Perception et gestion des risques associés aux nanomatériaux :

état des lieux et recommandations

Recherche CARSAT – INRS - CNRS-PACTE

Eric DRAIS SMTOIF, Paris30 novembre 2010

Sommaire

Quelle prévention des risques associés aux NMs ?

• La gestion des risques : un défi

• La question de la perception du risque

• L’intérêt d’une approche pluridisciplinaire

• Premiers résultats

• Discussion

1- La gestion des risques associés aux NMs

Les pratiques de gestion des risques

• Des incertitudes omniprésentes :� Définition, caractérisation� Toxicité� Mesure d’exposition� Evaluation des risques

• Difficultés à respecter la réglementation (directives européennes):� 89/391 sur l’évaluation des risques (identification danger, relation dose/effet, etc.)

� 98/24 sur le risque chimique (VLE, etc.)

• Une prévention corrélée ni à la quantité, ni à la nature des matériaux manipulés (AFSSET, 2008)

Le cadre de la gestion des risques des NMs

Mesure des risques

IdentificationCaractérisationQuantification

Management des risques

Evaluation des risquesMesure des expositionsMoyens de prévention

CommunicationTraçabilité et suivi

PolitiquesRéglementation :

Décret produit chimique du 23 décembre 2003Décret CMR du 1er février 2001REACH depuis le 1er juin 2008

Normes :ISO/TS 27687:2008 (TC 229)ISO/TR 12885:2008

Recommandations :Code de conduite de la Commission Européenne (JO du 30/04/08)Rapport AFSSET de juillet 2008Principe ALARA (CPP 2006)Avis éthiques

Guides de bonnes pratiques (nationaux ou sectoriels) :UIC, Bonnes pratiques « Nanomatériaux et HSE » (mars 2009)Guide BauA/VCI du 11 mars 2008Guide BSI (PD 6699-2 :2007)Etc.

Questions pour la recherche

• Quelle rationalité des décisions face aux risques ?

• Quelles pratiques de prévention ?

• Quelles connaissances de terrain ?

2-La question de la perception des risques

Les problèmes de la perception des risques• Face aux risques, de nombreuses accusations sont faites au public, taxé d’irrationnel ou d’ignorantRésultats d’enquêtes / NTs : 51 % « pas de connaissance du tout », 30 % « faible », 19% « peu à beaucoup de connaissance

• La définition mathématique du risque est différente de la perception du risque La perception ne dépend pas des probabilités ; rares sont les situations à risques qui soient perçues en correspondance avec les statistiques

• Absence de signification de certaines notions scientifiques : dose-effet, seuil, etc.

• Risques de crise, polémique, controverseCf. paradigme de la masse pour les nanos

Les risques pour les français en général http://www.irsn.org/document/site_1/fckfiles/File/dossiers/perception/barometre_IRSN_2009.pdf

Un constat : la relativité du risque…

• Des perceptions variées et paradoxales•Extrait d’entretien :« les nanoparticules ne sont que des grosses molécules familières par rapport aux processus de synthèse et y compris par rapport aux risques »(chimiste)

• Exemples de relativité :Dix particules de 10 nanomètres sont-elles plus toxiques que leur agrégat de cent nanomètres ?30.000 morts par accident tous les 100 ans sont-ils comparables à 300 morts par an pendant 100 ans ? Le risque de cancer est-il autant acceptable qu’un risque d’accident de la route ? Un risque imposé à un enfant est-il plus sérieux qu’un risque pris volontairement par un adulte ?

• Des facteurs cognitifs, psychologiques, sociologiques modifient la perception

Les variables de perception des risques

• La perception du risque inclus plus de variables que le simple calcul probabilité x dommage

• Ces variables tiennent aux caractéristiques des risques :� Volontaire / involontaire (choisi/subi)� Chronique / accidentel� Banal / terrifiant (poids du potentiel catastrophique)� Fatal / non fatal� Exposition connue / non connue� Immédiat / reporté� Décrit scientifiquement / peu connu� Contrôlable / incontrôlable� Ancien / nouveau � Juste / injuste

Chaque risque présente un profil unique• Exemple : profils de risques comparés entre rayonnements

• Application au classement des nanomatériaux

Trois facteurs clefs de perception des risques

Slovic P.,

Perception of risk, Science 236, 1987

Connaissance du risque et degré de crainte

Trois facteurs clefs de perception des risques

Böl G-F., BfR, 2009

Bénéfices escomptés : ex. des nanos

L’acceptabilité du risque

• L’acceptation du risque dépend notamment du sentiment de sécurité et de valeurs (éthiques, etc.)

