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Le Temps Samedi Culturel Samedi 12 avril 2014 Bien-être 25 PUBLICITÉ Inscrite dans notre quotidien, la transe peut changer la vie. Avis d’hypnothérapeute et de scientifique Par Nic Ulmi H ypnotique? La musique du gamelan balinais. La voix de Matthew McCo- naughey dans True De- tective. Le chignon en spirale de Kim Novak dans Vertigo. Le jeu de lumières sur la piste de danse d’un club. A chaque fois qu’on utilise ce terme de manière imagée, on colle de près, sans le sa- voir, à la réalité. Loin de son image- rie truculente au cinéma, du Diabo- lique Docteur Mabuse au Livre de la jungle, l’état d’hypnose est une chose banale, commune dans le sens le plus littéral du terme. «Tout le monde connaît ça», assure Jean- Michel Jakobowicz, hypnothéra- peute à Genève et auteur de L’auto- hypnose, c’est malin, ouvrage pratique doublé d’une série d’enre- gistrements à télécharger. «Je compare cet état à ce qui se passe lorsqu’on voyage en train et qu’on regarde le paysage défiler: vous êtes entre deux eaux, vous entrez en transe. C’est ce qui arrive le matin, lorsqu’on se réveille un peu, mais qu’on n’a pas envie de le faire tout à fait», suggère le théra- peute. Même résultat dans une réunion où «un collègue fait une présentation particulièrement en- nuyeuse» et où on s’absorbe en re- gardant un point devant soi. Accé- der à un état de conscience modifié, ce n’est pas sorcier. Y glis- ser semble être une des propen- sions naturelles du cerveau. «Voulez-vous essayer?» de- mande l’hypnotiseur. Allons-y. «Les pays chauds, ça vous dit?» Parfait. «Un souci particulier?» Une insom- nie dévorante, la nuit passée. «Bien. On va au Maroc.» Clôture de pau- pières, compte à rebours, induction de la transe par quelques phrases prononcées sur un ton hypnotique. On s’abandonne au récit: un village; un paysage; un ruisseau; la nuit tombe et les villageois tombent avec elle dans le sommeil… On re- trouve le décor du cabinet avec une impression de bien-être diffus. «L’idée consiste à parsemer votre in- conscient de toutes sortes de messa- ges, en utilisant des métaphores.» En installant des instructions pendant la transe, la méthode per- met de traiter un large éventail de problèmes: manque de confiance en soi, phobies, troubles du som- meil, addictions, douleurs… «J’ai traité des enfants qui faisaient pipi au lit, des ados avec des problèmes d’ados, des femmes qui n’avaient pas d’orgasme et des hommes avec des difficultés d’érection, une per- sonne qui ne pouvait pas sortir de chez elle: ça a été long et dur, mais maintenant, elle arrive à prendre son bus… Souvent, les gens vien- nent chez moi en dernier recours, après avoir essayé la médecine clas- sique. Aux yeux de beaucoup de monde, c’est encore de la magie.» Là-dessus, Jean-Michel Jako- bowicz ne laisse planer aucun doute. «C’est une technique, pas un don. N’importe qui peut le faire. D’où l’autohypnose.» Comment se met-on en transe? «Chacun trouve sa manière.» Le livre répertorie une dizaine de modes d’induction: par la respiration, la visualisation d’un arc-en-ciel dans une goutte d’eau posée sur une fleur, le zapping en- tre les stimulations réelles et imagi- naires de plusieurs sens, la dissocia- tion par le va-et-vient mental entre soi et l’image de soi, ou le souvenir de transes passées. Bertrand Pic- card, qui utilise l’autohypnose pour s’endormir à volonté en pilotant son Solar Impulse, s’y prenait, lui, en tendant le poing et en fixant son pouce (LT du 17.12.2013). Qu’en dit la science? Directeur du Centre interfacultaire de neuros- ciences et du laboratoire Neurology & Imaging of Cognition (NIC) de la Faculté de médecine à l’Université de Genève, Patrik Vuilleumier a piloté une étude pionnière en 2009 et a continué depuis lors à observer des cerveaux sous hypnose dans un scanner IRM. La vision que suggè- rent ses observations, loin du cliché qui verrait l’hypnotisé livré comme une marionnette aux mains de l’hypnotiseur, est celle d’un cerveau en état d’«hypercontrôle», piloté par son propre