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LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES Marie Solbreux , Marc Verdussen CRISP | « Courrier hebdomadaire du CRISP » 2019/31 n° 2436-2437 | pages 5 à 110 ISSN 0008-9664 ISBN 9782870752272 DOI 10.3917/cris.2436.0005 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2019-31-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CRISP. © CRISP. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © CRISP | Téléchargé le 19/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © CRISP | Téléchargé le 19/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES

Marie Solbreux, Marc Verdussen

CRISP | « Courrier hebdomadaire du CRISP »

2019/31 n° 2436-2437 | pages 5 à 110 ISSN 0008-9664ISBN 9782870752272DOI 10.3917/cris.2436.0005

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n° 2436-2437 • 2019

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 5

1. L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE 8

1.1. Les fondements de l’irresponsabilité parlementaire 81.1.1. Au niveau fédéral 81.1.2. Au niveau régional et communautaire 8

1.2. Les enjeux de l’irresponsabilité parlementaire 9

1.3. Le champ d’application de l’irresponsabilité parlementaire 121.3.1. Le champ d’application personnel 121.3.2. Le champ d’application matériel 171.3.3. Le champ d’application temporel 22

1.4. Le contenu de l’irresponsabilité parlementaire 22

1.5. Quel avenir pour l’irresponsabilité parlementaire ? 281.5.1. Un caractère trop absolu 281.5.2. Une portée trop restrictive 32

2. L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE 37

2.1. Les fondements de l’inviolabilité parlementaire 372.1.1. Au niveau fédéral 372.1.2. Au niveau régional et communautaire 39

2.2. Les enjeux de l’inviolabilité parlementaire 40

2.3. Le champ d’application de l’inviolabilité parlementaire 422.3.1. Le champ d’application personnel 422.3.2. Le champ d’application matériel 422.3.3. Le champ d’application temporel 42

2.4. Le contenu de l’inviolabilité parlementaire 452.4.1. Les actes, en ce compris de contrainte, ne requérant pas l’autorisation

de l’assemblée 462.4.1.1. Le principe 462.4.1.2. Les tempéraments 472.4.1.3. La suspension des poursuites 49

2.4.2. Les actes de contrainte requérant (en principe) l’autorisation de l’assemblée 512.4.2.1. Le régime de principe 512.4.2.2. Le régime d’exception 77

2.5. L’inviolabilité parlementaire et sa pratique 85

2.6. Quel avenir pour l’inviolabilité parlementaire ? 932.6.1. Sécuriser l’encadrement normatif ? 932.6.2. Restreindre le champ d’application ? 942.6.3. Préciser les critères d’appréciation ? 952.6.4. Optimiser les modalités procédurales ? 96

CONCLUSION 97

ANNEXES 100

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INTRODUCTION

Ces dernières décennies, en Belgique, plusieurs affaires impliquant des responsables politiques ont défrayé la chronique judiciaire. Elles nous rappellent de criantes vérités. D’une part, la fonction de parlementaire ou de ministre ne pare pas de toutes les vertus celui ou celle qui l’exerce, nul ne pouvant se prétendre à l’abri d’une violation de la loi pénale 1. D’autre part, « dans toutes les choses de ce monde, la responsabilité est une nécessité morale à laquelle personne ne peut échapper » 2. Les parlementaires et les ministres doivent donc assumer la responsabilité pénale de leurs actes. Il y va d’une exigence essentielle dans un État de droit soucieux de l’égalité entre les citoyens.

Pour autant, cette responsabilité doit-elle être assumée selon les mêmes modalités que celles applicables aux autres citoyens ? Se prête-t-elle à des tempéraments, voire des dérogations ? S’efface-t-elle parfois pour laisser la place à une véritable irresponsabilité ? Les réponses qu’appellent ces questions intègrent d’autres exigences, liées à la position particulière des parlementaires et des ministres dans la direction et la gestion des affaires publiques. En effet, dans l’élaboration de ces réponses, le constituant a été confronté à l’obligation de concilier des principes aussi divers que l’État de droit et l’égalité des citoyens, d’un côté, et la séparation des pouvoirs et la continuité de l’État, de l’autre.

Le présent Courrier hebdomadaire se penche uniquement sur la responsabilité pénale des parlementaires (à l’exclusion donc de celle des ministres, dont il ne sera question qu’incidemment et sporadiquement). Sachant qu’il existe deux formes de contrôle juridictionnel de la fonction politique – le contrôle juridictionnel dirigé sur les acteurs politiques et le contrôle juridictionnel ayant pour objet les mesures adoptées par ces mêmes acteurs 3 –, précisons en outre que, par la force des choses – l’étude se situant sur le terrain pénal, où domine le principe de la responsabilité individuelle et de la personnalité des peines –, le seul contrôle qui sera envisagé ici est celui exercé sur les parlementaires eux-mêmes (à l’exclusion donc de celui exercé sur les décisions prises par ceux-ci).

Le statut pénal des parlementaires donne lieu, en Belgique comme dans de nombreux États, à un régime d’immunité, que le constituant décline traditionnellement en deux figures juridiques : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. Le pluriel est de rigueur. Plutôt que d’une immunité, il est donc question d’immunités parlementaires. La distinction entre ces deux immunités se retrouve dans de nombreux États européens, même si la terminologie retenue n’y est pas nécessairement la même 4. Dans d’autres États, en Europe

1On ne dira jamais assez que « l’homme, intégré dans le système politique, ne cesse pas d’être un homme, caractérisé par des pulsions et des passions, aux prises avec des sentiments peu nobles, tels que la vanité, le prestige, la jalousie, l’envie, etc., mais également, ce qui est aussi important pour la vie politique, empreint de nobles sentiments tels que la compassion, la sympathie et l’empathie, la solidarité, le respect de l’autre, etc. » (R. AERNOUDT, « Éthique et politique : un couple infernal », Pyramides, volume 16, n° 1, 2008, p. 169).

2D. SORIA DE CRISPAN, Philosophie du droit public, 3e édition, tome 9, Bruxelles, Vanderauwera, 1854, p. 104.

3P. MARTENS, « De quelques contrôles juridictionnels sur les acteurs politiques », Revue de droit de l’ULB, 1997, p. 287.

4A. W. BRADLEY, C. PINELLI, « Parliamentarism », in M. ROSENFELD, A. SAJO (dir.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 661 ; P.-A. COLLOT, « Le statut du Parlement », in M. TROPER, D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit constitutionnel,

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ou ailleurs, la différence entre irresponsabilité et inviolabilité est ignorée, seule la première étant prévue par la Constitution. Par ailleurs, la manière dont l’irresponsabilité est régulée est assez comparable d’un État à l’autre. En revanche, on constate plus de variations en ce qui concerne les modalités de l’inviolabilité. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, rattachés à la famille juridique de la common law, lorsque l’inviolabilité est reconnue, elle est généralement restreinte à l’arrestation judiciaire.

Dans les États où la Constitution aménage un statut pénal particulier pour les parlementaires, le défi a été de trouver un équilibre entre deux exigences, déjà évoquées ci-dessus : les poursuites et le jugement d’un parlementaire rejaillissent inévitablement sur la gestion de la chose publique, mais aucun individu – fût-il élu – ne peut, en principe, se dérober à l’obligation de répondre personnellement des conséquences de ses actes – fussent-elles pénales. À cet égard, le terme « immunité » prête le flanc à la critique. Eneffet, il faut savoir qu’à l’origine, lorsqu’il a été introduit en français, il renvoyait à l’idée générale d’« exemption » 5. Or les parlementaires ne sont pas nécessairement immunisés face aux poursuites et aux condamnations. Loin s’en faut.

Notre étude – qui a été précédée d’autres travaux scientifiques 6 – s’articule autour de la distinction entre l’irresponsabilité parlementaire et l’inviolabilité parlementaire, dont l’assise constitutionnelle réside dans l’article 58 de la Constitution, pour la première, et dans l’article 59 de la Constitution, pour la seconde. L’irresponsabilité de l’article 58 est confinée aux opinions et aux votes que le parlementaire exprime dans l’exercice de son mandat parlementaire, tandis que l’inviolabilité de l’article 59 couvre tous les autres actes du parlementaire, qu’ils soient de nature politique ou privée.

tome 2, Paris, Dalloz, 2012, p. 264 ; G. DE VERGOTTINI, Diritto costituzionale comparato, 9e édition, tome 1, Padoue, Cedam, 2013, p. 582-583.

5Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998, p. 1789.

6Pour la conception et pour la rédaction de cette étude, quelques publications antérieures de l’un des auteurs ont été des sources d’inspiration qu’il convient de mentionner. Cf. M. VERDUSSEN, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 591-626 ; « Une inviolabilité parlementaire tempérée », Journal des tribunaux, 1997, p. 673-679 ; « Le politique et la justice », Revue générale, n° 4, 1999, p. 53-63 ; « La répression pénale des ministres et des parlementaires en Belgique », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2001, p. 771-779 ; « Les perquisitions et les saisies dans les locaux parlementaires en Belgique », in N. IGOT, A. REZSÖHÀZY, M. VAN DER HULST (dir.), Parlement et pouvoir judiciaire, Bruxelles, Service juridique de la Chambre des représentants / Service des affaires juridiques du Sénat, 2008, p. 79-87 ; « La justiciabilité des parlementaires et des ministres », in Justice et politique : je t’aime, moi non plus..., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 9-40 ; « Le traitement constitutionnel de la répression pénale du chef de l’État, des ministres et des parlementaires dans une perspective comparative », Annuaire international de justice constitutionnelle, volume 25, 2009, p. 481-503 ; « Un parlementaire peut-il tout dire ? », in Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’homme. Liber amicorum Michel Melchior, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2010, p. 1001-1014 ; (avec M. UYTTENDAELE) « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », Journal des tribunaux, 2014, p. 401-409 ; « Un ministre peut-il tout dire ? », in Les visages de l’État. Liber amicorum Yves Lejeune, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 793-810.

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Schéma 1. Actes posés par un parlementaire

Pour l’une et l’autre de ces immunités, les règles constitutionnelles sont analysées à partir des décisions jurisprudentielles et des commentaires doctrinaux qu’elles ont suscités, mais aussi des réalités parlementaires que nous avons cherché à dégager à travers l’examen de documents parlementaires relatifs aux immunités (règlements des assemblées, rapports des commissions des poursuites, comptes rendus intégraux des séances en assemblée plénière, questions parlementaires, etc.). Cet examen a été effectué sur une période de vingt années : de 1999 à 2019. Il a été actualisé à la date du 26 juillet 2019. Il englobe les travaux de la Chambre des représentants et du Sénat, mais également des assemblées fédérées instituées dans les Régions et Communautés.

L’étude se préoccupe également de la compatibilité d’immunités conçues en 1831 avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), que la Belgique a ultérieurement ratifiée 7. Les rapports et avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit – dite Commission de Venise – ont également été consultés 8.

Elle s’interroge enfin sur l’avenir de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité parlementaires qui, selon nous, mériteraient assurément un nouveau débat constituant.

7Sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’immunités parlementaires, cf., outre les études citées ci-après, F. KRENC, « La règle de l’immunité parlementaire à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2003, p. 813-821 ; K. MUYLLE, « Rechten van de mens en parlementaire immuniteiten: toont Luxemburg de weg aan Straatsburg? », in A. REZSÖHÀZY, M. VAN DER HULST (dir.), Le droit parlementaire et les droits fondamentaux, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2010, p. 49-94.

8Cf. notamment le rapport sur l’étendue et la levée des immunités parlementaires, adopté lors de la 98e session plénière de la Commission de Venise, les 21 et 22 mars 2014 (European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities. Adopted by the Venice Commission at its 98th plenary session (Venice, 21-22 March 2014) », CDL-AD(2014)011, 14 mai 2014).

Opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions

≈ IRRESPONSABILITÉ

Autres infractions

≈ INVIOLABILITÉ

Art. 59 Constitution

Art. 58 Constitution

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1. L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE

L’irresponsabilité parlementaire fait obstacle à toute action pénale ou civile dirigée contre un membre d’un parlement. Ce premier chapitre examine successivement les fondements de l’irresponsabilité parlementaire (1.1), ses enjeux (1.2), son champ d’application (1.3) et son contenu (1.4). Au terme de ces développements, il s’interroge sur l’avenir de l’irresponsabilité parlementaire (1.5).

1.1. LES FONDEMENTS DE L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE

La Belgique étant un État fédéral, la question des fondements de l’irresponsabilité parlementaire doit être examinée distinctement au niveau fédéral et au niveau régional et communautaire.

1.1.1. Au niveau fédéral

L’irresponsabilité parlementaire est consacrée par l’article 58 de la Constitution, inchangé depuis 1831 (il était alors, et jusqu’en 1994, numéroté 44) :

« Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »

Le texte de cet article est directement inspiré de la Constitution française du 3 septembre 1791 (titre III, chapitre Ier, section V, article 7) et de la Charte constitutionnelle française du 4 juin 1814 (article 11) 9.

1.1.2. Au niveau régional et communautaire

L’article 120 de la Constitution, adopté en 1993, rend l’article 58 applicable aux membres des parlements régionaux et communautaires. On renvoie également aux dispositions législatives suivantes : l’article 42 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, l’article 28, alinéa 1er, de la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises du

9E. DESCAMPS-DAVID, La mosaïque constitutionnelle. Essai sur les sources du texte de la Constitution belge, Louvain, Peeters, 1891, p. 17.

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12 janvier 1989 et l’article 44, alinéa 1er, de la loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983.

1.2. LES ENJEUX DE L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE

L’irresponsabilité parlementaire est tenue pour inhérente au système parlementaire lui-même. Comme l’a écrit le procureur général près la Cour de cassation Raoul Hayoit de Termicourt dans un texte qui fait autorité en cette matière, le Congrès national de 1830-1831 « a considéré la nécessité de pareille disposition comme si évidente qu’il a jugé superflu de la justifier » 10. L’irresponsabilité a été conçue pour protéger la liberté d’expression des élus du peuple. N’est-ce pas, en effet, le peuple lui-même qui s’exprime à travers les opinions de ses représentants ? C’est lui également qui a le pouvoir du dernier mot lorsqu’il se trouve dans l’isoloir. Par ailleurs, l’irresponsabilité ainsi consacrée est judiciaire, mais elle n’est pas politique. Dans une démocratie de « surveillance », le citoyen peut soumettre à la critique les opinions des élus, grâce à des libertés fondamentales comme les libertés d’expression, de réunion et d’association.

L’irresponsabilité parlementaire vise à assurer à chaque parlementaire « l’exercice indépendant et serein de ses fonctions » 11. Il s’agit, comme l’enseignent les constitutionnalistes depuis bien longtemps, de favoriser la libre manifestation de ses idées, sans qu’il doive « se préoccuper des conséquences que cette manifestation pourrait entraîner » 12, à tout le moins des conséquences judiciaires. Le juriste et ministre belge (Parti social chrétien - PSC) Pierre Wigny ne dit pas autre chose : « Voilà apparemment un étonnant privilège : celui de faire le mal avec impunité. Mais où commence le mal et où finit le bien et, surtout, qui en jugera ? C’est ici que se dessine le danger. On redoute la pression qu’exercerait le gouvernement par l’intermédiaire des ministères publics sur les membres de l’opposition. Trop facilement on considère une critique comme une calomnie et une opposition comme une injure. Il faut que l’exercice de la fonction parlementaire soit absolument libre » 13. En adoptant l’article 58 de la Constitution, le Congrès national a donc voulu préserver l’indépendance des élus à l’égard du pouvoir exécutif et, bien sûr aussi, à l’égard du pouvoir judiciaire. En ce sens, l’irresponsabilité parlementaire est liée, non seulement à la démocratie, mais également au principe de la séparation des pouvoirs.

On comprend que l’irresponsabilité parlementaire soit apparue plusieurs siècles auparavant et jouisse, à ce titre, d’une forte légitimité historique. Elle a d’ailleurs des racines qui remontent au Bill of Rights britannique de 1689, qui prévoit que la liberté de parole ne

10R. HAYOIT DE TERMICOURT, « L’immunité parlementaire » (Mercuriale prononcée à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 15 septembre 1955), Journal des tribunaux, 1955, p. 613. Pour la version néerlandaise, cf. « De parlementaire immuniteit », Rechtskundig weekblad, 1955-1956, p. 49-76.

11M. COSNARD, « Immunités », in D. ALLAND, S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 801.

12J.-J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, 2e édition, Bruxelles, Bruylant-Christophe & Cie, 1876, p. 156. Cf. également P. ERRERA, Traité de droit public belge, Paris, Giard & Brière, 1909, p. 171 ; O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, tome 2, Liège/Paris, Dessain/Giard & Brière, 1908, p. 473.

13P. WIGNY, Droit constitutionnel, tome 2, Bruxelles, Bruylant, 1952, p. 483.

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doit pas pouvoir être mise en cause devant un tribunal ou en dehors du Parlement 14. Auparavant, en Angleterre, du XIVe au XVIe siècle, il était usuel qu’à l’initiative du monarque, des poursuites soient dirigées contre des membres de la Chambre des communes, pour avoir attenté à la Couronne à travers des propositions de loi déposées sur le bureau de l’assemblée ou des discours prononcés devant celle-ci 15. Plus récemment, dans un rapport du Joint Committee on Parliamentary Privilege, institué par le Parlement du Royaume-Uni, l’essence même de l’irresponsabilité parlementaire est décrite de manière particulièrement éclairante : « Sans cette protection, les parlementaires seraient handicapés dans l’exercice de leurs fonctions, et l’autorité du Parlement lui-même face à l’exécutif, et en tant que forum pour exprimer les inquiétudes des citoyens, serait diminuée en conséquence » 16. Les racines historiques de l’irresponsabilité parlementaire passent aussi par la Révolution française, même si les concepts utilisés à l’époque ne coïncident pas nécessairement avec la terminologie retenue ultérieurement. Le 23 juin 1789, c’est l’opposition au roi Louis XVI qui conduisit l’Assemblée nationale, sous l’impulsion d’Honoré Gabriel Riqueti (dit Mirabeau), à adopter le principe de l’« inviolabilité » de la personne des députés aux États généraux 17. La perspective historique montre que l’apparition et l’affirmation des immunités parlementaires s’inscrivent parmi un ensemble de mesures qui visent à reconnaître aux assemblées un pouvoir d’auto-organisation, destiné à les protéger contre l’absolutisme royal 18.

Dans l’intérêt de la démocratie représentative, les parlementaires se voient ainsi réserver un sort plus favorable que les citoyens non parlementaires. En effet, le droit à la liberté d’expression appartient à chacune et chacun, en vertu de l’article 19 de la Constitution, mais aussi de dispositions tirées de conventions internationales liant la Belgique, tel l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). En principe, ce droit peut être limité, dans le but de réprimer les abus dans l’exercice de la liberté d’expression et à la condition que ces limites soient objectivement et raisonnablement justifiables. Mais, en ce qui concerne les parlementaires, le même droit revêt un caractère absolu 19, sous réserve que les propos tenus se situent dans le champ de l’article 58 de la Constitution. Dès le moment où ces propos sortent du champ de l’article 58, son auteur est soumis au même régime que les autres citoyens : il a le droit de s’exprimer librement, mais à la condition ici de respecter les limites posées par la loi. Cette dernière affirmation appelle deux réserves.

14« The freedom of speech and debates or proceedings in Parliament ought not to be impeached or questioned in any court or place out of Parliament ».

15Cf. W. R. ANSON, The law and custom of the Constitution, partie 1 : Parliament, Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 139-140.

16« Without this protection members would be handicapped in performing their parliamentary duties, and the authority of Parliament itself in confronting the executive and as a forum for expressing the anxieties of citizens would be correspondingly diminished » (House of Lords/House of Commons, Joint Committee Reports, « Parliamentary Privilege », 3 volumes, HL Paper 43, HC 214, 9 avril 1999).

17Archives parlementaires de 1787 à 1860, 1re série : 1787-1799, tome 8, Paris, Librairie administrative P. Dupont, 1875, p. 147.

18K. MUYLLE, « L’autonomie parlementaire à l’abri des droits de l’homme ? », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2010, p. 717.

19« Dérogatoire au principe d’égalité mais inhérente à la séparation des pouvoirs, l’irresponsabilité est stricte dans son interprétation mais absolue dans son application » (P. MARTENS, « De quelques contrôles juridictionnels sur les acteurs politiques », op. cit., p. 292).

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D’une part, si les parlementaires ne bénéficient plus, dans ce cas, de l’irresponsabilité, ils n’en sont pas moins soumis au régime particulier prévu à l’article 59 de la Constitution. Il s’agit du régime de l’inviolabilité parlementaire (cf. infra, 2).

D’autre part, les parlementaires restent, en toutes circonstances, des locuteurs singuliers 20. À ce titre, les discours des élus devraient toujours – s’ils ont un caractère politique – être traités avec précaution. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, si tout discours est en principe protégé, des distinctions existent toutefois entre les différentes catégories de discours quant à la densité de la protection que leur accorde la Cour. Ainsi, un discours portant sur des questions d’intérêt général jouit d’une protection plus importante et la Cour admet assez facilement que des propos puissent se présenter comme étant d’intérêt public. Mieux encore, les arrêts de la Cour convergent pour affirmer que, s’agissant du discours politique, les enjeux démocratiques sont à ce point capitaux que les juges doivent adapter leur contrôle à ces enjeux 21. Aux yeux de la Cour, « il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique » 22. En clair, toute ingérence dans la liberté d’expression d’une femme ou d’un homme politique commande aux juges « de se livrer à un contrôle des plus stricts » 23.

Cette obligation de « strict scrutiny » se retrouve dans plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci juge, par exemple, qu’elle doit accorder « la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique » et ajoute que l’« on ne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses » 24. Ou encore que, « vu le caractère fondamental du libre jeu du débat politique dans une société démocratique, la Cour doit rechercher s’il existe des raisons impérieuses pouvant justifier une sanction lourde dans le domaine du discours politique » 25. Dans plusieurs arrêts, la Cour insiste sur le fait que les élus – qu’ils soient nationaux, régionaux ou locaux –, même s’ils ne bénéficient pas d’une irresponsabilité parlementaire ou s’ils ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier, « restent des élus du peuple pour lesquels la liberté d’expression revêt une importance tout aussi accrue qu’au sein d’un parlement au sens strict du terme » 26. Il doit en être ainsi parce qu’un élu du peuple « représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » 27. C’est l’idée que « l’élu concentre en lui la liberté d’expression de tous les électeurs qu’il représente et

20Ce constat fait particulièrement sens dans le contexte belge, compte tenu du champ d’application matériel restrictif de l’irresponsabilité parlementaire (cf. infra, 1.3.2).

21Cf. H. VUYE, N. RENUART, « Le libre débat politique, une valeur essentielle de la démocratie », Chroniques de droit public, 2014, p. 219-243 ; H. VUYE, « La liberté d’expression des hommes et des femmes politiques », in A.-C. RASSON, N. RENUART, H. VUYE (dir.), Six figures de la liberté d’expression, Limal, Anthemis, 2015, p. 115-137.

22Cour européenne des droits de l’homme, Willem c. France, 16 juillet 2009, § 33.

23Cour européenne des droits de l’homme, Piermont c. France, 27 avril 1995, § 76 ; Cour européenne des droits de l’homme, Roseiro Bento c. Portugal, 18 avril 2006, § 41 ; Cour européenne des droits de l’homme, Desjardin c. France, 22 novembre 2007, § 47.

24Cour européenne des droits de l’homme, Brasilier c. France, 11 avril 2006, § 41.

25Cour européenne des droits de l’homme, Erbakan c. Turquie, 6 juillet 2006, § 65.

26Cour européenne des droits de l’homme, Jerusalem c. Autriche, 27 février 2001, § 36.

27Cour européenne des droits de l’homme, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42 ; Cour européenne des droits de l’homme, Willem c. France, 16 juillet 2009, § 32.

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voit donc la puissance de la sienne démultipliée lorsqu’il s’exprime en sa qualité de représentant » 28.

Pour autant que de besoin, nous ajoutons qu’en ce qu’il implique le droit de critiquer, le droit à la liberté d’expression des femmes et hommes politiques est singulièrement crucial pour les membres de l’opposition, qui doivent échapper à toute forme de harcèlement juridique. En effet, « dans un État démocratique attaché à la prééminence du droit et au respect des droits et libertés fondamentaux, il est clair que le rôle même des députés, notamment de ceux qui appartiennent à l’opposition, est de représenter les électeurs en garantissant l’obligation pour le gouvernement en place de rendre des comptes et en évaluant les politiques de celui-ci » 29.

Il n’en demeure pas moins que le débat politique ne peut se dérouler sans limite aucune. Par exemple, dans l’arrêt Féret c. Belgique, datant du 16 juillet 2009, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle les lignes de sa jurisprudence, telle que résumée ci-dessus, mais, dans la foulée, elle ajoute qu’il lui appartient « de statuer en dernier lieu sur leur compatibilité avec la liberté d’expression telle que la consacre l’article 10 [de la CEDH] » 30. En l’occurrence, il était reproché au parti politique belge dont Daniel Féret était le président, à savoir le Front national (FN), d’avoir tenu des propos racistes et xénophobes à l’égard des communautés immigrées et d’avoir manifesté ainsi à leur égard une intolérance risquant « de susciter parmi le public des réactions incompatibles avec un climat social serein et de saper la confiance dans les institutions démocratiques » 31. De manière plus générale, la jurisprudence européenne « se nourrit de l’idée que seule la violence discrédite un discours ou une action politiques » 32.

1.3. LE CHAMP D’APPLICATION DE L’IRRESPONSABILITÉ

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Distinguons les champs d’application personnel, matériel et temporel.

1.3.1. Le champ d’application personnel

L’irresponsabilité parlementaire s’applique à tout membre d’une assemblée législative, quelle que soit la manière dont il a été désigné (élection directe, élection indirecte ou cooptation). Par assemblée législative, il convient de lire la Chambre des représentants, le Sénat, le Parlement wallon, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le Parlement

28Y. LÉCUYER, Les droits politiques dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, Dalloz, 2009 (cité par N. HERVIEU, « La liberté d’expression des personnages politiques en droit européen : “de la démocratie à Strasbourg” », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 8, 2010, p. 107, note 58).

29Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Tanase c. Moldavie, 27 avril 2010, § 166.

30Cour européenne des droits de l’homme, Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, § 63.

31Ibidem, § 77.

32X. BIOY, « La protection renforcée de la liberté d’expression politique dans le contexte de la Convention européenne des droits de l’homme », Les cahiers de droit, volume 53, 2012, p. 742.

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de la Communauté française, le Parlement flamand, le Parlement de la Communauté germanophone, l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune et l’Assemblée de la Commission communautaire française. En revanche, l’Assemblée de la Commission communautaire flamande n’est pas une assemblée législative. En effet, à la différence des assemblées des deux autres commissions communautaires, elle n’a pas le pouvoir d’adopter des normes ayant force de loi et n’est donc qu’« un organisme administratif décentralisé au service de la Communauté flamande » 33.

En vertu de l’article 8, § 4, 1°, 2° et 4°, de la loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983, assistent de droit aux séances du Parlement de la Communauté germanophone, avec voix consultative : les membres de la Chambre des représentants élus dans la circonscription électorale de Liège qui sont domiciliés dans la région de langue allemande et qui ont prêté le serment constitutionnel uniquement ou en premier lieu en allemand ; les membres du Parlement wallon élus dans la circonscription électorale de Verviers qui sont domiciliés dans la région de langue allemande et qui ont prêté le serment constitutionnel uniquement ou en premier lieu en allemand ; les sénateurs visés à l’article 67, § 1er, 6° et 7°, de la Constitution (c’est-à-dire les sénateurs cooptés), pour autant qu’ils soient domiciliés dans la région de langue allemande et aient prêté le serment constitutionnel uniquement ou en premier lieu en allemand ; et le membre du Parlement européen élu dans la circonscription électorale germanophone qui est domicilié dans la région de langue allemande. C’est en leur qualité de parlementaire que ces différentes personnes sont présentes au Parlement de la Communauté germanophone, ce qui suffit à justifier que les propos tenus dans ce cadre soient couverts par l’irresponsabilité parlementaire.

Qu’en est-il d’une personne qui, tel un journaliste, reprend un extrait d’un document officiel de l’assemblée parlementaire ? De deux choses l’une. Soit le journaliste cite l’extrait « fidèlement, de bonne foi et en dehors de toute intention méchante » 34 ; alors, il ne pourra être poursuivi et jugé. Soit il « rédige un compte rendu personnel des travaux parlementaires » ; alors, « il reste soumis au droit commun et peut donc être tenu pour responsable » 35.

En revanche, l’irresponsabilité parlementaire ne s’applique pas aux membres – ministres ou secrétaires d’État – du gouvernement fédéral et des gouvernements régionaux et communautaires. Les ministres et secrétaires d’État ne jouissent pas moins d’une protection équivalente depuis 1993 36.

Celle-ci trouve son origine dans l’article 50 de la Constitution, adopté en 1993. Jusqu’à cette époque, un membre de la Chambre des représentants ou du Sénat pouvait être nommé en qualité de ministre ou de secrétaire d’État fédéral tout en continuant à siéger au sein de son assemblée. En 1993, le constituant a inséré dans la Constitution un

33Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, 3e édition, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 831. On rappellera toutefois que les membres de l’Assemblée de la Commission communautaire flamande sont les membres du groupe linguistique néerlandais du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.

34Conclusions du premier avocat général G. Terlinden sous Cour de cassation, 11 avril 1904 (Pasicrisie belge, 1904, I, p. 200).

35Chambre des représentants, L’irresponsabilité parlementaire, Bruxelles, 2015, p. 20, www.lachambre.be.

36Pour une étude d’ensemble sur les irresponsabilités des parlementaires et des ministres, cf. H. VUYE, « Les irresponsabilités parlementaire et ministérielle : les articles 58, 101, alinéa 2, 120 et 124 de la Constitution », Chroniques de droit public, 1997, p. 2-27.

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nouvel article 50 qui rend incompatible la fonction de ministre ou de secrétaire d’État du gouvernement fédéral et un mandat de membre de la Chambre des représentants ou du Sénat 37. Le parlementaire fédéral que le Roi nomme ministre ou secrétaire d’État fédéral, s’il accepte cette nomination, ne siège plus au sein de son assemblée. Il y est remplacé « par le premier suppléant en ordre utile de la liste sur laquelle il a été élu » 38. De deux choses l’une : soit le parlementaire devenu ministre ou secrétaire d’État reste au gouvernement fédéral jusqu’à la fin de la législature ; soit il cesse d’y exercer ses fonctions, pour une raison ou pour une autre, avant le terme de la législature. Dans ce dernier cas, il retrouve son mandat parlementaire, raison pour laquelle on considère que le suppléant est, lorsqu’il le remplace, sur « un siège éjectable », selon l’expression du constitutionnaliste et alors parlementaire (PSC puis Centre démocrate humaniste - CDH) Francis Delpérée 39. Toutefois, le ministre ou le secrétaire d’État fédéral siégeant au sein d’un gouvernement fédéral dont la démission a été présentée au Roi peut, après renouvellement intégral des chambres législatives, concilier sa fonction de ministre ou de secrétaire d’État avec le mandat de membre de l’une des deux chambres jusqu’au moment où le Roi a statué définitivement sur la démission du gouvernement fédéral jusque-là en affaires courantes 40.

En privant les ministres et secrétaires d’État fédéraux de leur qualité de parlementaire, l’article 50 de la Constitution les a soustraits du régime de l’irresponsabilité parlementaire. Or, bien qu’ils cessent de siéger comme parlementaires, ils ont encore leur entrée dans chacune des deux assemblées du Parlement fédéral. Ce pouvoir leur est reconnu par l’article 100, alinéa 1er, de la Constitution. Concrètement, ils se déplacent au Palais de la Nation pour présenter et défendre un projet de loi ou des amendements à un projet ou une proposition de loi, pour répondre à une interpellation ou à une question parlementaire, pour témoigner dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, etc. Le constituant a donc jugé pertinent de les soumettre à un régime d’irresponsabilité comparable à celui prévu pour les parlementaires à l’article 58 de la Constitution. En 1993, un alinéa 2 a été inséré à l’article 101 de la Constitution, qui dispose qu’aucun ministre fédéral « ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions émises par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Cette disposition est également applicable aux secrétaires d’État fédéraux, en vertu de l’article 104, alinéa 4, de la Constitution. De toute évidence, la formulation retenue est directement inspirée de celle de l’article 58 de la Constitution, qui est le siège de l’irresponsabilité parlementaire. Elle est constitutive d’une sorte d’« irresponsabilité ministérielle » pour certains actes, étant entendu que, pour les autres actes, on applique les règles particulières de poursuites et de jugement prévues par l’article 103 de la Constitution et par la loi du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres (fédéraux) 41.

Deux griefs peuvent être élevés à l’égard de cette irresponsabilité ministérielle.

37Cf. A.-F. COLLA, « Essai de synthèse sur les incompatibilités parlementaires : dépassement de leurs revers pour une moralisation de la politique », Annales de droit de Louvain, 2012, p. 294.

38Article 1erbis, alinéa 1er, de la loi du 6 août 1931 établissant des incompatibilités et interdictions concernant les ministres, anciens ministres et ministres d’État, ainsi que les membres et anciens membres des chambres législatives, Moniteur belge, 14 août 1931.

39Cité par F. BAETENS-SPETSCHINSKY, « Article 50 », in M. VERDUSSEN (dir.), La Constitution belge. Lignes et entrelignes, Bruxelles, Le Cri, 2004, p. 159.

40Article 1erbis, alinéa 3 de la loi du 6 août 1931 précitée.

41Moniteur belge, 26 juin 1998.

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Le premier grief concerne le principe même de l’irresponsabilité ministérielle qui traduit, à notre sens, un dévoiement de la règle de l’irresponsabilité parlementaire. Celle-ci ne vise pas à protéger toute personne, quelle qu’elle soit, s’exprimant à l’intérieur de l’enceinte parlementaire. Elle procède plutôt de la volonté de favoriser la liberté d’expression des parlementaires. En somme, elle ne se justifie que pour les élus. Il est regrettable que cette donnée n’ait pas été mieux prise en considération lors des débats parlementaires.

Le second grief concerne la portée de l’irresponsabilité ministérielle. Quels sont les actes couverts par celle-ci ? En toute logique, l’irresponsabilité ministérielle devrait recevoir une portée comparable avec la portée de l’irresponsabilité parlementaire, celle-là s’inspirant de celle-ci 42. Cependant, il semble que, dans la pratique, la règle reçoive une interprétation et une application qui vont bien au-delà de ce qui était envisagé par le constituant. En effet, l’irresponsabilité ministérielle est étendue à l’expression de toute opinion émise en lien avec leurs fonctions ministérielles 43. À cet égard, on se souviendra des déclarations à la presse du Premier ministre Guy Verhofstadt (Vlaamse Liberalen en Democraten - VLD), en 2002, sur l’arrestation d’Abou Jajah, fondateur d’une association politique nationaliste arabe, la Ligue arabe européenne, à la suite de manifestations à Anvers consécutives à un crime raciste et qui avaient dégénéré : « Cette organisation est un danger pour notre société surtout parce qu’[A. Jajah] ne veut pas créer une cohabitation pacifique entre les communautés religieuses dans notre pays. Il est très clair que l’on cherche par des confrontations, des provocations à créer des troubles dans la vie des quartiers ».

Or une telle lecture de l’article 101, alinéa 2, de la Constitution ne colle pas avec le motif ayant justifié son adoption. Pourquoi les ministres devraient-ils être mieux protégés après 1993 qu’ils ne l’étaient avant ? L’extension aux ministres de l’irresponsabilité dont jouissent les parlementaires, à la supposer justifiable – ce qui, on vient de le voir, est discutable –, devrait se comprendre uniquement par rapport à ce qui nécessite leur présence au Parlement (interpellations, débats, etc.) 44.

Au niveau des Régions et des Communautés, le constituant a consacré en 1993 la même irresponsabilité ministérielle. L’article 124 de la Constitution, rendu applicable aux secrétaires d’État régionaux bruxellois par l’article 126 de la Constitution, dispose en ce sens qu’« aucun membre d’un gouvernement de Communauté ou de Région ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». En effet, les membres des gouvernements régionaux et communautaires sont soumis à des règles d’incompatibilité comparables à celle de l’article 50 de la Constitution. Tout d’abord, l’article 24bis, § 2bis, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 prévoit que « le membre du Parlement de la Communauté française, du Parlement wallon ou du Parlement flamand, nommé par le Roi en qualité de ministre ou de secrétaire d’État fédéral et qui l’accepte, cesse immédiatement de siéger et reprend son mandat lorsqu’il a été mis fin par le Roi à ses fonctions de ministre ou de secrétaire d’État » 45. Ensuite, l’article 59, § 4, de la même loi spéciale dispose que

42S’agissant des actes couverts par l’irresponsabilité parlementaire, cf. infra, 1.3.2.

43Cf., en ce sens, Chambre des représentants, L’irresponsabilité parlementaire, op. cit., p. 20, note 10.

44Cf., par exemple, Cour d’appel de Bruxelles, 8 septembre 2008, n° 2005AR205 (réponse à une interpellation parlementaire).

45Cf. également l’article 12, § 3, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (Moniteur belge, 14 janvier 1989) et l’article 10ter, § 3, alinéa 1er, de la loi de réformes

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« le membre de la Chambre des représentants ou le sénateur visé à l’article 67, § 1er, 6° et 7°, de la Constitution, élu membre du gouvernement wallon, du gouvernement de la Communauté française ou du gouvernement flamand, cesse immédiatement de siéger et reprend son mandat lorsque ses fonctions de ministre prennent fin » 46. Enfin, l’article 49, § 2, de la même loi spéciale, dans le cadre des dispositions relatives à l’autonomie constitutive des Régions et Communautés, énonce que « le Parlement de la Communauté française, le Parlement wallon et le Parlement flamand peuvent, chacun en ce qui le concerne, décider par décret qu’un membre du Parlement, élu en qualité de membre de leur gouvernement, cesse immédiatement de siéger et reprend ses fonctions après avoir démissionné de ses fonctions de membre du gouvernement ». Trois décrets ont été adoptés en ce sens par la Communauté française, la Région wallonne et la Communauté flamande 47. S’agissant de la Communauté germanophone, l’article 10ter de la loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983 prévoit que « le membre du Parlement qui a été élu en qualité de membre du gouvernement cesse immédiatement de siéger et reprend son mandat lorsque ses fonctions de ministre prennent fin » (§ 1er, alinéa 1er) ; il ajoute que le Parlement peut par décret modifier, compléter, remplacer ou abroger cette disposition du § 1er, à la condition de prévoir des dispositions pour le remplacement du membre du Parlement (§ 5). Pour ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, c’est la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises qui, à l’article 10bis, alinéa 1er, dispose que le membre du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale « qui a été élu par le Parlement en qualité de membre du gouvernement ou de secrétaire d’État régional, cesse immédiatement de siéger et reprend son mandat lorsque ses fonctions de membre du gouvernement ou de secrétaire d’État régional prennent fin ». En d’autres termes, pour la Région de Bruxelles-Capitale, l’incompatibilité ne relève pas de son autonomie constitutive. En effet, la possibilité de cumuler ou non la fonction de parlementaire bruxellois et celle de ministre ou secrétaire d’État bruxellois fait partie des matières que le législateur spécial n’a pas soumises à l’autonomie constitutive de la Région de Bruxelles-Capitale, matières qu’il considère comme des garanties au profit des personnes d’appartenance linguistique française ou néerlandaise sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale 48.

Ces incompatibilités propres aux entités fédérées étant décrétées, non par la Constitution elle-même – à la différence de celle de l’article 50 de la Constitution s’agissant du niveau

institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983 (Moniteur belge, 18 janvier 1984).

46Cf. également l’article 35, § 3bis, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloise et l’article 10ter, § 2, alinéa 1er, de la loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983.

47Décret spécial de la Communauté française du 24 juillet 1995 organisant le remplacement des ministres au sein du Parlement de la Communauté française, Moniteur belge, 29 juillet 1995 ; Décret spécial wallon du 13 juillet 1995 organisant le remplacement des ministres par leur suppléant parlementaire, Moniteur belge, 21 juillet 1995 ; Décret spécial flamand du 26 juin 1995 établissant des incompatibilités avec le mandat de membre du Parlement flamand, Moniteur belge, 1er juillet 1995. Ce dernier décret a été abrogé par le décret spécial flamand du 7 juillet 2006 relatif aux institutions flamandes (Moniteur belge, 17 octobre 2006) qui, en son article 5, § 2, alinéa 1er, dispose que « le membre du Parlement flamand qui prête serment comme membre du gouvernement flamand cesse immédiatement de siéger » et qu’il « est remplacé par le premier suppléant entrant en considération de la liste sur laquelle il a été élu ».

48Q. PEIFFER, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2350-2351, 2017, p. 41.

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de pouvoir fédéral –, mais par ou en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, l’article 124 de la Constitution étend – dans l’éventualité où ces fonctions, à un quelconque niveau fédéré, seraient cumulables – l’irresponsabilité aux opinions et aux votes émis dans l’exercice des fonctions ministérielles, là où l’article 101, alinéa 2, la limite aux seules opinions. On peut cependant discuter de la valeur ajoutée des mots « ou votes ». En effet, « si un membre d’un gouvernement régional ou communautaire est également parlementaire, il est, en vertu de l’article 120 de la Constitution, protégé à ce titre pour les votes qu’il exprime au sein de l’assemblée et il n’était guère utile de protéger son vote deux fois, une première fois en qualité de ministre, une seconde fois en qualité de parlementaire » 49.

