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Éditorial Trimestriel N° 13 - Janvier-février-mars 2018 Page 1 Page 2 Page 3 Page 8 Page 10 Page 12 Chers Membres de l’IMB, L’année 2018, scandée par peu d’anniversaires historiques - le service des Célébrations nationales donnant de plus en plus de place aux derniers siècles -, nous apporte néanmoins des occasions de commémorer plusieurs moments lé- gués par les quinze siècles de royauté française. Ainsi, à Paris, nous aurons l’occasion de revenir sur la forte personnalité du roi Henri IV. En effet, 2018 marque le bicentenaire de l’installation de sa nouvelle statue sur le Pont- Neuf. Nous nous associerons, pour ce faire et pour donner plus d’éclat à notre cérémonie, à l’amicale régimentaire du 5 ème Régiment d’Infanterie, qui eut pour premier colonel, Henri de Bourbon. Autour du roi « le plus aimé des Français », d’autres cérémonies se préparent, comme celle qui, en Bourgogne, conduira au baptême d’une place au nom d’Henri IV. Autre anniversaire, celui du décès, à Versailles le 24 juin 1768, de la reine Marie, née prin- cesse Leszczynska, épouse du roi Louis XV. Ce peut-être l’occasion de visites tant à Ver- sailles qu’en Lorraine où, grâce à son père le roi Stanislas, son souvenir est encore vivace. Anniversaire aussi du rattachement de la Corse à la France, là encore sous le règne de Louis XV. L’actualité met cette (Suite page 2) Éditorial Les derniers jours de Versailles Droit naturel et ordre naturel Page 11 Vous désirez être tenu régulièrement au courant des activités de l’IMB ! Consultez son site Internet : www.royaute.info. Source : BnF/Gallica IMB et mécénat Charles-Quint et l’islam Sujets de réflexion Programme à venir

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Éditorial

Trimestriel N° 13 - Janvier-février-mars 2018

Page 1 Page 2 Page 3 Page 8 Page 10 Page 12

Chers Membres de l’IMB, L’année 2018, scandée par peu d’anniversaires historiques - le service des Célébrations nationales donnant de plus en plus de place aux derniers siècles -, nous apporte néanmoins des occasions de commémorer plusieurs moments lé-gués par les quinze siècles de royauté française. Ainsi, à Paris, nous aurons l’occasion de revenir sur la forte personnalité du roi Henri IV. En effet, 2018 marque le bicentenaire de l’installation de sa nouvelle statue sur le Pont-Neuf. Nous nous associerons, pour ce faire et pour donner plus d’éclat à notre cérémonie, à l’amicale régimentaire du 5ème Régiment d’Infanterie, qui eut pour premier colonel, Henri de Bourbon. Autour du roi « le plus aimé des Français », d’autres cérémonies se préparent, comme celle qui, en Bourgogne, conduira au baptême d’une place au nom d’Henri IV. Autre anniversaire, celui du décès, à Versailles le 24 juin 1768, de la reine Marie, née prin-cesse Leszczynska, épouse du roi Louis XV. Ce peut-être l’occasion de visites tant à Ver-sailles qu’en Lorraine où, grâce à son père le roi Stanislas, son souvenir est encore vivace. Anniversaire aussi du rattachement de la Corse à la France, là encore sous le règne de Louis XV. L’actualité met cette

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Éditorial Les derniers jours de

Versailles

Droit naturel et

ordre naturel

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Vous désirez être tenu régulièrement au courant des activités de l’IMB ! Consultez son site Internet : www.royaute.info.

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IMB et mécénat Charles-Quint

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province au centre de nombreuses réflexions. Pour les historiens, c’est l’occasion de réfléchir à la manière dont le rattachement s’est produit, à la demande de nombreux insulaires… Ne doutons pas que le colloque organisé par l’Institut, à l’automne prochain, sera un grand moment d’histoire. Je rappelle ces événements pour montrer combien ils concernent le pays tout entier. Ainsi je réitère un appel fait ré-gulièrement : dans une association, tous les membres ont leur rôle à jouer. Nous ne pouvons que demander, une nouvelle fois, à nos membres de province de faire doublement preuve d’initiative en suscitant des manifestations et en faisant remonter des informations pour nous signaler ce qui s’organise près de chez eux. C’est très important pour l’Institut, mais encore davantage pour le Prince : c’est à travers les manifestations qu’il a l’occasion de se faire mieux connaître et de faire vivre la royauté au présent. Au cours de ses déplacements, de nom-breuses rencontres sont possibles et nous savons le poids qu’elles acquièrent grâce à son charisme. Dois-je ajouter que les diverses manifestations sont aussi l’occasion pour une association d’élargir son audience et d’augmenter le nombre de ses membres. L’IMB a besoin, en permanence, de renouveler et d’étendre son public. C’est d’autant plus possible que se fait sentir, actuellement, un renouveau dans le débat des idées, renouveau dont diverses publications sont le reflet. La république et la démocratie « à la française », ayant peu à peu montré et leurs faiblesses et leur incapacité à résoudre les crises et à proposer un avenir, suscitent, en effet, de plus en plus d’interro-gations quant aux formes du pouvoir, sa légitimité, ses buts. Mieux faire connaître l’œuvre de la royauté française et, encore plus, les principes qui ont permis à ce long cheminement de se faire au profit du Bien commun et donc de tous, est de plus en plus d’utilité publique. La culture, la connaissance, demeurent les principales ressources d’une société quand ses cadres naturels s’effritent. Elles peuvent être partagées et sont ouvertes à tous. Nous sommes heureux et fiers, à l’Institut, de pouvoir contribuer, à notre place, au combat culturel. Notre pays en a besoin s’il veut poursuivre l’œuvre commencée, il y a quinze cents ans, avec le baptême de Clovis.

