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REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE MOTIVATIONS POUR LE CHOIX DE LA PROFESSION D'ENSEIGNANT par Marcel POSTIC & coll. Une enquête par questionnaire a été menée, dans le but de comparer les motivations pour le choix de la profession d'enseignant de personnes venant d'être reçues, en 1976 et 1987, au concours de recrutement de professeurs d'enseignement général (littéraires et scienti- fiques) de lycée professionnel. On peut constater une stabilité de motivations intrin- sèques, fiées à la personnalité, au système de valeurs, aux représentations des autres professions et de la vie sociale. Par contre, des changements sont apparus dans les conditions d'engagement personnel dans /a profes- sion, à la suite de l'évolution des conditions économiques et sociales de ces quinze dernières années. Devient-on enseignant de nos jours par vocation, par engagement personnel, en fonction de valeurs, de rôles sociaux privilégiés, ou seulement pour des raisons d'ordre pratique, pour des avantages, sinon pécuniaires, du moins familiaux, le temps libre et l'indépendance appa- raissant les conditions de vie qui correspondent à ses goûts? S'y volontairement, ou sous la pres- 91 1990, sion des circonstances personnelles ou familiales? A-t-on réellement choisi de devenir enseignant? Constate-t-on une évolution depuis une quinzaine d'années dans les motivations pour devenir enseignant, compte tenu des différences introduites dans la vie sociale, culturelle et économique? Ces questions se posent à un moment on constate, en France, qu'un recrutement massif d'enseignants sera nécessaire dans les prochaines années. L'enquête que nous présentons est faite auprès de personnes venant d'être reçues au concours de recrute- ment de professeurs d'enseignement général de lycée professionnel. Le choix de la profession d'enseignant est donc réalisé. Une autre investigation serait à mener auprès de jeunes étudiants qui choisissent de s'orienter vers l'enseignement afin de connaître les raisons de leur projet, la représentation qu'ils ont de la profession et la perception des obstacles à la réalisation de leurs aspira- tions, surtout s'ils visent un concours difficile comme l'agrégation. INTÉRÊTS PROFESSIONNELS ET MOTIVATIONS POUR OEVENIR ENSEIGNANT Doit-on parler d'intérêts professionnel ou de motiva- tions pour une profession? Prenons la définition des inté- rêts donnée par Dupont et al. (1979). « Les intérêts cor- respondent à des tendances ou dispositions relativement stables ou durables (et dont le développement semble associé à celui de l'image de soi), orientées vers rents domaines d'objets ou, plus exactement, vers diffé- rents domaines d'activités et d'expériences vécues dans un milieu culturel donné, ces tendances seraient ment conditionnées par les pressions plus ou moins fortes définissant les rôles dévolus aux deux sexes ... Il s'agit alors d'étudier les relations entre les intérêts et le choix professionnel, entre les intérêts et les dimensions psychologiques, environnementales. Le constat risque de rester descriptif et de ne pas remonter aux processus de décision qui interviennent dans le choix. Quand nous adoptons la notion de motivation, ci permet davantage de faire découvrir les processus. Dans le choix d'être enseignant, nous pouvons émettre l'hypothèse que la motivation est plus de nature intrinsè- que qU'extrinsèque. Autrement dit le mécanisme déclen- chant de la conduite provient plus du caractère dynami- que, de la relation du sujet et à son environnement (J. Nuttin) que de renforcements provoqués par l'extérieur, sous forme d'espoir d'approbation sociale, de succès sociaL C'est le type de relation que le sujet entretient avec la situation d'enseignement qui fait naître la motiva- tion d'être enseignant. 25

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REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE

MOTIVATIONS POUR LE CHOIXDE LA PROFESSIOND'ENSEIGNANT

par Marcel POSTIC & coll.

Une enquête par questionnaire a été menée, dans lebut de comparer les motivations pour le choix de laprofession d'enseignant de personnes venant d'êtrereçues, en 1976 et 1987, au concours de recrutement deprofesseurs d'enseignement général (littéraires et scienti­fiques) de lycée professionnel.

On peut constater une stabilité de motivations intrin­sèques, fiées à la personnalité, au système de valeurs,aux représentations des autres professions et de la viesociale. Par contre, des changements sont apparus dansles conditions d'engagement personnel dans /a profes­sion, à la suite de l'évolution des conditions économiqueset sociales de ces quinze dernières années.

Devient-on enseignant de nos jours par vocation, parengagement personnel, en fonction de valeurs, de rôlessociaux privilégiés, ou seulement pour des raisons d'ordrepratique, pour des avantages, sinon pécuniaires, dumoins familiaux, le temps libre et l'indépendance appa­raissant les conditions de vie qui correspondent à sesgoûts? S'y engage-t~on volontairement, ou sous la pres-

N° 91 avrjl·mai~juin 1990, 25~36

sion des circonstances personnelles ou familiales? A-t-onréellement choisi de devenir enseignant?

Constate-t-on une évolution depuis une quinzained'années dans les motivations pour devenir enseignant,compte tenu des différences introduites dans la viesociale, culturelle et économique? Ces questions seposent à un moment où on constate, en France, qu'unrecrutement massif d'enseignants sera nécessaire dansles prochaines années.

L'enquête que nous présentons est faite auprès depersonnes venant d'être reçues au concours de recrute­ment de professeurs d'enseignement général de lycéeprofessionnel. Le choix de la profession d'enseignant estdonc réalisé. Une autre investigation serait à menerauprès de jeunes étudiants qui choisissent de s'orientervers l'enseignement afin de connaître les raisons de leurprojet, la représentation qu'ils ont de la profession et laperception des obstacles à la réalisation de leurs aspira­tions, surtout s'ils visent un concours difficile commel'agrégation.

INTÉRÊTS PROFESSIONNELS ET MOTIVATIONS POUROEVENIR ENSEIGNANT

Doit-on parler d'intérêts professionnel ou de motiva­tions pour une profession? Prenons la définition des inté­rêts donnée par Dupont et al. (1979). « Les intérêts cor­respondent à des tendances ou dispositions relativementstables ou durables (et dont le développement sembleassocié à celui de l'image de soi), orientées vers diffé~

rents domaines d'objets ou, plus exactement, vers diffé­rents domaines d'activités et d'expériences vécues dansun milieu culturel donné, ces tendances seraient égale~

ment conditionnées par les pressions plus ou moinsfortes définissant les rôles dévolus aux deux sexes ... Ils'agit alors d'étudier les relations entre les intérêts et lechoix professionnel, entre les intérêts et les dimensionspsychologiques, environnementales. Le constat risque derester descriptif et de ne pas remonter aux processus dedécision qui interviennent dans le choix.

Quand nous adoptons la notion de motivation, celle~

ci permet davantage de faire découvrir les processus.Dans le choix d'être enseignant, nous pouvons émettrel'hypothèse que la motivation est plus de nature intrinsè­que qU'extrinsèque. Autrement dit le mécanisme déclen­chant de la conduite provient plus du caractère dynami­que, de la relation du sujet et à son environnement (J.Nuttin) que de renforcements provoqués par l'extérieur,sous forme d'espoir d'approbation sociale, de succèssociaL C'est le type de relation que le sujet entretientavec la situation d'enseignement qui fait naître la motiva­tion d'être enseignant.

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La motivation pour le choix d'un métier est en rela­tion avec la représentation qu'on a de soi dans l'expé­rience quotidienne présente et dans celle qu'on projettedans le futur. On veut se construire soi-même avec uneperspective temporelle, pour épanouir sa personnalité parl'exercice d'une fonction. Parfois ce sont seulement lesconditions d'exercice et non les attributs d'une formationqui sont considérées (être enseignant pour avoir dutemps libre, afin de pratiquer un sport, par exemple).

