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Paysages, terroirs et vins , in Le corps, le vin & les images, Martine Joly & HubertCahuzac, dir., LHarmattan, MEI n23, 15p., 2005.
Paysages, terroirs, et icnes du vin
Jacques FontanilleUniversit de Limoges
Institut Universitaire de France
IntroductionL'univers conceptuel et smiotique du vin est compos de plusieurs smiotiques-objets
o le visible occupe une part utile ou dominante : des objets, comme la bouteille, des images
et des inscriptions, sur l'tiquette, le vin lui-mme, ainsi que tous les textes descriptifs,
persuasifs ou dissuasifs que contiennent les guides et les rubriques spcialiss ; mais on y
rencontre aussi des parties du monde naturel, comme le paysage, ou encore des pratiques o le
visible se mle inextricablement aux autres modes smiotiques du sensible, comme la
dgustation, ou mme le voyage touristique dans les vignobles.Mais ces smiotiques-objets forment un rseau structur, en ce sens que le passage
de l'une l'autre est rgl par des usages, et parfois mme prvu dans la conception et la
dfinition de chacune d'elles. Nous avons donc affaire non pas une nbuleuse livre au
hasard des intersections ralises dans des discours o des conjonctures particulires, mais
une vritable macro-smiotique organise, que proposons dappeler un univers
smiotique .
A 2km du chteau de Malrom, le chteau de Cappes veillesur un vignoble de 20ha,
dont les vendanges de merlot et de cabernet-sauvignon, assembls parts gales, ontproduit ce bordeaux rouge profond, au bouquet naissant de fleur de vigne et de
violette. La bouche ample laisse encore percevoir un rempart de tannins, avant de
sachever dans la gamme pice. Une bouteille qui trouvera son lgance aprs une
garde de cinq ans.
(Notice Chteau de Cappes 2000 , Le guide Hachette des vins 2003, p. 183,
soulign par nous.)
Puisque l'homognit d'une telle macro-smiotique repose l'vidence sur la
possibilit de ces "passages" d'une composante l'autre (dans lexemple cit, ce passage
est une mtonymie, entre le chteau et les tannins), elle comporte ncessairement de multiples
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conversions, et quelques principes qui les rendent possibles. Entre toutes ces smiotiques-
objets dont le motif commun est le vin, on suppose donc un ensemble de rgles de traductions
inter-smiotiques, dont la description est faire, et dont peut nanmoins dj signaler
quelques phases critiques. Par exemple, entre les composants plastiques et figuratifs du
paysage, d'une part, et les proprits gustatives et symboliques du vin, d'autre part, une tierce
configuration semble servir de mdiation : on l'appelle le terroir . Le paysage est de l'ordre
du visible, du moins titre de dominante ; le vin est de l'ordre du gustatif, de l'olfactif et du
visible, selon les phases de la saisie ; le terroir, apparemment, ne comporterait aucune de ces
dimensions sensorielles (ce qui reste discuter), et obirait un tout autre principe. Pourtant,
c'est bien le troisime qui permet de transfrer les proprits du premier au second, aprs
conversion bien sr. Autre exemple : entre le vin et l'tiquette, se joue l'identit du premier,
ainsi que la crdibilit de la seconde, notamment par l'intermdiaire d'une autre smiotique-
objet, une pratique poly-sensorielle et syncrtique, la dgustation ; poly-sensorielle , parce
qu'elle fait appel au got, l'odorat et la vue ; syncrtique , parce qu'elle donne lieu une
verbalisation concomitante et une identification du vin ; et c'est de cette identification qu'on
retrouve les principaux lments sur l'tiquette.
L'objectif de cette tude est donc de saisir une partie (l'essentiel, si possible) de ces
traductions inter-smiotiques, o les phnomnes et les processus poly-sensoriels jouent un
rle dcisif. Pour fixer un cadre terminologique, on pourrait distinguer deux types d'inter-
smioticit : (1) l'inter-smioticit paradigmatique, appele plus couramment syncrtisme ,
et (2) l'inter-smioticit syntagmatique, que l'on pourrait dnommer paralllement et par
nologisme, diacrtisme . C'est du second type qu'il est question ici, puisque nous
recherchons des formes et des rgles de conversions syntaxiques, de traductions entre
smiotiques-objets diffrentes. Mais le premier type n'est pas exclu pour autant, puisque, par
exemple, le paysage peut tre convoqu sur l'tiquette, et le terroir, invoqu au cours de la
dgustation. Nous avons donc affaire, dans le cas de l'univers smiotique du vin, une
configuration inter-smiotique, o les relations inter-smiotiques jouent la fois sur l'axe
paradigmatique et sur l'axe syntagmatique, la fois comme syncrtismes et comme squence
de conversions.
Quelques lments thoriques
1. La syntaxe figurative et la stabilisation iconique
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Dans ce que nous pourrions considrer maintenant comme une chane ou un rseau de
conversions inter-smiotiques, il est globalement question d'une identit smiotique, celle du
vin. Mais il s'agit au dpart d'une figure matrielle, dont l'usage est pour l'essentiel destin
procurer une gamme de sensations. En outre, comme on l'a dj suggr, cette mme identit,
et le processus de reconnaissance qui l'accompagne, se retrouvent en d'autres figures, d'une
toute autre nature : des images, des inscriptions notamment, et mme des descriptions
verbales.
