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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 488 Septembre 2009 Actualités pharmaceutiques : Pourriez-vous tout d’abord expliquer comment est sur- veillée la grippe ? Antoine Flahault : L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place depuis l’après-guerre un réseau mondial de sur- veillance de la grippe appelé FluNet, qui rassemble tous les centres nationaux de la grippe (il y en a deux en France, l’un à Paris et l’autre à Lyon). Dans notre pays, l’Institut de veille sanitaire (InVS) est en charge de la veille sanitaire. Dans le cas de la grippe, cette veille repose sur deux réseaux de sur- veillance distincts : le premier, public, mis en place et coordonné par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et cofinancé par l’InVS, s’appelle Sentinel- les ; le second, financé par les industriels du vaccin, des antiviraux et l’Institut Pasteur, se nomme le GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe). Ce dernier ne fonctionne pas, comme Sentinelles, toute l’année, mais seulement durant les périodes épidémiques. En revanche, le GROG associe à la surveillance épidémioclinique, des prélè- vements de confirmation virologique, ce que ne fait pas Sentinelles. AP : Comment qualifieriez-vous la situa- tion sanitaire mondiale au regard de l’épi- démie de grippe A (H1N1) ? A. F. : La première vague a déferlé dans l’hémisphère sud durant l’été 2009 (l’hiver austral) comme cela avait été annoncé et selon un scénario qui laisse désormais pré- voir un retour en force de l’épidémie dans l’hémisphère nord, dès l’automne prochain. Le nombre de cas rapportés à l’OMS n’a cependant plus beaucoup de signification car il ne donne même pas un ordre de gran- deur du phénomène. Il montre cependant que quasiment tous les États de la planète sont désormais touchés, sauf peut-être les pays africains bien qu’ils souffrent d’un manque cruel d’infrastructures sanitaires et de veille épidémiologique. L’expérience de l’hémis- phère sud nous indique que les épidémies qui ont été observées étaient de forte amplitude, avec d’importantes désorganisations socia- les et sanitaires, sans qu’il ait pour autant été rapporté un afflux massif de cas sévères ou de décès. Il est cependant trop tôt pour affir- mer que le virus aura une faible agressivité. Ce n’est que lorsque nous disposerons de statistiques de mortalité dans ces pays qu’il sera possible de tenter d’évaluer la virulence de la nouvelle souche H1N1 et d’effectuer des comparaisons avec les autres souches. La mortalité directe reste exceptionnelle avec ce virus, comme d’ailleurs avec les virus grip- paux dans leur ensemble. C’est la mortalité indirecte, difficile à estimer précocement, qui frappe habituellement le plus durement dans la grippe. AP : En France, où en est-on ? A. F. : En France, comme dans toute l’Europe, la première vague a été considérablement frei- née par la saison estivale, ce qui était attendu, la grippe étant une maladie essentiellement hivernale en région tempérée. Moins de 1 % des 20 millions de cas attendus cet hiver y ont été décrits, y compris au Royaume-Uni, pays qui a réuni le plus grand nombre de cas euro- péens. L’expérience clinique qu’il est possible de tirer des cas observés en France n’est pas différente jusqu’à présent de celle des autres pays. Il s’agit d’une grippe assez classique, avec son cortège de symptômes habituels, même si d’autres semblent plus inhabituels comme la diarrhée. Elle est exceptionnel- lement grave et le virus lui-même ne tue que très rarement. Comme toute grippe, elle frappe essentiellement les moins de 20 ans (c’est le cas aussi pour la grippe saisonnière qui frappe les jeunes mais tue – indirectement – les per- sonnes très âgées). La mortalité directe, bien que rarissime donc, affecte cependant tous les âges, mais en majorité des jeunes. AP : Considérez-vous que notre pays est prêt à affronter une épidémie majeure ? A. F. : Oui, tous les pays développés sont mieux armés que ceux ayant des infrastruc- tures sanitaires délabrées pour affronter des épidémies majeures. Les nôtres, qui risquent bien sûr de souffrir, devraient tenir le choc de l’onde pandémique. Aucune digue ne s’est rompue en juillet et en août dans les pays de l’hémisphère sud et l’on ne doit pas s’atten- dre à ce qu’elles se rompent dans le Nord cet hiver. Il est cependant possible que l’on fasse l’expérience, au moment du pic épidé- mique, de moments difficiles durant lesquels les structures sanitaires seront saturées. AP : Selon vous, quelles populations devront être vaccinées en priorité ? A. F. : La seule stratégie vaccinale qui ait été tentée dans les pays développés (mis à part le Japon) dans le cas de la grippe est la vaccination des groupes à risque, dans le but de prévenir des complications sévères ou mortelles. Il n’a jamais été expérimenté de stratégie ambitieuse de barrière épidé- mique, alors que survient chaque année une épidémie saisonnière dont la mortalité dépasse aujourd’hui en France celle liée aux accidents de la route. Je n’imagine donc pas que l’on se lance, sans expérience préalable, dans l’aventure d’une stratégie différente à l’occasion de la pandémie. En revanche, grâce à l’expérience récemment acquise sur le H1N1, la notion de groupes à risque pourrait être étendue aux femmes enceintes et aux personnes ayant une obésité morbide (IMC supérieur à 30). Entretiens Pandémie de grippe A (H1N1) : les pharmaciens seront en première ligne La France se dit prête à affronter l’épidémie, annoncée, de grippe A (H1N1). Trois éminents spécialistes, de la grippe et des urgences sanitaires, décryptent la situation actuelle et à venir. Professeur Antoine Flahault Médecin épidémiologiste, spécialiste de la grippe, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes © DR

