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1 Peut-on et doit-on parler de la violence monothéiste ? La question de la violence monothéiste est certes ancienne, mais connue seulement d'un public limité, sans doute parce qu'elle a été occultée par l'affrontement plus général entre la religion et l'athéisme. Il me semble d'ailleurs qu'elle a plus été traitée sur le mode polémique que réellement documentée. Le propos de cette discussion ce soir avec vous et de mon livre est de voir comment il serait possible d'objectiver la violence monothéiste, voire d'imaginer des voies de solution. Tout le monde sera d'accord pour considérer que le monothéisme a représenté dans l'histoire des religions une innovation majeure par rapport au polythéisme, et qu'il a largement contribué à façonner le visage de l'Occident et du monde arabo-musulman à travers le judaïsme, le christianisme et l'islam. En revanche les avis divergent sur ce qui constitue l'originalité de cette innovation : le dieu unique ? il existe chez Platon, la transcendance ? elle existe aussi chez Platon, le "tu ne tueras pas" ? cette règle vaut dans tous les groupes humains, seul son périmètre d'application varie 1 , l'amour ? D'une part la compassion était devenue la valeur cardinale dans toutes les grandes civilisations au cours du premier millénaire av JC, la fameuse période axiale comme l'a appelée Karl Jaspers. D'autre part, avant d'être un dieu d'amour, le dieu d'Abraham est un dieu jaloux, un dieu guerrier, un dieu en colère. Jésus lui-même ne remettra jamais en cause l'exclusivisme de son Père. Quoiqu'il en soit, nombre d'Occidentaux, croyants ou non, attribuent à la tradition judéo- chrétienne sinon la paternité, du moins un rôle déterminant dans les réalisations les plus remarquables de notre civilisation, qu'il s'agisse des droits de l'homme, de la philosophie, des sciences, de la démocratie. L'aura du christianisme n'a d'ailleurs guère été affectée ni par les guerres de religion, ni par la condamnation de Galilée. Freud lui-même considérait le monothéisme comme un aboutissement de l'esprit humain, et le qualifiait de "religion du surmoi" par opposition au polythéisme, qu'il qualifiait de "religion du ça". Et pourtant les sciences, la philosophie, la démocratie, voire même la théologie n'ont pris leur source ni dans la Torah, ni dans les Evangiles, ni dans le Coran, mais chez Platon, Aristote et Pythagore, c'est-à-dire dans la Grèce polythéiste. A l'inverse peu d'Occidentaux sont prêts à admettre que le monothéisme puisse détenir un record (en se limitant aux civilisations où l'écriture et le livre sont d'usage courant) en matière de violence religieuse. Ce déni de la violence est si enraciné que, alors que la société civile a dénoncé la colonisation, l'Eglise continue à proclamer, je cite, qu'elle "existe pour évangéliser" 2 , sans le moindre état d'âme pour la violence qu'a pu représenter la destruction 1 La principale différence entre les civilisations par rapport à l'interdit "tu ne tueras pas" est l'extension du groupe à l'intérieur duquel cet interdit est valable : la famille, le clan, la tribu, etc. Cf. Raymond Verdier, Vengeance, Le face-à-face victime/agresseur, 2004. 2 Encyclique Evangelii nuntiandi, 1975:

Peut-on et doit-on parler de la violence monothéistereligions.blogs.ouest-france.fr/files/monothéisme.pdf · 2012. 6. 15. · comme l'a appelée Karl Jaspers. D'autre part, avant

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1

Peut-on et doit-on parler

de la violence monothéiste ?

La question de la violence monothéiste est certes ancienne, mais connue seulement d'un

public limité, sans doute parce qu'elle a été occultée par l'affrontement plus général entre la

religion et l'athéisme. Il me semble d'ailleurs qu'elle a plus été traitée sur le mode polémique

que réellement documentée. Le propos de cette discussion ce soir avec vous et de mon livre

est de voir comment il serait possible d'objectiver la violence monothéiste, voire d'imaginer

des voies de solution.

Tout le monde sera d'accord pour considérer que le monothéisme a représenté dans l'histoire

des religions une innovation majeure par rapport au polythéisme, et qu'il a largement

contribué à façonner le visage de l'Occident et du monde arabo-musulman à travers le

judaïsme, le christianisme et l'islam.

En revanche les avis divergent sur ce qui constitue l'originalité de cette innovation :

le dieu unique ? il existe chez Platon,

la transcendance ? elle existe aussi chez Platon,

le "tu ne tueras pas" ? cette règle vaut dans tous les groupes humains, seul son

périmètre d'application varie1,

l'amour ? D'une part la compassion était devenue la valeur cardinale dans toutes les

grandes civilisations au cours du premier millénaire av JC, la fameuse période axiale

comme l'a appelée Karl Jaspers. D'autre part, avant d'être un dieu d'amour, le dieu

d'Abraham est un dieu jaloux, un dieu guerrier, un dieu en colère. Jésus lui-même ne

remettra jamais en cause l'exclusivisme de son Père.

Quoiqu'il en soit, nombre d'Occidentaux, croyants ou non, attribuent à la tradition judéo-

chrétienne sinon la paternité, du moins un rôle déterminant dans les réalisations les plus

remarquables de notre civilisation, qu'il s'agisse des droits de l'homme, de la philosophie, des

sciences, de la démocratie. L'aura du christianisme n'a d'ailleurs guère été affectée ni par les

guerres de religion, ni par la condamnation de Galilée. Freud lui-même considérait le

monothéisme comme un aboutissement de l'esprit humain, et le qualifiait de "religion du

surmoi" par opposition au polythéisme, qu'il qualifiait de "religion du ça". Et pourtant les

sciences, la philosophie, la démocratie, voire même la théologie n'ont pris leur source ni dans

la Torah, ni dans les Evangiles, ni dans le Coran, mais chez Platon, Aristote et Pythagore,

c'est-à-dire dans la Grèce polythéiste.

A l'inverse peu d'Occidentaux sont prêts à admettre que le monothéisme puisse détenir un

record (en se limitant aux civilisations où l'écriture et le livre sont d'usage courant) en matière

de violence religieuse. Ce déni de la violence est si enraciné que, alors que la société civile a

dénoncé la colonisation, l'Eglise continue à proclamer, je cite, qu'elle "existe pour

évangéliser"2, sans le moindre état d'âme pour la violence qu'a pu représenter la destruction

1 La principale différence entre les civilisations par rapport à l'interdit "tu ne tueras pas" est l'extension du groupe à l'intérieur duquel cet

interdit est valable : la famille, le clan, la tribu, etc. Cf. Raymond Verdier, Vengeance, Le face-à-face victime/agresseur, 2004. 2 Encyclique Evangelii nuntiandi, 1975:

Page 2: Peut-on et doit-on parler de la violence monothéistereligions.blogs.ouest-france.fr/files/monothéisme.pdf · 2012. 6. 15. · comme l'a appelée Karl Jaspers. D'autre part, avant

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des dieux et des cultes qui fondaient pourtant le tissu des sociétés indigènes avant la

colonisation3.

L'originalité du monothéisme ne réside donc ni dans l'unicité divine, ni dans la transcendance,

ni dans des valeurs éthiques. Ce qu'il a inventé en revanche, c'est une nouvelle catégorie de

vérité, la vérité révélée, une vérité exclusive et éternelle. Cet exclusivisme conditionne notre

mental occidental ou proche-oriental, que nous soyons croyant ou incroyant. Il en résulte deux

conséquences : d'une part la construction d'un individu "à l'image de Dieu", doté d'un ego et

sans doute d'une subjectivité différentes de celle des Orientaux, d'autre part la violence

monothéiste.

Faute de temps et a fortiori de compétence, je laisserai de côté la question de l'ego et de la

subjectivité occidentale, et me limiterai à :

1. La notion de vérité révélée, en tant que singularité constitutive du monothéisme au

sein des religions,

2. La violence qui en découle, en tentant de montrer qu'il s'agit d'une violence

spécifique, qu'on ne retrouve pas dans les autres religions,

3. La question de la tolérance dans le monothéisme,

4. Le discours du christianisme sur Foi et Raison,

5. Pour conclure sur la question : la mythification des textes pourrait-elle offrir une voie

de sortie de cette intolérance et de cette violence.

Article 14: "Nous voulons confirmer une fois de plus que la tâche d’évangéliser tous les hommes constitue la mission essentielle de l’Eglise ,

tâche et mission que les mutations vastes et profondes de la société actuelle ne rendent que plus urgentes. Evangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser, c’est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal

du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du christ dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et

de sa résurrection glorieuse." Article 19 : "Pour l’Eglise il ne s’agit pas seulement de prêcher l’Evangile dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des

populations toujours plus massives, mais aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les

valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en

contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut" et article 26 : "Cette attestation de Dieu rejoindra peut-être pour beaucoup le Dieu

inconnu qu’ils adorent sans lui donner un nom, ou qu’ils cherchent par un appel secret du cœur lorsqu’ils font l’expérience de la vacuité de

toutes les idoles." Article 79 :" Le premier [signe d'amour du missionnaire] est le respect de la situation religieuse et spirituelle des personnes qu’on évangélise.

