Pépin - Les Temps Et Le Mythe

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  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    1/14

    LE TEMPS

    ET LE MYTHE

    i

    La

    solidarite

    du

    mythe

    et

    du

    temps

    Plotin

    a

    bien

    montre comment le

    mythe,

    de

    par

    sa

    nature,

    intro

    duit necessairement

    le

    temps

    dans des

    domaines

    qui,

    en

    realite,

    ne

    le

    comportent

    pas,

    et

    donne

    pour

    successifs des

    etres

    qui

    n'ont

    d'ordre

    que

    celui de leur

    dignite

    :

    ?

    Les

    mythes,

    s'ils

    sont

    vraiment

    des

    mythes,

    doivent

    separer

    dans le

    temps

    les

    circonstances

    du

    recit,

    et

    distinguer

    bien

    souvent

    les

    uns

    des

    autres

    des

    ?tres

    qui

    sont

    confondus

    et

    ne se

    distinguent

    que

    par

    leur

    rang

    ou

    par

    leurs

    puissances

    ?

    (i).

    Cette

    con

    statation

    est moins

    ?

    curieuse

    ?

    qu'on

    ne

    l'a dit

    (2);

    elle

    ne

    fait

    qu'en

    registrer

    la

    nature

    discursive

    du

    mythe

    comme

    recit,

    et

    l'opposer

    au

    caractere

    supra-temporel

    de

    la

    procession

    des

    hypostases.

    Aussi

    bien,

    on

    la

    retrouve

    en

    substance

    sous

    la

    plume

    d'un

    contemporain de

    l'em

    pereur

    Julien,

    Sallustius,

    qui,

    apres

    une

    interpretation

    philosophique

    du

    mythe

    de

    Cybele

    et

    d'Attis,

    ecrit

    :

    ?

    Ces

    choses

    n'ont

    pas

    eu

    lieu

    a

    un

    moment

    quelconque,

    elles

    existent

    toujours

    :

    l'intellect

    voit tout

    l'ensemble

    d'une

    seule

    vue,

    c'est

    le

    discours

    qui

    etablit

    une

    succession

    d'evenements

    premiers

    et

    seconds

    ?

    (3).

    Quand

    il

    ecrit

    la

    phrase qui

    vient

    d'etre

    citee,

    Plotin

    a

    en vue

    le

    mythe platonicien de la naissance d'firos (Banquet, 203 a sq.), dont il

    a

    longuement

    traite

    dans les

    pages

    qui

    precedent.

    C'est

    done

    en

    con

    tinuant

    de

    penser

    a

    ce

    mythe qu'il

    poursuit

    :

    ?

    Car

    les

    discours

    font

    naitre des etres

    qui

    n'ont

    pas

    ete

    engendres,

    et ils

    separent

    des

    etres

    qui

    n'existent

    qu'ensemble

    ?

    (4).

    Mais il

    est clair

    que

    ces

    reflexions

    (1)

    Enn.

    Ill, 5,

    9,

    24-26,

    6d.

    Henry-Schwyzer,

    p.

    332;

    trad.

    Brehier,

    p.

    86.

    (2)

    Brehier,

    trad,

    cit?e,

    p.

    86,

    n. 1.

    (3)

    De dis et

    mundo,

    4,

    9,

    trad. Festugiere

    (Trots

    divots

    patens,

    Paris,

    1944,

    III

    :

    Sallustius,

    Des

    Dieux

    et

    du

    Monde),

    p.

    25.

    (4)

    Enn.

    Ill,

    5,

    9,

    26-28,

    p.

    332

    ;

    je

    m'^carte

    16gerement

    de

    la

    traduction

    Brehier,

    p.

    86,

    qui

    entend

    Xoyoi

    comme

    les

    ?

    raisonnements

    ?

    de

    Platon

    par

    opposition

    a

    ses

    mythes

    ;

    or,

    tout

    indique qu'il

    continue

    de

    s'agir

    des

    mythes

    platoniciens,

    qui

    sont

    par

    excellence

    des

    X6yoi

    au

    sens

    de

    ?

    discours

    ?,

    comme

    le

    dit

    Sallustius dans le

    texte

    qui

    vient d'etre

    rappele.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    2/14

    56

    LES

    &TUDES

    PHILOSOPHIQUES

    sont

    applicables

    a

    tous

    les

    mythes,

    et

    au

    premier

    chef

    a

    celui

    qui

    ra

    conte

    la

    naissance

    du

    monde

    dans

    le

    Timee. On

    sait

    que

    l'interpreta

    tion du mythe cosmogonique du Timee a fait couler beaucoup d'encre

    dans

    l'Antiquite;

    chacun

    se

    rendait

    compte

    que

    Platon

    avait

    assigne

    au

    monde

    un

    commencement

    temporel;

    mais

    etait-ce

    la

    l'expression

    de la

    verite

    ontologique?

    Ou

    bien

    etait-ce

    simplement

    une

    fagon

    de

    parler

    exigee

    par

    le

    mythe,

    qui

    est

    contraint

    d'etaler

    dans le

    temps

    des

    evenements

    qui,

    en

    realite,

    ont

    eu

    lieu

    hors du

    temps?

    Les

    deux

    interpretations

    ont

    eu

    leurs defenseurs

    :

    la

    premiere,

    qui prend

    le

    mythe a la lettre et tient que Platon a veritablement cru a la genera

    tion

    temporelle

    de

    l'univers,

    eut la faveur

    d'Aristote,

    de

    l'ecole

    epi

    curienne,

    de

    Plutarque,

    d'Atticus,

    et

    de

    la

    plupart

    des auteurs

    Chre

    tiens

    ;

    la

    seconde,

    qui

    exclut

    le

    temps

    de la

    cosmogonie

    platonicienne

    et met toutes

    les affirmations

    pouvant

    faire croire

    le

    contraire

    sur

    le

    compte

    du

    ?

    genre

    litteraire

    ?

    mythique,

    fut celle

    de

    l'ancienne

    Aca

    demie

    (Xenocrate

    disait

    que

    Platon

    avait

    ainsi

    parle

    uniquement

    St?aoxaXCa

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    3/14

    J.

    PEPIN

    ?

    TEMPS

    ET

    MYTHE

    57

    mentalement

    des notions

    enchevetrees,

    le

    mythe

    a

    tout naturellement

    son

    role;

    a

    Fusager

    de

    se

    rappeler

    que

    ce

    pouvoir

    separateur

    n'est

    qu'un

    artifice

    qui

    n'altfere en rien la simultaneity du reel : ?L'ame de

    Funivers

    merite

    sans

    doute

    d'etre

    consideree

    la

    premiere,

    ou

    plutot

    il

    est

    necessaire

    de

    commencer

    par

    elle.

