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Roman /H SULQWHPSV GHV pWRLOHV Marie-Ange Rakotoniaina

Our2008 extrait

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En épousant Jonathan, un jeune Juif, Ilse ne pouvait imaginer qu’elle embrasserait aussi son Dieu et le sort de son peuple, au point d’être un jour contrainte de fuir son propre pays, l’Allemagne, pour échapper à des réglementations odieuses.

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Roman

Marie-Ange Rakotoniaina

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Marie-Ange Rakotoniaina

Le printemps des étoiles

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Les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21www.universdelabible.net

Eléments de la couverture:Drapeau isaélien: (c) Christophe BOISSON - Fotolia.comViolon sur piano: (c) Alzay - Fotolia.comMur des lamentations: (c) Samuel Borderieu

Le printemps des étoiles© et édition: Ourania, 2013Case postale 1281032 Romanel-sur-Lausanne, SuisseTous droits réservés.

E-mail: [email protected]: www.ourania.ch

ISBN édition imprimée 978-2-88913-008-5 ISBN format epub 978-2-88913-567-7 ISBN format pdf 978-2-88913-896-8

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Table des matières

Première partie. 1932-1935 ...........................................................91. Le printemps..........................................................................112. Le concours ............................................................................173. La remise des prix .................................................................254. Le pique-nique ......................................................................395. Une autre après-midi ...........................................................496. Les Hoff mann .......................................................................577. Le pacte ..................................................................................698. Le mariage .............................................................................759. Une triste nouvelle ................................................................8310. Le dossier ...............................................................................9311. Chimiste ...............................................................................10312. Une soirée spéciale ............................................................. 11113. Un étrange visiteur .............................................................11914. L’anniversaire de mariage ..................................................12515. A l’école ................................................................................13516. Le collier ...............................................................................14317. Le dernier hiver ...................................................................14918. Chez Hans et Helen ............................................................16519. Une prière pour partir .......................................................17320. Le départ ..............................................................................181

Deuxième partie. 1935-1945 .....................................................18721. En Suisse ..............................................................................18922. L’institut ...............................................................................19723. Le pasteur .............................................................................20524. Le sabbat ..............................................................................21325. Le baptême ...........................................................................22126. Le voyage de Feldman ........................................................22727. Le retour ...............................................................................23728. Le livre bleu .........................................................................24329. La paix ..................................................................................25330. Le choix ................................................................................265

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31. Le départ ..............................................................................27532. Plus facile de chanter… ......................................................28333. Le voyage ..............................................................................289

Troisième partie. 1945-1947 .....................................................29734. Une histoire pour commencer ..........................................29935. Anna ..................................................................................... 31136. Une prière pour André ......................................................32337. La leçon de piano ................................................................33138. La lettre ................................................................................33939. Rencontres sur la route ......................................................34940. Le secret de David ...............................................................35941. Miracle à la synagogue .......................................................36942. En Allemagne ......................................................................37543. Retrouvailles ........................................................................38144. Au camp de réfugiés ...........................................................39145. Pavel ......................................................................................39946. Voyage dans le passé ..........................................................40547. Le voyage ..............................................................................40948. Le cantique d’Ilse ................................................................41349. Epilogue ...............................................................................421

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28. Le livre bleu

Jonathan regardait avec défi ance la façade de la cha-pelle de l’institut. Il savait que son épouse avait cours avec les enfants, à cette heure de la journée. Il s’avança jusqu’à la porte en bois massif de la salle de culte. Repoussant ses propres réticences, il l’ouvrit et pénétra dans la pièce. Elle était immense. Il contempla la voûte de marbre blanc, la chaire du prédicateur et la Bible posée sur une table à l’avant de l’estrade. Le livre était ouvert.

Jonathan traversa l’allée centrale, attiré par l’ouvrage, la seule et unique chose qui lui était familière en cet endroit hostile. Arrivé à l’estrade, il lut le livre à la page où il était ouvert. Il avait devant les yeux un passage de l’Evangile de Jean qui disait: «Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous aff ranchira.» Ces paroles le frappèrent comme un éclair lu-mineux. «Tu es fou, se dit-il. Tu ne vas pas te mettre à croire en lui!» Comme pour chasser des pensées confl ictuelles, il secoua la tête.

Soudain, un bruit se fi t entendre derrière l’estrade. Une petite porte s’ouvrit et un vieil homme apparut. Jonathan resta pétrifi é, ne sachant quelle attitude adopter. L’homme l’aperçut et s’arrêta sur l’estrade.

–  Qui êtes-vous? demanda-t-il comme s’il s’adressait à un ange.

Jonathan bredouilla, gêné de perdre toute contenance devant un être aussi simple que son interlocuteur.

– Vous désirez quelque chose? continua le pasteur en s’avançant.

– Non, je… je voulais juste voir… – Vous vouliez me voir? demanda l’homme en contem-

plant Jonathan. Vous devez être le mari d’Ilse, l’institutrice.

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– Comment le savez-vous? s’étonna Jonathan décon-certé.

– Vous correspondez parfaitement à la description qu’elle nous a faite de vous, dit-il avec un sourire complice.

Jonathan resta muet. Ilse avait donc parlé de lui à cet homme!

– Qui êtes-vous?– Je suis le pasteur Feldman, répondit-il avec calme.Le jeune homme ne dit mot, décontenancé d’avoir de-

vant lui la personne pour laquelle il était venu.– Celui qui a baptisé ma femme, murmura-t-il en fron-

çant les sourcils.– Oui, acquiesça gravement Feldman. Ilse nous a beau-

coup parlé de vous. Vous êtes un brillant chimiste de l’uni-versité allemande. Vous avez fait votre thèse sur les parti-cules élémentaires…

– Tant que ça! s’écria le jeune homme surpris.– Un jeune homme sérieux et réfl échi, continua le

pasteur en regardant Jonathan avec bienveillance et amu-sement. Vous ne pouvez pas savoir à quel point elle vous admire. Elle est très amoureuse de vous.

Jonathan haussa les épaules. Le pasteur perçut son em-barras et l’invita à s’asseoir sur un banc à l’avant. Il accepta et le suivit tout en essayant de le cerner: il était déjà âgé mais avait eu la vigueur de faire un voyage en Allemagne; son visage respirait la bonté et la simplicité. Jonathan ne put s’empêcher d’admirer la sérénité qui auréolait sa personne.

– Vous vouliez discuter, lança-t-il.– Je suis venu pour vous voir, en eff et. Je me suis aperçu

qu’Ilse avait beaucoup changé, depuis quelque temps.– Elle est radieuse. Votre épouse a appris à connaître la

Parole de Dieu.– Cela, elle l’a appris avec moi tout d’abord. Je lui lisais

des passages de la Torah chaque vendredi soir.

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– Elle nous l’a rapporté aussi, acquiesça le pasteur en hochant la tête. Elle aime le sabbat…

– Vraiment?– Elle m’a d’ailleurs ouvert les yeux sur pas mal de

choses. Elle me montre les passages qui lui sont chers dans l’Ancien Testament. Comment dit-elle déjà? Le Tanach?

– Le Tanach, oui, approuva Jonathan, rassuré d’être en-gagé sur un terrain connu. Elle vous en a parlé?