Respect de leur rythme qu’on n’a pas le droit de forcer outre mesure. Respect de leur conscience et de leurs convictions, à ne pas brusquer."

Encyclique Evangélisation et Conversion du Décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad Gentes, 1965, en conclusion de Vatican II, article 13: "Partout où Dieu ouvre un champ libre à la prédication pour proclamer le mystère du Christ (cf. Col 4, 3), on doit annoncer (cf. 1

Co 9, 16 ; Rm 10, 14) à tous les hommes (cf. Mc 16, 15) avec assurance et persévérance (cf. Ac 4, 13.29.31 ; Ac 9, 27-28 ; Ac 13, 46 ; Ac

14, 3 ; Ac 19, 8 ; Ac 26, 26 ; Ac 28, 31 ; 1 Th 2, 2 ; 2 Co 3, 12 ; 2 Co 7, 4 ; Phm 1, 20 ; Ep 3, 12 ; Ep 6, 19-20) le Dieu vivant, et celui qu’il a envoyé pour le salut de tous, Jésus Christ (cf. 1 Th 1, 9-10 ; 1 Co 1, 18-21 ; Ga 3, 13-14 ; Ac 14, 15-17 ; Ac 17, 22-31), pour que les non-

chrétiens, le Saint-Esprit ouvrant leur cœur (cf. Ac 16, 14), croient, se convertissent librement au Seigneur et s’attachent loyalement à lui qui,

étant « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), […] L’Église interdit sévèrement de forcer qui que ce soit à embrasser la foi […] Selon la très antique coutume de l’Église, on doit examiner avec soin les motifs de la conversion et, s’il est nécessaire, les purifier". Atahualpa peut être

rassuré (cf. p. 52) ! (Le signal par lequel débuta l'élimination des Incas fut le refus par leur chef Atahualpa de s'incliner devant la Bible). 3 Le théologien Roger Mehl reconnaissait que "l'action missionnaire chrétienne a pour visée de faire reculer les diverses formes de

paganisme, de les détruire en tant qu'elles lui apparaissent comme des formes d'idolâtrie. Nous avons vu que cette action avait souvent une

conséquence inattendue : la destruction des cadres sociaux et éthiques trop liés à ce paganisme pour pouvoir subsister sans lui". Traité de

sociologie du protestantisme, Roger Mehl, Labor et Fides, 1965.

L'évêque Stephan Neill témoignera que "Les missionnaires ont rarement réussi à implanter le christianisme sans détruire les civilisations

existantes au profit d'une imitation de la civilisation européenne". Stephan Neill, Une école des Beaux-Arts en Ouganda, Le monde non

chrétien n°18, avril-juin 1951,

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1. La notion de vérité révélée est constitutive

de la singularité de monothéisme

Avec la vérité révélée, le monothéisme a inventé une nouvelle catégorie de vérité, inédite

jusqu'alors.

Les polythéistes ne connaissaient que des vérités d'expérience, des vérités historiques, des

vérités logiques. Ces vérités correspondaient à leur expérience concrète, à leur mémoire des

faits, à leur capacité de déduction, à leur tradition culturelle. Elles étaient vérifiables,

révisables, échangeables.

De même les dieux étaient immanents, "dans le monde", soumis, par exemple chez les Grecs,

au Destin, comme l'ensemble des créatures. Les dieux vaquaient à leurs propres occupations,

sans intérêt prioritaire pour l'activité des hommes.

Les Hébreux ont inventé nouvelle nature de dieu:

un dieu transcendant le dieu abrahamique est projeté hors du monde, un monde

qu’il gouverne et dirige de l'extérieur ; le dualisme entre Dieu et le monde est poussé

à l'extrême ,

mais aussi un dieu personnel un dieu qui parle à l'homme, un dieu dont la

manifestation essentielle est la Parole, le Verbe, un dieu pour qui le sort de l'homme

est un centre d'intérêt prioritaire, un dieu qui éprouve des sentiments : la colère,

l'amour, la jalousie.

C'est donc un dieu paradoxal, à la fois transcendant mais personnel, dont la parole délivre

aussi une nouvelle catégorie de vérité : une vérité qui n'est pas issue d'une expérience

concrète, "mondaine", mais qui, étant d'origine divine, n'est en conséquence ni contestable, ni

révisable, ni réfutable.

Certes pour un croyant la réception de la Révélation représente bien une expérience, le texte

sacré n'intervenant que comme un support dans la relation avec le divin. Toutefois cette

relation ne repose pas sur une expérience mondaine, mais sur une expérience spirituelle

nouvelle, la foi, supportée, encadrée, canalisée, par un livre sacré. Les peuples polythéistes

pouvaient avoir des croyances, voire une spiritualité, mais pas une foi au sens de la croyance

absolue en une vérité purement abstraite.

Ce livre sacré, cette vérité révélée, sont au centre de la relation entre Dieu et l'homme, entre la

transcendance et la foi. La sacralité, dans laquelle baignait autrefois l'univers, a quitté le

monde pour se concentrer dans le livre sacré.

On s'attachera ici à deux attributs particuliers de la vérité révélée, qui sont en relation directe

avec la violence monothéiste :

l'exclusivisme,

l'hétéronomie.

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La première caractéristique de la vérité révélée est son exclusivisme,

illustrée dans "le dieu jaloux."

"Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face" est le premier des Dix Commandements, Et le

second précise : " Car moi, l'Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux." L'idolâtrie est la pire

des fautes car elle substitue une vérité d'expérience à la vérité révélée. Ordre est donné de

brûler les idoles, c'est-à-dire les dieux d'autrui. Le chemin de la vérité est unique. La vérité

devient un dogme, indiscutable et éternel.

Ainsi le monothéisme décrète fausses toutes les autres religions. La Torah condamne à

l'anathème4 l'adorateur d'une idole, Jésus exclut du salut ceux qui ne croient pas en Lui5, le

Coran promet les pires supplices aux infidèles ; le Dieu monothéiste finira par nier l'existence

même des autres dieux, euphémisme pour dire qu'il les élimine

Les peuples polythéistes n'avaient aucun besoin de nier ni de détruire les dieux des autres : il

y avait d'autres dieux comme il y avait par exemple d'autres langues. La notion d'un dieu

jaloux d'une relation exclusive avec les humains est inconnue des religions non

abrahamiques, et distingue le monde monothéiste du monde non-monothéiste.

La seconde, c'est l'origine extérieure des lois, une hétéronomie poussée à l'extrême

Dans toutes autres les civilisations, la loi et l'éthique prennent leur source dans un principe

général, impersonnel, dont l'origine se perd dans la nuit des temps : chez les Grecs, l'harmonie

du cosmos c'est de ce principe d'harmonie qu'ils déduisent l'aversion de l'hybris ; chez les

hindous et les bouddhistes, le dharma ; chez les chinois, le yin et le yang ; chez les Egyptiens,

la Maât.

Dans ces religions les textes sacrés, lorsqu'ils existent, mettent plus l'accent sur les rituels et

sur la mythologie que sur l'histoire, l'éthique ou la finalité du monde. Lorsqu'ils interviennent

néanmoins dans le champ de l'éthique, ils en restent à des principes généraux, et s'abstiennent

de prescriptions exclusivistes, intolérantes. Quant aux lois, elles sont l'œuvre des hommes :

des rois comme Hammourabi, des pharaons en Egypte, quitte à ce que ceux-ci se réfèrent à

une inspiration divine ou soient eux-mêmes divinisés. La Grèce classique inventera une

société purement "autonome", au sens où les lois y sont de facture purement humaine. Après

2000 ans de tutelle de l'Eglise, la Renaissance et les Lumières retrouveront ce principe

d'autonomie, qui aboutira à la Révolution et aux démocraties modernes.

Dans les religions monothéistes, les textes sacrés contiennent eux aussi une cosmogonie, une

théogonie, mais d'une part ils prétendent raconter non pas des mythes, mais une histoire,

d'autre part ils prescrivent une éthique : l'histoire d'un peuple ou d'un homme dont il est

fondamental de croire qu'il a existé et la loi occupent ainsi la place centrale dans les textes

fondateurs.

Ce qui est déterminant dans le monothéisme n'est pas le contenu des lois, mais le fait de les

faire dériver du divin : comme le dit Hans Küng, "la spécificité de la morale

vétérotestamentaire ne réside pas dans la découverte de nouvelles normes éthiques, mais dans

l'ancrage des directives traditionnelles en l'autorité de Yahvé et de son Alliance" 6 . Le

4 L'anathème prescrit la mort pour toute la maisonnée de l'idolâtre, y compris le bétail.

5 "Celui qui croit en Lui (le Christ) ne sera pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné" (Jn 3, 18).

"Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné." (Marc 16:16) 6 Hans Küng, Le christianisme, op. cit.