Ce ne serait donc pas la meilleure manire de procder que celle qui consisterait
partir des diffrents canaux de rception de ces diverses smiotiques-objets, et des identits
qu'elles vhiculent. En cela, elles se distinguent en effet de manire irrductible : les unes
visuelles, les autres gustatives, d'autres enfin, verbales.
En revanche, si on suppose qu'elles reconfigurent une identit stable et toujours
reconnaissable, on doit aussi supposer que quelque chose perdure dans ces transformations :
ce quelque chose est un certain syntagme de la syntaxe figurative, ce syntagme tant lui-
mme constitutif de l'identit. Ce que nous appelons syntaxe figurative est une squence
smiotique, indpendante des canaux sensoriels de rception, ainsi que des modes smiotiques
de l'expression, et qui rsulte de la reconfiguration smiotique d'une exprience.
Cette syntaxe forme ainsi parfois des motifs suffisamment stables pour rester
reconnaissables travers tous les modes d'expression. Il en est ainsi, par exemple, des
onomatopes: entre le bruit d'un craquement dans le monde naturel, la chane phontique qui
le traduit dans une langue donne (/krak/), et le traitement graphique et plastique de la
typographie qui l'inscrit dans une vignette d'une bande dessine, voire dans le bruitage qui
l'imite sur la bande-son d'une squence filmique, un mme motif reste reconnaissable, celui,
justement, du craquement . L'exemple est peut-tre trop simple, mais il permet de
poursuivre le raisonnement sans surcharge inutile. En effet, dans ce cas, et malgr quelques
apparences, la permanence de la forme smiotique ne tient pas la ressemblance entre toutes
ces figures ; au contraire, c'est la permanence d'un certain motif de la syntaxe figurative qui
produit un effet de ressemblance. On sait bien qu'une multitude de bruits diffrents peuvent
correspondre une seule onomatope l'oral, ou la mme forme graphique dans une bande
dessine, et que, inversement, le mme bruit peut correspondre, dans des langues diffrentes,
des segments phontiques diffrents, et, sous des crayons et pour des dessinateurs diffrents,
des figures graphiques dissemblables.
La permanence serait ici, plus prcisment, celle d'un certain rapport, d'un certain typed'interactions entre des matires et des nergies, entre des substances et des forces. Dans le
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cas de l'onomatope, l'identification d'un motif permanent et commun toutes les
manifestations smiotiques n'empche pas qu'en chacune de ces manifestations, les matires
et les forces soient diffrentes : objet physique autonome, et force physique extrieure dans un
cas ; parties musculaires et membranes des organes phonatoires, et nergie articulatoire dans
un autre ; support et instrument d'inscription, et contrle gestuel, dans le dernier cas. Les
substances changent, les modes d'expression et les canaux de rception aussi, mais le mme
rapport et les mmes proprits des interactions entre matires et nergies se retrouvent.
La caractrisation de ce rapport n'est pas chose aise, car mme si la reconnaissance
du motif est intuitive et apparemment immdiate, sa caractrisation est obligatoirement
formelle, au sens strict, puisqu'elle doit tre indpendante des substances. Pour ce qui
concerne le craquement , le schme figuratif consiste en la propagation d'une force de
sparation, travers une matire, propagation qui est la fois globalement linaire et
discontinue : les caractres linaire et discontinu se combattent et tendent se neutraliser
rciproquement, puisque le premier exprime l'intensit de la force de sparation, et le second,
celle de la rsistance de la matire ; en somme, la matire rsiste localement et par -coups,
mais cde globalement.
Le travail du smioticien consiste donc identifier ces proprits, puisque ce sont elles
qui conditionnent la reconnaissance, et qui forment l'identit de la figure. Ces motifs de la
syntaxe figurative, obtenus partir de certains tats identifiables des interactions entre
matires et nergies, sont au sens strict des icnes, en ce sens qu'ils rsultent d'un processus de
stabilisation de formes, qu'ils sont reconnaissables, et qu'ils sont identiques eux-mmes aux
cours des transformations qu'ils subissent. Il en est de mme, tout comme pour les
onomatopes, pour les icnes visuelles en gnral, une fois qu'on admet que les motifs de la
syntaxe figurative restent stables, mme si les substances changent ; dans le cas du visible,
bien sr, les matires sont des volumes, des lignes, des textures et des reliefs, notamment, et
l'nergie, de la lumire.
Il reste dterminer dans quelles conditions se forment de tels motifs. En d'autres
termes, comment, parmi toutes les interactions possibles entre matires et nergies, ou plus
spcifiquement, entre matires, objets, textures et lumires, seules certaines peuvent tre
stabilises et reconnues ? Pour ce qui me concerne, cette question ne peut recevoir,
actuellement, de rponse de principe, universelle ou gnrale. Les seules rponses que
j'entrevois sont issues de travaux pars et d'tudes empiriques et concrtes dont la synthse
reste faire, mais partir desquelles on peut nanmoins envisager une prudente
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gnralisation ; ces tudes empiriques concernent des textes verbaux, des films, des annonces-
presse, et des objets du quotidien.