1.3.2. Le champ d’application matériel

L’irresponsabilité parlementaire s’applique aux opinions et aux votes que les élus expriment dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires et qui sont constitutifs d’une infraction pénale. Les autres actes posés par les parlementaires échappent à l’article 58 et tombent sous le coup de l’inviolabilité de l’article 59 (cf. infra, 2). Deux conditions sont donc requises pour que l’article 58 trouve à s’appliquer.

Primo, il convient que l’acte pénalement répréhensible soit une opinion ou un vote. Cela est cohérent par rapport à ce qui justifie l’irresponsabilité parlementaire (cf. supra, 1.2). La volonté générale ne se forme-t-elle pas par les opinions et les votes des élus du peuple ?

Il en est ainsi, par exemple, d’infractions comme la calomnie, la diffamation ou l’injure, visées aux articles 443 à 452 du Code pénal dans un chapitre intitulé « Des atteintes portées à l’honneur ou à la considération des personnes ». Sont également visées certaines infractions prévues par des lois pénales particulières. On retiendra à titre d’exemple les articles 20 50 et 21 de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie 51, ou encore l’article 1er de la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale 52.

49M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, Bruxelles/Limal, Bruylant/Anthemis, 2014, p. 482, note 1.

50Complété par l’article 115 de la loi du 5 mai 2019 portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie et le Code pénal social (Moniteur belge, 24 mai 2019) : « 5° Quiconque, dans l’une des circonstances indiquées à l’article 444 du Code pénal, nie, minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l’humanité ou à un crime de guerre tel que visé à l’article 136quater du Code pénal, établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale, sachant ou devant savoir que ce comportement risque d’exposer soit une personne, soit un groupe, une communauté ou leurs membres, à la discrimination, à la haine ou à la violence, en raison de l’un des critères protégés ou de la religion, au sens de l’article 1er, § 3, de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, et ce même en dehors des domaines visés à l’article 5 ».

51Moniteur belge, 8 août 1981.

52Moniteur belge, 30 mars 1995. À ce sujet, cf. G. GRANDJEAN, « La reconnaissance des génocides et la répression du négationnisme », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2304-2305, 2016.

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Si la notion de vote ne prête pas à discussion – sauf à souligner qu’elle est redondante : tout vote est l’expression d’une opinion –, la notion d’opinion doit être précisée.

On retiendra que l’opinion peut être exprimée oralement ou par écrit, voire par des gestes. En revanche, les actes de violence, tels les coups et blessures, ne bénéficient d’aucune protection constitutionnelle. Ainsi, par un arrêt du 31 octobre 1900, la cour d’appel de Bruxelles a écarté l’application de l’article 58 de la Constitution à un membre de la Chambre des représentants – Célestin Demblon (Parti ouvrier belge - POB) – qui, à la suite d’une interruption de séance publique déclenchée par un de ses collègues, s’était précipité vers lui pour le frapper 53. L’intéressé était poursuivi pour le délit d’outrage par faits, puni par l’article 275 du Code pénal. En revanche, « un simple geste, tel qu’un pied-de-nez, devrait (…) être assimilé plutôt à l’expression d’une opinion qu’à une voie de fait », écrit un auteur tout en reconnaissant que « la distinction est subtile » 54. Elle est surtout très anecdotique.

On retiendra également qu’à la condition d’être liées à l’exercice des fonctions (cf. infra), toutes les opinions constitutives d’une infraction pénale sont couvertes par l’irresponsabilité parlementaire, sans aucune exception. Ce n’est pas le cas dans tous les États. En Allemagne, par exemple, l’article 46-1 de la Loi fondamentale soustrait les « injures diffamatoires » (« verleumderische Beleidigungen ») à l’irresponsabilité parlementaire qui, dans ce cas, peut donc être levée. Dans le même sens, l’article 61-2 de la Constitution grecque autorise des poursuites pour « diffamation calomnieuse » (« συκοφαντικη δυσφημιση »), moyennant l’autorisation du parlement monocaméral grec, la Voulí.

Secundo, l’acte doit avoir été commis dans l’exercice des fonctions parlementaires.

Le critère généralement mobilisé est celui du lieu où les propos ont été tenus : lorsque l’opinion est émise dans l’enceinte du Parlement, elle est couverte et, si ce n’est pas le cas, elle peut donner lieu à des poursuites 55. Cela signifie-t-il que l’opinion doit toujours avoir été émise dans l’enceinte du Parlement ? Le plus souvent, ce sera le cas, mais il n’en est pas nécessairement ainsi. D’une part, il arrive qu’un organe parlementaire tienne une réunion en dehors de l’enceinte du Parlement. On pense notamment aux commissions d’enquête parlementaire qui peuvent décider de se déplacer en d’autres lieux 56. Ainsi, le 22 avril 2016, les membres de la commission d’enquête Attentats terroristes se sont rendus à l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem et à la station de métro bruxelloise Maelbeek, où ils ont pu rencontrer, de manière informelle, le personnel et d’autres témoins directs des attentats qui avaient été commis en ces lieux, le 22 mars 2016, par des terroristes se réclamant de l’organisation terroriste d’idéologie salafiste djihadiste État islamique 57. D’autre part, il est des opinions émises dans l’enceinte du Parlement qui ne peuvent être liées à l’exercice des fonctions parlementaires. Lorsque, par exemple, un élu organise

53Cour d’appel de Bruxelles, 31 octobre 1900 (Pasicrisie belge, 1901, II, p. 34). Dans le même sens, cf. Chambre des représentants, Commission [des poursuites], Poursuites engagées contre MM. les représentants Jaspar (M.-H.), Lahaut (J.) et Delbrouck (R.). Rapport, n° 177, 7 avril 1938, p. 5.

54P. ERRERA, Traité de droit public belge, op. cit., p. 172-173.

55Tribunal de première instance de Bruges, 17 décembre 2007 (Auteurs et média, 2008, p. 151).

56Cf. notamment P. ERRERA, Traité de droit public belge, op. cit., p. 173 ; O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 274 ; J.-J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, op. cit., p. 157.

57Chambre des représentants, Commission d’enquête Attentats terroristes, 22 mars 2016. Résumé des travaux et recommandations, Bruxelles, 2018 p. 16.

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dans une salle du Parlement une conférence de presse, que ce soit pour annoncer la publication d’un ouvrage ou pour tout autre motif personnel, les propos qu’il tient ne sont pas couverts par l’irresponsabilité 58.

Il paraît préférable de dire que l’opinion doit avoir été émise dans le cadre d’une réunion d’un organe parlementaire institué par la Constitution, par une loi ou par un règlement parlementaire (assemblée plénière, conférence des présidents, bureau, commission, réunions de groupes politiques 59, etc.) ou dans le cadre de documents officiels publiés par l’assemblée parlementaire (proposition de loi, amendement, rapport de commission, question écrite, etc.) 60. La Cour suprême des États-Unis va en ce sens : « Afin de déterminer si des activités spécifiques autres que le discours ou le débat tombent dans la “sphère législative légitime”, il y a lieu d’examiner si ces activités ont été menées au cours d’une session de la Chambre par un de ses membres en lien avec les affaires dont elle est saisie. (…) Plus précisément, il y a lieu de déterminer si les activités font partie intégrante des procédures de délibération et de communication par lesquelles les députés participent aux travaux des commissions et de la Chambre en ce qui concerne l’examen et l’adoption ou le rejet des projets de loi ou en ce qui concerne d’autres questions dont la Constitution attribue la compétence à l’une ou l’autre Chambre » 61.

58Cf. Cour d’appel de Gand, 30 septembre 1994 (Algemeen juridisch tijdschrift, 1994-1995, p. 220 : cas d’une conférence de presse dans les locaux du Parlement européen).

59Cf. notamment J. VANDE LANOTTE, G. GOEDERTIER, Handboek Belgisch Publiekrecht, Bruges, Die Keure, 2013, p. 729. Cf. cependant : « Le député qui assiste à une réunion de son groupe politique de la Chambre n’agit pas dans l’exercice de ses fonctions parlementaires et les propos qu’il tient à cette réunion ne sont pas couverts par l’immunité », qui couvre « le travail parlementaire, mais non le travail d’un parti » ou, en d’autres mots, qui « protège le député dans l’exercice de son mandat parlementaire, mais ne le protège pas dans l’exercice de son activité politique ou partisane » (Cour d’appel de Bruxelles, 2 février 1938 : Pasicrisie belge, 1938, II, p. 7). Cette décision ne peut plus avoir la valeur d’un précédent. En effet, il n’est personne aujourd’hui pour contester sérieusement que les groupes politiques sont bien des organes parlementaires, leur existence étant consacrée par les règlements des assemblées parlementaires. Cela étant, l’application de l’irresponsabilité parlementaire aux groupes politiques doit « être interprétée de façon restrictive », ce qui exclut « une journée d’étude organisée par un groupe mais accessible à des tiers, une délégation d’un groupe participant à une activité ne relevant pas des travaux parlementaires, etc. » (Chambre des représentants, L’irresponsabilité parlementaire, op. cit., p. 22, note 22). Dès 1992, l’inclusion dans le champ d’application matériel de l’irresponsabilité parlementaire des réunions tenues par les groupes politiques dans l’enceinte du Parlement a d’ailleurs été expressément confirmée par la commission des poursuites de la Chambre des représentants à l’occasion de l’examen d’une demande de suspension des poursuites. Cf. Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 781-1, 7 décembre 1992, p. 6 : « Une controverse s’est engagée sur le point de savoir si les opinions qui sont émises au cours de réunions de groupes politiques tenues dans l’enceinte du Parlement sont également visées par l’article précité [58] de la Constitution. Étant donné que les groupes politiques sont reconnus, en tant que tels, par les règlements de la Chambre des représentants et du Sénat et qu’il découle de l’article 60 de la Constitution que les règlements ont force de loi, on peut considérer que les opinions émises au cours des réunions de groupes politiques relèvent également du champ d’application de l’article 58 » (cette source cite dans le même sens, entre autres auteurs, cf. HAYOIT DE TERMICOURT, « L’immunité parlementaire », op. cit., p. 613-614 ; J. VELU, Droit public, tome 1 : Le statut des gouvernants, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 498).

60Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 781-1, 7 décembre 1992, p. 6 (repris dans Chambre des représentants, Commission des poursuites, Demande de suspension des poursuites (article 59, alinéa 5, de la Constitution. Rapport, n° 2279-1, 21 juin 2012, p. 10) ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1946-1, 16 juillet 2002, p. 14-15.

61« In determining whether particular activities other than literal speech or debate fall within the “legitimate legislative sphere” we look to see whether the activities took place in a session of the House by one of its members in relation to the business before it. (…) More specifically, we must determine whether the activities are an

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Cela revient à dire que c’est finalement à l’assemblée elle-même, dans le cadre de son autonomie organique (consacrée au niveau fédéral par l’article 60 de la Constitution), de déterminer dans son règlement les organes et les documents liés à l’exercice de la fonction parlementaire et qui donc tombent sous le coup de l’article 58 de la Constitution. Mais c’est à la condition que, ce faisant, l’assemblée ne méconnaisse pas une norme supérieure.

Que penser alors de l’article 120-4 du règlement de la Chambre des représentants qui autorise la commission de Révision de la Constitution et des Réformes institutionnelles à « siéger et être saisie directement de propositions de révision de la Constitution émanant soit du gouvernement, soit de l’initiative parlementaire », et ce « nonobstant la clôture de la session » ? Ne heurte-il pas l’article 44 de la Constitution relatif aux sessions parlementaires ? Il reste que, s’agissant de l’irresponsabilité parlementaire, on peut admettre que, eu égard à l’esprit de l’article 58 de la Constitution, des propos tenus en dehors d’une session parlementaire, qu’elle soit ordinaire ou extraordinaire, soient couverts par l’irresponsabilité 62.

Compte tenu de ce qui précède, on s’accorde donc généralement pour considérer qu’une conférence de presse, une interview ou un meeting sortent du champ des activités couvertes par l’irresponsabilité parlementaire, peu importe le lieu où ces activités sont menées (dans ou hors de l’enceinte du Parlement). Ainsi, la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 18 avril 2006, a écarté l’argument tiré de l’irresponsabilité parlementaire pour des faits de racisme commis sur le site Internet et par le biais d’imprimés d’un parti politique : le Front national (FN) 63. On trouve des exemples comparables dans la jurisprudence étrangère. En France, par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 mars 1988 (affaire Forni), a jugé que n’étaient pas couverts par l’irresponsabilité parlementaire des propos tenus à la radio par un membre de l’Assemblée nationale relativement à une décision de justice condamnant un responsable politique de Nouvelle-Calédonie du chef d’atteinte à l’intégrité du territoire 64. En Espagne, le Tribunal constitutionnel s’est prononcé dans le même sens, le 10 avril 1985, à propos d’un article injurieux à l’égard du gouvernement (« delito de injurias al gobierno ») publié par un sénateur, en décidant que les actes qu’il commet en tant qu’homme politique ne bénéficient d’aucune irresponsabilité 65.

Une distinction s’impose donc entre les opinions qu’un parlementaire exprime en cette qualité, en lien avec ses activités officielles d’élu, et celles qu’il exprime comme femme ou homme politique, en lien avec ses activités politiques, au sens large du terme.

integral part of the deliberative and communicative processes by which Members participate in committee and House proceedings with respect to the consideration and passage or rejection of proposed legislation or with respect to other matters which the Constitution places within the jurisdiction of either House » (Supreme Court of the United States, Eastland v. United States Servicemen’s Fund, 421 U.S. 491 (1975), 27 mai 1975).

62Cf., en ce sens, Chambre des représentants, L’irresponsabilité parlementaire, op. cit., p. 19.

63 Cour d’appel de Bruxelles, 18 avril 2006 (reproduit sur le site Internet d’Unia : www.unia.be). En juillet 2002, la commission des poursuites de la Chambre des représentants avait considéré sans équivoque que l’article 58 de la Constitution – qui est de stricte interprétation – n’était pas applicable à ces faits (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1946-1, 16 juillet 2002, p. 19).

64 Cour de cassation de France, 7 mars 1988 (La Semaine juridique, 1988, II, n° 21133).

65 Tribunal Constitucional, arrêt STC 51/1985, 10 avril 1985 (Boletin de Jurisprudencia Constitucional, 1985, n° 49, p. 543).

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Un problème particulier s’est posé : le parlementaire qui se limite à reproduire à l’extérieur des propos couverts par l’irresponsabilité parlementaire continue-t-il à bénéficier de celle-ci ? Ce problème a donné lieu à un très intéressant arrêt de la Cour constitutionnelle italienne 66. Deux conseillers régionaux appartenant au Conseil régional de la Région Vénétie avaient adressé une interpellation à l’exécutif, dans laquelle ils manifestaient de forts doutes sur l’impartialité de jugement de certains experts appelés à faire partie d’une commission chargée d’évaluer l’affaissement dans la lagune de Venise lié à l’extraction de méthane par la société pétrolière Azienda Generale Italiana Petroli (AGIP). Ces doutes provenaient du fait que ces experts avaient eu une longue habitude de travail avec l’AGIP. Par la suite, les arguments développés dans l’interpellation avaient été repris dans un quotidien local sous la signature de l’un des deux conseillers. L’impartialité des experts était une nouvelle fois mise en doute. Ces derniers déposèrent alors une plainte pour diffamation aggravée par moyen de presse et le juge décida du renvoi du conseiller régional, auteur de l’écrit, en jugement. La Région Vénétie souleva, à propos de cet acte, un conflit d’attribution contre l’État, afin de faire déclarer par la Cour constitutionnelle que l’État n’avait pas compétence (et donc le juge pour les enquêtes préliminaires du tribunal de Venise non plus) pour prendre des actes destinés à mettre en jeu la responsabilité d’un conseiller régional dont les actes doivent être considérés comme étant couverts par l’immunité prévue par l’article 122 de la Constitution. En effet, ce dernier dispose que les membres des Conseils régionaux ne sont pas responsables des opinions qu’ils ont exprimées et des votes qu’ils ont effectués dans l’exercice de leurs fonctions. Selon la jurisprudence constitutionnelle, cette exonération de responsabilité est destinée à assurer l’autonomie et l’indépendance que la charte constitutionnelle prévoit pour le Conseil régional et concerne principalement les activités des conseillers qui constituent la manifestation typique de leur fonction. La jurisprudence dénombre principalement, parmi ces actes typiques, les interrogations et interpellations que tout conseiller régional, dans l’exercice de la fonction d’orientation politique et de contrôle qui lui incombe, peut adresser à l’exécutif régional. Selon la Cour, on doit considérer qu’est exempt de responsabilité le conseiller régional qui manifeste de nouveau dans un organe de presse les opinions qu’il avait déjà exprimées dans une interpellation destinée à l’exécutif régional.

En Belgique, la Cour de cassation a jugé en 1904 que si l’élu « reproduit en dehors de l’enceinte parlementaire ou publie son discours, sa responsabilité redevient entière » 67. En l’espèce, il s’agissait d’un membre de la Chambre des représentants qui, en guise de réponse à des accusations dirigées contre lui, avait fait publier dans un journal – Le Courrier de l’Escaut – une reproduction d’un discours antérieurement prononcé en séance publique et inséré aux Annales parlementaires. Cette interprétation nous apparaît comme excessivement formaliste. Dans un arrêt rendu la même année, la cour d’appel de Liège a considéré qu’en se bornant, dans un droit de réponse publié dans un journal – La Meuse, cette fois –, à opposer un discours prononcé à la tribune de la Chambre des représentants, à titre de réfutation d’accusations dirigées contre lui, un député reste couvert par l’irresponsabilité parlementaire, dès le moment où il a pris la précaution « sans artifice de style apparent ou vraisemblable, de n’user de son droit de réponse que par une référence

66Corte Costituzionale della Repubblica Italiana, sentence n° 391/1999, 13 octobre 1999 (Gazzetta Ufficiale, 27 octobre 1999, n° 43).

67Cour de cassation, 11 avril 1904 (Pasicrisie belge, 1904, I, p. 199, avec les conclusions conformes de l’avocat général G. Terlinden).

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purement indicative de son discours » 68. On a pu à cet égard observer que « se rapporter à ce que l’on a dit est autre chose que le répéter ou le reproduire » 69. La différence nous paraît passablement artificielle.

1.3.3. Le champ d’application temporel

L’irresponsabilité parlementaire étant consubstantielle à la qualité de parlementaire, elle est en tout cas applicable dès la prestation de serment de l’élu. Peut-elle trouver à s’appliquer avant ? Soucieux de faire prévaloir l’esprit de l’article 58 de la Constitution et donc de ne pas pécher par excès de formalisme, la Chambre des représentants et le Sénat sont d’avis que la procédure de vérification des pouvoirs de l’article 48 de la Constitution, qui précède la prestation de serment, est déjà couverte par l’irresponsabilité 70. Cette opinion n’est défendable qu’à la condition d’admettre que la proclamation de l’élection d’un député fédéral ou d’un sénateur par le bureau principal, en vertu de l’article 174 du Code électoral, fait présumer de sa qualité de parlementaire et, partant, lui confère le bénéfice des immunités attachées à cette qualité : provision est due à l’élection 71. La présomption est réfragable : elle peut être renversée lors de la validation des pouvoirs.

La même solution s’impose pour les parlementaires régionaux et communautaires. Quant aux sénateurs cooptés, ils sont couverts dès le moment de leur désignation.

Par la force des choses, l’irresponsabilité parlementaire ne trouve plus à s’appliquer après l’expiration du mandat. Gardons à l’esprit cependant qu’elle est perpétuelle, en ce sens qu’elle se prolonge au-delà de l’expiration du mandat parlementaire pour les actes commis pendant l’exercice de celui-ci.

1.4. LE CONTENU DE L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE

Généralement, on parle d’« irresponsabilité » lorsque le principe même de la responsabilité pénale ou civile est en cause. « Le titulaire de la charge publique échappe », a écrit le juriste Philippe Ségur, « à toute qualification pénale ou civile pour les actes accomplis dans

68Cour d’appel de Liège, 6 janvier 1904 (Pasicrisie belge, 1904, II, p. 284). Pour une critique de cet arrêt, cf. O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 475-476.

69H. VUYE, « Les irresponsabilités parlementaire et ministérielle », op. cit., p. 19.

70Chambre des représentants, L’irresponsabilité parlementaire, op. cit., p. 10. Cf. également Chambre des représentants, Commission des poursuites, Demande de suspension des poursuites (article 59, alinéa 5, de la Constitution. Rapport, n° 2279-1, 21 juin 2012, p. 7 (faisant référence à Chambre des représentants, Commission des poursuites, Requête en suspension de la détention d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 14-1, 20 décembre 1991, p. 7).

71Le 19 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a confirmé l’immunité du président du parti Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), l’indépendantiste Oriol Junqueras Vies, élu au Parlement européen en mai 2019 puis condamné en octobre par la justice espagnole pour « sédition », à treize ans de prison et d’inéligibilité pour son rôle dans l’organisation du référendum catalan du 1er octobre 2017, la Cour considérant que « l’acquisition de la qualité de membre du Parlement européen, aux fins de l’article 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union, intervient du fait et au moment de la proclamation officielle des résultats électoraux effectuée par les États membres » (affaire C-502/19, § 71).

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l’exercice de ses fonctions » 72. Mais l’irresponsabilité n’est-elle pas en soi une fiction ? Dire d’un parlementaire qu’il est irresponsable, ce n’est pas constater qu’il l’est, mais c’est faire comme s’il l’était, en rendant impossibles toutes poursuites à son encontre : ni recherches ni poursuites, dit l’article 58 de la Constitution 73. Pour dire les choses clairement, est-on bien sûr que l’irresponsabilité est une règle matérielle ? N’est-elle pas plutôt une règle procédurale ? Si l’on défend l’idée que l’irresponsabilité est une règle matérielle, en ce qu’elle supprime la qualification pénale des faits susceptibles d’être imputés, comment expliquer qu’en vertu de l’article 27-1 du statut de la Cour pénale internationale (CPI), les chefs d’État ou de gouvernement, les membres d’un gouvernement ou d’un Parlement, les représentants élus ou agents d’un État, ne peuvent en aucun cas être exonérés de leur responsabilité pénale ? On le voit : comme l’écrit le constitutionnaliste français Jean Gicquel, « les irresponsables n’en sont pas moins responsables » 74.

L’irresponsabilité parlementaire revêt un caractère absolu. Pour les actes couverts par l’article 58 de la Constitution, et quelle que soit leur gravité, les élus sont exonérés de toute responsabilité, tant sur le plan civil qu’au niveau pénal. En ce sens, l’article 58 déroge à l’article 19 de la Constitution, qui garantit « la liberté de manifester ses opinions en toute matière » mais sous réserve de « la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ». Cette exonération interdit la saisie de tout discours ou document que le parlementaire aurait lu lors d’une réunion d’un organe officiel de l’assemblée, même – selon nous – si cette saisie est liée à des poursuites contre un tiers 75. Elle s’étendpar ailleurs aux poursuites disciplinaires qui peuvent être engagées par des ordres professionnels 76. L’irresponsabilité parlementaire étant d’ordre public, l’élu ne peut en aucun cas y renoncer 77. Cette impossibilité de renoncer se constate dans la plupart des États européens. De surcroît, elle ne peut être levée par l’assemblée dont il est membre.

72P. SÉGUR, « Les notions d’immunité et d’irresponsabilité », in P. SÉGUR (dir.), La protection des pouvoirs constitués. Chef de l’État, ministres, parlementaires, juges, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 8.

73« Il eût été plus logique d’intervertir l’emploi de ces deux termes (…). Les recherches doivent, en effet, précéder les poursuites » (Pandectes belges, v° « Immunités parlementaires », Bruxelles, Larcier, 1895, p. 897). Selon Paul Errera, « le terme “recherché” s’applique à l’instruction préparatoire, tandis que leterme “poursuivi” est réservé à la phase définitive de la procédure répressive » (P. ERRERA, Traité de droit public belge, op. cit., p. 172). Sur le terme « recherché », ajoutons qu’il s’oppose à « toutes mesures préparatoires (…) : enquête, information, perquisition, saisie… » (Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 578). Sur le terme « poursuivi », « peu importe par ailleurs l’origine des poursuites : le ministère public, l’exécutif fédéral, un simple particulier, un autre parlementaire… » (F. DELPÉRÉE, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles/Paris, Bruylant/Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000, p. 530).

74J. GICQUEL, « La responsabilité des députés face à leur immunité », in La responsabilité en droit public : aspects contemporains, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 45.

75Tel était l’enjeu de l’affaire Charles Woeste, tranchée par un jugement controversé du tribunal correctionnel de Gand le 24 mai 1884. Sur cet arrêt et les commentaires doctrinaux qu’il a suscités, cf. H. VUYE, « Les irresponsabilités parlementaire et ministérielle », op. cit., p. 9-10.

76Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 781-1, 7 décembre 1992 (cité dans Chambre des représentants, Commission des poursuites, Demande de suspension des poursuites (article 59, alinéa 5, de la Constitution. Rapport, n° 2279-1, 21 juin 2012, p. 9).

77Cf. notamment J. VELU, Droit public, op. cit., p. 497. En revanche, selon la Cour de cassation, lorsqu’un parlementaire « intente une action basée sur des imputations calomnieuses relatives à son attitude au Parlement, la preuve des faits imputés offerte en termes de défense ne constitue pas, vis-à-vis de lui, une recherche au sens de la Constitution », de telle sorte que « l’immunité parlementaire ne fait pas obstacle à la recevabilité de l’offre de preuve et de l’action elle-même » (Cour de cassation, 12 octobre 1911 : Pasicrisie belge, 1911, I, p. 508, avec les conclusions conformes de l’avocat général G. Terlinden).

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Dans certains États, la Constitution prévoit toutefois la possibilité pour l’assemblée parlementaire d’autoriser des poursuites, comme l’article 30, alinéa 2, de la Constitution finlandaise ou l’article 8, alinéa 1er, du chapitre IV de la Constitution suédoise, qui tous deux requièrent une majorité renforcée des cinq sixièmes au moins des suffrages exprimés. Rien de tout cela en Belgique, où « la contradiction des adversaires, la discipline du règlement et le contrôle de l’opinion sont les seuls freins, en ces matières, de la liberté parlementaire » 78.

À cet égard, l’article 58 de la Constitution ne fait donc pas obstacle aux mesures d’ordre prises par le président de l’assemblée, en vertu du règlement d’assemblée, à l’encontre des élus qui, par leur comportement, perturbent le déroulement normal des réunions parlementaires. En effet, l’irresponsabilité parlementaire protège les élus « contre l’action de toutes les autorités autres que l’assemblée législative elle-même et contre celle des particuliers » 79. Le constitutionnaliste français Eugène Pierre n’écrivait-il pas que « les assemblées ne pourraient subsister si elles n’avaient un droit de discipline sur leurs membres », prenant soin de préciser que ce droit « ne deviendrait discutable que s’il servait à opprimer les minorités au lieu de servir à protéger l’ordre général et la liberté individuelle » 80 ? Les articles 62 à 66 du règlement de la Chambre des représentants prévoient ainsi une échelle de sanctions pour les élus qui troublent l’ordre : rappel à l’ordre, retrait de la parole ou privation du droit de prendre la parole, censure avec inscription au procès-verbal, exclusion de la séance ou exclusion durant huit, dix ou quinze séances. Il est précisé que « si, pendant la durée de l’exclusion, il intervient un vote où le suffrage du membre exclu aurait pu être décisif, le vote devra être repris lorsque l’exclusion aura cessé, à moins que l’assemblée ne juge préférable d’admettre le membre au vote durant l’exclusion » (article 63-7). Par ailleurs, « le président peut faire supprimer du compte rendu intégral et du compte rendu analytique les paroles contraires à l’ordre ou celles qui auraient été prononcées par une personne qui n’avait pas la parole » (article 66-1).

On se souviendra, à cet égard, de l’incident créé lors de la séance des chambres réunies du 9 août 1993 par le député Jean-Pierre Van Rossem (Radicale Omvormers en Sociale Strijders voor een Eerlijker Maatschappij - ROSSEM), qui interrompit de manière intempestive la prestation de serment du roi Albert II en criant : « Vive la république d’Europe, vive Julien Lahaut » 81. Le président du Sénat, Frank Swaelen (Christelijke Volkspartij - CVP), s’adressa à lui en ces termes : « Monsieur, votre comportement est indigne et scandaleux, le pays entier vous condamnera » 82. L’intéressé fut expulsé et même, a-t-on dit, conduit dans son bureau par les fonctionnaires du Parlement, le temps de la séance de prestation de serment.

Plus récemment, le 27 mars 2014, à l’occasion d’une question au Premier ministre Elio Di Rupo (Parti socialiste - PS) sur la récente visite du président des États-Unis, Barack Obama, en Belgique, le député fédéral Laurent Louis (Debout les Belges! - DLB) s’est

78O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 475.

79J. VELU, Droit public, op. cit., p. 496-497.

80E. PIERRE, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, 2e édition, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1902, p. 505.

81Sur cet incident, cf. M. UYTTENDAELE, E. MARON, « Interrègne, avènement et prestation de serment d’Albert II », Journal des tribunaux, 1993, p. 817-818.

82C. LAPORTE, Albert II, premier roi fédéral, Bruxelles, Racine, 2003, p. 114.

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laissé aller à des propos ignominieux à l’égard du chef du gouvernement belge. Il a été rappelé à l’ordre et la séance a été suspendue, puis rappelé à l’ordre une seconde fois et privé de parole pour le reste de la séance. Quant aux propos incriminés, ils ont été rayés du compte rendu intégral et du compte rendu analytique de la Chambre des représentants 83.

Dans l’arrêt Karàcsony et alii c. Hongrie du 17 mai 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a admis que, « l’exercice de la liberté d’expression au parlement comportant des “devoirs et responsabilités”, comme indiqué à l’article 10, § 2 [de la CEDH], un parlement peut, sans méconnaître cette disposition, réagir lorsque l’un de ses membres adopte un comportement perturbateur entravant le fonctionnement normal de l’organe législatif », de telle sorte que « certaines restrictions à cette liberté dans l’enceinte parlementaire – fondées sur la nécessité de veiller au bon ordre des travaux parlementaires – doivent elles aussi passer pour justifiées » 84. À cet égard, la Cour a précisé que si les assemblées disposent d’une large marge de manœuvre pour réglementer le moment, l’endroit et les modalités d’intervention des parlementaires au sein de l’hémicycle, leur faculté à encadrer le contenu des interventions des députés est, quant à elle, restreinte 85.

Citant cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Janusz Korwin-Mikke du 31 mai 2018, a été amenée à se prononcer sur une demande d’annulation de sanctions disciplinaires infligées à un député du Parlement européen – le Polonais Janusz Korwin-Mikke – sur la base des articles 11 et 166 du règlement intérieur de cette assemblée, pour des propos outranciers à l’égard des femmes 86 : perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de trente jours, suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de dix jours consécutifs et interdiction de représenter le Parlement pour une période d’un an 87. La Cour a rappelé que « le pouvoir, reconnu aux parlements, d’infliger des sanctions disciplinaires afin d’assurer la bonne conduite de leurs activités ou la protection de certains droits, principes ou libertés fondamentaux doit se concilier avec la nécessité d’assurer le respect de la liberté d’expression des parlementaires » 88. Au terme d’une analyse minutieuse des dispositions précitées du règlement intérieur, la Cour a décidé que celles-ci doivent être interprétées « comme ne permettant pas de sanctionner un député en raison de propos tenus dans le cadre de ses fonctions parlementaires en l’absence de trouble grave de la séance ou

83Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 193, 27 mars 2014, p. 6-10.

84Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Karàcsony e.a. c. Hongrie, 17 mai 2016, § 139. Cf. M. BORRES, M. SOLBREUX, « La liberté d’expression des parlementaires et le maintien del’ordre dans l’hémicycle », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2017, p. 585-605. Pour un arrêt similaire, cf. Cour européenne des droits de l’homme, Szanyi c. Hongrie, 8 novembre 2016.

85Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Karàcsony e.a. c. Hongrie, 17 mai 2016, § 160.

86 Lors de la séance plénière du Parlement européen du 1er mars 2017, ayant pour objet le « gender pay gap », soit la problématique de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, le requérant a adressé une question à une députée européenne dans les termes suivants : « Connaissez-vous le palmarès des femmes lors des Olympiades polonaises de physique théorique ? Quelle était la position de la meilleure femme ou fille ? Je peux vous le dire : 800. Et vous savez combien de femmes se trouvent parmi les cent premiers joueurs d’échecs ? Je vous le dis : pas une. Et bien sûr, les femmes doivent gagner moins que les hommes parce qu’elles sont plus faibles, plus petites et moins intelligentes, elles doivent gagner moins. C’est tout ».

87Cour de justice de l’Union européenne, Affaire T-352/17, Janusz Korwin-Mikke, 31 mai 2018.

88Ibidem, § 51.

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de perturbation grave des travaux du Parlement » 89. Elle en a conclu que, « dans ces conditions, et en dépit du caractère particulièrement choquant des termes employés par le requérant dans son intervention lors de la séance plénière du 1er mars 2017, le Parlement ne pouvait, dans les circonstances de l’espèce, lui infliger de sanction disciplinaire sur le fondement de l’article 166, paragraphe 1er, de son règlement intérieur » 90. Force est donc de constater que la Cour de Luxembourg rejoint la Cour de Strasbourg en ce qu’elle estime – en filigrane – que le caractère perturbateur de l’intervention doit tenir davantage aux modalités de celle-ci qu’à son contenu.

Il convient cependant que la mesure d’ordre ne soit pas à ce point lourde qu’elle camoufle une véritable sanction, ce qui constituerait un détournement de pouvoir. Ainsi, un arrêt de la Western Cape High Court en Afrique du Sud, rendu le 8 mai 1998, a déclaré contraire à la Constitution la décision de la National Assembly (chambre basse du parlement bicaméral sud-africain) de suspendre pour une période de quinze jours une députée – Patricia de Lille – à qui étaient reprochés des propos accusatoires à l’égard de certainsmembres du parti African National Congress (ANC), qui auraient joué le rôle d’espions pour le compte du National Party (NP) durant le régime d’apartheid 91. L’inconstitutionnalité de cette mesure est fondée notamment sur le motif suivant : « La suspension d’un membre de l’Assemblée pour outrage au Parlement n’est pas conforme aux exigences de la démocratie représentative », ayant pour conséquence de pénaliser « non seulement le député pour outrage, mais aussi son parti et ceux de l’électorat qui ont voté pour ce parti et qui ont le droit d’être représentés à l’Assemblée par leur nombre proportionnel de représentants » 92.

L’irresponsabilité parlementaire emporte d’autres conséquences, qui ont pu être dégagées par la jurisprudence et qui tendent à faire prévaloir « une interprétation globalisante » 93 de l’article 58 de la Constitution.

Dans un arrêt du 7 février 2001 94, la Cour constitutionnelle – alors dénommée Cour d’arbitrage – a décidé qu’une opinion ou un vote émis dans l’exercice d’un mandat parlementaire ne peut donner lieu à l’application de l’article 15ter de la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections des chambres fédérales, ainsi qu’au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques 95. Introduit le 12 février 1999 et modifié le 17 février 2005, l’article 15ter dispose qu’un parti politique peut voir sa dotation supprimée s’il montre « de manière manifeste » et « à travers plusieurs indices concordants » son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels. Les juges constitutionnels répondent ainsi indirectement à une préoccupation

89Ibidem, § 70.

90Ibidem, § 71.

91Western Cape High Court, De Lille and another v. Speaker of the National Assembly, 1998 (3) SA 430 (C), 8 mai 1998.

92« The suspension of a Member of the Assembly from Parliament for contempt was not consistent with the requirements of representative democracy. It would be a punishment calculated to have penalised not only the Member for contempt, but also his or her party and those of the electorate who voted for that party who are entitled to be represented in the Assembly by their proportional number of representatives ».

93M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 303.

94Cour d’arbitrage, arrêt n° 10/2001, 7 février 2001, B.4.7.4. Cf. F. ABU DALU, « Liberté, égalité, fraternité ou la mort ? La Cour d’arbitrage et le Vlaams Blok », Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 2001, spécialement p. 507.

95Moniteur belge, 20 juillet 1989.

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qui avait été exprimée lors des discussions parlementaires : « Un membre doute que le texte du projet soit compatible avec l’article 58 de la Constitution. Dans la mesure où les sanctions prévues sont basées sur un ensemble de faits et d’actes et non sur un seul motif bien défini, par exemple une infraction à la CEDH pour cause de racisme, l’on pourrait prendre prétexte d’une déclaration d’un parlementaire pour réduire les dotations à son parti pour une tout autre raison » 96.

Dans un arrêt du 21 avril 2004, la cour d’appel de Gand a considéré 97, dans la même ligne que l’arrêt du 7 février 2001 de la Cour d’arbitrage, que les opinions et votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires ne peuvent être allégués à l’appui de poursuites fondées sur l’article 22 de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, qui érige en infraction pénale le fait d’être membre d’« un groupement ou d’une association qui, de manière manifeste et répétée, prône la discrimination ou la ségrégation fondée sur l’un des critères protégés dans les circonstances indiquées à l’article 444 du Code pénal » ou de « lui prête[r] son concours » 98.

Dans un arrêt du 1er juin 2006, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 28 juin 2005 pour le motif que les juges d’appel ont « présupposé que l’article 58 de la Constitution n’exclut pas que l’État belge est responsable de l’opinion fautive dommageable exprimée dans le cadre des travaux d’une commission d’enquête parlementaire » et, partant, ont « contrôlé le rapport de cette commission d’enquête à la lumière de la norme de précaution des articles 1382 et 1383 du Code civil » 99. Elle en conclut qu’« ils ont limité ainsi, en violation de l’article 58 de la Constitution, la liberté d’expression garantie par cet article ». La particularité de ce cas réside en ceci que l’opinion mise en cause avait été exprimée collectivement, en l’occurrence par les membres d’une commission d’enquête parlementaire dans le rapport établi au nom de celle-ci 100.

96Sénat, Commission de l’Intérieur et des Affaires administratives, Projet de loi insérant un article 15ter dans la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections des Chambres fédérales, ainsi qu’au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques et un article 16bis dans les lois sur le Conseil d’État coordonnées le 12 janvier 1973. Rapport, n° 1197-3, 26 janvier 1999, p. 4.

97Cour d’appel de Gand, 21 avril 2004 (reproduit sur le site Internet d’Unia : www.unia.be).

98Moniteur belge, 8 août 1981.

99Cour de cassation, 1er juin 2006 (Pasicrisie belge, 2006, p. 1274, avec les conclusions conformes du procureur général M. De Swaef). Cf. E. MAES, « Geen rechterlijke controle, dus geen fout: article 58 G.W. belet overheidsaansprakelijkheid voor “foutief” verslag van parlementaire onderzoekscommissie », Chroniques de droit public, 2006, p. 908-916 ; K. MUYLLE, « Overheidsaansprakelijkheid voor een fout van het Parlement na het “sektenarrest” van het Hof van Cassatie », Tijdschrift voor bestuurswetenschappen en publiekrecht, 2006, p. 438-441 ; J.-C. SCHOLSEM, « L’article 58 de la Constitution : deux visions du droit ? », in Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits : utopie ou réalité ?, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 475-483 ; S. VAN DROOGHENBROECK, « Roma locuta… », Journal des tribunaux, 2006, p. 462-463.

100 Il s’agissait de la commission d’enquête « visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge ».

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1.5. QUEL AVENIR POUR L’IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE ?

L’irresponsabilité parlementaire n’est pas sans poser de sérieuses questions. Deux sont évoquées ici. Les réponses que, à notre sens, elles appellent conduisent pour l’une à un rétrécissement et pour l’autre à un élargissement de l’irresponsabilité parlementaire. Il n’y a là aucun paradoxe.

1.5.1. Un caractère trop absolu

Aujourd’hui plus que jamais, le caractère absolu de l’irresponsabilité parlementaire suscite un très palpable malaise, que Paul Martens, alors juge à la Cour constitutionnelle, a exprimé en ces termes : « La faculté de tout dire dans le débat politique n’est-elle pas parfois l’objet d’un détournement de liberté ? Que des politiciens s’invectivent, c’est le jeu auquel ils se soumettent dans un élan de tolérance mutuel. Mais méritent-ils la même protection quand ils s’en prennent à des tiers qui, n’ayant pas la parole dans les assemblées, ne peuvent la prendre au prétoire ? » 101

Sans doute y aurait-il lieu de trouver un meilleur équilibre entre les intérêts que l’article 58 de la Constitution entend sauvegarder et d’autres exigences qui méritent tout autant d’être rencontrées. On pense à l’impérieuse nécessité pour nos démocraties de lutter contre les actes, mais aussi les propos, intolérants (racistes, homophobes, etc.). Il est insupportable pour un démocrate de voir que la liberté de tribune inhérente à l’irresponsabilité parlementaire peut être impunément utilisée par certains élus pour tenir, au cœur même de l’enceinte parlementaire, lieu symbolique de la démocratie représentative, des propos injurieux (comme Frieda Van Themsche (Vlaams Blok - VB) en 2003 : « Belgïe barst! »), calomnieux (L. Louis, en 2014, traitant le Premier Ministre E. Di Rupo de « pédophile », cf. supra) ou haineux (Luk Van Biesen (Open Vlaamse Liberalen en Democraten - Open VLD), en 2016, lançant à une députée d’origine marocaine : « Retourne au Maroc »). L’irresponsabilité parlementaire n’a pas été créée pour cela. Dans une résolution adoptée en 2016, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe souligne que « la protection absolue des actes et des paroles des parlementaires pose (…) problème dans le contexte actuel de montée de l’extrémisme et du nationalisme sur fond de recrudescence du terrorisme et de crise migratoire, notamment en ce qui concerne plus spécifiquement le discours de haine » 102.