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monothéisme a ainsi poussé à son point extrême l'hétéronomie7. Il en résulte une radicalité,

une absence de compromis, dont on retrouvera la marque dans la violence monothéiste.

La vérité : un acquis ou une quête?

La vérité révélée confère à celui qui l'a reçue le sentiment d'un acquis. Dans le monde

polythéiste grec, la vérité n'est jamais acquise. Sa recherche conduira non pas à la foi, mais à

la philosophie, dont les résultats sont toujours provisoires, susceptibles de remise en cause,

car humains, donc faillibles et perfectibles.

Vérité révélée dans les autres religions

D'autres religions sans doute possèdent des "vérités révélées" d'origine divine ou quasi divine.

En Inde, les Védas sont les plus anciens textes sacrés de l'humanité. De même pour l'Avesta

en Perse. Mais il s'agit essentiellement d'hymnes, de louanges, d'épopées, de prescriptions

rituelles. L'auteur de ces textes n'est jamais identifié à un dieu personnel ou à un homme

nommément désigné. Leurs récits se déroulent dans le temps du mythe et non pas dans le

temps de l'histoire.

Quant aux dieux grecs, ils parlaient par la bouche des oracles, mais cette parole restait

contingente : une prédiction, un conseil voire un interdit liés à un évènement concret, et non

pas une vérité ou un commandement d'ordre éthique de portée générale, intemporelle comme

ceux du Décalogue biblique.

Le bouddhisme s'était lui aussi détaché du polythéisme (védique), et d'ailleurs de façon

radicale car il a rejeté les rituels, comme les sacrifices, et les croyances en les divinités. La

vérité bouddhiste, le non-soi, la vacuité, le nirvâna représente un idéal, et non pas un ordre

exclusiviste (il en irait de même pour le monothéisme s'il ne prêchait par exemple que

l'amour). Pour le reste, le bouddhisme propose une voie d'accès à la vérité, dont il se contente

de dire qu'elle est plus efficace que celle des autres traditions spirituelles. Il n'y a pas

d'exclusivisme ni d'ordre de brûler les idoles. La sanction relève non pas d'un dieu personnel,

mais du karma, un principe impersonnel. "Ne vous laissez guider ni par l'autorité des textes

religieux, […] ni par les traditions, […] ni par [un quelconque] maître spirituel."8 "Sois à toi-

même ton propre refuge."

La vérité révélée introduit une césure dans l'histoire des religions

Les religions polythéistes étaient attachées à une civilisation, les divinités à un peuple, à une

cité : il s'agissait de religions "ethniques". Elles reposaient essentiellement sur les rituels : des

"orthopraxies", des religions du "faire".

Les religions monothéistes tendront à se déterritorialiser, à devenir des religions du "croire".

Elles deviendront "universalistes" et en conséquence prosélytes. La foi et le dogme prendront

une importance croissante au détriment du rituel.

On passera ainsi :

des religions "ethniques" aux religions "universalistes",

des religions "rituelles" aux religions "révélées",

7 Cf. Cornélius Castoriadis et Karl Popper

8 Kalama Sutta, Anguttara Nikaya III.65, Discours du Bouddha aux Kalamas à propos de la liberté de penser, tr. par Jeanne Schut.

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des "orthopraxies" aux "orthodoxies".

Le judaïsme sera une religion de transition, restée "ethnique" et "rituelle" mais déjà "révélée".

Les religions "révélées" tendront à devenir "dogmatiques". Enfin à partir de la Renaissance les

tentatives de remise en cause des dogmes feront émerger des courants "libéraux", aujourd'hui

présents dans les trois religions monothéistes mais très minoritaires.

En résumé:

La vérité révélée, la notion de foi et le dogme doivent sans doute être considérés comme des

inventions du monothéisme ; du moins y ont-ils pris une dimension et une autorité inconnues

dans les autres religions. La vérité révélée a-t-elle réellement créé une nouvelle catégorie de

vérité ? N'a-t-elle pas plutôt fusionné, voire confondu, le temps mythique et temps historique,

le mythe et la réalité, que les autres religions ont toujours su distinguer ?

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2. Peut-on parler d'une violence

spécifique au monothéisme ?

La violence n'a certes pas attendu Moïse, elle est une spécificité bien humaine, de tous les

temps et de toutes les civilisations. Les rencontres entre groupes humains inégaux en matière

de moyens d'attaque et de défense se sont le plus souvent soldées par l’élimination des plus

mal lotis. Le rituel central de toutes les religions, le sacrifice, est un rituel violent, dont René

Girard a montré qu'il avait pour fonction d'expulser la violence.

Mais est-il vrai, comme l'affirment par exemple Hume ou Schopenhauer, que les guerres de

religion sont un monopole du monde monothéiste ? Plus généralement peut-on parler d'un

surcroît de violence religieuse dans le monde monothéiste?

Croire détenir la vérité absolue, ne reconnaître aucune valeur aux croyances des autres

peuples, se considérer comme investi de la mission d'apporter la bonne parole à ceux qui sont

restés dans l'erreur : tout cela confère un sentiment de supériorité qui alimente un potentiel de

violence. L'emblème de cette violence est l'ordre de brûler les idoles.

Mais le commandement de brûler les idoles, c'est-à-dire les dieux des autres, est doublé par le

commandement d'aimer son prochain. Nous sommes là dans un cas typique d'une injonction

paradoxale9. Aussi la violence monothéiste fait-elle l'objet d'un déni, qui recourt à toutes

sortes d'argument.

On s'attachera à trois de ces arguments, parmi les plus couramment utilisés.

1. il est impossible de distinguer la violence religieuse de la violence en général, par

exemple du racisme,

2. il est impossible de distinguer la violence religieuse de la violence politique,

3. les autres religions aussi sont violentes.

Pour sortir de ce déni, il faudra procéder par étapes :

1. caractériser la violence monothéiste, pour la distinguer de la violence en général, du

racisme, de la violence politique,

2. tenter de comparer les violences religieuses dans les différentes civilisations,

3. donner un exemple d'une violence typique qu'on ne trouve que dans le monde

monothéiste.

9 Ou double contrainte ou "double bind", dont le meilleur exemple est l'ordre : "Sois spontané!". La double contrainte contient dans son

expression sa propre contradiction, c'est-à-dire contient deux contraintes qui s'opposent : l'obligation de chacune contenant une interdiction

de l'autre, ce qui rend la situation a priori insoluble. Cette notion a été proposée en 1956 par Gregory Bateson dans le cadre d'une théorie des

causes de la schizophrénie. (L'élaboration de ce principe a coïncidé avec la création de l'école de Palo Alto, dédiée à l'étude scientifique des

mécanismes de la communication dans les systèmes).

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Comment distinguer la violence monothéiste du racisme ?

Il faut partir des motivations. Tout acte de violence est en effet motivé par une émotion ou un

sentiment, comme la haine, la peur, l'envie, la recherche de pouvoir, le sadisme, l'intolérance,

l'obéissance, etc. A l'origine de la violence religieuse peuvent ainsi se trouver une volonté de

domination, l'obéissance à une autorité extérieure, l'intolérance, éventuellement l'altruisme.

Laissons de côté le cas particulier de la violence rituelle, à l'œuvre dans les sacrifices, et

partons de l'hypothèse que l'intolérance constitue le mobile central de la violence religieuse.

L'intolérance en général peut se définir comme une réaction au défi de l'altérité, mais cette

réaction varie suivant la nature de cette altérité.

La rencontre d'un étranger parfaitement inconnu provoque une peur, liée au caractère

imprévisible de la nouvelle situation. La violence peut en jaillir par une sorte de "principe de

précaution". C'est ainsi que dans l'histoire les rencontres entre peuples étrangers l'un à l'autre

se sont souvent mal terminées.

La rencontre d'un croyant et d'un "infidèle" ne relève pas de cette typologie-là, car la religion

de l'autre n'est en général ni inconnue ni imprévisible. La différence de l'autre par rapport à

soi-même est plutôt ressentie comme menaçant notre identité. Il en résulte un risque de rejet

identitaire. Il faut encore distinguer deux cas, suivant que la différence est appréhendée

comme indépendante de la volonté de l'autre, ou comme délibérée.

Indépendantes de la volonté sont par exemple les différences d'apparence physique, d'origine

ethnique, de langue, voire d'état de santé. S'il y a réaction de rejet, on parlera alors de violence

ethnique, de racisme. Cette violence relève du non-respect de l'autre dans des dimensions sur

lesquelles il n'a pas de prise.

Les religions pré-monothéistes représentaient des marqueurs identitaires de ce type : si les

Grecs sacrifiaient à Zeus et les Romains à Jupiter, ce n'était pas que les uns croyaient à une

vérité dictée par Zeus et les autres à une autre vérité dictée par Jupiter, mais simplement qu'ils

étaient nés à Athènes ou à Rome. La citoyenneté s'exprimait d'abord par la participation aux

affaires sacrées. D'où d'ailleurs l'appellation de religions "ethniques".