– Elle éprouve toujours beaucoup de joie à en parler.– Mais je suppose que vous avez infl uencé sa manière de

percevoir les choses.– Oui et non, rétorqua Feldman. Ilse est une personne

très vive et curieuse. Elle a appris beaucoup de choses, toute seule dans la présence de l’Esprit de Dieu. Tout a commencé en Allemagne, chez un certain Muller, un ami à moi.

– En Allemagne, déjà!– Oui, renchérit le pasteur calmement. Elle a com-

mencé à découvrir l’amour de Jésus au travers du Nouveau Testament. Cet amour a transformé sa vie et a guéri son cœur.

Jonathan resta impassible. L’homme ne parlait pas un langage qui lui était familier. Les mots prononcés étaient enrobés dans un voile de mystère, mais ce mystère l’attirait irrésistiblement. Il ne connaissait que très peu de choses de Jésus.

– Ilse dit que vous connaissez parfaitement le Tanach, ajouta le pasteur. Je suis content de me trouver avec quelqu’un qui aime la Parole.

Il lui souriait avec bienveillance. Jonathan reconnut une telle sincérité dans les gestes de cet homme que tout pré-jugé sembla reculer. Il n’avait jamais imaginé qu’un chrétien puisse l’admirer, lui qui était juif. Il n’avait jamais imaginé qu’un chrétien puisse éprouver de la sympathie pour les choses sacrées du judaïsme.

– Vous ne voyez donc aucun inconvénient à ce qu’Ilse lise la Torah? s’enquit-il.

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– Aucun, affi rma le pasteur, non sans étonnement. C’est la Parole de Dieu. C’est votre propre épouse qui me l’a à nouveau révélée. Elle m’a poussé à me plonger davantage dans les Ecritures.

– Je ne comprends pas pourquoi Ilse a délibérément dé-cidé d’abandonner tout ce que je lui ai appris: l’observance des lois de Dieu, la découverte de l’Eternel…

– Elle n’a rien abandonné, rétorqua le pasteur. Elle a trouvé en Jésus la plénitude de la vie et le sens profond de tous ces enseignements.

Jonathan secoua la tête. Le pasteur prit une Bible posée à ses côtés et l’ouvrit sous ses yeux.

–  Vous permettez? dit-il en tournant les pages calme-ment et en s’approchant de lui.

Jonathan le laissa faire. Une irrésistible envie de sa-voir remplit son cœur. Il voulait connaître ce qui avait pu transformer son épouse. Il en voulait un peu à Feldman qu’il tenait pour responsable de ce changement, tout en pressentant le danger d’un tel sentiment. Il oscillait entre curiosité et méfi ance, entre sollicitude et mauvaise foi. Sans en comprendre la raison, il craignait de perdre quelque chose en se laissant infl uencer. Le pasteur com-mença à lui expliquer en quoi Jésus était celui qui avait été promis par Dieu à l’humanité depuis le commencement. Il prit quelques passages des livres de la Genèse, de l’Exode, des Psaumes et de Jérémie. Les craintes du jeune homme se dissipaient. Feldman n’était peut-être pas aussi déraison-nable qu’il l’avait pensé et son épouse n’avait peut-être pas été manipulée.

– Etes-vous sûr de ne pas avoir obligé mon épouse à adhé rer à tout cela?

– C’est Ilse elle-même qui a pris la décision de donner son cœur à Jésus. Nous annonçons le Sauveur. Libre à ceux qui entendent de l’accepter ou de le rejeter. Ilse a été la pre-mière à me faire savoir qu’elle était croyante.

Jonathan soupira avec incertitude.

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– Votre femme sait parfaitement ce qu’elle fait, reprit le pasteur en fi xant Jonathan, tentant de dissiper ses doutes. Si elle voulait tout abandonner demain, je ne la retiendrais pas.

Le jeune époux leva les yeux au ciel. Ilse l’aimait plus que tout. Pour lui, elle n’avait pas hésité à s’opposer à sa famille, puis à quitter celle-ci pour son seul bien, délaissant un pays qu’elle chérissait plus que lui ne le faisait. Elle n’au-rait rien laissé amenuiser son aff ection pour lui. A présent, elle osait souff rir son indiff érence, voire son opposition, pour la cause de Jésus.

– Il est sans doute trop tôt pour juger, admit Jonathan, mais vous avez sans doute raison au sujet d’Ilse.

Un sourire de satisfaction éclaira le visage du vieil homme.

– Que Dieu vous bénisse et vous éclaire, dit-il. Ce mes-sage d’amour est aussi pour vous.

A ces mots, il se leva, se dirigea vers une étagère et en retira un ouvrage bleu. Il le tendit à Jonathan. C’était un Nouveau testament. Ne voulant pas le blesser, Jonathan le prit poliment et s’en retourna, le cœur troublé.

De retour dans la demeure des Meyer, il s’installa sur son lit et ouvrit le livre off ert par le pasteur. Il avait toujours éprouvé une certaine appréhension vis-à-vis du christianisme et était bien décidé à ne pas se laisser en-traîner dans des mensonges. Pourtant, un indicible confl it intérieur le bouleversait. Il entrevoyait une lumière, une faible lueur dans les propos qu’il venait d’entendre. Il fi xa le livre dans sa main avec gravité, tentant de retrouver les paroles qu’il avait lues dans la chapelle. Il tourna nerveu-sement les pages et arriva à l’Evangile de Jean. «Au com-mencement était la Parole. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu… au commencement», murmura-t-il en suivant le texte. Au commencement. Des images jaillirent dans son esprit troublé.

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* * *

Il n’était qu’un petit garçon de 10 ans. Toujours le pre-mier de sa classe, il faisait l’admiration de ses professeurs et de ses parents. Il habitait encore au nord de l’Allemagne. Son père travaillait dans un cabinet médical et sa mère l’aidait. Leur foyer était toujours rempli de gaieté et de joie insouciante. Cependant, le petit garçon avait le cœur triste en rentrant de l’école. A la fi n d’un cours, à l’heure de ren-trer à la maison, il quittait l’école lorsqu’un camarade l’avait violemment interpellé.

– Eh, toi! avait-il crié en le montrant du doigt. Jonathan avait fait mine de ne pas entendre et s’était

apprêté à fuir l’aff ront. – Es-tu sourd? avait crié le même garçon. Il pouvait entendre les voix d’autres camarades de classe

affl uant vers lui. Saisi de crainte, il s’était retourné et était tombé nez à nez avec celui qui l’avait interpellé. Il avait des cheveux bouclés roux et des yeux en amande menaçants. Jonathan avait reconnu l’un des cancres de la classe.

– Regardez-moi cette espèce de youpin, avait-il pro-noncé avec mépris en fi xant sauvagement le petit garçon aux yeux brun profond.

Des rires aigus avaient accompagné l’odieuse réplique. – On se demande d’où vient cette espèce de spécimen,

non? Bouillonnant de colère, Jonathan avait à son tour fi xé

son interlocuteur et rétorqué:– Je ne suis pas un youpin, je suis un Hébreu. – Un Hébreu… eu! avait répété le garçon avant d’éclater

de rire. – Hébreu… eu… eu! avaient clamé ses camarades en

sautillant autour de lui.– Tu n’es qu’un sale youpin, avait repris leur chef. Un

assassin de Jésus!

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Là-dessus, il avait pris des pierres et s’était mis à les jeter sur Jonathan. Celui-ci était parti en courant en direction de la maison, refoulant ses larmes. Il détestait ses camarades de classe. Il détestait celui qui l’avait insulté. Un jour, il se vengerait.

