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No 1 mars 2012 De la défiance à la confiance

PAGES ROMANDES - De la défiance à la confiance

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Les actes du forum de Monthey, qui a eu lieu le 27 octobre 2011. Le but de la journée était d'interroger les mécanismes conduisant à la défiance et de dégager des pistes pour regagner la confiance

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No 1 mars 2012

De la défiance à la confiance

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A l’Hôtel des routesMise en scène : Gilles Anex et Marie-Dominique Mascret

Coproduction : St-Gervais Genève Le Théâtre - Théâtre de l’Esquisse / autrement-aujourd’hui, association

Du 18 avril au 4 mai 2012 au Théâtre St-Gervais Genève

me, je à 19hve, sa à 20h30

di à 18hRelâches lu, ma et di 22 et me 25 avril

St-Gervais Genève Le ThéâtreRue du Temple 5, 1201 Genève

www.saintgervais.ch022 908 20 00

Une création du Théâtre de l’Esquisse

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Impressum Pages romandes Revue d’information sur la déficience intellectuelle et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Conseil de FondationPrésident : Cédric Blanc

Rédactrice et directrice de revueSecrétariat, réception des annonces et abonnementsMarie-Paule ZuffereyAvenue Général-Guisan 19CH - 3960 SierreTél. +41 (0)79 342 32 38Fax +41 (0)27 456 37 75E-mail: [email protected]

Comité de rédactionMembres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Marie-Paule Zufferey, Michèle Ortiz, Responsable de publication: Cédric Blanc

Parution: 4 numéros par anMi-mars, mi-juin, fin septembre, mi-décembre

Tirage minimal: 800 exemplaires

Abonnement annuelSuisse Fr. 45.--AVS, étudiants Fr. 38.--Abonnement de soutien Fr. 70.--Etranger Euros 35.--

Publicité et annonces - Tarifs1 page Fr. 800.--1/2 page Fr. 500.--1/4 page Fr. 250.--1/8 page Fr. 125.--1/16 page Fr. 50.--Tarifs spéciaux pour plusieurs parutionsLes demandes d’emploi provenant des étudiants des écoles sociales romandes sont gratuites

Délai d’insertion3 semaines avant parution

Compte bancaireBanque cantonale du Valais, 1951 SionEn faveur de K0845.81.47 Pages romandesCompte 19-81-6Abonnement pour la France: faire parvenir vos coordon-nées et votre règlement par chèque bancaire à:Jean-François Deschamps108, rue Ire ArméeF - 68800 Thann

GraphismeClaude Darbellay, www.saprim.ch

Mise en pageMarie-Paule Zufferey

ImpressionEspace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

Crédits photographiques et illustrationsFotolia, Cédric Blanc, Olivier Salamin, Jean-Charles Pellaud, Cap-Contact

Photos de couverture: Fotolia

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction.La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

©Pages romandes

Sommaire

Dossier:

De la défiance à la confiance

2 Tribune libre Claude Blanc

3 Editorial Olivier Salamin

4 Inquiétude, désarroi et socialisation Myriam Klinger

7 Construire la confiance par la médiation socioculturelle Gabriel Bender

10 L’homme des foules et le souffrant Christophe Gallaz

12 De la défiance à la confiance, une question de représentations Pierre Margot-Cattin

14 Histoires de vies Interview de Jean-Charles Pellaud

16 Redonner confiance Eric Bonvin

18 Du projet pilote budget d’assistance à la contribution d’assistance, nouvelle prestation de l’assurance invalidité Dominique Wunderle

20 Exclusion par l’occultation de droits fondamentaux

Marie-Christine Ukelo

22 Même bénéficiaire, l’assurance invali-dité (AI) n’échappe pas aux coups de machette Mélanie Sauvain

23 Sélection Loïc Diacon

24 Séminaires, colloques et formations

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Tribune libre

Souriez... vous êtes soupçonnéClaude Blanc, professeur chargé d’enseignement à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social

«Il vaut mieux être trompé tout à fait que d’avoir le moindre soupçon»

William Shakespeare

En date du 1er janvier 2008, la 5e révi-sion de l’assurance-invalidité entrait en vigueur dans notre pays, ouvrant la perspective à des économies de plus de 800 millions de francs à l’orée 2026. Mais à quel prix au ba-romètre du niveau de défiance et de confiance des personnes en situation de handicap? On parle alors de «lutte contre les rentes injustifiées». La guerre ouverte se veut celle de la reprise de confian-ce. Légitimés et armés des outils de la suspicion, les conseillers peuvent questionner, tester, dénoncer, etc. A l’aide de spécialistes rompus aux méthodes d’enquête de la police, la surveillance et les contrôles inopinés peuvent être mis en place. Forts de statistiques internes et policières sur la criminalité, l’origine étrangère se voit érigée comme l’un des 19 critères de la suspicion, permettant un examen approfondi des rentes touchées. Mais rassurez-vous, ce critère ne vaut que trois points sur vingt et devrait dispa-raître si le travail de terrain contredit les stigmates posés à tout jamais. On parle également «d’assainissement par la réadaptation». De nouveaux outils de la suspicion font leur ap-parition: «la détection et l’interven-tion précoce» et son slogan «consta-ter, agir», hymne à la dénonciation. «Quelques jours d’absence ou de ma-ladie qui se reproduisent, régulière-ment ou non constituent peut-être les signes d’une invalidité imminente», vous avertit l’office AI. Employeurs et caisses-maladie, n’hésitez-plus. L’éva-luation est simple et rapide. Autre outil: «les mesures de réinser-tion, préalables à la réinsertion pro-fessionnelle» consistent en des pério-des-test de la motivation de l’assuré à se réinsérer, base solide de la construc-

tion d’une relation d’aide de confian-ce. Les mesures s’accompagnent d’un cadre légal qui permet enfin d’énu-mérer en détail les obligations des assurés et surtout les sanctions qu’ils encourent s’ils ne collaborent pas. Les réductions ou refus de prestations en espèces ou en nature sont clairement détaillés. Seule la responsabilité de l’assuré est engagée. La mesure, même inadéquate, reste sauve. Dernière invention et non des moin-dres: «la collaboration interinstitu-tionnelle». Afin de lutter contre «l’ef-fet tourniquet», c’est-à-dire le renvoi de l’assuré d’assurance en assurance, laissez-nous faire, on s’occupe de tout sans vous. C’est «l’effet bourri-quet» ou comment se faire tourner en bourrique. A grands coups de pro-curations, votre situation est évaluée à «l’insu de votre plein gré» et sous toutes les coutures (médicales, profes-sionnelles et sociales). Les informations circulent désormais librement sur votre cas entre les mê-mes assurances qui vous ont promené durant des semaines et ce, dans le plus grand respect de votre dignité... Signez les yeux fermés!Mais la suspicion ne s’arrête pas là. Elle décide de s’attaquer à votre ave-nir et aux plus jeunes d’entre vous. Le 1er volet de la 6e révision à peine engagé en ce début 2012, le 2e volet est déjà débattu. Les outils de la dé-fiance s’aiguisent encore un peu plus. Si le soupçon se portait sur les rentes touchées ou en examen, la présomp-tion de culpabilité se porte désormais sur les mesures susceptibles d’être mises en place en termes d’insertion professionnelle. La détection précoce accouche alors de mesures «pré-matu-rées», comme les jeunes qui risquent d’en faire les frais. A l’aide des outils d’un certain «case management», l’observation et l’at-tribution à des groupes à risques de jeunes avec des «difficultés probables

d’insertion professionnelle» débutent dès la 7e année. Les critères sont toujours aussi origi-naux: «résultats scolaires, compéten-ces sociales, intégration des migrants, implication parentale». Soyez sur vos gardes! Près de trois ans avant le choix d’une formation, votre enfant risque d’être évalué comme suscepti-ble d’être en échec dans ses examens finaux. Toujours cette même suspicion dans les capacités de l’humain et de la so-ciété à faire une place à chacun. Comment voulez-vous que les jeunes les plus fragiles puissent se surpasser dans un tel climat de défiance? Comment nos procédures de forma-tion peuvent-elle créer du lien quand on exige d’elles du résultat et du chif-fre avant même le début de tout pro-cessus? Comment recréer de l’estime de soi et de la confiance chez des personnes en situation de handicap sans cesse accu-sées de tromperie? Et tout cela, dans le but de regagner la confiance du plus grand nombre envers un système assurantiel qui ne croit plus en sa solidarité. Mais, finalement qui trompe qui?

Références: http://www.bsv.admin.ch/dokumenta-tion/gesetzgebung/00092/01581/index.html?lang=fr.

http://www.bsv.admin.ch/themen/iv/00023/02473/index.html?lang=fr.

http://www.fr.ch/shared/data/pdf/sfp/sfp_case_management_concept_global_cantonal_v1.3.pdf.

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De la défiance à la confiance Echos d’un forum Olivier Salamin, président de Forum Handicap Valais

Edito

Depuis le 1er janvier 2012, Pages roman-des a un nouveau président. C’est le directeur de la Fon-dation de Verdeil, Cédric Blanc qui remplace désormais dans cette fonction celui de l’Espé-rance, Charles-Edouard Bagnoud. Merci à l’un d’avoir assuré la publica-tion de la revue durant plus de huit années. Merci à l’autre d’avoir ac-cepté de reprendre cette responsabilité. Ce rapprochement entre Pages roman-des et la Fondation de Verdeil constitue un heureux évé-nement; ces deux structures sont en effet toutes deux issues de l’ASA suisse¹, association aujourd’hui dispa-rue, mais dont la mission d’aide aux personnes handica-pées n’est hélas pas encore sans objet...Retour aux sources et nouveau souffle pour une revue qui vient de fêter ses 50 ans d’existence...mpzu

1Association Suisse d’Aide aux handicapés. Pour plus d’information sur l’histoire, voir «Pages romandes» sur Wikipédia...

Dès l’année 2010, la Commission cantonale va-laisanne pour les personnes en situation de handi-cap a lancé une réflexion sur les défis qui nous attendent. Son objectif était alors d’organiser un «Forum d’éthique» qui aide les partenaires à sortir du quotidien et à élever les débats. Très vite, le sujet de la «suspicion» a fait l’unanimité et son urgence semblait à tous évidente…Durant les préparatifs, le sentiment le plus présent était celui de l’indignation: on ne nous fait plus confiance! Un climat délétère sem-blait alors issu des soupçons qui pèsent sur les personnes en situation de handicap, accusées dans leur malheur, de frauder l’Etat-providen-ce pour toucher une rente AI…Les répercussions nous semblaient tragiques. Alors que la solidarité s’exprime autour des banques qui, elles, ne méritent plus notre confiance, nous assistons, pour assainir une as-surance sociale, à un durcissement des condi-tions d’accès et à une réduction des prestations, sur le seul dos des assurés.Le 27 octobre 2011 à Monthey, le Forum in-titulé «De la défiance à la confiance» s’est ainsi voulu le reflet de préoccupations et d’inquié-tudes partagées entre les différents partenaires du projet (IPVR1, Réseau Entraide et Forum Handicap Valais). Le dossier que nous vous proposons aujourd’hui est construit comme s’il s’agissait des actes de cette journée, dont le but était d’interroger les mécanismes conduisant à la défiance et déga-ger des pistes pour regagner la confiance.Ouvert par Georgie Lamon2 en ces termes: «... Alors que la défiance et la suspicion guident de plus en plus et trop souvent nos actions, je souhaiterais exprimer avec force la nécessité qui est la nôtre de placer l’éthique au cœur de nos discussions. Sagesse du comportement, elle nous invite non seulement à nous questionner sur nous-mêmes, nos pratiques ou notre envi-ronnement, mais surtout, à nous remettre en question et à explorer d’autres pistes d’évolu-tion, d’autres manières d’être ensemble et dif-férents.» le Forum a proposé des exposés d’une rare densité. La journée débute par l’intervention de Myriam Klinger3, qui a conduit les partici-pants à mieux saisir les enjeux contemporains

liés à la perte des repères4.Christophe Gallaz nous a ensuite permis d’examiner notre rapport aux médias, en dé-pliant leur évolution au travers d’un exemple concret.De plus en plus, il nous faut faire face à des «décrochages» sociaux qui poussent dans la marge: le film de Jean-Charles Pellaud sur «Gérald, le clochard de Carouge» en fut le re-flet marquant.Dans le langage courant, nous parlons volontiers de «construire la confiance». Si nous sommes des partenaires convaincus de notre utilité, encore devons-nous être capables de le dire et de le montrer.Par touches successives, nous sommes ainsi par-venus, durant l’après-midi, à évoquer les raisons qu’il y a de nous faire confiance, les raisons qu’il y a à donner sa confiance. Si c’est le terme de raison qui est choisi, c’est qu’il est question d’un calcul, d’un pari tout au moins. Avec son sa-voir-faire de conteur, Gabriel Bender a évoqué les histoires du scorpion et du crapaud et celle de la carapace des tortues: donner sa confiance, c’est prendre le risque de la trahison. Ne pas prendre ce risque, c’est se condamner à une mort certaine, couché sur le dos, sans ne plus parvenir à se retourner…Accompagnés par Pierre Margot-Cattin, nous avons ensuite opéré un voyage au pays des re-présentations, pour découvrir, non sans une certaine ironie, que «les bons handicapés méri-tent notre soutien!».La conclusion synthétique d’Eric Bonvin, directeur des IPVR1, nous a permis de boucler la boucle au travers d’un périple historique.Les histoires ont une fin, mais nous avons vou-lu que celle-ci reste ouverte; car comme l’a dit et répété Jean-Charles Pellaud, il n’y a rien de pire qu’un élan qui se brise…

1 Institutions psychiatriques du Valais romand2 Président de la Commission cantonale pour les personnes en situation de handicap3 Myriam Klinger est professeure à l’Université de Strasbourg et auteure du livre: «L’inquiétude et le désarroi social».4 Dans le dossier, seule l’intervention de Gabriel Bender - qui vient compléter l’introduction sociologique de Madame Klinger - ne suit pas le déroulement de la journée.

Nouveau président

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Inquiétude, désarroi et socialisationMyriam Klinger, docteur en sociologie, maître de conférences à l’Université de Strasbourg

Quel sens donner à la confiance alors que le désarroi semble atteindre non seulement les personnes en situation de vulnérabilité, mais également les professionnels qui se doivent de répondre aux attentes de ces per-sonnes? Le désarroi met en désor-dre. Selon l’étymologie du mot qui nous ramène au vieux français du 13e siècle, il s’accompagne de désta-bilisation, de désorientation. Le so-ciologue Mills écrit dans les années 1950 déjà, le monde est traversé par «le désarroi d’une inquiétude im-précise»1. Le trouble qui en résulte, trouve aujourd’hui écho en chacun de nous, cette expérience n’est pas le propre des plus fragiles.