Avec les religions "révélées", la situation change, car la foi fait appel à un choix personnel ,

qui n'est plus de caractère ethnique, mais qui implique une adhésion qui fait appel à la

volonté, au libre arbitre. Si le croyant éprouve un sentiment de rejet, ce n'est plus contre un

attribut involontaire, aspect physique, ethnie, ou langue, mais contre ce qui apparaît comme

un choix délibéré de la part de l'infidèle. On parlera alors de violence "religieuse" ou

"idéologique". Ce type de violence se distingue donc du racisme ordinaire par le fait qu'il

relève du non-respect de l'autre dans sa dimension la plus haute, sa liberté de décision.

On objectera que penser que les croyances "religieuses", fussent-elles monothéistes, ressortent

du libre-arbitre n'est qu'une projection de notre mentalité laïque moderne. Un individu adopte

le plus souvent la religion de ses parents ou de son peuple, comme il acquiert sa langue

maternelle : il s'agit d'un fait de culture et non d'un choix délibéré. L'objection est de fait

pertinente pour les religions pré-monothéistes, mais elle ne l'est plus, au moins du point de

vue du croyant, pour les religions monothéistes : l'infidèle est en effet considéré comme

responsable de son choix, persister dans l'erreur ou se convertir.

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La question ne relève donc plus de la transmission de la croyance, mais bien du libre-arbitre

de l'intéressé.

Comment distinguer la violence monothéiste de la violence politique ?

La définition ci-dessus vaut en effet aussi bien pour la violence politique.

De fait toute violence de masse, a fortiori tout recrutement de fanatiques, a besoin d'une forme

de légitimation, d'un marqueur identitaire, dont les religions monothéistes et les idéologies

profanes modernes, qui en dérivent s'avèrent d'excellents pourvoyeurs. Aussi, pour de

nombreux auteurs, toute violence de masse n'obéirait en dernier ressort qu'à des motivations

politiques, la religion n'intervenant que comme un prétexte, un marqueur identitaire manipulé

par les politiques : la distinction entre violence politique et violence religieuse serait illusoire.

Ceci ne fait pourtant que déplacer le problème, car la question demeure : pourquoi les

religions monothéistes s'avèrent-elles des marqueurs identitaires aussi efficaces, aussi

générateurs de violence ? Pour répondre à cette question, il va falloir préciser les motivations

psychologiques en jeu lors des confrontations entre monothéistes et hérétiques ou infidèles.

Lors d'une telle rencontre interviennent en effet :

des motivations positives, de l'ordre du témoignage, du partage, de l'altruisme :

1. le désir de partager une croyance, une vérité,

2. la bonne conscience d'œuvrer pour le salut de l'âme de l'infidèle,

des motivations plus négatives, de l'ordre de la peur de l'autre et éventuellement de la

volonté de le convertir. On peut en recenser 5 :

1. un banal narcissisme identitaire, comme on l'a évoqué ci-dessus,

2. la peur, non pas de l'inconnu, mais de la contagion de l'hérésie : la "mauvaise"

religion risque de chasser la "bonne", le libre arbitre des croyants risque de se

laisser contaminer par l'erreur de l'infidèle. Cette menace pourrait être

comparée à celle d'une épidémie, notamment dans le cas du judaïsme, où ce

qui est en jeu est la peur de l'impur, de la souillure,

3. le ressentiment : l'image de l'épidémie n'est en fait pas tout à fait appropriée

dans la mesure où, comme on l'a vu, l'hérétique ou l'infidèle n'est pas victime

d'une maladie qu'il subirait à son corps défendant, son erreur est au contraire

perçue comme volontaire ; ce n'est pas son état de santé ou sa couleur de peau

qui est en jeu, mais son refus de se convertir, ou toute autre forme de

dissidence, qui relève de son intention propre, de son libre-arbitre,

4. une justification transcendante : l'ordre sacré, inscrit de façon répétée dans la

Bible ou le Coran, de "détruire les idoles", d'éliminer les idolâtres, "fussent-ils

ton frère", permet de légitimer cette violence "au nom de Dieu",

5. la bonne conscience d'œuvrer pour le salut de l'âme de l'infidèle : il s'agit de

convertir pour remettre l'hérétique ou le païen sur le chemin du salut. Le salut

de l'âme vaut bien la torture des corps.

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10

Narcissisme, peur, rejet identitaire sont sans doute des ingrédients présents dans toute

violence de masse. Mais la spécificité de la violence monothéiste réside dans la défense de la

pureté de la foi10

, dans la légitimation par un dieu unique et transcendant, et, dans le cas du

christianisme et de l'islam, par la prise en compte du libre arbitre de la victime et de son salut.

En dehors du monde monothéiste, aucun homme politique n'a sans doute jamais imaginé

justifier l'élimination d'un opposant par le souci de sauver l'âme de sa victime.

Comment comparer la violence religieuse du monothéisme à celle des autres religions ?

Nous ne disposons guère d'études objectives sur cette question.

On commencera par proposer une définition, plus sociologique que la définition, plus

psychologique, ci-dessus : une violence sera dite "religieuse" il serait plus précis de dire

violence "pour exclusivisme religieux" si le but de la majorité d'au moins l'un des camps est

de remplacer les dieux ou les croyances de l'autre camp par les siens propres, c'est-à-dire si sa

motivation est l'élimination d'une hérésie ou le prosélytisme.

La principale difficulté consistera à repérer concrètement les violences religieuses dans

l'histoire. Tout conflit mêle en effet inextricablement motivations identitaires, questions de

souveraineté et de territoire, intérêts politiques, objectifs religieux, de sorte que, hormis les

violences rituelles, comme les sacrifices, il n'existe ainsi probablement pas à une exception

près dont on parlera ci-dessous de violence purement et strictement religieuse.

Aussi devra-t-on ajouter à la définition ci-dessus un critère supplémentaire : il faudra que la

motivation religieuse soit l'un des mobiles majeurs du conflit, au moins pour la masse des

combattants quelle que soit la motivation, éventuellement plus profane, des instigateurs du

conflit. Ainsi sera-t-on amené à écarter des violences dans lesquelles la religion n'intervient

que de façon accessoire ou en tant que prétexte, l'enjeu principal étant ethnique, social ou

politique, du type guerres d'indépendance. Par exemple dans le conflit sri lankais actuel, qui

oppose Tamouls hindous et Cingalais bouddhistes, chaque camp s'identifie d'abord à une

ethnie, la religion n'étant qu'une caractéristique parmi d'autres, au même titre par exemple que

la langue.

On devra encore distinguer les violences "extérieures", menées contre des étrangers infidèles,

et les violences "intérieures" menées contre des hérétiques, et enfin, parmi ces violences

"intérieures", on distinguera les persécutions religieuses et les guerres de religion.

Les persécutions représentent la violence religieuse la mieux partagée, sous tous les cieux et à

toutes les époques. Elles sont décidées par une autorité, politique ou religieuse, elles sont

conçues dans un but de maintien de l'ordre, d'intimidation. Elles sont mises en œuvre par des

forces de l'ordre, publiques ou religieuses. Elles s'exercent plus contre des personnes qui

menacent l'ordre public ou défient le pouvoir en place que contre des doctrines. On procède

plus à des procès et à des destructions qu'à des massacres. Le cas de la condamnation de

Socrate est emblématique à cet égard.

10

Dans le même ordre d'idées mais avec d'autres mots, certains considèrent que la violence monothéiste attente à la sphère privée alors que

les violences polythéistes resteraient circonscrites à la sphère publique.

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Par contraste, les guerres de religion sont des explosions populaires, qui embrasent toute la

société. Il s'agit de véritables guerres civiles, qui montent les uns contre les autres, au nom de

leurs croyances, des citoyens d'une même ethnie, d'une même classe ou d'une même nation.

Les autorités, quelle qu'ait été leur responsabilité à l'origine, se trouvent rapidement

débordées. Le but n'est plus seulement la mise au pas ou l'intimidation, mais la purification

religieuse, jusqu'à l'éradication complète de l'hérésie. Elles se traduisent par des massacres qui

se nourrissent de la symbolique de l'Apocalypse.

Les violences religieuses "extérieures" sont perpétrées contre un peuple étranger ou parfois

contre une minorité intérieure , dans le but de remplacer une religion indigène par celle du

colonisateur. Au nom du "devoir de salut" d'évangélisation ou d'islamisation la religion se

joint alors au "devoir de civilisation" et à la volonté de pouvoir du politique.

Y a-t-il eu moins de violences religieuses "intérieures" en Asie ?

L'Asie n'a rien d'une terre de paix, son histoire sur ce plan n'a rien à envier à celle de

l'Occident. Mais sur le plan religieux, le pluralisme et le syncrétisme y prédominent sur le

dogmatisme11.

