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20 PAYS DE NORMANDIE VIVRE ICI Patrimoine Dans le Pays de Caux, entre Le Havre, Yvetot et Rouen, vous aurez peut-être la chance en dressant l’oreille d’entendre un curieux « A tantôt ! » en guise de salutations ou un affectif « Boujou bien ! ». Le cauchois revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec la nouvelle génération. Rencontre avec Séverine Courard, docteur en sociolinguistique qui travaille sur ce dialecte depuis dix ans… LE CAUCHOIS a la cote ! TEXTE ET PHOTOS (SAUF MENTION CONTRAIRE) : SOPHIE HELOUARD Patrimoine linguistique 1 2

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Dans le Pays de Caux, entre Le Havre, Yvetot et Rouen, vous aurez peut-être la chance en dressant l’oreille d’entendre un curieux «  A tantôt  !  » en guise de salutations ou un aff ectif « Boujou bien ! ». Le cauchois revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec la nouvelle génération. Rencontre avec Séverine Courard, docteur en sociolinguistique qui travaille sur ce dialecte depuis dix ans…

LE CAUCHOIS a la cote !

TEXTE ET PHOTOS (SAUF MENTION CONTRAIRE) : SOPHIE HELOUARD

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Le cauchois

Séverine a traduit en cauchois le scénario d’Aux Champs, la nouvelle de Maupassant diffusée récemment sur France 2.

B oujou les bézots ! ». Le cauchois a un petit goût de nostalgie. Celle d’une grand-mère qui accueille ses petits-enfants avec des baisers qui claquent sur les joues. Des anciens qui se rassemblent sur la plage du village après l’offi ce religieux et

des kermesses municipales où les balançoires nous tournaient la tête. On le croyait démodé, passé et révolu. C’était sans compter sur la nouvelle génération qui s’est réappropriée ce dialecte. Aujourd’hui, dans les cours de récréation, les instituteurs vous avoueront qu’ils sur-prennent parfois un mot au détour d’un jeu. Et pas seulement dans les campagnes ! Assiste-t-on à un retour de ce parler local ? Ou le cauchois a-t-il fi nalement toujours survécu en fi ligrane et en arrière-plan  de la société ?

P’têt ben qu’ouiC’est en observant son jeune frère parler cauchois que Séverine Courard a eu l’idée de travailler sur le sujet. «  Je crois que pour lui, c’est une façon de créer un lien privilégié avec nos grands-parents. C’est aussi partager une identité commune, une culture ». La jeune femme s’est intéressée de très près à la question allant même jusqu’à soutenir une thèse universitaire : discours épilinguistique et représen-tations sociolinguistiques du cauchois.«  Quand j’étais à la fac, beaucoup d’étudiants qui préparaient le concours de professeur des écoles prenaient l’option Cauchois parce qu’ils avaient souvent plus de compétences dans ce dialecte qu’en anglais ! » se souvient la jeune femme en riant. « Le cauchois n’a jamais vraiment disparu. Il a juste sauté une génération ! Celle de nos parents. A l’époque, dans les années 50 et 60, il était très mal vu de parler cauchois. Cela faisait trop paysan. Dès qu’un élève avait le malheur de s’exprimer dans ce dialecte, il était tout de suite puni… »

P’têt ben qu’nonLe cauchois a en eff et longtemps souff ert d’apriori que Séverine se plaît aujourd’hui à combatt re. «  Pour d’aucuns, le cauchois est une déformation de la langue française. Or, c’est faux. Ce sont juste deux langues qui ont évolué diff éremment. Lorsqu’on me sollicite pour des interventions ponctuelles, j’essaie d’expliquer à mon auditoire l’évo-lution des langues. Par exemple, la « vacca » latine a donné vache en français et vaque en cauchois ». Forte de ses compétences de linguiste, la jeune femme a créé Tradu’Caux en 2009. Objectif : traduire tous les textes et manuscrits en français ou en cauchois et initier les jeunes à la langue. Mais att ention, loin d’elle l’idée de vouloir inscrire le cauchois au programme dans les écoles ! « Mon travail consiste plus à permett re aux enfants de dé-

A savoir En 1999, Bernard Cerquiglini, éminent linguiste, a recensé pas moins de 75 langues sur le territoire de la République : le normand apparaît dans la liste des langues d’oïl au même titre que le franc-comtois, le wallon, le picard, le poitevin-saintongeais, le bourguignon-morvandiau et le lorrain.

1 - Séverine a participé à la traduction d’une nouvelle de Maupassant diffusée sur France 2 il y a quelques mois.2 - La jeune femme a brillamment soutenu une thèse sur la sociolinguistique du cauchois en 2009.

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couvrir l’histoire de la langue, de leur faire comprendre d’où viennent les mots et d’éviter les écritures exotiques. Je travaille d’ailleurs actuellement sur l’écriture d’un imagier en cauchois ».

Du cauchois à toutes les saucesComme toute langue qui suit une évolution, certains mots sont voués à disparaître. «  Le vocabulaire cauchois est axé autour de l’univers de la mer et de la terre : les labours, etc. Il est donc de moins en moins utilisé. L’une de mes tâches est aussi de le réactualiser. Quand un mot n’existe pas - par exemple « ordina-teur » - j’essaie de le créer en cauchois en suivant les règles de la linguistique ». Pourtant, force est de constater que le cauchois a le vent en poupe. « A Rouen, les demandes pour apprendre la lan-gue sont de plus en plus nombreuses » confi rme Séverine. Hélas, il n’existe pas encore de méthode Assimil… La jeune femme est donc régulièrement sollicitée pour ses lumières  ! Récemment, dans le cadre de l’émission Un dîner presque parfait, un des candidats lui a demandé de traduire son menu en cauchois. Il y a quelques mois, elle a également participé à la traduction du scénario en cauchois d’Aux Champs, la nouvelle de Maupassant diff usée sur France 2. « Une des comédiennes m’a avoué que cela lui avait permis de se mett re le texte en bouche » confi e Séverine.Aujourd’hui, la jeune linguiste souhaite développer une activité de cartes postales en cauchois. Un petit clin d’œil pour les touristes. Cela marche bien chez les Ch’tis… pourquoi pas en Normandie !

Pratique Tradu’caux, 24b rue du Faubourg de Martainville, 76000 Rouen. Tél. : 06.34.51.60.28. www.traducaux.fr

1 et 2 - Les fêtes folkloriques sont autant d’occasion de véhiculer la culture normande et de parler cauchois.

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La cigale qu’a chantéPendant toute la messonSa pouquett e était videQuand qu’ch’est qu’l’hivé est arrivè.A n’avait pu piècheAl est allèye vèrCheu sa véseine la formi,Por y quémanderQueuques graines por avère à maquerPou tout l’hivé« Euj’ vos paierai qu’a li ditAvant la messonZ’intérêts pis eul capital. »La fourmi qu’est saff re à souE là san défaut.« Oyou que vos étiez quand quech’était la messon ?Qu’a dit à l’emprunteuse.La ni pis eul jou’Euj chantais, pis que ça vos plaise.Vos chantiez ? euj sieus ben cotenteEh ben, dansez asteu ».

La cigale et la fourmi… en cauchois !

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