Les rsultats susceptibles d'une ventuelle gnralisation sont de trois types, et
complmentaires ; il s'agit : (1) des modalits du rapport entre matires et nergie, (2) du type
d'association poly-sensorielle, et (3) du marquage thymique.
Pour ce qui concerne le rapport entre matires et nergie, il est surtout question des
rles actantiels, des aspects et du tempo des procs ; la modalit du rapport prend alors la
forme d'une figure dynamique, qui exprime l'tat d'une confrontation entre la force qui
s'applique et la force qui lui rsiste ou qui compose avec elle.
Chez Baudelaire, par exemple, dans Les fleurs du mal, lnonciation vise tout
particulirement le rapport entre le liquide et la lumire : la lumire peut tre voile et
partiellement masque et filtre par le liquide (eau, larmes ou brumes) ; elle peut tre
immerge et lave dans le liquide ; elle peut enfin se reflter la surface du liquide qui la
renvoie. A chacune de ces figures correspondent des motifs syntaxiques diffrents : selon le
cas, la lumire est la source active ou la cible du procs, la matire peut tre un simple
obstacle-contrle ou un oprateur ; paralllement, le tempo du procs varie : ralenti dans la
figure de la lumire voile, arrt dans le cas de la lumire immerge, il s'acclre
brusquement avec la figure du reflet.
De mme, dans la dgustation du vin, on guettera les quilibres (et dsquilibres) entre
la force alcoolique, d'une part, et les paisseurs et la complexit des matires, d'autre part, la
premire pouvant tour tour neutraliser ou accentuer les secondes, comme dans ce
commentaire :
Doux et crmeux, les tannins contribuent la saveur et la rondeur du palais, tout en
apportant beaucoup de force. Parfaite, leur extraction tmoigne dun grand savoir-
faire.
(Notice Chteau Saint-Robert 2000, Le guide Hachette des vins 2003, p. 313)
Ou encore, dans le paysage, on s'intressera aux diffrentes ractions des objets, des
habitants et des vgtaux la force du vent, o l'effet de la gravitation, pour peu que ce
dernier soit accentu ou libr par des reliefs marqus ou par des ruptures abruptes.
Pour ce qui concerne le type d'associations poly-sensorielles, il dcoule du point
prcdent : ds lors qu'une interaction entre matire et nergie devient stable et saillante dans
un procs (un texte, une image, une pratique...), elle appelle des associations sensorielles
spcifiques. Par exemple, chez Baudelaire, l'olfaction est convoque par la lumire voile,
alors que les jeux de reflets sollicitent des harmonies auditives. Pour le vin, selon l'quilibre
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saisi et identifi, pourront tre convoques des associations visuelles (par exemple, l'clat),
thermiques (la fracheur), sensori-motrices (la vivacit) ou tactiles (le rpeux et le lisse), etc.
Lorsque le narrateur dA la recherche du temps perdusuit des yeux, dans un tableau d'Elstir,
le chemin sur lequel avancent des promeneurs, il s'inquite brusquement de le voir
interrompu: surplombant un abme, et sans prolongement visible, il rend possible la chute et la
disparition des promeneurs ; il suscite ainsi une raction proprioceptive, l'angoisse de la chute,
qui, en de mme des composantes thymiques et affectives, exprime l'apparition d'une
composante sensori-motrice dans la syntaxe figurative du visible.
Enfin, les deux prcdentes proprits, (i) la modalit particulire du rapport entre
matire et nergie, et (ii) l'association poly-sensorielle, sont lies et solidarises en un seul
motif iconique (iii) grce une projection thymique, un effet proprioceptif qui servira de
sous-bassement pour une axiologie, et qui est en mme temps la signature somatico-sensible
de la reconnaissance de l'icne.
2. Les corps-actants
Si on parvient stabiliser et identifier des figures et des motifs d'une syntaxe qui
repose sur des confrontations entre matires et nergie, c'est que, d'un certain point de vue, on
reconnat ces matires-substrats la proprit d'animation, et que, corrlativement, on est en
mesure dattribuer aux motifs ainsi stabiliss, des rles dans la rgulation de la confrontation
en question. On assiste en somme l'actantialisation du procs figuratif.
Par exemple, c'est bien dans l'interaction entre la lumire et la matire que se forment
les rles d'obstacleou desource, dans ce que nous pourrions appeler la syntaxe de l'clairage;
ou encore, pour les mmes raisons, c'est dans le processus de diffusion olfactive dans les
diffrents corps et lments matriels que se forme le rle de l'effluveou de larme, comme
vhicule arien de l'odeur.