imaginaire… Première remarque: «Quelque part, l’hypnose est toujours de l’autohypnose. C’est le sujet qui se met lui-même dans cet état. Tout le monde est hypnotisable, mais il n’y a jamais d’hypnose non volontaire. Il faut que la personne participe.» L’hypnose est-elle une réalité scientifiquement observable? «Le domaine d’application classique est l’effet sur la douleur. A Genève, en anesthésiologie, c’est devenu la rou- tine – avec une efficacité impression- nante. Les études confirment qu’en stimulant les circuits cérébraux res- ponsables de la perception de la douleur, ceux-ci s’activent d’une ma- nière différente sous hypnose. C’est la même chose si on fait une sugges- tion de ne plus voir certaines cou- leurs – ou, au contraire, de voir des couleurs dans des images en noir et blanc… Dans nos études, on dit au sujet qu’il ne peut plus bouger un bras: on observe que les régions cé- rébrales correspondantes ont une activation particulière. On sait donc que l’hypnose modifie la manière dont le cerveau répond. Ce n’est pas seulement le sujet hypnotisé qui vous dit qu’il se passe quelque chose pour vous faire plaisir…» Comment ça marche? «Ça, c’est la partie qu’on connaît moins bien. Il y a peu d’études. Mais les chercheurs s’accordent pour dire que cela impli- que des capacités d’attention focali- sée. Certaines des régions qui s’acti- vent sous hypnose sont associées, en effet, au contrôle de l’attention: ce qui permet de se focaliser sur quelque chose en ignorant le reste. C’est pour cette raison que, dans nos études, nous parlons d’ hypercontrôle pour qualifier cet état. Le cerveau se met dans un mode où il surmonte ses automatismes et contrôle la manière dont il perçoit et réagit.» Quel est le rôle de l’imagination? «Une autre région, appelée précu- néus, s’active systématiquement sous hypnose. C’est une région un peu mystérieuse, dont on ne connaît pas vraiment la fonction, mais on sait qu’elle est très liée à l’imagina- tion. Elle est importante pour récu- pérer de l’information qu’on a en mémoire et pour l’activer, en géné- rant un monde imaginaire où vous êtes vous-même impliqué.» Com- ment participerait-elle à l’hypnose? «Elle viendrait remplir la conscience du sujet, en compétition avec les sti- mulations de l’extérieur.» Comment observer tout cela? On demande à des sujets d’exécuter une tâche, avec et sans hypnose. A l’aide de l’imagerie cérébrale, on analyse ensuite la «connectivité fonction- nelle» qui s’établit, c’est-à-dire la fa- çon dont les régions du cerveau communiquent entre elles pendant l’action. Résultat? «Normalement, les régions motrices se connectent avec les régions dites prémotrices, qui programment le mouvement. Sous hypnose, cette connectivité est réduite, remplacée par celle entre le précunéus – le champ de l’imagi- naire, si vous voulez – et le cortex moteur. C’est comme si l’imaginaire prenait les commandes.» Profonde ou légère, la transe hypnotique existe: on la rencontre dans la vie quotidienne, «dans des rituels chamaniques, probable- ment quand les gens dansent la techno», ainsi que dans les séances d’hypnose et dans le laboratoire du neuroscientifique. Mais rien n’est ja- mais simple. «Il y a des courants en hypnothérapie qui suggèrent que cet état de transe n’est pas néces- saire: l’effet de la simple suggestion suffirait pour modifier la percep- tion et le comportement…» L’hyp- nose sans hypnose, quoi. «Pour une technique qui est utilisée par la mé- decine depuis 150 ans, on sait en- core peu de chose.» L’autohypnose, c’est malin, Jean-Michel Jakobowicz, Editions Quotidien malin, 181 p. HELV ETICD ANSE AU BFM DANS LE CADRE DES CÉLÉBRATIONS DU BICENTENAIRE DE L’ENTRÉE DE GENÈVE DANS LA CONFÉDÉRATION BALLET DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE BALLETT ZÜRICH BÉJART BALLET LAUSANNE BALLETT BASEL SAISON 13 14 25>30.04.2014 WWW.GENEVEOPERA.CH +41(0)22 322 5050 Autohypnose, la banalité du merveilleux , Jean-Michel Jakobowicz Hypnothérapeute «On voyage en train, on regarde le paysage défiler: on est entre deux eaux, on entre en transe»