Alors que pour des projets professionnels, l'exerciced'une fonction et l'appréhension des situations dans les­quelles elle s'exerce sont plus de l'ordre de la connais­sance que d'un vécu, ce qui caractérise le projet d'êtreenseignant, c'est qu'il s'enracine dans l'expérience de lasituation d'enseignement en tant qu'élève. La personnequi opte pour l'enseignement a pu observer l'enseignantdans l'action, connaître ce qui survient dans la situation,comparer des enseignants.

Trois facteurs de motivations entrent en interactiondans le processus de choix de la profession d'ensei­gnant : les significations accordées aux conditions d'exer­cice de la fonction (conditions matérielles, sociales, con­ditions de travail), 'les variables personnelles (histoire per­sonnelle, valeurs) et les relations antérieurement vécuesavec le milieu scolaire, les enseignants qui incarnent cettefonction.

Choisir une profession, c'est attribuer un sens à unefonction sociale qu'on situe par rapport à sa vie, c'estprendre place dans une structure sociale et dans unsystème de relations interpersonnelles, dans le but deconstruire une image de soi.

Le choix d'une profession ne relève pas toujoursd'une décision rationnelle. D'une part, certains déclen­cheurs peuvent être conjoncturels et dus à des circons­tances extérieures (nécessité à abandonner des étudeslongues pour des raisons financières ou familiales), oupeuvent résulter de barrages (échec à des concours).Alors le sujet est soumis à des contraintes et il lessurmonte par l'option qu'il prend de devenir enseignant.

MOTIVATIONS CONSCIENTES ET MOTIVATIONSINCONSCIENTES

Mc Clelland (1985) dit qu'on doit tenir compte demotifs autant conscients qu'inconscients. De toutesfaçons les fonctions sélectives du sujet sont avant toutpersonnelles, liées à la conception qu'il a de la vie, de lasociété, de sa place dans la société, et liées à sonhistoire personnelle. Telle personne prend la décision dedevenir enseignant, parce qu'elle désire se réaliser per­sonnellement par la fonction, et parce que la fonction

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à ses valeurs socioculturelles propres. Parcorrespond dèle social de fonctionnement de l'école etexemple le mo t't l '"de la classe peut exercer un at raI, se on, qu l , corres-pond à une perspective de changement SOCial qu on sou-

haiterait.

Dans certains cas, 10rsqu~ ses parents ?u des mem,­bres de sa famille sont ~nselgnants, le

A

sUjet a pu vOircomment l'action professlo~nelle peut-e~re sous-ten,duepar les valeurs auxquelles Il est attache. Les relationsinterpersonnelles jouent en effet un rôle fondamental dansla clarification des valeurs. Dans d'autres cas, se mani­feste à côté de motifs d'attrait, de rejet de modèlespare~taux de professions axées sur la compétition et legain.

La motivation pour une profession est liée à la repré­sentation qu'on s'en fait et à la relation qu'on établitentre cette représentation de la profession et la représen­tation qu'on a de soi. Ce sont les éléments de représen­tation qu'on a de la fonction enseignante, tant dans ledomaine social que dans le domaine socio-affectif (con­tact avec les jeunes, relation à une personne qui seconstruit) qui sont les référents par rapport auxquels onse situe. Ces éléments proviennent d'informatîons objec~

tives (conditions d'exercice du métier, rythme d'avance­ment et salaires) ou de témoignages recueillis auprès deceux qui exercent la fonction, voire d'impressions person­nelles, ancrées dans sa scolarité.

D'autres motivations se placent sur un registre plusou moins inconscient. L'attirance ou le rejet de la fonctionenseignante s'enracine dans l'histoire vécue par le sujeten tant qu'élève dans la situation scolaire, dans lesaffects qui l'ont marqué.

Sans aller jusqu'à dire que l'individu cherche à satis­faire des besoins pulsionnels dans une activité profes­sionnelle, compte tenu des contraintes sociales, en lesmaîtrisant et les utilisant sous une forme sublimée pourmener une action, on peut avancer l'idée que la structureinconsciente de la dynamique interne, née dans l'enfanceet l'adolescence, oriente le choix professionnel.

Par l'exercice d'une activité professionnelle, notam­ment parmi les activités qui favorisent le contact avec lesjeunes, avec des êtres qui cherchent leur voie et ontbesoin de guides, certains peuvent acquérir le sentimentd'ê~re à leur place dans la société, en même temps qu'ilssatIsfont des besoins profonds: création d'un être idéal,désir de voir leur personne reconnue.

Nous n'avons pas exploré certaines motivations quis~n~ parfois attribuées aux enseignants, à partir de cascliniques: formations réactionnelles du moi sous formed'exi~ences, d'obéissance, d'ordre, Puls'ion sadiqueentralnant le désir d'exercer son emprise sur plus faibles

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que soi, tendance anxieuse dépressive, qui conduit àrechercher l'attachement des enfants, tendance homo­sexuelle, narcissisme, par la recherche de l'admirationdes élèves (L. Corman 1976). Ce sont des éléments destructure névrotique qui existent certes chez certainssujets qui cherchent, dans la situation éducative, lesmoyens de donner une issue à leurs difficultés profondesen les transfigurant: sublimation de l'homosexualité. utili­sation de la spontanéité des impressions de l'enfance,dans le cas d'Une tendance régressive, par exemple.

Nous nous attachons, non à des cas particuliers,mais à l'ensemble de la population qui accède à la fonc­tion enseignante.

A ce sujet, une présentation d'enquêtes par question­naires sur les motivations pour devenir enseignant auxEtats-Unis est faite par P. Joseph et N. Green (1986).

Quels que soient les travaux publiés de 1961 à 1986les motivations altruistes apparaissent de façon cons­tante:

Travailler avec des jeunes et les aider, leur permettrede s'épanouir et d'avoir une estime de soi (90 % desréponses). Les autres motivations de nature intellectuelle(rester sur le terrain de l'école pour être stimulé et créer)viennent très loin derrière.

On constate peu de différences entre hommes etfemmes, même si les femmes insistent davantage sur« travailler avec les jeunes et les aider» (Lortie, 1975, citépar Joseph et Green 1986). Certaines enquêtes tentent dechercher des ressorts psychologiques comme donner etrecevoir l'amour des enfants, modeler les autres, exercerune autorité sur les jeunes, se rebeller contre l'autoritéadulte en étant du côté des enfants, être au centre del'attention d'un groupe. etc. Bien que ce type d'investiga­tion ne fasse pas découvrir de tendance générale, il a lemérite de chercher à connattre ce qui se cache derrièreune affirmation « noble ».

Dans le climat social américain où l'appât du gainprédomine, il est intéressant de savoir quel est le poidsdu salaire par rapport aux autres facteurs de motivation.Les résultats d'une investigation faite par la technique duQ-Sort de R.D. Sylvia et T. Hutchison (1985) montrent laprédominance du sentiment d'accomplissement de soirelatif aux facteurs intrinsèques de la profession d'ensei­gnant (relations sociales, autonomie dans le travail, etc.) ;les motivations intrinsèques l'emportent sur les motiva­tions extrinsèques, telles que le salaire, bien qu'une insa­tisfaction à propos du salaire soit relevée. Il ne faudraitcependant pas oublier qu'aux Etats-Unis, la décision dedevenir enseignant est aussi liée à l'impossibilité, pourcertains étudiants, de s'engager dans des études coû­teuses que supposerait la carrière qui leur plairait davan­tage.

Notre intention a été de voir dans quelle mesure onpeut constater une stabilité dans les motivations pourdevenir enseignant, en utilisant le même questionnaire àune dizaine d'années d'intervalle (années scolaires 1976­1977, 1987-1988).

