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Acharnement ou nécessité ? PAUL RYAN ATTA Q QUE QUAND LE FISC Extrait de la publication

PAUL RYAN QUAND LE FISC ATTAQUE · 2018. 4. 13. · Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Ryan, Paul,

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  • Acharnement ou nécessité ?

    PAUL RYAN

    ATTAQUEATTAQUE

    QUAND LE

    FISC

    Extrait de la publication

  • Acharnement ou nécessité ?

    QUAND LE

    FISC ATTAQUE

    LES ÉDITIONS LA PRESSE

    PAUL RYAN

    Extrait de la publication

  • Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec et Bibliothèque et Archives CanadaRyan, Paul, 1960- Quand le fisc attaque : acharnement ou nécessité ? ISBN 978-2-89705-058-0 1. Fraude fiscale - Québec (Province) - Prévention. 2. Planification fiscale - Québec (Province). 3. Contribuables - Droits - Québec (Province). I. Titre.

    KEQ1006.T39R92 2012 345.714’02338 C2012-940306-7

    Directrice de l’édition : Martine Pelletier

    Éditeur délégué : Yves Bellefleur

    Conception de la couverture et mise en page : Pascal Simard

    Révision : Michèle Jean

    L’éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son programme d’édition et pour ses activités de promotion.

    L’éditeur remercie le gouvernement du Québec de l’aide financière accordéeà l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada parl’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

    © Les Éditions La PresseTOUS DROITS RÉSERVÉS

    Dépôt légal – 1er trimestre 2012ISBN 978-2-89705-058-0

    Les Éditions La Presse

    PrésidenteCaroline Jamet

    Les Éditions La Presse7, rue Saint-JacquesMontréal (Québec) H2Y 1K9

    Extrait de la publication

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens à remercier mon épouse, Martine Létourneau, mon ami de longue date, Christian Gohler, et mon éditeur, Yves Bellefleur, pour leur soutien et leurs précieux conseils tout au long de ce projet qui, sans eux, n’aurait jamais existé.

    Je remercie aussi tous mes collègues, de ce que nous appelons le « Groupe Ryan » au sein du cabinet Ravinsky Ryan Lemoine, qui ont contribué de manière importante à ce livre : Jean-François Poulin, Emmanuelle Campeau, Laurent Tessier, Jacinthe Kirouac-Letendre, Marie-Hélène Tremblay, Maxime Beauregard, Mathieu Angers et Ève Boulanger.

    Je remercie également tous les clients qui, depuis 30 ans, me donnent le privilège de les représenter dans leurs démêlés avec les autorités fiscales, en soulignant particulièrement ceux qui ont contribué à ce livre en acceptant que leur histoire soit racontée, avec bien entendu les adaptations requises pour protéger leur identité.

    Le mois de février rappelle avec émotion le départ de mes regrettés parents Madeleine Guay (1985) et Claude Ryan (2004). Je dédie donc ce livre à leur mémoire, avec toute mon affection et ma gratitude. J’ai beaucoup pensé à mon père tout au long du processus et au plaisir que j’aurais eu à discuter et réviser mon texte avec lui, pour qui l’expression écrite a toujours été un mode privilégié de communication, dans le respect absolu de la langue française qu’il maîtrisait si bien.

    Je dédie aussi ce livre à mes enfants, Thomas, Elizabeth et Nicolas, à mes petits-fils Ludovic et Félix, ainsi qu’à tous mes étudiants des HEC dont j’admire la ferveur et l’intégrité. J’espère bien modes-tement que ce livre contribuera à rendre meilleur le monde que nous leur laisserons, puisque l’avenir leur appartient.