• L’acceptation tend à être réduite si :� L’exposition est involontaire� Le risque ne fait pas l’objet de contrôle� Le risque est terrifiant� Les dommages potentiels sont différés� Le risque résulte plus de l’homme que de causes naturelles

� Les conséquences paraissent injustement distribuées� Le risque est perçu comme peu connu

Le schéma de l’acceptation des risques

Gravité (Y)

(ex : nombrede morts ou dégâtsfinanciers)

Probabilité (X)

Evénement A

Evénement B

X*Y = Cste

inacceptable

acceptable

LE RISQUE COMME CALCUL

Un schéma à considérer au cas par cas dans le temps…

Il existe des biais de perception :- Cognitifs en fonction de la structure du problème

- Psychologiques et physiologiques liés aux dispositions personnelles

- Sociologiques selon le sexe, la culture, etc.

Ces biais sont appelés des heuristiques, « frame »…

Les biais de la perception des risques

Le risque n’est pas une donnée en soi…

• Le risque est une question de traitement de l’information

• Il est fonction non seulement des données reçues mais aussi de la structure de connaissance existante

• Des filtres cognitifs organisent la lecture et l’interprétation de la réalité� « Cognitive maps » ou « frameworks »� « Champs attentionnels », « théories implicites »

• On passe du concept de perception à celui de représentation (mentale, sociale)

Le risque, une représentation…

Variables sociologiques des représentations

• Les caractéristiques socio-économiques :� Genre (cf.US), statut social, âge, scolarité

• Les cultures d’appartenance� Cultures ethniques� Cultures professionnelles et institutionnelles

• La confiance :� On accorde souvent plus de crédit aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes ;

� Les éléments négatifs pèsent davantage que les positifs

� Les événements négatifs sont plus visibles que ceux positifs

• Le risque est ainsi considéré comme une « construction sociale »

La construction sociale des risques

• Le risque ne se résume pas à une connaissance de la probabilité d’occurrence et de la criticitéd’un événement

• Les individus, groupes, sociétés ne perçoivent pas le risque de la même manière et jugent donc de manière différente son niveau d’acceptabilité

• Le risque est relatif plus que subjectif

Le cas du déni du risque

• Face aux risques, il peut exister des « idéologies défensives de métier »(Dejours), un système de défense, fonctionnel, qui permet de continuer àtravailler

• Les risques qui ne peuvent être évités, bien que connus - sont niés ou relativisés

• Ce système maintient un niveau de peur qui sert d’aiguillon à l’inventivité, àl’efficacité (sécurité-productivité)

• L’équilibre psychologique est possible tant que la souffrance est reconnue

L’amplification sociale des risques

• Le risque est situé dans une « arène sociale » : Il est soumis à des personnes, groupes, organisations qui statuent, reçoivent, interprètent, transmettent, informent sur les risques (Renn, Kasperson)

• Le risque est ainsi l’objet de négociation• Les mécanismes de l’amplification sociale (+/-):

� La couverture médiatique, le volume d’information et le degréde dramatisation

� L’existence de groupes de pression, leur capacité de contestation, de controverse (parties prenantes, lanceurs d’alerte…)

� La symbolique de l’objet dans le contexte de la société

• Des cas actuels :� biotechnologies� OGM� nanotechnologies

Acceptabilité et confiance comme enjeux

• « L’acceptation de n’importe quel risque dépend plus de la confiance du public dans la gestion du risque que de l’estimation quantitative du risque » C.Starr

• La confiance est un enjeu de communication• L’acceptabilité devient en soi un objectif (USA, etc.)

• Mais la confiance est une notion fragile, plus facile à détruire qu’à construire…

• La démocratie participative pose donc question (cas des Clic, forums citoyens, etc.)

3- L’intérêt d’une recherche pluridisciplinaire

Objectifs et enjeux

� Sans attendre des connaissances stabilisées� Décrire les pratiques de gestion des risques� Développer des connaissances en prévention

Recherche-action:� Caractérisation et mesure d’exposition� Analyse du travail et de la prévention

(observation, entretiens)

� Tout au long du cycle de vie des NMs

Une recherche en partenariat (2010-2012)

CRAMCARSAT

CNRS-PACTEErgonomieSociologie

INRSChimieMétrologieSociologie

Chercheurs, producteurs, utilisateurs de nanomatériaux

Comité scientifique : CNRS, INSERM, IST Lausanne, Bordeaux I-II

4- Premiers résultats

Observations• La réglementation existante n’est pas adaptée aux risques des NMs : elle suscite des incertitudes et encourage à ne rien faire de spécifique

• Une gestion au cas par est possible et nécessaire. Les préventeurs doivent intégrer la perception des risques et faire s’accorder les parties prenantes :« Pendant des années nous avons travaillé sans moyen particulier jusqu’au moment oùnotre directeur a décidé de tout confiner parce que nous que nous recevions des visiteurs!» ; «Nous ne savons pas comment réagir : c’est un problème car personne ne veut décider »

• Pour les NMs, l’évaluation des risques devrait être effectuée plus souvent que pour les autres substances

Illustration : le cas d’un laboratoire

Métallisation de nanoparticules d’argent par torche au plasma

L ’exemple du nettoyage de réacteur (1/2)

