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Annales de pathologie (2010) 30, 130—134 HISTOSÉMINAIRE SFP Pathologie de l’appendice. Cas n o 8. Névrome muqueux Appendicular pathology. Mucous nevroma Jean-Yves Scoazec Service central d’anatomie et cytologique pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France Accepté pour publication le 31 janvier 2010 Disponible sur Internet le 1 avril 2010 Renseignements cliniques Homme 64 ans. Appendicectomie pour appendicite aiguë. Diagnostic Névrome muqueux. Description macroscopique L’appendice mesurait 5cm de longueur. Aucune anomalie n’était notée. Description histologique L’examen histologique révélait la présence de plages « fibreuses » situées à la partie pro- fonde du chorion de la muqueuse, repoussant en profondeur la musculaire muqueuse et débordant parfois sur la sous-muqueuse adjacente (Fig. 1). La sous-muqueuse était considérablement épaissie et occupée par un tissu fibreux comportant de nombreux amas d’adipocytes, des filets nerveux hyperplasiques et de nombreux vaisseaux à paroi parfois dystrophiques. Adresse e-mail : [email protected]. 0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.02.013

Pathologie de l’appendice. Cas no 8. Névrome muqueux

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nnales de pathologie (2010) 30, 130—134

ISTOSÉMINAIRE SFP

athologie de l’appendice. Cas no 8. Névromeuqueux

ppendicular pathology. Mucous nevroma

Jean-Yves Scoazec

Service central d’anatomie et cytologique pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, hospicescivils de Lyon, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France

Accepté pour publication le 31 janvier 2010Disponible sur Internet le 1 avril 2010

Renseignements cliniques

Homme 64 ans. Appendicectomie pour appendicite aiguë.

Diagnostic

Névrome muqueux.

Description macroscopique

L’appendice mesurait 5 cm de longueur. Aucune anomalie n’était notée.

Description histologique

L’examen histologique révélait la présence de plages « fibreuses » situées à la partie pro-fonde du chorion de la muqueuse, repoussant en profondeur la musculaire muqueuseet débordant parfois sur la sous-muqueuse adjacente (Fig. 1). La sous-muqueuse étaitconsidérablement épaissie et occupée par un tissu fibreux comportant de nombreux amasd’adipocytes, des filets nerveux hyperplasiques et de nombreux vaisseaux à paroi parfoisdystrophiques.

Adresse e-mail : [email protected].

242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2010.02.013

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Figure 3. Amas de plasmocytes et de polynucléaires éosinophiles(HES, × 320).Nests of plasma cells and eosinophils (HES, × 320).

Figure 1. Épaississement de la partie profonde de la muqueuse,accompagné d’un épaississement concentrique de la sous-muqueuse, remaniée par des lésions « fibroadipeuses » (HES, × 80).

Thickening of the deepest part of the mucosa, associated with aconcentric thickening of the submucosa, presenting large areas offibrosis containing nests of adipose tissue (HES, × 80).

À plus fort grandissement, les lésions muqueusesapparaissaient formées par des faisceaux lâches destructures entremêlées, allongées, claires (Fig. 2), asso-ciés à des cellules inflammatoires dispersées, notam-ment des polynucléaires éosinophiles et des masto-cytes (Fig. 3). L’étude immunohistochimique confir-mait que les lésions muqueuses étaient constituées defilets nerveux entremêlés, exprimant la protéine S100(Fig. 4) et le marqueur PGP9.5 (Fig. 5). Ces lésionsn’exprimaient pas c-kit, ni les marqueurs musculaireslisses comme l’actine musculaire lisse et la caldesmone.D’exceptionnelles cellules ganglionnaires étaient révéléesau sein des lésions muqueuses par l’immunodétection deLeu7. L’immunodétection de la protéine S100 confirmaitl’existence de filets nerveux hyperplasiques dans la sous-muqueuse remaniée, associés à des amas de fibresmusculaires lisses exprimant l’actine musculaire lisse etla caldesmone. L’immunodétection de la chromogranine Ane montrait pas d’hyperplasie des cellules endocrines dela muqueuse appendiculaire, mais montrait l’existence de

Figure 2. Prolifération intramuqueuse de cellules claires entre-mêlées (HES, × 270).Proliferation of clear, intermingled cells (HES, × 270).