Les conflits asiatiques sont ainsi plus identitaires, politiques, militaires, économiques que

doctrinaux, c'est-à-dire religieux au sens défini ci-dessus. Le prosélytisme y est peu agressif, il

y a peu de conversions par la contrainte. Un Chinois ou un Japonais pratique d'ailleurs

fréquemment plusieurs religions. Le souverain reconnaît et autorise des pratiques religieuses

diverses, mais n'hésite pas à écraser des divergences qui paraîtraient menacer son pouvoir,

d'où une alternance entre pluralisme et violence. Ainsi, les luttes d'influence furent quasi

permanentes en Chine entre taoïsme et bouddhisme, au Japon entre shintoïsme et

bouddhisme. Mais elles ne dégénérèrent pas en guerres de religion comparables, en termes de

nombre de morts et de durée, à celles provoquées en Europe par la Contre-Réforme, ou dans

le monde musulman par l'opposition entre chiites et sunnites. En Inde il n'y eut guère

d'affrontements religieux avant l'arrivée des monothéistes, musulmans puis chrétiens.

Ainsi, les violences religieuses en Asie non monothéiste ressortent plus de la persécution que

de la guerre de religion12

. Les persécutions elles-mêmes y ont été plus limitées que le combat,

séculaire et mené sur tous les continents, du catholicisme ou de l'islam contre les hérésies13

.

11

Cf.:

Nathalie Kouamé, Arnaud Brotons, Yannick Bruneton, État, religion et répression en Asie. Chine, Corée, Japon, Vietnam (XIIIe-XXIe siècles), Paris, Karthala, 2011.

Bernard Faure, Bouddhisme et violence, Le cavalier Bleu 2007;

Christophe Richard, Bouddhisme: religion ou philosophie? L'Harmattan 2010;

Jacques Pous: La tentation totalitaire, L'Harmattan 2009,

Odon Vallet: Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui, op.cit. 12

Quelques témoignages de spécialistes :

"La Chine n'a jamais connu de guerre de religion" Christine Mollier dans La pensée asiatique, (Sous la direction de C. Weill),

CNRS Editions, 2010.

"En Chine, les guerres de religions ont été des phénomènes locaux et sur de courtes périodes." China-Europa Forum 2007

"Ce n’étaient pas des guerres de religion(s), c’étaient plutôt des luttes entre clans, l’un pro-bouddhique, l’autre pro « shintô »" Civilisation Japonaise, www.cours-univ.fr/cours010108.doc,

"la notion d'hérésie n'est que rarement employée dans le bouddhisme, et elle ne déboucha pas sur les excès de fanatisme familiers à

l'Occident." d'après Bernard Faure, auteur de Bouddhisme et violence, Le Cavalier Bleu, 2008, cité dans Le bouddhisme, une religion tolérante ? Sciences Humaines Hors-série N° 41 - Juin-Juillet-Août 2003,

sans sombrer dans l'irénisme d'un José Frèches, auteur de Moi, Bouddha, XO Editions, 2004 : "Toutes les religions monothéistes sont passées par la force ou la conquête par les armes. Tandis que le bouddhisme s'est répandu en Asie sans faire de guerres,

uniquement par la valeur de l'exemple et la porosité des esprits à cette philosophie du bien. C'est par leur bon comportement que les

moines indiens ont converti les Chinois, jusqu'à représenter la première religion du pays sous les Tang.", «Le bouddhisme est une leçon de tolérance», L'Express, 12.11.2004.

13 L'Inquisition par exemple a sévi durant sept siècles (du XIIIème au XIXème siècle), et sur tous les continents : un inquisiteur semble avoir

été considéré comme un membre indispensable de toute mission religieuse. L'Inquisition espagnole n'a été définitivement abolie qu'en 1834.

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12

Quid des violences "extérieures"

Lors de l'édification des empires coloniaux européens, l'évangélisation a par principe cherché

à détruire les dieux et les objets de culte indigènes 14 ,en tant qu'objets d'idolâtrie. Les

destructions des temples celtiques par Saint Martin au IVème siècle, du temple de la déesse

Allât à Taïf par Mahomet en 630 et des statues des Bouddha en Afghanistan par les talibans

dans les années 1990 relèvent de cette même logique. Or, éliminer les rituels d'une

population, c'est détruire son identité, son tissu social, sa culture: on parlera dans ce cas

d'ethnocide. Clochardisés, ces hommes déculturés n'ont "plus d'yeux pour se voir, de parole

pour se dire, de bras pour agir"15

. La misère identitaire et sociale dans laquelle sont tombées

ces anciennes populations tient ainsi non seulement bien sûr à l'exploitation coloniale, mais

aussi à ce déracinement culturel.

En revanche les conquérants polythéistes, qu'il s'agisse d'Alexandre, de Cyrus, des Romains

avant leur christianisation, voire de Gengis Khan, ne cherchèrent pas à imposer leurs dieux

aux peules vaincus16

. Lorsque Cyrus s'empara de Babylone, non seulement il protégea tous les

cultes, mais il alla jusqu'à financer la reconstruction du Temple des Hébreux à Jérusalem.

Certes ces peuples antiques étaient guerriers et violents. Les dieux accompagnaient la guerre,

soutenaient leurs peuples en vue de la victoire. Mais cette violence n'avait rien de religieux,

au sens où il ne s'agissait pas d'imposer ses propres dieux à l'autre. Ces peuples tiraient de

leurs dieux non pas une vérité révélée, mais leur identité ethnique, leur force, leur capacité à

vaincre : aussi pouvait-on éventuellement chercher à priver l'ennemi de ses dieux, mais jamais

lui imposer les siens propres.

L'intensité des guerres de religion et une ambition ethnocidaire planétaire apparaissent donc

comme spécifiques à la violence monothéiste.

La Congrégation de L'inquisition Romaine et Universelle a été débaptisée et réformée en 1908 pour devenir la Sacrée congrégation du Saint-Office, puis la Congrégation pour la doctrine de la foi, que dirigea le cardinal Ratzinger avant son élection comme Pape. 14

Cf. note 3 p. 2.Voir aussi :

La lutte contre les religions autochtones dans le Pérou colonial: l'extirpation de l'idolâtrie entre 1532 et 1660, Pierre Duviols, Presses Univ. du Mirail, 2008, et L'extirpation des "idolâtries" andines, disponible sur

http://users.skynet.be/bs905862/article%20extirpation.htm

La très brève relation de la destruction des Indes de Bartolomé de Las Casas (1552, réédité en 2009 par Chandeigne);

l'article Ethnocide de Pierre Clastres dans l'Encyclopédia Universalis 1999;

La paix blanche, introduction à l'ethnocide, Robert Jaulin, Seuil 1970,

Le livre noir du colonialisme, XVI-XXIème siècle, de l'extermination à la repentance, Marc Ferro, Robert Laffont 2003. Un exemple d'ethnocide : les Indiens d'Amérique du Nord, disponible sur

http://pagespersoorange.fr/jccabanel/mt_lethnocide_indien.htm

L'illusion missionnaire, Luc del Monte, op. cit.,

Protestantisme et colonisation. L’évolution du discours de la mission protestante française au XXe siècle, FABRE Frédéric,

Karthala 2011.

enfin les écrits des théologiens de la libération, comme Leonardo Boff et Virgil Elizondo.

Au Moyen Age:

Les différents textes sur la Controverse de Valladolid, cf. par exemple au débute de cette note.

Giordano Bruno, Le banquet des cendres, 1584, trad. Namer, Paris, 1965. On peut aussi rapprocher l'ordre biblique de brûler les idoles de la formule utilisée dans l'article 16 de l'Encyclique Evangelii nuntiandi

(1975) : "… lorsqu’ils font l’expérience de la vacuité de toutes les idoles". L'article 79 du même Encyclique stipule d'ailleurs :" Le premier [signe d'amour du missionnaire] est le respect de la situation religieuse et spirituelle des personnes qu’on évangélise. Respect de leur rythme

qu’on n’a pas le droit de forcer outre mesure. Respect de leur conscience et de leurs convictions, à ne pas brusquer."

NB.: l'ordre de brûler les idoles vaut, aux yeux des monothéistes, vis-à-vis des non-monothéistes, mais non pour les autres religions monothéistes. D'ailleurs la chrétienté n'a guère cherché à évangéliser les Musulmans ou les Juifs. De même les Musulmans réservaient le

statut de "dhimmis" aux Chrétiens et aux Juifs. 15

Cf. Serge Latouche, L'occidentalisation du monde, La Découverte, 2005. 16

Les Mongols commirent des massacres innommables, dont les plus atroces furent sans doute le sac de la Hongrie (1241) et celui de

Bagdad (1258). Mais ils se montraient, en général, indifférents en matière de religion. Ainsi Gengis Khan protégea à peu près tous les cultes,

et ses descendants, même quand ils se firent bouddhistes en Chine et musulmans en Perse, ne furent jamais sectaires. Khoubilaï Khan était

bouddhiste, mais il reconnaissait comme prophètes Jésus, Mohammed, Moïse au même titre que le Bouddha Sakya Mounii.

