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UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI ROMA “ LA SAPIENZADIPARTIMENTO DI FILOSOFIA TESI DI DOTTORATO DI RICERCA IN FILOSOFIA TITOLO LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE ET LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE Direttori di Tesi Dottorando Prof. Francesco Saverio TRINCIA Raoul NKASSA Matr. 1106691 Prof. Stefano PETRUCCIANI 1

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UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI ROMA “ LA SAPIENZA”

DIPARTIMENTO DI FILOSOFIA

TESI

DI

DOTTORATO DI RICERCA IN FILOSOFIA

TITOLO

LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE

ET LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

Direttori di Tesi Dottorando

Prof. Francesco Saverio TRINCIA Raoul NKASSA Matr. 1106691Prof. Stefano PETRUCCIANI

Anno academico 2010-2011

Roma 2012

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UNIVERSITÉ DE ROME « LA SAPIENZA »

DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

THÈSE

DE

DOCTORAT D’ETAT EN PHILOSOPHIE

TITRE 

LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE

ET LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

par

Raoul NKASSA

Sous la direction de

Prof. Francesco Saverio TRINCIAet

Prof. Stefano PETRUCCIANI

Année académique 2010-2011

Rome 2012

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A mon Père et à ma Mère

A mes Frères et à mes Sœurs

A mes Nièces et à mes Neveux

A ma Femme et à mes Enfants

A tous mes Parents

A tous mes Amis

A Tous Ceux qui ont cru et qui croient à mon Idéal

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LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE

ET LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

SOMMAIRE

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INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

PREMIÈRE PARTIE

LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE

CHAPITRE PREMIER 

L’ÉMERGENCE DE LA SOCIÉTÉ NOUVELLE 22

I.- L’Amérique ou la représentation sociohistorique de l’état de nature 22

II.- Les fondements nouveaux de la société nouvelle 28

III.- Le point de départ ou le caractère original de la civilisation américaine 36

Première conclusion 46

DEUXIÈME CHAPITRE

LA NATURE ET LES CONSÉQUENCES DE LA DÉMOCRATIE 47

I.- La nature de la démocratie 47

II.- Les conséquences de la démocratie 60

III.- Des deux démocraties chez Tocqueville 70

Deuxième conclusion 88

TROISIÈME CHAPITRE

LE PRINCIPE FONDATEUR DE LA DÉMOCRATIE 90

I.- L’idée d’égalité 90

II.- Le principe de la souveraineté du peuple 99

III.- L’idéal démocratique déductible de l’analyse de Tocqueville 108

Troisième conclusion 115 5

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DEUXIÈME PARTIE

LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

CHAPITRE PREMIER

LES OBSTACLES À LA POSSIBILITÉ D’UNE CONSTRUCTION VÉRITABLE

DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE 116

I.- La longue marche de l’Afrique noire vers la démocratie 117

II.- Les différentes étapes de construction des démocraties 123

III.- Les obstacles à la possibilité de construction d’une vraie démocratie 140

Première conclusion 153

DEUXIÈME CHAPITRE

LES STRATÉGIES DE LUTTE POUR LA DÉMOCRATIE 155

I.- Une stratégie toute nouvelle 156

II.- Le droit-devoir et liberté des Africains 161

III.- Rôle et stratégie des « Autres » 168

Deuxième conclusion 177

TROISIÈME CHAPITRE

LES FONDEMENTS DU PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE POUR L’AFRIQUE 179

I.- Quelle démocratie ? 180

II.- Historique de la quête de la démocratie en Afrique 193

III.- La cause génératrice des difficultés du triomphe de

la démocratie en Afrique 206

Troisième conclusion 229

CONCLUSION GÉNÉRALE 231

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NOTES 241

BIBLIOGRAPHIE 259

INTRODUCTION GENERALE

La démocratie chez Tocqueville et le problème de la démocratie en Afrique s’avère le titre

de la présente étude. Finalement. Puisqu’il s’agit d’une reformulation de ‘Universalisme et

déclinaison historico-locale de la démocratie contemporaine’, le titre initiale avec et sous lequel

nous avons entrepris puis conduit, du reste non sans assiduité, notre recherche au cours de ses deux

premières années. Académiques, convient-il de préciser ; notamment, l’année 2008-2009 et l’année

2009-2010. Cependant, un évènement aussi fâcheux qu’indésirable1 nous en a purement et

simplement détourné. Et, partant, il n’a plus jamais cessé depuis lors de conditionner l’évolution de

nos travaux que par fortune nous avons pu mener à terme ; et, dont nous présentons alors la

substance sous le titre nouveau et définitif de La démocratie chez Tocqueville et le problème de la

démocratie en Afrique. Cependant, l’écart ne paraît pas aussi trop considérable entre l’ancien et le

nouveau titre. Surtout quand notre point de départ et la question fondamentale que nous entendons

ici affronter comme notre but demeurent au fond les mêmes.

Nous aurons l’occasion de revenir sur les deux derniers aspects, quoique d’une manière

superficielle. Quant au premier aspect, ainsi qu’il apparaît du reste clairement à travers ‘La

démocratie chez Tocqueville’, le premier segment du titre définitif de notre thèse, signalons

d’emblée que nous prendrons essor des analyses à la fois pertinentes et savantes de Tocqueville

(1805-1859) sur la démocratie. Analyses pour le plus, mais aussi non seulement, consignées dans

son ouvrage intitulé : Démocratie en Amérique2.

Quelques bonnes raisons justifient le choix judicieux de cet ouvrage de Tocqueville

comme le point de départ de notre étude. Rappelons d’abord avec John S. Mill que, digne d’un

dessein aussi élevé grâce à la manière dont il a été conçu :

Il a d’emblée pris place parmi les plus remarquables productions de notre époque ; c’est avec pareil livre que devraient se familiariser tous ceux qui désirent comprendre leur époque ou exercer sur elle une influence, tant pour les

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faits qu’il renferme que pour les spéculations qui y sont associées (Mill, 1994, 53).

Aussi, brillant par le désir brûlant de comprendre le problème de la démocratie en Afrique,

mais sans prétention aucune d’exercer sur le continent quelque influence imaginaire ni imaginable,

avons-nous trouvé dans le propos de Mill un motif pour asseoir sur cet ouvrage la présente étude.

Les faits qu’il renferme et les spéculations qui y sont associées en font, pour reprendre Mill :

le premier livre philosophique jamais écrit sur la démocratie telle qu’elle se manifeste dans la société moderne. Livre dont il est probable qu’aucune spéculation ultérieure ne mettra en cause les doctrines essentielles, quel que soit le degré de modification qu’elle puisse leur faire subir ; et dont l’esprit et le traitement général qu’il offre de son sujet constituent le point de départ d’une ère nouvelle dans l’étude scientifique de la politique (Mill, 1994, 145).

Cette observation de Mill nous rassure de pouvoir trouver dans cet ouvrage de Tocqueville

des ingrédients nécessaires pour la conduite et, surtout, la bonne fin de notre étude. Si, par exemple,

de Montesquieu (1758) comme de Rousseau (1762), nous sommes redevables de grandes théories

modernes sur la démocratie, alors de l’auteur de Démocratie, à en croire Mill, nous serions héritiers

de bien plus encore que de simples puis pures théories. Théories élaborées sur la base des vieux

modèles antiques, grec et romain, dont les conditions propres de la modernité3 ne permettent plus la

réalisation sur le plan politique. Donc, en plus d’une approche nouvelle et digne de l’étude

scientifique de la politique, en nous appuyant sur Mill, Tocqueville nous décline la démocratie telle

qu’elle se manifeste dans la société moderne et les doctrines essentielles découlant de cette

démocratie.

Cependant, il avait fallu l’intervention magistrale de Francesco S. Trincia4, qui nous avait

vivement recommandée l’ouvrage, pour que nous arrivions à cette importante découverte. Plus que

d’autres ouvrages5 que nous avons eu également la fortune de découvrir, Démocratie jouit de la

spécificité de s’être révélée à nous ainsi qu’il avait paru déjà à Mill ; c’est-à-dire, non seulement

comme la première mais encore puis surtout la plus profonde étude sur la démocratie moderne.

Spécifiquement, en relation avec le problème de la démocratie en Afrique, objet fondamental de

notre recherche.

Offrant une étude comparée entre le type de société européenne, à travers la société

française, et le type de société américaine, à travers les Etats-Unis, Démocratie correspond de cette

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manière parfaitement à nos attentes dans le cadre du présent travail. Cette méthode comparative a

fini par nous enchanter. Aussi, permettra-t-elle de mettre en confrontation la société européenne,

d’une part, et, d’autre part, la société africaine. Ce faisant, nous soulignerons en passant, non sans

intérêt, la similitude entre l’Amérique et l’Afrique au moment, chacune à sa manière, de leur entrée

en contact avec l’Europe.

En outre, Démocratie s’avère un ouvrage à prévalence hautement historique. Cette portée

historique de l’ouvrage de Tocqueville confère aussi à la présente étude une indéniable dimension

théorico-historique, refusant de la faire ranger parmi les colonnes des élucubrations sans tête ni

queue des schizophrènes anarchistes, pour ne pas dire seulement, mais aussi sans détour ni

affectation, des antidémocrates. En rapport avec la donne sociopolitique actuelle à l’échelle globale,

nous pourrons dire, des ennemis du développement intégral de l’entière Humanité. Et, partant, du

développement de l’Afrique. Un développement dont la démocratie, maintenant puis encore

davantage, semble bien fournir l’incontestable condition permissive aux yeux des esprits savants les

plus accrédités en la matière.

Nous ne terminerons pas cette évocation des raisons de notre choix de Démocratie sans

recourir à Jean-Claude Lamberti qui en parle comme étant naturellement la plus grande œuvre

politique du XIXe siècle (Lamberti, 1983).

En somme, nous estimons y découvrir principalement la nature de la démocratie moderne

et, partant : le principe que les premiers émigrants Européens, qui sont allés se fixer en Amérique au

commencement du XVIIe siècle, dégagèrent en quelque façon de tous ceux contre lesquels il luttait

dans le sein des vieilles sociétés de l’Europe, d’une part ; et, d’autre part, les doctrines essentielles

afférentes à cette démocratie moderne dont l’Amérique représente ainsi naturellement le premier

modèle historique. En d’autres termes, nous pensons pouvoir cerner à travers cet ouvrage de

Tocqueville, cette démocratie-là même qu’il faut instruire ; pour laquelle il faut substituer peu à peu

la science des affaires à l’inexpérience, la connaissance des vrais intérêts aux aveugles instincts et

dont il faut ranimer s’il se peut les croyances, purifier les mœurs, régler les mouvements, adapter le

gouvernement aux temps et aux lieux, le modifier suivant les circonstances et les hommes. Ainsi

qu’il scande en tant que le premier des devoirs imposé de nos jours à ceux qui dirigent la société  :

les chefs de l’Etat et les classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus morales de la

nation (T. 19811, 61-62).

C’est seulement après avoir, dans un premier moment, tour à tour, cerné la nature de la

démocratie moderne en plus de sa cause efficiente, d’abord ; examiné ses conséquences naturelles à

travers cette plus grande œuvre politique du XIXe siècle, ensuite, et, enfin, identifié ou isolé son

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principe fondateur, que nous pourrons, dans un second moment, tourner le regard vers l’Afrique.

Nous apercevrons que l’Europe ne représente ni ne constitue l’unique continent où l’on ait pu

observer le développement chaotique de la démocratie si ce n’est pas purement et simplement ce

que de nos jours l’opinion commune conçoit comme telle et appelle aussi de ce nom, en rapport

avec l’Afrique.

En effet, dès l’aube de la colonisation, à en croire Tsikala K. Biaya (Biaya, 1998), ou, pour

davantage de précision, 1920, à en croire Joachim E. Goma-Thethet (Goma-Thethet, 2003),

l’Afrique s’avère aussi un des théâtres du déferlement des plus atroces, affreuses et monstrueuses

expériences démocratiques. L’infructuosité aussi réelle que certaine de ces expériences

démocratiques africaines semble rivaliser le seul devoir de soumission dudit continent, en nous

inspirant de Charles Z. Bowao, dans La Mondialité, à un « (dés)ordre secrètement organisé, à

l’instar de la mélodie secrète de Trinh Xuan Thuan » (Bowao, 2004, 22) qui, à propos de l’univers

écrit :

L’univers ne nous sera à jamais inaccessible. La mélodie restera à jamais secrète. Mais est-ce une raison pour se décourager, pour abandonner la quête ? Je ne le crois pas. L’homme ne pourra jamais échapper à ce besoin urgent d’organiser le monde extérieur en un schémas cohérent et unifié. Après l’univers du big bang, il continuera à en créer d’autres, qui se rapprocheront toujours plus de l’Univers sans jamais l’atteindre, et qui illumineront à jamais son existence (Bowao, 2004, 22-23).

Un devoir de soumission, comme nous allons voir, imposé par les géants de la politique et

de l’économie mondiales à travers les organes appropriés, en dépit des ravages que la famine et les

maladies telles que le paludisme, la rougeole, la fièvre typhoïde, le choléra etc. continuent de causer

parmi les populations africaines.

Telles expériences démocratiques en Afrique apparaissent, au plan politique, redevables à

la seule théorie de la démocratie politique, tant libérale que populaire. Successivement. Et, sans

qu’il ne soit posé ni affronté sérieusement la question relative à l’appréhension et, partant, à la

résolution de ce qui apparaît depuis et davantage au grand jour comme une certaine puis véritable

crise de l’idéologie démocratique. Néanmoins, tel qu’il résulte de nos observations profondes,

directes et bi-décennales. Raison pour laquelle nous sommes tentés par l’idée d’une reproposition

dans le débat sur la démocratie pour l’Afrique, mieux, la démocratie en Afrique, de la question

fondamentale de sa nature. Puisque, en ce qui concerne particulièrement l’Afrique francophone, et

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malheureusement, sur la base d’une large et évidente volonté politique, pour le dire avec les mots de

Goma-Thethet :

Ce débat qui a longtemps marqué les recherches en histoire politique de l’Afrique est désormais dépassé, comme le témoigne le Bilan des pratiques de la démocratie et des droits de l’homme et des libertés dans l’espace francophone fait à Bamako en novembre 2000 par la Francophonie (Goma-Thethet, 2003).

La raison aussi noble de cette réunion « des Ministres et Chefs de délégation des Etats et

de gouvernements des pays ayant le français en partage » consistant dans « le bilan des pratiques de

la démocratie, des droits de l’homme et des libertés dans l’espace francophone » (Décl. de Bamako,

2000), les participants en arrivèrent à constater d’abord :

que le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, au cours de ces dix dernières années, comporte des acquis indéniables : consécration constitutionnelle des droits de l’Homme, mise en place des Institutions de la démocratie et de l’Etat de droit, existence de contre-pouvoirs, progrès dans l’instauration du multipartisme dans nombre de pays francophones et dans la tenue d’élections libres, fiables et transparentes, contribution de l’opposition au fonctionnement de la démocratie, promotion de la démocratie locale par la décentralisation (Décl. de Bamako, 2000).

Ensuite :

que ce bilan présente, aussi, des insuffisances et des échecs : récurrence de conflits, interruption de processus démocratiques, génocide et massacres, violations graves des droits de l’Homme, persistance de comportements freinant le développement d’une culture démocratique, manque d’indépendance de certaines institutions et contraintes de nature économique, financière et sociale, suscitant la désaffection du citoyen à l’égard du fait démocratique (Décl. de Bamako, 2000).

Raison de plus, pourtant, pour que soient amplifiés naturellement les efforts dans la

recherche de l’essence même de cette démocratie dont la « consécration constitutionnelle des droits

de l’Homme », la « mise en place des Institutions » ainsi que tous les autres « acquis indéniables »

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qui font l’objet du bilan de ses pratiques ne conduisent pas aux échecs ensuite reconnus. Et, qui,

encore d’actualité, constituent l’antithèse de ce que l’on croit avoir à ce point bâti.

Cependant, qu’il soit noté bien clairement que de la remarque sur l’attitude des

intellectuels de tous les bords à l’égard de ce que nous percevons naturellement comme la crise

idéologique de la démocratie, en rapport avec l’Afrique surtout, il ne ressort pas qu’aucun esprit

savant, par surcroît Africain, ne s’est levé pour (se) poser et partant affronter cette épineuse

question de la nature de la démocratie en effet en relation avec l’Afrique. C’est bien le contraire qui

est plutôt vrai. Car ils sont nombreux à l’avoir fait. Juste pour faire un exemple, l’historien africain,

Joseph Ki-Zerbo, avait posé, lui, à en croire Goma-Thethet, « la question fondamentale de savoir si

la démocratie est un concept universel ou purement occidental » (Goma-Thethet, op. cit).

Seulement, sans mettre en discussion la sagacité de leur esprit, tous ceux qui se sont mus

dans cette direction ont démontré, nous allons le voir, de ne pas s’être préoccupés en tout cas de

façon sérieuse de cette question pourtant fondamentale pour le sort aussi bien de la démocratie en

soi que de la démocratie en Afrique. La quasi-totalité des travaux que nous avons eu la fortune

d’exploiter dans le cadre de la présente étude, en intégralité ou en partie, exaltent l’universalité de la

démocratie qui, au fond, se configure implicitement sinon explicitement comme l’unique

préoccupation des auteurs. Ce en quoi nous ne trouvons naturellement aucun mal. Mais, cela

n’empêche point de noter que cet universalisme démocratique, seulement en théorie, ne constitue

pas le véritable gage pour la bonne marche et le fonctionnement effectif de la démocratie en

Afrique.

Aussi, ces travaux accusent-ils, tous ou presque, une seule et même carence due, pour

reprendre Tocqueville, « au besoin d’adapter les faits aux idées, au lieu de soumettre les idées aux

faits » (T. 19811, 70). Cette carence, donc, se livre sous la forme d’une alternative. Ou ces travaux

souffrent d’un militantisme théorique défectueux ou ils souffrent d’un formalisme pur et vide. Les

premiers, quand les auteurs s’avèrent conscients de leur entreprise en faveur de la théorie de

l’universalisme démocratique. Les seconds, quand, subjugués par les principes découlant de la

normativité démocratique, du reste très largement diffusés, ils ne s’avèrent pas conscients de relayer

aveuglement les efforts tendant à affermir et à promouvoir l’idée d’universalisme démocratique.

Les uns sont aussi pernicieux que les autres quant au sort de la démocratie pour l’Afrique et,

surtout, en Afrique.

C’est à la charnière de ces deux tendances que nous situons notre étude. Le but ici

principalement visé s’avère la proposition des voies et moyens théoriques susceptibles d’assurer et

de garantir l’avenir de la démocratie en Afrique, particulièrement l’Afrique subsaharienne. Nous

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postulons ainsi pour le modèle théorique tocquevillien, à partir du nouvel idéal démocratique fondé

sur l’analyse de la société américaine. Idéal que nous sommes forcés de conceptualiser, en nous

appuyant sur les compte-rendus de Mill de cette importante œuvre politique de notre temps, donc :

Démocratie.

Pour aborder enfin ‘Le problème de la démocratie en Afrique’, la seconde partie et aussi la

plus capitale de notre étude, nous prendrons essor des analyses autant pertinentes et savantes de

René Dumont (1904-2001). Analyses contenues dans son ouvrage intitulé : Démocratie pour

l’Afrique6. Ici, également, quelques bonnes raisons justifient notre choix de l’ouvrage, à commencer

par celles qui émanent du propos même de l’auteur.

En effet, Démocratie pour l’Afrique est le résultat d’une aventure imprévue. En clair, le

produit d’une série mieux encore d’une tournée de seize conférences publiques en Afrique

occidentale francophone, sous la demande, en aout 1989, de l’Association démocratique des

Français de l’étranger (ADFE), association politique « de gauche » des Français expatriés, qui

votent au parlement (D. 1991, p.7).

Aussi, avant de devenir livre, les communications tenues lors de ces conférences,

auxquelles s’ajouteraient de nombreux détails relevant des observations directes de Dumont, ont-

elles subi ensuite l’influence des interventions du public auquel elles étaient destinées. Un public

constitué pour la majorité de jeunes universitaires. Ayant eu ainsi la précieuse opportunité de

soumettre au jugement ou à la critique si ce n’est pas purement et simplement à l’approbation des

intéressés son propos d’origine, Dumont démontre de l’avoir enrichi par une allusion expresse à

l’état d’esprit des jeunes Africains présents à ses conférences. Un état d’esprit caractérisé par

l’inquiétude et l’angoisse de l’avenir que soulignaient leurs ardentes questions (D. 1991, p.7).

En outre, il s’agit d’un ouvrage que l’auteur inscrit « dans le cadre d’une longue marche de

l’Afrique vers la démocratie » et à travers lequel il évoque une série d’obstacles à la possibilité de la

construction d’une vraie démocratie en Afrique. Ce continent que, dès la fin de 1989, stipule-t-il,

plusieurs articles déclaraient en faillite. Puis, en s’appuyant notamment sur Le Monde du 28 février

1990, que certains ne craignaient pas de conseiller au gouvernement de la France de laisser tomber

parce que sans espoir (D. 1991, p.10).

D’ailleurs, tenant compte des informations découlant du sujet de l’étude bibliographique :

« La démocratie en Afrique » de Marcelle Genné (1991), Démocratie pour l’Afrique de Dumont,

tout comme West African Regional Cooperation and Development de J. E. Okolo et S. Wright

(1990), compte parmi les premières publications au travers desquelles des auteurs ont fait entendre

leur voix dans le grand vent de libération ayant soufflé sur l’Afrique, à partir des événements 13

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politiques qui se sont produits en Europe de l’Est et en URSS à la charnière de la décennie 1980 et

la décennie 1990 (Genné, 1991). C’est un ouvrage pionnier. De plus, très actuel par la qualité de

l’analyse qu’il propose, l’ouvrage s’enracine dans la réalité sociohistorique africaine que l’auteur

lui-même a aussi touché du doigt, et, dont il partage avec le lecteur multiples et longues expériences

de terrain. Il « est pratiquement une vie à livre ouvert » (Genné, 1991).

Nous terminerons en rappelant que Démocratie pour l’Afrique est l’œuvre du prestigieux et

mythique auteur de L’Afrique noire est mal partie (1962). Avec ses mots : « Etude fort critique, tout

à la fois de l’ordre néo-colonial qu’installait la France, et des nouveaux dirigeants africains » (D.

1991, 8).

Nous allons nous mettre sur les traces de la « longue marche de l’Afrique vers la

démocratie » en passant en revue les obstacles évoqués par Dumont. Nous analyserons la portée

ainsi que l’influence de ces obstacles sur cette « longue marche ».

Dumont pense que la marche de l’Afrique vers la démocratie, devrait commencer par la

libération économique, sociale et politique de toutes les femmes, pour le plus reléguées au foyer si

ce n’est pas qu’elles sont considérées comme de quasi-esclaves ou de véritables « bêtes de somme

». A ce problème, il associe le lien indissoluble de la démocratie et de la démographie dont il faut

assurer un contrôle rapide pour éviter l’échec économique, social et politique, selon lui, que trop

certain ; la banqueroute de l’environnement ; la tutelle abusive de l’ordre économique dominant qui

constitue l’obstacle le plus redoutable à la possibilité même de construire une démocratie « viable

» en Afrique. Notamment, celle de Washington et des autres bailleurs de fonds, sans oublier la

France. De plus, le « retard » de l’Afrique en ce qui concerne le développement agricole, et, dont les

causes résident dans l’encadrement de la paysannerie par des leaders aussi bien socialistes que pour

ainsi dire libéraux ; l’échec de son industrialisation ; la déroute dans les domaines de l’éducation et

de la santé, causée par les ajustements structurels ayant réduit les crédits alloués à ces domaines ; le

politique, qui constitue le cœur du problème, ou le manque tout à la fois du multipartisme et des

libertés (D. 1991, 10-13).

Il s’agit là, soulignons-le, d’une esquisse basée sur « Le début d’une longue marche » (D.

1991, 7-17), l’introduction à la Démocratie pour l’Afrique. Dumont regroupe ces obstacles en dix

chefs diversement libellés7 et les examine un après l’autre en répondant à la question suivante :

« Comment en est-on arrivé là ? » ; voire, en déployant une série d’explications relatives à la

« longue marche », semée d’obstacles, vers la démocratie en Afrique », dans « Comment en est-on

arrivé là ? ou la « longue marche », semée d’obstacles, vers la démocratie en Afrique » (D. 1991,

17-231), la première partie de son ouvrage. Nous verrons aussi comment, pour le dire avec les

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termes de Genné, les forces combinatoires de cette série d’explications de l’auteur rendent le

problème complexe (Genné, 1991).

Cependant, avant d’aborder notamment ‘La démocratie chez Tocqueville’, donc, la

première partie de notre étude, un aperçu général du concept comme de la notion de ‘démocratie’

apparaît nécessaire. Nous tiendrons compte dans cet aperçu général seulement des applications

théorico-historiques et, surtout, politiques de la démocratie en Afrique. Celles qui se dessinèrent

davantage à l’échelle globale avec le glacis Est-Ouest après la Seconde guerre mondiale. De cette

manière, nous pouvons saisir dès le départ les contours de cette démocratie avec laquelle les

populations se trouvent effectivement en train de faire des comptes depuis 1920 en Afrique, pour le

dire avec Bowao, « ce continent que l’on croit, à tort ou à raison, le parent pauvre de l’histoire »

(Bowao, 2007, 11). D’où il émergera davantage l’importance du choix de Démocratie, partant celle

des doctrines que contient cette œuvre.

En effet, après la Seconde guerre mondiale nombreux attributs se trouvent appliqués au

concept et à la notion de ‘démocratie’. Nous ne remontons pas l’histoire ici pour les répertorier tous

ni pour définir les caractéristiques qu’ils assignent singulièrement au concept comme à la notion. En

partant de cette période, nous voulons dégager seulement les plus importants qui ont marqué

historiquement la démocratie en rapport avec l’Afrique. Notre choix se fonde sur un critère objectif

de l’influence sur l’Afrique de la démocratie. En dégager les attributs plus importants équivaut en

un sens à vouloir distinguer nettement les sous-variantes des variantes, principales. Nous

comprendrons plus loin, encore davantage clairement, les motivations tout comme l’intérêt de cette

distinction nécessaire. A devoir émerger en premier lieu seraient les sous-variantes, en effet, compte

tenu de la terminologie politique en circulation après 1945 et, précisément, entre 1950 et 1960.

De toutes les formes découlant aussi bien du concept que de la notion de ‘démocratie’,

essentiellement deux, puis seulement deux, et absolument principales, se trouvaient farouchement

en lutte au sortir de la Seconde guerre mondiale, à savoir : la ‘démocratie libérale’ et la ‘démocratie

populaire’. Celle-ci eut pour point d’ancrage, l’ancienne Union des Républiques Socialistes

Soviétiques tandis que celle-là fut, ainsi qu’elle l’est encore actuellement, en vogue dans l’ensemble

des Etats d’Europe comme d’Amérique appartenant au bloc dit ‘des pays occidentaux’.

La déclaration par les Républiques soviétiques de la cessation d’existence de l’URSS, le 21

décembre 19918, ensuite et en plus de la réunification pro-occidentale de l’Allemagne en octobre

1990 précédée par la chute du mur de Berlin en novembre 1989, semble avoir scellé, après-coup et

de manière décisive, la victoire politico-historique de la ‘démocratie libérale’ sur la ‘démocratie

populaire’. C’est finalement cette victoire qui va fournir le fondement historique à la nouvelle

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politique internationale de la décennie 1990. Une politique fondée naturellement sur le projet

d’ouverture vers la démocratie, précisément la ‘démocratie libérale’, des pays qui jusque-là étaient

encore gouvernés d’une manière non libérale-démocratique9. Depuis, à l’intérieur comme à

l’extérieur des frontières de l’Europe et de l’Amérique, nous assistons à une poussée fulgurante de

cette ‘démocratie libérale’ au détriment de la ‘démocratie populaire’.

Cette poussée de la ‘démocratie libérale’ en Afrique ne se fait pas dans l’ensemble sans

heurts, comme témoignent les récents évènements baptisés « printemps arabe »10, deux décennies

environ après les conflits de tout acabit qui ont ensanglanté et déchiré l’Afrique sub-saharienne lors

du grand vent de l’Est. D’ailleurs, elle semble aboutir généralement à la « restauration des

dictatures »11, en nous inspirant de l’alors chef de l’Etat français, M. Jacques Chirac, dans son

discours12 de Brazzaville, en République du Congo, sous le couvert d’un multipartisme de façade. Si

ce n’est, par contre, purement et simplement, l’institution des dynasties modernes dont le Congo-

Kinshasa, le Togo ainsi que le Gabon offrent de brillantes illustrations13. Aussi bien sur la base de

l’élection, ce en quoi réside l’élément fondateur de la démocratie comme le souligne, entre autres,

Samuel P. Huntington (Huntington, 1991, p.7), qu’au milieu des contestations manifestes d’un

processus au fond fallacieux.

En nous inspirant d’aussi pertinentes observations du politologue florentin, Giovanni

Sartori, la ‘démocratie libérale’ et la ‘démocratie populaire’ constituent des sous-variantes de la

démocratie, en ce sens que l’une et l’autre se rapportent à l’acception principale de la « forme

nominale » : « démocratie » (Sartori, 1993). Dans le cadre de notre étude, il faut le souligner, une

acception encore tout à définir. Pour le dire en d’autres termes : les deux épithètes, ‘libérale’ et

‘populaire’, appliquées à la démocratie ne déterminent celle-ci qu’indirectement. En effet, il y a

entre le déterminé et les déterminants, c’est-à-dire entre ‘démocratie’ et ‘libérale’ et ou ‘populaire’

un trait d’union invisible dont le dévoilement de la nature permettra la déclinaison du sens premier

du déterminé. Donc, le sens de ‘démocratie’.

Selon Sartori, la forme nominale ’démocratie’ ne s’avère qu’un simple mot qui s’applique,

au même titre que tous les autres mots, à une chose. Ainsi donc, c’est à travers la détermination de

la chose à laquelle s’applique ce mot que naturellement, pensons-nous, s’ouvre et s’illumine

l’horizon de son acception principale. Le politologue florentin stipule que : « Le terme démocratie a

toujours désigné une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement ; et cela reste la

signification primaire du terme. » (Sartori, 1993, 13) La signification à travers laquelle, somme

toute, la ‘démocratie libérale’ ainsi que la ‘démocratie populaire’ se trouvent rattachées à la

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démocratie comme ses deux plus importantes sous-variantes. Ainsi, donc, Sartori attribue à la

démocratie une portée foncièrement politique.

Mais, le politologue florentin constate en outre que, de nos jours, nous parlons de

‘démocratie sociale’ et de ‘démocratie économique’. La première expression remonte aux temps de

Tocqueville. A ce propos, il écrit : «  La notion de démocratie sociale se pose avec Tocqueville dans

sa Démocratie en Amérique » (Sartori, 1993, 13). D’ailleurs, il ne manque pas de relever l’aspect

purement sociologique de la vision de Tocqueville, suggère-t-il, aussi portée essentiellement sur la

spécifique démocratie américaine. Une vision que partage également Bryce (1888) pour lequel,

cependant, selon lui, ‘démocratie’ demeure avant tout un concept politique. Même si il estime que

la notion de ‘démocratie sociale’ se dessine mieux après Tocqueville. Notamment, avec Bryce qui,

donc à ce titre, écrit-il, « présente la démocratie comme un ethos, un mode de vivre et de vivre

ensemble, et partant comme un état général de la société » (ibidem).

Nous aurons l’occasion de nous atteler sur la ‘démocratie sociale’ dans la première partie

de notre étude. Pour l’heure, contentons-nous de ce qu’en dit de manière très succincte Sartori.

Dans sa signification originaire la ‘démocratie sociale’, écrit-il, « dénote une société dont l’ethos

exige à ses membres de se voir, partant, de se considérer comme socialement égaux » (Sartori,

1993, 13).

Quant à la seconde expression, Sartori stipule qu’elle acquiert une signification encore bien

plus précise de « démocratie industrielle ». Ceci, bien au-delà de ce qu’elle peut désigner d’emblée

et du reste intuitivement, c’est-à-dire « égalité économique » ou « égalisation des extrêmes de la

pauvreté et de la richesse » ou, encore, « redistributions ayant pour fin un bien-être généralisé ». Il

spécifie, en outre, au sujet de son origine, que : « Le concept remonte à Sidney e Beatrice Webb, en

1897, avec la rédaction de Industrial Democracy, une volumineuse œuvre successivement

couronnée au niveau du système politique par une plus insignifiante Constitution for the Socialist

Commonwealth of Great Britain (1920) » (Sartori, 1993, 14).

Mais, par « démocratie économique » Sartori laisse entendre nettement « démocratie dans

le lieu du travail et dans l’organisation-gestion du travail » (Sartori, 1993, 14). Limitons-nous ici

également à ces indications d’ensemble qui établissent aussi l’apparente synonymie entre les deux,

« démocratie économique » et « démocratie industrielle », en retenant à propos de la dernière

expression, ‘démocratie industrielle’, que :

Dans sa forme accomplie la démocratie industrielle se présente donc comme l’autogouvernement du travailleur dans son lieu de travail, de l’ouvrier dans

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son usine ; un autogouvernement local qui devrait être intégré au niveau national par une « démocratie fonctionnelle », c’est-à-dire par un système politique fondé sur des critères de représentation des métiers ainsi que des compétences (Sartori, 1993, 14).

Voilà pourquoi Sartori retient qu’il est impérieux de spécifier ce que nous entendons

lorsque chaque fois nous parlons de démocratie (Sartori, 1993, 13). Puisque, nous nous trouvons

bien devant trois catégories distinctes de démocratie, à savoir : la ‘démocratie politique’, la

‘démocratie sociale’ et la ‘démocratie économique’ ou la ‘démocratie industrielle’.

A ce point, ‘politique’, ‘sociale’ et ‘économique’ ou ‘industrielle’, associés à la forme

nominale ‘démocratie’, rendent bien compte de la variété conceptuelle, partant théorique et

historique, du concept comme de la notion de « démocratie ». Ce qui implique naturellement la

diversité des domaines au sein desquels peuvent se vérifier également diverses expériences

démocratiques. Aussi, représentent-ils, chacun à sa manière, des attributs de la démocratie au même

titre que ‘libérale’ et ‘populaire’ que nous avons déjà mis en évidence un peu plus haut. Seulement,

à la différence de ces deux ci, les trois-là se rapportent plutôt directement à la démocratie. Et,

partant, ils déterminent pour ainsi dire principalement la démocratie ; c’est-à-dire, ce qu’est cette

chose appelée démocratie. En d’autres termes, ils déterminent sa nature. Une nature à laquelle les

deux épithètes ‘libérale’ et ‘populaire’ s’appliquent ensuite.

Les trois autres attributs de démocratie, ‘politique’, ‘sociale’ et ‘économique’ ou

‘industrielle’, mis en évidence par Sartori, permettent de déterminer clairement et distinctement

trois types de démocraties, à savoir : la ‘démocratie politique’, la ‘démocratie sociale’, la

‘démocratie économique ou industrielle’. Ces fluctuations relèvent essentiellement d’une perception

philosophique et ne semblent pas privées d’implications sociopolitiques.

En vertu du rapport direct des déterminants ‘politique’, ‘sociale’ et ‘économique’ ou

‘industrielle’ au déterminé ‘démocratie’, d’une part, et comparativement à ‘démocratie libérale’ et

‘démocratie populaire’, d’autre part, ‘démocratie politique’, ‘démocratie sociale’ et ‘démocratie

économique ou industrielle’ constituent des variantes principales aussi bien du concept que de la

notion de « démocratie ». Cependant, devant ce trivium, Sartori pense que ‘démocratie politique’

s’avère fondamentale en tant qu’elle détermine la condition sine qua non des deux autres qui

l’étendent et la complètent. Non sans observer en outre et en dernier ressort que lorsque nous

parlons de démocratie tout court nous sous-entendons la démocratie politique. Celle-là même qui,

selon lui, fonde sur l’égalité juridico-politique (Sartori, 1993, 14).

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A la lumière des analyses de Sartori, il apparaît enfin clairement que la ‘démocratie

politique’ ne paraît que l’une des variantes principales de démocratie, quoique fondamentale à ses

yeux, d’une part ; et, d’autre part, la ‘démocratie libérale’ ainsi que la ‘démocratie populaire’ ne

représentent voire ne constituent au fond que deux sous-variantes de cette ‘démocratie politique’.

Mais à côté de ces deux sous-variantes de ‘démocratie politique’, observe Sartori,

foisonnent beaucoup d’autres auxquelles correspondent naturellement diverses théories du reste

irréductibles les unes aux autres. Il les analyse14 minutieusement, ensemble avec les théories

pareillement irréductibles relatives tant à la ‘démocratie libérale’ qu’à la ‘démocratie populaire’.

Les disqualifiant une après l’autre, le politologue florentin n’en considère en fin de compte qu’une

seule, à la fois vraie et valable, qui s’avère aussi fondamentalement une puis divisée seulement par

la discontinuité séparant la démocratie des anciens de celle des modernes : la théorie de la

démocratie libérale. Et, la réalité sociopolitique du monde actuel semble fournir de la matière à

cette reconstruction. S’ils ne rendent pas compte que partiellement de son expérience dont les Grecs

offrent le premier modèle historique, tous les autres attributs de démocratie en circulation sont faux.

Ce en quoi consiste la vérité de la démocratie. Trincia développe cette thèse à travers « La verità

della democrazia » (« La vérité de la démocratie »), communication à la XXIIIe Convention

Nationale de Philosophie15. En effet, selon lui, on ne peut parler de la vérité au sujet de la

démocratie que dans le sens où par démocratie on entend effectivement la démocratie libérale.

Telle s’avère la situation réelle et objective voire historique de la démocratie à laquelle se

confronte concrètement presque l’ensemble des pays du globe à l’heure actuelle. A fortiori, les

Républiques soviétiques, pour ne pas vouloir dire la Fédération de Russie, qui furent les premières,

après la Révolution d’octobre 1917, à magnifier l’idéal philosophique du socialisme à travers une

particulière forme de gestion politique de l’Etat appelée : démocratie populaire. Mais aussi,

pareillement, la quasi-totalité des pays d’Afrique forcés de suivre le chemin de la démocratie au

cours des plus ou moins deux dernières décennies. Par démocratie, donc, nous sommes en quelque

façon obligés d’entendre spécifiquement ‘démocratie politique et libérale’, en long. Donc, cette

démocratie-là même que nous sommes accoutumés à appeler, en court, ‘démocratie libérale’ depuis

la fin du glacis Est-Ouest, ainsi que nous rappelle Sartori, et que nous sous-entendons encore

davantage dans et à travers le seul mot ou la notion de « démocratie ».

Enfin, c’est au fond cette ‘démocratie’ désignant principalement, suivant l’expression de

Sartori, « une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement » qui représente dorénavant,

avec l’expression de Jean François Kervégan, « l’horizon de tout ordre politique légitime » (cf.

Reynaud et Rials, 1996).

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La présente étude s’inscrit dans le champ d’investigation de la philosophie pratique,

spécialement la philosophie morale. Pour ce, elle se veut essentiellement théorico-analytique. Mais,

ce n’est pas une raison pour la couper de la réalité. Au contraire, pour cette raison même, elle fonde

sur l’observation des faits et phénomènes politiques à l’échelle globale, mais en relation avec

l’Afrique. Faits et phénomènes que nous ne désirons ni n’entendons pas ici adapter aux idées mais,

plutôt, voulons soumettre aux idées. Ainsi donc, hypothétiquement, la présente étude sera guidée

par la question fondamentale de savoir s’il s’agit là en effet de la démocratie moderne dont

Tocqueville dévoile l’essence ainsi que les conséquences naturelles à partir de son étude

scientifique de la société américaine.

Nous ne visons pas l’érudition au travers de la présente recherche. Aussi, ne s’y attendrait-

on à rien de particulièrement érudit. Cependant, cela n’empêche pas qu’il s’y trouve indéniablement

et, partant, qu’on y relève naturellement, quelque trait d’une originalité aussi objectivement

reconnaissable. Cette originalité certaine, donc, s’avère d’abord et avant tout redevable à la nature

même du sujet dont traite notre étude. Ensuite, la manière à laquelle nous abordons ce sujet s’avère

également une des plus originales. En effet, au-delà des idéologies politiques de tous les bords et

des lieux communs ou de l’opinion dominante en faveur ou non de nous ne savons quelle

démocratie – la ‘démocratie politique populaire’ ou la ‘démocratie politique libérale’ – nous nous

sommes proposés d’abord de nous enquérir de l’essence de la démocratie, tout court. Celle dont il

est réellement ou devrait être question en ce qui concerne la politique intérieure des modernes Etats

africains. C’est seulement après cette enquête que nous mènerons en sculptant l’ouvrage de

Tocqueville, qui fournit à notre étude une très solide base scientifique et théorico-historique, que

nous nous reporterons ensuite vers l’Afrique.

Ainsi, au plan théorico-culturelle d’abord, nous apercevrons la grave crise qui minent aussi

profondément l’Afrique et les Africains en matière de démocratie avant de découvrir, au plan

socioculturel ensuite, le fondement historique, dans la perspective tocquevillienne, défavorable à

l’institution de l’une des deux formes de gouvernement démocratique, caractérisées par le système

représentatif ou la représentation. Entre à faire part de cette étude, le fruit aussi bien de nos longues

et minutieuses observations, pour le plus basées sur notre expérience, que, sur la base de notre

formation, au plus haut point philosophique, de l’analyse des faits et phénomènes politiques liés à

l’Afrique. Et, qui, en fonction de notre expérience, remontent à l’emblématique année 1977, pour la

République du Congo dont nous sommes originaire, marquée par l’assassinat du Commandant

Marien Ngouabi, l’alors chef de l’Etat et président de la République.

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Le résultat en est l’émergence des raisons des difficultés que connaissent les régimes

politiques en Afrique. Régimes pour ainsi dire démocratiques. Puisque, caractérisés par la

‘démocratie libérale’ et la ‘démocratie populaire’ puis, une fois encore, la ‘démocratie libérale’. En

effet, dans les travaux antérieurs, nous avons démontré, à partir du spécifique cas congolais, et du

point de vue essentiellement historique, l’échec en Afrique de l’autoritarisme et la démocratie

politique libérale et populaire16.

De plus, la lecture de la philosophie politique de Tocqueville dans Démocratie ne paraît

aussi avoir de particulièrement important que son originalité. Elle se base essentiellement sur

l’analyse philosophique du texte de l’auteur. Même s’il apparaît clairement que d’autres écrits, aussi

bien de Tocqueville que de ses commentateurs avérés, n’ont pas du tout manqué d’alimenter notre

esprit et, partant, de projeter une lumière immense sur ce texte. Ces écrits ont eu l’avantage de nous

illuminer sur des points apparemment obscurs et confus de la pensée de Tocqueville, à l’instar de

son intuition philosophique de la nature de la démocratie et du statut philosophico-politique de

« l’absolutisme modéré et contrôlé des temps modernes » (Mill, 1994, 53), que, sous la profonde

inspiration de Tocqueville, nous appelons : ‘le despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple’.

Ce régime qui non seulement représente mais aussi constitue l’alternative à la constitution politique

à l’américaine de la souveraineté du peuple. Au reste, autant des points qui, pour se livrer à la fois

au grand jour et en toute objectivité, ne requièrent au fond que l’attention ainsi que l’impartialité du

lecteur.

La présente étude se compose de deux parties. La première, ‘La démocratie chez

Tocqueville’, est la partie essentiellement théorique. Nous nous enquérons de l’essence du principe

démocratique sur la base de Démocratie. Nous y redécouvrons le berceau de la société moderne en

en appréhendant les fondements juridico-politiques à travers un détour historique sur les

circonstances et les conditions de son émergence, d’une part ; avant de discerner la cause efficiente

de l’enclenchement de cette modernité sociale au milieu notamment des absolutismes de tout acabit

dont regorgeait l’Europe du XVIe au XVIIIe siècle, d’autre part. Il en ressort clairement que le

berceau de la société moderne, c’est-à-dire les USA, à partir de la colonie de la Nouvelle-

Angleterre, fonde sur « les principes généraux » des constitutions modernes d’Europe, à la faveur

de la spécificité du caractère des pèlerins, les pères fondateurs de cette colonie anglaise. D’où, dès

le prime abord, la configuration démocratique de cette société nouvelle saute brillamment aux yeux

(Chap. I). Loin de paraître une forme d’Etat ou de gouvernement, donc un régime politique, cette

démocratie se décline naturellement sous la forme originale et univoque d’un « état

social égalitaire ». De cet état social égalitaire, donc la démocratie, les peuples peuvent tirer deux

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formes de gouvernement démocratiques, fondées sur le principe de la souveraineté du peuple et

marquées par la représentation, à savoir : la souveraineté du peuple et le pouvoir absolu (Chap. II).

Mais ainsi révélée, la démocratie fonde sur l’‘idée’ d’égalité, ce principe que les pères fondateurs de

l’Amérique dégagèrent de tous ceux contre lesquels il luttait dans les vieilles sociétés d’Europe. Et,

elle requiert la direction tant des chefs de l’Etat que des classes les plus puissantes, les plus

intelligentes et les plus morales de la nation, en vue de sa matérialisation d’abord et avant tout dans

les lois, les idées, les habitudes et les mœurs (Chap. III).

La seconde, ‘Le problème de la démocratie en Afrique’, en est la partie théorico-

analytique. Nous y soumettons à l’épreuve de la théorie démocratique moderne, découlant de

l’étude scientifique de la société américaine, la réalité sociopolitique africaine, à partir de

Démocratie pour l’Afrique. Se livrant à une minutieuse analyse de l’ouvrage, nous passons en revue

les principaux obstacles à la possibilité de construction véritable de la démocratie dans les pays

africains subsahariens, évoqués par Dumont. Pourtant, celui-ci attribue au concept comme à la

notion une acception politique. Et y perçoit le multipartisme, les libertés et les droits des hommes et

des femmes ; la souveraineté du peuple à l’américaine caractérisée au plus haut point par la

représentation. Donc, une des deux formes de gouvernement démocratiques déductibles de l’état

social égalitaire (Chap. I). L’examen de ces obstacles dévoile ce qui menace l’avenir de l’Afrique, à

savoir : l’ordre politico-économique dominant de la planète. Représentant l’obstacle à la fois réel et

effectif à la possibilité de construction démocratique en Afrique, il est à combattre. Aussi, en

suivant Dumont dans cette direction, sommes-nous parvenus à dégager les grandes orientations

d’une stratégie nouvelle de lutte contre cet ordre, par lui postulée. La première grande orientation

consiste dans le droit-devoir et liberté des Africains de penser eux-mêmes « ce que peut être leur

avenir ». La seconde étend à la dénonciation des menaces de destruction de la planète entière des

abus de cet ordre (Chap. II). C’est en ligne avec Dumont, en ce qui concerne les responsabilités de

ce « vieil ordre » sur le sort de l’Afrique, que nous soumettons enfin au jugement les résultats de

notre recherche, nos réflexions. Nous mettons l’accent, au strict plan théorico-culturel, sur le savant

entretien, à grande échelle, de l’ignorance en matière de démocratie au grand dam des pays africains

dont les populations pâtissent de l’illusion démocratique en vogue (Chap. III).

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PREMIÈRE PARTIE

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LA DÉMOCRATIE CHEZ TOCQUEVILLE

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CHAPITRE PREMIER  

L’EMERGENCE DE LA SOCIETE NOUVELLE

La société nouvelle est foncièrement démocratique. C’est ce qui ressort de l’exploration de

Démocratie, important et précieux ouvrage de Tocqueville, paru en deux volumes. Le premier, en

1835. Le second, en 1840. Au travers d’un détour historique, aussi bien sur les circonstances que

sur les conditions de son émergence, nous voulons ici redécouvrir son berceau véritable,

appréhender ses fondements juridico-politiques et discerner la cause efficiente de son

enclenchement. Surtout, au milieu des absolutismes de tout acabit dont regorgeait l’Europe du XVIe

au XVIIIe siècle (T. 19811, 102 ; Bély, 1996, 8-9).

I. L’Amérique ou la représentation sociohistorique de l’état de nature

Dans un chapitre particulier, parce qu’il contient « le germe de ce qui doit suivre et la clef

de presque tout l’ouvrage» (T. 19811, 87), intitulé « Du point de départ et de son importance pour

l’avenir des Anglo-Américains » (ibid., 85-106), Tocqueville décline le sol de touche de son étude

en des termes suivants : « L’Amérique est le seul pays où l’on ait pu assister aux développements

naturels et tranquilles d’une société, et où il ait été possible de préciser l’influence exercée par le

point de départ sur l’avenir des Etats » (T. 19811, 86).

Cependant, il ne rendra pas compte des résultats de cette étude de la société américaine,

notamment dans le premier volume, sans avoir pris au préalable le soin de décrire la forme

extérieure qu’affecte l’Amérique du Nord.

En effet, dès le tout premier chapitre du premier volume de Démocratie, intitulé

« Configuration extérieure de l’Amérique du nord » (T. 19811, 75-84), Tocqueville se consacre à

une double et soigneuse description de cette immensité. Dans la partie haute de ce chapitre, il

déploie excellemment les aspects géophysiques qui disposent à dire « qu’elle avait été créée pour

devenir le domaine de l’intelligence » (ibid., 79). Après avoir signalé ensuite la présence de

l’homme sur ce territoire, dans sa partie basse, il se livre avec précision à la peinture de «  l’état

social » des « peuplades » qui y « erraient depuis des siècles sous les ombrages de la forêt ou parmi

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les pâturages de la prairie » (ibid., 80). Cette présence humaine n’empêche nullement Tocqueville

de penser et, partant, d’écrire que :

Quoique le vaste pays qu’on vient de décrire fût habité par de nombreux tribus d’indigènes, on peut dire avec justice qu’à l’époque de la découverte il ne formait encore qu’un désert. Les Indiens l’occupaient, mais ne le possédaient pas. C’est par l’agriculture que l’homme s’approprie le sol, et les premiers habitants de l’Amérique du Nord vivaient du produit de la chasse (T. 19811, 84).

Néanmoins, Tocqueville ne laisse subsister aucun doute sur la présence de nombreuses

tribus errantes d’indigènes dans ce désert à la fois très vaste, splendide et riche. Ensemble avec le

reste du continent où il s’étendait, il apparaissait comme « le berceau » par surcroît vide d’une

grande nation. Nous sommes au magnifique exorde du premier chapitre où Tocqueville s’inspire de

Bossuet, selon J.-C. Lamberti (Lamberti, 1983, 37). « Ces côtes, si bien préparées pour le commerce

et l’industrie, ces fleuves si profonds, cette inépuisable vallée du Mississippi, ce continent tout

entier, apparaissaient alors comme le berceau encore vide d’une grande nation » (T. 19811, 84).

Décrivant l’aspect extérieur de l’Amérique du Nord, Tocqueville consacre naturellement,

comme nous venons de voir, quelques lignes aux nombreux tribus d’indigènes ayant peuplé le

territoire. Aussi, avons-nous fixé l’attention particulièrement sur sa description brillante de l’état

social des premiers habitants de ce très vaste, splendide et riche désert ; ces peuplades ou

« sauvages » errants des « ombrages de la forêt » ou des « pâturages de la prairie », à l’instar des

seuls dont l’histoire fournit les preuves indubitables de l’existence.

Il en découle, du point de vue historique, que les Européens ne s’avèrent pas les premiers

habitants des territoires américains. N’en déplaise à qui le pense diversement. Nous ne procéderons

pas pour autant à une enquête destinée à répertorier les travaux d’historiens ainsi que

d’anthropologues, et autres spécialistes aussi bien du genre que d’espèce, ayant pour fin la

confirmation de cette évocation. Car, dans le cadre du présent travail, nous considérons les résultats

de la pertinente étude de Tocqueville de la société américaine. Surtout, quand ces résultats ne

contredisent point ce qui, de nos jours, demeure un fait réel. Tocqueville fournit, en effet, les

éléments justificatifs de la présence humaine en Amérique avant l’arrivée des Européens sur ses

côtes. Ce qui émerge du passage suivant :

Ces immenses déserts n’étaient pas cependant entièrement privés de la présence de l’homme ; quelques peuplades erraient depuis des siècles sous les

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ombrages de la forêt ou parmi les pâturages de la prairie. A partir de l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’au delta du Mississippi, depuis l’océan Atlantique jusqu’à la mer du Sud, ces sauvages avaient entre eux des points de ressemblance qui attestaient leur commune origine. Mais, du reste, ils différaient de toutes les races connues : ils n’étaient ni blancs comme les Européens, ni jaunes comme la plupart des Asiatiques, ni noirs comme les nègres ; leur peau était rougeâtre, leurs cheveux longs et luisants, leurs lèvres minces et les pommettes de leurs joues très saillantes. Les langues que parlaient les peuplades sauvages de l’Amérique différaient entre elles par les mots, mais toutes étaient soumises aux mêmes règles grammaticales. Ces règles s’écartaient en plusieurs points de celles qui jusque-là avaient paru présider à la formation du langage parmi les hommes (T. 19811, 80-81).

Tocqueville ne se limite pas pour ainsi dire à la description de la « Configuration

extérieure de l’Amérique du Nord » ; c’est-à-dire, à la description aussi bien des traits géophysiques

du territoire que des traits physiques des peuplades ou sauvages qui l’habitaient. Il se dédie dans

cette description de la forme extérieure de l’Amérique du Nord, aussi, à la description de l’état

social de ses premiers habitants.

Les peuplades dont Tocqueville vient de décrire minutieusement les traits physiques sont

les Indiens. Tout de suite après la description de leurs traits physiques, il évoque leur état social.

Une évocation devant laquelle nous ne sommes pas restés naturellement indifférents. En effet, il

écrit à propos que :

L’état social de ces peuplades différait aussi sous plusieurs rapports de ce qu’on voyait dans l’ancien monde : on eût dit qu’ils étaient multipliés librement au sein de leurs déserts, sans contact avec des races plus civilisées que la leur. On ne rencontrait donc point chez eux ces notions douteuses et incohérentes du bien et du mal, cette corruption profonde qui se mêle d’ordinaire à l’ignorance et à la rudesse des mœurs, chez les nations policées qui sont redevenues barbares. L’indien ne devait rien qu’à lui-même : ses vices, ses préjugés étaient son propre ouvrage ; il avait grandi dans l’indépendance sauvage de sa nature (T. 19811, 81).

Et, notamment en comparaison avec les hommes du peuple dans les pays policés quant à la

grossièreté qui les caractérise, engendrée par l’ignorance ainsi que la pauvreté et surtout leur contact

quotidien avec les hommes éclairés et riches, Tocqueville ajoute que « les indiens, en même temps

qu’ils sont tous ignorants et pauvres, sont tous égaux et libres » (T. 19811, 82) Mais, il n’arrête pas

là cette description pour ainsi dire du caractère socioculturelle des Indiens.

En effet, poursuivant, il ajoute :

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Lors de l’arrivée des Européens, l’indigène de l’Amérique du Nord, ignorait encore le prix des richesses et se montrait indifférent au bien-être que l’homme civilisé acquiert avec elles. Cependant on n’apercevait en lui rien de grossier ; il régnait au contraire dans ses façons d’agir une réserve habituelle et une sorte de politesse aristocratique (T. 19811, 82).

En conséquence, l’état de nature ne représente ni ne s’avère plus que cette hypothèse

philosophique avec laquelle différentes philosophies de l’histoire finirent par nous accoutumer.

Quand bien même il symbolise la fertilité de l’‘imagination’, au sens kantien du terme, c’est-à-dire

« en tant que faculté cognitive productive » (Kant, 1999, 149), des illustres philosophes modernes

de la pensée politique, à l’instar de Hobbes, Locke et Rousseau qui les premiers eurent recours au

syntagme voire à l’allégorie y relative, pour tenter une explication philosophique de la condition

originaire de l’humanité. Il indique maintenant un lieu réel sur la surface de la terre, habité par des

sauvages dont Tocqueville a eu le mérite de peindre dans les minimes détails tant le portrait

physique que l’état social.

Au reste, l’attention portée particulièrement sur la description de l’état social des Indiens

des côtes nord-américaines n’empêche pas de relever la pertinence de la considération conclusive

de Tocqueville sur l’Amérique du Nord. Ce désert à la fois très vaste, splendide et riche qu’ils

occupaient sans posséder pour autant, à cause de leur style de vie basé sur la chasse mais non sur

l’agriculture avec laquelle, pense l’auteur de Démocratie, l’homme s’approprie le sol. Après donc

son excellente description géophysique de l’Amérique du Nord et sociologique des Indiens, il

affirme que : « C’est là que les hommes civilisés devaient essayer de bâtir la société sur des

fondements nouveaux, et qu’appliquant pour la première fois des théories jusqu’alors inconnues ou

réputées inapplicables, ils allaient donner au monde un spectacle auquel l’histoire du passé ne

l’avait pas préparé » (T. 19811, 84).

Une affirmation à la fois claire et suffisante pour faire voir dans l’Amérique le berceau de

la société nouvelle ; en d’autres termes, de la démocratie, en tant que celle-ci représente la

caractéristique essentielle de ladite société.

Cependant, Tocqueville ne se limite pas à cette considération d’ordre général indiquant

l’Amérique comme le berceau de la démocratie moderne. Il sera encore davantage explicite dans

son développement narratif. Pour l’avoir suivi naturellement à travers les méandres de sa pertinente

et profonde analyse, nous sommes parvenus à découvrir le berceau véritable de cette démocratie :

l’Etat de la Nouvelle-Angleterre. Notamment, après diverses évocations, telle que celle des

fondements nouveaux de cette nouvelle société, sur lesquelles nous allons aussi nous atteler.

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La démocratie va s’exprimer entièrement dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre où, pour

le dire avec les mots de Tocqueville, les Codes particuliers des colonies entremêlent, d’une part, une

« législation pénale si fortement empreinte de l’étroit esprit de secte et de toutes les passions

religieuses que la persécution avait exaltées et qui fermentaient encore au fond des âmes » (T.

19811, 99), et, d’autre part, un corps de lois politiques établies sans discussion et en fait, que

forment les principes généraux de l’intervention du peuple dans les affaires publiques, le vote libre

de l’impôt, la responsabilité des agents du pouvoir, la liberté individuelle et le jugement par jury

(ibidem). Pourtant, souligne l’auteur de Démocratie, un corps de lois « tracé il y a deux cents ans »,

mais qui « semble devancer de très loin l’esprit de liberté de notre âge » (ibidem).

Cette existence politique de fait démocratique mais encore et surtout républicaine, car non

monarchique, règne dans l’Etat de la Nouvelle-Angleterre où elle se déploie avec tranquillité dans

la commune qui, dès 1650, est complètement et définitivement constituée dans cette partie de

l’Amérique (T. 19811, 100). Voilà pourquoi Tocqueville stipule que : « Lorsqu’on étudie avec

attention les lois qui ont été promulguées durant ce premier âge des républiques américaines, on est

frappé de l’intelligence gouvernementale et des théories avancées du législateur » (ibidem). Et,

d’ajouter un tout petit peu plus loin : « Mais c’est par les prescriptions relatives à l’éducation

publique que, dès le principe, on voit se révéler dans tout son jour le caractère original de la

civilisation américaine » (ibid., 101).

Au bout du compte, il ressort que la Nouvelle-Angleterre, dans les Etats de la Nouvelle-

Angleterre, en Amérique, ainsi qu’il émergera encore davantage clairement plus loin, représente et

constitue le berceau à la fois effectif et véritable de la démocratie moderne. L’Amérique jouit de ce

fait, à en croire Tocqueville, de l’avantage d’avoir montré au vieux monde, la vieille Europe, dans

ses articulations les plus singulières, le mystère des origines.

II. Les fondements nouveaux de la société nouvelle

Nous venons de voir que l’Amérique constitue le berceau de la société nouvelle. Comment

Tocqueville arrive-t-il à la déclinaison des fondements nouveaux sur lesquels « les hommes

civilisés » ont essayé de la bâtir ; mais, aussi et surtout, en quoi consistent ses fondements ? Pour

répondre à cette question, qui nous permettra d’isoler les fondements de cette société nouvelle,

démocratique, nous devons suivre l’auteur de Démocratie pas à pas dans le deuxième chapitre

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intitulé : « Du point de départ et de son importance pour l’avenir des Anglo-Américains » (T. 19811,

85-106).

En effet, à partir d’une analogie à l’homme qui, affirme-t-il, « est pour ainsi dire tout entier

dans les langes de son berceau » (T. 19811, 85), Tocqueville observe au sujet des nations que : « Les

peuples se ressentent toujours de leur origine. Les circonstances qui ont accompagné leur naissance

et servi à leur développement influent sur tout le reste de leur carrière » (ibid., 86). Cette origine,

qui offre la clef de lecture mieux de compréhension « des préjugés, des habitudes, des passions

dominantes, de tout ce qui compose enfin ce qu’on appelle le caractère national » (ibidem), semble

échapper à tous les peuples. Autrement, stipule l’auteur de Démocratie :

il nous arriverait d’y rencontrer l’explication d’usages qui, aujourd’hui, paraissent contraires aux mœurs régnantes ; de lois qui semblent en opposition avec les principes reconnus ; d’opinions incohérentes qui se rencontrent çà et là dans la société, comme ces fragments de chaînes brisées qu’on voit pendre encore quelquefois aux voûtes d’un vieil édifice, et qui ne soutiennent plus rien (T. 19811, 86).

Ce qui aurait eu pour effet, naturellement, l’explication de « la destinée de certains peuples

qu’une force inconnue semble entraîner vers un but qu’eux-mêmes ignorent » (T. 19811, 86).

Pourtant, souligne-t-il en outre :

jusqu’ici les faits ont manqué à une pareille étude ; l’esprit d’analyse n’est venu aux nations qu’à mesure qu’elles vieillissaient, et lorsqu’elles ont enfin songé à contempler leur berceau, le temps l’avait déjà enveloppé d’un nuage, l’ignorance et l’orgueil l’avaient environné de fables, derrière lesquelles se cachait la vérité (T. 19811, p.86).

Or, ainsi que nous l’avons énoncé au début du point précédent pour voir comment

Tocqueville décline le sol de touche de son étude : « L’Amérique est le seul pays où l’on ait pu

assister aux développements naturels et tranquilles d’une société, et où il ait été possible de préciser

l’influence exercée par le point de départ sur l’avenir des Etats » (T. 19811, 86).

Il y a bien, dans cette observation de Tocqueville, un fait qui mérite particulièrement

attention. L’Amérique a offert la possibilité de préciser : « l’influence exercée par le point de départ

sur l’avenir des Etats ». C’est donc en enquêtant sur la nature de ce point de départ des Anglo-

Américains et en scrutant ses effets induits sur la marche de la société américaine que nous serons à

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même de discerner dans son texte ce qui constitue réellement les fondements nouveaux de cette

société, de fait, nouvelle.

Cependant, le point de départ ainsi que les effets y afférents ne relèvent nullement de notre

imagination ni même de celle quand bien fructueuse de l’auteur de Démocratie. Car, à « l’époque

où les peuples européens descendirent sur les rivages du nouveau monde » (T. 19811, p.86), ainsi

qu’il laisse aussi percevoir aisément, « ils étaient déjà arrivés à ce degré de civilisation qui porte les

hommes à l’étude d’eux-mêmes » (ibidem) . Aussi, à en croire Tocqueville, nous ont-ils transmis le

tableau fidèle de leurs opinions, de leurs mœurs et leurs lois (ibidem). C’est donc précisément dans

ces opinions, ces mœurs et ces lois qu’il faut rechercher et, partant, discriminer naturellement les

fondements nouveaux de la société nouvelle.

Nous signalons ici la parcimonie de la méthode de Tocqueville : rien qui se rapporte à la

détermination du point de départ des Anglo-Américains ne se décline encore ni les produits de ce

‘mystérieux’ point de départ. Ce qui le plus nous intéresse et qui commencera à émerger seulement

à partir de ce qui suit.

En effet, en rapport avec les émigrants qui vinrent occuper le territoire que couvre

aujourd’hui l’Union américaine, Tocqueville stipule notamment que :

Le lien du langage est peut-être le plus fort et le plus durable qui puisse unir les hommes. Tous les émigrants parlaient la même langue ; ils étaient tous enfants d’un même peuple. Nés dans un pays qu’agitait depuis des siècles la lutte des partis, et où les factions avaient été obligées tour à tour de se placer sous la protection des lois, leur éducation politique s’était faite à cette rude école, et on voyait répandus parmi eux plus de notions des droits, plus de principes de vraie liberté que chez la plupart des peuples de l’Europe. A l’époque des premières émigrations, le gouvernement communal, ce genre fécond des institutions libres, était déjà profondément entré dans les habitudes anglaises, et avec lui le dogme de la souveraineté du peuple s’était introduit au sein même de la monarchie des Tudors (T. 19811, 87).

 

D’emblée, nul n’est besoin de rappeler qu’il s’agit spécifiquement des Anglais dans ce

passage. C’est donc à leur propos que Tocqueville dit de l’éducation politique qu’elle s’était faite à

une rude école. En clair, dans un pays agité « depuis des siècles par la lutte des partis, et où les

factions avaient été obligées tour à tour de se placer sous la protection des lois ». Expérience à

l’issue de laquelle, comparativement avec la plupart des peuples de l’Europe, ils acquirent plus de

notions des droits et plus de principes de vraie liberté. Ce n’est pas, cependant, encore tout qui fera

à l’époque la différence entre eux et les autres peuples de l’Europe. En effet, les Anglais

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disposaient, en plus, d’une expérience effective du gouvernement communal, ce genre fécond des

institutions libres, ainsi que le détermine Tocqueville, assortie du dogme de la souveraineté du

peuple.

A retenir naturellement l’attention à ce point précis de notre analyse, c’est le fait que la

lutte politique des partis a favorisé l’éducation politique des Anglais dans leur mère patrie où ils

eurent l’occasion de s’imprégner en particulier du dogme de la souveraineté du peuple qui

accompagnait le gouvernement communal auquel, sous la monarchie des Tudors, ils étaient

profondément habitués.

Mais, Tocqueville enchérit :

On était alors au milieu des querelles religieux qui ont agité le monde chrétien. L’Angleterre s’était précipitée avec une sorte de fureur dans cette nouvelle carrière. Le caractère des habitants, qui avait toujours été grave et réfléchi, était devenu austère et argumentateur. L’instruction s’était beaucoup accrue dans ces luttes intellectuelles ; l’esprit y avait reçu une culture plus profonde. Pendant qu’on était occupé à parler religion, les mœurs étaient devenues plus pures (T. 19811, 87-88). 

Ici, Tocqueville tourne l’attention vers le caractère intellectuel et, bien plus encore, vers le

caractère religieux des Anglais dont le pays s’était précipité avec une sorte de fureur dans les

querelles religieuses ayant agité le monde chrétien ; mais aussi, dans les luttes intellectuelles. De

cette double expérience, intellectuelle et religieuse, les Anglais se trouvèrent encore davantage

cultivés et austères.

Au total, ayant déjà reçu une bonne et forte éducation politique dans leur mère patrie, les

Anglais étaient aussi des hommes de culture dont les querelles religieuses avaient favorisé la pureté

des mœurs. Et, surenchérit Tocqueville : « Tous ces traits généraux de la nation se retrouvaient plus

ou moins dans la physionomie de ceux de ses fils qui étaient venus chercher un nouvel avenir sur

les bords opposés de l’Océan » (T. 19811, 88). Aussi, l’auteur de Démocratie ne put-il pas

s’empêcher de faire cette remarque, que : « Toutes les nouvelles colonies européennes contenaient,

sinon le développement, du moins le germe d’une complète démocratie » (ibidem). Une remarque

qui « est applicable non seulement aux Anglais, mais encore aux Français, aux Espagnols et à tous

les Européens qui sont venus successivement s’établir sur les rivages du nouveau monde » (ibidem).

L’éducation politique adéquate, la culture profonde et la pureté des mœurs caractérisent

seulement les Anglais depuis leur mère patrie, avant le départ pour « les bords opposés de l’Océan »

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(T. 19811, 88). Aussi, ne s’agit-il, là, encore que des prérequis qui accompagneront, essentiellement

comme bagages intello-spirituels, les émigrants Anglais en route vers le nouveau monde.

En conséquence, les fondements nouveaux de la société nouvelle, une société encore à

bâtir, donc, sont à rechercher et à discriminer dans ce qui sera le caractère national américain : les

opinions, les mœurs ainsi que les lois dont les pères fondateurs des nations nous ont transmis le

tableau fidèle. Compte tenu du degré de civilisation que les hommes avaient déjà atteint, comme le

laisse percevoir Tocqueville, nous l’avons vu, à l’époque de la découverte de l’Amérique. Degré de

civilisation leur permettant l’étude d’eux-mêmes.

Si donc, comme nous avons vu jusqu’ici, l’Amérique représente le berceau de la société

nouvelle, c’est bien à la faveur spécifiquement des Etats de la Nouvelle-Angleterre. De ceux-ci, elle

tient cette primauté. En raison justement de la nature des Codes particuliers des colonies dans ces

Etats démocratiquement en marche à travers la commune qui dès 1650 est constituée de manière à

la fois complète et définitive dans cette partie de l’Amérique. Codes entremêlant l’austérité d’un

esprit religieux et un corps de lois dignes d’une éducation politique adéquate. D’ailleurs, tel qu’il

émergera aussi de soi à travers notre exploration de Démocratie, à faire jouir l’Amérique du

privilège d’être effectivement le berceau de la société nouvelle, c’est principalement l’Etat de la

Nouvelle-Angleterre. Mais, à devoir émigrer alors en Amérique, ce n’étaient pas seulement des

Anglais. Aussi, tous les émigrants ne paraissaient-ils pas animés par le même esprit et n’allaient pas

non plus aborder sur une seule et même région dans ce très vaste territoire que formera la nation

américaine. Ce qui conduit Tocqueville à montrer nécessairement les très fortes nuances qui

s’apercevaient au milieu de la teinte générale déclinée jusqu’ici, par le biais de notre reconstruction.

