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Paix et droit (Paris) Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Paix_ et_Droit_ 1938_05_essence spirituelle de l’antisémitisme

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Paix et droit (Paris)

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Alliance israélite universelle. Paix et droit (Paris). 1921-1940.

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DIX-HUITIEME ANNEE (Mensuel) Numéro 5 MAI 1938

ORGANE DE L'ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

Prix au Numéro

2 fraracs

RÉDACTION ET ADMINISTRATION >

45, ROE I.A BRUTÊBB ~~ PARIS (IX*)

AbaiiBeïasBit j ~ «/- t_' fctraKger 25 rrasgsCompte çlièqaè* piaatstnzs,

Alliance [iràiliie 40È-SM- PAKE5

ÀbsmBKnent j„

SOMMAI RE

Sup le Oànufas : i'antijudaïsme fourrier du pangermanisme hitlérien Alfred BERL

L'essence spirituelle de l'antisémitisme d'après M, Jacques fflaritain . .. E. 1_.

Lé drame du judaïsme autrichien ISAS

En Hongrie : Lettre de Budapest ,

Lettre de Pologne : Les variantes et la constante de la politique polonaise Dr A. T.

Communication du Comité Central •

Nécrologie

Le Tsar et ses ministres contre les « Protocoles ».— À propos d'un livre de M. Bourtsef.

Informations : 1. Allemagne : Les dernières mesures antijuives. — 2. Hongrie : La loi

juive.. -— 3. Roumanie : La continuité de la politique antijuive.

SUR LE DANUBE

LINÎIJUSîAiSMEFOURRIERDU PANGERMANISMEHITLÉRIEN

i

Depuis plusieurs années, nous n'avions pas eu à noussoucier de la politique par delà la Leitha. La Hongrie sem-blait avoir Tetrouvé l'équilibre ; les passions déchaînées eni92i par les « Magyars éveillés » n'étaient plus qu'un sou-venir. Le judaïsme vivait dans une atmosphère de tolé-rance et de sécurité. Cette ère d'accalmie paraît toucher àson terme ; et l'ancien royaume de Saint Etienne revientaux mauvais jours du numerus clausus ; non plus d'unnumerus clausus restreint au domaine de l'enseignement,mais aggravé, voire même généralisé dans toutes les bran-ches de l'activité humaine.

Ainsi que Paix et Droit l'appréhende depuis la vic-toire du nazisme au sein du Reieh, la propagande racistes'étend et pénètre à travers toutes les frontières. L'Anschlussa donné sinon l'exemple, du moins le signal, en même

temps que la double caractéristique de cette contagion, oùse conjuguent la passion antijuive et la frénésie de domi-nation universelle qui meut le racisme allemand. Son actions'exerce et se fait sentir partout, dans le Nord africaincomme en Europe Centrale, des régions baltiques jusqu'àBucarest, au Japon comme dans le Proche-Orient, en Pales-

tine et à Ankara. Partout la pieuvre projette ses tentacules,messagères néfastes de discorde, de haine, de révolution, deguerre civile, de pillage et de spoliation, de coercitions, detortures et de meurtre. Partout où l'antisémitisme apparaît,il s'avère, ou comme la conséquence fatale, ou comme lefourrier du pangermanisme hitlérien. Après l'Autriche, il visela Roumanie, où l'assassin Codreanu et ses Gardes de Ferourdissent simultanément le renversement — et pis encore —de Carol, des pogromes massifs et l'alliance allemande ;puis la Tchécoslovaquie dont Henîein et les Sudètes prépa-rent ouvertement la dislocation nationale. Aujourd'hui, c'estle tour de la Hongrie que s'efforcent de perturber Salassy etses bandes terroristes, tous recrutés, groupés et stipendiésen vue de coups de main, dont la violence et le synchro-nisme dénoncent, sans qu'il puisse subsister le moindredoute, l'état-major politique et policier du nazisme. Que lesuccès suive cette nouvelle tentative, et l'hitlérisme conti-nuera la série ; il n'est pas de nation qui puisse se flatterd'échapper à l'emprise de. la race, soi-disant supérieure,laquelle ne peut se traduire — pour les autres — que parla servitude ou la ruine.

La volonté de mettre la Hongrie au rang des satellitesou plutôt des vassaux deda Croix Gammée, est certaine, et

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PAIX ET DROIT:

il est un point qui d'ores et déjà demeure acquis : le Cabinetde Budapest n'a pas résisté à la pression des agitateursextrémistes. Crainte ou tactique, sinon conviction, il a pré-senté au Parlement le projet d'une loi dite « juive » et qu'ondevrait appeler antijuive. Par son économie générale, comme

par. ses articles, elle est aussi déprimante pour la dignitédes ressortissants juifs, aussi menaçante pour leurs intérêtsmatériels qu'attentatoire- au principe d'égalité dont se ré-clame la Constitution magyare et aux prescriptions duDroit. International, écrit ou naturel.

En quoi consiste la loi ? Elle ne tend à rien moinsqu'à réduire à 20 % le pourcentage accordé à l'activitéisraélite dans toutes les voies où peut travailler, se dévelop-per, se cultiver l'être humain, négoce, industrie, banque,jurispz-udence, médecine, pédagogie, scolarité ; qu'il s'agissede renseignement supérieur, secondaire ou même primaire;

Que l'on compare ce pourcentage de 20 % au rôle quel'élément juif joue dans l'économie et clans la productiondu pays,, et l'on comprend aussitôt la gravité du péril quiva les. atteindre. La proportion qu'on leur assigne dans lescarrières libérales peut, à .première vue, sembler assez équi-table, mais ce n'est qu'une apparence (1), si l'on tient

compte de ce fait que les Israélites (soit 7 % de la popula-tion totale), sont, surtout des citadins et n'ont pas, commeles autochtones,, la ressource de la propriété terrienne et dutravail agricole. C'est pour la même cause que l'on constatele considérable afflux juif dans le commerce et l'industrie,dont en raison de leur habitat, principalement rural, lesmasses magyares se sont toujours éloignées, par manqued'habitude et d'aptitude.

Il était donc dans la nature et dans la force des choses

que ces professions vacantes devinssent, non le monopole,mais le lot du judaïsme hongrois. C'est cette conjonction decirconstance d'ordre historique et géographique, quel'exposé justificatif d'une loi inique taxe d'accaparement.Les juifs ont, en effet, pris possession, par leur labeur, de

places restées libres. De même, leur éviction systématiquedes. fonctions officielles, de la magistrature, de l'administra-tion, a: poussé: irrésistiblement leur élite intellectuelle: —

dont le crime est d'être nombreuse —: A'ers la médecine, lebarreau, le journalisme, les lettres, la musique, le théâtre,le cinéma, vers la science pure ou appliquée. Encore l'acca-

parement, n'est-ce pas ? Non ; mais plutôt, le refuge sans

lequel beaucoup- n'auraient eu qu'à mourir de faim. Etc'est bien le sort qui guette, avec la: nouvelle loi, toute la

jeune génération ! Les auteurs du: projet font abstraction dece détail, à leurs yeux, sans importance; Par contre, ilscroient légitimer l'a proscription des futurs parias, en Tes

chargeant d''un lourd grief, dénué-d,;'ailleurs de toute preuve :celui de n'avoir pas; en- retour de l'éga-Mé- civique' queleur a octroyée la Constitution', reconnu ce bienfait parT'as-simiMion- sincère et par l'adaptation aux traditions mo-rales de la nation hongroise. Imputation grave, en effet, sielle, est autre qu'un procès de tendance, si elle est véritable-ment justifiée. Il va sans dire que les représentants autori-sés de la Communauté israélite ne Font pas laissée sans

réponse. Hs ne se sont pas contentés de protester énergi-q.uement contre la calomnie meurtrière sous laquelle on s'ef-

force de les écraser, ils ont su apporter des preuves écla-tantes de sa fausseté ! Us peuvent, sans aucune forfante-rie, revendiquer une large part dans le développement de lapatrie commune, dans son essor économique, dans les pro-grès de sa culture, cle sa civilisation. La métamorphose dela petite ville qu'était, il y a quelque cent ans, Budapest, enune grande cité, en une véritable capitale, comparable auxplus importantes de l'Europe Centrale, est leur oeuvre. Com-bien de coreligionnaires ayant honoré la Hongrie moderne,dans l'art, les lettres et la science, dont ils peuvent citer les-noms, lès ouvrages et les découvertes !

S'ils se sont distingués dans les travaux de la paix,peut-on les juger inférieurs dans l'accomplissement des de-voirs civiques ? L'élan avec lequel ils ont répondu à l'appel,lors de la guerre mondiale, le rôle qu'ils y ont joué, le nom-bre de décorations qu'ils ont obtenues, suffisent à affirmerle contraire. Et surtout, les dix mille Israélites qui sont tom-bés à côté des autres Hongrois ont contresigné ce témoi-gnage (1).. Devant la mort, il n'y eut pas de-numerus clausus.

Que le Parlement de Budapest ait la sagesse et l'énergie-de résister aux <(Trabans » antisémites du pangermanisme,qui travaillent à la main-mise d'Hitler s>ir la Hongrie, il nesaurait en être question.

Quelques rares députés du moins ont eu ce courage etdénoncé Salassy, le sergent recruteur du parti antijuif,l'aventurier d'origine arménienne et dont la nationalité hon-groise est même incertaine. Un autre bon point à marquer :un homme d'Etat qui assuma durant plusieurs années lesresponsabilités du pouvoir, le comte Bethlen, a combattu leprojet. Dans un bref et substantiel discours (2), il en a mon-tré les inconvénients du point cle vue économique, et lesréactions dangereuses clans l'ordre international, InterA'en-tion d'autant plus topique que le comte Bethlen dut lui-même, il y a quinze ans, appliquer la première édition dunumerus clausus-, non sans confesser son scrupule, maisavec ce correctif qu'il n'y voyait qu'un expédient regret-table, temporaire, et dont il promettait la suppression pro-chaine.

