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75 LITTÉRATURE Phare de la mémoire : les écrits d’Anne Frank Anne Frank, un nom mondialement connu, lié à jamais au journal intime de cee adolescente juive, bouleversante. Cachée avec les siens, à Amsterdam, elle a péri dans les camps. Soixante-dix ans plus tard, voici la réédition intégrale de son Journal, agrémentée de textes méconnus. On y assiste, avec émotion, à l’éclosion d’une jeune fille et d’un écrivain. La Shoah a eu sa peau, mais pas ses mots! Comment naît une œuvre? Qu’est-ce qui la rend pérenne dans le monde entier? Habituel- lement, la question se pose pour un écrivain confirmé, mais Anne Frank est l’auteure d’un seul livre: son journal intime. Sept décennies plus tard, les éditions Calmann-Lévy rééditent l’intégrale de ses écrits. Elle comprend: plusieurs versions du Journal, des poèmes, des contes, un début de roman et des essais historiques éclairants. Que ce soit dans le ton ou les thèmes abordés, le Journal s’avère d’une grande modernité. Il brasse les soucis existen- tiels d’une adolescente, vivant dans des conditions exceptionnelles. En voici le making-of. La «version a» naît dans son célèbre cahier à carreaux offert pour son treizième anniversaire (1942). «Moi, Anne Frank, je suis la fière propriétaire d’un stylo-plume.» Au départ, sa voix enfantine ne se distingue en rien de celle d’autres ados. «C’est une sensation toute nouvelle et très étrange pour moi d’écrire un journal.» Elle s’adresse ainsi à Kiy, sa confidente imaginaire. Une belle trouvaille liéraire, tant on a la sensation qu’elle partage ses joies et ses tracas avec chacun de nous. L’école, les amis, les amou- reux ou la maison sont décrits avec une innocence brute, si provisoire… Annelies Marie Frank naît à Francfort, en 1929. Quatre ans plus tard, l’évolution politique pousse sa famille à s’établir à Amsterdam. La convocation de sa grande sœur Margot marque un tournant. Pressentant le danger, leur père Oo avait aménagé une cache insoupçonnée au sein de son entreprise, Prinsengracht 263. Nous sommes le 6 juillet 1942. «Je considère notre clandestinité comme une aventure dangereuse, romantique et intéressante», écrit Anne. D’autant que d’autres habitants se joignent à eux. Soit huit personnes qui doivent se supporter dans ce huis clos. Le journal d’Anne devient son refuge, «sinon j’étoufferais complètement.» Elle s’y décrit avec espièglerie et acuité. «Partout je suis le clown, l’insolente, l’auda- cieuse», or ce caractère bien trempé cache un être «sensible, très sensible». Le Journal se veut le miroir de son âme. Un sens de l’obser- vation et de l’humour aigu pimente la «petite histoire de l’Annexe», un «établissement spécialisé dans le séjour temporaire des Juifs. Ouvert toute l’année, cadre plaisant en plein cœur d’Amsterdam.» Ses compères deviennent les personnages d’une comédie dramatique. «Nous sommes des Annexiens.» Une tribu réunie de façon improbable dans des conditions contraignantes. La liberté physique est restreinte, mais pas celle de l’esprit! L’envers du décor? Beaucoup de soucis, dont l’enfermement, principale source de tensions. Sans parler de la crainte d’être découverts. 75 Publié dans Septentrion 2017/3. Voir www.onserfdeel.be ou www.onserfdeel.nl.

Phare de la mémoire : les écrits d’Anne · PDF file · 2017-10-25 LITTÉRATURE Phare de la mémoire : les écrits d’Anne Frank Anne Frank, un nom mondialement ... joodse familie