    Paul Ryan

    Février 2012

    Extrait de la publication

  • SoMMaIRE

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    Chapitre 1 : L’ampleur de l’économie souterraine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    Chapitre 2 : Fiscalité 101 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Chapitre 3 : L’arsenal des autorités fiscales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Les pénalités civiles – Amendes et emprisonnement

    – Double imposition

    Chapitre 4 : Les principales stratégies de lutte contre l’évasion fiscale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Le programme de croisement des fichiers – La restauration

    – Le plan de retour à l’équilibre budgétaire

    Chapitre 5 : La TPS et la TVQ, à l’origine de tous les problèmes ? ....................................................................... 69 La construction – Le stratagème des factures de complaisance

    – Les agences de main-d’œuvre – La joaillerie et la bijouterie

    Chapitre 6 : Des cas vécus ...................................................................117 Chapitre 7 : « Faisons payer les riches ! » ............................................ 161 Chapitre 8 : Attention si votre conjoint est en affaires ! ................... 183

    Conclusion ..........................................................................................189

    Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • 7

    INTRoDUCTIoN

    « En ce monde, rien n’est certain, à part la mort et les impôts », a déjà dit Benjamin Franklin, un des pères fondateurs des États-Unis.

    La nature humaine étant ce qu’elle est, nous avons tendance à occulter ces sujets désagréables mais pourtant inévitables. Si nous réussissons tant bien que mal avec la mort, on ne peut en dire autant au sujet des impôts et de la fiscalité. Sujet autrefois lourd et technique réservé à une poignée de spécialistes, la fiscalité se retrouve régulièrement à la une de nos médias, soit pour faire état des interventions musclées des autorités fiscales ou encore pour traiter de l’économie souterraine et des secteurs de l’économie principalement touchés comme la construction, la restauration, la joaillerie et, plus récemment, les agences de main-d’œuvre.

    Que s’est-il passé ? Pourquoi ce nouvel engouement pour la fis-calité ? L’économie souterraine a-t-elle augmenté au point d’être devenue, comme en Italie, notre nouveau sport national ? La lutte contre l’économie souterraine est-elle le remède à tous les maux affligeant notre société ? En récupérant les pertes que l’État subit en raison de l’évasion fiscale, pourrons-nous enfin avoir des routes en bon état, un système de santé fiable et un système d’éducation à la hauteur de nos attentes ?

    Dans les circonstances, devons-nous donner une mission spéciale et des pouvoirs extraordinaires à nos autorités fiscales pour éradi-quer ce phénomène et nous assurer que, toutes proportions gar-dées, tous contribuent équitablement au financement des services gouvernementaux dont nous bénéficions ou, diront certains, dont nous devrions bénéficier ? Devons-nous fixer des limites aux pou-voirs des autorités fiscales ? Y a-t-il des risques d’abus si nous leur confions un large mandat pour procéder à une vaste campagne de répression de l’évasion fiscale ?

    Puisqu’il s’agit d’une question d’équité sociale, jusqu’où devraient aller les sanctions pour les contribuables qui se font prendre ? Des sanctions économiques (intérêts, pénalités, amendes) sont-elles suffisantes pour décourager les autres de s’engager dans la fraude

    Extrait de la publication

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    QUAND LE FISC ATTAQUE

    fiscale ? Ou au contraire, comme certains intervenants gouverne-mentaux commencent à l’avancer, faut-il envisager des sanctions plus sévères pour « passer le message » comme l’emprisonnement, la perte de certains privilèges sociaux (le permis de conduire, la carte d’assurance maladie, le passeport) ou encore la perte de certains droits d’affaires ou professionnels (les licences ou permis d’une entreprise ou le titre professionnel d’un individu) ?

    Autre question fort importante : qui est concerné ? L’évasion fis-cale est-elle l’apanage de quelques entreprises malhonnêtes ou touche-t-elle de manière beaucoup plus large l’ensemble des contribuables québécois ? Qui n’a pas offert à un commerçant ou à un petit entrepreneur de le payer en argent comptant pour éviter de payer la TPS et la TVQ ? On parle beaucoup de main-d’œuvre au noir mais au-delà des entreprises qui versent des salaires au noir, n’y a-t-il pas une multitude d’individus qui trouvent leur compte à être payés en liquide et à ainsi échapper à leurs obliga-tions fiscales ?