Ds lors, ces figures matrielles dotes d'un rle dans la syntaxe figurative pourront
tre considres comme des corps-actants : nous entendons donc par l des figures-corps,
c'est--dire conjuguant matire et nergie, dotes d'un rle dans le procs figuratif. Le corps-
actant, rappelons-le, rsulte d'un processus d'iconisation qui le rend reconnaissable, et il faut
alors rendre compte des proprits (morphologiques et sensibles) qui le font reconnatre
comme tel. Cette nouvelle perspective consiste, on le voit, non seulement, comme ci-dessus,
en l'observation des conditions de stabilisation et d'iconisation d'une combinaison poly-
sensorielle, mais en outre, du point de vue de la rception, dans la recherche de critres
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figuratifs de reconnaissance des corps-actants. Tout l'heure, la rponse ne pouvait tre
qu'empirique et provisoire ; mais maintenant, sur ce point prcis, elle peut tre plus
fermement fonde et dduite.
De fait il nous faut trouver les proprits qui permettraient un motif de la syntaxe
figurative de manifester son double statut de figure-corps, donc de structure matrielle, et
d'actant, et donc de structure anime et intentionnelle, notamment dans ses relations avec les
autres figures-corps appartenant son environnement. Il nous faut donc identifier une
proprit figurative qui soit le signe de cette activit intentionnelle d'une structure matrielle
qui interagit avec d'autres structures matrielles. Cette proprit (ou ce formant de la figure,
comme on voudra) est l'existence d'une limite ou frontire pluri-fonctionnelle, une enveloppe.
En effet la structure matrielle est, par constitution, dynamique : elle compose des
matires et des forces, et l'enveloppe est, par dfinition, le lieu de la confrontation et de la
rgulation entre les forces extrieures et les forces intrieures (celles qui, tout l'heure, par
exemple, opposaient leur rsistance aux forces extrieures). Le lieu mme de la structure
matrielle o se produisent ces changes, ces confrontations et ces rgulations est l'enveloppe
elle-mme. L'enveloppe des corps-actants, en son principe, n'est rien d'autre : un lieu critique
o changent, se confrontent et se rgulent des forces propres et des forces non-propres. Je me
suis efforc de montrer ailleurs que ces interactions peuvent tre dcrites et spcifies, ce qui
constitue un nouveau pas en avant dans la comprhension des processus d'iconisation des
combinaisons poly-sensorielles. On peut ainsi aboutir une typologie des enveloppes, ou du
moins de leurs fonctions figuratives, une typologie en partie inspire de la typologie des
fonctions et des signifiants formels du Moi-peau selon Didier Anzieu, mais plus gnrale
que cette dernire.
Pour rsumer, et ne conserver que ce qui nous sera ncessaire dans la suite de l'tude,
il existe trois fonctions principales (ou proprits typiques combinables ) : (i) une dirige
du non-propre vers le propre , (ii) une consacre aux changes entre le propre et le
non-propre , et (iii) une enfin dirige du propre vers le non-propre .
La premire est la fonction de contenance-maintenance, par laquelle l'enveloppe
retient, contient et maintient la forme des matires et des forces propres : en cela, elle rsiste
aux forces extrieures, mais aussi aux tendances qui, de l'intrieur, tendraient annuler
l'autonomie de la structure propre.
La seconde est la fonction de filtre et de tri, par laquelle l'enveloppe rgule les
franchissements dans les deux sens, en slectionnant ce qui, du propre , peut passer
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l'extrieur, et, du non-propre , peut passer l'intrieur, et ce, sans modifier l'identit de la
structure, c'est--dire, de fait, sans dtruire l'icne.
La troisime fonction est celle de surface d'inscription, grce laquelle l'enveloppe
peut communiquer avec l'extrieur, notamment en ce qui concerne l'tat de la structure propre,
mais comme cet tat du propre rsulte lui-mme de l'ensemble des interactions
antrieures, et mme, probablement, par anticipation, de la prparation des interactions
ultrieures, on peut alors en conclure que l'enveloppe est la matrialisation de la dimension
temporelle des corps-actants, et tout particulirement de leur mmoire ; les inscriptions sur
l'enveloppe sont donc la fois des empreintes, souvenirs de confrontations antrieures, et des
annonces, propositions pour des confrontations ultrieures.
Munis de ces quelques positions et propositions sur la syntaxe figurative et les corps-
actants, nous pouvons maintenant aborder les conversions smiotiques propres l'univers du
vin.
Le paysage, le terroir et le vin
1. Le paysage
Un paysage se constitue comme smiotique-objet par la runion d'un plan de
l'expression et d'un plan du contenu. Le plan de l'expression nous est fourni par l'exprienceque nous faisons d'un segment du monde naturel, saisi dans notre champ perceptif : un
ensemble de proprits poly-sensorielles dynamiques. o se conjuguent des lments visuels,
auditifs, olfactifs, tactiles et sensori-moteurs. Le plan du contenu est constitu par l'ensemble
des processus naturels, culturels et conomiques dont le paysage est le rsultat : une multitude
de couches temporelles et de procs superposs, vitesses fort diffrentes, une stratification
de devenirs incommensurables (entre autres : le devenir gologique, le devenir
dmographique, le devenir agricole et industriel, etc.), et qui, pourtant, apparaissent, une fois
saisis dans les limites d'un mme champ perceptif, comme solidaires et interactifs. Cet
ensemble, du point de vue spatio-temporel, est au sens strict une conjoncture , c'est--dire
une intersection entre des parcours thmatiquement et temporellement htrognes, mais
qui, une fois saisis en leur concours, fonctionnent comme une structure narrative et une
composition figurative unique.