Il s’avère important de suivre Tocqueville dans cette démarche si nous ne voulons pas

tomber dans de très fâcheux contre-sens qui risquent d’attribuer à l’auteur les déformations de notre

vue que nous ne voulons pas du reste partager. Ce, au profit des propres philosophie politique et

philosophie de l’histoire de Tocqueville, qu’il faudra plutôt extraire, dans le cadre du présent

travail, de sa Démocratie.

Pour montrer ces très fortes nuances perceptibles au milieu de cette teinte générale, donc,

poursuivant son exposé, Tocqueville observe qu’ : « On peut distinguer dans la grande famille

anglo-américaine deux rejetons principaux qui, jusqu’à présent, ont grandi sans se confondre

entièrement, l’un au sud, l’autre au nord » (T. 19811, 89).

Les premiers rejetons ont pour point d’ancrage la Virginie, au sud du territoire. Ayant reçu

la première colonie anglaise, en 1607, la Virginie fut marquée dès la création par l’esclavage,

introduit vers l’année 1620 par un vaisseau hollandais qui débarqua vingt nègres sur les rivages de 33

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la rivière James. Cet esclavage déterminera ensuite, en grande part, le caractère et les lois ainsi que

l’avenir tout entier du Sud (T. 19811, 89-90). Encore plus précis : « L’influence de l’esclavage,

combinée avec le caractère anglais, explique les mœurs et l’état social du Sud » (ibid., 90).

Les seconds ont leur berceau dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, au nord du

somptueux et très riche désert américain. La Nouvelle-Angleterre reçut, en 1620, la centaine et

demi environ d’émigrants d’une autre espèce, les pèlerins (pilgrims17) ou puritains, que celle « des

aventuriers sans famille » (T. 19811, 91) du Sud. Tocqueville souligne le fait que les émigrants de la

Nouvelle-Angleterre se rendaient au désert accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants

(ibidem). Ces pèlerins obéissaient au besoin purement intellectuel de faire triompher grosso modo

l’idée de pouvoir vivre à leur manière et prier Dieu en liberté ; et, se caractérisaient par leur

homogénéité sociale indéniable (ibid., 90-94).

Au total, mais, aussi et surtout, nonobstant les très fortes nuances relevées par Tocqueville

entre le sud, que symbolise la Virginie, d’une part, et le nord, symbolisé par la Nouvelle-Angleterre,

d’autre part, le caractère national des Américains sera grandement et profondément influencé par les

mœurs des nordistes18.

Les principes de la Nouvelle-Angleterre se sont d’abord répandus dans les Etats voisins ; ils ont ensuite gagné de proche en proche les plus éloignés, et ont fini, si je puis m’exprimer ainsi, par pénétrer la confédération entière. Ils exercent maintenant leur influence au-delà de ses limites, sur tout le monde américain. La civilisation de la Nouvelle-Angleterre a été comme ces feux allumés sur les hauteurs qui, après avoir répandu la chaleur autour d’eux, teignent encore de leurs clartés les derniers confins de l’horizon (T. 19811, 90).

Nous avons dit un peu plus haut que les fondements nouveaux de la société nouvelle sont à

rechercher et à discriminer dans le caractère national des Américains. Mais, à ce point précis de

notre analyse de l’ouvrage de Tocqueville, le cadre se rétrécit et se spécifie davantage. Etant donné

que le caractère national des Américains sera de part en part influencé par la civilisation de la

Nouvelle-Angleterre, il apparaît aussi clairement que c’est spécifiquement dans les mœurs des

nordistes des Etats de la Nouvelle-Angleterre qu’il faut finalement rechercher et discriminer les

fondements nouveaux de l’entière société américaine.

D’ailleurs, Tocqueville résume les mœurs des nordistes des Etats de la Nouvelle-

Angleterre en quelques principes seulement, qui sont : l’intervention du peuple dans les affaires

publiques, le vote libre de l’impôt, la responsabilité des agents du pouvoir, la liberté individuelle et

le jugement par jury (T. 19811, 99). Puis, il observe ensuite que : « Ces principes générateurs y 34

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reçoivent une application et des développements qu’aucune nation de l’Europe n’a encore osé leur

donner » (ibidem). En effet, pour en faire un exemple, Tocqueville stipule que :

Dans le Connecticut, le corps électoral se composait, dès l’origine, de l’universalité des citoyens, et cela se conçoit sans peine. Chez ce peuple naissant régnait alors une égalité presque parfaite entre les fortunes et plus encore entre les intelligences. Dans le Connecticut, à cette époque, tous les agents du pouvoir exécutif étaient élus, jusqu’au gouverneur de l’Etat. Les citoyens au-dessus de seize ans étaient obligés d’y porter les armes ; ils formaient une milice nationale qui nommait ses officiers et devait se trouver prête en tout temps à marcher pour la défense du pays. C’est dans les lois du Connecticut, comme dans toutes celles de la Nouvelle-Angleterre, qu’on voit naître et se développer cette indépendance communale qui forme encore de nos jours comme le principe et la vie de la liberté américaine (T. 19811, 99-100).

Or, dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, suivant les termes de l’analyse de

Tocqueville, ces « principes générateurs » ne reçoivent qu’« une application » et « des

développements » pour ainsi dire inédits. C’est dire que les fondateurs des colonies en Amérique ne

sont pas des initiateurs voire des concepteurs de ces principes. Et, sur ce, Tocqueville ne laisse

planer l’ombre d’aucun doute. Car, stipule-t-il, il s’agit des : « principes généraux sur lesquels

reposent les constitutions modernes, ces principes, que la plupart des Européens du XVIIe siècle

comprenaient à peine et qui triomphaient alors incomplètement dans la Grande-Bretagne » (T.

19811, 99).

En considération de tout ce qui précède, et suivant les méandres inhérentes à l’analyse de

Tocqueville, il ressort enfin que la société nouvelle fonde sur les principes politiques du XVII e

siècle, les principes généraux des modernes nations européennes. Pourtant, principes que les

Européens d’alors comprenaient à peine et qui triomphaient partiellement en Grande-Bretagne. La

reconnaissance et la fixation par les lois des Etats de la Nouvelle-Angleterre de ces principes

découlent de l’adéquate éducation politique, la profonde culture ainsi que la pureté des mœurs des

Anglais. Toutes, valeurs que ceux-ci ont acquises au départ de leur mère patrie. Mais, il convient de

le relever, la reconnaissance ainsi que la fixation de ces principes par les lois des Etats se font par-

dessus tout sous l’impulsion de ce que Tocqueville appelle « le produit » (T. 19811, 103) de l’esprit

de religion et l’esprit de liberté19. Pour le dire autrement, le point de départ des Anglo-Américains

dont, à ce point de notre travail, la nature reste à découvrir.

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III. Le point de départ ou le caractère original de la civilisation américaine

Nous venons de voir que les fondements nouveaux de la société nouvelle consistent dans la

reconnaissance suivie de la fixation par les lois des Etats de la Nouvelle-Angleterre des « principes

généraux sur lesquels reposent les constitutions modernes, ces principes, que la plupart des

Européens du XVIIe siècle comprenaient à peine et qui triomphaient alors incomplètement dans la

Grande-Bretagne » (T. 19811, 99). Si cette reconnaissance et puis cette fixation découlent du

caractère des Anglais, acquis en Angleterre, il doit bien y avoir une raison singulière. Aussi,

sommes-nous conduits à nous interroger légitimement sur la cause efficiente de la mise en marche

dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, de ces mêmes principes. L’intérêt du choix, dans la cadre

de notre étude, de Démocratie, et partant de l’examen de cet ouvrage, transparaitra ici de soi.

Signalons d’emblée que Tocqueville aborde l’épineuse question du point de départ ou de

l’originalité du caractère de la civilisation anglo-américaine dans le deuxième chapitre intitulé « Du

point de départ et de son importance pour l’avenir des Anglo-Américains » (T. 19811, 85-106).

Chapitre dans lequel, nous l’avons annoncé plus haut, il consigne en effet « le germe de ce qui doit

suivre et la clef de presque tout l’ouvrage » (ibid., 87). Sans vouloir retourner sur l’exorde de

Tocqueville sur les émigrants, principalement Anglais, qui allèrent chercher l’avenir en Amérique,

rappelons cependant que : « Les émigrants qui vinrent, à différentes périodes, occuper le territoire

que couvre aujourd’hui l’Union américaine, différaient les uns des autres en beaucoup de points ;

leur but n’était pas le même, et ils se gouvernaient d’après des principes divers » (T. 19811, 87).

Ainsi donc, comme pour la quête aussi bien que la discrimination des principes fondateurs

de la société nouvelle d’Amérique, l’énigme du point de départ des Anglo-Américains doit être

décryptée à partir de la perception de ce qui fonde la spécificité de la civilisation de la Nouvelle-

Angleterre. A ce point, il apparaît clairement que la formation politique, intellectuelle et, voire

même, religieuse20, acquise dans la mère patrie, ne suffit pas quant à donner une indication plus

nette sur le point de départ des Anglo-Américains. Car, nous avons vu avec l’exemple de la Virginie

que le caractère anglais participe à la formation des mœurs de l’état social du Sud. Le même

caractère se trouve au fondement de la formation des mœurs de l’état social du Nord. Cependant, il

y a sous la plume de Tocqueville, pour reprendre ce concept, auquel nous sommes beaucoup

affectionnés, de Trincia, une « distanza » ( « distance ») notoire entre les mœurs du Sud et du Nord.

C’est que, à avoir exercé une influence particulière dans la formation des mœurs de la

Nouvelle-Angleterre s’avère non seulement les Anglais mais encore et surtout les Anglais d’une

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autre espèce. En d’autres termes, le caractère des Anglais seul ne suffit pas quant à définir la nature,

partant, la spécificité voire l’originalité de la civilisation des Anglo-Américains.

Sur la base des témoignages de l’historien des premières années de la colonie de la

Nouvelle-Angleterre, Nathaniel Morton, Tocqueville dédie quelques passages à ces Anglais d’une

autre espèce. Chez eux, se cache la clef de l’énigme du point de départ des Anglo-Américains, dont

nous sommes maintenant à la recherche de la signification. Chez eux, il faut alors la chercher et la

trouver pour pénétrer au mystère dudit point de départ.

Le premier des passages que leur dédie Tocqueville stipule que :

Les émigrants qui vinrent s’établir sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre appartenaient tous aux classes aisées de la mère patrie. Leur réunion sur le sol américain présenta, dès l’origine, le singulier phénomène d’une société où il ne se trouvait ni grands seigneurs, ni peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres, ni riches. Il y avait, à proportion gardée, une plus grande masse de lumières répandues parmi ces hommes que dans le sein d’aucune nation européenne de nos jours. Tous, sans en excepter peut-être un seul, avaient reçu une éducation assez avancée, et plusieurs d’entre eux s’étaient fait connaître en Europe par leurs talents et leurs sciences (T. 19811, 91).

Qu’est-ce qui serait donc au fondement de la singularité que ces autres Anglais ont fait

avoir dès l’origine à leur société ; surtout, quand nous savons aussi bien que le souvenir de la

première société égalitaire de l’histoire nous rapporte à l’antiquité grecque21 ? Le fait fondateur de

cette singularité émergera avec la découverte progressive des révélations de Tocqueville. Il est un

premier point par lequel elle peut déjà bien passer. Celui qu’indique le but même de l’entreprise de

ces hommes, qui les distinguait surtout de tous les autres. Point qui émerge du passage suivant :

Les autres colonies avaient été fondées par des aventuriers sans famille ; les émigrants de la Nouvelle-Angleterre apportaient avec eux d’admirables éléments d’ordre et de moralité ; ils se rendaient au désert accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Mais ce qui les distinguait surtout de tous les autres, était le but même de leur entreprise. Ce n’était point la nécessité qui les forçait d’abandonner leur pays ; ils y laissaient une position sociale regrettable et des moyens de vivre assurés ; ils ne passaient point non plus dans le nouveau monde afin d’y améliorer leur situation ou d’y accroître leurs richesses ; ils s’arrachaient aux douceurs de la patrie pour obéir à un besoin purement intellectuel ; en s’exposant aux misères inévitables de l’exil, ils voulaient faire triompher une idée (T. 19811, 91).

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La spécificité de la nature de ce but s’avère pour autant révélatrice de la spécificité même

de leur caractère intrinsèque, de leur nature dont l’appréhension, en outre et aussi et surtout en plus

du dévoilement de la nature dudit but, conduit à la pénétration du mystère que constitue le point de

départ de la civilisation des Anglo-Américains. L’auteur de Démocratie nous aide naturellement

dans cette pénible odyssée quand, dans son exorde, il enchérit :

Les émigrants, ou, comme ils s’appelaient si bien eux-mêmes, les pèlerins (pilgrims), appartenaient à cette secte d’Angleterre à laquelle l’austérité de ses principes avait fait donner le nom de puritaine. Le puritanisme n’était pas seulement une doctrine religieuse ; il se confondait encore en plusieurs points avec les théories démocratiques et républicaines les plus absolues. De là lui étaient venus ses plus dangereux adversaires (T. 19811, 91).

Ici, nous sommes en présence des pèlerins, des sectaires puritains qui jouissent d’une très

bonne réputation de personnes on ne peut mieux pieuses autant que hautement cultivées – ce qui

leur attirait aussi tant d’adversité – , et à la une des « théories démocratiques et républicaines les

plus absolues ». Théories avec lesquelles se confondait encore en plusieurs aspects leur doctrine

religieuse. Il apparaît clairement qu’il ne s’agit donc pas des Anglais communs ni « des aventuriers

sans famille », fondateurs des colonies du Sud. Une raison qui intensifie naturellement le besoin de

comprendre davantage la signification de leur entreprise, de cette idée qu’ils voulaient faire

triompher à travers le choix de l’exil en Amérique.

Or, stipule Tocqueville :

Persécutés par le gouvernement de la mère patrie, blessés dans la rigueur de leurs principes par la marche journalière de la société au sein de laquelle ils vivaient, les puritains cherchèrent une terre si barbare et si abandonnée du monde, qu’il fût encore permis d’y vivre à sa manière et d’y prier Dieu en liberté (T. 19811, 91).

« Vivre à sa manière et prier Dieu en liberté ». Voilà le motif aussi bien réel que profond

pour lequel les puritains cherchent une terre vierge. Ils trouvèrent cette terre, finalement en 1620,

dans « les côtes arides de la Nouvelle-Angleterre, au lieu où s’élève aujourd’hui la ville de

Plymouth » (T. 19811, 93).

C’est spécialement dans l’esprit de la centaine et demie environ des pèlerins, parmi

lesquels hommes, femmes et enfants (T. 19811, p.93), qui débarquèrent sur ces côtes, que se cache

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en effet le mystère du point de départ, de l’originalité du caractère de la civilisation anglo-

américaine. Et, Tocqueville laisse percevoir leur esprit, dès leur arrivée sur les rivages de la

Nouvelle-Angleterre, à travers les citations22 de Nathaniel Morton, l’historien des premières années

de cette colonie de la Nouvelle-Angleterre.

Sur la première23, Tocqueville fait l’observation suivante : 

Il est impossible de lire ce début sans être pénétré malgré soi d’une impression religieuse et solennelle ; il semble qu’on y respire un air d’antiquité et une sorte de parfum biblique. La conviction qui anime l’écrivain relève son langage. Ce n’est plus à vos yeux, comme aux siens, une petite troupe d’aventuriers allant chercher fortune au-delà des mers ; c’est la semence d’un grand peuple que Dieu vient déposer de ses mains sur une terre prédestinée (T. 19811, 92).

La référence aux termes relevant de la théologie chrétienne, ici, suffit quant à démontrer

l’influence particulière de la religion dans la vie de ces hommes. Une influence qui se répercutera

ensuite explicitement dans tous leurs ouvrages en Nouvelle-Angleterre24. Notamment, dans les

préjugés, les habitudes et les passions dominantes, tout cela même qui constitue le caractère

national ; ou, les passions, les mœurs et les lois. Au plus haut point, dans la législation de la

Nouvelle-Angleterre et dans celle de toutes les autres colonies qui naîtront et se formeront autour de

celle-ci, avant de s’étendre peu à peu sur tout le territoire de l’Union américaine.

Juste pour faire un exemple : à travers le préambule d’une des ordonnances relatives à

l’éducation publique25, tel que Tocqueville qui s’appuie sur le Code of 165026 le démontre, il

apparaît très clairement que le point de départ ou le caractère original de la civilisation anglo-

américaine réside principalement dans la place de choix réservée à la religion dans la formation des

valeurs, par les pères fondateurs de la Nouvelle-Angleterre ; pour dire mieux, par les premiers

législateurs de la nouvelle colonie.

Aussi, estime-t-il, à juste titre, que : « Le lecteur aura sans doute remarqué le préambule

de ces ordonnances : en Amérique, c’est la religion qui mène aux lumières ; c’est l’observance des

lois divines qui conduit l’homme à la liberté » (T. 19811, 101).

A ce point, Tocqueville nous oriente vers le caractère spécial des puritains, indicatif de la

place de choix qu’ils accordent à la religion dans leur vie dont Dieu est à la fois le moteur et la

justification. Cependant, il décline le point de départ des Anglo-Américains dans un extrait digne

d’ultérieures considérations, où il s’avère ni plus ni moins « le produit de deux éléments

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parfaitement distincts » parvenus à une incorporation réciproque comme à une merveilleuse

combinaison : l’esprit de religion et l’esprit de liberté.

Extrait, donc, que voici :

J’en ai déjà dit assez pour mettre en son vrai jour le caractère de la civilisation anglo-américaine. Elle est le produit (et ce point de départ doit sans cesse être présent à la pensée) de deux éléments parfaitement distincts, qui ailleurs se sont fait souvent la guerre, mais qu’on est parvenu, en Amérique, à incorporer en quelque sorte l’un dans l’autre, et à combiner merveilleusement. Je veux parler de l’esprit de religion et de l’esprit de liberté (T. 19811, 103).

Nous ne voulons pas tomber dans ce qui apparaît une déformation pure et simple de la

pensée de Tocqueville en refusant de faire comme Lamberti, dont l’« éminente sagacité

philosophique », pour emprunter l’expression à Auguste Comte27, se laisse aisément percevoir à

travers son ouvrage intitulé Tocqueville et les deux démocraties.

En effet, Lamberti pense que le texte final de Démocratie, dit autrement, la version

imprimée de l’ouvrage de Tocqueville, confondrait ce qu’une simple ébauche avait su pourtant bien

distinguer. Après avoir repris le passage de Démocratie28, à travers lequel Tocqueville évoque voire

mieux précise la nature du point de départ des Anglo-Américains, il écrit :

Or ce résumé a de quoi surprendre si l’on se souvient que dans ses notes de voyage les plus élaborées, Tocqueville considérait comme des éléments distincts de l’origine de l’état social américain, d’une part, « le mélange intime de la religion et de l’esprit de liberté » et, d’autre part, « le point de départ excellent ». Se pourrait-il que le texte final confonde ce qu’une simple ébauche avait su distinguer ? (Lamberti, 1983, 36).

Il faut observer que Tocqueville ne dit pas de ce point départ des Anglo-Américains que

c’est l’esprit de religion ni que c’est l’esprit de liberté. Visiblement, il ne divise pas les deux esprits.

Il n’en dit pas non plus que c’est l’esprit de religion et l’esprit de liberté. Ce qui équivaut à la

somme qu’il ne fait pas de ces deux esprits. Mais, plutôt, qu’il est « le produit » de l’esprit de

religion et l’esprit de liberté. Donc, en quelque sorte, le fruit des deux esprits. Qu’est-ce au fond

que « le point de départ excellent » si ce n’est en tout cas purement et simplement une vague

intuition intellectuelle dont naturellement le produit voire « le mélange intime de la religion et de

l’esprit de liberté » ou le rejeton de l’esprit de religion et l’esprit de liberté indique mieux le

contenu ou avertit le sens profond ? 40

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La structure formelle de l’énoncé de Tocqueville est également révélatrice de cette

appréhension. Les parenthèses qui renferment sa mise en garde29 à propos de ce point de départ dont

il est en train de décliner maintenant la signification viennent immédiatement après le groupe

nominale « le produit ». Dans le cas d’espèce, ce binôme ne désigne en soi ni l’esprit de religion ni

l’esprit de liberté, mais « le mélange intime » des deux. Ce en quoi nous percevons naturellement,

de manière aussi claire, ce qui apparaît simplement une confusion aux yeux de Lamberti30. Dès lors

que cette détermination démontre, après élaboration mieux dernière opération de la raison, la

perception de Tocqueville de ce que chez les puritains le religieux fonde l’esprit, et non seulement.

Mais aussi, il prime sur tout, en dépit du mélange intime de l’esprit de religion et de l’esprit de

liberté qui, par cette perception même de Tocqueville, se décongestionne.

Tocqueville n’aurait pu être encore davantage explicite, à propos de la décongestion de ce

mélange intime dans sa détermination de la nature du point de départ des Anglo-Américains.

Décongestion à travers laquelle l’esprit de religion et l’esprit de liberté sont purement et

simplement perçus comme « deux éléments parfaitement distincts ». Cette distinction fait que les

pèlerins, qui par leur doctrine apparaissent animés de l’esprit de religion, restent aussi autant

profondément attachés aux valeurs libertaires. Et, c’est bien ce qui trouve justification dans le

passage suivant : « Les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre étaient à la fois d’ardents sectaires et

des novateurs exaltés. Retenus dans les liens les plus étroits de certaines croyances religieuses, ils

étaient libres de tous préjugés politiques » (T. 19811, 103). 

Il est une autre observation importante qui porte à la dissipation de cette confusion perçue

puis évoquée par Lamberti, qu’il est nécessaire de la faire, même si elle anticipe en quelque sorte

notre propos dans le prochain chapitre.

De fait, le chapitre IX de la Démocratie de 1835, « Des causes principales qui tendent à

maintenir la république démocratie aux Etats-Unis » (T. 19811, 379-425), que Lamberti mentionne

et auquel il faut se rapporter pour répondre à sa question – « Se pourrait-il que le texte final

confonde ce qu’une simple ébauche avait su distinguer ? » – ne traite pas de l’état social

américain31. A côté de ce que Tocqueville considère « le mélange intime de la religion et de l’esprit

de liberté » dans ces notes de voyage, quant à l’origine de l’état social des Américains, l’excellence

du point de départ, dont il déclinera ensuite la nature ou la signification dans « le texte final », ne

s’agence que parfaitement avec sa classification parmi les « causes accidentelles et providentielles

qui contribuent au maintien de la République démocratique aux Etats-Unis ». Ce chapitre, donc,

concerne la République démocratique et traite des causes principales qui tendent à la maintenir aux

Etats-Unis. Sur ce, nous devons le savoir, Tocqueville nous a transposé pleinement dans le monde

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de la politique. Spécifiquement, dans l’une des deux conséquences politiques de la démocratie – la

souveraineté du peuple – que les Américains, aidés par la fortune, ont choisie et dont également

plusieurs causes concourent au maintien.

En effet, Tocqueville y écrit à propos :

J’ai pensé que toutes les causes qui tendent au maintien de la république démocratique aux Etats-Unis pouvaient se réduire à trois : La situation particulière et accidentelle dans laquelle la Providence a placé les Américains forme la première ; La deuxième provient des lois ; La troisième découle des habitudes et des mœurs (T. 19811, 379).

Au reste, il s’avère une évidence logique si ce n’est pas un fait naturel que les causes de

l’état social américain diffèrent de celles qui maintiennent la République démocratique aux Etats-

Unis. La raison, aussi simple et naturelle, en est que : une fois que l’état social existe, souligne

Tocqueville, on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des

coutumes et des idées qui règlent la conduite des nations (T. 19811, 107). Des lois, des coutumes et

des idées parmi lesquelles figurent naturellement celles dont il est question dans le chapitre IX, mais

qui ne concourent à leur tour d’aucune manière à l’émergence de cet état social américain dont le

point de départ, dit Tocqueville, est le produit de l’esprit de religion et de l’esprit de liberté.

Pour saisir donc la nature de ce point de départ, il faut interroger le groupe nominal « le

produit », auquel Tocqueville se réfère en la définissant. Sollicités par l’idée de vouloir extraire de

son propos le sens de produit, non par celle de vouloir lui en attribuer le nôtre pour ensuite le faire

appliquer à son propos, nous optons pour l’approfondissement de la lecture du texte fini de

Tocqueville.

Les liens les plus étroits de certaines croyances religieuses dans lesquels sont retenus les

fondateurs de la Nouvelle-Angleterre ne les embrigadent aucunement dans le carcan des préjugés

politiques, rappelle Tocqueville. Aussi, poursuit-il : « De là deux tendances diverses, mais non

contraires, dont il est facile de retrouver partout les traces, dans les mœurs comme dans les lois »

(T. 19811, 103).

La définition de Tocqueville du type de rapport qu’entretiennent ces deux tendances

semble bien susceptible de projeter davantage de lumière dans l’appréhension de la nature de ce

mystérieux point de départ de la civilisation américaine. Mais, avant d’arriver à cette définition,

Tocqueville observe d’abord que : « Loin de se nuire, ces tendances, en apparence si opposées,

marchent d’accord et semblent se prêter un mutuel appui » (T. 19811, 104). Un appui mutuel à 42

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travers lequel se dessine visiblement la place que chacune d’elle occupe dans la société dans

laquelle elle se déploie.

La religion voit dans la liberté civile un noble exercice des facultés de l’homme ; dans le monde politique, un champ livré par le Créateur aux efforts de l’intelligence. Libre et puissante dans sa sphère, satisfaite de la place qui lui est réservée, elle sait que son empire est d’autant mieux établi qu’elle ne règne que par ses propres forces et domine sans appui sur les cœurs (T. 19811, 104).

A retenir l’attention dans ce passage de l’auteur de Démocratie serait la place réservée à la

religion, dont elle est satisfaite. Et cette place, nous avons vu, est une place de choix dans la

formation des valeurs en Amérique, dans l’esprit des pères fondateurs de la Nouvelle-Angleterre.

En Amérique, comme stipule Tocqueville, « c’est la religion qui mène aux lumières ; c’est

l’observation des lois divines qui conduit l’homme à la liberté » (T. 19811, 101). Tandis que : « La

liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance,

la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les

mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée » (T. 19811, 104). Et à retenir

l’attention, ici, par contre, serait l’idée que la liberté se fait de la religion dans laquelle elle voit, plus

que tout, « le berceau de son enfance, la source de ses droits ».

Le rapport de l’esprit de religion à l’esprit de liberté s’avère, en dernier ressort, le rapport

de fondement. Celui-là est le fondement de celui-ci. Pour être le fondement de l’esprit de liberté,

l’esprit de religion jouit, chez les puritains, de la primauté et la prépondérance que nous sommes en

droit de prendre pour le produit (accent nôtre) de ces deux tendances, ce dont Tocqueville dit qu’il

« doit sans cesse être présent à la pensée ».

Première conclusion

De ‘L’émergence de la société nouvelle’, il ressort clairement que l’Amérique, à partir des

Etats de la Nouvelle-Angleterre, en particulier, la première colonie de la Nouvelle-Angleterre,

constitue le berceau de la société nouvelle. Une société dont les fondements s’avèrent « les

principes généraux sur lesquels reposent les constitutions modernes, ces principes, que, la plupart

des Européens du XVIIe siècle comprenaient à peine et qui triomphaient alors incomplètement dans

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la Grande-Bretagne » (T. 19811, 99). Des principes que, à la faveur de la primauté ainsi que la

prépondérance de l’esprit de religion sur l’esprit de liberté, tous deux caractéristiques de leur être et

leur mode d’être au monde, les premiers émigrants Anglais, les pèlerins, reconnurent puis fixèrent

par les lois dans la législation de la Nouvelle-Angleterre. Ce phénomène singulier d’une société née

comme sur une table rase ne manquera de marquer le début d’une ère nouvelle pour la démocratie

dont il faut maintenant nous enquérir de la nature et distinguer les conséquences naturelles. Objet du

prochain chapitre.

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DEUXIÈME CHAPITRE

LA NATURE ET LES CONSEQUENCES DE LA DEMOCRATIE

A partir des Etats de la Nouvelle-Angleterre, particulièrement la colonie anglaise de la

Nouvelle-Angleterre, l’Amérique constitue bel et bien le berceau tout à la fois réel, véritable et

effectif, donc historique, de la société nouvelle. Aussi, sous l’excellente plume de Tocqueville, la

configuration essentiellement démocratique de cette société nouvelle saute-t-elle encore

brillamment aux yeux dès le prime abord. Cependant, loin de paraître une forme d’Etat ou de

gouvernement voire un régime politique, au travers de la démocratie américaine, mère de la

démocratie moderne, la démocratie se livre sous la forme d’un état social d’où il peut être tiré,

suivant les circonstances, quelque forme politique propre à son gouvernement. Ce que nous

emploierons à mettre en évidence dans le présent chapitre.

I.- La nature de la démocratie

L’ambivalence de la démocratie apparaît déjà timidement dès les premières lignes de

l’introduction à la Démocratie de Tocqueville à travers notamment, avec ses mots, l’influence

prodigieuse qu’exerce le fait générateur de l’égalité des conditions sur la marche de la société. Et, la

synonymie entre « l’égalité des conditions » et la démocratie saute aussi immédiatement que

parfaitement aux yeux de tout lecteur attentif. D’ailleurs, quoiqu’investissant les domaines du

politique ainsi que du social, « l’influence prodigieuse » de « l’égalité des conditions » ne paraît

qu’indicative de la double fonction de la démocratie. Et, partant, elle ne semble pas ainsi livrer sous

son vrai jour le dualisme démocratique aussi certain. Ce dualisme démocratique s’avère autant plus

profond qu’il peut faire fourvoyer des explorateurs expéditifs. C’est bien ce que nous allons

découvrir ici au travers de cette enquête de la nature de la démocratie moderne.

En effet, dans les deux paragraphes qui ouvrent l’introduction à la Démocratie,

Tocqueville stipulent :

Parmi les objets nouveaux qui, pendant mon séjour aux Etats-Unis, ont attiré mon attention, aucun n’a plus vivement frappé mes regards que l’égalité des

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conditions. Je découvris sans peine l’influence prodigieuse qu’exerce ce premier fait sur la marche de la société ; il donne à l’esprit public une certaine direction, un certain tour aux lois ; aux gouvernants des maximes nouvelles, et des habitudes particulières aux gouvernés. Bientôt je reconnus que ce même fait étend son influence fort au-delà des mœurs politiques et des lois, et qu’il n’obtient pas moins d’empire sur la société civile que sur le gouvernement : il crée des opinions, fait naître des sentiments, suggère des usages et modifie tout ce qu’il ne produit pas (T. 19811, 57).

D’où, il apparaît aussi clairement que cette influence prodigieuse, sur la marche de la

société américaine, de l’objet nouveau qui a plus vivement frappé les regards de Tocqueville,

« l’égalité des conditions », revêt a priori une double portée : politique et sociale. Etant donné que

cette influence s’étend autant sur les mœurs politiques et les lois que sur la société civile.

D’ailleurs, le nouveau monde ne fit pas découvrir à Tocqueville « l’égalité des conditions »

seulement. Outre le fait de « l’égalité des conditions », il lui fit découvrir encore et surtout : la

démocratie. Puisque, devant le spectacle américain, en reportant sa pensée vers l’Europe, il écrit :

« Je vis l’égalité des conditions qui, sans y avoir atteint comme aux Etats-Unis ses limites extrêmes,

s’en rapprochait chaque jour davantage ; et, cette même démocratie, qui régnait sur les sociétés

américaines, me parut en Europe s’avancer rapidement vers le pouvoir » (T. 19811, 57). 

D’où, il apparait encore clairement l’usage synonymique entre « l’égalité des conditions »

et la démocratie32. Un usage, au départ non moins confus33, que Tocqueville ne cessera de faire tout

le long de son introduction à la Démocratie. Cette introduction au travers de laquelle « l’égalité des

conditions », voire donc la démocratie, apparaît nettement comme la destination finale de

l’Humanité, tant sur le plan politique que sur le plan social. Mieux encore, comme le redressement

providentiel de l’ordre naturel. Plusieurs passages de cette introduction démontrent ce propos, en

même temps qu’ils le justifient. Deux sont ceux que nous pouvons reprendre ici à titre d’exemples.

Le premier stipule :

Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l’ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux mêmes qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie, et tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu (T. 19811, 60).

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Et, le second dit : « Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait

providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour

à la puissance humaine ; tous les évènements, comme tous les hommes, servent à son

développement (ibidem).

Dans le premier Tocqueville emploie le terme de « démocratie » tandis que dans le second,

où il évoque le caractère providentiel du fait démocratique, il revient à l’expression par laquelle il

désigne l’objet nouveau qui a plus vivement attiré son attention pendant son séjour américain.

Telle est donc la première déclinaison de l’intuition philosophique de Tocqueville sur la

démocratie. Elle apparaît aussi la plus significative de toutes celles perceptibles à ce point de son

introduction34. La démocratie ne semble désigner ni plus ni moins que « l’égalité des conditions »

dont l’influence prodigieuse couvre à la fois les domaines de la politique et de la société civile.

Inutile de rappeler, en synthétisant le propos de Tocqueville, que « l’égalité des

conditions » ou la démocratie s’avançait rapidement vers le pouvoir en Europe à la faveur de

l’irrésistibilité naturelle dont elle serait investie. Particulièrement, en France où les rois, à l’instar de

Louis XI et Louis XIV, d’une part, et, d’autre part, Louis XV, par leurs talents ou par leurs vices, se

sont montrés autant les plus actifs que les plus constants des niveleurs (T. 19811, 58-60).

Par ailleurs, l’accoutumance à sa terminologie permet de saisir la seconde déclinaison de

son intuition philosophique de la démocratie. Prenons essor des interrogations qui découlent de sa

perception d’« un fait providentiel » dans le fameux « développement graduel de l’égalité des

conditions ». Interrogations ainsi formulées :

Serait-il sage de croire qu’un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d’une génération ? Pense-t-on qu’après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S’arrêtera-t-elle maintenant qu’elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ? (T. 19811, 61)

Tocqueville semble persuadé que « l’égalité des conditions » ou la démocratie relève de

l’ordre divin35. Dans cette logique particulière, dans ce sens spécifique et précis ; somme toute, fort

de cette conviction, Tocqueville pense que : « Vouloir arrêter la démocratie paraîtrait alors lutter

contre Dieu même, et il ne resterait aux nations qu’à s’accommoder à l’état social que leur impose

la Providence » (T. 19811, 61).

De cette affirmation, il ressort aussi clairement que la démocratie apparaît un état de la

société : « l’état social » que la Providence impose aux nations. Mais, si nous poussons loin 47

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l’analyse de son propos, un état dont l’accomplissement requiert la direction des chefs de l’Etat, des

classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus morales de la nation. Une direction qui

fera que cet état social constitue d’abord et avant tout une réalité vivante dans les lois et dans

l’esprit des gens (T. 19811, 62).

Aussi, Tocqueville peut-il scander :

Instruire la démocratie, ranimer s’il se peut ses croyances, purifier ses mœurs, régler ses mouvements, substituer peu à peu la science des affaires à son inexpérience, la connaissance de ses vrais intérêts à ses aveugles instincts ; adapter son gouvernement aux temps et aux lieux ; le modifier suivant les circonstances et les hommes : tel est le premier des devoirs imposé de nos jours à ceux qui dirigent la société (T. 19811, 61-62).

La démocratie ne se livre plus, suivant la première déclinaison de son intuition

philosophique, en termes d’égalité des conditions, mais en termes d’état social. Et, en tant qu’état

social, la démocratie, partant « l’égalité des conditions », en nous rapportant aux premières lignes

de l’introduction de Tocqueville, est un fait en Amérique. Là-bas, certes, elle s’avère opérationnelle

et déploie son influence prodigieuse tant sur la politique que sur la société.

Du champ conceptuel de « l’égalité des conditions », Tocqueville nous transpose dans

celui, en apparence davantage englobant, de « l’état social ». Englobant parce qu’il intègre

également l’aristocratie telle qu’il la décrit36. Cette seconde déclinaison de l’intuition philosophique

de Tocqueville nous permet de comprendre mieux maintenant ce qui doit avoir conduit Pierre

Manent, dans son ouvrage intitulé Tocqueville et la nature de la démocratie, à écrire :

Dès lors, définir la société démocratique par l’état social, par l’égalité des conditions, c’est désigner la racine de ce qui la distingue des autres sociétés de l’histoire européenne, c’est la présenter comme une société qui se fonde sur l’absence de patronage, d’influences familiales tant soit peu fortes et durables, qui se donne pour tâche de vivre et prospérer sans recourir à ce lien social, pour ainsi dire universel avant son avènement, qu’était la prépondérance des optimates, des nobles, des premiers citoyens (Manent, 1993, 25-26).

Aux yeux de cet éminent philosophe français, cette définition apparaît « moins précise et

moins complète » (Manent, 1993, 25). Ce n’est pas pour autant ce que nous inspire directement

Tocqueville qui, tel qu’il ressortira au terme du présent chapitre, ne fournit pas une autre définition

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encore davantage explicite de la démocratie. Notamment, de sa nature et de ses conséquences

naturelles. Puis, dans le chapitre successif, de son principe fondateur.

Alors, « l’égalité des conditions » et « l’état social » constituent le binôme épistémologique

sur la base duquel peut être menée une enquête sérieuse finalisée au décryptage de la nature

véritable de la démocratie moderne. Car, l’extension de « l’influence prodigieuse » de « l’égalité

des conditions » dans la sphère politique, que Tocqueville découvrit, d’une part ; et, dans la société

civile, qu’il reconnut, d’autre part, n’inspire au fond que l’idée de la double fonction de la

démocratie. Fonction à la fois politique et sociale.

Inutile d’insister sur ce que la fonction politique de la démocratie, déductible de l’analyse

de Tocqueville, représente et constitue aux yeux de ses illustres interprètes, à l’instar de Manent,

plus attachés aux faits socio-historiques et politiques qu’à sa philosophie politique, la raison

suffisante pour entrevoir dans sa démocratie une forme d’Etat et de gouvernement. Mais, il s’avère

impérieux de souligner que, dans son introduction à la Démocratie, Tocqueville ne fait pas

explicitement ni implicitement allusion à la démocratie ni comme une forme d’Etat ni comme une

forme de gouvernement. D’ailleurs, les seuls emplois, au total deux (T. 19811, 68 ; 69), qu’il fait du

seul syntagme « forme de gouvernement » ne disposent nullement à penser la démocratie comme

telle.

En effet, se référant aux Américains chez lesquels la grande révolution sociale dont il parle

semble avoir à peu près atteint ses limites naturelles, Tocqueville affirme que : « Je suis très loin de

croire qu’ils ont trouvé la seule forme de gouvernement que puisse se donner la démocratie » (T.

19811, 68). Puis, précisant son but : 

mon but n’a pas été non plus de préconiser telle forme de gouvernement en général ; car je suis du nombre de ceux qui croient qu’il n’y a presque jamais de bonté absolue dans les lois ; je n’ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche me semble irrésistible, était avantageuse ou funeste à l’humanité ; j’ai admis cette révolution comme un fait accompli ou prêt à s’accomplir, et, parmi les peuples qui l’ont vue s’opérer dans leur sein, j’ai cherché celui chez lequel elle a atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d’en discerner clairement les conséquences naturelles, et d’apercevoir, s’il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes (T. 19811, 68-69).

De « telle forme de gouvernement en général », il ne s’agit pas de la démocratie, perçue

comme une forme de gouvernement, ni surtout de la démocratie, telle qu’elle apparaît jusqu’ici,

c’est-à-dire « l’égalité des conditions » ou « état social » d’où, au contraire, il doit sortir une forme 49

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spécifique de gouvernement. Nous le verrons bien dans le point précis qui traite des conséquences

de la démocratie.

Saisir la nature de la démocratie chez Tocqueville, donc, suppose une analyse du rapport de

« l’égalité des conditions » à « l’état social ». L’une comme l’autre apparaît le fait à travers lequel il

suggère, comme il sait le faire, ce qu’il perçoit sous l’appellation de démocratie et dont le

gouvernement37 en Amérique lui a permis non seulement de s’enquérir aussi bien des avantages que

des inconvénients mais, de plus, de la nature profonde ou de l’essence véritable.

L’égalité des conditions et l’état social

Excepté l’allusion expresse dans son introduction à la Démocratie aux syntagmes

« l’égalité des conditions » et « l’état social », l’auteur ne revient plus que sur « l’état social »38

avant qu’il n’aborde le chapitre III intitulé « Etat social des Anglo-Américains » (T. 19811,107-

116). La structure formelle « l’égalité des conditions » restant purement et simplement lettre morte.

Ce chapitre s’ouvre par la définition de « l’état social ». En effet, pour Tocqueville :

L’état social est ordinairement le produit d’un fait, quelquefois des lois, le plus souvent de ces deux causes réunies ; mais une fois qu’il existe, on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes et des idées qui règlent la conduite des nations ; ce qu’il ne produit pas, il le modifie (T. 19811, 107).

Pour peu clairement que cela apparaisse, cette énonciation évoque la nature de « l’état

social » entendu comme « produit » voire mélange de plusieurs choses (fait et ou lois). Elle projette

un éclairage sur ce en quoi il consiste. De plus, elle suggère en quelque sorte la fonction de « l’état

social » dans la société, comme aussi « l’égalité des conditions » exerce son influence sur la marche

de la société. Ces rapprochements ne nous semblent pas de pures coïncidences.

Poursuivant la connaissance de la législation et des mœurs des Américains, Tocqueville

commence par étudier leur état social. Une étude qui ne va pas manquer de lui en révéler le

caractère foncièrement démocratique. Nous sommes encore à l’exorde de ce chapitre III, dans la

première partie intitulé « Que le point saillant de l’état social des Anglo-Américains est d’être

essentiellement démocratique » (T. 19811, 107-115). Après y avoir souligné qu’ : « On pourrait 50

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faire plusieurs remarques importantes sur l’état social des Anglo-Américains, mais il y en a une qui

domine toutes les autres », il affirme : « L’état social des Américains est éminemment

démocratique » (T. 19811, 107).

Mais, que faut-il entendre réellement à travers cette essentialité démocratique de l’état

social des Américains ? Qu’est-ce qui caractérise donc l’état social démocratique ? L’examen de

Démocratie seul nous fera de maître.

En effet, Tocqueville précise l’origine de ce caractère qui remonte aux colonies. Il écrit à

propos : « Il a eu ce caractère dès la naissance des colonies » (T. 19811, 107). Raison pour laquelle

il faut faire une rétrospection sur la condition des premiers émigrants de la Nouvelle-Angleterre,

pour cerner le sens de son discours. Car, nous ne saurions nous limiter à son rappel : « J’ai dit dans

le chapitre précédent qu’il régnait une très grande égalité parmi les émigrants qui vinrent s’établir

sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre » (ibidem). Quand bien même, à travers ce rappel de

Tocqueville, il apparaît explicitement le concept fondamental de l’évocation démocratique de l’état

social des Américains.

Dans le chapitre en question, le chapitre II, « Du point de départ et de son importance pour

l’avenir des Anglo-Américains » (T. 19811, 85-106), Tocqueville stipule que : « La fondation de la

Nouvelle-Angleterre a offert un spectacle nouveau ; tout y était singulier et original » (ibid., 90).

Dès lors que la « réunion sur le sol américain » des premiers émigrants qui vinrent s’établir sur les

rivages de la Nouvelle-Angleterre, « présenta, dès l’origine, le singulier phénomène d’une société

où il ne se trouvait ni grands seigneurs, ni peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres, ni riches (ibid., 91).

Les pères fondateurs de la colonie de la Nouvelle-Angleterre, ne l’oublions pas, « appartenaient

tous à cette secte d’Angleterre à laquelle l’austérité de ses principes avait fait donner le nom de

puritaine. » Or, écrit Tocqueville : « Le puritanisme n’était pas seulement une doctrine religieuse ; il

se confondait encore en plusieurs points avec les théories démocratiques et républicaines les plus

absolues (ibidem). Aussi, ces pèlerins furent-ils imprégnés de telles théories. Voilà pourquoi, stipule

l’auteur de Démocratie :

A peine débarqués sur ce rivage inhospitalier, (…), le premier soin des émigrants est donc de s’organiser en société. Ils passent immédiatement un acte qui porte : « Nous, dont les noms suivent qui, pour la gloire de Dieu, le développement de la foi chrétienne et l’honneur de notre patrie, avons entrepris d’établir la première colonie sur ces rivages reculés, nous convenons dans ces présentes, par consentement mutuel et solennel, et devant Dieu, de nous former en corps de société politique, dans le but de nous gouverner et de travailler à l’accomplissement de nos desseins ; et en vertu de ce contrat, nous convenons

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de promulguer des lois, actes, ordonnances, et d’instituer, selon les besoins, des magistrats auxquels nous promettons soumission et obéissance (T. 19811, 94).

Et, en fonction de ce qui se produisait en Europe, notamment en Angleterre sous Charles

1er, nous rappelle-t-il ensuite :

La population de la Nouvelle-Angleterre croissait rapidement, et, tandis que la hiérarchie des rangs classait encore despotiquement les hommes dans la mère patrie, la colonie présentait de plus en plus le spectacle nouveau d’une société homogène dans toutes ses parties. La démocratie, telle que n’avait point osé la rêver l’antiquité, s’échappait toute grande et toute armée du milieu de la vieille société féodale (T. 19811, 94-95).

D’autres émigrants, appartenant à la grande famille des puritains, qui vinrent après les

premiers, qui fondèrent la Nouvelle-Angleterre, firent de même. Ainsi que Tocqueville le souligne

en une note de bas page (T. 19811, 94). C’est le cas de : ceux qui créèrent l’Etat de Rhode Island en

1638, ceux qui s’établirent à New Haven en 1637 ; comme celui des premiers habitants du

Connecticut en 1639, et des fondateurs de Providence en 1640.

Malgré la disparition de l’expression « l’égalité des conditions » de son propos,

Tocqueville la laisse tout de même entendre et percevoir dans la description de la situation d’origine

de l’état social des Anglo-Américains au travers des formules aussi révélatrices comme : « une

société où il ne se trouvait ni grands seigneurs, ni peuple, et, pour ainsi dire, ni riches, ni

pauvres » ; « une société homogène dans toutes ses parties ». Notamment, en opposition avec la

classification despotique par la hiérarchie des rangs dans la mère patrie ; en opposition nette avec

l’aristocratie.

Ce propos trouve une justification plausible dans la synthèse de l’analyse de Tocqueville

de cette condition de la société nouvelle sous l’initiative des puritains, à travers laquelle il s’en

appelle au terme même de « démocratie » : « La démocratie, telle que n’avait point osé la rêver

l’antiquité, s’échappait toute grande et toute armée du milieu de la vieille société féodale. » Ainsi,

ce en quoi consiste le caractère démocratique de l’état social se résume dans l’absence de toute

hiérarchisation des rangs sociaux ; dans une sorte d’égalité des différentes catégories ou classes

constitutives de la société. D’où il apparaît que la spécificité de l’état social démocratique réside

naturellement dans l’égalité des conditions, cette « très grande égalité » dont parle Tocqueville et

qui régnait, dit-il, parmi les émigrants qui vinrent s’établir sur le rivage inhospitalier de la Nouvelle-

Angleterre.

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L’égalité des conditions constitue la forme que prend l’état social ; elle représente la

structure profonde de l’état social, son contenu effectif. Mieux, elle est la traduction de la substance

sociale qui fait dire de l’état social qu’il est foncièrement démocratique. La démocratie ainsi perçue

par Tocqueville ne désigne pas un régime politique, c’est-à-dire une forme d’Etat ou de

gouvernement. Bien plus encore, elle indique un état social caractérisé par l’égalité des conditions.

Elle s’avère un état social égalitaire.

Cette très grande égalité donc qui régnait parmi les premiers émigrants des Etats de la

Nouvelle-Angleterre accomplira son dernier pas dans l’Union, après le révolution, avec les lois.

Particulièrement, avec la loi sur la succession, à en croire Tocqueville (T. 19811, 108).

Abordant le chapitre III, « Etat social des Anglo-Américains » (T. 19811, 107-116),

Tocqueville évoque l’évolution de cette très grande égalité. Il montre comment elle a traversé, en

Amérique, dans le temps et dans l’espace, tous les domaines de la vie sociétale. D’ailleurs, il relève

l’insignifiance de l’élément aristocratique « toujours faible depuis sa naissance » en territoire

américain où, de nos jours, observe-t-il, il « est sinon détruit, du moins affaibli, de telle sorte qu’il

est difficile de lui assigner une influence quelconque dans la marche des affaires (ibid., 114). Aussi,

ne peut-il conclure son évocation qu’affirmant que :

L’Amérique présente donc, dans son état social, le plus étrange phénomène. Les hommes s’y montrent plus égaux par leur fortune et par leur intelligence, ou, en d’autres termes, plus également forts qu’ils ne le sont dans aucun pays du monde, et qu’ils ne l’ont été dans aucun siècle dont l’histoire garde le souvenir (T. 19811, 115).

A ce niveau de notre étude, l’ambivalence de la démocratie, que pourtant nous avons

annoncée dès le début du présent chapitre, n’apparaît pas. Cette absence ne relève pas seulement du

style de Tocqueville qui pense beaucoup de choses en même temps, sous divers aspects, et, ne peut

les déverser à la fois et au même endroit. Mais, encore et surtout, de cette chose-là même qu’est la

démocratie qui, en dernier ressort, se livre à son intuition philosophique sous la forme apparente et

évidente de l’état social égalitaire.

C’est que la démocratie, sous l’influence du caractère original des pères fondateurs de la

société américaine, les pèlerins, se livre sous la forme à la fois original et univoque de l’état social

égalitaire. En ce sens, nous pouvons dire avec Manent qu’: « Il s’agit donc d’une expérience

politique, menée en pleine connaissance de cause par des individus particulièrement entreprenants,

compétents et doués » (Manent, 1993, 10). De là, nous ne déduirons pas précipitamment

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l’imprécision ni le caractère incomplet de la définition de la démocratie, selon lui : par l’état social

ou par l’égalité des conditions. Car, Manent ne paraît pas ici jouer franchement en parlant de

définition par l’état social ou par l’égalité des conditions et de définition par la souveraineté du

peuple. Termes que nous tirons du premier chapitre, « La définition de la démocratie » (ibid., 13-

28), de son Tocqueville et la nature de la démocratie ; notamment, dans le passage suivant :

Nous comprenons à ce point pourquoi Tocqueville ouvre sa présentation de la démocratie américaine en la définissant par l’état social, définition qui nous avait paru moins précise, moins complète que la définition par la souveraineté du peuple. Il est vrai que cette définition par l’état social est moins précise et moins complète ; mais elle nous conduit plus directement à ce qui distingue la société démocratique de toutes les autres sociétés, à sa différence spécifique (Manent, 1993, 24-25). 

De notre analyse de Démocratie, il résulte que ‘l’état social’ est une notion vide. Par

conséquent, elle ne définit pas la démocratie comme elle ne définit pas aussi l’aristocratie, par

exemple. Nous y voyons pour autant une par laquelle Tocqueville parvient avec habilité à définir la

démocratie. D’ailleurs, l’égalité des conditions qui, comme nous venons de voir, est un contenu de

l’état social, donne une signification, un sens, à cette notion en soi vide, pour définir un type

particulier de société : la société démocratique. D’où, il résulte évidemment que la définition de la

démocratie par l’état social, tout court, apparaît justement moins précise, moins complète. Mais, ce

n’est pas ce que Manent entend réellement à travers l’expression « définition par l’état social » de la

démocratie. Bien au contraire, il sous-entend l’état social égalitaire. Car, en rapport avec la

démocratie, l’état social signifie l’égalité des conditions, selon lui. Ce qui veut dire que définir la

démocratie par l’une ou l’autre expression revient au même. Alors, nous sommes loin de

Tocqueville. Par contre, définir la démocratie par l’égalité des conditions, ce qui n’est point du tout

le faire simplement par l’état social, ne nous apparaît pas aussi moins précis ni moins complète qu’il

le souligne. Il est lieu de dire que la définition de la démocratie par l’égalité des conditions, donc

dire que la démocratie est un état social égalitaire, est d’autant plus fondamentale et précise qu’elle

désigne la racine de ce qui la distingue des autres sociétés de l’histoire de l’humanité.

Aussi, si l’initiative des pèlerins s’avère une expérience politique, cette expérience a eu

pour effet la formation d’une société politique fondée sur une base nouvelle, égalitaire ou

démocratique. Elle n’eut pas pour effet la mise en pratique de l’expérience démocratique antique de

la participation politique du citoyen, avec toutes les restrictions imposées par la notion de

« citoyen » dans la culture grecque antique. Le génie des premiers émigrants de la Nouvelle-

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Angleterre consiste notamment dans le fait qu’ils ont réussi à créer une société politique sur une

base sur laquelle aucune société dans l’histoire de l’humanité ne fut jusqu’alors fondée.

La difficulté majeure à admettre cette définition de la démocratie de Tocqueville tient du

refus d’acceptation d’une évidente rupture non plus seulement théorique mais encore et surtout

sociohistorique dont les pères fondateurs des Etats-Unis sont d’excellents pionniers. Une rupture

théorique et socio-historique qui appelle « une science politique nouvelle à un monde tout

nouveau » (T. 19811, 62).

Des deux déclinaisons de l’intuition philosophique de Tocqueville sur la démocratie, il

n’apparaît pas qu’elle désigne particulièrement ni surtout principalement une forme d’Etat ni une

forme de gouvernement. Pourtant, il apparaît clairement que la démocratie a plutôt besoin d’un

gouvernement, pour être dirigée vers « d’heureux achèvements » (Mill, 1994, 53). Le point suivant

est une analyse finalisée à la découverte des formes politique à travers lesquelles la démocratie peut

être gouvernée. Mais, permettant un approfondissement de l’enquête sur la nature de la démocratie,

il ne manquera pas d’illuminer l’esprit sur son ambivalence énoncée.

II.- Les conséquences de la démocratie

Au nombre des raisons qui ont conduit Tocqueville à examiner l’Amérique figure, en

premiers rangs, le besoin intellectuel de discerner clairement les conséquences naturelles de la

révolution sociale qui a atteint, sur le sol américain, le développement le plus complet et le plus

paisible39. Cette même révolution, la démocratie, qui, en France, « gênée dans sa marche » si ce

n’est purement et simplement « abandonnée sans appui à ses passions désordonnées », observe

savamment Tocqueville (T. 19811, 66), « a renversé tout ce qui se rencontrait sur son passage,

ébranlant ce qu’elle ne détruisait pas ». Pourtant elle est génératrice d’effets naturels, aussi d’une

grande portée politique, auxquels l’auteur de Démocratie consacre la seconde partie de son analyse

de l’« Etat social des Anglo-Américains », qu’il intitule : « Conséquences politiques de l’état social

des Anglo-Américains » (ibid., 115-116).

Définissant l’état social, Tocqueville dit que celui-ci peut être considéré, dans une certaine

mesure, aussi, « comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes et des idées qui

règlent la conduite des nations » (T. 19811, 107). En tant que telle, celui-ci ne peut ne pas avoir ni

ne pas produire une conséquence propre, inhérente à sa nature. Ainsi, en effet, de l’état social 55

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égalitaire, à l’instar de celui des Anglo-Américains, dont nous cherchons à ce point précis de notre

travail à saisir et dégager les conséquences politiques, à travers les pertinentes analyses de

Tocqueville.

En effet, abordant les « Conséquences politiques de l’état social des Anglo-Américains »,

le second point de son analyse de leur état social, Tocqueville commence par faire l’observation

suivante : « Les conséquences politiques d’un pareil état social sont faciles à déduire » (T. 19811,

115). Cette facilité quant à déduire les conséquences politiques de l’état social démocratique

n’implique pas pour autant la connaissance a priori de ces conséquences. Pour parvenir à leur

appréhension, il faut suivre Tocqueville dans son développement narratif. La finesse de sa vue ainsi

que la puissance de pénétration que possède son esprit, de son objet d’enquête, semblent

caractéristiques de son langage, pour ainsi dire, très banalisant autour des sujets pourtant délicats.

selon Tocqueville, les conséquences politiques de l’état social égalitaire, à l’instar de celui

des Anglo-Américains, s’inscrivent dans la logique de l’évolution naturelle, providentielle. Aussi,

pense-t-il, qu’ : « Il est impossible de comprendre que l’égalité ne finisse pas par pénétrer dans le

monde politique comme ailleurs. On ne saurait concevoir les hommes éternellement inégaux entre

eux sur un seul point, égaux sur les autres ; ils arriveront donc, dans un temps donné, à l’être sur

tous » (T. 19811, 115).

Pour le dire autrement, mais également avec ses propres mots, l’égalité des conditions ou

la démocratie, qui définit non pas un régime politique mais un état social, est destinée à s’introduire

dans le monde politique. De quelle manière ? A cette question, Tocqueville répond par une

alternative. Car, il dit, « je ne sais que deux manières de faire régner l’égalité dans le monde

politique : il faut donner des droits à chaque citoyen, ou n’en donner à personne » (T. 19811, 115).

Et, de se montrer encore davantage explicite dans le passage suivant, où il définit la forme que peut

prendre cette égalisation politique des droits : « Pour les peuples qui sont parvenus au même état

social que les Anglo-Américains, il est donc très difficile d’apercevoir un terme moyen entre la

souveraineté de tous et le pouvoir absolu d’un seul » (ibidem).

Tocqueville ne semble pas exclure la possibilité de quelque autre terme, qui soit différent

des deux qu’il vient ici de spécifier. Seulement aussi différent qu’il peut paraître, ce terme n’aura

rien à avoir avec « la souveraineté de tous » ni « le pouvoir absolu d’un seul », puisqu’il ne

découlerait pas, de fait, d’un état social pareil à celui des Anglo-Américains, c’est-à-dire de l’état

social démocratique. Pour ceux « qui sont parvenus au même état social que les Anglo-

Américains », point n’est besoin de nous mettre martels en tête, Tocqueville entrevoit et distingue

tout à la fois nettement et clairement deux possibilités, qu’il présente aussi sous la forme d’une

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disjonction stricte. Cependant, il prend le soin d’avertir sur une difficulté qui suffit quant à

dissuader quiconque pense que ce passage de l’état social démocratique à l’une et l’autre

conséquences paraît aisé : « Il ne faut point se dissimuler que l’état social que je viens de décrire ne

se prête presque aussi facilement à l’une et à l’autre de ses deux conséquences » (T. 19811, 115).

Tocqueville évoque les raisons de sa judicieuse mise en garde à partir de son expérience,

mieux, sa connaissance de la nature humaine en relation avec l’égalité pour laquelle celle-ci

éprouve « une passion mâle et légitime », d’une part, et, d’autre part, « un goût dépravé ». Si « cette

passion tend à élever les petits au rang des grands » parce qu’elle « excite les hommes à vouloir être

tous forts et estimés » ce « goût dépravé », par contre, porte « les faibles à vouloir attirer les forts à

leur niveau » et réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté,

stipule-t-il (T. 19811, 115). Cette excursion le conduit aussi naturellement à spécifier le rapport des

peuples, dont l’état social est démocratique, à la liberté. Une spécification qu’il fait en ces termes :

Ce n’est pas que les peuples dont l’état social est démocratique méprisent naturellement la liberté ; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n’est pas l’objet principal et contenu de leur désir ; ce qu’ils aiment d’un amour éternel, c’est l’égalité ; ils s’élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s’ils manquent le but, ils se résignent ; mais rien ne saurait les satisfaire sans l’égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu’à la perdre (T. 19811, 115-116).

Par ailleurs, il ne manque pas de relever ce qu’il convient de considérer, en rapport avec la

logique même de son analyse, comme un inconvénient inhérent à l’égalité quant au sort de la liberté

en cas d’agressions du pouvoir. Particulièrement, à l’égalité largement partagée parmi les citoyens.

D’où il découle que la garantie de la liberté reste suspendue à une très rare combinaison des forces

individuelles. Aucun d’entre les citoyens n’étant alors assez fort pour lutter seul avec avantage. En

effet, reprenons-le :

D’un autre côté, les citoyens sont tous à peu près égaux, il leur devient difficile de défendre leur indépendance contre les agressions du pouvoir. Aucun d’entre eux n’étant alors assez fort pour lutter seul avec avantage, il n’y a que la combinaison des forces de tous qui puisse garantir la liberté. Or, une pareille combinaison ne se rencontre pas toujours (T. 19811, 116).

C’est que, ainsi que Emile Mireaux le note si bien :

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Tocqueville se garde bien de confondre, comme on a parfois tendance à le faire, démocratie et liberté. Il pense au contraire qu' « il est de l'essence même des gouvernements démocratiques que l'empire de la majorité y soit absolu ». Et le spectacle de la jeune démocratie américaine n'a fait que le confirmer dans sa conviction et dans ses craintes. Car ce descendant d'aristocrates et de parlementaires jaloux de leurs privilèges qu'ils appelaient leurs « libertés » croit de toute son âme que la toute-puissance est en soi une chose mauvaise : « Je ne vois, dit-il, que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant » (Mireaux, 1959).

En dépit des dangers que court la liberté dans un régime social démocratique, au terme des

considérations susmentionnées, mais, aussi et surtout, sensiblement en rapport avec le choix

politique des Américains, Tocqueville affirme que : « Les peuples peuvent donc tirer deux grandes

conséquences politiques du même état social : ces conséquences diffèrent prodigieusement entre

elles, mais elles sortent toutes deux du même fait » (T. 19811, 116). Il s’agit, comme il est apparu

déjà assez clairement jusqu’ici, de la souveraineté de tous et du pouvoir absolu d’un seul. La

formulation classique de ces deux formes politiques de gouvernement40 émerge dans le constat

suivant : « Soumis les premiers à cette redoutable alternative que je viens de décrire, les Anglo-

Américains ont été assez heureux pour échapper au pouvoir absolu. Les circonstances, l’origine, les

lumières, et surtout les mœurs, leur ont permis de fonder et de maintenir la souveraineté du peuple »

(T. 19811, 116).

Suivant cette formulation, dirons-nous donc, avec beaucoup plus d’exactitude : la

souveraineté du peuple et le pouvoir absolu.

Les deux variantes politiques de la démocratie

Il est clair que Tocqueville perçoit naturellement dans les deux conséquences politiques de

la démocratie, les deux formes politiques de gouvernement, à savoir la souveraineté du peuple et le

pouvoir absolu : deux variantes politiques de la démocratie. Notamment, en vertu du fait que l’une

et l’autre constituent les deux manières de faire régner l’égalité dans le monde politique.

Les premiers que la Providence a soumis à l’épreuve d’un choix aussi radical, en tout cas

non moins crucial, entre la souveraineté du peuple, d’une part, et le pouvoir absolu, de l’autre, ont

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adopté celle-là au mépris de celui-ci. Aussi, pensons-nous avoir trouvé ici le sens tout à la fois

profond et véritable au travers duquel il convient de comprendre justement la notion de

« démocratie politique » dont la tradition identifie l’origine dans la pensée politique de Tocqueville,

notamment en opposition avec la notion de « démocratie sociale ». Particulièrement, référence à

Manent, Lamberti et, voire, Furet, en matière de philosophie politique ; et, référence à Sartori et

Dahl, en matière de politologie ou de science politique.

De notre analyse de Démocratie, il ressort que ce sont bien là deux incomparables ; la

démocratie politique ne peut pas se donner en opposition réelle à la démocratie sociale. Etant donné

qu’elle s’avère non seulement une émanation de cette dernière mais, de plus, ambivalente. Ce, donc,

aussi bien en principe qu’en fait. Puisque, suivant la logique même de la pensée de l’auteur de

Démocratie, se livrant sous la forme de pouvoir souverain, la démocratie politique va déterminer

indifféremment le pouvoir du peuple, d’une part, ou, d’autre part, celui d’un seul homme. D’où il

faudrait spécifier chaque fois lequel des deux pouvoirs on entend réellement et exactement

lorsqu’on oppose à la démocratie sociale cette démocratie politique.

Aussi radicale qu’absurde que puisse apparaître notre lecture de la philosophie politique de

Tocqueville, en ce qui concerne la démocratie, n’empêche cependant qu’elle fonde ses racines dans

la pensée même de Tocqueville. Telle que cette pensée est déployée suivant sa double structure,

formelle et profonde, dans Démocratie où notre interprétation trouve aussi bien solide ancrage et

plausible justification.

Un regard rétrospectif, mais non rétrograde, dans l’introduction de Tocqueville à la

Démocratie nous permettra de faire observer ce qui en émerge notamment en rapport avec la forme

de gouvernement, devant le chaos qui se produisait alors en Europe, particulièrement en France.

Chaos engendré par la marche irrésistible de l’égalité dont Tocqueville est en train de décrire les

différentes phases évolutives, jusque dans les minimes détails.

Il s’avère alors un fait que l’auteur de Démocratie a une croyance sur l’avenir des nations

européennes. En effet, Tocqueville croit que : « Dieu prépare aux sociétés européennes un avenir

plus fixe et plus calme » (T. 19811, 68) que la confusion41 à laquelle il assiste ; dont il est forcé

d’être témoin. Avec, et comme lui, ses pairs. Cette fixité et ce calme de l’avenir que Dieu prépare

aux sociétés européennes consistent dans la nature d’un état social apaisé, équilibré, moins

susceptible de troubles. Partant, un état social démocratique. Raison pour laquelle, Tocqueville

exprime ainsi sa conviction sur l’avenir de l’état social des nations européennes, en l’occurrence la

nation française : « Il me paraît hors de doute que tôt ou tard nous arriverons, comme les

Américains, à l’égalité presque complète des conditions » (ibidem). Mais aussi, pour cette même

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raison, il s’empresse à spécifier que : « Je ne conclus point de là que nous soyons appelés un jour à

tirer nécessairement, d’un pareil état social, les conséquences politiques que les Américains en ont

tirées » (ibidem). Dès lors que, pour reprendre François Furet qui ne croirait pas avoir bien fait

d’évoquer Drescher (1968), « on peut supposer un peuple démocratique organisé d’une autre

manière que le peuple américain » (ibid., 15).

Cette hypothèse trouve, en effet, une justification tangible dans l’affirmation suivante de

Tocqueville : « Je suis très loin de croire qu’ils aient trouvé la seule forme de gouvernement que

puisse se donner la démocratie ; mais il suffit que dans les deux pays la cause génératrice des lois et

des mœurs soit la même, pour que nous ayons un intérêt immense à savoir ce qu’elle a produit dans

chacun d’eux » (T. 19811, 68).

Alors, quelle hypothèse logique pourrions-nous légitimement déduire de cette révélation de

Tocqueville qui non seulement tranche sur la nature de la démocratie mais aussi ne laisse si tant

perplexe quant à la forme de gouvernement qu’il préconise pour les sociétés européennes, en

particulier la société française ? Dans son traitement des conséquences politiques de l’état social

égalitaire, Tocqueville emploie davantage le terme « égalité » pour désigner la démocratie. Ainsi les

deux manières de faire régner l’égalité, donc la démocratie, dans le monde de la politique sont

perçues comme autant deux variantes politiques de la démocratie. Aussi, serait-il sans détour ni

affectation, dans l’optique tocquevillienne, erroné : vouloir considérer une seule de ces deux

manières d’introduire l’égalité dans le monde de la politique comme : la démocratie. Pourtant, c’est

bien là la réalité à laquelle nous sommes confrontés sous les voix et la plume de critiques avérés.

De l’égalité des conditions ou de l’état social démocratique ou encore de la démocratie,

Tocqueville pense que les peuples peuvent tirer deux, puis exclusivement deux, grandes

conséquences politiques. Devant cette redoutable alternative, nous apprend Tocqueville, les

Américains ont pu fonder et maintenir la souveraineté du peuple. Et, s’il est très loin de croire que

les Américains aient trouvé par-là effectivement la seule forme de gouvernement que puisse se

donner la démocratie et ne conclut point que du même état social que le leur les sociétés

européennes, celle française en particulier, ne soient appelées un jour à tirer nécessairement les

mêmes conséquences politiques que les Américains ont tirées, alors il apparaît tout aussi clairement

que l’auteur de Démocratie pense, lui, ipso facto, à une autre forme de gouvernement. Or, suivant

les termes mêmes de l’analyse de Tocqueville, il ne peut s’agir que de celui qui se donne en

alternative à la souveraineté du peuple ; donc, précisément, le pouvoir absolu. Etant entendu que de

l’état social démocratique, les peuples ne peuvent tirer que l’une ou l’autre. Sur cet aspect de son

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analyse, l’auteur de Démocratie s’avère à la fois très clair et très précis. Notre perception trouve une

confirmation chez Lamberti, tout en confirmant également la sienne.

En effet, au chapitre IV, « Le gouvernement démocratique » (Lamberti, 1983, 123-154), de

son ouvrage intitulé Tocqueville et les deux démocraties, aussi bien pour sa part qu’à sa manière, J.-

C. Lamberti écrit :

Tocqueville n’a jamais pensé que la France de 1830 devait adopter des institutions à l’américaine. Comme Montesquieu, il pensait que les institutions politiques n’avaient pas de valeur absolue mais seulement par rapport aux mœurs, à l’état social et aux circonstances particulières à chaque peuple. « Je vois réussir ici, écrivait-il à son père en juin 1831, des institutions qui bouleverseraient infailliblement la France (Lamberti, 1983, 132).