Si la question n'était aussi grosse de conséquences tra-giques, on pourrait se livrer à un parallèle d'une ironie édi-fiante. Ses ennemis reprochent à Israël l'insuffisanteintégration dans les sentiments et les traditions nationales.Et ce sont les mêmes, hommes qui commettent le suprêmereniement, la plus criante trahison à l'endroit de la tradi-tion la plus, noble, la plus honorable du peuple magyar, àsavoir le libéralisme, au nom et pour l'a défense duquel ontlutté, pâti et finalement vaincu les grands hommes de laHongrie ; les Rossuth, les Deak, l'es Apponyi, les Andrassy,l'es cle SzelT, les Weclierlé, les 'furr. Cette Hongrie destemps héroïques, voilà l'a vraie, et non celle qui s'agenouilleaujourd'hui' devant l'intrigue, l'or corrupteur et' le terro-risme du Reich. Jamais un seul dés précurseurs dont nousévoquons la mémoire, n'eût accepté cette loi d'exceptionet d'exclusion que propose le Gouvernement actuel :ils l'eussent repoussée comme un recul d'un siècle sur laglorieuse Iiistoire,. de leur Hongrie à eux, celle qui par soncourage clrevaleresque et son amour de l'a liberté,, avait suintéresser les autres, peuples à sa cause,, conquérir les sym-pathies de l'Europe et l'estime du monde ! Aux vivants de

(1) Il convient de: n'accepter que sous; réserve les statistiquesofficielles, démesurément exagérées, pour les besoins dé la cause, surla répartition dé; ^activité: juive. On peut admettre: que- le- nombredes chefs d'entreprise et employés juifs dans les affaires commer-ciales et industrielles atteint 60 %, pour les professions libérales35; %, et ce; pour les raisons démonstratives que nous avons expo-sées plus haut.

(1) C'est le chiffre fourni par l'es statistiques officielles et qu'aconfirmé une sentence rendue en novembre 1922 par le Tribunal cor-rectionnel de Budapest.

(2) Nous en publions plus loin un extrait essentiel.

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PAIX ET DROIT:

-voir s'ils sont bien inspirés, en désavouant leurs grands morts-et leur prestigieux passé.

Qu'ils méditent aussi les leçons de l'histoire et se sou-viennent, qu'à l'instar de tous les fléaux qui ont frappé leshommes et ravagé l'univers, le despotisme et la force bru-tale n'ont qu'un temps, et que si le Droit et la Liberté ontleurs éclipses, ils ont aussi leurs revanches.

II

Depuis deux mois, la roue politique a tourné en Rou-manie : il s'y est produit un changement d'importance. Leroi Carol a « démissionné » le ministère Miron-Cristea-Goga-Antonesco, pour constituer un nouveau Cabinet. Il esttoujours, présidé par le Patriarche, mais composé de person-nalités très différentes des premiers figurants. Il faut cher-cher la cause de cette révolution dans la découverte d'uncomplot ourdi par Codreanu. Ce dernier, trompant sonmonde par une fausse sortie de la vie politique, avait, deconcert avec les militants du Reich, préparé la chute deCarol, et au besoin même, sa suppression.

Comme nous l'indiquions plus haut, po^ir réaliser leMittel-Europa, avorté en 1919, et pour s'assurer la conquêtedes marchés et des matières premières de l'Orient, le gou-vernement de Berlin poursuit sans relâche dans l'Europe-Centrale et Orientale la désagrégation intérieure des payscarpathiques et danubiens et l'élimination par les moyensappropriés de tous leurs dirigeants réfractaires à la miseau pas de l'oie.

C'est ainsi qu'on a vu succomber Duça et trébucherTitulesco, rescapé du poison. On connaît le sort de Dolfuss,on ignore celui de Schuschnigg, Carol, à son tour, se vitmenacé : il prit les devants et aujourd'hui ce sont les Gardesde Fer et leur chef qui sont emprisonnés et vont — peut-être— passer en jugement. Que valent les conséquences de cerevirement pour le judaïsme roumain ? Doit-il continuer àtrembler, peut-il commencer à reprendre espoir ? Il estmalaisé de se prononcer sur les intentions du nouveau Gou-vernement, surtout sur ses moyens d'action et de lutte,

enfin sur l'issue finale. Etant donné l'antisémitisme notoiredu Président, on ne peut guère attendre une améliorationsubstantielle et prochaine, à peine une atténuation appa-rente dans les mesures d'exception que M. Goga a prisesdès la première semaine de son avènement. Toutefois, cequ'on peut constater, c'est un certain apaisement dans larue, sinon dans les esprits. Quant à la question primordiale,à savoir la revision de toutes les naturalisations accordéesdepuis 1918, il règne à ce sujet une épaisse obscurité. Ledélai légalement imparti aux ressortissants israélites, pourfaire la preuve de leur citoyenneté, est à la veille d'expirer ;on ne sait encore s'il sera prolongé. Bref, on ne possède quedes informations incomplètes et vagues sur les méthodes et lestendances des services compétents auxquels est confiée lamission de statuer sur les demandes des intéressés : toutn'est encore qu'incertitude et contradiction.

Quoi qu'il en soit, d'aucuns estiment qu'une condamna-tion rigoureuse de Codreanu et de ses complices produiraitun effet exemplaire : l'entreprise hitlérienne marquerait unéchec, et l'autorité royale en sortirait fortifiée. Libéré desfactions, Carol serait en mesure de rétablir l'ordre moralaussi bien que matériel et de jouer pleinement son rôle d'ar-bitre. Une telle conjoncture servirait, au moins par ricochet,les intérêts de la minorité juive : l'antisémitisme n'étant

qu'un trouble social, né et progressant en raison directe dela faiblesse et de la carence gouvernementale, s'atténueraitavec le redressement du pouvoir. Une sentence sévère sera-t-elle prononcée ? Il est difficile de rien inférer à cet égard ; lecaractère du roi reste l'inconnue de cette équation. On ledit ballotté entre deux sentiments d'appréhension : la peurd'un attentat probable sur sa personne par les Gardes de Fer,et celle d'une agression allemande. L'une, des deux peurs,la peur obéissante, l'inclinerait vers les cotes mal taillées etles compromis qui ne sauvent rien ; l'autre, la peur salu-

taire, le pousserait vers les résolutions viriles... Tout pro-nostic serait bien hasardé, le plus sage est de s'en tenir àla formule, anglaise « wait and see ». Attendre et voir.

Alfred BERL.

L'ESSENCESPIRITUELLE DE L'ANTISEMITISMEd'après Jacques MARÏTAIN

Dans un leader cle Paix et Droit du mois de mars decette année, M. Berl a exposé la substance des réflexionssur le problème juif de M. Jacques Maritain (1). Il a renduau philosophe catholique l'hommage dû à sa charité dechrétien, à sa générosité de Français, à sa pénétration depenseur. Si nous nous permettons d'y reA'enir, c'est pourinsister sur un point particulier que M. Berl a bien effleurédans son article, mais que le reste de la presse juive a unpeu négligé et qui concerne — l'expression étonnera — lamétaphysique de l'antisémitisme.

Il serait cynique d'envisager l'antisémitisme du pointde vue de Sirius. Cynisme indécent et, pour un juif — quelque soit le degré de son insensibilité — cynisme impossible.On ne contemple pas avec le sourire un danger qui vous

menace dans votre être, qui vous vise directement, qui vousparle, en quelque manière, à la deuxième persojnne du

singulier. Il existe des moments où la philosophie est uneinconvenance.

Mais les grandes douleurs ne sont jamais aveugles.Leur brûlure est aussi une lumière. En éclairant l'impassibleenchaînement des faits, elles en font ressortir l'intensité

dramatique.Aux époques douloureuses de l'histoire on constate un

réveil de la foi ou, du moins, cle la préoccupation religieuse.Il ne se confond pas toujours avec le besoin de facilesespérances et de consolations peu viriles ; il témoigne d'unrenversement des perspectives selon lesquelles apparaissentalors le monde et l'histoire. Les événements ne se laissentolus circonscrire clans leur essence naturelle, ils n'ont plusà proprement parler de définition. Vision des choses qui n'arien d'apocalyptique : la nature ne se trouve pas bouleverséepar l'irruption subite de forces surnaturelles. La significationmystique des êtres éclate dans leur nature même, plus

(1) L'impossible antisémitisme, dans l'ouvrage collectif Les Juifs,Pion, Paris 1937.

Les Juifs parmi les nations, conférence faite le samedi 5 février1938 au Théâtre des Ambassadeurs, parue en brochure aux Editionsdu Cerf.

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PAIX ET DROIT:

naturelle que leur nature. Cette nature profonde, M. JacquesMaritain cherche à l'établir pour l'antisémitisme.

Le christianisme est sorti du judaïsme. Mais la filiationhistorique ne constitue pas leur parenté la plus intime.Celle-ci réside dans une vocation commune : Israël et l'Eglisetout en étant dans le monde, sont étrangers au monde,mettent constamment en jeu et en question le monde qui,cependant, semble les contenir. Dans les horizons où lesautres voient les limites du réel, la destinée du juif commeJa.destinée du chrétien ne saurait s'accomplir intégralement.Ce qu'il y a de particulièrement séduisant dans cetteconception, c'est qu'elle ne se réfère pas seulement au dogmede la vie future commun aux théologies juive et chrétienne.La croj'-auce au prolongement infini de notre durée limitéed'ici-bas suppose une attitude concrète à l'égard du monde.L'attachement au monde qu'elle refuse n'est pas forcémentle sensualisme jouisseur dénoncé par toutes les doctrinesde la Arertu, qu'elles soient juives, chrétiennes ou grecques.Cet attachement est déterminé par une l'ajon d'être installédans la réalité qui donne le ton à toutes les péripéties d'unevie, de se complaire dans la condition l'atureJle, d'èlre deplain-pied avec les choses. Ce qui distingue en fin cle comptele judéo-christianisme du paganisme, c'est, plus qu'unecertaine morale ou une certaine meta.physiq.ue, un sentimentimmédiat de la contingence et de l'insécurité du monde,une inquiétude de ne* pas y être chez soi et la force d'ensortir.'

Les oppositions ne s'effacent pas pour autant. Auchrétien qui croit la nature dépassée par la grâce et lemystère du Christ, le refus d'Israël de se convertir apparaîtcomme un amour du monde, comme un. espoir chimériqued'y .réaliser le royaume de Dieu. Par l'attente obstinée clecet avènement, le destin juif ne manquerait pas cle grandeur.

Etranger au monde, le juif en serait le ferment, il le.réveillerait de sa torpeur, il lui communiquerait son

impatience et son inquiétude du bien. Biais l'antagonismeentre le christianisme et Je juda'snie n'en demeure pas moinsentier et ne souffre aucun compromis.