    Mais

    il

    faut

    bien

    penser

    que,

    si

    nous concevons

    cette

    ame

    comme

    entrant

    dans

    un

    corps

    et

    comme

    venant

    Fanimer,

    c'est

    dans

    un

    but

    d'enseignement

    et

    pour

    eclaircir

    notre

    pensee

    (MaoxaXtas

    xal

    too

    oacpou;

    x^ptv);

    car,

    a

    aucun

    moment,

    cet univers

    n'a

    ete

    sans

    ame;

    a

    aucun

    moment,

    son

    corps

    n'a

    existe

    en

    F

    absence

    de

    Fame,

    et

    il

    n'y

    a

    jamais

    eu

    reellement

    de

    matiere

    pri

    vee

    d'ordre;

    mais il

    est

    possible

    de

    concevoir

    ces

    termes,

    Fame

    et le

    corps,

    la

    matiere

    et

    Fordre,

    en

    les

    separant

    Fun

    de

    Fautre

    par

    la

    pen

    see

    ;

    il est

    permis

    d'isoler

    par

    la

    pensee

    et

    par

    la

    reflexion les elements

    de tout

    compose

    ?

    (i).

    Pour

    user

    correctement de

    Finstrument

    my

    thique,

    il

    faudra

    done

    resserrer

    la

    distension

    temporelle

    qu'il

    opkre

    pour

    notre

    benefice, recomposer

    en

    6piou

    ce

    qu'il

    a

    decompose

    en

    7rp6

    Tepov

    et

    floTepov

    ?

    Mais,

    apres

    nous

    avoir

    instruits

    comme

    des

    mythes

    peuvent

    instruire,

    ils

    nous

    laissent

    la

    liberte,

    si

    nous

    les

    avons

    com

    pris,

    de reunir

    leurs

    donnees

    eparses

    ?

    (2).

    Le

    mythe

    etale,

    selon la succession du

    discours,

    des

    realites

    simul

    tanees;

    il

    prete

    un

    commencement

    a

    Funivers

    eternel;

    il

    parle

    a

    l'im

    parfait

    quand

    la

    verite

    demanderait

    l'aoriste;

    il

    permet

    d'apprendre

    et d'enseigner parce qu'il decompose les difficultes, mais

    sous

    reserve

    de

    restituer

    Funicite

    complexe

    du

    reel:

    autant

    de

    fagons

    concourantes

    d'affirmer

    que

    le

    temps

    est

    inseparable

    du

    mythe.

    II

    LE

    MYTHE

    ET

    LE TYPE

    Ces

    analyses

    de Plotin

    (qui

    peut

    etre

    regarde,

    de ce

    point

    de vue,

    comme

    le

    representant

    de toute

    la

    tradition

    grecque)

    semblent

    au

    pre

    mier

    abord

    heurter

    des

    idees

    communement

    admises. On

    a

    souvent

    tente,

    en

    effet,

    de

    situer

    au

    plus

    juste Fopposition

    fondamentale

    que

    Fon

    discerne

    entre

    la

    fagon

    dont

    FAntiquite

    paienne

    interpretait

    ses

    mythes

    et

    Fexegese figuree

    a

    laquelle

    les

    Chretiens

    des

    premiers

    siecles

    soumettaient

    FAncien

    Testament.

    Or,

    voici

    ou

    Fon

    pergoit

    en

    gene

    ral la distinction la

    plus

    tranchee :

    chaque

    fois

    que

    les

    Grecs

    paiens

    soupgonnent

    dans les

    mythes

    un

    enseignement

    theorique,

    il

    s'agit

    de

    (1)

    Enn.

    IV,

    3,

    9,

    12-20,

    p.

    25;

    trad.,

    p.

    75.

    (2)

    Enn.

    Ill,

    5,

    9,

    28-29,

    p.

    332

    ;

    trad.,

    p.

    86.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    4/14

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    5/14

    J.

    P&PIN

    ?

    TEMPS

    ET MYTHE

    59

    degage

    des

    mythes

    une

    signification

    sur

    laquelle

    le

    temps

    n'a

    pas

    de

    prise,

    et

    Finterpretation

    typologique, qui

    decouvre

    dans FAncien

    Tes

    tament la prefiguration d'une histoire a venir.

    On

    voit

    clairement

    duquel

    de

    ces

    deux

    c6tes

    se

    situe

    la

    prise

    en

    consideration

    du

    temps.

    Mais

    que

    deviennent

    alors les affirmations

    de

    Plotin,

    qui

    ont

    paru

    si

    convaincantes,

    sur

    la

    solidarite

    du

    mythe

    et

    du

    temps?

    En

    fait,

    Fobstacle

    n'est

    qu'apparent,

    et

    il

    sufilt

    pour

    le

    dissi

    per

    d'une

    simple

    distinction.

    Lorsque

    Plotin

    montre

    Fintervention

    ine

    vitable

    du

    temps

    dans

    le

    mythe,

    il

    vise

    assurement le

    mythe

    en

    tant

    qu'ecrit

    ou

    raconte,

    c'est-a-dire

    Yexpression

    mythique;

    c'est elle

    qui,

    dans

    la mesure

    ou

    elle

    est

    discours,

    introduit

    necessairement

    Favant

    et

    Fapres

    dans

    une

    realite

    qui

    peut

    etre tota

    simuL

    En

    revanche,

    quand

    on

    dit

    que

    Fexegese

    allegorique

    des

    mythes

    se

    desinteresse ordi

    nairement

    du

    temps,

    on

    se

    place

    a

    un

    tout

    autre

    point

    de

    vue,

    qui

    est

    celui

    de

    Yinterpretation mythique

    :

    on

    ne

    songe pas

    a

    nier

    que

    la

    structure du

    mythe

    soit

    temporelle,

    on

    pretend

    que

    sa

    signification

    ne

    Test

    pas;

    Plotin

    lui-meme

    ne

    disait

    pas

    autre

    chose

    quand

    il

    recom

    mandait,

    pour

    retrouver le

    reel

    a

    partir

    du

    mythe,

    c'est-a-dire

    pour

    Finterpreter,

    de

    resserrer

    la

    distension

    qu'il

    opere,

    autrement

    dit

    d'en

    eliminer

    le

    temps.

    Inseparable

    de

    Fexpression

    mythique,

    le

    temps

    cesse

    de

    jouer

    un

    r61e

    dans

    Interpretation

    du

    mythe,

    par

    laquelle

    on

    decouvre,

    dans

    un

    recit de structure

    temporelle,

    une

    signification

    in

    temporelle.

    Mais

    une

    dualite tout

    a

    fait

    analogue,

    quoique

    de

    sens

    contraire,

    s'observe

    a

    propos

    du

    type.

    Car le

    type

    n'est

    pas

    un

    discours,

    parle

    ou

    ecrit;

    il

    est

    un

    personnage,

    un

    objet,

    un

    animal,

    un

    evenement

    :

    Adam,

    Farche

    de

    Noe,

    le

    bouc

    emissaire,

    la

    traversee

    de

    la

    mer

    Rouge,

    etc.

    Par

    elle-meme,

    Tinsertion

    temporelle

    du

    type

    n'a

    aucune

    impor

    tance

    ;

    deux

    personnages

    ou

    deux

    evenements

    separes par

    dix

    siecles

    peuvent

    revetir Fun

    et

    Fautre

    exactement la

    mSme

    signification typo

    logique.