D’ailleurs, il nous vient de trouver d’autres éléments en appui de notre perception dans son

évocation du but de la seconde façon de lire la Démocratie que, dit-il, le texte et la correspondance

de l’auteur suggèrent également. Après avoir stipulé que cette œuvre de Tocqueville peut être lue de

deux façons et, esquissé la première que dessine l’auteur lui-même dans une lettre à son père, il

écrit :

Une seconde lecture vise à dégager de l’expérience américaine des leçons utilisables pour la France. C’est celle qu’encourageait Tocqueville, lorsqu’il écrivait l’introduction de la Démocratie en Amérique, et plus encore lorsqu’il rédigeait l’avertissement de la douzième édition en 1848 : « Ne tournons pas nos regards vers l’Amérique pour copier servilement les institutions qu’elle s’est données, mais pour mieux comprendre celles qui nous conviennent, moins pour puiser des exemples que des enseignements ». Il est vrai qu’en ce temps-là, les institutions américaines, après une longue éclipse, intéressaient à nouveau les Français. Mais, alors même que la Monarchie de Juillet semblait stabilisée, il y avait des leçons à tirer de l’expérience américaine, et, selon Tocqueville, dans l’intérêt même du régime (Lamberti, 1983, 132-133).

Bien évidemment, régime qui eut du offrir l’alternative à l’option américaine de la

souveraineté du peuple une fois assis réellement, dans l’esprit de Tocqueville, sur « une base plus

démocratique » (T. 19812, 370). De cette manière, en effet, nous aurions eu un intérêt immense à

savoir ce que la démocratie a produit en Amérique et en Europe, à partir de la France, selon l’avis

même cet homme plein de noblesse, de charme et de sagacité qui n’eut pour fin que de faire naître

et d’entretenir la foi démocratique dans l'esprit de beaucoup de personnes distinguées et de

condition relevée, en croire A. Redier (1925). Aussi, au lieu de chercher à savoir si Tocqueville était

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libéral ou qu’il ne l’était pas, nous nous contenterons de savoir d’abord et avant tout ce qu’il était, et

démontre de l’avoir été par son côté moralisateur de la démocratie dont il ne pouvait en tout cas, par

noblesse d’esprit, se passer : un démocrate générique, forcé par la conviction de la victoire du

principe démocratique. Même si, ainsi que Alain Laquièze le souligne, « il s’en fait le critique

sévère » (Laquièze, 2008). Bon gré mal gré.

En outre, l’avis de Tocqueville sur le passage au pouvoir aux Etats-Unis des fédéralistes42,

avant la nomination de Thomas Jefferson au poste de président lorsque les républicains

s’emparèrent finalement du gouvernement en 1801 (T. 19811, 258-259), paraît révélateur de ses

penchants cachés en faveur de la restriction ou du resserrement de l’usage de la puissance publique

ou du pouvoir populaire. Pour le dire en d’autres termes, ses penchants en faveur du pouvoir absolu

qui, comme la souveraineté du peuple, ne constitue naturellement qu’une manière de distribution

égalitaire des droits à tous les citoyens. Ici, avec l’exception que cette distribution se fait par

privation. Pour Tocqueville :

Le passage des fédéralistes au pouvoir est, à mon avis, l’un des évènements les plus heureux qui aient accompagné la naissance de la grande union américaine. Les fédéralistes luttaient contre la pente irrésistible de leur siècle et de leur pays. Quelle que fût la bonté ou le vice de leurs théories, elles avaient le tort d’être inapplicables dans leur entier à la société qu’ils voulaient régir ; ce qui est arrivé sous Jefferson serait donc arrivé tôt ou tard. Mais leur gouvernement laissa du moins à la nouvelle république le temps de s’asseoir, et lui permit ensuite de supporter sans inconvénient le développement rapide des doctrines qu’ils avaient combattues. Un grand nombre de leurs principes finit d’ailleurs par s’introduire dans le symbole de leurs adversaires ; et la constitution fédérale, qui subsiste encore de notre temps, est un monument durable de leur patriotisme et de leur sagesse (T. 19811, 259). 

Dès lors, la question qu’il faut plutôt se poser, et pour laquelle il faudrait chercher

nécessairement la réponse chez Tocqueville, doit porter sur ce qui caractérise ‘son pouvoir absolu’,

aussi démocratique que la souveraineté populaire ; ce en quoi il consiste réellement. Car, aux yeux

de Tocqueville, la souveraineté du peuple et le pouvoir absolu se valent. Non seulement en ce qui

concerne leur commune origine – l’une et l’autre proviennent d’une même source – , mais aussi en

ce qui touche naturellement leur fin dernière, à savoir justement : l’introduction ou la pénétration de

l’égalité ou la démocratie dans le monde politique. Ce qui représente effectivement un véritable

tabou dans les nations ayant un état social inégalitaire.

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III. Des deux démocraties chez Tocqueville 

L’analyse des conséquences politiques de l’état social égalitaire nous a conduit au bout du

compte, inéluctablement, à la perception de la politisation de la démocratie ; en clair, la pénétration

dans le monde de la politique de la démocratie. Politisation, ou pénétration, qui se fait par la voie de

la souveraineté du peuple ou celle du pouvoir absolu. Ainsi, il se dévoile ici plutôt nettement

l’ambivalence de la démocratie annoncée au premier point du présent chapitre. Cette ambivalence

démocratique est descriptive des deux visages de l’égalité en politique sans compromettre pour

autant aussi bien l’originalité que l’univocité de l’égalité première, l’égalité des conditions,

connaturelle à la société démocratique. Telle est substantiellement notre ligne de lecture de la

philosophie politique de Tocqueville.

Si ce dualisme de la démocratie que nous suggère Tocqueville semble bien proche des

deux démocraties, américaine et française, que livre de manière aussi savante Lamberti à travers

Tocqueville et les deux démocraties, il s’avère cependant très loin de « cette dualité réelle », du

reste illusoire, de la démocratie comme état social, d’une part, et, d’autre part, institution politique.

Une dualité réelle à laquelle se réfère Manent dans Tocqueville et la nature de la démocratie. Pour

pouvoir appréhender la teneur de la ligne de lecture de la philosophie politique de Tocqueville que

nous inspire son ouvrage Démocratie, ce n’est qu’en lui qu’il faut plonger le regard. Mais, pour

paraphraser Tocqueville43, en prenant bonnement le soin de chercher de soumettre notre pensée

voire nos idées et les faits au texte au lieu d’adapter le texte à notre pensée ou nos idées et aux faits.

Il ne résulte aucunement de notre exploration de Démocratie que Tocqueville cache son

idée sur cette « grande révolution démocratique » qui s’opère en Europe. D’ailleurs, comptant au

nombre de ceux qui « la jugent irrésistible, parce qu’elle leur semble le fait le plus continu, le plus

ancien et le plus permanent que l’on connaisse dans l’histoire » (T. 19811, 57-58), il affirme avoir

« admis cette révolution comme un fait accompli ou prêt à s’accomplir » (ibid., 69). N’oublions pas

que pour Tocqueville cette révolution sociale est un fait providentiel44.

De la fondation suivie de l’extension du pouvoir politique du clergé qui, ouvrant ses rangs

ou les portes de l’Eglise à tous, marque le premier pas de la pénétration de l’égalité au sein du

gouvernement, d’une part, à l’achat au XIIIe siècle, notamment en 1270, de l’anoblissement qui, par

le biais même de l’aristocratie, scelle l’introduction dans le gouvernement de cette égalité (T. 19811,

58-59), de l’autre, Tocqueville ne fait que mettre en évidence l’irrésistibilité de cette grande

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révolution dont le résultat final s’avère « le nivellement universel » (ibid., 59). Mais, il est un pays

au monde où cette grande révolution démocratique, sociale, dit Tocqueville : « semble avoir à peu

près atteint ses limites naturelles ; elle s’y est opérée d’une manière simple et facile, ou plutôt on

peut dire que ce pays voit les résultats de la révolution démocratique qui s’opère parmi nous, sans

avoir eu la révolution elle-même » (T. 19811, 68).

Ce pays, précise-t-il, c’est l’Amérique. Ainsi donc, rappelons-le, l’auteur de Démocratie ne

nourrit point de doute sur ce que tôt ou tard, comme les Américains, les Européens aussi arrivent à

l’égalité presque complète des conditions.

Il apparaît à ce point tout à la fois clairement et distinctement que la grande révolution

démocratique dont parle Tocqueville s’avère aussi fondamentalement « un mouvement social » (T.

19811, 61). Celui de l’égalisation des conditions. C’est ce que Furet considère comme le premier

niveau de la conceptualisation de l’analyse de Tocqueville dont le centre est, écrit-il dans sa préface

à la Démocratie, « l’état social des Anglo-Américains, non leur histoire ». Avant de préciser que :

« C’est le chapitre III, sur l’« état social des Anglo-Américains », caractérisé par la démocratie

portée à son extrême, par la tradition des origines, le soulèvement pour l’indépendance, enfin la

législation, notamment la loi sur le partage égal des succession » (T. 19811, 20).

Sur la base de son expérience américaine, Tocqueville est parvenu à cette vérité que ce

mouvement n’est pas sans répercussions politiques. Ce qui signifie que ses effets ne se limitent pas

seulement au nivellement qu’il opère dans la sphère sociale, où « il crée des opinions, fait naître des

sentiments, suggère des usages et modifie tout ce qu’il ne produit pas » (T. 19811, 57), sans pour

autant pénétrer dans le monde de la politique. Furet considère cette pénétration dans le monde de la

politique du fait ou de l’état social de l’égalité comme le deuxième niveau de l’articulation de

l’analyse tocquevillienne.

De cette situation sociale absolument unique dans l’histoire, deux conséquences politiques sont possibles, incompatibles entre elles : la liberté ou la servitude, la souveraineté du peuple ou celle d’un maître. On passe ainsi au deuxième niveau de la conceptualisation de Tocqueville, niveau clairement déduit du premier (puisqu’il s’agit explicitement des « conséquences politiques de l’état social »), mais non déterminé par lui puisqu’il ouvre, au contraire, une alternative : les Anglo-Américains ont su tirer de la démocratie sociale la démocratie politique (T. 19811, 20-21).

C’est dans ce sens qu’il faut aussi comprendre Tocqueville quand, analysant naturellement

les « Conséquences politiques de l’état social des Anglo-Américains », il affirme que : « Il est

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impossible de comprendre que l’égalité ne finisse pas par pénétrer dans le monde politique comme

ailleurs. On ne saurait concevoir les hommes éternellement inégaux entre eux sur un seul point,

égaux sur les autres ; ils arriveront donc, dans un temps donné, à l’être sur tous » (T. 19811, 115).

L’introduction de l’égalité dans le gouvernement qui a commencé timidement depuis avec

tout à la fois l’Eglise et l’aristocratie, à en croire l’auteur de Démocratie, s’avère un fait de nos

jours. Elle n’implique pas pour autant une transformation substantielle, une transmutation radicale,

une modification génétique de l’essence, voire partant l’origine et surtout la portée ou la nature, de

la démocratie. Celle-ci demeure foncièrement une caractéristique de l’état social, au même titre que

l’aristocratie, mais qui, à la différence de cette dernière, est récente et fonde sur l’égalité des

conditions tandis que l’ancienne aristocratie fondait sur l’inégalité ou la hiérarchie des rangs. Voir

dans la démocratie une entité essentiellement politique, en raison de l’introduction de l’égalité dans

le monde politique, ce n’est donc qu’altérer la pensée de Tocqueville, l’estropier si ce n’est pas en

faire purement et simplement une vision partielle et politiquement intéressée.

La politisation de l’égalité ou l’introduction de la démocratie dans le monde politique se

fait de deux manières. C’est à ce titre justement que Tocqueville déclare : « je ne sais que deux

manières de faire régner l’égalité dans le monde politique : il faut donner des droits à chaque

citoyen, ou n’en donner à personne » (T. 19811, 115).

Il ne nous souvient en tout cas d’avoir rencontré chez Tocqueville l’expression que nous

allons bientôt utiliser : ‘L’égalité des droits’45. Cette égalité des droits, donc, qui se dessine aussi

merveilleusement sous la plume de Tocqueville ici se configure dans le monde de la politique

exactement de la même manière que l’égalité des conditions se configure dans la société. Pour le

dire autrement : l’égalité des droits est au monde de la politique ce que l’égalité des conditions est à

la société. Et, partant, aucune des deux manières de faire régner l’égalité dans le monde de la

politique s’avère, d’abord ou a priori, démocratie. Particulièrement, telle que la démocratie se livre

à l’intuition philosophique de Tocqueville, c’est-à-dire au sens de l’état social égalitaire. En

conséquence, aucune ne s’avère ensuite ou a posteriori ‘plus’ démocratie que l’autre, au sens de

l’égalité des droits. Dès lors que l’égalité ne semble plus comprimée dans la seule sphère sociale où

elle agit sur les conditions pour ainsi dire générales, sur lesquelles elle passe son niveau, mais,

plutôt que, sortant de cette sphère, elle pénètre dans la sphère du politique en distribuant ou en

privant également les droits. Si démocratie doit être ou y avoir, alors –il ne s’agit là purement et

simplement que d’une implication logique – la première est aussi démocratie que la seconde, au

sens dérivé de l’égalité des droits. Puisque, désormais, nous parlons en termes des droits et

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particulièrement des droits politiques, de la distribution égalitaire de ces droits aux citoyens, à

toutes les personnes.

Entrée dans le monde politique, donc, la démocratie ne se trouve point transformée mais,

c’est elle, encore et toujours, comme il était au commencement, pour emprunter le langage aux

Ecritures, qui transforme le monde politique. Nous sommes devant cette influence prodigieuse de

l’égalité des conditions sur la marche de la société, qui s’étend sur les mœurs politiques et les lois.

Sans circonlocution aucune, il paraît une obstination aveugle sinon un intellectualisme

militant et partisan la tendance qui consiste à séparer délibérément les deux conséquences politiques

de la démocratie chez Tocqueville, puis à discriminer l’une en faveur de l’autre sur la base de la

pensée comme des idées propres, ou des faits, sans soumettre cette pensée, ces idées ou ces faits

rigoureusement à l’épreuve du texte de Tocqueville. C’est dans l’œuvre de ce dernier, pour le cas

d’espèce dans Démocratie, qu’il faut en effet chercher à découvrir l’essence de la démocratie et,

partant, l’en extraire. De même, il apparaît une obstination pareille, également, la tendance qui

consiste aussi non seulement à ignorer la portée essentiellement sociale de la démocratie, que par

son génie il a su pénétrée, mais, de plus, en scindant l’apparente démocratie sociale de l’apparente

démocratie politique, à accorder la primauté et la prépondérance à cette dernière.

Or, la démocratie moderne se décline explicitement comme ‘le produit ordinaire’ de

l’originalité du caractère des pères fondateurs de la société américaine, les pèlerins ;

spécifiquement, la centaine et demie environ, qui abordèrent les côtes arides de la Nouvelle-

Angleterre en 1620. Ce produit ordinaire consiste dans « une société où il ne se trouvait ni grands

seigneurs, ni peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres, ni riches » ; « une société homogène dans toutes

ses parties » ; une société dans le sein de laquelle « il régnait une très grande égalité » parmi ses

membres. C’est la démocratie ainsi perçue par Tocqueville qui investit ensuite le monde politique

qui l’accompagne ou se voit gouvernée paisiblement aux Etats-Unis par le pouvoir souverain non

pas d’un seul mais plutôt du peuple.

Cependant, Tocqueville dit ne connaître que deux manières à propos de cet investissement

de la démocratie dans le monde politique. Voilà pourquoi, en effet, l’auteur de Démocratie apporte

la précision suivante : « Pour les peuples qui sont parvenus au même état social que les Américains,

il est donc très difficile d’apercevoir un terme moyen entre la souveraineté de tous et le pouvoir

absolu d’un seul » (T. 19811, 115). C’est à travers la souveraineté de tous et à travers le pouvoir

absolu d’un seul qu’il faut s’enquérir des deux démocraties chez Tocqueville, les deux formes de

gouvernement de la démocratie voire les deux manières de faire régner dans le monde de la

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politique l’égalité, ce terme commun à l’égalité des conditions et l’égalité des droits, la racine qui

unit les deux.

Avant de poursuivre notre analyse, relevons d’abord une nuance qui nous paraît importante

entre notre conception des deux démocraties chez Tocqueville et celle de Lamberti, au plan

spécifiquement politique. Nuance qui se base essentiellement sur la démocratie française d’alors.

Chez Lamberti, elle désigne la monarchie régnante. Tandis que nous voyons dans cette démocratie,

une monarchie à venir que Tocqueville préconise et entend faire régner une fois qu’il a réussi, à en

croire Redier (1925), de faire naître et d'entretenir la foi démocratique, dont il s’est fait l’apôtre

éloquent et passionné, dans l'esprit de beaucoup de personnes distinguées et de condition relevée. Il

s’agit donc, nous n’insisterons pas assez sur cet aspect, d’un régime monarchique de type nouveau

devant être fondé sur des nouvelles bases sociales égalitaires dont Tocqueville perçoit ainsi

clairement la nature démocratique, et, qu’il prône.

Reprenons le fil de l’analyse, somme faite, à la souveraineté de tous s’accorde le don des

droits à chaque citoyen ; tandis qu’au pouvoir absolu d’un seul, le don à personne de ces droits,

donc le refus des droits à tous. Dans l’une et l’autre manière, Tocqueville mieux que quiconque l’a

si bien perçu, tous les citoyens s’avèrent et restent pareillement égaux. L’univers sociopolitique

devient, puis demeure46, autant démocratique que l’aurait voulu la Providence à travers l’ordre

naturel des choses, la grande révolution démocratique ou sociale à l’issue de laquelle les peuples

peuvent choisir la souveraineté ou la servitude47. Il s’agit bien là de deux manières, diverses, de se

rapporter aux droits. La préoccupation ne porte pas sur ce que dans l’une les citoyens ont des droits

tandis que dans l’autre ils n’en ont point. Non, loin de là. Elle porte, plutôt, sur ce qu’ils sont tous

égaux dans l’une, en ayant des droits, aussi bien que dans l’autre, en en étant privés. Là, en effet,

réside la différence substantielle entre les deux manières d’introduire la démocratie dans la sphère

politique, différence qui n’enlève rien à chacune, du point de vue des droits, du statut de société

égalitaire, donc démocratique, politiquement parlant. C’est ce qui ressort de cette conclusion de

Tocqueville : « Les peuples peuvent donc tirer deux grandes conséquences politiques du même état

social : ces conséquences diffèrent prodigieusement entre elles, mais elles sortent toutes deux du

même fait » (T. 19811, 116).

Il est cependant impérieux de souligner que entre les deux processus d’égalisation, le

processus d’égalisation des conditions et le processus d’égalisation des droits, il y a une très forte

nuance qu’il est nécessaire de montrer. En effet, si le premier relève de la Providence ou de l’ordre

naturel des choses ou encore de la marche même de la société ; s’il ne dépend pas des hommes, le

second, par contre, relève en grande part si ce n’est entièrement des hommes ; de leur pouvoir de

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choisir comme de faire. Les peuples peuvent tirer deux grandes conséquences politiques du même

état social, dit clairement Tocqueville. Pour le dire avec Manent, « c’est aux hommes qu’il incombe

de tirer l’une des deux grandes conséquences possibles de l’état social démocratique » (Manent,

1993, 15). Furet est encore davantage explicatif de cette perception de Tocqueville48.

Nous aurons occasion de considérer la souveraineté du peuple en abordant, au troisième

chapitre, la question spécifique du principe fondateur de la démocratie, mais assurément pas le

pouvoir absolu. Voilà pourquoi nous y attellerons ici, question surtout de lever l’équivoque sur ce

que Tocqueville entend par pouvoir absolu comme despotisme, en tant que l’une des deux

conséquences politiques de l’état social égalitaire. Les deux conséquences dont il parle à la fin du

chapitre III sur l’« Etat social des Anglo-Américains ». Seulement, observons d’abord ce qu’écrit

Mill en rapport avec ces deux conséquences politiques de la démocratie telles qu’évoquées par

Tocqueville.

Evoquant au début des Essais sur Tocqueville le but dans lequel l’auteur de Démocratie a

procédé à un examen de l’Amérique, Mill met en évidence deux choses. La première : Tocqueville

considère comme une vérité établie que les progrès de la démocratie ne peuvent ni ne doivent être

arrêtés. La seconde : il s’agit de tirer le meilleur parti de l’établissement certain de la démocratie

(Mill, 1994, 43).

Il apparaît clairement que la démocratie en question désigne bel et bien un processus

irrésistible au terme duquel il faudra chercher d’en tirer « le parti le plus positif » (Mill, 1994, 52).

Au sens de Tocqueville, au fond théoriquement, le tout se joue sur ce processus qui, en dépit de son

abandon à ses instincts sauvages en France (T. 19811, 62), partant en Europe, doit parachever son

cours historique ; atteindre naturellement, comme aux Etats-Unis, son plus complet développement.

Donc, un développement à l’issue duquel intervient ensuite la possibilité de choisir entre ses deux

grandes conséquences politiques49 : la souveraineté du peuple ou le pouvoir absolu d’un seul. Il ne

s’agit pas de quelque régime ou entité politique ou d’une certaine forme d’Etat ou de gouvernement

communément appelée ‘démocratie’, à l’image de la démocratie antique, grecque ou romaine.

Démocratie au sujet de laquelle il est simplement absurde d’attribuer l’ignorance à Tocqueville

voire penser qu’il n’eut été suffisamment informé, lui, homme de son rang.

Poursuivant cette pertinente évocation, cependant, Mill stipule un peu plus loin que :

M. de Tocqueville ne peut imaginer qu’un progrès qui s’est poursuivi de manière ininterrompue et régulière durant tant de siècles, puisse désormais s’arrêter. Il affirme qu’il va continuer, jusqu’à ce que toutes les inégalités artificielles aient disparu au sein de l’humanité ; il ne subsistera alors que ces

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inégalités qui sont les effets naturels et inévitables de la protection de la propriété. Cela lui semble être un fait formidable par ses conséquences, porteur de tous les maux que l’on peut concevoir, mais éventuellement aussi d’immenses bienfaits : ne laissant, en fait, que le choix entre la démocratie et le despotisme. Aussi, il est tout à fait convaincu que si l’une n’est pas praticable, l’autre sera notre destin (Mill, 1994, 44).

La dernière phrase de Mill, « Aussi, il est tout à fait convaincu que si l’une n’est pas

praticable, l’autre sera notre destin », peut renvoyer aisément au sujet de la forme de constitution

politique que Tocqueville semble vouloir préconiser pour les nations européennes et à laquelle il est

également favorable. Cependant, le despotisme de Tocqueville semble différent de celui dont les

peuples de l’Europe ont enduré les pressions depuis l’Antiquité jusqu’alors. Mill, qui perçoit aussi

bien le propos de Tocqueville, ne relève pas là encore explicitement cette nuance très capitale50.

Mais la question, au fond articulée, qui découle de l’observation de Mill est la suivante :

quelle démocratie ; mais aussi quel despotisme ; pouvons-nous là concevoir les deux termes de cette

redoutable alternative comme « d’heureux achèvements » vers lesquels peut-être dirigée la

démocratie ? Cette démocratie même à laquelle il faudrait préparer la voie, non seulement en

considération du bien que les peuples européens d’alors devaient attendre d’elle, mais aussi parce

que c’était de fait leur seul refuge contre un despotisme qui ressemblerait à la tyrannie des Césars.

Surtout quand nous connaissons avec Mill que la conclusion à laquelle est arrivée Tocqueville est

que, s’il ne peut être contenu, le courant irrésistible de la démocratie peut cependant être dirigé, et

l’être vers d’heureux achèvements (Mill, 1994, 53).

Nous ne saurions répondre scientifiquement à ces questions qu’en invoquant l’esprit même

de l’auteur de Démocratie. Tocqueville n’a pas été aussi vague51 que d’aucuns lui imputent quelque

confusion qui ne paraisse que le fait d’un attachement viscéral partant aveugle à la réalité et aux

vieilles théories démocratiques, d’avant la naissance de la société américaine, si ce n’est pas le fait

d’un choix lucide et intéressé, nourri du sentiment de prestige que procurerait l’idée du reste

fallacieuse d’une continuité théorico-sociohistorique de la démocratie comme « une entité politique,

une forme d’Etat ou de gouvernement », suivant l’expression de Sartori. Pour répondre au sens

d’heureux achèvements, Mill l’a bien perçu, le despotisme tocquevillien, qui n’a rien à voir avec la

tyrannie des Césars, doit ressembler à « l’absolutisme modéré et contrôlé des temps modernes »

(Mill, 1994, 53) ; celui-là que nous appelons, à la lumière de Démocratie et sous l’inspiration

profonde de Tocqueville, ‘despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple’. 

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Le despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple

En ayant annoncé que l’empire de l’égalité des conditions sur la société civile crée des

opinions, fait naître des sentiments, suggère des usages et modifie tout ce qu’il ne produit pas (T.

19811, 57), l’auteur de Démocratie ne pouvait pas se dérober à l’exigence de le montrer ensuite.

C’est ce en quoi consiste en effet l’objet de la Démocratie de 1840. Ainsi qu’il apparaît aussi

clairement dans l’Avertissement même de l’auteur, le second volume de Démocratie a pour objet la

multitude de sentiments et d’opinions que l’état social démocratique ou la démocratie fait naître,

tout comme des nouveaux rapports que cet état social établit parmi les peuples démocratiques. C’est

particulièrement à partir du chapitre V, « Que parmi les nations européennes de nos jours le pouvoir

s’accroît quoique les souverains soient moins stables » (T. 19812, 369-381), de la Quatrième partie,

« De l’influence qu’exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique »

(ibid., 351-402), dudit volume que Tocqueville décline de manière explicite la vision de ce dont

« les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point » (ibid., 385) quant à traduire

précisément les paramètres, rendre exactement la nature. D’ailleurs, la raison en est aussi simple.

En effet, aux yeux de Tocqueville, qui le perçoit et le conçoit à la fois si clairement et si

distinctement, il s’agit d’une chose nouvelle, qu’il faut donc tâcher à la définir. Car, il n’a pas de

nom. Aussi, convient-il de distinguer dans l’analyse de Tocqueville ce qui relève de la description

de l’alors situation effective ou la réalité, d’une part, et, d’autre part, ce qui relève, au contraire, de

la pure construction intellectuelle voire sa conception philosophico-politique. La carence

terminologique lui fait appeler le régime alternatif à la souveraineté populaire, à l’instar de la

constitution américaine, encore et toujours : le pouvoir absolu, tout court, ou, en long, le pouvoir

absolu d’un seul ; ou, encore et simplement, le despotisme. Donc, exactement de la même manière

que s’appelait la plupart des régimes monarchiques alors en vogue en Europe. Régimes, au sens de

Tocqueville, fondés sur l’aristocratie.

Mais, cet emploi par Tocqueville des mêmes termes pour désigner les faits réels tels que le

désordre, la confusion, la turbulence, l’anarchie et le despotisme qui prévalaient dans la France

révolutionnaire, d’une part, et, pour recourir au produit de son imaginaire politique, à partir de ce

qu’il perçoit sous le terme de ‘démocratie’, d’autre part, ne souffre d’aucune confusion. Aussi,

interprétant Tocqueville, le despotisme dont, par exemple, Mill pense qu’il sera le destin de

l’Europe si la démocratie n’est pas praticable (Mill, 1994, 44) ne s’avère pas le despotisme réel puis

semblable à la tyrannie des Césars que redoute Tocqueville. Il s’agit d’une réalité toute nouvelle 70

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dont, pour le reprendre, les anciens mots de « despotisme » et de « tyrannie » ne conviennent point

quant à reproduire exactement l’idée qu’il s’en forme et la renferme (T. 19812, 385). Mais,

Tocqueville, qui ne trouve de nom nouveau à cette forme nouvelle qu’il conçoit si bien, l’appelle,

hélas ! avec les vieux et déjà compromis noms de « pouvoir absolu » et « despotisme » (T. 19811,

pp.115-116). Mill le perçoit si bien et voit dans ce pouvoir absolu ou ce despotisme un de ces

heureux achèvements de la démocratie ; c’est-à-dire, un despotisme semblable à « l’absolutisme

modéré et contrôlé des temps modernes » en opposition nette avec celui qui ressemblerait à la

tyrannie des Césars (Mill, 1994, 53).

En découvrant le second volume de Démocratie, nous n’avons pas manqué d’appréhender

et, partant, d’isoler dans le développement narratif de l’auteur, les caractéristiques de cette chose

nouvelle à laquelle il consacre quelques passages importants : il s’agit d’un pouvoir immense et

tutélaire, absolu, détaillé, régulier, prévoyant, réglé, doux et paisible. Nous voudrions le suivre afin,

à la fois, d’éviter le risque de tomber dans les lieux communs et de nous épargner d’une

déformation fâcheuse de sa pensée. Cependant, il convient de le souligner, Tocqueville a l’esprit et

l’attention essentiellement tournés vers l’Europe, agitée par la révolution démocratique. A propos, il

est une observation intéressante d’Alain Clément qui mérite tant soit peu attention. En effet, en

reprenant André Jardin, Clément stipule que :

Quand paraît enfin la seconde partie de la Démocratie en Amérique, en 1840, la matière américaine, a calculé Jardin, ne compte que pour 20% dans le texte complet. On passait du particulier – de l'unique – au général, de l’« égalité des conditions » réalisée sur un continent vierge aux changements radicaux qu'elle apporterait dans les sociétés de la vieille Europe (Clément, 1984). 

Le chapitre V, « Que parmi les nations européennes de nos jours le pouvoir s’accroît

quoique les souverains soient moins stables » (T. 19812, 369-381), de la seconde Démocratie

s’ouvre par l’annonce d’une constatation à la fois extraordinaire et terrible. D’une part, Tocqueville

note l’accroissement indéfini des prérogatives du pouvoir central auquel les idées des peuples

démocratiques en matière de gouvernement sont naturellement favorables (ibid., 355-358). Idées

avec lesquelles, pour porter les peuples démocratiques à concentrer effectivement le pouvoir,

s’accordent ensuite leurs sentiments (ibid., 359-362). D’autre part, il souligne l’affaiblissement

voire la subordination et la précarisation de l’existence individuelle.

En effet, il écrit : « Si l’on vient à réfléchir sur ce qui précède, on sera surpris et effrayé de

voir comment, en Europe, tout semble concourir à accroître indéfiniment les prérogatives du

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pouvoir central et à rendre chaque jour l’existence individuelle plus faible, plus subordonnée et plus

précaire » (T. 19812, 369).

Tocqueville veut mettre en évidence une chose : la concentration des droits dans les mains

du souverain et l’extension de son pouvoir qui, par le truchement du pouvoir social, atteint le

domaine de l’indépendance individuelle dans lequel il parvient aussi à pénétrer profondément. Il

stipule :

Ce que je veux remarquer, c’est que tous ces droits divers qui ont été arrachés successivement, de notre temps, à des classes, à des corporations, à des hommes, n’ont point servi à élever sur une base plus démocratique de nouveaux pouvoirs secondaires, mais se sont concentrés de toutes parts dans les mains du souverain. Partout l’Etat arrive de plus en plus à diriger par lui-même les moindres citoyens et à conduire seul chacun d’eux dans les moindres affaires (T. 19812, 370).

Ce qui va le conduire naturellement, un peu plus loin, à dire que : « Le gouvernement

centralise son action en même temps qu’il accroît ses prérogatives : double cause de force » (T.

19812, 374) Et, quant à cette centralisation de l’action gouvernementale et cet accroissement de ses

prérogatives, de souligner que :

Les guerres, les révolutions, les conquêtes ont servi à son développement ; tous les hommes ont travaillé à l’accroître. Pendant cette même période, durant laquelle ils se sont succédé avec une rapidité prodigieuse à la tête des affaires, leurs idées, leurs intérêts, leurs passions ont varié à l’infini ; mais tous ont voulu centraliser en quelques manières. L’instinct de la centralisation a été comme seul point immobile au milieu de la mobilité singulière de leur existence et de leurs pensées (T. 19812, 379).

C’est que, suivant son analyse, le résultat en est le désordre et l’anarchie, déduits de ce

désir ou ce grand esprit d’indépendance dont la révolution, qui achève d’introduire l’égalité dans

l’état social et les lois en faisant prévaloir dans le gouvernement les besoins et les intérêts nouveaux

que suggérait cette même égalité, va inspirer naturellement le goût sauvage aux hommes (T. 19812,

380). Parce que : « Ils avaient voulu être libres pour pouvoir se faire égaux, et, à mesure que

l’égalité s’établissait davantage à l’aide de la liberté, elle leur rendait la liberté plus difficile » (ibid.,

381). Pendant ce temps, lui, Tocqueville, sous la forme d’une confession, affirme :

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Pour moi, je ne me fie point, je le confesse, à l’esprit de liberté qui semble animer mes contemporains ; je vois bien que les nations de nos jours sont turbulentes ; mais je ne découvre pas clairement qu’elles soient libérales, et je redoute qu’au sortir de ces agitations qui font vaciller les trônes, les souverains ne se trouvent plus puissants qu’ils ne l’ont été (T. 19812, 381).

Ce qui frappe les regards de Tocqueville, et qui mérite davantage d’attention, s’avèrent la

turbulence et les agitations dans lesquelles versaient les nations démocratiques européennes et le

risque du despotisme qui les guettaient. Nations au sujet desquelles Tocqueville ne conclut pas la

nécessité de tirer d’un état social démocratique semblable à celui des Américains les conséquences

politiques que ceux-ci en ont tirées.

Or, de fait, il n’en est rien ; car les nations croupissent dans une espèce d’instabilité

devenue presque cyclique, à l’instar de la France, alors que la démocratie n’a pas atteint son

développement le plus complet, même si ce n’est de manière paisible, comme en Amérique. Et, par

conséquent, les types de régime politique, monarchique ou despotique, qui y règnent alors ne

correspondent pas à l’une ou l’autre des deux conséquences politiques de l’état social démocratique

définie par Tocqueville, dans cette exclusive situation, comme une manière de faire régner l’égalité

dans le monde politique. En nous inspirant, en partie, de Lamberti, Tocqueville n’exige pas à la

France, comme aux autres nations d’Europe, de renaître miraculeusement sur les bases nouvelles,

comme est née naturellement l’Amérique. Ce qui préoccupe le plus l’auteur de Démocratie, alors,

c’est que la France se relève des cendres de la révolution pour pouvoir gouverner la démocratie dont

aucune force humaine ne fut plus capable d’arrêter la marche. Seulement au terme de cette marche

elle peut pour ainsi dire refonder le pouvoir absolu, donc le despotisme, contrairement aux Etats-

Unis, sur « une base plus démocratique ».

C’est alors qu’il faut remarquer nécessairement qu’il est une autre espèce de despotisme à

laquelle pensait ou aspirait Tocqueville. Un despotisme qui n’a rien à voir avoir avec celui dont

l’histoire offre de lugubres illustrations. Notamment, lorsqu’il avait remarqué durant son séjour aux

Etats-Unis qu’un état social démocratique semblable à celui des Américains pourrait offrir des

facilités singulières à l’établissement du despotisme. Ce n’est pourtant, le disant, qu’il n’existait pas

en Europe les régimes despotiques. Ce despotisme réel, existant, l’alors monarchie de France, ne

s’avère pas le régime dont rêve Tocqueville du même nom. Son despotisme diffère de ce

despotisme dont plusieurs des peuples de l’Antiquité subirent quelque oppression. Encore moins de

celui du temps de la grande puissance des Césars durant lequel l’empereur ne contrôlait pas

d’ordinaire les détails de la vie sociale et de l’existence individuelle, quoique tout le gouvernement

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de l’empire fût concentré dans ses seules mains et qu’il restât toujours, au besoin, l’arbitre de toutes

choses (T. 19812, 383-384).

Le perfectionnement prodigieux de la science administrative – centralisation de l’action

gouvernementale ainsi que accroissement des prérogatives du gouvernement – représente ou

constitue le privilège de la nouvelle ère démocratique qui, selon Tocqueville, manquait aux temps

des Césars pour que l’empereur ait pu avoir en mains non seulement tous les pouvoirs mais aussi et

surtout le contrôle des détails de la vie sociale et de l’existence individuelle. C’est dans cette

optique qu’il estime que « si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos

jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes

sans les tourmenter » (T. 19812, 384). Bien évidemment, compte tenu du fait que « cette même

égalité, qui facilite le despotisme, le tempère » (ibidem). Et, rappelle-t-il, que : 

nous avons vu comment, à mesure que les hommes sont plus semblables et plus égaux, les mœurs publiques deviennent plus humaines et plus douces ; quand aucun citoyen n’a un grand pouvoir ni de grandes richesses, la tyrannie manque, en quelque sorte, d’occasion et de théâtre. Toutes les fortunes étant médiocres, les passions sont naturellement contenues, l’imagination bornée, les plaisirs simples. Cette modération universelle modère le souverain lui-même et arrête dans de certaines limites l’élan désordonné de ses désirs (T. 19812, 384).

A ce point précis de notre analyse nous ne sommes plus à même de rendre avec l’égale

force de description le despotisme de cette autre espèce dont, selon Tocqueville, l’état social

démocratique semblable à celui des Américains offrirait des facilités singulières à l’établissement.

Aussi, sommes-nous obligés de reprendre un après l’autre les différents passages où il en fait le plus

explicitement allusion. Cependant, relevons d’emblée que, à la faveur de la structure mentale ou

psychologique des hommes de l’ère démocratique, Tocqueville ne craint pas que ceux-ci

rencontrent dans leurs chefs des tyrans ; il craint plutôt qu’ils y trouvent des tuteurs (T. 19812, 385).

Cette expression de sa crainte suffit quant à faire circonscrire dans l’ordre nouveau l’oppression à

laquelle pourraient être soumis ceux qu’il appelle les hommes démocratiques, sous le nouvel

absolutisme, la nouvelle forme politique de gouvernement démocratique centralisant.

C’est naturellement au sujet de cette nouvelle oppression que Tocqueville écrit : « Je

cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la

renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est

nouvelle, il faut donc tacher de la définir, puisque je ne peux la nommer » (T. 19812, 385).

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En voulant imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le

monde, à la manière d’un Picasso ou d’un Leonardo da Vinci, Tocqueville, en lettres, présente un

tableau dont la description suit :

je vois une foule innombrable d’hommes égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire au moins qu’il n’a plus de patrie (T. 19812, 385). 

Puis :

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? (ibidem)

Poursuivant sa description, il ajoute :

C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu chaque citoyen à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait (ibid., 385-386). 

Et, la termine ainsi :

Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les

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volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger (ibid., 386).

Voici donc en lettres cette chose nouvelle qui constitue aux yeux de Tocqueville rien

d’autre qu’une « sorte de servitude, réglée, douce et paisible » dont il a cru qu’elle « pourrait se

combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il

ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre de la souveraineté du peuple » (T. 19812, 386).

D’où, il nous est venu d’appeler cette forme de gouvernement démocratique : ‘despotisme

à l’ombre de la souveraineté du peuple’. Et Mill, nous avons vu, le désigne en termes

d’« absolutisme modéré et contrôlé ». Jean-Louis Benoît, cependant, laisse simplement perplexe.

Rappelant l’alternative politique se réduisant, au temps de Tocqueville, désormais, au choix entre la

démocratie et le despotisme, il stipule en effet que :

L’auteur de La démocratie en Amérique met clairement en évidence que, contrairement à l’opinion naïve, démocratie et despotisme ne sont pas antinomiques : la démocratie peut être despotique en elle-même ou conduire au despotisme. « Despotisme doux » de l’État tutélaire et providentiel dans un cas, despotisme dur dans l’autre (Benoît, 2006).

Benoît paraît bien voir dans l’alternative à la souveraineté du peuple chez Tocqueville non

pas ce despotisme « doux » mais celui qu’il qualifie de « dur ». Confondant ainsi l’observation

scientifique avec la conception philosophico-politique chez l’auteur de Démocratie. Voilà qui

pourrait justifier la suite de son propos dont la lettre stipule :

Quant au despotisme dur dont Tocqueville avait bien prévu le surgissement, contrairement à ce qu’affirment bien des commentateurs, il l’a vu se mettre en place avec le coup d’État de décembre 1851 et l’instauration du second Empire : deux attentats perpétrés contre la démocratie, la liberté et les institutions « validés » tous les deux par le suffrage populaire du plébiscite (Benoît, 2006).

En dépit de cet imbroglio, il résulte de notre analyse que ce despotisme qui constitue

l’alternative à la constitution américaine de la souveraineté, déductible de la démocratie, n’ayant

plus rien à voir avec la tyrannie des Césars ne s’avère pas un « despotisme dur ». Au contraire,

représentant une « sorte de servitude, réglée, douce et paisible », il se veut une combinaison savante

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de la centralisation voire du despotisme administratif, d’une part, et, d’autre part, la souveraineté du

peuple. L’auteur de Démocratie le déduit théoriquement des deux passions contraires qui travaillent

ces contemporains. La première : leur besoin d’être conduits. La seconde, par contre, leur envie de

rester libres. Aussi, au même titre que la souveraineté du peuple, il est une conséquence politique de

l’état social égalitaire ou la démocratie et s’avère à ses yeux préférable à toutes les autres formes de

despotisme démocratique, à l’instar de la tyrannie de la majorité.

Deuxième conclusion

L’analyse de « La nature et les conséquences de la démocratie » nous a permis, au bout du

compte, d’appréhender évidemment l’essence ainsi que les effets politiques de la démocratie,

déductibles de l’étude tocquevillienne de la société américaine. Au-delà de toute confusion

apparente, imputable plutôt au langage qu’à la sagacité philosophique de Tocqueville, puis telle que

perçue et déployée par lui, la démocratie ne se décline pas sous la forme d’un régime politique

particulier, sous quelque spécifique forme d’Etat ou de gouvernement. Mais, il se livre sous la

forme à la fois originale, naturelle et univoque de l’ état social égalitaire. De cet état social, donc de

la démocratie ainsi révélée, à la faveur de plusieurs facteurs, spécialement des mœurs, Tocqueville

pense que les peuples peuvent naturellement tirer la souveraineté du peuple ou le despotisme qui

constituent les deux formes de gouvernement que peut se donner l’état social démocratique.

D’ailleurs, la spécificité du despotisme évoqué par Tocqueville, comme l’une des deux

conséquences politiques de la démocratie, éloigne en même temps qu’elle fait distinguer celui-ci de

toutes les précédentes formes d’oppression historiques. Seulement dans ce sens peut-il, comme la

souveraineté populaire, représenter une forme politique de démocratie.

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TROISIÈME CHAPITRE

LE PRINCIPE FONDATEUR DE LA DEMOCRATIE

La démocratie chez Tocqueville, comme nous venons de voir, est un état social égalitaire

providentiel qui requiert pour autant la direction des chefs de l’Etat et des classes les plus

puissantes, les plus intelligentes et les plus morales de la nation pour sa matérialisation

principalement dans les lois, les idées, les habitudes et les mœurs. Suivant, par-dessus tout, les

mœurs, les peuples peuvent en tirer l’une ou l’autre de ses deux formes de gouvernement naturelles.

Deux formes de gouvernement aussi démocratiques. C’est devant cette dichotomie apparente que

nous nous enquérons du principe fondateur de la démocratie. Après quoi, en appui des comptes

rendus de Mill (1994), nous essayerons de conceptualiser l’idéal démocratique déductible de l’étude

scientifique de Tocqueville de la société américaine.

I.- L’idée d’égalité

A titre de rappel, nous avons vu que l’égalité des conditions, qui constitue la structure

profonde de l’état social des Anglo-Américains, représente l’objet qui a plus vivement frappé les

regards de Tocqueville parmi tous les objets nouveaux ayant attiré son attention pendant son séjour

aux Etats-Unis. Il a ensuite avancé les raisons de cette évocation. Raisons dont nous avons

fraichement le souvenir à l’esprit au travers des faits découlant de l’influence prodigieuse qu’elle

exerce sur la marche de la société. Une influence prodigieuse, à juste titre, qui investit tout à la fois

le monde de la politique et la société civile. Dans le premier monde, comme dans le second, la

démocratie opère ; elle est à l’œuvre. Mais, au singulier, suivant quel principe fondateur ; ou,

au pluriel, suivant quels principes fondateurs ?

Nonobstant sa pénétration dans le monde de la politique, par le biais de ses conséquences

politiques, la démocratie se révèle davantage comme un état social égalitaire. Aussi, serait-ce

naturellement vers l’état social que nous devons nous retourner si nous voulons appréhender, en

effet, son principe fondateur. Pourtant, la logique même de Tocqueville dans Démocratie nous

impose des voies diverses, perceptibles au travers des méandres de son analyse.

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Telle qu’elle se décline chez Tocqueville, sous la forme soit de la souveraineté du peuple52

soit du pouvoir absolu53, la politisation de la démocratie avertit déjà devant le risque de tomber dans

un sophisme à la fois plat et grossier. En effet, il faut bien se garder d’entrevoir le principe

fondateur de la démocratie chez Tocqueville d’une manière unilatérale et, partant, surtout,

superficielle. Car, de sa conception sur la démocratie, il apparaît clairement que l’état social

constitue la toile de fond, le socle, de sa théorie. Et, Furet ne le relève qu’avec maestria dans « Le

système conceptuel de la « Démocratie en Amérique » », en préface à son édition de cette œuvre de

Tocqueville quand, naturellement à propos de analyse de celui-ci, il écrit : « Le centre de son

analyse, c’est l’« état social » des Anglo-Américains, non leur histoire. (…).Tocqueville,

méthodiquement, s’en tient à son système d’analyse. Il ne bouge pas du fameux rond-point central

de la forêt d’où il doit apercevoir toutes les allées » (T. 19811, 20).

Même si, par ailleurs, la primauté voire la prépondérance de l’état social ne s’avère point

exclusive. D’abord, vis-à-vis de l’attention que Tocqueville nourrit manifestement devant

l’extension de la démocratie au monde politique. Si nous considérons la situation de

l’Amérique. Ni, ensuite, à l’égard de son profond désir de voir la démocratie, une fois établie,

s’étendre encore davantage dans l’univers des affaires publiques. Si nous regardons vers l’Europe

d’alors, spécifiquement la France, au sujet de laquelle Tocqueville dit ne pas conclure la nécessité

de tirer de la démocratie la même conséquence politique que les Américains en ont tirée. Laissant

ainsi penser à l’éventualité du choix du pouvoir absolu, l’unique alternative à la souveraineté du

peuple que les Américains ont pu fonder et maintenir ensuite.

Après cette mise au point, nécessaire en fonction de la spécificité de notre interprétation de

la perception tocquevillienne de la démocratie, nous pouvons suivre maintenant Tocqueville dans

les méandres de son analyse, pour voir ce qui en découle en termes de principe fondateur, ou

principes fondateurs, de la démocratie.

En effet, après avoir si bien identifié l’égalité des conditions au milieu des objets nouveaux

qui avaient attiré son attention, Tocqueville fait part de son inspiration au sujet de « ce premier

fait », à mesure qu’il étudiait la société américaine, d’abord, dans les termes suivants : «  je voyais

de plus en plus, dans l’égalité des conditions, le fait générateur dont chaque fait particulier semblait

descendre, et je le retrouvais sans cesse devant moi comme un point central où toutes mes

observations venaient aboutir » (T. 19811, 57).

A retenir notre attention dans cet énoncé, c’est naturellement la perception de l’égalité des

conditions comme, pour le dire avec Manent, « le fait générateur dont tout le reste se déduit »

(Manent, 1993, 14). Percevant dans l’égalité des conditions le fait générateur, Tocqueville est très

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loin de décliner par ce biais le principe fondateur de la démocratie. Au contraire, il la présente

comme une cause en disant seulement voir dans cette démocratie « le fait générateur dont chaque

fait particulier semble descendre ». Et, il ne peut y avoir rien de surprenant. Dès lors que la

synonymie entre l’égalité des conditions et la démocratie ne s’avère plus un mystère tout comme il

n’apparaît plus du tout un mystère qu’enfin, au même titre que la démocratie, l’aristocratie

représente une détermination de l’état social.

C’est la raison pour laquelle la recherche du principe fondateur de la démocratie, perçue

comme cause génératrice de tous les autres faits comme des lois, paraît nous obliger a priori de

retourner le regard vers l’état social des Anglo-Américains. Or, Tocqueville dit de l’état social des

Anglo-Américains qu’il est éminemment démocratique. Et il ajoute qu’il a eu ce caractère dès la

naissance des colonies (T. 19811, 107). Ainsi, donc, la question qui tombe immédiatement à l’esprit

est : mais, comment ?

Tocqueville n’aurait pas voulu être pour l’être un métaphysicien. Très pénétrant, il nous

emmène à percevoir avec lui dans l’état social des Anglo-Américains, donc dans la démocratie,

purement et simplement, une manifestation à la fois réelle et véritable, une excellente mise en

œuvre de quelque chose d’encore davantage subtil. Quelque chose d’à peine observable voire

saisissable si ce n’est seulement avec les yeux de l’esprit. Avant de devenir cause, donc, la

démocratie est un effet de quelque chose, une conséquence.

A cette question spontanée, donc, Tocqueville, qui s’avère très pointilleux dans son étude,

avait réservé une réponse dans l’observation suivante :

Les émigrants qui vinrent se fixer en Amérique au commencement du XVIIe

siècle dégagèrent en quelque façon le principe de la démocratie de tous ceux contre lesquels il luttait dans le sein des vieilles sociétés de l’Europe, et ils le transplantèrent seul sur les rivages du nouveau monde. Là, il a pu grandir en liberté, et, marchant avec les mœurs, se développer paisiblement dans les lois (T. 19811, 68).

En tant que métaphysicien, Tocqueville nous emmène à entrevoir dans l’état social des

Anglo-Américains la transplantation du principe fondateur de la démocratie. C’est en nous mettant

donc attentivement sur les traces de ces premiers émigrants « qui vinrent se fixer en Amérique au

commencement du XVIIe siècle » que, en dernier ressort, nous pouvons parvenir à la discrimination

et à l’isolement de ce principe. Non, comme il semblait apparaître dès le départ, simplement, en

plongeant le regard dans leur état social.

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La première chose que, à tort ou à raison, nous pensons connaître de ces émigrants est

qu’ils sont ces hommes civilisés, dont Tocqueville parle à la fin du chapitre premier intitulé

« Configuration extérieure de l’Amérique du Nord » (T. 19811, 75-84), qui devaient essayer de bâtir

la société sur les fondements nouveaux, en appliquant pour la première fois des théories à l’époque

inconnues ou réputées inapplicables. Aussi, ces émigrants allaient-ils donner au monde un spectacle

auquel l’histoire du passé ne l’avait pas préparé (ibid., 84). Tocqueville apparaît, ici, aussi très

suggestif lorsqu’il parle de la première application « des théories jusqu’alors inconnues ou réputées

inapplicables ».

Des théories jusqu’alors inconnues, assurément, nous ne savons rien ni ne pouvons

prétendre grands choses ; quant aux théories réputées inapplicables, l’histoire de la pensée politique

dispose d’innombrables variétés. Quelles sont donc les théories appliquées par les émigrants qui

vinrent se fixer en Amérique au commencement du XVIIe siècle, au milieu de toutes celles

auxquelles Tocqueville veut-il faire allusion ? Nous n’irons pas vite en besogne en tentant une

explication générique, surtout, hasardeuse qui risque d’incriminer notre lecture. Tocqueville lui-

même pourra nous éclairer à propos.

La deuxième, par contre, est celle que nous rappelle Tocqueville. Ces émigrants, ces

hommes civilisés donc, appartenaient à la « secte d’Angleterre à laquelle l’austérité de ses principes

avait fait donner le nom de puritaine ». Aucun détail ne semble négligeable dans cette quête du

principe fondateur de la démocratie, sous la plume de Tocqueville dont l’articulation de l’analyse

embrasse également tous les aspects, ou presque, de son objet. Aussi, à titre de rappel  : « Le

puritanisme n’était pas seulement une doctrine religieuse ; il se confondait encore en plusieurs

points avec les théories démocratiques et républicaines les plus absolues ». Il « était presque autant

une théorie politique qu’une doctrine religieuse ». Voilà pourquoi : « Leur réunion sur le sol

américain présenta, dès l’origine, le singulier phénomène d’une société où il ne se trouvait ni grands

seigneurs, ni peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres, ni riches » (tous passages déjà cités).

Cependant, ce n’est pas là encore tout ce qui peut bien justifier leur degré de familiarité

avec des théories politiques, particulièrement, démocratiques et républicaines, comme souligne

Tocqueville, les plus absolues. Ces émigrants, les pèlerins, dont la doctrine religieuse était presque

autant une théorie politique devraient savoir ce qu’il en était de la politique. Théoriquement, de la

démocratie comme de la république. Ce ne serait donc pas par hasard qu’ils vont convenir de se

« former en corps de société politique » (T. 19811, 94) dès leur arrivée en Amérique. En effet, à

peine débarqués sur les côtes américaines, dit Tocqueville, leur premier soin est donc de s’organiser

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en société. Plus subtile ici, et nous y reviendrons plus loin, s’avère justement l’idée du contrat social

qu’ils vont établir.

Il est une autre chose, la troisième, si ce n’est plus alors du moins, aussi importante que les

deux précédentes sur laquelle Tocqueville veut attirer notre attention. Il ne s’agit pas de ces

pèlerins, dont il s’est agi dans l’évocation des deux premières choses connues sur les émigrants en

question, ni, par rapport aux autres émigrants, notamment Anglais, de la spécificité du caractère de

ces puritains. Ce caractère qui à ce niveau de notre travail ne devrait plus paraître étranger à l’esprit.

Au contraire, il s’agit de l’ensemble des émigrants venus donc d’Angleterre. A nous le

faire dire, ce qui les caractérisait principalement : la communauté de leurs traits, et l’analogie de la

situation dans laquelle ils se trouvaient tous. L’intérêt fondamental de cette dernière chose, qui

retient fortement notre attention, réside dans la nature de l’état d’esprit de ces émigrants et la

condition induite par cet état d’esprit. Condition à partir de laquelle peut se déduire, en effet, le

principe fondateur de la démocratie.

Tocqueville écrit que : « Les émigrants qui vinrent, à différentes périodes, occuper le

territoire que couvre aujourd’hui l’Union américaine, différaient les uns des autres en beaucoup de

points ; leur buts n’était pas le même, et ils se gouvernaient d’après des principes divers » (T. 19811,

87). En dépit de cette différence qu’il met pourtant en évidence, Tocqueville nuance son propos en

mettant davantage l’accent sur leurs « traits communs » et leur « situation analogue ».

Pour décrire cette condition commune à tous les émigrants, donc, il enchérit, du reste assez

longuement :

Le lien du langage est peut-être le plus fort et le plus durable qui puisse unir les hommes. Tous les émigrants parlaient la même langue ; ils étaient tous enfants d’un même peuple. Nés dans un pays qu’agitait depuis des siècles la lutte des partis, et où les factions avaient été obligées tour à tour de se placer sous la protection des lois, leur éducation politique s’était faite à cette rude école, et on voyait répandus parmi eux plus de notions des droits, plus de principes de vraie liberté que chez la plupart des peuples de l’Europe. A l’époque des premières émigrations, le gouvernement communal, ce genre fécond des institutions libres, était déjà profondément entré dans les habitudes anglaises, et avec lui le dogme de la souveraineté du peuple s’était introduit au sein même de la monarchie des Tudors (T. 19811, 87).

Malgré la longueur des passages, que nous citons de Tocqueville, nous ne pouvons nous en

passer dans cette quête du principe fondateur de la démocratie. Autrement, nous courons le risque

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fort évident de tronquer purement et simplement sa pensée. Et, partant, celui de passer à côté de

notre objectif si ce n’est y parvenir par acrobatie.

Ne terminant donc pas là sa description de la condition commune des émigrants Anglais,

Tocqueville poursuit. Après avoir rappelé le contexte des querelles religieuses qui agitaient alors le

monde chrétien, et dans lesquelles l’Angleterre s’était précipitée avec une sorte de fureur, il

surenchérit :

Le caractère des habitants, qui avait toujours été grave et réfléchi, était devenu austère et argumentateur. L’instruction s’était beaucoup accrue dans ces luttes intellectuelles ; l’esprit y avait reçu une culture plus profonde. Pendant qu’on était occupé à parler religion, les mœurs étaient devenues plus pures. Tous ces traits généraux de la nation se retrouvaient plus ou moins dans la physionomie de ceux de ses fils qui étaient venus chercher un nouvel avenir sur les bords opposés de l’Océan (T. 19811, 87-88).

Mais, en quoi consiste cette commune condition que Tocqueville vient de décrire ; cette

commune condition dans laquelle se trouvaient notamment tous ces émigrants Anglais ? C’est alors

qu’il se doit de faire une remarque, applicable tout à la fois aux Anglais, Français, Espagnols et à

tous les Européens qui s’établiront successivement sur les côtes du nouveau monde. Remarque que

l’auteur de Démocratie exprime en ces termes : « Toutes les nouvelles colonies européennes

contenaient, sinon le développement, du moins le germe d’une complète démocratie » (T. 19811,

88). Pourquoi ? C’est en découvrant et en exploitant les causes conduisant à ce résultat, qu’il déduit

du reste après coup, que nous serons arrivés à apercevoir davantage clairement le principe fondateur

de la démocratie. Car, dès lors, il ne se dévoile plus que naturellement sous l’excellente plume de

Tocqueville.

Pour Tocqueville, deux s’avèrent les causes qui conduisaient à ce résultat. Il

écrit, d’abord :

on peut dire qu’en général, à leur départ de la mère patrie, les émigrants n’avaient aucune idée de supériorité quelconque les uns sur les autres. Ce ne sont guère les heureux et les puissants qui s’exilent, et la pauvreté ainsi que le malheur sont les meilleurs garants d’égalité que l’on connaisse parmi les hommes (T. 19811, 88). 

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D’où nous déduisons la première cause, à savoir : l’absence absolue d’« idée de

supériorité », dans l’esprit de ces émigrants. Cette absence implique leur « égalité », forcée de

surcroît par la misère et le malheur imposés par l’exil.

Et, Tocqueville écrit ensuite :

Il arriva cependant qu’à plusieurs reprises de grands seigneurs passèrent en Amérique à la suite de querelles politiques ou religieuses. On y fit des lois pour y établir la hiérarchie des rangs, mais on s’aperçut bientôt que le sol américain repoussait absolument l’aristocratie territoriale. On y vit que pour défricher cette terre rebelle il ne fallait rien moins que les efforts constants et intéressés du propriétaire lui-même. Le fond préparé, il se trouva que ses produits n’étaient point assez grands pour enrichir tout à la fois un maître et un fermier. Le terrain se morcela donc naturellement en petits domaines que le propriétaire seul cultivait. Or, c’est à la terre que se prend l’aristocratie, c’est au sol qu’elle s’attache et qu’elle s’appuie ; ce ne sont point les privilèges seuls qui l’établissent, ce n’est pas la naissance qui la constitue, c’est la propriété foncière héréditairement transmise. Une nation peut présenter d’immenses fortunes et de grandes misères ; mais si ces fortunes ne sont point territoriales, on voit dans son sein des pauvres et des riches ; il n’y a pas, à vrai dire, d’aristocratie (T. 19811, 88).

D’où, par contre, nous déduisons la seconde qui s’avère l’absence de l’aristocratie

territoriale. Une absence qui implique naturellement l’inexistence d’une aristocratie à proprement

parler en Amérique.

Ce qui revient à dire, en somme, que la communauté des traits et l’analogie de la situation

de ces émigrants Anglais consistaient d’une manière fondamentale, dans l’idée d’égalité entre eux.

Une idée qu’ils avaient déjà au départ de leur mère patrie : « les émigrants n’avaient aucune idée de

supériorité quelconque les uns sur les autres ». C’est, en premier lieu, cette idée d’égalité qui

caractérise véritablement tous les Anglais, fussent-ils pèlerins, aventuriers ou grands seigneurs,

pour des raisons aussi diverses que variées, en proie à l’émigration en Amérique. Et, sur la base de

cette idée d’égalité, ils devaient sur cette terre neuve bâtir la société nouvelle. Aussi, Tocqueville

peut-il conclure que :

Toutes les colonies anglaises avaient donc entre elles, à l’époque de leur naissance, un grand air de famille. Toutes, dès leur principe, semblaient destinées à offrir le développement de la liberté, non pas la liberté aristocratique de leur mère patrie, mais la liberté bourgeoise et démocratique dont l’histoire du monde ne présentait point encore de complet modèle (T. 19811, 88-89).

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Donc, le principe fondateur de la démocratie logeait, sous la forme d’idée d’égalité, dans

l’esprit des émigrants Anglais qui vinrent s’établir au commencement du XVIIe siècle dans les

bords opposés de l’Océan. Il s’avère impérieux de préciser : à leur départ de la mère patrie,

l’Angleterre. A avoir fourni le premier modèle de société égalitaire et homogène dans toutes ses

parties, pour le dire avec Mireaux, « une civilisation et un ordre social inédit » (Mireaux, 1959),

seront la centaine et demie environ de puritains ayant débarqué sur le rivage inhospitalier de la

Nouvelle-Angleterre, en 1620. A la faveur, surtout, de la spécificité de leur caractère immensément

religieux comme nous l’avons montré au premier chapitre.

Idée d’égalité. Tel est principe fondateur de la démocratie dans sa configuration originaire

de la société moderne ; au sens de l’origine du caractère démocratique de l’état social anglo-

américain. Or, pénétrant dans le monde de la politique, où il établit l’égalité des droits, le même

principe semble susceptible d’acquérir une nouvelle portée. Celle-ci ne peut être définie qu’en

rapport avec la forme politique à travers laquelle se déploie le principe démocratique. Deux, et

seulement deux, s’avèrent ces formes chez Tocqueville. Sur la base de la constitution américaine, il

revêt le blason de la souveraineté du peuple.

II.- Le principe de la souveraineté du peuple

Produit de l’idée d’égalité, doublée d’autres ingrédients telles que les lois (qui à ce point de

notre étude restent encore à découvrir), la démocratie s’avère un fait dans la plupart des nations

occidentales. De nos jours. Les premiers à jouir de cet état social, les Américains, nous le savons

déjà, « ont été assez heureux pour échapper au pouvoir absolu. Les circonstances, l’origine, les

lumières, et surtout les mœurs, leur ont permis de fonder et de maintenir la souveraineté du

peuple. » Raison qui semble bien justifier le principe afférent à leur constitution : le principe de la

souveraineté du peuple54.

Prenons essor de la définition de l’état social, en espérant d’être explicite. En effet, selon

Tocqueville :

L’état social est ordinairement le produit d’un fait, quelquefois des lois, le plus souvent de ces deux causes réunies ; mais une fois qu’il existe, on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des

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coutumes et des idées qui règlent la conduite des nations ; ce qu’il ne produit pas, il le modifie (T. 19811, 107).

Cette définition pourtant si claire apparaît obscure en quelque endroit. Destinée à dévoiler

plutôt l’essence, c’est-à-dire l’origine et la nature de l’état social, elle n’établit pas tout à la fois le

« fait » et les « lois », ensemble ou séparément, d’où cet état social se déduit. En dépit de cette

insuffisance relative elle a pour autant l’avantage de les signaler. Fait et lois, donc, se trouvent au

fondement de l’état social. Quel fait ; mais, aussi, quelles lois ?

A la lumière de tout ce qui précède, nous savons que le fait dont l’état social des Anglo-

Américains s’avère le produit est une commune idée caractéristique des émigrants Anglais, au

départ de leur mère patrie : l’idée d’égalité, ce principe fondateur de la démocratie. Pourtant, cette

idée d’égalité n’apparaît pas l’unique fait à avoir présidé à l’institution de la démocratie en

Amérique.

Le génie de Tocqueville n’est qu’énorme. Etablissant, en effet, la commune condition des

émigrants « qui vinrent, à différentes périodes occuper le territoire que couvre aujourd’hui l’Union

américaine », il ne se limite pas seulement à évoquer l’idée d’égalité qui les caractérisait. Ce fait

particulier ne pouvait échapper à l’attention. Mais, avec lui, un autre aussi important, déductible de

l’éducation politique de ces émigrants. Une éducation qui s’est faite à la rude école d’un pays agité,

des siècles durant, par la lutte des partis, obligeant ainsi les factions de se placer sous la protection

des lois.

Ainsi, donc, avec « le gouvernement communal » qui « était déjà profondément entré dans

les habitudes anglaises », « le dogme de la souveraineté du peuple s’était introduit au sein même de

la monarchie des Tudors. » Au fait de l’idée d’égalité, le principe fondateur, s’adjoint alors « le

dogme de la souveraineté du peuple », dans l’institution de la démocratie. Tocqueville décline le

statut philosophique du dogme de la souveraineté du peuple abordant le chapitre IV, « Du principe

de la souveraineté du peuple » (T. 19811, 117-120). Quand bien même sa déclinaison politique

émerge déjà avec l’allusion à l’éducation politique des Anglais dans leur mère patrie.

En principe, rien donc de l’Amérique ne participe à cette œuvre d’édification, de

construction de l’état social des Anglo-Américains, de la démocratie. Sauf, le cadre géographique

que fournit le territoire avec ses splendides atouts. Au lieu où le principe fondateur, c’est-à-dire

l’idée d’égalité, représente le fait dont l’état social anglo-américain est le produit, le dogme de la

souveraineté du peuple, par contre, constitue la loi primordiale, le principe moteur, de cet état

social.

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Voilà pourquoi, et il apparaît encore davantage clair maintenant, abordant naturellement ce

chapitre IV, « Du principe de la souveraineté du peuple », Tocqueville commence par énoncer que :

« Lorsqu’on veut parler des lois politiques des Etats-Unis, c’est toujours par le dogme de la

souveraineté du peuple qu’il faut commencer » (T. 19811, 117). Ce dogme entre à faire partie des

lois politiques des Etats-Unis, quand bien même il apparaît qu’il intervient dans la formation de

l’état social des Anglo-Américains, à travers notamment l’acte de naissance des colonies. Et,

Tocqueville fait bien de nous le rappeler : « dès l’origine, le principe de la souveraineté du peuple

avait été le principe générateur de la plupart des colonies anglaises d’Amérique » (ibid., 118).

Il y a ici une nuance forte qu’il s’avère nécessaire de la montrer. En comparaison avec

l’égalité des conditions, dans laquelle Tocqueville voit le fait générateur, le principe de la

souveraineté du peuple constitue le principe générateur. Ce qui ne paraît pas à nos yeux la même

chose. Il ne faudrait pas voir dans cette élucidation un rigorisme banal et, partant, blâmable. Elle

trouve une justification plausible dans le propos même de Tocqueville, dans sa définition de l’état

social.

En effet, si ‘fait’ et ‘principe’ avaient la même connotation chez l’auteur de Démocratie

dans cette définition en soi du reste très explicite de l’état social, l’état social n’aurait pas été « le

produit » ou la résultante de l’un, quelquefois de l’autre (au singulier, dans le cas spécifique du

principe de la souveraineté du peuple), d’une part ; ou, d’autre part, « le plus souvent de ces deux

causes réunies ». La différence entre le fait générateur de l’égalité des conditions et le principe

générateur de la souveraineté du peuple s’affiche donc de manière ostensible, qu’il serait imputer à

Tocqueville la confusion dont l’inattention seule peut être la plus grande cause.

D’ailleurs, il s’avère impérieux de relever aussi que Tocqueville n’éprouve aucune

difficulté à déterminer la cause de l’état social des nations. Et Furet a raison d’exclure ici le débat

scolastique sur les causes premières, au grand dam de ceux qui, comme Manent (1993, 15), pensent

trouver Tocqueville en faillite ; car, semble-t-il, il renonce à chercher ce qui pourrait déterminer

l’état social.

En fait, Tocqueville déploie la cause de l’état social au chapitre II, « Du point de départ et

de son importance pour l’avenir des Anglo-Américains » (T. 19811, 85-106), dans le spécifique cas

de l’Amérique qui « est le seul pays où l’on ait pu assister aux développements naturels et

tranquilles d’une société, et où il ait été possible de préciser l’influence exercée par le point de

départ sur l’avenir des Etats » (ibid., 86). Il ne s’agit pas dans l’esprit de Tocqueville, à l’image de

l’état de nature chez Hobbes, Locke ou Rousseau, d’une pure invention philosophique, une

construction mentale-intellectuelle, une représentation imaginaire de l’esprit. Et, pour tout lecteur

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attentif, cette cause de l’état social des Anglo-Américains réside naturellement dans le principe

fondateur de l’idée d’égalité caractéristique de l’esprit des émigrants Anglais au départ de leur mère

patrie. Assortie à ce principe fondateur, le dogme de la souveraineté du peuple qui en est le principe

générateur. La cause de l’état social des nations d’Europe, par contre, stipule Tocqueville, se trouve

dans leur berceau enveloppé d’un nuage et environné de fables derrière lesquelles se cache la vérité.

Tocqueville n’aurait pu être encore davantage explicite dans son propos qui, pour être perçu, ne

requiert que beaucoup d’attention.

Ainsi, donc, contrairement à ce que pense Manent à travers « La définition de la

démocratie », le chapitre premier de son Tocqueville et la nature de la démocratie, Tocqueville

n’emploie pas « pour caractériser l’importance de la souveraineté du peuple aux Etats-Unis les

termes mêmes dont il s’était servi à propos de l’état social : comme l’état social, la souveraineté du

peuple est « principe générateur » » (Manent, 1994, 16). Non, loin de là. L’égalité des conditions,

déduite de l’idée d’égalité, assortie avec le dogme de la souveraineté du peuple, est le fait

générateur de la société américaine, donc la démocratie, tandis que le principe de la souveraineté du

peuple en est le principe générateur, le moteur qui le fait devenir et, partant, agir. Ce principe, donc,

est à l’œuvre à côté du fait de l’égalité des conditions pour le faire mouvoir, comme il se mouvra

lui-même, jusqu’aux limites extrêmes où, tous ensemble, ils peuvent arriver et ou conduire les

Anglo-Américains. Jusqu’aux dernières conséquences imaginables.