CARACTÉRISTIQUES DE L'ÉCHANTILLON

L'enqUête a été faite auprès de professeurs stagiairesde lycée professionnel, professeurs d'enseignement géné­rai effectuant un stage en Ecole Normale Nationale d'Ap­prentissage à Nantes et à Paris. Les professeurs d'ensei­gnement général enseignant deux disciplines couplées:

mathématiques-sciences,

lettres-histoire,

lettres-anglais.

Pour des raisons liées au hasard des recrutementsces années-là, la taille de l'effectif diffère sensiblement:1976, 158 personnes, 1987, 95 personnes interrogées.

La proportion hommes/femmes est inversée, avecune majorité d'hommes en 1987 (58,23 % de femmes en1976 ; 30,85 % en 1987). La proportion de femmes dansles lycées professionnels est de 42 % (1). Ici, la nature del'échantillon ne reflète la part à peu près égale d'hommeset de femmes assurant les enseignements généraux dansles lycées professionnels.

L'analyse du milieu d'origine de ces professeurs nou­vellement recrutés par concours, fait apparaître unelégère augmentation de l'origine rurale (38,31 % en 1976 ;41,76 % en 1987), mais le milieu urbain reste prédominant(61,69 % en 1976; 58,24 % en 1987).

.

Profession du père 1976 1967

Agriculteur 7,19 % 6,38 %

Artisan ou commerçant 14,38 % 8,51 %

ProfessÎon libérale ou cadre supérieur 11,110/0 10,64 0/0

Enseignant 12,420/0 8,51 0/0

Cadre moyen 15,690/0 15,96 %

Employé 12,42 % 15,96 %

Ouvrier 11,11 % 17,02 %

Personnel de service 1,31 % 1,06%

Sans profession, retraité 6,54 % 7,45 %

Décédé 7,84 % 8,51 %

(1) Données sociales, 1987, INSEE, p. 546.

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Dans le recrutement des enseignants de l'enseigne­ment secondaire, on ne trouve pas l'équivalent de l'évolu­tion de l'origine des instituteurs, très majoritairementrurale dans la 1ra moitié du xxa siècle, puis urbaine.

L'appartenance à des familles de niveau modestes'est renforcée en une dizaine d'années, avec une dimi­nution de certaines catégories comme «artisan-commer­çant» et " enseignant ». Nous ne trouvons pas là le glis­sement du recrutement des instituteurs vers les classessupérieures, constaté depuis 1973 (1. Berger, 1979), con­firmé par le SElS du Ministère de l'Education Nationale.

L'âge de recrutement au niveau du concours s'esttrès nettement élevé, ce qui s'explique par les caractéris­tiques suivantes:

1976 1987

Moins de 25 ans 91,14 % 18,48 %

Entre 25 et 30 ans 6,33 % 38,04 %

Plus de 30 ans 2,53 % 43,48 %

Seulement 38 % de l'échantillon de 1987 n'a euaUCune expérience de "enseignement, avant d'être admisau concours, contre 57,59 % en 1976. Par contre, si en1976 25,32 % de professeurs stagiaires avaient été insti­tuteurs titulaires, en 1987 le pourcentage tombe à 1 %.

Le fort pourcentage de mattres auxiliaires (17,09 % en1976; 60,87 % en 1987) montre que le concours derecrutement est le moyen pour les auxiliaires d'être titula­risés.

Plus nombreux sont ceux qui ont poursuivi des étudesuniversitaires en travaillant: 40,45 % en 1987 contre17,6 % en 1976, surtout comme maître d'internat, surveil­lant d'externat (29,21 % contre 15,20 % en 1976), maisaussi comme employé dans l'administration (5,62 % con­tre 1,60 % en 1976) et dans l'industrie (5,62 % contre0,80 % en 1976).

En 1987, les diplômes possédés sont nettement au­dessus du niveau exigé pour se présenter au concours derecrutement, qui est le DEUG.

1976 1987

DEUG 75,42 % 29,89 %

Licence 13,92 % 37,93 %

Maîtrise 4,43 % 32,18 %

28

PI de 70 % des professeurs de lycée professionnel

éUS

en 1987 possèdent une licence, contre 18,35 %recrut sen '976.

REMARQUES À PROPOS DE L'ORIGINE SOCIOLOGIQUE

DES ENSEIGNANTS

pour les enseignants originaires de famille au niveausocio-professionnel modeste,. l'accè~ à l'ens~igne~entconstitue une voie de promotIon socIale. Les genérat!onsvisées avant 1940 concevaient souvent leur carrière enplusieurs étapes: instjtu~eur, professeur de ~EG, de CET,professeur certifié. Le fait est encore perceptible en 1976.1/ n'existe plus en 1987. Par contre le pourcentage deceux qui ont exercé comme maître auxiliaire est beau­coup plus élevé qu'autrefois.

Il ne semble pas exister de différences de stratégieentre les personnes issues de milieux sociaux différents.La nécessité d'avoir un revenu stable affecte tous lesmilieux. Tous ont cherché à atteindre un niveau de con­cours plus élevé et ont abandonné provisoirement l'idéede s'y présenter.

Pour Chapoulie, Merllie (1975), les enseignants issusde la classe populaire ou de la fraction intellectuelle desclasses moyennes adhèrent aux valeurs scolaires et ontun attrait pour les activités intellectuelles désintéressées.Cet attrait n'apparaît pas dans les réponses au question­naire.

Ces chercheurs constatent que «rétrospectivementles femmes professeurs tendent à se représenter leuraccès à l'enseignement soit comme l'accomplissementd'une «vocation» souvent précoce, qui n'est que l'inté­riorisation de "avenir probable, soit comme l'aboutisse­ment nécessaire de leur scolarité ». Les auteurs insistentsur la bonne nécessité scolaire des professeurs femmes,conduisant à développer des intérêts intellectuels quiprennent la forme d'intérêts pour les activités scolaires ouscolairement valorisées, et avec l'adhésion aux valeurs del'école.

Nous n'avons relevé aucune différence significativeentre les sexes, dans les réponses données. Cetteabsence ne semble pas provenir des proportions defemmes figurant dans l'échantillon, qui est inversée de1976 à 1987. Elle montrerait par conséquent une cohé­r~nce dans les données psychologiques recueillies, mêmeSI les données sociologiques sont différentes.

. M. Huberman (1989, b), dans une enquête réalisée enSUisse, décèle des différences de motivations entre leshom.mes et les femmes. «Les hommes privilégient lesmotifs suivants: « découverte, plaisir» (32 % desréponses des hommes), «moyen de gagner sa vie»

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(29 %), «contact avec les jeunes» (29 %), et «faute demieux» (24 %). En termes relatifs, les hommes donnentproportionnellement plus de réponses pour les motifs telsque «sécurité de l'emploi» (82 % des réponses, alorsque les hommes ne constituent que 46 % des répon­dants), «découverte, plaisir» (59 % des réponses)," avantages matériels» (56 % des réponses) et «libertés,flexibilité" du cahier des charges (53 % des réponses).On se trouve à nouveau dans une constellation fortementteintée de motivations matérielles et passives, surtoutchez les hommes du Collège de Genève.

Quant aux femmes, les motivations mises en avantsont les suivantes: .. amour de la branche» (36 % desréponses des femmes), «contacts avec les jeunes»(35 %), et " moyen de gagner sa vie» (33 %). Proportion­nellement, les femmes fournissent davantage de réponsesque les hommes pour les motifs suivants: «professionféminine» (bien entendu 100 % des réponses alors queles femmes ne représentent que 54 % des répondants)," volonté de puissance" (71 % des réponses), «amour dela branche" (67 % des réponses) et «impact sur lasociété» (63 % des réponses). En revanche, les motiva­tions " sécurité de l'emploi» et « découverte, plaisir» sontpeu mentionnées. Ainsi, les motifs matérieJs sont moinsprésents, et on a l'impression d'un choix de carrière faitplus tôt et plus fermement que chez les hommes ".