Il avait violemment claqué la porte en arrivant chez lui et s’était précipité dans sa chambre. Il avait jeté son cartable sur son lit et s’y était aff alé, pleurant toutes les larmes de son corps et déversant sa souff rance, sa fureur et sa haine. Sa mère avait pénétré dans la chambre. Elle était restée un mo-ment immobile en voyant son fi ls chéri sangloter. Jonathan s’était hâtivement essuyé les yeux et les avait posés sur le visage bienveillant et attentionné de sa maman.

–  Qu’y a-t-il, mon garçon? avait-elle demandé en s’as-seyant à ses côtés.

Jonathan s’était jeté dans ses bras pour lui raconter toute l’histoire.

– Ne prête pas attention à tous ces mensonges, avait-elle dit en lui caressant le visage. Tous ceux qui se moquent de toi sont des gens stupides et…

– Je les déteste! avait crié le petit garçon avec désespoir.– Cela n’arrangera rien, mon trésor. Nous devons por-

ter patiemment l’opprobre qui nous atteint, comme dit ton père, et nous rappeler que nous sommes le peuple élu.

Jonathan avait secoué la tête pour marquer son désac-cord. A quoi cela servait-il d’être le peuple élu, s’il devait souff rir autant?

– Je déteste le garçon qui m’a insulté!– La haine fait plus de mal que de bien à ton cœur, avait

tenté de le raisonner sa mère.– Dire qu’il est le fi ls du pasteur de la ville! s’était-il écrié

avec dégoût.– Comment le sais-tu?– Il est fi er de le faire savoir à tous, avait-il répondu avec

rage. Son père ne vaut pas mieux que lui. Il dit que je suis un assassin de…

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Un fl ot de larmes avait mis fi n à ses paroles. Sa mèrel’avait laissé pleurer dans ses bras et s’était pincé les lèvres, retenant sa douleur et son indignation.

Un assassin… un assassin… un…

* * *

– Jonathan! La voix claire d’Ilse sortit le jeune homme de ses pensées.

Elle apparut, son manteau de coton léger sur les épaules, l’air souriant et enchanté dans la pénombre de la chambre. Il se leva, confus, cachant maladroitement le livre bleu du pasteur derrière son dos.

–  Que faisais-tu? demanda la jeune femme en repous-sant une mèche brune de son front.

Elle posa son sac sur la chaise en bois du bureau et re-garda par la fenêtre, comme si elle savait que son époux y avait passé des heures à méditer.

–  Je dois te dire quelque chose de très important, dit celui-ci en rassemblant tout son courage.

Ilse se tint droite et releva les yeux avec impatience. Jonathan ne pouvait pas lui faire mention de tout ce qu’il ressentait ni de son entrevue avec Feldman. Il attendrait qu’elle lui en parle. Après tout, le pasteur ne manquerait pas de lui rapporter cette discussion! Les teintes du soleil cou-chant illuminaient le visage doux de son épouse. Il retira le livre bleu de derrière son dos et le lui tendit.

– Je te dois des excuses pour ne pas avoir compris ta dé-marche et ton baptême, dit-il lentement.

Ilse se retint d’éclater de joie. Ses yeux pétillèrent d’allé-gresse et d’expectative. Elle les baissa sur le livre qu’il tenait.

– Le Nouveau Testament, lut-elle à voix haute.Son regard se posa à nouveau sur le visage serein de son

époux. – Je pensais que cela te ferait plaisir, expliqua-t-il.

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– Merci beaucoup. Garde-le, dit Ilse en lui tendant à nouveau le livre. J’en ai déjà un, et je te prie de garder celui-ci.

Décontenancé, Jonathan resta muet, ne sachant quelle attitude adopter.

– Il sera à nous deux, alors, reprit-elle en fi xant les yeux brun profond de son époux. Sa Parole sera notre guide.

Avec un sourire, elle glissa doucement le livre dans la main de son époux qui restait les yeux baissés. Leurs mains respectives tenaient le précieux ouvrage. «Elle ne m’en veut pas», pensa Jonathan avec apaisement. Le sourire de la jeune femme éclaira son visage. Elle leva les yeux vers lui en sou-pirant de soulagement et le fi xa intensément. Elle remercia Dieu et s’en retourna dans la cuisine, laissant Jonathan le livre en main.

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29. La paix

Tous ne traversent pas la tempête de la même manière. Ilse s’était réfugiée en Dieu, alors que le cœur de son époux brûlait du désir de venir en aide aux siens. Aucune nou-velle ne lui était venue de ses parents depuis des mois. Il ne voulait pas l’admettre, mais il avait peur. Les souff rances atroces de son peuple lui parvenaient comme un écho dou-loureux, une plainte qui brisait son cœur et déchirait son âme. Au milieu de cet ouragan de cris et de gémissements, il appréciait les veillées de sabbat. Il ouvrait la Torah en compagnie de son épouse. Il lisait un passage des Psaumes et elle, un passage des Evangiles, si bien qu’il prenait goût à entendre les histoires de Jésus et des apôtres. Cependant, il ne pouvait imaginer qu’un homme comme Jésus puisse l’aimer. Si tel avait été le cas, il aurait aisément laissé sa Parole nourrir son âme. Pour le moment, elle lui paraissait comme une ancre à la fois attirante et repoussante, atti-rante par l’amour et la stabilité qu’elle représentait, repous-sante par les douloureux souvenirs qu’elle lui évoquait.

Telle une maladie, la guerre traînait en longueur, mais la fi n était proche et certaine.

– On raconte que les Américains ont libéré la France, la Belgique… annonça Georg en éteignant la radio de la cuisine.

– Dans quelques jours, ils seront en Allemagne, ajouta Martha avec un clin d’œil en direction d’Ilse. C’est une bonne nouvelle.

La jeune femme acquiesça en silence. Elle n’écoutait qu’à moitié leurs propos. Jonathan se tenait à ses côtés, l’air grave et ne sachant que penser. Assis à la table de la cuisine, il tournait nerveusement les pages de son journal, tête baissée.

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– Il est temps que cela se termine, lança Georg avec amertume en direction du jeune chimiste. Trop de vies ont été mises en jeu et perdues.

– La paix viendra bientôt, lança Ilse en posant la main sur l’épaule de son époux silencieux.

Jonathan hocha faiblement la tête. La paix… qu’est-ce que ce terme pouvait bien vouloir dire encore? La paix lui ramènerait-elle des nouvelles de ses parents? «Nous pour-rons bientôt rentrer à la maison», pensa Ilse en détournant volontairement le regard.

–  Les Russes sont à la frontière allemande, reprit-elle à voix haute. Partout, on raconte les atrocités commises envers les civils. J’espère que tout se passera bien pour les Allemands…

La jeune femme serra les mains. Martha et Georg remar-quèrent le visage sombre de Jonathan.

– J’espère que tout se passera bien pour les Allemands, répéta-t-il dans un murmure ironique.

Il se leva brusquement et jeta le journal sur la table. Ses yeux foudroyèrent son épouse.

– Du travail m’attend, lança-t-il durement en gravissant l’escalier qui menait à la chambre.

Ilse le suivit des yeux et attendit qu’il ait refermé la porte. Elle se sentait désolée.

– Il faut le comprendre, dit Martha en regardant la jeune femme troublée. Il n’a eu aucune nouvelle de ses parents. Tout a pu arriver.