Prince de Bauffremont Président

(Suite de la page 1)

Sujets de réflexion…

« La véritable finesse est la vérité, dite quelquefois avec force, mais toujours avec grâce » (Duc de Choiseul (1719-1785), Ambassa-deur à Rome, puis Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, puis à la Guerre, puis à la Marine). « L’individu ne peut acheter son ascension, son bien-être, en trahissant la vérité reconnue. L’humanité n’en a pas le droit. Nous touchons là le point véritablement critique de l’époque moderne : la notion de vérité est pratiquement abandonnée et remplacée par celle de progrès. Le progrès lui-même « est » vérité. Mais cette élévation apparente le désoriente et il s’annule lui-même, car s’il n’y a plus d’orientation, le progrès peut tout aussi bien être régression » (Cardinal Ratzinger, lors d’une conférence donnée en 1991 aux évêques améri-cains, cité par Philippe Pichot-Bravard in Le Droit naturel, Ichtus, 2017, p. 155). « Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit - il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu » (Benoît XVI au Bundestag à Berlin le 22 septembre 2011, cité par Philippe Pichot-Bravard in Le Droit naturel, Ichtus, 2017, p. 147).

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Les derniers jours de Versailles.

Diplômé de l’École du Louvre, archiviste paléographe, actuellement conservateur général au Musée national des châ-teaux de Versailles et de Trianon, Alexandre Maral nous a gratifiés de nombreux ouvrages parmi lesquels nous avions particulièrement retenu Les derniers jours de Louis XIV (2014) et Le Roi-Soleil et Dieu (2015). Paru en janvier de cette année, Les derniers jours de Versailles1, nous brosse un tableau des événements qui se sont déroulés à Versailles du 1er janvier au 15 octobre 1789, date du départ de l’Assemblée nationale pour Paris. Cet ouvrage, généreusement documenté, nous permet de nous rendre compte de l’état de la France et des Français à l’aube de la Révolution, de découvrir la personnalité du roi et celle des différentes composantes des États généraux devenus Assemblée nationale, de discerner, dans les décisions alors prises, ce qui était en germe...

1) Alexandre Maral, Les derniers jours de Versailles, Perrin, 2018. 2) Alexandre Maral, op. cit., p. 52. 3) Alexandre Maral, op. cit., p. 55. 4) Alexandre Maral, op. cit., p. 204. 5) Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin, 2005.

6) Alexandre Maral, op. cit., p. 568. 7) Alexandre Maral, op. cit., p. 260. 8) Alexandre Maral, op. cit., pp. 39-40. 9) Alexandre Maral, op. cit., p. 44. 10) Alexandre Maral, op. cit., p. 40.

Le Roi Âgé de 35 ans en 1789, Louis XVI est très certainement « le monarque le plus populaire en France depuis Henri IV - et sans doute aussi le plus prestigieux d’Europe au moment de la conclusion de la guerre d’Indépen-dance américaine, qui correspond à l’apogée du règne en 1783 »2. Mais c’est « un souve-rain timide, taciturne, qui manque d’aisance en public et qui ne sait pas mettre en valeur sa cul-ture et ses capacités intel-lectuelles »3. Face à la tragédie qui se prépare et à la détermination de ses adversaires, il ne saura « qu’opposer un comportement de conciliation »4 et faire preuve d’un « pacifisme absolu », selon l’expression de Jean-Christian Petitfils5. « Cette attitude ne laisse pas d’étonner : reflète-t-elle le sentiment d’entrer dans une histoire qui le dépasse, la volonté de ne faire aucun faux pas, la crainte d’être à l’origine des maux qu’il redoute ? »6. « En outre, dans le contexte politique de 1789… la disparition de l’héritier du trône [décès du dauphin, le 4 juin 1789] peut être perçue comme un désaveu de la Providence. Il n’est pas impossible que le roi se soit senti désa-voué, tant par Dieu que par les hommes, et qu’il n’ait alors conçu ce « système de sacrifice » dont il fait mention dans la déclaration envoyée à l’Assemblée nationale au moment de son départ pour

Montmédy en juin 1791 »7. La France et les Français en 1789 « Le royaume comporte alors près de 29 millions de Français, dont 80 % de paysans. L’espérance de vie y est de 28 ans et 9 mois »8. La justice est relativement clémente. À Versailles, par exemple, la dernière exécution capitale a eu lieu en 1783… Par rapport au reste de l’Europe, c’est en France que la liberté de la presse est la plus effective : « Un peu plus de soixante périodiques de langue française sont recensés au début 1789 »9. Le pays est, cependant, confronté à une importante crise agricole, due aux condi-tions clima-tiques qui sévis-sent depuis l’automne anor-malement plu-vieux de 1787. De plus, du « 22 novembre 1788 au 14 janvier 1789, il gèle sans discontinuer : comme le Grand Canal à Versailles, la Seine est prise par les glaces »10. Le prix des farines et du pain ne cesse de grimper et les « populations éprouvent la phobie de l’accaparement des céréales par des spéculateurs »10. Par ailleurs, « du fait du soutien apporté par la France aux insurgents d’Amérique, au terme d’une guerre glorieusement con-

(Suite page 4)

Source : BnF/Gallica

Versailles - Le Hameau

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11) Alexandre Maral, op. cit., p. 13. 12) Alexandre Maral, op. cit., p. 120. 13) Alexandre Maral, op. cit., p. 94. 14) Alexandre Maral, op. cit., pp. 78-79. 15) Alexandre Maral, op. cit., p. 83.

