dira qu’il y a bien d’autres jeux delangage que celui qui consiste à juger toutes les propositions à l’aune de l’oppositionvrai/faux. Sur l’interprétation chez Wittgenstein, consulter Bloor (1997).

[(38)] Ce mécanisme est symétrique du choix par l’individu de l’horizon temporel sur lequelil choisit de calculer les bénéfices d’une attitude coopérative, voir Coleman (1990a, p.288) et Favereau (1997).

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Résumé

Le projet colemanien est de re-socialiser le choix rationnel, tout en maintenant desconnexions micro-macro aussi opérationnelles qu’en économie. Le modèle général desFoundations soit rend compte des normes mais l’organisation sociale s’efface, soit remetcelle-ci au premier plan (sous la forme réduite de la distribution du capital social) maisn’engendre plus assez de normes. Un travail parallèle de simulation donne à penser que leproblème vient de la rationalité elle-même : simplement calculatoire, alors que seule unerationalité interprétative pourrait prendre en considération des objets collectifs. Cechangement exigerait que l’acteur rationnel eût accès à un langage moins sommaire :intensionnel et non plus extensionnel.

The missing part in rational choice sociology.Coleman’s project is to resocialize rational choice while keepingmicro-macro connectionsas operational as they are in economics. The general model of the Foundations eitheraccounts for norms while effacing social organization, or highlights social organization (inthe reduced form ofsocialcapitaldistribution)whilefailingtoengendersufficient norms.Alater simulationmodel suggests that the problem is intrinsic to calculative rationality:only with interpretive rationality cancollectiveobjectsbetakenintoaccount. Thisshiftwouldrequiretherational actortospeakin less cursory terms, to use intensional rather thanextensional language.

Das fehlende Teil der Soziologie der rationalen Wahl.Colemans Absicht ist es, die rationale Wahl zu resozialisieren und gleichzeitigVerbindungen Mikro-Makro beizubehalten, die ebenso wirksam wären wie in derWirtschaft. Das allgemeine Modell der Foundations erklärt entweder die Normen beigleichzeitiger Vernachlässigung der sozialen Organisation, oder setzt die sozialeOrganisation in denVordergrund (in der reduzierten Form der Verteilung des sozialenKapitals) und verfügt damit nicht mehr über ausreichende Normen. Ein späterentwickeltes Simulationsmodell läßt vermuten, daß das Problem aus der Rationalitätselbst entsteht, das heißt eine kalkulatorische, während nur eine interpretativeRationalität kollektive Objekte berücksichtigen könnte. Dieser Wechsel würdevoraussetzen, daß der rationale Akteur eine mehr entwickelte Sprache spricht: intentionalstatt extensional.

La pieza que falta a la sociología de la elección racional.

288) et Favereau (1997).

[(39)] Parallélisme à rapprocher (cette fois sur le mode positif) de l’analyse déjà citée deSearle (1995), pour qui les faits institutionnels (dont l’archétype est la monnaie)doivent être traités comme des faits de langage.

[(40)] Cette impossibilité est, selon la remarque profonde de Corcuff (1995, p. 111), relisantBoltanski et Thévenot (1991), le vrai message de l’économie des conventions.

[(41)] Je reprends l’opposition classique entre le Tractatus Logico-Philosophicus et lesInvestigations philosophiques (pour une introduction particulièrement pédagogique,voir Malherbe, 1981, chap. 4 et 5). Voir ci-dessus note 37.

[(42)] Cela suggère (voir note 39) une hypothèse nouvelle pour expliquer l’incapacité de lathéorie néoclassique à intégrer la monnaie : l’homo economicus n’a pas accès à uneforme de langage assez complexe.

[(43)] Pour un premier pas dans cette direction, voir l’introduction de Favereau et Lazega(2002) ; il est intéressant, au vu de notre thèse, que les travaux de White (1992, 1995)s’orientent désormais vers une réflexion fondamentale sur le rôle du langage.

[(44)] Que ces deux conditions soient liées se trouve évidemment au centre de l’œuvred’Habermas. Sur le jugement moral (qui combine clairement les deux conditions)comme critère de classification des programmes de recherche en sciences sociales, lelecteur est renvoyé à l’article novateur de Boltanski (2002).

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La pieza que falta a la sociología de la elección racional.El proyecto colemaniano es re-socializar la elección racional manteniendo al mismotiempo las conexiones micro-macro tan estratégicas como en economía. El modelo generalde las Foundations explica sea: las normas aunque la organización social desaparece, sealo pone en primer plano (bajo la forma reducida de la distribución del capital social)aunque sin engendrar suficientes normas. Un modelo posterior de simulación hace pensarque el problema proviene de la racionalidad en sí-misma : simplemente calculatriz,mientras que solo una racionalidad interpretativa podría considerar los objetos colectivos.Este cambio exigiría que el actor racional exprese un lenguaje menos somero: intencional yya no mas extencional.

Plan de l'article

Le projet colemanien de refondation du langage théorique de la sociologieLe modèle général colemanien et le langage de la rationalité calculatoireLe modèle appliqué de Coleman et le langage de la rationalité interprétative

Pour citer cet article

Favereau Olivier, « La pièce manquante de la sociologie du choix rationnel », Revuefrançaise de sociologie 2/2003 (Vol. 44) , p. 275-295 URL : www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2003-2-page-275.htm. DOI : 10.3917/rfs.442.0275.

Pages 275 - 295

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