De même, notre échantillon ne permet pas de vérifierla conclusion des travaux de J,M. Chapoulie (1987) : «Ladifférenciation interne la plus nette entre les logiquessociales ayant conduit au professorat est sans doute cellequi oppose, d'une part, les trajectoires suivies par unepartie importante des hommes originaires des classesmoyennes et, surtout, des classes supérieures qui ne sontparvenus à leurs profession qu'à J'issue d'échecs sco­laires relatifs dans des orientations vers des carrières oudes études socialement plus valorisées et, d'autre part,les trajectoires suivies par la quasi-totalité des femmes,ainsi que par les hommes issus des classes populaires,pour lesquels l'accès au professorat a été la sanctionnormale d'une bonne adaptation aux études ».

RELATIONS ENTRE LE CHOIX DE LA CARRIÈREENSEIGNANTE ET LE MARIAGE.

" Etes-vous marié? " " Le choix de la carrière ensei­gnante est-elle en relation avec votre mariage?" Cesquestions ont été posées dans le but de savoir si lanécessité d'avoir un salaire, en rapport avec le mariage,et si le fait d'avoir un conjoint enseignant, avaient été desdéterminants du choix de la profession d'enseignant.

On constate une évolution sociologique en unedizaine d'années, comparable à celle qu'on trouve pour la

population de cette tranche d'âge: 44,30 % étaientmariés en 1976, 36,84 % le sont en 1987. Les 20 % deréponses non valides à la question" le choix de la car­rière enseignante est-elle en relation avec votremariage?» s'expliquent par les hésitations à répondrelorsqu'il s'agit d'unions libres. En 1976, pour 96,84 % desprofesseurs stagiaires, il n'existait aucune relation, contre68,42, % en 1987. Le fait d'avoir un conjoint enseignantest estimé avoir été un déterminant du choix pour 6,32 %en 1987 contre 0,63 % en 1976 et la nécessité d'avoir unsalaire, 5,26 % en 1987 contre 1,90 % en 1976.

L'absence de question relative à la profession duconjoint ne permet pas d'aborder la question soulevéepar les sociologues à propos du statut professionnel desfemmes. Dans des travaux publiés en 1975, mais relatifsà une enquête datant de 1969-70. J.M. Chapoulie et D.Merllie, à propos de l'ensemble des catégories de profes­seurs de l'enseignement secondaire est soit un salaÎre decélibataire, soit le second salaire d'un mènage dont lerevenu principal est presque toujours de cadre supérieur,ou au moins de professeur, alors que la moitié des pro­fesseurs hommes ont des épouses inactives ou qui exer­cent des activités d'employées ou de cadres moyens.

MODALITÉS DU CHOIX DE LA CARRIÈRE ENSEIGNANTE

L'orientation vers le métier d'enseignant a pu résulterd'un choix fait dans la scolarité secondaire ou à la fin.Alors l'attirance du métier est liée à la représentation desoi et le sujet s'investit dans la réalisation de son projetet cherche les moyens de le réaliser. Il met en œuvre unestratégie propre à orienter son action.

Dans le cas présent (réussite au concours de recrute­ment de professeur de lycée professionnel), l'engagementdans la fonction peut être ressenti soit comme un succèstotal, si la personne ne cherchait pas à atteindre unniveau plus élevé de recrutement, soit comme un demi­succès, voire un expédient, si elle a échoué à un niveausupérieur comme le CAPES. Le niveau d'aspiration condi­tionne la perception de sa réussite et aussi son besoind'aller au-delà de cette étape, pour progresser dans lahiérarchie des grades d'enseignants (certifié, agrégé) etse promouvoir dans une perspective d'avenir.

Par contre, l'orientation vers la profession d'ensei­gnant a pu être provoquée par l'impossibilité de réaliserun autre projet professionnel, soit par des circonstancespersonnelles ou familiales (obligation de gagner tout desuite sa vie, mariage, etc...), soit par un échec dans lesétudes nécessaires (échec à un concours, par exemple).

Un conflit interne naît alors chez le sujet à propos deformes d'auto-développement auxquelles il doit renoncer.

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Mais il peut résoudre son conflit en s'investissant dans sanouvelle orientation à tel point qu'il la reconnaît commeune nouvelle " vocation ».

A-t·on choisi de devenir enseignant lorsqu'on a entre­pris des études supérieures? Pour connaître les condi­tions du choix de la profession, il est nécessaire de saisirs'il y a continuité ou rupture dans le processus de déve­loppement scolaire et universitaire.

A la question" envisagiez-vous Une autre carrière quel'enseignement?» 83,77 % de l'ensemble des personnesinterrogées répondaient négativement en 1976, contre35,96 % en 1987. L'évolution est très nette et elle affecteplus les scientifiques que les littéraires. Cette carrièreétait envisagée en 1987, pour la moitié d'entre elles, dansl'industrie privée (ingénieur, chercheur pour les scientifi~

ques, par exemple), puis dans une administration autreque l'Education Nationale, la profession libérale arrivanten dernière position. Une Jiste de professions est propo­sée dans le questionnaire. Il est intéressant de constaterque 2/3 des personnes qui disent avoir envisagé uneautre carrière ne déclarent pas quelle était cette profes­sion (pas de réponse ou réponse " autre »). Cela signifie­rait qu'il s'agissait plus d'une vague aspiration que d'unchoix. Ce fait est à mettre en relation avec des constata­tions faites par des chercheurs (P. Benedetto, 1987) quiont mené des enquêtes auprès des jeunes entrant à l'Uni­versité. Beaucoup d'entre eux cherchent à se définir eux­mêmes au fur et à mesure de leurs études, à trouver leuridentité avant d'envisager l'avenir et de faire un choixprofessionnel. Auparavant le jeune mettait en œuvre unevéritable stratégie de formation, correspondant au choixqu'il avait fait de devenir enseignant. Sa maturité voca­tionnelle était plus précoce. Par contre, les conditions devie sociale et économique actuelles conduisent le jeune àse situer progressivement dans son environnement, enréduisant son champ de carrières possibles, selon lesobstacles qu'il rencontre et en définissant ses valeurspersonnelles au fur et à mesure de ses expériencessociales. Sa décision d'opter pour la profession d'ensei~

gnant est le résultat d'un cheminement personnel, à lasuite de renoncements, et aussi de préférences qui sefont jour en lui.

PRÉFÉRENCES ET REJETS PROFESSIONNELS

Ce sont ces modalités actuelles de prise de décisionau sujet de la profession à exercer qui expliquent lesvariations, de 1976 à 1987, dans les réponses données àdes questions comme celle-ci: « auriez-vous aimé exercerun métier qui permet parfois de gagner beaucoupd'argent en peu de temps, mais en risquant de perdre sasituation tout aussi rapidement?" En 1976, 88,51 %

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répondaient "non ", en' 1987, 71,43 %. La préf~re?cepour la stabilité de l'emploi persiste nettement. ~als 1at­trait du risque, l'éventualité d'un autre mode de vIe.. fondépeut-être sur l'alternance travail-loisirs, se, mamfestentdans un nouveau contexte social et économIque.

Les préférences et Jes rejets de certaines professionssont identiques en 1976 et 1987, avec q~elques. fai~lesvariations dans le degré de choix (question: almenez­vous être...). Sont rejetées massivement (90 % au moinsde rejets) les professions de : agent d'assurances, repré­sentant de commerce, chef comptable, attaché de ban­que, attaché de direction commerciale (90 o/~ de rejets en1976, 87 % en 1987), ingénieur de fabrication (90 % derejets en 1976, 80 % en 1987). Les pourcentages dechoix augmentent de 1976 à 1987: journaliste (52 % ;59 %), ingénieur de recherches (41 % ; 50 %), chargé derelations publiques dans une entreprise (30 % ; 38 %).