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tion illustre assurément l’espoir qu’une Europe unie peut constituer une puissance importante entre les États-Unis et l’Union soviétique s’a� rontant dans une guerre froide. On est certes en droit d’éme� re des critiques sur le � lm retraçant l’élaboration de l’unité européenne, que le visiteur peut regarder sur l’iPad qu’on lui fournit et qui lui présente dans les 24 langues de l’Union européenne des informations sur les objets exposés. Prenons à titre d’exemple le commentaire sur le non qui est résulté des référendums sur la Consti-tution européenne en France et aux Pays-Bas en 2005. Le � lm établit un lien avec le 11 septembre et avec les divergences de vues concernant l’invasion de l’Irak. Il omet toutefois de signaler que le dé� cit démocra-tique au sein de l’Union européenne ainsi que le fossé entre les institutions européennes et le citoyen peuvent avoir joué un rôle dans ce vote négatif. Prétendre que le musée se borne à chanter les louanges de l’intégration européenne serait fallacieux. Il s’a� arde aussi sur la déstabilisa-tion résultant de la crise � nancière, sur l’óxıde la Grèce contre la politique d’austérité impitoyable imposée par l’Europe et sur le Brexit. Le visiteur qui reprend haleine assis sur l’un des petits bancs disposés en cercle tout en haut du bâtiment voit dé� ler sur une coupole au-dessus de sa tête des images

déchirantes de réfugiés sur les côtes euro-péennes.Le musée ne se présente dès lors certaine-ment pas comme un instrument de propa-gande pour une Europe unie dépourvue de complexes qui serait le corollaire logique d’une culture et d’un destin communs du peuple européen. Voilà qui constitue déjà un excellent point de départ. Mais de quoi s’agit-il alors exactement? La maison se propose de me� re en évidence des phénomènes euro-péens et n’a aucunement l’intention de raconter l’histoire de pays et de régions de l’Europe considérés séparément. Mais l’histoire de l’Europe est en elle-même un thème tellement vaste que toute tentative de l’appréhender de manière succincte doit fatalement s’avérer quelque peu super� cielle. À l’issue de ma visite, je me suis demandé quelles nouvelles idées le cas échéant surpre-nantes j’avais pu recueillir concernant la façon dont l’histoire a généré une mémoire euro-péenne commune. Je n’avais pas de réponse.Un tel projet méritait-il tous ces millions d’euros? Revisitant le musée un mois plus tard, j’y ai vu d’innombrables touristes et écoliers venant des quatre coins du monde. Une enquête réalisée récemment a révélé qu’une majorité écrasante des jeunes Euro-péens considère l’Union européenne comme un instrument de coopération essentiellement

La façade de la Maison de l’histoire européenne à Bruxelles.

économique. Une petite minorité seulement estime qu’elle se fonde sur une base culturelle commune. Il se peut très bien qu’une visite à la Maison de l’histoire européenne suscite chez eux un début de ré� exion sur les souvenirs que nous partageons entre Euro-péens.

Tomas Vanheste(Tr. W. Devos)

http://www.europarl.europa.eu/visiting/fr/bruxelles/

maison-de-l-histoire-européenne

http://www.europarl.europa.eu/visiting/fr/

LITTÉRATURE

Phare de la mémoire : les écrits d’Anne Frank

Anne Frank, un nom mondialement connu, lié à jamais au journal intime de ce� e adolescente juive, bouleversante. Cachée avec les siens, à Amsterdam, elle a péri dans les camps. Soixante-dix ans plus tard, voici la réédition intégrale de son Journal, agrémentée de textes méconnus. On y assiste, avec émotion, à l’éclosion d’une jeune � lle et d’un écrivain. La Shoah a eu sa peau, mais pas ses mots! Comment naît une œuvre? Qu’est-ce qui la rend pérenne dans le monde entier? Habituel-lement, la question se pose pour un écrivain con� rmé, mais Anne Frank est l’auteure d’un seul livre: son journal intime. Sept décennies plus tard, les éditions Calmann-Lévy rééditent l’intégrale de ses écrits. Elle comprend: plusieurs versions du Journal, des poèmes, des contes, un début de roman et des essais historiques éclairants. Que ce soit dans le ton ou les thèmes abordés, le Journal s’avère d’une grande modernité. Il brasse les soucis existen-tiels d’une adolescente, vivant dans des conditions exceptionnelles. En voici le