La mesure d’exposition n’a concerné que la dernière étape du nettoyage…

L’exemple du nettoyage de réacteur(2/2)

Le grattage et l’évacuation des déchets étaient négligés :- Grattage à sec sans espace de travail spécifique- Poubelle dédiée sans penser la suite

L’analyse du nettoyage : constats

• Les risques sont peu gérés :� L’évaluation des risques est limitée aux principales opérations et celles permettant un mesurage simple

� La ventilation et autres mesures de prévention ne sont pas pensées

� Les risques perçus sont controversés

• Gérér les risques au cas par cas signifie :� Développer des études au poste de travail� Connaître le processus de production� Prendre en compte les parties prenantes� Repenser les espaces de travail� Tenir compte des solutions locales

Pour résumer

• En situation d’incertitude, la connaissance ou l’information ne peuvent déterminer le jugement ou la décision, sans l’aide des sentiments qui la valorisent

• Il n’existe pas de modèle unique et immuable de risque perçu mais des variations qu’il faut saisir pour chaque forme d’exposition

• La gestion et la communication sur les risques des nanoparticules doit prendre en compte la place centrale du risque perçu

Conclusion

• Etudier la gestion des risques permet de développer des connaissances en prévention :

� Identifier les besoins

� Repérer des solutions locales et des bonnes pratiques

� Utiliser la culture de santé-sécurité du terrain

« There’s plenty of knowledge at the bottom »

Discussion

Merci !

ANNEXE

La gestion des risques nano 1/2

Des grands principes « politiques »…• Développer une nomenclature• Traiter comme de nouvelles substances• Renforcer les connaissances en toxicologie• Eviter-limiter la production et la diffusioninintentionnelle de particules nano

• Etablir un dialogue avec public et industries

• Développer guides de bonnes pratiques• Etablir des évaluations qualitatives

La gestion des risques nano 2/2

Au consensus autour de cinq étapes concrètes :1) Evaluation des risques (en nature, degré,

durée) consignée dans le document unique, 2) Mesurage des expositions, 3) Prévention (substitution, sinon confinement,

limitation des zones et salariés exposés, protection collectives et EPI, formation des salariés, règles d’hygiène, vérification de l’efficacité des moyens de protection …),

4) Traçabilité (avec élaboration de liste actualisée des salariés exposés, fiche individuelle d’exposition, attestation d’exposition),

5) Suivi médical.

Eléments bibliographiques et documentaires

• Baratta R. (1993), « AUCUN RISQUE ! Parole de Compagnons » film de 60 minutes réalisé en collaboration avec Francis Dupont, Jean Marie Francescon et Damien Cru (illustration du déni du risque dans le BTP) ;

• Dodier, N. (1987), Construction des risques et contrôles de sécurité. Les inspecteurs du travail sur les chantiers du bâtiment, in : La société vulnérable. Evaluer et maîtriser les risques, Fabiani J. L., Theys J. (Eds), Paris, Presses de l’ENS, pp. 231-240 ;

• Handy R. D. and Shaw B. J. (2007), Toxic effects of nanoparticles and nanomaterials: Implications for public health, risk assessment and the public perception ofnanotechnology, Health, risk & society, vol. 9, no 2, pp. 125-144

• Kasperson, J.X., Kasperson, R.E., Pidgeon, N. & Slovic, P. (2003). The social amplification of risk: assessing fifteen years of research and theory, in The Social Amplification of Risk, edited by Pidgeon, N., Kasperson, R.E., & Slovic, P., CambridgePress, Cambridge, UK ;

• Raude, J. (2007), La perception du risque : théories et données empiriques. La Revue des Sciences Sociales, N°38, pp. 20-29 ;

• Schütz and Wiedemann (2008), Framing effects on risk perception of nanotechnology,Public Understanding of Science, 17, pp.369-379 ;

• Setbon, M. (2006), Risque et perception du risque : enjeux et connaissancesRevue Contrôle n°168, février ;

• Slovic, P.(1987), « Perception of Risk », Science, n°2 36, pp. 280-5 ;• http://www.afsset.fr/upload/bibliotheque/488882541257741815745948989275/04_perce

ption_risques.pdf• http://www.irsn.org/document/site_1/fckfiles/File/dossiers/perception/barometre_IRSN_2

009.pdf (lien avec l’enquête annuelle de l’IRSN, baromètre du risque en France)• http://www.bfr.bund.de/cd/26907 (site de l’institut fédéral allemand d’évaluation du

risque, enquête sur l’image des nanotechnologies dans les médias en 2008)

Research schedule 2010-2012

Activities• Survey Litterature review Study reports• Companies meeting Monographies Communications• Methodology Final observations Publications• Observations INRS Conference• BILBAO ERO-10-02 Project

Step 1 ObservationStep 2 Analysis

Etape 3 Transfer

2010 2011 2012