Antagonisme qui n'a rien 'de commun avec l'anti-sémitisme --- tel est le point décisif de loule celte analyse.L'antisémitisme vient d'ailleurs. Derrière l'envie ou l'intolé-rance qui le dissimulent, il est la révolte de la Nature contrela Surnature, l'aspiration du monde à sa propre apothéose,à sa béatification dans sa nature. « Si le monde hait les-

juifs, c'est qu'il sent bien qu'ils lui seront toujours surna-iurellement étrangers ; c'est qu'il déteste leur passion dél'absolu et l'insupportable stimulation qu'elle lui inflige.C'est la vocation d'Israël que le monde exècre ». Dès lorsl'antisémitisme n'est pas seulement incompatible avec lechristianisme, il est son ennemi mortel : le Christianismeest aussi étranger au monde que le judaïsme. « Haïr les-juifs et haïr les Chrétiens vient de même fond ».

L'idée n'est peut-être pas tout à fait nouvelle. Personnene doute que l'antisémitisme raciste menace le christianismeautant que le judaïsme. Mais que cette -hostilité soit sansmerci, qu'elle ne soit pas de pure doctrine, qu'elle vienne-dés profondeurs de la Nature, de son instinct même deNature, voilà le point sur lequel M. Maritain projette unjour nouveau. Qu'à son tour la solidarité judéo-chrétiennene tienne pas seulement à un lien historique, à l'origine cleJésus, à. la. générosité des chrétiens ou au respect d'une-morale commune, qu'elle exprime la même émotion ressentieen face des choses, la même destinée étrangère au monde,voilà une vue qui va au coeur même du problème des relationsentre juifs et chrétiens et qui doit en commander la solution..

E. LEVINAS.

L'&utricSie continue à être ie théâtre de criminelles menées antijuives. Voici que près:de deux mois après l'Anschluss, les instincts brutaux des conquérants nationaux-socialistesne sont pas encore apaisés. Livrés à la merci d'une foule sauvage, à de vilaines rancoeurs età d'âpres appétits, les juifs autrichiens, dont ie seul crime est d'être juifs et d'avoir été defervents patriotes, vivent dans des transes continuelles et dans la plus crueile incertitude. Bisne savent ce qui adviendra d'eux. C'est, non seulement dans les prisons et les camps de con-centration, mais aussi dans chaque foyer familial, la plus navrants tragédie que l'on puisseimaginer.

Chaque jour nous apporte de nouvelles manifestations de la volonté bien décidée desnouveaux maîtres 6u pays d'en finir lo plus rapidement et le pius forutafement possible avecles juifs autrichiens.

Arrestations et perquisitions

On aurait pu penser qu'après le plébiscite, la situationdes juifs autrichiens deviendrait plus « normale », en cesens que les excès prendraient fin et que des contacts entreles juifs d'Allemagne et ceux d'Autriche deviendraient pos-sibles.

Mais les arrestations, les perquisitions, les confisca-tions, les humiliations continuent de plus belle.

Une fouille particulièrement minutieuse a été opérée audomicile du Dr. Friedmann, ancien président de la Commu-nauté israélite de Vienne, actuellement détenu au camp deconcentration de Dachau. D'autres perquisitions continuentà être effectuées chez des industriels et commerçants juifs.La police cherche plus particulièrement les. preuves d'uneassistance financière que lès juifs auraient prêtée au chan-celier Schuschnigg.

Les archives de la Communauté israélite de Vienne ontété fouillées par les agents de la Gestapo et les scellés ontété apposés au local où elles sont conservées.

Un nouveau groupe de juifs autrichiens a été envoyéau camp cle concentration de Dachau. Parmi les victimes

se trouvent Robert Dannenberg, ancien rédacteur en chefde YArbeiter Zeilung, ancien président du Conseil de la pro-vince de Vienne ; Oswald Richter et Heinrich Steinitz, avo-cats de grande réputation ; le Dr. Armand Eisler, ancienconseiller juridique à l'ambassade cle l'U.R.S.S. ; AlexandreGeller, ancien directeur du Telegraf et de l'Echo, etc.

Toute la population juive des villes de Frauenkirchenet de Deutsch-Kreuiz, près de 200 personnes, a été envoyée-au camp de concentration de Bei'g. Auparavant, ces juifsont dû établir l'inventaire de leur avoir et déclarer qu'ilssont disposés à quitter l'Autriche.

On annonce officellement la confiscation cle plusieursdomaines ruraux appartenant à la famille Rothschild. Lesbiens confisqués « seront incorporés aux domaines natio-naux du Reich allemand », déclare le communiqué officieladressé au baron Alphonse de Rothschild, « domicilié àVienne, actuellement sans adresse connue ».

Suicides-

Le nombre des suicides s'accroît d'une façon effrayan-te. On l'évalue à 2.000. Les journaux de Vienne qui'pu-blient les avis de décès les qualifient de « morts subites »..

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:PAIX ET DROITE

Parmi les malheureux qui se-sont donné la mort au coursdes dernières semaines -se trouvent l'écrivain bien connu,Mme Marianne Trebitsch-Stein, l'avocat Dr. Yaroslav Fantl

-et sa femme, le célèbre médecin Dr. Wl'lhelm Knoepfelma-cher, le Dr. Arnold Aseher, président de la Loge Bné Brithde Vienne ; le directeur de sanatorium Dr. Furth et safemme, l'industriel Felsbevg, le conseiller commercialMetzger, le commerçant Max Bergmann, s-a femme, son fils•et sa fille. Cette dernière avait tué au préalable son enfanten bas âge ; l'avocat Dr. Oscar Blooii-et sa femme, -etc.

Expulsions massives

LU situation des juifs dans le Rurgenland qui s'étendà l'est de Vienne, le long de la frontière hongroise et tchéco-slovaque, est tout particulièrenient tragique. Un matin dudébut du mois d'avril, 14 familles juives de Frauenlurchenet i familles de Neusiedl-ani-See furent réveillées par lesS. A. et amenées au poste principal de police à Frauenldr-

•c'hen. Parmi les détenus se trouvaient des enfants en basâge, des vieillards et des malades. Au poste où se trouvait,un officier de la Gestapo, on contraignit les juifs à signerune déclaration par laquelle ils faisaient don de leur « .pleingré » de tout leur avoir à FEta.t. Ils furent ensuite relâ-chés et on leur ordonna de quitter le territoire allemand, ycompris l'Autriche, dans un .délai de trois jours. Défenseleur fut faite d'emporter autre chose que leurs vêtements.

Ces familles juives furent amenées à la frontière tchéco-slovaque, à Kittsee-Berg. Les- autorités tchèques ayant re-fusé leur admission en territoire tchèque, les S. A. enfer-mèrent les familles juives dans les locaux de la douane,•les obligèrent ensuite à pénétrer sur le territoire tchéco-slovaque à travers les fils barbelés qui séparent les- deuxpays.

Des scènes semblables se sont produites à Kittsee,Deutsch Kreutz, Eisenstadt, Reichnitz, Wallern, Pamihagen,Golz, Mattersburg, Scbottendorf, Kobersdorf. En tout, unecinquantaine de familles juives (plus de 200 personnes) sesont vues dépouillées cle tout leur avoir, arrachées à leurmilieu et réduites au vagabondage. Comme les pays voi-sins sont fermés, elles sont rejetées, d'une frontière à l'autre

-et finalement refoulées en Autriche où elles .sont arrêtéespar la Gestapo.

Il convient d'ajouter qu'il ne s'agit pas, dans ces cas,de (( nouveaux venus », mais que la plupart des famillesexpulsées habitent le Burgenland depuis 200 ans. L'uned'elles a pu établir que ses ancêtres y résidaient demis leXIV 0 siècle.

Quelques villes de la pr-ovince .arborent des drapeauxblancs pour indiquer qu'aucun juif ne demeure plus dansla localité.

La rançon de la Gommunauté israélite de Vienne

On ci'oit savoir que la Communauté Israélite de Viennepourra prochainement reprendre son activité et, ainsi, ai-der les juifs autrichiens à s'adapter aux nouvelles condi-tions d'existence.

Deux conditions sont posées par les autorités nazistes.La première, c'est le versement d'une « rançon -» de 800.000shillings (plus de cinq millions cle francs).. La. deuxième,

•c'est l'engagement d'encourager l'émigration des juifs au-trichiens. La Communauté devra .s'engager à expatrier25.000 juifs avant la fin de 1938.

Sur ce montant de 800.000 shillings, 200.000 ont déjàété versés aux autorités nazies. On espère réunir prochai-nement le reste de la somme exigée par les nazis qui pré-tendent qu'elle représente l'équivalent du montant de lacontribution juive à l'oeuvre patriotique du chancelierSehuschnigg.

L'impôt sur le capital des émigrés

A dater du 1er mai 1938, l'impôt sur le capital des émï-

,grés sera payé par tous ceux qui étaient citoyens autri-

chiens au 1er janvier 1938 et ont quitté aujourd'hui ce pays,ainsi que par' les personnes qui étaient sujets allemands au31 mars 1931 et qui ont quitté l'Autriche --après le 31 dé-

cembre 1937. Cet impôt consiste dans un prélèvement du

quart de la fortune.

Le sort de la « Maison de l'Orphelin juif »

La c< Maison de l'Orphelin juif » a été « réquisition-née » par les autorités nazistes pour les besoins -des en-fants aryens. 70 enfants juifs, âgés de 6 mois à 14 ans, ontété expulsés. Les -enfants ont été hébergés par l'adminis-tration d'une clinique d'en-fants juive. Les nazis ont saisitout le matériel de la maison, y compris les vêtements, le

linge, -etc.

La « Maison de l'Orphelin juif », connue sous le nomde « Tuerkenschanzes Kinderheim », a été fondée -en 1924

par un philanthrope juif, le Dr. Bans Rosenzweig. Elle hé-

bergeait, outre les 70 orphelins juifs qui viennent d'être

expulsés, 36 enfants non juifs. La réquisition a eu lieu

malgré la. protestation de la municipalité de DoeMing. fau-

bourg de Vienne où se trouve l'orphelinat, les conseillers

municipaux considérant cet acte comme illégal.

Humiliations et vexations

Le soir de Pâques, des nationaux-socialistes viennoisont fait irruption dans les maisons juives où les famillesétaient réunies pour le repas traditionnel et ont forcé les

juifs à descendre dans la rue et à nettoyer les trottoirs etles murs.