La rencontre entre les deux plans consiste en un embrayage de l'espace et du temps
existentiels du paysage (ce qui devient le plan du contenu) sur l'espace et le moment de
l'exprience perceptive qu'il nous procure. Mais cet embrayage est seulement partiel et
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occasionnel, car le paysage est toujours peru dans son devenir, comme dbordant de l'instant
de sa saisie. La saisie poly-sensorielle du paysage est de ce fait un instantan , un arrt
instable et provisoire par rapport aux couches temporelles qui continuent l'emporter au-del
de cet instant o il s'offre nous. Entrer dans le paysage, accder son contenu et ses
valeurs, c'est donc traverser le voile des apparences sensibles pour rencontrer ce qui s'y donne
apparatre. A la diffrence de la photographie qui, elle aussi, comme le rappelait Barthes,
renvoie un ayant t qui dborde le seul moment de la saisie sensible, cet instantan du
paysage n'est pas dtachable du monde dont il mane ; il reste solidaire de la permanence et
des devenirs existentiels du lieu.
Cette particularit a une incidence remarquable sur la manire dont nous construisons
le plan de l'expression, et par consquent dans le mode de lecture dominant du paysage. Ici et
maintenant, nous ne pouvons reconstituer les processus physiques et historiques, sauf sortir
d'une saisie smiotique, et faire appel, la manire dU. Eco, une encyclopdie
extrieure. Mais, en revanche, nous pouvons configurer l'exprience immdiate de manire
ce qu'elle nous en procure un scnario actuel plausible, qui quivaudrait en quelque sorte,
dans le moment de l'exprience sensible, aux grands processus de la gense existentielle du
lieu et de ses formes.
Ainsi voyons-nous littralement la montagne se dresser devant nous (et non pas
descendre ), ou la valle, s'largir ou se resserrer : les formes du paysage sont saisies dans
l'exprience poly-sensorielle comme des motifs dynamiques d'une syntaxe figurative, comme
des interactions iconises entre matires et forces, dgageant ainsi des figures typiques qui
permettent, au moment de l'embrayage, de garantir l'homologation entre d'une part les
proprits qui mergent de l'exprience immdiate, et, d'autre part, les processus gntiques et
temporels du plan du contenu.
Cette procdure particulire, apparemment spcifique du paysage, est pourtant de
porte trs gnrale, car elle assure ici ce qu'on dsigne plus gnralement comme
l' isomorphisme entre le plan de l'expression et celui du contenu.
2. Le terroir
En tant que rsultat des processus temporels de sa gense, le paysage est, du ct du
contenu en devenir, un pays , un lieu d'accueil pour tous les parcours producteurs et
destructeurs, et notamment pour tous les parcours figuratifs actuels. Le paysage, en tant que
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smiotique-objet, rsulte de la conversion de ces parcours en motifs dynamiques instantans,
constitutifs de l'exprience sensible qu'il nous procure.
Mais il existe une autre manire de convertir ces processus producteurs et ces parcours
figuratifs : un dbrayage sur des objets, des acteurs et des figures en gnral qui, dtachables
et en partie autonomes, pourront tre saisis en dehors de l'exprience immdiate qui
caractrise le paysage proprement dit. Une intonation dans une voix, le grain ou la texture
particuliers d'une cramique, la couleur et les saveurs d'un vin, sont elles aussi des inflexions
sensibles qui sont imposes l'exprience de ces objets, et qui rsultent elles aussi de
multiples conversions partir des divers processus producteurs et des parcours figuratifs
typiques d'un pays. Car les parcours et devenirs d'un pays ne produisent pas que des motifs
dynamiques instantans, destination de l'exprience immdiate ; ils produisent aussi des
traits figuratifs susceptibles d'tre dbrays, de sortir des limites du champ perceptif
immdiat, et de sattacher des "figures nomades", comme le vin, les hommes, et les objets
culturels.
La question que nous nous efforons de traiter forme donc un triangle conceptuel : le
pays, le paysageet le terroir, car cette autre procdure de conversion, mdiateet distale, et
qui produit des empreintes dtachables, a un nom, c'est le terroir .
Du ct du plan de lexpression, le terroir synthtise l'ensemble des proprits
sensibles que l'on peut identifier dans les figures nomades issues d'un mme pays, et qui sont
interprtables comme les traces de cette origine. Il les synthtise au sens, trs prcisment,
o nous avons dfini l'iconisation : par associations poly-sensorielles entre la vue, l'ouie, le
got et l'odorat, par la stabilisation de certaines interactions matires / nergie (un sol, une
voix, un vin peuvent tre galement "rocailleux", par exemple), et par projection thymique sur
le rsultat de ces combinaisons. Ds lors, travers les proprits de ces diverses figures
nomades, on peut percevoir en profondeur l'animation originelle des matires-substrats, et les
corps-actants typiques du pays.