    Quelle est notre attitude comme société par rapport à l’économie au noir ? Sommes-nous solidaires à l’égard de notre devoir de contri-buer équitablement aux charges de l’État ? Ou, au contraire, notre niveau de confiance envers nos politiciens et nos institutions (et la manière dont ils dépensent notre argent) est-il tombé si bas que nous jugeons que l’évasion fiscale, tout au moins à petite échelle, n’est pas si immorale que ça, surtout pour les transactions à l’égard desquelles les chances de nous faire prendre sont minimes ?

    Dans la mesure où nous contribuons en très grand nombre à l’essor de l’économie souterraine, sommes-nous d’accord avec une vaste campagne de répression dans le cadre de laquelle ceux qui ont la malchance de se faire prendre sont pendus en effigie sur la place publique alors que les autres les regardent avec indifférence, en espérant ne pas être les prochains sur la liste ?

    Si, dans certains secteurs, l’évasion fiscale est attribuable à des problèmes d’industrie, devons-nous nous contenter de punir les coupables qui se font prendre ou, de manière plus large, ne devons-nous pas également prendre les mesures qui s’imposent pour traiter les problèmes sous-jacents ?

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    INTRODUCTION

    Quand un employeur se fait prendre à payer des employés au noir dans un secteur économique où cela est monnaie courante (au point que l’entrepreneur ne pourrait être compétitif sans payer au noir tout au moins une partie de sa main-d’œuvre), qui doit acquitter la facture au bout du compte ? Les employés concernés, s’ils peuvent être identifiés ? L’employeur, même si l’argent au noir ne s’est pas retrouvé dans ses poches ? L’employeur mérite-t-il une « tape sur les doigts » ou est-il acceptable que les sanctions puissent aller jusqu’à l’emprisonnement, la perte de ses privilèges sociaux et la fermeture de son entreprise ?

    Si le gouvernement se lance dans une vaste campagne de répres-sion fiscale pour contrer l’économie souterraine et éplucher en profondeur les activités des entreprises du Québec, au point d’émettre contre elles des avis de cotisation exagérément techniques pour des sommes considérables, sommes-nous concernés ? Nous contentons-nous de notre vieille mentalité qui nous dit de « faire payer les riches » ? Ou regardons-nous plutôt un peu plus loin que le bout de notre nez pour nous dire que si le gouvernement soutire des sommes exagérées aux entreprises, c’est nous, l’ensemble des Québécois, qui paierons ultimement la facture que les entreprises vi-sées n’auront pas le choix de nous refiler en augmentant leurs prix, en ayant moins de ressources disponibles pour créer des emplois et verser des salaires intéressants et, dans le pire des scénarios, en fai-sant le choix de s’établir ailleurs si le Québec en vient à se créer une réputation de terre hostile aux entreprises sur le plan fiscal ?

    Voilà beaucoup de questions pertinentes auxquelles il serait pré-tentieux de ma part d’affirmer connaître les réponses. Toute-fois, à titre d’avocat pratiquant depuis près de 30 ans dans le secteur du litige fiscal et représentant depuis toutes ces années des contribuables et des entreprises (les « malchanceux » qui se font prendre) dans leurs démêlés avec les autorités fiscales, je crois être en mesure, à l’aide d’expériences tirées de ma pra-tique, de dresser le portrait actuel des efforts déployés par nos gouvernements pour lutter contre l’évasion fiscale, identifier les forces, faiblesses et risques d’abus de ces interventions et désigner d’autres pistes de solution qui, au-delà de la simple répression fiscale, doivent aussi être envisagées si nous voulons avoir comme société la prétention de régler nos problèmes et de prendre nos affaires en main.