Le grand-rabbin, le Dr. Israël Taeglicht, chef spiritueldu judaïsme autrichien, a été soumis lui aussi à un trai-tement humiliant. On l'a forcé à participer à la campagnede boycottage antijuif et à porter sur la voie publique une

pancarte avec l'inscription : » N'achetez rien aux juifs ! »

Les nazis ont rassemblé plusieurs centaines cle juifs etles ont forcés à défiler dans les rues cle Vienne au pas del'oie, à chanter et à se mettre à genoux tous les cent mètres.

Pendant la célébration de l'office cle Pâque, des S. A.ont fait irruption dans la synagogue orthodoxe « la Schiff-schul », ont emmené sur un camion plusieurs fidèles, lesont conduits au poste de police où ils ont été photogra-phiés, et les ont obligés ensuite à nettoyer, dans leurs man-teaux de prière, pendant plusieurs heures, des fenêtres etdes parquets. Les photographies ont été prises en vue deleur publication dans le Stûrmer.

Campagne de boycottage

Depuis quelque temps, Vienne est le théâtre d'une for-midable campagne de boycottage antijuif. Elle est sou-vent dépassée en brutalité par celle menée en avril 1933 àBerlin. Des centaines de jeunes gens défilent dans la rue,porteurs d'affiches aux slogans antisémites. A l'entrée detous les magasins juifs stationnent des factionnaires inter-disant l'accès -des locaux aux -clients chrétiens.

Plusieurs « aryens », dont une femme, qui n'avaient

pas obtempéré aux injonctions nazistes, ont été arrêtés parles S. A qui les ont "forcés à passer par les rues les plusimportantes de Vienne en portant l'inscription : « Celui quiachète chez les juifs est un porc », « Il n'y a que les imbé-ciles pour acheter chez les juifs », etc. Très souvent, on

oblige les propriétaires juifs à prendre part eux-mêmes à-la

campagne cle boycott en les forçant à stationner devant leur

propre magasin avec des pancartes portant des invitationsau boycottage.

La liquidation des entreprises juives, un devoir séculaire

Dans un leader des Wwner ~Neuesten Tsïachrichten inti-tulé : « La faute des juifs », on lil :

« Dans son grand discours prononcé avant le plébis-cite, Hermann Goering a déclaré que Vienne doit devenirune ville allemande et que tous les juifs en doivent dispa-

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PAIX ET DROIT

raître. Cette déclaration définit nettement le programme.Pour les juifs, il n'y a plus de question de gain, seule la

question de la liquidation peut encore se poser... La. ques-tion juive en Autriche doit être liquidée. Le national-socia-lisme se trouve en présence d'un devoir grand et séculaire

qui doit être accompli intégralement, et en pleine disci-

pline. »Les entreprises, comme les annonces de journaux en

font, foi, passent l'une après l'autre, fictivement ou réelle-

ment, aux mains des aryens à des prix dérisoires. De cesbénéfices, les juifs, s'ils parviennent, à trouver un pays où

s'expatrier, sont autorisés à emporter, au maximum, un

quart à l'étranger.Elimination

L'élimination des juifs des différentes branches de Inac-tivité se poursuit, jour par jour, implacable et sans trêve.

Voici que les pharmaciens ne pourront, plus exercer leur

profession et devront céder leur commerce à des pharma-ciens « aryens ».

Les juifs ne sont plus admis à la Bourse du blé deWorms, qui est le principal établissement autrichien de ce

genre.M. Ettinghausen, le nouveau président de la Chambre

des avocats de Vienne, a déclaré que les 1.800 avocats juifsdu ressort du barreau de Vienne seront éliminés. Le pro-blème de la « déjudaïsation » de l'Ordre des Avocats àVienne sera prochainement résolu d'une manière radicale.

Le Journal Officiel cle Vienne publie un décret suivant

lequel les citations par ordre de justice sont suspendues jus-qu'au 30 juin, mais ces dispositions ne s'appliquent pasaux juifs en ce sens que les débiteurs juifs peuvent êtrel'objet de citations, mais que les créanciers israélites n'ontpas le droit de faire pratiquer de saisies.

La tragédie du judaïsme autrichien

L'envoyé spécial du Daily Herald mande à son jour-nal : « La persécution des juifs autrichiens a atteint sonpoint culminant. Les juifs aisés ont quitté en partie le pays,abandonnant leur avoir ; d'autres ont fui vers Berlin où lapersécution antijuive est moins systématiquement pratiquéequ'à Vienne. Des familles entières essayent de passer clan-destinement la frontière. Très peu y réussissent. Pour nepas être aperçus, ils se cachent pendant la journée et mar-chent pendant la nuit. Des hommes qui il y a quelques se-maines étaient encore des citoyens estimés et aisés, se voientdans l'obligation d'accepter l'aumône des habitants des vil-lages. Les commerçants ont été privés purement et simple-ment de leur avoir, mais en même temps ils sont obligésde s'acquitter de leurs devoirs envers l'Etat et la Commu-nauté. Ils sont astreints à payer le loyer de leurs maga-sins qui ont été fermés sur un ordre officiel. Le nombre desemployés et ouvriers juifs congédiés des entreprises aryen-nes depuis l'Anschluss est évalué à 80.000. Nombre de cesmalheureux sont condamnés à la mort par inanition. C'estce qui explique aussi en grande partie le nombre considé-rable de suicides parmi la population juive de l'Autriche-. »

EN HONGRIELettre de Budapest

23 avril 1938.

A l'histoire du martyre des juifs vient cle s'ajouter unenouvelle page. La Hongrie entend ne pas demeurer en resteavec les persécutions et les dénis de justice allemands, ger-mano-autrichiens, polonais, roumains. La voici, elle aussi,atteinte de manie législative antijuive.

Le 17 avril, premier jour de la fête pascale israélite,M. Daranyi, premier ministre, a jugé cle bonne politiquepour son prestige personnel cle proclamer que ses conci-toyens juifs sont devenus gênants ; qu'ils- constituent unpéril pour la nation hongroise, parce qu'ils jouent un rôletrop important dans la vie sociale et économique ; qu'ils semontrent inaptes et réfractaires aux travaux des champs ;qu'ils ne s'assimilent pas moralement au reste cle la popu-lation chrétienne ; que leur collectivité, enfin, compte unnombre excessif de lettrés, de savants, cle musiciens, debanquiers, de médecins, d'avocats, d'inventeurs, d'indus-triels, etc.. D'où impérieuse nécessité pour le gouverne-ment d'introduire et d'appliquer sans retard le numerusclausus dans toutes les branches de l'activité sociale, seulmoyen, paraît-il, cle remédier aux maux du pays démem-bré par le Traité de Trianon...

Avec un ensemble de commande, la presse bourgeoiseassure que le projet de règlement du problème juif est « sa-lué avec enthousiasme par la nation », qu'il est « empreintde modération et d'esprit humanitaire ». De leur côté, lessphères dirigeantes font publier que la majorité du payspousse à des mesures plus radicales encore en vue de met-tre fin, une fois pour toutes, à la prépondérance insup-portable de l'élément israélite, mais que « les facteurs res-ponsables ne toléreront pas que la rue leur dicte le rythmedu travail entrepris ». On peut se demander jusqu'à quel

point le gouvernement cle Budapest eût poussé l'esprit demesure dans les décisions déjà prises si la rue se fût aviséede dire son mot dans la confection du projet législatif pré-senté et qui, tel qu'il est conçu et prêt à entrer en vigueur,réduira sans merci les israélites à la même paralysie etau même dénûment contre, lesquels se débattent à cetteheure leurs infortunés coreligionnaires d'Allemagne et d'Au-triche.

A voir en ce moment l'acharnement judéophobe deMM. Sztradanyavsky, président cle la Chambre ; Endré, Cail-lery, membres du Parlement, leaders des partis antisémites,on se croirait revenu à l'époque du Cardinal-Archevêquede Vienne Rauscher et des agitateurs politiques Istocsy,Onody et autres qui avaient réussi à constituer, comme onsait, en Hongrie, plus de soixante-dix sociétés antijuives-,lors du procès de meurtre rituel de Tisza-Eslar, de tristemémoire.

De nouveau, même propagnade forcenée, mêmes im-pitoyables accusations et diffamations dans un but d'asser-vissement, cle compression des israélites. Les dernières se-cousses de Vienne servent à souhait les menées et les des-seins de la réaction. Dans quelques jours peut-être, lesjuifs hongrois, tout comme leurs coreligionnaires d'Alle-magne, se verront réduits à la condition de citoyens dedeuxième zone, ou de parias. Les fonctions, les carrières,les emplois leur seront fermés au point que, suivant le fa-meux mot du farouche procureur tsariste Pobédonostsef,« un tiers d'entre eux se verront obligés d'émigrer, unliers cle se convertir, un tiers de mourir de faim ».

On sait que jusqu'à ce jour, les israélites de Hongriedevaient à leur patriotisme, à leur activité et. à leurs facul-tés spéciales d'entreprise la place qu'ils se sont faite dans

I le redressement économique. Ce relèvement sert maintenant

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PAIX ET DROIT:

de grief contre eux et il est devenu courant de réveillercontre eux mille préjugés ataviques. De partout, on de-mande qu'ils soient réduits à l'impuissance, exclus du seinde la nation. Ainsi, pense-t-on, celle-ci retrouvera la pros-périté d'antan et... le paradis national perdu.

Voilà qui explique l'initiative inattendue prise" parM. Daranyi cle présenter son projet de loi. Il convient dele considérer comme un prélude à d'autres mesures restric-tives. Les israélites ont lieu de craindre qu'ils ne connaî-tront désormais ni repos, ni liberté. Au nom de toutes lesCommunautés, ils adressent au gouvernement une protes-tation dans laquelle on dit entre autres : « Ce projet cons-titue une violation des principes de l'égalité de nos droitset menace notre existence morale et matérielle. Il opposela nation à notre religion qu'il flétrit. Il affirme gratui-tement que les israélites n'ont pas adopté les traditions na-tionales historiques et qu'ils ne se sont que superficielle-ment assimilés aux populations autochtones. Nous protes-tons contre ces accusations et contre les mesures d'excep-tion envisagées. Elles sont susceptibles de réduire nos droitsde citoyens hongrois, uniquement parce que nous demeu-rons fidèles à notre religion. On ne doit pas permettre quel'attachement à notre foi monothéiste puisse constituer pournous un préjudice. »

La protestation s'achève par un appel au Régent, età l'esprit libéral des hommes politiques ; mais, où sont leslibéraux hongrois d'autrefois, tels que Kossuth, Apponyi,Tisza ? Où sont les temps où l'humanité s'indignait contreles atteintes aux droits de l'homme, où l'opinion mondialese révoltait et laissait entendre des paroles de pitié enfaveur des opprimés ? Tout cela, hélas ! n'est plus qu'un

souvenir du passé, passé aboli par l'ydassable propagandegermanique, par les toxines nazistes, qui contaminent cha-que jour davantage l'Europe Centrale.