Pandémie de grippe A (H1N1): les pharmaciens seront en première ligne

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Actualités pharmaceutiques • n° 488 • Septembre 2009

Actualités pharmaceutiques : Pourriez-vous tout d’abord expliquer comment est sur-veillée la grippe ?Antoine Flahault : L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place depuis l’après-guerre un réseau mondial de sur-veillance de la grippe appelé FluNet, qui rassemble tous les centres nationaux de la grippe (il y en a deux en France, l’un à Paris et l’autre à Lyon). Dans notre pays, l’Institut de veille sanitaire (InVS) est en charge de la veille sanitaire. Dans le cas de la grippe, cette veille repose sur deux réseaux de sur-veillance distincts : le premier, public, mis en place et coordonné par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et co fi nancé par l’InVS, s’appelle Sentinel-les ; le second, fi nancé par les industriels du vaccin, des antiviraux et l’Institut Pasteur, se nomme le GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe). Ce dernier ne fonctionne pas, comme Sentinelles, toute l’année, mais seulement durant les périodes épidémiques. En revanche, le GROG associe à la surveillance épidémioclinique, des prélè-vements de confi rmation virologique, ce que ne fait pas Sentinelles.

AP : Comment qualifi eriez-vous la situa-tion sanitaire mondiale au regard de l’épi-démie de grippe A (H1N1) ?A. F. : La première vague a déferlé dans l’hémis phère sud durant l’été 2009 (l’hiver austral) comme cela avait été annoncé et selon un scénario qui laisse désormais pré-voir un retour en force de l’épidémie dans l’hémisphère nord, dès l’automne prochain. Le nombre de cas rapportés à l’OMS n’a cependant plus beaucoup de signifi cation car il ne donne même pas un ordre de gran-deur du phénomène. Il montre cependant que

quasiment tous les États de la planète sont désormais touchés, sauf peut-être les pays africains bien qu’ils souffrent d’un manque cruel d’infrastructures sanitaires et de veille épidémiologique. L’expérience de l’hémis-phère sud nous indique que les épidémies qui ont été observées étaient de forte amplitude, avec d’importantes désorganisations socia-les et sanitaires, sans qu’il ait pour autant été rapporté un affl ux massif de cas sévères ou de décès. Il est cependant trop tôt pour affi r-mer que le virus aura une faible agressivité. Ce n’est que lorsque nous disposerons de statistiques de mortalité dans ces pays qu’il sera possible de tenter d’évaluer la virulence de la nouvelle souche H1N1 et d’effectuer des comparaisons avec les autres souches. La mortalité directe reste exceptionnelle avec ce virus, comme d’ailleurs avec les virus grip-paux dans leur ensemble. C’est la mortalité indirecte, diffi cile à estimer précocement, qui frappe habituel lement le plus durement dans la grippe.