L’inquiétude se présente désormais comme une toile de fond de nos ex-périences quotidiennes, comme un sentiment diffus qui, selon les cir-constances, peut prendre de l’am-pleur et nous entraîne alors dans le désarroi. Cependant, ce sentiment d’inquiétude n’est-il pas aussi mobili-sateur, support pour orienter nos ac-tions? Cadre de notre vécu et culture vive dans laquelle nous puisons pour exprimer nos doutes et nos méfian-ces, l’inquiétude se donne également à comprendre comme un processus de socialisation. L’inquiétude, pen-sons-nous, permet de reconfigurer la défiance en confiance vigilante, per-met d’apprivoiser, de donner sens au temps de l’incertitude et de la déso-rientation.

C’est dans l’observation et l’analyse de situations de vulnérabilité, en des lieux spécialisés pour les accueillir notamment, que nous avons pu comprendre cette double dimension de l’inquiétude et ses potentialités. Dans une perspective sociologique, il apparaît que ces qualités de l’inquié-tude, présentes dans des situations extrêmes traitées par les spécialistes,

se manifestent de manière plus géné-rale, dans l’expérience ordinaire des épreuves et des tournants de la vie. Préalablement au développement de ces perspectives, un détour par l’histoire du sentiment d’inquiétu-de, particulièrement son émergence sous sa forme moderne à la fin du Moyen Age, permet de mieux saisir ses significations contemporaines.

L’émergence de l’inquiétude sous sa forme contemporaineSi la vulnérabilité est d’abord une donnée fondamentale de l’existence qui confronte chacun à la nécessité de se protéger le plus possible des blessu-res de la vie, le sens donné à cette vul-nérabilité et les moyens de la contrer épousent des formes variables selon les contextes. C’est à l’orée des Temps modernes que l’exposition aux aléas de la vie prend un tour différent. Les grandes peurs du Moyen Age, liées aux épidé-mies, aux famines ou aux guerres, ont déstabilisé l’Occident. Face à cette insécurité, les communautés se sont fermées sur elles-mêmes et ont tenté d’en éloigner les causes en les érigeant en figure humaine. Ainsi l’étranger ou le fou, notamment, participaient de ces figures de hantise qui ont traversé les siècles pour servir, aujourd’hui en-core, de repoussoir, en période d’in-sécurité surtout. Mais peu à peu, la stabilisation de l’organisation sociale marque l’entrée dans un autre temps qui prépare l’émergence de l’inquié-tude comme un regard distancié des peurs du Moyen Age, un regard plus froid porté sur la condition humaine. L’inquiétude propre aux Temps mo-dernes porte alors sur cette forme plus générale, la condition de l’hom-me. Le sentiment d’inquiétude se re-trouve ultérieurement au centre du romantisme sous la forme de mal du siècle et d’errance inquiète.

Il est important de saisir combien, dès le XVIIIe siècle, l’inquiétude de-mande à être définie, circonscrite, traitée autant que possible. La mé-decine hippocratique, en désignant l’âge de la puberté, le sexe féminin et le tempérament mélancolique comme les lieux d’épanouissement de l’in-quiétude, joue un rôle central dans la naturalisation de ce sentiment. Trop plein d’énergie, excessive activité, ou sentiment de vide et de grande fati-gue caractérisent désormais l’indivi-dualité moderne.

Ainsi cette conscience inquiète de l’existence et de la contingence, asso-ciée à la modernité, accompagne peu ou prou le temps long de l’histoire de nos sociétés. Elle s’intensifie dans des moments de catastrophes ou de trou-bles sociaux. Ainsi le tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, marque un tournant majeur dans l’histoire de l’inquiétude. Cet événement signe une autre perception du danger en remettant en cause l’existence de la providence divine et en introduisant l’idée d’une responsabilité humaine. Cette idée fera son chemin pour se conjuguer à la volonté de maîtrise des dangers, au fondement de l’actuelle ingénierie du risque.

L’inquiétude, aujourd’hui, comme cadre de l’expérience

Dans les années 1980, des événe-ments en cascade viennent interroger la capacité humaine à prévenir les ris-ques, introduisent le doute dans les manières de penser et de faire, jusque dans les habitudes les plus quotidien-nes. Que ce soit par les catastrophes industrielles ou par la découverte de maladies aux effets incontrôlés, l’ex-périence individuelle et collective, fragilisée et déstabilisée par la part d’imprévisible dans l’activité humai-ne, est mise en demeure d’épouser le

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mouvement tout en vivant avec l’in-certitude2. C’est alors que se conso-lide progressivement un ensemble de pratiques et de significations parta-gées: une «culture de l’inquiétude»3, définie par la démultiplication des doutes, l’appel aux spécialistes, la cir-culation de sentiments de défiance en même temps qu’une demande de sé-curité renforcée.

La confiance n’est plus donnée mais à travailler et à affiner au fur et à mesure des situations, dans un projet réflexif, c’est-à-dire dans une dynamique qui ne cesse de bouleverser les savoirs acquis pour intégrer à l’expérience en devenir, les résultats de l’expérience acquise et en cours. A ce mouvement continu, s’ajoute la difficulté liée à la nature de l’individualisme avec son expérience fragmentaire, disconti-nue de la vie, ses identités morcelées. Alors même que la principale valeur réside dans le seul fait de choisir, l’in-dividu moderne est conduit à devoir décider de ses chemins et de ce qui compte pour lui, tout en s’éprouvant dans le désarroi.

A cette culture de l’inquiétude s’agrè-gent progressivement des peurs que l’on croyait révolues, mais qui resur-gissent à la faveur d’une instabilité généralisée: peurs du manque, de la rupture qui conduisent à l’absence de travail, de logement, de protection.

Ces situations d’insécurités sociales rendent les individus plus vulnérables encore aux aléas de la vie. Ces peurs actualisent les sentiments d’inquiétu-de plus diffus et alimentent un imagi-naire de la catastrophe, dessinant des itinéraires de déchéances quasi inéluc-tables, des spirales d’échecs. Le «SDF, le sans domicile fixe», le toxicomane représentent des figures emblémati-ques de cet imaginaire, figures négati-ves qui prennent sens dans la double mobilisation qu’elles suscitent: rejet et sollicitude tout à la fois.

Le sentiment d’inquiétude se noue alors comme peur de la peur, peur d’être la prochaine victime. Les fins catastrophiques, les images du chaos, alimentent une rhétorique de l’exclu-sion qui se donne à voir comme conju-ration et défi. L’inquiétude lestée de toutes ces images, se construit comme une force pouvant mobiliser des com-pétences pour faire face. Imaginaire de la hantise cumulé aux situations réelles d’insécurité, dans l’attente du mieux ou du pire, dans l’indécision et la désorientation, produisent de l’agi-tation, avant que de pouvoir dénouer l’irrésolution de tous ces moments où la confiance s’absente ou s’éloigne. Cette agitation, ce tumulte, mani-festations concrètes de l’inquiétude, nous renvoient à l’étymologie latine inquietus c’est-à-dire «agité». Le sen-timent d’inquiétude prend place lors-

que ce qui va de soi dans les pratiques et les relations se trouve déstabilisé. Que ce soit au détour de l’enfance, dans la quête d’autonomie, ou encore au détour d’un accident, d’une mala-die ou encore de l’entrée en vieillesse, l’intranquillité s’accompagne de dé-fiance avec la charge d’hostilité que ce sentiment contient, mais aussi la part de défi et de mobilisation qui s’y rattache.

Les personnes rencontrées au cours de mes enquêtes portaient généralement des histoires lourdes d’événements catastrophiques. Ressenties comme des successions de ratés, de ruptures, d’épreuves sans fin qui affaiblissent la confiance en soi, ces vies entraînent une extrême dépendance aux aides, aux dispositifs d’accueil, aux aidants. Avant que de retrouver le chemin de la confiance, il y a un temps d’er-rance, d’attente intranquille, plus ou moins long. Ces observations issues de mes recherches trouvent un écho dans l’expérience de chacun, en des intensités variables, et rejoignent très certainement l’ordinaire de bon nom-bre de professionnels de l’accueil, du soin et de l’aide. Si le sentiment d’in-quiétude n’est pas qu’un sentiment négatif, il suppose un espace relation-nel possible qui ancre la confiance concrètement, lui donne un visage. Alors l’inquiétude devient aussi levier de mobilisation.

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Des lieux d’accueil pour la relocalisation de la confiance

L’exposition aux épreuves est parfois si violente et douloureuse, que la situa-tion exige un mouvement de retrait, de déprise, de présence silencieuse avant que le dialogue avec soi-même et les autres puisse à nouveau repren-dre. Ce temps nécessaire suppose éga-lement un lieu qui permette de porter toute son attention aux mouvements des sentiments dans l’espace interac-tionnel de la relation. Mes recherches m’ont ainsi conduite à expliciter toute l’importance stratégique de l’espace et du temps de l’accueil pour la relo-calisation du sentiment de confiance, pour les personnes les plus disquali-fiées par les épreuves de la vie; mais plus largement encore, pour tout su-jet en proie au désarroi.

Le franchissement des épreuves relève d’un processus souvent long, d’un vé-ritable travail sur soi, selon les termes des spécialistes de la relation d’aide. Aussi, les rencontres avec ces derniers confèrent une valeur nouvelle aux lieux d’accueil, des plus ordinaires comme les guichets de services pu-blics jusqu’aux accueils spécialisés dans le soin ou l’accompagnement. Ces lieux concentrent ces processus de réflexivité, de pause dans l’attente agitée et de reconfigurations identi-taires. Ils peuvent se présenter aussi comme une épreuve supplémentaire engendrant encore un peu plus la perte de confiance. De telles expé-riences nécessitent alors d’autres ren-contres pour recouvrir une capacité à rebondir. Les personnes les plus fragi-les, en manque de moyens pour vivre décemment ou en manque de recon-naissance, sont en effet dans une forte demande vis-à-vis des administra-tions parce qu’elles dépendent aussi beaucoup des administrations pour survivre au quotidien. Dans mes en-quêtes auprès des services publics, j’ai rencontré beaucoup d’usagers qui ac-cordaient une confiance immense à la Mairie et à l’Hôpital. Mais ils en attendaient tellement, que la moin-dre défaillance de la part de ces ins-titutions, les rendait vulnérables et retournait la confiance en doute, en soupçon, en hostilité.La relation de service se caractérise en théorie, aujourd’hui, comme un face-

à-face coproduit entre un citoyen et la puissance publique. En pratique, l’observation et les témoignages mon-trent des échanges asymétriques entre celui qui possède l’information et ce-lui qui est en attente et en est dépos-sédé. Les échanges sont accompagnés de tensions qui renforcent les repré-sentations des uns et des autres, cha-cun se repliant sur son quant-à-soi. Les demandeurs, d’autant plus lors-qu’ils se vivent socialement défavori-sés, se sentent acculés, en demeure de devoir faire la preuve de leur identité et de la bonne foi de leur requête. Malgré la volonté affichée du service public moderne de travailler avec l’usager pour trouver la meilleure ré-ponse, l’exercice du soupçon, vieille coutume éprouvée dans les adminis-trations, fait retour avec sa kyrielle de questions, de demandes de justifica-tifs, de papiers prouvant l’identité. La logique de la preuve ainsi à l’œuvre est la manifestation visible des enjeux de la rencontre entre usagers et services, plus largement entre usagers et spé-cialistes: de chaque côté il s’agit de se protéger des dérapages possibles dans l’échange verbal, de protéger l’image de soi donnée à son vis-à-vis, de se donner les moyens de garder la face jusque dans l’hostilité manifestée. Un lieu et un temps d’accueil constituent donc un moment primordial pour l’estime de soi: l’espace-temps d’un travail de figuration qui compose un équilibre précaire permettant de mé-nager l’autre comme soi-même, tout en visant la recherche d’une issue à la demande qui a motivé la rencontre.

L’accueil peut alors être défini comme espace de confrontation, de défiance mais aussi d’alliance possible dans la prise en compte des histoires singu-lières. Les tensions qui accompagnent l’inquiétude trouvent à s’apaiser dans l’offre d’un espace où le silence com-me la parole permettent de reprendre le fil de sa vie. De tels accueils pren-nent des formes variées, depuis la simple permanence jusqu’à l’héberge-ment plus durable dans une structure spécialisée. C’est alors là que la dé-pendance peut prendre un autre sens par la participation au collectif, le partage d’une même affiliation, d’un même collectif, par le récit d’histoires de vie dans les mêmes épreuves.Une forme de confiance retrouvée est

à ce prix, une confiance qui n’oublie pas les épreuves passées, qui fait du travail de la mémoire une force pour affronter de nouveaux tournants. Cette mémoire en veille tente de pro-téger des drames du passé et met en mouvement tout à la fois. Dans un ajustement constant entre défiance et confiance, l’inquiétude comme confiance vigilante est ainsi une forme de socialisation qui intègre des temps de déprise, de pause, de négociation avec soi-même, qui permet d’envisa-ger son devenir. Le temps de la nar-ration vient donner sens à cet enche-vêtrement d’expériences multiples et complexes, et confère à son auteur la reconnaissance de son histoire au sein du collectif. La narration inscrit son auteur dans un réseau d’histoires, lui donne la possibilité d’orienter les fragments épars de sa vie et de valori-ser ses dépendances et ses affiliations. Contre l’emballement des événe-ments catastrophiques du cours de la vie, l’inquiétude devient résistance en acte pour s’opposer à la fragmenta-tion de l’expérience de vie, pour s’ins-crire, même provisoirement, dans du «nous», dans du collectif.

Le sentiment d’inquiétude dans ses multiples expressions et manifesta-tions, se comprend alors comme so-cialisatrice et créatrice, comme forme de participation au collectif.

1 Mills C. W., L’imagination sociologique, Paris, La découverte/poche, 1997), p.14.2 Comme nous le rappelle Balandier G., Le Grand Système, Paris Fayard, 2001: «Etre sur-moderne, c’est épouser le mouvement et vivre ce-pendant avec l’incertitude», p. 57. 3 Duclos D., «Puissance et faiblesse du concept de risque», L’Année sociologique, volume 46/1996, n°2, p. 323.

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Gabriel Bender nous a proposé un regard sociologique sur la question de la construction de la confiance par la médiation socioculturelle. Un exposé conçu en trois temps, dont voici quelques moments forts.