«Les morts n’écrivent pas», pensa Ilse avec répugnance. – Je n’ai pas non plus de nouvelles de ma tante et de

mon oncle, répliqua-t-elle pour rassurer sa conscience. Ni de Hans ou de mon grand-père. Je ne voulais pas blesser Jonathan en disant que…

– Tout dépend de leur camp, osa Georg en baissant les yeux.

– Je connais Hans, répliqua vivement Ilse, il ne peut pas s’être compromis. Il nous écrira bien un jour. Je compte sur

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lui. Si seulement Feldman avait pu retourner en Allemagne! se lamenta-t-elle.

– Etes-vous folle? s’écria Martha. Dans de telles circons-tances, se rendre en Allemagne serait une pure bêtise. Vous n’imaginez pas quel chaos règne là-bas.

– C’est bien cela qui m’inquiète. Feldman aurait dû avoir des nouvelles de Muller, raisonna Ilse. Les gens ne semblent pas portés à écrire en ce moment.

– Non, en eff et… admit amèrement Georg en se frottant le menton.

– Si seulement ils savaient qu’il y a des gens qui pensent à eux, continua Ilse, les choses ne seraient pas ainsi.

– Qui pense à qui dans de tels moments? lança Martha avec désillusion.

– Jonathan ne cesse de penser aux siens, dit Ilse. Il s’en veut presque d’être en vie. Je n’aurais pas dû prononcer cette phrase stupide!

– Il nous est plus utile en vie que le contraire, rétorqua Martha en souriant étrangement.

Ilse haussa les épaules. «Je ne pense pas qu’il veuille mou-rir, songea-t-elle. Il veut simplement partager la souff rance des siens.» Une ombre passa sur son joli visage. Elle sortit machinalement de la cuisine et se retrouva dehors. Elle en-fourcha la bicyclette sous le regard interrogateur de Martha et Georg. Ils avaient suivi discrètement les vicissitudes de la vie du couple réfugié chez eux. La marche de la guerre touchait à présent à sa fi n. Ils pressentaient qu’une nouvelle page se préparait pour la vie des jeunes gens. Comme aux abords d’un carrefour, ils auraient de durs choix à faire, de lourdes décisions à prendre. Plus rien ne serait pareil. La paix serait aussi compliquée que la guerre.

Ilse se rendit à l’institut avec un sentiment d’urgence. Elle dévala à toute vitesse le sentier pierreux qui menait au vieux bâtiment. Elle avait besoin de laisser les sentiments contraires qui l’habitaient sortir de son âme. Les arbres

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reprenaient de la vigueur sous les premiers rayons du soleil, en cette fi n d’hiver 1944.

Arrivée à l’institut, elle se rendit dans le bureau de la di-rectrice. Suzanne s’occupait de l’hébergement de quelques enfants juifs. Elle se chargeait de leur trouver des familles d’accueil. Ilse avait entendu que l’un d’eux était allemand.

– Bonjour, Suzanne, lança-t-elle, le regard atone, en pé-nétrant dans la pièce.

Le visage serein de la directrice l’accueillit avec un sou-rire. Elle était assise.

– Vous vouliez me voir, dit-elle en se levant et en tendant une main chaleureuse à l’institutrice. Feldman vous envoie ses salutations fraternelles, reprit-elle en saisissant une carte postale.

Elle venait d’Allemagne. Ilse se retint de pousser un cri de stupeur.

– Il est là-bas! s’écria-t-elle. Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt?

– Pour éviter que vous ne partiez avec lui, répondit Suzanne avec un sourire complice.

Ilse fi t une petite moue.– J’ai manqué de peu une belle occasion, murmura-

t-elle. Je déteste avoir du regret.– N’en ayez pas, fi t calmement Suzanne. Feldman a dû

s’y rendre d’urgence pour son ami Muller. Vous savez qu’il règne un véritable chaos là-bas.

– Il reviendra? Aura-t-il des nouvelles?Suzanne haussa les épaules. L’appréhension assombrit

son visage. – Vous aviez dit qu’aujourd’hui il y aurait des enfants

réfugiés de passage à l’institut, continua Ilse. Ils prendront un repas avec les élèves. Je voudrais les voir.

–  Pourquoi? répliqua Suzanne plutôt durement. Je ne pense pas qu’ils aient envie de parler de leur histoire. Si vous voulez des nouvelles, attendez Feldman. De toute façon, il

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sera bientôt de retour. Quant au repas des enfants, il touche à sa fi n.

– Vous m’empêchez de savoir! Pour quelle raison? Si c’est pour mon bien, je ne comprends pas quel avantage on peut retirer de l’ignorance. Attendre devient insupportable!

– L’espoir, peut-être, osa Suzanne en se détournant de la jeune femme.

– Vous ne me laisserez donc pas m’entretenir avec un enfant…

– La guerre terminée, vous saurez tout ce que vous voudrez. Je sais que vous vous inquiétez pour vous, votre famille, celle de votre époux…

Ilse plongea son visage dans ses mains. «Tout le monde souff re dans une guerre. Il n’y aura ni vainqueur ni vaincu», se disait-elle amèrement. Suzanne posa sa main sur son épaule pour la réconforter de ses lourdes pensées. Elle pres-sentait sa souff rance et ses luttes. Tendrement, elle lui prit la main, la retira de son visage et découvrit ses yeux au bord des larmes.

– Personne n’a écrit. Je crains le pire, murmura la jeune femme. On entend tant de choses. On imagine tant…

– Cessez de vous faire du mal, la consola Suzanne. Nous avons Quelqu’un là-haut qui sait tout et tient tout dans ses mains, quelles que soient les circonstances. Faisons-lui confi ance.

Ilse releva la tête. Ces paroles mettaient du baume sur son âme troublée et égarée. Elle remercia sa fi dèle amie et rejoignit les élèves dans leur salle de classe. Leurs visages innocents et insouciants réchauff aient son cœur. Elle avait souvent pleuré de ne pas pouvoir porter d’enfant, mais Dieu l’avait comblée en lui donnant ces orphelins. Elle était une sœur pour eux, peut-être même une mère. Leurs paroles simples et espiègles l’amusaient comme elles la faisaient réfl échir à sa condition d’adulte. Elle se mit à penser qu’elle serait heureuse tant qu’un enfant serait sur son chemin… tant qu’elle aurait un cœur d’enfant.

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* * *

Un soleil magnifi que illuminait le jardin des Meyer. La montagne rayonnait dans toute sa splendeur sous une lu-mière d’or. Elle surplombait le petit chalet de bois. Les som-mets enneigés miroitaient sous un ciel limpide sans nuage. Ilse contemplait la neige du joli mois de mai sur les hauteurs des versants. Jonathan discutait jovialement avec Georg dans la remise. Ils avaient mis au point un étrange véhicule à vapeur.

– Je devrais vous embaucher! s’écriait Georg. A nous deux nous formons une belle équipe.

Le jeune homme riait de bon cœur. Georg savait divertir et égayer son cœur grave depuis plusieurs mois.