Et, à propos de ce principe quant à son odyssée dans le nouveau monde, Tocqueville

observe que : « En Amérique, le principe de la souveraineté du peuple n’est point caché ou stérile

comme chez certaines nations ; il est reconnu par les mœurs, proclamé par les lois ; il s’étend avec

liberté et atteint sans obstacles ses dernières conséquences » (T. 19811, 117). Voilà pourquoi,

poursuit-il : « S’il est un pays au monde où l’on puisse espérer apprécier à sa juste valeur le dogme

de la souveraineté du peuple, l’étudier dans son application aux affaires de la société et juger ses

avantages et ses dangers, ce pays-là est assurément l’Amérique » (ibid., 117-118). Où, surenchérit-

il : « Il s’en fallut de beaucoup cependant qu’il dominât alors le gouvernement de la société comme

il le fait de nos jours » (T. 19811, 118). Car, souligne l’auteur de Démocratie : « Deux obstacles,

l’un extérieur, l’autre intérieur, retardaient sa marche envahissante » (ibidem). Et ce, jusqu’à ce

qu’il sortit en plein jour en les brisant à la fois copieusement et définitivement.

La suite du propos explique et montre lapidairement comment, avec l’éclatement de la

révolution américaine, ce dogme sortit de la commune et s’empara du gouvernement et devint la loi

des lois. Et, avec un changement aussi rapide s’effectuant dans le sein même de la société, la loi des

successions acheva de briser les influences locales (T. 19811, 118).

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La profondeur du jugement de Mill sur l’ouvrage de Tocqueville se révélait ainsi chaque

fois encore davantage lorsque, le découvrant en effet à mesure que nous avançassions dans notre

recherche, nous nous rendions compte des transformations que ces commentateurs agrées ont fait

subir à ses doctrines essentielles. Du dogme de la souveraineté du peuple, nous sommes parvenus à

la loi des lois sur fond de la démocratie, c’est-à-dire cet état social égalitaire ou ce mouvement

social ou encore cette révolution démocratique, en faveur de quoi, aux seul et univoque nom,

démocratie, la victoire avait déjà irrévocablement prononcé. Un extrait de Tocqueville illuminera

davantage notre propos. Lisons l’auteur de Démocratie :

Au moment où cet effet des lois et de la révolution commença à se révéler à tous les yeux la victoire avait déjà irrévocablement prononcé en faveur de la démocratie. Le pouvoir était, par le fait, entre ses mains. Il n’était même plus permis de lutter contre elle. Les hautes classes se soumirent donc sans murmure et sans combat à un mal désormais inévitable. Il leur arriva ce qui arrive d’ordinaire aux puissances qui tombent : l’égoïsme individuel s’empara de leurs membres ; comme on ne pouvait plus arracher la force des mains du peuple, et qu’on ne détestait point assez la multitude pour prendre plaisir à la braver, on ne songea plus qu’à gagner sa bienveillance à tout prix. Les lois les plus démocratiques furent donc votées à l’envi par les hommes dont elles froissaient le plus les intérêts. De cette manière, les hautes classes n’excitèrent point contre elles les passions populaires ; mais elles hâtèrent elles-mêmes le triomphe de l’ordre nouveau. Ainsi, chose singulière ! on vit l’élan démocratique d’autant plus irrésistible dans les Etats où l’aristocratie avait le plus de racines (T. 19811, 118-119).

Suivant la logique de l’analyse de Tocqueville, nous entendons par démocratie un état

social caractérisé par l’égalité des conditions. Ce fait générateur dont chaque fait particulier (aussi

bien les lois et coutumes que les idées réglant la conduite des nations) semblait descendre, et, dont

Tocqueville dit retrouver sans cesse devant lui comme un point central d’aboutissement de toutes

ses observations.

Il ne s’agit donc pas d’une spécifique démocratie politique, et cela doit être clair une fois

pour toute, puisque l’Union américaine n’existait pas au commencement ; ni de la translation d’une

certaine démocratie sociale vers une soi-disant démocratie politique. Au contraire, il s’agit plutôt de

la transplantation du principe fondateur de l’idée d’égalité, caractéristique de l’esprit des premiers

émigrants Anglais au départ d’Angleterre. Pour le dire autrement, il s’agit de l’aboutissement de la

marche du fait de cette idée d’égalité, sous l’effet du principe générateur de la souveraineté du

peuple. Toutes, acquisitions des premiers émigrants depuis la mère patrie.

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Tocqueville ne terminera pas son propos sur le principe de la souveraineté du peuple avant

d’avoir observé que :

De nos jours le principe de la souveraineté du peuple a pris aux Etats-Unis tous les développements pratiques que l’imagination puisse concevoir. Il s’est dégagé de toutes fictions dont on a pris soin de l’environner ailleurs ; on le voit se revêtir successivement de toutes les formes, suivant la nécessité des cas. Tantôt le peuple en corps fait les lois comme à Athènes ; tantôt des députés, que le vote universel a créés, le représentent et agissent en son nom sous sa surveillance presque immédiate (T. 19811, 119).

Ce qui fait naturellement voir à Tocqueville comment la société aux Etats-Unis agit par

elle-même et sur elle-même sans l’existence ni le besoin d’existence de puissance extérieure. Aussi,

peut-il conclut, à la gloire du peuple, que :

Le peuple participe à la composition des lois par le choix des législateurs, à leur application par l’élection des agents du pouvoir exécutif ; on peut dire qu’il gouverne lui-même, tant la part laissée à l’administration est faible et restreinte, tant celle-ci se ressent de son origine populaire et obéit à la puissance dont elle émane. Le peuple règne sur le monde politique américain comme Dieu sur l’univers. Il est la cause et la fin de toutes choses ; tout en sort et tout s’y absorbe (T. 19811, 120).

Pour quiconque est parvenu au degré de perception tocquevillien de la démocratie, il ne

s’avère pas du tout difficile de percevoir dans ces dernières lignes de Tocqueville, à la fois

clairement et distinctement, la description de la manière avec laquelle le pouvoir est imparti et

comment il fonctionne. Notamment, dans l’une des deux formes politiques de la démocratie. Et,

dans le cas d’espèce, ici, la souveraineté du peuple. Cette forme, communément appelée

démocratie, que grâce aux circonstances les Américains ont pu fonder et maintenir.

Cependant, quant à la forme de gouvernement réelle et véritable, appliquée aux Etats-Unis,

il faut suivre Tocqueville dans la deuxième partie du premier volume de Démocratie pour en avoir

une idée précise. Dès le chapitre premier, « Comment on peut dire rigoureusement qu’aux Etats-

Unis c’est le peuple qui gouverne » (T. 19811, 255), Tocqueville laisse percevoir, sans aucun détour

ni affectation, qu’il s’agit de la représentation ou du gouvernement représentatif55. Mais, au-dessus

des institutions tout comme des lois écrites et en dehors de toutes les formes de la société politique

américaine réside le pouvoir souverain du peuple, érigé en principe, conformément à la manière

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dont les Américains ont choisi de faire entrer dans le monde politique l’égalité. Précisément,

l’égalité des droits.

Ainsi du principe de la souveraineté du peuple qui, sans prétendre en avoir livré

l’interprétation la plus achevée, apparaît en dernier ressort la version politique du principe fondateur

de l’idée d’égalité. En somme, la souveraineté du peuple est au politique ce que l’égalité des

conditions est au social.

Mais, dans la première note relative à ce point, nous nous sommes réservés le droit

d’extrapoler devant le silence de l’auteur de Démocratie en ce qui concerne le principe de la

souveraineté du peuple en rapport avec le pouvoir absolu ou le despotisme. Celui-ci est une autre

forme de gouvernement démocratique dont Tocqueville, dans la Démocratie de 1840, ne parle que

par ricochet. Notamment, au chapitre V, intitulé « Que parmi les nations européennes de nos jours

le pouvoir souverain s’accroît quoique les souverains soient moins stables » (T. 19811, 369-381).

Sur un fond de comparaison, Tocqueville fait allusion aux vieilles nations démocratiques d’Europe.

Si, à son temps, le despotisme qu’il prônait est resté théorique et livresque, de nos jours, il s’avère

une réalité politique indéniable. Cette réalité que nous identifions dans toutes les monarchies

modernes dont foisonne l’Europe.

En survolant la liste des monarchies dans le monde actuel à travers l’Encyclopédie en

ligne, Wikipédia, nous apercevons en effet que le vieux continent compte bien une douzaine de

monarchies dont les plus importantes sont : la monarchie d’Angleterre, celle de Belgique et

Danemark, la monarchie d’Espagne, la monarchie des Pays-Bas, puis celle de Luxembourg,

Norvège et Suède. A travers la forme monarchique donc du gouvernement de la démocratie, le

principe de la souveraineté du peuple paraît sujet à quelque modulation certaine, déterminée par le

rang que le peuple lui-même reconnaît puis attribut au monarque. Dans les faits, cette modulation

varie d’une monarchie à l’autre, avec unique point d’ancrage, le peuple.

Dans « Les autres monarchies d’Europe », un article de Dernière heure paru en 2006, par

exemple, il apparaît que : en Angleterre, Sa Majesté, souveraine, avec un pouvoir d'influence

certain, est à la fois chef de l'État, mais aussi du Commonwealth, puis gouverneur suprême de

l'Église d'Angleterre et commandante en chef des forces armées britanniques. Tandis que, au

Danemark, La Reine, dont la tâche principale est de représenter le pays à l'étranger, n'intervient pas

dans le pouvoir politique, ne pose pas d'acte et n'exprime pas d'opinion en la matière, même si elle

signe tous les actes du Parlement qui n'ont aussi de valeur que s'ils sont contresignés par le

gouvernement. En Espagne Le Roi arbitre le fonctionnement des institutions, sanctionne et

promulgue les lois, propose et nomme le Premier ministre, et peut présider, à certains moments, les

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réunions du Conseil des ministres. Tandis que, au Luxembourg, l’exercice du pouvoir exécutif

appartient au Grand-Duc secondé par les membres de son gouvernement. Il assure l’exécution des

lois, veille au maintien de l’ordre et gère les biens publics ; puis, participe du pouvoir législatif qui

est son ressort conjointement avec la Chambre des députés. En Norvège, les pouvoirs du Roi, qui a

surtout un rôle de représentation, ne sont guère étendus, hormis un Conseil d'État hebdomadaire

qu'il préside et la nomination des nouveaux ambassadeurs. Tandis que dans Les Pays-Bas, depuis

1848, la Constitution établit que le gouvernement est politiquement responsable des actes et des

discours de La Reine qui est présidente du Conseil d'État, la plus haute cour du pays.

Ce principe reste loin d’emporter la conviction de la majorité des amis européens voire

occidentaux de la démocratie qui, encore de nos jours, préfèrent volontiers ranger puis appeler sous

le seul et unique nom, démocratie, les Monarchies constitutionnelles, dont foisonne l’Europe, et les

Républiques.

III.- L’idéal démocratique déductible de l’analyse de Tocqueville

Produit du principe fondateur de l’idée d’égalité mis en marche par le principe de la

souveraineté du peuple, la société moderne revêt une portée foncièrement démocratique. A la faveur

de la prédominance de l’esprit religieux, ses pionniers la fondèrent sur les principes qui, jadis,

avaient du mal à s’affirmer pleinement et, surtout, à être aussi bien cernés dans les vieilles sociétés

de l’Europe du XVIIe siècle. Au travers de leur initiative politique, nous percevons une démocratie

née de nouveau et dont la nature seule paraît suffisante à faire rêver les promoteurs comme les

partisans successifs tant de l’égalité sociale que de la souveraineté politique. En pensant nous

appuyer sur les Essais sur Tocqueville de Mill pour la conceptualisation de l’idéal démocratique,

déductible de l’étude tocquevillienne de la société américaine, nous ne pouvons ici nous passer d’en

prendre essor.

En effet, visant naturellement l’établissement du but dans lequel Tocqueville a procédé à

un examen de l’Amérique, ainsi qu’il apparaît également dans son développement narratif, Mill

commente les cinq premiers paragraphes de l’introduction de Démocratie dans les termes qui

suivent :

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Décrire avec précision et apprécier avec justesse les institutions des Etats-Unis n’ont donc été que des motifs secondaires pour l’auteur original et profond de ces volumes, nous voulons dire secondaires en eux-mêmes, mais indispensables quant à son principal sujet. Il s’agissait de rechercher quelles lumières peut apporter l’exemple de l’Amérique sur la nature de la démocratie ; question qu’il considère comme la plus importante de notre époque (Mill, 1994, 42).

Dès lors, la question qui tombe à l’esprit et à laquelle nous devons aussi chercher la

réponse dans Démocratie est la suivante : l’exemple de l’Amérique a-t-il réellement apporté à

Tocqueville quelque lumière sur la nature de la démocratie ; qu’en est-il donc de cette nature ? En

ligne de principe, nous sommes d’avis que l’humanité se trouve en plein dans l’ère démocratique. Il

ne s’agit donc pas de mettre en discussion le principe même que la démocratie sert et doit servir de

fondement dans tous les rapports interhumains et, partant, inter-nations. Aussi, en nous inscrivant

dans la perspective de Tocqueville, il ne s’agit que de tirer le meilleur parti de l’établissement de la

démocratie. Cette démocratie dont la nature, pour certains peuples, reste un vrai mystère quand elle

n’est pas seulement construite de toutes pièces et édictée ensuite par quelque puissance tutélaire.

En dépit du degré de modification que les spéculations ultérieures ont pu faire subir aux

doctrines essentielles de la démocratie déployée par Tocqueville, Mill nous en avait déjà mis en

garde (Mill, 1994, 145), jetant ainsi la confusion dans son propos, il nous apparaît évident que

Tocqueville a eu une perception à la fois nette, claire et distincte de la démocratie. Spécialement, de

la démocratie dont il parle et évoque les conséquences naturelles, de surcroît politiques, à la lumière

de son étude de la société américaine.

Tocqueville nous fait voir la démocratie comme elle ne nous a jamais été présentée par le

passé ni comme elle ne s’était apparue à nos yeux depuis. Il la décline sous la forme originale d’un

état social égalitaire dont il est possible aux hommes de tirer deux conséquences politiques. Dit

autrement, deux constitutions politiques voire deux formes de gouvernement démocratiques : la

constitution politique à l’américaine et le despotisme, pour ainsi dire la constitution politique,

théorique à l’européenne, dont il n’a cessé de rêver. Il s’avère toutefois impérieux de relever que ce

despotisme de Tocqueville, qui se donne en alternative pour ainsi dire purement et simplement à la

démocratie, était une chose nouvelle dont l’histoire ne connaissait alors encore aucune expérience.

En parlant de ce despotisme, en termes d’oppression, Tocqueville put affirmer de manière claire

que : « Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en

forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose

est nouvelle, il faut donc tacher de la définir, puisque je ne peux la nommer » (T. 19812, 385). 

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Ayant vu un peu plus haut comment son auteur l’avait défini, nous savons maintenant qu’il

ne s’agit nullement de cette espèce de tyrannie des Césars que Tocqueville redoute

vraisemblablement. Par ce terme, il entendait également une forme de gouvernement démocratique,

au même titre que celle fournie par la constitution politique américaine de la souveraineté populaire.

En ce qui concerne les nations d’Europe, il lui fut plutôt favorable. Certaines nations européennes,

de nos jours, jouissent des joyaux théoriques de ce despotisme peint par Tocqueville. Nous

apercevons dans les modernes monarchies européennes les traits tout à la fois théoriques et

philosophico-politiques de ce pouvoir absolu que Mill appelle « absolutisme modéré et contrôlé des

temps modernes » et dans lequel Benoît perçoit un « despotisme dur ». Mais, pouvoir que nous

appelons précisément, ‘despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple’.

A travers Démocratie, Tocqueville vient finalement d’« introduire dans l’histoire humaine

une mutation radicale du lien social à la lumière de laquelle les régimes politiques que la tradition

jugeait essentiellement différents n’apparaissent plus distingués que par des nuances »56, pour

reprendre Manent (1994, 26). Même si celui-ci croit percevoir dans la nouvelle conception de la

démocratie de Tocqueville, non pas comme, tout court : état social ; mais, état social égalitaire, une

indétermination à laquelle il apporte une correction. Une correction qui consiste en fait à lui

attribuer, maladroitement, une détermination essentiellement et exclusivement politique.

Mais, nous savons que la perception tocquevillienne de la marche certaine vers le pouvoir

en Europe de la démocratie, son établissement de fait comme en Amérique, s’avère loin de paraître

celle du triomphe de la constitution politique américaine. Nous ne retournerons plus sur son choix

du pouvoir absolu pour les nations européennes. Tocqueville, pour paraphraser Mill, a entrepris ‘de

décrire avec précision et d’apprécier avec justesse’ les institutions des Etats-Unis, afin que celles-ci

servent d’exemple à la France, partant, à l’Europe. Le but fondamental de son recours à l’exemple

américain était de voir clair sur la nature même de la démocratie

De plus, nous savons que le choix des Américains en faveur de la souveraineté du peuple

ne constitue pas le terminus ad quem de ladite démocratie dont Tocqueville perçoit les premiers pas

de la marche irrésistible dans un lointain XIIe siècle, avec la fondation du pouvoir politique du

clergé qui finit par ouvrir « ses rangs à tous, au pauvre et au riche, au roturier et au seigneur ». Cette

démocratie-là revêt un caractère providentiel. Aussi, vouloir arrêter cette démocratie « paraîtrait

alors lutter contre Dieu même », dit Tocqueville. Poursuivant, il ajoute qu’« il ne resterait aux

nations qu’à s’accommoder à l’état social que leur impose la Providence. » Non sans aucun brin de

fatalisme devant lequel l’homme s’avère impuissant.

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Ainsi perçue, donc, la démocratie représente la destinée de toutes les nations. Aussi bien

les anciennes nations, telles que celles d’Europe, qui n’ont eu que le mérite de l’obstruer en

retardant ainsi sa marche (T. 19811, 58), que les nouvelles, à l’instar des Etats-Unis. Etats-Unis où,

pour le dire avec les mots de Furet : « la démocratie n’est pas cachée dans la nuit des temps, ou les

desseins de la Providence. Elle a été apportée par les immigrants, puritains de la Nouvelle-

Angleterre ou Quakers de Pennsylvanie, comme un principe religieux fondateur de la patrie » (T.

19811, 19).

Il apparaît clairement que, comme les Etats-Unis, la majorité des nations d’Europe a tiré de

nos jours le meilleur parti de l’établissement du nouveau régime social démocratique. Nous

pouvons faire quelques exemples : la constitution monarchique en Grande-Bretagne, Espagne et

Belgique, et, la constitution républicaine en France, Italie, et Suisse. Cependant, il convient de le

souligner, avec quelques exceptions près. Aussi bien d’une monarchie à une autre que d’une

république à une autre, sans que les nations républicaines accusent d’« adémocratiques »57 les

monarchiques ni que les nations monarchiques n’accusent de pareil les républicaines.

C’est que, comme Tocqueville le révèle à travers son important ouvrage politique, la

démocratie ne décrit pas naturellement ni, moins encore, principalement un régime politique voire

une forme d’Etat ou de gouvernement. Au contraire, elle décrit bel et bien un état de société dont les

peuples, notamment en fonction, entre autres, de leurs mœurs peuvent tirer l’une des deux formes

de gouvernement démocratiques, qui loin de ressembler à l’Ancien Régime ni à la tyrannie des

Césars s’en éloignent davantage en raison du fait même que l’égalité qui les inspire en adoucit

également les mœurs.

Inhérente à l’état social démocratique, l’égalité des conditions, ne s’avère pas une

invention métaphysique de Tocqueville. Furet ne croirait pas si bien le noter lorsqu’il affirme qu’ :

« Il y a une matrice culturelle de la démocratie américaine, une logique de l’évolution inscrite dans

l’histoire des origines, pour une fois claire et connue » (T. 19811, 19). Tocqueville découvre cette

matrice culturelle en étudiant en effet la société américaine. Cependant, avec en partie les mots

empruntés à Furet (cf. T. 19811, 19), les « immigrants, puritains de la Nouvelle-Angleterre ou

Quakers de la Pennsylvanie » qui apportèrent dans le Nouveau monde la démocratie « comme un

principe religieux fondateur de la nouvelle patrie », furent bien loin d’être les premiers concepteurs

de l’égalité comme caractéristique principale de la démocratie. Déjà, dans l’Antiquité, Platon

fondait sa critique virulente de la démocratie sur la dénonciation de cette égalité qui la caractérise

(Platon, La République, VIII). Sans oublier que, en dépit de son caractère triadique, l’alors égalité

désignait une égalité politique.

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Reconnaissons que la démocratie athénienne était essentiellement perçue et conçue comme

forme de gouvernement, d’organisation et de gestion de la cité. Exclusivement politique, elle se

fondait sur le pouvoir du peuple. Principalement, comme dans une certaine mesure la liberté,

l’égalité en constituait une des caractéristiques fondamentales. Les pères fondateurs de la Nouvelle-

Angleterre, par contre, en ont extrait l’égalité pour en faire de l’idée (accent nôtre), plus que la

caractéristique d’une simple forme de gouvernement, le principe fondateur de l’entière société. Ce

que, comme martèle naturellement l’auteur de Démocratie, les Grecs n’ont point osé imaginer.

Pourtant ainsi donc de la société nouvelle, à en croire Mill (1994, 42), vers laquelle les deux grands

partis qui divisaient alors l’Europe – les démocrates et les aristocrates – se tournèrent pour trouver

les matériaux nécessaires susceptibles de justifier leur position pour ou contre la démocratie.

Pour faire avoir eu à la société moderne actuelle sa physionomie (nous entendons

naturellement l’ensemble des vieilles et grandes nations démocratiques européennes), le corollaire

du principe fondateur du fait générateur de la nouvelle société américaine, le principe générateur de

la souveraineté du peuple qui accompagnait, avec ce fait générateur, la marche de la nouvelle

société démocratique d’Amérique dut accomplir un grand et indéniable exploit. En effet, le principe

de la souveraineté du peuple s’illustra par ce qu’il avait fini par ébranler tous les obstacles, tant

externes qu’internes, auxquels il fut confronté. Aussi, put-il enfin sortir des assemblées provinciales

et, surtout, de la commune où il était réduit à se cacher pour devenir la loi des lois du gouvernement

démocratique des Etats-Unis (T. 19811, 118). Mais, il fut un puissant instrument politique entre les

mains des membres mêmes de la nouvelle société américaine, c’est-à-dire ceux des fils de l’Europe

qui allèrent chercher fortune en Amérique. Non entre les mains des descendants des « quelques

peuplades qui erraient depuis des siècles sous les ombrages de la forêt ou parmi les pâturages de la

prairie », pour emprunter les mots à Tocqueville (ibid., 80). Et, en particulier, les Indiens qui

occupaient mais sans posséder le nouveau monde, ce continent tout entier qui pourtant, à l’époque

de la découverte, apparaissait comme le berceau encore vide de la très grande nation américaine.

Chez Tocqueville la démocratie s’avère un état social égalitaire providentiel. De ce fait,

elle apparaît comme la destinée de toutes les nations. Pour y parvenir, les nations doivent, par le

truchement de leurs chefs et de leurs classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus

morales, chercher à la diriger ou mieux encore à la gouverner sur la base du principe de la

souveraineté dont elles sont tenues de jouir de l’efficace et, partant, de montrer la preuve de cette

efficace. C’est de cette manière seulement que, ne pouvant être contenue mais pouvant être dirigée,

la démocratie peut conduire vers ces heureux achèvements, suivant la conclusion à laquelle, à en

croire Mill, Tocqueville serait arrivé. En effet, traitant des résultats de l’analyse de celui-ci de la

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société américaine, l’auteur des Essais souligne que : « La conclusion à laquelle il est arrivé est que

ce courant irrésistible, s’il ne peut être contenu, peut cependant être dirigé, et dirigé vers d’heureux

achèvements » (Mill, 1994, 53). Indéniablement, nous sommes en présence d’un précieux

enseignement que Tocqueville avait dispensé alors aux nations d’Europe, à l’instar de la nation

française. Cette conviction de l’auteur de Démocratie, sous la plume de Mill, se traduit en termes

des possibilités reconnaissables au gouvernement démocratique pour l’Europe. En effet, Mill écrit :

Il est convaincu qu’un gouvernement démocratique dans sa nature mais conçu avec ce qu’il faut de précaution peut se maintenir en Europe, être stable et durable, et assurer alors à l’ensemble des hommes vivant sous son autorité une plus grande somme de bonheur que celle dont aucun peuple a joui jusque-là (Mill, 1994, 53).

De nos jours, l’histoire ne contredirait pas aussi aisément cette conviction qui offre un

élément de plus d’encouragement à la démocratie à laquelle il faudrait, pour le dire avec les mots de

Mill, « préparer la voie » en vue de cette fin. Savoir que le gouvernement de la démocratie conduit

vers d’heureux achèvements ne peut que solliciter l’attention des peuples chez lesquels elle produit

l’exact opposé de ce dont elle semble disposée naturellement.

Troisième conclusion

En somme, en tant qu’état social égalitaire, la démocratie fonde naturellement dans l’idée

d’égalité, principe que les pères fondateurs de l’Amérique dégagèrent de tous ceux contre lesquels il

luttait dans les vieilles sociétés d’Europe. D’ailleurs, cette même démocratie trouve son principe

politique dans la souveraineté du peuple dont le dogme était introduit dans la monarchie des Tudors

par le biais du gouvernement communal qui était quant à elle aussi déjà profondément ancré dans

les habitudes des Anglais dans leur mère patrie. Doublée de la matrice culturelle, la providence

dispose les nations postérieures aux Etats-Unis, et précédemment colonies européennes, à la

démocratie dont la direction par les chefs d’Etat et les classes les plus puissantes, les plus

intelligentes et les plus morales peut conduire à la stabilité. Puis, fournir ainsi à la démocratie

l’opportunité de conduire aussi majestueusement les nations soumise à son autorité. C’est

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naturellement sur la base et à la lumière de cette conception de la démocratie de Tocqueville que

nous allons aborder ‘Le problème de la démocratie en Afrique’, la seconde partie de notre étude.

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DEUXIÈME PARTIE

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LE PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

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CHAPITRE PREMIER

LES OBSTACLES À LA POSSIBILITÉ D’UNE CONSTRUCTION VÉRITABLE

DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

La démocratie née de nouveau au XVIIe siècle, plus précisément en 1620, en Amérique, à

partir de la colonie de la Nouvelle-Angleterre, sous l’extraordinaire initiative des puritains Anglais,

et représentant foncièrement un état social égalitaire d’où les Anglo-Américains ont pu tirer puis

fonder le gouvernement représentatif, aussi communément appelé démocratie, au mépris du

despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple (cf. T. 1981), se heurte, en Afrique, à une

gamme variée d’obstacles à la possibilité aussi bien de son réel que vrai établissement. Prenant

essor de Démocratie pour l’Afrique58, un ouvrage particulier59 dont la raison essentielle est que « la

faillite économique et politique de l’Afrique serait le déshonneur de la France, de l’Europe et du

monde développé » (D. 1991, 15), nous voulons en dégager naturellement le principal. Aussi, nous

proposons-nous notamment de suivre l’auteur dans sa tentative de reconstruction, d’une part, de ce

qu’il conçoit comme la « longue marche » de l’Afrique noire vers la démocratie, et, d’autre part, de

ce en quoi il perçoit « les premières tentatives » de constitution des démocraties dans cette région.

D’où, il émergera une importante nuance qu’il faut établir nécessairement entre les différentes

étapes de cette longue marche, voire ce qu’il convient de considérer telles, invoquant ainsi les

efforts que les Africains doivent accomplir absolument, et, ce qui constitue véritablement l’obstacle

effectif à la possible réalisation de la marche africaine vers la démocratie, au-delà de tous les

obstacles par lui répertoriés.

I.- La longue marche de l’Afrique noire vers la démocratie

Déjà dans le texte introductif de Démocratie pour l’Afrique, au titre aussi évocateur que

« Le début d’une longue marche » (D. 1991, 7-16), à travers lequel, entre autres, il stipule le motif

de son séjour en Afrique, du 20 janvier au 11 mars 199060, en compagnie de Charlotte Paquet,

Dumont, qui situe son étude dans le cadre d’une longue marche de l’Afrique vers la démocratie,

évidemment non sans savoir étonner ainsi ses amis61, laisse percevoir que cette longue marche

débute dès 1989. Notamment, avec la « libération » du Bénin (ibid., 9), avant de prendre une allure

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à la fois décisive et inquiétante en début de l’année suivante. Cependant, il sied de relever ce qu’il

entend naturellement par démocratie. Cette démocratie pour laquelle, nonobstant le tour politique

que prenait sa tournée de conférences62, il fait savoir de ne pas avoir dissimulé les positions

(ibidem), lui-même ainsi que sa compagne, à travers ce que nous pouvons considérer comme

conséquences morales du ‘nouveau’ mais aussi funeste tour politique de cette tournée, à l’instar de

la continence du langage, la sincérité dans l’expression des sentiments réellement éprouvés et du

sens de responsabilité qui ressortent de son propos63.

1.- Ce que Dumont entend par démocratie

Un passage significatif de Démocratie pour l’Afrique peut nous éclairer suffisamment sur

la vision de Dumont de la démocratie, tout au moins sur ce que son auteur entend par démocratie.

En tenant compte exclusivement de la structure architectonique de ce qui apparaît comme

l’introduction de son livre, dirions-nous donc dans sa seconde partie, l’auteur écrit :

Les jeunes réclament le multipartisme et les libertés. A Jacques Chirac – qui déclarait le 23 février 1990 sur RFI : « Pour les pays en voie de développement le multipartisme est une erreur politique […] Le multipartisme n’est pas lié à la démocratie et il y a des pays africains parfaitement démocratiques comme la Côte-d’Ivoire qui sont des pays à parti unique et où la démocratie s’exerce au sein de ces partis uniques » – nous rappelons que les partis uniques sont associés aux dictatures. Finies les précautions oratoires : le Kenya et plus encore le Zaïre sont, il ne faut plus craindre de le dire, pires en répression que le « nouvel apartheid » de l’Afrique du Sud, celui de De Klerk. Mobutu, Arap Moi et Bongo – liste non limitative – doivent être appelés des tyrans. Ils défendent leurs intérêts et protègent la corruption, en s’opposant de toutes leurs forces à la démocratie (D. 1991, 13).

De cet extrait, il ressort aussi explicitement que par démocratie, comme du reste tous les

intellectuels de l’establishment, Dumont entend succinctement : le multipartisme et les libertés.

Quant aux libertés, celles notamment classiques d’information, d’expression, d’association, de

représentation, etc.

Mais, quelques pas en arrière, c’est-à-dire encore un peu plus au début de son texte

introductif, nous autoriseraient d’adjoindre à ces deux éléments indicatifs, un troisième, à savoir :

« le respect du droit des femmes » (D. 1991, 9). Ce respect du droit des femmes, pour lequel 102

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d’abord lui et sa compagne n’avaient point caché leurs positions devant le funeste tour politique que

prenait sa tournée de conférences, rendrait ici plus complète sa compréhension de démocratie. Le

respect du droit des femmes, d’une part, donc, et, d’autre part, le multipartisme ainsi que les libertés

que les jeunes réclament désormais en Afrique, appartenant au lexique courant de la politique dès

cette période, inscrivent la perception de la démocratie de Dumont dans le cadre bien plus étendu et

ambigu de la spécifique conception politique de la démocratie. La seule en vogue depuis lors à

l’échelle globale sous la houlette, en des termes empruntés à Immanuel Wallerstein, « des dirigeants

et des intellectuels paneuropéens, dans leur poursuite éperdue des intérêts propres aux strates

dominantes du système-monde moderne » (Wallerstein, 2006, 5). Celle-là même qui gisait dans

l’esprit de François Mitterrand, et, que, en présence de ses homologues chefs d’Etat d’Afrique, à la

Baule, l’ancien président de la République française avait déclinée en des termes suivants :

Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c'est la seule façon de parvenir à un état d'équilibre au moment où apparait la nécessité d'une plus grande liberté, j'ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons (Mitterrand, 1990).

En conséquence, l’inscription de cette perception dans le registre de la conception

exclusivement politique de la démocratie est explicative de la reconstruction de la longue marche de

l’Afrique vers elle, chez Dumont.

2.- Le début de la longue marche vers la démocratie

En effet, débarqué le 20 janvier 1990 en Afrique où il restera jusqu’au 11 mars 1990,

Dumont ne se limite pas seulement, devant un accueil qui dépassait toutes les prévisions, à se

complaire dans la joie que pouvait de bon droit lui procurer le prestige dû au fait d’être l’auteur du

monumental L’Afrique noire est mal partie64. Au contraire, conscient de l’immense responsabilité

que lui donnait les marques de confiance tel le brûlant désir du public africain – ayant répondu

massivement présent au rendez-vous de ses conférences publiques – de le rencontrer, de l’entendre

et de le questionner65, il démontre de ne pas avoir manqué de transcender en effet ce

sentimentalisme, vulgaire et égocentrique, propre à tout commun des mortels, par le truchement 103

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d’une série d’observations pertinentes et dignes de son rang, émanant d’une attention particulière

manifestement portée sur la réalité sociopolitique des pays par où il est passé pendant son séjour.

De cette série d’observations de l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, il émerge

évidemment que le 23 janvier 1990 ne détermine pas seulement le jour de la tenue de sa première

conférence à Niamey, au Niger, devant au moins 1.200 auditeurs dont peut-être 1.100 Africains (D.

1991, 7). D’ailleurs, aussi bien dans sa conscience qu’objectivement, il en émerge en outre qu’il

représente également une date importante, symbolique, par rapport à la situation sociopolitique dans

laquelle verse depuis lors, puis encore davantage actuellement, l’Afrique tout entière (ibid., p.9).

Ainsi sollicité par la situation sociopolitique qui prévalait à cette époque en Afrique, donc,

Dumont eut la fortune d’être informé sur les évènements qui agitaient politiquement le continent

africain, non sans devoir en être lui-même parfois directement témoin, à l’instar de la répression

brutale, le 9 février 1990, à Niamey, d’une manifestation d’étudiants, écrit-il, « faisant

officiellement trois morts – bien plus, disent les manifestants – dont certains avaient peut-être été de

nos auditeurs » (D. 1991, 8). Sans avoir peur d’errer, nous pensons que c’est en ce sens qu’il faut

comprendre l’affirmation suivante de Dumont : « Cette tournée de conférences prenait ainsi un tour

politique, et, par là, inquiétait les autorités en place » (ibidem). Ce qui ne fut nullement sans

conséquences évidentes sur le déroulement de la suite de son programme devant désormais faire

nécessairement des comptes avec les astuces du pouvoir dans les pays dont il devait encore fouler le

sol. Selon son développement narratif : le Mali, le Sénégal et la Côte-d’Ivoire. A ce point précis,

reprenons-le :

A Bamako, deux conférences avaient été prévues ; la seconde, devant les étudiants de l’Ecole nationale d’administration, ne fut pas « autorisée ». A Dakar, la salle Daniel-Brottier, au centre de la ville, fut remplie à l’avance de partisans du parti au pouvoir, de façon à ce que bien des opposants, venus en grande majorité à l’heure indiquée, n’y puissent accéder, faute de place. Abidjan était, quand nous arrivâmes le mardi 13 février 1990, en pleine effervescence. Les autorités y avaient d’abord refusé de me laisser parler. L’ADFE66 local, en recevant ce refus, avait répondu qu’elle le ferait connaître urbi et orbi ; l’autorisation fut alors accordée. A 18 heures précises, heure prévue pour l’ouverture de la conférence, la salle du Centre culturel français était archipleine. Le courant électrique fut alors coupé : technique bien connue dans ce pays. J’ai pu parler dehors, avec un grand retard, et la discussion en a été écourtée. Un étudiant me dit à l’oreille : « Houphouët est un voleur, ce soir je vous le dis tout bas ; mais bientôt nous le crierons dans les rues » – ce qu’ils ont fait. A la même heure, à l’Université, ce 19 février 1990 les étudiants étaient en rébellion : on brûlait un autobus, mais on avait pas le droit de le dire en ville ! (D. 1991, 8-9).

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En focalisant l’analyse sur le plan intérieur, et à partir d’un peu plus d’une demi-dizaine de

pays67, Dumont situe le départ de la marche de l’Afrique vers la démocratie dans les mouvements de

revendication par les Africains, pour le plus des jeunes à la fois inquiets et angoissés de l’avenir (D.

1991, 7), s’enregistrant dès le début de la décennie 1990, naturellement en faveur du multipartisme

et des libertés. Faits qu’il ne sépare pas du tout de ce grand bouleversement ayant agité le monde au

cours de l’année 1989, en particulier l’Europe du Centre et de l’Est, couronné en novembre par la

chute du mur de Berlin.

Mais, en termes de « faillite »68, puis, étendue à tout le continent africain à partir de

l’emblématique cas béninois69, d’une part, et au plan externe, d’autre part, son analyse le porte à

situer l’origine de cette marche de l’Afrique vers la démocratie à la fin de la décennie 1980. Pour un

peu plus de précision, dès l’année 1989. Ce qui découle de l’un des passages à l’allure véritable

d’un engagement politique de l’auteur en faveur de la vraie démocratie partant du développement

pour l’Afrique, tiré de son texte introductif. Passage dont la teneur suit :

Depuis le 23 janvier, le continent africain est de plus en plus agité politiquement, non sans liaison avec les « révoltes », souvent pacifiques, qui se développent en Europe Centre-Est depuis la destruction du mur de Berlin. La « libération » du Bénin est déjà en route. Et nous dirons un mot de ce qui s’est passé depuis, notamment de la Côte-d’Ivoire au Gabon, du Zaïre en Zambie et au Kenya. Cependant, il nous faut restituer cette étude dans le cadre de la situation générale de l’Afrique. Dès la fin de 1989, plusieurs articles la déclaraient « en faillite » ; certains ne craignaient même pas (Le Monde, 28 février 1990) de conseiller au gouvernement français de « laisser tomber » ce continent sans espoir. Cette attitude de lâcheté a renforcé notre décision d’écrire ce livre (D. 1991, 9-10).

La reconnaissance du souci profond de Dumont pour la démocratie pour l’Afrique ainsi

que le développement dudit continent, que transpire son propos, ne nous empêche pourtant pas de

relever que si lors de sa tournée africaine de conférences publiques il s’est adressé en premier lieu

aux Africains, dans l’ouvrage qui résulte de ce qu’il appelle « une aventure imprévue », il s’adresse

principalement aux Français, aux Européens et aux hommes puis aux femmes du monde développé.

Juste pour faire un exemple :

Dès Niamey, la décision d’écrire cet essai s’est donc imposée : acculé, le dos au mur, je ne pouvais plus me dérober. J’en donnais déjà une conclusion, dès la fin de cette première conférence. « L’écart sans cesse croissant entre les pays riches et les pays pauvres devient, et va devenir, de plus en plus intolérable. S’il se prolongeait et s’accentuait, vers le milieu du siècle prochain, il pourrait

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y avoir sur notre "petite planète" plus de dix milliards de pauvres, de plus en plus pauvres, en face d’un milliard de riches, peut-être de plus en plus riches. Dans cette perspective, la situation serait alors politiquement intenable, et la masse des pauvres n’accepterait sans doute pas de "crever la bouche ouverte" devant le spectacle de nos débauches de somptuosités et de nos goinfreries, sans réagir (D. 1991, 9).

Dans un style digne d’un Machiavel – notamment à travers Le Prince (1532) – n’allumant

point l’esprit de la masse, pauvre, il avertit cependant la minorité, riche, sur le danger qui la guette

si, en effet, cette dernière n’entend pas prendre des mesures nécessaires et urgentes qui s’imposent

pour garantir la sécurité globale, celle de la planète, partant la sécurité collective, mais au fond la

sienne, en vue naturellement de la satisfaction de tous ses désirs et de la jouissance de toutes sortes

de plaisirs auxquels elle aspire.

Au reste, la compréhension du propos de Dumont sur le début de la marche de l’Afrique

vers la démocratie ne requiert aucune exégèse. Selon lui, perceptible dès 1989, cette marche

s’enclenche au début de l’année 1990.

II.- Les différentes étapes de construction des démocraties

En-deçà de la triple et du reste apparente vérité contenue dans une très étonnante

révélation70 de l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, il découle plutôt fondamentalement que la

difficulté de l’entreprise de construction démocratique de la décennie 1990 en Afrique noire s’avère

corrélative de l’alors situation globale dans laquelle versait cette région. Une situation globale

catastrophique, à en croire Dumont qui s’appuie notamment sur une étude de la Banque mondiale

intitulée : L’Afrique subsaharienne71. En tenant compte de cette difficulté évidente, et surtout en

guise d’une contribution, il se propose naturellement d’examiner « d’abord les principaux obstacles

qui se dressent en travers de la « longue marche » vers certaines formes de démocratie » (D. 1991,

19) avant d’essayer d’éclairer ensuite la voie aux jeunes générations de politiques Africains quant à

l’affirmation de leur dessein politique qui suppose d’emblée un choix de société (ibid., 231). Nous

voulons ici fonder notre considération sur ces « principaux obstacles » en visant la discrimination

de ceux qui relèvent essentiellement et exclusivement de cette situation globale de l’Afrique et,

partant, ne peuvent pour autant constituer en soi que des étapes72 de construction des démocraties

dans cette partie du globe.

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1. Une question de terminologie

Dans le cadre spécifique de son analyse des principaux obstacles à la possibilité d’une

construction véritable de la démocratie en Afrique, Dumont considère en effet un certain nombres

de facteurs. Cependant, l’examen minutieux de ces facteurs permet naturellement de mettre en

évidence ceux qui ne sont pas en soi des obstacles mais constituent pour autant différentes étapes de

cette longue marche de l’Afrique vers la démocratie dont parle Dumont. Puis, en tant qu’étapes

mais non en tant qu’obstacles, donc, ces facteurs évoquent les efforts à la fois colossaux et

nécessaires et pourquoi pas urgents que les Africains en général et les pouvoirs politiques en

particulier doivent fournir alors même qu’ils se mettent si ce n’est qu’ils se rendent compte d’être,

ainsi, réellement mieux effectivement en route vers la démocratie. Encore, faudrait-il ici préciser, la

démocratie au sens de Dumont, c’est-à-dire d’une vraie démocratie qui débute dans la famille, par

le respect des femmes, puis avec l’Etat de droit (D. 1991, 13-14). Inutile de relever l’apparente

confusion aussi perceptible à travers cette exclusion de la normativité démocratique par lui des

valeurs à elle aussi connaturelles, renfermées dans le syntagme « Etat de droit ». Valeurs qui ne

semblent plus désigner que les conditions de possibilité d’une construction démocratique, de son

point de vue.

C’est que, suivant la logique inhérente à son étude, Dumont distingue les étapes de

construction de la démocratie en Afrique qui sont toutes autres. Il les évoque déjà dans le texte

introductif de son ouvrage, notamment dans l’extrait suivant :

Une vraie démocratie débute dans la famille, par le respect des femmes, puis avec l’Etat de droit. Ce qui implique toute une série d’étapes : elles nécessitent cependant, dès les débuts qui s’esquissent, la liberté d’expression, d’association, d’information, de représentation ; le respect des droits des hommes et des femmes – et de vrais contre-pouvoirs (D. 1991, 13-14). 

Ainsi posées les conditions permissives de ces étapes, Dumont les développe ensuite dans

la seconde partie de l’ouvrage sous quatre chefs ainsi libellés : « Un projet de société : réduire les

inégalités pour renforcer la démocratie » (D. 1991, 239-256) ; « L’éducation et la santé bâtissent la

démocratie » (ibid., 257-269) ; « Paysannerie libérée = démocratie rurale » (ibid., 270-282) ;

« L’éradication de la pauvreté et l’amélioration de la condition des femmes, bases essentielles d’une

vraie démocratie » (ibid., 283-298). Ces quatre chefs se réduisent fondamentalement à deux que

nous résumons par : la recherche du projet de société ; et, la réalisation de ce projet de société. Nous 107

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examinerons un peu plus loin les détails relatifs à l’un et l’autre aspect. Limitons nous à souligner

ici que, aussi minable que pauvre mais pour autant nécessaire au nom justement de la démocratie,

ce projet de société doit consister en une politique de survie et ne paraît pas du reste facilement

réalisable. En guise de conclusion à « Survivre d’abord » (ibid., 240-242), titre évocateur du

contenu du projet de société dont il est question en tant que première étape de cette longue marche

de l’Afrique vers la démocratie, Dumont écrit :

Une telle politique se heurtera donc à des obstacles difficiles à contourner et ne triomphera qu’avec l’union de tous les défavorisés – plus difficile à réaliser tant que ceux-ci seront peu instruits. En réalité, dans une telle recherche, les nouveaux pouvoirs les mieux intentionnés seront toujours obligés de passer des compromis, en tenant compte des rapports de forces (D. 1991, 242). 

En dehors donc de mettre l’accent sur le début effectif de la marche de l’Afrique vers la

démocratie, de fait, symbolisée par une quasi uniforme phase de transition démocratique marquée

par la tenue, dans la plupart des pays affectés, d’une conférence nationale souveraine suivie de la

mise sur pied d’un gouvernement de transition principalement chargé de l’organisation des élections

libres73, Dumont attire l’attention sur les obstacles, c’est-à-dire les difficultés à la fois réelles et

certaines, que comporte la réalisation de cette marche, longue, vers la démocratie pour l’Afrique.

En examinant ces obstacles un à un, Dumont n’en établit pas cependant, d’une manière

aussi systématique, une classification ni, moins encore, une différenciation pourtant nécessaires. Il

se trouve que parmi « les principaux obstacles qui se dressent en travers de la « longue marche »

vers certaines formes de démocratie » en Afrique, par lui aussi savamment relevés puis analysés,

certains, de manière objective, peuvent être imputés aux Africains tandis que d’autres ne peuvent

l’être, en tout cas, de la même manière. Pour la simple raison que ces autres obstacles ne dépendent

point d’eux. Au contraire, ils apparaissent les effets d’une volonté, inavouée mais ostensible, des

‘puissantes forces occultes’ pour le plus extérieures à l’Afrique et obstinées à soumettre le continent

à la dépendance absolue tout comme à la misère totale. Notamment, à travers une exploitation

systématique de ses ressources aussi bien matérielles que non, naturelles qu’intellectuelles. Telle

constatation met en évidence une faille non moins importante dans la terminologie de Dumont qui,

par un seul et même concept, « obstacles », entend désigner à la fois ce qui de l’intérieur de

l’Afrique peut concourir à sa marche vers la démocratie, aussi longue qu’elle puisse être, et ce qui

de l’extérieur, au contraire, peut obstruer cette marche.

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La subtilité et la complexité de l’analyse comme du discours pourtant apparemment

limpide de l’auteur de Démocratie pour l’Afrique sollicitent ainsi donc vivement l’attention, à un

point tel qu’elles exigent nécessairement un réel et véritable effort cérébral susceptible de conduire

au bon port d’une distinction nette et claire. Distinction entre ce qui de l’extérieur peut obstruer

cette marche vers la démocratie et que, en concédant à la terminologie de l’auteur toutes ses vertus,

nous appelons, partant, considérons avec lui des « obstacles » – qu’il faut alors chercher de

surmonter, d’une part. Et, d’autre part, ce qui de l’intérieur peut concourir heureusement à cette

marche et que, en lui reprochant cette grave faille terminologique, nous appelons ‘étapes’. Par

étapes, donc, nous entendons tout ce qui, de l’intérieur de l’Afrique, participe de la description des

différentes phases constitutives de sa marche vers la démocratie. A ce titre, une marche jugée à

l’avance longue par Dumont. Par obstacles, au contraire, nous entendons tout ce qui, de l’extérieur,

empêche cette marche vers la démocratie en Afrique. Entre les deux, s’érigent naturellement les

‘étapes-obstacles’, qui décrivent des facteurs internes à résonnance externes, vice versa, dont la

résolution implique aussi la participation collégiale des parties responsables.

Indéniablement, il s’avère un mérite de Dumont si, dans le cadre de la présente étude, nous

sommes conviés à opérer cette distinction pour ainsi dire nécessaire. Cependant, cette opération

n’influe nullement de façon négative sur la sagacité de son esprit ni sur la pertinence de sa

contribution. Une contribution bienveillante à l’entreprise de construction de la démocratie et,

partant, la réalisation de l’idéal de développement en Afrique.

C’est ainsi qu’au sujet de la longue marche de l’Afrique noire vers la démocratie partant

des faits qui remontent au 23 janvier 1990 et relatifs aux mouvements des jeunes réclamant aussi

bien le multipartisme que les libertés, Dumont, en vue de mettre en évidence les principaux

obstacles à la possibilité de construction en Afrique de la démocratie, prend en effet et aussi

bonnement le soin – à titre indicatif – d’avertir naturellement que :

Ce n’est pas parce qu’un mouvement de rue aura chassé un tyran qu’elle sera achevée. Il nous paraît nécessaire de le souligner, non pas pour décourager les jeunes (et les moins jeunes) Africains, s’ils ont décidé d’agir dans ce sens, mais pour leur montrer qu’il ne faudra pas oublier les structures sociales – et d’abord le statut des femmes. Ni le problème démographique, qui, s’il n’est pas contrôlé, ne pourra qu’accroitre la misère – laquelle ne favorise jamais la démocratie. Ni l’environnement, dont la destruction déjà en cours compromet le potentiel de production de l’Afrique du prochain siècle. Ni surtout les multiples contraintes de l’ordre économique dominant, sur lesquelles nous, vos amis, vos « frères » des pays développés, devons agir plus fermement (D. 1991, 19-20). 

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Or, les principaux obstacles évoqués dans cet avertissement de Dumont diffèrent

ostensiblement entre eux par leur nature, en ce sens que les deux premiers – les structures sociales,

à l’instar du statut des femmes, et le problème démographique – sont internes à l’Afrique et en

dépendent pour cela très largement ; le troisième – l’environnement – apparaît un problème tout à la

fois interne et externe. Et, il engage ainsi, en partie, l’Afrique et, en partie, le monde extérieur ; le

quatrième – les multiples contraintes de l’ordre économique dominant – , enfin, paraît

exclusivement externe à l’Afrique, mais devant lequel elle ne semble avoir aucun pouvoir si ce n’est

celui d’obtempérer aux exigences, en nous inspirant des pertinentes analyses de l’économiste

zambienne, Dambisa Moyo, à travers son ouvrage intitulé L’aide fatale (2009) finalisées à sa

descente en enfer.

C’est au prix d’une attention particulière, requise par la teneur même du propos de l’auteur

de Démocratie pour l’Afrique qui livre ces obstacles pas mieux que sous la forme d’homéoméries,

que nous croyons être parvenus à cette discrimination nécessaire des différentes étapes de la longue

marche de l’Afrique vers la démocratie, sans mettre en cause sa contribution.

2.- Les étapes déductibles de l’analyse de Dumont

A ce point précis de notre réflexion et spécifiquement en rapport avec cette longue marche

de l’Afrique vers la démocratie, il apparaît clairement la distinction entre ce qui constitue

réellement un véritable goulot d’étranglement de l’Afrique, à l’instar des « multiples contraintes de

l’ordre économique dominant », d’une part, et, d’autre part, ce qui constitue purement et

simplement une étape à franchir, relevant aussi bien de la volonté manifeste que de l’effort réel,

concret et continu de l’Afrique, destinés naturellement à une telle fin, tel que « le problème

démographique ».

Les différentes étapes de la longue marche de l’Afrique vers la démocratie, donc, – en

principe diverses des obstacles à la possibilité de sa réalisation – apparaissent d’ailleurs de manière

claire sous l’excellente plume de Dumont dès l’introduction de Démocratie pour l’Afrique,

précisément dans « Le début d’une longue marche ». Autant il ne livre une rigoureuse nomenclature

des principaux obstacles à l’entreprise africaine de construction de la démocratie, autant les

différentes étapes de cette construction démocratique en Afrique, déductibles de sa pertinente

analyse, ne se déclinent pas aussi suivant une classification très stricte. Cependant, n’empêche pas

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que Dumont suggère les plus prioritaires, à partir notamment de l’importance que peut bien revêtir

un de ce qu’il considère de manière grosso modo comme des principaux obstacles à la possibilité de

construction démocratique africaine. Une lecture attentive du texte de Dumont, donc, révèle sous

une même appellation autant les principaux obstacles à la possibilité de construire des démocraties

en Afrique tropicale que les différentes étapes que doit franchir l’Afrique dans cette entreprise.

2.1.- La libération sociale, économique et politique de toutes les femmes

Estimant qu’il ne peut pas y avoir une démocratie « vraie » avec des paysannes quasi

esclaves (D. 1991, 22-39), Dumont perçoit la première étape de la marche de l’Afrique vers elle

dans la libération tout à la fois sociale, économique et politique de toutes les femmes. En effet,

selon l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, non sans savoir surprendre encore davantage ses

amis : « la marche de l’Afrique vers la démocratie devrait commencer par libérer (socialement,

économiquement et politiquement) les femmes, même rurales, trop souvent encore des quasi-

esclaves, de véritables « bêtes de somme » » (D. 1991, 10). Car, observe-t-il : « Trop de blocages

économiques, sociaux, culturels et religieux empêchent les femmes (rurales surtout) de ce continent

de s’engager dans cette marche vers la démocratie (D. 1991, 10). Alors que leur potentiel de travail,

de création, d’innovation est fantastique (ibidem).

Dumont souligne la méconnaissance de l’énergie animale, voire la non propagation de

l’usage de cette forme d’énergie, dans le travail agricole dans la grande majorité des campagnes de

l’Afrique tropicale (D. 1991, 22) ; puis, rappelle que l’abolition au moins en principe de

l’esclavage, devant après coup priver l’agriculture de sa main d’œuvre naturelle en cette zone, voit

empirer la situation des paysannes – ces femmes au statut social inférieur, partant qualifiables d’«

asservies », sur lesquelles repose désormais le poids de la quasi-totalité des travaux de portage de

bois, de l’eau, des grains et autres récoltes, des fumiers, etc. – , forcées d’accepter le surcharge que

leur impose la société du fait de leur statut social d’inférieures (ibid., 22-24). En s’appuyant sur la

situation de ces paysannes, Dumont pense que la « libération » des femmes africaines est encore

loin d’être en marche. En grande majorité, les paysannes restent « démunies », recherchant

désespérément des stratégies de survie pour elles ainsi que leur famille (ibid., 24-27). Le gâchis

incroyable des nantis – depuis l’Amérique du Nord, le Japon et l’Europe de l’Ouest – détériore

davantage la situation de ces paysannes dont la misère aberrante, le statut social, pense l’auteur de

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Démocratie pour l’Afrique, apparaît mieux s’avère la conséquence de toute une série cumulative

d’oppressions, tout à la fois, et non seulement, exercées par l’ordre économique dominant de la

planète, l’ordre colonial et l’ordre néo-colonial. Mais, aussi, par les oligarchies politiques et

économiques en place dans le continent, une organisation sociale défectueuse en rapport avec la

condition de la femme et, enfin, la religion (ibid., 27-29). La probité morale de certaines femmes ne

suffit pas quant à favoriser l’accès successif des femmes au crédit, à l’exemple des « femmes-chefs

d’exploitation » – du Niger en Côte-d’Ivoire – qui, mieux que les hommes dans le cadre d’une

coopérative de maraîchers équipée par les bailleurs de fonds et ayant un lotissement irrigué exploité

par 120 cultivateurs dont 103 sont des hommes et 17 des femmes, travaillent puis épargnent et

remboursent le crédit officiel auquel elles ont pu accéder du fait qu’elles travaillent pour un projet

recevant des crédits de l’extérieur. Aussi, les femmes sont-elles les seules à pâtir devant le déficit

financier de la coopérative en grande part causé par l’insolvabilité des hommes (ibid., 30-32). A en

croire Dumont, il ne s’agit pas là de la seule ni l’unique forme d’inégalité sociale dont les femmes

sont victimes en Afrique. La polygamie en constitue une autre. Et, pense-t-il, elle représente la

forme de loin la plus injuste, la plus dangereuse d’inégalités sociales ; surtout quand celle-ci est

largement répandue, avec les conséquences néfastes qu’elle peut comporter tout comme engendrer

pour un nombre important d’hommes jeunes – célibat, prostitution et, partant, expansion du Sida

(ibid., 32-34). Pour les raisons de sauvegarde de l’emploi ainsi que de maintien économique des

femmes, pour le plus pileuses et laveuses, dans la grande majorité des campagnes de l’Afrique

tropicale, Dumont souhaite que l’opposition politique prenne parti sur les problèmes auxquels sont

confrontées les femmes dans cette région d’Afrique, conviant de cette manière cette opposition

politique à sortir de son obstination à la démagogie (ibid., 35-36). Des problèmes auxquels sont

confrontées les femmes en Afrique, il évoque, entre autres, ceux relatifs à leur droit à la dignité, par

exemple, quand elles sont simplement piétinées, battues et écrasées comme celles d’un village à

l’ouest de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, sur la route du Mali, interrogées à plusieurs reprises

par Charlotte Paquet, en 1984, à l’occasion d’une étude réalisée à l’invitation de l’ancien et feu

président Thomas Sankara (ibid., 36-37). Que d’injustices donc sont accablées les femmes dans

toute l’Afrique où la famille traditionnelle semble davantage voler en éclats à cause du choix des

femmes de se soustraire à une vie de « grande famille » dont elles supportent tout le poids mais ne

jouissent pas de liberté ni d’autorité. Dumont défend ces femmes et souligne les injustices qui les

accablent pour montrer que de leur sort futur dépend largement l’avenir de l’Afrique. Pour réduire

les aberrations dont sont victimes les femmes en Afrique il réclame la démocratie, à l’instar de

l’organisation des contre-pouvoirs ; une vraie démocratie qui ne pourrait triompher vraiment dans

les faits qu’avec l’émancipation effective des femmes (ibid., 37-39).

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2.2.- Le contrôle rapide de la démographie

Cette démocratie, pense ensuite Dumont, ne paraît pas possible dans une Afrique étranglée

par l’explosion démographique (D. 1991, 40-65). Lui apparaissant « plus grave encore » (D. 1991,

10), le lien indissoluble de la démocratie et la démographie impose au continent : le contrôle rapide

de la démographie. C’est ainsi qu’il stipule que : « Sans contrôle rapide de cette dernière, comme

de l’urbanisation, l’échec économique, social et politique – qui interdirait alors une démocratie

heureuse – nous apparaît trop certain » (ibidem). Aux yeux de l’auteur de Démocratie pour

l’Afrique, donc, l’explosion démographique représente un drame que l’Afrique tropicale doit

considérer ; car, reprenons-le : « Ni la création d’emplois, ni l’éducation et la santé, ni l’agriculture

ne peuvent – ne pourront – suivre le rythme actuel de la population. S’il se prolongeait  : danger de

mort » (ibid., 11).

Des observations de Dumont il découle que, en Afrique, la population est passée de 100

millions d’habitants en 1900 à 500 millions environ en 1990. Les villes, à l’exemple de Conakry et

Abidjan, ont vu leur population multipliée par dix en l’espace de trente ans. Le refus persistant

d’une « explosion » générale, mais également et du reste plus redoutable encore urbaine, sans

précédent dans l’histoire de l’humanité, en Afrique tropicale mènerait les Africains à une misère

accrue, préjudiciable à la construction de la démocratie (D. 1991, 40-42). Ce refus rend

vraisemblable, au bout de vingt-deux ans74 en cette spécifique région d’Afrique, le doublement de la

population qui risque fort d’apporter à l’Afrique d’effroyables misères. Ce qui, à l’avenir, estime

l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, poserait aux jeunes démocraties africaines des problèmes

infiniment plus difficiles (ibid., 42-43). Refuser donc de reconnaître ce danger démographique

suppose bercer dans l’illusion selon laquelle l’Afrique peut accomplir toute une série de réalisations

que l’expérience déjà acquise montre absolument impossible, c’est-à-dire : parer aux carences ainsi

qu’aux malnutritions actuelles, par exemple, relevées par la Banque mondiale dans Le Défi de la

faim en Afrique (1989), d’une part, et, d’autre part, multiplier sa production agricole pour subvenir

aux besoins prévisibles, tout en améliorant la qualité de son alimentation (ibid., 43-45). Il s’ajoute à

cette véritable illusion, notamment sur la base des documents réunis par Lester Brown dans L’Etat

de la planète 198975, ce qu’avait pu montrer Dumont en mars 1989, dépendant désormais de la

vitesse avec laquelle on parviendra à freiner l’explosion démographique et les abus des

combustibles fossiles responsables de l’effet de serre : la tendance que la sécurité alimentaire

mondiale serait devenue davantage difficile à garantir (ibid., 45-48). Deux exemples historiques

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devraient faire mieux réfléchir les autres pays africains. Premièrement, l’expérience du Rwanda,

dont il avait souligné le danger d’un second doublement de la population, qu’il avait dit inquiétant,

après une génération, bien plus tôt, en 1960, alors qu’il avait été appelé pour effectuer une étude en

« Rwanda-Urundi ». Mais, à la suite du gouverneur d’alors, Jean-Paul Harroy (1945) (ibid., 48-50).

Deuxièmement, le cas du Togo, en s’appuyant tant sur les travaux du démographe Marc Pilon (mars

1990) que sur Véronique Maurus (septembre 1990) comme sur la conclusion suivante, d’un

volontaire du progrès : « Il y a une énorme misère permanente, c’est la face cachée du Togo. Certes

le régime despotique en est un facteur, mais c’est la démographie explosive qui est la grande cause

de la misère africaine »76 (ibid., 50-51). L’habitat non plus n’a pu suivre l’accroissement très rapide

des villes d’Afrique et l’éducation en pâtit dans certains pays (ibid., p.52). Ainsi donc, Dumont

exhorte les Africains, sous un ton plutôt menaçant77, à prendre en considération, et en temps voulu,

le drame démographique, en méditant l’expérience chinoise qu’il rapporte si bien. Car, pense-t-il,

ils se trouvent, en 1990, dans une certaine mesure, dans la situation de la Chine de 1955. Bien de

ses avertissements (à la Chine, en 1955 ; au Vietnam, en 1964 ; à l’Afrique tropicale et l’Algérie en

1962 ; à l’Egypte en 1967 et au Mexique en 1966) suffisent pour les obliger à cette exigence (ibid.,

52-55). Au fond, il s’avère redoutable cette perspective socialement, politiquement et

économiquement intenable, à savoir : la contribution de l’explosion démographique à la création

des millions de chômeurs. Dès lors que, notamment sur la base des pays étudiés – le Sénégal, le

Ghana, le Maroc, le Togo, la Tunisie et l’Egypte – l’Afrique est en manque d’emplois productifs,

tout à la fois, ruraux et urbains, qu’elle ne pourrait créer, sur vingt ans78, pour suivre la croissance

exponentielle de la population (ibid., 55-57). La sécheresse, une politique agricole aberrante ainsi

que la dégradation de l’environnement effondrent la possibilité de nouvelles créations des

premiers ; tandis que nous assistons depuis 1990 au recule un peu partout des emplois productifs

urbains. L’Afrique, d’après les prévisions émanant des Nations unies79, aura multipliée par dix sa

population entre 1950 et 2050, stipule Dumont, avec tous les risques qu’une telle progression peut

bien comporter sur sa santé (ibid., 57-59). Déjà, partant de l’exemple du Centre-Ouest du

Cameroun, de Bafoussam à Dschang, il observe que l’excès de population freine le franchissement

de l’utilisation dans le travail agricole de l’énergie animale qui réduirait pourtant la peine des

femmes (ibid., 59-60). Non sans déplorer le nombre très peu d’organismes ainsi que de personnes

pouvant aider les Africains à comprendre le drame de cette explosion démographique, redoutable au

même titre que des atteintes à l’environnement (ibid., 60-62). Une explosion qu’il faut pourtant

ralentir non seulement au niveau régional africain mais également au niveau mondial, notamment

avec la fourniture des moyens de contraception élargis à l’avortement, qu’il présente et veut que soit

adopté ou simplement considéré aussi comme un moyen de contrôle voire une méthode de

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planification des naissances en fonction de la Déclaration des Nations unies (1968) en la matière

(ibid., 62-65).

2.3.- Les priorités de l’agriculture

Ayant observé que les paysanneries africaines pâtissent dans le carcan des encadrements

(D. 1991, 104-126), avec en prime toutes les conséquences qu’implique la pratique afférente à ces

encadrements, Dumont, dans le domaine de l’agriculture, invoque la priorité à la petite hydraulique

et la mise en valeur de tous les bas-fonds du Sahel ; ainsi que la priorité aux idées émanant de

paysans qui seraient « aidés » mais libérés, autonomes et maîtres chez eux (ibid., p.12). En effet,

l’auteur de Démocratie pour l’Afrique introduit ainsi son propos sur l’agriculture en Afrique :

Si le développement agricole de l’Afrique a pris un tel « retard », c’est aussi parce que sa paysannerie a toujours été trop encadrée. Surtout par ceux qui, de la Guinée au Mali et à la Tanzanie, ont choisi le socialisme ; mais aussi par les pays qui se disent libéraux. La majorité des crédits « agricoles » a été dirigée vers des grands barrages, souvent prématurés ; ou vers des projets mal adaptés et imposés d’en haut (D. 1991, 11-12).

L’analyse de Dumont sur la question transpire au prime abord une mise en garde sur

l’importance incontestable du domaine de la production agricole pour lequel, en 1959, à partir du

cas spécifique de la Guinée, il avait conseillé, en vain, de promouvoir la culture attelée. Surtout, non

sans attirer l’attention des dirigeants de ce pays sur le caractère prématuré de l’introduction du

collectivisme qui exige « un développement plus marqué de l’esprit et du dévouement, collectif,

comme du respect dû à la propriété commune. » (D. 1991, 104-106). Un avertissement qu’il

renouvelle, encore vainement, en 1961, au Mali où, en s’appuyant sur Youssouf Gaye Kébé (1981),

« au village, dans le cadre du groupement rural obligatoire, les paysans étaient invités, sinon

contraints, à s’organiser collectivement. » Et, où la gestion des sociétés d’Etat a assez vite conduit

le pays au bord de la banqueroute (ibid., 106-108). La Tanzanie qui a vu réussir le collectivisme à

travers l’Association de développement de Ruvuma80 a fini par sombrer dans la ruine, après l’échec

successif des villages Ujamaa et de la villagisation obligatoire. Le socialisme modéré « à

l’africaine » proposé par Nyerere dans la déclaration d’Arusha, du 5 février 1967, a eu pour effet

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l’extension du pouvoir bourgeois d’Etat, résultant du rôle accru de l’Etat dans le domaine

économique. Une extension dont les conséquences, immédiates et prévisibles, furent : la priorité

accordée « aux villages Ujamaa pour l’obtention du crédit, des services, de la vulgarisation, aux

dépens du producteur individuel » ; la dissolution de l’association de Ruvuma, citée pourtant en

exemple par Nyerere ; « la priorité absolue aux cultures d’exportation, qui alimentaient en devises

les trois bureaucraties (administration, parti et entreprises parapubliques), lesquelles conduiront le

pays, vers 1990, au bord de la faillite. » (ibid., 108-110). La ruine, en Zambie, du développement

rural enclenchée par la négligence de l’agriculture au profit de l’exportation du cuivre, dont le prix a

soutenu au départ l’économie, jusque pendant la guerre du Vietnam, récite un grand rôle dans la

crise de 1990 soldée, à l’aube du 30 juin, par le renversement de Kenneth Kaunda, écrit Dumont,

« cet honnête homme que le pouvoir a corrompu. » (ibid., 111-113). La recherche par l’animation

rurale de Mamadou Dia, premier ministre du Sénégal jusqu’en 1962, « à élever le niveau

d’aspiration des populations rurales, à créer des cellules de base du développement qui resteraient

entre les mains des paysans » fut condamnée avec son emprisonnement, à la fin de cette année, par

le président-poète, Léopold Sédar Senghor. Le successif encadrement à outrance de la paysannerie

du Sénégal « par des coopératives organisées et contrôlées par l’Etat, qui recevront bientôt le

monopole de la commercialisation « pour se débarrasser des traitants », aidant, sous la contrainte de

la priorité donnée à la culture de l’arachide, dont le prix avait pourtant baissé, aux dépens des

cultures vivrières, et, les déboires de l’ONCAD, l’Office de commercialisation d’Etat, donc, ont fini

par faire jeter le pays « dans les griffes du plan d’ajustement structurel ordonné par le Fonds

monétaire international. » (ibid., 113-115). Le fiasco enregistré avec les projets de productivité au

Niger, rappelle Dumont, un pays « peuplé en majorité de paysans pauvres, que l’ensemble de

l’économie, nationale et mondiale, ne cesse d’appauvrir » (ibid., pp.115-117), le conduit à déclarer

que : « Le moment nous paraît venu – (…) – de libérer l’ensemble des paysanneries africaines de

ces encadrements autoritaires, qui ont tous fait faillite. Les paysans doivent être aidés à s’organiser

eux-mêmes, et à aménager leurs cultures, leurs terroirs et leur environnement » (D. 1991, 117).

Une action paraît offrir un réel et vrai motif d’encouragement à cette libération nécessaire

et, partant, urgente de toutes les paysanneries africaines. Notamment, celle entreprise par les

paysannes dans la partie orientale du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), qui

englobe les Grands Lacs, proche du Burundi. Elle a abouti à la création, avec l’aide des animatrices,

de l’Union des paysannes des Grands Lacs. Cette Union des paysannes des Grands Lacs défend

aussi énergiquement les paysannes en intégrant « lutte sociale, développement, solidarité et

émancipation. » (D. 1991, 117-120). Les projets déficitaires en Côte-d’Ivoire ainsi que

l’endettement de la majorité des paysans dans le pays, avec en prime la croissance du déficit 116

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alimentaire comme de la pauvreté, et la malnutrition de la population rurale, souligne Dumont,

« d’un pays qui se disait riche », constituent le bilan du type de développement d’inspiration

étatiste. Un type de développement qui a bénéficié de tous les crédits, privilégié les paysans

encadrés relevant de l’autorité publique, au détriment des candidats agriculteurs ne pouvant accéder

auxdits projets. Ces derniers s’exposent ensuite aux efforts très pénibles pour un gain médiocre en

choisissant de retourner dans leur village d’origine d’où la majorité des jeunes finit par partir pour

la ville. Ce qui, à en croire Dumont qui s’appuie sur un agronome ivoirien, Yapi Simplice Affou,

« repose le problème de la relève paysanne : de moins en moins assurée » (ibid., 120-122).