    Extrait de la publication

  • 10

    QUAND LE FISC ATTAQUE

    Bien que nous ayons la « chance », au Québec, d’être sous la sur-veillance de deux titulaires d’autorités fiscales (l’Agence du revenu du Canada – ARC – au fédéral et l’Agence du revenu du Québec qui a pris la relève de Revenu Québec depuis mai 2011 même si l’Agence continue à utiliser le nom de Revenu Québec que nous utiliserons dans cet ouvrage), vous noterez que j’accorderai beau-coup plus d’importance aux activités du gouvernement provincial, et ce, pour plusieurs raisons.

    D’abord, le Québec c’est chez nous et, dans la mesure où nous venons de voir que la fiscalité soulève des problèmes de société importants, il est nécessaire de les aborder dans une perspective principalement québécoise. Ensuite, et bien que cela ait suscité des réactions fort modestes dans la population, le gouvernement du Québec a annoncé au cours des dernières années une vaste série de mesures de lutte à l’évasion fiscale dont les plus récentes ont une portée très large et méritent une attention particulière. Contentons-nous d’affirmer pour l’instant que la « vaste campagne de répression fiscale » envisagée comme hypothèse dans les lignes qui précèdent n’est peut-être pas aussi loin de nous que nous pouvons le croire.

    À titre de simple aperçu, après avoir atteint un équilibre bud-gétaire précaire, le Québec est retombé en situation déficitaire, ce qui a donné naissance au Plan de retour à l’équilibre bud-gétaire (le PREB), par lequel notre gouvernement s’est engagé à restaurer l’équilibre d’ici l’exercice 2013-2014 en réduisant ses dépenses, mais également en augmentant ses recettes. Comme nous sommes déjà lourdement imposés, le gouvernement ne pou-vait se permettre d’augmenter les principaux taux d’imposition pour atteindre son objectif, à part la TVQ qui est passée de 7,5 % à 8,5 % en 2011 et à 9,5 % en 2012. Dans ce dernier cas, il faut toutefois noter qu’il ne s’agit pas d’une augmentation nette du far-deau fiscal des Québécois, le gouvernement du Québec ne faisant que « reprendre » les deux points de TPS abandonnés durant les années précédentes par le gouvernement fédéral, qui avait réduit son taux de TPS de 7 % à 5 %.

    À l’affût de nouvelles sources de revenus, le gouvernement du Québec s’est donc laissé tenter par le raisonnement facile suivant : selon les statistiques, chaque dollar de salaire versé par Revenu

    Extrait de la publication

  • 11

    INTRODUCTION

    Québec à ses vérificateurs rapporte environ 9 $ en recettes fis-cales; par conséquent, engageons plus de vérificateurs et nous récupérerons neuf fois chaque dollar ainsi dépensé ! Aussitôt dit aussitôt fait, le ministre des Finances annonçait en 2010 que de nouveaux objectifs de récupération fiscale avaient été fixés à Re-venu Québec, au-delà des 2 milliards récupérés bon an mal an.

    Devant le succès apparent du programme (nous reviendrons sur cette question, contentons-nous pour l’instant de mentionner que les distinctions appropriées ne semblent pas toujours être faites entre, d’une part, les montants facturés et cotisés par Revenu Qué-bec et, d’autre part, les montants effectivement perçus et récu-pérés par le gouvernement), ces objectifs, qui étaient d’environ 300 millions par année pour les deux premières années, ont été augmentés pour maintenant s’élever à 705 millions pour 2011-2012, 1,075 milliard pour 2012-13 et 1,4 milliard pour 2013-2014 (cette dernière somme représente un rendement demandé supé-rieur de 70 % à la performance annuelle moyenne de Revenu Québec avant l’entrée en vigueur du programme !).