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13

Extrémisme de la violence biblique

Les récits de violence, et les jugements sur la violence portés par les sages, se présentent très

différemment suivant qu'il s'agit des Hébreux ou des autres peuples de l'Antiquité :

la Bible prescrit contre les idolâtres l'anathème, qui exige de tuer non seulement le

coupable mais aussi tous les êtres vivants qui leur sont attachés, hommes, femmes,

enfants, bétail. Chez les Grecs, les Assyriens, ou les Romains, il s'agissait surtout de

faire des prisonniers, vendus comme esclaves ou déportés : la vie des femmes, des

enfants était en général épargnée, a fortiori celle du bétail,

alors que dans le Code d'Hammourabi, à Babylone plus d'un millénaire avant la

rédaction de la Torah, le mari peut pardonner à sa femme adultère, le criminel peut

éventuellement s'acquitter de sa faute par un dédommagement matériel 17 , la Loi

hébraïque proscrit de tels accommodements, car l'offensé n'est pas tant le mari ou la

victime, mais Dieu lui-même,

les textes sacrés du monothéisme approuvent la violence, dès qu'elle est commise au

nom de Dieu18

. Au contraire, la sagesse grecque a toujours considéré la violence

comme une forme d'hybris. Certes "la violence, la Grèce l'a connue sous toutes ses

formes : guerres, pillages, massacres [...] Mais d'emblée, ses philosophes, ses

dramaturges en ont perçu le caractère inacceptable ; tout leur effort a été pour fonder

en raison un idéal d'humanité, de justice, de tolérance."19

Les violences commises

font rapidement l'objet de condamnations, alors que les violences commises au nom

du dieu monothéiste recueillent une approbation éternelle.

La violence de la Bible n'est certes pas motivée par un intérêt de richesse, mais par un devoir

de purification et de châtiment. La Bible justifie par exemple la violence lors du Déluge, de

Sodome et Gomorrhe, du Veau d'Or, de la conquête de Canaan, par le fait que les victimes se

livraient à l'idolâtrie, identifiée le plus souvent à la débauche et à la luxure20

. L'accusation

d'immoralité servira d'ailleurs souvent au cours de l'histoire chrétienne d'alibi à la violence,

illustrant l'adage : "Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage."

Violence sacrée, elle est plus radicale, plus extrême que celle des autres peuples. L'intolérance

de l'islam vis-à-vis des religions non monothéistes, voire des apostats de l'islam, se passe de

commentaires.

17

Selon l'anthropologue Ch. Lejeune, "Le code d'Hammourabi ne nous donne pas comme la loi de Moïse la sensation d'un peuple hypnotisé

par les idées de pureté, d'impureté et de purification [...] La femme peut disposer de sa personne, elle n'est par exemple pas obligée comme

chez les Hébreux d'épouser le frère de son mari défunt". Ch. Lejeune, société d'anthropologie de Paris : La loi d'Hammourabi. Disponible

sur http ://www.persee.fr/web/

revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1910_num_1_1_7168 ?_Prescripts_Search_tabs1=standard&. Le code d'Hammourabi ne

ferait cependant pas de différence entre le préjudice intentionnel et accidentel, au contraire de la Torah (cf. HyperHistory.net, Hammurabi, by

Rit Nosotro). 18

Par exemple Dt 13, 7-11: "Si ton frère, l’enfant de ta mère, si ton fils ou ta fille, ta compagne ou l’ami de ton cœur vient secrètement te

séduire, en disant : "Allons servir des dieux étrangers," que toi ni tes pères n’avez jamais connus, tels que les dieux des peuples qui sont

autour de vous, dans ton voisinage ou loin de toi, depuis un bout de la terre jusqu’à l’autre, toi, n’y accède pas, ne l’écoute point : bien plus, ferme ton œil à la pitié, ne l’épargne pas ni ne dissimule son crime, au contraire, tu devras le faire périr ! Ta main le frappera la première

pour qu’il meure, et la main de tout le peuple ensuite. C’est à coups de pierres que tu le feras mourir, parce qu’il a tenté de t’éloigner de

l’Éternel, ton Dieu." 19

. La Grèce antique contre la violence, Jacqueline de Romilly, Le livre de poche 2001. J. de Romilly invite à distinguer les faits oui, les

Grecs et même leurs dieux étaient violents et les valeurs : tous les écrits grecs, dit-elle, montrent que les Grecs condamnaient la violence.

D'ailleurs les premiers à nous décrire la violence grecque, ce sont les Grecs eux-mêmes, dans leurs écrits, pour la condamner. J. de Romilly

montre que les lois, les procès, dont les Grecs sont si friands, sont là pour combattre la violence. Elle développe ensuite l'idée que les Grecs

ont érigé en valeur cardinale la douceur, c'est à dire l'opposé de la violence. 20

Ex.: "Car tout ce qu’abhorre l’Éternel, tout ce qu’il réprouve, ils l’ont fait pour leurs dieux ; car même leurs fils et leurs filles, ils les livrent

au bûcher pour leurs dieux ! " Dt 12, 31.

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14

Faute d'une démonstration proprement dite, peut-on au moins exhiber un exemple de

violence monothéiste "chimiquement pur"?

Les développements ci-dessus accréditent la thèse d'une violence spécifique au monothéisme.

Mais une vraie démonstration impliquerait une étude exhaustive des conflits sur tous les

continents tout au long des deux derniers millénaires, avec pour chaque violence le

décryptage de son faisceau de motivations, à la recherche de celles qui seraient religieuses : à

ma connaissance, de telles études n'existent pas !

A défaut d'une telle démonstration, peut-être l'opposition de l'Eglise à la science dont la

manifestation la plus connue reste la condamnation de Galilée, et la plus récente le

créationnisme nous fournit-elle un cas de violence spécifique au monothéisme

"chimiquement pur" ?

Ses motivations paraissent en effet strictement religieuses, et sans interférence politique

directe, au moins jusqu'à la Révolution21

. Les thèses scientifiques que l'Eglise a combattu et

continue à combattre sont en effet principalement celles qui contredisent la prétention à la

vérité historique de la Bible22

en particulier la Genèse. Ce qui est en jeu, c'est l'identité entre

mythe et réalité, c'est-à-dire le cœur-même de la notion de vérité révélée.

Certes cette forme de violence fut plus souvent mentale que physique. Néanmoins elle

conduisit nombre de savants en prison, à l'exil ou au bûcher23

. Elle a longtemps entravé

l'action de la médecine. Encore aujourd'hui elle s'oppose à des libertés comme le droit à

l'avortement ou le droit de mourir.

Or, à l'exception parfois de la médecine, refusée par des civilisations qui sacralisent le corps

humain, la science ne semble guère avoir rencontré d'opposition dans le monde

non-monothéiste. Les récits de la création du monde, lorsqu'ils existent, y sont perçus comme

relevant d'une forme de mythologie sans prétention à une vérité historique : les indiens,

chinois ou japonais comme d'ailleurs les savants grecs eux-mêmes ne furent pas

prisonniers de leurs mythes au point de les laisser faire barrage à la science. "De leur passé les

Grecs ont fait une épopée, les Juifs une religion"24

.

21

Pendant tout le XIXème siècle, l'opposition à la science prendra une tournure politique, l'Eglise voyant les scientifiques comme suppôts de

la république, de l'athéisme et des idéologies. 22

Plus précisément la Genèse ou l'Exode, voire Aristote une fois que Thomas d'Aquin eut convaincu l'Eglise de l'adopter, en particulier sur

les questions de :

l'éternité de l'univers, en conflit avec le récit de la Création ,

l'héliocentrisme, en conflit avec Josué arrêtant le soleil,

l'évolution, en conflit avec le récit de la création d'Adam et Eve,

la géologie, dont l'échelle de temps contredisait l'âge que la Genèse accorde à l'univers (4 à 5000 ans). 23

Parmi les victimes: Jean Scot Erigène (800? – 876), Abélard (1079-1142), Gilbert de la Porée (1070? -1154) ; Guillaume de Conches

(1080,-1150?), Amaury de Bène (?-1209), Roger Bacon (1214-1294), Jean Buridan (1292 - 1363), David de Dinant (1160 ?- 1217 ?), Siger de Brabant (1240? -1284), Guillaume d'Occam (1285-1347), Nicolas d'Autrecourt (1299-1369), de nombreux nominalistes (comme Jean

Buridan, Pierre d'Ailly, Marsile d'Inghen), Copernic (1473-1553), Etienne Dolet (1509-1546), Vésale (1514-1564), Pierre de la Ramée

(1515-1572), Giordano Bruno (1548-1600), Galilée (1564-1642), Campanella (1568-1639), Jules César Vanini (1585-1619), et la vie errante que devront mener, pour fuir les persécutions, Regiomontanus (1436-1476), Paracelse (1493-1541), Kepler (1571-1630), Descartes (1596-

1650), Bernoulli (1700-1782) et bien d'autres.