making-of. La «version a» naît dans son célèbre cahier à carreaux o� ert pour son treizième anniversaire (1942). «Moi, Anne Frank, je suis la � ère propriétaire d’un stylo-plume.» Au départ, sa voix enfantine ne se distingue en rien de celle d’autres ados. «C’est une sensation toute nouvelle et très étrange pour moi d’écrire un journal.» Elle s’adresse ainsi à Ki� y, sa con� dente imaginaire. Une belle trouvaille li� éraire, tant on a la sensation qu’elle partage ses joies et ses tracas avec chacun de nous. L’école, les amis, les amou-reux ou la maison sont décrits avec une innocence brute, si provisoire…Annelies Marie Frank naît à Francfort, en 1929. Quatre ans plus tard, l’évolution politique pousse sa famille à s’établir à Amsterdam. La convocation de sa grande sœur Margot marque un tournant. Pressentant le danger, leur père O� o avait aménagé une cache insoupçonnée au sein de son entreprise, Prinsengracht 263. Nous sommes le 6 juillet 1942. «Je considère notre clandestinité comme une aventure dangereuse, romantique et intéressante», écrit Anne. D’autant que d’autres habitants se joignent à eux. Soit huit personnes qui doivent se supporter dans ce huis clos. Le journal d’Anne devient son refuge, «sinon j’étou� erais complètement.» Elle s’y décrit avec espièglerie et acuité. «Partout je suis le clown, l’insolente, l’auda-cieuse», or ce caractère bien trempé cache un être «sensible, très sensible». Le Journal se veut le miroir de son âme. Un sens de l’obser-vation et de l’humour aigu pimente la «petite histoire de l’Annexe», un «établissement spécialisé dans le séjour temporaire des Juifs. Ouvert toute l’année, cadre plaisant en plein cœur d’Amsterdam.» Ses compères deviennent les personnages d’une comédie dramatique. «Nous sommes des Annexiens.» Une tribu réunie de façon improbable dans des conditions contraignantes. La liberté physique est restreinte, mais pas celle de l’esprit!L’envers du décor? Beaucoup de soucis, dont l’enfermement, principale source de tensions. Sans parler de la crainte d’être découverts.

75Publié dans Septentrion 2017/3. Voir www.onserfdeel.be ou www.onserfdeel.nl.

La guerre fait rage, mais la vie continue, avec ses con� its familiaux ou la naissance d’un amour. Ils rendent le Journal d’Anne Frank universel et intemporel. Des sentiments exacerbés par l’adolescence et ce� e promis-cuité constante. Impitoyable, la plume d’Anne ne connaît ni tabous ni � ltres, or sa démarche prend une autre tournure en 1944. La «version b» du Journal est amorcée, quand le ministre de l’Éducation Gerrit Bolkenstein préconise depuis Londres de réunir des témoignages de guerre, dont les journaux intimes. Elle, qui se rêve écrivain, réalise soudain qu’elle a une formidable matière entre les mains, mais elle doit la retravailler de façon plus li� éraire. Le style s’a� ne et prend de l’ampleur. Autre ré� exe: censurer l’éveil à la sexualité ou la rancœur envers sa mère. Un puzzle fascinant, faisant émerger un écrivain sous nos yeux. Grâce au travail minutieux de l’écrivaine Mirjam Pressler, le Journal forme «une version d», � dèle à l’âme d’Anne. Pour contrer l’ennui, Anne se consacre de plus en plus à ses écrits. Ceux qui naissent de sa réalité particulière ou de son imaginaire.

Le Livre de belles phrases témoigne d’un goût pour la poésie, la li� érature internationale ou les citations de Rubens et Goethe. L’ébauche du roman La Vie de Cady et les contes relèvent d’une plume � ctive, plus métaphorique. «Nous avions reçu pour nos privations une immense compensation intérieure.» Elle se re� ète dans ses ré� exions sur Dieu ou la nature inacces-sible. Sa philosophie? «Garder courage, chercher le bonheur, être gaie.» Peter y contribue en suscitant en elle l’amour, «quelque chose qui au fond ne se laisse pas traduire en mots.» Sa lucidité évolue au � l d’une maturité accélérée par une réalité menaçante. Les habitants la saisissent grâce à leurs bienfaiteurs et à la BBC, qu’ils écoutent religieusement. «J’aime les Pays-Bas, j’ai espéré que ce pays deviendrait une patrie, à moi l’apatride!» Le 4 août 1944, les An-nexiens sont arrêtés et déportés.Qui les a dénoncés? Seul O� o Frank survit à l’Enfer. Sauvé par Miep Gies, le Journal d’Anne devient sa raison de vivre. Il est édité avec di� culté, mais il incarne désormais l’un des visages de la Shoah. Aussi fait-il écho aux

Anne Frank (1929-1945) à l’école Montessori d’Amsterdam, 1940.