2.4.- Les priorités de l’éducation et la santé

Devant la régression, après les deux premières décennies de l’indépendance, de l’éducation

et la santé en Afrique, Dumont est fort convaincu que leurs faillites compromettent l’avenir du

continent (D. 1991, 191-203). Aussi, peut-il invoquer pour ces deux domaines, la priorité à

l’alphabétisation, l’enseignement primaire et la formation technique, en ce qui concerne l’éducation,

et, la priorité à l’hygiène préventive, aux médicaments de base et aux soins de santé primaire dans

les campagnes et les bidonvilles, en ce qui concerne la santé (ibid., p.12). L’auteur de Démocratie

pour l’Afrique observe à propos que :

L’éducation et la santé ont fait de grands progrès en Afrique, au cours des deux premières décennies de l’indépendance, mais ont régressé ensuite. Et l’on a trop donné à l’enseignement supérieur, aux dépens de l’alphabétisation, du primaire et du technique. On a bâti de somptueux hôpitaux pour les privilégiés urbains, en délaissant l’hygiène préventive, les médicaments de base et les soins de santé primaire dans les campagnes et les bidonvilles. Les ajustements structurels ont réduit les crédits concédés à ces secteurs sociaux, qui commandent pourtant l’avenir de l’Afrique, et sont trop souvent « en déroute » : l’UNICEF a dénoncé ce crime (D. 1991, 12-13).

Bien que l’enseignement colonial représenta un pas en avant, n’empêche que celui-ci ait

œuvré à éloigner les Africains de la terre, en procédant à une espèce de lavage des cerveaux destiné

à les vider de leurs substances culturelles propres. Dans ce cadre, l’école devint un chemin menant

droit au travail administratif. Aussi, Dumont peut-il observer non sans déploration que l’école leur a

donc enseigné le mépris du travail manuel, tandis que, en franchissant ses portes, les Africains 117

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n’ont plus qu’une ambition : rentrer dans l’administration au niveau le plus élevé possible (D. 191-

193). Il s’avère encore davantage critique dans le constat suivant :

De leur séjour à l’école ils ne retirent guère qu’une bien modeste connaissance du français (ou de l’anglais, du portugais) et un minimum d’accès à la lecture et à l’écriture. Ils n’apprennent rien qui leur permettrait d’aider leurs parents à mieux comprendre le monde moderne qui les entoure et les domine, rien de vraiment utile en agriculture, en artisanat ou en commerce. Rien qui leur permettrait de mieux se servir de leurs mains ou de leur tête, au village ou en banlieue (D. 1991, 192).

L’auteur de Démocratie pour l’Afrique stipule d’avoir pu, avec Bernard Dumont, au Mali,

en 1970, « constater les beaux résultats d’une alphabétisation fonctionnelle81, en langue

vernaculaire, qui aurait mérité d’être bien plus intensément développé. » Regrettant le niveau très

peu de développement de ce modèle d’alphabétisation pourtant efficace pour l’instruction des

paysans Africains, il observe que : « La démocratie aura bien du mal à s’installer et à se maintenir

dans un pays en majorité analphabète. » (D. 1991, 193-195). La formation des cadres, pour le plus

administratifs, devenus fonctionnaires puis chômeurs, s’avère l’effet d’une inadaptation notoire des

programmes d’enseignement aux besoins réels d’éducation au développement. Cette formation des

cadres se fait « surtout aux dépens de l’enseignement scientifique et technique, bases premières du

développement, qui reçoit encore les élèves les moins doués, alors qu’il mérite les meilleurs ! »

Pour des raisons de clientélisme le pouvoir les recrute en masse avant, sur injonction du FMI, de les

mettre ensuite à la porte. En ce qui concerne le domaine de la production agricole, par exemple,

Dumont constate que : « En réalité, il n’existe pas en Afrique francophone une seule école

d’agriculture destinée à former des paysans, qui seraient alors capables d’améliorer leur travail, de

se moderniser. » (ibid., 195-197). En outre, même les bourses d’études à l’étranger, trop politiques,

ne répondent pas aux besoins d’éducation au développement (ibid., 197-198). La priorité politique à

l’éducation de base, que, stipule-t-il, les dirigeants africains, d’abord, et les pourvoyeurs extérieurs

des aides, ensuite, devraient reconnaître, conclut la série des considérations de Dumont sur les

priorités en matière de l’éducation. Dumont met en évidence des erreurs commises, puis reconnues

entre autres par le FMI et la BM, à travers les programmes d’ajustement structurels imposés aux

pays endettés prévoyant une réduction de toutes les dépenses publiques largement portée sur les

crédits accordés à l’éducation et à la santé qui commandent pourtant l’avenir de l’Afrique (ibid.,

198-200). Quant à la santé, à partir notamment d’« une note sur les problèmes de santé au Niger »,

reçue de Robert Simon, son ami qui travaillait à l’hôpital de Niamey, Dumont évoque la réduction

de l’efficacité des crédits consacrés, dans ce pays, à la santé. Une réduction due aux dépenses 118

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variées mais surtout inappropriées. Il ne manque pas de mettre en évidence une série de pratique

décrivant le désintéressement total de l’Etat nigérien et la France à travers sa coopération, qui « ne

se soucie guère de la productivité de ses vingt coopérants au Niger », vis-à-vis des soins de santé

primaire, la prévention et l’éducation sanitaire que pourtant privilégie la politique officielle (ibid.,

200-202). Le manque de crédits nécessaires, « tant à la formation des médecins aux pieds nus qu’à

la fourniture des médicaments de base, si souvent absents » justifie, selon lui, contre le point de vue

soutenu récemment par le Dr Gentilini, l’échec du programme de soins de santé de base – pense-t-il,

en outre, indispensable pour tous – proposé par l’OMS à la réunion d’Alma-Ata en 1977 (ibid.,

pp.202-203). Et, d’ailleurs, de souligner que :

La médecine préventive mérite d’avoir la priorité sur les soins sophistiqués. La vaccination généralisée, la fourniture d’eau vraiment potable font encore défaut dans la majorité des campagnes. On fait pour la réhydratation orale, contre les diarrhées qui tuent, un effort qui mériterait d’être accru (D. 1991, 202).

III.- Les obstacles à la possibilité de construction d’une vraie démocratie

Il nous reste de considérer dans le présent point les trois derniers facteurs de l’analyse de

Dumont : l’environnement, le politique et l’ordre politico-économique dominant. Mais, deux de ces

trois facteurs entrent naturellement dans le domaine de définition de ce que nous avons nommé

‘étapes-obstacles’. Raison pour laquelle nous les considérerons d’abord, avant d’aborder ensuite ce

qui, en dernier ressort, émergera de notre exploitation de l’ouvrage de Dumont, Démocratie pour

l’Afrique, comme l’obstacle effectif à l’entreprise de construction de la démocratie en Afrique.

1.- Les étapes-obstacles

Il paraît impérieux de lever d’emblée l’équivoque sur notre choix délibéré de vouloir

considérer sur ce point les aspects de l’analyse de Dumont qui correspondent beaucoup mieux à ce

que nous appelons ‘étapes-obstacles’, à savoir le problème de l’environnement et surtout le

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problème du politique, en rapport avec la longue marche de l’Afrique vers la démocratie. Le seul

aspect qui mérite objectivement d’y être pris en considération s’avère celui relatif à l’ordre politico-

économique dominant. Cependant, dans l’étalage de la motivation de notre choix, nous déploierons

aussi les principales raisons pour lesquelles Dumont y perçoit des obstacles à la possibilité de

construire une vraie démocratie en Afrique.

1.1.- La banqueroute de l’environnement

Dès le texte introductif de Démocratie pour l’Afrique, Dumont stipule que :

La banqueroute de l’environnement est déjà évidente en Afrique tropicale ; et même officiellement « reconnue » par le programme des Nations unies pour l’environnement qui siège – ce n’est pas par hasard – à Nairobi. Les terres se dégradent, les forêts disparaissent, les surpâturages transforment les steppes semi-arides en déserts. Et voici que la démographie montante et la pauvreté qu’elle génère rendent la protection de l’environnement de plus en plus difficile – mais aussi plus nécessaire, plus urgente (D. 1991, 11).

Dans le cadre de notre étude, ni la difficulté ni la nécessité ni encore l’urgence de la

protection de l’environnement, aussi croissantes du fait de la démographie montante ainsi que la

pauvreté par celle-ci induite, ne méritent partant ne retiennent principalement l’attention. Quand

même cette protection apparaît comme un devoir pour la survie de l’humanité. Mais, à devoir

solliciter ainsi l’attention s’avère l’avancée du désert, de la sécheresse.

Selon Dumont, l’avancée de la sécheresse constitue la spécificité de la banqueroute de

l’environnement en Afrique. Et, la cause de cette avancée réside dans l’explosion démographique.

Pourtant pas seulement, ainsi qu’il résulte aussi clairement des termes mêmes de son analyse. En

effet, estimant qu’il ne peut y avoir de démocratie durable sans respect de l’environnement (D.

1991, 66-80), l’auteur de Démocratie pour l’Afrique déploie sa justification corroborée de patents

exemples à partir de « Recul et dégradation des forêts denses » (ibid., 66-68) jusqu’à « L’apartheid

sud-africain, facteur méconnu de destruction de l’environnement » (ibid., 76-78) en passant par

« Forets et arbres dispersés en grand danger » (ibid., 68-70), « La constante dégradation des terres

cultivées » (ibid., 71-73), « Le bétail nomade facilite aussi l’avancée du désert » (ibid., 73-74) et

« Erosions, vents de sable et feux de brousse » (ibid., 74-76) à travers lesquels il s’emploie à établir

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les responsabilités exclusivement africaines de cette banqueroute environnementale. Une

banqueroute essentiellement caractérisée par l’avancée de la sécheresse, celle des aires désertiques.

Et où il accuse fondamentalement, sans détour ni affectation, la croissance exponentielle de la

population dont l’Afrique doit assurer le contrôle rapide.

Mais, partant de L’Etat de la planète 1989 de Lester Brown, il laisse aisément percevoir

que ce même effet, c’est-à-dire l’intensification voire l’extension de la sécheresse en France, en

Chine, en Inde et en Indonésie, au Pérou et aux Etats-Unis, mais aussi en Afrique du Nord, puis du

Sahel en Ethiopie, découle de l’extrême gravité des abus des combustibles fossiles « qui ont pour

conséquence la présence accrue de CO2 et de CH4 (dioxyde de carbone et méthane) dans

l’atmosphère » (D. 1991, 78). Le dérèglement général des climats, engendré en dernier ressort par

cet abus des combustibles fossiles, avec ses propres mots « nos gaspillages d’énergie et de

carburant » (ibid., 79), provoquant la sécheresse dans les aires régionales précitées, semble n’avoir

pour ainsi dire paradoxalement aucune influence néfaste sur les dégâts environnementaux de même

nature qui se vérifient en Afrique tropicale. Selon Dumont qui nous laisse perplexes, l’avancée du

désert, non pas seulement la dégradation de la forêt ainsi que des terres arables comme des

pâturages naturels qui constituent la cause de cette avancée du désert, y est liée à l’explosion

démographique.

La perplexité dans laquelle nous plonge Dumont s’origine dans « Deux coups de massue :

l’effet de serre et la démographie » (ibid., 78-80) dont nous ne pouvons mieux que reproduire deux

extraits significatifs.

Le premier : 

La dégradation de la forêt, des terres arables et des pâturages naturels tout comme l’avancée du désert sont, nous l’avons vu, étroitement liées à l’explosion démographique. Plus d’habitants exigent davantage de bois de feu – et on refuse d’accorder assez de crédits et de travail pour la reforestation massive qui s’impose. Il y a chaque jour plus de bouches à nourrir : dans un contexte socio-économique qui entrave l’intensification agricole, on laboure donc davantage de surface, y compris les terres vulnérables que la mise en culture risque de démolir. Aux Etats-Unis il est interdit de labourer de tels sols. L’extension se réalise en Afrique aux dépens des forêts, vers le sud, et des pâturages, vers le nord. Quand on entretient trop de bétail sans procéder à une révolution fourragère, le surpâturage qui en résulte détruit vite le couvert végétal, les herbes et les arbustes protégeant les sols. C’est le désert qui en résulte (D. 1991, 79).

Le second :

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Tout comme l’oppression des femmes et l’explosion démographique, la dégradation de l’environnement est un problème politique : il est même devenu le premier d’entre eux, et il doit être posé à l’échelle mondiale. Si les pays développés continuent à dégrader les climats de la planète, les drames du tiers monde risquent d’atteindre rapidement un niveau tel qu’ils menaceront l’équilibre climatique, économique, social et même politique de notre petite planète. Voici donc l’Afrique tropicale enfermée dans un redoutable cercle vicieux. Et, sans ralentissement démographique – cette démographie galopante qui ne cesse de contribuer à la dégradation de l’environnement, à la réduction du potentiel de production – , les Africains risquent de se laisser prendre dans la plus redoutable des tenailles, celle qui bloquera leur Longue Marche vers la démocratie. Mais n’oublions pas qu’ils ne sont pas les seules à être menacés par le dérèglement des climats, que les puissants de ce monde hésitent pourtant à faire connaître contre les lobbies de la mort… (ibid., 80).

Nous retenons donc sur la banqueroute de l’environnement un partage, inégal, des

responsabilités à travers lequel l’Afrique, en plus de son explosion démographique mise en

évidence par Dumont, subit pareillement avec le reste du monde les effets pervers de l’utilisation

excessivement abusif des combustibles fossiles dont les pays développés et les plus industrialisés,

seuls, « disputent » la part la plus grosse de production, partant, pure et simple déduction logique, la

part la plus grande de responsabilité. Cette part, si grande, de responsabilité revenant de fait aux

pays développés et plus industrialisés justifie notre choix de considérer sur ce point l’évidente

banqueroute de l’environnement en Afrique reconnue officiellement par le PNUE de Nairobi, à en

croire en effet Dumont.

Pour être ainsi évidente, donc, Dumont déploie la banqueroute environnementale africaine

à la fois avec une précision scientifique et une exactitude mathématique. Aussi, ne le suivrons-nous

pas dans cette direction, pour focaliser l’attention dans ce qui y apparaît comme un goulot

d’étranglement à la construction de la démocratie. Dumont pense que cette banqueroute réduit le

potentiel de production de l’Afrique et rend plus dangereuse encore l’explosion démographique,

tant pour la génération actuelle que, plus encore, pour les suivantes (D. 1991, 66). Il estime, en

effet, que la densité de la population entraine aujourd’hui la disparition d’une si longue jachère

forestière, pour la fertilisation des sols de défriche de la forêt que dégradent les cultures vivrières

annuelles – maïs, riz pluvial et tubercules (ignames, manioc et patates douces ; taro et macabo au

Cameroun, eleusiné en Ethiopie) – , qui consistait à alterner trois ans de culture et vingt ans de forêt

(ibid., 66-68). Le fait induit de la disparition de cette jachère est : « La constante dégradation des

terres cultivées » (ibid., 71-73), qui engendre elle-même une baisse de la productivité. En outre,

« les besoins en bois de feu croissent avec la population, dont la pression accrue détruit ainsi, une à

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une, les bases de production » (ibid., 69). Avec l’explosion de la démographie, constate Dumont,

plus d’habitants exigent davantage de bois de feu et il y a chaque jour également plus de bouches à

nourrir (ibid., 78-80).

Des analyses de Dumont, il ressort que la nécessité de satisfaire ces besoins quotidiens, qui

grandissent au rythme de la croissance de la démographie, plonge l’Afrique dans un redoutable

cercle vicieux de destruction environnementale-carence de productivité. Pour s’en sortir, l’Afrique

doit assurer le contrôle rapide de sa population. Elle évitera ainsi la misère qui, affirme-t-il, nous

l’avons vu, n’a jamais favorisé la démocratie.

1.2.- Les régimes dictatoriaux

Dumont entrevoit dans le politique le cœur même du problème démocratique africain

(D.1991, 13). Ici, il n’inspire pas non plus moins de confusion seulement. Cependant, en-deçà de

cette confusion scintille une lumière intense éclairant suffisamment le rôle simplement apparent,

donc illusoire, mais pour autant évident, des régimes dictatoriaux dans le sort catastrophique de

l’Afrique.

A travers « Les tyrannies contre la démocratie » (D. 1991, 204-231), où il procède à une

« critique sans réserve de toute forme de tyrannie » (ibid., 229), il laisse entrevoir dans les

dictatures, civiles ou militaires, à parti unique, qui dominaient toute l’Afrique jusqu’en 1990, les

principales responsables de la faillite politique, économique et sociale du continent, d’une part

(ibid., 204-209 ; 219-222 ; 222-224 ; 224-227). Et, d’autre part, il laisse cependant planer l’ombre

d’aucun doute sur l’existence des responsables extérieurs de ce fiasco total de l’Afrique. En tête de

ces responsabilités, stipule Dumont, pour le cas spécifique de l’Afrique francophone, s’érige la

France (ibid., 209-213 ; 213-217 ; 218-219 ; 228-229).

Pourtant, il est une opération logique, dans le cas d’espèce nécessaire, que Dumont n’ose

pas faire. Une opération à l’issue de laquelle, en effet, les responsabilités réelles et véritables de la

faillite politique, économique et sociale de l’Afrique peuvent être établies : le rapport entre la

responsabilité principale des régimes dictatoriaux africains et la responsabilité extérieure des

grandes puissances politico-économiques de la planète. Autrement dit, l’impact des responsabilités

extérieurs de cette faillite sur les régimes dictatoriaux alors en vogue dans l’ensemble de l’Afrique.

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D’ailleurs, les responsabilités principales ne peuvent se donner en comparaison avec les

responsabilités extérieures. Ainsi, à celles-ci, c’est-à-dire les responsabilités extérieures, s’opposent

les responsabilités ‘intérieures’, à l’instar des régimes dictatoriaux africains dont parle Dumont. De

ce point de vue, les responsabilités intérieures des régimes dictatoriaux africains peuvent être

principales mais en même temps secondaires en rapport avec les responsabilités extérieures que

Dumont évoque. Par contre, à celles-là, donc aux responsabilités principales, s’opposent les

responsabilités ‘secondaires’ auxquelles l’extériorité des sujets responsables ne confère pas

automatiquement ni nécessairement le titre ou le statut. Ainsi, pour le cas précis de l’Afrique

francophone, de la France dont la responsabilité dans la faillite globale de l’Afrique, suivant

l’analyse même de Dumont, loin d’être secondaire, paraît principale par rapport aux dictatures

internes.

Au travers de ce qu’il appelle en effet « des responsabilités » (D. 1991, 209) ou ce qu’il

désigne comme « des influences » (ibid., 213) extérieures, donc, pour rester seulement sur « Les

tyrannies contre la démocratie », Dumont, qui ne croirait pas en avoir été vraiment capable, laisse

entrevoir pourtant aussi clairement et aisément dans celles-ci les véritables responsables de cette

faillite générale de l’Afrique. Surtout, pour s’en convaincre, quand, pour le seul cas de l’Afrique

francophone, la France, qui se trouve en tête de responsabilités extérieures, écrit-il, « a cherché

depuis l’indépendance à installer et à maintenir au pouvoir des équipes acceptant, de fait, la

prééminence économique (sinon même politique) de l’ex-métropole » (D. 1991, 209). Pourtant une

affirmation que ne couronnent pas aussi très peu de cas seulement en Afrique francophone. Les cas

du Cameroun, du Congo, du Gabon et du Tchad, en Afrique centrale ; tout comme ceux du Bénin,

de la Côte-d’Ivoire, du Mali ainsi que du Togo, pour l’Afrique de l’ouest, paraissent les plus

illustres.

Comme pour le problème de l’environnement, le poids de la balance pesant davantage du

côté des responsabilités extérieures devant lesquelles les soi-disant dictatures ne peuvent opposer

aucune résistance, sans courir le risque de leur propre déstabilisation, ni prétendre une réelle et

véritable autonomie politique, justifie notre choix de considérer sur ce point le problème du

politique. Mais dans quelle mesure pouvons-nous considérer avec l’auteur de Démocratie pour

l’Afrique que les régimes dictatoriaux constituent aussi un frein à l’entreprise de construction de la

démocratie ?

De l’excellente plume de l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, qui ne croirait l’évoquer

aussi bien, il émerge que ces régimes semblaient relever du choix impérieux des grandes puissances

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politico-économiques pour le plus précédemment anciennes métropoles du pays de leur domination

postcoloniale.

En effet, les régimes dictatoriaux, qui dominaient récemment encore l’ensemble de

l’Afrique en ne reconnaissant en fait aucune des libertés classiques – d’information, d’expression,

d’association, etc., jusqu’au début des « événements » de 1990 ; et, semblent constituer les

principaux responsables de la faillite politique, économique et sociale de l’Afrique (D. 1991, 204-

209), ont été, pour la plupart d’entre eux, installés puis maintenus au pouvoir depuis

l’indépendance, par l’ex-métropole, au gré naturellement des intérêts de l’ex-métropole. Si ce n’est,

suivant la même logique voire le même principe, par l’une des grandes puissances politico-

économiques de la planète (ibid., 209-213). Aussi, par souci du pouvoir ou pour se maintenir au

pouvoir, les voici prêts à sacrifier le « bien-être des populations qu’ils dominent – et qui ne les ont

pas choisis ! » (ibid., 213) – , à commencer par leur renier certains droits primordiaux ainsi que

certaines libertés fondamentales par le truchement d’un très sophistiqué appareil coercitif doublé

d’un puissant et efficace arsenal de répression, qu’ils mettent en marche, en se servant volontiers

des menaces extérieures. Pour le dire mieux encore, sous la pression des influences extérieures, à

l’instar de celles des deux blocs, Ouest et Est, qui dominèrent alors (ibid., 213-217). D’où, dans le

pire des cas, il résultait d’« abominables détresses » comme au Libéria, en Guinée, au sens de perte

de vie humaine voire de massacre, et au Mali, dans le sens de crise alimentaire (ibid., 218-219) ; ou,

au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), au sens d’excès de tout acabit (ibid., 219-

222) ; ou, en Côte-d’Ivoire, dans celui d’un développement mal opéré, ainsi qu’au Togo, dans le

sens d’une dérive stalinienne (ibid., 222-224). Somme toute, en termes d’opposition à toutes les

formes de vie démocratique.

Enfin, dans « Le début d’une longue marche » et notamment contre Jacques Chirac qui

entrevoyait dans le multipartisme à l’époque une erreur politique pour les pays en voie de

développement, Dumont énonçait déjà, au sujet des tyrans à la tête des régimes dictatoriaux

africains, à l’instar de Mobutu, au Zaïre, de Arap Moi, au Kenya, et de Bongo, au Gabon, qu’: « Ils

défendent leurs intérêts et protègent la corruption, en s’opposant de toutes leurs forces à la

démocratie, donc au développement » (D. 1991, 13).

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2.- L’obstacle véritable à l’entreprise africaine de construction démocratique

Un seul de tous les facteurs évoqués puis brillamment analysés par Dumont en termes d’obstacles à la possibilité de construire des démocraties en Afrique, résiste à l’épreuve de la discrimination et, partant, emporte ainsi notre conviction.

o L’ordre politico-économique dominant de la planète

De tous les obstacles à l’entreprise de construction démocratique de la décennie 1990 en

Afrique relevés par Dumont, l’ordre politico-économique dominant de la planète s’avère l’unique à

être entièrement extérieur au continent. De par cette position externe, il étend sur l’Afrique son

emprise de diverses manières. Particulièrement, en rapport avec la démocratie dont le sort semble

dépendre aussi largement de la nature de l’influence qu’il exerce sur le continent africain. Aussi,

l’auteur de Démocratie pour l’Afrique ne peut-il que naturellement conjecturer qu’il n’y aura pas de

démocratie « viable » tant que cet ordre continue à l’asphyxier (D. 1991, 81-103). La critique de

Dumont sur cet aspect spécifique de sa contribution jouit du mérite certain d’être davantage

objective.

L’environnement dont la banqueroute en Afrique se montre déjà dans toute son acuité et,

partant, est reconnue officiellement par le PNUE de Nairobi, avec les effets néfastes que cette

banqueroute comporte sur la durabilité de la démocratie en Afrique, se voit simplement ignoré par

l’économie libérale. Mais, estime Dumont, que les prétendus héritiers des grands économistes

classiques du XVIIIe siècle, Adam Smith ou Stuart Mill, « traitent de l’économie-monde sans même

parler de la dégradation du milieu naturel témoigne plus encore de leur mauvaise foi que de leur

ignorance. » Considérant, dans cette optique, la loi fondamentale de l’économie libérale, Dumont ne

ménage pas sa plume. En effet : « La trop célèbre « loi du marché », celle de l’offre et de la

demande » qui, explicite-t-il, « dit que la production s’ajuste sur la « demande »82, souligne-t-il, « ne

s’est jamais montrée capable de tenir compte des coups (coûts) que certaines de nos activités,

nuisibles ou fort peu utiles, portent à l’environnement ». Elle refuse encore de comptabiliser les

déchets toxiques et autres ordures, les mers poubelles83, la pollution des nappes phréatiques, la

destruction des espèces vivantes. En plus d’ignorer l’environnement, l’économie libérale gaspille

les ressources rares non renouvelables (pétrole, minerais, etc.) dont la loi du marché refuse encore

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pareillement de comptabiliser l’épuisement. Les pays riches, observe Dumont, s’érigent en tête des

gaspillages de ces ressources rares. A l’instar de l’or noir ou le pétrole, un trésor inouï, bien plus

précieux que l’or et le diamant à propos duquel s’insurge l’auteur de Démocratie pour l’Afrique.

Synthétisant à l’extrême son propos, il résulte que : les pays riches ont commis une erreur

économique grossière qui compromet l’avenir de la planète en estimant son inestimable valeur

compte tenu de sa rareté relative. Ce, en toute liberté. A cela s’ajoutent bien d’autres problèmes

dont les problèmes sociaux et ceux de la simple morale (D. 1991, 81-83). Le complexe militaro-

industriel dont bien longtemps un général, Eisenhower, dénonçait les dangers, à en croire Dumont,

n’influe pas moins négativement sur l’environnement, d’autant plus que les armements augmentent,

eux aussi, le niveau du CO2, responsable de l’effet de serre qui engendre à son tour le dérèglement

des climats. D’ailleurs, sur la base de la situation française, il estime que les dépenses inconsidérées

d’armements « empêchent de réduire plus vite les dettes de l’Afrique et du tiers monde, et de les

aider plus efficacement. » (ibid., 83-85). L’introduction trop largement en Afrique, dès l’époque

coloniale, des autos de loisir n’a manqué de signer le comportement des « élites » locales au

pouvoir, après le départ du colon blanc, qui « ont fait encore mieux ». Reprenons Dumont :

L’Afrique tropicale, surtout francophone, compte bien plus d’autos par habitant que l’Inde. Laquelle fabrique elle-même ses voitures, qui ne le coûtent donc pas grand-chose en devises. L’Afrique, elle, les importe toutes, et se tourne surtout vers les voitures d’occasion, souvent reconnues dangereuses en Europe. Elle compte très peu d’usines de montage. Au Sénégal, le nombre d’autos privées a augmenté, ces dernières années, de 12% par an. Pour servir les autos de ses « élites », l’Afrique noire a accordé la priorité à un réseau de routes bien trop larges, bien trop coûteuses pour l’usage qui en est fait, et qui exigent de lourdes dépenses d’entretien. De Yaoundé à Bafoussam, au Cameroun, on a élargi une route neuve (déjà trop large) sur une grande section, à chacun des croisements qui sont ainsi aménagés en prévision d’un très gros trafic ; pourtant nous n’avons croisé, sur ce trajet, aucune voiture débouchant des routes transversales ! (D. 1991, 86).

Ces énormes gaspillages influent négativement sur le sort des activités directement

productives, à propos, en perte de crédits y destinés (D. 1991, 85-87). Le vrai-faux conflit de

prestige « écolos » entre les grands de la planète n’apparaît que comme une supercherie destinée à

leurrer les Africains par des gestes concrets mais significativement fallacieux tendant à soigner leur

propre image. D’un côté, les Etats-Unis, dont l’ambassade à Paris a commandé ferme 4.000

exemplaires de l’édition française du State of the World 1989 (L’Etat de la planète 1989) de Lester

Brown, à destination de l’Afrique francophone. De l’autre, la France, dont, au contraire, un esprit

sagace, Dumont, s’emploie à faire « remarquer au responsable américain de cette distribution que ce 127

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livre était totalement anti-Reagan : contre les armements, pour l’annulation rapide des dettes, contre

les trop fortes inégalités Nord-Sud ; pour une vraie politique antipollution, pour le contrôle des

naissances, etc. » (D. 1991, 87).

Mais, esprit auquel le responsable américain de la distribution en question dut rappeler en

retour le changement intervenu à la Maison Blanche où George Bush avait remplacé Ronald Reagan

(D. 1991, 87-88). Aux faits jusqu’ici synthétiquement évoqués, relevant de l’analyse de Dumont,

suivent encore beaucoup d’autres. En effet, si l’activité de la Banque a été « trop exclusivement

orientée vers les problèmes des dettes et des « ajustements », à en croire Dumont qui s’appuie

notamment sur des propos recueillis de Olivier Lafourcade, directeur à Paris du niveau européen de

la Banque, avant la décennie 1990, celle-ci, revenue à sa préoccupation « morale », titre son

treizième rapport annuel sur le développement dans le monde, paru en juillet 1990 : La Pauvreté. Et

Dumont de s’exclamer : « mieux vaut tard que jamais ! » Il ne s’avère pas difficile d’y voir,

cependant, encore une fois, une farce, nouvelle (ibid., pp.88-90). Dès lors que, reprenons à titre

d’illustration Dumont, qui écrit :

Elliot Berg me disait, en 1982, à la Banque mondiale qu’au Sénégal l’arachide était préférable au riz. Son rapport de 1981 donnait la préférence absolue aux cultures d’exportation (les seules capables de permettre le remboursement des crédits, puisqu’elles sont monétarisées) sur les cultures vivrières. En 1990, FMI et Banque mondiale prétendent toujours être capables de mieux assurer la prospérité générale par le libre-échange, la libre compétition à l’échelle mondiale : chacun devant tirer le meilleur parti de ses « avantages comparatifs ». J’en connais qui se battent avec leur daba (houe), mue à bras, sur un sol dégradé, sous un climat très aléatoire. Tandis que d’autres se promènent, sur des terres plus fertiles et mieux arrosées, dans leurs gros tracteurs et leurs si larges moissonneuses-batteuses. Le premier, au Burkina Faso, récolte, s’il pleut, de 400 à 500 kilos de céréales par an ; les seconds, dans l’Ouest canadien, de 1000 à 2000 tonnes ! (D. 1991, 89).

D’ailleurs, n’étant pas absolument contre le libéralisme politique postulé en guise de

solution à la pauvreté de l’Afrique par la Banque, Dumont stipule n’avoir jamais vu se réaliser dans

ce continent, à l’échelle nationale, les bienfaits de l’économie libérale dus au fait que « le

gouvernement oblige les entreprises à défendre l’intérêt national, et même à réduire les grandes

inégalités sociales et le chômage par une politique de développement qui assure le plein-emploi. »

Ni même à l’échelle mondiale où « l’inexorable « loi du marché » est d’abord appliquée aux seuls

produits primaires – agricoles et miniers – des pays pauvres. » L’échange inégal qui en résulte ne

leur pose pas ainsi moins de problèmes, avec en prime, l’exhibition de la mauvaise foi des

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techniciens de la Banque qui veulent, pour les riches, l’échange bon marché aux dépens des pauvres

(D. 1991, 90-92). Les voici donc, les pauvres, qui perdent ainsi la maîtrise de leur destin. « Et ils

l’ont perdu au bénéfice des gens peu soucieux de leurs libertés, de leurs possibilités, de leurs

besoins essentiels, de leurs vies – et même de leur survie. » Au bénéfice, d’abord, de leurs

dirigeants tyrans à l’instar de Houphouët-Boigny, Mobutu Sese Seko et Omar Bongo selon Dumont

qui enchérit : « Au bénéfice aussi de ceux qui se sont eux-mêmes attribué la direction de l’économie

mondiale, sous le prétexte de remettre de l’ordre et dans le système monétaire et dans les crédits

octroyés pour le développement. » Notamment, au travers des institutions de Bretton Woods, nées

en 1944 alors que les tiers mondes n’existaient pas encore (ibid., pp.92-93). Avant, visiblement

troublé, de surenchérir :

Et voici que cette banque, de plus en plus alliée au Fonds monétaire international, prétend être en charge de l’économie des pays en développement. De quel droit ? Du fait de leurs difficultés économiques ? Mais celles-ci ne résultent pas d’abord de leurs politiques internes, même si l’inefficacité des dirigeants, souvent plus soucieux de leurs intérêts particuliers que de l’intérêt national, n’est plus à démontrer. Elles proviennent d’abord de l’ordre politico-économique dominant (D. 1991, 93).

Au reste, successivement, « De l’échange inégal aux dettes qui étranglent » (D. 1991, 94-

95), « Pourquoi des prêts d’ajustement structurel ? » (ibid., 95-98), « La revanche des « faibles » :

la ruine ou la drogue » (ibid., 98-99) et « La Conférence de Paris des pays les moins avancés »

(ibid., 100-103) mettent en évidence le rôle dirigeant de la BM et du FMI des économies – donc de

la politique – des pays démunis et dominés, d’Afrique et d’ailleurs. Ils établissent, partant, leur

influence sur le sort de l’Afrique.

Première conclusion

En dernier ressort, la longue marche de l’Afrique vers la démocratie, dans le cadre duquel,

non sans surprise, Dumont situe son étude ici en examen, apparaît un processus très récent datant de

l’année 1990. Et par démocratie, il n’entend pas seulement le multipartisme ainsi que les libertés

classiques d’information, d’expression, d’association et de représentation, etc. Mais, aussi et

surtout, le respect du droit des femmes. Toutes, cependant, notions qui renvoient et qui

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correspondent à la seule acception politique de la démocratie. Par ailleurs, cette longue marche de

l’Afrique vers la construction des formes de démocratie se confronte, dès le début, à une série

d’obstacles, difficultés corrélatives de la médiocre situation économique, sociale et politique du

continent aussi officiellement reconnue par la Banque mondiale dans son rapport : L’Afrique

subsaharienne. Une lecture attentive de Dumont a permis de percevoir dans ces obstacles, tout à la

fois : des étapes à franchir au prix d’efforts monumentaux et ininterrompus sous la base d’une vraie

et réelle volonté politique, susceptibles de favoriser la marche de l’Afrique vers la démocratie ; des

étapes-obstacles qui font appel à une responsabilité collective, c’est-à-dire aussi bien de l’Afrique

que du monde extérieur ; enfin, l’obstacle véritable et effectif à la possibilité de construction de la

démocratie en Afrique. Extérieures à l’Afrique et susceptibles d’obstruer sa longue marche vers la

démocratie, les multiples contraintes de l’ordre économique et politique dominant de la planète

révèlent l’essence d’un ordre contre lequel il faut en effet combattre, entre autres, en vue de la

démocratie pour l’Afrique.

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DEUXIÈME CHAPITRE

LA STRATÉGIE DE LUTTE POUR LA DÉMOCRATIE

Dans les pays riches, la réalisation de la démocratie s’avère perceptible à travers

notamment les libertés classiques d’expression, d’information, d’association, de représentation, etc.

et le respect des droits des hommes et des femmes tout comme l’existence de vrais contre-pouvoirs

que les gouvernements accordent à leurs populations. De même, dans la plus grande majorité

d’entre eux, le niveau de vie élevé et doublé de toutes les débauches que comporte une mauvaise

redistribution des ressources mondiales, reposant en partie sur l’exploitation des pauvres par ces

pays riches au moyen de l’échange inégal et du libéralisme économique, couvre très largement les

besoins essentiels d’alimentation, de logement, d’éducation, de santé des populations (D. 1991,

235-237). Or, jusqu’en 1990, ces facteurs constituaient encore le rêve, une évidente chimère, des

populations des pays des tiers mondes, notamment celles des pays d’Afrique subsaharienne. Ces

populations, ainsi qu’il ressort clairement du propos de Dumont, du fait de tous les méfaits

« responsables de l’accroissement des inégalités et des pauvretés » légitimement reprochables aux

démocraties du Nord, n’auraient pas à recevoir des pays riches des leçons de démocratie. Mais,

plutôt, de « la petite minorité de pacifistes tiers-mondistes et défenseurs de l’environnement ». Dans

la mesure où cette petite minorité condamne « les prétentions abusives des pays riches » (ibid.,

237). C’est donc en explorant la seconde partie de Démocratie pour l’Afrique, que nous serons

parvenus à la stigmatisation des différentes « pistes de recherches » que cette petite minorité, par le

truchement de Dumont, soumet à notre réflexion et à notre discussion. D’où émergeront les

contours de la stratégie de lutte contre les abus du « vieil ordre » (ibid., 238) politico-économique

dominant de la planète, à l’instar de sa substance.

I.- Une stratégie toute nouvelle

Au début des trente dernières lignes qui terminent les presque quatre pages introductives

de son propos sur « Le politique domine, ou la difficile recherche d’un développement

démocratique en Afrique noire », Dumont, en ce qui concerne cette indéniable prépondérance du

politique dans la longue marche de l’Afrique vers la démocratie, dévoile aussi clairement sa pensée

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en des termes suivants : « Cette seconde partie, nous aurions pu l’intituler « Que faire ? ». Nous ne

l’avons pas fait, car c’est aux Africains à étudier, à déterminer, à choisir et à préciser ce que peut

être leur avenir » (D. 1991, 137). Reconnaissant ainsi aux Africains, contre l’ordre économique

mondial, à la fois le droit, le devoir et la liberté de décider, eux seuls, quel avenir ils veulent pour

l’Afrique. Cependant, étude, détermination, choix et précision, comme nous venons de voir dans le

chapitre précédent que, de fait, les Africains n’ont nullement entrepris au sortir de la colonisation ;

avenir dont ils n’ont pu définir la portée. Un manquement suffisant pour leur faire prendre un

« mauvais départ », tant dans l’ordre politique que social, économique, éducatif et même culturel »

(ibid., 239). Ainsi que Dumont rappelle avoir été un des seuls à le reconnaître, pour avoir analysé

les trois premières décennies de l’« indépendance » des pays d’Afrique tropicale au cours de la

décennie 1960. Indépendance pour le plus octroyée que conquise. C’est que les Africains

gémissaient sous les multiples contraintes de l’ordre politique et économique dominant de la

planète, voire, du « système-monde » moderne, pour emprunter l’expression à Wallerstein qui lui-

même reprend de manière critique Braudel, à en croire Alain Bihr (2008). Associées aux multiples

autres facteurs intérieurs, à l’instar de la prédominance de la tyrannie des régimes dictatoriaux aussi

mis en place et maintenus au pouvoir par les ex-puissances coloniales pour le cas de l’Afrique

francophone, les multiples contraintes de cet ordre finirent par conduire inéluctablement l’Afrique

vers la faillite générale de 1989 constatée par la Banque mondiale dans son rapport de novembre

1989 comme le note Dumont.

« Mais voici que s’ouvre, pour l’Afrique, une nouvelle ère politique qui pourrait être pleine

d’espoirs » (D. 1991, 239). Observe naturellement Dumont qui, dès le premier abord, c’est-à-dire à

travers « A la recherche d’un projet de société » (ibid., 239-240), dans « Un projet de société :

réduire les inégalités pour renforcer la démocratie » (ibid., 239-256), premier point de la seconde

partie de son ouvrage, stipule que : « Le climat a changé là-bas, nous l’avons bien senti pendant nos

conférences au début de l’année 1990 » (ibid., 239). Ce que nous avons fait voir également plus

haut.

L’heure a finalement sonné pour que les Africains reprennent en mains leur tâche, celle qui

leur incombe de fait, celle de concevoir « ce que peut être leur avenir ». Et, Dumont d’indiquer

que : « Dans ces conditions, notre rôle doit d’abord se caractériser par la modestie. Nous devons, à

tout instant, répéter comment l’ordre économique dominant menace l’avenir de l’Afrique » (ibid.,

237). Visiblement, en vue de dénoncer, en tout cas, il faut le dire, sans exagération aucune, un très

grand mal qui ne coûte qu’excessivement cher à l’Afrique depuis au moins trois décennies, à

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compter notamment de l’année de l’accession à l’indépendance de la plupart de ses pays, à savoir

l’année 1960.

Que dire donc en gros à propos de cette attitude imprimée par Dumont, pour les pays

riches en général et la petite minorité des « tiers-mondo-écolo-pacifistes » (D. 1991, 16) ? Il ne

s’agit pas d’un abandon des Africains de leur part, surtout de celle de la petite minorité des tiers-

mondo-écolo-pacifistes, auprès de laquelle les Africains ont à recevoir des leçons de démocratie.

Non, loin de là ! Objectivement, Dumont délimite seulement ce qui émerge déjà, de manière tant

soit peu explicite, comme une stratégie de lutte contre les abus de l’ordre économique et politique

dominant de la planète. Une stratégie, faut-il préciser, et nous verrons pourquoi, essentiellement

nouvelle. Les Africains doivent étudier, déterminer, choisir et préciser ce que peut être leur avenir,

d’une part, et les pacifistes tiers-mondistes et défenseurs de l’environnement, répéter comment

l’ordre économique dominant menace l’avenir de l’Afrique, d’autre part.

D’où vient cette intuition d’une stratégie nouvelle ? Telle est la question à laquelle nous

sommes tenus de rechercher la réponse dans la seconde partie de l’ouvrage de Dumont. Cependant,

l’espoir d’en trouver une littéralement bien formulée à cette interrogation s’avère d’emblée absurde,

partant, vain. Dumont, qui, dans Démocratie pour l’Afrique, ne livre pas un cours d’histoire sur le

pacifisme ni le tiers-mondisme tout comme sur l’écologisme, ne consacre nullement son discours,

d’une manière spécifique, à la déclinaison de l’origine de ce qui en constitue ou en représente les

grandes lignes théoriques. L’hypothèse qui, pour emprunter la formule à Trincia, « constitue le fil

conducteur théorique »84 de son analyse dans cet ouvrage est que : « La faillite économique et

politique de l’Afrique serait la faillite morale de la France, de l’Europe et du monde développé »

(D. 1991, 312-323), à laquelle il consacre bien une douzaine de pages avant de conclure avec :

« Misères des Afriques, détresses des tiers mondes » (ibid., 325-330). Mais, cela n’empêche pas que

son développement narratif renferme quelque indication hautement significative qui, bon gré mal

gré, ne soient en mesure de suggérer ce que parfois la prudence proscrit simplement d’étaler tout nu.

Même si cette prudence ne nous apparaît vraiment pas, ici, son fort. C’est justement vers telle

indication que, aussi, dans la quête de ce qui serait à l’origine de l’intuition de Dumont de la

stratégie nouvelle pour la lutte contre les abus de l’ordre mondial dominant nous avons tourné en

effet le regard en explorant davantage et à bon escient son ouvrage.

Ainsi, après avoir identifié voire isolé les extrêmes de cette nouvelle stratégie, à ce point

mis en évidence par Dumont, nous n’avons pas manqué d’arrêter notre regard sur le passage

suivant :

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Un « nouvel ordre économique mondial » a été proposé en 1973 par Boumediene. Après d’interminables discussions aux Nations unies, il n’a pu être réalisé. Ce n’est pas une raison de baisser les bras, mais bien plutôt d’étudier comment gagner des alliés dans cette lutte contre les abus du « vieil ordre » ; en soulignant que, cette fois, ils menacent de destruction la planète entière – ce qui peut renforcer la cohorte de ceux qui réagiront (D. 1991, 237-238).

A l’évidence, il y apparaît du reste clairement que l’ordre contre lequel Dumont invite ses

pairs à combattre les abus ne s’avère pas du tout nouveau. Il est un « vieil ordre ». Et, nous ne

saurons faire allusion à l’ancien, au vieux, sans penser au nouveau. La question qui surgit dès lors

spontanément à l’esprit est la suivante : Existe-t-il un nouvel ordre économique dominant sous le

joug duquel l’Afrique risque de pâtir encore dans la « nouvelle ère politique » qui s’ouvre pour elle

au début de la décennie 1990 ; ère, à en croire Dumont, apparemment pleine d’espoirs ? Le propos

de Dumont, ainsi que nous l’avons souligné déjà plus haut, requiert beaucoup d’attention. Car,

même ici, il est un sens qu’il donne au déterminant « vieil » qui peut en être déduit, mais, qui, si

l’on n’accorde pas toute l’attention nécessaire à son appréhension, peut échapper bêtement à l’esprit

et, partant, faire ainsi tomber dans des contresens pour le moins fâcheux si ce n’est pour le plus

dangereux. Ensuite, le caractère nouveau de la stratégie qu’il propose aux tiers-mondo-écolo-

pacifistes risque de rendre cette compréhension davantage difficile. En outre, il y apparaît, de

manière encore bien plus évidente, que la déclinaison de cette ancienneté de l’ordre dont il faut

combattre les abus résulte elle-même de l’observation par Dumont d’un fait. La détermination du

fait d’où découle cette déclinaison ouvre à cela même qui peut constituer le fondement de la

nouvelle stratégie de lutte contre l’ordre économique dominant. Et, ce fait ne relève aucunement de

notre imagination ni, plus encore, de celle de Dumont ; mais, il s’agit d’une évidence historique que

l’auteur de Démocratie pour l’Afrique ne fait que rendre à sa manière : l’échec de la réalisation d’un

nouvel ordre économique mondial proposé en 1973 par Houari Boumediene85.

Aussi, à la question sur l’existence possible d’un nouvel ordre économique dominant sous

le joug duquel croupirait une fois encore l’Afrique, la réponse tombe-t-elle d’elle-même sans

équivoque, claire, sans nous obliger à nous mettre martels en tête. Par « vieil ordre », donc, Dumont

n’entend ni ne laisse pas entendre un ordre suranné voire caduc, qui se réfère à une époque révolue.

Non ! au contraire, un ordre ancien, certes, mais toujours en vogue et qui jouit encore aujourd’hui

de tout son prestige, de tout son pouvoir d’action ; de même, d’aucuns diraient, de toute sa

puissance ou de toute sa force de frappe. En dernier ressort, et comme nous l’avons démontré à

travers l’analyse des obstacles à la possibilité de construction de la démocratie en Afrique, mis en

évidence par Dumont, il apparaît indéniablement le même qui a conduit autrefois ce continent à la 134

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crise économique, sociale et politique de 198986, cette faillite générale, pour postuler ensuite sa

croissance durable, à compter de 1990.

L’échec de la réalisation d’un nouvel ordre dans lequel fonde l’intuition de la stratégie

nouvelle de la lutte contre les abus de celui-là même qui après avoir conduit à la ruine hier évoque

aujourd’hui la croissance durable de l’Afrique, donc, offre aux activistes du mouvement une

occasion pour étendre, cette fois, à la menace « de destruction de la planète entière » leurs mots

d’ordre. Ils ne doivent plus seulement, « à tout instant, répéter comment l’ordre économique

dominant menace l’avenir de l’Afrique. »

Nous venons de voir que la stratégie nouvelle de la lutte contre les abus de l’ordre

économique dominant fonde dans l’échec de la réalisation d’un nouvel ordre économique

international proposé, en 1973, par Boumediene. Suivant Perspective Monde, ce dernier voulait que

« le principal clivage mondial soit celui entre les puissances industrielles et le Tiers-monde »87. 

Cependant, une lecture attentive de ces lignes laisse transparaître également les termes essentiels

ou, avec la terminologie même de Dumont, les différents « mots d’ordre » de cette nouvelle

stratégie. A l’évidence, trois y apparaissent les indications constitutives du socle théorique de ladite

stratégie. La première, repérable à travers la justification du refus de Dumont d’intituler « Que

faire ? », la seconde partie de Démocratie pour l’Afrique, stipule que « c’est aux Africains à étudier,

à déterminer, à choisir et à préciser ce que peut être leur avenir ». La deuxième, quant à elle,

déductible de la condition qu’impose la première, établit, pour les activistes dont le « rôle doit

d’abord se caractériser par la modestie », un devoir qui consiste à, « à tout instant, répéter comment

l’ordre économique dominant menace l’avenir de l’Afrique ». Enfin, inspirée par l’échec de la

réalisation du nouvel ordre économique mondial proposé par Boumediene en 1973, la troisième

élargit la deuxième à la dénonce des menaces de destruction de la planète entière par les pays les

plus riches comme les grands complexes militaro-industriels de l’Est et de l’Ouest (D. 1991, 237-

238). Il nous reste donc de porter l’attention, successivement, sur la première indication théorico-

stratégique, d’une part, et, d’autre part, mais ici tout en bloc, sur les deuxième et troisième, qui vont

permettre de relever, à travers l’examen critique de la seconde partie de l’ouvrage de Dumont, cette

série de pistes de recherches que, en ce qui nous concerne dans le cadre du présent travail, Dumont

soumet particulièrement à la réflexion et à la discussion.

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II.- Le droit-devoir et liberté des Africains

Comme nous venons de voir avec Dumont, il revient aux Africains d’étudier, de

déterminer, choisir et préciser ce que peut être leur avenir. Une vision davantage sinon

exclusivement tournée vers l’avenir. Ce faisant, les jeunes générations d’Africains, à l’instar des

futurs politiques, doivent tenir compte également de quelques exigences qui représentent, dans

l’optique de Dumont, des étapes88 nécessaires à franchir pour une construction véritable des

démocraties. La réduction des inégalités, en premier lieu, comme fond du projet de société, est

destinée au renforcement de la démocratie que, en second lieu, et surtout principalement,

l’éducation et la santé de base pour tous bâtissent ensuite. En outre, la libération de toutes les

paysanneries, d’une part, inscrite dans le cadre du projet de société des futurs dirigeants africains,

apparaît aussi naturellement synonyme de démocratie rurale tout comme l’éradication de la

pauvreté et l’amélioration de la condition des femmes constituent également des bases essentielles

d’une vraie démocratie, d’autre part.

1.- Pour un projet de société favorable au renforcement de la démocratie

Dans le cadre du droit-devoir et liberté que Dumont reconnaît aux Africains d’étudier, de

déterminer, de choisir et de préciser ce que peut être leur avenir ou, en d’autres termes, de

concevoir un projet de société qui réduise les inégalités pour renforcer la démocratie (D. 1991, 239-

256), il écrit :

Les jeunes Africains qui vont, espérons-le, arriver au pouvoir auront à faire, sans trop tarder, des choix difficiles. Mais une chose est sûre : l’évolution de l’Afrique est en marche, et, à chaque étape, ils devront tenir compte des situations, des circonstances, des rapports de forces : le projet de société ne pourra être réalisé d’un coup de baguette magique » (D. 1991, 240).

Ce projet de société dont les jeunes générations de politiques Africains sont soumis voire

tenues à la recherche doit fonder sur la satisfaction des besoins essentiels, à l’instar de ceux qui

assurent la survie de tout être humain : le droit de manger correctement et de boire de l’eau

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potable. De sorte qu’elles puissent dégager leurs populations de l’« insécurité alimentaire

chronique », c’est-à-dire la sous-nutrition prolongée, ainsi que la malnutrition quotidienne autant

dévastatrices que moralement inacceptables. Et, en termes de détresse quotidienne, observe

bonnement Dumont, beaucoup moins spectaculaire que la famine qui, elle, est volontiers secourue

quand les médias nous la montrent comme « intolérable ». Aussi, faudrait-il encourager

l’agriculture vivrière, d’une part, et, d’autre part, l’importation du complément de vivres nécessaires

pour combler les déficits alimentaires. Ce qui exige en effet une balance des paiements plus proche

de l’équilibre, indispensable à l’indépendance économique et, partant, politique. Mais, à ce premier

droit s’ajoute également le droit à la dignité et au respect que confère un logement décent, aussi

constitutif des éléments de survie (D. 1991, 240-242). Au même titre que le respect de

l’environnement et, dans une certaine mesure, l’économie des ressources rares non renouvelables,

souligne-t-il, cette couverture réelle des besoins élémentaires pour tous sera difficile. Par surcroît,

dans une ambiance de pauvreté généralisée (ibid., 242-243). D’ailleurs, étant donné que nous

vivons dans un monde moderne qui requiert un minimum d’éducation pour pouvoir y vivre

correctement, Dumont sollicite que « la priorité soit accordée aux formes minimales

d’enseignement les plus économiques, donc capables de toucher vite tous les enfants, comme

l’alphabétisation fonctionnelle ou l’enseignement dit « fondamental ». » (ibid., 243-244). De même,

pour le respect des droits des femmes qui constitue la base essentielle d’une marche réussie vers la

démocratie, il suggère que les « intégrismes » chrétien, sioniste et islamiste soient considérés

comme extrêmement dangereux par tous ceux qui cherchent à favoriser l’avènement de régimes

respectant les droits tant des hommes que des femmes ainsi que les libertés démocratiques (ibid.,

245-247). De plus, il serait utile aux jeunes générations de politiques Africains, avant de mettre en

œuvre de nouvelles législations, de faire appliquer d’abord les lois et règlements déjà existants.

« En somme, de disposer d’une police, d’une justice, d’une administration qui se mettraient

réellement au service du public, y compris des plus démunis, pauvres et analphabètes » (ibid., 248-

249). Ensuite, de rester dans la logique du multipartisme déjà en application, d’une part. Malgré sa

condamnation précoce par Jacques Chirac ; et, surtout, les vicissitudes afférentes au multipartisme,

en tant qu’il constitue le seul et le véritable gage de l’organisation d’un vrai contre-pouvoir que ne

peut offrir un système à parti unique. Un niveau général d’éducation permettrait dès lors de réduire

les inconvénients des promesses démagogiques que peuvent faire des partis nés dans l’opposition

(ibid., 249-250). Puis, d’autre part, de tenir compte du précieux conseil découlant logiquement de

l’observation suivante : « Une démocratie, pour être vraie, ne peut être imposée d’en haut par les

pouvoirs de la capitale. Elle est plus solide si elle part de la base. » Cette base qui se reconnaît

principalement dans la plus générale des communautés, la famille, au sein de laquelle le respect des

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droits des hommes et, surtout, des femmes – épouse, fille et mère – constitue en principe une

exigence, un impératif, démocratique (ibid., 250-252). Les nouveaux pouvoirs africains devraient

tenir compte des difficultés que poserait le libéralisme intégral dans la réalisation de leur projet de

société dont la nature impose primordialement la recherche d’une économie de plein-emploi qu’il

faut également mieux répartir (ibid., 252-253). Enfin, l’éventuelle et souhaitable réclamation de la

réciprocité du « droit d’ingérence » sera assujettie à leur acceptation des contrôles comptables du

FMI et de la Banque mondiale (ibid., 254-256).

2.- Afin que l’éducation et la santé bâtissent la démocratie

La liste des prescriptions de Dumont à l’endroit des futurs politiques Africains est très

longue. En effet, ceux-ci doivent reconnaître aussi que : « L’éducation et la santé bâtissent la

démocratie » (D. 1991, 257-269). Abordant cet aspect de sa contribution, l’auteur de Démocratie

pour l’Afrique écrit à leur attention que :

La priorité à l’éducation est une valeur économique, car on ne modernise pas un pays sans un minimum généralisé d’éducation et de connaissances. C’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici. Les bouleversements politiques de 1990 renforcent cette thèse : le premier devoir d’un pouvoir démocrate, plus soucieux du sort de tous, sera de généraliser et d’améliorer l’éducation qui est, avec le « pain quotidien », le « premier des besoins du peuple ». Les nouveaux gouvernements disposeront de possibilités accrues pour agir dans ce sens. Ce type d’actions leur permettra aussi de mieux affirmer leur volonté de vraiment « servir le peuple » (D. 1991, 257).

Ainsi donc, d’un côté, ils seront tenus, par l’alphabétisation, de toucher toute la population,

en accordant « à l’éducation une plus large part du budget, aux dépens des crédits militaires, des

bâtiments trop coûteux, des autoroutes, des 3 V (voitures, villas voyages) des riches. » Une bonne

politique d’amortissement de la dette extérieure, pour les pays pauvres, leur ferait faire obtenir des

reversements qu’ils doivent affecter absolument, mais en partie, à l’éducation. Particulièrement, aux

formes d’éducation accessibles au plus grand nombre, en tenant compte des exigences résultant de

celles-ci. Et, en ce qui concerne l’enseignement primaire fondamental et le postprimaire technique

ainsi que le secondaire et le supérieur, des besoins réels d’éducation au développement (D. 1991,

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257-259 ; 259-261 ; 261-263 ; 263-265). Les générations futures de politiques Africains, d’un autre

côté, devront parvenir aux mêmes fins par l’hygiène préventive et les soins de santé primaire. Pour

les pays pauvres, ayant obtenus des reversements à la faveur de leur bonne politique

d’amortissement de la dette extérieure, les nouveaux pouvoirs devront impérativement affecter la

partie restante de ces crédits à la santé en favorisant, par exemple, la généralisation de la

réhydratation orale en cas de maladie diarrhéique, des aliments de sevrage et la sécurité alimentaire

(ibid., 266-269).

3.- Pour une démocratie rurale

Il est un autre aspect dont les jeunes générations de politiques Africains doivent encore

nécessairement tenir compte : une paysannerie libérée équivaut à une démocratie rurale (D. 1991,

270-282).Sur ce, Dumont avise que : « Une société n’est vraiment démocratique que si elle cesse de

maltraiter ses travailleurs manuels, et d’abord de mépriser les ruraux. » Notamment, pour suggérer à

ces jeunes générations la nécessité de la mise en valeur de leur paysannerie à travers une égalisation

de traitement entre les grandes villes et les campagnes. Particulièrement, en matière d’éducation

comme de santé. Mais également, d’infrastructures de base, à l’instar d’un réseau de pistes et d’un

réseau correct de transport en commun, ainsi que d’infrastructures propres à la promotion des

activités de loisirs. Les effets induits fourniront « un argument essentiel dans la lutte contre l’excès

de l’exode rural » (ibid., 270-271). En ce qui concerne précisément le domaine de la production

agricole, domaine même de prédilection de Dumont : premièrement, il insiste sur la priorité qui doit

être accordée aux cultures vivrières, promptes à favoriser la couverture effective des besoins

élémentaires d’alimentation pour tous, de survie, si accompagnées d’une bonne organisation du

transport et de la distribution, d’un côté ; de l’autre, d’une concession des prix permettant à la

paysannerie « d’acquérir des moyens de transport : vélos, brouettes, bêtes d’attelage et charrettes ;

puis des outils de travail du sol, de récoltes, etc., et un peu d’engrais et de pesticides, sans en

abuser. » Deuxièmement, et à la faveur d’une expérience réussie d’un groupe de paysans

alphabétisés au Mali-Sud, il souhaite l’extension des caisses de Crédit agricole dont l’administration

– conjointement contrôlée par les paysans dûment alphabétisés, les autorités locales et, pour

l’efficience de ses crédits, un représentant d’un éventuel bailleur extérieur dont lesdites caisses

méritent de recevoir des fonds – devrait orienter la recherche agronomique plus et mieux sur les

problèmes posés par les cultures vivrières en milieu paysan. Domaine dans lequel « les Africains 139

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devraient vite former des chercheurs autochtones, travaillant d’abord sur ces cultures pour ne plus

avoir à s’en remettre aux seuls expatriés. » Dumont ajoute, contrastant : « Mais il faudrait les mieux

payer et que le FMI le comprenne… » (ibid., pp.271-275). D’ailleurs, comme pour réveiller les

jeunes générations de politiques Africains en matière de production agricole, il souligne que : « Le

chainon le plus déficient dans les efforts de « modernisation » agricole reste celui de la

vulgarisation, qui devrait permettre de transposer dans la pratique les données de la recherche, en

tenant le plus grand compte de tous les obstacles sociopolitiques, économiques et techniques » (D.

1991, 274).

Dans la même logique, Dumont invite les futurs politiques Africains à considérer à leur

juste valeur les difficultés de l’intégration, dans le cadre d’une même exploitation paysanne, de

l’agriculture et de l’élevage, pense-t-il, à laquelle il faut revenir – car il s’avère une antique

recommandation des agronomes « coloniaux » – , et, dont la première étape serait celle des

fourrages cultivés qu’il appelle une « révolution fourragère tropicale ». Les difficultés de cette

intégration consistent dans l’absence, trop générale en Afrique tropicale, des moyens de transport

efficaces et économiques utilisant l’énergie animale, ainsi que dans l’« esclavage » des paysannes

qui résulte de cette absence et qui ne permet pas la réalisation effective des énormes volumes de

transports qu’exige cette « révolution fourragère tropicale » (D. 1991, 276-277). Dans le cadre de

cette intégration de l’agriculture et de l’élevage, Dumont conseille d’accorder la priorité, pour la

partie élevage, aux petits ruminants (ibid., 278-279). Au reste, partant de l’observation que tout ce

qui pousse sans travail en Afrique appartient traditionnellement à tous, notamment en termes de

végétation, avec le risque de dégradation de l’environnement que cette libéralité comporte de fait,

Dumont propose l’institution des responsables de l’environnement, d’abord (ibid., pp.279-280).

Puisque, stipule-t-il :

Les villages ont souvent des frontières reconnues ; à l’intérieur de celles-ci, il serait bon de conforter des autorités en charge de tout ce qui n’est point directement approprié (cultures, jardins, vergers ou reboisements). Le reste serait alors considéré comme propriété communale, dont la gestion pourrait être assumée – c’est courant – par une autorité traditionnelle, un chef de terre ; ou, si elle existe, par la municipalité (D. 1991, 279). 

Ensuite, sur une question aussi fort délicate que la privatisation du sol, d’avertir

notamment à partir de la situation des terres de la vallée du fleuve89 à Dakar, au Sénégal, que celle-

ci n’a pas que des effets positifs. Loin de là (ibid., pp.280-282). Aussi, estime-t-il que : 

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Dans tous les cas, l’appropriation privée devrait être restreinte à tous ceux qui mettent réellement en valeur, intensifient, augmentent la production et l’emploi, et protège l’environnement. Le droit romain traditionnel jus utendi et abutendi (droit d’user et d’abuser), ne devrait pas être admis en Afrique, où la propriété communautaire traditionnelle présente beaucoup d’avantages (D. 1991, 281).

III.- Rôle et stratégie des « Autres »

Du fait de leur conduite, les pays riches paraissent responsables de plusieurs méfaits, à

l’instar de « leur exploitation des pauvres par le biais de l’échange inégal et du libéralisme

économique sur laquelle repose en partie leur niveau de vie si élevé », d’une part ; et, d’autre part,

leurs abus et gaspillages des ressources rares et non renouvelables avec les conséquences

désastreuses qui en découlent sur les climats et, partant, l’avenir de l’Afrique. Aussi, n’ayant « donc

aucun titre à faire valoir pour donner aux Africains des leçons de démocratie », revient-il à la petite

minorité de pacifistes tiers-mondistes et défenseurs de l’environnement le droit d’en parler, parce

qu’elle condamne « les prétentions abusives des pays riches » (D. 1991, 235-237). C’est dans ce

cadre précis que Dumont circonscrit et définit le rôle et, surtout, la stratégie de cette petite minorité

dans la lutte qu’il faut continuer de mener contre les abus de l’ordre politique et économique

dominant. Une stratégie, comme nous avons vu, articulée autour de deux axes, à savoir : répéter

comment l’ordre économique dominant menace l’avenir de l’Afrique et, de plus, souligner

comment les abus de cet ordre menacent de destruction la planète entière (ibid., 237-238).

L’analyse de ces points nous a permis de mettre en évidence, comme toile de fond de la

dénonciation des tiers-mondo-écolo-pacifistes, les politiques qui n’ont rien à voir avec les besoins

réels du développement ni de l’éducation au développement de l’Afrique ainsi que la survivance des

hégémonies tutélaires de l’ère coloniale. Par « Autres », donc, nous entendons principalement pour

ne pas dire exclusivement cette minorité.

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1.- Des politiques qui ne tiennent pas compte des besoins réels du développement

Le cadre général de l’Afrique jusqu’en 1990 paraît clairement défini par la Banque

mondiale dans deux rapports90 portant, le premier, sur l’état de santé de l’Afrique en 1990 tandis

que le second, sur l’état du développement dans le monde.

Dans le premier rapport, par exemple, stipule Dumont qui en reprend un extrait, la Banque

mondiale nous dit que :

La crise économique de plus en plus grave que connaît l’Afrique se caractérise par une faible croissance de l’agriculture, par le déclin de la production industrielle, par de médiocres performances à l’exportation, par l’accumulation de dettes et par une dégradation des indicateurs sociaux, des institutions et de l’environnement. […] La crise a aussi un coût humain considérable. Dans plusieurs pays, les dépenses consacrées aux services sociaux ont fortement diminué, le taux de scolarisation est en baisse, la situation nutritionnelle empire et la mortalité infantile reste élevée. Le chômage déclaré est lui aussi en augmentation dans les villes, notamment parmi les jeunes diplômés. Par ailleurs, en menaçant la capacité de production à long terme de l’Afrique, la pression démographique qui s’exerce sur la terre accélère la désertification et le déboisement […]91.

Quant à la condition des femmes, l’allusion à son étude de 198492 au Burkina Faso en

compagnie de Charlotte Paquet, réalisée à l’invitation du regretté Thomas Sankara, l’alors président

de la République, ne suggère pas assez seulement le vrai statut de celles-ci en Afrique. Notamment,

sur la base des propos recueillis par sa compagne, auprès des groupes de paysannes, dans un village

à l’ouest de Bobo-Dioulasso sur la route du Mali. Propos du genre : « De la naissance à la mort,

nous sommes piétinées », pour citer ce seul cas de figure, repris par Dumont qui, dans plusieurs

autres endroits – « De l’esclavage aux femmes quasi esclaves » (D. 1991, 22-24), « Les coépouses

des trottoirs de la Médina de Dakar » (ibid., 24-27) et « Les vrais prolétaires des temps modernes »

(ibid., 27-29) – étale des situations décrivant très largement la condition des femmes ; de surcroît,

rurales (ibid., 36-37).

C’est devant ces faits que l’auteur de Démocratie pour l’Afrique estime que l’éradication

de la pauvreté et l’amélioration de la condition des femmes y constituent des bases essentielles

d’une vraie démocratie (D. 1991, 283-298). En ce qui concerne en particulier la pauvreté, il laisse

percevoir aussi aisément que ce drame s’avère enfin reconnu.

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Au sujet de cette reconnaissance du drame de la pauvreté, il ouvre ainsi son propos : « A

notre avis, il n’y aura pas de vraie démocratie tant que s’approfondiront les inégalités, et surtout tant

que subsisteront et s’accroîtront de si grandes misères, qui nous font – ou devraient nous faire –

honte à tous. Car nous en sommes tous, à des degrés divers, responsables » (D. 1991, 283). 

Il ne paraît pas difficile d’appréhender ici l’intuition de Dumont postulant une lutte contre

cette pauvreté. Lutte à laquelle, du reste, ainsi que tout commun des mortels, pour ne pas dire

seulement tout homme doué vraiment de raison, il ne s’avère que favorable. Notamment à partir de

la réduction des écarts observables déjà très grands, des extrêmes entre les pays pauvres sous-

développés, d’une part, et, d’autre part, les pays riches développés, dont la richesse, en partie,

suivant les termes mêmes de son analyse – tel que nous l’avons énoncé un peu plus haut – provient

de leur exploitation de ces mêmes pays pauvres par le biais de l’échange inégal sur lequel repose

effectivement l’économie libérale. Dès lors que, ainsi qu’il le note pertinemment :

Dans le système des Nations unies, on vient enfin, après bien des hésitations, de mieux reconnaître que le traitement exclusivement financier et monétaire du sous-développement, caractérisé par les politiques d’ajustement structurel, s’il paraît répondre à certaines nécessités, est caractéristique de l’ordre économique libéral. Celui qui exige qu’on rembourse les dettes, sans en bien mesurer les causes et les conséquences (D. 1991, 283). 

Avant, poursuivant son discours, et plus ou moins précisément, de mettre en évidence la

manière dont cet ordre économique libéral menace réellement l’avenir de l’Afrique. Pour ce faire, il

s’appuie naturellement sur L’Ajustement à visage humain de l’UNICEF (1988). Car, selon lui :

C’est l’UNICEF qui a lancé le premier avertissement solennel, dans L’Ajustement à visage humain, montrant que les réductions – souvent dramatiques – des crédits accordés à l’éducation et à la santé, conséquence des ajustements structurels, menaçaient les jeunes et donc l’avenir de tous les pays non ou mal développés (D. 1991, 283).

Et, évidemment non sans regret, d’ajouter tout de suite que : « La banque mondiale, un peu

ébranlée, a donc proposé des palliatifs, des mesures d’ajustement social – qui sont restées largement

insuffisantes. » Cependant, sous l’effet du rapport Brundtland93, observe Dumont, un grand pas en

avant a été accompli. En effet, écrit-il :

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A la réunion de Toronto, en 1987, le secrétaire général des Nations unies, Xavier Perez de Cuellar, a fermement « demandé à tous les organismes de la Banque mondiale de tenir le plus grand compte de ce rapport ». Car il proposait des solutions plus hardies, mieux dégagées du cadre libéral, pour parvenir tout à la fois à protéger l’environnement mondial, reconnu en péril, et pour essayer de sortir le tiers monde d’une misère d’autant moins acceptable que nous avons désormais tous les moyens, toutes les ressources nécessaires pour combattre la pauvreté (D. 1991, 284).