Martha préparait un délicieux gâteau au chocolat. C’était un véritable luxe d’en avoir en ces jours, mais c’était sa manière de célébrer la venue du printemps. Elle le sor-tit encore tout chaud du four et le déposa sur la table. Elle le recouvrit soigneusement d’un torchon blanc en humant son savoureux parfum. Elle s’aff aira ensuite à ranger la vais-selle et à disposer les couverts sur la table pour le déjeuner. Pour se faire de la compagnie, elle alluma le poste radio que Georg avait ramené du bourg. Elle le régla jusqu’à ce qu’elle tombe sur une émission de musique classique. Les mélodies harmonieuses et entraînantes égayèrent son âme. Soudain, les sons des instruments à corde se turent et une voix mono-corde se fi t entendre. Martha essuya ses mains humides et tendit l’oreille. Un sentiment de crainte assombrit son cœur alors qu’elle augmentait le son. La voix se fi t de plus en plus assurée, puis presque joyeuse. En entendant la nouvelle, elle se retint de pousser un cri de stupeur mais leva les mains vers le ciel, remplie de joie. Elle se précipita dans le jardin où elle trouva Ilse.

– La guerre est fi nie! La guerre est fi nie! répéta-t-elle in-lassablement en prenant la jeune femme dans ses bras.

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Ilse ne comprenait pas. Elle observait avec eff arement le visage réjoui de Martha.

–  La guerre est fi nie! criait la généreuse hôtesse en sautillant.

Georg et Jonathan sortirent de la remise.– Que se passe-t-il? demanda Georg en voyant sa femme

dans tous ses états.Ilse répondit presque machinalement, sans émotion:– La guerre est fi nie. L’Allemagne vient de capituler.Georg resta muet avant de frapper amicalement Jonathan

dans le dos.–  Tout est fi ni, dit-il en regardant le jeune homme au

bord des larmes.Ilse s’approcha de lui et l’embrassa.– La paix est revenue, dit-elle. Nous serons bientôt chez

nous.Il n’y eut jamais de repas plus joyeux et gai dans la mai-

son des Meyer que le jour de la capitulation allemande. Une porte s’ouvrait. Ilse pensait que tout pourrait redevenir à peu près normal, qu’elle reverrait son pays et sa famille après de longues années d’exil. Jonathan, lui, ne se posait pas la question du retour, du moins pas encore. Il était trop heureux pour songer à quoi que ce soit d’autre qu’à la fi n de tant d’années de souff rance, années qu’il avait vécues comme un supplice.

A l’institut, tout le monde chantait et s’embrassait. Une indicible allégresse s’était emparée de tous les pension-naires. Il en allait de même au lieu de travail de Jonathan. Ses collègues avaient levé leur verre à une ère nouvelle en criant: «Plus jamais ça!» tout en chantonnant et dansant. Tous les cœurs étaient en fête et rendaient grâce à Dieu. La vie allait renaître de ses cendres.

* * *

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Le lendemain de la capitulation, Suzanne convoqua Ilse dans son bureau. La jeune femme entra, impatiente de sa-voir ce qui l’attendait.

– Vous avez mieux que de simples nouvelles de Feldman, annonça-t-elle gaiement. Une lettre est arrivée d’Allemagne pour vous.

Ilse ouvrit de grands yeux étonnés et prit la lettre. L’en-veloppe était petite et jaunie. Elle la contempla comme un trésor venu de l’autre bout du monde et reconnut l’écriture de son ami Hans Schmidt au dos. Elle la serra contre son cœur qui battait très fort et remercia Dieu.

– Ce n’est pas tout, reprit la directrice. Il y a quelqu’un qui voudrait vous rencontrer. Il savait que vous travailliez ici.

Ilse releva la tête d’un air interrogateur. – Il dit vous connaître, continua Suzanne. Ilse resta muette un instant avant de demander comment

l’étranger s’appelait. Suzanne hocha négativement la tête pour exprimer son ignorance. «Peut-être est-ce Dieter, son-gea-t-elle, ou les parents de Jonathan…» A cette pensée, son cœur exulta. Suzanne la conduisit dans une pièce annexe. Elle ouvrit la porte et invita Ilse à entrer, tout en restant un peu en retrait. La jeune femme pénétra à pas lents dans la pièce et aperçut une longue silhouette masculine. L’étranger portait un blouson de toile brune et un pantalon rapiécé. Elle s’avança en essayant de se rappeler où elle avait déjà vu le visage qui s’off rait maintenant à elle dans la lumière du jour. En la voyant, l’homme se mit à sourire largement et chaleureusement.

Un déferlement d’images frappa l’esprit de la jeune femme. Elle reconnut le visage bienveillant de celui qui l’avait fait sortir d’Allemagne.

– David! s’exclama-t-elle en levant les bras au ciel.Elle se jeta à son cou en poussant un cri de joie. Le jeune

homme répondit à cet accueil en riant de bon cœur.

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– Quel plaisir de vous voir! lança-t-il en constatant l’air épanoui de la jeune femme. Le séjour en Suisse vous a réussi.

– Oui, je travaille ici, et Jonathan… – Comment va-t-il? s’empressa-t-il de demander.– Il va bien. Il travaille dans une usine chimique. Je n’es-

pérais pas vous revoir et voilà que vous êtes là. Dieu merci! Je suis si reconnaissante de tout ce que vous avez fait pour nous, David, je suis si heureuse que vous soyez là! Vous avez des nouvelles?

– Un peu, oui, répondit-il, entretenant le mystère. Et vous?

– Une lettre est arrivée tout droit d’Allemagne, signala Ilse en montrant fi èrement la lettre de Hans. Je l’ai reçue aujourd’hui. Tout porte à croire que les choses vont bien. N’est-ce pas un signe du ciel?

– Sans doute, sans doute… J’aimerais voir Jonathan.– Il serait tellement heureux de vous rencontrer! Nous

habitons chez les Meyer dans la montagne. Un magnifi que chalet au milieu de prairies, en fl eurs au printemps. Vous allez aimer.

– Oui, acquiesça David en riant. Je ne peux pas rester très longtemps. En fait, je suis ici pour quelques semaines tout au plus. Il me faut voir votre époux au plus vite. J’ai une suggestion importante à lui faire.

– Oui, nous pourrions fi xer un rendez-vous. Venez donc aujourd’hui, après les cours.

– Excellente idée!Ilse appela Suzanne qui était restée derrière la porte et

la présenta plus amplement à David. La directrice lui posa quelques questions. Elle l’apprécia instantanément. Il faut dire que David rayonnait de bienveillance et de joie, bien qu’il ait l’apparence quelque peu fatiguée après ces années de séparation. Qu’avait-il fait pendant la guerre? Ilse trouvait son activité bien mystérieuse, mais il devait sans doute en être ainsi. Elle se demanda combien de Juifs il avait réussi à

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faire sortir d’Allemagne avant qu’il ne soit trop tard. Avait-il parlé aux Hoff mann?

* * *

Le soir après les cours, Ilse et David remontèrent en-semble le sentier pierreux menant au chalet des Meyer sous le généreux soleil couchant du printemps. David ne pouvait s’empêcher d’admirer la beauté du paysage et du chalet. La jeune femme ouvrit la porte de bois. Martha et Georg conversaient avec Jonathan dans la cuisine au coin de la che-minée. L’éclat des fl ammes vacillantes illuminait la pièce et dessinait des ombres dansantes sur le mur. Le couple s’ar-rêta de parler pour examiner l’inconnu qu’Ilse amenait.

– Jonathan, lança-t-elle, vois donc un peu qui je t’amène!A peine eut-elle achevé de parler que le jeune homme

bondit.– David! lança-t-il en prenant son ami dans ses bras.– Je suis content de te voir, Jonathan, fi t David en riant.