L’équilibre entre les intérêts en jeu pourrait-il être atteint par une interprétation plus souple de l’article 58 de la Constitution ? Le constitutionnaliste Marc Uyttendaele se demande ainsi s’il ne serait pas possible de déroger au caractère absolu du principe exprimé par l’article 58 de la Constitution, s’il l’on veut bien admettre « que la protection absolue du parlementaire qui aurait un caractère à la fois direct et diffus ne trouve pas à s’appliquer avec la même rigueur lorsqu’elle sert précisément à remettre en

101 P. MARTENS, « Le juge et l’élu », in En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles/Paris, Bruylant/Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2007, p. 945.

102 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « L’immunité parlementaire : remise en cause du périmètre des privilèges et immunités des membres de l’Assemblée parlementaire », Résolution 2127 (2016), 23 juin 2016, § 7.

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cause les fondements de démocratie qu’entend protéger cette disposition » 103. Et de citer l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit qu’« aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention ». Il nous paraît néanmoins préférable de soumettre cette question à un véritable débat constituant et d’inviter le pouvoir constituant à délivrer un message clair et sans ambiguïté par une révision en bonne et due forme de l’article 58 104.

Certes, un Code de déontologie des mandataires publics a été adopté en 2018 par la Commission fédérale de déontologie et intégré par une loi du 15 juillet 2018 dans la loi du 6 janvier 2014 105. Il y est prévu que « les mandataires publics adoptent, en toutes circonstances, un comportement adapté, responsable et respectueux des personnes et des institutions » (3.6) et qu’ils « respectent la dignité de toutes les personnes et s’abstiennent de toute forme de violence physique, morale ou verbale, et en particulier de toute attitude sexiste ainsi que de toute forme de harcèlement moral ou sexuel » (3.7) 106. Il reste que le Code ne contient aucun véritable dispositif de sanction, la Commission fédérale de déontologie n’ayant qu’une compétence consultative 107.

Par ailleurs, l’irresponsabilité peut avoir pour effet de priver la victime de propos diffamatoires, calomnieux, injurieux, etc. du droit d’accéder à un juge pour obtenir réparation pour le préjudice ainsi subi, et ce alors même qu’elle n’était pas présente dans l’hémicycle ou, à tout le moins, n’y avait pas le droit de s’exprimer. Dans l’arrêt A. c. Royaume-Uni du 17 décembre 2002 108, la Cour européenne des droits de l’homme a eu à connaître d’une requête introduite par une ressortissante britannique qui avait été citée, de manière injurieuse et diffamatoire, dans un discours tenu à la House of Commons par un député de sa circonscription. L’immunité dont jouissent les parlementaires britanniques ne lui avait pas permis de mettre en cause la responsabilité du député devant les tribunaux. La requérante a vu dans le caractère absolu de l’immunité protégeant les propos tenus à son sujet une violation de son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Au stade de l’applicabilité de cette disposition, la Cour énonce qu’« il serait incompatible avec la prééminence du droit dans une société démocratique et avec le principe fondamental qui sous-tend l’article 6, § 1, à savoir que les revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un juge,qu’un État pût, sans réserve ou sans contrôle des organes de la Convention, soustraire

103 M. UYTTENDAELE, « Réflexions à froid sur un petit coup d’État jurisprudentiel », Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 2005, p. 1594 ; M. UYTTENDAELE, « Protection du parlementaire ou protection de l’institution parlementaire ? », in La Constitution hier, aujourd’hui et demain, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 95.

104 M. VERDUSSEN, Réenchanter la Constitution, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2019, p. 80-81.

105 Loi du 15 juillet 2018 portant modification de la loi du 6 janvier 2014 portant création d’une Commission fédérale de déontologie en vue d’y insérer le Code de déontologie des mandataires publics, Moniteur belge, 26 juillet 2018.

106 Cf. également Chambre des représentants, Commission fédérale de déontologie, Avis n° 2016/1, 14 décembre 2016, www.lachambre.be.

107 Cf. M. VERDUSSEN, « La déontologie politique en Belgique », in J.-P. DESROSIERS (dir.), La déontologie politique, Paris, LexisNexis, à paraître en 2020.

108 Cour européenne des droits de l’homme, A. c. Royaume-Uni, arrêt du 17 décembre 2002. Cf. N. W. BARBER, « Parliamentary immunity and human rights », Law Quarterly Review, 2003, p. 557-560.

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à la compétence des tribunaux toute une série d’actions civiles ou exonérer de toute responsabilité civile de larges groupes ou catégories de personnes » (§ 63). La Cour a, ensuite, commencé par rappeler que l’immunité en question, si elle est une limitation du droit à un tribunal, n’en poursuit pas moins des buts légitimes : « La protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire » (§ 77). Est-elle pour autant proportionnée ? Selon la Cour, qui s’en est tenue ici à sa jurisprudence antérieure : « Précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » (§ 79). Par ailleurs, « dans une démocratie, le Parlement ou les organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique », de telle sorte qu’« une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux » (idem). Et la Cour d’ajouter « qu’une règle de l’immunité parlementaire qui rejoint et reflète des règles généralement reconnues au sein des États signataires, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne ne saurait, en principe, être considérée comme imposant une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 » (§ 83). Par conséquent, « l’application d’une règle consacrant une immunité parlementaire absolue ne saurait être considérée comme excédant la marge d’appréciation dont jouissent les États pour limiter le droit d’accès d’une personne à un tribunal » (§ 87). Dans une opinion concordante, un des juges de la Cour, Jean-Paul Costa, s’est demandé si l’évolution des rapports entre les parlements et le monde extérieur n’impose pas aujourd’hui d’aménager ce principe « sacro-saint » de l’irresponsabilité parlementaire : « Il ne s’agit plus, seulement ou principalement, de protéger leurs membres contre le souverain ou l’exécutif. Il s’agit aussi d’affirmer l’entière liberté d’expression des parlementaires mais, peut-être, de la concilier avec d’autres droits et libertés respectables » 109.

Cette jurisprudence a été largement reprise et affinée par la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs autres affaires, lesquelles présentaient une différence notable avec l’affaire A. c. Royaume-Uni. En effet, les propos reprochés par les requérants aux parlementaires pour lesquels l’immunité parlementaire avait fait obstacle à toute action devant une cour ou un tribunal par le particulier visé n’avaient pas été prononcés au sein de l’hémicycle. En ce sens, il convient de souligner qu’au regard du droit britannique, comme du droit belge d’ailleurs, ces propos dépassent formellement le champ d’application matériel de l’irresponsabilité parlementaire et tombent, de ce fait même, dans le régime de l’inviolabilité. Ce qui était donc reproché, c’était le refus des assemblées de lever l’immunité des parlementaires concernés, lequel aboutissait à l’impossibilité pour les citoyens visés par les propos d’avoir accès à un tribunal. Ainsi, il était question de « lettres au contenu ironique ou dérisoire accompagnées de jouets adressés personnellement à un magistrat » 110 et de paroles prononcées « au cours d’une réunion électorale et donc en dehors d’une chambre législative » 111 – ces lettres et ces paroles ayant été qualifiées de « querelles entre particuliers » –, ou encore de propos tenus lors

109 En ce sens, cf. notamment P. LAMBERT, « L’immunité parlementaire à l’épreuve d’un conflit de normes », in En hommage à Francis Delpérée, op. cit., p. 743-755.

110 Cour européenne des droits de l’homme, Cordova c. Italie (n° 2), 30 janvier 2003, § 62.

111 Ibidem, § 63.

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d’une conférence de presse alors que la parlementaire ne s’était pas exprimée sur ce sujet au sein de l’assemblée 112.

Dans la très grande majorité des cas 113, la Cour considère qu’il y a lieu d’opérer, au stade de l’examen de la proportionnalité, une distinction entre les interventions directement liées aux activités parlementaires, telle celle visée dans l’affaire A. c. Royaume-Uni, et celles qui ne sont pas stricto sensu liées à l’exercice de la fonction parlementaire 114. La Cour estime que, dans cette seconde hypothèse, l’article 6, § 1er, de la CEDH a été violé puisqu’une telle ingérence dans le droit d’accès à un tribunal ne pourrait se justifier « par le seul motif que la querelle pourrait être de nature politique ou liée à une activité politique » 115. Dans un arrêt Tsalkitzis c. Grèce du 16 novembre 2006, la Cour synthétise son raisonnement en une phrase : « Ainsi, dans le cas où l’immunité parlementaire entrave l’exercice du droit d’accès à la justice, la Cour recherchera si les actes incriminés étaient liés à l’exercice de fonctions parlementaires stricto sensu afin de conclure sur la proportionnalité ou non de la mesure mise en cause » 116. Dans le cas d’espèce, dès lors que les faits incriminés dataient de trois ans avant l’élection du parlementaire visé par les poursuites, la Cour en a logiquement conclu à la violation du droit d’accès à un tribunal. Le choix de ce critère pour déterminer la proportionnalité ou non du refus de levée d’immunité, s’il paraît sensé, prête toutefois à la critique puisqu’il suggère que les assemblées devraient automatiquement lever l’immunité si l’infraction visée n’a pas trait directement à l’activité parlementaire sous peine de violer le droit d’accès à un tribunal pour la personne qui aurait été lésée dans le cadre de l’infraction. La Belgique ne s’aligne pas sur ce critère et, partant, n’autorise pas systématiquement le renvoi ou la citation du parlementaire devant une juridiction de jugement au motif que les faits incriminés sont sans lien avec son activité de parlementaire (cf. infra, 2.4.2.1.7) 117.

Si la question s’est logiquement posée de la compatibilité du régime de l’irresponsabilité parlementaire avec le droit d’accès à un tribunal dans le chef de la personne visée par les propos, la question s’est également posée « dans un sens contraire », c’est-à-dire lorsqu’un parlementaire invoque la violation de son droit à la liberté d’expression parce que l’État aurait méconnu le régime d’irresponsabilité dont il bénéficie. Ainsi, un parlementaire belge – Daniel Féret (FN) – avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme considérant que sa condamnation pour avoir diffusé des tracts politiques à caractère

112 Cour européenne des droits de l’homme, C.G.I.L. et Cofferati (n° 2) c. Italie, 6 avril 2010, § 46.

113 Dans un arrêt Kart c. Turquie, la Cour (Chambre et Grande chambre) n’a pas tenu compte de ce critère et a examiné les garanties procédurales qui avaient encadré le refus de la levée de l’immunité : les droits de la défense du député, la motivation de la décision et la durée de la procédure. À notre estime, cet arrêt ne peut toutefois être vu comme un revirement de jurisprudence, dans la mesure où il présente une distinction notable avec les arrêts précités : c’était le député qui invoquait la violation de son droit d’accès à un tribunal et non le citoyen qui avait été visé par les propos d’un parlementaire. À propos de cet arrêt, cf. infra, 2.4.2.1.6 et 2.4.2.1.7.

114 Ainsi, la Cour considère que « l’absence d’un lien évident avec une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés » (ibidem, § 48).

115 Cour européenne des droits de l’homme, Cordova c. Italie (n° 1 et n° 2), 30 janvier 2003, § 63.

116 Cour européenne des droits de l’homme, Tsalkitzis c. Grèce, 16 novembre 2006, § 47. Référence est faite à Cour européenne des droits de l’homme, Cordova c. Italie (n° 1), n° 40877/98, 30 janvier 2003, § 62 ; Cour européenne des droits de l’homme, De Jorio c. Italie, n° 73936/01, 3 juin 2004, § 53.

117 Sur cette question de la compatibilité entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la jurisprudence belge, cf. K. MUYLLE, « L’immunité parlementaire face à la Convention européenne des droits de l’homme », Administration publique - trimestriel, 2007-2008, p. 214-215.

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raciste et xénophobe constituait une violation de sa liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il invoquait que cette liberté était, dans son cas, renforcée dès lors que, en sa qualité de parlementaire, il devait être couvert par le régime d’irresponsabilité prévu à l’article 58 de la Constitution. Après avoir souligné que ces tracts étaient diffusés non en sa qualité d’élu mais en tant que candidat aux futures élections, la Cour a constaté que « le langage employé par le requérant incitait clairement à la discrimination et à la haine raciale, ce qui ne peut être camouflé par le processus électoral » 118, et que le statut d’élu de D. Féret « ne saurait être considéré comme une circonstance atténuant sa responsabilité » 119. Non seulement les faits reprochés dépassent le cadre de l’irresponsabilité parlementaire, mais, en outre, cette ingérence dans sa liberté d’expression est proportionnée.

Une situation en continuité avec les arrêts précités, bien que distincte, mérite d’être épinglée. Des élus qui ne bénéficiaient pas de l’irresponsabilité parlementaire ou d’un régime équivalent 120 et qui ont été poursuivis et condamnés, parfois en ce compris sur le plan pénal, pour avoir tenu des propos à la tribune voire en dehors des organes officiels 121, ont invoqué, devant la Cour de Strasbourg, la violation de leur liberté d’expression. La Cour leur a systématiquement donné gain de cause, considérant que leur parole devait également être particulièrement protégée et qu’une condamnation pénale constituait une ingérence parmi les plus graves à la liberté d’expression 122.

1.5.2. Une portée trop restrictive

La seconde question est relative au champ d’application de l’irresponsabilité parlementaire. Aujourd’hui, par la force des choses (à savoir la médiatisation croissante des débats d’intérêt général, grâce notamment aux nouveaux médias sociaux), les débats parlementaires ont, en dehors des hémicycles parlementaires, des prolongements qui sont sensiblement plus importants qu’il y a quelques années et qui, a fortiori, étaient insoupçonnés en 1831. D’une part, « à la faveur des révolutions technologiques, la liberté d’expression trouve constamment de nouveaux territoires pour son exercice » 123. D’autre part – ceci étant d’ailleurs lié à cela –, on assiste à une médiatisation croissante du débat d’intérêt général et donc des questions qui intéressent la vie de la nation. Ces deux phénomènes contribuent à une évolution sensible de ce qui relève de l’exercice du mandat parlementaire. Évoquant l’émergence de l’espace public médiatique, le philosophe et

118 Cour européenne des droits de l’homme, Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, § 78.

119 Cf. également Cour européenne des droits de l’homme, Erbakan c. Turquie, 6 juillet 2006, § 64.

120 On pense ici aux élus locaux, tels les conseillers municipaux en France ou les conseillers communaux en Belgique.

121 Dans un cas, les propos avaient été tenus dans le cadre d’une interview accordée à la presse (Cour européenne des droits de l’homme, Pakdemirli c. Turquie, 22 février 2005).

122 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, Lacroix c. France, 7 septembre 2017 ; Cour européenne des droits de l’homme, de Lesquen du Plessis-Casso c. France, 12 avril 2012 ; Cour européenne des droits de l’homme, Roseiro Bento c. Portugal, 18 avril 2006 ; Cour européenne des droits de l’homme, Pakdemirli c. Turquie, 22 février 2005 ; Cour européenne des droits de l’homme, Jerusalem c. Autriche, 27 février 2001. À notre connaissance, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas rendu d’autres arrêts sur le sujet. Sur la liberté d’expression et le débat politique en général, cf. supra, 1.2.

123 M. THEWES, « La liberté d’expression et les nouveaux médias sociaux », in Liber amicorum Rusen Ergec, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2017, p. 366.

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historien français Marcel Gauchet tient à cet égard des propos d’une grande pertinence : « Les élections n’ont de sens que dans le cadre d’un processus plus vaste permettant aux électeurs d’effectuer leurs choix en connaissance de cause, mais aussi de suivre et d’évaluer l’action des gouvernants, le tout grâce à l’existence d’organes d’information indépendants ; le mécanisme représentatif, autrement dit, est inséparable d’un travail continu de publicisation des délibérations parlementaires et des décisions gouvernementales » 124. Loin de nous l’idée « que le débat parlementaire n’est plus utile, mais aujourd’hui pour avoir prise sur le débat public, le parlementaire doit combiner une activité effective dans l’hémicycle et une présence médiatique qui en est dès lors le prolongement direct » 125. Ces transformations qui traversent la fonction parlementaire emportent d’inévitables conséquences sur la manière d’interpréter les dispositions constitutionnelles relatives aux parlementaires, à leur statut et à leurs attributions. Elles obligent les interprètes de la Constitution, et tout spécialement les juges, à inscrire cette interprétation dans le contexte d’une société profondément renouvelée, s’agissant tout particulièrement des dispositions originaires de la Constitution, dont l’adoption remonte à 1831. Loin de vouloir induire une confusion entre, d’une part, l’espace parlementaire et, d’autre part, l’espace public ou même l’espace politique, il s’agit plutôt de constater un élargissement et une reconfiguration de l’aire dans laquelle les élus déploient leurs activités.

La question se pose donc de savoir si ces transformations qui traversent la fonction parlementaire ne doivent pas emporter des conséquences sur la manière d’interpréter les dispositions constitutionnelles relatives aux parlementaires et spécialement l’article 58 de la Constitution.

Dans un rapport sur l’étendue et la levée de l’immunité parlementaire, la Commission européenne pour la démocratie par le droit – communément connue sous le nom de Commission de Venise – relève que, « dans de nombreux pays, le lieu où les propos litigieux ont été tenus n’a pas d’importance, il suffit que la chose se soit passée dans le cadre de l’activité parlementaire. L’immunité conférée par la liberté spéciale d’expression n’est donc pas confinée dans un espace, elle s’étend à tout propos tenu par le parlementaire en rapport quelconque avec l’exercice de son mandat parlementaire, à l’intérieur comme hors du Parlement, c’est-à-dire aussi dans les médias ou des réunions et débats publics » 126.

De précieux enseignements se dégagent ici de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, il faut savoir que, en vertu de l’article 8 du Protocole n° 7 sur les privilèges et les immunités de l’Union européenne, annexé au Traité sur l’Union européenne, au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et au Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique 127, « les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions ». L’interprétation de cette disposition a pu susciter des discussions jusqu’au prétoire des juges européens.

124 M. GAUCHET, L’avènement de la démocratie, tome 4 : Le nouveau monde, Paris, Gallimard, 2017, p. 341-342.

125 M. EL BERHOUMI, C. ROMAINVILLE, « Pour des parlementaires plus irresponsables », Journal des tribunaux, 2017, p. 450. Pour une opinion inverse, cf. K. MUYLLE, « Kroniek Parlementair Recht », Tijdschrift voor bestuurswetenschappen en publiekrecht, 2018, p. 257.

126 European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities », op. cit., p. 13, n° 64.

127 Journal officiel de l’Union européenne, 26 octobre 2012.

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Dans une affaire portée devant la Cour de justice de l’Union européenne et qui donna lieu à l’arrêt Marra du 21 octobre 2008 128, l’avocat général Miguel Poiares Maduro a eu ces mots : « De nos jours, (…) le discours politique et les débats sur des sujets d’intérêt public ont lieu dans un cadre qui s’est considérablement élargi. Il existe, désormais, une arène politique beaucoup plus large – incluant la presse écrite, les médias électroniques ainsi que l’Internet – à l’intérieur de laquelle des individus interagissent et participent au dialogue public. Le rôle des parlementaires comme vecteurs et instigateurs du débat politique dans cette large arène publique est aussi important que leur rôle dans les strictes limites du Parlement ; la démocratie moderne se caractérise par le fait que nous attendons des parlementaires qu’ils engagent un dialogue avec la société civile et présentent leurs idées non seulement au Parlement, mais également dans les différents forums fournis par la société civile. J’irai, en fait, jusqu’à affirmer qu’une partie très importante du discours politique contemporain a lieu entièrement en dehors du Parlement. Ceci est une réalité que nous ne pouvons ignorer, et c’est exactement ce que nous ferions si nous estimions que les privilèges attachés à la condition de parlementaire protègent uniquement les déclarations faites à l’intérieur du Parlement » 129.

Dans une affaire ultérieure, qui concerne elle aussi l’Italie, l’affaire Aldo Patriciello, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre le 6 septembre 2011, considère que, si l’article 8 du Protocole n° 7 a essentiellement vocation à s’appliquer aux déclarations effectuées par les parlementaires dans l’enceinte même du Parlement européen, « il n’est pas exclu qu’une déclaration effectuée par de tels députés en dehors de cette enceinte puisse constituer une opinion exprimée dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 8 du Protocole, l’existence d’une telle opinion étant fonction non pas du lieu où une déclaration a été effectuée, mais bien de sa nature et de son contenu » 130.

En Belgique, cette question des contours du champ d’application matériel de l’irresponsabilité parlementaire a été évoquée à plusieurs reprises au cours des dernières années.

En 2012, la commission des poursuites de la Chambre des représentants a été amenée à se prononcer sur la demande de suspension des poursuites pour – entre autres – calomnie et diffamation, sollicitée par le député Laurent Louis (Mouvement pour la liberté et la démocratie - MLD), suite à une perquisition à son domicile privé pour avoir publié sur le site Internet de son parti politique un article portant sur l’affaire Dutroux et relatant un certain nombre de questions qu’il s’était posées au sujet de l’instruction. L. Louis considérait que lesdites poursuites devaient cesser au motif que les infractions invoquées étaient des « opinions émises dans l’exercice des fonctions » et, partant, étaient couvertes par le régime de l’irresponsabilité parlementaire. À cette occasion, les membres de la commission ont réinterrogé les contours de l’article 58 de la Constitution, révélant des positions divergentes. À l’estime de certains, il faut « tenir compte d’une évolution dans la manière dont les membres du Parlement exercent leurs activités parlementaires. Aujourd’hui, la répétition des propos tenus dans l’assemblée parlementaire, en particulier,

128 Cour de justice de l’Union européenne, Affaires C-200/07 et C-201/07, Marra c. De Gregorio et Clemente, 26 juin 2008.

129 Ibidem, § 34.

130 Cour de justice de l’Union européenne, Affaire C-163/10, Aldo Patriciello, 6 septembre 2011, § 29 et 30. Cf. également l’opinion dissidente des juges András Sajó et Işil Karakaş dans l’arrêt suivant : Cour européenne des droits de l’homme, C.G.I.L. et Cofferati c. Italie (n° 1), 6 avril 2010.

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peut s’effectuer beaucoup plus rapidement que par le passé. Il suffit de songer à l’utilisation d’Internet et des médias sociaux » 131. Aux yeux d’autres, « le recours fréquent aux moyens de communication modernes et facilement accessibles ne peut constituer un blanc-seing pour insulter impunément d’autres citoyens » 132. En guise de conclusion, la commission a éludé la question puisqu’elle s’est contentée – à l’unanimité – de considérer que le dossier n’était, à ce stade, pas suffisamment complet pour se prononcer et a décidé de reporter le débat lorsqu’elle sera à nouveau saisie pour autoriser le renvoi du député devant le tribunal.

Plus récemment, l’affaire Nethys aurait pu conduire à une clarification jurisprudentielle sur ce débat, mais il n’en a finalement rien été. Rappelons ici que, le 15 février 2017, le Parlement wallon a adopté une résolution visant à instituer une commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner la transparence et le fonctionnement du groupe Publifin 133. Cette décision s’est fondée notamment sur l’article 40 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, qui prévoit que « chaque parlement a le droit d’enquête ». Le bureau de la commission d’enquête parlementaire a été composé de la présidente de la commission, Olga Zrihen (PS), mais également de Jean-Luc Crucke (Mouvement réformateur - MR), de Dimitri Fourny (CDH), de Stéphane Hazée (Écolo) et de Patrick Prévot (PS). Le 10 mai 2017, une action en responsabilité civile a été introduite devant le tribunal de première instance de Namur par la société anonyme Nethys contre les cinq membres du bureau. Entre autres griefs, il leur était reproché de s’être livrés, dans la presse et alors que les travaux de la commission étaient toujours en cours, à des déclarations attentatoires au droit à la réputation et à l’honneur de la société Nethys et de ses organes dirigeants, en violation de leur devoir d’impartialité. Cependant, le 11 septembre 2017, la société Nethys a annoncé se désister de son action, tandis que, entre-temps, le Parlement wallon avait décidé de se joindre à la cause par une intervention volontaire.

À l’affaire Nethys a succédé l’affaire Kazakhgate, qui a donné lieu à la création, par la Chambre des représentants, d’une commission d’enquête parlementaire dont était membre le député fédéral Georges Gilkinet (Écolo). Dans le cadre de cette affaire, l’oligarque et homme d’affaire belgo-russe Patokh Chodiev a assigné ce dernier en responsabilité civile pour des accusations – au demeurant très vagues – dirigées contre lui et émises en dehors des réunions de la commission d’enquête. Par un jugement du 19 juin 2019 134, le tribunal de première instance de Namur a débouté le demandeur, en déclarant l’action irrecevable « en ce qu’elle porte sur des opinions émises par M. Gilkinet dans l’exercice de ses fonctions parlementaires ». Selon le tribunal, « il y a lieu d’entendre par “opinions émises dans l’exercice des fonctions” parlementaires, au sens de l’article 58 de la Constitution, les opinions formulées par un parlementaire, sur des problèmes de l’intérêt général ou politique, qu’elles soient émises dans l’enceinte du Parlement ou à l’extérieur de celui-ci, à l’exception des allégations de fait concernant une personne ou dans le cadre de contentieux privés sans rapport avec des questions de portée générale ou relevant du

131 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Demande de suspension des poursuites (article 59, alinéa 5, de la Constitution. Rapport, n° 2279-1, 21 juin 2012, p. 11.

132 Ibidem.

133 Cf. J. CLARENNE, « La commission d’enquête Publifin : quand le Parlement wallon sort de sa routine », Administration publique - trimestriel, 2018, p. 46-68.

134 Tribunal de première instance de Namur, 19 juin 2019 : rôle n° 17/1063/A.

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débat politique » 135. Il y a plus. Le jugement précise que, « alors qu’un parlementaire de la majorité peut compter sur le soutien de celle-ci pour faire passer ses opinions et projets, un parlementaire de l’opposition devra quant à lui plus régulièrement se tourner vers la société civile – de façon directe ou par la presse – afin d’influencer le fonctionnement de l’assemblée » 136. Appel a été interjeté contre ce jugement. L’affaire est en cours devant la cour d’appel de Liège.

135 Ibidem, § 16. Cf. également ibidem, § 19.

136 Ibidem, § 29.

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2. L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE

L’inviolabilité parlementaire peut être présentée comme une immunité complémentaire à l’irresponsabilité, tout au moins sur le plan pénal 137, puisqu’elle couvre toutes les infractions qui sortent du champ de l’article 58 de la Constitution. À la différence de l’irresponsabilité parlementaire, l’inviolabilité n’empêche ni les poursuites ni la condamnation des membres des assemblées mais octroie à ceux-ci plusieurs garanties liées à leur statut de parlementaire. Ce second chapitre examine successivement les fondements de l’inviolabilité parlementaire (2.1), ses enjeux (2.2), son champ d’application (2.3), son contenu (2.4), puis ses applications pratiques (2.5). Au terme de ces développements, il s’interroge sur l’avenir de l’inviolabilité parlementaire (2.6).

2.1. LES FONDEMENTS DE L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE

À l’instar de l’irresponsabilité parlementaire, la question des fondements de l’inviolabilité parlementaire doit être envisagée au niveau fédéral, puis au niveau régional et communautaire.

2.1.1. Au niveau fédéral

L’inviolabilité parlementaire est consacrée par l’article 59 de la Constitution (qui fut, de 1831 à 1994, numéroté 45). Celui-ci a été remplacé le 28 février 1997 par une nouvelle disposition 138. Elle est rédigée en ces termes :

« Sauf le cas de flagrant délit, aucun membre de l’une ou de l’autre chambre ne peut, pendant la durée de la session, en matière répressive, être renvoyé ou cité directement devant une cour ou un tribunal, ni être arrêté, qu’avec l’autorisation de la chambre dont il fait partie.

137 Jean-Joseph Thonissen note que les actions civiles « ne donnent lieu qu’à des condamnations pécuniaires et ne mettent pas obstacle à l’accomplissement du mandat parlementaire » (J.-J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, op. cit., p. 159). L’affirmation ne vaut que pour les actions purement civiles, portées devant les juridictions civiles (cf. infra, 2.4.2).

138 Sur la révision constitutionnelle de 1997, cf. G. GOEDERTIER, « De nieuwe regeling van de parlementaire onschendbaarheid », Chroniques de droit public, 1998, p. 424-444 ; M. VERDUSSEN, « Une inviolabilité parlementaire tempérée », op. cit. Sur l’évolution du texte de la Constitution, cf. C. REGNIER, La Constitution au fil de ses versions, Bruxelles, CRISP, 2019.

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Sauf le cas de flagrant délit, les mesures contraignantes requérant l’intervention d’un juge ne peuvent être ordonnées à l’égard d’un membre de l’une ou l’autre chambre, pendant la durée de la session, en matière répressive, que par le premier président de la cour d’appel sur demande du juge compétent. Cette décision est communiquée au président de la chambre concernée.

Toute perquisition ou saisie effectuée en vertu de l’alinéa précédent ne peut l’être qu’en présence du président de la chambre concernée ou d’un membre désigné par lui.

Pendant la durée de la session, seuls les officiers du ministère public et les agents compétents peuvent intenter des poursuites en matière répressive à l’égard d’un membre de l’une ou l’autre chambre.

Le membre concerné de l’une ou de l’autre chambre peut, à tous les stades de l’instruction, demander, pendant la durée de la session et en matière répressive, à la chambre dont il fait partie de suspendre les poursuites. La chambre concernée doit se prononcer à cet effet à la majorité des deux tiers des votes exprimés.

La détention d’un membre de l’une ou de l’autre chambre ou sa poursuite devant une cour ou un tribunal est suspendue pendant la session si la chambre dont il fait partie le requiert ».

À la différence des ministres 139, les parlementaires sont soumis à un régime d’inviolabilité qui est entièrement réglé par la Constitution, en son article 59. Il n’existe donc pas de loi portant exécution à l’article 59. En revanche, par une circulaire du 15 septembre 1997 (circulaire n° COL 6/97), le collège des procureurs généraux a voulu apporter quelques précisions complémentaires sur le nouveau régime constitutionnel d’inviolabilité parlementaire 140. Puis, à la suite d’une lettre adressée le 3 juin 1998 au ministre de la Justice 141 par les présidents des sept assemblées parlementaires du pays concernées 142, dans laquelle ces derniers précisaient leur vision commune concernant l’interprétation de certains aspects de la procédure définie par l’article 59, notamment du rôle joué par le président de l’assemblée où siège le membre poursuivi, le collège des procureurs généraux a adopté, le 23 avril 1999, un premier addendum à la circulaire précitée 143. Sept années plus tard, à la suite d’une lettre adressée le 5 décembre 2005 à la ministre de la Justice par les présidents des mêmes assemblées parlementaires 144, le collège des procureurs généraux a adopté, le 26 juin 2006, un second addendum à la circulaire précitée 145.

Le nouvel article 59 de la Constitution procède de la volonté du constituant de juguler les difficultés rencontrées à l’époque dans certaines affaires judiciaires. Jusqu’alors, le ministère public, par la voie du procureur général près la cour d’appel, devait obtenir une

139 Le régime particulier de répression pénale des ministres et secrétaires d’État fédéraux est réglé par l’article 103 de la Constitution et par la loi du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres (Moniteur belge, 27 juin 1998).

140 Chambre des représentants, Précis de droit parlementaire. L’inviolabilité parlementaire, Bruxelles, 2015, p. 43-52, www.lachambre.be.

141 Ibidem, p. 53-55.

142 À savoir la Chambre des représentants, le Sénat, le Parlement wallon, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le Parlement de la Communauté française, le Parlement flamand et le Parlement de la Communauté germanophone (à l’exclusion donc des assemblées des trois commissions communautaires bruxelloises, cf. infra).

143 Ibidem, p. 56-58.

144 Ibidem, p. 59-60.

145 Ibidem, p. 61-64.

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autorisation – dite « levée de l’immunité parlementaire » –, non seulement pour déclencher l’action publique à l’encontre d’un parlementaire ou pour qu’il soit procédé à son arrestation, mais aussi pour que le juge d’instruction soit autorisé à ordonner des mesures contraignantes, comme une perquisition, une saisie ou un interrogatoire, voire tout simplement pour qu’il puisse inculper l’intéressé. Ce système présentait trois inconvénients majeurs, auxquels le constituant a voulu remédier. Tout d’abord, l’assemblée saisie d’une demande de levée d’immunité parlementaire n’était jamais à l’abri de réflexes protectionnistes, voire corporatistes, de la part de tout ou partie de ses membres, la solidarité de groupe produisant parfois des interférences néfastes dans l’appréciation de l’assemblée. À l’inverse, certaines autorisations ont pu paraître dictées par des préoccupations politiquement orientées. Ensuite, la communication par le procureur général près la cour d’appel d’une demande de levée d’immunité parlementaire avait pour effet inéluctable de générer une publicité prématurée, qui déconsidérait nécessairement l’intéressé, au risque de le priver de la garantie d’une innocence présumée. À dire vrai, le système emportait par lui-même une violation du secret de l’instruction, dans la mesure où les activités parlementaires ont vocation à être exercées dans la plus grande transparence et s’accommodent mal de la discrétion qu’impose une instruction confidentielle. Enfin, l’appréciation du sérieux de la demande de levée d’immunité parlementaire impliquait nécessairement la mise à la disposition de l’assemblée d’un dossier suffisamment étayé, avec à la fois des éléments solides quant à la matérialité des faits, voire des indices de culpabilité. Or, au début de l’enquête, le ministère public pouvait simplement, dans le cadre d’une information, récolter des éléments utiles à l’enquête. Ni plus ni moins. C’était, dès lors, précisément la nécessité d’étayer le dossier qui justifiait la démarche du ministère public visant à obtenir la levée d’immunité parlementaire. En effet, comme l’a noté le pénaliste Damien Vandermeersch, « on ne peut être contraint de trouver sans avoir au préalable la possibilité de chercher » 146. Il en résultait une situation de blocage : le parquet ne pouvait pousser ses investigations plus avant, en saisissant un juge d’instruction, sans une autorisation de l’assemblée, qui elle-même ne pouvait l’accorder qu’à la condition que les investigations déjà effectuées aient été assez concluantes.

2.1.2. Au niveau régional et communautaire

L’article 120 de la Constitution, adopté en 1993, rend l’article 59 applicable aux membres des parlements régionaux et communautaires. De même qu’au niveau fédéral et à la différence des ministres 147, aucune disposition n’est donc consacrée à l’inviolabilité parlementaire dans une loi.

146 D. VANDERMEERSCH, « Les poursuites à charge d’un parlementaire », Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 1994, p. 736.

147 La responsabilité pénale des ministres et secrétaires d’État régionaux et communautaires est réglée par les articles 124 et 125 de la Constitution et par la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de Communauté et de Région (Moniteur belge, 27 juin 1998).

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2.2. LES ENJEUX DE L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE

Le régime de l’inviolabilité parlementaire se compose de plusieurs garanties procédurales, lesquelles encadrent les poursuites menées à l’encontre des parlementaires, leur arrestation et leur traduction devant une juridiction de jugement. Ce faisant, il trace des frontières que les autorités judiciaires ne peuvent franchir qu’à certaines conditions. En ce sens, l’inviolabilité parlementaire compte parmi les « balises constitutionnelles de la séparation des pouvoirs » et représente une « garantie du fonctionnement démocratique d’un État » 148. Le régime de l’inviolabilité parlementaire ne vise pas à offrir un quelconque privilège personnel aux parlementaires 149, mais à éviter que le fonctionnement d’une assemblée démocratique soit perturbé par des actes judiciaires légers, injustes ou partisans 150. Il s’agit notamment d’« empêcher les pouvoirs exécutif et judiciaire, par des décisions arbitraires, de modifier les équilibres de force au sein du parlement et, partant, de compromettre le fonctionnement de celui-ci » 151. Ce n’est rien d’autre qu’une « soupape de sécurité », mais elle est essentielle dans une démocratie parlementaire. Certes, chaque citoyen est exposé au risque d’arbitraire judiciaire, ce qui est inadmissible en soi. Toutefois, lorsque ce citoyen est parlementaire, il y a un enjeu démocratique supplémentaire auquel il convient d’être spécialement attentif.

Les conséquences sur le fonctionnement de l’assemblée ne sont évidemment pas les mêmes selon que le parlementaire fait l’objet d’actes de poursuites ou est mis en détention préventive. Dans le premier cas, il subit des entraves dans l’exercice de son mandat, qui varient selon l’ampleur et la fréquence des actes d’instruction 152. Dans le second cas, ces entraves sont beaucoup plus conséquentes puisqu’elles l’empêchent de prendre part à l’activité quotidienne de l’assemblée. Dans l’affaire Wesphael 153, dans le cadre de laquelle ledit parlementaire était inculpé pour le meurtre de son épouse et mis en détention préventive dès le début de l’enquête, tant la commission des poursuites du Parlement wallon que celle du Parlement de la Communauté française ont semblé admettre que l’absence durable d’un de ses membres ne nuit pas au fonctionnement de l’assemblée. En effet, la commission des poursuites du Parlement wallon a affirmé ne pas devoir s’opposer à la détention de l’intéressé, notamment parce que celui-ci « peut continuer

148 M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., p. 409.

149 Les parlementaires doivent pouvoir être poursuivis et, le cas échéant, condamnés. À défaut, l’État belge pourrait être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme. S’agissant de l’obligation d’octroyer un recours effectif et de mener une enquête effective visés respectivement aux articles 13 et 2 de la CEDH, cf. Cour européenne des droits de l’homme, Güngor c. Turquie, 22 mars 2005, § 92 à 102.

150 Les rapports des commissions en charge des poursuites reprennent systématiquement cette balise (cf., par exemple, Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2008, p. 3 ; Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 3). Pour une affirmation de cet enjeu par la Cour européenne des droits de l’homme, cf. Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Kart c. Turquie, 3 décembre 2009, § 90 : « Elle considère en effet que les garanties offertes par l’immunité parlementaire, en ses deux aspects (irresponsabilité et inviolabilité), procèdent de la même nécessité, à savoir assurer l’indépendance du parlement dans l’accomplissement de sa mission. Or il ne fait aucun doute que l’inviolabilité contribue à permettre cette pleine indépendance en prévenant toute éventualité de poursuites pénales inspirées par l’intention de nuire à l’activité politique du député (fumus persecutionis), protégeant par là même l’opposition des pressions ou abus de la majorité ».

151 M. UYTTENDAELE, « Actualité de l’immunité parlementaire », Journal des tribunaux, 1993, p. 443.

152 A. MAST, Overzicht van het Belgish Grondwettelijk Recht, 6e édition, Gand, Story-Scientia, 1981, p. 154.

153 M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., p. 406.

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à déposer des propositions de décret ou de résolution et des questions écrites » 154. Et la commission des poursuites du Parlement de la Communauté française d’ajouter que Bernard Wesphael (Mouvement de gauche - MG ; élu sur la liste Écolo) n’est pas privé de déposer des amendements, « pas plus qu’il n’est privé de sa prérogative de poser des questions écrites au gouvernement, voire même de faire lire des communiqués de presse “de nature politique” par la voie de son conseil » 155.

Cette dernière a conclu sans équivoque que, « certes, son travail est rendu plus difficile, mais il n’est pas totalement compromis pour autant pas plus que n’est compromis le travail de notre assemblée dans son ensemble » 156. Cette affirmation n’est pas dénuée d’un certain cynisme. Elle est surtout contestable. Car il est également possible d’affirmer que, dans un régime démocratique, le bon fonctionnement de l’assemblée exige que chaque élu puisse, à tout moment, être en mesure d’exercer pleinement son mandat. Une telle affirmation nous paraît plus conforme que la première aux exigences démocratiques. Un membre de la commission des poursuites a même été jusqu’à affirmer, dans la presse, que « la seule présence aux votes de Monsieur Wesphael ne peut pas influencer la prise de décision » 157. C’est oublier que, quand une assemblée est privée durablement d’un de ses membres, c’est la société tout entière qui se trouve amputée d’une fraction de sa représentation parlementaire, au détriment de la démocratie elle-même. Cette seule circonstance ne justifie évidemment pas le maintien en liberté du parlementaire mis en cause, mais elle réclame à tout le moins la plus grande vigilance de la part des assemblées concernées, notamment au regard des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans son arrêt Selahattin Demirtaş c. Turquie (n° 2) du 20 novembre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné pour la première fois la compatibilité entre, d’une part, la mise en détention préventive d’un parlementaire et sa prolongation et, d’autre part, l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme imposant aux États membres d’organiser des élections libres 158. Dans le cas d’espèce, elle a considéré que cette disposition avait été violée. À cet effet, elle s’appuie sur sa jurisprudence antérieure, laquelle considère qu’outre le fait de pouvoir être élu, cette disposition garantit aux parlementaires le fait de pouvoir effectivement siéger en tant qu’élu 159.