    Disons done

    que

    le

    type

    lui-meme,

    en

    tant

    que

    signe

    expres

    sif,

    est

    indifferent

    au

    temps

    comme

    a

    Fhistoire.

    Mais le

    temps

    s'intro

    duit

    a

    la

    premiere

    place

    des

    qu'il

    s'agit

    de

    degager

    la

    signification

    du

    type;

    car

    un

    certain

    deroulement

    historique

    est

    indispensable

    entre

    le

    moment

    propre

    au

    type

    et

    Favenement

    de

    ce

    qu'il

    signifie.

    Le

    pretre

    Melchisedech

    est

    un

    contemporain

    d'Abraham

    (Genese,

    14,

    18-20), dont le sacerdoce est regarde

    comme

    le type du sacerdoce de

    Jesus

    (lipUre

    aux

    Hebreux,

    7,

    1

    sq.);

    il

    appartient

    done

    a

    une

    epoque

    fort

    eloignee

    de celle

    de

    Jesus;

    mais il

    aurait

    pu

    en

    etre

    beaucoup

    plus

    proche,

    sans

    que

    cela

    modifiat

    en

    rien

    sa

    valeur

    de

    type.

    Ce

    qui

    est

    necessaire,

    e'est

    que

    le

    type

    et

    ce

    qu'il

    signifie

    (son

    antitype)

    soient

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    6/14

    60

    LES ETUDES

    PHIL0S0PHIQUES

    separes

    par

    un

    segment historique

    privilegie,

    qui

    n'est

    autre

    que

    Fecart

    entre

    Fancienne

    et la nouvelle

    Alliance,

    entre

    la

    promesse

    du

    Messie

    et

    son

    avfenement.

    Une

    fois

    assure

    ce

    hiatus

    temporel,

    le

    type

    et

    le

    signifie

    peuvent

    etre

    quasi

    contemporains

    selon le

    calendrier;

    Jean

    Baptiste,

    precurseur,

    mais aussi cousin de

    Jesus,

    doit

    etre

    regarde

    comme

    Tun

    de

    ses

    types;

    mais

    c'est

    uniquement

    dans

    la

    mesure ou

    Jean-Baptiste

    appartient

    encore

    a

    FAncien

    Testament,

    ou

    il

    est le

    dernier

    des

    patriarches.

    On voit alors tout ensemble Faffinite et la contradiction qui

    existent,

    sous

    Tangle

    du

    temps,

    entre

    Interpretation

    allegorique

    des

    mythes

    et

    interpretation

    typologique

    de

    Fficriture.

    Solidaire

    du

    temps

    discursif,

    Fexpression mythique

    doit

    en

    etre

    purgee

    pour

    livrer

    ce

    qu'elle

    signifie;

    c'est

    le

    travail

    de

    interpretation

    allegorique,

    qui

    de-temporalise

    le

    mythe

    et

    en

    degage

    le

    sens

    intemporel;

    ce

    systeme

    de

    relations

    pourrait

    etre

    represents

    par

    le

    schema

    suivant

    :

    |

    mythe= signifie temps

    \

    ignifie mythe

    temps.

    De

    lui-meme

    independant

    du

    temps,

    le

    type

    ne

    regoit

    de

    sens

    que par

    la fecondite

    d'un

    developpement temporel qui

    est

    proprement

    Fhis

    toire

    du

    salut;

    c'est

    Finterpretation

    typologique

    qui,

    par

    Faddition

    de cette

    perspective

    historique,

    oriente

    le

    type

    vers sa

    signification;

    cette breve analyse pourrait

    se

    resumer

    dans la formule

    :

    (

    signifie

    type

    temps

    |

    type

    =

    signifie

    ?

    temps.

    Ill

    LE

    MYTHE

    COMME

    NEGATION

    DU

    TEMPS

    II

    est

    une

    autre

    difficulte

    a

    laquelle

    se

    heurtent les

    analyses

    de

    Plotin.

    Les

    rapports

    du

    temps

    et

    du

    mythe

    ont

    fait

    depuis

    cinquante

    ans

    Fobjet

    de

    nombreuses etudes

    de

    la

    part

    des

    historiens des reli

    gions,

    dont

    la

    conclusion

    est

    unanime.

    Tel

    un

    personnage

    du

    theatre

    de Gabriel

    Marcel,

    le

    mythe

    pourrait

    nous

    dire

    :

    ?

    Mon

    temps

    n'est

    pas

    le

    votre.

    ?

    De

    fait,

    les

    ethnologues

    observent

    que

    la

    simple

    narra

    tion d'un mythe ou la celebration d'un rite mythique provoque une

    rupture

    dans

    le

    temps

    historique

    courant et

    un

    retour

    au

    temps

    sacre

    ou

    Grand

    Temps.

    Cette constatation

    a

    ete

    parfaitement

    resumee

    par

    M.

    Eliade

    :

    ?

    Un

    mythe

    raconte

    des

    evenements

    qui

    ont

    eu

    lieu

    in

    principio,

    c'est-a-dire

    'aux

    commencements',

    dans

    un

    instant

    primor

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    7/14

    J.

    P?PIN

    ?

    TEMPS

    ET

    MYTHE

    6l

    dial

    et

    atemporel,

    dans

    un

    laps

    de

    temps

    sacre.

    Ce

    temps

    mythique

    ou

    sacre

    est

    qualitativement

    different du

    temps profane,

    de

    la

    duree

    con

    tinue et irreversible dans laquelle s'insere notre existence quotidienne

    et

    desacralisee[...]

    En

    un

    mot,

    le

    mythe

    est

    cense*

    se

    passer

    dans

    un

    temps

    ?

    si

    on nous

    permet

    Texpression

    ?

    intemporel,

    dans

    un

    in

    stant

    sans

    duree

    ?

    (i);

    et

    encore

    :

    ?

    Tout

    aussi

    importante

    est[...]

    Fabolition

    du

    temps

    par

    limitation

    des

    archetypes

    et

    par

    la

    repeti

    tion

    des

    gestes

    paradigmatiques.

    Un

    sacrifice,

    par

    exemple,

    non seu

    lement

    reproduit

    exactement le

    sacrifice initial

    revele

    par

    le dieu ab

    origine,

    au commencement des temps, mais encore il a lieu en ce

    meme

    moment

    mythique

    primordial;

    en

    d'autres

    termes,

    tout sacri

    fice

    repete

    le sacrifice initial

    et

    coincide

    avec

    lui.

    Tous

    les sacrifices

    sont

    accomplis

    au

    meme

    instant

    mythique

    du

    Commencement;

    par

    le

    paradoxe

    du

    rite,

    le

    temps profane

    et

    la

    duree

    sont

    suspendus[...]

    II

    y

    a

    abolition

    implicite

    du

    temps

    profane,

    de

    la

    duree,

    de

    F'histoire',

    et

    celui

    qui

    reproduit

    le

    geste

    exemplaire

    se

    trouve ainsi

    transports

    dans

    Tepoque

    mythique

    ou a eu lieu la revelation de ce

    geste

    exem

    plaire[...]