Les condamnations allaient de l'interdiction d'enseigner ou de publier au bûcher, en passant par l'autodafé, les persécutions diverses, les condamnations pour hérésie, l'excommunication, la prison, la torture. Origène fut destitué et excommunié par son évêque Démétrius, l'œuvre

de Jean Scot Erigène fut brûlée, le corps d'Amaury de Bène fut exhumé et jeté en terre non consacrée, David de Dinant fut exilé, Siger de

Brabant périt en prison, plusieurs nominalistes membres du "Libre-Esprit" furent brûlés vifs. Giordano Bruno fut brûlé vif, Jules César

Vanini brûlé après avoir eu la langue coupée et été étranglé. 24

Jean-François Lyotard, Figure Forclose, in L'écrit du temps n°5, Editions de Minuit, 1984. Une religion se caractérise par ses interdits,

alors que l'épopée "rend possible la symbolisation des désirs refoulés" (Freux, L'interprétation du rêve).

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15

Facteur de risque

On pourra objecter que cette opposition à la science, comme plus généralement la violence

monothéiste, n'a pas eu lieu dans toutes les religions monothéistes ni à toutes les époques. Il

faut en effet parler de facteur de risque plutôt que d'une relation de causalité univoque.

L'histoire montre que trois conditions semblent favoriser l'expression du potentiel de violence

contenu dans le monothéisme :

une tendance au dogmatisme. Au sein du monothéisme certaines religions et courants

sont plus dogmatiques que d'autres, comme le catholicisme romain, certaines églises

protestantes, l'islam après son âge d'or, les mouvements intégristes. Le libéralisme

religieux y est plutôt l'exception que la règle.

la possibilité pour la religion de s'appuyer sur une force politique, ce qui a été le cas

du catholicisme, de l'islam, du fondamentalisme américain. La laïcité constitue à cet

égard le meilleur antidote.

un contexte social, culturel et politique favorable au conservatisme, comme à l'époque

de Théodose ou du Concile de Trente chez les chrétiens, depuis la fin des Almohades

en terre musulmane .

Certains courants, mais aussi les contingences historiques, sociales ou politiques, peuvent

conduire à des périodes de grande tolérance religieuse, comme à l'époque des papes

humanistes ou aux premiers temps de l'islam. Mais au cours de l'histoire du christianisme et

de l'islam, la répression a été plus fréquente que la liberté.

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3. Qui a inventé la tolérance ?

Tentons d'abord une définition. La tolérance face à une divergence d'opinion avec autrui

consiste à suspendre son jugement, et à accepter provisoirement l'hypothèse qu'on puisse soi-

même être dans l'erreur, ou du moins n'avoir qu'une perception partielle de la réalité. Elle

représente un principe d'égalité dans la recherche de la vérité. une forme de respect de l'autre.

La tolérance ne peut pas être définie dans l'absolu : de même que la liberté s'arrête là où

commence celle d'autrui, la tolérance s'arrête à l'intolérable, dont la définition renvoie à un

socle minimum de valeurs partagées, comme par exemple le respect de la vie des innocents, la

justice, la notion du vrai et du faux.

La question "Moïse, Jésus, Mahomet étaient-ils tolérants ?" relève-t-elle d'un anachronisme ?

Le concept n'existait pas à leur époque, mais avant d'être un concept, la tolérance est un

comportement, dont la présence ou l'absence peut être constatée. Ainsi plusieurs siècles avant

Jésus-Christ, Bouddha, Zarathoustra, Cyrus, Alexandre, étaient tolérants vis à vis des

pratiques et croyances religieuses des autres peuplesLes Hébreux bibliques, les Chrétiens, les

musulmans le furent fort peu25

. La tolérance des Grecs avait certes aussi ses limites : les

persécutions religieuses n'y furent pas absentes. Mais ils ne se livrèrent pas à des guerres de

religion, ils ne détruisirent ni les autels, ni les dieux des peuples dont ils faisaient la conquête.

En effet le concept de vérité révélée unique d’origine divine introduit une discontinuité, une

rupture dans la difficulté à tolérer l’Autre :

toute différence d'opinion avec autrui suscite naturellement chez l'homme le

sentiment que l'autre est dans l'erreur, mais tant qu'aucun arbitre ne vient dire le vrai,

le doute subsiste, avec la même légitimité chez chacun des deux protagonistes,

c'est cette situation qui change radicalement dès que l'un des protagonistes croit

pouvoir s'en référer à une autorité divine, un arbitre par définition indiscutable26

.

Les chrétiens plaideront que le message d'amour du Christ contient la tolérance, voire

prétendront que la tolérance serait une conquête du christianisme. La première affirmation

relève d'une confusion entre tolérance et pardon, la seconde d'une captation d'héritage :

Jésus fut certes l'apôtre de la miséricorde et du pardon. Mais pardonner et tolérer sont

deux attitudes bien différentes : le pardon se réfère à la faute, à la culpabilité, il

abandonne l'idée de sanction ; la tolérance se réfère à la vérité, elle suspend le

jugement. Si Jésus pardonne le péché, il n'admet aucune autre vérité que la sienne27

,

25

Certains chrétiens argueront encore que la tolérance des polythéistes n'est pas une vertu puisqu'elle n'exige d'eux aucun effort, la notion de

dieu unique leur étant étrangère. La question ici n'est pas d'évaluer le mérite des uns et des autres, mais des comportements favorisant ou non la violence. 26

Certes il subsiste une marge de liberté dans l'interprétation de toute parole. Mais la nature même de la vérité révélée, son exclusivisme, son

inscription dans un texte la limitent singulièrement. 27

Plusieurs de ses paroles l'attestent, comme :

"Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi." (Jean 14:6)

"Celui qui croit en Lui (le Christ) ne sera pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné" (Jn 3, 18). "Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné." (Marc 16:16)

"Quiconque blasphémera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir". (Mt 12: 32)

"Il n'y a aucun salut en dehors du Christ, car aucun nom sous le ciel n'est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut" (Ac. 4, 12).

" Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils

brûlent." Jn 15, 6.

Cf. par exemple Diversité des religions et tolérance, Bryan Wilson, Freedom Publishing, 1995.

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le mot et le concept datent certes des Lumières. Mais considérer que les Lumières

sont issues du christianisme revient à confondre chronologie et filiation : comme la

Renaissance dont elles sont issues, les Lumières ont pris leur source à Athènes, contre

Jérusalem !

Rappelons que le fameux "Hors de l'Eglise point de salut"28

, qui n'est pas précisément un

exemple de tolérance, n'a commencé à être écorné qu'avec Vatican II (1965) 29

.

28

Concile œcuménique de Florence, 1442. 29

L'ambigüité de Vatican II sur la liberté de conscience est illustrée par: "Tous les hommes, d'autre part, sont tenus de chercher la vérité,

surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise ; et, quand ils l'ont connue, de l'embrasser et de lui être fidèles" Dignitatis Humanae.

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4. Foi et Raison, ou

Autorité versus Liberté?

La nouvelle catégorie de vérité installée par le monothéisme a donc généré de l'intolérance et

une violence spécifique, dont l'opposition à la science constitue un cas d'école. Et pourtant

l'Eglise a toujours affirmé qu'il ne saurait y avoir d'opposition entre Foi et Raison.

La question n'apparaît en fait pas tant celle de la compatibilité entre foi et raison, mais entre

l'autorité de la vérité révélée et la liberté de l'individu.

Les religions révélées sont fondées sur l'autorité d'un évènement passé. L'Eglise a toujours

vécu ses concessions à la modernité comme une défaite, elle a d'ailleurs toujours cédé dans la

plus grande discrétion, elle n'a jamais su tirer un enseignement de ses erreurs. Même s'il y eut

des ecclésiastiques favorables à la science, la hiérarchie pencha le plus souvent contre les

idées nouvelles.

Le croyant n'admet pas volontiers que la vérité révélée exerce sur lui une forme d'autorité, et

se considère bien au contraire comme engagé dans une recherche de la vérité, au même titre

que le savant ou le philosophe. Mais cette "recherche" est canalisée, balisée par les Ecritures,

une donnée qu'il peut certes plus ou moins interpréter, mais dont il doit partir et qu'il ne peut

pas remettre en cause.

L'Eglise se targue aussi de respecter la liberté. Cela ne l'a toutefois pas empêchée de mettre

durant quatre siècles la quasi totalité des philosophes à l'Index. Ensuite tout homme est

théoriquement "libre" de croire ou de ne pas croire, d'accueillir la grâce ou de la refuser. Mais

la sanction le salut ou la damnation est telle qu'il s'agit d'une liberté toute relative, qui a

d'ailleurs légitimé bien des bûchers : comme le dit Saint Augustin, "l'Eglise persécute par

amour".

Le philosophe et le scientifique en revanche remettent en cause toute vérité établie, refusent

toute décision d'autorité, excluent toute notion d'infaillibilité. Leur seule contrainte est de

respecter la logique et, pour le scientifique expérimental, les résultats de l'expérience : il

s'agit d'une règle du jeu que le monde scientifique et philosophique se donne à lui-même, une

condition de son efficacité et de son intelligibilité, et non pas une autorité extérieure ni une

sanction. Leur démarche est tournée vers l'avenir : lorsqu'une nouvelle théorie scientifique est

proposée et offre une avancée, la communauté scientifique prend un temps plus ou moins long

pour s'y rallier, mais c'est alors pour se féliciter d'avoir su rompre avec les paradigmes

antérieures et d'avoir franchi ainsi une nouvelle étape de connaissance. L'enjeu n'est pas le

salut individuel mais la compréhension de l'univers, ou pour le philosophe un point de vue

nouveau, un enrichissement de notre vision plurielle du monde. Interdire au savant ou au

philosophe le questionnement d'une vérité établie relèverait de l'injonction paradoxale.