Les choix et rejets correspondent à des représenta­tions qu'on a des professions citées, des valeurs qui ysont attachées et des façons d'être et de vivre qu'on leurattribue. Si le contact avec la vie sociale, la communica­tion avec les autres sont privilégiées, c'est dans lamesure où les professions désignées ne sont pas exer­cées avec des finalités mercantiles. Si la fonction d'ingé­nieur de recherches est préférée à celle d'ingénieur defabrication, c'est aussi parce qu'elle se situe dans uneperspective temporelle plus grande, sans le souci de larentabilité immédiate, ni du contrôle basé sur des pro­duits.

Une constatation générale s'impose. Dans une trèsgrande majorité les jeunes enseignants ne regrettent pasd'avoir choisi ce métier, et estiment avoir fait un choixdélibéré. A la question" votre orientation vers l'enseigne­ment vous paraît-elle établie sur l'insuccès?» 90,38 %des personnes interrogées en 1976, 84,95 % en 1987répondent non. 87,33 % en 1976, 84,04 % en 1987 despersonnes s'estiment satisfaites de leur entrée dansl'enseignement.

On peut constater une diminution de l'impressionpositive globale. Mais la liaison statistique très significa­tive entre la satisfaction et le fait de penser que sonorientation n'est pas établie sur l'insuccès s'est renforcéede 1976 à 1987: ceux qui ont choisi cette voie sontsatisfaits. De plus, ceux qui, en 1987 ont animé uneactivité de jeunes, sont davantage satisfaits. Par contreceux qui aimeraient exercer un métier qui permet d'avoirde gros revenus avec des risques ont un degré d'insatis­faction plus grand que les autres.

Remarquons que tous les enfants d'enseignants,aussi bien en 1987 qu'en 1976 estiment que leur choixn'est pas fondé sur l'insuccès.

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REPRÉSENTATION DE L'AVENIR PROFESSIONNEL

La plus grande différence qu'on enregistre dans lesréponses au questionnaire en 1976 et 1987 concernedeux questions relatives à l'avenir dans la profession. A laquestion « avez-vous l'intention de vous présenter à d'au­tres Concours de recrutement dans l'Education nationale,d'un nÎveau plus élevé?» le pourcentage de personnesqui répondent positivement passe de 43,33 % à 73,91 %.Le fait de posséder une licence ou une maîtrise permetd'envisager l'accès à des grades de certifié ou d'agrégé,au salaire plus élevé. Rien, dans le questionnaire, permetd'en discerner ta motivation: recherche d'un statut oudésir de fuir les lycées professionnels pour exercer dansles lycées où la place de l'enseignement général estsupérieure.

« Envisagez-vous de quitter l'enseignement si vous lepouvez?". Cette question permet de tester le degréd'engagement personnel, d'implication dans la fonctiond'enseignant. Celui qui envisage un autre métier voit danscette éventualité la possibilité de gains supplémentaires,par le salaire et aussi le statut et le rôle, ou l'accès à unautre groupe social. Ceux qui souhaitent obtenir un gradeplus élevé dans l'Education nationale restent dans lemême groupe social, avec ses valeurs, ses attitudes, sescomportements spécifiques. Ceux qui souhaitent quitterl'enseignement envisagent d'autres engagements, unautre investissement de leurs valeurs personnelles, leursbesoins, leurs intérêts dans des groupes sociaux diffé­rents. Pour reprendre un vocabulaire qui a été souventemployé à propos des enseignants, on dira qu'ils n'ontpas la « vocation" d'être enseignant, en ce sens qu'il n'ya pas de relation univoque entre leurs valeurs person­nelles, leurs intérêts et la fonction d'enseignant.

En 197662,91 % des enseignants nouvellementrecrutés repoussaient l'idée de quitter l'enseignement.Seulement 42,70 % en 1987. Les emplois envisagés res­taient vagues en 1976 (7,59 % de réponses). Il s'agissaitplutôt d'une vague aspiration à autre chose. Ce n'est plusle cas en 1987. 5,62 % opteraient pour un emploi dansune entreprise privée, 11,24 % pour un emploi dans uneautre administration, 24,72 % pour une profession libéraleou indépendante, contre 4,64 % en 1976. Un quart desjeunes enseignants désireraient concilier leurs valeurspersonnelles attachées à l'indépendance et un mode devie professionnelle qui permet une liberté d'initiative et derythme d'existence. On peut y voir l'influence chez lesjeunes de certains modes de vie largement décrits par lesmédias et qui exercent une séduction. N'oublions pas que28,57 % des personnes interrogées en 1987, contre11,49 % en 1976 accepteraient de prendre des risquespour gagner beaucoup d'argent en peu de temps.

REPRÉSENTATION DU STATUT SOCIAL DEL'ENSEIGNANT

Le jeune a-t-il opté pour la profession d'enseignantparce que celle-ci serait l'objet d'une considérationsociale? Autrement dit. le statut social de l'enseignantou, plus précisément, la représentation qu'en a le jeuneenseignant, est-il à l'origine de son choix?

A la question «à votre avis, le métier d'enseignantprocure-t-il une considération sociale?,., la majoritérépond négativement. Avec une évolution de 1976 à1987: 75,84 % de non en 1976, 62,64 % en 1987. Com­ment interpréter cette évolution? Un certain biais pourraitprovenir de la différence des âges des sujets de deuxéchantillons: les sujets jeunes sont orientés davantagevers l'exercice d'un rôle, les sujets plus âgés (ce qui estle cas du 29 échantillon) vers la possession d'un statut,ou la revendication de celui-ci.

Alors que les médias ont largement diffusé l'imagesociale dévalorisée des enseignants, cette évolution sem­ble aller à contre-courant. Certes l'ampleur des réponsesnégatives prouve que les jeunes enseignants n'ont paschoisi ce métier dans le but d'acquérir un statut social.Mais on peut émettre l'hypothèse qu'ils revendiquentimplicitement une revalorisation du statut social del'enseignant:

- Ou bien il s'agit d'un mécanisme de protection, aumoyen d'une présentation de soi-même valorisée par uneélévation nette du niveau des diplômes universitairesdétenus, de 1976 à 1987. Une justification, en quelquesorte, de la reconnaissance d'une certaine position.

- Ou bien il s'agit de l'affirmation d'une identitésociale, établie, non sur la base matérielle du salaire,mais sur celle du rôle social de l'enseignant, à reconnaέtre par la société, par rapport à l'avenir des jeunes danscette société.

De toute façon l'évolution traduit l'intention de recon­quérir une place sociale qui était accordée autrefois auxinstituteurs et aux professeurs.

Dans une enquête sur les enseignants du seconddegré, publiée en 1973 par la documentation française,figure une analyse des réactions des professeurs à leurimage sociale. C'est l'ensemble du corps enseignant quiest l'objet de l'étude et non seulement les jeunes. Laperte de prestige est indiquée par 89 % des sujets inter­rogés et l'infériorité du salaire par rapport à d'autrescatégories sociales est relevée en tant que signe d'undéclassement social.

Dans le portrait comparatif qu'ils dressent d'eux­mêmes et des cadres du secteur privé, ils soulignent des

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différences: les cadres, en prise sur les réalités ayant unecertaine puissance, sont sensibles à l'argent, par contreeux ont plus de sécurité, sont plus désintéressés mais sesentent impuissants.

LE JEUNE ENSEIGNANT EST-IL SATISFAIT DE SONCHOIX?