154 Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 4.

155 Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 569-1, 18 novembre 2013, p. 5.

156 Ibidem.

157 Le Vif/L’Express, 7 novembre 2013, www.levif.be.

158 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, Selahattin Demirtaş c. Turquie (n° 2), 20 novembre 2018, § 217 à 241 (renvoyé en grande chambre le 18 mars 2019). En l’espèce, le parlementaire avait été misen détention préventive 1 an, 7 mois et 20 jours.

159 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, Riza et autres c. Bulgarie, 13 octobre 2015, § 141 ; Cour européenne des droits de l’homme, Sobaci c. Turquie, 29 novembre 2007, § 27 ; Cour européenne des droits de l’homme, Ilicak c. Turquie, 5 avril 2007, § 30 ; Cour européenne des droits de l’homme, Silay c. Turquie, 5 avril 2007, § 27 ; Cour européenne des droits de l’homme, Kavakçi c. Turquie, 5 avril 2007, § 41 ; Cour européenne des droits de l’homme, Sadak et autres c. Turquie (n° 2), 11 juin 2002, § 33.

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2.3. LE CHAMP D’APPLICATION DE L’INVIOLABILITÉ

PARLEMENTAIRE

Distinguons, ici également, les champs d’application personnel, matériel et temporel.

2.3.1. Le champ d’application personnel

Comme l’irresponsabilité, l’inviolabilité parlementaire s’applique, et s’applique uniquement, à tout membre d’une assemblée législative, quel que soit son mode de désignation (cf. supra, 1.3.1). Étant personnelle, l’inviolabilité ne s’étend pas aux éventuels co-auteurs ou complices 160.

2.3.2. Le champ d’application matériel

L’inviolabilité parlementaire vise toutes les infractions – en ce compris les infractions mineures 161, ce qui n’est pas le cas dans tous les États européens 162 – qui ne sont pas constitutives d’une opinion ou d’un vote émis dans l’exercice des fonctions et, dès lors, ne tombent pas sous le coup de l’article 58 de la Constitution. Il s’agit tout à la fois des infractions liées aux fonctions parlementaires mais non constitutives d’une opinion ou d’un vote, des infractions liées à l’exercice d’un autre mandat politique ou aux activités politiques générales du parlementaire et, enfin, des infractions que celui-ci commet dans la sphère de sa vie privée.

2.3.3. Le champ d’application temporel

À la différence de l’irresponsabilité, l’inviolabilité parlementaire n’est pas perpétuelle, au sens où elle ne se prolonge pas au-delà de l’expiration du mandat parlementaire. Elle s’éteint au terme de la législature ou en cas de fin anticipée de celle-ci. Elle s’éteint également si le parlementaire vient à démissionner 163. L’expression « inviolabilité

160 Dans l’hypothèse où plusieurs individus sont poursuivis pour les mêmes faits – certains bénéficiant de l’immunité parlementaire et d’autres pas –, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur la conduite de la procédure pénale et de l’incidence de cette donnée sur la décision d’octroyer ou pas la levée de l’immunité parlementaire (cf. infra, 2.4.2).

161 Cour d’appel de Bruxelles, 23 décembre 1859 (Pasicrisie belge, 1861, II, p. 118 : il s’agissait d’un délit de chasse).

162 Dans certains États, les infractions mineures échappent au régime d’inviolabilité, tandis que, dans d’autres, ce régime ne couvre pas certaines infractions graves.

163 Même inculpé, un parlementaire bénéficie de la présomption d’innocence, à l’instar de tout justiciable, et aucune règle ne peut le contraindre à démissionner pour le seul motif de son inculpation. Dans certains États, il existe bien une procédure de révocabilité des élus qui permet à un nombre déterminé de citoyens d’exiger un référendum au terme duquel l’élu sera désavoué ou non. Qualifiée de « “moment judiciaire” de la démocratie » (P. ROSANVALLON, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006, p. 216), cette procédure, dite de « recall », n’existe pas en Belgique. Elle n’est d’ailleurs pas sans soulever quelques critiques, notamment dans le chef de la Commission de Venise, qui la juge incompatible

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parlementaire » est donc « impropre » et « éveille des idées exagérées et fausses », car « on pourrait en déduire que le représentant est en principe soustrait à l’action des lois » 164, et ce de manière à la fois absolue, dès lors que son statut d’élu s’opposerait à toute poursuite et condamnation, et infinie, dès lors qu’elle serait illimitée dans le temps. Ni en 1831, ni (encore moins) en 1997, le constituant n’a conçu l’inviolabilité parlementaire comme une forme d’impunité, à la différence de l’irresponsabilité 165. Dès lors, même si, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, l’assemblée dont il est membre s’oppose à ce qu’il soit cité ou renvoyé devant une juridiction de jugement, conférant au parlementaire visé une véritable immunité, « le parlementaire n’est pas soustrait définitivement à l’action pénale ; celle-ci est simplement retardée » 166. Cela étant, le caractère temporaire de l’inviolabilité est compromis par la possibilité de longévité parlementaire qu’offre le droit, en raison de l’absence de limitation du nombre de mandats successifs, mais aussi d’un système électoral oligarchique 167.

Ajoutons que la date à laquelle l’infraction justifiant les poursuites a été commise n’a aucune importance. Elle peut, bien sûr, coïncider avec la législature – a fortiori s’il s’agit d’un délit lié à son statut d’élu –, mais l’infraction peut également remonter à la période précédant l’élection du parlementaire ou lorsqu’il était membre d’une autre assemblée. En effet, l’application du régime de l’inviolabilité se justifie uniquement par le fait que les poursuites ont lieu alors que l’intéressé a la qualité de parlementaire.

Ces observations préalables étant faites, la question du champ d’application temporel (dies a quo et dies ad quem) de l’inviolabilité nous paraît devoir recevoir la même réponse que pour l’irresponsabilité (cf. supra, 1.3.3). C’est ainsi qu’« il est communément admis qu’un élu acquiert la qualité de parlementaire dès la publication des résultats des élections, à la condition résolutoire toutefois que l’assemblée n’invalide pas son élection à la suite de la vérification des pouvoirs » 168. Cette interprétation est dictée par l’esprit de l’article 59 de la Constitution : une fois élu, le parlementaire « est identifiable en tant que tel et doit bénéficier de la protection constitutionnelle » 169. Par conséquent, un citoyen faisant l’objet d’une enquête judiciaire tombe sous le coup de l’article 59 de la Constitution dès la proclamation de son élection ou, s’agissant d’un sénateur coopté, dès sa désignation.

avec la théorie du mandat représentatif : cf. notamment l’avis n° 423/7 du 5 juin 2007 sur la loi ukrainienne portant modification de la législation concernant le statut des députés de la Verkhovna Rada de la République autonome de Crimée et des conseils locaux (European Commission for Democracy through Law, « Opinion on the Law on Amendments to the Legislation concerning the Status of Deputies of the Verkhovna Rada of the Autonomous Republic of Crimea and of Local Councils in Ukraine adopted by the Venice Commission at its 71st Plenary Session, (Venice, 1-2 June 2007) », CDL-AD(2007)018, 5 juin 2007).

164 A. ESMEIN, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris, Sirey, 1914, p. 954. 165 Hervé Isar distingue « l’impunité du parlementaire-citoyen » et « la responsabilité de principe du citoyen-

parlementaire » (H. ISAR, « Immunités parlementaires ou impunité du parlementaire », Revue française de droit constitutionnel, 1994, p. 683 et 690).

166 P. WIGNY, Droit constitutionnel, op. cit., p. 486. 167 Frédéric Bouhon a démontré que certaines règles électorales – elles sont relatives à la désignation des

candidats, à la campagne électorale et au mode de scrutin – ont un « effet tendanciellement inégalitaire » qui assure « aux gouvernants – d’une manière difficilement justifiable en droit – des moyens de faciliter leur maintien au pouvoir » (F. BOUHON, Droit électoral et principe d’égalité. L’élection des assemblées législatives nationales en droits allemand, belge et britannique, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 939).

168 Chambre des représentants, L’inviolabilité parlementaire, Bruxelles, 2015, p. 22, www.lachambre.be.

169 M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 308.

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Dans la mesure où l’exercice du mandat parlementaire peut être interrompu par l’exercice d’une fonction ministérielle (cf. supra, 1.3.1.), des questions particulières se posent. Constatons, avant toute chose, que, dès le moment où un parlementaire cesse d’exercer ses fonctions parlementaires pour exercer des fonctions ministérielles, il tombe sous le coup soit de l’article 103 de la Constitution et de la loi du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres 170, s’il est membre du gouvernement fédéral, soit de l’article 125 de la Constitution et de la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de Communauté ou de Région 171, s’il est membre d’un gouvernement communautaire ou régional. Deux situations doivent ici être distinguées. Cette distinction découle implicitement des deux premières phrases des articles 103, alinéa 1er, et 125, alinéa 1er, de la Constitution ; elle a été explicitement confirmée lors des discussions parlementaires ayant précédé la révision de ces dispositions en 1998 172. Elle avait déjà été dégagée par la Cour de cassation, sous le régime applicable avant la révision de 1998, dans un arrêt du 12 juin 1985 173.

Première situation : l’intéressé reste ministre ou secrétaire d’État jusqu’au terme de la législature. À dire vrai, il le restera même au-delà du terme de la législature ou, plus exactement, au-delà des élections qui suivent ce terme. Au niveau fédéral, il restera ministre ou secrétaire d’État jusqu’à l’arrêté royal acceptant officiellement sa démission. En effet, que le gouvernement ait démissionné collectivement avant le scrutin ou que cette démission ait lieu le lendemain de celui-ci, dans tous les cas, le ministre ou le secrétaire d’État restera en poste jusqu’à son remplacement, qui en principe interviendra en même temps que le remplacement de tout le gouvernement. Le fait que ce dernier soit démissionnaire, donc tenu à la gestion des affaires courantes, n’a aucune incidence sur le statut pénal du ministre. Au niveau régional ou communautaire, tant que le Parlement régional ou communautaire n’aura pas élu quelqu’un pour le remplacer, le ministre (ou, en Région de Bruxelles-Capitale, le secrétaire d’État) restera en poste, peu importe que le gouvernement dont il est membre soit soumis à l’obligation de se limiter aux affaires courantes. Et si le ministre ou le secrétaire d’État du gouvernement fédéral ou d’un gouvernement communautaire ou régional a été réélu dans une assemblée parlementaire, il pourra cumuler les deux mandats – ministériel et parlementaire – jusqu’à son remplacement comme ministre 174. Par ailleurs, dans ce cas, ce sont les règles applicables aux ministres qui continuent à s’appliquer, car elles priment sur les règles applicables aux parlementaires, comme le prévoient les articles 103, alinéa 1er, in fine, et 125, alinéa 1er, in fine, de la Constitution (cf. infra).

Si un ministre ou un secrétaire d’État est poursuivi pour avoir commis une infraction pénale avant ou pendant son mandat au sein du gouvernement, quelles règles sont applicables à partir du moment où il n’est plus en poste ? Deux hypothèses doivent être envisagées (et peu importe que la personne concernée était membre du gouvernement

170 Moniteur belge, 26 juin 1998. Sur le régime d’irresponsabilité pénale applicable aux ministres et secrétaires d’État fédéraux (article 101, alinéa 2, de la Constitution), cf. supra.

171 Moniteur belge, 26 juin 1998. Sur le régime d’irresponsabilité pénale applicable aux ministres et secrétaires d’État régionaux ou communautaires (article 124 de la Constitution), cf. supra.

172 Chambre des représentants, [Proposition de] révision de l’article 103 de la Constitution, n° 1258-1, 28 octobre 1997, p. 3.

173 Cour de cassation, 12 juin 1985 (Pasicrisie belge, 1985, I, p. 1281, avec les conclusions conformes du procureur général J. Velu).

174 Article 1erbis, alinéa 3, de la loi du 6 août 1931 précitée (cf. supra, 1.3.1).

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fédéral ou d’un gouvernement fédéré). Ou bien l’infraction qui lui est reprochée est étrangère à l’exercice de ses fonctions ministérielles, ce qui est a fortiori le cas lorsque l’infraction a été commise à une époque où il n’était pas ministre ou secrétaire d’État. La combinaison des articles 5, 15, alinéa 1er, et 26 des lois du 25 juin 1998 conduit alors à la conclusion que, hormis le cas où il aurait déjà été cité devant la cour d’appel (auquel cas cette dernière « reste saisie de l’affaire »), il bascule dans la procédure de poursuites et de jugement applicable aux citoyens ordinaires. Mais s’il a été réélu dans une assemblée parlementaire, il conviendra de lui appliquer les règles prévues par l’article 59 de la Constitution. Et s’il est à nouveau nommé dans un gouvernement, c’est le régime pénal applicable aux membres de ce gouvernement qui trouvera à s’appliquer. Ou bien l’infraction qui lui est reprochée est inhérente à l’exercice de ses fonctions ministérielles et il reste soumis au régime particulier prévu par les dispositions applicables aux ministres ou aux secrétaires d’État.

Seconde situation : avant la fin de la législature, l’intéressé démissionne du gouvernement dont il fait partie ou il est révoqué ou renvoyé de celui-ci. S’il ne retourne pas sur les bancs d’une assemblée parlementaire (situation du ministre extraparlementaire), on retrouve les deux hypothèses envisagées dans la première situation. Si, en revanche, il retourne sur les bancs d’une assemblée parlementaire, il conviendra de lui appliquer l’article 59 de la Constitution, sauf si l’infraction reprochée est liée à ses fonctions ministérielles, auquel cas on est confronté à un concours des deux régimes : celui de l’article 59 (il a à nouveau la qualité de parlementaire) et celui des articles 103 et 125 (qui restent applicables aux anciens ministres ayant commis une infraction dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles). Dans un tel scénario, le second régime prime sur le premier. Tel est le sens de la phrase figurant à la fin de l’alinéa 1er des articles 103 et 125 : « Le cas échéant, les articles 59 et 120 (ou 120 et 59) ne sont pas applicables ». C’est la situation vécue par Joëlle Milquet (CDH). Le 11 avril 2016, à la suite d’une inculpation pour des faits remontant à une époque où elle était vice-Première ministre et ministre de l’Intérieur, elle a démissionné du gouvernement de la Communauté française et a retrouvé ainsi son mandat de membre du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Pourtant, elle est restée soumise au régime de l’article 103 de la Constitution et de la loi du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres, les faits qui lui sont reprochés étant liés à ses fonctions de ministre fédérale. Elle y reste encore logiquement soumise sous l’actuelle législature, même si elle n’a plus de mandat parlementaire.

2.4. LE CONTENU DE L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE

À titre préalable, il convient de préciser que l’intégralité du régime de l’inviolabilité parlementaire réside dans une seule disposition constitutionnelle, l’article 59 de la Constitution. Afin d’exposer le contenu du régime, il faut donc avoir égard à trois autres sources. Il s’agit de la « jurisprudence » des assemblées législatives – la Chambre des représentants tenant le rôle principal – qui, à partir des demandes dont elles ont été saisies, ont pu dégager des constantes. Il s’agit également de deux courriers adressés par les présidents des sept assemblées parlementaires du pays concernées au ministre de la Justice et de circulaires adoptées par le collège des procureurs généraux, auxquels nous faisons référence à de nombreuses reprises (cf. supra, 2.1).

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Le régime d’inviolabilité parlementaire mis en place le 28 février 1997 repose sur une distinction fondamentale entre deux catégories d’actes de contrainte dont un parlementaire peut faire l’objet dans le cadre d’une information ou d’une instruction judiciaire : ceux qui ne requièrent pas, ou plus (depuis 2007), l’autorisation de l’assemblée et ceux pour qui cette autorisation est, en principe, nécessaire.

2.4.1. Les actes, en ce compris de contrainte, ne requérant pas l’autorisation de l’assemblée

Le principe de la liberté d’instruction est assorti de deux tempéraments. Par ailleurs, il peut y être dérogé par une suspension des poursuites sollicitée par le parlementaire concerné.

2.4.1.1. Le principe

Pour tous les actes contraignants imposant l’intervention d’un juge, qui sont essentiellement des actes d’investigation, c’est le principe de la liberté de l’instruction qui domine. Il en est ainsi depuis toujours pour les actes visant un parlementaire – une perquisition à son domicile, par exemple – mais qui se rapportent à des poursuitesà charge d’un tiers 175. Depuis 1997, il en est de même pour les actes justifiés par des poursuites contre le parlementaire lui-même. Concrètement, depuis la réforme de 1997, il n’est plus nécessaire d’obtenir la levée d’immunité d’un parlementaire, dans le cadre de poursuites le concernant, pour délivrer un mandat d’amener en vue d’un interrogatoire ou d’une confrontation ou un mandat de perquisition en vue d’une saisie éventuelle, ni pour ordonner une exploration corporelle ou des repérages d’appels ou écoutes téléphoniques, ni encore pour inculper l’intéressé. A fortiori, les actes de pure information, posés d’abord et avant tout en vue de constater la matérialité des faits, peuvent aussi être posés librement par le procureur du Roi saisi ou un de ses substituts. Par ailleurs, la circulaire du collège des procureurs généraux du 15 septembre 1997 ajoute que « la proposition d’une transaction à un parlementaire n’est, et n’était sous l’empire de l’ancien ni du nouvel article 59 de la Constitution, soumise en soi à aucune limitation constitutionnelle », étant entendu que, « en cas de non-acceptation ou de non-paiement de la transaction, il appartient à l’office du procureur général près la cour d’appel de saisir éventuellement le président de l’assemblée législative d’une demande de levée de l’immunité parlementaire concerné ».

Un juge d’instruction peut-il mener une perquisition, voire effectuer une saisie, visant un parlementaire dans les locaux du Parlement et, plus spécialement, dans le bureau du parlementaire ? La question revient à se demander si le bureau d’un parlementaire est, ou non, un « domicile » au sens de l’article 15 de la Constitution belge et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette question appelle une réponse positive. La Cour européenne des droits de l’homme inclut dans la notion de vie privée le lieu où s’exerce une activité professionnelle, ce que la Cour constitutionnelle a intégré dans sa jurisprudence : « Le droit au respect du domicile vaut pour les locaux

175 Cour de cassation, 30 septembre 1992 (Pasicrisie belge, 1992, I, p. 1071, avec les conclusions conformes du premier avocat général J. Velu).

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professionnels » 176. Se fondant sur une interprétation dynamique de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme va même jusqu’à considérer qu’« il est temps de reconnaître, dans certaines circonstances, que les droits garantis sous l’angle de l’article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant pour une société le droit au respect de son siège social, son agence ou ses locaux professionnels » 177. Après quelques tergiversations, la Cour de justice de l’Union européenne s’est finalement rangée à cette jurisprudence 178.

Dans le même ordre d’idées, on souligne que le Palais de la Nation, siège de la Chambre des représentants et du Sénat, ne jouit d’aucune forme de protection territoriale qui empêcherait qu’y soit menée une perquisition. Si la loi du 2 mars 1954 tendant à prévenir et réprimer les atteintes au libre exercice des pouvoirs souverains établis par la Constitution 179 incrimine certains comportements, notamment dans les locaux du Parlement, c’est afin de juguler toute manifestation qui viserait à troubler le déroulement des travaux parlementaires.

2.4.1.2. Les tempéraments

La liberté de poser des actes d’instruction sans autorisation de l’assemblée doit s’accommoder de deux règles qui viennent tempérer cette liberté. Ces règles sont prévues à l’alinéa 2 de l’article 59. Elles ne trouvent pas à s’appliquer en cas de flagrant délit ou si la mesure n’est pas prise en période de session 180. Les deux règles visent les mesures dites de contrainte, c’est-à-dire les mesures qui, limitant les droits fondamentaux du parlementaire, doivent légalement être ordonnées par un juge (mandat d’amener, mandat de perquisition, écoutes téléphoniques, exploration corporelle, etc.). À notre sens, les deux règles ne concernent que les mesures contraignantes qui sont justifiées par des poursuites contre le parlementaire lui-même. Elles ne concernent pas les mesures contraignantes qui, bien que visant un parlementaire, se rapportent à des poursuites à charge d’un tiers. Toutefois, s’il devait advenir qu’une telle mesure, une perquisition par exemple, conduise à découvrir des preuves ou des indices à charge du parlementaire, elle serait frappée de non-opposabilité à l’égard de ce parlementaire dès le moment où elle n’aurait pas respecté les deux règles en question. De quoi s’agit-il ?

Primo, quand un juge d’instruction estime devoir recourir à une mesure contraignante à l’encontre d’un parlementaire, il ne peut l’ordonner lui-même, mais il doit passer par la voie du premier président de la cour d’appel, qui seul est habilité à prendre une telle décision, c’est-à-dire à apprécier la justification de la mesure sollicitée à la lumière du dossier. Il ne lui revient pas d’examiner l’incidence de la mesure sur l’exercice de la fonction parlementaire, son appréciation portant uniquement sur le caractère sérieux du dossier.

176 Cour constitutionnelle, arrêt n° 132/2015, 1er octobre 2015, B.16.4. Cf. également Cour de cassation, 8 janvier 2003 (Pasicrisie belge, 2003, p. 53).

177 Cour européenne des droits de l’homme, Sociétés Colas et autres c. France, 16 avril 2002. Dans le même sens, cf. notamment Cour européenne des droits de l’homme, Ernst et autres c. Belgique, 15 juillet 2003 ; Cour européenne des droits de l’homme, Van Rossem c. Belgique, 9 décembre 2004 ; Cour européenne des droits de l’homme, Buck c. Allemagne, 28 avril 2005 ; Cour européenne des droits de l’homme, Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, 16 octobre 2007.

178 Cour de justice de l’Union européenne, Affaire C-94/00, Roquette Frères SA c. France, 22 octobre 2002.

179 Moniteur belge, 19 mars 1954.

180 Sur le flagrant délit et la période de session, cf. infra, 2.4.2.

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On verra dans cette règle un mécanisme de filtrage destiné à réfréner les initiatives suspectes ou intempestives de juges d’instruction peu scrupuleux. En toute vraisemblance, le choix du premier président près la cour d’appel se justifie par le fait que, en vertu de l’article 398, alinéa 1er, du Code judiciaire, les juges d’instruction sont placés, à l’instar des autres juges du tribunal de première instance, sous la surveillance de la cour d’appel du ressort.

Secundo, lorsqu’à la requête d’un juge d’instruction, une mesure contraignante a été ordonnée à l’encontre d’un parlementaire par le premier président de la cour d’appel, la décision doit être communiquée au président de l’assemblée dont le parlementaire est membre. Il va sans dire que cette communication doit être réalisée avant que la mesure soit exécutée. La circulaire du collège des procureurs généraux du 15 septembre 1997 insiste d’ailleurs sur la nécessité de faire cette communication « sans délai, et en tout cas avant l’exécution des mesures contraignantes visées par celui qui a donné l’ordre, soit le premier président de la cour d’appel ». L’obligation de communication répond à une double préoccupation. Avant toute chose, il paraît assez légitime qu’un président d’assemblée soit avisé des mesures d’instruction ordonnées à l’égard des membres de son assemblée, afin de lui permettre le cas échéant d’envisager avec le juge un moment qui n’est pas incompatible avec l’agenda parlementaire. De surcroît, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 59, toute mesure consistant en une perquisition ou une saisie ne peut être effectuée qu’en présence du président de l’assemblée ou d’un membre désigné par lui 181. À cet égard, le courrier du 3 juin 1998 des présidents des sept assemblées du pays concernées mentionne expressément que « toute perquisition ou saisie est nulle si elle n’a pas été effectuée en présence du président concerné ou de son remplaçant ». Manifestement, cette règle est empruntée aux usages régissant les perquisitions et saisies dans les cabinets d’avocats, usages qui, en imposant la présence du bâtonnier de l’ordre, visent à concilier, d’une part, les impératifs de l’instruction judiciaire et, d’autre part, la protection du secret professionnel des membres du barreau, mais aussi le respect des droits de la défense. En l’occurrence, les enjeux ne sont cependant pas de même nature. Quoi qu’il en soit, le président de l’assemblée ou son remplaçant n’est pas en mesure de s’opposer à la perquisition, ni à la saisie de pièces. Son rôle est plutôt de s’assurer que la perquisition se déroule normalement et que la saisie opérée par le magistrat se limite aux pièces qui offrent un lien nécessaire avec le dossier à l’instruction. Il est en droit de faire acter au procès-verbal tout élément qui lui paraît s’écarter d’une procédure

181 Tel a été le cas dans le cadre de poursuites à l’encontre de Marguerite Bastien (FN), députée du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale mais également avocate, suspectée d’avoir publié des écrits racistes dans la revue de son parti. La présidente du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale – également présidente de la commission des poursuites –, Magda De Galan (PS), s’est déplacée au domicile de la députée régionale pour assister à la perquisition. Il est à noter que M. Bastien lui a ensuite reproché de ne pas avoir empêché le juge d’instruction d’accéder à des dossiers relatifs à son activité professionnelle d’avocat. Il est intéressant de préciser que la commission a toutefois décidé de maintenir la présidente du Parlement en tant que présidente de la commission, considérant que cet incident n’était « pas un litige personnel » (Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre. Rapport, n° 480-1, 17 octobre 2003, p. 5). Des perquisitions ont également eu lieu dans le cadre des poursuites à l’encontre de Jean-Charles Luperto (PS) pour outrage public aux bonnes mœurs en présence de mineurs, tant à son domicile que dans les locaux de l’administration communale de Sambreville (commune dont il est le bourgmestre) ainsi qu’à la Maison des parlementaires à Namur. Ces perquisitions ont été effectuées en présence du président du Parlement wallon, André Antoine (CDH), et de la première vice-présidente du Parlement de la Communauté française, Valérie De Bue (MR). En effet, à cette époque, J.-C. Luperto était encore président du Parlement de la Communauté française. Il a ensuite démissionné de cette fonction.

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régulière de perquisition et de saisie, « de telle manière que le parlementaire puisse dans le cours ultérieur de la procédure se prévaloir éventuellement de l’irrégularité de cet acte d’instruction » 182.

Si le parlementaire est membre de plusieurs assemblées, la décision du premier président de la cour d’appel doit être communiquée par ce dernier au président de chaque assemblée dont l’intéressé fait partie. Pour autant que de besoin, l’addendum ajouté le 23 avril 1999 à la circulaire du collège des procureurs généraux du 15 septembre 1997 le précise expressément. Le texte ajoute que, en ce qui concerne la présence obligatoire des présidents des assemblées ou de leurs remplaçants aux perquisitions et saisies, « il peut toutefois être convenu, d’un commun accord, qu’un membre siégeant dans les différentes assemblées soit désigné pour assister à ces devoirs d’enquête au nom de toutes les assemblées législatives concernées ».

Dans l’éventualité où il aurait été procédé à des actes de contrainte requérant l’intervention du juge d’instruction sans respecter une des ou les deux règles exposées ci-avant, les éléments recueillis devront logiquement être écartés. Ainsi, dans le courant des années 2014 et 2015, dans le cadre des poursuites à l’encontre de Jean-Charles Luperto (PS) pour outrage aux bonnes mœurs en présence de mineurs, trois mini-instructions visant à procéder à des repérages téléphoniques ont eu lieu sans autorisation du premier président de la cour d’appel et sans information aux présidents des assemblées au sein desquelles siégeait J.-C. Luperto. Par conséquent, les commissions des poursuites – au niveau tant du Parlement wallon que du Parlement de la Communauté française – ont estimé que cette inculpation 183, basée sur des « éléments recueillis au mépris de l’article 59 de la Constitution » 184, devait être considérée comme irrégulière 185. Les commissions ont conclu en suggérant aux assemblées de refuser la levée de l’immunité parlementaire s’agissant de ce chef de prévention 186. En séance plénière, ces conclusions ont été adoptées 187.

2.4.1.3. La suspension des poursuites

Des développements ci-dessus, il résulte que le nouvel article 59 de la Constitution traduit un retournement de perspective. Jusqu’en 1997, les actes d’investigation ordonnés par le juge d’instruction étaient présumés avoir des conséquences néfastes sur le bon déroulement des activités parlementaires, sauf pour l’assemblée à renverser cette

182 M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 309, note 56.

183 J.-C. Luperto était poursuivi du chef de cinq préventions. Seule une des cinq préventions, la prévention A.1, était visée par ces irrégularités.

184 Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée d’immunité d’un membre du Parlement de Wallonie. Rapport, n° 364-1, 14 décembre 2015, p. 4.

185 La commission des poursuites du Parlement de la Communauté française ajoute que « cette façon de procéder (…) porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs qui fonde le principe même de l’immunité parlementaire » (Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 219-1, 14 décembre 2015, p. 4).

186 Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée d’immunité d’un membre du Parlement de Wallonie. Rapport, n° 364-1, 14 décembre 2015 ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 219-1, 14 décembre 2015.

187 Parlement wallon, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 7, 16 décembre 2015, p. 90 ; Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 7, 6 janvier 2016, p. 30.

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présomption par une levée d’immunité parlementaire. Depuis 1997, la présomption est inversée : la Constitution présume que les devoirs d’instruction sont compatibles avec les activités parlementaires, mais l’assemblée peut remettre en cause cette présomption, en suspendant les poursuites 188.

Cette dernière règle, formulée par l’alinéa 5 de l’article 59, permet au parlementaire concerné de solliciter de l’assemblée qu’elle décrète – à la majorité des deux tiers des votes exprimés – la suspension des poursuites engagées à son égard. L’alinéa 5 a été adopté à la suite de deux amendements déposés, pour l’un, par Louis Vanvelthoven (Socialistische Partij - SP), Paul Tant (CVP), Claude Eerdekens (PS) et Jacques Lefevre (PSC) 189 et, pour l’autre, par Patrick Dewael (VLD) et Didier Reynders (Fédération PRL FDF) 190. Il doit être mis en rapport avec la règle qui découle de l’alinéa 2 de l’article 59 et qui veut que, pendant la période de l’instruction, donc avant que le procureur général prenne ses réquisitions, un parlementaire peut faire l’objet de mesures d’instruction (mandat d’amener, perquisition, écoutes téléphoniques, etc.), voire d’une inculpation, sans que doive être sollicitée l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie (cf. supra). Le constituant a voulu prévoir une sorte de « sonnette d’alarme » – à ne pas confondre avec la sonnette d’alarme de l’article 54 de la Constitution – au profit du parlementaire concerné 191. Selon les travaux préparatoires, une telle suspension se justifie en cas de poursuites « intentées de manière inconsidérée, irresponsable ou vexatoire » ou en cas de poursuites qui seraient « arbitraires ou d’une longueur déraisonnable » 192. Cette possibilité de suspension procède donc du souci d’éviter que des actes d’instruction produisent des interférences préjudiciables au travail de l’assemblée. Dès lors, on comprend qu’une éventuelle suspension ne peut avoir pour objet que les mesures d’instruction prises pendant l’instruction par le magistrat instructeur. Les termes « les poursuites » figurant à l’alinéa 5 s’entendent ici des « mesures contraignantes requérant l’intervention d’un juge », mesures dont il est question à l’alinéa 2. Précisons que l’assemblée peut suspendre tous les actes d’instruction ou certains d’entre eux.

L’intéressé peut former une telle demande à tous les stades de l’instruction, étant entendu que l’assemblée n’est en droit d’intervenir que si elle a été régulièrement saisie de cette demande. Elle ne peut agir d’office, ni même à la demande de son président. Le constituant est parti de l’idée que le parlementaire concerné est le mieux placé pour apprécier si des mesures d’instruction sont de nature à entraver le travail de l’assemblée. Pourtant, le mécanisme de suspension de l’alinéa 5 est discutable. Est-il réaliste de penser qu’il puisse un jour être mis en œuvre par un parlementaire convaincu du caractère arbitraire des poursuites engagées contre lui ? Imaginons qu’un juge d’instruction entreprenne d’interroger un parlementaire du matin jusqu’au soir, pendant plusieurs jours, sans se préoccuper des séances et des réunions auxquelles cet élu doit normalement participer. Théoriquement, l’assemblée pourra, à sa demande, exiger l’interruption de ces auditions

188 À ce stade, il importe de préciser qu’une seconde possibilité de suspension est prévue à l’article 59 de la Constitution, en son alinéa 6. Elle intervient après la clôture de l’instruction ou en cas de détention et, par conséquent, ne peut être confondue avec la suspension prévue à l’article 59, alinéa 5 (cf. infra, 2.4.2).

189 Chambre des représentants, Révision de l’article 59 de la Constitution. Amendements, n° 492-11, 20 février 1997, p. 1.

190 Ibidem, p. 2.

191 Sénat, Commission des Affaires institutionnelles, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 363-11, 27 février 1997, p. 3.

192 Ibidem, p. 3 et 5.

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abusives. Mais en pratique, une telle décision ne pourra être prise du jour au lendemain et, lorsqu’elle sera prise, il sera sans doute trop tard : le mal aura été fait. Et si, à l’inverse, l’instruction devait se prolonger plusieurs mois, voire années, au risque de déstabiliser le parlementaire, ce sera pour ce dernier une gageure de convaincre deux tiers des membres de son assemblée de la nécessité de suspendre les poursuites 193.

2.4.2. Les actes de contrainte requérant (en principe) l’autorisation de l’assemblée

Certains actes, limitativement énumérés par l’alinéa 1er de l’article 59, requièrent toujours l’autorisation de l’assemblée qui, écrit le sénateur et ministre Robert Henrion (Parti réformateur libéral - PRL), ne la refusera qu’« avec d’infinies précautions » 194. Car, « si elle est trop fréquemment invoquée comme obstacle à des poursuites », l’inviolabilité « peut faire erronément penser à une véritable impunité, ce qui est malsain » 195. On parle dans ce cas de « levée d’immunité parlementaire », même si l’expression n’est pas formellement consacrée par le texte constitutionnel. Il va de soi que, en aucune manière, la décision de l’assemblée ne peut être interprétée comme préjugeant de la culpabilité ou de l’innocence du parlementaire 196.

L’obligation de solliciter la levée de l’immunité parlementaire est d’ordre public, le parlementaire ne pouvant donc y renoncer. Elle est assortie de deux exceptions. On distingue donc le régime de principe et le régime d’exception.

2.4.2.1. Le régime de principe

Plusieurs questions se posent à propos de l’obligation de solliciter et d’obtenir une levée d’immunité parlementaire.

2.4.2.1.1. Quels actes nécessitent une levée d’immunité parlementaire ?

L’obligation concerne deux catégories d’actes. L’assemblée peut limiter son autorisation à un acte à l’exclusion de l’autre.

Il s’agit d’abord de l’arrestation judiciaire, que le droit français qualifie de « garde à vue ». L’arrestation judiciaire est l’acte par lequel, sans l’intervention d’un juge, une personne, soupçonnée d’avoir commis une infraction (et présumée innocente), est privée de liberté

193 Cf. M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 317.

194 R. HENRION, L’incessante pensée d’un homme d’État. Les blocs-notes de Robert Henrion, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 152.

195 Ibidem, p. 256.

196 À plusieurs reprises, les rapports rédigés au nom des commissions des poursuites le rappellent. Cf., par exemple, Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1346-1, 10 juillet 2001, p. 7 ; Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Vervolging ten laste van een Vlaams volksvertegenwoordiger. Verslag, n° 966-1, 4 janvier 2002, p. 3.

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et mise à la disposition des autorités judiciaires, à savoir le ministère public et, si nécessaire, le juge d’instruction 197. C’est aussi la période de privation de liberté qui s’ensuit.

L’arrestation judiciaire se distingue de l’arrestation administrative, qui ne vise qu’à maintenir l’ordre public ou à prévenir la commission d’une infraction pénale, dans les cas définis à l’article 31, alinéa 1er, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police 198. Par exemple, si un parlementaire en état d’ébriété sur la voie publique trouble la tranquillité des résidents, il pourra être détenu administrativement sans autorisation de son assemblée (qui, en toute hypothèse, vu le bref délai de la détention, ne pourrait pas être matériellement délivrée). Tout au plus, selon une circulaire ministérielle du 15 avril 1949, le président de l’assemblée dont fait partie le parlementaire devra être avisé de la décision d’arrêter administrativement celui-ci.

La question de savoir si l’article 59 de la Constitution vise également les arrestations effectuées en exécution d’arrêts ou de jugements de condamnation est controversée. Elles sont aussi de nature à entraîner des conséquences négatives sur le fonctionnement de l’assemblée. De surcroît, il a été relevé que, l’exécution de ces condamnations dépendant « pour une large part de l’arbitraire des parquets », il est préférable de rendre l’inviolabilité « applicable à toute espèce d’arrestations » 199. Au demeurant, la généralité des termes utilisés à l’article 59 ne permet pas de traiter distinctement cette catégorie d’arrestations 200. Un refus d’autorisation serait cependant interprété comme une atteinte frontale au respect dû aux décisions de justice définitives.

Il s’agit également de toute saisine d’une juridiction de jugement – cour ou tribunal –, que ce soit par une citation directe du ministère public (ou de tout agent compétent pour ce faire) ou, à la suite d’une instruction préparatoire, par un renvoi d’une juridiction d’instruction – chambre du conseil ou chambre des mises en accusation – vers une juridiction de jugement.

On signalera ici que, en vertu de l’article 59, alinéa 4, de la Constitution, « seuls les officiers du ministère public et les agents compétents peuvent intenter des poursuites en matière répressive à l’égard d’un membre de l’une ou l’autre chambre ». Cette disposition s’oppose à toute constitution de partie civile devant le juge d’instruction 201, ainsi qu’à toute citation directe devant la juridiction de jugement qui emporterait le déclenchement de l’action pénale 202. En revanche, si le ministère public a régulièrement

197 Sur l’arrestation judiciaire, cf. notamment M.-A. BEERNAERT, H. D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, 8e édition, Bruges, La Charte, 2017, p. 456-460.

198 Moniteur belge, 22 décembre 1992.

199 O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 477.

200 Dans certains États, la Constitution exclut expressément ce type d’arrestations de la protection constitutionnelle. Cf. par exemple l’article 68, alinéa 3, de la Constitution italienne, qui parle de « condamnation pénale définitive ».

201 Cf. Tribunal correctionnel de Gand, 6 novembre 1978 (Rechtskundig weekblad, 1979-1980, p. 1172).

202 La Cour de cassation a été amenée à préciser que l’article 6, § 1er, de la CEDH « ne donne pas le droit à la partie qui se prétend lésée par une infraction, de mettre elle-même l’action publique en mouvement contre celui qu’elle accuse. Certes, si un tel droit est prévu par l’ordre juridique interne d’un État membre, les garanties consacrées par la disposition conventionnelle précitée sont alors applicables à la procédure que la partie lésée a pu mettre en mouvement conformément à sa législation nationale. Cependant, l’article 59 de la Constitution ne confère pas ce droit à la victime des infractions dont il règle la poursuite. L’irrecevabilité de la constitution de partie civile du demandeur ne saurait, dès lors, violer l’article 6, § 1er, précité, celui-ci n’ayant pas vocation à créer en la matière une procédure que le droit interne ne connaît pas » (Cour de cassation, 22 novembre 2006 : Pasicrisie belge, 2006, p. 2457).

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mis en mouvement l’action pénale, la personne qui se prétend lésée par l’infraction peut joindre son action civile aux poursuites pénales 203. Par ailleurs, selon la Cour de cassation, l’article 59, alinéa 4, de la Constitution « n’empêche pas le procureur du Roi de requérir, s’il y a lieu, conformément à l’article 70 du Code d’instruction criminelle, la mise à l’instruction des faits visés par la plainte, et de mettre ainsi l’action publique en mouvement par un acte de procédure autonome dont la légalité n’est pas affectée par le défaut de qualité du plaignant » 204.

Qu’il s’agisse de la citation directe ou du renvoi, l’autorisation de l’assemblée est relative, en ce qu’elle ne lève l’immunité qu’à raison des faits visés spécifiquement dans la demande du procureur général près la cour d’appel. Il s’ensuit que le parlementaire traduit en justice ne pourrait être mis en cause pour d’autres griefs que ceux repris dans l’autorisation. Rien ne s’oppose toutefois à ce qu’une seconde demande d’autorisation soit introduite lorsque des éléments nouveaux sont apparus. On applique les mêmes principes pour l’arrestation.

S’est posée la question de savoir si l’autorisation de lever l’immunité parlementaire était nécessaire lorsque le ministère public envisageait de requérir un non-lieu lors du règlement de la procédure devant la juridiction d’instruction. Initialement, en application du courrier du 3 juin 1998 des présidents des sept assemblées parlementaires du pays concernées, la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation pouvait ordonner un non-lieu sans que l’assemblée dont le parlementaire fait partie se soit prononcée sur une demande de levée d’immunité. Dans leur courrier du 5 décembre 2005, les présidents des sept assemblées – se fondant sur « le parallélisme avec l’article 103, alinéa 5, de la Constitution relatif aux poursuites à l’encontre de ministres » – ont adopté une nouvelle interprétation, en considérant que, dans ce cas, la levée de l’immunité parlementaire doit être demandée, et ce au même moment que dans l’hypothèse où le ministère public sollicite un renvoi du parlementaire devant la juridiction pénale compétente 205. Cette seconde interprétation semble plus en phase avec le prescrit constitutionnel puisque, dès le moment où la juridiction d’instruction est saisie en vue du règlement de la procédure – que le ministère public ait requis un non-lieu ou un renvoi –, cette juridiction esthabilitée à décider, de manière indépendante, de la suite de la procédure.