guerres actuelles. Anne meurt à Bergen-Bel-sen, en mars 1945. Son Journal lui survit. «J’ai un courage de vivre exceptionnel. J’aimerais bien ne jamais m’arrêter d’écrire… Je trouve-rais vraiment a� reux que mon journal et mes contes soient perdus.» L’esprit d’Anne Frank évolue aussi dans la fondation qui porte son nom. Elle donne une pulsion de vie à l’Annexe et à de nombreux projets pédagogiques. D’après l’un des deux traducteurs du Journal, Philippe Noble, «c’est l’un des textes les plus importants du XXè siècle, car il reprend tous les thèmes essentiels de l’humanité: l’amour, la justice, la religion et la soif de vivre.»

Kerenn Elkaïm

Anne Frank - L’intégrale, traduit du néerlandais par Philippe

Noble & Isabelle Rosselin, éditions Calmann-Lévy, Paris,

800 p., sortie le 4 octobre 2017.

Un autre événement mondial accompagne cette réédition

intégrale: la sortie de la première version graphique o� cielle

du Journal d’Anne Frank. Elle est signée Ari Folman, le

scénariste et réalisateur de Valse avec Bachir, qui avait fait

sensation à Cannes. Grâce aux dessins de David Polonsky,

on revisite l’univers de la jeune fi lle et de ses acolytes, dans

leur cache. Une autre façon de faire résonner, encore et

toujours, la voix d’Anne … (ARI FOLMAN & DAVID POLONSKY,

Le Journal d’Anne Frank, traduit de l’anglais par Claire

Desserey, éditions Calmann-Lévy, Paris, 146 p., sortie le 4

octobre 2017).

Dans l’intimité des Juifs d’Anvers, de New York et de Tel-Aviv

Sait-on vraiment comment les Juifs vivent, pensent, dorment, boivent ou rient? Il y a une trentaine d’années, Margot Vanderstraeten (° 1967), journaliste et romancière � amande, a aidé pendant six ans quatre adolescents juifs à faire leurs devoirs à la maison lorsqu’elle était étudiante en traduction-interprétation à

Anvers. Elle a donc été un témoin privilégié des us et coutumes de la communauté juive anversoise, qui s’est notamment distinguée dans le secteur du diamant. Margot Vanderstraeten écrit dans un néerlan-dais remarquable. Elle l’a prouvé dès son premier roman Alle mensen bijten (Tout le monde mord), récompensé il y a environ quinze ans par le prix du meilleur premier roman � amand. La justesse de ton de Mazzel tov. Mijn leven als werkstudente bij een orthodox-joodse familie (Mazzel tov. Mon expérience d’étudiante au pair dans une famille juive orthodoxe) est déjà un bonheur en soi pour les lecteurs qui a� ectionnent les observations précises. Le regard porté par Margot Vander-straeten sur la vie courante d’une famille juive libérale n’en est que plus intéressant. Pour le simple fait aussi qu’en raison de son amitié indéfectible avec les Schneider - nom � ctif de la famille au sein de laquelle elle a travaillé dans les années 80 et 90 du siècle dernier -, elle a toujours gardé des contacts à New York et en Israël, lesquels sont évoqués dans les deuxième et troisième parties du livre. Ce récit ethnographique dépasse le biotope anversois et fournit un instantané de la communauté juive en totalité qui rend parfaitement compte de la diversité de ce� e communauté: plutôt libéraux, comme les Schneider, pieux comme les hassidim, ou fondamentalistes comme les haredim, qui vont jusqu’à introduire la ségrégation dans les autobus, avec les femmes à l’arrière et les hommes à l’avant.Vanderstraeten raconte avec un grand naturel les di� cultés de ses premières rencontres avec la famille Schneider. Sa relation avec un ami iranien ne pouvait être bien perçue de prime abord par la maîtresse de maison juive, sans parler évidemment des quatre enfants qui étaient déjà venus à bout d’autres répéti-teurs et qui, chacun à sa façon, la me� aient à l’épreuve. Lorsque Margot Vanderstraeten apprend, avec plus ou moins de bonheur, à la jeune Elzira à faire du vélo, un déclic se produit. Parallèlement, elle écrit des rédac-tions pour le � ls Jakov et se trouve alors une