    Le

    pecheur

    melanesien,

    lorsqu'il

    part

    en

    mer,

    devient

    le

    he

    ros

    Aori

    et

    se

    trouve

    projete

    dans

    le

    temps

    mythique,

    au

    moment

    oh

    a

    eu

    lieu le

    voyage

    paradigmatique

    ?

    (2).

    Ces

    deux

    pages

    d'Eliade

    montrent

    bien

    comment

    le

    mythe

    d'une

    part,

    le rite

    de

    Fautre,

    substituent

    au

    temps

    banal

    un

    temps

    d'une

    qualite

    differente

    (3).

    Cette

    substitution

    apparait

    en

    pleine

    lumiere

    dans

    Texistence

    des

    calendriers,

    qui

    presque

    tous sont

    d'origine

    reli

    gieuse.

    Le calendrier

    consacre

    en

    effet Tinvasion du

    temps

    laique

    par

    le

    temps

    sacre;

    il

    insere

    dans

    le

    temps

    profane

    un

    canevas

    qui

    ras

    semble

    les evenements

    les

    plus

    marquants

    du

    temps

    religieux.

    Des

    lors,

    chaque jour

    se

    trouve

    tisse

    dans

    deux

    temps

    bien

    differents

    :

    il

    (1) Images

    et

    symboles.

    Essais

    sur

    le

    symbolisme magico-religieux,

    collection

    ?

    Les

    Essais

    ?,

    60,

    Paris, 1952,

    p.

    73-74.

    (2)

    Le

    mythe

    de

    V&ternel

    retour.

    Archetypes

    et

    repetition,

    collection

    ?

    Les

    Essais

    ?,

    34,

    Paris,

    1949, p. 64-66.

    On

    trouverait

    des observations

    identiques

    dans

    M.

    Leen

    hardt,

    Do Kamo.

    La

    personne

    et

    le

    mythe

    dans

    le monde

    melanesien,

    collection

    ?

    La

    Montagne

    Sainte-Genevieve

    ?,

    Paris, 1947,

    p.

    97-118;

    G.

    van der

    Leeuw,

    La

    religion

    dans

    son

    essence

    et

    ses

    manifestations.

    Phenomenologie

    de

    la

    religion,

    trad,

    francaise,

    dans

    ?

    Bibliotheque

    scientifique

    ?,

    Paris,

    1948,

    p.

    375-379;

    M.

    Eliade,

    Traite d'histoire

    des

    religions,

    mSme

    collection,

    Paris,

    i949>

    P-

    332-349;

    R-

    Caillois,

    L'homme

    et

    le

    sa

    cre2,

    collection

    ?

    Les

    Essais

    ?,

    45,

    Paris,

    1950,

    p.

    127-150.

    (3)

    Peut-Stre

    ces

    deux

    temps

    heterogenes

    n'&taient-ils

    pas

    sumsamment

    distingue^

    par

    fi. Br^hier

    quand

    il ?crivait, dans un article celebre : ?Le mythe a done un rapport

    essentiel

    au

    temps;

    il

    est

    une

    conception

    historique

    des

    choses,

    je

    veux

    dire

    une

    con

    ception qui

    considere

    le

    moment

    present

    dans

    sa

    liaison

    avec

    une

    s?rie

    d'eV6nements

    passes qu'il

    imagine

    :

    le

    mythe

    cree,

    par

    imagination,

    la courbe

    dont

    le

    moment

    present

    est

    un

    point

    ?

    (Philosophic

    et

    mythe,

    dans Revue

    de

    Metaphysique

    et

    de

    Morale,

    22,

    1914,

    p. 365).

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    8/14

    62

    les

    Etudes

    philosophiques

    est le

    jour

    oil

    tels

    evenements

    se

    produisent

    dans

    le

    monde;

    mais il

    est

    aussi celui

    oil

    Ton

    celebre

    la

    memoire

    de

    tel

    moment

    de

    Thistoire

    sacree, c'est-a-dire oil on le revit. De la deux sortes de datation

    pos

    sibles,

    Tune

    laique,

    l'autre

    sacree

    ;

    le

    Memorial

    de

    Pascal,

    par

    exemple,

    comporte

    les

    deux references

    :

    lundi

    23

    novembre

    1654,

    et

    jour

    de

    saint

    Clement,

    pape

    et

    martyr.

    Comme l'ecrit G.

    Gusdorf,

    ?le

    temps

    liturgique

    consacre

    Teffacement

    u

    reel

    historique

    devant

    le

    Grand

    Temps

    cosmogonique

    ?

    (1).

    Le

    dernier

    mot

    de

    cette

    citation

    attire

    Tattention

    sur une

    remarque

    importante.

    En

    effet,

    si

    restitution

    meme

    des calendriers

    manifeste

    Tintrusion

    du

    temps

    mythique

    dans le

    temps

    historique,

    il

    est dans

    le

    calendrier

    une

    periode

    pour

    laquelle

    ce

    phenomene

    est

    particuliere

    ment

    perceptible.

    C'est

    le Nouvel

    An,

    que

    la

    plupart

    des

    religions

    archaiques

    celebrent

    par

    un

    ceremonial

    special

    axe sur

    les

    mythes

    cosmogoniques.

    La

    religion babylonienne

    fait

    apparaitre

    cette

    pra

    tique

    avec

    toute la nettete

    souhaitable

    :

    l'annee

    y

    etait

    inauguree par

    la fete

    d'Akitou,

    qui

    comportait

    essentiellement

    une

    recitation

    du

    poeme

    de

    la

    creation

    ou

    Enuma

    elish;

    on

    revivait ainsi

    le

    combat

    soutenu

    contre le monstre

    marin

    Tiamat

    par

    le

    dieu

    Mardouk

    et

    la

    victoire

    de

    celui-ci,

    qui

    etait suivie

    de

    la

    creation

    de

    Tunivers

    a

    partir

    des

    lambeaux

    du

    corps

    de Tiamat

    (2).

    Or,

    les

    historiens

    s'accordent

    a

    penser que

    cette

    evocation

    de

    la

    naissance

    du

    monde

    au

    moment

    de la naissance de l'annee ne se bornait pas

    au

    simple rappel d'un

    evenement

    passe

    par

    rapport

    auquel

    les

    auditeurs

    eussent

    garde

    leurs

    distances;

    il

    s'agissait

    veritablement

    d'une reactualisation

    du

    mythe

    cosmogonique,

    par

    laquelle

    le

    temps

    sacre

    congediait

    le

    temps

    pro

    fane

    et

    s'installait

    a

    sa

    place

    pour

    quelques

    jours (3).