Le croisement des réponses à cet item et à d'autresitems du questionnaire apporte des précisions, notam­ment lorsqu'on pose les questions: «votre orientationvers l'enseignement vous paraît-elle établie surl'insuccès? » et « êtes-vous satisfait de votre entrée dansl'enseignement? ».

Ceux qui pensent que leur orientation n'est pas éta­blie sur l'insuccès estiment que le métier d'enseignant nedonne pas de considération sociale. Mais le pourcentaged'entre eux s'est abaissé de 1976 à 1987 : de trois quartsen 1976, seulement deux tiers en 19B7, parmi ceux qui nevivent pas un insuccès dans leur choix, ne font pas derelation entre leur orientation et le sentiment d'obtenirune considération sociale. Le sentiment du succès oud'insuccès serait donc de moins en moins dépendant del'acquisition d'un statut social.

Dans ceux qui s'estiment relativement satisfaits d'êtreenseignants (87,33 % en 1976, 84,04 % en 1987), unquart pensaient que ce métier procurait de la considéra­tion sociale en 1976, un tiers en 19B7. Donc, en 1987,davantage de jeunes enseignants qui s'estiment satisfaitsde leur choix pensent que leur métier donne de la consi­dération sociale.

Ces résultats à première vue contradictoires, puis­qu'ils évoluent en sens inverse, convergent en faveurd'une idée fondamentale: les jeunes enseignants n'ontpas choisi leur métier dans le but d'accéder à une situa­tion socialement reconnue, mais plutôt avec l'espoir deconquérir cette situation, et d'amener la société à recon­naître leur rôle.

Si ceux qui aimeraient exercer une fonction d'autoritédans une entreprise estiment que le métier d'enseignantdonne une considération sociale, dans une proportionplus grande que les autres, c'est précisément parce que,devant l'impossibjJité d'exercer une telle fonction qui leurconférerait un statut sur la base d'un rôle reconnu dansune organisation fonctionnelle, ils préfèrent Se convaincrequ'ils trouvent dans l'exercice du métier une autre formede considération sociale provenant de la reconnaissancede l'institution Education Nationale dans l'Etat, c'est-à­dire dans une forme instituée, institutionnelle.

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VALEURS PRIVILÉGIÉES PAR LE JEUNE ENSEIGNANT

Quelle relation existe entre les besoins, les valeurs dela personne et son choix pr~fessionnel ? Que dé~ire-t-elleréaliser dans la vie? A quoI attache-t-elle du prix? Quelsens donne-t~elle à son existence?

Deux questions figurant dans le questionnaire ontpour but de cerner les valeurs privilégiées par les !eunesqui ont choisi la profession d'enseignant. ".A quoI att~­chez-vous le plus d'importance dans votre vie? »'. La vieaffective personnelle (sentiments, bonheur, etc...) vient ~n

premier lieu (70,87 % en 1976,. 69,41 % en 1987). La v~eintellectuelle monte de 5,51 % a 16,47 %, alors que la viesociale tombe de 23,62 % à 14,12 % de 1976 à 1987.

En quoi le métier d'enseignant apporte-HI une satis­faction à un besoin fondamental de la personne qui l'achoisi, procure-t-il des espoirs placés dans un mode devie, en apaisant les craintes d'une déstabilisation de soi­même dans l'exercice d'une autre profession? lei laréponse est nettement du côté du retentissement en soi­même des avantages à en retirer, avec un accent mis surla vie personnelle affective. L'exercice du métier est vudavantage dans ses rapports avec soi plutôt qu'avec lasociété et le rôle social assumé semble alors comme lemoyen de stabiliser les relations de soi au monde envi­ronnant. Le rôle d'enseignant apparaît compatible avecd'autres rôles auxquels on accorde de l'importance (rôlesparentaux, rôles liés à la vie affective, rôles sociauxextra-scolaires) et permet d'assurer une cohérence desvaleurs.

A la question "Qu'appréciez-vous en premier lieudans le métier d'enseignant? » suivie d'une liste de pro­positions dont une seule doit être retenue, sont apportéesles réponses suivantes:

1976 1987

Indépendance 25,00 % 8,21 %

Contact avec les jeunes 39,77 % 55,97 %

Stabilité de l'emploi 6,82 % 8,21 %

Loisirs 14,77 % 8,21 %

Intérêt intellectuel 10,23 % 7,46 %

Action sociale 3,41 % 11,94 %

En première position est placé le contact avec lesjeunes, en augmentation de 1976 à 1987. C'est le rapportde soi aux jeunes qui est privilégié. Ce résultat confirmed'autres enquêtes qui ont été menées en France ou àl'étranger.

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s. Larcebeau (1977), dans une enquête portant surles choix professionnels d'élèves de classe terminale,indique que les filles choisissent plus souvent l'enseigne­ment que les garçons, ou les professions qui mettent encontact avec des individus dans le but de leur apporterune aide. Les garçons optent plus pour une activité deconception ou de réalisation qui sont bien rémunérées etconfèrent un statut de cadre. Dans l'histogramme d'uncertain nombre de motivations pour les contacts et desmotivations de convenance personnelle (reconnaissancepar le sujet d'une harmonie entre les exigences de laprofession et ses propres capacités ou sa situation parti­culière). Quant au niveau des intérêts, ils sont fortementcentrés sur le foyer. Les jeunes filles qui désirent êtreprofesseur se distinguent de celles qui aspirent à êtreinstitutrices par des intérêts intellectuels, supérieurs auxintérêts pour le foyer.

Les résultats de notre enquête ne permettent pasd'établir une différenciation des motivations altruistesentre hommes ou femmes ayant choisi de devenir ensei­gnants.

Dans la recherche de S. Larcebeau, 18,4 % des fillesde classe terminale choisissent l'enseignement, contre8,7 % des garçons, ce qui amènerait à penser que laprofession d'enseignant est considérée comme une pro­fession de femme. Rappelons que si les femmes ont uneposition prédominante dans l'enseignement élémentaire,celle-ci est moins marquée dans l'enseignement secon­daire et encore moins dans les lycées professionnels.

Dans les résultats de l'enquête, rien ne nous permetde dire que le modèle de rôle, sous-jacent à la professiond'enseignant, soit féminin. La part réservée à l'indépen­dance, aux possibilités de loisir, diminue alors queremonte l'adhésion à une action sociale.

Dans une forte proportion (67,10 % en 1976 ; 63,83 %en 1987), ceux qui sont entrés dans l'enseignement onteu l'occasion d'animer des activités de loisirs de jeuneset ont donc manifesté le goût des contacts avec lesjeunes.

Descombes (1977) propose un essai de classificationdes motivations professionnelles en s'inspirant de Super(1970) pour lequel les valeurs seraient les objectifsrecherchés dans le comportement et les intérêts, les acti­vités par lesquelles sont recherchées les valeurs. Pour lemétier d'enseignant, à la base de la hiérarchie des moti­vations professionnelles, il place le besoin d'amour« oblatif ", puis, en traits de personnalité, l'équilibre extra­version/introversion. Comme type de personnalité, lesocial, puis en valeurs, le dévouement, l'altruisme, et enintérêts, l'intérêt du service social pour les êtres humains.A titre de comparaison, cette hiérarchie prend les aspectssuivants pour les cadres d'industrie: application, prestige

(besoins), extraversion, domination (traits de personnalité),type de personnalité entreprenant, sociabilité, ambition,prestige (valeurs), persuasifs (intérêts).

Les valeurs de nature intrinsèque sont, par exemple,l'altruisme, le service social, l'indépendance, la stimula­tion intellectuelle, l'accomplissement, et les valeurs denature extrinsèque, le statut social, l'autorité, le salaire, lasécurité, les conditions de travail, les relations humainesde travail, le style de vie.