Par NicUlmi - L'hypnose doucedesimaginaires.com/.../04/autohypnose-Le-Temps.pdf · hypnose, c’est malin, ouvrage pratiquedoubléd’uneséried’enre-gistrementsàtélécharger

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Le TempsSamedi CulturelSamedi 12 avril 2014 Bien-être 25

PUBLICITÉ

Inscrite dans

notre quotidien,

la transe peut

changer la vie. Avis

d’hypnothérapeute

et de scientifique

Par Nic Ulmi

Hypnotique? La musiquedu gamelan balinais. Lavoix de Matthew McCo-naughey dans True De-tective. Le chignon en

spirale de Kim Novak dans Vertigo.Le jeu de lumières sur la piste dedanse d’un club. A chaque foisqu’on utilise ce terme de manièreimagée, on colle de près, sans le sa-voir, à la réalité. Loin de son image-rie truculente au cinéma, du Diabo-lique Docteur Mabuse au Livre de lajungle, l’état d’hypnose est unechose banale, commune dans lesens le plus littéral du terme. «Toutle monde connaît ça», assure Jean-Michel Jakobowicz, hypnothéra-peute à Genève et auteur de L’auto-hypnose, c’est malin, ouvragepratique doublé d’une série d’enre-gistrements à télécharger.

«Je compare cet état à ce qui sepasse lorsqu’on voyage en train etqu’on regarde le paysage défiler:vous êtes entre deux eaux, vousentrez en transe. C’est ce qui arrivele matin, lorsqu’on se réveille unpeu, mais qu’on n’a pas envie de lefaire tout à fait», suggère le théra-peute. Même résultat dans uneréunion où «un collègue fait uneprésentation particulièrement en-nuyeuse» et où on s’absorbe en re-gardant un point devant soi. Accé-der à un état de consciencemodifié, ce n’est pas sorcier. Y glis-ser semble être une des propen-sions naturelles du cerveau.

«Voulez-vous essayer?» de-mande l’hypnotiseur. Allons-y. «Lespays chauds, ça vous dit?» Parfait.«Un souci particulier?» Une insom-nie dévorante, la nuit passée. «Bien.On va au Maroc.» Clôture de pau-pières, compte à rebours, inductionde la transe par quelques phrasesprononcées sur un ton hypnotique.On s’abandonne au récit: un village;un paysage; un ruisseau; la nuittombe et les villageois tombentavec elle dans le sommeil… On re-trouve le décor du cabinet avec uneimpression de bien-être diffus.«L’idée consiste à parsemer votre in-conscientdetoutessortesdemessa-ges, en utilisant des métaphores.»

En installant des instructionspendant la transe, la méthode per-met de traiter un large éventail deproblèmes: manque de confianceen soi, phobies, troubles du som-meil, addictions, douleurs… «J’aitraité des enfants qui faisaient pipiau lit, des ados avec des problèmesd’ados, des femmes qui n’avaientpas d’orgasme et des hommes avecdes difficultés d’érection, une per-sonne qui ne pouvait pas sortir dechez elle: ça a été long et dur, maismaintenant, elle arrive à prendreson bus… Souvent, les gens vien-nent chez moi en dernier recours,après avoir essayé la médecine clas-sique. Aux yeux de beaucoup demonde, c’est encore de la magie.»

Là-dessus, Jean-Michel Jako-bowicz ne laisse planer aucundoute. «C’est une technique, pas undon. N’importe qui peut le faire.D’où l’autohypnose.» Comment semet-on en transe? «Chacun trouvesa manière.» Le livre répertorie unedizaine de modes d’induction: parla respiration, la visualisation d’unarc-en-ciel dans une goutte d’eauposée sur une fleur, le zapping en-tre les stimulations réelles et imagi-naires de plusieurs sens, la dissocia-

tion par le va-et-vient mental entresoi et l’image de soi, ou le souvenirde transes passées. Bertrand Pic-card, qui utilise l’autohypnose pours’endormir à volonté en pilotantson Solar Impulse, s’y prenait, lui,en tendant le poing et en fixant sonpouce (LT du 17.12.2013).