AP : En France, où en est-on ?A. F. : En France, comme dans toute l’Europe, la première vague a été considérablement frei-née par la saison estivale, ce qui était attendu, la grippe étant une maladie essentiellement hivernale en région tempérée. Moins de 1 % des 20 millions de cas attendus cet hiver y ont été décrits, y compris au Royaume-Uni, pays qui a réuni le plus grand nombre de cas euro-péens. L’expérience clinique qu’il est possible de tirer des cas observés en France n’est pas différente jusqu’à présent de celle des autres pays. Il s’agit d’une grippe assez classique, avec son cortège de symptômes habituels, même si d’autres semblent plus inhabituels comme la diarrhée. Elle est exceptionnel-lement grave et le virus lui-même ne tue que

très rarement. Comme toute grippe, elle frappe essentiellement les moins de 20 ans (c’est le cas aussi pour la grippe saisonnière qui frappe les jeunes mais tue – indirectement – les per-sonnes très âgées). La mortalité directe, bien que rarissime donc, affecte cependant tous les âges, mais en majorité des jeunes.

AP : Considérez-vous que notre pays est prêt à affronter une épidémie majeure ?A. F. : Oui, tous les pays développés sont mieux armés que ceux ayant des infrastruc-tures sanitaires délabrées pour affronter des épidémies majeures. Les nôtres, qui risquent bien sûr de souffrir, devraient tenir le choc de l’onde pandémique. Aucune digue ne s’est rompue en juillet et en août dans les pays de l’hémisphère sud et l’on ne doit pas s’atten-dre à ce qu’elles se rompent dans le Nord cet hiver. Il est cependant possible que l’on fasse l’expérience, au moment du pic épidé-mique, de moments diffi ciles durant lesquels les structures sanitaires seront saturées.

AP : Selon vous, quelles populations devront être vaccinées en priorité ?A. F. : La seule stratégie vaccinale qui ait été tentée dans les pays développés (mis à part le Japon) dans le cas de la grippe est la vaccination des groupes à risque, dans le but de prévenir des complications sévères ou mortelles. Il n’a jamais été expérimenté de stratégie ambitieuse de barrière épidé-mique, alors que survient chaque année une épidémie saisonnière dont la mortalité dépasse aujourd’hui en France celle liée aux accidents de la route. Je n’imagine donc pas que l’on se lance, sans expérience préalable, dans l’aventure d’une stratégie différente à l’occasion de la pandémie. En revanche, grâce à l’expérience récemment acquise sur le H1N1, la notion de groupes à risque pourrait être étendue aux femmes enceintes et aux personnes ayant une obésité morbide (IMC supérieur à 30).

Entretiens

Pandémie de grippe A (H1N1) : les pharmaciens seront en première ligne

La France se dit prête à affronter l’épidémie, annoncée, de grippe A (H1N1). Trois éminents

spécialistes, de la grippe et des urgences sanitaires, décryptent la situation actuelle et à venir.

Professeur Antoine Flahault Médecin épidémiologiste, spécialiste de la grippe, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes©

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Actualités pharmaceutiques • n° 488 • Septembre 2009

AP : Quel est le niveau d’effi cacité des antiviraux connus ? Des résistances sont-elles à craindre ?A. F. : Les antiviraux ont une effi cacité modé-rée, prouvée par plusieurs essais cliniques, ce qui est mieux que pas d’effi cacité du tout, mais ce ne sont pas non plus des médica-ments miracles. La seule effi cacité démon-trée est une diminution de l’ordre de 30 % en moyenne de la durée des symptômes et donc de la période contagieuse, et une baisse signi-fi cative de la quantité de virus circulant dans l’organisme et ainsi du risque de contagion. Le bénéfi ce individuel est d’autant plus impor-tant que le médicament est administré préco-cement. Par ailleurs, les antiviraux sont effi ca-ces en traitement préventif, lorsqu’un membre de la famille ou de la communauté est atteint. Sur le plan collectif, ils représentent une arme de santé publique contre la pandémie en réduisant, lorsqu’ils sont utilisés massivement, la circulation du virus dans la population. Pour l’instant, il semble que peu de résistan-ces aient été identifi ées, mais le vivant sait toujours contourner les obstacles et le virus grippal est particulièrement apte à muter pour développer de telles résistances. On peut donc présumer que des résistances fi niront par apparaître, ce qui plaide d’ailleurs pour une utilisation des antiviraux au début de la pandémie, tant qu’elles ne sont pas encore trop nombreuses.Remarquons qu’il n’y a aucune preuve que les antiviraux actuellement disponibles diminuent le risque de complications ou de décès par grippe. Il n’y a donc aucune raison scientifi que à les réserver aux formes sévères ou chez les patients à risque. La seule justifi cation d’une telle décision peut être la limitation des stocks disponibles pour la population, ce qui n’est heureusement pas le cas en France.