En pratique, la « jurisprudence » des assemblées parlementaires a suivi cette évolution. En 2003, la commission des poursuites de la Chambre des représentants a déclaré une demande de levée d’immunité irrecevable au motif que seul le renvoi nécessitait une telle autorisation 206. Il est intéressant de souligner que le procureur général près la cour d’appel d’Anvers incitait pourtant déjà la Chambre à examiner le dossier « dès lors que le non-lieu est une décision prise par une juridiction (in casu la chambre du conseil) et que l’on ne peut anticiper une décision à venir et qui doit encore être prise, à savoir le renvoi ou le non-lieu » 207. Ultérieurement, en 2008 et 2013, les Parlements wallon et de la Communauté française ont été saisis d’une demande similaire s’agissant des députés Jean-Marie Séverin (MR) et Christophe Collignon (PS). Dans les deux cas, les assemblées

203 Cf. Tribunal correctionnel de Hasselt, 25 juin 1993 (Limburgs Rechtsleven, 1993, p. 227).

204 Cour de cassation, 24 mars 2010 (Pasicrisie belge, 2010, p. 964).

205 Sur cette question, cf. infra, 2.4.2.1.4.

206 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 426-1, 12 novembre 2003, p. 4-5.

207 Ibidem, p. 3.

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ont déclaré la demande de levée recevable. En revanche, s’agissant du fond, elles ont adopté des raisonnements distincts qui peuvent s’expliquer par les éléments factuels propres à chaque dossier. S’agissant de la demande de levée concernant J.-M. Séverin, les assemblées ont décidé de l’accorder, tout en précisant que la plainte « semble dénuée de tout fondement », parce que le député y est lui-même favorable et qu’à défaut il « serait le seul des douze mandataires à l’encontre desquels plaintes avec constitution de partie civile furent déposées à ne pas pouvoir assurer sa défense, faire valoir ses droits et bénéficier éventuellement d’un non-lieu, comme les autres personnes citées dans l’affaire » 208. Quant à la demande relative à C. Collignon, les assemblées – sur proposition des commissions des poursuites – ont refusé d’autoriser la levée de son immunité parlementaire, et ce parce qu’elles considéraient que la plainte à l’origine de l’action pénale était sans fondement 209. À l’inverse de J.-M. Séverin, C. Collignon ne souhaitait pas comparaître devant la chambre du conseil et il était le seul concerné par les infractions visées.

2.4.2.1.2. Qui doit solliciter la levée d’immunité ?

Selon une circulaire adressée le 19 juillet 1910 par le ministre de la Justice aux procureurs généraux près les cours d’appel, la convenance impose que toute demande de levée d’immunité parlementaire soit introduite par la voie du procureur général près la cour d’appel compétente. On y a vu une marque de déférence à l’égard des assemblées parlementaires. Il s’agit surtout d’une garantie du sérieux de la demande du ministère public. Cette règle aurait pu être inscrite à l’article 59 de la Constitution, au moment de sa révision en 2007.

En 2011, le Parlement flamand a été saisi d’une demande de levée d’immunité parlementaire adressée, non par le procureur général près la cour d’appel compétente, mais par un substitut du procureur du Roi. La commission des poursuites a relevé l’irrégularité mais n’y a attaché aucune sanction, considérant que cette exigence n’était pas formulée expressément dans la Constitution et que la parlementaire visée souhaitait que son immunité soit levée 210. Cette marque d’indulgence ne peut en aucun cas tenir lieu de précédent.

208 Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 772-1, 16 avril 2008, p. 3 ; Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 20, 6 mai 2008, p. 29-30.

209 Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée de l’immunité d’un membre du Parlement de Wallonie. Rapport, n° 756-1, 25 février 2003, p. 3-4 ; Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 11, 13 mars 2013, p. 20-21.

210 Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Vervolging ten laste van een Vlaams volksvertegenwoordiger. Verslag, n° 1063-1, 31 mars 2011, p. 3 : « La demande de levée de l’immunité a été formulée par un substitut du procureur du Roi. La circulaire (n° COL 6/97) qui règle la procédure pour la levée de l’immunité parlementaire, prévoit que la demande doit être formulée par le procureur général. Il ne s’agit pas, il est vrai, d’une exigence constitutionnelle et, puisque le parlementaire lui-même demande la levée de son immunité, la commission considère que cette faute formelle n’est pas un motif pour refuser la demande. La commission attire toutefois l’attention sur le fait que, à l’avenir, la demande devra être formulée conformément à la procédure reprise dans la circulaire » (« Het verzoek tot opheffing van de ondschendbaarheid werd geformuleerd door een substituut van de procureur des Konings. De omzendbrief (nr. COL 6/97) die de procédure regelt voor de opheffing van de parlementaire onschendbaarheid, bepaalt dat het verzoek moet geformuleerd worden door de procureur-generaal. Dit is weliswaar geen grondwettelijke vereiste en vermits het betrokken parlementslid zelf vraagt om de opheffing van haar onschendbaarheid, is voor de commissie deze vormfout geen reden om het verzoek te weigeren. De commissie drukt toch wens uit dat voor de toekomst blijvend zou gewerkt worden volgens de in de omzendbrief opgenomen procedure »).

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2.4.2.1.3. À qui la demande doit-elle être adressée ?

Le pouvoir de lever l’immunité d’un parlementaire revient en propre à l’assemblée dont il est membre, ce qui se comprend aisément à la lumière des motifs justifiant la règle de l’inviolabilité parlementaire. D’ailleurs, il en est ainsi dans la plupart des États dont la Constitution consacre cette règle. En France, toutefois, c’est le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, selon le cas, qui est compétent 211.

Si le parlementaire n’est membre que d’une assemblée, cette dernière sera valablement saisie. Tel est également le cas des parlementaires régionaux bruxellois, qui sont pourtant automatiquement membres, en outre, de l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune et, selon leur appartenance à l’un ou l’autre des deux groupes linguistiques du Parlement de la Région Bruxelles-Capitale, de l’Assemblée de la Commission communautaire française ou flamande. Seule l’autorisation émanant du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale est nécessaire pour lever leur immunité 212. Il est toutefois des parlementaires qui sont membres de deux assemblées – le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française, par exemple –, voire – pour quelques sénateurs régionaux ou communautaires – de trois assemblées. Dans la mesure où la levée d’immunité est un pouvoir propre des assemblées, chacune doit être saisie d’une demande en ce sens. Le refus de l’une d’elle suffit à empêcher l’arrestation et/ou la saisine de la juridiction de jugement, ce que confirme l’addendum ajouté le 23 avril 1999 à la circulaire du collège des procureurs généraux du 15 septembre 1997 213. Cette double voire triple immunité, légitime dans la rigueur des principes au regard des enjeux qui la justifient, peut toutefois dans les faits sembler excessivement protectrice en faveur des parlementaires.

Lorsque des assemblées parlementaires sont saisies de demandes d’autorisation identiques, sont-elles autorisées à tenir des réunions conjointes ? La question s’est posée dans l’affaire Wesphael 214, l’intéressé étant membre du Parlement wallon et, par la force des choses, du Parlement de la Communauté française. Il est bien évident que, constitutionnellement, la décision de lever ou non l’immunité appartient en propre à chaque assemblée. Il est donc exclu qu’une décision prise par une assemblée dans ce qui relève de son autonomie parlementaire le soit conjointement avec une autre assemblée. Est-ce à dire que deux assemblées ne peuvent pas coopérer lorsque les décisions à prendre concernent le même parlementaire ? On n’est plus ici au stade de la décision elle-même, mais des étapes qui la précèdent. Dans la lettre adressée le 3 juin 1998 au ministre de la Justice par les présidents des sept assemblées parlementaires du pays concernées, il est suggéré que les commissions des poursuites des assemblées concernées organisent des réunions et des auditions communes, à la condition que les votes interviennent séparément dans chaque commission. La lettre ajoute qu’« une telle collaboration entre les commissions des poursuites peut faire l’objet d’un protocole entre les assemblées », étant entendu que,

211 Constitution française, article 26, alinéa 2.

212 À moins qu’ils ne soient également sénateur régional ou communautaire, auquel cas l’autorisation du Sénat est par ailleurs requise.

213 Si la levée de l’immunité parlementaire nécessite donc l’autorisation de l’ensemble des assemblées dont l’intéressé est membre, l’autorisation d’une seule assemblée suffit, en revanche, pour suspendre les poursuites ou la détention en vertu des alinéas 5 et 6 de l’article 59. Sur ces suspensions, cf. supra (alinéa 5), 2.4.1 et infra (alinéa 6), 2.4.2.2.

214 M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., p. 406-407.

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« pour que cette collaboration puisse s’organiser, il faut évidemment que la demande de levée de l’immunité soit adressée simultanément aux diverses assemblées concernées ». À cet égard, on signalera que l’article 52 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 permet aux parlements fédérés de « régler leur coopération mutuelle et celle de leurs services, tenir des assemblées communes et organiser des services communs » 215. Selon un avis de l’assemblée générale de la section de législation du Conseil d’État, « ce que les assemblées peuvent décider seules sur la base de leur autonomie, elles peuvent également le faire de manière conjointe, sur la base par exemple, s’agissant des Parlements de la Communauté française et de la Région wallonne, de l’article 52 de la loi spéciale précitée du 8 août 1980 » 216. Hormis la nécessité de conclure un protocole d’accord, ce que confirment les travaux préparatoires 217, l’article 52 ne contient pas d’autre précision sur les modalités d’une telle coopération, qui doit donc être laissée à l’appréciation des assemblées concernées, en vertu du principe de l’autonomie de la volonté.

2.4.2.1.4. À quel moment la demande doit-elle être introduite ?

On l’a relevé, l’article 59 de la Constitution opère une césure entre deux périodes : la période d’information et d’instruction, au cours de laquelle des actes de poursuites peuvent être posés sans levée de l’immunité parlementaire 218, et la période subséquente, qui démarre lorsque l’information ou l’instruction est terminée et qu’il s’agit alors précisément de solliciter la levée de l’immunité parlementaire. Cette dichotomie reflète un des souhaits ayant présidé à la révision de l’article 59 en 1997, à savoir de faire intervenir la demande de levée d’immunité le plus tard possible au cours de la procédure judiciaire. Ce vœu est exprimé comme suit : « Premièrement, la justice doit pouvoir faire son travail le plus longtemps possible, sans dépendre de l’une ou l’autre autorisation de l’assemblée concernée. Deuxièmement, le membre du Parlement doit, dans l’intérêt de l’assemblée dont il fait partie, pouvoir travailler le plus longtemps possible sans être inquiété » 219.

Cela étant dit, il reste à identifier précisément le moment où le procureur général doit adresser la demande de levée d’immunité.

Si le dossier répressif est resté au stade de l’information, la demande intervient lorsque le ministère public a rédigé un projet de citation directe devant un tribunal correctionnel ou de police 220.

215 Sur la possibilité pour les assemblées de conclure des accords de coopération, cf. ibidem, p. 407.

216 Conseil d’État, Avis n° 48.754/AG/2 et 48.755/AG/2, 15 décembre 2010 (reproduit dans Parlement wallon, Projet de décret portant assentiment à l’accord de coopération conclu le 9 septembre 2010 entre la Communauté française et la Région wallonne portant création d’un service de médiation commun à la Communauté française et à la Région wallonne, n° 347-1, 9 février 2011, p. 20).

217 « Les réunions communes du Conseil de la Communauté française et du Conseil régional wallon supposent un règlement commun » (Chambre des représentants, Commission de la Réforme de la Constitution et des Réformes institutionnelles, Projet de loi spéciale de réformes institutionnelles. Rapport, n° 627-10, 29 juillet 1980, p. 134-135). Cf., à cet égard, les articles 65 et 66 du règlement du Parlement wallon.

218 À l’exception de l’arrestation judiciaire qui aurait lieu pendant cette période (cf. supra, 2.4.1).

219 Chambre des représentants, Commission de la Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 492-5, 13 juin 1996, p. 7.

220 Cf. un dossier dans lequel le projet de citation n’avait pas été communiqué : Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1946-1, 16 juillet 2002.

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Lorsque le dossier a fait l’objet d’une instruction, la question du timing de l’introduction de la demande a fait l’objet d’une dissension entre, d’une part, le collège des procureurs généraux et, d’autre part, les présidents des sept assemblées du pays concernées 221. Les premiers, dans la circulaire n° COL 6/97, précisent que la demande de levée d’immunité doit être effectuée avant que la juridiction d’instruction ne soit saisie. À l’inverse, les seconds, dans leur lettre du 3 juin 1998, expriment que la demande de levée de l’immunité doit intervenir après que la juridiction d’instruction a été saisie du règlement de la procédure mais avant qu’elle ne décide effectivement de procéder au renvoi du parlementaire devant la juridiction de jugement. En pratique, les commissions des poursuites se sont retrouvées à devoir accommoder deux positions « inconciliables en soi » 222. C’est au sein de la Chambre des représentants, dans un même dossier concernant Patrick Moriau (PS), inculpé de faux, usage de faux et recel dans une affaire relative à l’intégration de commissions occultes des entreprises Dassault dans la comptabilité de l’asbl Fondation socialiste d’information et de gestion (FONSOC, qui est l’institution de gestion du PS), dont il est administrateur 223, que cet arbitrage a eu lieu, dans un sens en 2004 et, suite à une évolution du dossier, dans un autre sens en 2005 224. La solution dégagée dans ce second temps, qui ne se rallie à aucune des deux lectures « extrêmes » évoquées, a ensuite été reprise de manière constante et affinée. Nous nous expliquons.

Dans son rapport du 20 janvier 2004, la commission des poursuites de la Chambre des représentants examine la demande de levée d’immunité parlementaire de P. Moriau, sollicitée avant que la chambre du conseil n’ait été saisie du règlement de la procédure. Tout d’abord, la commission met en évidence les deux interprétations et identifie les

221 Pour un aperçu des positions divergentes, cf. Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004, p. 5-10.

222 Ibidem, p. 7.

223 Il est à noter que ce même dossier aura fait l’objet de pas moins de quatre demandes de levée d’immunité parlementaire adressées à la Chambre des représentants entre 1997 et 2005 (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 944-1, 26 février 1997, n° 1346-1, 10 juillet 2001, n° 712-1, 20 janvier 2004 et n° 1714-1, 18 avril 2005). Cette « saga » a permis, sur plusieurs points, de faire évoluer la pratique de la commission des poursuites de la Chambre des représentants et, par ricochet, des commissions des poursuites des autres assemblées, ce qui explique que ce dossier soit évoqué à plusieurs reprises dans la présente contribution.

224 Antérieurement, en 2001, la Chambre des représentants aurait pu procéder à cet arbitrage mais, de manière surprenante, force est de constater qu’elle a examiné la demande de levée d’immunité en se limitant à préciser que, « en l’espèce, l’intervention de la Chambre se situe avant le débat devant la chambre du conseil et après qu’elle [a] pris connaissance du réquisitoire tendant au renvoi. Il échet de constater que les travaux préparatoires relatifs à la révision de l’article 59 de la Constitution ne contiennent pas de précision quant au rôle de la Chambre lorsque son intervention se situe à ce stade de la procédure » (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1346-1, 10 juillet 2001, p. 6-7). Encore précédemment, le Parlement de la Communauté française n’a pas soulevé cette question (Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 333-1, 29 avril 1999). Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale aurait également pu se positionner sur cette question, saisi d’une demande de levée d’immunité le 25 janvier 1999, alors que l’audience du règlement de la procédure était fixée moins de deux semaines plus tard. Les circonstances temporelles expliquent que tel n’a pas été le cas. En effet, sans attendre que le Parlement autorise la levée de l’immunité, la chambre du conseil a procédé au renvoi de l’intéressé devant le tribunal correctionnel. La chambre des mises en accusation, saisie en appel de cette décision, a prononcé la nullité de l’ordonnance de renvoi. C’est dans ce contexte que la commission des poursuites a repris les travaux et a examiné la demande de levée d’immunité (Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre. Rapport, n° 323-1, 22 avril 1999, p. 2).

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raisonnements qui les sous-tendent. Le collège des procureurs généraux a égard au principe d’indépendance du pouvoir judiciaire, rendant inconcevable « qu’une juridiction fasse connaître au préalable sa décision future et qu’elle doit par conséquent encore prendre », ce qui justifie, à son estime, que la demande soit adressée à l’assemblée par le ministère public avant la saisine de la juridiction d’instruction et non par cette juridiction d’instruction dès que et uniquement quand elle a l’intention de renvoyer le parlementaire concerné. Toutefois, l’interprétation des présidents des sept assemblées du pays concernées semble davantage conforme à la lettre de l’article 59, alinéa 1er, qui veut que cette autorisation intervienne le plus tard possible puisqu’elle ne s’impose que pour que le député « puisse être renvoyé (…) devant une cour ou un tribunal » 225. La commission décide ensuite de s’en tenir à la seconde interprétation, et ce notamment pour éviter des demandes de levée d’immunité prématurées, en ce sens que le dossier répressif soumis aux assemblées risquerait d’être incomplet. Tel avait d’ailleurs été le cas dans le dossier de P. Moriau puisque la levée de son immunité avait été précédemment autorisée mais avait été suivie d’actes d’instruction complémentaires nécessitant l’introduction d’une nouvelle demande d’autorisation par la Chambre des représentants 226. Elle exprime son raisonnement comme suit : « La commission estime qu’elle doit s’en tenir au texte même de l’article 59, alinéa 1er, de la Constitution et, par conséquent, également à la solution proposée par les présidents des sept assemblées. Il en résulte qu’en cas d’instruction judiciaire, le dossier à charge d’un parlementaire – que le parquet requière le non-lieu ou le renvoi devant le tribunal – peut être porté devant la juridiction d’instruction, y être ensuite examiné avant que l’éventuelle décision de renvoi ne soit suspendue par la juridiction saisie afin de permettre au ministère public de demander la levée de l’immunité parlementaire » 227. Toutefois, la commission des poursuites ne manque pas de préciser qu’à son estime, « dans la mesure où l’interprétation retenue actuellement s’avérait ultérieurement malgré tout incompatible avec le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il s’imposerait dans ce cas d’adapter éventuellement l’article 59 de la Constitution » 228. Dans le cas d’espèce, étant entendu que la commission des poursuites était amenée à se prononcer sur cette demande de levée d’immunité alors que la chambre du conseil n’avait pas encore fait savoir son intention de renvoyer l’intéressé et n’avait même pas encore été saisie, la commission a donc déclaré la demande de levée d’immunité de P. Moriau irrecevable car prématurée 229.

Le 16 février 2005, le procureur général près la cour d’appel de Liège adresse une nouvelle demande de levée d’immunité parlementaire en précisant que le dossier de P. Moriau a été fixé en vue du règlement de la procédure devant la chambre du conseil du 18 mai 2005. À l’occasion de l’examen de cette demande, la commission des poursuites de la Chambre des représentants est revenue sur son précédent « arbitrage » et a considéré que « le moment le plus indiqué pour formuler la demande de levée de l’immunité

225 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004, p. 7.

226 Sur ce point, cf. infra, 2.4.2.1.5. Il est à noter que le procureur général près la cour d’appel de Liège renouvelait la demande de levée d’immunité non seulement parce que le dossier avait évolué mais également parce que, dans l’intervalle, la Chambre des représentants avait été dissoute et renouvelée.

227 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004, p. 8-9.

228 Ibidem, p. 10.

229 Cette conclusion a été adoptée en séance plénière (Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 47, 29 janvier 2004, p. 25-27).

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parlementaire paraît dès lors être le moment où l’instruction est complète, c’est-à-dire après l’accomplissement des actes d’instruction complémentaires en application de l’article 127, alinéa 4 ou 5, du Code d’instruction criminelle, et après la fixation de la date de comparution devant la chambre du conseil, conformément à l’article 127, alinéa 6, du Code d’instruction criminelle » 230. En d’autres termes, la commission considère que la demande doit intervenir lorsque l’instruction est clôturée, que le réquisitoire a été rédigé et que la juridiction d’instruction a été saisie à une date ultérieure déterminée. Elle précise qu’il conviendrait d’octroyer un délai raisonnable aux assemblées pour se prononcer sur cette demande avant que cette audience n’ait lieu. La commission des poursuites déclare, dès lors, la demande de levée d’immunité parlementaire recevable (et l’autorise) 231.

Respectivement dans leur lettre du 5 décembre 2005 et dans la circulaire n° COL 15/2006 du 26 juin 2006, les présidents des sept assemblées du pays concernées et le collège des procureurs généraux reprennent cette interprétation. Désormais, il y a donc lieu de solliciter la levée de l’immunité parlementaire, suite à une instruction, lorsque l’audience en vue du règlement de la procédure a été fixée devant la juridiction d’instruction tout en laissant un délai suffisant permettant aux assemblées d’examiner les demandes, le collège des procureurs généraux évaluant ce délai à « deux mois au moins sauf en cas de détention préventive du parlementaire concerné » (p. 3).

Si les demandes de levée d’immunité parlementaire qui ont suivi semblent – à notre connaissance – toutes avoir été examinées en tenant compte de cette temporalité, il n’en demeure pas moins que la pratique a révélé plusieurs difficultés relatives à la complétude du dossier au moment de l’introduction de la demande (cf. infra, 2.5).

En effet, lorsqu’une demande de levée est introduite, on peut – depuis lors et en principe – présumer qu’elle est introduite à un moment où le dossier communiqué par le parquet général est complet. La brochure publiée par le service juridique de la Chambre des représentants sur L’inviolabilité parlementaire – qui, bien que dépourvue de force juridique obligatoire, n’en fait pas moins autorité en cette matière – souligne que la demande du procureur général « doit être accompagnée d’un dossier reprenant les faits reprochés, les plaintes éventuelles, les témoignages, les aveux et les pièces justificatives », et elle ajoute « qu’il doit s’agir d’un dossier complet » 232. L’actuel greffier de la Chambre des représentants, Marc Van der Hulst, souligne lui aussi la nécessité d’un dossier complet 233. La communication d’un dossier complet permet aux assemblées – contrairement à avant l’entrée en vigueur de la révision en 1997 de l’article 59 de la Constitution – de se prononcer sur la demande de levée d’immunité en connaissance de cause. Lorsque l’assemblée parlementaire doit apprécier s’il convient d’autoriser la détention ou la saisine de la juridiction de jugement ou s’il existe des raisons sérieuses de ne pas accorder cette autorisation, il est en effet préférable que sa décision soit fondée sur un dossier judiciaire complet. Cela permet également d’éviter « que la justice ne transmette à l’assemblée un dossier très “léger”, ce qui, étant donné l’intérêt des médias pour les “affaires”, ne peut

230 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1714-1, 18 avril 2005, p. 12. Ces dispositions ont été modifiées depuis.

231 Ibidem, p. 14 ; Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 131, 21 avril 2005, p. 25-28.

232 Chambre des représentants, L’inviolabilité parlementaire, op. cit., p. 35.

233 M. VAN DER HULST, Het federale Parlement. Organisatie en werking, Courtrai/Heule, UGA, 2010, p. 438, note 2140. Il cite là, en leur qualité de juristes, Johan Vande Lanotte et Geert Goedertier.

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que porter préjudice à l’institution et à l’intéressé » 234 ou, en d’autres termes, permet de « préserver le parlementaire concerné de toute publicité négative prématurée » 235.

Si le dossier est donc en théorie complet au moment où le procureur général adresse la demande de levée d’immunité, deux nuances doivent être apportées. Il est toujours loisible au parlementaire visé, aux éventuels autres inculpés et à la partie civile – en application de l’article 127, § 3, du Code d’instruction criminelle actuellement en vigueur – de solliciter du juge d’instruction l’accomplissement d’actes d’instruction complémentaires dans les quinze jours qui précèdent la date de la première audience en vue du règlement de la procédure, soit a fortiori après que l’assemblée parlementaire a été saisie de la demande de levée d’immunité parlementaire 236. Il est donc possible que la juridiction d’instruction remette l’affaire sine die au terme de cette première fixation pour permettre au juge d’instruction d’examiner les devoirs d’enquête complémentaires sollicités, d’en autoriser certains le cas échéant, et de les faire accomplir. Ensuite, l’affaire fera l’objet d’une seconde fixation devant la même juridiction d’instruction afin de procéder au règlement de la procédure 237. Par conséquent, si, entre le moment de la levée d’immunité et la décision de la juridiction d’instruction, le parquet souhaite compléter le dossier en y versant de nouvelles pièces, une autre autorisation est nécessaire 238. Ne pas l’admettre, ce serait permettre que les assemblées soient saisies prématurément d’une demande de levée, c’est-à-dire à un moment où l’instruction n’est pas complète. Ce n’est pas acceptable, pour la raison évoquée ci-avant.

On comprend mieux pourquoi l’autorisation de l’assemblée est relative, en ce que celle-ci ne lève l’immunité qu’à raison des faits visés spécifiquement dans la demande du procureur général près la cour d’appel. Dès le moment où l’assemblée ne peut se prononcer sur la demande de levée qu’en fonction d’un nombre déterminé d’éléments figurant au dossier, il faut admettre que son appréciation ne serait pas nécessairement la même si le dossier était composé de pièces supplémentaires, qui peuvent être autant à charge qu’à décharge, spécialement dans ce dernier cas lorsque des devoirs d’instruction complémentaires ont été ordonnés par la juridiction d’instruction à la demande de l’inculpé.

Le moment où le parquet général sollicite la demande de levée d’immunité parlementaire est donc inévitablement un critère procédural régissant l’autorisation d’arrêter le parlementaire ou de le renvoyer ou le citer devant une juridiction de jugement. Il y a plus. Le moment choisi peut également avoir une incidence sur l’examen au fond de la

234 Chambre des représentants, Commission de la Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 492-5, 13 juin 1996, p. 7.

235 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004, p. 9.

236 Pour rappel, le collège des procureurs généraux recommande un délai de deux mois au moins sauf en cas de détention préventive pour lequel un délai plus court est recommandé. Dès lors, l’intervalle de temps entre la demande de levée adressée au plus tard deux mois avant l’audience et la date correspondant à un maximum de quinze jours avant l’audience fait naître une incertitude quant à la complétude du dossier répressif communiqué à l’assemblée dans la mesure où, si des devoirs d’enquête complémentaires sont sollicités pendant cette période, ce dossier devient de facto incomplet.

237 Cf., par exemple, Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013, p. 10.

238 Cf. cependant Tribunal correctionnel de Bruxelles, 26 mars 1986 (Jura Falconis, 1986-1987, p. 7, note W. MOSSERAY, B. TILLEMAN, A. VERBEKE, « Welk specialiteitsbeginsel hanteren voor de opheffing van de parlementaire immuniteit? »).

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demande de levée d’immunité. À juste titre, les assemblées s’interrogent sur la motivation réelle du parquet général lorsqu’elles sont saisies d’une demande à l’approche d’un moment politique important – typiquement, des élections –, particulièrement lorsque ledit dossier répressif n’a pas évolué depuis un certain temps (cf. infra, 2.4.2.1.7).

Enfin, la demande de levée d’immunité est également requise avant que le parlementaire ne soit arrêté. Dans ce cas de figure, la détermination du moment de la demande de levée d’immunité soulève peu de questions puisqu’il y a lieu de la solliciter dès que la mesure est envisagée.

2.4.2.1.5. L’autorisation de l’assemblée doit-elle, le cas échéant, être renouvelée ?

On vient de l’évoquer, le renouvellement de l’autorisation de l’assemblée devrait être requis lorsque le dossier répressif a évolué depuis le moment où la demande de levée d’immunité a été introduite. On remarque toutefois que, en pratique, le renouvellement de cette demande n’a pas souvent lieu d’être car, en réalité, la commission des poursuites refuse de se prononcer tant qu’elle ne dispose pas du dossier répressif complet et, au besoin, d’un nouveau réquisitoire 239. Cela peut donc expliquer le délai parfois très long qui s’écoule entre la demande adressée à l’assemblée et la proposition de décision rendue par la commission des poursuites, à l’instar de l’affaire du député fédéral Alain Mathot (PS) – poursuivi pour plusieurs infractions, dont corruption dans le cadre de la passation d’un marché public par l’intercommunale INTRADEL visant à créer une unité d’incinération des déchets –, dans laquelle la commission a rendu son rapport treize mois après avoir été saisie 240.

La question du renouvellement de l’autorisation de l’assemblée se pose également dans un autre contexte, celui d’un changement de législature – que le parlementaire reste membre de la même assemblée nouvellement composée ou que le parlementaire soit élu au sein d’une autre assemblée parlementaire – : le procureur général près la cour d’appel doit-il, à la suite de l’élection de l’assemblée, solliciter une nouvelle autorisation pour une saisine de la juridiction de jugement ou une arrestation judiciaire qui a été autorisée sous la précédente législature, que ce soit par cette même assemblée ou par une autre assemblée dont le parlementaire faisait partie ? Compte tenu des enjeux de l’inviolabilité parlementaire, il nous paraît logique que la nouvelle assemblée concernée soit invitée à reconsidérer la position adoptée précédemment 241. Est-ce à dire, concrètement, que cette nouvelle assemblée devrait systématiquement être invitée à

239 La commission des poursuites de la Chambre des représentants a déjà considéré que, en l’absence de nouveau réquisitoire malgré les nouvelles pièces versées au dossier après la demande de levée d’immunité, il fallait en déduire que le parquet maintenait son réquisitoire initial (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013, p. 10). Par ailleurs, dans le cadre d’un autre dossier dans lequel des devoirs d’instruction complémentaires devaient encore être accomplis – mais, aux dires du parquet, ne concernaient pas le parlementaire visé –, cette même commission a accepté de statuer tout en précisant que, si le réquisitoire devait changer, il y aurait lieu de solliciter « une demande complémentaire de levée de l’immunité parlementaire » (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1394-1, 23 juillet 2008, p. 7).

240 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016.

241 M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 310 (l’auteur va même plus loin en écrivant, de manière discutable selon nous : « Si les autorités judiciaires n’ont pas usé de l’autorisation reçue pendant la session, elles doivent en demander le renouvellement lors de la session suivante »).

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renouveler l’autorisation d’arrestation ou de saisine de la cour ou du tribunal ? La réponse à cette question diffère selon que la procédure devant le juge du fond a ou non déjà débuté lorsqu’intervient ce changement de législature.

En 2003, le parquet général de Liège avait de nouveau sollicité de la Chambre des représentants la levée de l’immunité parlementaire de P. Moriau en vue de son renvoi par la chambre du conseil dès lors que, dans l’intervalle, les chambres fédérales avaient été dissoutes et P. Moriau avait été réélu député fédéral. À l’estime du parquet général, le prescrit constitutionnel impose « une autorisation de la chambre dont l’intéressé fait partie », de sorte que la Chambre des représentants n’est pas liée par l’autorisation donnée par cette même assemblée autrement composée. Le parquet général motivait sa position par deux éléments. Premièrement, « suite aux élections, la composition des assemblées se modifie, la position de l’intéressé comme membre de la majorité ou de l’opposition peut également changer ». Deuxièmement, la Chambre des représentants doit pouvoir, dans ces nouvelles circonstances, évaluer « l’impact de la soulevée de l’immunité sur la participation du député ou du sénateur sur l’activité parlementaire » 242. Il en résulte que le renouvellement de l’autorisation de l’assemblée est nécessaire lorsque le changement de législature intervient avant que la procédure devant le juge du fond n’ait débuté.

Ultérieurement, cette même question de la nécessité de renouveler l’autorisation de l’assemblée s’est de nouveau posée, à la différence que le changement de législature était intervenu alors que la procédure devant la juridiction du fond avait déjà été entamée.

Le 26 juin 2002, la Chambre des représentants avait donné son autorisation pour que Daniel Féret (FN) soit cité devant le tribunal correctionnel 243. Pendant le cours de la procédure correctionnelle, l’intéressé a été élu pour siéger au sein des Parlements de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Communauté française. Le tribunal correctionnel et, ultérieurement, la cour d’appel ont rendu leur décision sans que l’autorisation de poursuite n’ait été requise de ces deux assemblées. D. Féret a soulevé ce grief devant la Cour de cassation. Dans son arrêt 244, la Cour rejette ce grief, considérant que ces deux assemblées n’avaient pas, au sens de l’article 59 de la Constitution, à autoriser « la poursuite des débats, la mise en délibéré, le jugement de la cause ou l’exercice des voies de recours » puisque cette disposition ne vise aucun de ces actes 245. En ce sens, l’autorisation initiale de la Chambre des représentants suffisait.

En 2015, la commission des poursuites de la Chambre des représentants a été confrontée à une situation similaire. Le parquet général près la cour d’appel de Liège sollicitait la levée de l’immunité du député fédéral Sébastian Pirlot (PS) en vue de le citer devant le tribunal de police d’Arlon, et ce bien que cette autorisation avait été accordée antérieurement par les Parlements wallon 246 et de la Communauté française 247 au sein desquels S. Pirlot

242 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004, p. 5.

243 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1873-1, 19 juin 2002 ; Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 241, 20 juin 2002, p. 25-28.

244 Cour de cassation, 4 octobre 2006 (Revue de droit pénal et de criminologie, 2007, p. 241-245).

245 S’agissant des actes nécessitant la levée de l’immunité parlementaire, cf. supra, 2.4.2.1.1.

246 Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée d’immunité d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 1062-1, 9 avril 2014 ; Parlement wallon, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 16, 11 avril 2014, p. 182.

247 Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 18, 10 avril 2014, p. 53.

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siégeait durant la législature précédente. Suivant le raisonnement de la Cour de cassation dans l’affaire Féret, la commission a déclaré cette demande de levée d’immunité « superflue » 248. En revanche, elle s’est saisie de l’occasion pour examiner l’opportunité de suspendre les poursuites, en application de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution (cf. infra, 2.4.2.2). À cet égard, la commission a mentionné la nécessité de disposer des informations lui permettant d’exercer cette prérogative 249, à savoir d’être mise au courant de l’existence d’une levée de l’immunité accordée par une autre assemblée. Elle a suggéré que cette information soit communiquée au début de chaque législature 250.

En définitive, il apparaît que l’autorisation de l’assemblée doit être renouvelée lorsque le dossier répressif a évolué ou lorsqu’un changement de législature est intervenu alors que la procédure devant la juridiction du fond n’a pas encore été entamée. À l’inverse, si un juge du fond a déjà été saisi, la poursuite de la procédure au fond n’est pas affectée par le fait que l’assemblée dont fait partie le parlementaire concerné a été renouvelée ou que ce dernier est devenu membre d’une autre assemblée. Il serait toutefois erroné d’en déduire que cette « nouvelle » assemblée ne pourrait agir sur la procédure en cours, ce qui serait contraire, à notre estime, aux enjeux de l’inviolabilité parlementaire. En effet, en application de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution, cette assemblée a la faculté de suspendre les poursuites.

2.4.2.1.6. Comment la demande de levée d’immunité doit-elle être traitée ?

À défaut d’être réglée par la Constitution ou par une loi, la procédure de levée d’immunité parlementaire est définie par les règlements des assemblées parlementaires.

La demande est d’abord examinée par une commission parlementaire. Ainsi, le règlement de la Chambre des représentants met en place une commission dite des poursuites (article 160). Des commissions des poursuites sont également instituées par les parlements régionaux et communautaires 251. Quant au Sénat, « il peut, chaque fois qu’il le juge utile, instituer des commissions spéciales pour les matières et la durée qu’il détermine » (article 29). En pratique, c’est la commission de la Justice qui, dans les deux seuls cas soumis – à notre connaissance – sur la période étudiée, soit depuis 1999 au Sénat, a examiné les demandes de levée d’immunité 252. La commission de la Justice du Sénat faisant office de commission des poursuites, nous continuerons, dans le reste du texte, à l’englober sous la dénomination générale de « commission des poursuites ».

248 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1107-1, 21 mai 2015, p. 10.

249 Ibidem, p. 9-10.

250 La commission a saisi cette occasion pour énumérer les deux hypothèses dans lesquelles la transmission d’informations de la part, cette fois, du ministère public était nécessaire pour permettre aux assemblées d’examiner une éventuelle suspension des poursuites en application de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution : lorsqu’un parlementaire est détenu ou poursuivi devant une cour ou un tribunal en dehors de la session parlementaire ou en cas de flagrant délit. Sur la notion de flagrant délit et le régime d’exception y lié, cf. infra, 2.4.2.2.

251 Article 54 du règlement du Parlement wallon ; article 100 du règlement du Parlement flamand ; article 43 du règlement du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ; article 35 du règlement du Parlement de la Communauté française ; article 111 du règlement du Parlement de la Communauté germanophone.

252 Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2002 ; Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1453-1, 23 février 2010.

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Avant de détailler le fonctionnement des commissions des poursuites, il est intéressant de s’arrêter sur leur composition.

Les commissions des poursuites sont composées de sept 253, neuf 254 ou quinze 255 membres selon l’assemblée (à l’exception de celle du Parlement de la Communauté germanophone, dont le nombre de membres n’est pas précisé 256). Ils sont tous élus selon les règles qui président à la désignation des membres des commissions parlementaires et, partant, dans le souci d’une représentation proportionnelle des groupes politiques (avec la particularité, au sein du Parlement de la Communauté germanophone, que chaque groupe politique y est représenté 257). Au sein du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, cette représentation proportionnelle des groupes politiques se double d’une représentation proportionnelle des groupes linguistiques 258.

Dans les faits, la composition de la commission des poursuites – à tout le moins – au sein de la Chambre des représentants fait l’objet de critiques dès lors que la limitation du nombre de membres à sept ne permet pas une représentation de tous les groupes politiques. À trois reprises au moins, cet écueil a été mis en évidence lors des discussions précédant ou suivant le vote en séance plénière du rapport présenté par la commission des poursuites. Cette critique n’est pas sans conséquence puisqu’elle a conditionné le vote ou l’abstention de plusieurs parlementaires dont le groupe politique n’était pas représenté au sein de la commission des poursuites. Ainsi, Muriel Gerkens (Écolo) a déclaré qu’elle s’était abstenue de voter dans le dossier concernant la députée Corinne de Permentier (MR) 259. S’agissant du dossier de Jean-Marie Dedecker (Lijst Dedecker - LDD), une élue du Vlaams Belang a affirmé que tous les membres de son parti politique avaient voté contre la levée de l’immunité 260. En 2016, après le résultat du vote relatif à la demande de levée de l’immunité d’Alain Mathot (PS), Francis Delpérée a pris la parole pour l’ensemble des élus du CDH, expliquant que son groupe s’était abstenu de voter puisqu’il « n’a (…) pas entendu le point de vue du parquet général, des avocats et des personnes concernées », lesquels ont été entendus en commission, « n’a pas pu vérifier concrètement la manière dont l’enquête s’est déroulée » et a « constaté en plus que la commission des poursuites n’était pas unanime dans ses conclusions » 261. Le 4 mai 2016, une proposition – à présent caduque – de modification du règlement de la Chambre des représentants a été déposée en écho à ce grief 262. F. Delpérée et Laurette Onkelinx (PS) y suggéraient d’élargir la composition de cette commission en se calquant sur la composition du bureau, et ce afin d’assurer une représentation de l’ensemble des groupes politiques 263.

253 Au sein de la Chambre des représentants (articles 22, 157, 158 et 160 du règlement), du Parlement flamand (articles 10 et 100 du règlement) et du Parlement de la Communauté française (article 15, 18, § 3 à 4, 35 du règlement).

254 Au sein du Parlement wallon (article 54.2 du règlement).

255 Au sein du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale (article 43.1 du règlement).

256 Article 111 du règlement du Parlement de la Communauté germanophone.

257 Article 111, § 1er, alinéa 2, du règlement du Parlement de la Communauté germanophone.

258 Ibidem.

259 Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 127, 31 janvier 2013, p. 91.

260 Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 142, 16 mai 2013, p. 112-113.

261 Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 106, 14 avril 2016, p. 123.

262 Chambre des représentants, Proposition modifiant le règlement de la Chambre des représentants en ce qui concerne la composition de la Commission des poursuites, n° 1814-1, 4 mai 2016.

263 Il est à noter que, un mois plus tôt, le député fédéral Jean-Marc Nollet (Écolo) avait également évoqué la nécessité d’une représentation de tous les groupes politiques au sein de la commission si la « thèse

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Nous l’avons évoqué précédemment, les commissions des poursuites se prononcent en faveur ou contre la levée de l’immunité parlementaire sollicitée par le parquet général sur la base du dossier répressif complet qui leur est soumis. Ainsi, les membres de la commission se réunissent autant de fois que nécessaire pour évoquer le dossier et prendre position. Ces réunions sont, en principe, tenues à huis clos 264. Ce manque de transparence a été dénoncé par les parlementaires fédéraux Véronique Caprasse et Olivier Maingain (Défi), qui ont déposé, le 15 mars 2018, une proposition de modification du règlement de la Chambre des représentants visant à rendre publiques, par principe, les réunions de la commission des poursuites. À leur estime, il est difficilement concevable de discuter à huis clos des poursuites pénales à l’encontre d’un parlementaire lorsque les faits pour lesquels ce dernier est incriminé sont liés à l’exercice du mandat de député ou de tout autre mandat public, puisqu’ils doivent « rendre des comptes aux électeurs et à la société » 265. Par exception, le huis clos pourrait toujours être requis si le membre intéressé ou le parquet en fait la demande ou si les faits reprochés sont sans lien avec l’exercice du mandat.