A ces rapports s’ajoutent, d’une part, le rapport du PNUD sur le développement humain

(1990), que le programme fonde sur la réalisation de trois conditions essentielles : vivre longtemps

et en bonne santé, acquérir un savoir et avoir accès aux ressources nécessaires pour jouir d’un

niveau de vie convenable (D. 1991, 284). D’autre part, le recensement aux résultats d’une tendance

alarmante, pour le continent africain, de l’Organisation internationale du travail. D’ailleurs, à côté

de ces deux éléments, et encore plus spectaculaire, souligne Dumont, la nouvelle attitude de la

Banque mondiale. Une attitude perceptible au travers de son rapport intitulé La Pauvreté. Car,

conclut-il : « Ce rapport précise que nous avons tous les moyens de résoudre ce problème – peut-

être en l’espace d’une génération. A condition que nous en ayons tous, Africains comme

responsables des « aides » extérieures, la volonté politique » (D. 1991, 285).

Il est un autre mode avec lequel l’ordre économique et politique dominant de la planète

menace l’avenir de l’Afrique. En effet, dans « Les dépenses militaires et l’insuffisance des aides,

premières responsables des pauvretés du tiers monde » (D. 1991, 286-287), par exemple, Dumont

écrit : « Dans ce domaine, la France a des responsabilités particulières, car elle a aidé et poussé à

accroître ces dépenses, elle a fourni les armements et assuré la formation des militaires : le service

après-vente y est plus efficace que pour l’équipement industriel… » (D. 1991, 286).

Il s’agit des dépenses énormes effectuées par les gouvernements des pays en

développement que la Banque mondiale a évaluées, en 1986, à 159 milliards de dollars, soit à peu

près le quintuple de l’aide qu’ils ont reçue ; deux années auparavant, à presque autant.

Naturellement, par rapport aux dépens des secteurs primordiaux du développement tels que

l’éducation et la santé.

Par ailleurs, poursuit Dumont :

A l’échelle internationale, l’ensemble des pays industrialisés a versé au tiers monde 32 milliards de dollars en 1986, soit bien moins que celui-ci n’a remboursé. Et une partie importante de cette « aide » n’a guère servi au développement. Cette somme ne représentait, cette année-là, que 5% des

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dépenses militaires des pays développés, qui ont atteint 666 milliards de dollars…(D. 1991, 286). 

En somme, cette aide des pays industrialisés, développés mais non socialistes, estime

l’auteur de Démocratie pour l’Afrique, reste très faible, pour le cas spécifique de la France, à cause

des dépenses militaires qui empêchent de faire davantage. Aussi mal orientée, elle n’agit pas assez

suffisamment ni efficacement sur les bases de la pauvreté qui, associée à l’augmentation du

chômage et la diminution des salaires réels, en Afrique, favorisent les inégalités, et compromettent

la démocratie (D. 1991, 287).

En outre, Dumont pointe du doigt la nonchalance des pays développés devant le grand défi

démographique africain. Il y perçoit la plus grande cause de la pauvreté. D’ailleurs, au sujet de ce

grand défi démographique africain Dumont pense qu’il faut combattre de front les thèses des

intégristes de tout genre en soulignant les conséquences dramatiques de leurs actions ; tandis que les

pays développés y emploient bien peu de moyens financiers. En comparaison avec leurs dépenses

militaires, observe-t-il, sur la base du rapport Brundtland. En effet, ce rapport, écrit Dumont,

rappelle opportunément : « La fourniture des moyens de contraception à toutes les femmes acquises

à la cause de la planification des familles coûterait 1 milliard de dollars par an, en plus des 2

milliards dépensés à l’heure actuelle. Ce milliard supplémentaire est l’équivalent de dix heures de

dépenses militaires94. » 

Aussi, peut-il lancer cet avertissement final : « Cette dépense de 1 milliard apparaîtra

bientôt insuffisante, mais il faut vite commencer, si l’on veut assurer la survie même du continent

africain » (D. 1991, 288).

Au reste, « Des services sociaux enfin accessibles à tous » (D. 1991, 288-290), « Réduire

les inégalités de revenus » (ibid., 291-292) et « Une véritable « libération » des femmes rurales »

(ibid., 292-298) proposent une nouvelle fois, de manière plus rassemblée, toute cette série de pistes

que les Africains, notamment les jeunes générations de politiques ou les nouveaux pouvoirs,

doivent suivre en vue d’une sortie encore davantage certaine de toutes sortes de misères dont est

accablée l’Afrique. Mais, cette fois-ci, à l’attention des pays développés. Partant, à l’attention de

l’ordre économique et politique dominant de la planète. Afin que tous tiennent le plus grand compte

de la nécessité de leur réalisation. Eventuellement, par une orientation bien plus efficace de l’aide

puis par un contrôle encore bien plus sévère, mais au fond salutaire, de cette aide. Et, c’est l’unique

moyen pour les pays développés de se décharger honnêtement de leurs responsabilités sur les

pauvretés en Afrique, qui y constituent un handicap pour la réalisation d’une « vraie » démocratie.

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2.- De la survivance des hégémonies coloniales : exemple de la France

Il paraît inutile de rappeler que dans leur état et constitution actuels, donc modernes, les

pays africains s’avèrent une émanation d’une colonisation dont les pays de l’Europe occidentale, à

l’instar de la France, sortirent riches d’une bonne part de territoire. Ces territoires, qui, depuis, pour

la plupart d’entre eux, sont restés attachés à l’ancienne métropole, forment aujourd’hui une partie de

sa zone d’influence sur laquelle celle-ci étend son pouvoir, en commandant tout à la fois économie

et politique intérieures des nations pourtant ‘indépendantes’. Aussi, dans le cadre des menaces de

l’ordre économique et politique dominant sur l’avenir de l’Afrique, et la destruction de la planète

entière, Dumont ne manque-t-il pas de relever : « Les ambiguïtés et les responsabilités de la

coopération française » (D. 1991, 299-311).

De prime abord, il dévoile la portée phénoménologique de la coopération française qui,

écrit-il, « est de toute évidence l’héritage de la colonisation ». Si la colonisation a servi à

l’enrichissement des pays colonisateurs, à la faveur de l’exploitation systématique des sols et sous-

sols ainsi que de la main d’œuvre des colonies, il semble évident que la coopération qui en découle

ne s’élance que dans la même visée. C’est ce qui ressort de l’analyse du propos même de l’auteur de

Démocratie pour l’Afrique.

En effet, partant d’une explication de Jean-Claude Barreau, à l’Elysée, en 1985, sur la

grandeur de la France due, en partie, à sa zone d’influence dont la protection est passée par

l’organisation des armées des jeunes Etats indépendants, la formation de leurs officiers et la

fourniture des équipements aux armées de ces jeunes Etats, donnant ainsi du travail aux usines de

guerre françaises, Dumont conclut : « Tout cela aux dépens des ressources qui auraient permis de

développer l’agriculture, l’industrie, l’artisanat et les autres secteurs productifs de ces pays. Aux

dépens aussi, répétons-le, des grands services sociaux, éducation et santé – donc de l’avenir même

de ces pays » (D. 1991, 299). 

Il s’avère encore plus incisif au sujet de l’armée française qui, disposant des bases

militaires au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, au Gabon et en RCA, intervient dans les affaires intérieures

de ces Etats, si elle en reçoit l’ordre. A ce titre, il stipule :

Si elle en reçoit l’ordre, l’armée française intervient pour soutenir le pouvoir de ceux que nous « protégeons », comme au Cameroun contre l’UPC en 1959-1961 ; au Gabon, en 1964, pour rétablir Léon Mba ; en RCA, pour renverser Bokassa qu’elle a longtemps protégé ; et plus tard David Dacko… Contre les

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attaques venues de l’extérieur, signalons l’intervention à Zouérate, en Mauritanie ; à Kolwezi, au Zaïre (1977 et 1978) ; au Tchad, enfin, contre la Libye, depuis déjà longtemps – et ce n’est peut-être pas terminé… (D. 1991, 300). 

En effet. Car, il enchérit : « Si, en mars 1990, on a refusé l’appui de cette armée à

Houphouët-Boigny, qui la demandait, en mai on a envoyé un détachement supplémentaire à Port-

Gentil au Gabon, ce qui a tout autant conforté le pouvoir d’Omar Bongo, menacé par une rébellion,

que protégé notre consul à Port-Gentil… » (D. 1991, 300). 

Pour avoir été en Afrique pour une tournée de conférences publiques en début de l’année

1990 alors que le continent était davantage agité politiquement dès le 23 janvier, il ne parvient pas à

dissimuler l’impression que les Africains – les mêmes dont il dit réclamer le multipartisme et les

libertés – ont de cette présence militaire française, qui, selon lui, non sans déploration, « justifie » le

maintien en France de crédits militaires devenus excessifs, surtout depuis l’amollissement du pacte

de Varsovie. « Notre « présence » militaire en Afrique est ressentie par les opposants, les jeunes

rebelles, comme assurant le maintien au pouvoir des tyrans qui les privent de leurs libertés : comme

nous l’ont rappelé, de Lomé à Abidjan, de Bamako à Douala, à Yaoundé et ailleurs, nos jeunes

auditeurs » (D. 1991, 300).

De plus, le remplacement bien mal venu par Christian Nucci de Jean-Pierre Cot, alors

ministre de la Coopération (1981-1982), qui tentait de « décoloniser » la coopération française,

surtout en voulant contrôler l’aide, particulièrement vers le « pré-carré » africain95, met en évidence

l’attitude ambiguë de l’Elysée (D. 1991, 301-302). Celle-ci, observe Dumont, défend les pouvoirs

en place en Afrique, et même leurs abus. Comme en Côte-d’Ivoire où la France a dû apporter un

soutien de 1,3 milliard de francs en 1990 à Houphouët-Boigny pour lui permettre de payer ses

fonctionnaires tandis que celui-ci bâtissait « sa » basilique de Yamoussoukro pour une dépense

totale de 180 millions, pris, semble-t-il, sur ses fonds personnels. Mais aussi au Gabon où,

choisissant Libreville pour sa réunion de 1992, le sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique a

implicitement marqué son soutien au régime du président Bongo, à l’époque, si contesté (ibid., 302-

303).

Au reste, plus que « Des socialistes rebelles dénoncent les tyrans : le devoir d’ingérence »

(D. 1991, 303-304) et « Le rôle des ONG : coopérer autrement » (D. 1991, 306-309), deux autres

points encore plus importants évoquent non seulement les survivances de l’hégémonie de l’ère

coloniale mais aussi et surtout les manières avec lesquelles l’avenir de l’Afrique est purement et

simplement suspendu dans la nature même d’un ordre économique et politique dont les ténors

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semblent, si ce n’est pas qu’ils démontrent assez suffisamment, avoir le moins intérêt à tirer profit

de l’institution d’une vraie démocratie en Afrique et, partant, de sa mise en marche dans un

processus réel et certain de développement. Le premier, « Toute notre aide est à revoir » (ibid.,

304-306), emprunte à une interview d’André Postel-Vinay qui déplore par exemple que, écrit

Dumont, « notre aide publique est en grande partie faussée par des scléroses, des influences

affairistes, de vaines prétentions et des complaisances diplomatiques sans rapport avec les besoins

des peuples ». Le second, « Le rapport Hessel répond à Jean-Pierre Cot » (ibid., 1991, 309-311),

qui, parce que proposant la création d’un Haut Conseil devant intervenir dans le « domaine

réservé », essuie le refus de sa publication de la part de l’Elysée.

Deuxième conclusion

En somme, l’intuition de Dumont d’une nouvelle stratégie de lutte contre l’ordre

économique et politique dominant découle de l’échec du projet de Boumediene qui visait la

réalisation d’un nouvel ordre mondial. La nouveauté de cette stratégie réside dans la reconnaissance

aux Africains, par le biais de leurs nouveaux dirigeants politiques du droit-devoir et liberté de

penser eux-mêmes leur avenir, d’une part ; et, d’autre part, plus que l’établissement du rôle, la

circonscription et la définition de la nouvelle tactique de lutte devant consister non plus seulement à

répéter comment les abus de l’ordre politique et économique dominant menacent l’avenir de

l’Afrique mais, à souligner, cette fois-ci, qu’ils menacent la planète entière. Cependant, en pensant

« ce que peut être leur avenir », les nouveaux pouvoirs politiques africains doivent fonder leurs

projets de société sur la satisfaction des besoins élémentaires susceptibles d’assurer la survie de

leurs populations – dès lors qu’ils ne peuvent se développer comme les pays riches (D. 1991, 313-

315) – , en tenant le plus grand compte des exigences qu’inspire et qu’impose la démocratie, telle la

réduction des inégalités et de la misère, sans oublier de considérer toutefois, à chaque étapes, les

situations, les circonstances et, surtout, le rapport de forces. D’ailleurs, entre dénonces et cris

d’alarmes des moralistes Occidentaux de tous les bords, à l’instar des « tiers-mondo-écolo-

pacifistes », l’ordre politico- économique dominant de la planète continue d’adopter et de

poursuivre, parfois sous l’évidente marque de la survivance de l’hégémonie tutélaire de l’ère

coloniale, des politiques qui ne tiennent aucunement compte des besoins réels du développement

des pays d’Afrique pour lesquels Dumont invoque « un autre développement » (ibid., 317-318).

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Politiques qui, sur la base de l’échange inégal et du libéralisme économique triomphant, envisagent

l’enrichissement tout comme l’amélioration des conditions de vie de la petite minorité des riches –

par le truchement « des gaspillages devenus criminels », du point de vue de Dumont, et auxquels le

monde développé doit renoncer (ibid., 315-317).

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TROISIÈME CHAPITRE

LES FONDEMENTS DU PROBLÈME DE LA DÉMOCRATIE POUR AFRIQUE

L’indéniable actualité du processus démocratique en Afrique apparaît clairement dans

Démocratie pour l’Afrique où Dumont perçoit le point de départ de la longue marche de l’Afrique

vers la démocratie dans les mouvements des jeunes Africains, inquiets et angoissés de leur avenir,

en faveur du multipartisme et des libertés, enclenchés à Niamey, au Niger, le 23 janvier 1990 (D.

1991, 7-10). Mais, cette perception semble fondée sur une conception essentiellement et

exclusivement politique de la démocratie, perçue comme « une entité politique, une forme d’Etat et

de gouvernement », suivant les termes de Sartori (1993) qui la synthétise parfaitement, assortie d’un

ensemble des valeurs de libertés reconnaissables aux hommes et aux femmes, dans une société

moderne. D’ailleurs, cette longue marche de l’Afrique vers la démocratie se trouve parsemée

d’obstacles certes corrélatifs de la situation générale catastrophique de ce continent, reconnue par la

Banque mondiale en 1989 ainsi qu’observe Dumont, mais, également, dont les multiples contraintes

de l’ordre économique et politique dominant de la planète, suivant son analyse – il ne croirait pas

l’avoir fort bien mis en évidence – , occupent le premier rang à leur échelle de classification. Aussi,

peut-il penser qu’il faut combattre cet ordre. Pourquoi ? Après l’échec, à l’ONU, en 1973, du projet

de Boumediene qui visait la réalisation d’un nouvel ordre mondial qui aurait pu le mieux tenir

compte de l’intérêt des tiers mondes, au nombre desquels l’Afrique, il conçoit une stratégie dont la

portée, une ambivalence nette et fondamentale, dessine la redistribution des tâches entre les

Africains, qui doivent penser eux-mêmes leur avenir, d’une part, et, d’autre part, les non-Africains,

sérieusement dévoués à la cause de la démocratie pour l’Afrique, partant celle du développement de

l’Afrique, qui ne doivent cesser de dénoncer les menaces de cet ordre sur l’avenir aussi bien de

l’Afrique que de la planète entière. A la fois pertinente et logique, l’analyse de Dumont n’emporte

pas cependant, entièrement, notre conviction. Nous voulons, dans ce dernier chapitre, en infirmant

et ou en confirmant certains aspects de la profonde vision de l’auteur de Démocratie pour l’Afrique,

sur la base aussi bien de nos pauvres lectures sur la littérature consacrée à l’histoire de la pensée

politique, européenne ou occidentale et africaine, que de nos observations directes, soumettre à la

critique nos réflexions sur cette épineuse question de la démocratie pour l’Afrique.

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I.- Quelle démocratie ?

Pour avoir depuis et pour longtemps privé des libertés classiques d’expression,

d’information, d’association, de représentation, etc. leurs populations, d’une part, et, surtout, des

droits toutes les femmes, d’autre part, les Etats modernes d’Afrique, nés pour la plus grande

majorité d’entre eux à la charnière des décennies 1950 et 1960, ne méritaient pas alors le

prestigieux statut d’Etats démocratiques. Ce, jusqu’au début de la récente décennie 1990. Et,

pourtant, du point de vue historico-socio-politique, comme cela ressort de manière très claire de la

première partie de notre étude, la démocratie représente une sinon la plus importantes des

caractéristiques des sociétés modernes dont les Etats-Unis, ainsi de la cité grecque d’Athènes en ce

qui concerne les sociétés antiques, constituent la première illustration. Du reste, avec

l’effondrement de l’URSS, le 21 décembre 1991, la démocratie se veut ostensiblement, à tort ou à

raison, la caractéristique fondamentale de toute société moderne, au triple plan économique, social

et politique. Mais en quoi consiste-t-elle réellement, cette démocratie ?

1.- Dans le cadre de la théorie politique de la démocratie

La prétention actuelle de la démocratie à s’établir au fondement de la société moderne ne

suffit pas quant à projeter assez suffisamment une lumière philosophique sur sa portée

phénoménologique. Au-delà de toutes les considérations politico-idéologiques auxquelles elle se

trouvait confrontée farouchement, jusqu’à récemment encore, c’est-à-dire en 1990, à partir de la fin

de la seconde Guerre mondiale, elle possède une histoire. Une histoire à ce jour essentiellement

marquée par deux grandes transformations distinctes – antique et moderne – ainsi que note Robert

A. Dahl (1990)96 ; et, au travers de laquelle, cependant, sous l’effet d’une politique de

vulgarisation97 sans précédent, conduite aussi bien par les dirigeants que les intellectuels du

système-monde actuel, elle transparaît avec encore davantage d’acuité comme forme de

gouvernement. Or, pour y parvenir, ou, autrement, afin de revêtir ce blason politique en soi, la

démocratie, qui plonge ses racines dans l’antique cité grecque d’Athènes, s’y est vue se développer

progressivement sur la base d’une grave crise politico-sociale et des mutations propres à la cité

d’Athènes, du point de vue historiographique, dès le VIe siècle av. J.C.

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Ce développement démocratique s’opère de manière aussi bien diverse qu’originale. Il

s’opérait, pour ne considérer que les circonstances les plus en vue, sous les initiatives successives

de Solon, de Pisistrate, de Clisthène et, enfin, de Périclès, avec lequel il atteint son apogée au V e

siècle av. J.-C. ( cf. Dufresne, 2000 ; Nguidjol, 2008).

D’ailleurs, nombreux sont des exemples qui mettent en évidence les limites théorico-

historiques de cette vieille conception politique de la démocratie. Elle ne subsiste plus qu’à la

faveur de la mondialisation, nouvelle idéologie du genre, essentiellement fondée sur la ‘force’98.

Cette même force dont Dumont, pour des raisons de leur survie, conseille aussi délibérément aux

nouveaux pouvoirs africains ou aux futures générations de politiques Africains de considérer le

rapport dans le cadre de la mise en œuvre ou la réalisation de leurs projets de société. Projets de

société dûment favorables à la démocratie, au sens politique, et puis, centrés sur la satisfaction des

besoins primaires de leurs populations99. Nous pouvons puiser dans la littérature philosophique

moderne relative à la démocratie, trois exemples précis dévoilant, pour emprunter l’expression à

Rousseau (2001, 49), « un galimatias inexplicable ».

1.1.- Entité politique : forme d’Etat ou de gouvernement ?

Pour être un éminent politologue, et dans la même lignée que les grands théoriciens de la

politique modernes tels que Montesquieu et Rousseau, Sartori voit dans la démocratie « une entité

politique, une forme d’Etat et de gouvernement ». Au regard de ce qui se produit en Europe dès le

XVIIe siècle, à partir de l’alors situation sociopolitique de l’Angleterre ; et, la fin du XVIIIe, en

considération de celle qui prévalait en France et en Italie, cette conception de la démocratie, de fait

très antique mais encore et toujours en vogue, laisse cependant perplexes. Tandis que, notamment à

travers le Parlement qui avait aboli certaines justices, les prérogatives des seigneurs, au risque de

faire verser l’Angleterre dans un Etat populaire ou despotique (cf. Montesquieu, 1758), les Anglais

cherchaient à ‘démocratiser’ l’antique Monarchie régnante100, les Français ainsi que les Italiens

combattirent non sans violence aucune contre elle, c’est-à-dire la Monarchie, seulement vers la fin

du XVIIIe, en faveur de la République. Précisons : une République démocratique.

Cependant, en dépit des divergences d’appellation – Monarchie et République –

l’Angleterre, la France et l’Italie, aujourd’hui, ont bel et bien en partage la démocratie. Comment,

conçue et perçue comme « une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement », la

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démocratie peut-elle alors s’enjoindre à ce qui répond à sa propre définition sans pour autant en être

naturellement synonyme, ou, en d’autres termes, ne s’agit-il pas là, d’une simple tautologie digne de

vexer les techniciens du langage ?

Cette interrogation, au fond double, découle d’une profonde préoccupation d’ordre

philosophico-morale qui s’enracine naturellement dans la pensée politique de Montesquieu et de

Rousseau. Nous n’avons, ici, aucunement l’intention de déployer dans les moindres détails la

philosophie politique de l’un comme de l’autre, mais de la synthétiser à l’extrême sans pour autant

la tronquer, dans le seul but de justifier les limites théorico-historiques, actuelles, de la vielle

conception de la démocratie en tant que forme de gouvernement ou régime politique. En effet, dans

son livre intitulé De l’esprit des lois (1748)101, Montesquieu écrit : « Il y a trois espèces de

gouvernements : le RÉPUBLICAIN, le MONARCHIQUE et le DESPOTIQUE » (Montesquieu,

1748, 34).

La démocratie apparaît comme une spécificité du gouvernement républicain. Notamment,

lorsque dans la République le peuple en corps a la souveraine puissance (Montesquieu, 1748, 35).

Nous comprenons ici la raison de la précision de ‘république démocratique’ dans le cas de la France

et l’Italie fuyant la monarchie dès la fin du XVIIIe siècle pour la république. De l’analyse de

Montesquieu, il apparaît de manière on ne peut plus claire que démocratie et aristocratie s’avèrent

deux variantes d’une seule et forme de gouvernement : le Républicain. La démocratie s’oppose à

l’aristocratie dans le cadre spécifique du gouvernement ou de l’Etat républicain qui, lui-même,

s’oppose, d’une part, au gouvernement ou à l’Etat monarchique, c’est-à-dire « celui où un seul

gouverne par des lois fondamentales » (ibid., 40) – c’est le cas de l’Angleterre – et, de l’autre, au

gouvernement ou à l’Etat despotique, c’est-à-dire celui dont il résulte de la nature que l’homme seul

qui en exerce le pouvoir le fasse de même exercer par un seul, suivant l’établissement d’un vizir 102,

qui est, dans l’Etat despotique, une loi fondamentale (ibid., 42).

La question qui tombe alors à l’esprit est la suivante : comment peut donc la démocratie,

en tant que variante républicaine, intégrer la forme monarchique d’Etat ou de gouvernement en

conservant le statut sui generis de forme d’Etat et de gouvernement sans faire verser dans un

profond imbroglio ?

A côté de la taxonomie de Montesquieu, Rousseau expose sa division des espèces ou

formes de Gouvernement dans son ouvrage intitulé Du contrat social. Il en dénombre lui aussi,

comme Montesquieu, principalement trois, mais sous d’autres dénominations : Démocratie,

Aristocratie et Monarchie, qu’il appelle aussi Gouvernement royal (Rousseau, 2001, 104-105). Ce

qui unit les deux grands théoriciens, c’est la détermination de la monarchie comme espèce ou forme

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de gouvernement, au sujet de laquelle ils partagent aussi fondamentalement la même conception : le

pouvoir d’un seul selon les lois. Quant à la démocratie, elle devient ou constitue à part entière une

forme de gouvernement. Au même titre que la monarchie. Comment donc justifier théoriquement

cette confusion de la démocratie dans la monarchie en Angleterre ? Et, si le Républicain de

Montesquieu cède chez Rousseau à l’aristocratie et la démocratie, comment donc justifier

théoriquement cet imbroglio de la démocratie dans la république en France et en Italie ? Ce

dilemme nous place devant une disjonction stricte : soit les divisions sont fausses ; soit les faits

requièrent d’autres catégories. A ce niveau, Rousseau démontre d’avoir dépassé Montesquieu en

parlant « Des Gouvernements mixtes » (ibid., 115-117), car il note qu’« il y a un point où chaque

forme de Gouvernement se confond avec la suivante, et l’on voit, que sous trois seules

dénominations, le Gouvernement est réellement susceptible d’autant de formes diverses que l’Etat a

de Citoyens » (ibid., 104).

1.2.- Gouvernement du peuple ou procédure de constitution du gouvernement des repré-

sentants du peuple

Dans Troisième vague, Samuel P. Huntington nous rappelle aussi naturellement que : « Le

concept de démocratie en tant que forme de gouvernement remonte à la philosophie grecque »

(Huntington, 1991, 3). Il ajoute, tout de suite, que : « Son usage moderne, cependant, date des

soulèvements révolutionnaires qui se sont produits en Occident à la fin du XVIIIe siècle » (ibid., 3-

4). Il s’avère important non seulement de découvrir l’« usage moderne » de la démocratie, auquel

l’auteur de Troisième vague fait de cette manière expressément allusion, mais aussi de chercher à

savoir en quoi consiste-t-il. En effet, poursuivant, il rajoute que :

A l’époque moderne, la démocratie ne se trouve pas simplement à l’échelon du village, de la tribu ou de la ville-Etat ; elle s’étend à l’Etat-nation. En Occident, la tendance démocratique s’est d’abord manifestée au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Les idées et les mouvements démocratiques ont joué un rôle important, même s’il n’était pas primordial, lors de la Révolution anglaise. Les Ordres fondamentaux du Connecticut, adoptés par les citoyens de Hartford le 14 janvier 1638, ont été la « première constitution écrite de la démocratie moderne »103. Dans l’ensemble, cependant, les soulèvements puritains n’ont légué d’institutions démocratiques ni en Angleterre ni en Amérique. Après 1660, pendant plus d’un siècle, les gouvernements respectifs de ces deux pays

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se sont plutôt montrés plus fermés encore, moins représentatifs que jamais de la volonté populaire (Huntington, 1991, 11).

Ainsi donc, l’« usage moderne » de la démocratie découle de l’extension de celle-ci à

l’Etat-nation, évoquant la représentation de « la volonté populaire ».

D’ailleurs, en nous appuyant sur une analyse de Robert A. Dahl, la représentation ne

consiste pas dans la production des lois relatives au gouvernement de l’Etat par le peuple souverain

rassemblé dans le cadre d’une institution politique démocratique appropriée, lois dont il sera ensuite

chargé de l’exécution ou d’en exiger l’exécution. Elle consiste, plutôt, dans le choix des

représentants devant agir en lieu et place du peuple ; puis, en fonction de leur agir, être soumis au

jugement populaire par voie d’élection au terme du mandat dont la durée aurait été à l’avance

prescrite (Dahl, 1990). La participation directe du peuple souverain au gouvernement, conforme à la

démocratie antique, théorisée dans les Temps modernes principalement par Rousseau, donc, s’est

vue purement et simplement renvoyée aux calendes grecques avec l’avènement de la seconde

« transformation démocratique », suivant l’expression de Dahl (ibid.). Aussi, faut-il regarder du

côté de l’Amérique, avec Tocqueville, pour se faire une idée claire et distincte du gouvernement ou

du système représentatif couramment appelé, et du reste erronément, démocratie et, par surcroît, au

seul sens libéral du terme.

La lecture de Troisième vague, enfin, laisse aisément percevoir la caducité de ce que,

synthétisant l’auteur, Joseph Schumpeter appelle la « théorie classique de la démocratie », « qui

définit celle-ci en termes de « volonté du peuple » (source) et de « bien commun » (but) », en faveur

de ce qu’il nomme « une autre théorie de la démocratie » consistant dans la définition de la

démocratie en termes de « procédure de constitution du gouvernement » et dont la victoire fut

scellée au cours des années 1970 (Huntington, 1991, 4).

1.3.- Procédure, représentation, idéal politique ?

Dans leur Dictionnaire, Philippe Raynaud et Stéphane Rials (1996) font pour leur part,

comme Huntington. Ils rappellent d’abord sagement que : « Ce terme apparaît dans la langue

grecque au Ve siècle av. J.C. pour désigner une forme particulière d’organisation de la cité »

(Raynaud et Rials, 1996, 127). Ensuite, ils font l’observation que voici : « Son usage et sa

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signification ont connu depuis le XIXe siècle une extension considérable, qui se mesure au fait que

la quasi-totalité des Etats actuels se proclament démocratiques » (ibidem).

Mais, en quoi consiste cette extension de l’« usage » et de la « signification » de

démocratie, mesurable au fait de l’auto-proclamation par la quasi-totalité des Etats actuels, d’Etats

démocratiques ? Serait-elle, cette extension, ainsi négligeable au point de ne pas laisser percevoir

les transformations substantielles qu’elle ait pu apporter à « son usage » et « sa signification », pour

ainsi dire, antiques ?

Raynaud et Rials nous épargnent des conjectures intéressées et philosophiquement osées.

Car, l’article « Démocratie » en dit plus : « cette extension s’accompagne d’un changement de

statut : la démocratie ne désigne plus un régime parmi d’autres, mais semble être l’horizon de tout

ordre politique légitime » (Raynaud et Rials, 1996, 127). Ainsi, non seulement plus qu’un régime

politique, mais aussi plus qu’une procédure de constitution du gouvernement représentatif de la

volonté du peuple, la démocratie semble constituer le point de mire, l’objectif, le but de toute

organisation politique qui se veut, tant en principe que de fait, « légitime » ; le fondement de tout

projet politique de société. En deux mots : un idéal. Aussi, les auteurs peuvent-ils constater comme :

« Elle est devenue la référence commune, et peut-être équivoque, des projets politiques les plus

divers » (ibidem).

Au fond, c’est bien ce qui ressort de la Déclaration Universelle sur la Démocratie104.

Pourtant, il ne s’avère pas aussi du tout difficile de percevoir l’évidente confusion dans laquelle

plonge cette Déclaration qui, notamment dans sa première partie consacrée aux « Principes de la

démocratie », établit la démocratie, tout à la fois, comme : un idéal, un objectif, un mode de

gouvernement et un droit fondamental du citoyen, d’une part ; alors que, de l’autre, elle la décline

comme étant un état ou une condition sans cesse perfectible dont l’évolution dépend des divers

facteurs : politiques, sociaux, économiques et culturels.

D’ailleurs, la considération des problèmes théoriques que posent la question du fondement

ou de la source de la légitimité de l’ordre politique dont la démocratie semble constituer désormais

l’horizon, d’une part, et, de l’autre, la question de la signification effective ou du sens réel voire du

contenu théorico-historique et sociopolitique de cette démocratie en tant qu’idéal, fait échouer du

reste lamentablement dans un cercle vicieux. Symbole d’une théorisation défectueuse si ce n’est

d’une inadéquation frappante de la réalité sociohistorique actuelle avec une théorie de la démocratie

dont il faut redécouvrir d’abord et avant tout l’essence profonde et, partant, reconnaître ensuite la

vérité historique. Nous ne conclurons pas nos considérations sur ces apories relatives à la théorie

politique de la démocratie sans relever que, malgré tout, le XXe siècle, qui vient de s’écouler, et le

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XXIe, en cours, ne paraissent pas avoir enregistré , à ce jour, dans les grandes et vielles démocraties

de l’Europe occidentale dont l’Angleterre, la France et l’Italie, des transformations substantielles et

profondément significatives en ce qui concerne la pratique démocratique, qui soient l’expression

certaine d’une notion nouvelle de démocratie.

Sortie de son berceau depuis fort longtemps, où elle revêtait encore l’aspect enfantin

d’« une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement », la démocratie refuse de reconnaître

qu’elle a grandi extraordinairement ; qu’elle s’est métamorphosée au point d’apparaître une chose

nouvelle dont les premiers à en avoir enfin gouté réellement les délices furent censés de semer les

germes partout ensuite.

2.- Dans le cadre de la théorie sociale de la démocratie

Nous venons de voir que la démocratie moderne, fille de la démocratie antique mais

différente de cette dernière et déclinée ensuite diversement sous plusieurs variantes – gouvernement

du peuple, procédure de constitution du gouvernement et idéal de tout ordre politique légitime – ,

remonte au XVIIIe siècle. Ainsi circonscrite, elle résulte des multiples révolutions qui se sont

produites en Occident, à l’instar de la Révolution française de 1789 qui, à en croire Stefano De

Luca (2003), semble avoir inauguré une nouvelle phase de l’histoire moderne occidentale en

impliquant le changement complet de son cadre politique. Mais, contre cette conception s’oppose

une autre dont la tradition relative à la pensée politique moderne identifie en Tocqueville le

pionnier, comme il découle par exemple de Democrazia cosa è de Sartori (1993).

Abordant, dans la première partie de notre étude, la démocratie chez Tocqueville à travers

l’analyse de sa Démocratie nous nous sommes bien rendus à l’évidence de ce qui, après coup, ne

nous apparaît plus que comme une vérité ensevelie105, à l’image – mais non au même titre, il

convient de souligner – des « savoirs assujettis » dont parle Michel Foucault au travers de l’ouvrage

intitulé Il faut défendre la société. Par « savoirs assujettis », il entend désigner : « toute une série de

savoirs qui se trouvaient disqualifiés comme savoirs non conceptuels, comme savoirs in-

suffisamment élaborés : savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement inférieurs, savoirs en dessous du

niveau de la connaissance ou de la scientificité requises » (Foucault, 1997, 8-9). Une extension qui

ne convient pas à la qualité ni au degré de scientificité reconnus, tel que par Mill (cf. Mill, 1994),

aux doctrines essentielles de la démocratie consignées dans l’ouvrage de Tocqueville.

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2.1.- Entité politique ou sociale ?

Antique d’essence et désignant fondamentalement « une entité politique, une forme d’Etat

et de gouvernement », en dépit de toutes les acceptions qui lui sont attribuées dans le cadre de la

théorie politique, la démocratie semble apparaître ensuite, au cours de l’histoire, sous une

physionomie nouvelle. Notamment, avec l’expérience américaine, sous l’extraordinaire initiative

des puritains Anglais, dès le XVIIe siècle, pour un peu plus de précision, dès 1620 ; soit, deux cents

ans environ avant la création en Afrique, sur les cendres du système colonial européen, des Etats

modernes, par suite indépendants. Là, en effet, réside la raison de notre insistance à vouloir

pénétrer, cerner la portée phénoménologique de la démocratie dont il est de nos jours de plus en

plus question pour les Etats d’Afrique.

A la faveur de la perspicacité de son esprit, Tocqueville est parvenu à entrer profondément,

comme aucun esprit savant n’avait fait avant lui, dans cette portée phénoménologique de la

démocratie, à travers une étude scientifique de la société américaine qui lui a révélé l’avancée de

l’égalité des conditions vers le pouvoir en Europe, le développement graduel de cette égalité des

conditions, voire, au plus haut point et pour emprunter l’expression à Dumont, la « longue marche »

de l’humanité vers elle. Une grande révolution, donc, souligne-t-il dès son introduction à la

Démocratie, qui décrit « un mouvement social ». Avec Daniel Jacques, qui ne croirait pas avoir si

bien pénétré la pensée politique de Tocqueville, disons, alors, que : « Dans de la Démocratie en

Amérique, Tocqueville a cherché à montrer que l’égalité des conditions constitue le principe d’un

nouveau régime social dont l’inscription dans l’histoire particulière des peuples produit la diversité

des figures politiques de la modernité » (Jacques, 1995, 19). 

Or, chez lui , ainsi que nous l’avons vu dans la première partie, l’égalité des conditions

décrit l’état social démocratique ; en deux mots : la démocratie. Dans la perspective de la présente

étude, il est indéniable que du principe de ce nouveau régime social, c’est-à-dire l’égalité des

conditions ou l’état social démocratique, donc la démocratie, se trouvent naturellement exclus tous

les Etats africains, sauf peut-être la République d’Afrique du Sud (mais aussi dans un sens

seulement). Pourtant, pour être nés au XXe siècle, ils participent aussi pleinement à cette modernité

inaugurée deux cents ans avant, avec l’émergence de la nouvelle société américaine. Une société

foncièrement démocratique. Ainsi, persister dans la conviction que la démocratie désigne

exclusivement, « une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement », conviction de notre

point de vue antique et surannée, apparaît sans détour ni affectation se complaire dans cela même

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qui ne s’avère plus qu’un déplorable lieu commun si ce n’est, comme nous y apercevons, un

bigotisme intellectuel à la fois rétrograde et pernicieux quant à l’avenir certain de la démocratie en

Afrique.

Dans la première partie du présent travail, nous avons vu que l’Amérique, à partir de la

colonie de la Nouvelle-Angleterre, constitue le berceau de cette nouvelle société démocratique. Une

société dont les fondements s’avèrent : « les principes généraux sur lesquels reposent les

constitutions modernes, ces principes, que, la plupart des Européens du XVIIe siècle comprenaient à

peine et qui triomphaient alors incomplètement dans la Grande-Bretagne » (T. 19811, 99). Des

principes que, à la faveur de la primauté tout comme de la prépondérance de l’esprit de religion sur

l’esprit de liberté, tous deux caractéristiques de leur être et de leur mode d’être au monde, les

premiers puritains anglais émigrés en Amérique, réputés par l’austérité des principes de leur

doctrine religieuse, d’une part, et, autant par leurs talents que par leurs sciences, d’autre part,

reconnurent puis fixèrent par les lois dans la législation de leur colonie de la Nouvelle-Angleterre.

Ce phénomène singulier d’une société née comme sur une table rase et ayant marqué le début d’une

ère nouvelle pour la démocratie dispose, du point de vue sociohistorique, l’appréhension aussi bien

de la nature que des conséquences naturelles de cette démocratie dont, en nous appuyant sur une

très importante remarque106 de Tocqueville, les futures occupations coloniales européennes,

notamment anglaises, françaises et espagnoles en Afrique, au moins deux cents ans après celles

d’Amérique, devraient contenir « sinon le développement, du moins le germe d’une complète

démocratie ». Hélas ! 

2.2.- Effets politiques : souveraineté du peuple ou pouvoir absolu ?

La démocratie constitue donc, un état social fondé sur l’égalité des conditions. Elle s’avère

de ce fait, pour reprendre Jacques (1995, 19), « un nouveau régime social dont l’inscription dans

l’histoire particulière des peuples produit la diversité des figures politiques de la modernité ».

Cependant, deux, et essentiellement deux, selon Tocqueville, peuvent être considérés réellement

comme des gouvernements démocratiques.

‘La nature et les conséquences de la démocratie’, notamment dans la première partie de

notre étude, a permis d’appréhender non seulement l’essence mais aussi et surtout les effets

politiques de la démocratie.

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En effet, de la démocratie enfin révélée comme un état social égalitaire, à la faveur de

plusieurs facteurs mais spécialement des mœurs, les peuples ont pu naturellement tirer soit la

souveraineté du peuple soit le despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple auquel, comme

nous l’avons démontré, aspirait Tocqueville pour les sociétés d’Europe et, en particulier, la France.

Ainsi donc, pauvre du principe fondateur du nouveau régime social, donc la démocratie, à cause

aussi bien des antécédents socio-politico-historiques africaines107, d’une part, que des pratiques

autoritaires du moment colonial dont les Africains ont « une conscience aiguë »108, d’autre part,

l’Afrique se trouvent dans l’extrême condition de devoir, devant une alternative aussi délicate,

opérer un choix entre des termes corrélatifs de ce qui ne compose nullement les assises

sociohistoriques de ses Etats. Un choix manifestement aussi soumis aux pesanteurs de tout acabit.

En somme, l’incohérence théorique que transpire l’exigence politique d’un choix piloté en

faveur de la souveraineté du peuple, appelée communément ‘démocratie’, contre le despotisme à

l’ombre de la souveraineté populaire, taxé de ‘dictature’, à l’image de la tyrannie des Césars,

semble justifier les déboires d’une démocratie fantôme en vogue en Afrique depuis et seulement dès

la première heure de l’indépendance des Etats nouvellement crées. Notamment, sous l’exclusive

forme de la démocratie politique. Fut-elle libérale ou populaire. Pourtant, au milieu du vacarme de

l’opinion publique à l’échelle globale, l’Afrique aspire à la démocratie.

II.- Historique de la quête de la démocratie en Afrique

Pour n’avoir perçu dans la démocratie que le multipartisme et les libertés, auxquels peut

s’ajouter le respect du droit des femmes qu’il invoque ardemment pour la démocratie en Afrique, et,

ainsi que nous avons vu plus haut, notamment dans ‘La longue marche de l’Afrique vers la

démocratie’, premier point de notre chapitre premier, Dumont déduit la quête de la démocratie en

Afrique des agitations politiques ayant secoué le continent à partir de la ville de Niamey, au Niger,

le 23 janvier 1990. Agitations dont il fut en plus témoin. Ce faisant, il sait dans le même temps,

cependant, et à sa manière, ne pas convaincre certainement ou facilement son auditoire, hier, et,

aujourd’hui, son lecteur. Surtout si celui-ci en est un aussi avisé. Il ne s’agit là d’une élucubration

sans tête ni queue ; mais, bien plus, d’une évidence logique déductible de son analyse même.

En effet, l’auteur de Démocratie pour l’Afrique termine ce qui peut être considéré

formellement comme la première partie de son texte introductif par une explicite exaltation de son

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courage ; surtout quand à devoir renforcer sa décision d’écrire son livre apparaît naturellement

« cette attitude de lâcheté » de ceux qui « ne craignaient même pas (Le Monde, 28 février 1990) de

conseiller au gouvernement français de « laisser tomber » ce continent sans espoir » (D. 1991, 10).

Ouvrant alors la seconde partie de ce texte, il écrit :

Nous allons étonner nos amis en situant cette étude dans le cadre d’une « longue marche » de l’Afrique vers la démocratie. Et plus encore en soulignant que cette marche devrait commencer par libérer (socialement, économiquement et politiquement) les femmes, même rurales, trop souvent encore des quasi-esclaves, de véritables « bêtes de somme » (D. 1991, 10).

Il faut pénétrer la raison d’une pareille précaution oratoire pour se rendre effectivement à

l’évidence de la superficialité notoire – peut-être volontaire – de cette inscription de son étude dans

le cadre de ce qu’il appelle, pourtant judicieusement, « longue marche » de l’Afrique vers la

démocratie. Marche qu’il ne fait débuter, cependant, qu’en 1990.

La lecture de Démocratie pour l’Afrique ne suggère nullement que l’Afrique représente ou

constitue, pour son auteur, un lieu mieux un monde éminemment légendaire similaire au « centre de

la Terre » de Jules Verne (1864) ni, moins encore, une fabrication en toutes pièces dans un

laboratoire d’analyse historico-socio-politique d’une réalité dont l’humanité aurait perdu toutes les

traces. Non, loin de là. Elle dévoile au contraire l’étendue de sa profonde connaissance de ce

continent : de ses hommes, particulièrement politiques, qui furent alors ses seuls vrais intellectuels ;

et ses problèmes. A la fois, avant, pendant puis après l’indépendance des Etats, modernes convient-

il d’ajouter, nés comme de source naturelle de la colonisation européenne.

Ainsi donc, difficile de déduire analytiquement l’inverse, il ne pouvait pas avoir échappé à

la sagacité d’un esprit de l’envergure de celui de Dumont que non seulement les femmes – que

l’Afrique doit libérer au triple plan social, économique et politique en signe de sa longue marche

vers la démocratie – , mais, aussi et surtout, les hommes, en Afrique, ont vu leurs droits et libertés,

au même et triple plan social, économique et politique, littéralement, suspendus dans l’esprit des

ténors d’un exécrable système, le régime colonial, dont il s’avère, sans détour ni affectation,

aberrant de penser qu’ils acceptèrent libéralement la condition.

Ce premier passage de Dumont sur « Le début d’une longue marche » de l’Afrique vers la

démocratie peut paraître équivoque. De fait, il ne s’agira que d’une illusion. Car, il s’avère

davantage explicite dans les presque trois pages introductives de « Comment en est-on arrivé là ? ou

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la « longue marche », semée d’obstacles, vers la démocratie en Afrique » – la première partie de son

livre. Dès le début, il écrit que :

L’année 1989 a vu réussir – sauf peut-être en Roumanie – l’ouverture démocratique non violente (qui n’est certes pas terminée, mais qui progresse à grands pas) dans l’Europe du Centre et de l’Est. 1990 voit se développer les premières tentatives de construire des démocraties en Afrique tropicale dans les conditions économiques, culturelles et sociales très différentes de celles régnant dans cette partie de l’Europe, ce qui rend l’entreprise bien plus difficile (D. 1991, 19). 

Nous aurions voulu souligner cette dernière phrase pour attirer l’attention sur ce point plus

important de son propos sur le début de cette longue marche vers la démocratie en Afrique. Pour

l’avoir fait autrement, cependant, il apparaît du reste autant clairement que « les premières

tentatives » de construction des démocraties en Afrique remontent à la décennie 1990, selon lui.

A cette reconstruction s’oppose une autre dont nous allons puiser la substance dans les

travaux de Biaya (1998) et Goma-Thethet (2003). Soulignons cependant que, inscrivant,

inconsciemment ou consciemment, leurs réflexions dans le cadre de l’actuelle théorie de

l’universalisme démocratique, ils les exposent ainsi à une virulente critique, compte tenu de leur

défection théorique due à une perception superficielle de la démocratie, perçue au fond comme non

seulement pouvoir du peuple mais, également, dans une dimension se voulant spécifiquement

africaine et pour laquelle il faut réfléchir sur les possibilités et les caractéristiques, pour le cas de

Biaya ; et, pour le cas de Goma-Thethet, mieux encore mais du reste confusément, effet d’une

idéologisation politique de la démocratique : comme, à la fois, forme de gouvernement, idéal et

droits de l’homme.

Le premier ouvre sa réflexion intitulée « Quelle démocratie pour l’Afrique ? Réflexions sur

ses Possibilités et ses Caractéristiques » par l’observation suivante :

En Afrique, la question de la démocratie se pose avec acuité et simultanément, avec elle, celle du mieux-être national ; elle serait donc la voie de sortie du double questionnement de l'autoritarisme et de la crise économique que l'on attribue, avec grand bruit au programme d'ajustement structurel du duo Banque mondiale et FMI109.

Ce faisant, Biaya énonce l’actualité ainsi que l’ambivalence de la portée des effets de la

démocratie. Effets visiblement politiques et économiques. Mais, quant à l’étendu dans le temps de

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son actualité, rien de précis. Cette réserve ne sera pour longtemps ; puisque, une proposition après,

il stipule que : « Toutefois, au regard de l'histoire africaine, la quête démocratique remonte au matin

de gésine de la colonisation ». Nous sommes ainsi bien loin de la reconstruction de Dumont, qui à

ce point précis commence à paraître intéressée si ce n’est pas purement et simplement fallacieuse.

Loin d’être identifiée dans un mouvement de rue par les jeunes (et les moins jeunes) Africains ayant

décidé d’agir dans ce sens pour chasser un tyran, en 1990 (cf. D. 1991, p.19), donc, le début de cette

quête remontant « au matin de gésine de la colonisation » est dans « le messianisme de l’aube

coloniale » qui, plutôt, ainsi qu’il ressort naturellement de l’analyse de Biaya, « constitua un appel

tourné vers le passé ».

D’ailleurs, poursuivant sa pertinente réflexion, Biaya ajoute que « dès la fin de la seconde

guerre, naquirent le nationalisme et la décolonisation que les intellectuels110 ont mené pour

conquérir les indépendances africaines. »

Voilà, en outre, le nationalisme et la décolonisation, après la Seconde Guerre mondiale,

dans le cadre historico-socio-politique, qui viennent fournir les nouveaux chefs d’interprétation de

la lutte africaine pour la démocratie – même si sur la base, par lui, d’une perception erronée (nous

verrons pourquoi cette observation) de la démocratie. Lutte ayant abouti aux indépendances

africaines, à l’indépendance de la plupart des Etats alors nouvellement crées. Indépendance, en nous

appuyant sur Bayart111 comme Coquery-Vidrovitch112, plutôt octroyée que réellement conquise.

Nous trouvons, en effet, l’écho à la critique de la reconstruction de Dumont qui consiste à

reproduire la longue marche de l’Afrique vers la démocratie essentiellement comme une conquête

par les Africains et surtout par comme pour les Africaines, des libertés tout à la fois sociales,

économiques et politiques contre des tyrans Africains au pouvoir en Afrique. Au bout du compte,

libertés dont ils seraient parvenus à prendre goût, à découvrir la nécessité seulement en 1990 ; soit,

après environ un siècle d’exaction coloniale.

Nous avons dit, en référence à Biaya, perception erronée de la démocratie à bon escient  ;

car, c’est effectivement ce qui ressort de sa réflexion quand, reconnaissant le caractère

démocratique du « modèle constitutionnel de la Métropole », « coloniale », il ne perçoit pas pour

autant que cette démocratie ne fut point, au début ni à la fin du système colonial traditionnel,

appliqué par la Métropole dans les colonies au bénéfice des populations au sein même des colonies

et, d’une manière particulière, au bénéfice surtout des colonisés dont les élites, pour le dire avec ses

mots, « en s'emparant des armes du colonisateur », en « avaient ainsi hérité ou reproduit le modèle

constitutionnel », souligne-t-il, « mais privé de son esprit et de son contexte. »

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Poursuivant, et du reste maladroitement comme si l’Afrique sortait d’une authentique

expérience démocratique, Biaya observe que :

Cette appropriation malhabile a favorisé l'entrée de l'Afrique dans la période de l'autoritarisme sous ses différentes formes (monopartisme, coup d'État militaire, le patrimonialisme, la présidence à vie, le populisme militariste, etc.) au nom de la création de l'Etat-nation et du projet développementaliste sacrifiant la démocratie véritable, qui est le pouvoir du peuple, sur l'autel des tyrans et dictateurs libéraux, socialistes et marxistes, de la postcolonie.

C’est naturellement cette perception de la démocratie – « le pouvoir du peuple » – , propre

à tout commun des mortels, à constituer le véritable fondement théorique de son analyse.

Ce déficit théorique sur la démocratie n’altère pas, cependant, la profondeur ni la validité

historique reconnaissable à cette reconstruction de la quête véritable de la démocratie en Afrique.

Une Afrique désormais en proie non plus aux prédateurs de l’ère coloniale mais, plutôt, aux ténors

de tout acabit aussi bien de la tyrannie que de la dictature. Ainsi, donc, écrit-il ensuite, mais non

sans faire passer visiblement les précédents (à titre de rappel : le messianisme, le nationalisme et la

décolonisation) pour des vrais faux, que :

C'est au détour de cet échec postcolonial (Mbembe 1992:3-37) que les mouvements réellement démocratiques et populaires essaimèrent dans la plupart des pays, à partir des mouvements sociaux (révolte d'étudiants, grèves des travailleurs, etc.), des revendications politiques et des conflits identitaires des minorités au sein des États modernes (rébellion armées, multipartisme, décentralisation, etc.).

Même si, il ressort aussi clairement de « Quelle démocratie pour l’Afrique ?113 » de Biaya,

le caractère réellement démocratique desdits mouvements semble au fond déductible de l’échec

postcolonial orchestré par des régimes locaux ; de ce fait, remis en question. En effet, à en croire

Biaya, les principaux protagonistes « exigèrent une économie nationale saine et adaptée au système

mondial en place, une bonne « gouvernance », de nouvelles institutions et le choix libre de leurs

représentants » ; « réclamaient donc la participation de toutes les forces de la nation à la chose

publique ». Aussi, peut-il observer ensuite que :

Le paradoxe surgit lorsque ces mouvements tout en s'opposant à la libéralisation économique, ne la refusaient pas comme un catalyseur pour leur

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aboutissement. En d'autres termes, ces mouvements sont démocratiques et remettent en question les régimes en place. Fait capital : ces mouvements africains, rejetant le constitutionnalisme des « pères de la nation » réclament dès le départ un État de droit et la démocratie. Par ce biais, ils avaient alors rejoint ceux d'autres parties du monde qui les avaient précédés sur le chemin de la démocratie. Ils en ont simultanément révélé l'universalité.

Ainsi que nous l’avons averti : acrobatiquement.

Le second, Goma-Thethet, ouvre sa réflexion, « Historiographie de la quête de la

démocratie en Afrique centrale (1960-2001) », par l’observation suivante : « La démocratie s’inscrit

aujourd’hui au cœur des mutations en cours dans le monde et particulièrement en Afrique, comme

une donnée à la fois universelle et irréversible. Elle est donc un impératif historique qui intéresse

tous ceux qui suivent l’évolution du monde114. »

Il en évoque aussi au tant l’actualité, comme le premier, que l’universalité et

l’irréversibilité dont, dès le départ même, logiquement et historiquement, l’actualité fournit

l’indéniable justification théorico-historique. L’éternité de la problématique de la démocratie, en

Afrique et pour l’Afrique, dont l’actualité donc révèle l’universalité ainsi que l’irréversibilité,

apparaît également aussitôt ; même si de manière un peu diverse par rapport à comme elle est

apparue dans la réflexion de Biaya. L’auteur de l’« Historiographie115 », lui, attaque le taureau par

les cornes ; surtout quand, après sa triple évocation introductive, il écrit : « Au début des années

1990, trois facteurs essentiels ont remis la revendication démocratique au goût du jour en Afrique,

notamment en Afrique centrale. » Le cadre spécifique de son étude.

L’année 1990 ne marque donc aucunement le début de la quête démocratique en Afrique.

Elle signe la reprise du processus démocratique en Afrique contrairement à ce que veut faire penser

Dumont à travers sa reconstruction dont la fausseté ne se dévoile que si grandement. Mais,

processus dont il a eu l’intuition profonde de la longue marche. Et non seulement, mais, aussi et

surtout, celle des multiples et divers mobiles au nombre desquels les trois facteurs que Goma-

Thethet décline en termes : de « faillite économique de la plupart des pays africains » ; « nouvel

ordre politique mondial qui se dessinait avec la fin du glacis Est-Ouest et de l’effondrement du

régime soviétique » ; enfin, « pressions internes dues à la situation économique désespérée du

continent (combinée à une gestion scabreuse, à la répression politique et au non respect des droits

de l’homme) ».

Mais, Goma-Thethet ne s’empresse pas à remonter l’histoire moderne de la politique

africaine pour en identifier, isoler et déterminer le point de départ de ce qu’il perçoit comme « la

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revendication démocratique ». Aussi, n’y sera-t-il arrivé avant d’avoir signifié, en rapport avec la

décennie 1990, que :

Pour s’adapter au nouvel environnement politique international et créer un espace politique national désormais ouvert à tous, les Africains du Centre ont emprunté trois itinéraires différents : les conférences nationales (Gabon, Congo-Brazzaville, Tchad, Congo-Kinshasa, Centrafrique), la lutte armée (Rwanda, Tchad), le passage au multipartisme de fait par l’application de la Constitution ou d’une loi spécifique (Cameroun, Burundi). 

D’ailleurs, il s’avère un fait émanant aussi naturellement de l’« Historiographie », encore

davantage perceptible à ce point précis de notre analyse, à travers l’affirmation suivante de l’auteur,

qui met en évidence la remise en marche de la démocratie en Afrique. Affirmation dont la teneur

suit : « La démocratie jetée aux calendes grecques juste après les premières années des

indépendances au profit du monopartisme, s’est donc partout remise en marche. » Donc, le fait qui

en découle, aussi avec acuité, après cette mise en évidence de la remise en marche de la démocratie

en Afrique, est l’expérimentation en Afrique postcoloniale de la démocratie, entendue comme

libéralisme politique.

Pour le dire autrement, la revendication démocratique en Afrique ne remonte pas

seulement, empruntant l’expression à Biaya, « au matin de gésine de la colonisation » ; mais aussi,

elle démontre d’avoir connu ensuite une issue favorable. Par le passé, donc, puis notamment sous la

forme du libéralisme politique ou du multipartisme, l’Afrique a connu la démocratie dont elle s’est

remise sur la route, sur le chemin, dès le début de la décennie 1990. Du reste non « sans accrocs », à

un point tel que ce récent processus de démocratisation n’a manqué d’être, reprenons l’auteur :

« émaillé de violences inouïes en Afrique centrale : génocide au Rwanda, guerres civiles au Burundi

et dans les deux Congo, rebellions et interventions armées étrangères en R.D.C., coups d’Etat en

Centrafrique et à Sao Tomé et Principe. » Même s’il s’ensuit la déduction suivante : « Ainsi à la

veille du XXIème siècle, l’évolution de la démocratie dans certains Etats de la sous-région avait

régressé (Conférence sur le bilan de la démocratisation en Afrique organisée à Libreville du 30

mars au 2 avril 1998 par l’Assemblée Parlementaire Francophone). » Pour ainsi dire, à peine sept

ans après le début dudit processus, comme pour faire remarquer également l’évolution progressive

de la démocratie dans d’autres Etats de cette même sous-région d’Afrique centrale ou dans d’autres

Etats d’autres sous-régions dans le continent.

Mais, c’est répondant précisément à la question116 posée par ce qu’il considère des

« retours en arrière », qui « ont rendu indispensable une réflexion d’ensemble sur l’histoire politique

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de l’Afrique centrale », que Goma-Thethet décline systématiquement la quintessence de la quête

démocratique africaine.

En effet, à partir d’« une relecture critique de la trame historique qui va de l’entre-deux-

Guerres jusqu’au début du nouveau millénaire » et « se fonde sur une revue de la littérature relative

aux problématiques de l’indépendance et de la démocratie en Afrique centrale, littérature due aux

historiens mais aussi à d’autres spécialistes des sciences sociales » ; puis, dont l’année « 1960,

année de l’accession à l’indépendance de la plupart des pays de la sous-région », constitue « le

terminus ad quo tandis que 2001, début du nouveau millénaire, le terminus ad quem », Goma-

Thethet écrit :

L’histoire politique de la sous-région qui se dégage de cette littérature révèle que la quête de la démocratie ne commence pas avec la dernière décennie du XX è siècle. C’est un processus qui a débuté sous la colonisation. De nombreux auteurs (Ki-Zerbo, M’Bokolo, Coquery-Vidrovitch, Ndaywel, Anyang’ Nyong’o, etc.) soulignent en effet que l’idéal démocratique et les droits de l’homme ont constitué le fer de lance de la lutte pour l’indépendance, en réaction à la nature autoritaire des régimes coloniaux français et belge.

La platitude déconcertante de l’étude de Dumont, de ce point de vue pourtant capital pour

l’avenir de l’Afrique, peut inspirer une très grande méfiance intellectuelle à l’égard des études

‘africanistes’ de sources exogènes. Car, Dumont était censé connaître l’Afrique ; non sans en avoir

joui de la réputation de défenseur ardu, à partir des publications d’importance hautement

considérable, à l’instar de L’Afrique noire est mal partie (1962) ; puis, avec Marie-France Mottin,

L’Afrique étranglée (1980) et, enfin, avec Charlotte Paquet, Pour l’Afrique, j’accuse (1986) comme

celui en examen dans cette seconde partie de la présente étude, juste à titre de rappel, Démocratie

pour l’Afrique.

Aussi, avec sa cohorte de valeurs universelles proclamées de nos jours, à l’échelle

internationale, pour emprunter l’expression à Biaya, « avec grand bruit », la démocratie ne fait-elle

l’objet d’une quête, en Afrique, que depuis la colonisation ; autrement, sous le règne autoritaire des

puissances d’occupation, de domination ainsi que d’exploitation coloniales. Même si, comme le

note naturellement l’auteur « l’accession à l’indépendance n’a pas pour autant permis le triomphe

de la démocratie. » Mais, en justification de ce fiasco, poursuit-il : « Pour expliquer cet échec,

certains auteurs renvoient à l’héritage colonial (Coquery-Vidrovitch) et à la nature de l’Etat africain

(Ziegler). D’autres comme Ki-Zerbo ont posé la question fondamentale de savoir si la démocratie

est un concept universel ou purement occidental. » 

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Malheureusement, au niveau des institutions politiques, censées régir les sociétés, au plan

international, comme stipule Goma-Thethet, qui s’appuie sur les travaux du Symposium

International sur le bilan des pratiques de la démocratie et des droits de l’homme et des libertés dans

l’espace francophone à Bamako (novembre 2000), par la Francophonie : « Ce débat qui a longtemps

marqué les recherches en histoire politique de l’Afrique est désormais dépassé ».

Il ressort également de l’« Historiographie », partant donc du spécifique cas de l’Afrique

centrale, que la quête de la démocratie en Afrique remonte à la période coloniale. Et, l’auteur

précise que : « Cette quête de la démocratie en Afrique centrale s’est faite en trois phases. »

Développant ces trois phases, particulièrement la première, il apporte des éléments d’éclairage, des

spécifications susceptibles de rendre encore davantage intelligible ce que précédemment Biaya avait

évoqué à sa manière en ce qui concerne aussi bien « le messianisme de l’aube de la colonisation »

que « le nationalisme » des intellectuels africains tout comme « la décolonisation » qui, en termes

mais aussi sous la forme de « revendication nationaliste » chez Goma-Thethet, se subdivisent en

« protonationalisme » puis en « nationalisme » à proprement parler. En effet, ainsi qu’il écrit

maintenant en long suivant le cours historique des différentes phases de la quête démocratique en

Afrique :

La première est celle de la revendication nationaliste. Elle débute dans les années 1920 et s’achève en 1960 avec l’accession aux indépendances. Cette phase comprend elle-même deux mouvements. Il y a d’abord le « protonationalisme » congolais. Celui-ci apparaît au lendemain de la Première Guerre mondiale avec Simon Kimbangu et Andé Matsoua. Le premier, au nom d’un christianisme nouveau dont il est le prophète, revendique en 1921 pour les autochtones du Congo belge de meilleures conditions de vie. Il prophétise l’indépendance du pays, ce qui lui vaut l’emprisonnement jusqu’à sa mort en 1951. Matsoua, fondateur en France en 1926 de l’Association amicale des originaires de l’A.E.F, réclame pour les sujets du Moyen-Congo (actuel Congo-Brazzaville) les droits dévolus aux seuls citoyens français. Arrêté et condamné aux travaux forcés à perpétuité, il meurt en 1942. Balandier, Sinda et Asch ont étudié les implications politiques des messianismes congolais issus de l’action de ces deux leaders. Il y a ensuite le nationalisme à proprement parlé qui débute au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La France et la Belgique révisent leur politique coloniale. Grâce à la Constitution de 1946 qui permet la vie démocratique dans les colonies, les autochtones d’Afrique équatoriale française (A.E.F) créent des partis locaux : le Parti Progressiste Congolais(P.P.C), le Mouvement Socialiste Africain(M.SA) et l’union Démocratique de Défense des Intérêts Africains(U.D.DI.A) au Moyen-Congo ; le Mouvement d’Evolution Economique et Sociale de l’Afrique Noire (M.E.S.A.N) en Oubangui-Chari (R.C.A actuelle) ; le Bloc Démocratique gabonais (B.D.G), l’Union Démocratique et Sociale du Gabon (U.D.G), le Parti de l’Unité Nationale du Gabon (P.U.N.G.A) au Gabon, l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C) dont le mot d’ordre est « unification et

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indépendance » . L’ensemble de l’A.E.F et le Congo belge accèdent à l’indépendance en 1960 sous le label de la démocratie pluraliste ; le Burundi et le Rwanda suivent en 1962 ; la Guinée Equatoriale et Sao Tomé et Principe seront les derniers. Mais cette première expérience démocratique est vite stoppée au profit du monopartisme. 

Il convient de souligner, cependant, que les raisons de l’échec de la première expérience

démocratique pluraliste africaine ne se trouvent plus exclusivement, suivant les termes de Biaya,

dans l’appropriation malhabile du modèle constitutionnel de la Métropole coloniale privée de son

esprit et de son contexte. Mais, à en croire Goma-Thethet qui évoque à propos Coquery-Vidrovitch,

Ziegler et Ki-Zerbo, elles s’étendent, de plus, respectivement, à l’héritage colonial ; la nature de

l’Etat africain ; l’essence même de la démocratie. Concernant cette dernière raison, une essence à

l’égard de laquelle, d’une part, Dumont et, d’autre part, Biaya ni Goma-Thethet ne se sont montrés

aucunement attentifs, pour se complaire, comme ferait tout commun des mortels, dans d’illustres

lieux communs.

En outre, poursuit Goma-Thethet :

La seconde phase est celle du monopartisme qui a duré quelque trente ans. Au cours des dix premières années de l’indépendance, tous les Etats d’Afrique centrale sont devenus des Etats à parti unique : Congo-Brazzaville (1964), Zaïre (1967), Gabon (1968), etc. Partout le monopartisme a été justifié comme le système le mieux approprié pour assurer l’unité de la nation et son développement. Ces deux objectifs fondamentaux n’ont nulle part été atteints. Au contraire, les Etats ont plongé dans le chaos et ont perdu leur légitimité vis à vis des populations. Celles-ci manifestent parfois avec violence comme au Gabon en 1990 après la mort de l’opposant Joseph Rendjambé. Les jeunes, notamment ceux des villes ont joué un rôle clé dans les révoltes qui ont conduit à l’ébranlement du système du parti unique. Coquery-Vidrovich a mis en exergue le rôle de la ville comme creuset de la créativité politique surtout dans cette sous-région caractérisée par un fort taux d’urbanisation. Cette phase a donné lieu à de nombreux écrits.

Cependant, l’auteur de l’« Historiographie » n’ose reconnaître ni même relever, dans le

cadre de la théorie politique, l’idéologie qui caractérisait tous ces régimes de parti unique : celle de

la démocratie politique et populaire, successeur de celle de la démocratie politique et libérale dont

l’expérience, reprenons-le, « est vite stoppée au profit du monopartisme ».

Enfin :

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La dernière phase est celle de la transition démocratique débutée avec les conférences nationales. Tedga et Eboussi Boulaga ont décrit le déroulement de celles-ci. En ce qui concerne l’Afrique centrale, on peut compléter les informations avec les travaux de Rémy Bazenguissa pour le Congo-Brazzaville, de Martin Kalulambi Pongo et Ndaywel pour le Congo-Kinshasa, Robert Buijtenhuijs pour le Tchad. Cette phase de l’histoire politique de la sous-région a été ponctuée par des violences dont les plus dramatiques se sont déroulées dans la région des Grands Lacs et en R.D.C : plus de 700 000 morts au Rwanda, peut-être le double au Congo-Kinshasa. La quête de la démocratie s’y est donc inscrite au début de ce siècle en lettres de sang. Jean Wagret, en 1963, avait déjà mis l’accent sur la violence dans le jeu politique et électoral du Congo-Brazzaville. Florence Bernault a réactualisé la question en 1996 en publiant sa thèse d’histoire sur le Congo et le Gabon sous le titre évocateur de : Démocraties ambiguës en Afrique centrale, Congo-Brazzaville, Gabon, 1940-1965. En ce qui concerne le Congo-Kinshasa, l’histoire générale du Congo d’Isidore Ndaywel è Nziem permet de comprendre l’histoire politique de ce pays depuis la période des Etats précoloniaux. Ludo de Witte avec son ouvrage sur l’assassinat de Lumumba, éclaire un des moments importants et douloureux de la décolonisation africaine qui a fait couler beaucoup d’encre.

Il n’est pas difficile de se rendre que cette dernière phase équivaut naturellement au début

de la longue marche de l’Afrique vers la démocratie dont Dumont identifie le principe dans les

mouvements de rue du 23 janvier 1990 de Niamey, au Niger, par les jeunes et les moins jeunes

Africains qui réclament à la fois le multipartisme et les libertés. Mouvements de revendication que,

ainsi qu’il ressort aussi bien de notre reconstruction, tout une série de facteurs, internes et externes,

a favorisé. Naturellement, à la lumière de notre analyse de l’étude toquevillienne de la société

américaine, sur la base d’une théorie en somme réductive et ambiguë de la démocratie.

III.- La cause génératrice des difficultés du triomphe de la démocratie en Afrique

A ce point de notre étude, les difficultés du triomphe véritable de la démocratie en Afrique

apparaissent l’effet d’une concaténation de causes. Comme cela résulte de la première partie de

Démocratie pour l’Afrique de Dumont où nous en avons pu répertorier un peu plus d’une demie-

dizaine117. Pourtant telles difficultés ne manqueraient pas une cause génératrice certaine aussi bien

précise, d’où toutes les autres découlent nécessairement. Cependant, analysant ‘Les obstacles à la

possibilité d’une construction véritable de la démocratie en Afrique118’, nous avons distingué dans

cette concaténation, à partir d’une importante faille terminologique reprochable à Dumont, les

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étapes119 constitutives de la longue marche de l’Afrique vers la démocratie, d’une part. Cette

démocratie même qui de nos jours s’avère encore davantage perçue comme le multipartisme et un

ensemble de libertés puis savamment divulguée120. Nous avons distingué, d’autre part, les étapes-

obstacles aussi bien que ce qui apparaît comme le principal obstacle à cette longue marche africaine

vers la construction des formes de démocraties. Ainsi donc, ni la sagacité ni les multiples

précautions oratoires et discursives que transpire l’ouvrage de Dumont n’ont pu suffire aux fins de

dissimuler ce qui se révèle, pour le cas spécifique de l’Afrique, comme une évidence théorico-

historique. Evidence dont il laisse percevoir aussi aisément d’être à connaissance. Scrutant sa

condamnation de l’ordre politique et économique dominant de la planète à travers ses multiples

contraintes par le truchement de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, nous

pensons être parvenus à distinguer les fondements théoriques et sociohistoriques du problème de la

démocratie en Afrique, imputable à ce « vieil ordre ».