    Beaucoup, dont votre humble serviteur, pensent que ces mesures sont trop ambitieuses et que la masse critique des entreprises du Québec n’est pas assez grande et assez solide économiquement pour subir une telle ponction fiscale. Par sur-croît, les sommes mentionnées ne représentent que le volet pro-vincial des cotisations à percevoir, de sorte qu’il faut presque en doubler l’impact pour tenir compte des cotisations fédérales similaires que l’Agence du revenu du Canada ne manquera pas de réclamer après avoir reçu copie des avis de cotisation pro-duits par Revenu Québec.

    De même, s’ils veulent aspirer à réaliser des objectifs d’une telle ampleur, les vérificateurs de Revenu Québec, qui effec-tuent déjà un travail extrêmement difficile dans des conditions souvent pénibles, ne pourront se contenter de lutter contre la véritable évasion fiscale, objectif fort noble en soi, et pour-raient malheureusement se sentir sous pression d’utiliser toutes les « technicalités » possibles pour établir une réclamation aux entreprises qu’ils vérifient, comme en témoigne l’extrait suivant d’une lettre anonyme que m’adressait l’an dernier un vérifica-teur de Revenu Québec :

    Extrait de la publication

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    QUAND LE FISC ATTAQUE

    « Les vérificateurs de la DGE (la Direction générale des entre-prises, responsable de vérifier les entreprises du Québec) n’en peuvent plus des méthodes très discutables que (le vérificateur nomme ici un cadre de Revenu Québec qui a depuis quitté ses fonctions) utilise pour cotiser les entreprises. Son seul but est de faire paraître des chiffres de récupération qui pour la plupart n’en sont pas. Il y a des cotisations en taxes pour des opérations fictives qui dans les coffres de l’État ne rapportent absolument rien mais qui dans les résultats figurant à la DGE laissent voir des belles statistiques. Ce qui est remboursé aux entreprises est camouflé afin de ne pas entacher les résultats de la DGE… »

    Comme nous le verrons au moyen d’exemples concrets, plusieurs entreprises sont déjà à bout de souffle après les deux premières années du programme durant lesquelles l’objectif annuel n’était que de 300 millions ! De plus, bien que Revenu Québec ait an-noncé avoir atteint son objectif de « récupération », on constate à l’analyse qu’il s’agit non pas de montants effectivement perçus, mais plutôt de montants facturés et que les débiteurs et mauvaises créances de l’État ont connu une croissance parallèle.

    Voilà donc beaucoup de matière à examiner en détail, mais, avant d’y arriver, cernons d’abord l’ampleur du marché noir au Québec.

  • 13

    CHaPITRE 1 L’ampleur de l’économie souterraine De prime abord, l’ampleur de l’économie souterraine n’est pas facile à chiffrer, puisqu’il s’agit d’une activité illégale et que ceux y participant prennent tous les moyens à leur disposition pour dissimuler à l’État les résultats qu’ils en tirent.

    Il faut donc s’en remettre aux économistes qui disposent de di-verses méthodes pour tenter de cerner le phénomène, en rap-pelant toutefois que l’économie souterraine se divise en deux catégories principales :

    • les revenus non déclarés provenant de l’exploitation d’activités légitimes;

    • les revenus non déclarés provenant d’activités illégales comme le trafic de drogue, le blanchiment d’argent ou le proxénétisme.

    En avril 2005, le ministère des Finances du Québec publiait un do-cument intitulé L’évasion fiscale au Québec dans lequel il évaluait l’ampleur de l’évasion fiscale en 2002, en s’appuyant notamment sur les travaux de divers économistes effectués à ce sujet depuis le début des années 80.

    L’avantage de la plupart de ces travaux est qu’ils expriment la taille de l’économie souterraine sous forme d’un pour-centage du produit intérieur brut (PIB), de sorte que les résultats obtenus peuvent être actualisés en appliquant ces pourcentages au PIB actuel du Québec, qui est d’environ 300 milliards.