Il y a donc une différence de nature fondamentale entre la "liberté" revendiquée par le croyant

et celle du savant : la "liberté" du croyant respecte une autorité qui lui est extérieure, celle du

scientifique une règle interne. Cette différence est comparable à celle en informatique entre

une donnée et un programme, en linguistique entre le vocabulaire et la grammaire.

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La question du choix entre autorité et liberté est d'ailleurs illustrée dans la Bible elle-même

par le récit d'Adam et Eve : le péché originel, c'est d'avoir mangé à l'arbre de la connaissance,

d'avoir choisi la liberté contre l'autorité.

L'obstination de l'Eglise depuis deux mille ans à revendiquer la compatibilité entre foi et

raison trouve sans doute son origine dans sa prétention à "libérer" l'homme. En effet pour

pouvoir être qualifié de libre, le choix de croire doit être présenté comme conforme à la

raison, par contraste avec le caractère réputé "irrationnel" des croyances polythéistes.30

La position de l'autorité au cœur du monothéisme remonte sans doute à son origine même,

c'est-à-dire à la source à laquelle auraient puisé les auteurs du premier commandement du

Décalogue, à savoir le serment de fidélité des sujets assyriens à leur roi Assurbanipal31, dont

semble directement issu le premier commandement "Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma

face". C'est cette matrice autoritaire qu'aucun des Prophètes, pas même Jésus, n'a remise en

cause.

30

"La théologie […] devra montrer comment, à la lumière de la connaissance par la foi, apparaissent certaines vérités que la raison saisit

déjà dans sa démarche autonome de recherche […Elle] devra démontrer la compatibilité profonde entre la foi et son exigence essentielle de

l'explicitation au moyen de la raison, en vue de donner son propre assentiment en pleine liberté […] Dans la foi, la liberté n'est donc pas seulement présente, elle est exigée. Et c'est même la foi qui permet à chacun d'exprimer au mieux sa liberté. Autrement dit, la liberté ne se

réalise pas dans les choix qui sont contre Dieu. Comment, en effet, le refus de s'ouvrir vers ce qui permet la réalisation de soi-même pourrait

il être considéré comme un usage authentique de la liberté ? C'est lorsqu'elle croit que la personne pose l'acte le plus significatif de son

existence ; car ici la liberté rejoint la certitude de la vérité et décide de vivre en elle." Encyclique Fides et Ratio, 1998. 31

"Nous aimerons Assurbanipal, roi d'Assyrie, et nous haïrons son ennemi. A partir d'aujourd'hui et tant que nous vivrons, Assurbanipal roi

d'Assyrie sera notre roi et notre seigneur. Nous ne prendrons ni ne chercherons aucun autre roi ni aucun autre seigneur.".

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5. Conclusion :

Devrait-on et pourrait-on

considérer les textes sacrés comme des mythes?

Le monothéisme a besoin de confondre foi et raison, autorité et liberté, temps mythique et

temps historique, mythologie et loi, pardon et tolérance, amour et jalousie : il a besoin de

l'injonction paradoxale, une forme pathogène de l'autorité32

. Quant à la violence monothéiste,

elle est nécessaire pour imposer cette autorité, son déni pour la légitimer. Mais les textes se

trahissent par leur exclusivisme, comme le loup du Petit Chaperon Rouge par ses dents.

Il ne s'agit pourtant pas de vouloir renier notre héritage judéo-chrétien, d'autant que l'individu

occidental, en tant que personne, que sujet, est fortement imprégné du mythe biblique de

l'homme "fait à l'image de Dieu". La question reste donc : y aurait-il un moyen de ne pas jeter

le bébé avec l'eau du bain ?

L'autorité de la vérité révélée s'incarne dans la sacralisation des textes. Or si l'on ne peut plus

croire à la construction du monde en six jours comme le stipule la Genèse, où se situe la limite

entre ce qui est ce qui doit être tenu pour vrai, vérité historique, et ce qui peut être considéré

comme un mythe, un symbole, une parole humaine de sagesse ou de poésie ? Comme le dit

l'adage, une fois que les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites !

Depuis Spinoza, la position des philosophes et des théologiens sur cette question du statut des

textes, mythe ou réalité, inspiration divine ou humaine, a connu bien des vicissitudes. Depuis

Richard Simon (XVIIème), Alfred Loisy (XIX/XX), la critique biblique a beaucoup

progressé, et a même fini par être acceptée par l'Eglise 33 .Sans aller jusqu'à dire comme

Bouddha : "il n'y a ni livre sacré, ni maître spirituel, ni rites"34

, les croyants monothéistes

pourraient-ils ne plus considérer les Ecritures que comme des textes symboliques ou

mythiques appartenant au patrimoine de sagesse de l'humanité ? Pourraient-ils abandonner

toute prétention à la vérité historique, et reconnaitre la facture humaine, faillible des textes,

quitte à ce que chacun décide, en fonction de sa foi, de leur attribuer une inspiration plus ou

moins divine ? 35

Une idole, c'est par définition une apparence, une illusion : la principale illusion n'est-elle pas

de croire détenir la vérité ? Fallait-il désacraliser le monde pour en contrepartie devoir

sacraliser un texte ? Ne faudrait-il pas rendre aux textes sacrés leur statut de mythe, renouer

avec l'hétéronomie des lois ?

32

Le dominicain Claude Geffré, partisan d'un pluralisme religieux, propose une formule plus positive sinon plus accessible : "la vérité

d’ordre religieux n’obéit pas à la logique des contradictoires", De Babel à Pentecôte, Claude Geffré, Editions du Cerf, 2006 33

Cf. L'Interprétation de la Bible dans l’Eglise, texte élaboré par la Commission Biblique Pontificale, reconnaissant la pertinence des

différentes techniques de la critique biblique, Joseph Ratzinger, 1993, disponible sur http://www.portstnicolas.net/interpretation-de-la-

bible-dans-l.html. 34

Cité par Michel Benoît dans son article Le dogmatisme, maladie chrétienne ?, disponible sur http://michelbenoit17.over-

blog.com/article-5670516.html 35

C'est précisément contre une telle éventualité que s'élève Joseph Ratzinger dans La vérité du christianisme lorsqu'il met en garde : "Aussi

est-il facile de réduire les contenus chrétiens à un discours symbolique, de ne leur attribuer aucune vérité plus haute que les mythes de

l'histoire des religions, de les regarder comme un mode d'expérience religieuse qui aurait à se placer humblement à côté d'autres." Le même

Joseph Ratzinger aura le 18.8.2011 cette formule où se marient demi-aveu et langue de bois : "Il est vrai qu'il y a eu des abus dans l'histoire

pour imposer le concept de vérité et le monothéisme. La vérité n'est accessible que dans la liberté. On ne peut l'imposer par la violence (...)

Chercher la vérité est la meilleure défense de la liberté. La liberté et l'égalité sont des conditions pour accéder à la vérité (...) Nous ne voulons

pas le mensonge."

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La multiplication des conflits de religieux depuis la fin du XXème siècle présente une

caractéristique qu'aucun historien à ma connaissance n'a soulignée ni étudiée : le

monothéisme y est toujours impliqué, directement ou indirectement. La montée actuelle de

l'intégrisme et du fondamentalisme, qui accompagne ce regain de violence religieuse, exprime

entre autres un raidissement face à la sécularisation de la société et aux méthodes modernes

d'exégèse36, à laquelle les autorités religieuses tentent maladroitement de s'opposer. Accepter

le statut mythique des textes serait sans doute de meilleure pédagogie, mais une telle

orientation semble contraire à la nature profonde du monothéisme37.

19/10/11

Jean-Pierre Castel

auteur de

Le déni de la violence monothéiste,

L'Harmattan, 2010.

36

Pour un exposé sur la question, cf. l'Interprétation de la Bible dans l’Eglise, Commission Biblique Pontificale, Joseph Ratzinger, 1993. 37

N'est-ce pas cette identification entre mythe et réalité que Claude Geffré essaie de justifier par :

"la vérité d’ordre religieux n’obéit pas à la logique des contradictoires" ,

ou encore : le langage de la Bible, la représentation, le signifiant est nécessairement mythique, mais la visée, le signifié est bien réel.

La Réalité méta-empirique de Dieu ne peut être désignée que dans un langage symbolique, mythique ou au moins analogique.

L'idole semble la parfaite illustration de ce paradoxe : le monothéisme accuse les idolâtres de prendre l'idole, un symbole, un mythe, un

"signifiant", pour une réalité, un "signifié", mais s'évertue à faire passer ses propres mythes , en particulier ses textes, pour des réalités, des

vérités "révélées".