AP : Le risque d’une pandémie de type aviaire H5N1 est-il moins probable aujourd’hui ?A. F. : Les seuls virus qui se sont transmis entre hommes sont à ce jour les virus de sous-types H1, H2 ou H3 et les pandémies se déclinent autour de ces trois combinai-sons (H1N1 en 1918, H2N2 en 1957, H3N2 en 1968). Il y a seize sous-types connus de l’hémagglutinine (H),

protéine de surface du virus de la grippe, qui jamais n’ont été associés, nulle part dans le monde, à des épidémies ayant laissé des tra-ces chez l’homme. La barrière d’espèce peut toujours se rompre et il est impossible de dire que cela n’arrivera jamais, mais la probabi-lité d’une “humanisation” du virus H5N1 ne me semble pas très envisageable, ni plus ni moins cependant que depuis 2003.

AP : Quel pourrait être le rôle des offi ci-naux en cas de pandémie avérée ?A. F. : L’État français ne sait pas assez faire confi ance à ses “fantassins libéraux” que sont les pharmaciens d’offi cine, les médecins de famille ou les infi rmières libérales. Leur rôle est évidemment capital dans une affaire qui ne concerne pas uniquement le gouverne-ment, mais les citoyens eux-mêmes. Le pré-fet ne lavera pas les mains de ses adminis-trés, ne jettera pas non plus leurs mouchoirs en papier dans une poubelle après usage et ne vendra pas les masques chirurgicaux aux personnes malades. Tous ces conseils, ce sont les personnes auxquelles les Français font le plus confi ance dans ces situations qui les prodigueront : les pharmaciens d’offi cine, qui constituent l’un des meilleurs réseaux de proximité en matière de santé que le pays possède, seront, avec les médecins, les plus écoutés. Il me semble anachronique que l’on hésite à confi er aux offi cinaux les masques FFP2 que les médecins doivent porter durant leur travail. Il faut donc, malgré le manque de confi ance de notre État de tradition jacobine, renforcer partout où cela est possible des collaborations étroites entre les différents acteurs libéraux de proximité. Il est aussi nécessaire que les pharmaciens d’offi cine s’organisent pour que leurs locaux ne soient pas des lieux à haut risque de contamina-

tion. Les Britanniques ont organisé des délivrances par coursier au

domicile des patients infectés lorsqu’aucun proche ne pouvait se déplacer. La France n’a pas encore réfl échi à de tels circuits, mais il faut tenter de minimiser les risques de contagion à cha-

que fois que cela est possi-ble. Les salles d’attente des médecins traitants posent le même type de

problème.

AP : Quels conseils simples les pharma-ciens peuvent-ils délivrer à leurs patients parfois inquiets ?A. F. : Au niveau individuel, il n’y a pas vrai-ment de raison d’être beaucoup plus inquiet que dans le cas d’une grippe saisonnière. Pas de raison non plus de l’être beaucoup moins. Il est vrai que la grippe peut être, lorsque l’on est très âgé ou très fragilisé par une maladie grave sous-jacente, “la goutte d’eau qui fait déborder le vase”. La personne vulnérable doit donc se protéger autant que possible. Les personnes suspectes d’être infectées qui l’entourent doivent s’efforcer de porter des masques de protection, même si ce n’est pas dans notre culture. Si, par chance, le vaccin est disponible avant la vague pandémique, les sujets les plus à risque auront été vaccinés à temps, ce qui contribuera à les rassurer.Quant à tous les autres, les enfants et les adul-tes en bonne santé par ailleurs, ils n’ont pas beaucoup de raison de s’inquiéter. Les cas dramatiques dont il est question, sous l’effet de loupe que produit la médiatisation interna-tionale du phénomène, sont rarissimes et ne doivent pas susciter beaucoup plus d’inquié-tudes que les innombrables autres risques auxquels nous sommes soumis.