    Le tableau de la page 14, qui apparaît dans le document d’avril 2005 du ministère québécois des Finances, résume les principales études effectuées à l’échelle du Canada :

  • 14

    QUAND LE FISC ATTAQUE

    Estimations les plus récentes de l’économie au noir pour le Canada

    Années visées

    Économie souterraine en % du PIB

    1. Approches macroéconomiques

    Berger (1986) 1981 Entre 2,8 % et 3,3 %

    Drummond et al. (1193) 1993 4,5 %

    Gervais (1994) 1992 De 2,7 % à 5,2 %

    Mirus et al. (1994) Méthode de Gutman Transaction monétaire

    19901984

    27,6 %23,9 %

    Spiro (1994) 1993 Entre 8 % et 11 %

    MFQ (1996) 1994 4,2 % (Québec)

    Schneider (2000) 1998 15 %

    Schneider et Enste (2000) 1996-97 14,9 %

    Giles et Tedds (2002) 1976-95 15,6 %

    2. Approches microéconomiques

    Fortin et al. (1992) 1992 3,0 % (Québec)

    Pinard, sous la supervision de Fortin et Lacroix (2005)

    1997-02 5,7 % (Québec)

    Source : QUÉBEC, ministère des Finances, Études économiques, fiscales et budgétaires / Finances Québec, Le Secteur de la politique budgétaire et de l’économique, ISSN 1715-2682, « L’évasion fiscale au Québec », 22 avril 2005.

    Bien que ce tableau révèle à première vue des disparités impor-tantes, on remarque que les études effectuées strictement au Québec situent entre 3 % et 5,7 % du PIB du Québec la taille de l’économie souterraine au Québec.

    En tenant compte de ces données et d’études additionnelles qu’il a effectuées pour décomposer l’économie souterraine en plu-sieurs secteurs d’activités économiques, le ministère des Finances retient dans son rapport de 2005 que la taille de l’économie sou-terraine au Québec, en excluant les activités purement illégales, était d’environ 4 % du PIB, ce qui représentait à l’échelle de 2002 des revenus dissimulés de l’ordre de 9,7 milliards.

    Extrait de la publication

  • 15

    L’AMPLEUR DE L’ÉCONOMIE SOUTERRAINE

    Après avoir effectué des calculs complexes, le Ministère détermine ensuite dans son étude que les pertes fiscales pour le Québec, dé-coulant de la dissimulation de revenus de l’ordre de 9,7 milliards, sont de 2,5 milliards, ce qui représente un peu moins de 25 % des revenus non déclarés. Il est à noter que ce montant de 2,5 mil-liards représente les pertes pour le Québec seulement et que nous pouvons donc estimer des pertes additionnelles semblables pour le gouvernement canadien à l’égard de l’économie souterraine au Québec. Par conséquent, pour simplifier, on peut présumer que chaque dollar non déclaré entraîne des pertes de 25 % pour chaque ordre de gouvernement en recettes fiscales diverses.

    En appliquant le même taux de 4 % au PIB du Québec d’envi-ron 300 milliards en 2010, on arrive à une économie souterraine, excluant les activités purement illégales, d’environ 12 milliards, ce qui représenterait donc des pertes au Québec d’environ 3 mil-liards par année pour le gouvernement provincial et de 3 milliards par année pour le gouvernement fédéral !

    Les revenus non déclarés découlant des activités purement illé-gales sont évidemment plus difficiles à évaluer, mais le document publié en avril 2005 par le ministère des Finances suggère d’assu-mer qu’elles pourraient représenter environ 1 % du PIB, auquel cas des pertes fiscales additionnelles de 750 millions par ordre de gouvernement s’ajouteraient aux pertes fiscales mentionnées ci-haut !

    En juin 2011, Statistique Canada a publié une nouvelle étude inti-tulée Estimation de l’économie souterraine au Canada, 1992 à 2008. Cette étude a le désavantage de ne pas contenir de données spécifiques pour le Québec, mais l’avantage de fournir des don-nées encore plus fraîches puisqu’elle s’étend jusqu’en 2008.