Construire

La notion d’acteur social engagé pour construire est ancienne. Le Moyen-Age est structuré autour de la figure du chevalier et du bâtisseur de cathé-drale. Elles sont le prélude à l’ordre franc-maçon, mouvement qui vou-lait bâtir un ordre nouveau par l’édi-fication personnelle et l’initiation rituelle. Et dont les emblèmes font référence aux outils et aux langanges des bâtisseurs de cathédrales.L’idée de construction reste très pré-sente dans le langage quotidien et dans celui des sciences sociales. Le célèbre ouvrage des sociologues Berger et Luckman: «La construction sociale de la réalité» légitime l’em-prunt aux images architecturales.Pour les auteurs américains, la réalité sociale semble être une évidence parce qu’elle paraît objectivée, c’est-à-dire constituée d’objets qui ont été dési-gnés comme tels, avant notre appa-rition sur scène. Comme cette réalité est partagée avec tous ceux qui font la même expérience que soi, on lui attri-bue une existence réelle, solide, tan-gible. De plus, le langage valide cette construction sociale. Alors pourquoi l’interroger?Il en va ainsi de la personne en situa-tion de handicap. Le terme renvoie à une construction de la réalité.Sans nier les conditions particuliè-res que doivent surmonter les per-sonnes qui s’écartent de la norme; il s’agit d’admettre en l’état que cette différence n’est pas a priori un han-dicap. Si la personne différente est en situation de handicap, c’est par la mise à l’écart. L’essentialisation de la

différence est donc une construction. Autrement dit, c’est la dureté des temps qui crée la situation de han-dicap. Dans les systèmes ouverts et généreux, il y a moins de personnes en situation de handicap, puisque les difficultés sont aplanies pour tous.Le sociologue Ervin Goffman démon-tre le mécanisme dans «Stigmate». Il interroge les usages sociaux du handi-cap: «Il y a le stigmate d’infamie, tel la fleur de lys gravée au fer rouge sur l’épaule des galériens. Il ya les stigma-tes sacrés qui frappent les mystiques. Il y a les stigmates que laissent la ma-ladie ou l’accident. Il y a les stigma-tes de l’alcoolisme et ceux qu’inflige l’emploi des drogues. Il y a la peau du noir, l’étoile du juif, les façons de l’homosexuel. (…)»Le point commun de tout cela? Mar-quer une différence et assigner une place: une différence entre ceux qui se pensent normaux et ceux qui ne le sont pas tout à fait, ou pas encore ou plus vraiment. Goffman explique que l’assignation d’une place per-met aux gens normaux de se sentir à l’abri. Ceci est rassurant. Cela permet au blanc de se sentir supérieur à bon compte devant le noir, ou viril devant l’homosexuel.C’est la construction de la différence qui permet l’assignation d’une place, la mise à l’écart. C’est la norme rigide qui crée le handicap.L’illettrisme est un handicap, rappelle la dernière livraison de Pages romandes. C’est parce que les règles de la langue française sont rigides et particulière-ment alambiquées qu’on rencontre autant de handicapés de l’écrit. Pierre Bourdieu, dans «Ce que parler veut dire» explique que c’est parce que la norme langagière se rétrécit que de plus en plus de gens se sentent privés du droit de s’exprimer, de peur d’être la risée du public. Leur manière de parler, les choix des mots, l’accent qui marque leur terroir ont été tel-

lement dévalorisés que ces locuteurs préfèrent se taire. Avoir un accent de Marseille, des Franches-Montagnes ou de Martigny-Bourg est un handi-cap souvent insurmontable. L’accent belge est définitivement rédhibitoire ou tout au moins ridicule. Les Belges sont en situation de handicap dans la francophonie parisiano-centrée. Il y a donc une violence symbolique extrê-me à priver de l’usage de la parole une partie des locuteurs francophones. Dans le cas de la norme langagière, seule une minuscule élite est capable de s’exprimer correctement, tous les autres sont des handicapés qui doi-vent se taire, pour ne pas qu’on se moque d’eux. Leur place est à l’om-bre et ils doivent rester silencieux. Il s’agit d’abord - avant de construi-re la confiance - de déconstruire les images qui enferment, de refuser les concepts qui divisent, de se méfier des mots qui blessent et mettent à l’écart. Autrement dit, ne pas rester à sa place.

La place de l’autre

De nombreuses études montrent que l’humain ne craint pas la violence mi-métique. Il pense que les ennuis vien-nent de l’autre camp. On se méfie de l’autre, mais rarement de soi. Le loup craint l’homme et l’homme le loup. Le patron se méfie de l’ouvrier, le ca-tholique du musulman, le vieux du jeune. Dans ce deuxième chapitre, je voudrais montrer que le danger vient de l’intérieur, de la place. Plus prosaï-quement, l’AI doit se méfier de l’AI, les jeunes de la jeunesse, les vieux de la vieillesse, etc.Plus étonnant, confronté à des ima-ges, l’humain voit plus de différences dans son groupe que dans un autre. Présentez à un banquier deux séries d’images et dites-lui que la série A est un collectif de hackers et la série B une équipe de jeunes banquiers:

Construire la confiance par la médiation socioculturelle Gabriel Bender, professeur HES et chef du service socioculturel de l’hôpital de Malévoz, Monthey

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il verra plus de différences dans son propre groupe. Pire, il attribuera aux individus de l’autre groupe des carac-téristiques stéréotypées.Vous rendez-vous compte de ce que cela veut dire?Si vous avez affaire à un Haut-Valai-san, avant même d’entrer en relation, vous lui attribuez des caractéristiques qu’il ne possède sans doute pas. Il en est de même pour le groupe des pa-tients, des médecins ou des personnes en situation de handicap.Il ne s’agit pas en l’état d’insister plus sur la construction de catégories socia-les dichotomiques, qui ne permettent que deux alternatives, femme/hom-me, suisse/étranger, patient/soignant. Il faut simplement se rendre compte du risque inhérent à la construction de la réalité par clivage et par assigna-tion de place. Ceci explique bien des échecs puisque l’humain a appris à se méfier de l’autre, celui qui n’appar-tient pas à son groupe.A ce stade, je voudrais montrer com-ment le passage de la charité à la jus-tice n’a pas effacé le principe de la mé-fiance entre la main qui donne et celle qui reçoit. Retour au Moyen- Age. Dans l’économie du salut de l’ancien régime, pour gagner le paradis, il fallait pratiquer l’aumône; les riches devaient aider l’Eglise à aider les pau-vres. Les bons pauvres étaient divisés en trois grandes catégories: ceux qui avaient perdu leur parents (les or-phelins), ceux qui avaient perdu la santé (les vieux, les malades), ceux qui avaient perdu la raison (les fous). Le projet d’aide se matérialise par la construction d’institutions spéciali-sées: l’orphelinat, l’hôpital, l’asile, … Une place pour chacun - chacun à sa place. Le mauvais pauvre est frappé d’op-probres. C’est un fainéant qui ne fait pas l’effort nécessaire: il est exclu du système, il doit s’aider tout seul. Le faux pauvre est celui qui trompe, ce-lui qui abuse de l’aumône, pour lui: bâton, maison de correction, mise au travail. L’hospice général pour le bon pauvre, la prison de Saint-Antoine pour les mauvais. Ainsi s’est diffusée avec l’idée généreuse de la charité, l’idée perverse de la méfiance. Chaque main qui réclame cache peut-être un ignoble, un fainéant, un dissimulateur, un affabulateur...Dans le système assurantiel, les droits

des assurés sont listés dans de véri-tables encyclopédies rationnelles, auxquelles sont ajoutés technologie byzantine, procédure, formules et formulaires, numéro d’identification, carte d’immatriculation. On aurait pu penser qu’avec le passage progressif de la charité à la justice sociale, la chasse à l’abus allait disparaître. Il n’en est rien. Chaque demandeur porte en lui la culpabilité. Il s’est mis dans cette situation par sa propre faute. Ce n’est pas l’économie défaillante qui le met à la rue, ce n’est pas la délocalisation, la monétarisation de l’économie ca-pitaliste qui le prive de travail, ni la spéculation foncière de logement. Ce ne sont pas les choix stratégiques de la direction de Novartis ou autre Nestlé, non! Le coupable c’est celui qui est éjecté par le système. La pres-tation n’est plus considérée comme un dû. L’allocation de chômage ou la rente AI n’est plus un droit garanti par la loi, c’est un cadeau, une faveur, une légion d’honneur de pacotille qui peut vous être retirée au moindre faux pas. La rente est devenue la ré-compense pour celui qui suit correc-tement les procédures.Le travailleur social, s’il n’est pas au clair avec sa mission éthico-politique est le collaborateur du système, il tra-que l’abus, il surveille et il punit. Le travail social, dès son origine est donc marqué de ce péché originel du tri et de l’assignation d’une place.

Faites attention à la rhétorique de l’abus qui systématiquement prive de droit celui qui n’abuse pas. Après avoir enfermé la personne humaine dans un statut qui le réduit à quel-ques caractéristiques (être sans em-ploi), on le soupçonne de profiter de ce statut infamant (profiteur de l’assurance-chômage). On se méfie de ses capacités et de ses intentions. C’est sur cette logique qu’on lui fait vivre humiliation sur humiliation. Les autorités en charge du système connaissent pertinemment les ris-ques psychiques qu’une telle pression mise sur un individu comporte. La brochure distribuée par l’Office de l’emploi aux nouveaux arrivants sur le marché du chômage les met per-sonnellement en garde: attention, ne vous laissez pas glisser sur la pente dangereuse, ne tombez pas dans l’al-cool ou la dépression!Comment en sommes-nous arrivés là? Comment se fait-il que la justice sociale, qui devait faire disparaître à jamais les notions d’aumônes et de charité pour les remplacer par l’équi-té de la justice sociale, ait secrété un système basé sur la méfiance, la suspi-cion, la terreur de l’abus? En Suisse, comme dans la plupart des Etats au capitalisme avancé, la plupart des pauvres sont en même temps des étrangers. Une double peine en quel-que sorte. Ceci arrange les affaires des tenants

Il était une fois, sur le bord d’une rivière, un gros scorpion tout venimeux, tout méchant et tout luisant. Il fait signe au crapaud:- Crapaud, je veux traverser, laisse-moi monter sur ton dos. Ne va pas sous l’eau, je ne sais pas nager. Reste bien à niveau.- Et si tu me piques, alors que je suis à mi-chemin? dit le crapaud.- Si je te pique, tu seras paralysé et nous mourrons tous les deux. Je ne vais pas te piquer, fais-moi confiance.Le crapaud a peur, mais il choisit de faire confiance au scorpion.Le scorpion a peur mais il fait confiance au crapaud.A mi-chemin, pile au milieu de la rivière, pic, le scorpion plante son dard profondément dans le crapaud.Et le crapaud hurle: «Aïe, mais tu es fou! On va mourir. C’est du suicide.!» Pourquoi tu as fait ça?Et le scorpion de répondre: «Désolé, c’est dans ma nature».

MoralitéLa confiance se construit;Faire confiance est un risque;Seules les personnes en qui on avait mis de la confiance peuvent trahir;La défiance est une opération à deux perdants, alors que la confiance fait

deux gagnants.

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du moins d’Etat qui masquent la haine de l’Etat social par la traque de l’étranger abuseur. Dans un quotidien local, on rap-porte que l’UDC se demande si les déficits dans le domaine de la santé ne viendraient pas des étrangers qui abusent du système? C’est en traquant l’abus de quelques-uns que l’on réduit les droits de tous! La xéno-phobie est héritière de la théorie de l’abus, elle en est sa fille légitime. C’est elle qui permet au néolibéralisme d’étendre ses principes... Méfiance généralisée, contrôle généralisé, méfiance, méfiance.La théorie de l’abus prive de droit celui qui n’abuse pas. La pensée comptable du néolibéralisme menace la communauté humaine. Par son obsession du chiffre, elle nous matérialise, elle fait fi de ce qu’est l’humain, de sa capacité à rêver, à s’entraider, à se projeter dans un destin collectif.Pour reconstruire la confiance, il faut commencer par construire l’idée d’une humanité et lutter contre ceux qui tentent de la diviser, ceux qui veulent attribuer une place et une marque distinctive.

La médiation socioculturelle

Si vous pensez que la médiation socio-culturelle consiste à permettre à quel-ques patients psychiatriques de s’initier au macramé, passez votre chemin. Ceux qui croient qu’il suffit de donner quelques cours de poésie au détenu bosniaque en attente d’expulsion, aussi. Ceux qui ré-duisent l’animation socioculturelle à un local des jeunes où les gamins se mesurent au babyfoot n’ont rien compris non plus. Local des jeunes, bocal des jeunes, c’est encore l’assignation d’une place. Person-nellement, je préfère que les jeunes aillent au bistrot et qu’ils fument et boivent comme des grands.Il ne s’agit pas de neutraliser un grou-pe, de potentialiser ses compétences ou d’améliorer son quotidien. La médiation socioculturelle n’est pas non plus la pro-duction d’activités plus ou moins intelli-gentes, plus ou moins enrichissantes, plus ou moins récréatives ou occupationnellespour un groupe désigné. L’action média-trice vise à dépasser les clivages. Elle doit être très attentive à ne pas les renforcer. L’action socioculturelle doit s’enraciner dans les rapports sociaux, rapport de classes rapport de genres, rapport en-tre les différentes catégories qui ont été construites dans nos sociétés pour com-partimenter les gens, pour les enfermer dans des cases.

La médiation socioculturelle réunit là oùon divise, recolle là où on brise, donne de l’espace là où la place s’amenuise. Elle devrait réussir si son action s’inspire de la culture du lieu. Pour y parvenir, il faut placer l’action dans les forces vives qui rassemblent, il faut profiter du bon courant qui réunit: les rythmes sociaux et les alternances qui concernent chacun. Il faut profiter des moments rassembleurs: l’arrivée des saisons, les fêtes, la foire, la venue du cirque dans la ville, le début des vendanges, la première neige, le sols-tice d’été, le retour des beaux jours et des baignades, le temps de la brisolée ou des cerises. Il faut éviter de créer des espaces exclusifs; il faut se méfier comme de la peste des cli-vages qu’on institue spontanément.L’action socioculturelle doit commencerpar se méfier des constructions menta-les, se méfier des mots et des images qui distordent la réalité. Pourquoi vouloir lancer des ponts et des passerelles alors qu’il s’agit de niveler le fossé? Pourquoi construire des échelles quand le but est l’abolition de la hiérarchie? Pourquoi fai-re des trous dans le barbelé si la volonté n’est pas la suppression de la frontière?Pour lutter contre les clivages, il faut re-courir à l’universel. L’art et la culture en sont les moyens. La culture représente une ressource inestimable pour contribuer au soulagement de la souffrance. L’art, parce qu’il est l’empreinte spécifiquement hu-maine, a un pouvoir d’humanisation. La médiation n’a de sens que si elle accepte le principe qu’il y a une humanité, une culture, un art, une musique.Mais cela n’est pas facile, puisque l’hu-main spontanément voit des différences, aussi et surtout là où il n’y en a pas. Il pense que s’il y a un projet culturel à l’hô-pital psychiatrique, il doit être réservé à quelques-uns aux caractéristiques bien singulières. L’enfant à qui je demandais la différence entre une route et un trottoir me dit:- Sur les trottoirs, il y a des piétons, et sur la route des voitures.- Et qu’est-ce qu’un piéton?- C’est un monsieur qui va chercher sa voiture.Le gosse a raison. Les automobilistes et les piétons sont faits du même bois. La médiation socioculturelle n’a de sens que si elle arrive à se défaire de l’obsession du classement...Il faut refuser les étiquettes ou alors accep-ter de les porter toutes.