AP : Quel est votre sentiment sur l’avenir de la pandémie grippale ?A. F. : Mon sentiment est que nous vivons la première pandémie des temps modernes. Certes 1968 et même 1957 ne nous sem-blent pas si loin, mais il n’y avait pas internet à cette époque. En 1968, nous n’avons même pas disposé de vaccin en temps et en heure pour tenter d’atténuer l’impact de l’épidémie, sans que personne n’y trouve à redire. En deux mois, entre décembre 1968 et janvier 1969, il y a eu plus de 30 000 décès attribuables à cette grippe, deux fois le chiffre des victimes de la canicule de 2003, mais nous ne nous en sommes pas rendu compte. Personne ne les comptait à l’époque. Aujourd’hui, l’évolu-tion de la pandémie de grippe A est tracée en temps réel à l’aide de forts moyens de com-munication et d’une communauté scientifi que internationale très mobilisée. Malgré tout, nous ne sommes pas vraiment préparés à la com-battre effi cacement. Nous étions prêts à lutter contre le virus H5N1, présumé hautement mortifère, mais pas contre un virus de la grippe assez banale, où probablement plus de 99 %

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Actualités pharmaceutiques • n° 488 • Septembre 2009

Actualités pharmaceutiques : Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les missions de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ?Claude Avaro : En application de la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 sur les menaces sanitai-res de grande ampleur, l’EPRUS est pourvu de deux missions principales. La première est de constituer et de lever la réserve sanitaire, faisant appel à des professionnels de santé en activité volontaires qui se mettent à la dis-position de la nation, mais aussi à des retrai-tés ou des étudiants en formation. En cas de problèmes ponctuels en France ou à l’étranger seront essentiellement sollicités des spécia-listes en activité (réserve d’intervention) alors qu’en cas de pandémie, étudiants et retraités pourront renforcer les effectifs déjà en place (réserve de renfort). Sa seconde mission est de constituer les stocks nationaux de réserve de médicaments et matériels médicaux destinés à prévenir et traiter les urgences sanitaires.Afi n de pouvoir acheter et stocker les médica-ments et matériels médicaux, l’EPRUS dispose en son sein d’un établissement pharmaceuti-que dont je suis le pharmacien responsable. L’EPRUS a la particularité de pouvoir sous-traiter le stockage des produits achetés et notamment des masques qui sont très volumineux, mais en respectant toujours la confi dentialité des lieux.

AP : L’EPRUS n’existe que depuis deux ans. Comment étaient gérées ces mis-sions précédemment ?C. A. : Auparavant, plusieurs composan-tes du ministère de la Santé coordonnaient

les divers plans comme Piratox, destiné à répondre à des risques terroristes chimi-ques, Biotox, concernant les risques biolo-giques comme le charbon, ou le plan Iode, dédié aux risques nucléaires. Il n’existait pas de structure matricielle pour traiter les diffé-rents plans de manière homogène. L’EPRUS a pour objet de répondre à l’ensemble des plans, dont celui sur la pandémie grippale qui occupe aujourd’hui une part importante de son activité.

AP : Comment vont se dérouler les distribu-tions de masques ou de médicaments ?C. A. : À ce jour, concernant la médecine ambulatoire, ne sont distribués que les masques chirurgicaux, c’est-à-dire ceux destinés à protéger l’entourage du malade de ses projections. Cette distribution est assurée par la fi lière pharmaceutique classi-que via les grossistes répartiteurs et les offi -cines. Ces masques, dont le stock s’élève à un milliard, sont délivrés aux patients gratui-tement sur prescription médicale. Les mas-ques FFP2 sont, quant à eux, réservés aux professionnels de santé publics ou privés comme les médecins, pharmaciens, infi r-mières, ambulanciers... afi n de limiter les risques de contamination. Les 700 millions de masques FFP2 vont être distribués aux professionnels par l’intermédiaire de plate-formes départementales mises en place par les préfectures. Actuellement, les offi cines sont fournies en Tamifl u® directement par les laboratoires Roche. En cas de pandé-mie, le stock État de Tamifl u® sera distri-

bué aux offi cines par l’intermédiaire des grossistes.

AP : Considérez-vous que notre pays est prêt pour affronter une pandémie majeure ?C. A. : C’est l’objectif des stocks constitués conformément aux prévisions des experts sur le taux d’attaque en cas de pandémie majeure. Nous disposons actuellement de 33 millions de traitements. Par ailleurs, 94 millions de doses de vaccins ont été commandées et une option a été posée sur environ 30 millions supplémentaires. Les premiers vaccins devraient nous parve-nir assez vite mais nous n’avons pas encore de précisions fi ables sur les fl ux qui dépen-dent des taux de rendement des souches.