Toutes les assemblées prévoient dans leur règlement la possibilité d’entendre le parlementaire visé par les poursuites, représenté le cas échéant par un collègue ou assisté de son conseil 266. Cette audition a automatiquement lieu si le membre intéressé le demande 267. Seuls la Chambre des représentants et le Parlement de la Communauté germanophone n’autorisent pas le parlementaire à être représenté par un autre membre de l’assemblée dès lors qu’elle accepte uniquement que ce collègue puisse assister le parlementaire, à l’instar de son conseil. Toutefois, en pratique, la commission des poursuites de la Chambre a dérogé une fois à cette règle dans le dossier de P. Moriau, pour des motifs exceptionnels liés à l’état de santé du parlementaire 268. Ajoutons qu’à cette occasion, la commission a suggéré à la Chambre des représentants de modifier son règlement pour inclure cette faculté, en précisant que « cette modification mettrait le règlement de la Chambre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne

maximaliste » de l’examen des dossiers devait être retenue (Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 106, 14 avril 2016, p. 124). Sur la notion de « thèse maximaliste », cf. infra, 2.4.2.1.7 et 2.6.

264 Cf. article 39 du règlement de la Chambre des représentants ; article 21, 8, b) du règlement du Sénat ; article 59, 3, du règlement du Parlement wallon ; article 100, 4, du règlement du Parlement flamand ; article 33, 1, a, du règlement du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ; article 7, § 3, alinéa 3, du règlement du Parlement de la Communauté germanophone (seul le huis clos est autorisé). Cf. contra, article 22, 2, du règlement du Parlement de la Communauté française.

265 Chambre des représentants, Proposition modifiant le règlement de la Chambre des représentants en ce qui concerne la procédure de levée de l’immunité parlementaire, n° 2993-1, 15 mars 2018, p. 6.

266 À l’exception du Sénat qui s’y conforme toutefois en pratique (Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2002 ; Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1453-1, 23 février 2010). Il est à noter que le Parlement flamand permet au parlementaire d’être « doublement entouré » en ce qu’il peut être à la fois représenté par un collègue et être assisté de son conseil (article 100, 5, du règlement du Parlement flamand).

267 Cf. article 160, alinéa 2, du règlement de la Chambre des représentants ; article 54, 4, alinéa 3, du règlement du Parlement wallon ; article 100, 5, du règlement du Parlement flamand ; article 43, 4, du règlement du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ; article 35, 2, du règlement du Parlement de la Communauté française ; article 111, § 3, alinéa 1er, du règlement du Parlement de la Communauté germanophone.

268 La commission précisait que cette dérogation « ne peut être considérée comme un précédent » (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013, p. 10).

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des droits de l’homme » 269. Cette invitation est restée lettre morte. Afin que sa défense soit effective, le parlementaire visé peut consulter le dossier répressif tel que communiqué à la commission par le parquet général, sans néanmoins pouvoir en prendre copie 270. Outre le fait d’être entendu, l’examen des rapports des commissions des poursuites montre que le parlementaire visé ou son conseil a la possibilité « de plaider, de déposer des notes, des documents et/ou des conclusions » 271, et que des témoins peuvent également être entendus en l’absence de l’intéressé.

Si le parlementaire a formellement la possibilité d’avoir accès au dossier, d’être entendu par les membres de la commission et, partant, d’assurer sa défense, qu’en est-il du parquet ? Les règlements des assemblées n’évoquent pas ce point, à l’exception de celui du Parlement flamand qui mentionne que le procureur général est entendu mais uniquement lorsque la commission doit se prononcer dans le cadre d’une demande de mise en détention préventive 272. La lecture des rapports de commission montre que le parquet n’est, dans les faits, que rarement entendu 273. Il en résulte que, dans la grande majorité des cas, le ministère public n’a pas la possibilité d’avoir accès aux éventuels écrits de défense déposés par le parlementaire visé ou son conseil, ni de venir exposer oralement son dossier devant les membres de la commission. Cette inégalité des armes a été relevée par V. Caprasse et O. Maingain dans leur proposition de modification du règlement de la Chambre des représentants du 15 mars 2018 274. Ils suggèrent de formaliser et de systématiser l’audition du ministère public afin de garantir le caractère contradictoire du débat au sein de la commission 275.

269 Ibidem, p. 11.

270 Cela ressort de la pratique. En effet, aucun règlement ne le prévoit explicitement, à l’exception de celui du Parlement flamand (cf., article 100, 6). Par exemple, le règlement du Parlement de la Communauté germanophone précise que « les membres de la commission, le député concerné et, le cas échéant, son conseiller peuvent consulter les dossiers sans qu’aucune photographie soit prise » (cf. article 111, § 3, alinéa 2).

271 Chambre des représentants, Proposition modifiant le règlement de la Chambre des représentants en ce qui concerne la procédure de levée de l’immunité parlementaire, n° 2993-1, 15 mars 2018, p. 5.

272 Article 100, 7, du règlement du Parlement flamand.

273 Cf., par exemple, le dossier d’A. Mathot, dans lequel l’audition été requise en raison de la complexité du dossier (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016, p. 9-10). En ce qui concerne la demande de suspension des poursuites et de remise en liberté de B. Wesphael, les commissions du Parlement wallon et du Parlement de la Communauté française ont entendu, respectivement, le procureur général près la cour d’appel de Gand, le procureur du Roi de Bruges, accompagné d’un substitut, et le juge d’instruction, pour l’une, et le procureur général près la cour d’appel de Gand et l’avocat général, pour l’autre (Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 3 ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 569-1, 18 novembre 2013, p. 3).

274 Chambre des représentants, Proposition modifiant le règlement de la Chambre des représentants en ce qui concerne la procédure de levée de l’immunité parlementaire, n° 2993-1, 15 mars 2018, p. 5-6. Il est à noter que les députés prévoient la possibilité pour le procureur, lorsqu’il est entendu, de solliciter le huis clos si cela devait compromettre le bon déroulement de l’enquête judiciaire.

275 Cf. également l’intervention de J.-M. Nollet à l’issue du vote en séance plénière dans l’affaire Mathot : « Si, après conclusion d’un tel débat principiel, un tel revirement devait se révéler nécessaire, il impliquerait à tout le moins une révision des modalités de fonctionnement de la commission, notamment quant au caractère davantage contradictoire des débats à mener ainsi qu’en ce qui concerne sa composition » (Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 106, 14 avril 2016, p. 124).

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Après un examen approfondi en commission, la demande de levée d’immunité parlementaire est examinée lors d’une séance plénière rapprochée 276, selon une procédure strictement encadrée et identique à toutes les assemblées. Le rapporteur de la commission expose d’abord le contenu et les conclusions du rapport. Ensuite, s’il le souhaite, le parlementaire visé ou un membre qui le représente peut prendre la parole. Dans un second temps, sont invités à s’exprimer un membre pour et un membre contre les conclusions du rapport. Au Sénat 277 et au Parlement wallon 278, ce débat a lieu à huis clos, tandis que la publicité des débats est – par principe – assurée au sein des autres assemblées étant entendu que le huis clos est le plus souvent – par exception – requis 279 (à l’exception du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui exclut toute possibilité de mise au secret 280).

Il est raisonnablement permis de se demander si, en l’état actuel, le traitement des demandes de levée d’immunité parlementaire réservé par les assemblées belges est compatible avec les exigences prescrites par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en termes de droits de la défense. En effet, dans son arrêt Kart c. Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a expressément indiqué que « si lesdécisions en la matière [d’autorisation ou de refus de levée de l’immunité parlementaire] relèvent des actes internes du parlement et donc de la seule compétence de ce dernier », il n’en demeure pas moins que la Cour est compétente pour « vérifier que la procédure parlementaire en la matière se concilie avec les droits garantis par la Convention » 281. Toutefois, à notre connaissance, la Cour n’a été amenée à examiner in concreto cette question que dans le cadre de cet arrêt sous l’angle de la compatibilité de cette procédure avec le droit pour le parlementaire visé d’avoir accès à un tribunal impartial et indépendant 282. À ce propos, la Chambre et la grande chambre ont examiné les droits de la défense octroyés au parlementaire, la motivation de la décision et la célérité de la procédure. À l’issue de cet examen, la Chambre a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention, considérant, de manière combinée, qu’aucun critère légal ne fixait la levée de l’immunité, ce qui laissait supposer le recours à des motifs politiques, que la décision de refus de levée d’immunité n’était pas adéquatement motivée et que la durée de la procédure avait été anormalement longue (deux ans et demi) 283. À l’inverse, la grande

276 Il est à noter que le règlement du Parlement flamand précise, en son article 100, que l’assemblée doit se prononcer, en assemblée plénière dans les cinq jours qui suivent la réception du rapport lorsque le parlementaire visé par la procédure est en état d’arrestation judiciaire ou en détention préventive.

277 Article 21, 8, b, du règlement du Sénat.

278 Article 54, 5, du règlement du Parlement wallon.

279 Cf. article 45, § 1, du règlement du Parlement de la Communauté française ; article 7, § 1er, du règlement du Parlement de la Communauté germanophone.

280 Cf. article 49, 3, du règlement du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.

281 Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Kart c. Turquie, 3 décembre 2009, § 99. En l’espèce, la Cour souligne que « la procédure en question apparaît en outre soumise à un certain formalisme, qui garantit à l’intéressé le respect de ses droits de la défense à toutes les étapes du processus décisionnel ainsi qu’un droit de recours contre les décisions des instances parlementaires » et qu’elle est soumise à des délais, mais pas au stade de l’examen en séance plénière. Sur cet arrêt, cf. K. MUYLLE, « L’autonomie parlementaire à l’abri des droits de l’homme ? », op. cit., spécialement p. 722-728 ; S. YOLCU, « Parliamentary Inviolability v. Right to a fair Trial: A constitutional Analysis of the Case of Kart v. Turkey », SSRN Electronic Journal, août 2011.

282 Au terme de cet arrêt, plusieurs juges ont critiqué le fait que l’affaire n’ait pas été examinée sous l’angle du délai raisonnable. Pour une mise en contexte de cet arrêt, cf. les faits de cette affaire repris infra, 2.4.2.1.7.

283 Cour européenne des droits de l’homme, Kart c. Turquie, 8 juillet 2008, § 93 à 95.

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chambre a considéré que ces éléments ne portaient pas atteinte de manière disproportionnée au droit d’accès à un tribunal 284.

Par ailleurs, soulignons que les parlementaires chargés de se prononcer sur une demande de levée d’immunité – qu’ils soient ou non membres d’une commission des poursuites puisqu’ils votent tous, in fine, en séance plénière – doivent se garder de toute déclaration, notamment à la presse, qui pourrait être de nature à compromettre le droit du parlementaire à une innocence présumée, en affirmant ou en laissant entendre qu’il serait coupable des faits qui lui sont reprochés. De telles déclarations font courir à l’État le risque d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à la présomption d’innocence consacré par l’article 6, § 2, de la Convention. En effet, la Cour de Strasbourg rappelle fréquemment sa jurisprudence selon laquelle « une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal mais aussi d’autres autorités publiques » 285, et notamment du président d’une assemblée législative 286.

2.4.2.1.7. Sur la base de quels critères la décision autorisant ou refusant la levée de l’immunité parlementaire doit-elle être prise ?

De toute évidence, l’assemblée n’a pas à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence du parlementaire. La décision de l’assemblée n’a pas non plus la valeur d’une présomption de culpabilité ou d’innocence. Le principe de la séparation des pouvoirs s’y oppose. Les assemblées parlementaires ne sont pas des antichambres du pouvoir judiciaire. Par ailleurs, « on comprend le danger qu’un préjugé pourrait faire courir au député ou au sénateur traduit en justice » 287.

La vérification effectuée par l’assemblée saisie d’une demande de levée d’immunité se comprend par rapport à la justification purement fonctionnelle de l’inviolabilité parlementaire : les parlements doivent pouvoir travailler le plus librement possible. Pour autant, faut-il laisser aux assemblées elles-mêmes le soin de définir les critères présidant à la délivrance des autorisations ? Le silence de la Constitution sur ce point laisse aux assemblées une marge d’appréciation considérable.

Dans la pratique, on constate qu’aucune assemblée n’a inscrit explicitement dans son règlement les critères devant guider l’appréciation tant des membres de la commission des poursuites que de l’ensemble des parlementaires lors du vote en séance plénière. Cela ne signifie pas qu’il n’existerait aucun critère bien défini, avec la conséquence que les

284 Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, Kart c. Turquie, 3 décembre 2009, § 99 à 114.

285 Initialement énoncée dans une procédure intentée par un parlementaire : Cour européenne des droits de l’homme, Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 36. Cf. également Cour européenne des droits de l’homme, Gutsanovi c. Bulgarie, 15 octobre 2013, § 193. Cf. également, pour des dossiers dans lesquels les requérants n’étaient pas des parlementaires : Cour européenne des droits de l’homme, Popovi c. Bulgarie, 9 juin 2016, § 85 ; Cour européenne des droits de l’homme, Petrov et Ivanova c. Bulgarie, 31 mars 2016, § 44 ; Cour européenne des droits de l’homme, Alexey Petrov c. Bulgarie, 31 mars 2016, § 67 ; Cour européenne des droits de l’homme, Stoyanov c. Bulgarie, 31 mars 2016, § 101 ; Cour européenne des droits de l’homme, Slavov et autres c. Bulgarie, 10 novembre 2015, § 118 ; Cour européenne des droits de l’homme, Kouzmin c. Russie, 18 mars 2010, § 59 ; Cour européenne des droits de l’homme, Daktaras c. Lituanie, 10 octobre 2000, § 42.

286 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, Butkevicius c. Lituanie, 26 mars 2002. Dans cet arrêt, des déclarations à la presse du procureur général et du président du Parlement étaient visées.

287 P. ERRERA, Traité de droit public belge, op. cit., p. 174.

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autorisations ou les refus de levée d’immunité, de suspension des poursuites ou de remise en liberté relèveraient d’une pure casuistique. Il serait également incorrect de soutenir que les assemblées auraient développé de manière isolée leur pratique, aboutissant à des raisonnements diamétralement opposés. Au contraire, on remarque – à quelques nuances près – qu’elles se réfèrent aux mêmes critères. Ceux-ci ont été initialement identifiés par la commission des poursuites de la Chambre des représentants. Ils ont ensuite fait office de précédents pour les autres assemblées, ces dernières se référant explicitement aux travaux de cette commission. Il n’est pas inintéressant de noter que ces critères s’inscrivent dans la continuité de la pratique antérieure de la Chambre, développée sous l’ancien régime d’inviolabilité.

Ainsi, la commission des poursuites de la Chambre des représentants indique presque systématiquement dans ses rapports qu’il convient de proposer la levée de l’immunité parlementaire lorsque les poursuites satisfont aux trois critères cumulatifs suivants : « Les faits communiqués n’amènent pas prima facie à conclure que l’action est fondée sur des éléments fantaisistes, irréguliers, prescrits, arbitraires ou ténus ; les faits ne sont pas la conséquence imprévue d’une action publique 288 ; il ne s’agit pas d’un délit dont les mobiles politiques sont manifestes » 289. En d’autres termes, la levée de l’immunité parlementaire se justifie si les poursuites sont sérieuses et sincères 290.

Les autres assemblées mettent clairement en évidence ces trois mêmes critères 291, à l’exception de la commission des poursuites du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, laquelle semble a priori s’en écarter. Toutefois, la lecture des rapports de cette commission permet de dégager des critères qui recoupent partiellement ceux retenus par les autres assemblées. Elle regroupe ces critères au sein de deux catégories : les critères qualifiés d’infractionnels et les critères dits professionnels. Par critères infractionnels,

288 À défaut d’explications et d’applications pratiques au sein des commissions des poursuites, les auteurs ne parviennent pas à saisir la signification de ce critère.

289 Cf. pour la première application, dans le cadre de l’article 59 de la Constitution révisé (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1346-1, 10 juillet 2001, p. 6), la référence faite à un rapport antérieur correspondant à une application du précédent régime d’inviolabilité (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 781-1, 7 décembre 1992).

290 La commission considère que ne sont pas sincères des poursuites menées à l’encontre de faits qui « se situent dans un contexte politique et ont été commis dans un but politique » (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1946-1, 16 juillet 2002, p. 17, citant J. VELU, Droit public, op. cit. et G. SOUMERYN, « L’immunité parlementaire », Res Publica, 1975). Pour une reprise de ces termes au sein de la commission des poursuites d’autres assemblées, cf. Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 819-1, 25 juin 2008, p. 3 ; Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 847-1, 1er octobre 2008, p. 3 ; Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 4-5 ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017, p. 4.

291 S’agissant du Sénat, cf. les deux seules applications : Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2002 ; Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1453-1, 23 février 2010. S’agissant du Parlement flamand, cf., pour la première application, Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Vervolging ten laste van een Vlaams volksvertegenwoordiger. Verslag, n° 966-1, 4 janvier 2002, p. 3. S’agissant du Parlement de la Communauté française, cf. par exemple, pour une application récente : Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017, p. 4.

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il y a lieu d’entendre « ceux qui invitent à vérifier si les éléments retenus dans le dossier qui a été transmis par le parquet général et qui sont résumés dans son réquisitoire ne sont pas manifestement inexacts ou ne témoignent pas d’une volonté évidente de persécuter un parlementaire déterminé » 292. En d’autres termes, il y a lieu d’examiner si les poursuites ne constituent pas « une cabale ourdie contre un parlementaire » 293. En ce sens, les critères infractionnels de la commission des poursuites du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale se confondent avec les trois critères unanimement admis par les autres assemblées. Cet examen est doublé, au sein de l’assemblée régionale bruxelloise, par l’analyse de critères dits professionnels. La commission cherche ici à déterminer si « les poursuites engagées à l’encontre d’un membre de l’assemblée ne risquent pas de compromettre le bon fonctionnement de celle-ci ou le déroulement de ses travaux », ce qui revient à vérifier que ces poursuites ne faussent pas le rapport entre la majorité et l’opposition 294.

La mise en évidence de ces critères a ceci d’interpellant que seul le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale semble formellement se préoccuper des conséquences de l’autorisation de la levée de l’immunité parlementaire sur le fonctionnement de l’assemblée, qu’il limite d’ailleurs à une modification dans le rapport majorité-opposition 295. Ce constat pose déjà question lorsqu’il s’agit d’autoriser le renvoi du parlementaire ou sa citation devant une juridiction de jugement. En effet, la préparation minutieuse du procès de même que la présence du parlementaire à l’audience – éventuellement aux audiences – et, en corollaire, son absence au sein de l’hémicycle,peut avoir un impact sur l’exercice de son mandat politique. Cette question se posera encore davantage si, à l’issue de la procédure, une peine d’emprisonnement est prononcée à l’égard du parlementaire. En toute hypothèse, une fois le juge pénal saisi, l’assemblée pourra toujours décider la remise en liberté de l’intéressé, en application de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution (cf. infra, 2.4.2.2) 296. En revanche, l’examen de l’impact de la levée de l’immunité parlementaire est crucial lorsque celle-ci vise à autoriser l’arrestation judiciaire du parlementaire. Cette question ne s’est jamais posée aux assemblées sous cet angle, mais bien sous l’angle inverse lorsque B. Wesphael, mis en détention préventive sans autorisation en raison d’un flagrant délit supposé, a sollicité sa remise en liberté. À cette occasion, le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française ont tenu

292 Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge de deux membres du Parlement. Rapport, n° 288-1, 22 juin 2006, p. 3.

293 Ibidem.

294 Ibidem, p. 4. Alternativement, la commission met en évidence ces motifs sous d’autres appellations. L’immunité parlementaire n’est pas levée si un des critères suivants est rencontré : les faits présentent peu de gravité ; les indices de culpabilité sont manifestement insuffisants ; un élément politique se révèle soit à l’occasion des poursuites, soit dans les actes commis ; les poursuites sont de nature à entraver l’exercice du mandat politique (Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre. Rapport, n° 480-1, 17 octobre 2003, p. 4).

295 Le Parlement de la Communauté française et le Parlement flamand y ont déjà fait référence de manière succincte. Cf., par exemple, Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017, p. 5 ; Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Onderzoek van een verzoek tot opheffing vande parlementaire onschendbaarheid van een lid van het Vlaams Parlement. Verslag, n° 802-1, 31 mai 2016, p. 3-4.

296 Cette réflexion a été expressément mentionnée par le Sénat : « Le Sénat se réserve en toute hypothèse le droit de proposer de requérir la suspension des poursuites devant une cour ou un tribunal si ces dernières avaient un impact sur l’exercice du mandat parlementaire » (Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2008, p. 4).

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compte, pour se positionner, de l’incidence de sa détention sur l’exercice de son activité parlementaire 297, et ce d’une manière qui prête à la critique (cf. infra, 2.4.2.2).

Ces critères étant énoncés, il est peu aisé d’identifier les éléments factuels du dossier répressif qui, concrètement, amènent les parlementaires à décider s’il est satisfait ou non à ces critères et, partant, à autoriser ou non la levée de l’immunité. Le huis-clos qui entoure généralement les discussions, autant au stade de l’examen du dossier en commission des poursuites qu’en séance plénière, suffit à expliquer cette situation (cf. supra, 2.4.2.1.6). Toutefois, on constate que les parlementaires opèrent un contrôle des faits qu’ils qualifient de « marginal ».

S’il est incontestable que les parlementaires vont examiner le dossier répressif et tenir compte de l’ensemble des faits qui y sont repris, il importe de préciser le type de contrôle qu’ils peuvent opérer sur ces faits. En effet, comme évoqué précédemment, ils ne se prononcent pas sur la culpabilité ou l’innocence de l’intéressé, comme le ferait une juridiction de jugement. Ils n’ont pas non plus un rôle analogue à celui du ministère public qui, sur la base du même dossier répressif, décidera – dans le cadre d’une instruction – du renvoi ou non du parlementaire devant une cour ou un tribunal et – dans le cadre d’une information – du classement sans suite du dossier ou de la citation du parlementaire devant le tribunal de police ou correctionnel. On l’a dit, les commissions des poursuites ont retenu le principe d’un examen « marginal » des faits 298, se limitant à vérifier si les poursuites satisfont aux trois critères précités. Pour autant, cette vérification ne permet pas de comprendre précisément quels sont les indices factuels auxquels les parlementaires accordent de l’importance au moment de se prononcer.

Récemment, à l’occasion de l’affaire Mathot, la commission des poursuites de la Chambre des représentants semble avoir opéré un revirement, comme l’a relevé Jean-Marc Nollet (Écolo) lors du débat en séance plénière, en retenant – en contradiction avec la tendance qualifiée de « minimaliste » jusqu’alors parce qu’elle ne visait à examiner que les trois critères susmentionnés – une acception « maximaliste » du contrôle marginal. J.-M. Nollet a utilisé ce qualificatif dès lors qu’il a constaté que la commission, outre la vérification des trois critères habituels, a étendu son contrôle aux « conditions dans lesquelles l’instruction a été menée ». Elle s’est donc employée à « vérifier (…) si la demande du parquet est suffisamment étayée et si l’instruction n’est pas inspirée par des motifs politiques » 299. En l’espèce, à l’estime de certains commissaires, plusieurs éléments du dossier répressif

297 Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 4 ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 569-1, 18 novembre 2013, p. 5.

298 Les commissions des poursuites des différentes assemblées se réfèrent quasi systématiquement à cette notion de contrôle marginal. Cf., par exemple, Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2008, p. 3 ; Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1453-1, 23 février 2010, p. 2 ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017, p. 4 ; Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Vervolging ten laste van een Vlaams volksvertegenwoordiger. Verslag, n° 966-1, 4 janvier 2002, p. 3 ; Vlaams Parlement, Commissie voor de Vervolgingen, Onderzoek van een verzoek tot opheffing van de parlementaire onschendbaarheid van een lid van het Vlaams Parlement. Verslag, n° 802-1, 31 mai 2016, p. 3.

299 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016, p. 13-18 ; Chambre des représentants, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 106, 14 avril 2016, p. 124.

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relatif à A. Mathot ne peuvent s’expliquer que par « la volonté systématique de lui nuire », ce qui « suscite une impression de partialité » 300. Ces éléments sont les suivants : une instruction menée principalement à charge 301, le déroulement chronologique et la longueur de l’instruction, l’éventuel non-respect du prescrit de l’article 59 de la Constitution s’agissant de l’examen du trafic téléphonique du député, les nombreuses fuites du dossier dans la presse à des moments politiques cruciaux constituant une violation du secret de l’instruction et encore l’absence de suivi réservé aux plaintes déposées par l’intéressé 302.

Depuis lors, la commission des poursuites de la Chambre des représentants n’a plus – à notre connaissance – été saisie, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir si cettenouvelle orientation était dictée ou non par les particularités du dossier ou si elle est destinée à se répéter. Sans doute, les circonstances factuelles propres à ce dossier ont-elles pu inciter les membres de la commission à dévier de la trajectoire retenue dans les dossiers précédents. Il n’est donc pas impossible que la Chambre revienne ultérieurement à son raisonnement initial et que le « cas » Mathot reste isolé. Il y a plus encore. Si cette conception maximaliste du contrôle marginal des faits est présentée comme étant novatrice, cette nouveauté mérite, à notre estime, d’être nuancée. La lecture des rapports de commission permet en effet de constater qu’une approche maximaliste de l’examen de la demande de levée d’immunité a été, à plusieurs reprises, mobilisée. Nous évoquons, à titre d’illustration, deux de ces cas de figure. En premier lieu, dans le cadre d’un dossier ayant trait à une infraction urbanistique, la commission des poursuites du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ne s’était interrogée que sur deux points. Les membres s’étaient demandé si un particulier, placé dans les mêmes circonstances, aurait également été poursuivi. Par ailleurs, ils avaient remis en cause la chronologie du dossier et notamment le long laps de temps entre l’infraction, la clôture du dossier répressif et le moment de la demande de levée de l’immunité parlementaire 303. En second lieu, il apparaît que les commissions des poursuites ont à plusieurs reprises saisi la question du timing pour fonder leur avis (cf. infra).

Dans le cadre du contrôle concret et marginal des trois critères susmentionnés, les parlementaires se montrent sensibles à plusieurs éléments factuels spécifiques.

300 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016, p. 15-16.

301 Cf., à cet égard, Cour de cassation, n° P.19.0888.F/1, 11 décembre 2019 : « L’inviolabilité parlementaire a pour but de différer la mise en œuvre de procédures juridictionnelles fondées sur des infractions étrangères à l’exercice normal de la fonction parlementaire. L’objectif du constituant est de garantir le fonctionnement normal des assemblées parlementaires en soustrayant leurs membres à des poursuites qui seraient arbitraires, engagées pour des motifs politiques ou sur l’injonction du pouvoir exécutif. Appelée à statuer sur une demande de levée de l’immunité parlementaire, la commission des poursuites doit donc s’assurer que la culpabilité n’est pas à première vue invraisemblable, que la poursuite n’est pas inspirée par un mobile partisan et qu’elle n’est pas de nature à perturber les travaux de l’assemblée. Il s’en déduit qu’il n’appartient pas à ladite commission de s’approprier le jugement des exceptions de nullité de l’information ou de l’instruction préparatoire. Partant, l’affirmation, puisée dans le rapport fait au nom de la commission, d’après laquelle “l’instruction n’a manifestement été menée qu’à charge”, ne constitue pas un élément contraignant le juge du fond à tenir pour objectivement justifiées les appréhensions que les inculpés prétendraient nourrir à cet égard ».

302 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016, p. 17.

303 Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre du Parlement. Rapport, n° 375-1, 23 mai 2007.

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Primo, contrairement à ce que l’opinion publique pourrait imaginer, il est déjà arrivé qu’un parlementaire se positionne officiellement en faveur de la levée de son immunité afin de pouvoir se défendre en justice. Dans pareille hypothèse, l’assemblée doit-elle procéder à l’examen des critères exposés ci-avant ou pourrait-elle se satisfaire de cette position pour donner son autorisation ? Le caractère d’ordre public de l’inviolabilité parlementaire s’oppose à ce que l’élu puisse décider lui-même du sort de la procédure pénale pendant la durée de la session parlementaire 304. Accepter une telle option reviendrait à lui permettre de renoncer à sa protection. Concrètement, et à une exception près 305, il apparaît que, en cas d’accord du parlementaire concerné, les commissions des poursuites ne s’en contentent pas et examinent systématiquement le dossier, même si l’accord du parlementaire semble prépondérant dans la décision finale 306. À notre connaissance, aucune commission n’a en effet refusé de lever l’immunité d’un parlementaire qui s’était positionné en faveur de cette levée. Cela étant dit, il est permis, voire judicieux, de s’interroger sur la pertinence de prévoir des exceptions à cette interdiction de renonciation. Cette question s’est posée de manière éclatante devant la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de l’affaire Kart c. Turquie (cf. supra), dont les faits sont les suivants : « En 2002, le requérant, membre de l’opposition élu député à la Grande Assemblée nationale de Turquie, fut formellement inculpé pour insulte à l’encontre d’un avocat et d’un fonctionnaire. Il sollicita la levée de son immunité parlementaire afin de pouvoir être jugé, mais la commission mixte de l’Assemblée nationale aussi bien que l’assemblée plénière rejetèrent ses demandes et en fait suspendirent les poursuites contre lui jusqu’à la fin de la législature en cours. En 2007, l’intéressé fut réélu, ce qui eut pour conséquence d’interrompre la procédure pénale au moins jusqu’en 2011. Si le requérant est réélu à ce moment-là, la procédure dirigée contre lui ne pourra s’achever avant 2015, soit environ treize ans après la première inculpation ». Le requérant invoquait, devant la Cour, la violation de son droit d’accès à un tribunal. Après que la Chambre a donné gain de cause au requérant, la Grande chambre de la Cour a considéré que le long laps de temps s’étant écoulé depuis le début des poursuites était compatible avec l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’en se représentant aux élections, le requérant savait qu’il allait de nouveau être protégé par l’immunité parlementaire. Dans ce contexte précis, la question annexe de la faculté de renoncer à son immunité parlementaire se pose avec acuité. Ce parlementaire devait-il être autorisé à renoncer à son immunité parlementaire afin de pouvoir être jugé pénalement dans un délai raisonnable pour des faits qui sont antérieurs à son élection et totalement étrangers à ses tâches parlementaires ? Le juge

304 Cf. également Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1346-1, 10 juillet 2001, p. 6 (citant Sénat, Commission des Affaires institutionnelles, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 363-5, 14 décembre 1996, p. 2).

305 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 3241-1, 10 décembre 2013, p. 6.

306 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 919-1, 4 mars 2008, p. 4 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1394-1, 23 juillet 2008, p. 4 et 7 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2709-1, 18 mars 2016, p. 4 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1107-1, 21 mai 2015, p. 5 ; Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 847-1, 1er octobre 2008, p. 3.

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Giorgio Malinverni, dans son opinion concordante, évoque cette problématique et considère – au vu des circonstances de l’espèce – que « la possibilité pour un parlementaire de renoncer volontairement à son immunité constitue une piste qui mériterait d’être explorée » dès lors qu’« une telle possibilité permettrait à une personne d’exercer de manière concurrente, et sans qu’ils s’excluent mutuellement, deux droits fondamentaux : le droit d’être élu au parlement, consacré par l’article 3 du Protocole n° 1, et le droit d’être jugé, garanti par l’article 6 ». Dans son opinion dissidente, le juge Giovanni Bonello, rallié par les juges Boštjan Zupančič et Alvina Gyulumyan, tient un propos encore plus tranché en affirmant que « la Cour a jugé qu’en exerçant son droit fondamental de briguer un siège au parlement, le requérant avait renoncé à son droit fondamental d’être jugé, ce dans un délai raisonnable. C’est je crois la toute première fois dans sa longue histoire que la Cour affirme, en substance, que pour pouvoir jouir d’un droit fondamental une personne doit sacrifier l’exercice d’un autre droit. Le droit d’être élu au parlement est un droit fondamental (consacré à l’article 3 du Protocole n° 1), et il en va de même du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le requérant a pensé naïvement qu’il pouvait jouir de ces deux droits ; or la Cour l’a bien vite détrompé : c’est soit l’un soit l’autre. Vous êtes député ? Alors oubliez le procès. Vous voulez être jugé ? Alors dites au revoir à votre mandat parlementaire ».

Secundo, les parlementaires sont très largement sensibles à la chronologie du dossier qui leur est soumis et, en particulier, à deux éléments temporels 307. Ils s’intéressent au délai existant entre le dernier acte intervenu dans le dossier répressif et la demande qui leur est adressée d’autoriser ou non la levée de l’immunité. Ils mettent également en perspective le moment de la demande de levée d’immunité avec les prochaines échéances politiques. Ce faisant, les assemblées sont d’autant plus enclines à refuser la levée de l’immunité que les poursuites ont pris du temps, que le parquet général a différé sa demande par rapport à la clôture du dossier répressif et que la demande de levée d’immunité se rapproche d’une échéance électorale.

Tertio, les commissions des poursuites semblent, dans une certaine mesure, tenir compte du fait que les poursuites à l’encontre du parlementaire visent également d’autres individus non protégés par cette immunité. Si, dans deux dossiers, l’implication d’autres individus

307 Cf. Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1714-1, 18 avril 2005, p. 13 (« La commission observe qu’un très long laps de temps s’est écoulé entre les faits et la présente demande de levée de l’immunité parlementaire ») ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2620-1, 24 janvier 2013, p. 6-7 (« La commission s’étonne devant l’agenda de la procédure : la demande de levée de l’immunité parlementaire a été introduite à quelques mois des élections communales de 2012 alors que les faits remontent à une période qui précède les élections communales de 2006 et que l’instruction a débuté en janvier 2009 ») ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013, p. 8 ; Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre du Parlement. Rapport, n° 375-1, 23 mai 2007, p. 6-9 et p. 12 (l’élément temporel était un des deux critères principaux ayant guidé la décision de la commission) ; Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017, p. 4-5. A contrario, il a déjà été considéré que le timing était un élément neutre : « Il ne lui appartient pas de se prononcer sur le moment choisi par le ministère public pour demander l’application de l’article 59 de la Constitution. Il appartient exclusivement au juge qui se prononce sur le fond de la cause d’apprécier si le délai raisonnable à respecter pour l’examen de celle-ci a été dépassé » (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1946-1, 16 juillet 2002, p. 18).

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n’a pas eu d’incidence sur la conclusion de la commission 308, cet élément a été déterminant dans deux autres dossiers au motif que « le maintien de l’immunité parlementaire, dans le cas présent, porterait préjudice à l’intéressé, qui serait le seul des cinq prévenus à ne pas pouvoir assurer sa défense et faire valoir ses droits » 309 ou « serait le seul des douze mandataires à l’encontre desquels plaintes avec constitution de partie civile furent déposées à ne pas pouvoir assurer sa défense, faire valoir ses droits et bénéficier éventuellement d’un non-lieu, comme les autres personnes citées dans cette affaire » 310.

On ne peut clore raisonnablement la question de savoir sur quels critères les assemblées se basent pour autoriser ou refuser la levée de l’immunité sans évoquer une catégorie particulière d’infractions. Sont visés des délits comme la corruption ou le trafic d’influence. Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO, organe constitué au sein du Conseil de l’Europe) recommande que « les critères de levée de l’inviolabilité ne soient pas un obstacle à la poursuite des faits relatifs à la corruption des parlementaires » 311. Qu’en est-il en pratique ? La commission des poursuites de la Chambre des représentants s’est frontalement saisie de cette question 312 à l’occasion d’un dossier visant Patrick Moriau (PS), poursuivi pour trafic d’influence dans le cadre de l’implantation, par l’intermédiaire de la SA Citadelle, d’un centre commercial à Farciennes. La commission, après avoir conclu au caractère politique de l’infraction, s’est demandé si « les faits mis à charge découlent de l’exercice “normal” d’un mandat politique ou s’ils pourraient, au contraire, être incriminés en vertu de l’article 247, § 4, du Code pénal » 313. À cet égard, la commission invite la Chambre à évaluer l’application de cette disposition par les instances judiciaires afin de faciliter le tracé de la frontière entre l’existence d’une infraction et l’exercice normal du mandat politique dès lors que « l’objectif ne peut jamais être qu’une incrimination particulière permette d’entraver l’exercice normal d’un mandat politique » 314. Cette question demeure sans réponse à l’heure actuelle. Par ailleurs, précédemment, la même commission des poursuites s’était interrogée, de manière plus large, sur les « délits dont les mobiles politiques sont manifestes », concluant invariablement que « les motifs

308 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2795-1, 3 mai 2013.

309 Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 819-1, 25 juin 2008, p. 3. Cf. également Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 464-1, 22 mai 2017.

310 Parlement wallon, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 772-1, 16 avril 2008, p. 3.

311 GRECO, Quatrième cycle d’évaluation : prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Rapport d’évaluation, Belgique, adopté par le GRECO lors de sa 63e réunion plénière (Strasbourg, 24-28 mars 2014), Greco Eval IV Rep (2013) 8F, 28 mars 2014, p. 27-28. À ce sujet, cf. J. SMULDERS, « Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) et la transparence en matière de comptabilité des partis politiques », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2377, 2018, p. 24-26.

312 Cette même question a été éludée à deux reprises au moins : cf. Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016 ; Sénat, Commission de la Justice, Demande de levée de l’immunité d’un sénateur. Rapport, n° 1041-1, 17 décembre 2008.

313 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013, p. 11-12. En l’espèce, elle se dispense de répondre à la question en refusant la levée de l’immunité au motif que les faits seraient ténus.

314 Ibidem. Nous n’avons pas été en mesure de déterminer si la Chambre avait procédé à cette évaluation.

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politiques ne sont pas absolus et que, dès lors, ils ne constituent pas une excuse absolutoire à l’égard de toute infraction, quelle qu’en soit la gravité » 315.

2.4.2.1.8. Le refus d’autorisation suspend-il la prescription de l’action publique ?

En vertu de l’article 24, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, « la prescription de l’action publique est suspendue lorsque la loi le prévoit ou lorsqu’il existe un obstacle légal à l’introduction ou à l’exercice de l’action publique ». Il en résulte logiquement que quand, par application de l’article 59 de la Constitution, l’assemblée compétente refuse son autorisation – ou, ce qui revient au même, suspend les poursuites –, la prescription de l’action publique est suspendue 316, ce que la Commission de Venise recommande expressément 317.

2.4.2.1.9. La décision de l’assemblée est-elle susceptible d’un recours ?

Que l’assemblée accorde son autorisation ou qu’elle la refuse, sa décision est souveraine et ne peut faire l’objet d’aucun recours, ni devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État, ni devant la Cour constitutionnelle. Ces décisions ne rentrent pas dans les compétences des deux hautes juridictions. Il en est généralement ainsi dans les autres États. En Espagne, cependant, le Tribunal constitutionnel a déjà été saisi de recours d’amparo contre des décisions refusant la levée de l’immunité parlementaire. En effet, selon l’article 42 de la loi ordinaire sur le Tribunal constitutionnel espagnol, ce dernier peut être saisi de recours d’amparo dirigés contre des actes non normatifs adoptés par les assemblées législatives lorsqu’est alléguée une violation des droits fondamentaux consacrés par la Constitution. Or, parmi ces droits, figure « le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes ». Il est arrivé que les juges constitutionnels espagnols annulent une décision de refus de levée d’immunité 318.

2.4.2.1.10. Le non-respect de l’obligation de levée d’immunité entraîne-t-il des conséquences ?

La levée de l’immunité parlementaire est une formalité substantielle dont dépend la validité des actes visés. Le tribunal correctionnel de Huy a ainsi jugé que l’inobservation de cette

315 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 394-1, 7 avril 1992, p. 3-4 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 448-1, 13 mai 1992, p. 4 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de laChambre des représentants. Rapport, n° 781-1, 7 décembre 1992, p. 7-8 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2795-1, 3 mai 2013, p. 16-17 (citant Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 20-1, 29 juin 1995, p. 4-5).

316 M.-A. BEERNAERT, H. BOSLY, D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, op. cit., p. 228 ; M. FRANCHIMONT, A. JACOBS, A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 145 ; C. VAN DEN WYNGAERT, S. VANDROMME, P. TRAEST, Strafrecht en strafprocesrecht in hoofdlijnen, 11e édition, Oud-Turnhout, Gompel & Svacina, 2019, p. 878.

317 European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities », op. cit., p. 21.

318 Cf. notamment Tribunal Constitucional, Arrêt STC 206/1992, 27 novembre 1992 (Boletin de Jurisprudencia Constitucional, 1992, n° 140, p. 198).

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formalité l’empêchait de statuer sur les infractions reprochées à un parlementaire 319. De même, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles a prononcé la nullité du renvoi d’un parlementaire devant le tribunal correctionnel ordonné par la chambre du conseil au motif que cette décision avait été rendue « sans attendre la décision relative à l’autorisation des poursuites » 320.

De surcroît, en vertu de l’article 158 du Code pénal, « seront punis d’une amende de deux cents [euros] à deux mille [euros], et pourront être condamnés à l’interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, tous juges, tous officiers du ministère public ou de la police judiciaire, tous autres officiers publics qui, sans les autorisations prescrites, auront provoqué, donné, signé soit un jugement contre un ministre, un sénateur ou un représentant, soit une ordonnance ou un mandat tendant à les poursuivre ou à les faire mettre en accusation, ou qui, sans les mêmes autorisations, auront donné ou signé l’ordre ou le mandat de saisir ou arrêter soit un ministre, soit un sénateur ou un représentant, sauf, quant à ces deux derniers, le cas de flagrant délit ».