16) Alexandre Maral, op. cit., p. 84. 17) Alexandre Maral, op. cit., p. 85. 18) Alexandre Maral, op. cit., p. 87. 19) Alexandre Maral, op. cit., p. 89. 20) Alexandre Maral, op. cit., p. 91.

clue par le traité de Versailles en 1783 »11, la situation finan-cière est préoccupante. De nombreux emprunts ont été contractés pour financer l’effort de guerre. Malgré les efforts tentés par le roi et le directeur général des Fi-nances, Necker, l’amélioration ne se fait guère sentir... Situation financière et problèmes agricoles ont pour conséquence un climat de guerre sociale relevé par un diplomate français de retour de Lisbonne, le marquis de Bombelles. Le 28 avril, une émeute parisienne se solde par près de 300 victimes. Les États généraux Créés en 1302 par Philippe le Bel, les États généraux, réunissant les trois ordres (ou états) de la société fran-çaise, sont convoqués par le roi dans des conditions généralement exceptionnelles. Ils l’ont été, pour la der-nière fois, en 1614. Probablement en partie parce qu’ils ne se sont pas réu-nis depuis près de deux siècles, les États généraux souf-frent, en 1789, d’une certaine inadaptation. Tout d’abord dans leur composition : alors que la France com-prend 80 % de paysans, la paysanner ie n’y est pas représentée, du moins en tant que telle. Cette carence est renforcée par le fait que certains aris-tocrates de cour ont totalement perdu le contact avec la province, contrairement aux nobles qui y résident. De plus, au « sein du tiers état, près de la moitié des députés sont des avocats »12. Représentent-ils vraiment la bour-geoisie naissante ? Était-il vraiment nécessaire d’en doubler le nombre ? Par ailleurs, la répartition des députés entre les ordres est quelque peu anarchique : le duc d’Orléans « s’obstine dans sa volonté de prendre place parmi les députés de la noblesse - au risque de paraître se désolidariser des autres membres de la famille royale »13, le comte Honoré-Gabriel de Mirabeau

est élu du tiers état et l’abbé Sieyès également du tiers état. En revanche, il n’y a pas d’ostracisme envers les femmes et il faut noter que les femmes ne revoteront plus en France avant 1945… Le code vestimentaire imposé n’est-il pas quelque peu anachronique ? S’il est normal que le clergé porte la soutane de la couleur convenant à son état, les nobles doivent-ils porter « une culotte noire, des bas blancs, une cra-vate de dentelle, une veste noire, un manteau d’étoffe noire avec parements d’étoffe d’or, un chapeau à plumes blanches retroussées à la Henri IV »14 et les membres du tiers état une toque de velours noir ? Il est de fait que, suite aux protesta-tions, ces prescriptions vestimentaires seront modi-fiées… Quoi qu’il en soit, la préparation des états généraux se fait très correctement et les « cahiers de doléances » sont remplis avec soin. La république en marche La procession d’ouverture des états généraux a lieu le 4 mai. « Au lever du roi, vers 8 heures, la Musique du roi joue une symphonie de Haydn. À 9 heures, les souverains quittent le château »15. « La voiture s’arrête devant le perron de l’église [Notre-Dame de Versailles]… Aux sons des fifres, des tam-bours et des trompettes, les souverains et leur suite remontent la nef de l’église jusqu’à l’entrée du chœur… le clergé entonne le Veni Creator »16. Puis, c’est la procession elle-même jusqu’à l’église Saint-Louis (la future cathédrale). « Le clergé de Versailles est en tête du cortège… suivi par les députés des états généraux… le dais du Saint-Sacrement est porté par des gentilshommes d’honneur des frères du roi »17. « Le trajet pour atteindre Saint-Louis prend plus d’une heure. La procession y arrive vers 12h30 »18. « La messe votive du Saint-Esprit - comme pour une rentrée parlementaire - est ensuite célébrée selon le rite pontifical par l’archevêque de Paris… Après le chant de l’Évangile, Mgr de La Fare, évêque de Nancy et député du clergé du baillage de Nancy, prononce, pendant une heure et demie, une longue homélie sur le thème de l’importance de la religion, qui fait la force et le bonheur du royaume »19. « Dès la fin de la messe, l’archevêque de Paris célèbre un salut du Saint-Sacrement. La cérémonie s’achève vers 16 heures… »20.

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21) Alexandre Maral, op. cit., p. 92. 22) Alexandre Maral, op. cit., p. 107. 23) Alexandre Maral, op. cit., p. 122. 24) Alexandre Maral, op. cit., p. 185. 25) Alexandre Maral, op. cit., p. 252.

26) Alexandre Maral, op. cit., pp. 267-268. 27) Alexandre Maral, op. cit., p. 311. 28) Louis-Michel Le Peletier, marquis de Saint-Fargeau, député de la noblesse. Il votera la mort du roi et sa mémoire était, paraît-il, particulièrement chère à feu Jean d’Ormesson, son descendant.

« Le lendemain de la procession inaugurale, la grande salle de l’hôtel des Menus-Plaisirs accueille l’ensemble des députés pour la séance d’ouverture des états généraux »21. 1 154 députés assis-tent à cette séance qui s’ouvre par un discours du roi, revêtu du grand manteau de l’ordre du Saint-Esprit. Prononcé d’un ton résolu et d’une voix forte, ce dis-cours est interrompu par des applaudissements chaleu-reux. Puis, c’est au tour du garde des Sceaux Barentin et, ensuite, à Necker, ministre d’État, de prendre la pa-role… Mais avant que les délibérations n’aient lieu, il faut véri-fier les pouvoirs des députés. Mais, ni le roi, ni le garde des Sceaux, ni Necker n’ont précisé les modalités de cette vérification. « Membre du Conseil, le comte de Saint-Priest y voit une faute politique majeure de la part du gouverne-ment »22. D’où des chicaneries pendant des semaines… Comme l’écrit le député Devisme : « mes sentiments sur le trop grand nombre d’avocats ne se vérifient que trop : chacun veut parler, et parler longuement… »23. Et le marquis de Fer-rières, député de la noblesse de la sénéchaussée de Sau-mur, de renchérir le 15 mai : « Nos états généraux ne font rien. Nous nous assemblons tous les jours à 9 heures. Il est 4 heures et demie quand nous sortons. Tout le temps se passe en bavardages inutiles, à crier, à ne point s’entendre. Chacun veut briller et faire des phrases »23… Pendant ce temps, le pays se désorganise, on supprime des impôts qui ne sont pas remplacés, l’argent ne rentre plus dans les caisses de l’État, la famine et la banque-route menacent… Le 4 juin, le dauphin décède au château de Meudon. Le 17 juin, à l’issue de séances houleuses, « les députés du tiers état estiment qu’ils ne font plus partie des états généraux, une instance consultative convoquée et protégée par le roi, et se proclament Assemblée nationale »24. Et, le 23 juin, dans une lettre au cardinal de La Rochefoucauld, le roi engage son « fidèle clergé à se réunir sans délai avec les deux ordres pour hâter l’accomplissement » de ses « vues paternelles »25. Cela n’empêche pas l’archevêque de Paris, Leclerc de Juigné,