Autrefois, il y a très, très longtemps. Bien plus longtemps que cela, à l’époque des dinosaures, les tortues n’avaient pas de carapace; elles gamba-daient insouciantes, ra-pides comme des lézards. Malheureusement, ces tortues étaient la proie des affreux ptérodactyles. Ils plongeaient sur elles, plan-taient leur bec à travers la peau des gentilles bestio-les et les mâchouillaient avec leurs dents. Car les ptérodactyles d’autrefois contrairement aux pou-les d’aujourd’hui savaient voler et avaient des dents. Pour ne pas disparaître, les tortues s’endurcirent, elles créèrent patiemment une carapace. Les ptéro-dactyles qui se cassèrent les dents sur la carapace inviolables disparurent un à un. Mais la victoire de la tortue est amère. La cara-pace est bien lourde. Fini de gambader dans les prés, finie l’insouciance! Pire, cette cuirasse qui la pro-tège lui empoisonne la vie. Avant, les tortues faisaient des sauts de carpe dans les prés; aujourd’hui, si elles se retournent, elles meurent. Depuis, elles sont tristes, el-les se traînent péniblement. Pire, plus personne ne peut les caresser, c’est pour cela que les tortues sont dépres-sives. De plus, leur vie n’a plus de vrai enjeu, l’ennemi extérieur a été remplacé par une menace bien pire, celle de se renverser soi-même et de mourir...

MoralitéLa méfiance a un

coût;La protection est un

piège;La peur de l’autre et

le contrôle entraînent des systèmes lents, lourds, rigides et somme toute, très fragiles.

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L’homme des foules et le souffrantLes médias et l’histoire collectiveChristophe Gallaz, journaliste et écrivain, Lausanne

Eric Bonvin1 voit nos sociétés ac-tuelles soumises au fantasme de la transparence; et les médias comme les vecteurs de ce fantasme, devenu totalitaire aujourd’hui. Il en dé-duit que quiconque ferait obstacle à cette transparence, par exemple les soignants qui respecteraient le secret professionnel au bénéfice de leurs patients, et leurs patients qui tireraient leur confort de cette situation, seraient à considérer com-me des ennemis.

Je nuance cette vision. Je ne pense pas que l’information soit seulement requise par ses usagers comme le moyen de la transparence et de l’élu-cidation. Et je ne pense pas que les médias soient le théâtre de ces seuls paramètres. Je pense que l’informa-tion et les médias sont aussi désirés et consommés par leurs usagers comme le moyen pour ceux-ci de s’absen-ter d’eux-mêmes tout en effaçant l’Autre, et finalement d’opacifier leur conscience du monde.

J’invente un personnage devant vous. Il s’appelle Maurice. C’est l’homme moyen de nos sociétés ac-tuelles: la créature fictive qui contient nos congénères tels que je les observe, et s’adressera tout à l’heure aux soi-gnants que vous êtes.Maurice est infléchi par sa longue fré-quentation des médias. Il les infléchit d’ailleurs pareillement en retour, tant il est scruté de sondage en sondage par leurs responsables éditoriaux - le fan-tasme de ceux-ci voulant que la presse et la télévision soient finalement réali-sées par ceux qui les consomment…

Premier élément du portrait: la vi-sion réduite.- Maurice, devenu cap-tif de la sphère médiatique, ne s’est pas aperçu qu’il a rétréci sa percep-tion du monde. Dans le cas de la té-lévision, par exemple, les images du

petit écran lui ont paru si bien capter le réel que le principal réel auquel il croit désormais, c’est celui que le pe-tit écran lui transmet. Pour Maurice, la lunette médiatique contient dé-sormais toute la vie.

Deuxième élément du portrait: l’impatience.- Maurice a subi per-sonnellement l’accélération des pro-cessus médiatiques. Ce qui compte aujourd’hui dans l’univers de la pres-se, c’est la rapidité du transit. Il en résulte que notre homme a perdu la conscience des principes qui confè-rent à ce monde de la durée. Il ne sait plus que les choses ont besoin de temps pour advenir. Il est en état d’impatience en face de toutes les instances qu’il affronte ou côtoie.

Troisième élément du portrait: l’am-nésie.- Maurice n’a pas perdu que la perception de la durée. Il a perdu la mémoire, aussi. La presse actuelle est organisée, en effet, comme un système d’évacuation visant à pro-duire l’amnésie de ses usagers. Dans la perception de Maurice, le monde est plus déficelé, plus déconstruit et plus dérisoire - comme si la valeur des êtres dans leur généralité, mais aussi dans leur singularité, par exemple celle des soignants et même des souf-frants, n’avait plus le temps ni l’espace d’apparaître à ses yeux.

Quatrième élément du portrait: le besoin de stupéfaction.- En sa qua-lité d’usager machinalisé de la presse, Maurice fonctionne sur le mode de la stupéfaction. Ce qui prime dans sa perception, c’est l’événement qui surgit avec force de préférence à ce-lui qui s’imposerait progressivement. Aujourd’hui Maurice a radicalisé sa position d’individu social. Il veut tout tout de suite. Il ne supporte plus que certains processus autour de lui, qui se produisent par exemple dans

l’ordre politique mais aussi dans l’or-dre thérapeutique, se déroulent d’une manière qui lui soit invisible et sur un tempo lent.

Cinquième élément du portrait.- Au fond, il est épuisant de vivre au sein de la sphère médiatique qui domine aujourd’hui. Que faire pour ne pas en être suffoqué? Maurice a la réponse. Il résiste à l’impact des informations qui lui sont proposées. C’est un cham-pion du balayage et du cynisme mou, qui le préserve de tout impact émo-tionnel. La souffrance d’autrui n’est plus pour lui qu’un vague piment de sa mélancolie, au point que le drame d’un chat ne pouvant plus descendre d’un toit et la mort d’un Somalien perclus de famine s’équivalent dans son esprit.

Ainsi va Maurice. Maurice, «l’hom-me des foules» annoncé par Edgar Poe, ou «l’homme-radar» évoqué par l’essayiste américain David Ries-man. L’homme soumis à la grande scène du monde actuel, qui s’épuise à y guetter le signe ou l’événement suffisamment percutants pour dyna-miser le spectacle, seuls dignes de sa brève attention.Maurice le grégaire, aussi, l’être frap-pé de panurgisme, dont Julien Gracq écrit dans «Plénière ment» qu’il est «dévoré jusqu’à l’angoisse par le be-soin de le devenir davantage, et de s’en remettre avec délices à cette pres-sion collective qu’il met toutes ses fa-cultés de discernement à anticiper de plus loin».

Maurice, encore, dont j’enrichis ici le portrait d’un sixième élément. La presse l’imprègne en effet de valeurs fortes et simples, celles fétichisées par notre époque, notamment cel-les qui vantent la concurrence et la performance. Une confusion s’ensuit dans l’esprit de Maurice. Il conçoit

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aujourd’hui le geste soignant comme une pratique incongrue, peu confor-me aux principes en vigueur, au point que les thérapeutes et leurs patients lui semblent parfois incompatibles avec le système.

Ce n’est pas tout, hélas. Maurice est infléchi par les médias jusque dans tous les recoins de sa complexité. Or la presse, emportée dans sa dérive people elle-même exacerbée par l’ex-tension fulgurante des réseaux élec-troniques dits sociaux, l’invite en per-manence aux ruptures de l’intime.C’est le septième et dernier élément du portrait que j’esquisse ici de Mau-rice: il est devenu porteur d’une violence intrusive prodigieuse, qu’il exerce comme si c’était une norme. Face aux soignants qui s’efforcent d’accomplir leur travail en ne dis-séquant pas publiquement le cas de leurs patients, il n’a plus les moyens intellectuels de ne pas s’en indigner. Puisque les journaux lui racontent tout de l’intimité des stars en plaçant cette immixtion sous la noble égide de l’information démocratique, qui-conque lui soustrairait des renseigne-ments au nom du secret médical at-tenterait à la Cité.

Ainsi s’achève ma présentation de-vant vous de Maurice. Il vous semble accablé de traits excessifs. Or c’est un être pareil à vous et moi, sans doute plus proche de chacun d’entre nous que nous pourrions penser. Un être (je résume) qui a rétréci sa vision du monde au point de n’en plus distin-guer que ce qu’en retiennent la société du spectacle et la sphère médiatique, qui ne supporte pas ce qui lui reste invisible ou lui est soustrait, qui ne perçoit plus de liens entre les causes et les effets, qui disqualifie les proces-sus lents, qui gradue la compétence d’autrui sauf quand elle est mesurable et spectaculaire, qui ne «laisse pas de temps au temps», comme disait Mit-terrand reprenant une maxime espa-gnole, et qui ne trouve plus de motifs à la discrétion.

Ici s’enracine la défiance dont nous parlons aujourd’hui. Si Maurice n’était que Maurice, cette situation ne poserait aucun problème. Or il existe à d’innombrables exemplaires. A son exemple, l’opinion publique

et l’ordre politique n’aiment pas non plus la souffrance sourde et longue. Ils n’aiment que la souffrance utilisa-ble dans le cadre de discours caritatifs ou stratégiques. Ils n’aiment pas non plus, par conséquent, les soignants qui pourraient déborder, par leur action quotidienne et leur rayonne-ment têtu, la portée de ces discours caritatifs ou stratégiques.

Que faire, à ce stade, avec ce Mau-rice devenu si multiple et si puis-sant? Avec ce Maurice qui s’en prend d’ailleurs à l’école comme il s’en prend aux soignants, de manière ter-riblement symptomatique, presque en parallèle?

La première piste: se mettre en état de poésie pour méditer la situa-tion - dans la mesure où la poésie, c’est un regard inspiré par le vœu d’un corps social où tout se tienne. Un art bouleversant. René Char: «La réalité sans l’énergie disloquante de la poésie, qu’est-ce?»

La deuxième piste: défaire parmi les soignants toute position magis-trale en face de leurs interlocuteurs. Défaire l’idée, souvent répandue dans le public, d’une citadelle. Poser des questions comme celles-ci: la défiance qui entoure aujourd’hui les soignants est-elle fondamentalement pire que la confiance souvent aveugle dont leurs prédécesseurs (ah, ces «docteurs»!) bénéficièrent longuement naguère ou jadis?

En défendant le périmètre d’ac-tion libre nécessaire aux soignants, ne pas faire apparaître les signes de l’as-surance et de l’aplomb. Lever l’opa-cité qui peut être levée. Elaborer une culture de l’humilité. Revisiter la va-lidité des soignants en tant que prati-ciens méritant la confiance.

La troisième piste: comprendre Maurice, et la société dont il est le signe, de manière à savoir de quels désarrois cet homme et cette société s’efforcent eux-mêmes d’émerger pour affronter notre époque. Soigner diffusément Maurice et consorts, en somme, à leur insu, dans l’écho de cette phrase que Rainer Maria Rilke écrivit en 1904 dans sa «Lettre à un jeune poète»: «Toutes les choses ter-rifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions.»

Quatrième piste: élaborer un dis-cours sur le secret médical qui puisse résister aux dispositions hostiles à son sujet de l’homo mediaticus qu’est de-venu Maurice. Renoncer peut-être à ce terme-là de secret, justement, qui ne cesse au fond depuis des décen-nies d’infantiliser quiconque en est écarté.

Y renoncer d’autant plus que le secret, tel qu’il est souvent plaidé par les soignants, a fini par résonner aux oreilles du public comme devant les protéger eux-mêmes plutôt que béné-ficier à leurs patients.

Cinquième piste: apprendre à formuler la souffrance autrement. Donner des contenus identifiables à ce terme. Re-situer la souffrance dans une définition de la vie qui ne soit pas réduite à la performance, comme le pense Maurice.

Prononcer la figure du souffrant comme on prononcerait celle d’un éclaireur social subissant plus dure-ment que ses congénères les aberra-tions du système économique am-biant. Prononcer cette figure comme on évoquerait, dans le voisinage, celle de l’artiste. Montrer le souffrant comme un possible de chacun. Dire les liens qui mettent en résonance la condition de Maurice et celle du souffrant.

Enfin, sixième piste, imaginer d’autres lexiques. On rêverait que soient supprimés les mots «cas» et «dossier», par exemple, qui rayon-nent si souvent comme un équivalent sémantique de la camisole de force. Réintroduire le souffrant comme le sujet d’une histoire collective. Dé-fragmenter son destin, le relier aux bien portants, élargir la norme dans laquelle ceux-ci se pensent. Voilà ce qu’il faut casser. Maurice et moi vous remercions de votre attention.

1 Eric Bonvin est directeur des Instituts psychiatriques du Valais romand

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De la défiance à la confiance: une question de représentations!Des citoyens, des citoyennes et des bénéficiaires de l’assurance invalidité?Pierre Margot-Cattin, professeur HES, filière travail social, Sierre

La participation sociale des per-sonnes en situation de handicap est sous-tendue par deux mouve-ments contradictoires. L’un est basé sur une volonté de faciliter l’inté-gration et vise un changement des attitudes. L’autre est porté par des effets de freins. Une analyse, sous l’angle des représentations du han-dicap permet de mettre en lumière ces tensions contradictoires.

Le handicap et ses représentations

Les représentations sociales se constituent d’images qui conden-sent un ensemble de significations nous permettant d’interpréter ce qui nous arrive (Jodelet, 2007). Les re-présentations sociales induisent une manière de penser et d’interpréter la réalité quotidienne. Ce qui permet de qualifier une représentation de "sociale" est le fait qu’elle soit élabo-rée au cours de processus d’échanges et d’interactions. Les représentations ont à la fois une composante cogni-tive par leur nature psychologique et une composante sociale par leur éla-boration et leur transmission dans le groupe (Abric, 1994).Toute représentation est organisée autour d’un noyau central (l’objet lui-même). Les éléments périphériques constituent l’essentiel du contenu, sa partie la plus accessible mais aussi la plus concrète. Ils comprennent des informations retenues et interprétées, des jugements formulés, des stéréoty-pes et des croyances. Ainsi, les infor-mations transmises par les autorités politiques et leurs interprétations au travers des discours et des mesures lé-gislatives sont des éléments de nature à influencer directement les représen-tations sociales du handicap.Cinq catégories d’images sous-ten-dent les représentations des person-nes handicapées (Morvan, 1999).