Par consquent, du ct du plan du contenu, nous avons affaire aux mmes devenirs
disparates ou pourtant cohrents, aux mmes couches temporelles htrognes que pour le
paysage.
Certes, dans lunivers du vin, la notion de terroir viticole est plus spcifique,
puisquelle dsigne le plus souvent une zone prcise de culture et de production. Mais,
comme elle regroupe des donnes multiples : le cpage, le sol, le climat, lorientation, le
relief, sans compter des facteurs humains, culturels et conomiques, elle obit au mmeprincipe de composition que le paysage, la diffrence que, dans ce cas, les valeurs qui
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composent le terroir ne peuvent tre reconnues qu travers les objets qui en sortent, et, ici,
travers les proprits sensibles du vin quil produit, et non par une observation directe des
lieux.
Le paysage et le terroir sont donc deux configurations smiotiques proches parentes et
pourtant diffrentes, la fois complmentaires et opposes. Ce sont, de fait, les deux facettes
smiotiques de la production iconique partir d'un pays ; on passe du pays au paysage par
embrayage, en une plonge dans l'exprience immdiate, au cours de laquelle les processus
constitutifs du pays seront convertis et reconnus comme des motifs dynamiques instantans de
la composante plastique et figurative ; on passe du pays au terroir par dbrayage, et en
adoptant la mdiation d'objets et acteurs que nous avons appels des figures nomades , et
proposs pour des expriences distales.
Dans ce deuxime cas, les motifs de la syntaxe figurative doivent tre reconnus lors
d'expriences diffres et dcontextualises, ce qui leur procure toujours le caractre d'une
reconnaissance nigmatique, d'un dj vu rassurant ou inquitant (en tous cas, mouvant) ;
la distance et la dcontextualisation imposent une charge cognitive supplmentaire, un
parcours reconstituer, et un plaisir qui est la mesure de la profondeur parcourir.
En ce sens, on pourrait dire que le terroir est au paysage ce que l'crit est l'oral. Cette
similitude smiotique n'est pas sans consquences, puisque toute reconstitution du terroir,
comme toute lecture de l'crit, procde par dchiffrement d'empreintes, les traces smiotiques
et sensibles laisses par le pays dans les figures nomades qui se sont spares de lui : la voix
et son intonation, le vin et ses matires, la cramique et sa texture. Mais la similitude est plus
profonde : Ricur a beaucoup insist, dans ses rflexions sur les rapports entre hermneutique
et smiotique, sur le fait que la question de la comprhension et de la pr-comprhension ne
se posait certes pas exclusivement l'crit, mais que nanmoins elle y prenait un tour
particulirement problmatique. En effet, une fois dbraye et coupe des conditions spatio-
temporelles de son laboration et de sa production, toute smiotique-objet pose un problme
smiotique nouveau : rien ne prouve en effet que l'ensemble analys est signifiant en soi, et
plus prcisment intentionnel, et il y a alors, explicitement ou implicitement, dans toute
analyse de ce type, un processus de reconstruction d'une instance nonciative trangre et
hypothtique, laquelle on puisse imputer la signification qu'on s'efforce de reconstituer, sous
la forme d'une intentionnalit assume . Dans le cas qui nous occupe, c'est par la mdiation
du terroir qu'on cherche atteindre cette intentionnalit assume .
Dans l'univers smiotique du vin, par consquent, nous venons de mettre en place unepremire grande structure de conversion inter-smiotique, entre pays et paysage, et entre pays
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et terroir. Encore faudrait-il comprendre ce qui se passe sur le troisime ct du triangle, entre
paysage et terroir.
L'hypothse gnrale concernant l'identit des motifs iconiques forms partir de la
syntaxe figurative fournit un premier lment de rponse : dans des substances diffrentes, les
produits et figures nomades du terroir, d'une part, et les formes dynamiques du paysage,
d'autre part, expriment les mmes types d'interactions entre matires et nergies. Mais, au-
del de cette position de principe gnrale, et en dehors du cas particulier du voyage
touristique, qui tend rduire nant l'cart entre les deux configurations, comment peuvent-
elles coexister, comment peut-on passer de l'une l'autre ?
Techniquement, la solution est pourtant notre porte, sans effort considrable. Il
s'agit de deux versions du mme nonc, voire du mme procs et du mme motif syntaxique,
l'un tant embray et l'autre dbray. La solution consiste, techniquement, en un embrayage
nonciatif, grce auquel, l'intrieur de l'nonc dbray, il y aura mention ou citation de
l'nonc embray ; cette opration installe dans l'nonc dbray un simulacre de l'autre
nonc, comme c'est le cas, par exemple, quand on insre un dialogue l'intrieur d'un
segment narratif dbray.