Les résultats de notre enquête montrent que lesvaleurs de nature intrinsèque sont nettement privilégiéespar ceux qui commencent leur carrière d'enseignant: austatut social fondé sur le salaire, ils préfèrent celui qui estoctroyé par le rôle auprès des jeunes, un rôle de forma­tion sociale des jeunes; ils aiment avoir la possibilité demener individuellement leur tâche, d'une façon indépen­dante, sans recevoir des ordres d'action par des autoritésextérieures.

RÔLE DE LA STRUCTURE D'IDENTITÉ PERSONNELLEDANS LE CHOIX PROFESSIONNEL

Ce n'est pas le savoir qui fascine l'enseignant (voir lefaible pourcentage accordé aux valeurs intellectuelles), nila recherche de la signification de la connaissance quiagit comme moteur, c'est plutôt la relation entre la per­sonne et son environnement social. Tantôt la centrationest sur les autres, avec le désir de venir en aide auxautres, de favoriser leur épanouissement, ou le soucid'avoir, par l'école, une action sociale, tantôt la centra­tion est sur soi-même, dans son rapport avec autrui, unautrui plus jeune, qui renvoie une image de soi.

C'est pourquoi on peut poser la question suivante: lejeune opte-t-il pour la profession d'enseignant parce qu'ilcherche son identité dans les rapports à la jeunesse etdans les rapports, souhaités par lui, entre la société et sajeunesse?

L'identité professionnelle de l'enseignant est connuede celui qui a été élève avant d'avoir choisi d'être ensei­gnant.

Il a accepté les valeurs scolaires et s'est bien adaptéà l'école, ce qui se constate par le sentiment d'avoir étécompris par ses enseignants. A la question: «pensez­vous avoir été compris par les enseignants que vous avezconnus lors de votre scolarité? » seulement 10,75 % despersonnes interrogées en 1987 répondent «presquejamais, jamais» (14,84 % en 1976).

Celui qui a choisi d'être enseignant s'est construitune représentation du bon enseignant, un modèle del'enseignant idéal vers lequel il voudrait tendre.

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Cette représentation est généralement incarnée parun ou plusieurs maîtres qU'on a eus dans sa scolarité etqui ont marqué par leur comportement pédagogique, leurstyle de relation aux élèves, et leur personnalité. Unequestion s'y rapporte: «y a-t-il eu, dans votre vied'élève, un professeur auquel vous auriez aimé ressem­bler ?» 55,43 % de personnes en 19B7 reconnaissent cemécanisme d'identification, 47,33 % en 1976.

Certes il se peut que, rétrospectivement, Je jeuneenseignant attribue son choix professionnel à l'influenced'un enseignant qui l'a marqué ou qui lui a conseillé cetteorientation. Mais la recherche d'une cohérence dans sonitinéraire se trouve davantage sollicitée lorsqu'ondemande un récit biographique. Ici, dans le questionnaire,la question relative à cette influence est noyée parmid'autres.

Quand il était enfant ou adolescent, celui qui a optépour la profession d'enseignant, dans une proportiondépassant la moitié des personnes interrogées, a projetédans le futur une image de soi sur le modèle d'un adultequi le fascinait par la maîtrise de la situation pédagogi­que. la référence pour soi est un modèle d'action et unmodèle de personnalité dans l'action, en situation sco­laire.

Il est intéressant de constater que, statistiquement,une liaison existe entre le fait de reconnaître l'attrait pourun professeur dans sa vie d'élève et le fait d'apprécier enpremier lieu dans le métier d'enseignant le contact avecles jeunes. Cette liaison existe autant en 1987 qu'en1976, avec un ajout: l'attrait de l'indépendance dansl'exercice du métier. Par contre la liaison entre l'identifi­cation à un professeur et la satisfaction éprouvée dans lafonction, qui existait en 1976 ne se retrouve plus en1987. La structure des données psychologiques reste sta­ble, alors que l'appréciation subjective de la fonction estdavantage sujette à des fluctuations dues à la représenta­tion du statut social. Autrement dit, il existe une perma­nence de relations entre des processus psychologiquesde construction d'Une image de soi sur le modèle d'unepersonne qui incarne j'action auprès des jeunes. Remar­quons aussi la part importante de transmission de cemodèle d'une génération à l'autre, même si le modèlesubit des transformations liées à l'évolution des modesde communication sociale.

L'enseignant, dans sa relation aux jeunes, est ramenéà lui-même, à ce qu'il est, à sa propre histoire, à sonenfance.

Même si la connaissance, le savoir-faire sont l'élé­ment médiateur entre l'élève et lui-même, qui constitue,d'une certaine façon, un écran (surtout dans le cas dematières scientifiques) pour l'enseignant, et un objet às'approprier pour "élève, la situation pédagogique provo~

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que chez l'enseignant un réveil d'affects se rattachant àson passé d'enfant et d'élève. Cela ne signifie pas qu'ilregrette la période de son enfance ou de son adoles­cence: 81,50 % des personnes interrogées en 1976,79 % en 1987 disent n'avoir pas de regrets. Ou bien qu'ilait eu des difficultés relationnelles avec ses parents, car àJa question «vos parents vous semblent-ils avoir eu survous trop, assez, peu, trop peu d'autorité? l', 68,53 % en1976, 75 % en 1987 considèrent avoir bénéficié d'uneautorité équilibrée (<< assez »}. Un faible pourcentage estconstaté dans les extrêmes (trop d'autorité: 16,78 % en1976, 9,78 % en 1987; trop peu d'autorité: 1,40 % en1976,2,17 % en 1987).

Il recherche son identité personnelle par la situationéducative. Plusieurs auteurs ont eu "occasion d'évoquerla recherche de sa propre enfance pour le métIer d'ensei­gnant, soit pour la prolonger, soit pour l'exorciser, detoutes façons pour explorer les limites de soi et se définirau contact d'un autre plus jeune (D. Hameline 1969,J. Guillaumin 1968).

Cette motivation n'est pas aussi vive chez: les ensei­gnants que chez Jes éducateurs spécialisés. Pour ceux-ci,P. Fustier (1972) écrit: «c'est un adulte en interrogationsur son identité qui, pour cette raison, choisit d'exercerune profession dont il pense qu'elle "aidera à savoir qui ilest, alors que, dans la réalité, celle-ci le met en cause aulieu même de sa fragilité l'. Mais elle existe pour unepartie d'entre eux.

Il s'agit plutôt d'une recherche de construction deson identité. De la même façon que le professeur apprenden enseignant, car c'est un bon moyen d'apprendre quede montrer aux autres, il construit lui-même sa personna­lité, en aidant les jeunes à se construire. Au contact dequelqu'un qui se construit et qui l'interroge, il trouve desréponses à des questions personnelles, qui rejaillissentsur lui-même.

les personnes interrogées ont une expérience de lasituation pédagogique, soit à cause des fonctions exer­cées avant la réussite au concours, soit au Centre deFormation. Aussi peut-on tenter de saiSir le processusd'adaptation de soi à l'environnement social que consti­tue la classe d'élèves et l'établissement scolaire. Le jeuneenseig~ant a-t-il trouvé une forme d'équilibre entre sesforces Internes et les contraintes de l'exercice du métier?La question "pensez-vous que le métier d'enseignantpuisse vous aider à trouver votre équilibre personnel lo

peut paraître assez provocante. Seulement 20 % en 1976,22,83 % en 1987 répondent négativement (28 % oui52 % peut-être en 1976; 26,09 % oui, 51,09 % peut-êtr~en. 1987). C'~st bien le signe que la grande majorité dessUjets perçoIt un rapport entre son fonctionnement psy­chologique personnel et les conditions d'exercice de laprofession.