    Dans cette étude, toujours en excluant les activités illicites, la taille de l’économie souterraine au Canada en 2008 est évaluée à 36 milliards. En considérant que le Québec représente entre 20 % et 25 % de cette activité (en ajoutant une petite prime pour notre sang latin qui nous incite peut-être à courir un peu plus de risques que nos amis du reste du Canada !), la taille de l’économie souter-raine au Québec en 2008, selon l’évaluation de Statistique Canada, varierait entre 7 et 9 milliards. Aux fins de cet ouvrage, nous pré-

    Extrait de la publication

  • 16

    QUAND LE FISC ATTAQUE

    sumons donc que la taille de l’économie souterraine au Québec, en 2011, se situe probablement entre 9 et 12 milliards et que les pertes fiscales annuelles résultant de l’économie souterraine au Québec, pour chaque ordre de gouvernement, varient entre 2,5 et 3 milliards par année.

    L’étude 2005 du ministère des Finances du Québec est également intéressante sur le plan de la répartition qui est faite de l’esti-mation de l’économie souterraine entre divers secteurs d’activités économiques. Ainsi, toujours en référence à l’année 2002, cette étude révèle qu’à peine quelques secteurs de l’économie, pour lesquels l’évasion fiscale est estimée à plus de 10 % des activités, représentent à eux seuls près de 85 % des pertes fiscales subies par le Québec en raison de l’économie souterraine, comme en fait foi l’extrait suivant d’un tableau publié dans l’étude précitée :

    L’économie au noir et les pertes fiscales par secteur d’activité – Québec 2002(en millions de dollars)

    Éléments de la demande Taux d’évasion en %

    Activités au noir

    Pertes fiscales

    Activités au noir importantes (taux d’évasion égal ou supérieur à 10 %)

    - Construction incluant la rénovation 14,0 3 094 872

    - Restauration* 16,2 1 273 303

    - Boissons alcooliques 16,8 854 294

    - Produits du tabac 10,1 216 118

    - Services personnels divers** 15,4 808 188

    - Entretien de véhicules, incluant les pièces

    20,0 568 155

    - Autres 18,6 963 224

    Sous-total 7 777 2 153

    En pourcentage du PIB 3,2

  • 17

    L’AMPLEUR DE L’ÉCONOMIE SOUTERRAINE

    Activités au noir faibles (taux d’évasion inférieur à 10 %)

    - Aliments et boissons non alcoolisées 3,0 449 65

    - Autres biens et services achetés par les consommateurs

    1,6 1 494 319

    - Dépenses gouvernementales, exportations et autres éléments

    0,0 0 0

    Sous-total 1 943 384

    En pourcentage du PIB 0,8

    TOTAL 9 720 2 537

    En pourcentage du PIB 4,0

    * Excluant les boissons alcooliques. De plus, le PIB associé à la demande des ménages en restauration a été redressé afin de prendre également en compte l’ensemble des dépenses en restauration, incluant par exemple celles des entre-prises.

    ** Incluent notamment les services domestiques, de conciergerie, de coiffure et de taxi.

    De nouvelles préoccupations naissent inévitablement en essayant de transposer ces données pour l’année 2011, puisque les der-nières années ont vu naître des fraudes fiscales importantes dans d’autres secteurs que ceux répertoriés dans cette liste, notamment le secteur de la bijouterie et de la joaillerie (pertes fiscales, en matière de TVQ seulement, estimées à plus de 150 millions de dollars par Revenu Québec dans un communiqué de presse paru le 9 juin 20111) et les agences de main-d’œuvre, de sorte qu’il y a lieu de penser que les évaluations faites en 2005 sont possible-ment modérées et susceptibles d’augmenter une fois qu’il sera tenu compte de ces secteurs additionnels. D’ailleurs, dans ses dis-cours plus récents, le ministre des Finances du Québec, M. Ray-mond Bachand, estime à 3,5 milliards les pertes annuelles subies par l’État en raison de l’évasion fiscale.