Tu vas bien, d’après ce que je vois…Jonathan le présenta à Martha et Georg, puis ils échan-

gèrent quelques paroles comme s’ils étaient amis de longue date. Ilse sourit à la vue de l’air réjoui de son époux. David adressa quelques mots à Martha et Georg.

– Nous sommes contents de vous voir! répliqua gaiement Georg en tapant dans le dos du jeune homme.

Ilse s’éclipsa dans la chambre pour ouvrir la lettre de Hans. Elle ne pouvait pas résister à l’envie de la lire et de connaître les dernières nouvelles de sa famille. Elle s’assit sur le lit et déplia le papier jauni, le cœur rempli d’excitation.

Liebe Ilse und Jonathan,Je ne sais pas par où commencer. J’espère tout d’abord que vous allez bien tous les deux. Je ne vous ai pas ou-bliés après ces longues années de séparation. La paix

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nous permettra sans doute de nous revoir, bien que ce soit dans de tristes circonstances. La ville n’est plus qu’un amas de ruines et de cendres fumantes. C’est un vrai miracle que nous soyons encore en vie, et je remercie le ciel pour ce miracle. Tu avais peut-être raison, après tout, Ilse… J’ai rencontré le pasteur Heinrich Muller, un homme honnête qui a bien failli faire de la prison en raison de ses propos ouverts contre la violence du régime. Fort heureusement, Dieter a réussi à le tirer de maintes et maintes épreuves. Mon frère travaillait pour une usine d’armement où il distribuait secrètement des tracts. (Ilse frémit au courage des ses amis.) Maria et Georg supportent diffi cilement la situation. Georg a été blessé au front (son oncle avait donc été mobi-lisé!) et Maria arbore toujours un air maussade et las depuis des mois. Il y a de quoi, mais… le plus grave, c’est pour les Hoff mann. J’ignore comment vous l’an-noncer. Il y a une bonne nouvelle néanmoins. Ils sont partis en paix (Ilse sentit son cœur battre de plus en plus vite, sa respiration se faire de plus en plus sac-cadée), à ce que nous a décrit Muller. Ils ont accepté Jésus juste avant leur disparition. Nous ignorons où ils sont partis exactement, du côté de la Pologne je pense. Je suis navré de t’annoncer leur mort, mon cher Jonathan, et j’aurais voulu être là pour te conso-ler de ta douleur. Ils ont certainement péri dans les semaines qui ont suivi leur déportation. Je regrette. Soyez forts, surtout. Ils l’étaient, et aujourd’hui ils sont dans le cœur de Dieu. Helen et moi vous embrassons avec toute notre aff ection.

Votre ami dévoué, Hans

Les mots de son ami fi rent sangloter la jeune femme. Dans la cuisine, elle entendait les rires et les conversations

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joyeuses de David et Jonathan. «Comment puis-je lui annon-cer cela?» pensa-t-elle. Elle avait l’impression que son cœur se brisait en mille morceaux. Du fond de sa tristesse, une lueur d’espoir pointait. «Les Hoff mann ont reçu le Sauveur, mais ils sont morts… C’est trop injuste…» Elle repensa aux récits horribles qu’elle avait entendus de la bouche de Feldman sur les conditions de vie des déportés. Elle savait ce que voulait dire Hans lorsqu’il disait qu’ils étaient par-tis du côté de la Pologne. Il devait y avoir d’horribles camps où avaient péri de nombreuses personnes. Elle se sentait intrinsèquement liée à leur sort, maintenant que ses beaux-parents y étaient morts. Elle repensa à Frau Hoff mann. Elle revoyait ses grands yeux noirs, sa contenance svelte et digne. Comment avait-on pu mettre fi n à tant de beauté?

Soudain et pour la première fois, elle eut honte. Un vague sentiment de culpabilité vint étouff er son âme. Elle aurait peut-être dû faire quelque chose. Elle était restée tran-quillement en Suisse. Elle aurait peut-être dû retourner en Allemagne. Que faire à présent? Quel dédale que le chemin de la vie! Si seulement elle avait su faire les bons choix aux bons moments! Une autre voix douce et rassurante lui disait de ne pas s’inquiéter et de garder confi ance. Cependant, elle avait du mal à se laisser guider par cette voix.

Lentement, elle se dirigea vers la porte et descendit vers la cuisine, les yeux mi-clos et le cœur lourd.

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30. Le choix

Jonathan et David s’étaient donné rendez-vous à une heure tardive au parc du bourg. Celui-ci était situé sur une petite butte qui donnait sur l’imposant massif. Jonathan fut le premier arrivé. Il leva les yeux et contempla les étoiles, méditatif. Il soupira de lassitude et de douleur. Il allait fer-mer les yeux quand une voix amicale se fi t entendre. Il se retourna et aperçut la silhouette de son ami avancer dans la pénombre. David avait l’air radieux.

– Bonsoir, fi t-il au jeune homme silencieux et grave.Jonathan lui tendit la main et serra la sienne.– Belle nuit, commenta son ami en jetant un regard vers

les étoiles. (Lui aussi aimait les contempler.) Je suis navré pour tes parents, dit-il en un souffl e. Si seulement j’avais pu…

Jonathan l’arrêta: – Ce n’est pas ta faute, David. D’ailleurs ce n’est la faute

de personne. Je veux dire ce n’est pas la faute d’une personne en particulier. J’ai l’impression que les événements dé-passent l’entendement humain et qu’une force suprême est à l’origine de notre destin. Je ne sais pas comment la décrire…

– Tu parles de Dieu? émit prudemment David, essayant de percer son regard.

Jonathan hocha la tête et haussa les épaules.– Je n’accuserai pas Dieu, répliqua-t-il doucement. Je n’ac-

cuse personne, d’ailleurs. Qui veux-tu que j’accuse?– Ecoute-moi, Jonathan, fi t David en posant sa main

sur son épaule. Nous sommes un peuple qui a connu beau-coup de souff rances, mais au travers de toutes, Dieu nous a soutenus et nous a délivrés. Même les pires échecs sont devenus nos plus grands succès. Ce n’est pas le moment

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de nous décourager. Une vie nouvelle s’ouvre devant nous. J’apprends à remercier Dieu pour tout, même pour ce qui me fait mal, car je sais que cela peut concourir à mon bien.

Jonathan releva brusquement la tête, surpris. Cette affi r-mation ne lui était pas étrangère.

– D’où sors-tu tout cela? demanda-t-il à son ami.– De la Bible, répondit simplement David. Une mystérieuse joie transparaissait dans sa voix. – Nous sommes le peuple du Livre, ajouta-t-il avec un

sourire complice. Les paroles du Livre s’accomplissent si nous sommes assez courageux pour leur obéir. C’est pour cela que je suis là ce soir. Ne gâchons pas cette occasion unique! Jonathan, ajouta-t-il d’une voix de plus en plus enthousiaste, une patrie nous attend en Palestine. Rien ne nous empêchera de nous y établir. Des centaines de nos frères y sont déjà, d’autres peinent pour les rejoindre. Nous allons faire quelque chose pour les aider!

– Oui, le bon Herzen m’avait parlé de ces choses… répli-qua Jonathan songeur.

– Nous rejoindrons les autres en France et un bateau nous conduira ensemble en Palestine. La terre de nos pères!