En Hongrie, à la tête du mouvement national-socialiste,figurent à cette heure, en plus du féroce agitateur Szalasyqui prend son mot d'ordre à Berlin, deux hommes politi-ques dont l'influence sur les masses va s'accentuant. Cesont le Dr Vegvary, président de l'Union antisémite dénom-mée « Turul », et M. Meczer, président de la Chambre diteCulturelle. Ce triumvirat fait pression sur le gouvernement.Aussi, avant même que le projet de loi Daranyi ait étéadopté par le Parlement, des instructions ont été donnéesaux autorités administratives et policières pour qu'ellescommencent l'épuration du personnel juif et son exclusionde toutes les institutions ainsi que cle tous les établisse-ments d'Etat. Des centaines de fonctionnaires et employésisraélites sont déjà licenciés et jetés sur le pavé. Ceci, pa-raît-il, comme représailles contre les juifs cle la capitale,qui, en signe de protestation contre la législation projetée,s'abstienennt de fréquenter théâtres, cinémas, cafés et au-tres lieux de distraction. A la suite cle cette abstention, lesrues de Budapest, d'ordinaire fort animées, ont présentéun aspect très calme durant les huit, jours cle la Pâquejuive. Affectés par les tragiques événements qui se dérou-lent non loin cle chez eux en Autriche, les quelques rarespassants Israélites sortis de leurs, demeures paraissaientcomme atterrés, hébétés, ou comme des gens qui voientvenir un cataclysme. Puissent ces infortunés ne pas con-naître les mêmes vicissitudes dramatiques et les mêmesaffres que leurs voisins de la capitale autrichienne disparue,

ISAS

LETTRE DE POLOGNE

Les variantes et la constante de îa politique polonaise

Varsovie, le 25 avril 1938.

Le camp gouvernemental actuel ne peut se mainteniret conserver son équilibre que par un jeu habile d'oscilla-tions caractérisé par un mouvement tantôt vers la gauche,tantôt vers la droite. Ces changements cle direction politi-que ont fait jadis l'objet de graves commentaires- et d'in-terminables discussions. Aujourd'hui, on n'y attache plusbeaucoup d'importance. Tout le monde a compris que, seu-les, des raisons de tactique et d'opportunité inspirent etmotivent ces fluctuations. Il en est ainsi du dernier glisse-ment vers la « gauche » auquel personne — les groupementsdémocratiques moins que tous autres — n'attribue une va-leur spéciale. Il convient toutefois de relever certains faitsassez violents et inattendus. Le député réactionnaire Bud-zynski, qui s'est distingué au Sejm par ses discours antisé-mites, et tout son groupe ont été exclus du parti gouver-nemental ; les chefs de la section de la jeunesse, connuspour leur tendance extrémiste, ont été destitués de leurfonction et remplacés par des commissaires du parti. Il estquestion également d'autres mesures sévères, notamment del'exclusion du parti de personnalités dirigeantes de l'ailedroite et plus particulièrement de celles qui appartiennentau groupe des « colonels » et à celui des grands proprié-taires fonciers. La direction des affaires tend de plus en plusà passer entre les mains des groupes radicaux, des « réfor-mateurs » (Naprawiacze), qui se recrutent en majeure par-tie parmi les milieux des anciens légionnaires et dont leporte-parole est le ministre cle l'Agriculture, M. Ponia-towski, auquel la droite veue une haine toute particulière.

Mais, nous le répétons, l'opinion publique est peu sen-

sible à ces événements et n'y voit autre chose qu'une ma-noeuvre cle pure tactique. Les juifs, eux non plus, n'y pui-sent pas l'espoir d'un revirement en leur faveur. Forts d'uneexpérience déjà longue, ils ne savent, que trop bien quede pareils changements politiques ne signifient aucunementun redressement de leur tragique, situation. D'ailleurs, cen'est pas la question, juive qui sépare les éléments réac-tionnaires des éléments « progressistes » du parti gouver-nemental. Ceux-ci sont aussi antisémites que ceux-là. Nefont-ils pas l'impossible en vue d'éviter l'impression que lanouvelle orientation politique a quelque rapport avec le

problème juif ? Le député Budzynski s'étant acquis une ré-

putation uniquement par ses manifestations antisémites au

Sejm, on s'est empressé d'informer le public par un com-

muniqué de presse spécial que son exclusion du parti gou-vernemental n'a rien de commun avec son activité dansl'assemblée législative.

Il serait erroné également d'attribuer l'ajournement duvote, définitif par le Sénat de la loi relative à l'interdictiontotale de l'abatage rituel à la bonne volonté du gouverne-ment ou à la pitié provoquée par le désespoir de la popu-lation juive. Plus simplement, le gouvernement s'est rendu

compte qu'une telle loi porterait actuellement un grand pré-judice à l'économie générale du pays, et cela d'autant plusque les juifs menaçaient de se mettre au régime végétarien.La soi-disant victoire des juifs, dénoncée avec force indi-

gnation par les nationaux-démocrates, est donc loin d'être

imputable à une .attitude plus bienveillante du gouvernementà l'égard des israélites.

Qu'il n'y ait pas d'évolution parmi les sphères, diri-

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8 PAIX ET DROIT:

géantes vers des sentiments meilleurs vis-à-vis des juifs,l'attitude des différentes autorités et administrations le con-firme journellement. Le ministre (du Commerce polonaisn'a.-t-il pas tout récemment, lors d'un Congrès des commer-çants de FOuest cle la Pologne, rendu hommage à la. mé-thode pratiquée par eux dans la. lutte contre les « concur-rents » et exprimé le regret que les autres régions du paysne soient pas encore « mûres » pour une pareille lutte ?Pour bien comprendre le sens de ces paroles, il faut savoirque dans cette contrée de la Pologne le nombre clés, com-merçants juifs est très restreint et qu'il ne peut s'agir qued'une campagne contre les plus miséreux, les marchandsambulants qui traînent pitoyablement leur marchandise demarché en marché pour gagner, dans les conditions les plusdures, leur pain quotidien.

C'est contre ces malheureux qu'on mène -aujourd'huiune campagne d'extermination de grande envergure. Toutesles méthodes -sont pratiquées. Dans certains' endroits, oninterdit purement et simplement aux-juifs, par décrets ad-ministratifs, l'accès du marché. Dans d'autres localités, onloue les places du marché à des organisations chrétiennesou à des associations- de commerçants chrétiens qui empo-chent naturellement les juifs d'établir leurs stands. Un au-tre moyen consiste à installer les marchés dans la péri-phérie ou même à une distance plus éloignée des villes oùles juifs n'osent guère s'aventurer par crainte d'agressions.Il n'est pas rare non plus que le jour du marché soit fixéau samedi ou à des jours de fêtes juives ; les commerçantsjuifs s'abstenant, ces jours-là, de toute affaire. Enfin,la méthode de plus en plus fréquemment employée ces. der-niers temps consiste dans l'introduction de ghettos dans lesmarcliés. On assigne aux juifs certaines places situées leplus souvent à des endroits éloignés et difficilement acces-sibles. Un seul exemple permettra de montrer les consé-quences de cette campagne d'élimination : du l"r janvier1936 au 20 juin 1937 ont eu lieu, dans la région de Posen,511 foires. Dans 222 cas on en a interdit purement et sim-plement l'accès aux marchands juifs ; dans 136 autres cas,on les a forcés cle quitter le marché avant qu'ils aient puinstaller leurs marchandises.

Telles sont. les méthodes approuvées et recommandéespar le ministre du Commerce,

S'attaquant de préférence aux éléments les plus fai-bles, on s'en prend aussi aux petits commerçants des vil-lages. D'une enquête faite dans 30 villages de l'Est de laGalicie, en vue de constater les changements survenus de-puis cinq ans, il résulte qu'en 1932, il y avait 62 magasinsjuifs et 47 magasins non juifs ; en 1937, 16 boutiques et112 entreprises non juives. Mais l'enquête a encore établice phénomène curieux qu'en 1932 des 47 magasins nonjuifs, 16 seulement, donc un tiers en tout, étaient des en-treprises privées, les autres des coopératives. Or, en 1937,de 112 magasins non juifs, 70, soit les 2/3, étaient des en-

treprises privées. Donc, tant qu'il s'agissait d'éliminer laconcurrence juive, on a eu recours à la forme coopérativepour gagner la sympathie de la population. La soi-disantlutte contre le commerce privé ne visait à rien d'autre qu'àl'éviction des commerçants juifs. Avec la disparition cle cesderniers disparurent aussi les sociétés coopératives. Et quesont devenus les fameux arguments invoqués jadis contrele trop grand nombre d'intermédiaires juifs qui exploitaientle paysan polonais, maintenant qu'ils ont été remplacés pardes interniêdiaires chrétiens ? La mauvaise foi est trop évi-dente pour qu'il soit utile d'insister.

Evincés par tous les moyens possibles de leurs posi-tions économiques, que deviennent ces milliers de juifs po-lonais ? Ils ne tiennent aucunement à exercer une activitééconomique, à condition toutefois qu'on leur donne la pos-sibilité d'embrasser une autre profession. Les chiffres sontlà pour le prouver. Un recensement effectué en 1931, maisdont les résultats ne viennent d'être publiés que mainte-nant, accuse les données suivantes : en 1921, 41 % des juifspolonais vivaient du commerce, 33,8 % de l'artisanat et del'industrie ; en 1936, 36,6 % vivent du commerce et42,2 % de l'artisanat et de l'industrie. Des constata-tions analogues peuvent être faites en ce qui concerne lesjuifs dans le domaine de l'activité professionnelle. Cetteévolution reflète l'âpre lutte que soutiennent pour l'exis-tence les juifs polonais, contraints à faire travailler leursfemmes et leurs enfants- dès leur jeune âge. A condition tou-tefois qu'ils trouvent du travail. Car — et il importe cle lesouligner — le désir de travailler chez les juifs polonaisest bien plus vif qu'on ne l'imagine. Si beaucoup d'entreeux n'abandonnent pas le commerce, c'est uniquement pourne pas augmeter le nombre des chômeurs. Des milliers etdes milliers de juifs aspirent à s'employer dans l'industrie ;bien peu d'entre eux peuvent réaliser ce rêve. Car le boycottcontre l'ouvrier juif est aussi violent que celui qui sévitcontre le commerçant. C'est là une des preuves les pluséclatantes de la mauvaise foi des antisémites polonais. Lescommerçants et intermédiaires: juifs sont superflus, clament-ils. Mais lorsqu'ils demandent du travail, on le leur refuse.