2.4.2.2. Le régime d’exception

Deux exceptions aux règles qui viennent d’être exposées sont prévues par l’article 59, alinéa 1er, de la Constitution : le flagrant délit et les vacances parlementaires. Dans les deux cas, et sous réserve d’une suspension a posteriori par l’assemblée, le parlementaire doit être considéré comme un simple citoyen.

2.4.2.2.1. Le flagrant délit

Cette première exception 321 se retrouve dans de nombreuses Constitutions européennes, même si, d’un État à l’autre, elle est interprétée et appliquée de manière variable. Mais qu’est-ce que le « flagrant délit » ? La doctrine constitutionnelle s’est généralement limitée à écrire que la notion de flagrant délit, telle que contenue à l’article 59 de la Constitution, doit être comprise dans le sens que lui donne la loi pénale. L’article 41 du Code d’instruction criminelle dispose, en son alinéa 1er, que le flagrant délit est le délit qui soit « se commet actuellement », soit « vient de se commettre ». Selon la Cour de cassation, cette dernière occurrence doit être interprétée dans le sens qu’il faut que l’infraction soit « encore actuelle et que le temps écoulé entre sa commission et les actes d’instruction et de poursuites se limite à la période nécessaire à leur exécution » 322. Cette définition

319 Tribunal correctionnel de Huy, 15 juin 1978 (Journal des tribunaux, 1979, p. 164, observations de J. MESSINNE).

320 Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre. Rapport, n° 323-1, 22 avril 1999, p. 2. Cf. également Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2795-1, 3 mai 2013, p. 5 ; Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée de l’immunité d’un membre du Parlement de Wallonie. Rapport, n° 756-1, 25 février 2003, p. 3 (deux audiences avaient été tenues devant la chambre du conseil sans que l’autorisation de levée de l’immunité parlementaire de C. Collignon n’ait été sollicitée).

321 Plusieurs passages de cette section sur le flagrant délit sont inspirés de M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., spécialement p. 402-404. Sur cette question, cf. également C. BEHRENDT, M. VRANCKEN, « L’affaire Wesphael : quelques observations sur les contours et les conditions d’application de l’immunité parlementaire, à la lumière d’événements récents », Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège, 2014, spécialement p. 132-138 ; A. LEROY, « En marge de l’affaire Wesphael. Qu’est-ce qu’un flagrant délit ? », Journal des tribunaux, 2013, p. 800-802.

322 Cour de cassation, 11 juin 2013 (Larcier Cassation, 2013, p. 230 : jurisprudence constante).

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du flagrant délit « proprement dit » se double d’une autre définition, celle du délit « réputé » flagrant. En effet, l’article 41 du Code d’instruction criminelle ajoute, en son alinéa 2, que « sera aussi réputé flagrant délit, le cas où l’inculpé est poursuivi par la clameur publique, et celui où l’inculpé est trouvé saisi d’effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu’il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit ». Le champ d’application de la notion de flagrant délit, au sens constitutionnel du terme, a été débattu devant les chambres législatives au moment de l’adoption du Code pénal de 1867 et, plus particulièrement, de son article 158. Le débat a porté sur la question de savoir si la notion constitutionnelle de flagrant délit devait être assimilée, non seulement au flagrant délit proprement dit, mais également aux cas réputés flagrants par le Code d’instruction criminelle. Il ressort tant des discussions de l’époque que des opinions émises ultérieurement par la doctrine que cette question appelle une réponse négative.

Il reste que, selon nous, la notion constitutionnelle de flagrant délit doit être comprise, non seulement par rapport au sens qui lui est traditionnellement donné en droit pénal, mais aussi, dans une perspective téléologique, à la lumière des objectifs poursuivis par le constituant à travers l’immunité consacrée par l’article 59. S’il s’agit au départ d’une notion pénale, elle a été « constitutionnalisée » dans un cadre bien précis, de telle sorte qu’il est impossible de l’interpréter en faisant abstraction de ce cadre constitutionnel. Ancien membre du Conseil constitutionnel français, le juriste français Jacques Robert observait qu’il existe un danger que les difficultés suscitées par la définition du flagrant délit ne permettent de « tourner le principe de l’immunité », de telle sorte qu’« une interprétation stricte du flagrant délit s’impose en droit constitutionnel, plus qu’en droit commun » 323.

À la condition de ne pas nier la dimension constitutionnelle spécifique de la notion de flagrant délit, on peut, selon nous, affirmer qu’il y a flagrant délit lorsque la personne suspectée soit est surprise en train de commettre l’infraction, soit est découverte juste après la commission de l’infraction, mais, dans ce cas, à la condition que soient constatés des indices démontrant sa participation à l’infraction. Cette dernière condition doit être mise en relation avec la justification de l’exception constitutionnelle de flagrant délit. Pourquoi un parlementaire ne peut-il être arrêté qu’avec l’autorisation de son assemblée ? Il s’agit d’éviter qu’il fasse l’objet de poursuites arbitraires de la part des autorités judiciaires, ce qui serait un affront au principe de la séparation des pouvoirs, mais aussi, et surtout, à la démocratie parlementaire. L’exception de flagrant délit se comprend par rapport à cela : dès le moment où la participation du parlementaire à la commission de l’infraction est évidente, il n’y a plus lieu de craindre un risque d’arbitraire de la part des autorités judiciaires et l’obligation de solliciter la levée de l’immunité parlementaire ne s’impose plus. Dans ce cas, « sa responsabilité est avérée car évidente, et on ne peut soupçonner l’éventualité d’une machination dans le but de discréditer le parlementaire » 324. On le voit, c’est le fondement même de l’inviolabilité parlementaire qui, en droit constitutionnel,

323 J. ROBERT, « Article 26 », in F. LUCHAIRE, G. CONAC (dir.), La Constitution de la République française, 2e éd., Paris, Economica, 1987, p. 688-689.

324 E. LOZDOWSKI, « La protection politique et pénale des parlementaires », in P. SÉGUR (dir.), La protection des pouvoirs constitués, op. cit., p. 146.

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« suppose que la notion de flagrant délit soit limitée au cas où l’évidence de l’infraction se juxtapose à son immédiateté » 325.

Certes, chaque citoyen est exposé au risque d’arbitraire judiciaire, ce qui est inadmissible en soi. Toutefois, lorsque ce citoyen est parlementaire, il y a un enjeu démocratique supplémentaire auquel il convient d’être spécialement attentif. L’enjeu du débat – le respect de la séparation des pouvoirs et de la démocratie parlementaire – doit inciter tout organe judiciaire à faire preuve de la plus grande circonspection. Si le moindre doute subsiste sur la responsabilité pénale du parlementaire, la prudence requiert du ministère public qu’il adresse à l’assemblée parlementaire compétente une demande de levée d’immunité. La circulaire adoptée par le collège des procureurs généraux le 18 septembre 1997 considère que, « si un doute a surgi concernant la question de savoir si un parlementaire a oui ou non été surpris en flagrant délit, on suivra toujours, par mesure de sécurité, la procédure de l’article 59 de la Constitution relative au cas de délit non flagrant » 326. Dans un rapport de la commission des poursuites, la Chambre des représentants a souligné que la privation de liberté d’un parlementaire « est une affaire extrêmement grave : la Nation est privée d’une partie de sa représentation » 327. Et d’ajouter que, « dans un État de droit démocratique comme la Belgique, il est par conséquent évident qu’une privation de liberté doit constituer l’exception absolue » 328.

Dans l’affaire Wesphael, rien ne permet de dire que l’arrestation de Bernard Wesphael (MG) a été inspirée « par une arrière-pensée politique », selon la formule de P. Wigny 329. Mais il n’est pas pour autant permis d’affirmer qu’au moment où elle a eu lieu, il n’y avait aucun risque objectif d’arbitraire. Tout le problème est là. Ce problème n’aurait pas surgi si les autorités judiciaires avaient eu la sagesse de solliciter des deux assemblées parlementaires concernées une autorisation qui, en toute vraisemblance, leur aurait été délivrée. Sans doute y a-t-il eu une certaine précipitation de la part des autorités judiciaires. Or le moins que l’on puisse attendre de l’ordre judiciaire, c’est qu’il ne vide pas de son contenu les garanties de l’article 59 de la Constitution, qui se justifient, rappelons-le, non pas pour offrir un quelconque privilège personnel aux parlementaires, mais pour éviter que le fonctionnement d’une assemblée démocratique soit perturbé par des actes judiciaires légers, injustes ou partisans. Ce n’est rien d’autre qu’une « soupape de sécurité », mais elle est essentielle dans une démocratie parlementaire.

Cependant, dans un arrêt rendu le 3 décembre 2013 dans l’affaire Wesphael 330, la Cour de cassation s’est limitée à considérer que, pour qu’il y ait un flagrant délit, il suffit que des éléments précis permettent de déduire objectivement qu’un crime est commis ou vient d’être commis, sans au demeurant qu’il soit requis que le crime soit perçu par un témoin ou immédiatement constaté par un agent de police judiciaire, ni qu’il soit évident et déterminé dans tous ses aspects qu’aucune enquête plus approfondie n’est nécessaire. Force est de constater, à la lecture de l’arrêt du 3 décembre 2013, que la seule

325 G. SOULIER, L’inviolabilité parlementaire en droit français, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1966, p. 203-204.

326 Collège des procureurs généraux, Circulaire n° COL 6/97, 18 septembre 1997. Cf. également R. HAYOIT

DE TERMICOURT, « L’immunité parlementaire », op. cit., p. 295. 327

Chambre des représentants, Commission des poursuites, Requête en suspension de la détention d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 14-1, 20 décembre 1991, p. 9.

328 Ibidem.

329 P. WIGNY, Droit constitutionnel, op. cit., p. 487.

330 Cour de cassation, 3 décembre 2013, n° P.13.1858.N/1.

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certitude est le décès de l’épouse de B. Wesphael. Par contre, rien ne permet d’affirmer de manière irréfutable qu’un crime a été commis. D’une part, celui-ci n’a pas été constaté au moment de son éventuelle commission par un témoin ou un officier de police judiciaire. D’autre part, les éléments sur lesquels se fonde la Cour de cassation ont été recueillis après les faits. Aucun d’entre eux ne présente le caractère d’évidence requis en matière de flagrant délit.

Une question reste à examiner, celle de la portée de l’exception constitutionnelle de flagrant délit.

En vertu de l’alinéa 1er de l’article 59 de la Constitution, l’exception constitutionnelle de flagrant délit vise, d’abord et avant tout, l’arrestation et la saisine de la juridiction de jugement. Dans le premier cas, c’est au juge d’instruction, et à lui seul, de décider si, selon lui, il y a ou non flagrant délit. Mais, au moment de statuer sur le maintien de la détention préventive, la juridiction d’instruction – la chambre du conseil ou, en appel, la chambre des mises en accusation – peut évidemment remettre en cause l’appréciation sur l’existence d’un flagrant délit 331. Dans le second cas, le constat de flagrant délit revient à la juridiction d’instruction au moment où elle statue sur le renvoi devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises, auquel cas il n’y a donc aucune obligation de solliciter la levée de l’immunité parlementaire pour saisir la juridiction de jugement.

En vertu de l’alinéa 2 de l’article 59 de la Constitution, l’exception constitutionnelle de flagrant délit concerne également les mesures d’instruction. On l’a vu, ces mesures peuvent être librement ordonnées par le juge d’instruction, à la condition de respecter certaines garanties (cf. supra, 2.4.1). Mais, en cas de flagrant délit, ces garanties ne trouvent pas à s’appliquer. Pour que les choses soient claires, la circulaire adoptée par le collège des procureurs généraux le 18 septembre 1997 souligne que, dans ce cas, l’intervention du premier président de la cour d’appel n’est pas requise.

2.4.2.2.2. Les vacances parlementaires

Cette seconde exception est également très classique. Elle relève de l’ordre de la temporalité. En période de vacances parlementaires, l’assemblée parlementaire ne peut statuer sur une demande de levée d’immunité. La notion de vacances parlementaires se comprend dans le sens qui est le sien à l’article 44 de la Constitution, ainsi qu’à l’article 32 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, à l’article 26 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et à l’article 42 de la loi de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone du 31 décembre 1983 332. Dans toutes les assemblées, la session parlementaire ordinaire s’ouvre, chaque année, de plein droit, à une date déterminée et elle est clôturée à une date fixée par un arrêté royal ou un arrêté de gouvernement. Cette clôture de la session ordinaire ouvre une période dite de vacances parlementaires, qui court jusqu’à la date de l’ouverture de la session ordinaire suivante, sauf convocation d’une session extraordinaire.

331 Sur la possibilité, au regard du principe de la séparation des pouvoirs, pour le président de l’assemblée de solliciter du procureur général près la cour d’appel une copie de l’ordonnance de maintien en détention préventive prise par la chambre du conseil, cf. M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., p. 408.

332 Précisons que les entités fédérées ont généralement recouru à l’autonomie constitutive pour régler, chacune pour ce qui la concerne, le régime des sessions de leur parlement (cf. Q. PEIFFER, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », op. cit., p. 47-53).

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Toutefois, au niveau fédéral, l’arrêté royal de clôture entre en vigueur, en pratique et systématiquement, la veille de l’ouverture de la session ordinaire 333, ce qui réduit les vacances parlementaires à 24 heures et permet ainsi un contrôle permanent sur l’action du gouvernement fédéral et une activité législative (quasiment) permanente. Cela ne signifie pas pour autant que la notion de vacances parlementaires soit complètement vidée de sa substance. En effet, entre le jour de la dissolution de l’assemblée – qui, pour ce qui concerne les assemblées fédérales, peut intervenir avant l’échéance normale de la législature – et le jour de la première réunion de l’assemblée nouvellement élue, le régime d’exception de l’article 59 de la Constitution trouve à s’appliquer.

2.4.2.2.3. Le pouvoir de suspension de l’assemblée

Dans les deux cas – flagrant délit ou vacances parlementaires –, le parlementaire peut être librement renvoyé, ou cité directement, devant une juridiction, voire arrêté, mais subséquemment, et à la condition d’être en session, l’assemblée à laquelle il appartient est en droit de suspendre la citation, le renvoi ou l’arrestation dont il est l’objet et dont elle a eu connaissance par la voie du procureur général près la cour d’appel. Lorsque le parlementaire est membre de plusieurs assemblées, il suffit que l’une d’elles décide de décréter la suspension pour que celle-ci soit effective 334.

La décision de suspendre, ou de ne pas suspendre, le renvoi, la citation ou l’arrestation n’est soumise à aucun délai particulier. Cependant, la sécurité juridique devrait inciter l’assemblée, ou les assemblées, à prendre position le plus rapidement possible 335. Selon nous, le ministère public peut légitimement présumer que la suspension ne sera pas décrétée lorsque l’assemblée, après avoir été dûment informée, s’abstient de prendre une décision dans un délai raisonnable 336. Cette solution peut être inférée d’un arrêt de la Cour de cassation du 2 août 1886 337. En période de vacances parlementaires, il conviendra néanmoins d’attendre l’ouverture de la session ordinaire ou d’une session extraordinaire.

Cette possibilité de suspension est prévue à l’alinéa 6 de l’article 59 et ne peut être confondue avec la suspension dont il est question à l’alinéa 5 du même article 338, ce qu’à l’époque, le Premier ministre n’avait pas manqué de souligner à l’issue des discussions parlementaires sur la révision de l’article 59 de la Constitution 339. Alors que l’alinéa 5

333 Cf., par exemple, l’arrêté royal du 18 juillet 2018 portant clôture de la session parlementaire ordinaire de 2017-2018 : « Article 1er. La session parlementaire ordinaire de 2017-2018 est close. Art. 2. Le présent arrêté entre en vigueur le 8 octobre 2018 » (Moniteur belge, 6 août 2018). Précisons que la session ordinaire s’est ouverte le 9 octobre 2018.

334 Contrairement à l’hypothèse de demande de levée de l’immunité parlementaire où toutes les assemblées au sein desquelles siège le parlementaire doivent autoriser cette levée (cf. supra, 2.4.2.1.3).

335 En pratique, les trois demandes de suspension que nous avons relevées ont été traitées respectivement en 8 jours, 12 jours et environ 50 jours, ce qui est inférieur à la moyenne en cas de demande de levée de l’immunité parlementaire qui tend vers 2 à 3 mois. Le traitement plus rapide des deux premières demandes s’explique vraisemblablement parce que l’intéressé – B. Wesphael – était en détention préventive et sollicitait sa remise en liberté.

336 J. VELU, Droit public, op. cit., p. 509.

337 Cour de cassation, 2 août 1886 (Pasicrisie belge, 1886, I, p. 373, avec les conclusions conformes de l’avocat général L. Mélot).

338 Sur l’article 59, alinéa 5, cf. supra, 2.4.1.

339 Sénat, Commission des Affaires institutionnelles, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 363-11, 27 février 1997, p. 5. Le service juridique de la Chambre des représentants retient d’ailleurs cette interprétation, en distinguant la « suspension à l’initiative du membre concerné », visée à l’alinéa 5, et la « suspension à l’initiative de l’assemblée », visée à l’alinéa 6 (Chambre des représentants, L’inviolabilité

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est lié à l’alinéa 2 de l’article 59, l’alinéa 6 doit être mis en rapport avec l’alinéa 1er de l’article 59. Certes, les termes de l’alinéa 6 ne sont pas exactement les mêmes que ceux utilisés à l’alinéa 1er : là où l’alinéa 6 parle de détention et de poursuite, l’alinéa 1er évoque l’arrestation, la citation directe et le renvoi. Gardons-nous cependant de leur attribuer des portées différentes : le pouvoir de suspension revenant aux assemblées ne saurait être plus étendu que leur pouvoir de levée d’immunité. D’une part, la « détention » peut se définir comme l’état résultant d’une arrestation, de telle sorte que, si suspension il y a, elle se rapporte bien à la détention plutôt qu’à l’arrestation. D’autre part, la « poursuite », ce n’est pas n’importe quel acte de poursuite, mais uniquement la « poursuite devant une cour ou un tribunal », donc la citation directe et le renvoi. On ajoutera qu’à la différence de l’article 59, alinéa 5, qui impose une majorité des deux tiers, l’article 59, alinéa 6, n’exige pas de majorités renforcées, de telle sorte que la décision est prise à la majorité absolue des suffrages et pour autant que la majorité des membres de l’assemblée se trouve réunie, conformément à l’article 35 de la loi spéciale de réformes institutionnelle du 8 août 1980.

Dans l’affaire Wesphael 340, le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française ayant été informés de la délivrance d’un mandat d’arrêt, il leur revenait de s’interroger sur l’opportunité de suspendre cette détention, conformément à l’alinéa 6 de l’article 59 de la Constitution. Il était de la responsabilité des parlementaires d’ouvrir eux-mêmes une discussion sur ce point, sans attendre la demande du conseil de B. Wesphael. Car, à la différence de l’article 59, alinéa 5, l’article 59, alinéa 6, ne subordonne pas l’intervention de l’assemblée à une quelconque demande du parlementaire mis en cause.

Toujours dans l’affaire Wesphael 341, les décisions prises par le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française sur la possibilité de suspension sont problématiques.

Rappelons d’abord que le pouvoir de suspension de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution existait déjà avant la réforme de 1997, cette disposition étant une reprise de l’ancien article 45, alinéa 3, de la Constitution. On l’a souligné, ce pouvoir de suspension se justifie dans deux circonstances particulières : l’assemblée est hors session ou un flagrant délit est constaté. Dans ces deux cas, la nécessité de solliciter la levée de l’immunité parlementaire s’est toujours effacée. Le juriste Oscar Orban l’a expliqué en des termes particulièrement clairs : « Ce n’est qu’en temps de session qu’il faut redouter des entraves apportées aux travaux parlementaires et l’on ne peut craindre en cas de flagrant délit des poursuites arbitrairement provoquées » 342.

Compte tenu de ces explications, quel motif peut amener l’assemblée à suspendre après coup la détention, la citation ou le renvoi du parlementaire ? Lorsque l’arrestation, la citation ou le renvoi ont été ordonnés en période de vacances parlementaires, l’assemblée peut estimer, lors de l’ouverture de la session, que la décision compromet indûment le fonctionnement des travaux parlementaires ou que les poursuites ne sont pas sincères

parlementaire, op. cit., p. 35-37). Quant à la circulaire adoptée par le collège des procureurs généraux le 15 septembre 1997, après avoir souligné que les deux suspensions sont « totalement différentes sur le plan du contenu », elle reprend la même interprétation.

340 M. UYTTENDAELE, M. VERDUSSEN, « Les aspects constitutionnels de l’affaire Wesphael », op. cit., p. 405.

341 Les développements qui suivent sont inspirés de : ibidem, spécialement p. 405-407.

342 O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 477.

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ou sérieuses. Lorsque l’arrestation, la citation ou le renvoi ont été ordonnés sur la base d’un flagrant délit, l’assemblée peut juger qu’en réalité, le risque d’arbitraire était avéré. Or un tel jugement est impossible sans une remise en cause de l’existence du flagrant délit, si l’on veut bien se rappeler que le constat de flagrant délit exclut par définition tout risque d’arrestation, de citation ou de renvoi arbitraire. Le constat erroné d’un flagrant délit recèle, par lui-même, un risque d’arbitraire, puisqu’il procède d’une méconnaissance par l’autorité publique des limites que la Constitution apporte à son action. Par conséquent, l’assemblée parlementaire, qui est la garante du caractère non arbitraire des poursuites, ne peut faire l’économie de cette vérification en droit. Ajoutons que, dans ce cas aussi, l’assemblée pourrait solliciter la suspension si elle considère que l’arrestation, la citation ou le renvoi est incompatible avec le fonctionnement de l’assemblée.

À la suite de l’arrestation de B. Wesphael, des constitutionnalistes ont déclaré dans la presse que le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française n’auraient pu agir autrement car cela les aurait amenés à s’immiscer dans l’exercice de la fonction judiciaire 343. Or l’article 59, alinéa 6, de la Constitution n’a de sens que s’il permet à l’assemblée parlementaire de faire échec à des décisions du pouvoir judiciaire qui recèlent un risque objectif d’arbitraire. C’est parce qu’elle entend garantir la séparation des pouvoirs que cette disposition permet de faire obstacle au pouvoir judiciaire s’il a méconnu les limites constitutionnelles de son action. Autrement dit, sauf à vider de toute pertinence cette disposition constitutionnelle, l’assemblée parlementaire a le devoir de solliciter la suspension de la détention, de la citation ou du renvoi d’un parlementaire si elle estime que le pouvoir judiciaire a outrepassé les limites des pouvoirs que lui consent la Constitution, notamment en retenant une définition élargie de la notion de flagrant délit.

C’est d’ailleurs pour cette raison que l’assemblée doit pouvoir être éclairée par les éléments figurant dans le dossier judiciaire. En effet, elle ne peut être en mesure de se prononcer sur une éventuelle suspension que si elle a été mise en possession d’un dossier complet. Cette obligation de communication d’un dossier n’a jamais été contestée pour les demandes de levée d’immunité parlementaire. Elle se justifie pleinement dans le cadre du droit de suspension de l’assemblée. À défaut, celle-ci ne peut se prononcer en connaissance de cause, ce qui la met dans l’impossibilité d’assumer une responsabilité qui lui est expressément reconnue par la Constitution.

Les décisions du Parlement wallon et du Parlement de la Communauté française relativement à la détention de B. Wesphael sont problématiques à cet égard. La première se fonde implicitement – la seconde est plus explicite 344 – sur une distinction entre la question de savoir s’il y avait ou pas flagrant délit et la question de savoir si les autorités

343 Le constitutionnaliste Hugues Dumont (USL-B) a estimé que ce « serait une atteinte à la séparation des pouvoirs. Constater éventuellement cette illégalité est du ressort des juridictions compétentes ». Il estime aussi qu’une décision favorable à la demande de l’avocat de B. Wesphael pourrait « être lue entre les lignes comme un ralliement à ces allégations d’illégalité du mandat d’arrêt » (Le Soir, 7 novembre 2013). Le constitutionnaliste Christian Behrendt (ULg) a déclaré : « S’ils s’étaient prononcés sur l’existence d’un flagrant délit et sur la régularité du mandat d’arrêt délivré à M. Wesphael, les parlements auraient pris une part active au volet répressif, pénal du dossier, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Les Parlements wallon et de la Communauté française n’ont pas vocation à se comporter comme des juridictions d’appel des instances judiciaires. Ils n’ont pas à dire si le parquet de Bruges, le parquet général de Gand ou la chambre du conseil ont ou non fait leur travail » (La Libre Belgique, 8 novembre 2013).

344 Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 569-1, 18 novembre 2013, p. 5.

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judiciaires ont manqué ou pas de sincérité en décidant de l’existence d’un flagrant délit. Le Parlement serait incompétent pour trancher la première tandis qu’il le serait pour la seconde. Cette distinction est juridiquement oiseuse. Lorsqu’une assemblée parlementaire doit décider, sur la base de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution, s’il convient ou non de suspendre la détention d’un de ses membres, elle ne trouvera jamais aucun élément tangible lui permettant de conclure à un manque de sincérité dans le constat de flagrant délit. S’il lui revient d’apprécier le bien-fondé ou pas du constat de flagrant délit, c’est précisément parce qu’il est impossible de mesurer la sincérité des autorités qui l’ont constaté, de telle sorte que la décision sur la suspension de la détention n’a de sens que si elle a pour objet, non pas l’intention des autorités, mais la réunion des éléments constitutifs du flagrant délit. La bonne foi des autorités judiciaires est impuissante à effacer l’erreur de droit dont elles se seraient rendues coupables. Par conséquent, il est vain dans le chef de l’assemblée d’examiner l’intention des autorités judiciaires. La mission constitutionnelle qui est la sienne exige qu’elle examine en droit, au regard des éléments du dossier, si la condition de flagrant délit est bien remplie. Au lieu de cela, la commission des poursuites du Parlement wallon a jugé que « la décision d’arrestation et les poursuites étaient sincères et véritables et ne laissaient en aucune manière apparaître une volonté de nuire à l’intéressé ou à l’institution » 345. Les conclusions de la commission ont été adoptées le même jour par le Parlement en séance plénière 346. Quant à la commission des poursuites du Parlement de la Communauté française, elle a proposé au Parlement de ne pas suspendre la détention de B. Wesphael, ni les poursuites intentées à son encontre 347. Les conclusions de la commission ont été adoptées le même jour par le Parlement en séance plénière 348.

Une hypothèse particulière doit être envisagée : un parlementaire est renvoyé ou cité devant une juridiction ou il est arrêté avant la proclamation de son élection, à un moment où l’assemblée est dissoute et où il est donc un simple citoyen. Cette hypothèse est assimilable à celle d’un renvoi, d’une citation ou d’une arrestation en période de vacances parlementaires. Par conséquent, l’article 59, alinéa 6, trouve ici à s’appliquer, ce qui signifie que l’assemblée ou les assemblées, une fois installée(s), est ou sont en droit de requérir la suspension des poursuites. Ainsi, à la lumière de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 349, dans l’affaire Van Rossem – où l’intéressé a été condamné pour escroquerie impliquant l’écurie automobile Onyx dont il était propriétaire –, il faut considérer qu’une personne qui est en détention préventive au moment d’être élue parlementaire reste en détention tant que l’assemblée n’a pas ordonné la suspension de celle-ci. En d’autres termes, son élection n’entraîne pas, comme telle, l’invalidation du mandat d’arrêt décerné contre lui. La même solution s’impose si la personne est élue après avoir été renvoyée ou citée devant le juge pénal 350. En revanche, et pour que

345 Parlement wallon, Commission des poursuites, Arrestation et poursuites à charge d’un membre du Parlement wallon. Rapport, n° 896-1, 13 novembre 2013, p. 5.

346 Parlement wallon, Compte rendu intégral. Séance plénière, n° 6, 13 novembre 2013, p. 1.

347 Parlement de la Communauté française, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre du Parlement de la Communauté française. Rapport, n° 569-1, 18 novembre 2013, p. 6.

348 Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 6, 18 novembre 2013, p. 4.

349 Cour de cassation, 17 décembre 1991 (Pasicrisie belge, 1991, I, p. 307).

350 Ce constat renforce l’idée selon laquelle il n’y a pas lieu de renouveler une demande de levée de l’immunité parlementaire lorsque le parlementaire a, dans l’intervalle, été élu au sein d’une autre assemblée ou si la composition de cette même assemblée a été modifiée, ce qui n’empêche pas cette nouvelle assemblée de suspendre, le cas échéant, les poursuites ou la détention (cf. supra, 2.4.2.1.5).

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les choses soient bien claires, lorsqu’un citoyen non parlementaire fait l’objet d’une inculpation, s’il est ultérieurement élu comme membre d’un parlement, il ne pourra être renvoyé, cité ou arrêté qu’avec l’autorisation de ce dernier.

2.5. L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE ET SA PRATIQUE

À titre préalable, il convient de formuler trois remarques méthodologiques.

Tout d’abord, les données prises en compte concernent la période de 1999 à 2019, soit une période de vingt ans. En théorie, il ne s’agit donc pas exactement de l’ensemble des dossiers traités postérieurement à la révision de l’article 59 de la Constitution, laquelle est entrée en vigueur le 1er mars 1997, soit près de deux ans auparavant 351.

Ensuite, les données examinées sont celles accessibles en ligne, sur le site Internet des sept assemblées parlementaires du pays concernées. Nous ne pouvons dès lors garantir avoir recueilli l’ensemble des dossiers. Par ailleurs, il est tout aussi possible que certaines données, bien qu’en ligne, nous aient échappé, dès lors que les moteurs de recherche présents sur ces sites et/ou l’utilisation que nous en avons faite ne permettent pas forcément d’accéder à un relevé exhaustif 352. Il n’en demeure pas moins que, non seulement cet exercice – certes incomplet et imparfait – a le mérite d’exister, puisqu’il semblerait qu’aucune statistique officielle ne couvre cette réalité 353, mais qu’en outre le nombre de données relevées apparaît suffisamment significatif pour que des enseignements puissent en être dégagés.

Enfin, il a fallu décider quelles données, parmi toutes celles collectées, étaient dignes d’intérêt pour décrire le plus fidèlement possible la réalité de l’inviolabilité parlementaire en Belgique et pour, dans un second temps, tenter d’en tirer l’une ou l’autre conclusion.

351 Même s’il semblerait que peu de demandes de levée d’immunité aient été introduites pendant cette période. À titre d’illustration, la première application devant la Chambre des représentants de l’article 59 de la Constitution suite à sa révision date de 2001.

352 Par exemple, nous n’avons pas pu retrouver les documents parlementaires relatifs aux demandes de levée d’immunité parlementaire à l’encontre du député flamand Christian Van Eyken (Union des francophones - UF) poursuivi pour l’assassinat de Marc Dellea, époux de sa collaboratrice Sylvia Boigelot.

353 Le 7 décembre 2009, le sénateur Patrick Vankrunkelsven (Open VLD) a interrogé le ministre de la Justice sur le nombre de demandes de levée d’immunité d’un parlementaire introduites depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (question n° 4-5714). Le 7 janvier 2010, la question parlementaire a reçu la réponse suivante : « La banque de données statistiques des instances judiciaires ne contient aucune information sur les demandes de levée de l’immunité parlementaire. Je ne suis dès lors pas en mesure de fournir une réponse à la question parlementaire posée ».

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3

Levée d'immunité Suspension des poursuites / remise en liberté

Graphique 1. Type de demandes, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il a été tenu compte de tous les dossiers, en ce compris les dossiers examinés à la fois par le Parlement wallon et par le Parlement de la Communauté française.

Graphique 2. Assemblées sollicitées, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : L’écart entre le nombre de demandes portées devant le Parlement wallon et devant le Parlement de la Communauté française s’explique, d’une part, par l’absence de données concernant un des dossiers et, d’autre part, par le fait que trois dossiers concernent des parlementaires élus en Région de Bruxelles-Capitale.

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5

12

4

8

2

16

0 2 4 6 8 10 12 14 16

Parlement de la Communauté germanophone

Parlement flamand

Parlement de la Communauté française

Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale

Parlement wallon

Sénat

Chambre des représentants

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Graphique 3. Objet des poursuites à l’encontre des parlementaires, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il a été tenu compte de tous les dossiers ayant fait l’objet d’une demande de levée de l’immunité parlementaire, à l’exclusion donc des trois demandes de suspension et/ou de remise en liberté, en ce compris les dossiers examinés à la fois par le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française.

Graphique 4. Contexte procédural dans lequel la demande de levée de l’immunité parlementaire intervient, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il n’a pas été tenu compte « en double » des dossiers examinés à la fois par le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française, ni « en triple » du dossier de P. Moriau inculpé pour faux, usage de faux et recel examiné par la Chambre des représentants (cf. supra, note 223).

19

22

3

Information Instruction Absence de données

3

2

2

13

9

7

0 2 4 6 8 10 12

Absence de données

Renvoi partiel sollicité devant la chambre du conseil

Non-lieu sollicité devant la chambre du conseil

Renvoi sollicité devant la chambre du conseil

Citation directe devant le tribunal correctionnel

Citation directe devant le tribunal du police

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Graphique 5. Autorisation de levée de l’immunité par les assemblées, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : S’agissant des dossiers examinés tant par le Parlement wallon que par le Parlement de la Communauté française, il a été tenu compte de la combinaison de leurs décisions ; si une des deux assemblées a refusé la levée de l’immunité, la levée n’est donc pas autorisée.

Graphique 6. Octroi des suspensions/remises en liberté demandées par les assemblées, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il s’agit du dossier de B. Wesphael examiné par le Parlement wallon puis par le Parlement de la Communauté française, ainsi que d’un dossier relatif à L. Louis examiné par la Chambre des représentants.

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Graphique 7. Durée séparant la demande de levée d’immunité/suspension/remise en liberté et la décision de l’assemblée, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il a été tenu compte de tous les dossiers.

Graphique 8. Sphère de la vie du parlementaire liée à l’infraction, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il n’a pas été tenu compte « en double » des dossiers examinés à la fois par le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française, ni « en triple » du dossier de P. Moriau inculpé pour faux, usage de faux et recel examiné par la Chambre des représentants (cf. supra, note 223).

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19

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Absence de données

Maximum 2 semaines

Plus de 2 semaines à maximum 1 mois

Plus d’1 mois à maximum 2 mois

Plus de 2 mois à maximum 3 mois

Plus de 3 mois à maximum 6 mois

Plus de 6 mois à maximum 1 an

Plus d’1 an

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Sphère parlementaire Sphère liée à une autre fonction politique Sphère privée Absence de données

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Graphique 9. Type d’infractions visant les parlementaires, en nombre de cas (1999-2019)

Remarque : Il n’a pas été tenu compte « en double » des dossiers examinés à la fois par le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté française.

Ces représentations graphiques peuvent susciter de nombreux commentaires. Pour notre part, nous nous limitons à six observations, tout en précisant que les développements qui précèdent sont nourris d’exemples tirés de l’analyse des dossiers que nous avons pu étudier.

Primo, depuis le 1er janvier 1999, soit en l’espace de deux décennies, les assemblées parlementaires ont été saisies à 47 reprises de demandes de levée d’immunité, de suspension des poursuites ou de remise en liberté. Ces 47 dossiers mettent en lumière 37 situations infractionnelles dès lors qu’une même situation infractionnelle peut donner lieu à plusieurs examens soit lorsque le parlementaire concerné est membre de plusieurs assemblées (à l’instar des membres du Parlement wallon qui sont également membres du Parlement de la Communauté française), soit lorsque la demande de levée d’immunité est renouvelée à plusieurs reprises comme dans l’affaire de P. Moriau 354. Ce nombre doit être ramené à l’échelle du nombre de parlementaires siégeant au sein des hémicycles, soit un total d’approximativement 400 parlementaires en exercice à chaque législature. Il en résulte que le mécanisme de l’inviolabilité parlementaire est, proportionnellement, très peu mobilisé. « Impunité des politiques belges ? », s’interrogeait le journaliste Thierry Denoël dans le magazine Le Vif/L’Express du 18 septembre 2019. Il est impossible de l’affirmer. Comme tels, les chiffres cités ci-dessus ne permettent pas de déduire que les parlementaires sont peu poursuivis. En effet, il conviendrait de tenir compte – mais nous ne disposons pas des données pertinentes – de l’ensemble des dossiers dans lesquels des enquêtes pénales, restées au stade de l’information, ont été entamées mais n’ont jamais abouti à une demande de levée d’immunité parlementaire ou, a fortiori, à une demande de suspension.

Secundo, la majorité des dossiers, et assurément ceux donnant lieu aux plus longs développements, concernent des membres de la Chambre des représentants. Cela explique que les interprétations données de l’article 59 de la Constitution par la commission des poursuites de la Chambre aient pu faire, et continuent de faire, autorité. A contrario,

354 Cf. supra, note 223.

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Autres

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Faux et usage de faux

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il semble que, depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime d’inviolabilité, le Parlement de la Communauté germanophone n’a été saisi d’aucun dossier.

Tertio, le déséquilibre entre le nombre de demandes de levée d’immunité parlementaire, d’une part, et de suspension des poursuites ou de remise en liberté, d’autre part, est marquant. Ajoutons que les trois demandes de suspension formulées l’ont été en application de l’article 59, alinéa 5, de la Constitution, c’est-à-dire par les parlementaires concernés, et non par d’autres membres de l’assemblée. À notre estime, cette double réalité – le recours très peu fréquent à la faculté de suspension prévue à l’article 59, alinéa 5,de la Constitution et la non-application du pouvoir de suspension prévue en son alinéa suivant – peut s’expliquer au moins par trois motifs. Il semblerait tout d’abord que les parlementaires n’aient jamais, au stade de l’instruction, jugé utile de solliciter la suspension d’une mesure de contrainte nécessitant la décision d’un juge d’instruction. Plus vraisemblablement, il apparaît que cette faculté – à l’exception de la situation de détention d’un parlementaire – est peu efficiente puisque l’intervalle de temps entre la demande de suspension et la décision de l’assemblée en séance plénière dépassera le temps mis à exécuter l’acte de contrainte visé. Par ailleurs, sur le plan de la suspension initiée par l’assemblée elle-même, nous soulignons premièrement que, dans la plupart des cas – c’est-à-dire dans tous les cas sauf flagrant délit ou en dehors de la session parlementaire –,l’arrestation d’un parlementaire et sa citation ou son renvoi devant une juridiction de jugement auront nécessité l’accord préalable de l’assemblée. On comprend que les assemblées soient peu enclines à réexaminer le dossier pour ordonner une éventuelle suspension, à moins que l’agenda politique ne mette soudainement en évidence une incompatibilité entre la saisine de la juridiction de jugement et/ou l’arrestation et le fonctionnement de l’assemblée. Deuxièmement, les assemblées ne sont pas suffisamment informées des poursuites qui pèsent sur leurs membres, soit parce que le parquet général ne leur communique pas l’identité des parlementaires qui en cas de flagrant délit et/ou en dehors d’une session parlementaire ont été librement cités à comparaître ou renvoyés devant une cour ou un tribunal, soit parce que les assemblées entre elles ne se transmettent pas certaines informations, spécialement lorsque le parlementaire concerné a été réélu au sein d’une autre assemblée. À cet égard, la commission des poursuites de la Chambre des représentants suggérait un moment propice pour échanger ces informations, à savoir au début de chaque législature 355.

Quarto, dans la très grande majorité des cas, les assemblées décrètent la levée de l’immunité parlementaire. Elles opposent un refus dans approximativement un dossier sur cinq. Autrement dit, les poursuites sont le plus souvent considérées comme sérieuses et sincères. Il en résulte que les interférences des poursuites pénales dans l’exercice des activités parlementaires semblent non seulement être largement justifiées sur le fond (cf. supra, 2.4.2.1.7), mais également ne pas porter atteinte au fonctionnement de l’assemblée. Afin d’affiner voire de nuancer ce propos, il convient d’examiner les motifs concrets qui ont amené les assemblées à refuser la levée de l’immunité. Dans les sept cas identifiés, nous avons relevé que deux s’étaient soldés par un refus en raison d’un incident dans la procédure 356, un en raison d’indices qui laissaient penser que les

355 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1107-1, 21 mai 2015, p. 9-10.

356 La demande de levée de l’immunité parlementaire a été envoyée trop tôt (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants.

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poursuites étaient partisanes 357, deux car les faits reprochés étaient ténus 358, et enfin deux en raison d’une combinaison des deux derniers motifs cités 359. Ainsi, à cinq reprises, les assemblées ont considéré que le statut de parlementaire de l’intéressé avait conduit le parquet à solliciter le renvoi ou la citation de l’intéressé alors que tel n’aurait vraisemblablement pas été le cas pour un citoyen ordinaire.