1.- L’ordre politique et économique dominant de la planète et le problème de la démocratie

en Afrique

Nous prendrons essor d’une constatation générale, qui émerge du texte introductif de

Démocratie pour l’Afrique, « Le début d’une longue marche », relative au renforcement de la

décision de Dumont d’écrire enfin son livre. En effet, il y écrit, naturellement à propos de l’Afrique,

que : « Dès la fin de 1989, plusieurs articles la déclaraient « en faillite » ; certains ne craignaient

même pas (Le Monde, 28 février 1990) de conseiller au gouvernement français de « laisser tomber »

ce continent sans espoir » (D. 1991, 10). 

A devoir retenir d’emblée l’attention ici s’avère notamment la faillite dans laquelle verse

de fait l’Afrique, pourtant depuis peu après l’indépendance – pour la plupart des pays obtenue au

cours des années 1960 – , mais jusqu’en 1989. En tout cas, une faillite devant laquelle d’aucuns

conseillèrent au gouvernement français purement et simplement de la délaisser. Introduisant

« Comment en est-on arrivé là ? ou la « longue marche », semée d’obstacles, vers la démocratie en

Afrique » – la première partie de son livre – , cependant, Dumont ne manque pas de suggérer la

situation de l’Afrique tropicale, en s’appuyant sur L’Afrique subsaharienne, rapport de la Banque

mondiale (1989), d’où il puise pour ce faire l’extrait dont la teneur suit :

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La crise économique de plus en plus grave que connaît l’Afrique se caractérise par une faible croissance de l’agriculture, par le déclin de la production industrielle, par de médiocres performances à l’exportation, par l’accumulation de dettes et par une dégradation des indicateurs sociaux, des institutions et de l’environnement. […] La crise a aussi un coût humain considérable. Dans plusieurs pays, les dépenses consacrées aux services sociaux ont fortement diminué, le taux de scolarisation est en baisse, la situation nutritionnelle empire et la mortalité infantile reste élevée. Le chômage déclaré est lui aussi en augmentation dans les villes, notamment parmi les jeunes diplômés. Par ailleurs, en menaçant la capacité de production à long terme de l’Afrique, la pression démographique qui s’exerce sur la terre accélère la désertification et le déboisement […] (D. 1991, 20). 

Pour expliquer cette grave crise, Dumont renvoie à plusieurs causes parmi lesquelles : le

statut social des femmes, l’explosion de la démographie, l’encadrement des paysanneries, les

faillites aussi bien de l’éducation que de la santé, la banqueroute de l’environnement, les régimes

dictatoriaux et l’ordre politique et économique dominant de la planète. Pourtant, il attribue les

responsabilités principales de cette crise générale aux régimes dictatoriaux, à parti unique, civils et

ou militaires, qui dominaient récemment encore, c’est-à-dire jusqu’en 1990, l’ensemble de

l’Afrique (D. 1991, 204-231). Régimes dont les ténors, à l’instar de Daniel Arap Moi, au Kenya ;

Omar Bongo, au Gabon ; Gnassingbé Eyadema, au Togo ; Houphouët-Boigny, en Côte-d’Ivoire ;

Mobutu, en ex Zaïre ; et, Moussa Traoré, au Mali121, s’opposant de toutes leurs forces à la

démocratie, donc au développement, stipule-t-il, défendaient leurs intérêts et protégeaient la

corruption (ibid., p.13). Même si, ainsi qu’il le souligne par ailleurs pourtant si bien : « La tutelle

abusive de l’ordre économique dominant, celle de Washington et des autres bailleurs de fonds (sans

oublier la France), constitue l’obstacle le plus redoutable à la possibilité même de construire une

démocratie « viable » en Afrique » (D. 1991, 11). Une démocratie, nous venons de le voir au point

précédent, dont la quête ne remonte pas seulement au 23 janvier 1990 ni même à ce qu’il appelle la

« libération » du Bénin – libération dont le Bénin était en route depuis 1989 ; mais, beaucoup plus

tôt encore, « au matin de gésine de la colonisation » ou, pour un peu plus de précision, à 1920, soit

soixante-dix ans avant. Notamment, pour le spécifique cas de l’Afrique centrale, avec l’apparition

des premiers mouvements congolais d’éveil nationaliste contre l’autoritarisme des régimes

coloniaux français et belge (Biaya,1998 ; Goma-Thethet, 2003). Une démocratie ensuite, dont

l’échec aux premières années d’indépendance des Etats africains de la première expérience (celle de

la démocratie politique et libérale) dans presque tous ces jeunes Etats fonde dans une appropriation

malhabile du modèle constitutionnel de la Métropole coloniale, selon Biaya, et, ou, à en croire

Goma-Thethet, qui évoque à son tour Coquery-Vidrovitch, Ziegler et Ki-Zerbo, respectivement,

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dans l’héritage colonial, la nature de l’Etat africain tout comme l’essence même de la démocratie.

Dumont ne se limite pas à cette évocation, soit-elle aussi très poignante, qui met en évidence aussi

bien le soutien apporté aux prétendus Tyrans africains par l’ordre politico-économique

dominant que les responsabilités directes de cet ordre. Il fait bien plus : il démontre explicitement

d’y être en effet à connaissance.

Nous sommes au deuxième point « Les économies dominantes soutiennent les tyrannies »

(D, 1991, 209-213) qu’il développe, dans le cadre de sa thèse majeure sur cette crise générale de

l’Afrique, au dixième chapitre intitulé « Les tyrannies contre la démocratie et le développement »

(ibid., 204-231). Dumont y ouvre ainsi son propos :

Les voici plus ou moins en difficulté, ces dictatures. En partie du fait de leurs dilapidations, gaspillages et mauvaise gestion ; mais aussi, nous l’avons vu, de par la dégradation des termes de l’échange, l’effondrement des prix des matières premières, l’échange inégal… Et même, finalement, du fait des mesures d’ajustement structurel. On aurait pu (tant pour les prêts internationaux que pour les « aides » européennes et bilatérales) conditionner tous les apports à des mesures fort utiles : réduction des dépenses d’armement, arrêt des projets démesurés ou démentiels (Yamoussoukro, Gbadolite), contrôle des mouvements de capitaux. Rien de tout cela n’a été fait (D. 1991, 209).

Il est un détail très important qui devrait dans ce passage attirer naturellement l’attention.

Surtout, quand Dumont considère ces dictatures comme les responsables principales de la faillite

générale de l’Afrique. Il convient de relever cependant que l’attention ainsi portée sur « la

dégradation des termes de l’échange », « l’effondrement des prix des matières premières »,

« l’échange inégal » et les « mesures d’ajustement structurel » – œuvre par excellence de l’ordre

économique dominant de la planète – ne traduit ni ne vise en aucune manière la justification

desdites dictatures africaines que Dumont condamne à bon escient. Mais, elle consiste en une

accentuation de la mise en évidence, par ce biais, des responsabilités extérieures à l’Afrique de cette

crise ayant fait l’objet, en novembre 1989, du rapport de la Banque mondiale ; responsabilités, à en

croire Dumont, dont la France occupe le plus haut rang de l’échelle en ce qui concerne l’Afrique

francophone. Car, écrit-il à propos de la France : « Elle a cherché depuis l’indépendance à installer

et à maintenir au pouvoir des équipes acceptant, de fait, la prééminence économique (sinon même

politique) de l’ex-métropole » (D. 1991, 209).

Aussi, sans se rendre compte de crucifier cet ordre, d’une part, et, savoir être en

contradiction inouïe avec sa thèse majeure sur cette crise dont les dictatures locales s’avèrent les

responsables principales, d’autre part, titre-t-il son quatrième chapitre : « Pas de démocratie viable

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en Afrique tant que l’ordre politico-économique dominant continue à l’asphyxier » (D. 1991, 81-

103). Une asphyxie qui, à la lumière de Démocratie pour l’Afrique, ne date pas seulement de la

récente décennie 1990. En effet, abordant du reste brillamment ce chapitre, Dumont n’illumine pas

seulement sur les responsabilités extérieures à l’Afrique de l’alors crise générale dont fut accablée

ce continent. il illumine encore et surtout sur la prépondérance desdites responsabilités. C’est bien

ce qui émerge de son propos quand naturellement il aborde : « Les politiques ambiguës du Fonds

monétaire international et de la Banque mondiale » (ibid., 88-90) et « La liberté politique, ce n’est

pas le libéralisme économique » (ibid., 90-92) puis, avec encore davantage d’acuité, « Les Africains

ont perdu la maitrise de leur destin » (ibid., 92-93).

Juste pour en faire quelques exemples. En ce qui concerne le premier point,

particulièrement sur les politiques de la Banque mondiale, il fait savoir que :

En 1970, j’ai entendu MacNamara souligner que les projets de la banque ignoraient trop « et les hommes et leur pauvreté ». Il en a donc beaucoup parlé ; mais, nous a dit Olivier Lafourcade, directeur à Paris du niveau européen de la Banque, son activité a été, peu après, trop exclusivement orientée vers les problèmes des dettes et des « ajustements ». Ce qui l’a détournée de sa préoccupation « morale » ; mais, ajoute M. Lafoucarde, « on y revient ». Le dernier rapport de la Banque sur l’Afrique dit en effet que « les politiques suivies ont favorisé l’élite urbaine par rapport aux ruraux démunis […] on devrait offrir à tous une meilleure alimentation, de l’eau potable, une meilleure santé et nutrition, élargir l’accès à l’éducation […] ». Et le treizième rapport annuel sur le développement de la Banque, paru en juillet 1990, est titré La Pauvreté – mieux vaut tard que jamais ! (D. 1991, 88-90).

Aucune difficulté à y percevoir qu’à piloter les économies de ces pays d’Afrique s’avère

naturellement ces institutions de Bretton Woods, à l’instar de la Banque mondiale.

Quant au deuxième point, nous ne sommes que dans l’embarras du choix, surtout quand

tout le texte apparaît fortement expressif du rôle de l’ordre politico-économique dominant dans

cette grave crise africaine diagnostiquée, en novembre 1989, par un de ses organes compétents.

Mais devant nécessairement illustrer notre analyse, alors, nous sommes tenus de tirer au sort. Ce qui

ne comporte du reste aucun inconvénient :

En 1980, on savait de longue date à la Banque mondiale (elle dispose de 20.000 « experts » que l’on dit volontiers les plus qualifiés du monde) que le marché mondial du cacao était durablement « encombré ». De multiples réunions pour organiser ce marché avaient échoué depuis plus de vingt-cinq ans devant l’opposition des acheteurs des pays riches, tandis que Côte-d’Ivoire

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et Brésil, les deux champions, Cameroun, Ghana et certains petits pays d’Amérique centrale développaient trop vite leurs plantations – je leur avais répété à Ilheus au Brésil en août 1980, et à Abidjan en mars 1981 : « Vous allez faire effondrer les cours ! » Au même moment, la Banque mondiale finançait de vastes plantations de cacao en Asie (Malaisie et Indonésie) – qui, en 1990, désorganisaient le marché en y déversant plus de 200.000 tonnes par an – avec de meilleurs rendements et des coûts plus modestes que ceux des producteurs africains traditionnels. Eric Fottorino, dans Le Monde du 20 mars 1990, en conclut que « les denrées tropicales ont fait leur temps ». Pourtant l’effondrement de 2,3 à 1 pour le cacao, de 2 à 1 pour le café robusta (à Londres entre 1987 et 1990) n’était nullement inévitable. Il résulte d’un ordre économique dominant qu’une économie « morale » refuserait (D. 1991, 91-92).

Cette conclusion ne requiert point un commentaire, du reste superflu.

En ce que concerne le dernier point, cependant ; celui dans lequel nous percevons le canon

de la prépondérance des responsabilités extérieures de la situation de crise générale de l’Afrique

mise en évidence en 1989 par la Banque mondiale, nous ne pouvons faire mieux que le synthétiser.

En effet, après avoir affirmé que les Africains ont perdu la maitrise de leur destin au

bénéfice « de gens peu soucieux de leurs libertés, de leurs possibilités, de leurs besoins essentiels,

de leurs vies – et même de leur survie », à savoir aussi bien les dirigeants locaux, dont il qualifie

certains de tyrans, que « ceux qui se sont eux-mêmes attribué la direction de l’économie mondiale,

sous le prétexte de remettre de l’ordre et dans le système monétaire et dans les crédits octroyés pour

le développement », Dumont, sensiblement exaspéré, observe :

Et voici que cette banque, de plus en plus alliée au Fonds monétaire international, prétend être en charge de l’économie des pays en développement. De quel droit ? Du fait de leurs difficultés économiques ? Mais celles-ci ne résultent pas d’abord de leurs politiques internes, même si l’inefficacité des dirigeants, souvent plus soucieux de leurs intérêts particuliers que de l’intérêt national, n’est plus à démontrer. Elles proviennent d’abord de l’ordre politico-économique dominant (D. 1991, 93).

Dumont semble oublier, à partir du spécifique cas de l’Afrique francophone, d’avoir

pertinemment fait savoir que le choix de ces dirigeants, taxés ensuite de tyrans et dont l’inefficacité

et l’égocentrisme ne sont plus à démontrer, obéit à leur disposition à servir, « de fait », les intérêts

économiques voire politique de la métropole française. Intérêts qui passent aussi naturellement

avant « l’intérêt national » des pays africains dont les dirigeants seraient tenus de servir. Tandis que

l’ex-métropole démontre, de cette manière, de n’accorder vis-à-vis de l’intérêt national des ex-

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colonies, aujourd’hui Etats souverains, aucunement d’attention. Presque tous les autres pays

africains, non francophones, possèdent une ex-métropole…

Par ailleurs, Dumont fait en outre « bien comprendre qui commande vraiment les

économies – donc la politique – de ces pays démunis et dominés, d’Afrique et d’ailleurs » (D. 1991,

93). A travers notamment « De l’échange inégal aux dettes qui étranglent » (ibid., 94-95) et

« Pourquoi des prêts d’ajustement structurel ? » (ibid., 95-98). où il résume les problèmes

auxquels font face les pays d’Afrique à partir de l’échange inégal qui, « allié à tous les gaspillages,

aux dépenses militaires et aux fuites de capitaux, a abouti à un endettement très vite croissant des

pays du tiers monde » (ibid., 94).. Etranglés après coup par cet endettement accru, stipule-t-il, il a

bien fallu à ces pays, ici particulièrement africains, « implorer les organismes cités ci-dessus pour

obtenir d’autres prêts » (ibidem). Et, à propos de ces prêts, il observe que : « Si, jusque-là, on avait

accordé des crédits au simple vu des projets (pas souvent bien étudiés), aujourd’hui, depuis que la

faillite approche, tous les prêts dits « d’ajustement structurel » ont été conditionnés par le FMI et la

Banque » (D. 1991, 95).

Nous nous trouvons finalement, pour cette grave crise totale de l’Afrique que la Banque

mondiale a diagnostiqué en 1989, en présence de deux types de causes : intérieures puis extérieures.

Causes incarnées au plus haut degré, respectivement, par les dictatures en vogue en Afrique depuis

peu après l’indépendance de ses Etats jusqu’au début de l’année 1990, et, l’ordre politique et

économique dominant de la planète. Même si la prépondérance des responsabilités extérieures sur

celles intérieures apparaît de soi, à ce point de notre analyse, il ne résulte pas cependant que sa mise

en évidence constitue fondamentalement l’objectif de Dumont. Pourtant, la dépendance des

pouvoirs africains à l’ordre politico-économique dominant de la planète, en particulier celle des

dirigeants des pays d’Afrique francophone à la France, émergeant davantage clairement dans

Démocratie pour l’Afrique, ne lève pas seulement le voile sur l’ambiguïté de la thèse de l’auteur sur

les principaux responsables de la faillite de ce continent ; mais aussi, partant, sur le scénario d’une

nouvelle farce politique internationale au grand dam de l’Afrique. Farce, une nouvelle fois encore,

désignée sous le nom de démocratie dont les effets mitigés122 semblent ne pas pouvoir favoriser

ensuite l’accord entre, d’une part, les esprits dévoués à la cause de la démocratie pour l’Afrique, et,

d’autre part, les esprits dévoués à la cause de la démocratie en Afrique. Plus que ceux-là, ceux-ci

paraissent disposés à percevoir dans la théorie démocratique un grand déficit qui ne permet pas de

justifier son caractère réellement universel. Une justification, il convient de le souligner, non sans

déploration aucune, que l’Occident se trouve en train de fournir, toutefois avec encore davantage

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d’acuité, notamment à travers les efforts constants et continus de l’exporter123 par tous les moyens

dès la fin de la décennie 1980.

2.- Les fondements théorico-sociohistoriques du problème de la démocratie en Afrique

De Démocratie pour l’Afrique nous avons déduit que l’ordre politico-économique

dominant de la planète constitue le problème de la démocratie en Afrique. Cela ne signifie pas pour

autant que nous attribuons aussi à cet ordre les fautes que Dumont lui reconnaît. Même si à avoir

illuminé davantage notre esprit sur ce point puis à avoir fait renforcer certaines de nos hypothèses

de départ comme fait tomber d’autres, s’avèrent bel et bien ses pertinentes analyses. Pour

l’essentiel, il nous en résulte que Dumont circonscrit la condamnation de ce « vieil ordre » dans son

soutien d’hier aux dictatures africaines, qu’il accuse de principales responsables de la faillite

générale de l’Afrique reconnue par la Banque mondiale (1989), d’une part ; et, d’autre part, dans sa

politique économique voire financière essentiellement fondée sur la loi du marché, puis fortement

défavorable aux pays pauvres d’Afrique et d’ailleurs. Une politique placée sous la direction des

institutions de Bretton Woods dont il dit être les véritables responsables des économies desdits pays

et, partant, de leur politique. Le génie ainsi que la circonspection due au noble esprit qu’il demeure

aux yeux des Africains ne proscriraient point de relever l’évidente contradiction entre ses deux

jugements finaux sur les tyrannies d’Afrique et les institutions de Bretton Woods, partant l’ordre

mondial dominant, dont la somme ne dit qu’avec clarté ce dont il s’emploie du reste en vain à taire :

la cause première des maux de l’Afrique.

Dans le cadre de notre étude, cependant, à cet ordre dont nous ne possédions dès le départ

aucune représentation phénoménologique, nous reprochons une autre chose. Notamment, mais aussi

exclusivement au plan théorico-culturel, l’entretien à grande échelle de l’ignorance en matière de

démocratie. Cette même démocratie dont, à tort ou à raison, pour le dire avec les mots de

Rosanvallon (2007), les Occidentaux se pensent propriétaires d’un modèle universel, et,

s’enorgueillissaient chez eux, en refusant presque toujours de l’appliquer dans leurs colonies. Il

convient de le préciser, particulièrement dans leurs colonies d’Afrique.

Mais, née foncièrement comme une forme de gouvernement puis morte et ensevelie dans

l’Antiquité, la démocratie renaît au XVIIe siècle sous une forme nouvelle. Celle de l’état social

égalitaire, à la faveur d’une série de théories que la vielle, c’est-à-dire l’antique, partant, la première

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expérience grecque n’a pas manqué d’inspirer ensuite depuis lors. De cette démocratie donc,

entendue comme un état social égalitaire, au plan strictement politique et d’ailleurs avec gloire et

brio, l’humanité a pu fonder la souveraineté du peuple, d’une part ; d’autre part, aussi surtout,

refonder le pouvoir absolu ou le despotisme dont l’Europe du XVIIIe siècle, sortie de la féodalité,

fut complètement recouverte. La déclinaison sociohistorique du pouvoir absolu dans sa nouvelle

version démocratique124 en Europe, comme par exemple en Angleterre, et de la souveraineté du

peuple, primordialement en Amérique, aux Etats-Unis, et successivement en Europe, comme par

exemple en France, donna alors lieu au système représentatif ou la représentation125 comme

modalité de son gouvernement. Dit en long, la modalité du gouvernement de la démocratie voire du

gouvernement démocratique.

A côté, mais également au mépris, de cette évidence historique, l’ordre politique et

économique dominant de la planète laisse encore et toujours percevoir aujourd’hui la démocratie au

travers exclusivement de son antique acception politique de forme de gouvernement ; puis, par-

dessus tout, à la faveur de l’effondrement du communisme en Europe de l’Est, laisse croire qu’elle

est fondée sur le pluralisme politique auquel s’ajoute une cohorte de valeurs du reste aléatoires

désignées sous le syntagme « Droits de l’homme ».

Examinons maintenant quelques textes pour voir ce qui émerge plus ou moins de la plume

tant des premiers philosophes antiques que des principaux penseurs politiques modernes sur la

démocratie. Nous nous rendrions ainsi à l’évidence de cet assujettissement qui dévoile moins la

volonté réelle d’une exportation de la démocratie que l’exportation réelle d’une véritable volonté de

puissance reprochable à cet ordre dominant. Soulignons, cependant, dès le prime abord qu’à devoir

constituer alors le fil conducteur de notre analyse ici, en nous appuyant sur les pertinentes réflexions

de Wellerstein dans L’universalisme européen (2006), s’avère exclusivement la première des trois

variantes essentielles de l’invocation de l’universalisme auquel le discours des dirigeants du monde

paneuropéen – en premier lieu, mais pas seulement, des Etats-Unis et de Grande-Bretagne – et celui

des grands médias ainsi que des intellectuels de l’establishment font constamment appel en tant que

clé de voûte de leur politique (Wallerstein, 2006, 3-4). Pour être encore un peu plus précis, celle

qui « argue que les politiques mises en œuvre par les dirigeants du monde paneuropéen consistent

en la défense des « droits de l’homme » et en la promotion de quelque chose qu’ils désignent sous

le nom de « démocratie » » (Wallerstein, 2006, 3). Etant donné que ces « droits de l’homme » font

désormais partie intégrante de cette « démocratie », dirions-nous, donc : l’universalisme

démocratique.

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Nous prenons essor de « La filosofia e la nascita del politico » de Virginio Marzocchi126.

Nous ne voulons pas naturellement remonter aux origines ni de la philosophie ni du politique ; ni,

encore, aux origines antiques de la démocratie. Même si cette dernière constitue en soi le concept

voire l’objet fondamental de la présente étude. Il y a, selon les termes mêmes de son auteur, dans

cette « tendancieuse reconstruction de la naissance ou l’éclosion du « politique » à travers la

philosophie et de l’émergence de la philosophie aussi à la faveur ou, si l’on veut, sur le dos de la

démocratie athénienne » (Marzocchi, op. cit.), une autre chose encore davantage importante qui, en

rapport avec notre étude, mérite particulièrement attention. Il s’agit du refus de la démocratie par les

premiers philosophes grecs antiques.

A travers sa « tendancieuse reconstruction », en effet, Marzocchi stipule que les poètes

puis, surtout, les tragiques à l’instar d’Eschyle et les historiens, à l’instar de Hérodote et Thucydide

« semblent montrer davantage de sympathie, que ne l’aient fait ensuite les philosophes, à l’égard de

cette forme de gouvernement, la démocratie, que de nos jours beaucoup tendent à considérer parmi

les plus importantes inventions ou conquêtes du monde grec » (Marzocchi, op. cit.). Ainsi donc,

après, mais aussi, comme bien d’autres penseurs politiques, contemporains, à l’instar de Dahl127,

Marzocchi, à sa manière, met en évidence, lui aussi, pour ne pas dire l’antipathie, l’a-sympathie des

premiers philosophes grecs antiques – tels que Platon et Aristote auxquels il fait d’ailleurs

expressément allusion – à l’encontre de la démocratie. Dès lors que ces philosophes, écrit-il,

« développent tous une position réactionnaire vis-à-vis de la démocratie » (Marzocchi, op. cit).

Même si, enchérissant, il nuance son propos : « tout au moins ainsi que celle-ci se délimitait et se

vérifiait du reste partiellement dans le monde antique » (ibid.).

Or, en tenant compte de ce que, indifféremment, philosophes, poètes et tragiques puis

historiens du monde grec perçurent dans leur monde comme régime essentiellement politique et

exclusivement adapté aux pòleis grecques128, la démocratie athénienne, apparaissait sans détour ni

affectation comme « un bazar de constitutions »129, pour le dire avec cette expression de Platon.

Lequel, à en croire Dahl (1990), représente le plus intransigeant de tous les critiques de la

démocratie. Dirions-nous mieux, de cette démocratie.

D’ailleurs, Marzocchi ne manque pas d’évoquer les raisons de ce refus de la démocratie,

dès l’origine, conçue comme une forme de gouvernement. Pour lui, le principal chef d’accusation

qui justifie ce refus réside dans le fait que, avec la prévalence de la démocratie, la foule, pour le plus

composée de citoyens libres et pauvres, se substituerait aux meilleurs, plus compétents et sages, et

utiliserait le gouvernement soit pour le remettre au pouvoir incontrôlé de quelque démagogue soit

pour imposer despotiquement leurs intérêts aux dépens de ceux des autres parties constitutives de la

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cité. Pourtant, au fond, cette dernière, encore plus clairement la cité, se veut une seule, unique et

unie, un tout cohérent devant poursuivre des objectifs qui lui sont propres et dont elle devrait être

consciente (Marzocchi, op. cit.).

Cependant, synthétisant à l’extrême pour notre compte Platon, les raisons profondes de ce

refus se trouvent dans la dénonce des licences que le gouvernement démocratique, non sans ironie,

« un gouvernement agréable, anarchique et bigarré » apparaît bien censé accorder tant à ces

membres qu’aux citoyens. Donc, la dénonce des licences qui y règnent. Premièrement, la « licence

de faire ce qu’on veut » – principe de liberté ; et, deuxièmement, celle de la dispense par le

gouvernement démocratique d’« une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est

égal » – principe d’égalité (Platon, 1966, 317-318). En somme, il s’agit d’une véritable mise en

cause tant de la liberté que de l’égalité qui – comme il sera ensuite soutenu, à partir des Temps

modernes, ce jusque de nos jours – constituent les deux principes fondamentaux de la constitution

démocratique.

Mais, Marzocchi termine son évocation des raisons de l’antique refus de la démocratie

avec l’observation suivante : « En réalité le refus de la démocratie connaîtra bien peu d’exceptions

entre les théoriciens de la politique jusqu’au XVIIIe siècle, même si le cadre voire l’unité politique

de référence mutera, ne sera plus la pòlis grecque ou la civitas romaine » (Marzocchi, op. cit.).

Pourtant il apparaît du reste clairement que c’est dans cette mutation-là que s’origine aussi, quoi que

différemment exprimé, le refus de la démocratie chez les théoriciens politiques du XVIII e siècle, à

l’instar de Rousseau.

En effet, si de la littérature consacrée, d’une manière générale, aux problématiques de la

pensée politique moderne, et, d’une manière particulière, à celles de la démocratie, il émerge que

Rousseau représente le premier – et non pas seulement le plus illustre – théoricien de la démocratie

des Temps modernes (cf. Petrucciani, 2003 ; Kelsen, 2004 ; Held, 2007), il ne résulte pas pour

autant qu’il est, comme il est souvent présenté, un démocrate130. Autrement dit, qu’il s’avère ipso

facto favorable à la forme de gouvernement démocratique, qu’il va prôner ensuite.

Dans le cadre précis de la théorie du gouvernement et de ses diverses formes, Rousseau

déploie son discours sur la démocratie notamment au quatrième chapitre du troisième livre du

Contrat social. Il suggère, dès le prime abord, les difficultés aussi bien réelles que certaines

relatives à la réalisation de la démocratie. Il y apparaît que ce qui aurait pu faire de la forme de

gouvernement démocratique une meilleure constitution, la jonction du pouvoir exécutif au législatif

pour ce qui concerne la faisabilité de la loi, partant aussi bien son exécution que son interprétation,

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s’avère ce qui la rend insuffisante à certains égards. Ce qui émerge de l’observation qui ouvre son

propos :

Celui qui fait la loi sait mieux que personne comment elle doit être exécutée et interprétée. Il semble donc qu’on ne saurait avoir une meilleure constitution que celle où le pouvoir exécutif est joint au législatif : Mais c’est cela même qui rend ce Gouvernement insuffisant à certains égards, parce que les choses qui doivent être distinguées ne le sont pas, et que le Prince et le Souverain n’étant que la même personne, ne forment, pour ainsi dire, qu’un Gouvernement sans Gouvernement (Rousseau, 2001, 105). 

Il s’ensuit une série d’autres observations touchant surtout l’essence de la fonction

législatrice, partant exécutrice, et, de celle du corps du peuple, qui mettent en évidence d’autres

apories avec lesquelles la démocratie doit faire des comptes en vue de sa réalisation. Après quoi, il

stipule :

A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change (Rousseau, 2001, 106). 

Or, poursuivant, il écrit : « En effet, je crois pouvoir poser en principe que quand les

fonctions du Gouvernement sont partagées entre plusieurs tribunaux, les moins nombreux

acquièrent tôt ou tard la plus grande autorité ; ne fût-ce qu’à cause de la facilité d’expédier les

affaires, qui les y amène naturellement » (ibidem). 

S’ajoutant à l’établissement des commissions qui comporte en soi le changement de la

forme de l’administration et, surtout, posée en principe, l’acquisition de la plus grande autorité par

les tribunaux les moins nombreux nous paraît ici fournir à l’auteur du Contrat social un motif

théorique valable pour regarder, dans les faits, dans la réalité, vers d’autres formes de gouvernement

humainement possibles. Ainsi, invoquant l’établissement de la démocratie suivant le modèle des

pòleis grecques ou encore de la civitas romaine, il en évoque en même temps l’impossibilité. D’où

découle naturellement l’éloignement de Rousseau de la démocratie. Non pas de la démocratie

comme idéal de formation du corps politique, mais de la démocratie comme idéal de gouvernement

dudit corps politique.

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Déjà à ce point de l’analyse, la fausseté de la déduction, du Rousseau démocrate, de sa

place ainsi que de son rang au panthéon des théoriciens modernes de la démocratie se révèle de soi.

Elle ne sollicite ni ne requiert pas une attention particulière pour s’en apercevoir. Cette erreur

inouïe, aussi largement diffusée que communément partagée, fonde dans la filiation de la théorie

rousseauiste de la démocratie aux antiques expériences politiques, grecques et romaines.

Probablement, à la faveur de ces deux expériences politiques Rousseau a pu s’interroger sur les

choses difficiles à réunir que suppose en effet la démocratie, en vue de sa réalisation pratique dans

les Temps modernes. Choses au premier rang desquelles s’érige la nature même, pour reprendre la

terminologie de Marzocchi, « du cadre ou de l’unité politique de référence » qui, dans les sociétés

modernes, à l’instar de la société de Rousseau, mais aussi et surtout la nôtre, n’a plus rien à voir

avec la pòlis grecque ni la civitas romaine. Pour nous en convaincre, plongeons le regard dans

l’ouvrage de Rousseau.

« D’ailleurs que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce Gouvernement ? »,

s’interroge pour ainsi dire rhétoriquement Rousseau. En guise de réponse à cette question, il

énumère ces choses à commencer par :

Premièrement un Etat très petit où le peuple soit facile à rassembler et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres : secondement une grande simplicité des mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et les discussions épineuses : Ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité : Enfin peu ou point de luxe ; car, ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et la pauvre, l’un par la possession l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse à la vanité ; il ôte à l’Etat tous ses Citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion (Rousseau, 2001, 106). 

Si la première chose renvoie à la situation géographique, la dimension de l’Etat qui, pour

pouvoir accueillir la démocratie comme forme de gouvernement, doit être « très petit », la seconde

chose, quant à elle, au fond, multiple et évoquant tout à la fois la « simplicité des mœurs » et

« beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes », d’une part, puis, mettant en garde contre

le luxe, d’autre part, renvoie à la situation socioculturelle inhérente à la démocratie même. Ainsi,

donc, à la première condition s’enjoint la condition éthique de la vertu – au travers de l’allusion

expresse de Rousseau à la grande simplicité des mœurs, l’égalité et au luxe – , suggérée au plus haut

point par la domination de l’opinion contre laquelle doit se préserver non pas seulement l’Etat

démocratique mais également tout Etat bien constitué. Puisse un tel Etat être un Etat aristocratique

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ou un Etat monarchique. Parce que, reprochant à Montesquieu de ne l’avoir vu, « l’autorité

Souveraine étant partout la même, le même principe doit avoir lieu dans tout Etat bien constitué,

plus ou moins, il est vrai, selon la forme du Gouvernement » (Rousseau, 2001, 107).

D’ailleurs à ces difficultés s’ajoutent bien d’autres. En effet, Rousseau estime qu’ :

il n’y a pas de Gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le Démocratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. C’est surtout dans cette constitution que le Citoyen doit s’armer de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au fond de son cœur ce que disait un vertueux Palatin, dans la Diète de Pologne : Malo periculosam libertatem quam quietum servitium (Rousseau, 2001, 107). 

Avant, naturellement, de conclure avec l’affirmation suivante : « S’il y avait un peuple de

Dieux, il se gouvernerait Démocratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des

hommes » (Rousseau, 2001, 107). Il serait superflu rappeler que le gouvernement démocratique ici

en question s’avère loin d’être le système représentatif, à l’instar de celui qui se trouve en vogue

dans les actuelles et grandes démocraties d’Europe et d’Amérique. Lequel peut permettre de faire

crier victoire sur Rousseau qui n’aurait cru à la possibilité historique du gouvernement

démocratique dans les sociétés modernes.

Même sous cette forme moderne, que couronne l’institution « des Députés ou

Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation », il n’enregistre pas moins, non plus, le

refus catégorique de Rousseau131. Cette institution ou voie des Députés ou Représentants du peuple

que, stipule-t-il, l’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des

Etats, les conquêtes et les abus du Gouvernement ont fait imaginer est ce qu’en certains pays on ose

appeler le Tiers-Etat (Rousseau, 2001, 133-136).

Il ressort de ce qui précède que la démocratie, en tant que forme de gouvernement, n’a

essuyé qu’un double refus durant deux époques, historiquement très éloignées et politiquement très

différentes. Le premier, dans l’Antiquité avec Aristote et surtout Platon, qui, comme les poètes et

les historiens, à en croire Marzocchi, perçoivent en elle « une modalité non-politique ». Le second,

aux Temps modernes et en pleines Lumières, avec Rousseau ; naturellement en raison, entre autres,

de la mutation du cadre voire de l’unité politique de référence, passée de la pòlis grecque et la

civitas romaine à l’immense Etat-nation. Toutefois, à chacune de ces époques correspond, en nous

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référant à Dahl (1990), une des deux grandes transformations historiques de la démocratie : antique

et moderne.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de la transformation d’une même, seule et unique forme

constitutionnelle, de la transformation de cette même forme de gouvernement, la démocratie, qui,

de nos jours, puis avec davantage d’acuité, en des termes employés par Jean François Kervégan (cf.

Raynaud et Rials, 1996), « ne désigne plus un régime parmi d’autres, mais semble être l’horizon de

tout ordre politique légitime ». Dès lors qu’elle « recouvre désormais, plus que des institutions

définies, un ensemble de valeurs : les droits de l’homme ». Non sans tenir compte de la réelle et

l’évidente confusion132 découlant de cette « accession de la démocratie au statut d’idéalité

normative ».

Voilà qui fournit, en partie, le fondement théorique du problème de la démocratie en

Afrique, avant même qu’il ne s’y atteste, de fait, aux plans social et politique, partant

historiquement, tous les déboires inhérents à son expérience africaine. Alors, la question est :

Comment en est-on arrivé à son actuel et patent universalisme ?

Rappelons de prime abord que l’introduction de Tocqueville à la Démocratie comporte une

allusion expresse si ce n’est une affirmation de l’universalisme démocratique que l’auteur déduit sur

la base d’une vue pénétrante de l’histoire des sociétés européennes – à l’instar de la société

française – , à la lumière notamment de son étude scientifique de la société américaine. En

particulier, les USA, qui représentent, ainsi que nous l’avons vu dans la première partie du présent

travail, le berceau de la démocratie moderne. Pourtant, cet universalisme ne se voit proclamé

ensuite que dès la fin de la décennie 1980, et avec acuité au début de 1990, suite à l’échec du

communisme que couronne l’effondrement de l’URSS dont la Déclaration d’Alma-Ata en

décembre 1991 constitue l’indéniable acte de décès.

Dès le début de son introduction à la Démocratie, en effet, après avoir « fait partager au

lecteur le saisissement qu’il a éprouvé en distinguant » (Antoine, 2003, 21) – parmi tous les objets

nouveaux qui, pendant son séjour aux Etats-Unis, ont attiré son attention – le fait générateur de

l’égalité des conditions dont il évoque synthétiquement les conséquences de l’influence prodigieuse

sur la marche de la société, d’une part ; et, d’autre part – en reportant sa pensée vers son hémisphère

– , fait noter qu’il vit l’égalité des conditions, cette même démocratie, lui paraître en Europe

s’avancer rapidement vers le pouvoir, Tocqueville couche l’observation suivante :

Une grande révolution démocratique s’opère parmi nous ; tous la voient, mais tous ne la jugent point de la même manière. Les uns la considère comme une

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chose nouvelle, et, la prenant pour un accident, ils espèrent pouvoir encore l’arrêter ; tandis que d’autres la jugent irrésistible, parce qu’elle leur semble le fait le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l’on connaisse dans l’histoire (T. 19811, 57-58).

Se reportant « pour un moment à ce qu’était la France il y a sept cents ans », Tocqueville

remonte de cette manière l’histoire de la société européenne qu’il « trouve partagée entre un petit

nombre de familles qui possèdent la terre et gouvernent les habitants » ; puis, dans laquelle, son

texte le dit ensuite, « le droit de commander descend alors de générations en générations avec les

héritages ; les hommes n’ont qu’un seul moyen d’agir les uns sur les autres, la force ; on ne

découvre qu’une seule origine de la puissance, la propriété foncière » (T. 19811, 58) La destruction

de la féodalité ainsi que l’anéantissement des rois, à la faveur d’une série d’événements concourant

alors au « nivellement universel » ou tournant au profit de l’égalité, donc de la démocratie (ibid.,

58-60), dont il décrit ensuite excellemment l’historique, le conduisent enfin à conclure que : « Le

développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les

principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance

humaine ; tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement » (T. 19811,

60).

Déjà, et il n’est pas difficile de l’apercevoir, Tocqueville mettait en évidence, pour ainsi

dire sur la base d’une conviction religieuse133, l’universalisme des progrès de l’égalité des

conditions, de la « grande révolution démocratique ». Pour le dire autrement, il mettait en évidence

l’universalisme démocratique. L’universalisme de la démocratie dont les Etats-Unis constituent la

première illustration sociohistorique moderne, du reste sous l’initiative des peuples d’Europe, en

particulier les Anglais, et pour davantage de précision, les pèlerins appartenant à cette secte

d’Angleterre à laquelle l’austérité de ses principes avait fait donner le nom de puritaine (T. 19811,

91). Et, qui décrit « un nouveau régime social dont l’inscription dans l’histoire particulière des

peuples produit la diversité des figures politiques de la modernité », pour reprendre Jacques. Dans

l’optique tocquevillienne, ces figures politiques se limitent à deux : la souveraineté du peuple,

qu’alors les Américains ont choisie, puis, le pouvoir absolu ou le despotisme, suivant la vision

tocquevillienne, ayant fait l’objet du choix de l’auteur de Démocratie. Car, pour celui-ci, les

Européens, d’une manière générale, et les Français, d’une manière particulière, n’étaient nullement

forcés de tirer du même état social que celui des Anglo-Américains, la même figure voire le même

système politique qu’eux.

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Aussi, convient-il de le relever, même quand il faut la désigner sous le syntagme

« souveraineté du peuple », une des conséquences naturelles de ce nouveau régime social de

l’histoire de l’humanité, sur le plan politique, la démocratie n’a pas emporté non plus la conviction

philosophico-politique de Tocqueville. Cependant, essentiellement sous sa plume mais sur la base

de l’expérience américaine, la démocratie ne désigne plus – du moins principalement ou

exclusivement – « une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement », suivant cette

fameuse formule de Sartori. Même si elle n’a plus jamais cessé de suivre son cours, depuis lors, en

Europe. Notamment, en France, où elle a évincé la monarchie régnante, et en Angleterre, où, par

contre, elle a servi de fondement nouveau à la même monarchie qui, comme en France, y régnait

aussi de longue date. Alors que, à la suite même de l’Amérique, l’Afrique s’apprête à offrir à

l’Europe le lieu par excellence des nouvelles expéditions coloniales. Nous sommes à la fin du XIX e

siècle ; notamment en 1880, année marquant justement le début de la dernière grande phase de la

colonisation, comme tout esprit synthétique peut bien déduire des manuels d’histoire, au chapitre

consacré à la colonisation européenne en Afrique.

Or, à en croire Tocqueville :

A l’époque où les peuples européens descendirent sur les rivages du nouveau monde, les traits de leur caractère national étaient déjà bien arrêtés ; chacun d’eux avait une physionomie distincte ; et comme ils étaient déjà arrivés à ce degré de civilisation qui porte les hommes à l’étude d’eux-mêmes, il nous ont transmis le tableau fidèle de leurs opinions, de leurs mœurs et de leurs lois (T. 19811, 86).

S’il ne manque pas « le tableau fidèle de leurs opinions, de leurs mœurs et de leurs lois »

représentant l’époque où ils pénétrèrent à l’intérieur du continent africain, alors nous accuserons ici

moins notre paresse que les éventuelles difficultés qui ne nous ont pas permis de le découvrir, de le

contempler et, partant, de l’explorer dans le but d’en dégager, plus que le sens ainsi que le contenu

du caractère national, la nature de l’état social, excepté le Liberia134, des modernes Etats africains, à

l’instar de la République d’Afrique du Sud135, nés de la colonisation européenne, au même titre que

les USA en ce qui concerne naturellement le nouveau continent.

De plus, Tocqueville dit de l’état social qu’il

est ordinairement le produit d’un fait, quelquefois des lois, le plus souvent de ces deux causes réunies ; mais une fois qu’il existe, on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes et des

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idées qui règlent la conduite des nations ; ce qu’il ne produit pas, il le modifie (T. 19811, 107).

Et, partant de cette considération, si le « point saillant de l’état social des Anglo-américains

est d’être essentiellement démocratique » (T. 19811, 107-115) comme il démontre, pour des raisons

qu’il évoque ensuite et que nous avons aussi mises en évidence dans la première partie de la

présente étude, il manque cependant pour le continent africain des études si ce n’est pas une Etude

d’égale envergure que sa Démocratie qui puissent nous illuminer sur le caractère démocratique de

celui des Sud-Africains. La précieuse Démocratie pour l’Afrique de Dumont ne nous apparaît pas

répondre à cette exigence. Pourtant, l’apartheid érigé alors en système politique en République

d’Afrique du Sud136 ne semble pas déductible de la démocratie dont l’universalisme semble, à la

lumière des pertinentes analyses de Tocqueville, inscrit dans l’ordre naturel même, comme la

souveraineté du peuple aux Etats-Unis ou le pouvoir absolu dans sa nouvelle version démocratique

dans certains pays d’Europe, à l’instar de l’Angleterre.

La récente abolition de l’apartheid137 au pays de celui qui représente aujourd’hui l’icône de

la lutte anti-apartheid, Nelson Mandela, d’une part, et l’effondrement de quasi toutes les dictatures

africaines, d’autre part, balisent le chemin de la souveraineté du peuple aussi bien que de

l’absolutisme à l’ombre de la souveraineté du peuple déductibles de l’état social égalitaire.

A ce niveau donc de notre analyse, et en ligne avec les deux transformations

démocratiques évoquées par Dahl, il apparaît aussi clairement que seulement deux, s’avèrent les

conceptions les plus dignes de revendiquer légitimement le statut de conception de la démocratie.

La première : la conception antique, univoque, au travers de laquelle les protagonistes conçoivent la

démocratie essentiellement comme une forme de gouvernement. Ce, au-delà de l’amour que

d’aucuns éprouvent à son égard, d’une part, et, d’autre part, de l’aversion que d’autres nourrissent

vis-à-vis d’elle, par contre. Ce n’est pas l’essence à allumer aussi tant les âmes dans ce monde grec

antique, mais, plutôt, l’adéquation de l’essence à la pòlis.

Aussi, Sartori peut-il considérer la démocratie, suivant la tradition des Antiques, d’abord et

avant tout, comme « une entité politique, une forme d’Etat et de gouvernement », au milieu de cette

immense confusion de ses emplois et de ses usages actuels dont naturellement les modernes sont

devenus non seulement de grands champions mais également de grands savants. Même si à la

lumière de notre très modeste reconstruction, cette conception de la démocratie ne semble

désormais appartenir en principe qu’au passé, à un très lointain passé gréco-romain. Comme

d’ailleurs et par analogie, aujourd’hui, mais seulement dès la fin de la décennie 1980 puis avec

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encore davantage d’acuité après le 21 décembre 1991, notamment, le communisme n’appartient

plus qu’à l’ex-URSS, en dépit de sa survivance en Chine ou à Cuba. Pourtant, au-delà de cette

évidence, cette antique conception de la démocratie demeure et s’avère la plus divulguée et, partant,

la plus populaire.

La seconde : la conception moderne, plurivoque, à l’intérieur de laquelle les théories

fausses, se mêlant aux vraies théories, créent puis entretiennent une véritable confusion138. Tout

s’entremêle dans la détermination de l’essence du principe de démocratie entre le politique,

l’économique et ou le social. Les théories qui fondent la démocratie moderne dans le premier ou le

deuxième paraissent n’avoir rien de foncièrement moderne dans leur articulation. Celles qui

recourent au politique rejoignent l’antique conception de la démocratie qu’elles perpétuent

purement et simplement ; tandis que celles qui recourent à l’économique apparaissent aussi sans

détour ni affectation comme une mise à jour, au plan politique, du capitalisme ; autrement dit, une

représentation super-structurelle de la société capitaliste. Par ailleurs, les théories qui la fondent

dans le social s’avèrent les seules à être foncièrement modernes. Ainsi de la théorie de Tocqueville

qui découle de son étude scientifique de la société américaine et à travers laquelle l’« état social »

offre et constitue enfin la clé de lecture de la modernité démocratique, voire, de l’essence même de

la démocratie moderne : une essence égalitaire.

Voilà qui fournit, en plus du fondement théorique que nous avons relevé plus haut, le

fondement sociohistorique du problème de la démocratie en Afrique, avant même qu’il n’apparaisse

l’exigence au plan théorico-culturel, dans le cadre de la quête africaine de cette démocratie, des

études visant la démonstration de l’universalisme démocratique, à l’instar de celles qui ont servi ici

aussi de support à la nôtre, dont la défection théorique semble déductible de l’idéal qui recommande

leur conduite.

Troisième conclusion

En somme, sur la base de la conception exclusivement politique de la démocratie, et

spécifiquement la démocratie libérale, le processus démocratique en Afrique apparaît en effet un

fait très récent dont l’origine remonte seulement à la fin de la décennie 1980, pour être plus précis à

1989 ; et, qui se trouve aussi dès le départ même confronté à une série de graves difficultés, tant

endogènes qu’exogènes. Les obstacles intérieurs, à l’instar des tyrannies, ou les dictatures, au

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pouvoir jusqu’en début des années 1990, semblent se démanteler davantage au profit de l’institution

des régimes plus libéraux. Les obstacles extérieurs, par contre, exigent aux nouveaux dirigeants

voire à la future classe de politiques Africains de grands sacrifices destinés naturellement au

perfectionnement dudit processus encore en ‘phase de transition’. Un perfectionnement qui consiste

en plus en plus de liberté comme de droits, qu’il faut non seulement concéder aussi à toutes les

femmes mais également reconnaître et partant respecter. Pourtant, au plan historico-socio-politique,

la démocratie représente une des plus importantes caractéristiques mieux encore la plus importante

caractéristique de la société moderne dont s’avère entièrement participe l’Afrique. Dès lors que la

plupart de ses Etats sont nés de la colonisation européenne de la fin du XIX e siècle. Aussi, du point

de vue endogène, la quête de la démocratie s’origine dans les premiers mouvements nationalistes

contre l’autoritarisme du régime colonial. Et, partant, devant les difficultés actuelles à son

institution, celles qui émanent de l’ordre politique et économique dominant de la planète, à travers

ses multiples contraintes, aussi mises en évidence par Dumont, semblent prépondérantes par rapport

à celles des tyrannies locales qui volent en éclats, une à une, depuis les mouvements de

revendication par les jeunes Africains en faveur du multipartisme et des libertés enclenchés le 23

janvier 1990 à Niamey, au Niger.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

En définitive, débuté sous le titre d’‘Universalisme et déclinaison historico-locale de la

démocratie contemporaine’, le présent travail de recherche s’achève par celui de La démocratie

chez Tocqueville et le problème de la démocratie en Afrique. Ce dernier titre, encore davantage

circonscrit et précis, lui a donné à la fois forme et matière susceptibles d’intérêt scientifique.

Aussi, La démocratie chez Tocqueville et le problème de la démocratie en Afrique , pour le

désigner ainsi, a-t-il connu un parcours non moins tortueux, caractérisé par une série de difficultés

que nous avons pu affronter et, partant, surmonter en dernier ressort. Ce, en partie, à la faveur de la

ténacité de notre esprit hanté par l’idéal de l’exhibition esthétique de contribution à l’éternelle

entreprise de construction du Bien-être, dans l’harmonie, de l’Humanité tout entière. Mais aussi, en

partie, grâce à une opportune puis surtout spéciale marque de confiance que notre Directeur de

thèse, Francesco Saverio Trincia, en tout cas pas un seul instant, n’a cessé de témoigner à notre

endroit. Une marque de confiance, soulignons-le, doublée de fréquents encouragements assortis

aussi bien de suggestions très ingénieuses que de magistrales orientations pratiques.

Ces magistrales orientations pratiques de notre Directeur de thèse nous ont aidé à pouvoir

contenir l’écart entre la dimension purement philosophique ou théorico-spéculative dans laquelle

s’inscrit la présente étude, c’est-à-dire la philosophie morale, d’une part, et, d’autre part, la

dimension réelle, donc historique, et essentiellement sociopolitique dans laquelle verse au contraire

l’Humanité, en général, et l’Afrique noire, en particulier. D’ailleurs, les suggestions de Trincia ont

eu quant à elles le mérite certain de concourir à la configuration systématique de la structure

formelle de notre travail et de sa cohérence interne, inhérente à cette structure logique, en rapport

avec les hypothèses qui ont conduit à doter ce travail de fondements théoriques solides sur lesquels

il s’appuie et autour desquels il s’articule.

Cependant, le changement du titre de ce présent travail n’a pas comporté en soi celui de

son fond, compte tenu du fait que nous avons poursuivi les mêmes objectifs et le même but à partir

du même point de départ, à savoir la Démocratie de Tocqueville dont plusieurs facteurs ont justifié

ici le choix du reste très judicieux.

L’analyse de cet important ouvrage de Tocqueville a fourni à notre étude des ingrédients

extrêmement utiles. Ce que n’auraient pu faire l’analyse de L’Esprit des lois (1748) de Montesquieu

tout comme celle du Contrat social (1762) de Rousseau. Pourtant, tous deux, ouvrages

éminemment théoriques sur la démocratie. Seulement, il nous résulte que leurs doctrines calquées 190

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pour l’essentiel sur les modèles antiques, grec et romain, n’égalent pas par le fond ni en actualité

celles de l’ouvrage de Tocqueville plutôt inspirées ou déduites de la démocratie moderne, c’est-à-

dire de la démocratie telle qu’elle se manifeste dans les sociétés modernes. La démocratie moderne

représente une réalité que les deux illustres prédécesseurs de Tocqueville n’ont pas eu la fortune de

cerner. Montesquieu et Rousseau, partant, n’ont eu l’occasion d’apprécier à juste titre les joyaux de

ce régime et, en conséquence, celle de pouvoir, se prononcer, ainsi que l’a fait Tocqueville, aussi

bien sur sa nature que sur son principe ; mais, aussi et surtout, sur ses conséquences naturelles voire

politiques.

Or, c’est sur un fond de comparaison que Tocqueville décline l’essence de la démocratie. Il

compare la société européenne, à travers la France, et la société américaine, à travers les USA. Cette

méthode a du reste enchanté notre esprit au point d’influencer grandement le présent travail. Ce qui

nous a permis d’établir par analogie la similitude entre l’Amérique et l’Afrique en rapport avec

l’Europe en ce qui concerne l’institution de la démocratie d’abord perçue comme un état social

avant d’être considérée comme un régime politique.

L’ambivalence de la nature de la démocratie se laissant percevoir timidement dès les

premières lignes de l’introduction à la Démocratie, à travers l’influence prodigieuse de l’égalité des

conditions sur la marche de la société ne s’avère après analyse qu’illusoire. Car, cette influence

prodigieuse de l’égalité des conditions, qui investit aussi bien le monde politique que la société,

n’apparaît qu’indicative de la double fonction de la démocratie, mieux encore, de la marche

naturelle de son principe qui couvre toutes les sphères de la vie collective. C’est analysant le rapport

de l’égalité des conditions à l’état social que nous sommes parvenus enfin à l’appréhension de son

essence. Particulièrement, de l’essence de la démocratie moderne. En effet, sous l’influence du

caractère spécial des pèlerins, les pères fondateurs de la société américaine, la démocratie se livre

sous la forme à la fois original et univoque de l’état social égalitaire. Non pas celle d’un régime

politique, d’une spécifique forme d’Etat ni de gouvernement.

Aussi, de cet état social, de la démocratie, les nations modernes ont pu tirer deux formes de

gouvernement dont le système représentatif ou la représentation s’avère l’expression pratique mieux

la déclinaison sociopolitique historique de la modalité de fonctionnement. Et, ainsi que nous

sommes parvenus à le démontrer, ces deux formes de gouvernement sont : la souveraineté du

peuple et le pouvoir absolu ou le despotisme. Toutes deux, expression de l’extension du principe

démocratique dans la sphère de la politique voire variantes politiques de l’état social égalitaire ;

donc, la démocratie.

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En tant qu’état social égalitaire, donc, la démocratie fonde dans l’idée d’égalité. Ce

principe que les pèlerins dégagèrent de tous ceux contre lesquels il luttait dans les vieilles

monarchies d’Europe, tel qu’il découle de l’important ouvrage de Tocqueville. Et puis, du point de

vue sociohistorique, cette démocratie manque à l’Afrique. Son établissement requiert une révision

profonde des relations multidimensionnelles entre l’Europe et l’Afrique, inspirée de la mystique de

la nouvelle naissance prêchée par Jésus-Christ d’après les Ecritures, notamment les Evangiles (Jean

3).

Cette exigence se déduit du poids plus lourd des responsabilités extérieures, celles de

l’ordre politico-économique dominant de la planète, par rapport au poids moins lourd des

responsabilités intérieures, celles des tyrannies africaines, évoquées par Dumont. Notamment,

devant la faillite générale de l’Afrique de la décennie 1980. Cette faillite reconnue ensuite, avant

d’être mise en évidence en 1989, par la Banque mondiale dans L’Afrique subsaharienne, comme

nous l’avons vu également avec Dumont.

L’Afrique et les Africains aspirent profondément à la démocratie. Pour Dumont, la longue

marche de l’Afrique noire vers la démocratie ou les premières tentatives de construction des

démocraties en Afrique noire paraissent des faits récents. Ceux-ci remontent à la fin de la décennie

1980, notamment avec la libération du Bénin en 1989, à laquelle suivent les premiers mouvements

de revendication des jeunes Africains en faveur du multipartisme et des libertés. Mouvements

enclenchés le 23 janvier 1990 à Niamey, au Niger.

Or, le multipartisme et les libertés en question ainsi que, et avec davantage d’attention, les

droits des femmes, tout comme le respect de ces droits, n’apparaissent qu’un conglomérat

d’accessoires socialement et politiquement déductibles du principe démocratique. Les modernes

Etats d’Afrique semblent en crise dudit principe depuis leur naissance, à la charnière de la décennie

1950 et la décennie 1960, des entrailles de fer du régime colonial européen. Aussi, ce

multipartisme, ces libertés ainsi que ces droits des femmes comme le respect de ces droits ne

désignent-ils pas fondamentalement, en soi, la démocratie.

Et puis, cette longue marche de l’Afrique noire vers la démocratie ou la construction des

formes de démocratie dans les Etats d’Afrique subsaharienne se confrontent dès le début même à

une série d’obstacles tant intérieurs qu’extérieurs. Au plus haut degré de perception, l’auteur de

Démocratie pour l’Afrique, Dumont, identifie les premiers dans les difficultés corrélatives de la

situation économique, sociale et politique du continent dont sont responsables les dictatures de tout

genre au pouvoir jusqu’en début de la décennie 1990. Tandis qu’il perçoit les seconds dans les

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multiples contraintes de l’ordre politico-économique dominant de la planète dont sont responsables

la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Or, ces deux institutions de Bretton Woods s’avèrent, aux yeux de l’auteur de Démocratie

pour l’Afrique, les vrais organes de direction tout comme de décision de l’économie et, partant, de

la politique des Etats africains. Constituant pour ainsi dire le prétendu grand obstacle intérieur à la

démocratie en Afrique noire, la faillite générale de tout le continent de 1989 reconnue par la Banque

mondiale, permit finalement l’ouverture à la conditionnalité démocratique de la politique d’aide à

l’Afrique de la décennie 1990 de ces mêmes ‘décideurs’ sur l’économie et, partant, la politique

africaines.

Pourtant, l’infructuosité des multiples expériences démocratiques en Afrique

subsaharienne égale seulement, depuis bien avant, le devoir de soumission des modernes Etats

africains aux multiples contraintes de l’ordre politique et économique dominant de la planète. A

commencer naturellement par les expériences relatives à la démocratie libérale pré et

postindépendance. Celles relatives à la démocratie populaire ne viennent qu’ensuite, seulement très

peu de temps après les déboires des premières. Avec l’effondrement de l’URSS, en 1991, la

démocratie populaire ne semble plus appartenir qu’au passé. Et, la démocratie libérale ne s’avère

pas du tout nouvelle à l’Afrique.

Contre la reconstruction audacieuse de Dumont, qui ne fourvoie pas moins le public ignare

de la situation historique et sociopolitique de l’Afrique, nous avons pu voir que la quête de la

démocratie en Afrique remonte « au matin de gésine de la colonisation ». Notamment, avec les

premiers nationalismes de type religieux, dans les années 1920. A ceux-là succéda ensuite le

nationalisme des intellectuels qui conduisirent aux indépendances, sous une apparente ouverture au

pluralisme politique du régime autoritaire de la colonisation.

Aussi, ayant caractérisé le régime colonial, notamment dans sa dernière phase, ainsi que les

premières années d’indépendance des Etats nouvellement crées mais non sans essuyer un brillant

échec, le pluralisme politique revient au galop dès 1990 à la suite d’une série d’événements

complexes. Dès lors, il conditionne la politique intérieure de ces Etats africains, alimente un très vif

débat parmi les esprits avisés et conduit des institutions nées à bon escient à dresser chaque fois des

bilans officiels des pratiques relatives à la ‘démocratie’.

Contre les critiques, au sens de Dahl (1990), de cette démocratie, nous avons montré que

ce très vif débat porte en fait sur une illusion. Laquelle, Toumany Mendy articule habilement dans

son ouvrage intitulé L’illusion démocratique en Afrique139.

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Car la démocratie moderne, née au XVIIe siècle, précisément en 1620, en Amérique, sous

l’extraordinaire initiative des pèlerins Anglais, décrit fondamentalement puis principalement un état

social ; non pas un régime politique. Auquel cas, c’est-à-dire décrivant un régime politique, elle

renvoie, avec comme dénominateur commun le système représentatif ou la représentation, tout à la

fois, à la souveraineté du peuple et au pouvoir absolu ou le despotisme sous l’ombre de la

souveraineté populaire. Les Monarchies constitutionnelles et les Républiques d’Europe occidentale

moderne caractérisées par le système représentatif offrent une illustration plausible, au fond, de

cette abstraction philosophique de Tocqueville de la démocratie moderne, c’est-à-dire de la

démocratie telle que celle-ci se manifeste concrètement dans les sociétés modernes, à partir de la

société américaine.

En effet, les libertés classiques et le niveau de vie dont jouissent aujourd’hui les

populations des pays d’Europe occidentale constituent seulement une représentation extérieure du

principe social d’égalité sur lequel fondent, sous le couvert du système représentatif, les actuelles

Monarchies et Républiques nord-européennes.

Pour le succès de ce système en Afrique, Dumont postule le droit-devoir et liberté des

Africains de penser eux-mêmes « ce que peut être leur avenir ». Et, partant, il conseille aux futures

politiques Africains de fonder leurs projets de société sur la satisfaction des besoins élémentaires

susceptibles d’assurer la survie de leurs populations. En fonction d’un modèle de développement

aussi tout africain140, différent de celui des pays riches des sociétés du monde occidental que les

sociétés africaines ne peuvent atteindre. Un modèle de développement, donc, que les sociétés

africaines ne doivent imiter, au risque inéluctable de s’enfoncer toujours puis encore davantage dans

la dégradation jusqu’à finir dans la ruine. Ce faisant, cependant, les nouveaux politiques Africains

doivent tenir le plus grand compte des exigences qu’inspire et qu’impose la démocratie, telle que la

réduction des inégalités et de la misère, sans oublier de considérer toutefois, à chaque étapes, aussi

bien les situations que les circonstances, et surtout le rapport de forces.

Pourtant, à la fois pertinente et logique, cette analyse de Dumont n’emporte pas

entièrement notre conviction. Et, nous avons abouti aux conclusions dont nous pouvons

modestement revendiquer l’originalité, aussi bien en ligne avec certains aspects de sa vision très

profonde dans Démocratie pour l’Afrique que sur la base de nos lectures et, surtout, de notre

expérience et nos observations directes relatives au problème de la démocratie en Afrique.

Nous avons vu que la démocratie représente une, mieux encore, la plus importante des

caractéristiques de la modernité sociopolitique dont s’avèrent entièrement participes tous les Etats

d’Afrique. Et, que celle-ci désigne foncièrement un état social fondé sur l’idée d’égalité ; le principe

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que les émigrants qui vinrent se fixer en Amérique au commencement du XVIIe siècle dégagèrent

en quelque façon de tous ceux contre lesquels il luttait dans les vieilles sociétés de l’Europe, pour

synthétiser Tocqueville (T. 19811, 68). En conséquence, l’absence en soi du principe social d’égalité

en Afrique, c’est-à-dire l’absence en soi de démocratie, ne peut a priori garantir l’institution ni,

partant, le fonctionnement du système représentatif, aussi communément appelé ‘démocratie’. Du

point de vue historique, les premières expériences de démocratie politique, libérale et populaire, se

sont soldées par un échec dont la clarté illumine les raisons aussi bien diverses que variées, à

savoir : l’appropriation malhabile du modèle constitutionnel de la Métropole, l’héritage colonial, la

nature de l’Etat africain ou l’essence de la démocratie. C’est en ce sens que nous comprenons

l’importance que Genné accorde, dans « La démocratie en Afrique », à la réduction des

inégalités évoquée par Dumont dans sa proposition, destinée aux futures générations de politiques

Africains, d’un projet de société, écrit-elle, « éminemment démocratique, basé sur la réduction des

inégalités » (Genné, 1991).

D’ailleurs, suivant la savante observation de Coquery-Vidrovitch (1992), « l’absence d’une

tradition n’entraîne pas nécessairement l’impossibilité d’une naissance plus tardive ». Ce qui nous a

conduit à tourner le regard vers la République d’Afrique du Sud dont la démocratie

constitutionnelle peut servir de modèle à l’ensemble des Etats africains, en nous basant sur l’analyse

de Xavier Philippe à travers « La démocratie constitutionnelle sud-africaine : un modèle ? » (2009).

Même si l’Etat sud-africain « fait face à de nombreuses difficultés qu’il est impossible d’ignorer,

démontrant toute la relativité qu’impose la construction d’un « modèle » », souligne Philippe. Cette

attention tournée vers l’Afrique du Sud vaut dans le cadre d’une approche visant principalement les

relations intérieures. Surtout quand naturellement, comme les contentieux postélectoraux le

démontrent dans si bon nombre de pays africains, les différents acteurs de la scène politique dans la

plupart desdits pays ont leur part de responsabilité en ce qui concerne aussi bien l’état que l’avenir

de la démocratie. C’est que, puis cela se laisse aussi percevoir aisément, il est une autre part de

responsabilité qui échappe au contrôle de ces acteurs intérieurs. En le soulignant nous avons précisé

ne pas vouloir par-là les dédouaner.

Ni la sagacité ni les multiples précautions oratoires et discursives que transpire l’ouvrage

de Dumont n’ont pu suffire quant à dissimuler ce qui se révèle, pour le cas spécifique de l’Afrique,

comme une évidence théorico-historique : les responsabilités extérieures de la dégradation de la

nature, des économies, de la politique et la situation des populations. Et Dumont laisse percevoir

aisément de connaître ces responsabilités extérieures qu’il impute grosso modo à l’ordre politique et

économique dominant de la planète. Scrutant sa condamnation de ce « vieil ordre » à travers la

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dénonciation de ses multiples contraintes par le truchement de la Banque mondiale et le Fonds

monétaire international, nous pensons être parvenus à distinguer les fondements théoriques et

sociopolitiques historiques du problème de la démocratie en Afrique.

Nous n’avons pas attribué à cet ordre dont Dumont nous inspire la représentation

phénoménologique, cependant, les mêmes fautes que celui-ci lui impute. L’auteur de Démocratie

pour l’Afrique reproche, en effet, à ce « vieil ordre » son soutien d’hier à toutes sortes de dictatures

africaines, qu’il accuse d’être les principales responsables de la faillite générale de l’Afrique que la

Banque mondiale reconnaît en 1989, d’une part. D’autre part, Dumont lui reproche sa politique

économique voire financière, essentiellement fondée sur la loi du marché alors même que cette

fameuse loi du marché s’avère fortement défavorable aux pays pauvres d’Afrique et d’ailleurs. Une

politique placée sous la direction magistrale des institutions de Bretton Woods dont Dumont dit être

les véritables responsables des économies des pays africains, partant, de leur politique.

Nous lui attribuons, et ce exclusivement au plan théorico-culturel, l’entretien à grande

échelle de l’ignorance (d’aucuns diraient lavage de cerveau) en ce qui concerne la démocratie,

pourtant source naturelle aussi bien des Monarchies constitutionnelles que des Républiques

modernes d’Europe occidentale. Il laisse percevoir la démocratie toujours et encore davantage à

travers exclusivement son antique acception politique de forme de gouvernement. Par-dessus tout,

et à la faveur de l’effondrement du communisme dans l’Europe de l’Est, il laisse croire enfin qu’elle

se fonde sur le pluralisme politique, auquel s’ajoute une cohorte de valeurs du reste aléatoires

désignées sous le syntagme « droits de l’homme ». Ce en quoi consiste en partie, avons-nous

démontré, le fondement théorique du problème de la démocratie en Afrique, avant même qu’il ne

s’y atteste de fait tous les déboires inhérents pour ainsi dire à son expérience africaine. Ainsi donc,

cet assujettissement dévoile moins la volonté réelle d’une exportation, aussi inintelligible141, de la

démocratie qu’une politique réelle d’exportation véritable de la volonté de puissance, reprochable à

cet ordre.

De plus, sur la base du principe de l’universalisme démocratique, dont nous avons relevé

les traces chez Tocqueville, nous avons souligné que les Européens n’ont pas bâti ni fondé les

modernes Etats africains, à l’instar de l’Afrique du Sud, suivant le principe démocratique de

l’égalité sociale, mise en évidence par l’auteur de Démocratie. Ce en quoi, par contre, consiste le

fondement sociohistorique dudit problème. L’exigence des études visant la démonstration de

l’universalisme démocratique, dans le cadre de la politique d’exportation de la démocratie de 1990,

procède de ce déficit historique.

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Si l’histoire ne marche pas à reculons, il est alors une exigence naturelle de regarder vers le

futur dont les fondements se conjuguent au présent. Un éternel présent qui, ne faisant forcément le

bonheur de ceux qui y participent, doit être la garantie du bonheur pour le présent à venir.