AP : Avez-vous anticipé une résistance du virus A (H1N1) à l’oseltamivir ?C. A. : Nous disposons effectivement d’un stock de zanamivir (Relenza®), moins dimen-sionné, qui s’adresserait en priorité aux profes-sionnels soignants exposés. S’il apparaissait une résistance aux deux antiviraux, nos voies de recours seraient très limitées...

AP : Pouvez-vous nous préciser si les pharmaciens d’offi cine feront partie des personnes qui pourront bénéfi cier d’un vaccin en priorité ?C. A. : La stratégie de l’EPRUS est pure-ment logistique mais il est sûr que les pharmaciens font partie des profession-nels de santé qui sont prioritaires, le but étant d’éviter au maximum l’absentéisme de ces personnels fortement exposés et particulièrement nécessaires au maintien de l’activité. �

des cas guériront spontanément sans laisser de séquelles, parfois même sans le secours d’aucun traitement. On pourrait se dire « tant mieux » et, en effet, heureusement que ce n’est pas le H5N1 qui déferle aujourd’hui mais, mal-gré tout, une épidémie de grippe qui concer-nera 30 à 40 % de la population ne le fera pas sans laisser des traces peut-être assez profondes : engorgement du système de soins, surmortalité élevée, absentéisme massif dans certains secteurs peut-être stratégiques,

répercussions économiques, crises sociale et politique. On ne s’est jamais vraiment pré-paré à lutter contre les épidémies de grippes saisonnières, sortes de tempêtes hivernales, toutes meurtrières, mais véritables terrains d’essai pour se préparer au grand cyclone du siècle que représentent les pandémies. Des stratégies de barrières épidémiques contre les épidémies de grippe saisonnières auraient pu être proposées – nous disposons de vaccins, de réseaux de surveillance, de méthodes

modernes pour évaluer tout cela –, mais cela n’a été fait nulle part au monde sauf, dans les années 1980 au Japon, où tous les enfants étaient vaccinés. Le Japon a d’ailleurs arrêté l’expérience, les politiques étant peu convain-cus – sans analyse très sérieuse – de son utilité. Alors, à l’avenir, car il y aura bien sûr d’autres pandémies de grippe, y compris au cours de ce siècle, il faudra savoir s’organiser, se préparer, et expérimenter rigoureusement et éthiquement les solutions. �

Claude Avaro Directeur général adjoint et pharmacien responsable de l’Établissement de prépara-tion et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS)©

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Actualités pharmaceutiques • n° 488 • Septembre 2009

Actualités pharmaceutiques : Quelle est la situation actuelle au regard de l’épidémie de grippe A (H1N1) en France ?Didier Houssin : Au niveau international, la situation est défi nie par l’OMS qui a annoncé l’état de pandémie grippale compte tenu du nombre de pays et du nombre de continents touchés par le nouveau virus A (H1N1). En ce qui concerne la France, l’InVS indique actuel-lement une circulation peu active du virus, qui implique une surveillance populationnelle par les réseaux de médecins et les hôpitaux.

AP : Peut-on estimer le nombre de per-sonnes qui seront atteintes par le virus et le nombre de décès ?D. H. : Il est assez diffi cile de faire des prédic-tions. Cependant, comme l’on se trouve face à un virus nouveau, on doit s’attendre à un taux d’attaque élevé, nettement plus élevé que pour la grippe saisonnière. L’OMS évoque un taux d’attaque de 30 % au niveau de la population mondiale. C’est fi nalement ce que l’on redoute le plus car, dans l’état actuel, la virulence du nouveau virus ne semble pas beaucoup plus importante que celui d’une grippe saisonnière banale, mises à part de légères différences liées à l’âge des personnes touchées.

AP : Selon vous, quelles populations devront être vaccinées en priorité ?D. H. : À ce stade, il est trop tôt pour donner des informations précises. Le Gouvernement les annoncera en fonction de l’évolution de l’épidémie, après avis du Haut Conseil de santé publique. En revanche, deux populations priori-taires sont d’ores et déjà identifi ées à savoir les personnes très vulnérables comme les femmes enceintes ou les personnes présentant des pathologies existantes et les professionnels de santé très exposés au virus et dont on aura for-tement besoin pour lutter contre l’épidémie.