d’être lapidé à sa descente de voiture le lendemain et les évêques de Senez et d’Amiens d’être également agres-sés… Au terme des débats des 7 et 8 juillet, à l’initiative de Talleyrand, évêque d’Autun, c’est la vieille tradition représentative française (que l’on pourrait qualifier de véritable démocratie…) qui disparaît : « le député n’est plus le simple porte-parole de ses commettants lié à ces derniers par un engagement particulier au sein d’une société pyramidale, mais il fait partie d’un corps souverain voulant et décrétant pour le compte de la nation envisagée comme un corps unifié et indivisible comprenant l’ensemble des citoyens. Pour reprendre la formule de François Furet et Ran Halévi, « représenter la nation devenue souveraine, ce n’est plus additionner, fondre accorder des volontés particulières et multiples, c’est au contraire opiner librement pour elle, en son nom, mais indépendamment de ses membres »26. Pendant ce temps, l’ensemble de l’armée française (y compris les gardes françaises), travaillée par des me-neurs, devient de moins en moins sûre. À Paris, le pain n’a jamais été aussi cher depuis 1770… Le 12 juillet, plusieurs barrières d’octroi parisiennes sont incendiées et le couvent de Saint-Lazare (à l’emplacement de l’ac-tuelle gare du même nom) est pillé. Le 14 juillet, vers 23 heures, « le député Lefèvre d’Ormesson, qui est aussi président à mortier au parlement de Paris, arrive de la capitale et an-nonce à l’Assem-blée que la Bas-tille a été prise et qu’il a vu prome-ner dans Paris la tête de Launay et celle de son lieute-nant, le major de Losme »27. Le 17 juillet, le roi se rend à Paris… Le 24 juillet, grâce au député Le Peletier de Saint-Fargeau28, le cardinal de Rohan est admis à siéger au sein de l’Assemblée alors qu’il avait été condamné à l’exil par le roi, suite à l’affaire du Collier.

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29) Cité par Alexandre Maral, op. cit., pp. 363-364. 30) Cité par Alexandre Maral, op. cit., p. 364. 31) Alexandre Maral, op. cit., p. 368. 32) Alexandre Maral, op. cit., p. 370. 33) Alexandre Maral, op. cit., p. 375.

34) Alexandre Maral, op. cit., p. 409. 35) Alexandre Maral, op. cit., p. 386. 36) Alexandre Maral, op. cit., p. 396. 37) Alexandre Maral, op. cit., p. 398. 38) Alexandre Maral, op. cit., p. 403.

Le 4 août, une folie frénétique s’empare de l’Assemblée. Deux exemples… Le Guen de Kerangall, député de la sénéchaussée de Lesneven en Bretagne, s’écrie : « Qu’on nous apporte ces titres qui obligent les hommes à passer la nuit à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le som-meil de leurs voluptueux seigneurs ! »29. Lapoule, député du bailliage de Besançon, évoque « cet horrible droit [...] par lequel le seigneur était autorisé, dans certains cantons, à faire éventrer deux de ses vassaux à son retour de chasse pour se délas-ser en mettant ses pieds dans les corps sanglants de ces malheu-reux »30. Un effet de surenchère s’empare de l’Assemblée et c’est la suppression des privilèges… Quelques personnes sont, malgré tout, lucides : « Pour Dumont, collaborateur du comte de Mirabeau, « on eût dit que l’Assemblée était comme un mourant qui fait son testament à la hâte ou pour mieux dire chacun donnait libéralement ce qui ne lui appartenait pas et se faisait honneur de se monter généreux aux dépens d’autrui » »31. T o u t l e monde n’est cependant pas désintéressé : « de nombreux nobles pensent, à tort, gagner de l’argent par le rachat des droits féodaux et pouvoir ainsi prendre place dans les rangs de la bourgeoisie conquérante, la grande gagnante de la nuit du 4 août »32. Ne pouvait-on, pourtant, se rendre compte que le nou-vel ordre, « fondé sur la disparition de la dépendance hiérar-chique des hommes et l’idée de l’universalité de la loi »32 était, en fait, au service de l’individu propriétaire et que le monde paysan, outre le clergé, allait être « le grand per-dant de cette abolition des privilèges, puisqu’il se voit contraint, comme le souligne Michel Vovelle, à un rachat onéreux des charges qui le concernent principalement »33 ? Le 7 août, le garde des Sceaux, Champion de Cicé, dresse un tableau alarmant de la situation dans le royaume : « Les propriétés sont violées dans les provinces, des mains incendiaires ravagent les habitations des citoyens, les formes de la justice sont méconnues et remplacées par des voies de fait »34.