Cette solution techniquement simple permet pourtant de comprendre comment le
produit du terroir, que ce soit par le biais de sa description, par celui de son conditionnement
matriel et commercial, ou par celui de son usage (et donc, ventuellement, de sa
dgustation), peut exercer un pouvoir d'vocation du paysage : il s'agit tout simplement de
l'embotement, grce un embrayage nonciatif, du simulacre de l'exprience immdiate du
paysage, l'intrieur de l'exprience distale et mdiatise du terroir. Cette procdure est
particulirement productive puisque, sur diffrents supports et avec diffrents moyens
d'expression, on rencontre dans l'univers du vin de multiples avatars de ces simulacres de
paysages : en photos en couleurs sur des dpliants publicitaires, en dessin stylis sur certaines
tiquettes, quand ce n'est pas sous forme d'images-souvenirs dans les reprsentations que
suscite la dgustation.
Reste, pour finir, prciser le rapport entre le terroir et le vin lui-mme, entre le
principe de mdiation, dun ct, et lobjet, la figure nomade qui en porte les empreintes, de
lautre. Cet aspect du rseau smiotique nous renvoie la question de l iconisation du
vin, la formation dune image de corps-actant autonome et reconnaissable. Observons
par exemple cette vocation du terroir du Pomerol :
Comme tous les grands terroirs, celui de Pomerol est n du travail dune rivire,lIsle, qui a commenc par dmanteler la table calcaire pour y dposer en dsordre
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des nappes de cailloux, que sest charge de travailler lrosion. () La complexit
des terrains semble inextricable : toutefois, il est possible de distinguer quatre grands
ensembles ( ).
Cette diversit nempche pas les pomerol de prsenter une analogie de structure.
Trs bouquets, ils allient la rondeur et la souplesse une relle puissance
(Introduction au chapitre Pomerol,Le guide Hachette des vins2003, p. 235)
La complexit inextricable des sols (constitutifs du pays ) dbouche pourtant sur le
dgagement de quatre terroirs identifiables : premire conversion, premire formation
iconique. Et la division en quatre terroirs diffrents dbouche elle-mme, nanmoins, sur une
icne unique du vin de lappellation, dont la description compose les lments canoniques
permettant didentifier un corps-actant : des matires (souplesse), des effets denveloppe
(rondeur) et des forces (puissance) : deuxime conversion, deuxime formation iconique. Le
cas est exemplaire du problme qui nous intresse ici : les conversions smiotiques ne
supportent pas de relations de causalit ; au contraire, pour autant quon puisse tre tent de
projeter des liens de causalit entre les conditions matrielles et le terroir, puis entre le terroir
et le vin, les procdures de conversion smiotiques que nous observons nous en
dissuaderaient, car elles introduisent entre chaque phase une solution de continuit et un
principe de reconfiguration typiquement smiotiques, qui signalent une activit de gnration
et/ou dinterprtation du sens de ltape prcdente par ltape suivante. Car entre chacune
des phases, se reconstruit, grce lexprience sensible de proprits figuratives, un nouveau
lien entre expression et contenu.
Le flacon, l'ivresse ...et l'tiquette
1. Flacon et tiquette
A l'autre ple de cet univers smiotique, on assiste la transformation d'une chose
en un actant-objet . L'actant en question a une structure matrielle (le liquide) et une
enveloppe double (le flacon et l'tiquette), qui fait interface entre le produit et l'usager.
Tout d'abord, une interface-objet (le flacon), o l'enveloppe joue clairement dans le
registre de la contenanceet du maintien: elle procure la structure matrielle une forme, une
limite, une consistance et une maniabilit. La maniabilit, proprit modale, invite nuancer
le propos : le flacon est aussi une interface-sujet, tourne vers l'usage, la fois modalise et
modalisante (pouvoir-faire), et ce, de manire plus ou moins ergonomique. Mais, outre cette
double programmation, l'une tourne vers la structure matrielle et l'autre tourne vers le
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procs de l'usage (saisir, ouvrir, verser), le flacon est aussi, dans sa forme mme, une figure
du terroir. On reconnat l une proprit gnrale des enveloppes smiotiques, dont la forme
(l'eidos) rsulte de l'activit interne et des proprits de la structure matrielle, et nonce
destination de l'usager l'identit de cette structure matrielle assume, en mme temps qu'elle
la contient et la contraint. Cela ne signifie pas pour autant que la forme de la bouteille est
motive par les particularits sensorielles ou figuratives du vin ; elle est seulement une des
figures du terroir, et elle manifeste en tant que telle globalement toutes les proprits
stabilises et iconises qui font l'identit de son contenu.
Ensuite, une interface-sujet, l'tiquette. A cet gard, l'enveloppe joue tout aussi
clairement dans le registre de la surface d'inscription. L'tiquette reoit en fait une srie de
traits d'identit conventionnels qui sont supposs traduire (dans le sens d'une dsignation
rigide et slective) les proprits stabilises lors de la formation iconique du produit. De
mme que le visage individuel d'une personne peut tre rduit son identit lgale (nom,
prnom, date de naissance, adresse,...), l'icne d'un vin peut tre rduite son identit
conventionnelle (producteur, appellation, millsime,...).