Figure 4. Prolifération de fibres exprimant la protéine S100(immunoperoxydase indirecte, × 220).Proliferation of fibers expressing S100 protein (indirect immuno-peroxidase, × 220).

Figure 5. Prolifération de fibres exprimant la protéine PGP9.5(immunoperoxydase indirecte, × 180).Proliferation of fibers expressing S100 protein (indirect immuno-peroxidase, × 220).

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ans le cas présenté ici, il existe une prolifération lâche, malimitée, non encapsulée, formée essentiellement de fibreserveuses, oblitérant le chorion de la muqueuse, repous-ant les cryptes et refoulant en profondeur la musculaireuqueuse.Le premier diagnostic à évoquer est celui de névrome

ppendiculaire dans sa forme intramuqueuse. Le termee névrome appendiculaire a été attribué à des lésionsaractérisées par une hyperplasie nerveuse prédominant auiveau de la muqueuse appendiculaire, pouvant se présen-er sous deux formes principales : la forme intramuqueuset la forme centrale (ou axiale) [1]. Le névrome appendi-ulaire intramuqueux est caractérisée par une infiltrational limitée du chorion de la muqueuse par une proliféra-

ion de filets nerveux, refoulant les cryptes et repoussanta musculaire muqueuse, comme dans notre observation ; il’est habituellement pas mis en évidence de cellule gan-lionnaire ; une hyperplasie des cellules endocrines peuttre observée dans les cryptes de voisinage [1—3]. À laifférence du névrome intramuqueux, le névrome centralst une lésion volumineuse, entraînant une obstruction pro-ressive de la lumière appendiculaire par une prolifération

point de départ muqueux, formée d’un stroma abon-ant parfois myxoïde contenant des cellules fusiformes, desdipocytes et des filets nerveux hyperplasiques et entrela-és ; la musculaire muqueuse est souvent altérée, tantôtpaissie, tantôt détruite ; la sous-muqueuse est fibreuset ébauche la formation d’une pseudocapsule limitant laésion en périphérie [2,3]. Les deux points particuliers duévrome appendiculaire dit central ou encore axial sont :a présence de nombreux éosinophiles dispersés au sein de’hyperplasie nerveuse et l’association à une hyperplasiendocrine pouvant aboutir au développement de nombreuxodules endocrines, riches en cellules à somatostatine ou à

ntéroglucagon, dans le chorion de la muqueuse, voire dansa musculaire muqueuse (selon un processus rappelant ceui est observé dans les gastrites chroniques atrophiques).l est admis que l’évolution du névrome central conduit à’appendicite chronique oblitérante [4] (Fig. 6), caractéri-ée par l’obstruction complète de la lumière de l’appendice,otamment au niveau de sa pointe, et par des remaniementsbroadipeux extensifs de la paroi appendiculaire, associant

a disparition de la muqueuse normale et de ses folliculesymphoïdes et son remplacement par un tissu fibreux richen cellules fusiformes et en adipocytes, contenant des filetserveux hyperplasiques et, parfois, des formations nodu-aires associant des cellules entérogliales et schwanniennes ;l existe habituellement une hyperplasie endocrine, sousorme de petits nodules (« microcarcinoïdes ») formés deellules à somatostatine et/ou à entéroglucagon, dont laise en évidence est facilitée par des examens immuno-

istochimiques adaptés [2,4]. Les relations entre « névromeppendiculaire intramuqueux » et « névrome appendiculaireentral » ne sont pas claires, même s’il est habituellementdmis qu’il s’agit de deux stades successifs d’un même pro-essus ; dans notre observation, les lésions intramuqueuses’associent à des remaniements importants de la sous-uqueuse qui préfigurent les lésions typiquement observéesans les névromes centraux, ce qui suggère bien un lientroit entre les deux lésions.

