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gestion | bonnes pratiques OptionBio | Lundi 4 février 2008 | n° 394 20 L ’étude des résultats de différents contrôles qualité nationaux met régulièrement en évi- dence la nécessité, et surtout la difficulté, d’avoir des résultats comparables pour un même échantillon, en fonction de la technique utilisée. Ce fut le cas en 1997 avec le contrôle qualité natio- nal (CQN) sur la lipase qui montrait 3 groupes de résultats, et c’était toujours vrai pour le CQN sur la troponine il y a 5 ans, pour laquelle les résultats pouvaient varier dans une fourchette de 1 à 10 selon les techniques utilisées. À défaut de mettre en place une standardisation, il paraît indispen- sable d’introduire une notion d’harmonisation des techniques actuellement utilisées. Les causes de variabilité Elles sont multiples. L’existence de plusieurs méthodes, avec des spécificités et des performan- ces différentes, génère du “côté technique” toute une catégorie de causes : dilution, température, effet matrice, etc. Du “côté analyte”, les causes sont également diverses : hCG (gonadotrophine chorionique humaine) sous forme d’hétérodimè- res alpha-bêta ou de sous-unités libres (qui don- neront des résultats différents selon la spécificité des anticorps utilisés), dégradation des troponines qui fait disparaître certains épitopes et qui donc modifie l’immunoréactivité, etc. Finalement, que dose-t-on et comment l’interpré- ter ? Quel est le seuil de décision ? Que faire pour standardiser ? Pour fabriquer un étalon international d’un analyte, il faut idéalement que d’une part ce dernier soit sous une forme moléculaire pure, bien définie et, d’autre part, que cette molécule ait un compor- tement identique à la molécule présente chez le patient (faut-il alors choisir le PSA total, complexé ou sous forme libre ?). Cet étalon doit être stable dans le temps et disponible pour les fournisseurs afin que ces derniers puissent étalonner leurs matériel et calibrateurs. Ensuite, il faut disposer d’une méthode de référence qui permette de trou- ver effectivement le résultat attendu, transférable facilement dans les laboratoires. Ces deux éléments n’existent pas de manière idéale, ce qui explique qu’au fil des travaux de standardisation, les recommandations se succè- dent, apportant une amélioration sensible mais jamais totalement satisfaisante. Le dosage des protéines Dans les années 1980, le constat d’énormes variations de résultats (jusqu’à 100 %), contre des étalons secondaires raccordés à des préparations de référence de l’OMS, a conduit à la production d’un nouveau matériel de référence, le CRM 470 (certified reference material). Ce dernier a été certifié en 1993 et a été raccordé aux prépara- tions internationales existantes et à des protéines purifiées. Ce CRM, sous forme de 40 000 ampou- les, est à la disposition des fournisseurs pour la préparation de calibrateurs tertiaires. Ainsi, si l’on compare les résultats du contrôle qua- lité national de 1993 et 2002, la dispersion des résultats passe de 40 à 16 % ; preuve, s’il en était besoin, de l’efficacité de la démarche ! Il en a été de même pour l’haptoglobine et la transferrine. Par contre, pour la CRP (protéine C réactive), les résultats de 2002 sont “pires” que 1993 : les dif- férences entre les fournisseurs persistent, alors que turbidimétrie et néphélométrie n’induisent pas de différence. L’une des causes avancées proviendrait du fait que le CMR 470 est un sérum délipidé et lyophilisé. En effet, ce caractère lyo- philisé multiplierait par deux le bruit de fond, et toute modification du bruit de fond est suscepti- ble d’induire des variations de performance des analyseurs. En immuno-enzymologie Depuis le début des années 2000, le travail de standardisation en immuno-enzymologie a conduit à recommander de travailler à une seule température, soit 37 °C, avec recertification des CRM à 37 °C pour GGT, LDH, CK-MB, ALT (selon l’Institut des matériaux et des méthodes de référence). On a pu ainsi constater, en 2004, un resserrement des résultats lors de l’analyse du contrôle qualité national sur les ALT, compa- rativement aux contrôles qualité nationaux anté- rieurs, mais ce resserrement n’est pas totalement suffisant. L’hémoglobine glycosylée En 1995, le contrôle qualité national montrait une fourchette de résultats de l’hémoglobine glycosylée (HbA1c) entre 4 et 9 %, ce qui est troublant quand on sait qu’une variation de 1 % est significative sur le plan physiopathologique. Selon une étude réalisée en Angleterre (United Kingdom prospective diabetes study), qui a porté sur 5 000 patients, il existe un risque fortement accru pour chaque aug- mentation de 1 % d’HbA1c et, inversement, une baisse de 1 % réduirait de 35 % les complications vasculaires et de 25 % les décès. Quelques exemples de causes de variabilité • L’insuline existe sous plusieurs formes : active, pro-active ou forme dégradée, et le patient peut présenter des auto-anticorps anti-insuline. Ces variations, selon le contexte pathologique, posent le problème d’un seuil de décision adapté. De plus, les globules rouges contiennent des insulinases : une hémolyse, même minime, peut donc baisser l’insulinémie. Sans oublier que le résultat peut être différent si le dosage est réalisé sur plasma ou sérum (par exemple). Par ailleurs, si l’échantillon contient peu de protéines (effet matrice par dilution), le résultat peut être artificiellement augmenté. • Le PSA (prostate specific antigen) total est composé de PSA libre (de l’ordre de 15 %) et de PSA complexé (environ 85 %). Le PSA libre est en fait constitué d’un mélange de bPSA (benign-PSA), de PSA natif et de PSA tronqué. Peut-on harmoniser les résultats des analyses ? Pour tout biologiste se pose le problème de standardisation des résultats d’analyses. Outre les causes de variabilité liées aux méthodes et à la nature de l’échantillon, les recommandations elles-mêmes évoluent mais seul le biologiste peut avoir la maîtrise du contrôle qualité au sein de son laboratoire.