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l'étude des liaisons statistiques avec d'autres itemsdu questionnaire apporte des précisions. Une liaison trèsforte existe entre le degré de satisfaction éprouvée dansl'exercice de la fonction et le sentiment d'avoir un moyende trouver son équilibre, liaison renforcée de 1976 à 1987chez ceux qui sont très satisfaits. De même, la liaisonexiste en 1976 et 1987 avec le contact et avec les jeunes,apprécié dans le métier d'enseignant. Remarquons uneévolution de 1976 à 1987: la liaison entre l'item «équili­bre personnel» et "qu'appréciez-vous dans l'enseigne­ment" passe du couple « contact avec les jeunes, stabi­lité de l'emploi,. à «contact avec les jeunes, actionsociale ". Si on ajoute une liaison avec ceux qui choisis­sent la valeur affective personnelle (liaison moins nette en1987), et une liaison avec le fait d'avoir rencontré unprofesseur auquel ressembler, on constate une cohé w

rence.

CONCLUSION

La comparaison des réponses obtenues au mêmequestionnaire, à onze ans d'intervalle, auprès d'ensei­gnants nouvellement recrutés par concours, fait apparaέtre une certaine stabilité de motivations intrinsèques pourexercer le métier d'enseignant et de la représentationqu'ils ont d'eux-mêmes dans l'expérience quotidienne.Par contre l'évolution des conditions économiques etsociales provoque des variations dans le rapport entre soiet le cadre social du métier d'enseignant: les modalitésd'insertion dans le système social changent.

l'image de soi dans la situation d'enseignement estconstruite autour de valeurs privilégiant la vie affectivepersonnelle et le contact avec les jeunes. La recherched'un rôle de formation sociale des jeunes va de pair avecla recherche de sa propre identité dans la situation édu­cative, et d'un équilibre personnel. En formant les autres,on se forme soi-même. Plus de la moitié de ceux qui ontchoisi la profession d'enseignant ont eu comme modèleun enseignant qui les a marqués. Les représentations quele jeune enseignant a des autres métiers n'ont pas variéen une dizaine d'années: les professions qui sont reje­tées sont celles où l'action est commandée par des finspratiques et par des impératifs de rentabilité économi­que; les professions de contact social, de communicationsont choisies dans la mesure où elles n'obéissent pas àdes soucis mercantiles (la conscience d'avoir des valeurspropres à la fonction d'enseignant, valeurs différentes decelles d'un monde centré sur l'argent se trouve déjà dansl'enquête publiée par la Documentation française en1973). De plus, l'autonomie, l'indépendance que la pro­fession accorde, reste une caractéristique recherchée.

Celui qui choisit la profession d'enseignant est plustourné vers le passé ou un présent attaché au passé que

vers le futur. Sa vision temporelle n'est pas en expansionvers le futur. Il sait que son rôle sera le même, évoluerapeu. Ceci explique comment, vers 40 ans, l'enseignant al'impression «d'avoir fait le tour" de sa fonction. lesmotivations pour être chef d'établissement, inspecteur,relèvent autant de la recherche d'un autre horizon tempo­rel que de l'investissement de soi dans un autre rôle. /1 nes'agit pas d'épuisement professionnel, comme on letrouve dans certaines professions sociales, où un désé­quilibre apparaît entre les sollicitations de l'environnementet l'individu, au détriment de ce dernier, qui ~e sentappauvri. Il s'agit plutôt d'un «désenchantement" en finde parcours (M. Huberman, 1989).

S'il existe des Cas où on devient enseignant parimprégnation familiale, parce qu'on fait partie d'unefamille d'enseignants, et par choix précoce, dans la sco­larité secondaire, on peut dire que, de plus en plus, lechoix s'opère par infléchissement d'une trajectoire, parce'qu'on a « rebattu ses prétentions ". Cela ne veut pas dire'par nécessité conjoncturale (échec ailleurs, possibilitéd'emploi). Cela signifie qu'on visait un horizon socio­professionnel très large en fin de scolarité secondaire etqu'on a opté progressivement pour un métier en rapportavec ses valeurs personnelles fondamentales. De la mêmefaçon, à l'intérieur du métier d'enseignant, on a visé lesplus hauts grades, comme l'agrégation et CAPES, et ons'est contenté d'une solution provisoire, le professoratdans les lycées Professionnels, en espérant une promo­tion prochaine. Cela n'empêche pas que 85 % des per­sonnes interrogées estiment avoir choisi délibérément lemétier d'enseignant, sans sentiment d'insuccès. En effet,en même temps qu'il réduit son champ de carrières pos­sibles, le jeune cerne mieux ce qui lui apparaTt importantdans la vie. La recherche d'une identité professionnelleest liée à la recherche d'une identité personnelle.

Celui qui choisit If' profession d'enseignant estattaché à certaines valeurs personnelles et sociales et àdes conduites symboliques. Chez les anciens instituteursl'accent était mis sur le ,31e social, le terrain scolaireapparaissant comme le lieu rte propagation d'idées et detransformation sociale. Ce n'est plus le cas pour cesjeunes enseignants. Si, en 1976, un quart d'entre euxprivilégiaient la vie sociale, seulement 14 % le font en1987. Les valeurs personnelles l'emportent. Le métierd'enseignant permet de trouver un compromis entre lescontraintes professionnelles et la vie personnelle (tempslibre, loisirs). par l'exercice de la fonction, on poursuit laconstruction de soi-même, au contact des jeunes, desquestions qu'ils se posent, des réponses qu'on chercheavec eux. On n'est pas bousculé par le fonctionnementd'un système fondé sur des préoccupations de rentabilité.On reste indépendant, avec une grande marge de liberté.On ne subit pas de contrainte hiérarchique pesante, lechef d'établissement et l'inspecteur intervenant seulement

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Page 12: par Marcel POSTIC coll. - ife.ens-lyon.frife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · par Marcel POSTIC & coll. Une enquête par questionnaire a été menée,

sur les aspects formels du fonctionnement de la classe.On connaît la stabilité de l'emploi et on reste à l'abri desgrandes fluctuations.

Les caractéristiques de personnalité de J'enseignantapparaissent stables dans le temps, mais le rapport entreces caractéristiques et les conditions économiques,sociales et culturelles a changé depuis une quinzained'années.

Alors qu'en 1976, presque 84 % des personnesavaient choisi très tôt l'enseignement, en 198736 % seu­lement sont dans ce cas. Cette incertitude dans la post­adolescence affecte sans doute l'ensemble des jeunes etpas seulement ceux qui optent pour l'enseignement. Maisplus de la moitié des jeunes recrutés en 1987 envisage­raient éventuellement de quitter l'enseignement, surtoutpour une profession libérale ou indépendante. Est-ce letémoignage d'un refus de s'engager définitivement, dusouci de garder l'ouverture du champ des possibles?Une union libre avec )e métier d'enseignant, pour s'éprou-

ver et garder l'éventualité d'une autre rencontre? Il sem­ble bien que ce soit moins par goOt du risque, sauf pourun faible pourcentage qui a augmenté nettement ces der­nières annèes (11,50 % en 1976, 28,50 % en 1987), quepar désir de ne pas fermer )a porte aux rêves. Il faudraitenquêter pour savoir si les enseignants titulaires accepte­raient de tout perdre pour se lancer dans l'aventure,adopter une stratégie de risque.

Toutefois cette évolution traduit un malaise provenantdu statut social de l'enseignant, avec le souhait que lasociété reconnaisse son rôle.

Marcel POSTICCentre de recherche en éducation

Université de Nantes

Georges LE CALVE, Serge JOLY, Farid BENINELLaboratoire d'analyse des données

Université de Rennes Il

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