Le 12 août, à Caen, le vicomte de Belzunce, major du régiment de Bourbon-Infanterie, âgé de 24 ans, accusé d’affamer le peuple, est massacré « dans d’atroces condi-tions : son corps est piétiné et, encore en vie, dépecé, tandis que son cœur est mangé par une femme du peuple »36. Toujours le 12 août, pendant que la famine se profile, les députés n’omettent pas de penser à eux-mêmes et de se voter une indemnité parlementaire de 18 livres par jour, avec effet rétroactif jusqu’au 27 avril, et une indemnité de déplacement de 25 sols par lieue, des montants largement surévalués au regard du coût de la vie à Versailles… Le 25 août, c’est la dernière fête de la Saint-Louis. Puis, c’est la préparation de la Déclaration de l’homme et du citoyen. Le 11 juillet, le marquis de La Fayette avait proposé un texte pour lequel il avait consulté Jefferson, représen-tant des États-Unis à Paris… Les 20 et 21 juillet, l’abbé Sieyès avait proposé une dé-claration en trente-deux articles qui se fondait sur « la distinction, fondamentale, entre les droits naturels et civils, ou droits passifs, et les droits politiques, ou droits actifs »36. Elle en excluait les femmes, les enfants, les étrangers et les indi-gents… Et les discussions de continuer… Madame de Staël voit juste : « pendant que la France avait à craindre la famine et la banqueroute, les députés prononçaient des discours dans lesquels ils disaient que chaque homme tient de la nature le droit et le désir d’être heureux… »37. Au terme de six jours de débats, le 26 août, l’adoption de l’article relatif au respect de la propriété marque l’ar-rêt des discussions. Il est à noter que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne fait « aucune mention de la famille, de la femme, de l’enfant, du droit au travail, du droit de grève, des droits sociaux en général, des droits syndicaux, des droits associa-tifs »38. Elle ne cite ni les juifs, ni les noirs… Et comme le relève Michal Biard : « les droits sociaux sont absents de la déclaration : la même liberté est reconnue au puissant et au faible, mais rien n’empêche le premier d’opprimer le second »39.

(Suite de la page 5)

(Suite page 7)

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39) Alexandre Maral, op. cit., p. 399. 40) Alexandre Maral, op. cit., p. 420. 41) Alexandre Maral, op. cit., p. 469. 42) Alexandre Maral, op. cit., p. 508. 43) Alexandre Maral, op. cit., p. 509. 44) Alexandre Maral, op. cit., pp. 531-532. 45) Vicomte André-Boniface de Mirabeau, dit Mirabeau-Tonneau, à

cause de son ivrognerie. Il était presque aussi débauché que son frère aîné, le comte de Mirabeau. 46) Alexandre Maral, op. cit., p. 491. 47) Alexandre Maral, op. cit., p. 537. 48) Alexandre Maral, op. cit., p. 541. 49) Alexandre Maral, op. cit., p. 544.

Les 15 et 17 septembre, les députés discutent des règles de succession au trône. Le 29 septembre, le plan de division du royaume en 80 départements est présenté à l’Assemblée : « la France est découpée en 80 départements carrés de 18 lieues de côté - Paris forme le 81e département -, chacun de ces carrés est divisé en 9 communes ou districts carrés, ces derniers sont divisés en 9 can-tons carrés, ce qui fait 6 480 cantons »40. Même le comte de Mirabeau est choqué par un tel irréalisme ! La rumeur d’un mouvement insurrectionnel court dès le 4 octobre au soir. « Au matin du lundi 5 octobre, l’hôtel de ville de Paris est envahi par des femmes qui menacent d’y mettre le feu si on ne leur donne pas de pain »41. Un cortège se forme et prend la direction de Versailles Le 6 octobre, le château est envahi par des femmes et des hommes déguisés en femmes. Un garde du corps nommé Des Huttes « est roué de coups et traîné, plus ou moins en vie, jusqu’au bout de l’aile sud des Ministres, face au premier perron. C’est là que Jourdan, dit Coupe-Tête… armé d’une hache, s’approche de la victime, appuie son pied sur la poi-trine et tranche la tête »42. Un autre garde du corps, Rouph de Varicourt « est traîné - par les cheveux - dans l’escalier de la Reine, dans la cour Royale, puis dans le passage de la Colon-nade. Comme Des Huttes, il est décapité par Jourdan - alors qu’il se débat encore - devant le perron… Son cadavre est ensuite transporté, lui aussi, devant la caserne des gardes françaises. Plu-sieurs hommes ramassent des caillots de sang et s’en frottent les bras et le visage »43. Vers 14h00, le roi et la famille royale partent pour Paris, accompagnés de 100 députés. Le cortège marque un arrêt à Sèvres, « on y force un perruquier à poudrer les cheve-

lures des deux têtes des gardes du corps, que l’on tient à montrer au nonce du pape et au ministre de la République de Gênes, tous deux en chemin vers Versailles »44. Pendant ce temps, Duquesnoy, député du tiers état du bailliage de Bar-le-Duc, témoigne de ce qui se passe à l’Assemblée : « Bientôt la salle a été remplie de femmes ivres d’eau-de-vie, qui dansaient, montaient sur l’estrade du président, allaient l’embrasser. D’un autre côté, le vicomte de Mirabeau45

prenait la gorge aux plus jolies... »46. L’Assemblée continue, cependant, ses travaux à Ver-sailles. Le 10 octobre, « le docteur Guil-lotin propose à l’Assemblée un nouveau mode d’exécution capi-tale, sans douleur et identique pour tous, la future guillotine »47. Toujours le 10 octobre, à la fin de la séance du matin, l’évêque Talleyrand propose la nationalisation des biens du clergé « de manière à supprimer tous les impôts indirects, rembourser les offices abolis et salarier les ministres du culte »48. Quelques yeux se dessillent enfin. Un curé, faisant allu-sion à la démarche des députés du tiers état le 27 mai, s’exclame : « Quand vous vîntes dans notre chambre nous con-jurer au nom d’un Dieu de paix de nous réunir à vous, c’était donc pour nous égorger ? »49. Il est hué… Le lundi 12 octobre, l’Assemblée décrète officiellement son transfert à Paris… et au moins 30 000 Versaillais quittent la ville…

Dominique Coudé

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Versailles - Le Hameau

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Droit naturel et ordre naturel.

Docteur en droit, historien du droit et des idées politiques, Maître de conférences à l’Université de Brest, notre ami Philippe Pichot-Bravard vient de publier un ouvrage intitulé « Le droit naturel - Fonder l’ordre juste - Histoire, actualité, enjeux »1, un ouvrage qui dresse l’historique de la question et montre l’actualité et l’importance de la notion au XXIe siècle. « Il s’agit en effet d’un patrimoine commun à toute l’humanité : comment la pensée du droit naturel ne serait-elle pas destinée à tous les détenteurs de la nature humaine, quelle que soit leur appartenance religieuse ? … Le livre de Philippe Pichot-Bravard vient donc à un moment historique décisif… », précise son éditeur. Nous en avons tenté une brève recension.