Quelle que soit la couleur politique du parti gouverne-mental, rien ne permet d'entrevoir dans les circonstances ac-tuelles un changement de cet état de choses. Seule une vic-toire des éléments sincèrement démocrates pourrait y remé-dier. Us semblent d'ailleurs se consolider de plus en pluset prendre à coeur la défense des juifs, si impitoyablementpersécutés. L'organe des milieux démocrates intellectuels,Czarno na Bialem (Noir sur blanc), d'un niveau très élevé,vient cle consacrer un numéro spécial à la question juiveen Pologne. Sous une forme tantôt sévère, tantôt ironique,il condamne vigoureusement l'antisémitisme. De ces élé-ments seuls peut venir un secours au judaïsme polonais dontla détresse morale et physique est à son comble.

Dr. A. ï.

Réception de M. GoUeland, directeur général de l'Instruc-tion publique, des Beaux-Arts et des Antiquités du Pro-tectorat marocain par le Comité central de l'Alliance Is-raélite.

Le 7 avril 1938, le Comité central a reçu, dans les sa-lons de YAlliance, M. Gofteland, directeur général cle l'Ins-truction publique du Protectorat marocain.

De .nombreux membres du Comité central, le déléguéde YAlliance au Maroc, les directeurs des Ecoles normales

de Versailles et d'Auteuil et le personnel du secrétariat ontassisté à cette réception.

Au nom du Guiiiiié central, M. Georges Leven, vice-président de YAlliance Israélite, a salué le directeur géné-ral et lui a exprimé la gratitude du Comité central pour la.bienveillance que M. Gottela-nd témoigne à l'oeuvre de l'Al-liance au Maroc. Retraçant le développement de cette oeu-vre, il a fait ressortir le rôle qu'elle a joué dans la diffu-sion de la langue et de la civilisation françaises au Marocet dans la pacification du pays. Rendant hommage à l'es-prit qui, depuis 1927, anime la collaboration étroite entre

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PAIX ET DROIT:

l'Alliance et le Protectorat dans le domaine scolaire, il a.insisté sur l'essor pris par l'oeuvre depuis l'amvée à la têtede la Direction générale de l'Instruction publique de M.Gotteland :

« A votre arrivée, en 1927, nous avions au Maroc 26 éco-les" et 6.500 élèves. Aujourd'hui, nous avons plus de 40 éco-les et plus de 17.000 élèves. En 10 ans, notre populationscolaire a presque triplé.

« Avec le concours du. Protectorat, de superbes écoles ise sont élevées, dans tous les grands centres, à Casablanca,Fez, Marrakech, Mogador, Meknès, Rabat, Sali, Salé. Desécoles plus modestes se sont ouvertes dans le bled maro-cain : à Ber-Rechid, Settat, Midelt, Ben-Ahmed, Beinnat, Ta-raudant, Kasba-Tadia, Tiznit, Oued-Zem.

« Et au Maroc, comme ailleurs, l'école de'Y Allianceest un admirable centre d'action: bienfaisante. Autour del'école s'organisent des oeuvres de nourriture,, d'habillement»,des infirmières, des dispensaires qui apportent un peu de

soulagement à la maladie, à la misère, si souvent affreuse,des enfants du mellah. Les communautés rivaliseut de zèleet d'ardeur généreuse, et c'est par elles que ces oeuvress'accroissent et se développent. »

M. Georges Leven a remercié enfin M. Gotteland del'intérêt qu'il témoigne aux oeuvres d'apprentissage pro-fessionnel, à l'enseignement agricole, à toutes les initiativesqui doivent permettre' le relèvement moral et social du ju-daïsme marocain.

Prenant la parole à son tour, M. Gotteland remercied'abord M. Leven des paroles chaleureuses qu'il a pronon-cées à son adresse, ainsi que de l'accueil que lui a réservé

le Comité central. Dans une improvisation éloquente, il exr

prime son admiration pour l'oeuvre de l'Alliance qui: exerceson action de relèvement dans tant de pays divers. Il a pusurtout l'apprécier au Maroc durant ses 12 années de sé-

jour dans le pays et en constater les bienfaits, tant au pointde vue éducatif que social., Sans s'attarder sur les réalisa-tions du passé, M. Gotteland dirige ses regards vers l'aveniret trace le tableau de tout ce qui reste à faire. Assurément,de nombreuses difficultés se présentent qui arrêtent la mar-che en avant ; mais le but à atteindre est connu : c'est l'exé-cution du programme de relèvement moral et intellectueldont ont rêvé les fondateurs de l'Alliance, pour satisfaireles besoins croissants des groupements juifs. La situationfinancière du moment est défectueuse, mais la tâche doit

continuer, malgré les efforts considérables qu'elle réclame.D'autre part, le Protectorat devant tenir compte des cir-constEtnces particulières- du Maroc et devant, dans un es-

prit d'équité et d'égalité absolue, faire bénéficier de sonaide toutes les populations du pays, ne peut pas toujoursapporter à Y Alliance son concours dans la mesure où il le

voudrait. II est tenu constamment au courant pa-r M. Sém-achcle tous les besoins des» communautés .juives et de l'oeuvrescolaire. Il profite de l'occasion pour rendre hommage au

délégué de l'Alliance au Maroc et salue en lui un collabo-rateur clairvoyant et dévoué, il évoque le souvenir deMme Sémach, qui fut une collaboratrice précieuse cle l'oeu-vre cle l'Alliance.

En terminant, M. Gotteland assure le Comité centralde toute sa sollicitude pour l'oeuvre scolaire de l'Allianceau Bîaroc et du vif intérêt qu'il lui porte.

N. ÉÇRO L OGIE

Sir Léonard L. COHEN

Une grande personnalité juive vient de s'éteindre : SirLéonard L. Cohen. Avec lui disparaît une des figures les plusmarquantes du judaïsme anglais, un homme qui a considérécomme la tâche essentielle de sa vie de prendre en mainsla cause de ses coreligionnaires. Aussi sa perte a-t-elle étévivement ressentie non seulement par la Communauté deLondres, mais par tous ceux qui savent avec quel inlassabledévouement il travaillait au succès de toutes les oeuvres

philanthropiques. Président du « jewish Board of Guar-dians », président de la " Jewish Colonization Association »,membre du « Council of the Anglo-Jewish Association », du« Joint Foreig.n Committee », et cle presque toutes les or-ganisations philanthropiques et cultuelles juives cle la Cité,il a déployé dans ces fonctions qu'il remplissait avec unadmirable désintéressement une activité infatigable et fé-conde. A toutes ces1

oeuvres, son nom restera indissoluble-ment associé. Bien qu'il ne fît pas partie du Comité centralde l'Alliance, il secondait, en toute occasion, les efforts dela Société, notamment au sein de 1' « Anglo-J'vwish Asso-ciation », qui est en rapport d'intime collaboration avecl'Alliance. En maintes circonstances, son intervention per-sonnelle, sa parole écoutée se sont employées au bien del'Alliance. Elle perd en lui un dès hommes dont le concourslui était des plus précieux. Elle lui doit un tribut d'hom-mages et de regrets.

M"10

Narcisse LEVEN

Les amis de notre oeuvre ont appris avec émotionla disparition de Mme Narcisse Leven, qui s'est éteinte le21 mars dernier. Fidèle compagne de l'homme qui fut le

grand animateur et le grand ouvrier de ^'Alliance, elle était

associée à toutes ses pensées et à toutes <ses entreprises.Dans la reconnaissance que ^Alliance voue à son fondateuret à son inoubliable Président, elle ne saurait séparer Nar-cisse Leven de Mme Narcisse Leven.

Nows extrayons de la touchante allocution que M. leRabbin Kaplan a prononcée le 23 maris à ses obsèques, le

passage suivant :

« La mort de Mme Narcisse Leven ne met pas seule-ment en deuil une famille des plus considérées de la com-

munauté, mais aussi tous ceux qui ont la mémoire du coeuret qui n'oublient pas le rôle considérable joué par Narcisse

Leven, son mari, dans le judaïsme français contemporain.Depuis 23 ans qu'il n'est plus, son nom subit victorieuse-ment l'épreuve du fempsjifc, à mesure que les aimées s'écou-

lent, nous prenons plus nettement conscience de la grandeplace qu'il a. occupée parmi nous et de l'importance cle la

perte que nous avons subie. Aujourd'hui, c'est celle qui a.

porté son nom avec tant de dignité et de distinction, sa

compagne, sa collaboratrice, sa confidente, qui disparaît àson tour. En nous inclinant respectueusement devant sa

dépouille mortelle, qu'il nous soit permis de lui rendre

l'hommage qui lui revient.

Dans le célèbre chapitre biblique cle la femme vertueuse,parmi les différents traits qui composent le touchant ta-bleau de l'épouse israélite, à côté de l'éloge qui est fait, desa bonté, cle sa douceur, de sa sagesse et de sa prévoyance,il est un éloge qui nous surprend au premier abord, caril concerne plus l'époux que l'épouse, le mari que la femme,c'est la parole suivante : « Son mari est connu dans la cité,quand) il siège avec les anciens du pays. » La Bible veutnous apprendre par là qu'il y a lieu cle faire hommage à

l'épouse de l'activité publique de son mari. De cette acti-

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10 PAIX ET DROIT:

vite qui s'exerce hors du foyer, c'est bien l'épouse pourtant,la maîtresse de la maison qui tient le sort entre ses mains.Il dépend d'elle de la favoriser ou de l'entraver. Rien nese fait sans ses- encouragements affectueux, sans son se-cours constant et dévoué. Cette collaboration de tous les

instants, Mme Narcisse Leven l'a apportée inlassablementà son mari. Elle a été pour lui une compagne d'élite —

partageant, ses nobles soucis, ses espoirs généreux, vibrantcomme lui quand il s'agissait de défendre une cause sainteet belle.