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NOTES

Il s’agit d’une crise d’hypertension, de récente apparition, qui a occasionné finalement une hospitalisation, du 11 au 18 mars 2010, à l’Unità Operativa Nefrologia e Dialisi du Centre hospitalier di Belcolle, Str Sammartinese, snc – Viterbo, Italia. 2 Pour cet ouvrage nous utilisons l’édition F. Furet : Tocqueville, de la Démocratie en Amérique I et II, Flammarion, Paris 1981. Pour la commodité du langage, nous écrirons simplement Démocratie, en nous référant directement à Tocqueville. Nous renverrons donc à cette édition, pour toutes les citations nôtres, que nous indiquerons de la manière suivante : Tocqueville, 19811, pour la parution de 1835, et, Tocqueville, 19812, pour celle de 1840 ; suivi de la pagination. Pour les allusions directes dans le corps de texte, par contre, nous le citerons sous la forme suivante : T. 19811 ou T. 19812 ; suivi de l’indication de la page. 3 A propos des conditions modernes, nous nous référons particulièrement à l’émergence de l’Etat-nation. 4 Professeur titulaire, d’abord, d’Ethique sociale, ensuite, de Philosophie morale à la Faculté, avant, et maintenant, Département de Philosophie à l’Université de Rome « La Sapienza » ; Enseignant en Master d’Ethique pratique et Bioéthique. Auteur de plusieurs publications, Francesco S. Trincia est notre Directeur de Thèse. Il a suivi nos travaux dans le cadre du Laurea Specialistica, Doctorat magistral, au cours de l’année académique 2006-2007. 5 Par exemples : R. A. Dahl, Sulla democrazia, Laterza, Roma-Bari 2006 ; H. Kelsen, La démocratie, Dalloz, Paris 2004 ; M.-L Mallet, La démocratie à venir, Galilée, Paris 2004 ; P. Manent, Enquête sur la démocratie, Gallimard, Paris 2007 ; Montesquieu, De l’esprit des lois, version numérique par J.-M Tremblay, http://pages.infinit.net/sociojmt ; Rousseau, Du contrat social, Flammarion, Paris, 2001 ; A. Sen, La démocratie des autres, Payot Rivages, Paris 2006.6 R. Dumont, Démocratie pour l’Afrique. La longue marche de l’Afrique noire vers la liberté , Editions du Seuil, Paris 1991. Tout accent mis sur les mots et les expressions, en référence à l’ouvrage est de l’auteur ; tout comme l’emploi double de l’italique et des guillemets. Nous appliquerons pour cet ouvrage aussi les mêmes indications relatives à Démocratie de Tocqueville.7 Dumont libelle ces obstacles de la manière ci-après : « Pas de démocratie « vraie » avec des paysannes quasi esclaves » (pp.22-39) ; « Pas de démocratie possible dans une Afrique étranglée par l’explosion démographique » (pp.40-65) ; « Pas de démocratie durable sans respect de l’environnement » (pp.66-80) ; « Pas de démocratie viable en Afrique tant que l’ordre politico-économique dominant continue à l’asphyxier » (pp.81-103 ) ; « Les paysanneries d’Afrique dans le carcan des encadrements » (pp.104-126) ; « Les grands barrages rapportent d’abord aux constructeurs » (pp.127-146) ; « Les gaspillages de la tyrannie en Côte-d’Ivoire » (pp.147-169) ; « L’industrialisation ratée, ou la misère des bidonvilles » (pp.170-190) ; « Les faillites de l’éducation et de la santé compromettent l’avenir de l’Afrique » (191-203) ; « Les tyrannies contre la démocratie et le développement » (pp.204-231).8 Déclaration d’Alma-Ata, du 21 décembre 1991, par onze Républiques soviétiques : La république d'Azerbaïdjan, la république d'Arménie, la république de Biélarus, la république du Kazakhstan, la république du Kyrghyzstan, la république de Moldova, la Fédération de Russie (RSFSR), la république du Tadjikistan, le Turkménistan, la république d'Ouzbékistan et l'Ukraine. Cf. http://www.ena.lu ; http://www.cvcv.eu Sources : Actualités soviétiques, dernière mise à jour le 28.6.2006 ; Documents d’actualité internationale. dir. De publ. Ministère des Affaires étrangères. 15.02.1992, n°4. Paris : La Documentation française, dernière mise à jour le 14/08/2011.9 Référence à « la conditionnalité démocratique » autour duquel plusieurs travaux ont vu également le jour. A titre d’illustration : S. Bolle, « La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France » (PDF) ; I. Biagiotti, « Discours allemand et conditionnalité démocratique » (PDF) ; La conditionnalité dans la coopération internationale, Colloque de Yaoundé, 20-22 juillet 2004, Unesco bureau de Yaoundé, en collaboration avec le Centre d’Etudes et de recherche en Droit International et Communautaire (CEDIC), la Région Lombardie et l’Université de Bergame (PDF) ; E. Iconzi, G. Belem, C. Gendron, « Conditionnalité gouvernance démocratique et développement, « dilemme de l’œuf et de la poule » ou problème de définition ? », Colloque Ouagadougou (PDF) ; M. Omballa, « Les bailleurs de fonds bilatéraux et la conditionnalité démocratique en Afrique noire francophone : le cas de la France et du Canada », Colloque Ouagadougou (PDF) ; O. Jacquemin, « La conditionnalité démocratique de l’Union européenne. Une voie pour l’universalisation des droits de l’Homme ?Mise en œuvre, critiques et bilan. » CRIDHO Working Paper 2006/03 (PDF).

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0 L’expression désigne les révolutions qui depuis décembre 2010 secouent les pays arabes, à l’instar de la Tunisie et l’Egypte où elles ont abouti au renversement des pouvoirs de Ben Ali, le 14 janvier 2011, et Hosni Moubarak, le 11 février 2011 ; d’une part, et, la Lybie, plongée dans une profonde crise depuis le mois de février 2011, soldée par la mort de M. Kadhafi. Pour le seul cas des pays africains. Il faut signaler dans le cadre de ce printemps arabe les manifestations enregistrées à ce jour en Mauritanie, au Soudan et au Maroc. 1 Expression chère à J.-F. Bayart. Il la reprend dans « La révolution tunisienne », publié sur Wordpress.com par M. Mouloud le 20 janvier 2011 et consultable en ligne sur :

http://bouteillealamer.wordpress.com/2011/01/20/la-revolution-tunisienne-vue-par-jean-francois-bayart/ (Date et heure de la consultation : 12 août 2011 à 00.36).2 J. Chirac, alors président de la République française, devant les deux chambres réunies du Parlement congolais, le jeudi 18 juillet 1996.3 En RDC, Joseph Kabila, général major des Forces armées congolaises, fils du président de République Laurent D. Kabila et chef d’Etat-major des FAC succède à son père, en janvier 2001, après la mort de celui-ci, dans les conditions non démocratiques ; au Togo, Faure E. Gnassingbé, ministre des télécommunications et fils du président Gnassingbé Eyadema, succède à son père après sa mort, pareillement, en février 2005 ; enfin, au Gabon Ali Ben Bongo, ministre de la défense et fils du président de la République Omar Bongo, succède lui à son père après la mort de ce dernier, en 2009, suite à une élection très peu démocratique. 4 Sartori se livre à l’analyse de ces théories dans Democrazia (1993) où il se réfère principalement à E. Barry Holden (1974) qui, selon lui, organise par surcroît son analyse précisément autour de cinq bases de théories démocratiques : radicale, néo-radicale, pluraliste, élitiste et libérale-démocratique ; puis, en une note, à D. Held (1987) qui le fait autour de bien neuf modèles.5 F. S. Trincia, « La verità della democrazia », Communication à la XXIIIe Convention Nationale de Philosophie sur le thème : Democrazia, Verità, Plurarismo, Université « Roma Tre », Faculté de Science de la Formation, salle « Franco Volpi », Rome, 5-7 mai 2011.6 Cf. R. Nkassa, Autoritarisme et démocratie : deux formes de gouvernement en crise en République du Congo. Vers la justification philosophique de l’idée d’une moralisation politique au Congo-Brazzaville, Thèse de « Laurea Specialistica » (Doctorat magistral – DEA) sous la direction de Francesco S. Trincia, Faculté de Philosophie, Département de Philosophie et Etudes Théorico-critiques, Université de Rome « La Sapienza », Rome 2007. 7 Choix de l’auteur d’utiliser l’italique sur le mot en Français plutôt que sur le mot en Anglais. Nous respecterons ce choix. 8 Cependant, André jardin observe que : « Sur deux cent quatre-vingt-six jours passés dans le Nouveau Monde et deux cent soixante et onze aux Etats-Unis, cent quarante jours l’ont été dans les grandes villes, soit la moitié du séjour. Le grand voyage dans le Sud (soit l’itinéraire Nashville, Nouvelle-Orléans, Washington), malgré des avatars que nous raconterons, n’a duré que quarante jours et si l’on compte encore comme séjour dans le Sud le temps passé à Baltimore, on arrive à un total de moins de cinquante jours. Dans ce séjour déjà rapide aux Etats-Unis, le Sud a donc été plus particulièrement sacrifié, trop pour que les voyageurs puissent pénétrer vraiment l’esprit de ce vieux Sud à la société complexe dont l’aristocratie avait joué un si grand rôle dans l’histoire de la jeune république. Michel Chevalier établit alors une distinction restée classique entre deux types d’Américains, le Yankee et le Virginien. Tocqueville a surtout observé et écouté le premier. » A. Jardin, Alexis de Tocqueville 1805-1859, Hachette, Paris 1984, p.104.19 Accent de l’auteur que nous respecterons, naturellement dans le cas de référence directe à Tocqueville.20 Déjà, dans l’introduction à la Démocratie, Tocqueville illustre ce que nous pouvons considérer comme les dérives de la religion. Telles dérives ne permettent pas de déduire que la formation religieuse suffit quant à fournir une garantie a priori et, surtout, inéluctable pour le triomphe de la liberté. Se référant au christianisme, il écrit notamment que : « Le christianisme, qui a rendu tous les hommes égaux devant Dieu, ne répugnera pas à voir tous les citoyens égaux devant la loi. Mais, par un concours d’étranges évènements, la religion se trouve momentanément engagée au milieu des puissances que la démocratie renverse, et il lui arrive souvent de repousser l’égalité qu’elle aime et de maudire la liberté comme un adversaire, tandis qu’en la prenant par la main, elle pourrait en sanctifier les efforts. » Cf. T. 19811, p.66.21 Nous ne voudrions pas, sur tous les plans, mettre en cause la démocratie athénienne en soutenant par exemple qu’elle n’en est pas une, comme d’aucuns le pensent du point de vue historiographique, sur la base de la diversité et la variété des théories modernes de la démocratie. Loin de là. Il y a cependant un détail très important de l’analyse de Tocqueville sur la démocratie américaine qui suffit à sous-entendre la différence substantielle entre les deux

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démocraties, au double point de vue théorico-spéculatif et historico-politique, et, qui marque aussi une rupture nette entre la démocratie antique et la démocratie moderne : « La démocratie, telle que n’avait point osé la rêver l’antiquité, s’échappait toute grande et toute armée du milieu de la vielle société féodale. » Cf. T. 19811, p.95. Pierre Manent met en évidence dans un assez long passage sur « La définition de la démocratie » l’introduction dans l’histoire humaine d’« une mutation radicale du lien social à la lumière de laquelle les régimes politiques que la tradition jugeait essentiellement différents n’apparaissent plus distingués que par des nuances. C’est parce qu’il a la perception la plus vive de cette mutation que Tocqueville peut mettre ensemble – espèces d’un même genre aristocratique – la démocratie athénienne et l’Ancien Régime européen. » Cf. P. Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Gallimard, Paris 1993, p.26. 22 Ces citations partent de la page 92 de notre édition de référence. 23 Elle stipule : « J’ai toujours cru, dit-il, que c’était un devoir sacré pour nous, dont les pères ont reçu des gages si nombreux et si mémorables de la bonté divine dans l’établissement de cette colonie, d’en perpétrer par écrit le souvenir. Ce que nous avons vu et ce qui nous a été raconté par nos pères, nous devons le faire connaitre à nos enfants, afin que les générations à venir apprennent à louer le Seigneur ; afin que la lignée d’Abraham son serviteur et les fils de Jacob son élu gardent toujours la mémoire des miraculeux ouvrages de Dieu ( Ps. cv, 5, 6). Il faut qu’ils sachent comment le Seigneur a apporté sa vigne dans le désert ; comment il l’a plantée et en a écarté les païens ; comment il lui a préparé une place, en a enfoncé profondément les racines et l’a laissée ensuite s’étendre et couvrir au loin la terre (Ps. lxxx, 13, 15) ; et non seulement cela, mais encore comment il a guidé son peuple vers son saint tabernacle, et l’a établi sur la montagne de son héritage (Exod., xv, 13). Ces faits doivent être connus, afin que Dieu en retire l’honneur qui lui est dû, et que quelques rayons de sa gloire puissent tomber sur les noms vénérables des saints qui lui ont servi d’instruments. » T. 19811, p.92.24 André Jardin souligne le fait que Tocqueville « observe dans l’ensemble de la société américaine, à côté des vices des classes moyennes, leurs vertus : sérieux et obéissance à une loi morale qui s’impose à l’ensemble du peuple américain. Cela se rattache à l’emprise de la religion sur les mœurs, sensible dès le premier contact, par opposition avec l’esprit antireligieux d’une grande partie des républicains ou de la gauche libérale en France. Et Tocqueville y devine une des clés qui permettent de comprendre l’esprit de la société démocratique des Etats-Unis. » A. Jardin, Alexis, cit., p.112. 25 Préambule que voici : « Attendu (…) que Satan, l’ennemi du genre humain, trouve dans l’ignorance des hommes ses plus puissantes armes et qu’il importe que les lumières qu’ont apportées nos pères ne restent point ensevelies dans leur tombe ; – attendu que l’éducation des enfants est un des premiers intérêts de l’Etat, avec l’assistance du Seigneur… » T. 19811, p.101. Un peu plus bas, Tocqueville estime que : « Le lecteur aura sans doute remarqué le préambule de ces ordonnances ».26 Par rapport à notre édition de référence, la première citation de Tocqueville de ce Code of 1650 apparaît à la page 97.27 A. Comte, Philos. Posit., t.4, 1893[1839], p.320. Cf. Définition de « sagacité » dans le Dictionnaire français en ligne sur http://www.cnrtl.fr/definition/sagacite 28 Lamberti écrit : « La civilisation anglo-américaine, affirme-t-il, est le produit… de deux éléments parfaitement distincts, qui ailleurs se sont fait souvent la guerre, mais qu’on est parvenu, en Amérique, à incorporer en quelque sorte l’un dans l’autre, et à combiner merveilleusement. Je veux parler de l’esprit de religion et de l’esprit de liberté. » J.- C. Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, PUF, Paris 1983, pp.35-36.29 Une mise en garde que voici : « et ce point de départ doit sans cesse être présent à la pensée ».30 Les recherches épistémologiques de Lamberti sur l’œuvre de Tocqueville sont vraiment de tailles et en tout cas très louables ; elles correspondent à son but de démontrer l’origine française de la Démocratie. Seulement, à quelque endroit, elles jettent la confusion plutôt que la lumière là où la seule analyse du « texte final » de Tocqueville suffirait pour en tirer une compréhension plus ou moins adéquate de sa pensée. L’expérience démontre que les brouillons, les notes et les travaux préliminaires relatifs à une œuvre n’ont presque jamais échappé à des révisions comme des mises en question répétées avant la phase finale qui seule compte dans l’appréhension de la pensée de son auteur. Aussi, paraît-il simplement trop exagéré vouloir prendre pour dit ce qu’on découvre dans un brouillon, une note de voyage ou une ébauche par rapport à ce qu’on peut lire dans un travail fini. Surtout si le texte final contredit tous les autres qui le précèdent. 31 Ce détail n’échappe nullement à l’esprit très aiguisé de Lamberti, car il fait une observation analogue à propos de Mill. Il écrit : « Stuart Mill d’ailleurs ne s’y est pas trompé : il a remarqué que, dès la seconde moitié de la Démocratie de 1835, la comparaison systématique de l’aristocratie et de la démocratie accompagne l’analyse de la démocratie

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américaine, et que la réflexion sur les tendances générales de la démocratie commence là, et non seulement dans la Démocratie de 1840, comme on le croit souvent. Mais Stuart Mill omet de préciser que la deuxième moitié des volumes de 1835 traite de la démocratie au sens politique du terme tandis que les trois premières parties de l’ouvrage de 1840 traitent de la démocratie comme état social. » J.-C. Lamberti, Tocqueville, cit., p.133.32 Cette synonymie est aussi mise en évidence par M. James Schleifer en tant que la dixième signification du terme « Démocratie » chez Tocqueville, parmi un peu plus d’une dizaine d’autres définitions dont il établit également une liste dans The making of Tocqueville’s Democracy in America (Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1980), ainsi que rapporte Jean-Claude Lamberti. Précisément, dans la première partie et au chapitre premier de son Tocqueville et les deux démocraties, Lamberti écrit : « Les lecteurs de Tocqueville, et, plus souvent, ses commentateurs, se plaignent de l’imprécision de son vocabulaire et remarquent que le terme de « Démocratie », malgré la place centrale qu’il occupe dans sa pensée et dans son œuvre, n’a jamais reçu de définition rigoureuse. Les analystes en décèlent au moins une demi-douzaine de significations distinctes et dans un remarquable ouvrage, paru récemment, M. James T. Schleifer, établit une liste qui ne comporte pas moins de onze significations différentes. » Et nous trouvons le résumé de cette liste de Schleifer par Lamberti dans la note 14 de ce premier chapitre de la première partie de son Tocqueville. Du reste, Lamberti ne manque pas de dire son mot : « En vérité, il y a des relations nombreuses – mais quelquefois incertaines – entre les divers sens, et sans prétendre écarter toute ambiguïté, nous croyons que les emplois du terme « Démocratie » se regroupent autour de deux significations principales et renvoient, soit au régime politique défini par le gouvernement du peuple, soit, plus fréquemment, à un état de la société caractérisé par l’égalité tendant vers elle. » J.-C. Lamberti, Tocqueville, cit., p.28 ; 9. D’ailleurs, abordant lui aussi, pour sa part, la première partie de son Tocqueville, Lucien Jaume, qui se réfère particulièrement au même texte de Schleifer, à ce propos, écrit : « Le terme de démocratie chez Tocqueville a de multiples sens, comme l’ont signalé les commentateurs ; James Schleifer en dénombre jusqu’à onze. » En note, cependant, il précise : « L’auteur estime que Tocqueville hésite, ne choisit pas toujours. L’un des sens adoptés, qui n’est pas le plus fréquent, identifie la démocratie à la classe moyenne et industrielle : nous allons le retrouver chez son contemporain Michel Chevalier. » Un usage métonymique à travers lequel, en comparaison avec l’aristocratie désignant alors « un groupe stable dans son assise » mais en perdition de son « levier du privilège social et politique depuis 1789, « la démocratie signifie un groupe social en ascension ». L. Jaume, Tocqueville, Fayard, 2008, p.28. 33 Cette confusion semble bien subsister dans le corps même de Démocratie où à certains endroits des expressions telles que « une pure démocratie » (T. 19811, p.18) et ou « une base plus démocratique » (T. 19812, p.370), prises dans leur contexte, font dresser les nerfs au lecteur. Cependant, au-delà de cette confusion, liée au langage, Tocqueville perçoit et conçoit la démocratie, ainsi qu’il emploie le terme dans les cas extrêmes, purement et simplement au sens d’égalité. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre Tocqueville quand il recourt au concept sans aucune indication particulière. Par exemple quand il parle de la pénétration ou l’introduction de la démocratie dans le monde de la politique. Nous ne sommes pas très loin de Jaume. Dans la France de la Restauration, stipule-t-il, la démocratie signifie : « l’égalité civile fondée par la Révolution » (1) ; « l’accroissement du bien-être pour des couches qui accèdent au pouvoir ou, du moins, peuvent espérer entrer un jour dans l’électorat (système censitaire) et pour le moment tentent de peser sur la formation de l’opinion » (2). Mais, évoquant dans une note, (note 2, p.28), la lettre de Tocqueville à son cousin Camille d’Orglandes, du 29 novembre 1834, il stipule : « Tocqueville observe que la démocratie pour lui n’est pas la république, mais « un état de la société », ce qui donne une première indication principale, état tendant à « l’égalité absolue des conditions » et tel que « tout le monde prendrait plus ou moins part aux affaires. » Cf. L. Jaume, Tocqueville, cit., p.28. Notre attention porte en particulier sur l’« égalité » qui occupe le premier place dans l’« éventail du terme « démocratie » ainsi qu’il se dessine sous la plume de Jaume et avec lequel, à son époque, Tocqueville doit compter, à en croire Jaume. En plus des trois aspects ici mis en évidence – l’égalité, la bourgeoisie et le régime – s’ajoute un quatrième, à savoir : le suffrage. Cf. L. Jaume, Tocqueville, cit., p.30. 34 En plus de l’égalité des conditions, et seulement dans l’introduction, Tocqueville désigne la démocratie par diverses autres expressions telles que : la pénétration ou l’introduction de l’égalité dans le gouvernement ; mouvement social ; l’état de société ou état social ; révolution sociale ou révolution irrésistible ; développement graduel et progressif de l’égalité ; égalisation des conditions ; etc.35 La philosophie de l’histoire de Tocqueville est d’ordre religieux, note également Emile Mireaux qui s’appuie sur le passage suivant de l’auteur de la Démocratie : « Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les évènements, comme tous les hommes, servent à son développement. » Cf. E. Mireaux, « Tocqueville et la démocratie », Communication de la Séance publique annuelle, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, du 7 décembre 1959.

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36 Se référant spécifiquement à la situation de la France, Tocqueville parle du pouvoir royal dont l’aristocratie constitue l’état social.37 Le gouvernement de la démocratie fait l’objet de la deuxième partie du premier volume de Démocratie.38 Le premier et vrai emploi se trouve dans le chapitre premier, à la page 81 de notre édition de référence. Tocqueville se réfère aux Indiens peuplant le territoire d’Amérique avant l’arrivée des Européens. Le second quant à lui, au lieu du spécifique « l’état social » est, plutôt, « état politique et social » qu’on peut retrouver dans le deuxième chapitre, à la page 87. Là, parlant certes de l’Amérique, l’auteur discourt précisément sur le « point de départ et de son importance pour l’avenir des Anglo-Américains ». 39 « Ce n’est donc pas seulement pour satisfaire une curiosité, d’ailleurs légitime, que j’ai examiné l’Amérique ; j’ai voulu y trouver des enseignements dont nous puissions profiter. On se tromperait étrangement si l’on pensait que j’aie voulu faire un panégyrique ; quiconque lira ce livre sera bien convaincu que tel n’a point été mon dessein ; mon but n’a pas été non plus de préconiser telle forme de gouvernement en général ; car je suis du nombre de ceux qui croient qu’il n’y a presque jamais de bonté absolue dans les lois ; je n’ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche me semble irrésistible, était avantageuse ou funeste à l’humanité ; j’ai admis cette révolution comme un fait accompli ou prêt à s’accomplir, et, parmi les peuples qui l’ont vue s’opérer dans leur sein, j’ai cherché celui chez lequel elle a atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d’en discerner clairement les conséquences naturelles, et d’apercevoir, s’il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes. » T. 19811, pp.68-69. 40 Nous avons constaté que Tocqueville s’affectionne davantage aux termes « système » et « constitution » plutôt qu’à l’expression « forme de gouvernement ».41 Dans le texte de Tocqueville on peut lire : « Gênée dans sa marche ou abandonnée sans appui à ses passions désordonnées, la démocratie de France a renversé tout ce qui se rencontrait sur son passage, ébranlant ce qu’elle ne détruisait pas. On ne l’a point vue s’emparer peu à peu de la société, afin d’y établir paisiblement son empire ; elle n’a cessé de marcher au milieu des désordres et de l’agitation d’un combat. Animé par la chaleur de la lutte, poussé au-delà des limites naturelles de son opinion par les opinions et les excès de ses adversaires, chacun perd de vue l’objet même de ses poursuites et tient un langage qui répond mal à ses vrais sentiments et à ses instincts secrets. De là l’étrange confusion dont nous sommes forcés d’être les témoins. » T. 19811, p.66.42 Au sortir de la guerre de l’Indépendance, la nation américaine se trouva divisée entre deux opinions : l’une voulait restreindre le pouvoir populaire et l’autre voulait l’étendre indéfiniment. Les fédéralistes appartenaient au parti qui voulait restreindre le pouvoir populaire en cherchant à faire l’application de leurs doctrines à la Constitution de l’Union. Ce qui valut à ce parti le nom de fédéral. Cf. T. 19811, p.258.43 Vers la fin de son introduction à la Démocratie, Tocqueville écrit : « Je ne sais si j’ai réussi à faire connaître ce que j’ai vu en Amérique, mais je suis assuré d’en avoir eu sincèrement le désir, et de n’avoir jamais cédé qu’à mon insu au besoin d’adapter les faits aux idées, au lieu de soumettre les idées aux faits. » T. 19811, p.70.44 « Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les évènements, comme tous les hommes, servent à son développement. » T. 19811, p.60.45 Nous la retrouvons cependant chez Keslassy dans « Une première approche de la démocratie au sens de Tocqueville ». Notamment, dans l’affirmation suivante : « Dans De la Démocratie en Amérique, Tocqueville théorise le changement social en s'efforçant de comprendre le passage d'un état social aristocratique à un état social démocratique. Ce qui le rend possible, c'est la progression durable et irrésistible de l'égalité des conditions. Il s'agit d'abord d'une égalité politique et juridique : une égalité des droits. » E.Keslassy, « Une première approche de la démocratie au sens de Tocqueville », sur : http://tocqueville.ifrance.com/pensees/index_frame_pensees.html (date et heure de la consulté le 20 mai 2011 à 15h55).46 Pour le peuple américain qui a opté pour la souveraineté du peuple, Tocqueville en décrit les principales causes dans le chapitre IX : « Des causes principales qui tendent à maintenir la république démocratique aux Etats-Unis ». T. 19811, pp.379-425.47 Tocqueville observe qu’il se rencontre dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau et réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté ; en même temps que les peuples dont l’état social est démocratique aiment l’égalité d’un amour éternel. Cf. T. 19811, p.115.

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48 Notamment à travers le passage suivant : « Il entre dans cette élaboration une part de fatalisme, un consentement à l’inévitable qui correspond à l’expérience historique du milieu : c’est la marche vers la démocratie de plus en plus complète qui définit le sens de l’évolution mis en évidence par la Révolution française. Mais Tocqueville n’en recherche pas les raisons, à cette époque du moins. A la différence de Marx, par exemple, pour qui le sens de l’histoire est démontrable, et la fin du capitalisme déductible des lois économiques qui le gouvernent, il pose comme un axiome ou comme une évidence, que l’humanité marche à grands pas vers l’âge démocratique. Ce n’est pas un raisonnement, mais tout juste la traduction abstraite, conforme à la nature de son génie, de son expérience vécue et de celle de son milieu. Idée qui d’ailleurs n’est pas nouvelle (bien qu’il ait contribué puissamment à la répandre), et qu’on trouve chez bien des auteurs de l’époque, et même dans son milieu (son parent Chateaubriand, par exemple), mais qui est le seul, une fois qu’il l’a posée comme point de départ, à vouloir approfondir et explorer sous tous ses aspects. Il l’entend à des niveaux divers, culturel, social, politique, mais dont seuls les deux premiers définissent pour lui la part de l’inévitable : en effet, si les sociétés de son temps lui paraissent poussées par une sorte de fatalité vers une croyance de plus en plus générale à l’égalité, et vers une égalisation de plus en plus grande des conditions, les formes politiques dont cette évolution peut s’accompagner continuent à dépendre des choix humains. Le problème qui va dominer sa vie intellectuelle de bout en bout est donc moins celui des causes de l’égalité, que celui de ses conséquences sur la civilisation politique. Démarche et problématique, là encore, aux antipodes de celles Marx. Marx s’intéresse aux lois de la structure économique et aux rapports entre l’économique et le social, d’où il a tendance à « déduire » le politique. Tocqueville explore les relations entre le principe qui gouverne les sociétés et le type de régime politique qui peut en découler, sans que cet enchainement soit jamais nécessaire. » Cf. T. 19811, pp.11-12.49 Entretemps, dans les faits, l’histoire suit son cours normal à travers lequel les nations d’Europe, à l’instar de la France, se trouvent placées sous le joug vacillant et trouble des pouvoirs monarchiques de source aristocratique qui traduisaient, pour reprendre Mill (1994, 50), l’état de présente transition démocratique dont Tocqueville peint de façon trop sombre le tableau.

50 Pourtant Benoît résume lui aussi cette alternative formulée par Tocqueville en termes de démocratie et despotisme : « En son temps, écrit-il, Tocqueville prévenait déjà son lecteur que, désormais, l’alternative politique se réduirait à choisir entre la démocratie et le despotisme ». Précisant, il ajoute : « L’auteur de La démocratie en Amérique met clairement en évidence que, contrairement à l’opinion naïve, démocratie et despotisme ne sont pas antinomiques : la démocratie peut être despotique en elle-même ou conduire au despotisme. « Despotisme doux » de l’État tutélaire et providentiel dans un cas, despotisme dur dans l’autre. » Comme pour laisser entendre par démocratie, le « despotisme doux de l’Etat tutélaire » ; et par despotisme, « le despotisme dur ». Cf. J.-L. Benoît, « Restaurer la démocratie », Conférence prononcée le 23 avril 2006 pour l’Institut de Défense de la Démocratie, Réflexion sur la situation actuelle de la démocratie en France, http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/restaurer_la_democratie/restaurer_la_democratie.html 51 Mill stipule que : « les idées de M. de Tocqueville ne sont pas du genre de celles qui flottent légèrement sur un océan de mots, aucune de ses propositions n’est vide de sens, aucune de ses pensées superflue, aucun paragraphe n’aurait pu être omis sans diminuer la valeur de l’ouvrage. » J. S. Mill, Essais, cit., p.54.52 Dans le cadre historique dont l’Amérique offre la première illustration moderne.53 Dans le cadre théorique ou philosophico-spéculatif de l’analyse de Tocqueville, en alternative à la souveraineté du peuple.54 En l’absence d’un autre principe dans Démocratie, ce principe vaudrait légitimement pour l’une et l’autre forme de gouvernement démocratique : la souveraineté du peuple et le pouvoir absolu ou le despotisme. Nous pouvons voir dans cette unicité du principe de la souveraineté du peuple pour les deux gouvernements de la démocratie, la conviction philosophico-politique de Tocqueville au sujet du caractère foncièrement démocratique du pouvoir absolu ou le despotisme par lui postulé. Cependant, il n’est pas établi que cette absence exclue, au plan théorique, la possibilité de déduire un principe spécifique applicable au pouvoir absolu ou le despotisme au sens de Tocqueville. Nous nous réservons le droit d’une extrapolation philosophique que pourtant le silence même de Tocqueville autorise de faire. 55 Cette « démocratie indirecte » ou « démocratie représentative » désigne le trait distinctif de la démocratie moderne, la ligne de démarcation de la démocratie antique, plutôt déduite de l’analyse tocquevillienne de la société américaine. Mais, Tocqueville parle de Système ou de Constitution politique que peut se donner la démocratie, c’est-à-dire l’état social égalitaire, sans que le système ou la constitution des Américains ne soit le seul ou la seule ni le ou la meilleur (e). Par conséquent, il ne s’agit pas absolument, à proprement parler, de la démocratie comme régime politique, une forme d’Etat ou de gouvernement. Puisqu’il est une autre forme de gouvernement démocratique, que le même Tocqueville préconisait pour les nations d’Europe, à l’instar de la nation française, dévastées alors par la

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révolution démocratique, et qui n’a rien à voir avec le système ou la constitution politique des Etats-Unis : ce que, à la lumière du propos même de Tocqueville, nous appelons le despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple. Traduit en termes pratiques : la monarchie constitutionnelle, qui, pour être démocratique, doit provenir de la volonté populaire. Aux yeux de Tocqueville, la souveraineté du peuple qui décrit le régime politique des Américains fonctionne sous la forme de la représentation dès lors que le peuple souverain, pour synthétiser ainsi Tocqueville, participe à la composition des lois par le choix des législateurs, à leur application par l’élection des agents du pouvoir exécutif tout en restant lui-même le maître absolu de qui émane les pouvoirs aussi bien du législateur que du gouverneur et entre les mains duquel ils s’absorbent. Pour ce dernier détail, cf. T. 19811, p.120. 56 Quant aux régimes politiques auxquels se réfère l’auteur, il s’agit naturellement de la démocratie athénienne et l’Ancien Régime européen. Manent, Tocqueville, cit., p.26..57 Expression empruntée à S. Goupil dans son article : « Une lecture postmoderne de la démocratie » in Politique et Sociétés, vol. 16, n° 3, 1997, p. 49-65. Version numérique sur : http://id.erudit.org/iderudit/040082ar Document téléchargé le 20 mai 2011 04:24.58 R. Dumont, Démocratie pour l’Afrique. La longue marche de l’Afrique noire vers la liberté, Editions du Seuil, Paris 1991. Tout accent mis sur les mots et les expressions, en référence à cet ouvrage est de l’auteur, tout comme l’emploi double de l’italique et des guillemets. Nous appliquerons pour cet ouvrage aussi les mêmes indications relatives à Démocratie de Tocqueville. Toutes les citations nôtres serons donc indiquées de la manière suivante : D. 1991, suivi de l’indication de la page.59 Suivant les termes mêmes de son auteur, il est « le résultat d’une aventure imprévue » cf. D. 1991.60 En effet : « En août 1989, l’Association démocratique des Français de l’étranger (ADFE) – association politique « de gauche » des Français expatriés, qui votent au Parlement – nous demandait, à Charlotte Paquet et à moi-même, de donner une série de conférences en Afrique occidentale francophone. » D. 1991, p.7. Cependant, il émerge de la lecture de l’ouvrage de Dumont que ce dernier n’est pas là à son premier séjour en Afrique. 61 Dumont écrit à propos : « Nous allons étonner nos amis en situant cette étude dans le cadre d’une « longue marche » de l’Afrique vers la démocratie. » D. 1991, p.10. 62 Après avoir évoqué la répression brutale d’une manifestation d’étudiants nigériens, du 9 février 1990, qui avait fait officiellement trois morts, Dumont écrit : « Cette tournée de conférences prenait ainsi un tour politique, et, par là, inquiétait les autorités en place. » D. 1991, p.8.63 Dumont écrit : « J’ai évidemment – nous avons dû – surveiller nos paroles. Certes, nous n’avons pas caché nos positions pour la démocratie, et d’abord pour le respect du droit des femmes. Tout ceci, sans pousser les jeunes à la violence, aux résultats incertains, et dont nous ne pouvions partager les risques » D. 1991, p.9.64 R. Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Ed. du Seuil, 1962 (1966). Ici, l’auteur définit cette œuvre comme une : « Etude fort critique, tout à la fois de l’ordre néo-colonial qu’installait la France, et des nouveaux dirigeants africains ». D. 1991, p.8.65 Au sujet naturellement de ses auditeurs africains Dumont écrit : « Beaucoup d’entre eux étaient fort désireux de rencontrer, d’entendre et de questionner un homme « à part » – pour eux, il est d’abord et avant tout l’auteur de L’Afrique noire est mal partie publié en octobre 1962. » D. 1991, pp.7-8.66 Cf. note 60. 67 Pour exactitude sept (7). Sur l’invitation de l’ADFE, Dumont a donné les conférences au Niger, Mali, Sénégal, Cameroun, Togo ; en Guinée et en Côte-d’Ivoire. Cependant : « L’Afrique comprend 49 pays en incluant Madagascar et 54 en incluant tous les archipels. » Cf. « Afrique », Wikipédia (date et heure de consultation : 16.9.2011 à 22h05).68 Entendre : les difficultés économiques et financières ainsi que les agitations sociopolitiques que traversaient alors presque tous les pays d’Afrique situés au sud du Sahara.69 Le processus démocratique guettait l’Afrique dès l’année 1989 avant même la chute, en novembre, du mur de Berlin. Pour reprendre, sur ce spécifique et emblématique cas béninois, M. Dénis Sassou-Nguesso, l’alors président de la République populaire du Congo : « Le Bénin était en train de vivre cette expérience. Elle se déroulait de façon préoccupante. Les difficultés économiques et financières qu’il traversait se traduisaient par des tensions sociales graves. Les milieux syndicaux et les jeunes s’agitaient, une remise en question générale de l’ordre établi était perceptible (…) Un mouvement destiné à déstabiliser des régimes en place avait été engagé. Au Bénin, il déboucha sur une Conférence nationale organisée pour débattre d’élections démocratiques. » Sassou N’Guesso, Le manguier, le fleuve et la souris, JC Lattès, 1997, p.71. Puis, l’article détaillé « République populaire du Bénin » (1974-1990) : « Dans

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les années 1980, la situation économique du Bénin est de plus en plus critique. En 1987, les plans du FMI imposent des mesures économiques draconiennes : prélèvements supplémentaires de 10 % sur les salaires, gel des embauches, mises à la retraite d'office. En 1989, un nouvel accord avec le FMI sur un programme d'ajustements des structures économiques déclenche une grève massive des étudiants et des fonctionnaires. Le Bénin entame une transition démocratique conjointement avec le processus de réformes économiques. Un gouvernement de transition, mis en place en 1990, ouvre la voie au retour de la démocratie et du multipartisme. Le Premier ministre, Nicéphore Soglo, bat Mathieu Kérékou à l'élection présidentielle de mars 1991. » Cf. Wikipédia (date et heure de la consultation : 17.9. 2011 à 10h55). Enfin, le « Rapport introductif n°1. L’expérience béninoise de la Conférence nationale » au point : « La situation de l’année 1989 donna corps à l’idée de Conférence nationale » ; particulièrement, sur « La banqueroute de l’Etat ». L’auteur écrit : « La situation à laquelle a conduit, en 1989, la politique économique et financière pratiquée se trouve résumée avec bonheur dans ces propos du Ministre Richard Adjaho, Inspecteur des Finances de son état : (…) Il n’est plus nécessaire de développer ce point. Il suffit de constater que l’État en banqueroute ne pouvait plus payer ni salaires, ni pensions de retraite, ni bourses. Conséquence : de janvier à août 1989 tout le secteur public, y compris les trois ordres d’enseignement, s’est successivement mis en grève illimitée inaugurée par les étudiants dès le début du mois de janvier. Plus rien ne tournait. Le pays était paralysé. Plus grave : l’État dans sa panique réprimait sans discernement ; l’aile extrémiste du mouvement de grève vitriolait travailleurs et étudiants suspectés d’être des « jaunes ». Des comités d’action se forment à l’instigation du parti Communiste du Dahomey. C’est sur cette toile de fond qu’eut lieu le renouvellement de l’Assemblée Nationale Révolutionnaire. Les Assemblées électorales de base, chargées de dégager par catégories professionnelles les candidats devant figurer sur la liste nationale unique furent parfois très tendues et la formalisation du vote intervenu le 18 juin 1989 révéla le désintérêt total des électeurs. Les deux Commissaires du peuple (députés) représentant la catégorie des enseignants de l’Université Nationale du Bénin furent reçus à leur demande par le président de la République, le 28 juillet 1989. » R. Dossou, « Rapport introductif n°1. L’expérience béninoise de la Conférence nationale » http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/1592. 70 En effet, introduisant « Comment en est-on arrivé là ? ou la « longue marche », semée d’obstacles, vers la démocratie en Afrique », première partie de son ouvrage, Dumont écrit : « L’année 1989 a vu réussir – sauf peut-être en Roumanie – l’ouverture démocratique non violente (qui n’est certes pas terminée, mais qui progresse à grands pas) dans l’Europe du Centre et de l’Est. 1990 voit se développer les premières tentatives de construire des démocraties en Afrique tropicale dans les conditions économiques, culturelles et sociales très différentes de celles régnant dans cette partie de l’Europe, ce qui rend l’entreprise bien plus difficile » D. 1991, p.19.71 Banque mondiale, L’Afrique subsaharienne. De la crise à une croissance durable, Washington 1989, cité par Dumont.72 Il s’agit, ici, d’étapes déductibles de l’analyse de Dumont des obstacles principaux à la possibilité de construction des démocraties en Afrique. Elles diffèrent, partant, de celles qu’il évoque dans la seconde partie de Démocratie pour l’Afrique dans laquelle il essaie d’éclairer la voie aux futures générations de politiques Africains. Nous analyserons ces étapes de Dumont lorsque, dans le troisième et dernier chapitre, nous aborderons les fondements du problème de la démocratie en Afrique. 73 Il s’agit d’un schéma typique suivi tantôt de manière plus ou moins douce tantôt de manière plus ou moins violente dans presque tous les pays africains situés au sud du Sahara, dont la République du Congo, notre pays d’origine et d’appartenance (manière plus ou moins douce), entrainés par ce qu’à l’époque on désignait par : « le vent de l’Est ». D’ailleurs, à en croire Pierre Rosanvallon : « Ces différentes « transitions » à la démocratie, avec leurs problèmes, ont été analysées dans de multiples ouvrages qui forment une énorme bibliothèque. La « transitologie » est ainsi devenue dans ce contexte une sous-discipline particulièrement florissante de la science politique. » P. Rosanvallon, « L’universalisme démocratique : histoire et problèmes », article paru en ligne sur www.laviedesidees.fr, le 17 décembre 2007. Cependant, sur la base de l’« Historiographie de la quête de la démocratie en Afrique centrale (1960-2001) » de Goma-Thethet (consultable en format PDF), la lutte armée supplantait la conférence nationale souveraine au Rwanda et au Tchad ; tandis que l’application de la Constitution ou d’une loi spécifique assurait le passage au multipartisme de fait au Cameroun et au Burundi.74 A titre de rappel, l’étude de Dumont est publiée en 1991. De cette année à 2011, il fait exactement vingt ans. 75 L. Brown et al., L’Etat de la planète 1989, Paris, Economica, 1989 cité par Dumont. Cf. D. 1991.76 D. 1991, p.51.77 Car, écrit-il : « Eux aussi refusent de regarder la vérité en face. S’ils continuent, d’ici une quinzaine d’années ils risquent d’être obligés d’adopter une série de contraintes sexuelles aussi féroces que celles qu’ont appliquées les Chinois en 1990, sous peine de misères accrues et d’une dépendance économique et politique telle que les contraintes actuelles du FMI leur apparaîtraient alors bien minimes. » D. 1991, p.54.

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78 En rapport avec la date de publication de l’étude de Dumont – février 1991 – vingt ans viennent de s’écouler.79 Nations unies, Population, n° 28, 1989, article de Léon Tabah. Note de Dumont. D. 1991, p.57.80 Forme de villages Ujamaa préconisée par Julius K. Nyerere qui proposait pour son pays un socialisme modéré « à l’africaine » dans la déclaration d’Arusha du 5 février 1967. Selon l’esprit d’Arusha, « les villages Ujamaa doivent être des organisations socialistes, créées par le peuple et gouvernées par ceux qui y vivent et y travaillent. » L’Association de développement de Ruvuma, citée en exemple par Nyerere, appliquait déjà tels principes. D. 1991, pp.108-109. 81 Dumont spécifie que : « on la disait fonctionnelle dans la mesure où les textes d’apprentissage de la lecture portaient sur le métier qu’exerçaient les élèves ou auquel ils se destinaient. En douze semaines, un jeune adulte apprend à lire, à écrire et à compter. » D. 1991, p.193. 82 Dumont insiste cependant sur un détail qu’il précise : « oui mais seulement, nous le soulignions dès 1934 avec Jacques Douboin, sur la demande solvable » D. 1991, p.81. 83 Dumont en note : « Roger Cans, Le Monde poubelle, Paris, First, 1990. Cet été 1990, la mer du Nord est pire que jamais. « Elle est foutue », nous dit un gosse du pays. » D. 1991, p.82.84 Nous trouvons cette expression dans le Manifeste du Cours de Philosophie morale de F. S. Trincia, intitulé : « Freud e la filosofia », cours de Laurea Specialistica, année académique 2010-2011, semestre II, Département de Philosophie, Université de Rome « La Sapienza ». 85 De son vrai nom Mohamed Ben Brahim Boukharouba (1932-1978), il fut un colonel et un Homme d’Etat algérien, deuxième président de la République algérienne démocratique et populaire – de 1965 à 1978 –, au terme d’un coup d’Etat mené contre Ahmed Ben Bella dont il ne partageait pas les orientations politiques. La décision et, surtout, la réussite, au grand dam de la France, de la nationalisation des hydrocarbures lui conférèrent une importante dimension internationale confirmée en 1973 suite à l’organisation, avec succès, du sommet des Non-alignés auquel assistèrent les plus grands dirigeants du Tiers-Monde de l’époque. En 1974, il prononce à l’ONU un discours exposant une doctrine économique favorable à l’établissement d’un nouvel ordre économique international devant prendre en considération les intérêts du Tiers-Monde (source : Encyclopédie en ligne Wikipédia, date et heure consultation : 07.10.11). Dans « 5 septembre 1973. Tenue d’une conférence des pays non-alignés », un texte rédigé par l’équipe de Perspective Monde, nous lisons : « Le sommet de 1973 est marqué par la division interne entre plusieurs leaders, notamment Castro et Khadafi. Castro est perçu comme trop proche du bloc soviétique, ce qui nuirait au statut de neutralité des non-alignés. Houari Boumédiène trouve toutefois un terrain d'entente en centrant les débats sur le droit au développement économique et en proposant de lutter pour un nouvel ordre économique mondial. Étant donné l'absence d'un secrétariat permanent, les résolutions adoptées par les non-alignés en 1973 reflètent beaucoup la vision de Boumédiène voulant que le principal clivage mondial soit celui entre les puissances industrielles et le Tiers-mondehttp://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=519 (date et heure de la consultation, 07.10.11 à 20:39). 86 La crise diagnostiquée par la Banque mondiale dans son rapport de novembre 1989. Banque mondiale, L’Afrique subsaharienne, op. cit.87 Cf. « 5 septembre 1973. Tenue d’une conférence des pays non-alignés », Perspective Monde, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=51988 Cf. « Les différentes étapes de construction des démocraties », le deuxième grand point de notre chapitre premier intitulé « Les obstacles à la possibilité d’une construction véritable de la démocratie en Afrique ». Pour l’essentiel, Dumont reprend sous un autre angle les facteurs qu’il a analysés, dans la première partie de son ouvrage, comme les obstacles à la possibilité de construction démocratique en Afrique. Facteurs au travers desquels nous avons vu moins les obstacles – eux-mêmes partagés encore entre, d’une part, ce que nous appelons les étapes-obstacles (la banqueroute de l’environnement et les régimes dictatoriaux) et, d’autre part, l’obstacle réel et effectif (l’ordre politique et économique dominant de la planète) – que, encore davantage, les étapes (la libération sociale, économique et politique de toutes les femmes ; le contrôle rapide de la démographie ; les priorités de l’agriculture ; enfin, les priorités de l’éducation et la santé). 89 Il s’agit des terres ayant fait – ou pouvant faire – l’objet de projets d’irrigation, qu’on cherche à acheter. Dumont pense que : « Ces acheteurs sont à peu près sûrs de les cultiver avec profit, ou bien encore de les revendre en réalisant une forte plus-value, obtenue sans travail. » D. 1991, pp.280-281.90 Banque mondiale, L’Afrique subsaharienne, op. cit. ; La Pauvreté, treizième rapport annuel, 1990. Cf. D. 1991, p.20 ; 16.

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91 Passage du rapport de L’Afrique subsaharienne, rapport de la Banque mondiale, repris par Dumont92 Il s’agit de « La Haute-Volta n’est pas un pays en voie de développement, mais un pays en voie de destruction », un rapport de Dumont au regretté président Thomas Sankara. D. 1991, p. 19 ; 36.93 Rapport de Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Montréal, Ed. du Fleuve, 1988, cité par Dumont. D. 1991, p.15.94 Rapport Brundtland, op. cit.95 Au point suivant, « La France défend les pouvoirs en place, et même leurs abus », Dumont affirme que : « C’est Omar Bongo et Houphouët-Boigny qui ont le plus contribué, à la fin de 1982, au renvoi de Jean-Pierre Cot. » D. 1991, p.303. 96 Il est aussi vrai que la démocratie est en train d’entrer dans une troisième phase, note en plus le politologue américain.97 Nous trouvons le modèle de cette vulgarisation, entre autres, dans l’allocution de l’ancien président de la République française, François Mitterrand, à l’occasion de la cérémonie solennelle d’ouverture du XVI e sommet des chefs d’Etat d’Afrique et de France, à la Baule, le 20 juin 1990, ainsi que dans La démocratie des autres de Amartya K. Sen (2006).98 Entendre par ce mot : la puissance, sur tous les plans, de l’ordre économique et politique dominant de la planète. Nous développons cette idée dans : R. Nkassa, Esquisse d’une réflexion sur la problématique du développement en Afrique, Editions Hemar, Brazzaville 2012.99 Pour le dire avec les mots empruntés à M. Genné, c’est bien là la thèse centrale de Dumont : la démocratie au service des besoin essentiels (cf. Genné, 1991)100 Les Anglais s’inclinent encore majestueusement aujourd’hui devant leur monarchie.01 Pour cette œuvre nous utilisons la version numérique produite par J.-M. tremblay, dans le cadre de la collection : « Les classiques des sciences sociales ». La pagination correspond à cette version.

http://www.uqac.uquebec.ca/zone 30/Classiques des sciences sociales/index.html 02 « Les rois d’Orient ont toujours des vizirs, dit Chardin », écrit Montesquieu en note. 03 Huntington cite: G. P. Gooch, English Democracy Ideas in the Seventeenth Century, 2e éd., New York, Harper, 1959, p.71.04 Conseil interparlementaire, Déclaration universelle sur la démocratie, 161e session, Le Caire, 16 septembre 1997. Il s’agit d’une déclaration adoptée sans vote. Après l'adoption de la déclaration, la délégation de la Chine a émis des réserves sur ce texte. Cette Déclaration peut être consultée en ligne en format PDF.05 Quand, surtout, la reconnaissance de « la place qui est la sienne dans la philosophie politique – celle d’un des plus grands penseurs politiques modernes, du niveau de Hobbes, de Montesquieu ou de Rousseau, et non pas simplement celle d’un des multiples théoriciens du ‘libéralisme’ » ne date pas que de toujours. Pour la citation entre guillemets, cf. A. Keller, « Tocqueville », in Dictionnaire électronique Montesquieu, mis à jour 13/02/2008, URL : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lsh.fr/index.php?id=310. Pour le fond, cf. P. Raynaud, « Tocqueville », in Dictionnaire de philosophie politique, PUF, Paris 1996, pp.691-698 ; P. Manent, Tocqueville, op. cit. ; A. Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville la citoyenneté et la religion, Fayard, Paris 2003. 06 « Une remarque, d’ailleurs, à laquelle nous aurons occasion de revenir plus tard, est applicable non seulement aux Anglais, mais encore aux Français, aux Espagnols et à tous les Européens qui sont venus successivement s’établir sur les rivages du nouveau monde. Toutes les nouvelles colonies européennes contenaient, sinon le développement, du moins le germe d’une complète démocratie. » T. 1991, p.88.07 Dans une synthétique mais excellente et profonde étude, en ce qui concerne notamment les « sociétés anciennes et le politique » en Afrique noire – au sujet desquels elle renvoie à Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire (1987) de M. Kamto – , précisément dans la cadre de l’analyse de ce qu’elle considère les « obstacles « historiques » à la démocratie », Coquery-Vidrovitch rappelle d’abord et avant tout que les sociétés politiques africaines n’étaient pas démocratiques ni ne portaient en elles-mêmes un germe directement utilisable par la démocratie contemporaine. Après quoi, elle évoque les trois principes politiques des sociétés africaines anciennes, qui lui paraissent effectivement contradictoires avec l’idée de démocratie. Le premier est celui d’inégalité ; le second, du consensus et le troisième, d’indissociabilité du politique et du religieux

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(croyances). Elle observe, enfin, que ces principes sont défavorables au passage sans heurt à la démocratie. Cf. Coquery-Vidrovitch, « Histoire et historiographie du politique en Afrique. », op. cit.08 Ainsi que, par exemple, le souligne délibérément Bayart, qui développe cet aspect dans « La problématique de la démocratie en Afrique noire. « La Baule, et puis après ? » » (1990). Article consultable en ligne en version PDF. 09 Toutes les citations qui suivent concernant l’auteur sont tirées du même article.10 Il s’agit d’une note de l’auteur : « Dans ce texte, le mot "les intellectuels" est ici synonyme des "élites", "courtiers culturels" ou "entrepreneurs politiques" désignant les groupes qui combinent le contrôle du pouvoir politique et celui du pouvoir économique. »11 Dans le cadre de la théorie de l’« invention démocratique » en Afrique sur la base des « précédents historiques », Bayart écrit : « Dans sa dernière phase, la colonisation a connu une libéralisation politique indéniable qui s’est traduite par l’introduction au sud du Sahara d’institutions représentatives modernes, de partis politiques multiples, d’une pluralité d’organisations syndicales, d’une presse libre, d’une législation afférente, mais qui s’est aussi distinguée par l’ampleur des manipulations administratives destinées à contenir et à orienter ces transformations. Une fois refermée cette parenthèse libérale au lendemain des indépendances, par construction de régimes présidentiels de parti unique, différentes procédures de « décompression autoritaire » ont emprunté à la thématique de la démocratie – en recourant notamment à l’exercice concurrentiel du suffrage universel – pour assurer la régulation de la classe politique à l’avantage du chef de l’Etat, en lui garantissant une autonomisation optimale par rapport à celle-ci et en l’installant dans une position d’arbitre suprême. Dans certains pays (Tanzanie, Kenya jusqu’en 1982), ces dispositifs ont été prévus d’emblée; dans d’autres, ils ont été introduits ultérieurement pour pallier les inconvénients d’une trop grande rigidité des partis uniques et pour accroître la respectabilité internationale de ceux-ci (Sénégal, Zaïre, Côte-d’Ivoire, Cameroun, Togo, etc. à partir de la fin des années soixante-dix). Comme le prouve l’exemple sénégalais, l’introduction du multipartisme peut consister en une telle procédure de « décompression autoritaire », plus qu’en l’ouverture d’un marché politique véritablement concurrentiel ; de même, les démocraties multipartites temporaire qu’ont connues le Nigeria et le Ghana s’apparentent pour l’essentiel à de telles expériences. Il est donc clair que, dans les années quatre-vingt-dix, la thématique de l’invention de la démocratie, les stratégies qui s’y rapporteront ou s’en réclameront se verront de facto obérées par ces précédents historiques, d‘autant que la mobilisation nationaliste, elle, n’a pas été en soi une mobilisation de facture démocratique : en Afrique francophone, notamment, l’organisation des partis nationalistes les plus puissants - ceux du Rassemblement démocratique africain - étaient d’inspiration moins libérale que communiste et destourienne ; leurs méthodes d’encadrement des militants et des électeurs devaient beaucoup à l’intimidation et à la coercition, pratiquées à une grande échelle avec la complicité ou dans l’indifférence de l’administration coloniale française (sauf au Cameroun et au Niger, mais y compris en Guinée). » J.-F. Bayart, « La problématique de la démocratie en Afrique noire », op. cit. 12 Dans le cadre des effets de « La politique coloniale », Coquery-Vidrovitch relève que « si quelques rares colonies britanniques avaient connu un apprentissage électoral dès l’entre deux guerres comme au Nigeria ou en Gold Coast (ou même antérieurement comme en Sierra Leone), le pouvoir politique colonial finit tardivement par se libéraliser presque partout. Dans les colonies françaises (à l’exception de l’enclave des « quatre communes » du Sénégal effectivement assimilées à la France), il y eut, en tout et pour tout, quatre années de régime démocratique (si l’on identifie, pour simplifier, démocratie à suffrage universel) : ainsi les habitants du Mali n’ont connu cet épisode que de 1956 (Loi-cadre dite Defferre) à l’indépendance en 1960. » C. Coquery-Vidrovitch, « Histoire et historiographie du politique en Afrique », op. cit. 13 Abréviation nôtre, pour la commodité du langage.14 Toutes les citations qui suivent concernant l’auteur sont tirées du même article.15 Abréviation nôtre, pour la commodité du langage.16 Il s’agit de la question suivante : « pourquoi cette sous-région est devenue « conflictogène » selon le mot de Paul Ango Ela (La prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une culture de la paix , 2001) au point de plonger dans si profonde crise ? »17 Notamment : le statut social des femmes, la démographie, l’encadrement des paysanneries, les faillites de l’éducation et de la santé, la banqueroute de l’environnement, les régimes dictatoriaux et l’ordre politico-économique dominant de la planète. Cependant, dans Démocratie pour l’Afrique, Dumont libelle ces obstacles de la manière ci-après : « Pas de démocratie « vraie » avec des paysannes quasi esclaves » (pp.22-39) ; « Pas de démocratie possible dans une Afrique étranglée par l’explosion démographique » (pp.40-65) ; « Pas de démocratie durable sans respect de l’environnement » (pp.66-80) ; « Pas de démocratie viable en Afrique tant que l’ordre politico-économique dominant continue à l’asphyxier » (pp.81-103 ) ; « Les paysanneries d’Afrique dans le carcan des encadrements » (pp.104-126) ;

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« Les grands barrages rapportent d’abord aux constructeurs » (pp.127-146) ; « Les gaspillages de la tyrannie en Côte-d’Ivoire » (pp.147-169) ; « L’industrialisation ratée, ou la misère des bidonvilles » (pp.170-190) ; « Les faillites de l’éducation et de la santé compromettent l’avenir de l’Afrique » (191-203) ; « Les tyrannies contre la démocratie et le développement » (pp.204-231).18 Présente Etude, cf. Partie II, Chapitre premier.19 Cf. la présente Etude sur « Les différentes étapes de construction des démocraties » au chapitre premier de la seconde partie. 120 Pour les pays d’Afrique francophone, le discours à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du XVIe sommet franco-africain de la Baule de l’alors président français, François Mitterrand, symbolise le point de départ de cette entreprise de divulgation. Dans ce discours de l’ancien chef d’Etat français la démocratie consiste notamment en un système représentatif, les élections libres, le multipartisme, la liberté de la presse, l’indépendance de la magistrature et le refus de la censure. Aussi, put-il souligner : « tel est le schéma dont nous disposons ».21 Cités pêle-mêle – liste non limitative – par Dumont et au sujet desquels il stipule qu’ils « doivent être appelés des tyrans ». Cf. D. 1991.22 A titre d’illustration, cf. Le Bilan de l’année électorale 2007 en Afrique de l’Ouest. « La démocratie en question », par Gwénola Possémé-Rageau, SWAC/D (2008)7, mars 2008/Or.fr. ; et, P. Nzinzi, « La démocratie en Afrique. L’ascendant platonicien » in Politique Africaine, n°77 – mars 2000, pp.72-89, consultable en ligne en format PDF ; D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échecs », Pouvoirs, n°129, Seuil, 2009, pp.115-125 ; V. Foucher, « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir personnel », Pouvoirs, n°129, Seuil, 2009, pp.127-137.23 « Les occidentaux se pensent comme les propriétaires d’un modèle démocratique universel. Cette assurance faiblit pourtant dès qu’ils tentent de l’exporter. Surtout, elle les empêche de considérer aussi bien les épreuves de leur propre histoire que les questions soulevées par les expériences démocratiques non-occidentales. » P. Rosanvallon, « L'universalisme démocratique », op. cit. 24 Ainsi qu’il apparaît clairement dans notre analyse, ce que sous l’inspiration et avec les mots de Tocqueville, nous appelons le despotisme à l’ombre de la souveraineté du peuple. Celui que l’auteur de Démocratie souhaitait pour les pays d’Europe, à l’instar de la France.25 D’ailleurs l’originalité moderne de la représentation ne fait l’objet d’aucun doute, comme celle antique de la participation. Mais, de là, il semble purement et simplement hasardeux conclure que la représentation est connaturelle à ce que la modernité appelle ‘démocratie’, donc la souveraineté du peuple, ainsi de la participation pour la démocratie athénienne. En effet, après avoir évoqué ce qu’il conçoit comme la source de l’imagination de « la voie des Députés ou Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation », juste pour faire un exemple, Rousseau stipule un tout petit peu plus loin, que : « L’idée des Représentants est moderne : elle nous vient du Gouvernement féodal, de cet inique et absurde Gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. » Rousseau, Du contrat social, op. cit, p.134. 26 V. Marzocchi, « La filosofia e la nascita del politico », Département de Théorie et Histoire du Droit et de la Politique en collaboration avec le Doctorat de Recherche en Ethique et Philosophie politico-juridique – Sala Piovani – Uni Salerno, 10.3.2009, heure : 11.00. Ici, ce texte a fait l’objet de la communication de Marzocchi durant la leçon doctorale dans le cadre du Module pour les Doctorants de première année (24 cycle). Doctorat de Recherche en Philosophie a. a. 2008/09. Salle du Département Etudes Philosophiques et Epistémologique, en date 25.3.2009, heure 10.00. 27 Pour Dahl, par exemple, nous connaissons les idées des Grecs sur la démocratie par le truchement des critiques de cette forme de constitution, à l’instar de Platon, le plus intransigeant, et Aristote, le plus modéré ; non pas par le biais des partisans de cette démocratie à travers des œuvres aussi particulièrement significatives. Cf. R. A. Dahl, La democrazia, op. cit.28 C’est-à-dire, à en croire Marzocchi, « seul un gouvernement exercé suivant les lois sur des citoyens libres et consentants ; un gouvernement, résultant de la connaissance, de la prise en considération, de la pondération et de la reconnaissance des diverses composantes de la cité et de la multiplicité de leurs exigences. » cf. V. Marzocchi, « La filosofia e la nascita del politico », op. cit. 29 Platon, La République, GF Flammarion, Paris 1966, p. 317.

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30 Nous n’avons pas l’intention de passer en revue la littérature relative à Rousseau « démocrate » compte tenu du fait que cela nous éloignera, ici, de notre objectif qui consiste à montrer que la démocratie, conçue par les anciens et perçue ensuite par les modernes comme forme de gouvernement, pour des raisons diverses, n’a jamais été bénie ni n’a jamais joui de l’adhésion des premiers philosophes en charge de la matière. Dans l’antiquité, avec Platon, ni dans les temps modernes, avec Rousseau. Moments correspondant, suivant la terminologie de Dahl, aux deux grandes transformations démocratiques de l’histoire.31 Les deux premiers chapitres du Livre II du Contrat social de Rousseau s’intitulent, respectivement : « Que la souveraineté est inaliénable » ; et, « Que la souveraineté est indivisible ». Juste pour en citer un extrait, après avoir établi sur quel intérêt la société doit être gouvernée, en début du premier, il stipule tout de suite : « Je dis donc que la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et que le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté. » Et, les deux paragraphes ouvrant le deuxième disent : « Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est générale, ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d’une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait la loi : Dans le second, ce n’est qu’une volonté particulière, ou un acte de magistrature, c’est un décret tout au moins. Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet ; ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance exécutive, en droits d’impôts, de justice, et de guerre, en administration intérieure et en pouvoir de traiter avec l’étranger : tantôt ils confondent toutes ces parties et tantôt ils les séparent ; ils font du Souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées ; c’est comme s’ils composaient l’homme de plusieurs corps dont l’un aurait des yeux, l’autre des bras, l’autre des pieds, et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs, puis jetant en l’air tous ses membres l’un après l’autre, ils font retomber l’enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques ; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment. » Rousseau, Du contrat social, op. cit, p.65 ; pp.66-67. 32 En effet, suivant la pertinente observation de Kervégan : « La notion tend par là, la variété des usages en témoigne, à n’être plus d’ordre strictement politique, alors même qu’elle est devenue la référence commune, et peut-être équivoque, des projets politiques les plus divers. » J. F. Kervégan, « Démocratie », op. cit. 33 Nous nous fondons sur l’affirmation suivante de Tocqueville : « Le livre entier qu’on va lire a été écrit sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse produite dans l’âme de l’auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles, et qu’on voit encore aujourd’hui s’avancer au milieu des ruines qu’elle a faites. » T. 19811, p.6134 La République du Libéria paraît l’unique Etat d’Afrique qui ne se soit sorti de la colonisation européenne. En effet : « Le Liberia doit son existence à une société philanthropique américaine qui à partir de 1822 entreprit de peupler le pays avec d’anciens esclaves noirs libérés. Les immigrés, encouragés par les Etats-Unis, établissent une Constitution calquée sur le texte américain. Mais très vite les antagonismes entre la minorité américano-libérienne qui détient l’essentiel des richesses du pays et la majorité de libériens pauvres, entraîneront des heurts violents entre les deux groupes. » Cf. « Proclamation de la République du Liberia », http://www.linternaute.com (date et heure de la consultation, 14.11.11; 00.12).35 Par analogie, la République d’Afrique du Sud est pour l’Afrique ce que les Etats-Unis sont pour l’Amérique. Non seulement le pays naît de l’initiative des peuples européens, qui pour plusieurs raisons s’y sont immigrés, mais, également, il constitue leur patrie. Pour s’y être établis ensuite de manière fixe et définitive, ces peuples en ont acquis la citoyenneté dont ils jouissent sous tous les effets, non sans s’arroger tous les droits qu’ils ont ensuite refusés aux autochtones, à l’instar des Noirs, purement et simplement relégués à l’arrière-plan. Aussi, peut-elle constituer un laboratoire d’étude scientifique de l’état social du peuple sud-africain, comme les USA l’ont été chez Tocqueville pour celle des Anglo-américains. 36 « Afin de séduire un électorat anglophone conservateur, Daniel F. Malan, dirigeant du Parti national rénové, élabora un programme fondé sur le concept d’apartheid («développement séparé»). Vainqueur aux élections de 1948, il érigea en système la ségrégation raciale qui prévalait depuis la fondation de l’Union et enleva aux Métis du Cap leur droit d’élection. Destinée en réalité à préserver la suprématie blanche, l’apartheid prétendait assurer aux différents groupes ethniques une identité et une existence propres, au sein d’«ensembles nationaux autonomes» (les Homelands), appelés aussi bantoustans. C'est en 1950 qu'une classification raciale fut instaurée. Elle séparait les Sud-Africains en trois catégories: les Blancs, les Métis et les Noirs. Par la suite, une quatrième catégorie, celle des Indiens (Asiatiques), s’y ajouta. Les mariages interraciaux furent interdits et, la même année, la Group Area Act définit des lieux de résidences obligatoires pour chacun des groupes en fonction de la couleur de leur peau. En 1953, la Separate Amenities Act implantait la séparation des lieux publics (plages, écoles, cliniques sanitaires, transports publics,

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toilettes, etc.). Les Noirs furent dans l'obligation de porter sur eux le laissez-passer (la fameuse pass), un document attestant leur identité et leur lieu de résidence. Après 1954, les successeurs de Daniel F. Malan poussèrent davantage la politique d’apartheid. Des Homelands ou bantoustans, régions autonomes fragmentées en plusieurs parcelles habitées par les Bantous, furent créés, par une série de lois adoptées entre 1959 et 1971. De façon fort prétentieuse, les bantoustans furent affublés du titre d'«État» où les Noirs avaient le droit à leur territoire pour gérer leurs affaires, le droit de pratiquer leur langue et leur culture, comme ils l'entendaient. En fait, le système consistait à enfermer les différents groupes bantous derrière des frontières ethniques fondées sur la langue, avec l’espoir que les minuscules pouvoirs accordés aux «gouvernements locaux» des bantoustans suscitent des rivalités politiques. La concession de parcelles de leurs anciens territoires (13 % de la superficie du pays) aux Noirs, dont la croissance démographique ne manquait pas d’inquiéter la minorité blanche, garantit théoriquement l’existence de l’État sud-africain blanc. Finalement, la plupart des Noirs en vinrent à entretenir une véritable haine de l’afrikaans devenu la «langue de l’oppresseur». En revanche, l’anglais devint la «langue de la libération», gagnant rapidement du terrain auprès des majorités noires opprimées. De leur côté, les langues africaines demeuraient confinées aux domaines de la vie quotidienne informelle et communautaire. Le 31 mai 1961, l’Union sud-africaine devint officiellement la République sud-africaine. En juin 1964, le Conseil de sécurité de l’ONU condamnait l’apartheid et ordonnait l’étude de sanctions contre la République. » Cf. http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/afriquesud-2Hst.htm (consultation, le 21.10.11 à 01 : 30).37 « En février 1991, le président sud-africain Frederik De Klerk annonce son intention de mettre un terme au régime d'apartheid (le terme signifie « séparation » en afrikaans) qui, depuis 1948, fait de la ségrégation raciale la clé de voûte de la vie politique, sociale et économique de son pays. Quatre mois plus tard, les principales lois qui fondaient la domination blanche sont abolies par le Parlement, et l'Afrique du Sud retrouve ainsi une place dans le concert des nations. L'abolition de l'apartheid est la conséquence d'une conjonction de facteurs : d'une part, les pressions exercées par la communauté internationale sur le gouvernement sud-africain depuis le milieu des années 1960, d'autre part, la volonté réformiste d'une partie de la communauté blanche et, enfin, le combat mené par les victimes de l'apartheid contre la discrimination raciale. Incarnation de cette résistance à l'oppression, Nelson Mandela, après plus d'un quart de siècle passé en prison, est, en 1994, le premier Noir à accéder à la présidence de la République d'Afrique du Sud. La portée symbolique de cet événement ne doit toutefois pas masquer la persistance de fortes inégalités sociales entre Blancs et non-Blancs. » Cf. http://www.universalis.fr/encyclopedie/fin-de-l-apartheid-en-afrique-du-sud/ (date et heure de la consultation, 14.11.11 à 01.54).38 Il ne s’avère pas ici notre intention – ce qui sera du reste une prétention absurde – de dissiper nettement telle confusion. Cependant, apporter au moins un éclairage supplémentaire pouvant permettre de la percevoir encore davantage distinctement compte parmi nos objectifs.39 T. Mendy, L’illusion démocratique en Afrique. L’exemple du Sénégal, L’Harmattan, 2010.40 Dumont préconise la remise en cause du modèle de développement occidental dès les années 1980, à en croire Christine Desouches. Il faut selon lui, écrit Desouches, « remettre totalement en cause le modèle de développement occidental, la société de consommation, la suprématie urbaine et industrielle » C. Desouches, « René Dumont et Marie-France Mottin. L’Afrique étranglée », Politique étrangère, 1981, vol. 46, n°2. 41 Car, pour faire une illustration, après avoir observé que le débat sur la démocratie, et autres valeurs, ne date pas d’aujourd’hui mais de l’antiquité, Mendy écrit : « Si donc depuis ces temps anciens jusqu’à nos jours, le débat sur la démocratie reste plus que jamais d’actualité dans toutes les sociétés modernes, c’est qu’alors, le développement de celle-ci (…) est strictement corollaire à l’évolution des mœurs, de la tradition, des idées en cours, en un mot, du comportement de la société. Ainsi, le progrès constaté des démocraties occidentales est la preuve que la démocratie est un processus endogène car une révolution démocratique est d’autant plus solide et fécondante qu’elle émane du peuple lui-même et sans ingérence extérieure. Telle est la loi d’histoire : Athènes, Carthage, France, Etats-Unis, Espagne, Portugal, Russie, Viêt-Nam, etc. » T. Mendy, L’illusion démocratique, op. cit., pp.207-208.

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BIBLIOGRAPHIE

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