1) Philippe Pichot-Bravard, Le droit naturel, Ichtus, 2017. 2) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 19. 3) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., pp. 20-21. 4) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 26.

5) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 45. 6) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 46. 7) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 50.

Dès la Grèce antique deux conceptions du Droit s’op-pose et, au Ve siècle avant notre ère, Antigone de So-phocle illustre le conflit en puissance. « La première école définit le droit comme l’expression de la vo-lonté de ceux qui exercent le pouvoir »2, quelle que soit la

forme du pouvoir. L’on parlera alors de « positivisme juri-dique ». « La deuxième école considère que le droit est « cela qui est juste », qu’il est un art, l’art d’attribuer à cha-cun la part qui lui re-vient »2. « Alors que la première conception affirme la légitimité de tout acte pris par le détenteur de la souverai-

neté législative »2, la deuxième ne reconnaît une légitimité qu’aux décisions conformes à l’ordre naturel. Ce dilemme n’est pas propre au monde occidental. « Aux quatre coins du monde, les grandes civilisations, aussi bien l’hindouisme, que le bouddhisme, le monde chinois, avec l’enseignement de Lao-Tseu et avec celui de Confucius, ainsi que l’empire du Japon, ont affirmé l’existence de principes qui permet-tent aux hommes de s’engager sur la voie droite, conforme à l’ordre naturel… Les traditions africaines témoignent, quant à elles, du souci primordial de la conservation de la vie. La question de l’islam est plus délicate car en imposant à ses fidèles l’obéis-sance à des principes et à des commandements inscrits dans la Loi coranique elle les place, malgré le caractère réellement naturel de

certains de ces principes, dans une logique de droit positif »3. L’apport d’Aristote Aristote a une haute conception de la nature humaine et « professe l’unité substantielle de l’être humain composé d’un corps et d’une âme »4. Il fait la distinction entre la justice naturelle, fondée sur la nature, et la justice légale, fon-dée sur la volonté de l’homme. L’apport de Cicéron Le droit romain est, avant tout, un droit pratique, les Romains étant peu attirés par les abstractions. C’est grâce à Cicéron que la réflexion juridique est ap-profondie. À l’instar d’Aristote, Cicéron a une concep-tion élevée de la nature humaine et préconise la soumis-sion de la cité aux règles du droit naturel, étant entendu que le droit naturel est commun à tous les peuples, dé-coule des choses et est déterminé par la droite raison. L’apport du christianisme Les Évangiles « ne contiennent ni doctrine politique, ni règles juridiques. Le Christ n’est pas un juriste »5. Cependant, la nouvelle vision de l’homme et de la société qu’ils véhi-culent n’en implique pas moins une attitude politique particulière. Ainsi, le domaine temporel et le domaine spirituel étant « guidés par des logiques différentes et encadrés par des règles différentes »6, les deux pouvoirs correspon-dants ne doivent pas reposer dans les mêmes mains. Saint Augustin (354-430) définit la loi comme « une déci-sion qui tend au règne de la justice. La loi est définie par sa fina-lité et non par son origine »7. Saint Thomas d’Aquin (1225-1274) fait la synthèse des définitions antérieures. « La loi éternelle préexiste en Dieu et, en quelque sorte, Le régit Lui-même. La loi naturelle est intro-

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8) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 54. 9) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., pp. 55-56. 10) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 59. 11) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 65. 12) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., P. 70. 13) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 69.

14) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 72. 15) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 80. 16) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 89. 17) Philippe PIchot-Bravard, op. cit., p. 104. 18) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 113.

duite par Dieu dans la Création et consciente dans le cœur de l’homme comme une science infuse du bien et du mal. Elle est universelle et immuable »8. Quant à la loi humaine, elle « doit adapter la loi naturelle à la mosaïque des circonstances en favorisant l’épanouissement de la vertu »9. Dans l’Ancienne France La Chrétienté médiévale respecte le droit naturel. Dans l’Ancienne France, en particulier, il existe un « État de Justice » qui permet « par-delà l’inévitable imperfection des institutions humaines, la soumission du Souverain au Droit »10. Bossuet pourra affirmer : « Toutes les lois sont fondées sur la première de toutes les lois, qui est celle de la nature ». Et le respect du droit naturel a pour conséquence le respect du droit des particuliers. Ainsi, lors de la mise en œuvre de la réforme du Parlement en 1771, « Louis XV déclare qu’il est « dans l’heureuse impuissance » de porter atteinte « à la vie, à l’honneur et à la propriété de ses sujets »11. Les premières déviations Très tôt, la philosophie de saint Thomas est contestée par une école franciscaine composée de Duns Scot (1266-1309) et surtout de Guillaume d’Occam (1285-1349). Pour Duns Scot, « Dieu n’a pas pu créer un ordre naturel car cet ordre naturel s’imposerait à Lui et limiterait sa Toute-puissance »12. Quant à Guillaume d’Occam, il affirme que « Dieu n’a pu créer que des individus juxtaposés et des choses singulières. S’Il avait créé des groupes humains, Il aurait introduit en eux un ordre naturel qui aurait limité sa Toute-puissance »13. Contrairement à saint Thomas, Duns Scot fait primer la volonté sur l’intelligence et, tel Descartes, plus tard, Occam sépare la philosophie de la foi et rejette les preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Le nominalisme est en marche ! La seconde scolastique « Les juristes de la scolastique espagnole [Université de Salamanque], en particulier Suarez (1548-1617), tricotèrent un compromis entre le thomisme et l’occamisme, compromis qui donne naissance à l’École moderne du droit naturel, c’est-à-dire à une conception subjectiviste du droit naturel, centré sur le sujet,