Elles sont liées à l’objet du handicap, aux symptômes, aux déficiences, à ce qui est observable dans les fonction-nalités, aux relations et inadaptations sociales. L’image «affective» représen-te le vécu affectif de la personne. Le handicap physique suggère une ima-ge de «vouloir vivre», de volonté de s’adapter, de capacité, d’autonomie. La déficience mentale renvoie à une image affective vide et close où les images de désavantage, inadaptation, crainte, malaise, prédominent. Elles sont prégnantes pour la personne dé-ficiente mentale et sont compensées par le désir de vivre et d’être auto-nome attribué à la personne avec un handicap physique.

Le handicap source d’admiration ou de rejet

Les approches sociologiques ont ten-dance à nier la spécificité de la situa-tion de handicap et de l’assimiler à une transgression de norme (Becker, 1985). Il n’est nul besoin de traits physiques stigmatisants pour que s’établisse la différence (Elias, 1997). Celle-ci se construit par le simple fait qu’un groupe prédéfini en perçoive un autre comme intrus, non conforme, menaçant pour l’identité du groupe. Le handicap est un miroir brisé dans lequel le sujet handicapé reflète nos propres imperfections, une image dans laquelle nous n’avons pas envie de nous reconnaître. La révolution industrielle a posé le principe de la réussite sociale par le travail. Beaucoup de travailleurs se re-trouvent dans l’incapacité de travailler (maladies ou accidents) et donc en perte du statut social et en précarité. La nécessité de rééduquer les gens au travail pour leur redonner un statut social prend corps. L’idée de néces-saire performance et de rentabilité pour une réussite sociale s’ancre dans les esprits et marginalise les personnes

qui ne peuvent garantir ces niveaux. Cette image va jusqu’à influencer le plus haut niveau de discours poli-tique en Suisse. Le Conseil fédéral1 a souligné que quelqu’un qui reçoit une rente de l’Etat n’est pas dans la même situation que celui ou celle qui n’en perçoit pas. Ainsi, on exprime qu’il y a, d’une part, des citoyens et des citoyennes, et, de l’autre, des bénéficiaires de l’assurance invalidité (AI). Et tout le monde trouve normal que ces der-niers, en raison de leur statut, soient traités autrement que les premiers. Il en va de même dans l’épineuse ques-tion des abus de l’AI. Le soupçon de fraude envers les rentiers AI a acquis des lettres de noblesse jusqu’aux plus hautes sphères de l’État (Baumann, 2011). Annonçant en 2009 les résul-tats de la lutte contre la fraude dans l’AI, l’OFAS a «oublié» de mentionner le nombre total de dossiers examinés (108 000). L’Office s’est contenté de comparer le nombre de cas suspects déjà filtrés (1180) et le nombre de cas de fraude avérés (240). L’inconscient populaire a alors retenu qu’une per-sonne sur cinq est un fraudeur. Les victimes d’une telle politique sont tout particulièrement les personnes qui ont un handicap invisible. Le «vé-ritable» ayant droit à l’AI se distingue par des signes extérieurs reconnaissa-bles (chaise roulante, canne d’aveugle). C’est réduire la notion de handicap au «stigmate» (Goffman, 1975). Cette représentation faussée favorise une distorsion sémantique dans le discours actuel de l’OFAS (Baumann, 2011a). Ainsi la diminution du nom-bre de rentes est justifiée par un pré-tendu «succès de la réadaptation». Or aucun chiffre ne vient appuyer cette affirmation. De plus la grande majorité des refus ou des suppressions de rentes n’est pas imputable à une réadaptation réussie, mais au durcissement des ex-pertises juridiques et médicales.

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Vers une stratification qualitative des personnes handicapées

Dans le contexte des 5e et 6ae révi-sions AI, les personnes handicapées physiques ayant au moins partiel-lement accès au monde du travail, font l’objet de mesures de soutien (intégration professionnelle et accès à l’autonomie), les personnes atteintes d’un handicap mental sont progressi-vement abandonnées aux bons soins de l’assistance. De plus, les personnes dont le handicap est invisible, sont amalgamées à l’idée propagée par le discours officiel sur les abus et sont progressivement exclues du système. La seule échappatoire aux limbes so-ciaux (Murphy, 1987), repose-t-elle sur la notion de résilience? Pourtant depuis les années 80, nous vivons une révolution de paradigme en matière de compréhension de la notion de handicap. Bronfenbren-ner (1979) pose l’idée d’un modèle éco-systémique du développement de l’être humain, résultat des inte-ractions continuelles et réciproques entre l’organisme et son environne-ment. L’organisme et son environne-ment s’influencent mutuellement et constamment, chacun s’adaptant en réponse aux changements de l’autre. Cette systémique environnementale est à la base des classifications mo-dernes du handicap. En s’en inspirant Fougeyrollas (2001) a développé le Processus de Production du Han-dicap (PPH). Il s’agit d’un modèle explicatif abordant le handicap dans une perspective dynamique qui tient compte à la fois des facteurs person-nels et des facteurs environnementaux et dont l’interaction est considérée comme déterminant du handicap. Ce modèle a été adapté suite à la publi-cation par l’OMS de la Classification Internationale des Fonctionnements (CIF), dont la dernière version date de 20012.Des recherches (Campbell et Oliver, 199; Fletcher et Zames, 2001) clas-sent le handicap en deux modèles concurrents: le «modèle individuel» et le «modèle social» (Oliver, 1983). Le modèle individuel caractérise l’ap-proche traditionnellement comprise par les milieux médicaux et théra-peutiques. Le modèle social est utilisé pour définir les frontières actuelles des études sur le handicap (Albrecht,

Seelman et Bury, 2001). Cette pers-pective se refuse à réduire la situation d’atteinte à la santé ou de handicap par les caractéristiques individuelles des personnes, et prend en compte l’ensemble des obstacles physiques ou socioculturels limitant la partici-pation sociale des personnes concer-nées (Ravaud, 2001). Toutes deux reposent sur une vision commune tirant ses fondements sur une oppo-sition ancestrale entre les notions de «normalité» et «anormalité», dualité directement issue des représentations sociales de nos sociétés modernes. Les études sur la notion d’outsider (Elias et Scotson, 1997) mettent en lu-mière le fait qu’il n’est nul besoin de traits physiques marquants, stigma-tisants, ni de différence économique et culturelle fondamentale, pour que s’établisse la différence. La différence se construit par le simple fait qu’un groupe prédéfini en perçoive un autre comme intrus, bizarre, non confor-mes, menaçant pour l’identité.Et si le handicap n’existait pas? Tou-tes les approches tendent progressi-vement à se rapprocher d’un modèle conceptuel humaniste qui définit le moi face à l’autre. Mais qui est cet autre, ce voisin, cet interlocuteur avec qui je dois m’entretenir et partager? Comment le comprendre, le respec-ter, sans mettre en danger ma propre personnalité et ma propre identité? Qu’est-ce qui définit l’identité d’une personne? Son origine, sa langue, son sexe, sa religion, sa profession, son statut familial, ou encore le moyen auxiliaire qu’il utilise? Bien sûr, aucu-ne de ces caractéristiques sociales ou personnelles ne permet de la définir. Un examen critique conduit à douter de son existence: elle ne serait qu’une catégorie d’analyse permettant d’ap-préhender une réalité sociale mou-vante (Amselle et M’Bokolo, 1985). Ce qui définit l’identité, c’est la mise en commun, l’assemblage d’apparte-nances et de caractéristiques person-nelles qui font la richesse et la diversi-té de l’humanité. La réduction d’une personne à une de ses caractéristiques ou appartenance conduit à la stigma-tisation de la différence, voire à l’into-lérance (Maalouf, 1998). Aussi longtemps que les questions liées à la relation que nous entrete-nons avec la différence et ses repré-sentations ne seront pas résolues,

toutes tentatives de mise en place de politiques sociales favorisant la parti-cipation des personnes en situation de handicap seront confrontées à une dif-ficulté d’assimilation des populations concernées. Si le cadre légal permet un contexte social favorable, les dis-cours politiques qui l’entourent sont des éléments qui influencent direc-tement la construction de ces repré-sentations. L’être parfait n’existe pas. Tout être humain est composé d’élé-ments qui lui sont propres. L’infinie possibilité des variantes est le reflet de la diversité de l’humanité (Margot-Cattin, 2007). Or cette infinie diver-sité est souvent niée par notre besoin de nous confronter en permanence à notre propre image (Stiker, 2005). Le travail de sensibilisation et d’évolu-tion des représentations sociales porte prioritairement sur la reconnaissance du fait que: «chaque homme est, à sa juste mesure, une délicieuse excep-tion» (Jollien, 2002).

1 Réponse de Pascal Couchepin à la question posée par la conseillère nationale Maria Roth Bernasconi (PS/GE) Bulletin Officiel 09.5352 (BO 2009 N 1478).2 A noter que Fougeyrollas vient de publier une nouvelle version de son modèle PPH (Fougey-rollas, 2010) et que l’OMS met en chantier en 2011 une révision de la CIF.

Bibliographie

BAUMANN M., (2011), La polémique sur les abus gagne le Conseil fédéral, in: agile – handicap et politique, édition 1/11

ELIAS N., SCOTSON J.L., (1997) Logi-ques de l’exclusion, Fayard, Paris.

MARGOT-CATTIN, P. (2007). De l’ac-cessibilité au Design Universel. In Borioli & Laub (dir.) Handicap: de la différence à la singularité. Genève: Médecine & Hygiène.

RAVAUD, J.-F., (2001). Vers un modèle so-cial du handicap, In R. de Riedmatten (dir.), Une nouvelle approche de la différence: comment repenser le handicap (pp. 55-68). Genève: Médecine et Hygiène.

NoteLa bibliographie et l’article in extenso sont sur le site www.pagesromandes.ch

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Histoires de viesEntretien avec Jean-Charles Pellaud, cinéaste et révolté, GenèvePropos recueillis par Olivier Salamin et Marie-Paule Zufferey

Jean-Charles Pellaud est l’un des in-vités au Forum organisé à Monthey sur la défiance et la confiance. Son intervention n’a rien de convention-nel, tout comme le film sur «Gérald le clochard» qu’il a choisi de projeter à cette occasion. Normal, il n’aime pas les conventions... Son approche simple et naturelle de la marge nous propose un «pas de côté» dont nous tenterons de rendre comp-te au travers de cet entretien à bâtons rompus.

Le temps de la politisation...

«1968 a été une période de contestation à la télévision. Nous luttions contre la di-rection, notamment à propos d’un scan-dale de "table d’écoute", dont quelques-uns d’entre nous étaient les victimes; les plateaux étaient occupés. Cela se passait mal; c’est alors que nous avons créé les syndicats». Jean-Charles Pellaud soutient les «révoltés» et suit leur procès connu sous le nom de «les licenciés de la TV». C’est à partir de ce moment-là que le cinéaste se politise. Ses actions pren-nent alors un autre sens. Quelques an-nées plus tard, il démissionne. «On s’attache vite à un système; je ne vou-lais plus d’obligations. Je me suis donné

six mois de réflexion, pour découvrir ce que signifie "se débrouiller seul"». Ce «break», il le passe à travailler «aux puces»: «Il fallait bien vivre...»

Le temps des rencontres

Bel-Air, une clinique psychiatrique, La Clairière, une prison pour adolescents, la Fondation Sandoz au Locle, ou encore Bochuz; autant de lieux qui ont vu dé-barquer Jean-Charles Pellaud appareil de photo à l’épaule et caméra au poing.De nombreuses anecdotes émaillent ce parcours atypique, qui témoignent de son militantisme et de son profond désir de liberté.Ses débuts de «travailleur social» (même s’il n’aime pas ce mot), se heurtent très vite aux conventions et dès ses premiers films à la prison pour adolescents, il est accusé d’incitation à la violence et à la pornographie. «Je m’entendais bien avec les jeunes, ceci explique peut-être cette dénonciation... Un jeune m’avait dit: "J’aimerais assom-mer un éducateur!". Nous avons donc tourné une séquence, en décomposant les mouvements de cette action (le début du geste, etc.); c’était un enchaînement très construit et inoffensif... Incitation à la violence!Pour la pornographie, c’est un jeune qui voulait représenter une plage. Devant un dessin de palmiers, il posait en caleçon de bain... (rires)».Les projets se succèdent et deviennent des ateliers vidéo. Le matériau vient des jeunes, mais aussi des médecins qui s’en occupent. Jean-Charles Pellaud bricole avec peu de moyens et en trouve de nouveaux. Des jeunes l’accompagnent au marché et les ventes permettent la réalisation de nouveaux films.Des projets individuels se font jour. Mégève-Genève à pied pour Christian, le toxicomane (avec reportage photos), la recherche d’un alpage pour un autre jeune qui désire y travailler...

Sans profession fixe...

«J’ai aimé le cinéma depuis que je suis tout petit...» Mais lorsqu’on demande à Jean-Charles Pellaud quelle est sa formation initiale, il lance dans un grand rire: «J’ai fait tous les métiers! Du nettoyage de la moquette au Bon Génie à la construction de stands pour la foire de Tunis. J’ai été aussi bien dessinateur de meubles pour des architectes tunisiens, qu’accompa-gnateur de jeunes dans différentes institutions romandes ou figurant pour la télévision». C’est à la TV que commence son incroyable feuilleton de vie professionnelle qui l’amè-nera à être successivement «cabloman», chauffeur pour cameraman, et finalement régisseur de plateau, en rem-placement d’un ami mort su-bitement... «Les écoles de ci-néma n’existaient pas en Suisse romande à cette époque; je me suis formé sur le tas». C’est en qualité de régisseur de plateau que Jean-Charles Pellaud s’occupe du car-reportage de la TSR. Il réalise des films tels que Madame TV, des émissions religieuses, littéraires ou encore d’orientation professionnelle pour les jeunes.Il rencontre alors Michel Soutter, qui l’engage comme assistant durant trois ans...«Lorsque j’étais jeune, mon désir le plus cher, c’était de faire le tour du monde»... En quittant la télévision, c’est finalement un grand voyage vers les humains que Jean-Charles Pellaud a entrepris, caméra à l’épaule et cœur en bandoulière...