    Aussi

    bien,

    peut-etre

    devrait-on

    parler,

    non

    pas

    de

    la

    substitution

    d'un

    temps

    a un

    autre,

    mais

    purement

    et

    simplement

    de

    Tabolition

    du temps. On a souvent observe que la plupart des mythes, pour

    ne

    pas

    dire

    tous

    les

    mythes

    (4),

    ont

    pour

    terrain

    d'election

    Textreme

    du

    passe

    ou

    Textreme

    du

    futur;

    ils

    sont

    des

    geneses

    ou

    des

    apocalypses;

    d'un

    cote

    comme

    de

    Tautre,

    leurs references

    chronologiques

    se

    perdent

    dans

    les

    formules

    les

    plus

    vagues

    :

    in

    principio,

    in

    Mo

    tempore,

    olim,

    (1)

    Mythe

    et

    mitaphysique.

    Introduction

    a

    la

    philosophie,

    dans

    ?

    Bibliotheque

    de

    Philosophic scientifique

    ?,

    Paris, 1953,

    p.

    73.

    (2)

    Cf.

    E.

    O.

    James,

    Mythes

    et rites dans le Proche-Orient

    ancien,

    trad,

    franchise,

    dans

    ?

    Bibliotheque

    historique

    ?,

    Paris,

    i960,

    p.

    52-56.

    (3)

    Cf. M.

    EliAde,

    Le

    mythe

    de

    Viternel

    retour...,

    p.

    89-94.

    (4)

    ?

    Les

    mythes, quels

    qu'ils

    soient,

    sont des

    mythes

    d'origine

    ou

    des

    mythes

    eschatologiques

    ?,

    ?crit

    H.

    Hubert,

    Iitude sommaire

    de la

    representation

    du

    temps

    dans

    la

    religion

    et la

    magie,

    dans

    H.

    Hubert

    et M.

    Mauss,

    Melanges

    d'histoire

    des

    religions

    (Travaux

    de

    VAnnie

    sociologique),

    Paris,

    1909,

    p.

    192.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    9/14

    J.

    P^PIN

    ?

    TEMPS

    ET

    MYTHE

    63

    a

    l'age

    d'or,

    ?il

    etait

    une

    fois

    ?.

    Les

    expressions

    dont

    on

    use

    pour

    carac

    teriser le

    pretendu temps

    mythique

    sont

    revelatrices

    a

    cet

    egard

    :

    temps ? atemporel ? ou ? intemporel ?, avons-nous lu sous la plume

    d'filiade.

    Peut-etre

    est-il

    plus simple

    et

    plus

    vrai

    de dire

    que

    le

    mythe

    se

    place

    resolument

    hors

    du

    temps,

    avant

    que

    le

    temps

    n'ait

    commence

    ou

    apres

    qu'il

    aura

    pris

    fin.

    II n'est

    pas

    impossible

    que

    la

    prise

    en

    con

    sideration

    de

    ce

    caractere

    extra-temporel

    du

    mythe

    aide

    a

    comprendre

    rindifference

    de la

    ?

    mentalite

    primitive

    ?

    pour

    certains

    aspects

    tenus

    pour

    constitutifs de notre

    raison;

    on

    se

    rappelle

    les

    discussions

    pas

    sionnees soulevees

    par

    ce

    probleme

    voila

    quelques

    decennies;

    mais,

    a

    supposer

    que

    Tunivers

    mythique

    echappe

    a

    la

    categorie

    du

    temps,

    on

    congoit

    que

    les

    peuples

    archaiques,

    qui

    vivent

    en

    partie

    dans

    un

    tel

    univers,

    soient

    moins

    conditionnes

    que

    d'autres

    par

    cette

    ?

    forme

    a

    priori

    de

    la

    sensibilite

    ?,

    et

    ne

    repugnent

    pas

    a

    des

    attitudes

    mentales

    (par exemple,

    d'identification)

    surprenantes

    pour

    nous.

    De

    toute

    fagon,

    nous

    voila,

    avec

    cette notion

    du

    mythe

    soustrait

    au

    temps,

    aux

    anti

    podes

    des

    analyses

    de

    Plotin;

    on ne

    dispose

    meme

    plus,

    cette

    fois-ci,

    de

    la

    ressource

    de

    distinguer

    entre

    l'expression

    du

    mythe

    et

    son

    inter

    pretation

    ;

    car

    les

    historiens

    des

    religions,

    tout

    comme

    le

    philosophe

    neoplatonicien,

    font

    porter

    leurs

    observations

    sur

    Tessence

    meme

    du

    mythe,

    prealablement

    a

    toute

    consideration

    de

    sa

    signification.

    Avant d'en

    venir

    a

    Texamen

    de cette

    difHculte,

    on

    doit

    remarquer

    que

    le

    phenomene

    de

    detemporalisation

    n'est

    pas

    reserve a

    la

    con

    science

    mythique

    ;

    il

    semble

    etre

    une

    constante de l'attitude

    religieuse,

    et

    se

    manifester dans

    les formes les

    plus

    hautes

    de

    la

    vie

    spirituelle,

    qui,

    sur

    ce

    point,

    plongent

    leurs

    racines dans

    les

    profondeurs

    de

    Fame.

    Nous

    avons

    deja

    efHeure

    cette

    perspective

    a

    propos

    des calendriers

    et

    des

    cycles liturgiques;

    mais

    on en

    trouverait

    bien

    d'autres

    illustra

    tions.

    On

    sait

    par

    exemple

    que

    Tune

    des

    bases

    de

    la

    theologie

    chre

    tienne

    est la

    conviction

    que

    le

    Christ

    est

    mort

    une

    fois

    pour

    toutes,

    ?9a7c

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    10/14

    64

    les

    Etudes

    philosqphiques

    certes,

    dans

    le

    temps

    historique,

    se

    situe

    aussi,

    et

    bien

    davantage,

    hors

    de

    lui,

    dans

    un

    temps

    proprement

    religieux;

    en

    consequence,

    cjiaque fois que le fidele evoque la mort de Jesus, il s'evade de la

    trame

    temporelle

    quotidienne,

    et

    il

    reactualise

    cette

    mort,

    comme

    s'il

    etait

    lui-meme

    present

    corporellement

    au

    pied

    de

    la

    Croix.

    Les

    textes

    dogmatiques

    ne

    disent

    d'ailleurs

    pas

    autre

    chose,

    qui

    precisent

    que

    le

    sacrifice

    de la

    Messe n'est

    pas

    seulement

    la

    representation

    ou

    la

    me

    moire

    du

    sacrifice de la

    Croix,

    mais

    bien,

    sous

    une

    forme

    differente,

    sa

    reproduction

    identique,

    Fun et

    Yautre

    constituant

    un

    sacrificium

    singulare

    (i).

    Cette

    repetition

    parfaite,

    a des siecles de distance, d'un

    evenement

    d'ailleurs

    unique

    ne

    peut

    se

    concevoir

    que

    dans

    la

    per

    spective

    d'un

    temps

    different

    du

    temps

    profane

    et

    se

    substituant

    a

    lui

    dans

    la

    circonstance,

    d'un

    temps

    ?intemporel?

    et

    que

    Ton

    ne

    nomme

    ainsi

    que

    faute

    d'un

    meilleur

    mot.