Jonathan sourit au ton combatif que David mettait dans ses paroles.

– Mes parents sont morts, murmura-t-il pour lui-même, et il ne me reste plus rien en Allemagne. Je n’ai plus à y re-tourner. C’est entendu, dit-il à voix haute, je t’accompagne en Palestine. Je n’ai rien à perdre.

– Tu verras, Jonathan, l’Histoire se souviendra de nous!David frappa amicalement le jeune homme dans le dos

et le serra contre lui. Il ajouta, avant de s’éclipser dans la nuit:

– Au revoir en France et… à Jérusalem!

* * *

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Ilse préparait le déjeuner avec Martha lorsque Jonathan pénétra dans la cuisine. Il rentrait du travail. La jeune femme se demandait d’où lui venait cet air réjoui malgré la mort de ses parents.

– J’ai quelque chose d’important à te dire, annonça-t-il jovialement à son épouse.

Ilse sentit immédiatement que la phrase n’était pas ano-dine. Jonathan lui rapporta sa discussion avec David et lui fi t part de son ardent désir de partir pour la Palestine. La jeune femme resta un instant muette d’eff roi.

– Tu… tu ne penses pas ce que tu dis! murmura-t-elle. – Bien sûr que si! confi rma son époux avec enthou-

siasme.Il la prit dans ses bras, mais elle secoua la tête.– Tu as complètement perdu l’esprit, Jonathan! Que

veux-tu que nous fassions là-bas, sur une terre totalement inconnue? Je t’ai déjà dit que nous pouvions rester en Suisse et, un jour, retourner en Allemagne.

Une telle pensée dégoûta le cœur du jeune homme.– Là, tu ne penses pas ce que tu dis, répliqua-t-il.– Que veux-tu que je te dise d’autre? lança Ilse, désem-

parée.– Tu refuses que j’aille en Palestine, mais tu penses re-

tourner en Allemagne? Jamais je ne remettrai les pieds dans ce maudit pays! s’écria Jonathan avec vigueur.

Son visage s’empourprait. La jeune femme lut un mé-lange de colère et d’incompréhension dans les yeux d’ordi-naire bienveillants de son époux.

– Ce maudit pays, reprit-elle, est aussi le pays de notre rencontre et de notre histoire…

– Ce n’est que le passé, rétorqua-t-il d’un ton adouci.– Je ne te demande pas d’y retourner tout de suite, mais

au moins d’y penser. Que penses-tu faire sur une terre in-connue, située à des milliers de kilomètres?

– Une nouvelle vie, Ilse, une nouvelle patrie! Je préfère mille fois les rudes paysages du désert de Palestine aux

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ruines allemandes car, vois-tu, ce désert me parle d’espé-rance. C’est le seul endroit qu’il me reste en tant que… juif.

Il avait prononcé ce dernier mot à voix basse. Ilse soupira.«Moi, je n’ai rien en commun avec la Palestine», se dit-

elle avant de reprendre à voix haute: – Je comprends que cela te déplaise de retourner en

Allemagne, mais il nous y reste des amis fi dèles. Pense à Hans et à Dieter…

– Tes amis, rectifi a Jonathan.– Non, ils t’appréciaient plus que tu ne peux l’imagi-

ner. Avant de quitter l’Allemagne, je pensais que tout rede-viendrait comme avant et que nous pourrions y revenir. Malheureusement, les mois sont devenus des années. Ces années nous ont séparés de notre passé. Jonathan, je ferai tout ce que tu voudras, mais je t’en supplie, ne t’engage pas dans une folle entreprise.

– Il est parfois bon d’être fou, répliqua le jeune homme avec ironie. De plus, après tout ce qui s’est passé, c’est une bien douce folie que de vouloir rejoindre notre patrie. La Palestine est le pays de nos pères…

– Cela fait deux mille ans que tu n’y es pas retourné, d’ailleurs, tu n’y es jamais allé de toute ta vie.

– Mais là sont mes racines, et les tiennes aussi, Ilse. Sans vouloir te décevoir, ton Jésus a foulé la terre d’Israël.

La jeune femme fut arrêtée par la justesse de l’argument de son époux. Martha intervint pour mettre fi n à la conver-sation. Elle remarqua son air contrit.

– Vous y réfl échirez calmement, suggéra-t-elle en posant tendrement ses mains sur les épaules de la jeune femme.

– Il ne faut pas trop tarder, répliqua Jonathan. David m’a dit qu’un bateau partirait bientôt de France.

L’évocation de David irrita légèrement la jeune femme. Une dernière fois, elle tenta de raisonner son époux.

– Ce n’est pas parce que David a fait ou dit quelque chose que tu es obligé de le suivre!

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Jonathan haussa les épaules, songeant à l’indéfectible ami qu’il avait trouvé en ce jeune homme frêle mais courageux.

– Tu sais ce qu’il a dit? ajouta-t-il avec amusement. Il a dit que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu.

* * *

Assise sur les marches de l’orphelinat, Ilse méditait sur les événements de la semaine. Son époux ne cessait de par-ler de la Palestine, et elle éprouvait le vif désir de retrouver l’Allemagne. Son propre désir lui paraissait confus. Elle était incapable de discerner quel motif exact la poussait à y re-tourner. Au fond d’elle-même, elle voulait sans doute savoir, toucher et voir de ses propres yeux l’empreinte du temps sur la ville de ceux qu’elle avait tant aimés. L’empreinte aussi de la guerre. Elle ne l’avait jamais vue mais avait suivi la chro-nique de loin. Elle commençait à la percevoir dans les pro-pos, le regard et l’attitude de son époux. Son aversion pour le retour en Allemagne valait pour elle plus que toutes les descriptions. Elle savait que ce n’était pas dans la nature du jeune homme de détester quelque chose. Voir avant de juger avait toujours été sa devise. Il était étrange qu’en quelques semaines il ait pu tellement changer. De pondéré et réfl échi qu’il était, il devenait fougueux et enthousiaste. Ilse comprit alors qu’elle se trouvait à un point de non-retour.

Elle entendit soudain des pas derrière elle. Suzanne vint s’asseoir près d’elle.

– J’ai quelque chose à vous dire, dit-elle de sa voix rassurante.

– Je vous écoute.– J’ai appris que votre époux voulait partir pour la

Palestine.A ces mots, les yeux de la jeune femme s’embuèrent de

larmes. Suzanne lui effl eura tendrement la joue.

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– Je sais que ce voyage vous eff raie, mais vous devez garder la tête haute. Rappelez-vous toutes les expériences vécues avec Dieu depuis votre arrivée ici. Vous êtes main-tenant une jeune femme aff ermie dans le Seigneur, une fi lle de son Royaume. Il n’y a jamais de hasard quand une vie est entre ses mains.

– Vous voulez dire… – Il faut partir, mon enfant. – Je ne peux pas, répliqua Ilse entre deux sanglots, je

n’en ai pas la force. Pourquoi me faire subir une telle chose?– Qu’est-ce qui est le plus diffi cile, d’après vous: retour-

ner en Allemagne ou aller en Palestine?Ilse secoua farouchement la tête, refusant de répondre. – Quelque part dans la Bible, Dieu parle du retour des

Juifs dans leur patrie d’origine. Le prophète Ezéchiel décrit cet événement. Je crois que nous vivons cela aujourd’hui même. Comme après le temps de la déportation des Hébreux à Babylone, aujourd’hui, après des années de souff rances, ils sont à nouveau appelés à rentrer chez eux.