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Autant de moments gagnés sur la vie où, sans le savoir toujours, une trace est conservée, devient fil rouge et sou-tient l’histoire de vie elle-même.

Traces de vies

Jacky. «Un jour de marché où nous partagions un verre, un toxicomane m’interpelle: "Je vous entends parler de cinéma, faites le film de ma vie!". Ce n’est pas si simple, lui dis-je, je ne vous connais pas! Finalement, j’ai tourné pendant 18 ans avec lui... Jacky voulait que ce soit ses familles d’accueil qui té-moignent; il était guidé par la revanche et je l’ai convaincu qu’on ne pouvait pas faire ça! A ce moment-là, je ne savais pas qu’on allait réaliser un film ensemble...Des années plus tard, des copains de la TV ont entendu parler de mon tra-vail. Ils ont vu des images de Jacky et cela a fait l’objet d’une émission"Tel quel" réalisée et diffusée sur la TSR. Ce reportage a soutenu Jacky dans son his-toire; on le reconnaissait dans la rue. Il était devenu une vedette; on l’invitait à manger: les gens sont curieux!J’ai bouclé mon propre film avec le té-moignage de ses familles d’accueil, mais le résultat final, Jacky ne l’a malheureu-sement jamais connu....»

Gérald, un ex-clochard: «La TV est venue me filmer sous mon pont. Je leur ai offert le café. Ils ont filmé d’autres cloches et ils m’ont pas passé! C’est dégueulasse!» C’est par ces mots qu’un jour, Gérald interpelle Jean-Charles Pellaud. Aussi sec, ce dernier téléphone au réalisa-teur, qui lui répond qu’il avait «trop de matériel». «Un directeur de ban-que, tu l’en aurais averti!» rétorque le cinéaste et il lui passe Gérald...Une année durant, Jean-Charles Pel-laud met sa caméra à disposition du clochard, qui filme sa vie de façon aléatoire. A la fin de cette période, Gérald lui remet le matériel et laisse au cinéaste la responsabilité du mon-tage: «Débrouille-toi!».Un premier film est soumis à Gérald, qui ressent un profond décalage entre ce qu’il voit et sa propre réalité. «Décalage, peur, mais aussi fierté, frayeur parfois!» De longues discussions s’ensuivent, Gérald accepte finalement le mon-tage: «Tu l’as monté comme ça, mais

moi, je veux une cassette avec toutes les images!».

«Les jeunes m’ont beaucoup appris»C’est en se dégageant des normes et des modèles que Jean-Charles Pellaud accorde sa confiance. «Je ne veux pas faire le psy; je veux avoir affaire à des êtres vivants, comme dans un don, un partage. J’ai toujours essayé de me libérer des contraintes et je me suis posé de nombreuses ques-tions sur les gens qui sont en difficulté: pourquoi y a-t-il des enfants gâtés et d’autres tombés dans des endroits mer-diques, sans parents, d’entrée plus ou moins condamnés? Si, au départ, le contexte n’est pas favorable, on a de fortes chances pour que ça tourne mal!Je n’avais donc plus de raisons de ne pas partager une part du bonheur d’être bien tombé. Les gens n’ont pas à payer pour les conneries d’un système.»Dans ma vie, j’ai fait confiance à ceux-là mêmes dont la société pense qu’ils ne la méritent pas. Ils me l’ont bien rendu: lorsque j’ai dû (par manque de moyens), quitter l’institution pour jeunes où je travaillais, ces derniers ont fait une pétition. Je me souviens aussi de cette parole de Christian, après notre périple-photo Genève-Mégève: "C’est un plaisir aussi grand que la défonce!»"Je crois bien "qu’il s’est passé des choses entre nous"1. Aujourd’hui, je n’aspire finalement qu’à continuer à faire ce que j’aime...»

Regard sur le Forum

«Le 27 octobre 2011 a été une jour-née passionnante. Ce que je trouve par contre dommageable, c’est qu’il s’agit souvent d’élans qui n’ont pas de suite. La vraie question est: "Qu’est-ce qu’on soutient? Le système est fabriqué de telle sorte qu’une personne lance une histoire et que sa construction disparaît avec elle: fin du mouvement!On laisse les gens le bec dans l’eau.J’ai participé à Berne à l’Année contre le racisme; Couchepin2 ouvrait la séance. Il y avait là un apéritif qui aurait per-mis de nourrir une famille en Afrique durant une année entière... Lorsqu’il s’est agi de conclure cette Année, plus de personnalités! Pas de moyens tangibles pour mener à terme

les projets issus de cette longue réflexion. Tout est construit de façon à ce que les petits soient déstabilisés. Rockfeller disait: il faut que la moitié des humains disparaissent pour renaî-tre sur de bonnes bases. On voit bien de quelle moitié il parlait!J’ai toujours été et je suis prêt à donner ma vie pour que ça change.Je suis inquiet face à l’histoire et effaré par certains événements.»Dans ses projets, Jean-Charles Pel-laud se voit réaliser un film anticon-formiste sur la Turquie pour mettre en tension la beauté des paysages et sa défiance envers le régime politique en place.

En nous accompagnant un bout sur le chemin de la gare de Cornavin, Jean-Charles Pellaud s’indigne du prix exhorbitant des nouvelles amen-des CFF: «Un de ces jours, je vais me rendre à la gare et inciter les gens à re-fuser de montrer leur titre de transport! Le mouvement des indignés c’est bien, mais moi, je suis révolté. Les combats du cinéaste ne sont pas près de s’arrêter...

1«Il va se passer des choses entre nous» C’est le titre d’un film que Jean-Charles Pellaud a tourné avec les jeunes d’une institution.2 Pascal Couchepin, conseiller fédéral, alors en charge du département de l’Intérieur.

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Redonner confianceRéévaluer les universaux de notre sociétéEric Bonvin, médecin-directeur du Centre hospitalier du Chablais, de l’Hôpital du Valais et des IPVR*, Monthey

Le monde que nous partageons et la so-ciété dans laquelle nous vivons sont perçus à l’aune des représentations que nous en avons et des valeurs que nous leur attri-buons. C’est ainsi que notre société mo-derne s’est constituée, notamment, sur des valeurs fondamentales qui tirent leur origi-ne du choix de représentations collectives sur ce qui détermine l’existence du monde et de la vie. Les plus prégnantes de ces valeurs trouvent leurs racines dans un long débat qui ap-parut dans le Moyen-Âge sur la question de savoir s’il est possible de définir notre monde à partir de notions et de concepts universels1. Du 12e au 14e siècle, cette question s’en-venima en «querelle des universaux» dans laquelle s’opposaient ceux pour qui les universaux sont de pures émanations ou inspirations de l’esprit (voces) et ceux pour qui ils ont une réalité au sein des choses (res). Au sortir de cette querelle, l’Occident opta, nous l’aurons deviné, pour cette seconde proposition qui affirme que sont univer-sellement déterminants et constitutifs de notre monde les faits, les choses (res), et que réalité et vérité reposent sur cette seule dimension. C’est ainsi que furent scellées les valeurs fondamentales de notre société moderne (Durand 1975):

1.- La vérité et la réalité de notre mon-de résident dans les faits, les choses, la matière. Ce sont eux qui déterminent tant l’exis-tence, les sensations que les actes des êtres. La philosophie elle-même se rallia à cette valeur en assimilant l’esprit à un fait ou, comme le formula René Descar-tes (1596-1650), à un objet pensant (sum res cogitans).

2.- La vie et le cours du monde sont déterminés par l’enchaînement des faits. C’est sur le «machinisme» que repose la représentation que la modernité se fait du monde. «C’est de ce moteur premier que

sont nés, plutôt que des idées politiques, des philosophies, des religions ou des "rapports de production", tous les éléments typiques des sociétés modernes...». (Forti 2011) De l’expansion de l’univers depuis le big-bang à l’agitation des particules ato-miques, en passant par l’évolution des es-pèces vivantes, des sociétés ou des êtres, autant de catégories de faits qui sont appréhendées par la science en fonction de leurs mouvements dans le temps et l’espace que ce soit par l’astronomie, la biologie, l’histoire, la psychologie, etc. La catégorie de l’être humain est elle-même ramenée à une identité déterminée par l’enchaînement de ses actes au cours de sa biographie ou de son anamnèse. Cette représentation réduit finalement l’hom-me à une simple machine. Après avoir été considéré, il y a un siècle, comme un «appareil psychique», l’esprit n’est-il pas de nos jours ramené au seul produit de l’activité informationnelle de la substance neurale assimilée à un ordinateur vivant? La grande révolution cybernétique a fait de l’information le déterminant ultime de notre monde animé. Elle acheva ainsi de réifier l’être en le plaçant à un niveau équivalent à celui de la machine (Wiener 1948; Lafontaine 2004). Notre société contemporaine ne prétend-elle pas quoti-diennement faire la démonstration d’une fiabilité supérieure de la machine par rap-port à l’être vivant et à l’homme?

3.- La connaissance, le savoir et le pou-voir sur les faits et leurs enchaînements ne sont accessibles au profane que par l’intercession des experts de ces savoirs, hier issus du clergé et aujourd’hui de la science. L’homme moderne se fie davantage au pi-lote automatique qu’au pilote, au robot de précision qu’au mécanicien, aux algorith-mes de communication qu’au charisme d’une personne, au distributeur automati-que qu’au magasinier, à l’ordinateur qu’à l’homme pensant, etc. En d’autres termes, il se fie davantage à la machine et à ses per-formances qu’au vivant et à l’être. Dans le

Dans cet article, Eric Bonvin nous invite à remonter aux origines des valeurs qui fondent notre société, pour mieux comprendre son fonctionnement actuel et tenter ainsi de trou-ver des réponses à la crise de confiance qu’elle connaît aujourd’hui.

*Eric Bonvin est médecin spécialiste FMH en psychia-trie-psychothérapie, directeur des Instituts psychiatriques du Valais romand *(IPVR) et professeur titulaire à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.

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but de vaincre la nature et le vivant, il se met au défi, jusqu’à l’épuisement (Ehren-berg 1998), d’en prendre le contrôle par le pilotage de l’information. Défi qui, se-lon Georges Bernanos, conduit à «la plus grande crise que l’histoire ait jamais connue, et dont le double aspect matériel et spirituel peut se définir ainsi: la déspiritualisation de l’homme coïncidant avec l’envahissement de la civilisation par les machines, l’inva-sion des machines prenant à l’improviste une Europe déchristianisée, une Europe déspiritualisée, capable de sacrifier, presque sans lutte, à l’intelligence pratique et à sa brutale efficience, à l’intelligence pratique monstrueusement hypertrophiée, toutes les autres formes supérieures de l’activité de l’esprit.» (Bernanos 1995).La crise de confiance que connaît notre société n’apparaît donc pas comme la ma-nifestation d’une défiance envers l’hom-me, mais comme une confiance hypertro-phiée à l’égard de la machine, de la chose ou du cela, au détriment de l’être, du Je et du Tu (Buber 1992). C’est ainsi que «notre dispersion spirituel-le dans le règne du "cela", au détriment du règne du "tu", a envahi peu à peu le do-maine des relations sociales, et nous a fait invinciblement considérer les personnes comme des moyens.» (Bachelard 1992) Quoi qu’il en soit, la crise de confiance que connaît notre société est profonde. Et pour sortir de son propre piège qui le conduit à se méfier de lui-même, l’hom-me moderne doit réévaluer ses valeurs et ses universaux. La confiance est une ex-périence et un sentiment qui ne peuvent émaner que d’un être et ne peuvent être donnés qu’à un autre vivant.

Il est temps de redonner confiance en la vie, au vivant et à l’être.

Il ne s’agit donc plus de faire confiance en la représentation de la machine vi-vante avec ses attributs de performance, de cohérence, de certitude et de prédic-tibilité, mais dans les qualités propres et intrinsèques du vivant, de l’étant,

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BibliographieBachelard, G. (1992). Préface. Je et Tu. M. Buber. Paris, Aubier Montaigne.

Bernanos, G. (1995). La liberté, pour quoi faire? Paris, Gallimard.

Buber, M. (1992). Je et Tu. Paris, Aubier Montaigne. Durand, G. (1975). Sciences de l’homme et tradition. Paris, Tête de feuille et Si-rac. Ehrenberg, A. (1998). La fatigue d’être soi. Paris, Odile Jacob. Forti, A. (2011). Aux origines de l’Oc-cident: machines, bourgeoisie et capita-lisme. Paris, PUF. Lafontaine, C. (2004). L’empire cyber-nétique. Des machines à penser à la pen-sée machine. Paris, Seuil. Wiener, N. (1948). Cybernetics, or control and communication in the ani-mal and the machine. New York, Wiley.

à savoir l’incertitude, l’incohéren-ce, la vulnérabilité et la convivia-lité. Nous savons bien que seule la confiance permet à la vie de se prolonger et de se reproduire. Elle seule génère la convivialité néces-saire à toute société humaine. Elle est l’ingrédient relationnel indis-pensable qui permet à l’humain de faire face à l’adversité. Retrouver et redonner la confiance revient donc à prendre le risque de la donner à l’Autre sans exigence de garantie et aux seules conditions des potentialités que lui confère sa nature d’être vivant, à la fois vul-nérable, incertain, faillible... mais tellement humain. Un pari risqué mais salutaire!

1 Débat dans lequel le philosophe Boèce (470-525) introduisit par exemple une distinction entre les formes d’inspiration générales du langage, les «voces», et les choses visées dans le discours, les «res».

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Du projet pilote budget d’assistance à la contribution d’assistanceNouvelle prestation de l’assurance invaliditéDominique Wunderle, responsable de la Succursale romande du budget d’assistance à Cap-Contact Association

Cap-Contact Association

Notre association romande a été créée en 1988 par des personnes en situation de handicap et une personne vali-de. L’objectif est de promouvoir l’autodétermination des personnes handicapées et le travail en partenariat per-sonnes handicapées et personnes valides. Deux thèmes se sont rapidement dégagés: la sexualité et le handicap, ainsi que le droit et les moyens de vivre à domicile. Nous sommes une association d’usagers et d’usagères qui a un comité constitué majoritairement de personnes handicapées et qui promeut l’engagement d’employé-e-s en situation de handicap.

En 2012, Cap-Contact qui compte 150 membres à tra-vers la Suisse romande, offre du conseil social aux per-sonnes handicapées et à leurs proches, des animations dans différents lieux (écoles de santé et de travail social, Genève aéroport, etc.), des groupes de travail et s’investit en politique sociale.