Par consquent, la conversion qui conduit de l'identit iconique du vin en tant que
produit d'un processus matriel et smiotique la fois, aux mentions inscrites sur l'tiquette,
est un processus rhtorique et conventionnel relativement simple, qui consiste, par une
mtonymie et une synecdoque, fournir des coordonnes spatio-temporelles et actorielles
l'icne matrielle et perceptive que le flacon contient.
Mais il ne faut pas oublier que, somme toute, ces coordonnes sont aussi celles du
paysage, du pays et du terroir, et que, cet gard, elles sont aussi constantes que le motif
iconique qui permet de reconnatre le vin en dgustation. Nous avons ici affaire une
procdure typique, quoique rductrice, de la mise en discours d'une figure considre comme
stable et permanente, et laquelle on attribue de manire rigide un nom d'acteur, un moment
et un lieu. Mais, d'un autre point de vue, l'ensemble forme un motif smiotique et rhtorique
strotyp : le motif syntagmatique de la syntaxe figurative d'un ct (le contenu ?), et
l'ensemble des inscriptions identitaires de l'autre (celui de l'expression ?).
2. La dgustation
Replace dans cet ensemble qui s'ordonne peu peu sous nos yeux, la dgustation va
jouer deux rles complmentaires qui, certains gards, pourraient se confondre en un seul :
(1) la reconstitution de l'icne en acte, grce une exprience sensorielle optimise, et (2) la
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substitution d'une identification argumente, descriptive et motive, une identification rigide
et rhtorique.
En effet, en reconstituant les proprits gustatives du vin, on s'efforce, dans une
certaine pratique de la dgustation, de retrouver l'identit conventionnelle du produit, tout
comme on s'efforcerait de retrouver un nom et un prnom en reconnaissant un visage. La
verbalisation, requise ou facultative, et le cadre cognitif (faut-il reconnatre ou deviner ?) sont
de peu d'importance, puisque globalement le processus reste identique, et qu'il consiste
motiver l'identit conventionnelle partir des proprits sensibles dont on fait l'exprience.
Mais, pour cela, il faut bien que cette exprience dgage le ou les motifs iconiques
d'une syntaxe figurative, comme, par exemple, le caractre astringent ou doux, rpeux ou
fluide, pais ou lger, pour atteindre finalement le corps-actant stable et dsormais
reconnaissable. Cette exprience adopte une forme smiotique typique du got : le corps
percevant se transforme alors en corps-creux , ouvre un espace intrieur dont les
diffrentes matires sensibles ont pour fonction de transformer des informations tactiles (a
brle, a pique, a gratte, a coule,...) en prdicats gustatifs. Un prdicat gustatif est un
motif syntagmatique de la syntaxe figurative, compos au moins d'une action (par exemple :
rper, rendre amer, rafrachir,), d'un lieu (le palais, la langue, la gorge,...), d'un moment
aspectuel (l'attaque, la tenue, la longueur,...), et enfin d'un acteur principal (l'alcool, les
tannins,...).
Le dploiement de ces prdicats gustatifs peut mme parfois atteindre, sur le principe
que nous avons dj dfini, l'vocation du paysage lui-mme, travers la reconstitution du
terroir (l'intensit de l'ensoleillement, l'importance des pluies et des roses, la hauteur des
cultures, la nature des sols,...) ; cet gard, la figure la plus frquente est lvocation du
raisin :
Pamplemousse et brioches veillent dagrables souvenirs aromatiques, tandis que le
kirsch, la pche blanche et lananas parfaitement mr unissent leurs flaveurs dans unensemble harmonieux, ample, gras et si riche quil laisse la sensation de croquer
le raisin.
(Notice Chteau Haut-Brion 2000 ,Le guide Hachette des vins2003, p. 318)
La syntaxe figurative que nous avons dfinie plus haut se retrouve ici dans sa forme
canonique : (1) des associations poly-sensorielles prfrentielles (armes et saveurs, fondus
en flaveurs ), et (2) une composition ( union ) qui stabilise des rapports entre matires
( gras ) et puissance de dploiement ( ample ) ; cest seulement partir du moment o le
motif syntaxique est stabilis et complet que lvocation de lorigine (le raisin) est possible.
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La dgustation devient alors, sous ces conditions, une activit smiotique de
reconnaissance de figures dans le vaste rseau de conversions inter-smiotiques que nous
avons maintenant tiss. Elle exprime en outre une des proprits structurelles spcifiques de
ce rseau : en chacune des smiotiques-objets qui le composent, il est possible, grce aux
rgles de conversion et aux liens de convocation rciproque quil comporte, daccder aux
autres smiotiques-objets. Ainsi, partir de la dgustation, peut-on convoquer et voquer le
paysage, le terroir, ltiquette, au-del mme de la gamme rituelle des figures de fruits et de
matires diverses qui servent la description des sensations. De mme, ltiquette et la
bouteille voquent-elles, leur tour, le vin, le terroir et le pays.