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igure 6. Aspect typique d’appendicite chronique oblitéranteHES, × 70).ypical aspect of obliterative chronic appendicitis (HES, × 70).

Un second diagnostic à discuter est celui de ganglio-euromatose appendiculaire. L’appendice est en effet uneocalisation possible, bien qu’exceptionnelle, de la gan-lioneuromatose intestinale, maladie rare, définie par uneyperplasie des plexus nerveux et des fibres nerveusesyentériques [5]. Elle est habituellement décrite chez

’enfant, où elle est souvent associée à une maladie géné-ique, et notamment à une neurocristopathie, comme leyndrome de néoplasie endocrinienne multiple de type 2MEN-2) [6] et la neurofibromatose de type 1 (NF1) oualadie de von Recklinghausen [7]. Elle est exceptionnelle

hez l’adulte ; sa localisation est habituellement colique,

xceptionnellement appendiculaire [5]. Le diagnostic deanglioneuromatose est histologique [5,8]. Dans les formesntramuqueuses strictes, l’aspect est très voisin de celuibservé dans les névromes appendiculaires intramuqueux : ilst caractérisé par l’existence d’une prolifération localiséeu diffuse formée de cellules fusiformes à noyau onduleuxt à cytoplasme peu abondant, mêlées à des cellules gan-lionnaires typiques, mais en nombre variable (des coupesériées peuvent être utiles pour les mettre en évidence).es cellules fusiformes sont des cellules entérogliales donta nature peut être confirmée par une étude immunohisto-himique : elles expriment la protéine S100 et sont mêlées àes neurones dont les axones expriment les neurofilaments,a protéine PGP9.5 et la protéine Tau. Ces anomalies his-ologiques peuvent se développer en muqueuse plane ountraîner la formation de lésions pseudopolypoïdes. Elleseuvent s’associer avec des lésions situées plus profondé-ent dans la paroi digestive, notamment une hyperplasiees plexus nerveux de la sous-muqueuse et de la muscu-euse, voire l’apparition d’une hyperplasie nerveuse dans’adventice : l’association à ces lésions profondes définit laorme transmurale de la ganglioneuromatose [8]. Contrai-ement à ce qui est observé dans les ganglioneuromatosese l’enfant, où l’atteinte est habituellement transmuralet segmentaire et où elle touche constamment l’iléon,
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Pathologie de l’appendice. Cas no 8. Névrome muqueux

en association ou non avec le côlon, les formes de gan-glioneuromatose intestinale découvertes chez l’adulte sonthabituellement intramuqueuses, diffuses et leur expressionest uniquement colique (l’iléon est toujours respecté) [5].

Plusieurs diagnostics peuvent être écartés facilementdans le cas présenté ici. Le premier est celui de neurofibro-matose appendiculaire [9]. Les lésions de neurofibromatosedigestive sont caractérisées par une prolifération souventanarchique de filets nerveux hyperplasiques, de topogra-phie localisée ou diffuse, entraînant un épaississement dela paroi digestive. Cependant, à la différence des lésionsobservées dans le cas présenté ici, les lésions de neu-rofibromatose digestive atteignent préférentiellement lasous-muqueuse et la séreuse et respectent habituellementla muqueuse. Elles sont presque constamment associées àune NF1, mais des exemples apparemment isolés ont étédécrits, y compris dans l’appendice. La topographie deslésions et le contexte clinique permettent donc d’éliminercette hypothèse diagnostique.