Prix de l’innovation sociale 2011

La collaboration étroite entre FAssiS et Cap-Contact a permis de mener un projet pilote budget d’assistance de 2006 à 2012 (113 personnes handicapées en Suisse romande ont pu engager du personnel privé et ainsi vivre à domicile). Cette expérience est à la base de l’in-troduction d’une nouvelle prestation dans l’assurance invalidité: la contribution d’assistance. Cet aboutissement, qui est le fruit de plus de 20 années de travail de Cap-Contact, a été récompensé le 14 no-vembre par le Prix de l’innovation sociale 2011 de la Fondation Paradies à Zürich.

Prix Paradies 2011: D. Wunderle; U. Lauffer; B. Renz et S. Kessler Contribution d’assistance pour une personne avec un handicap mentalLa porte d’entrée pour obtenir cette prestation est d’être au bénéfice d’une allocation pour impotence de l’AI (API). Selon le degré d’impotence, l’allocation pour im-potence couvre déjà un certain nombre d’heures d’assis-tance à domicile:

14.3 heures/mois en cas d’API faible35.6 heures/mois en cas d’API moyenne57.6 heures/mois en cas d’API grave

Si une personne en situation de handicap a besoin de plus d’heures d’assistance chaque mois, elle peut remplir un formulaire de demande de contribution d’assistance qu’elle renverra dûment rempli à l’Office AI de son can-ton de domicile.

L’Office AI devra vérifier si l’assuré remplit les condi-tions suivantes:

Etre au bénéfice d’une allocation pour impotence;Habiter dans un domicile privé;Etre majeur.

Si l’assuré est un enfant ou un adulte sous curatelle avec une capacité des droits civils restreinte, sous tutelle ou sous autorité parentale prolongée, il devra remplir des conditions supplémentaires.Un adulte avec une capacité des droits civils restreinte devra remplir l’un des critères suivants:

•••

•••

Cap-

Con

tact

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tenir son propre ménage; ousuivre de façon régulière une formation professionnel-

le sur le marché ordinaire de l’emploi ou une autre forma-tion du degré secondaire II ou du degré tertiaire; ou

exercer une activité lucrative sur le marché ordinaire de l’emploi à raison d’au moins dix heures par semaine, ou

avoir bénéficié, au moment de devenir majeur, d’une contribution d’assistance en vertu de l’art. 39a, let. c.

Un enfant pourra également obtenir une contribution d’assistance, si celui-ci remplit l’un des critères suivants:

s’il suit de façon régulière l’enseignement scolaire obli-gatoire dans une classe ordinaire, une formation profes-sionnelle sur le marché ordinaire de l’emploi ou une autre formation du degré secondaire II; ou

s’il exerce une activité professionnelle sur le marché ordinaire de l’emploi à raison d’au moins dix heures par semaine; ou

s’il perçoit un supplément pour soins intenses à raison d’au moins six heures par jour pour la couverture de ses besoins en soins et en surveillance en vertu de l’art. 42ter, al. 3, LAI.

Si l’assuré remplit les conditions, l’Office AI lui enverra un questionnaire d’auto-évaluation des besoins qui lui permettra d’évaluer le nombre d’heures d’aide dont il a besoin chaque mois pour vivre de manière autonome à domicile.

Les domaines sont: les actes ordinaires de la vie, la te-nue du ménage, la participation à la vie sociale et or-ganisation des loisirs, l’éducation et garde des enfants, l’exercice d’une activité d’intérêt public ou d’une acti-vité bénévole, la formation professionnelle initiale ou continue, l’exercice d’une activité professionnelle sur le marché ordinaire de l’emploi, la surveillance pendant la journée, les prestations de nuit.

Une fois le formulaire d’auto-évaluation rempli et ren-voyé à l’Office AI, celui-ci pourra établir un projet de décision qui contiendra une réponse négative ou posi-tive. En cas de réponse positive, l’assuré connaîtra le nombre d’heures reconnu par l’Office AI, ainsi que le montant mensuel qui lui sera octroyé à titre de contri-bution d’assistance.

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Si l’assuré accepte le projet de décision, l’Office AI prendra une décision. Pour déclencher le premier ver-sement de la contribution d’assistance, l’assuré devra fournir le/s contrat/s de travail de ses assistants/tes per-sonnels/les, ainsi que le document de la Caisse de com-pensation AVS qui atteste de son statut d’employeur.

Etre employeur

La personne handicapée ou son représentant légal de-vient l’employeur du personnel privé. Les personnes pouvant être salariées par la contribution d’assistance ne peuvent pas être les parents en ligne directe avec l’assuré (grands-parents, parents, enfants et conjoint/e), mais toute autre personne avec ou sans formation.Afin de soutenir les futurs employeurs, Cap-Contact a prévu différents outils informatiques , mais également des cours et du conseil employeur pour permettre aux personnes handicapées de pouvoir utiliser cette nouvelle prestation.

La personne avec un handicap mental qui vit en institutionSi une personne vit en institution et est au bénéficie d’une allocation pour impotence de l’AI, elle peut égale-ment faire les démarches en vue d’obtenir une contribu-tion d’assistance. Ainsi avant de sortir, elle connaîtra le montant de contribution d’assistance auquel elle aurait droit pour financer du personnel privé qui l’accompa-gnerait à domicile.

En conclusion, Cap-Contact est satisfaite de pouvoir compter sur cette nouvelle prestation qui permet d’élar-gir le nombre de solutions pour quelqu’un qui désire vivre à domicile, même si nous n’avons pas obtenu tous ce que nous désirions. Nous sommes également fiers du travail militant accompli par nos membres et reconnais-sants de l’énergie que les participants au projet pilote ont dépensée pour prouver le besoin d’une telle prestation dans nos assurances sociales.

1 Téléchargeable sur notre site internet www.cap-contact.ch, sous la rubrique Contribu-tion d’assistance2 idem3 Ces outils sont téléchargeable dans la rubrique contribution d’assistance sur le site www.cap-contact.ch

Les dessins sont tirés des flyers 2012 de Cap-Contact

Pour plus de renseignements www.cap-contact.ch ou 021 653 08 18

RectificationDans notre dernier numéro (décembre 2011), une erreur s’est glissée à la page 19 (légende de la photo de remise du prix de l’Innovation sociale).Le président de Cap-Contact est Stéphane Kessler et non Sébastien Kessler.

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Nouvelles du blog

Exclusion par l’occultation de droits fondamentaux Marie-Christine Ukelo, membre du comité de rédaction de Pages romandes

«Il n’est pas de sujet sans un autre qui le reconnaisse comme tel dans sa différence» Charles Gardou

Sur notre site de Pages Romandes, nous avons partagé l’histoire de cinq femmes présentant une déficience intellectuelle, en démarche depuis plus de 10 ans pour faire reconnaître non seulement leur statut de victime de traitement inhumain (stérilisation forcée) mais également l’iniquité dans l’accès à une justice équitable.

Ce procès qui devrait s’ouvrir bien-tôt, pourrait voir le gouvernement français condamné pour ne pas avoir donné la possibilité juridique à ces personnes de faire entendre leur voix, alors que la loi de 20051 stipule le contraire. «La France doit être condamnée pour qu’on reconnaisse que ces femmes sont victimes mais aussi pour que les han-dicapées puissent à l’avenir agir en jus-tice sans dépendre de leur tuteur, qui peut parfois avoir lui-même couvert ou commis des actes malveillants», détaille leur avocate. Selon le Groupe euro-péen des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’Homme (INDH) - une structure associée à l’ONU - qui s’est joint à la requête, cette affaire offre «l’opportu-nité d’ancrer les droits des personnes handicapées (…) dans le système de protection des droits humains élaboré par la CEDH».En effet, cette affaire pourrait révo-lutionner, par son aspect emblémati-que, le statut juridique des personnes handicapées, qui sont considérées comme incapable juridiquement, donc pas en mesure de saisir les tribu-naux, au niveau européen. J’avoue que la prise de connaissance de cette situation, les dilemmes pro-fessionnels qu’elle met en évidence et les questions qu’elle pose du point de vue éthique, axiologique, m’ont

mise devant un grand désarroi. Après l’indignation, bien présente depuis un certain nombre d’années déjà, est venu le temps du constat d’ignorance. Comme professionnelle concernée par la question de la citoyenneté des personnes en situation de handicap, ayant travaillé avec elles, je ne sais pas grand-chose de tout ce qui concerne la personnalité juridique de ce public en particulier. En effet, ma compré-hension était limitée à la dimension du sujet présentant des déficits, qu’il fallait protéger. Objet de protection plus que sujet en mesure de décider. Pourtant, le souci qui m’animait alors au quotidien, était bien celui de per-mettre aux personnes présentant une déficience intellectuelle d’agir, dans la mesure de leurs moyens, sur leur environnement et de pouvoir prendre les décisions inhérentes à leur vie pré-sente et future. La réalité montre cependant le déca-lage qu’il peut y avoir entre le discours et les pratiques, tant au niveau du po-litique, du juridique qu’au niveau de l’accompagnement des personnes, ces espaces où devraient se réaliser l’ap-prentissage des compétences permet-tant l’exercice de la citoyenneté. La pratique professionnelle au quo-tidien m’a permis d’appréhender d’une certaine manière le cadre dans lequel les personnes dont j’avais la responsabilité, pouvaient déambuler. Cependant, c’est comme si une don-née essentielle n’avait jamais été ques-tionnée de fait: la présomption d’une quelconque capacité juridique de la personne. Ces questionnements, pourtant es-sentiels, ne peuvent appeler des ré-ponses toutes faites, tant les enjeux et dilemmes y relatifs exigent de la nuan-ce dans le propos, mais également le temps de la prise de conscience. Si l’on considère que l’un des devoirs d’une société est d’offrir des moyens aux personnes présentant des situa-

tions de handicap, de compenser les déficits, afin de jouir d’un accès à la vie sociale, culturelle, professionnelle avec une égalité de chances, il est jus-te de dire que ce devoir doit pouvoir s’étendre dans toutes les composantes de la vie d’un individu. Dès lors, l’accessibilité à la justice des personnes présentant une déficience intellectuelle doit être considérée comme un enjeu prioritaire, tant cette dimension est au cœur d’un processus d’intégration des personnes dans notre société. L’inégalité de l’ac-cès aux tribunaux nuit non seulement aux personnes lésées, mais est égale-ment un indicateur de l’incapacité d’un système tout entier à protéger tous ses citoyens. L’évolution qui s’impose nécessite de rappeler un certain nombre d’évi-dences, dont l’une d’elle serait de dire que le handicap n’est pas un problè-me en tant que tel, et que l’exclusion du système dont souffrent un certain nombre de membres de la société n’est pas le fait du handicap, mais est bel et bien liée au regard d’une so-ciété sur le handicap. Les définitions proposées par la démarche Processus de Production de Handicap (Fougey-rollas, Cloutier, Bergeron, Côté, J. & St Michel, 1998)2, permettent notamment, à travers la notion de «situation de handicap», de mettre en évidence l’interaction qui existe entre un environnement et les forces et vulnérabilités d’une personne en particulier3. Globalement, nous pourrions dire que notre environnement actuel n’est pas véritablement conçu pour ac-cueillir diverses façons de se mouvoir et/ou d’être au monde. L’accès à la justice pour les personnes présentant une déficience intellectuelle met en évidence une interaction défavorable pour ces personnes, pouvant surajou-ter ainsi un handicap à certains défi-cits déjà présents.

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La nature des limites (cognitives en l’occurrence) de ces personnes pose évidemment la problématique de leur capacité à parler en leur nom propre aux autorités concernées. «Mais cela ne justifie pas la politique qui consiste à priver systématiquement ces personnes de leur capacité juridique et à les sou-mettre à une tutelle qui les empêche de donner leur avis sur des décisions im-portantes concernant leur propre vie». Comme tout un chacun, il semble lé-gitime de dire qu’il leur appartient de décider; étape prioritaire à la possibi-lité d’avoir une prise sur sa propre vie et de participer à la vie de la société, aux côtés de tout un chacun. Mais qu’est-ce que cela veut-il dire au juste? Quelles sont les questions, enjeux que cette affirmation met en évidence?La personnalité juridique qui nous est octroyée en tant que personne apte à prendre des décisions, nous permet de réaliser des choix tels que: la personne avec qui on désire s’établir (ainsi que le lieu), le groupe politique auquel on veut s’inscrire, avoir un droit de re-gard sur les affaires financières. Sans cette capacité juridique, «nous sommes des non-personnes aux yeux de la loi et nos décisions n’ont aucune valeur juri-dique»4. Cette situation est celle des personnes présentant une déficience intellectuelle. La Convention des Nations Unies re-lative aux droits des personnes handi-capées5 prend une position claire par rapport à cet enjeu actuel majeur à tra-vers son article 126 qui porte sur la re-connaissance de la personnalité juridi-que dans des conditions d’égalité. Cet article, par sa compréhension renou-velée de la notion d’égalité, marque un changement de paradigme dans les politiques à l’égard des personnes handicapées.Cette nouvelle acception se propose, plutôt que de souligner les déficits des personnes, de mettre en place les ap-prentissages et les accompagnements permettant aux personnes présentant une déficience intellectuelle de dé-velopper les capacités nécessaires à la prise de décision. Ce présupposé semble accepter d’emblée que diver-ses manières d’être au monde peuvent avoir leur place dans l’espace de la loi, et dès lors, différentes manières d’ex-primer et de faire valoir ses décisions et points de vue.

Les enjeux de cette reconnaissance semblent énormes. La construction du sujet pour la personne en situa-tion de handicap présente déjà de multiples obstacles. Nous pouvons aisément nous imaginer qu’outre les limitations qu’elle peut vivre dans son corps et les répercussions que ces der-nières ont sur son psychique, le doute constant de l’environnement sur les capacités qu’elle a ou n’a pas, peut être, à la fois, vécu comme un défi (Garel, 2006) mais aussi comme un élément entamant son estime d’elle-même. La reconnaissance juridique des per-sonnes participe de la construction d’identité personnelle et sociale. In-tégrer pleinement les personnes à la vie de la société suppose un cadre qui puisse protéger les personnes contre les atteintes injustifiées dont elles peuvent être l’objet (abus de pouvoir, abus, violences, comportements dis-criminatoires). Cependant, il s’agit également de prendre en compte qu’une personne présentant une déficience intellec-tuelle est également en mesure de commettre des infractions. En ce sens, il convient d’adapter l’appareil juridique à la spécificité de ces per-sonnes. Ce qui signifie des réamé-nagements possibles de la notion de responsabilité, des procédures lisibles également pour des personnes pré-sentant des limites cognitives et des sanctions adaptées. Qu’en est-il en Suisse? Il faut sa-voir que La Constitution fédérale contient depuis l’an 2000, un pas-sage spécial concernant les personnes handicapées (ajout à l’art. 8). La loi sur l’élimination des inégalités frap-pant les personnes handicapées est encore plus récente. Elle n’est entrée en vigueur qu’en 2004. Cette loi met - entre autre - le focus sur l’accès aux constructions, aux services, à la formation et perfectionnement, aux

transports publics. La question de l’adaptation de l’appareil juridique n’apparaît pas, à ma connaissance, en tant que telle. Il faut savoir qu’à ce jour, la Suisse n’a toujours pas ratifié la «Convention re-latives aux droits des personnes handica-pées» qui donnerait un coup de pouce considérable dans la prise en consi-dération de la personnalité juridique des personnes déficientes intellectuel-les. Une consultation concernant la ratification s’est déroulée durant le printemps 2011. L’ensemble des mi-lieux concernés s’est montré favorable à la ratification. Il faut savoir cepen-dant que les partis bourgeois ont eu une réaction décevante. En effet, ni l’UDC, ni l’UPS, ni le PLR ne veu-lent entendre parler d’adhésion, en «raison de leur crainte à donner plus de poids aux droits sociaux»7.

1Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances (France).2 Fougeyrollas, P., Cloutier, R., Bergeron, H., Côté, J. & St Michel, G. (1998). Classification québécoise: Processus de production du handicap. Québec: Réseau international sur le processus de production du handicap.3Voir le numéro de Pages Romandes du mois de décembre 2011, concernant les vulnérabilités. 4Stefano Montanaro, Bureau du Commisssaire aux droits de l’homme, Unité de communication.5http://www.un.org/french/disabilities/default.asp?id=14136Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité :- Les États Parties réaffirment que les personnes handi-capées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.- Les États Parties reconnaissent que les personnes han-dicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.- Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagne-ment dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur ca-pacité juridique... Etc.7http://www.humanrights.ch/fr/Suisse/interieure/Groupes/Han-dicapes/idart_8343-content.html

Des liens pour aller plus loin:

1.- www.edi.admin.ch/ebgb2.- Conseil aux droits de l’homme: - http://www.coe.int/t/commissioner/Viewpoints/090914_fr.asp3.- Inclusion Europe: http://www.inclusion-europe.org/fr/icon-help-nos-projets

Retrouvez ces liens et d’autres encore sur www.pagesromandes.ch

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Au moment où l’OFAS annonçait des bénéfices pour l’Assurance in-validité (AI), le Conseil des Etats est entré en matière sur le second volet de la 6e révision de l’AI qui coupe encore davantage dans les prestations de l’assurance invali-dité. C’est le 4e projet de démantè-lement proposé et adopté en moins de quatre ans.

Les feux sont pourtant au vert pour l’AI: en 2011, elle devrait enregistrer des bénéfices de plus de 100 millions de francs qui se poursuivront au-delà du financement additionnel en 2018. Les objectifs des révisions précéden-tes ont été largement dépassés: le nombre de nouvelles rentes octroyées a dégringolé de 47% entre 2003 et 2010, alors que le Conseil fédéral ta-blait sur une baisse de 20% en 20 ans. Aujourd’hui, 700 millions de francs sont économisés chaque année sur le dos des personnes avec un handicap. Pourquoi alors le Gouvernement, le Parlement et l’Administration veu-lent-ils continuer à sabrer allégrement dans les prestations avec une énième révision? Didier Burkhalter a peut-être laissé échapper la réponse lors du débat de-vant le Conseil des Etats en décembre dernier. «L’AI est un boulet», a-t-il déclaré d’emblée, sous-entendu dont il faut se débarrasser. Puis, répondant à Anita Fetz (PS/BS) qui s’étonne du paradoxe "bénéfices-coupes dans les prestations", le conseiller fédéral réplique: «Si véritablement l’assainis-sement se fait plus vite, tant mieux, on pourra toujours revoir les choses, notamment sur le plan du taux de cotisation sur le salaire, ou peut-être trouver un moyen de faire un trans-fert pour financer l’AVS»*. L’assainis-sement de l’AI n’est donc pas l’objec-tif final, mais un moyen de générer des profits qui pourront être investis ailleurs. Faut-il rappeler qu’il y a peu

de temps, il a été décidé de séparer le fonds AI du fonds AVS pour évi-ter que le premier ne coule le second. Mais aujourd’hui, on exige des ren-tiers et rentières AI, pressés comme des citrons par les précédents paquets d’économies, d’être solidaires avec les retraité-e-s. Difficile à avaler tout de même.

Les décisions du Conseil des EtatsLe Conseil des Etats s’est donc empa-ré du dossier en décembre. Il a rejeté la proposition de renvoi du PS par 27 voix contre 13, refusant ainsi d’at-tendre une évaluation des révisions précédentes. Le noyau de la réforme, soit le nouveau système de rentes, a été adopté sans discussion. Un degré d’invalidité de 40% continue d’être la limite inférieure pour percevoir une rente AI, de 25% dans ce cas. A par-tir d’une invalidité de 50%, la rente se calque sur le degré d’invalidité. Et désormais, seuls les assurés avec une invalidité de 80% ou plus (jusqu’ici 70% ou plus) auront droit à une rente complète. Contrairement au Conseil fédéral, la Chambre des Can-tons a décidé d’appliquer le principe des droits acquis. Le nouveau système ne s’appliquera qu’aux futurs rentier-ère-s AI et pas aux actuels, sauf si leur état de santé devait évoluer de manière significative. Cette décision aura pour conséquence que durant une quarantaine d’années, deux ma-nières différentes de calculer les rentes cohabiteront. Le Conseil des Etats a aussi accepté de durcir l’accès aux rentes AI. Les mesures médicales seront désormais soumises aux mêmes règles que cel-les régissant la réinsertion profession-nelle. Tant qu’une personne suit une mesure de réadaptation ou donc un traitement médical, elle ne peut pas ouvrir de dossier à l’AI. Par rapport au

projet initial, les conseillers aux Etats ont tout de même décidé de limiter à deux ans cette période de non-droit. Cela va certes dans la bonne direc-tion, mais laisse de nombreuses ques-tions ouvertes. Les sénateurs ont aussi approuvé la diminution des «rentes enfant», avec le risque de paupérisation du foyer fa-milial que cela implique. Le compro-mis proposé par Jean-René Fournier (PDC) pour atténuer cette réduction n’a eu aucune chance. Le Valaisan voulait que la rente pour le premier enfant s’élève à 40% de la principa-le et celles pour les enfants suivants à 30%. La majorité du Conseil des Etats, dont de nombreux représen-tants du PDC, soi-disant parti des familles, a toutefois opté pour une réduction de toutes les rentes pour enfant, de 40 à 30% de la principale.Un certain nombre d’autres mesures hostiles aux rentiers AI ont encore été acceptées. Et maintenant?

Le dossier est désormais entre les mains de la commission compétente du Conseil national. Des auditions ont déjà eu lieu début février avec des représentants des organisations de personnes handicapées, des méde-cins, des syndicats, des cantons, des milieux économiques et patronaux. La commission entrera dans l’examen de détail à la fin du mois de mars. Le Conseil national devrait, lui, s’empa-rer du dossier en juin. Dans le pire des cas, les divergences seraient éliminées durant cette session-là et la révision 6b déjà adoptée en été.

1 L’assurance invalidité (AI)

*Source: bulletin officiel du Parlement

Même bénéficiaire, l’AI1 n’échappe pas aux coups de machetteMélanie Sauvain, secrétaire romande AGILE

Politique sociale

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Sélection

Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

L’Espace et Soi: l’apprentissage actif par la Petite MaisonNielsen, LilliTalent (Côte d’Or): Les doigts qui rêvent, 2010

«L’Espace et Soi» traite du développe-ment des relations spatiales au début de la vie et de la manière dont les enfants-apprenants ayant des dysfonctions vi-suelles ou autres peuvent les acquérir

en utilisant la Petite Maison, une aide sensorielle conçue par l’auteur en 1982.L’explication théorique de la signification des relations spa-tiales, telle qu’elle s’applique au développement de l’Iden-tité de Soi, est accompagnée d’une description détaillée de la façon dont la Petite Maison doit être équipée pour per-mettre à l’enfant-apprenant d’avoir des occasions optimales d’acquérir les relations spatiales, l’intégration perceptive et le concept de l’objet à travers l’auto-activité.Les principes expliqués dans cet ouvrage sont aujourd’hui ap-pliqués avec succès par des enseignants, des parents, des psycho-motriciens, des physiothérapeutes, dans de nombreux pays.

Polyhandicap, handicap sévère: activités physiques et sensorielles: communiquer, éveiller, stimuler, agirOuvrage collectif coordonné par François Brunet, Cé-dric Blanc, Anne-Catherine MargotParis: Actio, 2010

Cet ouvrage propose des programmes d’activités physiques réalistes et fonc-

tionnels aux personnes en situation de handicap sévère, prenant souvent le contre-pied des présupposés qui laissent encore croire qu’elles sont incapables de s’y investir et d’y prendre beaucoup de plaisir.Il est difficile de déterminer avec précision la part des limi-tations motrices directement liées à la déficience et celle des interactions avec l’entourage. La personne polyhandicapée est souvent conditionnée de telle sorte qu’elle se laisse faire et n’agit plus intentionnellement. La réunion des conditions favorables pour sa participation à une activité est donc un véritable défi collectif. C’est ce défi qu’il faut maintenant re-lever...Cet ouvrage pratique et réaliste essaie de couvrir le champ le plus large possible et de répondre aux différents questionne-ments. De nombreuses situations sont prises en compte et explicitées dans les différents domaines concernant les per-sonnes polyhandicapées ou en situation de handicap sévère.

Vieillir handicapéSous la direction d’Yves JeanneToulouse, érès 2011

Le vieillissement en situation de handicap devient aujourd’hui une question cruciale. Les progrès de la médecine, l’évolution des modes d’accompagnement ont permis que leur espérance de vie se rapproche de celle de l’ensemble de la population. S’il faut

s’en réjouir, leur condition demeure, par bien des aspects, in-satisfaisante. Plus: intolérable. Elle résulte de facteurs comple-xes comme les financements des politiques publiques, l’accès aux soins, l’évolution des dispositifs d’accueil, la formation de leurs soignants et accompagnateurs.Au demeurant, nos choix, face au défi de leur vieillissement, sont liés à nos représentations, largement péjoratives. Com-ment s’en déprendre pour penser autrement leur devenir? En quoi l’éthique peut-elle aider à baliser ce chemin?

Eduquer et soigner en équipe: manuel de pratiques institutionnellesSous la direction de Muriel Meynckens-Fourez, Christine Vander Borght et Ph. Kinoo, préface de Guy AusloosBruxelles: De Boeck, 2011

Les institutions soignantes ou éducatives, résidentielles ou non, qu’elles concernent des adultes, des enfants ou des adolescents, restent un terrain privilégié de recherche et

de formation. Sur base de leur expérience plurielle, neuf ac-teurs de la vie institutionnelle développent dans cet ouvrage les problématiques essentielles qui se posent aux praticiens, quels que soient leur place et leur statut: organiser la vie d’un groupe d’utilisateurs et d’une équipe multidisciplinaire, dé-finir les fonctions et les rôles, penser les modalités d’un soin psychothérapeutique à plusieurs, inscrire le travail dans le champ social et familial, etc. Ces thématiques s’articulent et se conjuguent selon une grammaire particulière à chaque projet institutionnel, pour que le travail y soit abordé tant au niveau global que dans ses singularités. Ainsi se dessine une vie institutionnelle où chacun joue son rôle dans une dyna-mique collective visant à accroître les possibilités de tous, tout en restant conscient des responsabilités et des limites de chacun. Éduquer et soigner en équipe intéressera l’ensem-ble des professionnels exerçant en institution: éducateurs, directeurs, psychologues, infirmiers, personnel paramédical, assistants sociaux, psychiatres ou enseignants spécialisés. Il offrira également une aide précieuse aux étudiants en forma-tion dans ces domaines.

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Formation et informations

Du geste au mouvement dansé. Valoriser la personne en situation de vieillissement ou de handicap

Cours Améthyste No 454, en collaboration avec Pro Senectute Marie-France Roy, professeure de danse contemporaine, chorégraphe de pièces intergénérationelles, Angers Du 3 au 5 avril 2012

Lieu: Hôtel Beau-Site, Chemin-Dessus (VS)Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la DîmeCH - 1523 Granges-près-MarnandTél. +41 26 668 02 78 - [email protected]

L‘utilité pratique des grands courants de pensée qui font référence en éducation socialeIntervenant: Dr Michel LemayCours Améthyste No 43923, 24, 25 avril 2012Lieu: Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la DîmeCH - 1523 Granges-près-MarnandTél. +41 26 668 02 78 - [email protected]

Apprivoiser l’hyperactivitéIntervenant: Dr Michel LemayCours Améthyste No 44026 avril 2012Lieu: Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la DîmeCH - 1523 Granges-près-MarnandTél. +41 26 668 02 78 - [email protected]

Prendre la parole lors de colloquesIntervenante: Christiane BessonCours Améthyste No 44311 et 12 juin 2012Lieu: Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la DîmeCH - 1523 Granges-près-MarnandTél. +41 26 668 02 78 - [email protected]

Projets d’intervention individualisés (PII) élaborés à partir du PPH

Intervenants: Jean-Pierre Robin, Jean-Louis Korpès Coordinateur: Jean-Louis Korpès 7 et 8 mai 2012

Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail socialDélais d’inscription: 30 mars 2012Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.chContact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 [email protected]

Ethique appliquée, identité profession-nelle et mission institutionnelle

Ateliers d’analyse de pratique à partir de l’éthique appliquée Intervenant: Roger Cevey Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex 21 et 22 mai 2012

Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail socialDélais d’inscription: 20 avril 2012Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.chContact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 [email protected]

Maladies psychiques, la crise, ses dangers, ses opportunités23e Congrès du Graap9 et 10 mai 2012Casino de Montbenon, LausanneRenseignements et inscriptions: GRAAPRue de la Borde 25Case postale 63391002 LausanneTél. +41 21 641 25 [email protected] - www.graap.ch

La version 2012 du catalogue «Loisirs & Sport» de Procap Suisse, l’association de et pour personnes avec handicap, a été publiée à l’intention de ces dernières. Il propose une offre tou-jours plus étendue de sorties, que ce soit en Suisse ou à l’étran-ger. L’éventail inclut des activités des plus variées, telles qu’un camp à la ferme dans la région de Moudon ou une semaine de détente dans un centre aquatique en Alsace. De nombreuses destinations sont proposées, garantissant un séjour sans obstacle et idéal pour qui souhaite se détendre.