Peut-on harmoniser les résultats des analyses ?

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gestion | bonnes pratiques

OptionBio | Lundi 4 février 2008 | n° 39420

L’étude des résultats de différents contrôles qualité nationaux met régulièrement en évi-dence la nécessité, et surtout la difficulté,

d’avoir des résultats comparables pour un même échantillon, en fonction de la technique utilisée. Ce fut le cas en 1997 avec le contrôle qualité natio-nal (CQN) sur la lipase qui montrait 3 groupes de résultats, et c’était toujours vrai pour le CQN sur la troponine il y a 5 ans, pour laquelle les résultats pouvaient varier dans une fourchette de 1 à 10 selon les techniques utilisées. À défaut de mettre en place une standardisation, il paraît indispen-sable d’introduire une notion d’harmonisation des techniques actuellement utilisées.

Les causes de variabilitéElles sont multiples. L’existence de plusieurs méthodes, avec des spécificités et des performan-ces différentes, génère du “côté technique” toute une catégorie de causes : dilution, température, effet matrice, etc. Du “côté analyte”, les causes sont également diverses : hCG (gonadotrophine chorionique humaine) sous forme d’hétérodimè-res alpha-bêta ou de sous-unités libres (qui don-neront des résultats différents selon la spécificité des anticorps utilisés), dégradation des troponines qui fait disparaître certains épitopes et qui donc modifie l’immunoréactivité, etc.Finalement, que dose-t-on et comment l’interpré-ter ? Quel est le seuil de décision ?

Que faire pour standardiser ?Pour fabriquer un étalon international d’un analyte, il faut idéalement que d’une part ce dernier soit sous une forme moléculaire pure, bien définie et, d’autre part, que cette molécule ait un compor-tement identique à la molécule présente chez le patient (faut-il alors choisir le PSA total, complexé ou sous forme libre ?). Cet étalon doit être stable dans le temps et disponible pour les fournisseurs afin que ces derniers puissent étalonner leurs matériel et calibrateurs. Ensuite, il faut disposer d’une méthode de référence qui permette de trou-ver effectivement le résultat attendu, transférable facilement dans les laboratoires.Ces deux éléments n’existent pas de manière idéale, ce qui explique qu’au fil des travaux de standardisation, les recommandations se succè-dent, apportant une amélioration sensible mais jamais totalement satisfaisante.

Le dosage des protéinesDans les années 1980, le constat d’énormes variations de résultats (jusqu’à 100 %), contre des étalons secondaires raccordés à des préparations de référence de l’OMS, a conduit à la production d’un nouveau matériel de référence, le CRM 470 (certified reference material). Ce dernier a été certifié en 1993 et a été raccordé aux prépara-tions internationales existantes et à des protéines purifiées. Ce CRM, sous forme de 40 000 ampou-

les, est à la disposition des fournisseurs pour la préparation de calibrateurs tertiaires.Ainsi, si l’on compare les résultats du contrôle qua-lité national de 1993 et 2002, la dispersion des résultats passe de 40 à 16 % ; preuve, s’il en était besoin, de l’efficacité de la démarche ! Il en a été de même pour l’haptoglobine et la transferrine.Par contre, pour la CRP (protéine C réactive), les résultats de 2002 sont “pires” que 1993 : les dif-férences entre les fournisseurs persistent, alors que turbidimétrie et néphélométrie n’induisent pas de différence. L’une des causes avancées proviendrait du fait que le CMR 470 est un sérum délipidé et lyophilisé. En effet, ce caractère lyo-philisé multiplierait par deux le bruit de fond, et toute modification du bruit de fond est suscepti-ble d’induire des variations de performance des analyseurs.

En immuno-enzymologieDepuis le début des années 2000, le travail de standardisation en immuno-enzymologie a conduit à recommander de travailler à une seule température, soit 37 °C, avec recertification des CRM à 37 °C pour GGT, LDH, CK-MB, ALT (selon l’Institut des matériaux et des méthodes de référence). On a pu ainsi constater, en 2004, un resserrement des résultats lors de l’analyse du contrôle qualité national sur les ALT, compa-rativement aux contrôles qualité nationaux anté-rieurs, mais ce resserrement n’est pas totalement suffisant.