Ilse n’en croyait pas ses oreilles. Suzanne lui tenait les propos mêmes de son époux, des propos sionistes!

– Vous croyez donc qu’il est écrit dans la Bible que je dois aller en Palestine?

– Il ne s’agit pas que de vous, rectifi a Suzanne en fron-çant les sourcils, mais aussi de votre époux. Vous êtes un couple. Vous êtes devenus une seule chair et un seul cœur. Vous n’êtes pas moi, Ilse l’Allemande, et de l’autre côté Jonathan, le Juif, vous êtes unis en une seule personne. Ce mystère est grand…

Suzanne leva les yeux au ciel, comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle pensait à Jésus. Ilse ne savait plus où elle en était, où était le droit chemin. Elle pria Dieu de la guider.

– Je suis sans doute égoïste, fi nit-elle par dire. Vous avez raison, Suzanne.

– Une dernière chose, ajouta celle-ci avec un regard complice. Beaucoup d’étrangers ont accompagné Israël à

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des moments cruciaux de son histoire; vous en faites sans doute partie.

Cette pensée fi t frémir le cœur de la jeune femme. – Je… je… je ne me sens pas tout à fait capable,

bredouilla-t-elle.– Allez, reprit Suzanne confi ante, et annoncez par votre

attitude l’amour du Christ! Le visage de la directrice rayonnait de bonheur. Son re-

gard confi ant fi t une brèche dans l’incertitude de la jeune femme.

* * *

Le soir, sur le chemin du retour, Ilse marchait lentement à côté de sa bicyclette. Le soleil était à peine couché. Elle aimait goûter à la douceur des soirs de printemps, comme lorsqu’elle regardait la nuit envelopper les collines de sa ville natale. Elle s’apprêtait à un autre voyage, à présent. Feldman avait raison quand il affi rmait que l’amour empruntait de curieux chemins. En fait, pensait Ilse, on ne savait jamais où il pouvait vous conduire. Elle avait projeté de rentrer en Allemagne, chez elle, mais Dieu avait prévu tout autre chose.

– Parfois, nos projets ne sont pas ceux du Seigneur, murmura-t-elle avec un sourire qui apaisa son cœur. Je di-rais même qu’ils ne le sont presque jamais. Mon Dieu, tu as des chemins étranges, mais il n’appartient pas à l’homme de guider ses pas. Mes voies ne sont pas tes voies, mais tes voies sont au-dessus des miennes. Je suis heureuse de marcher sur tes sentiers.

Arrivée sur une petite butte qui surplombait la ville, elle contempla les rayons orangés envelopper le bourg devant les immenses montagnes d’argent dans le crépuscule naissant, les nuages roses voguer au-dessus des toits et les derniers oiseaux rejoindre leurs nids. «Jonathan et moi rentrons

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aussi chez nous, pensa-t-elle alors qu’un oiseau passait au-dessus de sa tête. Mon Dieu, merci pour les Hoff mann, ils sont partis en toi. Je partirai aussi avec toi lorsque je quit-terai la Suisse. Que je sois pour toutes les personnes que je rencontrerai celle que tu veux que je sois.»

La prière d’Ilse fut emportée par la brise du soir vers l’immensité des cieux qui lui rappelait celle de son Dieu. Elle accéléra le pas vers la maison des Meyer.

A peine eut-elle ouvert la porte qu’elle tomba sur le re-gard interrogateur de Jonathan. «Où étais-tu?» lui deman-daient ses yeux inquiets. Ilse aurait voulu répondre qu’elle avait simplement parlé avec Jésus, mais cela aurait paru étrange au jeune homme. Elle s’approcha de lui et lui prit les deux mains.

– J’ai quelque chose de très important à te dire.Martha et Georg tendirent l’oreille. Debout, Jonathan

observait son épouse. Ilse inspira une large bouff ée d’air avant de déclarer:

– J’ai décidé de t’accompagner en Palestine.Ces mots frappèrent le jeune homme en plein cœur. Il

exulta de joie et prit son épouse dans ses bras.– Oh, Ilse, s’écria-t-il, je suis si heureux! Tu ne peux pas

savoir! Je vais prévenir David que nous partons la semaine prochaine.

– Si tôt? intervint Martha.– Nous ne devons pas manquer le bateau qui partira de

France, expliqua Jonathan, enthousiaste. Ilse, tu es sûre de ta décision? Je suis si content! Tu verras: ce sera bien, très bien!

– Je n’en doute pas, dit la jeune femme que l’air réjoui de son époux faisait sourire.

– Je vais vous donner des couvertures, fi t Martha. Ce ne sera pas un voyage de noces! Pensez à emmener toutes vos aff aires.

Les époux la remercièrent du regard. Les yeux de Jonathan pétillaient d’allégresse. Il monta dans la chambre

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commencer à ranger quelques aff aires, laissant Ilse seule avec le couple Meyer. Martha s’approcha de la jeune femme.

– Vous êtes très courageuse, affi rma-t-elle en caressant son épaule.

– C’est un mélange de courage et de soumission, rectifi a Ilse avec un sourire timide. Il n’aurait jamais voulu revoir l’Allemagne.

– C’est sans doute mieux ainsi, la réconforta Martha, le regard empli de tendresse et de nostalgie. Mais vous nous manquerez beaucoup, beaucoup.

Ilse sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle prit leur hôtesse dans ses bras, sous le regard attendri de Georg.

– Vous étiez un peu comme nos enfants, affi rma celui-ci.– Que le Seigneur vous bénisse pour votre accueil! fi t

Ilse. Je ne sais pas comment vous remercier, tellement vous êtes bons et généreux.

– C’était un plaisir de vous aider, répliqua Martha. Je prierai le Seigneur qu’il vous garde là où vous allez.

– Nous vous écrirons, assura Ilse. Dès que nous serons arrivés, nous vous le ferons savoir.

Martha affi cha un tendre sourire et s’en retourna à ses travaux. Georg fi t de même.

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Marie-Ange Rakotoniaina

En épousant Jonathan, un jeune Juif, Ilse ne pouvait ima-giner qu’elle embrasserait aussi son Dieu et le sort de son peuple, au point d’être un jour contrainte de fuir son propre pays, l’Allemagne, pour échapper à des réglementations odieuses. C’est un voyage plein de découvertes qui com-mence pour elle, avec ses joies et ses peines, ses hi-vers et ses printemps. Un parcours qui lui permettra d’acquérir des convictions et de les approfondir, mais son couple y survivra-t-il? Parviendra-t-elle à trouver sa place en Palestine, au milieu de gens qui ne peuvent qu’assimiler ses compatriotes à des bourreaux et pour qui Jésus représente tout sauf le Sauveur?

Marie-Ange Rakotoniaina est passionnée d’écriture depuis de longues années. Enfant, elle remplissait ses cahiers d’éco-lière de poèmes, de contes et autres nouvelles qu’elle illustrait elle-même et offrait à qui voulait bien les lire. Sa nouvelle Beholding Liberty a été publiée dans le magazine littéraire de l’université de Wofford. Ecrit et achevé parallèlement à ses travaux de recherche en histoire sur les relations entre judaïsme et christianisme, Le printemps des étoiles est son premier roman.

32.00 CHF / 25.00 €ISBN 978-2-88913-008-5