Dieu lui a accordé les qualités du coeur et de l'espritqui lui permirent d'être à la hauteur de sa tâche. Mais son

zèle charitable ne se borna pas à seconder son mari. Ellefit elle-même partie de nombreux Comités de dames où sacollaboration était grandement appréciée et recherchée enraison de l'autorité de son nom et du dévouement total

qu'elle apportait à tout ce qu'elle faisait. »«... Elle s'en va, à l'âge de 88 ans, avec la conscience

d'avoir noblement accompli sa tâche ici-bas, heureuse des

grandes satisfactions que Dieu lui a accordées sur cetteterre, heureuse de laisser après elle des enfants qui, eux-mêmes, entourés de l'estime et de la sympathie générales,donnent de nombreuses preuves de leur attachement à notreculte et de leur dévouement à nos institutions. »

LE TSARET SESMINISTRESCONTRELESPROTOCOLES

A propos d'un livre de M. Bourtsef

M. Bourtsef — qui n'a rien d'un juif — se rendit célèbre,dans la. Russie d'avant-iguerre, en démasquant Azev, agentdouble qui servait à la fois les révolutionnaires et la policepolitique du tsar. Son activité depuis lors n'a fait queconfirmer sa réputation. L'indépendance de son caractère,le courage de son opinion s'affirmèrent une fois de pluslorsque, ancien révolutionnaire, il se déclara résolumenthostile aux Soviets et ne vola pas au secours de la victoiredu bolchevisme ,en octobre 1917. Ennemi des plus intran-

sigeants du communisme qu'il combattait et qu'il combatpar la parole, et par la plume, c'est un polémiste né. Maisil n'a jamais partagé les égarements cle ceux qui n'admet-tent pas de règles de lutte, ne reculent devant aucun moyenet considèrent, si l'on peut dire, que l'action ne sauraitavoir d'autre guide que l'aveuglement.

Les Protocoles des Sages de Sion, les relents de l'offi-cine de rokhraaia russe qu'on respire en les lisant, toutel'atmosphère cle provocation, de trahison et de crime oùils plongent ont dû éveiller dans l'âme de M, Bourtsef biendes souvenirs, bien des sentiments. Rien n'élonne moins quele livre qu'il a consacré à ce faux dont l'incroyable fortuneconstituera pour l'historien futur l'un des mystères de notretemps (1).

Sur la « fabrication » même des Protocoles, M. Bourtsefn'apporte certes rien d'inédit. Il fait l'historique du « genrelittéraire » auquel ils appartiennent. 1-1rappelle, dans unexposé clair et nerveux, les preuves incontestables du fauxet du plagiat, il identifie enfin les faussaires. Ce sont, con-formément à la thèse désormais certaine, Ratchkovs'ki,Golovinski, hauts fonctionnaiires de l'Okhrana russe à Paris.On retrouve les qualités de précision et de jugement quicaractérisent cet exposé dans la partie finale du livre surla propagande mondiale des Protocoles, les péripéties duprocès de Berne et la lumière qui, au cours de ce procès,a pu être faite sur la véritable origine des Protocoles.

Ce qui est, par contre, très nouveau et d'un intérêtpoignant, ce sont les données de l'enquête personnelle deM. Bourtsef sur la diffusion des Protocoles en Russie etsu,r ta réaction qu'il ont suscitée clans la société russed'avant-guerre. Les relations dont Bourtsef disposait dansde nombreux milieux rendent son témoignage particuliè-rement précieux.

Vers 1905, les Protocoles ne trouvaient de défenseurs nidans les sphères go uvernemen laies ni dans les milieuxecclésiastiques, ni, bien entendu, parmi les intellectuelsd-avant-guerre. Même les antisémites que M. Bourtsef ren-contrait à cette époque ne cherchaient pas à soutenir Pau-thenticité des Protocoles et évitaient toute discussion à cesujet. « n n'y avait aucun doute, fait remarquer M. Bourtsef

que, personnellement, ils étaient satisfaits que les Proto-coles existent tout de môme et qu'il se trouve des gens pourles répandre. Tout en admettant la fausseté des Protocoles,ils considéraient que leur propagation était utile pour com-battre les juifs qu'ils détestaient. » Les Protocoles leuirétaient une arme. Ils n'ont jamais été une vérité.

Les impressions que laissèrent à M, Bourtsef les contactsqu'il a eus avec certains fonctionnaires du « départementde la police » sont plus intéressantes encore. M. Bourtsef arencontre, après la révolution, Lopoucibine, collaborateurdirect du célèbre ministre antisémite Plehve et ancien direc-teur du « département de la police ». M. Lopouchine aexprimé son étonnemeot que les Protocoles soient encoredfaclualilé, alors qu'à l'époque où il dirigeait la policepolitique, tout le monde dans les milieux gouvernementauxles savait fabriqués à l'étranger par les agents de Raleh-kovski.

Dans la prison où il avait été jeté par les bolcheviksaprès l'avènement du communisme en Russie, M. Bourtsef arencontré Beletzki, sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur de1910 à 1916, et également ancien directeur du « départementde la police ». Ce fut autrefois l'un des ouvriers cle l'affaireBeilis. La prison efface bien des différences — et bien desdifférends — et une certaine intimité s'est vite établie entreles deux hommes. Bourtsef demanda alors à Beletzki laraison pour laquelle les Protocoles n'avaient pas été utiliséspar les antisémites lors du procès Beilis. Beletâki réponditen riant : « Impossible ! On nous a conseillé de les utiliser,mais nous savions très bien que cela aurait élé un moyensûr de couler notre affaire. Les Protocoles sont un faux lachose est évidente. Nous ne pouvions pas nous couvrir deridicule. On ne se présente pas devant le tribunal munide tels documents. »

A la lutte que les généraux « blancs » ont menée contreles bolcheviks au cours des années 1919-1920 dans la Russiedu Sud, M. Bourtsef a été étroitement associé.

'On sait

1 usage que certains chefs militaires ont fait des Protocoles,identifiant antibolehevisme et antisémitisme. Le généralDemkine et le général Wrangel ne donnèrent jamais leurassentiment à de tels procédés, bien qu'ils n'aient pas puen empêcher l'application. Dans l'entourage de Denikineon ne prêtait aucune importance aux Protocoles et on parlaitavec agacement dé ceux qui les répandaient. Le généralwrangel, au cours d'une conversation avec Bousrtsef, lesa qualifiés cle « faux éhontés ».

t Depuis la débâcle des armées blanches, M. Bourtsefn est quun réfugié politique, 11 est vice-président d^unComité national russe à Paris et jouit d'une grande autoritéclans tous les milieux cle l'émigration, Il a pu approcherJiien des ex-dignitaires de la Russie, bien des hommes qui(Menaient les secrets du régime tsa,risle. Les renseigne-ments qu il a recueillis sur les Protocoles, ceux qu'il a puobtenir par l'intermédiaire d'amis, confirment dans l'en-

« T P™^Pou^teefi, vice-président du Comité national russe,ôiwo 7o^ ^-^S S^,?

de Slon »• Un faux ^éré. - Paris 1938Oiesle Zeiuk, éditeur. Le livre est publié en langue russe

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PAIX ET DROIT:

semble ce que pensent de ce document tous les .hommes debon sens et de bonne i'oi. Il y a eu certes quelques raresréticences que M. Bourtsef,, dans un esprit d'impartialitéauquel il convient de rendre hommage, n'a pas manquéde reproduire dans son livre. Elles doivent être mises surle compte de l'exaltation mystique qu'entretiennent les ran-cunes et le déceptions de l'exil. Mais elles sonit sans impor-tance parmi tant de témoignages tout à fait décisifs dontnous reproduisons le. plus remarquable. Par l'intermédiaired'un certain K..., ami commun du général G..., ancien chefde l'Okhrana de Saint-Péfepsbourg, et de M. Bourtsef, celui-ci a pu obtenir, en 1934,, du général des renseignementsdu plus haut intérêt, qui confirment, entre autres que Rat-chkovski et Golovinski furent les auteurs des Protocoles envoici ce qu'on- en apprend sur- l'histoire des Protocoles enRussie : « Depuis 1908, une ère nouvelle commença pourles Protocoles. Les membres actifs de l'Union du Peuple

russe, tels que Cbmakov, Markov II et autres, demandèrentau ministre de l'Intérieur la permission de les utiliser lar-gement pour lutter contre le judaïsme militant.

« Sous la pression de (Lopouchine, Stolypine ordonna àdeux officiers de la gendarmerie, Mariinoff et Vasilieff, uneenquête secrète sur la provenance de ce document.

« L'enquête a permis 'd'établir avec précision qu'ils'agissait d'un faux, Stolypine en a fait un rapport à Nico-las IL Le tsar en l'ut ébranlé. Sur le rapport de la droite,qui en préconisait, malgré tout, l'utilisation aux fins d'unepropagande anti-juive, Nicolas H a écrit : « Piclirez les Pro-tocoles de la circulation. On ne défend pas une cause proprepar des moyens malpropres. »

En 1.908, en Russie, pour le tsar Nicolas II, tous lesmoyens n'étaient pas bons. Heureuse époque !

L.

• 1. — ALLEMAGNE.

Les dernières mesures aniijuives

Un décret du maréchal Goering, commissaire: au plande quatre ans, oblige tous lès israélites, résidant en Alle-

magne, à déclarer et évaluer, au taux du 26 avril, tousleurs biens en Allemagne et à l'étranger, lorsque leur for-tune est supérieure à 5.000 marks.

Les israélites étrangers auront à déclarer égalementles biens qu'ils possèdent en Allemagne.

En outre, les israélites allemands devront déclarer tousles contrats de vente ou d'affermage d'entreprises indus-trielles ou agricoles qu'ils ont conclus. Aucun juif ne

pourra fonder de nouvelles entreprises ou succursales sansautorisation.

C'est essentiellement en considération de l'Autriche etde Vienne, déclare l'agence officielle, que le décret estédicté. Il doit assurer également une réglementation uni-forme par lé gouvernement du Reich de toutes les ques-tions concernant les juifs.

Enfin, cette mesure peut être considérée comme ren-

forçant la récente .ordonnance du maréchal Goering punis-sant cle peines sévères les Allemands facilitant le camou-flage cle firmes juives en firmes aryennes. Les peines pré-vues en cas de non-déclaration de biens sont la prison etl'amende et, « en cas de préméditation », elles peuventaller jusqu'à dix ans de réclusion. Les peines sont appli-cables également aux personnes qui ont commis la contra-vention à l'étranger.