Qu’en dit la science? Directeur duCentre interfacultaire de neuros-ciences et du laboratoire Neurology& Imaging of Cognition (NIC) de la

Facultédemédecineàl’UniversitédeGenève, Patrik Vuilleumier a pilotéune étude pionnière en 2009 et acontinué depuis lors à observer descerveaux sous hypnose dans unscanner IRM. La vision que suggè-rent ses observations, loin du clichéqui verrait l’hypnotisé livré commeune marionnette aux mains del’hypnotiseur, est celle d’un cerveauen état d’«hypercontrôle», piloté parson propre imaginaire… Première

remarque: «Quelque part, l’hypnoseest toujours de l’autohypnose. C’estlesujetquisemetlui-mêmedanscetétat.Toutlemondeesthypnotisable,mais il n’y a jamais d’hypnose nonvolontaire. Il faut que la personneparticipe.»

L’hypnose est-elle une réalitéscientifiquement observable? «Ledomaine d’application classique estl’effet sur la douleur. A Genève, enanesthésiologie, c’est devenu la rou-tine – avec une efficacité impression-nante. Les études confirment qu’enstimulant les circuits cérébraux res-ponsables de la perception de ladouleur, ceux-ci s’activent d’une ma-nière différente sous hypnose. C’estla même chose si on fait une sugges-tion de ne plus voir certaines cou-leurs – ou, au contraire, de voir descouleurs dans des images en noir etblanc… Dans nos études, on dit ausujet qu’il ne peut plus bouger unbras: on observe que les régions cé-rébrales correspondantes ont uneactivation particulière. On sait doncque l’hypnose modifie la manièredont le cerveau répond. Ce n’est passeulement le sujet hypnotisé quivous dit qu’il se passe quelque chosepour vous faire plaisir…»

Comment ça marche? «Ça, c’est lapartiequ’onconnaîtmoinsbien.Ilyapeu d’études. Mais les chercheurss’accordent pour dire que cela impli-que des capacités d’attention focali-sée. Certaines des régions qui s’acti-vent sous hypnose sont associées, eneffet,aucontrôledel’attention:cequipermet de se focaliser sur quelquechose en ignorant le reste. C’est pourcette raison que, dans nos études,nous parlons d’hypercontrôle pourqualifier cet état. Le cerveau se metdans un mode où il surmonte sesautomatismes et contrôle la manièredont il perçoit et réagit.»

Quel est le rôle de l’imagination?«Une autre région, appelée précu-néus, s’active systématiquementsous hypnose. C’est une région unpeumystérieuse,dontonneconnaîtpas vraiment la fonction, mais onsait qu’elle est très liée à l’imagina-tion. Elle est importante pour récu-pérer de l’information qu’on a enmémoire et pour l’activer, en géné-rant un monde imaginaire où vousêtes vous-même impliqué.» Com-ment participerait-elle à l’hypnose?«Elle viendrait remplir la consciencedu sujet, en compétition avec les sti-mulations de l’extérieur.»

Comment observer tout cela? Ondemandeàdessujetsd’exécuterunetâche, avec et sans hypnose. A l’aidede l’imagerie cérébrale, on analyseensuite la «connectivité fonction-nelle» qui s’établit, c’est-à-dire la fa-çon dont les régions du cerveaucommuniquent entre elles pendantl’action. Résultat? «Normalement,les régions motrices se connectentavec les régions dites prémotrices,qui programment le mouvement.Sous hypnose, cette connectivité estréduite, remplacée par celle entre leprécunéus – le champ de l’imagi-naire, si vous voulez – et le cortexmoteur. C’est comme si l’imaginaireprenait les commandes.»

Profonde ou légère, la transehypnotique existe: on la rencontredans la vie quotidienne, «dans desrituels chamaniques, probable-ment quand les gens dansent latechno», ainsi que dans les séancesd’hypnose et dans le laboratoire duneuroscientifique. Mais rien n’est ja-mais simple. «Il y a des courants enhypnothérapie qui suggèrent quecet état de transe n’est pas néces-saire: l’effet de la simple suggestionsuffirait pour modifier la percep-tion et le comportement…» L’hyp-nose sans hypnose, quoi. «Pour unetechnique qui est utilisée par la mé-decine depuis 150 ans, on sait en-core peu de chose.»

L’autohypnose, c’est malin,Jean-Michel Jakobowicz,Editions Quotidien malin, 181 p.

H E LV E T I C D A N S EAU

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DANS LE CADRE DES CÉLÉBRATIONS DU B ICENTENAIRE DE L’ENTRÉE DE GENÈVE DANS LA CONFÉDÉRATION

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Jean-Michel Jakobowicz

Hypnothérapeute

«On voyage en train,on regarde le paysage

défiler: on est entredeux eaux,

on entre en transe»