    IV

    Mythe

    pense

    et mythe

    vecu

    Mais,

    au

    vrai,

    les

    historiens

    des

    religions

    et

    Plotin

    parlent-ils

    bien

    du

    meme

    mythe?

    Rien

    n'est

    moins

    sur.

    Car

    nous avons vu

    que

    Plotin

    est

    surtout

    sensible

    a

    la

    ressemblance du

    mythe

    et

    du

    discours,

    et

    c'est

    ce

    qui

    lui fait

    craindre

    que

    le

    mythe

    ne

    soit

    inadequat

    aux rea

    lites eternelles.

    De

    plus,

    il a

    construit

    sa

    theorie

    sur

    des

    mythes

    pla

    toniciens,

    qui

    n'etaient

    pas

    tant

    le

    recit

    d'histoires

    divines

    qu'une

    fa

    con

    commode

    d'enseigner

    les

    verites

    les

    plus

    difficiles

    ;

    c'est

    dire

    que

    la

    signification

    de

    ces

    mythes

    lui

    importait

    bien

    plus

    que

    les

    mythes

    eux-memes,

    reduits

    au

    role

    d'un

    simple

    langage.

    Pour

    cette

    raison

    meme,

    Plotin

    ne

    pouvait

    enfin

    voir

    dans le

    mythe

    qu'un

    auxiliaire

    expressif

    provisoire,

    voue

    a

    disparaitre

    une

    fois

    percee

    a

    jour

    la

    verite

    transmise

    par

    son

    moyen,

    et

    auquel

    il

    s'est

    d'ailleurs

    bien

    garde,

    pour

    sa

    part,

    de

    recourir. II eut

    certainement

    acquiesce

    a

    la

    definition

    clas

    sique

    de

    P.

    Valery,

    qui

    condense

    justement

    ces

    trois

    aspects

    :

    ?

    Mythe

    est le

    nom

    de

    tout

    ce

    qui

    n'existe

    et

    ne

    subsiste

    qu'ayant

    la

    parole

    pour

    cause.

    II

    n'est

    de

    discours

    si

    obscur,

    de racontar si

    bizarre,

    de

    propos

    si

    incoherent

    a

    quoi

    nous ne

    puissions

    donner

    un

    sens.

    II

    y

    a

    toujours

    une

    supposition qui

    donne

    un

    sens

    au

    langage

    le

    plus

    (i)

    Cf.

    Concile de

    Trente,

    Session XXII

    (17 septembre

    1562),

    dans

    H.

    Denzinger,

    Enchiridion

    Symbolorum18,

    940,

    p.

    332

    :

    ?

    in

    diuino

    hoc

    sacrificio,

    quod

    in

    Missa

    pera

    gitur,

    idem

    ille

    Christus continetur

    et

    incruente

    immolatur,

    qui

    in

    ara

    crucis

    semel

    se

    ipsum

    cruente

    obtulit

    ?;

    pour

    singulare

    sacrificium,

    cf.

    ibid.,

    937

    a,

    p.

    330.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    11/14

    J.

    PEPIN

    ?

    TEMPS

    ET

    MYTHE

    65

    etrange[...]

    Ce

    qui

    peril

    par

    un

    peu

    plus

    de

    precision

    est

    un

    mythe.

    Sous

    la

    rigueur

    du

    regard,

    et

    sous

    les

    coups

    multiplies

    et

    convergents

    des

    questions

    et

    des

    interrogations categoriques

    dont

    l'esprit

    eveille

    s'arme de toutes

    parts,

    vous

    voyez

    les

    mythes

    mourir, et

    s'appauvrir

    indefiniment

    la faune des choses

    vagues

    ?

    (1).

    Or,

    aucun

    des

    caracteres du

    mythe

    ainsi defini

    ne

    convient

    a

    celui

    qui

    fait

    l'objet

    des

    enquetes

    des

    ethnologues.

    Car

    ce

    mythe-ci

    est

    irre

    ductible

    au

    discours;

    sans

    doute

    est-il

    generalement

    evoque

    par

    des

    recitations;

    mais

    il

    se

    manifeste

    tout

    aussi bien

    dans

    la

    celebration

    de

    rites

    jou

    le

    mime

    se

    substitue

    a

    la

    parole.

    D'autre

    part,

    on

    ne

    peut

    dire

    que

    le

    mythe

    des

    historiens

    des

    religions

    soit

    porteur

    d'une

    signi

    fication

    notionnelle

    dont il

    serait

    le

    revetement

    image;

    il

    ne

    se

    prete

    pas

    au

    dedoublement

    du

    signe

    et

    du

    signifie,

    et,

    si

    Ton

    peut

    dire,

    il

    ne

    represente

    que

    lui-meme;

    selon

    la forte

    expression

    de

    Schelling,

    il

    n'est

    pas

    allegorie,

    mais

    tautegorie (2).

    En

    troisitaie

    lieu,

    le

    mythe

    des

    religions

    archaiques

    a

    une

    fonction

    vitale

    :

    il

    assure

    Tinsertion

    equi

    libree

    de

    Thomme

    des

    societes

    primitives

    dans

    son

    univers

    (3);

    a ce

    titre,

    il

    est

    naturellement

    irremplagable,

    et

    ne

    disparait qu'avec

    la

    civilisation

    elementaire

    dont

    il

    est

    le

    centre.

    Ce

    n'est

    pas

    a

    dire

    qu'il

    n'y

    ait

    aucun

    echange

    entre

    ces

    deux

    no

    tions

    du

    mythe.

    On

    peut

    concevoir

    que

    des

    illumines,

    oubliant

    que

    le

    mythe

    discursif

    n'existe

    qu'en

    vue

    de

    sa

    signification,

    en

    viennent

    a

    le

    prendre

    a

    la

    lettre

    comme

    style

    de

    vie

    et

    projettent

    un

    pelerinage

    a

    la

    caverne

    de

    Platon.

    Mais

    c'est

    le

    passage

    inverse

    qui

    se

    verifie

    le

    plus

    souvent

    :

    sur

    les

    lieux

    memes

    de

    sa

    naissance,

    il arrive

    que

    le

    mythe

    religieux

    se

    coupe

    de

    son

    emploi primitif,

    se

    transforme

    en

    un

    objet

    de

    connaissance,

    et

    soit

    projete

    par

    exemple

    en

    histoire

    legen

    daire;

    que

    dire

    de

    son

    exportation

    dans

    les

    valises

    des

    voyageurs

    et

    de

    son

    arrivee

    chez

    les

    amateurs

    de

    mirabilia,

    qui

    le

    devitalisent

    plus

    surement

    encore

    en

    y

    cherchant

    un

    sens

    cache

    Cette double

    dege

    nerescence

    du

    mythe

    vecu

    a

    ete

    bien

    decrite

    par

    G. Dumezil

    (4).

    Mais

    les

    communications

    qui

    peuvent

    s'etablir

    d'un

    type

    de

    mythe

    a

    Tautre

    ne

    les

    empechent

    pas

    d'etre

    de

    nature

    radicalement

    differente;

    rien

    (1)

    Petite

    lettre

    sur

    les

    mythes,

    dans

    Varidtd

    II,

    Paris, 1929,

    p.