sur l’individu et non sur l’ordre objectif du cosmos »14. L’école moderne du droit naturel Elle naît au XVIIe siècle, nourrie par le nominalisme et les travaux de l’école de Salamanque. Elle est marquée par les écrits d’Hugo Grotius (1583-1645), universitaire protestant et haut magistrat hollandais. Le droit n’est plus « l’art d’attribuer à chacun la part juste ; il est le pouvoir d’un individu sur une chose »15. Son contenu n’est plus l’observation du réel, mais le produit de l’intelligence humaine. Le Code civil de 1804 reposera très largement sur ces principes. Les droits de l’homme L’idée que la personne humaine est protégée par des règles de droit est très ancienne et découle naturelle-ment du devoir de justice qui, depuis l’ère carolin-gienne, fonde la légitimité du Roi. Quant à la notion des droits de l’homme, beaucoup plus récente, elle « repose sur une conception nominaliste du monde et subjectiviste du droit »16. L’homme n’est plus qu’une machine réagis-sant aux sensations qu’il perçoit en fonction de son seul intérêt égoïste. Et, expression de la volonté générale, la loi n’est plus l’acte qui participe au règne de la justice mais l’acte qui exprime la volonté du souverain. La déclaration universelle des droits de l’homme Rédigée au lendemain de la Seconde guerre mondiale par l’organisation des Nations unies, la déclaration uni-verselle des droits est un texte de compromis « entre la philosophie libérale, individualiste et relativiste, et des conceptions chrétiennes traditionnelles »17. La notion de droit naturel en est absente. Le droit naturel et la doctrine sociale de l’Église Face à la montée de nouvelles idéologies (libéralisme, socialisme et nationalisme), « l’Église enseigne, depuis le dernier tiers du XIXe siècle, une véritable doctrine sociale, en apportant une réponse aux questions nouvelles soulevées par les bouleversements contemporains »18. Qualifiant la loi naturelle de loi « la plus éminente de toutes (…) écrite et gravée dans l’âme de chaque homme » et appelant la volonté humaine à se soumettre à « la droite rai-son » (Libertas praestantissimum, 1888), l’apport du pape

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Quand Charles-Quint devançait François Ier

dans la recherche d’une alliance avec l’islam...

L’on sait qu’à partir des années 1530, François Ier et Soliman le Magnifique inaugurent une alliance franco-ottomane. Bien que cela soit parfois contesté, cette alliance se serait concrétisée, dès 1535, par un traité dit « capitulation » comportant, outre des avantages commerciaux pour la France, des dispositions protégeant les ressor-tissants français de l’Empire ottoman, en particulier sur le plan de la liberté religieuse. Que n’a-t-on « bavé » sur cet épisode : « alliance impie », « union sacrilège de la fleur de lys et du croissant », comportement scandaleux du roi en comparaison de celui de son vertueux adversaire, Charles-Quint ! Si nombre d’auteurs français semblent souscrire à ce jugement, il n’en est pas nécessairement de même à l’étranger, témoin François-Joseph-Ferdinand Marchal (1780-1858), membre de l’Académie royale de Belgique, Con-servateur des manuscrits de la Bibliothèque royale et auteur d’une « Histoire Politique du Règne de l’Empereur Charles-Quint » (1856). Admirateur de l’empereur, n’ayant que peu de sympathie pour les rois de France, François Marchal nous ré-vèle que c’est Charles-Quint qui, le premier, tente une alliance avec le monde musulman. Dès 1522, l’empereur reçoit une ambassade du roi de Perse, schah Ismaël, qui lui propose une alliance contre les Turcs. En retour, il lui envoie un moine maronite du mont Liban. Préoccupé par les guerres qu’il mène, l’empe-reur ne peut donner suite à cette correspondance, d’autant plus que schah Ismaël décède en 1523. Le 15 février 1529, Charles-Quint renouvelle sa tentative par une longue lettre en latin au roi de Perse. Cette lettre est portée par Jean de Balbi, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem. Balbi arrive à Alep le 12 août 1529 mais ne parvient à Bagdad, dans les États du roi de Perse, que le 13 mai 1530. Ensuite, les traces de cette mission se perdent et l’on ne sait si Balbi est arrivé auprès du roi de Perse et s’il est revenu en Europe. Le jugement de Marchal - bien qu’adulateur de Charles-Quint - sur François 1er apparaît comme particulière-ment pertinent : « ce roi chevaleresque voulait seulement une alliance avec le sultan pour contre-balancer celle que Charles-Quint proje-tait avec le roi de Perse » (Histoire Politique du Règne de l’Empereur Charles-Quint, Librairie de C. Muquart, Éditeur, Bruxelles - Gand - Leipzig, 1856, Réédition Hachette/BnF, p. 480). Par ailleurs, le chiisme étant devenu la religion officielle de la Perse en 1502 et le sunnisme celle de la Porte Ottomane en 1517, toute ressemblance avec une situation plus actuelle ne saurait être que fortuite…

Dominique Coudé

19) Philippe Pichot-Bravard, op. cit., p. 116. 20) Philippe Pichot Bravard, op. cit., p. 131.

21) Cité par Philippe Pichot-Bravard, in op. cit., p. 133.

Léon XIII est essentiel. Par la suite, chaque pape aura à cœur d’en approfondir les implications concrètes. Pie XII fait « du respect du droit naturel le remède qui doit limiter et ordonner la puissance de l’État à la réalisation du bien commun »19. Jean-Paul II, prolongeant l’enseignement de Paul VI dans Humanae Vitae, insiste à de nombreuses reprises sur les menaces que constituent la contraception, l’avortement, l’euthanasie et l’exploitation des em-bryons. L’apport de Benoît XVI

Particulièrement préoccupé par la question du « droit naturel », Benoît XVI, lors du discours prononcé au Bundestag le 22 septembre 2011, souligne implicite-ment « l’abîme qui sépare le christianisme, et tout particulière-ment le catholicisme, du judaïsme d’une part, de l’Islam d’autre part. Il n’y a pas, dans le christianisme, de texte comparable à la Charia. Le christianisme n’est pas une religion du Livre, une religion de la Loi, mais une religion de l’Esprit qui fait appel au cœur, à la conscience, à l’intelligence de chaque homme éclairé dans son travail de discernement par la grâce »20. Et le pape de conclure : « La culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, de la rencontre entre la foi au Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome »21.