Le décret relatif à la déclaration des biens des israé-lites équivaut pratiquement à l'expropriation progressivemais complète des juifs allemands et touche également lesisraélites étrangers habitant l'Allemagne.

Les commentaires de la presse allemande mettent bienen vue les intentions réelles de cette ordonnance.

Le Deulsches Nachrichtenbùro précise que ces mesuresdoivent faciliter le recensement des biens des juifs du Reich.D'autre part, on. peut les considérer comme une mesurepréparatoire pour le relèvement économique de l'Autriche.

VAngriff, l'organe de M. Goefebels, écrit : « Toute lafortune juive à partir de 5.000 marks sera donc confisquée.Nous pouvons affirmer avec certitude qu'une grande partiede cette fortune a été acquise de façon malhonnête et quec'est pour cette raison que le maréchal Goering a décrétéque le capital juif devra être mis au service de la vie éco-nomique allemande. »

D'autre part, un pas vient d'être fait par les autoritésdu Reich vers l'élimination totale des israélites cle l'écono-mie allemande. On apprend, en effet, que les « Aryens »,

qui, conformément au décret du feld-malréclial Geering,auront l'autorisation gouvernementale d'acheter une entre-

prise commez'eiale ou industrielle israélite en Allemagneet en Autriche, sont tenus de verser le prix d'achat en

espèces, non directement au vendeur israélite, mais à laReïchsbank. Celle-ci leur remettra en échange des bons,duTrésor qu'ils remettront à leur tour au vendeur israélite.Des décrets spécifiant nettement l'usage que l'ancien pro-priétaire Israélite pourra faire de ces bons, paraîtront inces-samment.

Grâce à cette opération, la R.eiehsbarik touchera, dansun avenir plus pu moins rapproché, en espèces, ta totalitédu prix de vente des entreprises israélites en Allemafgne eten Autriche. Eilant donné que l'Évaluation de la fortuneisraélite dans la nouvelle Allemagne varie entre 4 et 9 mil-liards de marks, les fonds disponibles dans les caisses clela Reicbsbank, et qui seront manifestement employer à finan-cer le plan de quatre ans, se trouveront donc fortementaccrus. En outre, le gouvernement du Reich tient à empê-cher, par ces nouvelles mesures, que les vendeurs israélitesne puissent transférer illégalement à l'étranger les sommesqu'ils auraient reçues.

2. — HONGRIELa loi juive

Le 28 avril, la Chambre hongroise a voté à une majo-rité écrasante la a loi juive » limitant à 20 % la partici-pation des juifs dans tous les domaines cle la vie natio-nale : industrie, professions libérales, presse, théâtre, litté-rature, etc.

Rappelons dans leur ordre chronologique les événe-ments qui ont abouti au vote cle cette loi :

Au début du mois d'avril, le gouvernement a nomméune commission de treize membres chargée d'étudier « laquestion juive en Hongrie ». Le 8 avril, celle commissiona fait connaître le résultat cle son examen sous la formed'un projet cle loi sur « une organisation plus efficace clel'équilibre clans la vie sociale et économique ». Le 14 avril,le gouvernement a publié l'exposé des motifs de la loi juiveainsi que les statistiques officielles sur la proportion desjuifs dans l'ensemble de l'activité économique et culturelledu pays et dont voici la substance :

Quand, il y a quatre-vingts ans, le système capita-liste s'est introduit en Hongrie, la population a été diviséeen trois secteurs.

Les paysans, à peine sortis du servage, pauvres etsans instruction, ont été incapables de jouer, dans le nou-veau système économique, un autre rôle que celui de sim-ples ouvriers. La bourgeoisie ne montrait d'intérêt quepour l'art militaire et les affaires publiques.

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12rrzPAIX ET DROIT =

Le capitalisme passa ainsi aux mains des israélites

dont on a facilité l'immigration. ,Les juifs ont créé le commerce, le système financier

hongrois et l'industrie hongroise. Actuellement ils consti-

tuent 5 % de la population hongroise; 40 % des employés

de commerce et de banque, 33 % des employés de l'in-

dustrie, 11 % des industriels et 45 % des commerçants et

des banquiers sont israélites.Les juifs occupent des positions importantes aussi dans

l'activité culturelle : 49 % des avocats, 34 % des méde-

cins, 31 % des journalistes, 28 % clés musiciens, 24 % des

acteurs et 27 % des écrivains et des savants.

Ils sont, représentés par contre, dans une proportiontout à fait insignifiante, dans l'agriculture.

Un et demi pour cent seulement des employés d'Etat

sont israélites. Leur nombre dans l'armée est actuellement,

de 154.L'exposé affirme que les juifs n'ont pas réussi à s'assi-

miler moralement aux Hongrois.L'Union nationale des israélites hongrois a protesté

ensuite, dans une déclaration publiée par la presse, contre

le projet, de loi juive de M. Daranyi. En voici quelquesextraits :

Ce projet cle loi constitue une infraction aux principesde l'égalité" des droits. Il nous menace dans notre existence

morale et matérielle. L'exposé des motifs du projet de loi

oppose la religion israélite à la nation. Il flétrit notre reli-

gion, il affirme que la majorité des juifs n'ont pas adoptéles traditions historiques de la nation et déclare que les

juifs ne se sont assimilés que superficiellement à la popu-lation autochtone.

Nous prolestons contre ces -accusations. Nous protes-tons contre les mesures envisagées et susceptibles de dimi-nuer les droits de citoyens hongrois parce qu'ils sont restésfidèles à leur religion.

Nous faisons appel au régent hongrois, au Parlement

hongrois, à la société chrétienne hongroise et aux chefsdes autres confessions : ils ne doivent pas permettre quela fidélité à une loi monothéiste puisse constituer un préju-dice aux citoyens hongrois.

Le comte Bethlen s'est élevé, à son fouir, devant lescommissions réunies de la Chambre contre ce projet cle loi.

Il a rappelé les attaques violentes que, du point de vuedes traités minoritaires, les milieux genevois ont lancécontre la Hongrie, à l'occasion de l'introduction en Hongriedu numerus clausus. La solution de la question israélite

provoquera, en tout cas, des réactions dans le domaine in-ternational.

Le comte Bethlen s'est opposé au projet de loi quiconstitue, selon lui, une infraction au principe de l'égalitédes droits. Le pays a besoin d'unifié ; le projet de loi a pro-voqué, cependant, l'inquiétude des milieux économiques.Le commerce intérieur a subi déjà un préjudice important ;l'exécution du plan quinquennal est menacée.

Cette loi n'est pas susceptible de calmer l'opinion, a-t-il

déclaré notamment ; on se rendra vite compte qu'il faut

appliquer d'autres méthodes ; je ne pense pas à des métho-

des révolutionnaires ; si l'on parle, actuellement., de révolu-

tion, c'est, que l'on a toléré, pendant des années, l'agitation

extrémiste. Le gouvernement ne l'a pas seulement toléré,mais y a contribué à travers ses journaux. 11 fallait que jedise cela : c'était mon devoir ; je ne céderai à aucune terreuret j'ai dit la vérité devant les commissions et je la diraidevant la nation...

A un moment où le gouvernement demande que lesminorités hongroises à l'étranger jouissent de tous les droits,il n'est pas qualifié pour enlever les droits à une partie deses propres sujets:

Dans une interview accordée au journal Esli l]\sag/M. Daranyi, président du Conseil, a déclare notamment^/

Toute la nation salue avec satisfaction le projet derèglement de la question juive, comme le prouvent lesinnombrables dépêches de félicitations reçues à ce sujet.

Les milieux raisonnables' de la population reconnais-sent que le projet est empreint de modération et d'esprithumanitaire. Le gouvernement est allié jusqu'à une extrême ilimite qui ne peut être franchie sans danger pour l'équi-libre économique. Ceux qui réclament une solution radicalen'ont pas place dans le camp du gouvernement. Le gouver-

l

nement ne tolère pas que la rue.lui dicte le rythme de sontravail.

D'une manière irresponsable et en excitent les passionsdes masses, il serait facile de réclamer une solution plusradicale ; mais, étant pleinement conscient de sa responsa-bilité, le gouvernement considère les mesures contenuesclans son projet comme justes et il désire que ce projetdevienne une loi dans le cadre qu'il a établi.

3. — ROUMANIE

La continuité de la politique antijuiveSans bruit mais avec méthode et rigueur, le gouver-

nement national du Patriarche Myron Christea continuel'oeuvre antisémite du gouvernement raciste cle Goga. Larevision des naturalisations se poursuit avec cette diffé-rence qu'aujourd'hui les juifs forment la seule catégoriecle citoyens appelés à prouver leurs droits à la nationalitéroumaine. Si, à la suite de la suppression des partis poli-tiques, l'antisémitisme de la rue est moins intense, desmesures draconiennes sont prises par le gouvernement afinde parachever l'élimination des juifs de tous les domainesde la vie nationale.

Le gouvernement roumain considère sa politique anti-

juive comme une affaire purement intérieure et ses porte-parole font comprendre que la Roumanie ne tolérerait au-cune intervention étrangère à ce sujet.

En ce qui concerne la revision des naturalisations, leministre de la Justice a pris des dispositions en vue de faci-liter la preuve cle la nationalité, dans le cas où les docu-ments requis feraient défaut. Les personnes intéressées

pourront invoquer dans ce cas le témoignage de personnesconnues des autorités.

La situation reste toutefois très pénible pour les juifsindigents, car les nombreuses formalités qu'entraîne la

procédure de revision de la nationalité sont très coûteuses,et en ne se conformant pas aux exigences de la procédure,les intéressés s'exposent à la radiation des listes de ci-

toyens, sans appel possible. Le nombre cle nouveaux apa-trides sera en conséquence très élevé.

Les libéralités testamentaires en faveur de 1' « Alliance Israélite » doivent être attribuées à sa principale

institution, l'ECOLE NORMALE ISRAELITE ORIENTALE, établissement reconnu d'utilité publique.

La formule doit être la suivante :

(( Je donne et lègue à l'ECOLE NORMALE ISRAELITE ORIENTALE, établissement reconnu

d'utilité publique, dont le siège est à Paris, 45, rue La Bruyère »

Le Gérant : Jules CBEPIN. Imprimerie Française(S.u;.an.), 123, rue MoMwiaj-tre,parls-2e