    249-251.

    (2)

    Introduction

    a

    la

    philosophic

    de

    la

    mythologie,

    VIIIe

    le^on,

    trad,

    franchise,

    dans

    ?

    Bibliotheque philosophique

    ?,

    Paris,

    1945,

    I,

    p.

    238.

    Sur le

    probleme

    des

    rapports

    du

    sens

    et du

    mythe,

    voir

    G.

    van

    Riet,

    Mythe

    et

    v?rit?,

    dans

    Revue

    philosophique

    de

    Louvain, 58, i960, p. 15-87.

    (3)

    Cf. G.

    Gusdorf,

    Mythe

    et

    metaphysique...,

    p.

    11-19.

    (4)

    Temps

    et

    mythes,

    dans

    Recherches

    philosophiques,

    5,

    1935-1936,

    p.

    235

    :

    ?

    Fre

    quemment,

    au

    cours

    de

    Vevolution

    religieuse,

    le

    mythe

    tend

    a se

    detacher

    et

    a

    vivre

    d'une vie

    propre,

    hors du controle

    qu'assurait

    son

    ancienne

    utilisation

    pratique.

    A

    la

    limite,

    il

    devient soit de

    l'histoire,

    soit de la litterature.

    ?

    ETUDES

    PHILOSOPH.

    5

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    12/14

    66

    les

    Etudes

    philosophiques

    d'etonnant

    alors

    s'ils

    entretiennent

    avec

    le

    temps

    des

    relations

    op

    posees.

    V

    Le

    temps

    comme

    mythe

    II

    n'en

    va

    pas

    des relations

    comme

    des

    distances

    :

    la relation du

    mythe

    au

    temps

    n'est

    pas

    necessairement

    la

    relation

    du

    temps

    au

    mythe.

    Nous

    avons

    examine

    jusqu'ici

    la

    premiere;

    il reste

    a

    dire

    un

    mot

    de

    la

    seconde;

    un

    mot

    en

    forme

    d'interrogation

    :

    la

    notion du

    temps

    ne

    serait-elle

    pas

    apparentee

    a

    la nature

    du

    mythe?

    De

    cent

    fagons

    diverses,

    on

    a

    exprime

    que

    le

    temps

    echappe

    a

    la

    perception

    directe.

    On

    l'a

    parfois

    regarde

    comme

    une

    piece

    de

    l'equi

    pement

    mental anterieur

    a

    toute

    experience

    (Kant).

    Plus

    souvent,

    on

    a

    vu

    en

    lui

    le

    resultat d'une

    construction

    edifiee

    a

    partir

    d'elements

    differents de lui. On

    a

    cru

    trouver ce materiel originaire dans l'expe

    rience

    immediate

    de

    la

    duree

    qualitative

    (Bergson).

    Ou bien

    dans

    la

    saisie

    de

    l'instant

    present, qui

    serait

    la

    seule

    realite veritablement

    accessible

    a

    la

    conscience

    et

    servirait

    a

    celle-ci de

    base

    pour

    imaginer

    sur

    le

    meme

    modele

    le

    passe

    comme

    le

    futur;

    sur ce

    dernier

    point,

    les

    analyses

    de saint

    Augustin

    n'ont

    rien

    perdu

    de leur

    subtile

    vigueur

    (i);

    mais

    on

    retrouve

    une

    representation

    analogue

    dans

    d'autres

    systemes,

    par exemple dans la theologie musulmane, qui ne congoit pas le temps

    comme

    une

    duree

    continue,

    mais

    comme

    un

    ensemble,

    une

    ?

    voie

    lactee

    ?

    d'instants

    imagines

    par

    extrapolation

    de

    Tinstant

    present

    (2).

    II ressort

    de

    ces

    analyses

    que

    le

    temps

    ne

    serait

    pas

    le fruit

    d'une

    experience

    ni

    la

    conclusion

    d'une

    demonstration,

    mais

    le

    resultat

    d'une

    construction, c'est-a-dire,

    comme

    Fexplique

    Augustin, l'objet

    d'une

    croyance.

    A

    quel

    besoin

    peut

    obeir

    la

    construction

    temporelle?

    Assu

    rement a un desir d'explication. Le passe ne se borne pas a preceder

    le

    present,

    mais

    il le

    produit

    comme

    sa

    cause

    efficiente;

    le

    futur

    ne

    se

    borne

    pas

    a

    suivre

    le

    present,

    mais il le

    justifie

    comme

    sa cause

    finale.

    II

    n'est

    pas

    indifferent

    que,

    dans

    la

    plupart

    des

    langues,

    on

    use

    d'un

    meme

    mot

    pour

    designer

    le

    commencement

    et

    le

    firincifte,

    le

    terme

    et la

    fin;

    Tordre

    temporel

    recouvre

    facilement

    Tordre

    causal,

    et

    (1) Confessions, XI, 14, 17-28, 38. La celebre doctrine augustinienne du temps

    serait

    inspiree

    de

    saint

    Basile,

    s'il

    faut

    en

    croire

    j.

    F.

    Callahan,

    Basil

    of

    Caesarea,

    a

    New

    Source

    for

    St.

    Augustine's

    Theory

    of

    Time,

    dans

    Harvard

    Studies

    in

    Classical

    Philology,

    63,

    1958, p.

    437-454.

    Voir

    aussi,

    du

    meme

    auteur,

    Four

    Views

    of

    Time in

    Ancient

    Philosophy,

    Cambridge (Mass.),

    1948.

    (2)

    Cf.

    L.

    Massignon,

    Le

    temps

    dans

    la

    pensee

    islamique,

    dans Mensch

    und

    Zeit,

    =

    Eranos-Jahrbuch,

    20,

    1951*

    Zurich,

    1952,

    p.

    141.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    13/14

    J.

    PEPIN

    ?

    TEMPS

    ET MYTHE

    67

    post

    hoc

    s'identifie

    a

    propter

    hoc.

    Les

    stoiciens admettaient

    d'ailleurs

    le

    temps

    au

    nombre

    des

    causes

    de second

    rang

    (1),

    et

    les ariens

    don

    naient a cette representation une dimension theologique en faisant du

    Saint

    Esprit

    le

    temps

    de

    la

    creation

    (2).

    Bien

    qu'il

    soit

    ainsi construit dans

    un

    dessein

    pragmatique,

    le

    temps

    ne

    tarde

    pas

    a

    echapper

    partiellement

    a son

    constructeur.