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L’IMB participe à la restauration de la

Chapelle du Champ des Martyrs à Brec’h en Bretagne.

Cette chapelle de style néo-classique a été édifiée à l’endroit où ont été fusillés 206 combattants, émigrés et chouans, faits prisonniers à l’issue de l’écrasement de l’armée royaliste dans la presqu’île de Quiberon, le 21 juillet 1795. Elle rappelle ainsi le souvenir de l’ensemble des défenseurs de la royauté morts dans le cadre des combats qui se déroulèrent à la suite du débarquement des royalistes à Carnac le 27 juin 1795. Ils représentent environ 750 fusillés (le Champ des Martyrs ne fut qu’un des lieux d’exécution, et en tout sans doute 4 000 victimes, si l’on tient compte des personnes mortes au combat ou des suites de leurs blessures, mais aussi celles décédées dans les prisons (notamment

à Vannes).

Les restes des fusillés du Champ des Martyrs ont été transférés en mai 1814 dans la chapelle de la Chartreuse d’Auray, à l’initiative du recteur de la pa-roisse d’Auray, l’abbé Gabriel Deshayes.

Le duc d’Angoulême est venu prier sur les ossements le 1er juillet 1814. À la suite de sa visite, il est décidé d’ériger deux monuments pour le souvenir des combattants de Quiberon : la chapelle expiatoire du Champ des Martyrs et la chapelle funéraire de la Chartreuse d’Auray avec son mausolée. La fille de Louis XVI, la duchesse d’Angoulême, en posera la première pierre le 20 septembre 1823. Leur financement, grâce notamment à une souscription nationale, et leur construction seront réalisés sous l’égide d’une commission formée par ordre du roi ; ils doivent beaucoup au zèle du préfet du Morbi-han, le comte de Chazelles. Ils seront inaugurés le 15 octobre 1829 avec le concours des autorités civiles, militaires et religieuses, en présence d’une population très nombreuse, sans doute plus de 15 000 personnes.

La chapelle du Champ des Martyrs nécessite aujourd’hui une restauration importante. La municipalité de Brec’h, propriétaire du monument, a déjà procédé à certains travaux et a défini un programme pour l’avenir, en collaboration étroite avec l’architecte des Bâtiments de France. Elle a décidé de faire en priorité les travaux d’extérieur : différentes opérations de maçonnerie concernant le caniveau pavé, le dallage du péristyle, les colonnes, ainsi que la restauration de la grande porte d’entrée et de la fenêtre qui lui fait face.

Les travaux débuteront en 2018 ; leur financement, d’un montant d’environ 22 000 €, sera assuré par l’État, la région Bretagne, le département du Morbihan, la commune de Brec’h et l’Institut de la Maison de Bourbon.

À l’occasion de sa visite en Morbihan, en mai 2015, Monseigneur le duc d’Anjou est allé au Champ des Martyrs. Il y a prononcé un émouvant discours et a ensuite rencontré le maire, Fabrice Robelet, le premier adjoint chargé notamment du patrimoine, Olivier Cojan et l’architecte des Bâtiments de France, Laure d’Hauteville. Il s’est engagé à ce que l’IMB participe au financement des travaux de la chapelle.

Je pense que vous aurez à cœur de participer à la pérennisation de ce monument élevé à la mémoire des victimes de la Révolution et je sais pouvoir compter sur vous.

Chaque don donnera droit à un reçu fiscal.

D’avance un très grand merci.

Prince de Bauffremont Président

Télécharger le Coupon de participation sur le site de l’IMB : www.royaute.info, ou le demander au siège social : 81, avenue de la Bourdonnais 75007 Paris - Tél. : 01 45 50 20 70.

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Institut de la Maison de Bourbon Association régie par la loi de 1901 et reconnue d’utilité publique

Siège social : 81, avenue de la Bourdonnais 75007 Paris : 01 45 50 20 70 - : [email protected]

Site Internet : www.royaute.info

Les Nouvelles de l’Institut Directeur de la publication : Prince de Bauffremont

Rédacteur en chef : Dominique Coudé Dépôt légal à parution

I.S.S.N. : 2490-6700 - CPPAP : 0121 G 92953 Le numéro : 5 euros - Abonnement : 20 euros

Programme à venir.

Conférences organisées par l’IMB, à Paris : • 9 avril - « D’Artagnan et les mousquetaires du roi », par Odile Bordaz, Conservateur en chef du Patrimoine. • 2 mai - « L’épopée des Zouaves pontificaux : 1860-1870 », par le colonel Éric du Réau. Événements organisés par l’IMB : • 3 mai - Messe pour Madame Élisabeth de France en l’église Sainte-Élisabeth de Hongrie à Paris, à 19h30. • 8 mai - Journée à Orléans en hommage à Jeanne d’Arc pour la libération de la ville. • 7 juin - Messe pour Louis XVII et l’enfance martyrisée en l’église Sainte-Élisabeth de Hongrie, à 19h30. • 6 juillet - Journée Henri IV pour le bicentenaire de sa statue sur le Pont-Neuf à Paris. • 24 et 25 août - Fête de la Saint-Louis en Bourbonnais à Moulins, Souvigny… Événements recommandés par l’IMB : • 24 mai - Dîner-débat « Information ou désinformation ? Quelques clefs pour prévoir et comprendre les crises », organisé par

le cercle Jean-Pierre Calloc’h de Vannes ([email protected]). • Fin juin - Dîner-débat : « Le général Lanrezac et la Grande Guerre », organisé par le cercle Jean-Pierre Calloc’h de

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