Le caractère diffus et microscopique des lésions obser-vées ici permet d’éliminer facilement l’hypothèse d’unetumeur « mésenchymateuse » de localisation appendicu-laire : quelques cas de « neurofibrome », de « léiomyome »,de « schwannome » (même si ces diagnostics anciens méri-teraient d’être réévalués à la lumière des classificationsrécentes) et de GIST ont en effet été décrits dans cette loca-lisation. Si la lésion avait été nodulaire et/ou polypoïde, cesdiagnostics auraient dû être écartés.

Dans le cas présenté ici, le diagnostic peut donc se discu-ter entre névrome appendiculaire intramuqueux, névromecentral débutant, voire localisation appendiculaire de gan-glioneuromatose (en raison de la présence d’exceptionnellescellules ganglionnaires). Les différences histologiques entreces entités sont minimes. À l’analyse des données de lalittérature, il semble que l’utilisation du terme de ganglio-neuromatose, plutôt que de névrome intramuqueux, reposeessentiellement sur la démonstration de l’existence de cel-lules ganglionnaires mêlées à la prolifération de cellulesentérogliales et schwanniennes. Les techniques histolo-giques conventionnelles sont relativement peu sensibles

pour cette mise en évidence ; les techniques immunohis-tochimiques sont plus efficaces mais soulignent égalementle petit nombre de cellules ganglionnaires présentes danscertaines lésions, ce qui montre que le curseur entre gan-glioneuromatose et névrome intramuqueux est difficile àpositionner et qu’il vaut probablement mieux considérer cesdifférentes lésions comme appartenant à un même spectre.

Le terme d’appendicite neurogène (neurogenous appen-dicopathy) a été proposé pour rassembler dans un mêmecadre les lésions de ganglioneuromatose, de névrome intra-muqueux, de névrome central et d’appendicite oblitérantechronique [2]. Le problème est de déterminer s’il s’agitd’une authentique entité anatomoclinique ou de simpleslésions réactionnelles, secondaires à des épisodes inflam-matoires répétés et évoluant ensuite pour leur proprecompte. Le débat n’est pas tranché. La fréquence de ceslésions n’est cependant pas négligeable : dans une largesérie de 816 appendicectomies consécutives, Güller et al.[10] ont identifié 1,5 % de cas avec lésions de (ganglio)neuromatose intramuqueuse et 12,9 % de cas de névromescentraux/oblitérations fibreuses. Certains auteurs ont sou-tenu le concept que ces lésions d’appendicite neurogènepouvaient expliquer la survenue de syndromes douloureuxde type appendiculaire, même en l’absence de signesauthentiques d’appendicite aiguë à l’examen histologique,en raison de leur grande richesse en fibres nerveuses

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contenant de la substance P et d’autres neuromédiateurssusceptibles de déclencher des sensations douloureuses.Dans une série de plus de 240 appendicectomies, deslésions « neurogènes » ont ainsi été retrouvées dans 47 % despatients sans signes d’appendicite aiguë contre seulement3,7 % des cas avec signes histologiques d’appendicite aiguë[11].

Un autre intérêt des lésions d’appendicite neurogène estque les lésions oblitérantes tardives pourraient prédisposerà la survenue de tumeurs endocrines, selon le concept pro-posé initialement par Masson et repris ensuite par plusieursauteurs, en raison de l’hyperplasie endocrine habituelle-ment associée à ces lésions.

POINTS À RETENIR

Le névrome appendiculaire existe sous deux formes :intramuqueuse et centrale.

Il correspond à la prolifération de filets nerveuxhyperplasiques.

Il peut s’associer à des lésions de la sous-muqueuseressemblant à celles observées dans l’appendicitechronique oblitérante.

Il peut s’associer à des lésions épithélialesnéoplasiques de l’appendice.

Conflit d’intérêt

L’auteur n’a pas transmis de conflit d’intérêt.

Références

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J.-Y. Scoazec

11] Franke C, Gerharz CD, Böhner H, Ohmann C, Hey-drich G, Krämling HJ, et al. Neurogenic appendicopathy:a clinical disease entity? Int J Colorectal Dis 2002;17:185—91.