Quinto, le délai existant entre la saisie de l’assemblée pour se prononcer sur la levée de l’immunité, la suspension des poursuites ou la remise en liberté est assez variable. On remarque que la décision de l’assemblée intervient en moyenne entre un et deux mois après la demande, ce qui constitue un délai raisonnable, le traitement de la demande ne retardant pas significativement le déroulement de la procédure pénale. Par ailleurs, le plus long laps de temps constaté dans le traitement de certains dossiers s’explique généralement par les échanges entre le parquet général et l’assemblée quand il s’avère que cette dernière ne dispose pas, dès l’introduction de la demande, du dossier répressif complet. Cela s’explique soit par un oubli du parquet général qui n’annexe pas le dossier à la demande 360, soit par une demande adressée prématurément, c’est-à-dire à un moment où le dossier répressif est forcément incomplet 361. Mais dès le moment où les parlementaires disposent du dossier répressif, le traitement de la demande en commission – et, subséquemment, en séance plénière une fois le rapport de la commission adopté –semble relativement rapide, notamment au regard du droit du parlementaire visé à être entendu.

Sexto, le relevé du type d’infractions visées par les poursuites est particulièrement intéressant. On apprend que ces infractions sont en majorité liées aux fonctions politiques des parlementaires, surtout à leurs mandats locaux. On apprend également que les infractions en matière de roulage et de faux et usage de faux sont les plus fréquentes.

Rapport, n° 712-1, 20 janvier 2004) ; la Chambre des représentants a considéré qu’il n’y avait pas lieu de solliciter la levée de l’immunité parlementaire lorsque le parquet envisageait de requérir un non-lieu devant la chambre du conseil (Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 426-1, 12 novembre 2003).

357 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016.

358 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2620-1, 24 janvier 2013 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013.

359 Parlement wallon, Commission des poursuites, Demande de levée de l’immunité d’un membre du Parlement de Wallonie. Rapport, n° 756-1, 25 février 2003 ; Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des poursuites, Poursuite à charge d’un membre du Parlement. Rapport, n° 375-1, 23 mai 2007 ; Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, n° 11, 13 mars 2013, p. 20-21.

360 Cf., par exemple, Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2620-1, 24 janvier 2013 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2795-1, 3 mai 2013 ; Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016.

361 Cf., par exemple, Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 2621-1, 24 janvier 2013 (de nouvelles pièces ont été transmises en cours d’examen de la demande par la commission des poursuites). Cf. également Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1394-1, 23 juillet 2008 (des devoirs d’enquête complémentaires devaient encore être accomplis mais devaient, à l’estime du parquet général, ne pas concerner le parlementaire visé ; la Commission accepte de statuer et précise que si le réquisitoire devait changer, il y aurait alors besoin de solliciter « une demande complémentaire de levée de l’immunité parlementaire »).

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2.6. QUEL AVENIR POUR L’INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE ?

Dans les années 1990, « le monde politique lui-même, responsable par ailleurs de certaines dérives inacceptables, a été saisi d’une forme de culpabilité collective » 362. Celle-ci s’est traduite notamment, en 1997, par une profonde modification des règles constitutionnelles relatives à l’inviolabilité parlementaire. Commentant cette réforme, l’un de nous deux écrivait que le constituant avait cherché à « juguler les difficultés rencontrées ces dernières années, sans verser dans la simplicité démagogique et sans remettre en cause la légitimité de l’inviolabilité parlementaire » et, à cette fin, était parvenu « à dégager une solution de compromis qui, en dépit de quelques imprécisions, n’en est pas moins judicieuse et pondérée » 363. Depuis cette réforme, les dérogations au principe de l’égalité de tous devant la loi pénale se ramènent, pour l’essentiel, à deux règles particulières : la nécessité d’obtenir une levée d’immunité parlementaire pour l’arrestation judiciaire, d’une part, et pour le renvoi ou la citation devant la juridiction de jugement, d’autre part. Qui plus est, ces deux dérogations ne confèrent aucune forme de protection absolue et infinie aux parlementaires : il est question de différer plus que d’empêcher. Remarquons au passage que, dans plusieurs autres États d’Europe occidentale, les règles en matière d’inviolabilité ont été assouplies, rapprochant un peu plus le statut pénal des parlementaires de celui des citoyens non parlementaires.

Au regard notamment des régimes d’inviolabilité applicables dans les États européens, nous restons persuadés que les options les plus essentielles prises par le pouvoir constituant en 1997 résistent à l’écoulement du temps et à l’épreuve des faits.

Pour autant, tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Plusieurs constats s’imposent, qui génèrent des questions interpellantes.

2.6.1. Sécuriser l’encadrement normatif ?

La règle de l’inviolabilité parlementaire est régulièrement mise sur la sellette. Les critiques dont elle fait l’objet, même les plus infondées, contribuent à l’effritement de la confiance citoyenne à l’égard de l’institution parlementaire et, plus généralement, du monde politique. Une manière de rencontrer ces critiques consiste à asseoir la procédure de levée d’immunité parlementaire sur des lignes directrices claires et à veiller à une plus grande transparence du processus 364. Il s’agit d’éviter autant que possible des reproches dirigés contre l’utilisation abusive et arbitraire de la protection conférée par l’inviolabilité.

362 M. UYTTENDAELE, « Protection du parlementaire ou protection de l’institution parlementaire ? », op. cit., p. 92.

363 M. VERDUSSEN, « Une inviolabilité parlementaire tempérée », op. cit., p. 680. Cf., par comparaison, A.-E. BOURGAUX, « Le statut du parlementaire : réformes ou révolution ? », Revue de droit de l’ULB, 1997, p. 158 : « Le nouveau système, hybride et compliqué, en tentant de concilier des impératifs de naturecontradictoire, risque bien de n’avoir ni atteint les objectifs que la réforme poursuivait, ni maintenu un minimum de garanties en faveur du libre exercice de la fonction parlementaire ».

364 Cf., par exemple, les articles 5 à 9 du règlement intérieur du Parlement européen. Cf. également Parlement européen, Direction générale des politiques internes, Département thématique C (Droits des citoyens et affaires constitutionnelles), Affaires juridiques, Manuel sur les incompatibilités et l’immunité des députés européens. Étude, Bruxelles, 2014, www.europarl.europa.eu.

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Or, à la différence du statut pénal réservé aux ministres et aux secrétaires d’État – qui est défini à la fois par deux articles constitutionnels, déjà cités, et par deux lois, déjà citées elles aussi –, le statut pénal des parlementaires tient dans deux articles de la Constitution, l’un (l’article 120) se limitant en réalité à renvoyer à l’autre (l’article 59). Bien que le constituant ait cherché à être précis dans la détermination de ce statut, l’article 59 de la Constitution recèle des imprécisions et des lacunes qui, au lieu d’être dissipées ou comblées par le législateur, le sont par le pouvoir judiciaire – à travers les circulaires du collège des procureurs généraux –, par les présidents des assemblées législatives – au moyen de lettres adressées au ministre de la Justice – et aux assemblées parlementaires elles-mêmes – qui, en examinant les demandes dont elles sont saisies, dégagent une « pratique » évolutive de traitement des demandes de levée d’immunité. Ce n’est évidemment pas sans générer un risque d’insécurité juridique. Ce risque ne peut être réduit que par un dialogue constant entre les autorités de l’ordre judiciaire et les assemblées parlementaires.

À plus long terme – cela supposerait sans doute une révision préalable de l’article 59 de la Constitution –, il n’est pas interdit d’envisager l’adoption d’une loi, ou plutôt de lois, sur l’inviolabilité parlementaire qui, à l’instar des lois réglant la responsabilité pénale des ministres, régleraient les principales questions laissées en suspens par l’article 59. Cette démarche pourrait être particulièrement pertinente notamment au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans un arrêt Kart c. Turquie 365, a mis en évidence l’importance de disposer de critères légaux présidant les décisions de levée ou de refus de levée de l’immunité parlementaire (cf. supra, 2.4.2.1.6). Dans ces cas, il s’imposerait d’élargir les compétences de la Cour constitutionnelle – ce que l’on appelle traditionnellement le « bloc de constitutionnalité » – à l’article 59, afin de permettre aux juges constitutionnels de censurer les éventuels dérapages du législateur qui, en légiférant sur l’inviolabilité parlementaire, pourrait être tenté d’élargir la protection que la Constitution réserve aux parlementaires au titre de l’inviolabilité. De manière générale, on remarque que les juridictions constitutionnelles sont parfois amenées à devoir vérifier la constitutionnalité des dispositions législatives relatives à la répression pénale des parlementaires, mais aussi des ministres ou du chef de l’État. Citons, à titre d’exemples, les lois que Silvio Berlusconi, en sa qualité de Premier ministre, a fait voter par le Parlement italien afin d’empêcher toute poursuite dirigée contre lui pour des faits privés commis avant son entrée en charge. L’inconstitutionnalité de ces lois a été constatée par deux décisions de la Cour constitutionnelle italienne 366.

2.6.2. Restreindre le champ d’application ?

Une préoccupation, peu récente mais qui continue d’être digne d’intérêt actuellement, est celle de savoir si un type d’infractions ou une catégorie d’infractions ne devrait pas être

365 Cour européenne des droits de l’homme, Kart c. Turquie, 8 juillet 2008, § 88 et 89.

366 Corte Costituzionale della Repubblica Italiana, sentences n° 24/2004, 13 janvier 2004 et n° 262/2009, 7 octobre 2009. Cf. S. HARDT, M. ELIANTONIO, « “Thou Shalt be Saved” (from Trial)? The Ruling of the Italian Constitutional Court on Berlusconi’s Immunity Law in a Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, volume 7, 2011, p. 17-39.

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soustraite du régime de l’inviolabilité 367. Pour ces infractions – on pense en particulier aux infractions au Code de la route –, le parlementaire serait traité comme tout citoyen. En effet, cette question avait déjà été évoquée dans le cadre de la révision, en 1997, de l’article 59 de la Constitution. Dans certains États, l’inviolabilité ne s’applique qu’aux infractions passibles d’une peine atteignant un seuil déterminé. En Suède, par exemple, la protection ne trouve à s’appliquer que s’il s’agit d’une infraction pénale passible d’une peine d’au moins deux ans de prison 368. À l’inverse, dans d’autres États, la protection s’efface lorsque l’infraction reprochée au parlementaire est passible d’une peine supérieure à un seuil fixé par la Constitution. C’est le cas au Portugal, par exemple, lorsqu’il existe des indices graves et concordants d’une infraction pénale intentionnelle punie d’une peine de prison supérieure à trois ans 369.

Une solution intermédiaire consisterait à prévoir que les parlementaires, lorsqu’ils sont poursuivis pour des infractions qualifiées de mineures, puissent être cités ou renvoyés devant une juridiction de jugement sans levée d’immunité préalable. En revanche, les assemblées disposeraient toujours de la faculté de suspendre les poursuites, en application de l’article 59, alinéa 6, de la Constitution. Quant à l’arrestation judiciaire, il semble aller de soi qu’elle devrait toujours être conditionnée par une autorisation parlementaire, eu égard aux préoccupations justifiant la règle de l’inviolabilité.

2.6.3. Préciser les critères d’appréciation ?

La décision de lever l’immunité parlementaire relève-t-elle du pouvoir souverain et discrétionnaire de l’assemblée parlementaire ou cette décision doit-elle se conformer à des critères établis préalablement afin de limiter le risque d’arbitraire dans le traitement par l’assemblée de telle ou telle demande ? Les États européens apportent à cette question des réponses très diverses. Il nous paraît qu’un équilibre doit être trouvé entre les deux pôles de l’alternative.

À court terme, on retiendra que les prochains dossiers dont les assemblées seront saisies évoqueront le débat entre la conception « minimaliste » ou « maximaliste » à adopter dans l’examen des faits du dossier répressif. À notre estime, cette discussion revêt – en apparence – une importance relative dès lors que l’examen des rapports montre que les commissions se sont écartées d’initiative d’une acception purement minimaliste lorsque les circonstances factuelles le justifiaient. Par ailleurs, on peut raisonnablement se demander si les critères, tels qu’ils sont définis, empêchent les parlementaires de déjà procéder à cet examen plus large. Outre ces apparences, ces considérations remettent au premier plan une question pertinente : un doute concernant les motivations partisanes des poursuites, lesquelles peuvent par exemple se refléter dans la tenue de l’instruction, justifie-t-il qu’une infraction suffisamment étayée ne soit pas portée à l’examen d’une cour ou d’un tribunal ? Il semblerait que l’examen du volet procédural du dossier répressif constitue une deuxième voie pour refuser la levée de l’immunité parlementaire et, ce faisant, protéger un parlementaire lorsque les faits ne semblent pouvoir être valablement

367 Chambre des représentants, Commission de la Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions, Révision de l’article 59 de la Constitution. Rapport, n° 492-5, 13 juin 1996, p. 5.

368 Constitution suédoise, chapitre IV, article 8, alinéa 2.

369 Constitution portugaise, article 157.

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contestés. À cet égard, le fait que le dossier d’A. Mathot n’ait pas été examiné sous l’angle infractionnel mais uniquement sous l’angle procédural pourrait être révélateur de cette stratégie 370. Si, à l’avenir, la conception maximaliste de l’examen des faits effectué par les commissions des poursuites était retenue, cette préoccupation serait d’autant plus mise en avant et mériterait de faire l’objet d’un débat approfondi.

2.6.4. Optimiser les modalités procédurales ?

Une autre facette de l’inviolabilité parlementaire qui est amenée à évoluer est incontestablement la procédure de traitement de la demande devant les assemblées et, plus particulièrement, devant les commissions des poursuites. Il conviendrait de rendre la procédure davantage contradictoire en systématisant l’audition du ministère public. Il serait aussi judicieux de repenser la composition de ces commissions afin de permettre à tous les groupes politiques d’y être représentés, et ce dans le but que tous les députés puissent voter de manière éclairée en séance plénière. Pourrait aussi être envisagé le concours de personnalités extérieures, choisies pour leur expertise et qui seraient « d’une intégrité et d’une indépendance au-dessus de tout soupçon, de préférence sélectionnées en début de législature, en dehors de toute affaire spécifique » 371.

370 Chambre des représentants, Commission des poursuites, Poursuites à charge d’un membre de la Chambre des représentants. Rapport, n° 1728-1, 17 mars 2016.

371 European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities », op. cit., p. 32.

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CONCLUSION

Devons-nous renoncer aux immunités parlementaires ? La question revient de manière récurrente, chaque fois qu’une affaire impliquant un parlementaire défraye la chronique 372. Est-il vrai que « l’évolution récente du parlementarisme rend relativement hypothétique l’idée d’une action pénale instiguée par le pouvoir exécutif dans le seul but de neutraliser un parlementaire gênant » 373 ? Est-il avéré, par ailleurs, qu’en raison de l’indépendance de la justice, « l’exécutif a bien moins qu’il y a deux siècles la possibilité d’abuser des tribunaux contre ses adversaires politiques au parlement dans la plupart des pays démocratiques d’aujourd’hui » 374 ?

Nous aimerions le croire. Deux constats – identifiant des dangers plus larges que l’immixtion du pouvoir exécutif – nous incitent toutefois à la plus grande prudence.

D’une part, quelques affaires – qui visaient non seulement des parlementaires mais aussi des ministres – ont montré que le risque d’un dérapage isolé de magistrats opiniâtres n’est pas hypothétique et est d’autant plus lourd de conséquences lorsqu’il est relayé par la complaisance des parlementaires. Souvenons-nous de l’affaire Trusgnach qui, en 1996, a vu Elio Di Rupo (PS), alors vice-Premier ministre fédéral, et Jean-Pierre Grafé (PSC), ministre wallon et de la Communauté française, devoir se défendre d’accusations mensongères de pédophilie 375.

Ensuite, si l’État belge est toujours bien un État de droit, il n’en est pas moins fragilisé par des évolutions inquiétantes, l’équilibre des pouvoirs étant de plus en plus menacé par une omnipotence du pouvoir exécutif. Et si l’État belge est toujours bien une démocratie, il n’en est pas moins affaibli par une dévalorisation du rôle de l’opposition parlementaire, alors même qu’une démocratie doit être attentive à organiser la possibilité d’apporter une réelle contradiction à la majorité détentrice du pouvoir, primordialement au sein

372 Elle a ressurgi, par exemple, dans la foulée de l’affaire Wesphael. « L’immunité parlementaire, un privilège dépassé ? » était le sujet de l’émission Controverse de RTL-TVi du 10 novembre 2013, avec la participation de C. Collignon, Christine Defraigne (MR), et des constitutionnalistes Marc Uyttendaele et Marc Verdussen. « Ne faut-il pas revoir, comme on l’a fait il y a quelques années, les prérogatives en matière d’immunité parlementaire ? » : le journaliste Bertrand Henne posait la question à M. Verdussen dans l’émission Matin Première de la RTBF du 12 novembre 2013. « Faut-il supprimer l’immunité parlementaire ? », s’interrogeait La Libre Belgique du 14 novembre 2013 (avec les interviews croisées de C. Collignon et M. Verdussen).

373 F. JONGEN, « Faut-il supprimer les immunités parlementaires ? », Journal des procès, 1994, p. 12.

374 European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities », op. cit., p. 6.

375 F. VAN DE WOESTYNE (entretiens avec), Elio Di Rupo, Bruxelles, Racine, 2011, p. 61-71. Cf. aussi J. FANIEL, C. ISTASSE, « Les démissions ministérielles dans les entités fédérées (1981-2017) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2330-2331-2332, 2017, p. 49-50.

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des assemblées parlementaires. En l’absence de garanties comme celles prévues par l’article 59 de la Constitution, la probabilité ne doit pas être négligée qu’un jour, un élu soit exposé à des poursuites vexatoires visant à incriminer des actes non couverts par l’irresponsabilité, mues par la volonté de le soustraire aux bancs de l’assemblée en raison d’opinions pour lesquelles il est constitutionnellement irresponsable. Comme la Commission de Venise l’a relevé, « les parlementaires, surtout d’opposition, peuvent ici ou là être exposés au harcèlement politique, sous forme d’accusations judiciaires infondées, d’une façon que n’a pas à subir le citoyen ordinaire » 376. Quant au pouvoir exécutif, on n’oubliera pas que, en vertu de la Constitution elle-même – il s’agit de l’article 151, § 1er, alinéa 1er –, le ministre de la Justice n’a pas seulement le pouvoir « d’arrêter des directives contraignantes de politique criminelle », mais également celui « d’ordonner des poursuites ». On n’oubliera pas non plus que, en dépit de la prépondérance des exécutifs sur les parlements, les premiers ont encore besoin des seconds, ne fût-ce que pour voter les projets de loi. Quand la majorité ne tient qu’à quelques voix, voire une seule, le risque de dissidence(s) est une menace sérieuse pour le gouvernement.

Au-delà de ces deux constats, restons conscients que nous ne sommes pas à l’abri d’un basculement de régime. Les dérives autocrates, le plus souvent populistes, que subissent actuellement certains États européens doivent nous inciter à la plus grande circonspection. Pour l’autocrate, il est tentant de noyauter la justice et de fausser les règles du jeu afin de réduire l’opposition au silence 377. Or la démocratie postule la liberté du débat démocratique : « Il ne peut pas avoir de concurrence politique significative sans la capacité relativement libre d’élaborer et de formuler des propositions politiques, de critiquer les dirigeants et de se protéger contre les intimidations des autorités » 378. Quant au récit populiste contemporain, il se définit notamment par un dénigrement des élites nationales, qui lui-même traduit une méfiance à l’égard de la démocratie représentative et des partis politiques traditionnels 379. Le populiste a une aversion pour les divergences d’opinion, qu’il tient pour nuisibles à la démocratie, tout empreint qu’il est de la conviction « qu’il n’y a qu’une interprétation légitime du bien commun ou de l’intérêt général » 380. Il exalte la figure d’un « peuple-Un » 381.

Au terme de cette étude, nous avons la ferme conviction qu’il ne faut surtout pas supprimer les immunités parlementaires. En revanche, l’expérience acquise en cette matière par les assemblées parlementaires et les enseignements que nous offre la jurisprudence, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme, devraient inciter le pouvoir politique, en étroite concertation avec l’ordre judiciaire, à réfléchir à quelques

376 European Commission for Democracy through Law, « Report on the scope and lifting of parliamentary immunities », op. cit., p. 26.

377 S. LEVITSKY, D. ZIBLAT, La mort des démocraties, Paris, Calmann-Lévy, 2019, p. 15.

378 « One cannot have meaningful political competition without the relatively free ability to organize and offer policy proposals, criticize leaders, and secure freedom from official intimidation » (A. HUQ, T. GINSBURG, « How to Lose a Constitutional Democracy », volume 65, UCLA Law Review, 2018, p. 89). Cf. également T. GINSBURG, A. HUQ, How to Save a Constitutional Democracy, Chicago, University of Chicago Press, 2018, p. 11.

379 I. DIAMANTI, M. LAZAR, Peuplocratie. La métamorphose de nos démocraties, Paris, Gallimard, 2019, p. 129 et 153.

380 A. FERRARA, « La démocratie et le défi populiste », in C. DELSOL, G. DE LIGIO (dir.), La démocratie dans l’adversité, Paris, Cerf, 2019, p. 434-435.

381 P. ROSANVALLON, Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020, p. 47.

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réformes. L’irresponsabilité parlementaire ne revêt-elle pas un caractère trop absolu, en ce qu’elle autorise des propos liberticides et prive les victimes non parlementaires de tout droit d’accès à un juge ? Sa portée n’est-elle pas devenue fort restrictive par le fait du développement des technologies de l’information ? L’inviolabilité parlementaire ne devrait-elle pas faire l’objet de textes législatifs ? Ne devrait-elle pas être assouplie lorsque les infractions en cause sont mineures ? Les critères qui guident l’examen des demandes de levée d’immunité parlementaire ne gagneraient-ils pas à être précisés ? Ne serait-il pas opportun d’optimiser la procédure d’examen de ces demandes ? Ce sont là autant de chantiers qui ne demandent qu’à être traités.

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ANNEXES

Annexe 1. Éléments principaux du régime juridique des immunités accordées aux parlementaires

Annexe 2. Rapports faits au nom des commissions des poursuites et comptes rendus intégraux en séance plénière

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Annexe 1. Éléments principaux du régime juridique des immunités accordées aux parlementaires

Bénéficiaires Régime de responsabilité Dispositions applicables

Ratio legis Champ d’application

ratione materiae Champ d’application

ratione temporis

PARLEMENTAIRES - fédéraux - régionaux - communautaires

IRRESPONSABILITÉ parlementaire

≈ impossibilité de mettre en cause leur responsabilité :

• pénale : pas d’action publique

• civile : pas d’action civile (Code civil, art. 1382)

Niveau fédéral : Constitution, art. 58

Régions et Communautés : Constitution, art. 120 (renvoi à : Constitution, art. 58)

Statut de représentant du peuple

« Opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions »

Perpétuel

INVIOLABILITÉ parlementaire (pénale)

• Principe : o Information : procureur du Roio Instruction : juge d’instruction étant entendu que chaque acte de contrainte doit être :

- autorisé par le 1er président de la cour d’appel compétente

- porté à la connaissance du président de l’assemblée (ou des présidents des assemblées) o 3 actes de procédure nécessitent l’accord préalable de l’/des assemblée(s) parlementaire(s)

de laquelle/desquelles le parlementaire est membre (= levée immunité parlementaire) * :

- arrestation judiciaire (≠ administrative)

- renvoi devant une juridiction de jugement - citation directe devant une juridiction de jugement

• Exceptions (= traitement ordinaire comme pour tout citoyen) : o Flagrant délit o (Vacances parlementaires)

• Possibilité pour chaque assemblée à laquelle appartient le parlementaire de suspendre les poursuites pendant une durée déterminée (max. durée de la session parlementaire) / pour un acte déterminé o SOIT pendant l’instruction (pour un acte contraignant) : à la demande du

parlementaire et vote à la majorité des deux tiers (Constitution, art. 59, al. 5)o SOIT dès la clôture de l’instruction jusqu’à la clôture des débats devant la juridiction

de jugement ou en cas de détention : l’assemblée d’office et vote à la majorité simple(Constitution, art. 59, al. 6)

Niveau fédéral : Constitution, art. 59

Régions et Communautés : Constitution, art. 120 (renvoi à : Constitution, art. 59)

Équilibre entre : - État de droit - Enjeu démocratique et équilibre entre les pouvoirs

Toutes les infractions hors du champ d’application de l’art. 58, c’est-à-dire : - opinions et votes émis HORS exercice des fonctions - infractions sauf opinions et votes

Pendant l’exercice du mandat parlementaire

Peu importe le moment de l’infraction (avant ou pendant le mandat)

* Le procureur près la cour d’appel compétente demande la levée de l’immunité au président de l’assemblée (ou aux présidents des assemblées).

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102 LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES

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Annexe 2. Rapports faits au nom des commissions des poursuites et comptes rendus intégraux en séance plénière

Date du rapport de la commission

parlementaire

Référence Objet Parlementaire visé Type d’inculpation Lien entre l’inculpation

et l’exercice des fonctions politiques

Accord avec la levée d’immunité

parlementaire / demande de suspension

Statut du rapport en

séance plénière Référence CRI

Timing entre la demande de levée d’immunité

parlementaire / suspension et décision de l’assemblée

Chambre des représentants

2016.03.17 1728-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Alain Mathot (PS)

Faux en écritures, organisation criminelle, corruption, blanchiment, abus de biens sociaux, escroquerie, infractions relatives aux enchères publiques, fraude fiscale

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Non Adopté CRI 106 - 14.04.2016 2015.03.16 - 2016.04.14 (13 mois)

2015.05.21 1107-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Sébastian Pirlot (PS) Roulage (plusieurs préventions - coups et blessures et délit de fuite)

Non Oui Adopté CRI 48 - 28.05.2015 2015.03.18 - 2015.05.28 (2 mois et 10 jours)

2013.12.10 3241-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Laurent Louis (DLB) Plusieurs infractions en lien avec l’affaire Dutroux

Oui, en lien avec son mandat parlementaire

Oui Adopté CRI 173 - 12.12.2013 2013.10.31 - 2013.12.12 (1 mois et demi)

2013.05.03 2795-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Jean-Marie Dedecker (LDD) Faux en écritures

Oui, en lien avec son mandat parlementaire Oui Adopté CRI 142 - 16.05.2013

2012.12.14 - 2013.05.16 (5 mois)

2013.03.18 2709-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Tanguy Veis (VB) Roulage (excès de vitesse) Non Oui Adopté CRI 136 - 21.03.2013 2013.02.27 - 2013.03.21 (3 semaines)

2013.01.24 2621-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Patrick Moriau (PS) Trafic d’influence Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Non Adopté CRI 127 - 31.01.2013 2012.06.28 - 2013.01.31 (7 mois)

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LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES 103

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2013.01.24 2620-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Corinne De Permentier (MR)

Faux et usage de faux, escroquerie et prise d’intérêt

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Non Adopté CRI 127 - 31.01.2013 2012.07.05 - 2013.01.31 (7 mois)

2012.06.21 2279-1 Demande de suspension des poursuites

Laurent Louis (MLD)

Déclarations et publications sur son blog concernant l’affaire Dutroux (calomnie, diffamation et recel)

Oui Non Adopté CRI 95 - 28.06.2012 26.04.2012 - 2012.06.28 (2 mois)

2008.07.23 1394-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Bruno Van Grootenbrulle (PS)

Homicides involontaires et coups et blessures involontaires (catastrophe de Ghislenghien)

Oui Oui Adopté CRI 52 - 23.07.2008 2008.07.15 - 2008.07.23 (8 jours)

2008.03.04 919-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Hendrik Bogaert (CD&V)

Roulage (excès de vitesse) Non Oui Adopté CRI 24 - 06.03.2008 2008.02.05 - 2008.03.06 (1 mois)

2005.04.18 1714-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Patrick Moriau (PS) Faux et usage de faux, recel

Oui, en tant qu’administrateur de l’asbl Fondation socialiste d’information et de gestion (FONSOC)

Oui Adopté CRI 131 - 21.04.2005 2005.02.16 - 2005.04.21 (moins de 2 mois)

2004.01.20 712-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Patrick Moriau (PS) Faux et usage de faux, recel Oui, en tant qu’administrateur de l’asbl FONSOC

Non Adopté CRI 47 - 29.01.2004 2003.12.09 - 2004.01.29 (1 mois et 3 semaines)

2003.11.12 426-1

Demande pour permettre au procureur du Roi de prendre toutes les réquisitions utiles (intention de requérir le non-lieu)

Daan Schalk (SP.A) Faux et usage de faux Oui Non Adopté CRI 21 - 13.11.2013 2003.10.15 - 2003.11.13 (moins d’1 mois)

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104 LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES

CH 2436-2437

2002.07.16 1946-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Daniel Féret (FN)

Actes inspirés par le racisme/xénophobie ; incitations à la haine et à la violence

Oui, en lien avec son statut de candidat aux élections législatives

Oui Adopté CRI 260 - 20.07.2002 2002.06.13 - 2002.07.20 (1 mois et 1 semaine)

2002.06.19 1873-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Daniel Féret (FN)

Infractions en matière sociale (obstacle à la surveillance en matière sociale, non-déclaration des prestations d’un travailleur et non-paiement du pécule de vacances de départ)

Oui Oui partiel (pour les 2e et 3e préventions) Adopté CRI 241 - 20.06.2002

2002.04.24 - 2002.06.20 (moins de 2 mois)

2001.07.10 50-1346-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Patrick Moriau (PS) Faux et usage de faux, recel Oui, en tant qu’administrateur de l’asbl FONSOC

Oui Adopté CRI 151 - 12.07.2001 2001.06.18 - 2001.07.12 (3 semaines)

Sénat

2010.02.23 1453-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Anonyme

Retrait d’une amende administrative (pour infraction à la législation en matière d’environnement) à une administrée

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté Ann. 113 - 25.02.2010 2009.10.02 et 09 - 2010.02.25 (moins de 5 mois)

2008.12.17 1041-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi partiel)

Anonyme

Faux et usage de faux par un fonctionnaire public, trafic d’influence, infraction aux enchères publiques, corruption passive

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté Ann.54 - 18.12.2008 2008.11.12 - 208.12.18 (1 mois et 1 semaine)

Parlement wallon

2015.12.14 364-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi partiel)

Jean-Charles Luperto (PS) Outrage aux bonnes mœurs Non Oui Adopté CRI 7 - 16.12.2015 2015.10.20 - 2015.12.16 (moins de 2 mois)

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LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES 105

CH 2436-2437

2014.04.09 1062-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Sébastian Pirlot (PS) Roulage Non Oui Adopté CRI 16 - 11.04.2014 2014.04.01 - 2014.04.11(10 jours)

2013.11.13 896-1 Demande de suspension des poursuites et de remise en liberté

Bernard Wesphael (MG) Homicide avec intention de donner la mort et préméditation

Non Non Adopté CRI 5 - 13.11.2013 2013.11.05 - 2003.11.13 (1 semaine)

2013.02.25 756-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de non-lieu)

Christophe Collignon (PS)

Menace verbale directe avec ordre ou condition

? Non Adopté CRI 11 - 06.03.2013 2013.02.07 - 2013.03.06 (moins d’un mois)

2008.10.01 847-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Jean-Charles Luperto (PS) Loi en matière de correspondance électronique

? Oui Adopté CRI 3 - 15.10.2008 2008.07.30 - 2008.10.15 (2 mois et demi)

2008.06.25 819-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Patrick Avril (PS)

Infractions multiples : détournement par fonctionnaires, abus de confiance, abus de biens sociaux, faux et usage de faux, faux publics et non-respect des règles en matière de marchés publics

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté CRI 22 - 09.07.2008 2008.06.11 - 2008.07.09 (moins d’un mois)

2008.04.16 772-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de non-lieu)

Jean-Marie Severin (MR) Refus de donner accès à des archives communales

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté CRI 17 - 30.04.2008 2008.03.28 - 2008.04.30 (plus d’1 mois)

2002.02.21 316-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Alain Sadaune (FN)

Défaut d’assurance véhicule, défaut d’immatriculation du véhicule, défaut de contrôle technique

Non Oui Adopté CRI 18 - 06.03.2002 2002.01.28 - 2002.03.06 (1 mois et 1 semaine)

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106 LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES

CH 2436-2437

Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale

2007.05.23 375-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Anonyme Infractions urbanistiques Non Non Adopté CRI 30 - 01.06.2007 2007.04.16 - 2007.06.01 (1 mois et demi)

2006.06.22 288-1 Demande de levée d’immunité parlementaire

Daniel Féret et Audrey Rorive (FN)

Faux et usage de faux : fraudes aux élections européennes de 2004 - dépôt de liste de candidats irrecevables pour fausses signatures

Oui, en lien avec leur statut de membre du FN

Oui Adopté CRI 36 - 07.07.2006 2006.05.15 - 2006.07.07 (1 mois et demi)

2003.10.17 480-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Marguerite Bastien (FN) Actes de racisme - xénophobie

? Oui Adopté CRI 5 - 24.01.2003 2003.08.20 - 2003.10.24 (plus de 2 mois)

1999.04.22 323-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Anonyme Faux et usage de faux – documents électoraux

Oui, en lien avec des fonctions politiques Oui Adopté CRI 18 - 07.05.1999

1999.01.25 - 1999.05.07 (plus de 3 mois)

Parlement de la Communauté française

2017.05.22 464-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Latifa Gahouchi (PS)

Faux, usage de faux, tentative de blanchiment (subventions ONE pour une crèche)

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Aucune majorité - renvoi à l’assemblée en plénière

? CRI ? - 13.06.2017 2017.03.27 - 2017.06.13 (2 mois et demi)

2015.12.14 219-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi partiel)

Jean-Charles Luperto (PS) Outrage aux bonnes mœurs Non Oui Adopté CRI 7 - 06.01.2016

2015.10.20 - 2016.01.06 (2 mois et demi)

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Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Sébastian Pirlot (PS) Roulage Non Oui Adopté CRI 18 - 10.04.2014 ?

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LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES 107

CH 2436-2437

2013.11.18 569-1 Demande de suspension des poursuites et de remise en liberté

Bernard Wesphael (MG) Homicide avec intention de donner la mort et préméditation

Non Non Adopté CRI 6 -18.11.2013 2013.11.06 - 2013.11.18 (12 jours)

2013.02.07

Rapport oral lors de la séance plénière

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de non-lieu)

Christophe Collignon (PS)

Menace verbale directe avec ordre ou condition ? Non Adopté CRI 18 - 13.03.2013

2013.02.07 - 2013.03.13 (1 mois et 1 semaine)

2008.10.22 600-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Jean-Charles Luperto (PS) Loi en matière de correspondance électronique

? Oui Adopté CRI 4 - 12.11.2008 2008.07.30 - 2008.11.12 (3 mois et demi)

2008.06.20 564-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Patrick Avril (PS)

Infractions multiples : détournement par fonctionnaires, abus de confiance, abus de biens sociaux, faux et usage de faux, faux publics et non-respect des règles en matière de marchés publics

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté CRI 24 - 01.07.2008 2008.06.11 - 2008.07.01 (3 semaines)

2008.05.06

Rapport oral lors de la séance plénière

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de non-lieu)

Jean-Marie Severin (MR) Refus de donner accès à des archives communales

Oui, en lien avec ses mandats politiques locaux

Oui Adopté CRI 20 - 06.05.2008 2008.04.23 - 2008.05.06 (1 mois et demi)

2006.06.15 272-1 Demande de levée d’immunité parlementaire

Daniel Féret (FN) Faux et usage de faux ? Oui Adopté CRI 18 - 27.06.2006 2016.05.15 - 2006.06.27 (1 mois et 12 jours)

2002.03.14 255-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Alain Sadaune (FN)

Défaut d’assurance véhicule ; défaut d’immatriculation du véhicule ; défaut de contrôle technique

Non Oui Adopté CRI 9 - 26.03.2002 2002.01.28 - 2002.03.26 (moins de 2 mois)

1999.04.29 333-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Philippe Rozenberg (FN) Faux et usage de faux Oui, en lien avec ses fonctions politiques

Oui Adopté CRI 9 - 05.05.1999 1999.01.25 - 1999.05.05 (3 mois et 1 semaine)

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108 LE STATUT PÉNAL DES PARLEMENTAIRES

CH 2436-2437

1999.01.18 293-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Philippe Rozenberg (FN)

Infractions au Code de la route (refus de priorité de droite, délit de fuite, refus du test d’haleine et de prise de sang)

Non Oui Adopté CRI 5 - 09.03.1999 1998.07.30 - 1999.03.09 (7 mois)

Parlement flamand

2016.05.31 802-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Christian Van Eyken (UF) Faux et usage de faux / Oui Adopté CRI 39 - 08.06.2016 2016.04.20 - 2016.06.08 (2 mois et demi)

2013.05.02 2027-1 Demande de levée d’immunité parlementaire

Johan Deckmyn (VB) / / Oui ? CRI 34 - 08.05.2013 2013.03.29 - 2013.05.08 (1 mois et 1 semaine)

2011.03.31 1063-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (audience devant la chambre du conseil - demande de renvoi)

Godelieve Vandenhoudt (VB)

/ / Oui ? CRI 33 - 06.04.2011 2011.03.03 - 2011.04.06 (plus d’1 mois)

2010.06.23 587-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal correctionnel)

Mercedes Van Volcem (Open VLD)

/ / Oui ? CRI 39 - 23.06.2010 2010.03.29 - 2010.06.23 (moins de 3 mois)

2002.01.04 966-1

Demande de levée d’immunité parlementaire (citation directe devant le tribunal de police)

Filip Dewinter (VB) / / Non ? CRI 24 - 16.01.2002 2001.12.04 - 2002.01.16 (1 mois et demi)

Parlement de la Communauté germanophone

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CENTRE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SOCIO-POLITIQUES

Le CRISP, Centre de recherche et d’information socio-politiques, est un organisme indépendant. Ses travaux s’attachent à montrer les enjeux de la décision politique, à expliquer les mécanismes par lesquels elle s’opère, et à analyser le rôle des acteurs qui y prennent part, que ces acteurs soient politiques, économiques, sociaux, associatifs, etc.

Par ses publications, le CRISP met à la disposition d’un public désireux de comprendre la société belge des informations de haute qualité, dans un souci d’exactitude, de pertinence et de pluralisme. Son objectif est de livrer à ce public les clés d’explication du fonctionnement du système socio-politique belge et de mettre en évidence les structures réelles du pouvoir, en Belgique et dans le cadre de l’Union européenne.

Le Courrier hebdomadaire paraît au rythme de 40 numéros par an, certaines livraisons correspondant à deux numéros. Chaque livraison est une monographie consacrée à l’étude approfondie d’un aspect de la vie politique, économique ou sociale au sens large. La revue du CRISP constitue depuis 1959 une source d’information incontournable sur des sujets variés : partis politiques, organisations représentatives d’intérêts sociaux et groupes de pression divers, évolution et fonctionnement des institutions, négociations communautaires, histoire politique, groupes d’entreprises et structures du tissu économique, conflits sociaux, enseignement, immigration, vie associative et culturelle, questions environnementales, européennes, etc. C’est également dans le Courrier hebdomadaire que sont publiés les résultats des élections commentés par le CRISP.

Les auteurs publiés sont soit des chercheurs du CRISP, formés en diverses disciplines des sciences humaines, soit des spécialistes extérieurs provenant des mondes scientifique, associatif et socio-politique. Dans tous les cas, les textes sont revus avant publication par le rédacteur en chef et par un groupe d’experts sélectionnés en fonction de la problématique abordée, afin de garantir la fiabilité de l’information proposée. Cette fiabilité, ainsi que la rigoureuse objectivité du Courrier hebdomadaire, constituent les atouts principaux d’une revue dont la qualité est établie et reconnue depuis près de 60 ans.

Fondateur : Jules Gérard-Libois

Président : Vincent de Coorebyter

Équipe de recherche :

Benjamin Biard, Pierre Blaise (secrétaire général), Fabienne Collard, Jean Faniel (directeur général), Cédric Istasse, Vincent Lefebve, Caroline Sägesser, David Van Den Abbeel (coordinateur du secteur Économie), Marcus Wunderle

Conseil d’administration :

Louise-Marie Bataille, Jacques Brassinne de La Buissière (vice-président honoraire), Vincent de Coorebyter (président), Hugues Dumont, Éric Geerkens, Nadine Gouzée, Serge Govaert, Laura Iker, Patrick Lefèvre, Michel Molitor (vice-président), Solveig Pahud, Pierre Reman, Robert Tollet (vice-président), Els Witte

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Derniers numéros du Courrier hebdomadaire parus

2435 Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019) III. Les familles politiquesCédric Istasse

2433-2434 Les résultats des élections fédérales et européennes du 26 mai 2019 Benjamin Biard, Pierre Blaise, Jean Faniel, Cédric Istasse et Caroline Sägesser

2431-2432 Les résultats des élections européennes de mai 2019 dans les États membres Camille Kelbel

2429-2430 Vers la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie (II). Une approche des débats parlementaires et de leurs prolongements Marie-Luce Delfosse

2427-2428 Vers la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie (I). Une approche des débats parlementaires Marie-Luce Delfosse

2426 Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone Christoph Niessen et Min Reuchamps

2424-2425 Grèves et conflictualité sociale en 2018 II. Conflits d’entrepriseIannis Gracos

2422-2423 Grèves et conflictualité sociale en 2018 I. Mobilisations transversales Iannis Gracos

2420-2421 L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019) Benjamin Biard

2418-2419 Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019) II. Analyse nationaleCédric Istasse

2416-2417 Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019) I. Analyse par région Cédric Istasse

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