L’hémoglobine glycosyléeEn 1995, le contrôle qualité national montrait une fourchette de résultats de l’hémoglobine glycosylée (HbA1c) entre 4 et 9 %, ce qui est troublant quand on sait qu’une variation de 1 % est significative sur le plan physiopathologique. Selon une étude réalisée en Angleterre (United Kingdom prospective diabetes study), qui a porté sur 5 000 patients, il existe un risque fortement accru pour chaque aug-mentation de 1 % d’HbA1c et, inversement, une baisse de 1 % réduirait de 35 % les complications vasculaires et de 25 % les décès.

Quelques exemples de causes de variabilité• L’insuline existe sous plusieurs formes : active, pro-active ou forme dégradée, et le

patient peut présenter des auto-anticorps anti-insuline. Ces variations, selon le contexte

pathologique, posent le problème d’un seuil de décision adapté. De plus, les globules rouges

contiennent des insulinases : une hémolyse, même minime, peut donc baisser l’insulinémie.

Sans oublier que le résultat peut être différent si le dosage est réalisé sur plasma ou

sérum (par exemple). Par ailleurs, si l’échantillon contient peu de protéines (effet matrice

par dilution), le résultat peut être artificiellement augmenté.

• Le PSA (prostate specific antigen) total est composé de PSA libre (de l’ordre de 15 %) et

de PSA complexé (environ 85 %). Le PSA libre est en fait constitué d’un mélange de bPSA

(benign-PSA), de PSA natif et de PSA tronqué.

Peut-on harmoniser les résultats des analyses ?Pour tout biologiste se pose le problème de standardisation des résultats d’analyses. Outre les causes de variabilité liées aux méthodes et à la nature de l’échantillon, les recommandations elles-mêmes évoluent mais seul le biologiste peut avoir la maîtrise du contrôle qualité au sein de son laboratoire.

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OptionBio | Lundi 4 février 2008 | n° 394 21

Un effort important a été demandé aux fournis-seurs dans ce domaine, en matière d’étalonnage du matériel et des calibrateurs. Et les recom-mandations de la Société française de biologie clinique (SFBC) de 1998 incluent la demande, par le biologiste, de certificats d’étalonnage lors de l’acquisition de matériel. Et pourtant, aujourd’hui, les recommandations vont vers de nouveaux standards, donc vers de nouvelles valeurs de référence ; de plus, l’expression ne serait plus en pourcentage mais en mmol/mol !

Il ne suffit pas de standardiserSi le choix de la matière de référence est l’af-faire des sociétés savantes, et les méthodes de référence celle des fournisseurs, les laboratoires d’analyses ont également un rôle important par le choix des techniques et la fiabilité de leur uti-lisation. Pour choisir une technique, le biologiste doit s’intéresser à sa justesse, à son caractère “commutable” (observable via sa reproducti-bilité interlaboratoire). Il doit ensuite respecter les préconisations du fournisseur (à jeun, type de tubes, etc.), privilégier la notion de calibrage commun et suivre les recommandations, quand elles existent.

Et les valeurs de référenceÉtablir ses propres valeurs de référence dans son laboratoire est quasiment mission impossible : il faudrait définir une population dite de référence (personnes “saines”), doser le paramètre sur un échantillonnage de cette population et, à partir des résultats bruts, étudier la distribution, les limites et les intervalles de référence. Comment faire cependant ? Le biologiste peut se baser sur les valeurs de références données par le fournisseur (ou les sociétés savantes), vérifier les conditions pré-analytiques de dosage et véri-fier que ces valeurs sont applicables dans son laboratoire. Pour cela, il dose le paramètre sur une vingtaine de personnes de référence, fait les tests statistiques et vérifie que les valeurs trou-vées se trouvent bien à l’intérieur de l’intervalle de la référence donnée par les fournisseurs ou les sociétés savantes. |

ROSE-MARIE LEBLANC

Biologiste consultant, Bordeaux (33)

[email protected]

Recommandations de la SFBC sur HbA1c (1998)

• Tous les résultats doivent être ren-

dus sous forme d’HbA1c, exprimée en

pourcentage de l’hémoglobine totale,

à l’exclusion de tout autre mode

d’expression.

• Les méthodes utilisées doivent soit

doser directement l’HbA1c, soit être cor-

rélées à une méthode de référence, afin

de corriger les valeurs brutes.

• Les techniques utilisées par les labora-

toires doivent être reliées à une méthode

de référence recommandée par le NGSP

(National Glycohaemoglobin Standardi-zation Program) ou l’IFCC (International Federation of Clinical Chemistry). Il apar-

tient aux biologistes de s’informer auprès

des fournisseurs des conditions d’étalon-

nage de leur méthode, et d’exiger de ceux-

ci un document de certification, fourni par

le NGSP ou l’IFCC.SourceCommunication de A. Daunizeau, 24e colloque de la Corata, Paris, juin 2007.