    Enfin, un dernier aspect intéressant de l’étude du ministère des Finances est celui où il tente d’établir un lien entre l’évasion fiscale

    1 Agence du revenu du Québec, « Enquête majeure de Revenu Québec sur deux réseaux dans le secteur de l’or » (9 juin 2011).

    Extrait de la publication

  • 18

    QUAND LE FISC ATTAQUE

    et la taille des entreprises impliquées. Cet exercice permet au Ministère de conclure que le taux d’évasion fiscale est beaucoup plus élevé dans les petites entreprises que dans celles de grande taille.

    En effet, en utilisant des statistiques résultant des vérifications faites par Revenu Québec en matière de TPS et de TVQ, le minis-tère des Finances remarque que le risque d’évasion fiscale est trois fois moins élevé que la moyenne dans les grandes entreprises tandis qu’il est cinq fois supérieur à la moyenne pour les petites entreprises (à cette fin, les petites entreprises sont considérées comme étant celles dont les revenus annuels sont inférieurs à 2 millions et comptant moins de 3 millions de dollars d’actifs, si elles sont dans le secteur manufacturier).

    La faute à la TPS et à la TVQ !

    En raison de la popularité du concept de travailleur autonome, les Québécois en entreprise sont plus nombreux que jamais et dans la mesure où les études économiques révèlent que les pe-tites entreprises sont les plus susceptibles de commettre de l’éva-sion fiscale, on peut facilement avancer que Monsieur et Madame Tout-le-Monde sont impliqués dans le phénomène d’une manière ou d’une autre.

    En effet, il est possible de participer à l’économie souterraine à deux niveaux : soit en percevant des revenus qui ne sont pas dé-clarés au fisc, soit en payant pour des dépenses en argent comp-tant et en évitant de payer les taxes applicables comme la TPS, la TVQ ou encore l’impôt sur le tabac.

    Plusieurs facteurs sont souvent invoqués par les contribuables pour justifier leur participation à l’économie souterraine, notamment :

    • leur manque de confiance envers le gouvernement et la manière dont il dépense leur argent;

    • le fardeau fiscal généralement très élevé au Canada lorsqu’on tient compte de l’impôt sur le revenu, des taxes et des contri-butions sociales;

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  • Acharnement ou nécessité ?

    QUAND LE

    FISC ATTAQUEConstruction, restauration, bijouterie, agences de main-d’œuvre2: l’évasion fiscale est au centre de l’actualité quotidienne. Mais l’artillerie lourde déployée par nos gouvernements pour lutter contre ce fléau indispose tant les particuliers que les entreprises, déjà très taxés : les gou-vernements abusent-ils des vastes pouvoirs qui leur sont conférés par nos lois fiscales ? L’auteur décortique en termes simples et à l’aide d’exemples pratiques les principaux stratagèmes d’évasion fiscale. Il évalue les moyens mis en place par le fisc pour lutter contre ce phénomène, signale les injustices en ayant découlé et propose des mesures pour y remédier, de sorte que chaque contribuable québécois paye sa juste part des dépenses publiques et que l’État parvienne à une plus grande équité fiscale.

    « Nous, notre travail, c’est de cotiser et on cotise ! »

    L’auteurMe Paul Ryan pratique le droit fiscal chez Ravinsky Ryan Lemoine et représente depuis 30 ans les contribuables dans leurs démêlés avec le fisc. Il siège au sein de divers comités, donne de nom- breuses conférences et publie pour diverses organisations. Il enseigne à l’École des hautes études commerciales de Montréal dans le cadre du programme de maîtrise en droit, option fiscalité.

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    RemerciementsSommaireIntroductionL’ampleur de l’économie souterraine