    Cree

    par

    Tesprit,

    Ton s'attendrait

    que

    le

    temps

    soit

    totalement

    transparent

    pour

    Tesprit;

    or

    il

    n'en

    est

    pas

    ainsi;

    la notion de

    temps

    est

    claire

    pour

    une

    part,

    et

    pour

    une

    part

    inconnue

    et

    controversee;

    on

    sait

    bien qui il est, mais on ne sait trop quel il est; on n'hesite pas sur

    son

    identite,

    mais

    on

    discute

    sur

    sa

    nature. Cest

    ce

    que

    Pascal

    a

    bien

    dit dans

    son

    opuscule

    De

    Vesprit

    geometrique

    :

    ?

    a

    cette

    expression,

    temps,

    tous

    portent

    la

    pensee

    vers

    le

    meme

    objet,

    [...]

    quoique

    en

    suite,

    en

    examinant

    ce

    que

    c'est

    que

    le

    temps,

    on

    vienne

    a

    differer

    de

    sentiment

    (3).

    ?

    Nous

    venons

    de voir

    qu'Augustin

    et

    les

    penseurs

    de

    ITslam

    composaient

    le

    temps

    a

    partir

    de

    Tinstant;

    une

    conception

    analogue

    inspirait

    la definition aristotelicienne et stoicienne du

    temps

    comme mesure

    du

    mouvement.

    Pourtant,

    on

    n'epuise

    pas

    le

    temps

    quand

    on

    le

    decompose

    en

    la succession

    d'instants

    dont

    on

    a

    pretendu

    le

    constituer;

    les

    arguments

    de

    Zenon

    contre

    le mouvement

    valent

    egalement

    contre

    le

    temps

    congu

    comme une

    juxtaposition

    d'instants;

    le

    temps

    deconcerte

    Tesprit,

    qui

    y

    decouvre

    plus

    qu'il n'y

    a

    mis.

    Cest

    ce

    qui

    explique

    que

    le

    temps

    provoque

    une

    repulsion,

    qui

    va

    du

    deplaisir

    a

    Tangoisse.

    On sait

    que

    la

    pensee

    grecque

    a combattu

    le

    temps

    en

    lui

    imposant

    une

    structure

    cyclique qui

    supprime

    toute

    possibilite

    de

    nouveaute;

    le

    mythe

    de

    Feternel

    retour,

    qui

    est helle

    nique

    en

    meme

    temps

    qu'indien,

    n'est

    pas

    autre

    chose

    que

    la

    nega

    tion

    du

    temps

    et

    sa

    resorption

    dans

    la

    stabilite

    du

    monde

    intelligible.

    Encore

    sereine

    chez

    Thomme

    grec,

    la

    fuite

    devant le

    temps

    devient

    une

    torture

    pour

    le

    gnostique,

    qui,

    pour

    Texpliquer

    et

    le

    surmonter,

    forge

    des

    mythes

    extravagants.

    En

    definitive,

    le christianisme est

    bien,

    dans

    TAntiquite,

    le

    seul

    systeme

    qui

    ait

    accepte

    le

    temps

    comme

    il

    est,

    au

    point

    d'en

    faire

    une

    piece

    indispensable

    dans

    sa

    conception

    du

    salut

    (4).

    Ajoutons

    que,

    si

    les

    Anciens

    n'ont

    cesse

    de recourir

    au

    mythe

    pour

    se

    defendre

    contre

    le

    temps,

    ils

    mettaient

    volontiers

    le

    temps

    au

    nombre

    des

    enseignements

    qu'ils

    decouvraient

    dans

    les

    mythes;

    en

    (1)

    Seneque,

    Lettres

    a

    Lucilius,

    65,

    11,

    =

    Arnim,

    Stoic, ueter.

    fragtn.,

    II

    346

    a,

    p.

    120,

    14

    :

    ?

    ponant

    inter

    causas

    tempus

    :

    nihil

    sine

    tempore

    fieri

    potest

    ?.

    (2)

    Selon

    Basile,

    Traiti

    du Saint

    Esprit,

    2,

    Patrol,

    graeca,

    32,

    73

    C.

    (3)

    fid.

    Brunschvicg

    minor,

    p.

    170.

    (4)

    On

    lira

    a ce

    propos

    les

    pages

    tres

    eclairantes

    de

    H:-Ch.

    Puech,

    La

    gnose

    et

    le

    temps,

    dans le

    recueil

    deja

    cite*

    Mensch

    und

    Zeit,

    p.

    57-113.

  • 8/19/2019 Pépin - Les Temps Et Le Mythe

    14/14

    68

    les etudes

    philosophiques

    particulier,

    il leur

    arrivait

    constamment

    d'ajouter

    au

    dieu

    Cronos

    Fas

    piration qui

    lui

    manque

    pour

    figurer adequatement

    le

    chronos

    (i).

    On

    voit

    que

    le

    temps baigne

    de tous cotes

    dans

    un

    environnement

    mythique.

    La

    conclusion

    qui

    se

    presente

    a

    Fesprit

    avait

    ete

    deja

    tiree

    par

    Valery

    :

    ?

    Et

    cependant

    que

    la

    vie

    ou

    la

    realite

    se

    borne

    a

    prolife

    rer

    dans

    Finstant,

    il

    [Fesprit]

    s'est

    forge

    le

    mythe

    des

    mythes,

    Finde

    fini du

    mythe,

    ?

    le

    Temps[...]

    Songez

    que

    demain

    est

    un

    mythe[...]

    J'oubliais

    tout le

    passe...

    Toute

    Fhistoire

    n'est

    faite

    que

    de

    pensees

    auxquelles

    nous

    ajoutons

    cette valeur essentiellement

    mythique qu'elles

    representent

    ce

    qui

    fut.

    Chaque

    instant

    tombe

    a

    chaque

    instant

    dans

    Fimaginaire

    ?

    (2).

    Jean

    Pepin.

    (1)

    On trouvera la

    mention de

    quantite

    de

    mythes

    grecs

    interprets

    comme

    l'image

    du

    temps

    dans

    Y Index de

    mon

    Mythe

    et

    Allegoric

    Les

    origines grecques

    et

    les

    contesta

    tions

    judeo-chretiennes,

    collection

    ?

    Philosophic

    de

    l'Esprit

    ?,

    Paris,

    1958,

    p.

    502-510.

    (2) Petite lettre sur les mythes, p. 249-253. Cet auteur avait encore bien

    vu

    la pa

    rente

    du

    temps

    avec

    le

    mythe

    causal et

    explicatif

    :

    ?

    Dans le

    vide

    du

    mythe

    du

    temps

    pur,

    et

    vierge

    de

    quoi

    que

    ce

    soit

    qui

    ressemble

    a

    ce

    qui

    nous

    touche,

    l'esprit

    ?

    assure

    seulement

    qu'il

    y

    a

    eu

    quelque

    chose,

    contraint

    par

    sa

    necessite

    essentielle

    de

    supposei

    un

    antecedent,

    des

    'causes',

    des

    supports

    a

    ce

    qui

    est,

    ou

    a

    ce

    qu'il

    est,

    ?

    enfante

    de?

    epoques,

    des

    etats,

    des

    ev?nements,

    des

    &tres,

    des

    principes,

    des

    images

    ou

    des his

    toires

    de

    plus

    en

    plus

    naives

    [...]

    Toute

    antiquite,

    toute

    causalite,

    tout

    principe

    des

    choses

    sont inventions

    fabuleuses

    ?

    (Ibid.,

    p.

    254-256).