AP : Pourquoi ne pas initier une straté-gie de barrière épidémique en vaccinant largement ?D. H. : Le Gouvernement a pris une option pour pouvoir potentiellement vacciner la totalité de la population en commandant 94 millions de doses de vaccin et en posant

une option sur des doses supplémentaires. Les décisions seront prises essentiellement en fonction de l’évolution de la situation de l’épidémie. La principale nouveauté consiste-rait donc en l’organisation d’une vaccination large dans un intervalle de temps court.

AP : Quelles alternatives sont prévues en cas de résistance du virus à l’oseltamivir ?D. H. : Nous disposons de larges stocks d’osel-tamivir pour pouvoir augmenter les doses ou les durées de traitement si cela s’avère nécessaire. Par ailleurs, nous avons acquis 9 millions de doses de zanamivir. Nous pouvons aussi espé-rer qu’il sera possible de procéder aux vacci-nations à temps. Cependant, il est diffi cile de prédire quand auront lieu les premières vaccina-tions car les calendriers de livraison des vaccins doivent être précisés, certains aspects régle-mentaires doivent être validés et il faudra aussi tenir compte de l’évolution de l’épidémie.

AP : Certaines personnalités, tel Bernard Debré, trouvent que les pouvoirs publics en font trop, d’autres, dans l’opposition par exemple, que la France n’est pas suf-fisamment préparée face à la grippe A (H1N1). Que répondez-vous à cela ? D. H. : La ministre a répondu à équidistance de ces deux appréciations. Ce qui me paraît le plus important est de s’attacher à voir ce que l’on peut faire de plus, notamment en mobilisant davan-tage les professionnels de santé dont le rôle serait très important en ce qui concerne l’information du public. Il nous faudra également mobiliser la société le moment venu. Les enquêtes d’opi-nion montrent que les Français ne sont pas trop inquiets, mais nous devons réfl échir à la façon de faire changer les comportements lors de l’épidé-mie, sans alarmisme exagéré bien sûr. J’ai aussi entendu la ministre dire récemment : « Être prêt, c’est être prêt au pire. » La France s’est préparée depuis plusieurs années maintenant.

AP : Quelles seraient les conséquences d’un éventuel passage au niveau 6 pour les pharmaciens d’offi cine ?D. H. : Le passage au niveau 6 ouvre simple-ment la possibilité de prendre certaines mesu-res optionnelles, qui seront discutées au cas

par cas. Face à une épidémie plus développée, le réseau pharmaceutique, fortement maillé, approvisionné régulièrement par les grossis-tes répartiteurs, constitue une force et sera en première ligne, en particulier pour distribuer les masques chirurgicaux et les antiviraux. Les offi cinaux auront aussi pour rôle de relayer les informations afi n de limiter la propagation virale. Nous préparons une documentation complé-mentaire qui leur est destinée sur le fonctionne-ment des offi cines en période d’épidémie.

AP : Pourquoi ne pas avoir chargé les offi ci-naux de la distribution des masques FFP2 à destination des professionnels de santé ?D. H. : Ce point a été discuté et le président du Conseil national de l’Ordre m’avait assuré que les pharmaciens pourraient s’en charger. Il est cependant apparu que certaines offi cines pos-sédaient des capacités de stockage limitées. Les stocks de masques FFP2 étant très volumi-neux, il est probable que toutes les pharmacies n’auraient pas pu être en mesure d’organiser et de contribuer à cette distribution.

AP : Quelle est la conduite à tenir si un phar-macien est atteint d’un syndrome grippal ?D. H. : Comme tout citoyen, il doit rapide-ment consulter son médecin traitant et rece-voir le traitement qui s’impose. Se pose alors la question de la poursuite de son activité. Il paraît préférable qu’il reste chez lui, le temps de sa contagiosité, mais la continuité du ser-vice est un point important. Il faudra s’assurer que ses collaborateurs pourront recevoir les patients pendant son rétablissement.

AP : Quels conseils simples les pharma-ciens doivent-ils délivrer en priorité ?D. H. : Il faut essentiellement recommander aux patients de s’informer régulièrement au moyen des divers sites internet qui sont mis en place (comme www.pandemie-grippale.gouv.fr/). De plus, les personnes présentant des symptômes grippaux doivent impérative-ment rester à leur domicile durant les quelques jours où elles sont contagieuses et consulter un médecin, afi n d’éviter au maximum la pro-pagation du virus. �

Professeur Didier Houssin Directeur général de la santé au ministère de la Santé et des Sports et délégué interministériel chargé de la lutte contre la grippe aviaire

Propos recueillis par Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

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