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La guerre fait rage, mais la vie continue, avec ses con� its familiaux ou la naissance d’un amour. Ils rendent le Journal d’Anne Frank universel et intemporel. Des sentiments exacerbés par l’adolescence et ce� e promis-cuité constante. Impitoyable, la plume d’Anne ne connaît ni tabous ni � ltres, or sa démarche prend une autre tournure en 1944. La «version b» du Journal est amorcée, quand le ministre de l’Éducation Gerrit Bolkenstein préconise depuis Londres de réunir des témoignages de guerre, dont les journaux intimes. Elle, qui se rêve écrivain, réalise soudain qu’elle a une formidable matière entre les mains, mais elle doit la retravailler de façon plus li� éraire. Le style s’a� ne et prend de l’ampleur. Autre ré� exe: censurer l’éveil à la sexualité ou la rancœur envers sa mère. Un puzzle fascinant, faisant émerger un écrivain sous nos yeux. Grâce au travail minutieux de l’écrivaine Mirjam Pressler, le Journal forme «une version d», � dèle à l’âme d’Anne. Pour contrer l’ennui, Anne se consacre de plus en plus à ses écrits. Ceux qui naissent de sa réalité particulière ou de son imaginaire.

Le Livre de belles phrases témoigne d’un goût pour la poésie, la li� érature internationale ou les citations de Rubens et Goethe. L’ébauche du roman La Vie de Cady et les contes relèvent d’une plume � ctive, plus métaphorique. «Nous avions reçu pour nos privations une immense compensation intérieure.» Elle se re� ète dans ses ré� exions sur Dieu ou la nature inacces-sible. Sa philosophie? «Garder courage, chercher le bonheur, être gaie.» Peter y contribue en suscitant en elle l’amour, «quelque chose qui au fond ne se laisse pas traduire en mots.» Sa lucidité évolue au � l d’une maturité accélérée par une réalité menaçante. Les habitants la saisissent grâce à leurs bienfaiteurs et à la BBC, qu’ils écoutent religieusement. «J’aime les Pays-Bas, j’ai espéré que ce pays deviendrait une patrie, à moi l’apatride!» Le 4 août 1944, les An-nexiens sont arrêtés et déportés.Qui les a dénoncés? Seul O� o Frank survit à l’Enfer. Sauvé par Miep Gies, le Journal d’Anne devient sa raison de vivre. Il est édité avec di� culté, mais il incarne désormais l’un des visages de la Shoah. Aussi fait-il écho aux

Anne Frank (1929-1945) à l’école Montessori d’Amsterdam, 1940.

guerres actuelles. Anne meurt à Bergen-Bel-sen, en mars 1945. Son Journal lui survit. «J’ai un courage de vivre exceptionnel. J’aimerais bien ne jamais m’arrêter d’écrire… Je trouve-rais vraiment a� reux que mon journal et mes contes soient perdus.» L’esprit d’Anne Frank évolue aussi dans la fondation qui porte son nom. Elle donne une pulsion de vie à l’Annexe et à de nombreux projets pédagogiques. D’après l’un des deux traducteurs du Journal, Philippe Noble, «c’est l’un des textes les plus importants du XXè siècle, car il reprend tous les thèmes essentiels de l’humanité: l’amour, la justice, la religion et la soif de vivre.»

Kerenn Elkaïm

Anne Frank - L’intégrale, traduit du néerlandais par Philippe

Noble & Isabelle Rosselin, éditions Calmann-Lévy, Paris,

800 p., sortie le 4 octobre 2017.

Un autre événement mondial accompagne cette réédition

intégrale: la sortie de la première version graphique o� cielle

du Journal d’Anne Frank. Elle est signée Ari Folman, le

scénariste et réalisateur de Valse avec Bachir, qui avait fait

sensation à Cannes. Grâce aux dessins de David Polonsky,

on revisite l’univers de la jeune fi lle et de ses acolytes, dans

leur cache. Une autre façon de faire résonner, encore et

toujours, la voix d’Anne … (ARI FOLMAN & DAVID POLONSKY,

Le Journal d’Anne Frank, traduit de l’anglais par Claire

Desserey, éditions Calmann-Lévy, Paris, 146 p., sortie le 4

octobre 2017).

Dans l’intimité des Juifs d’Anvers, de New York et de Tel-Aviv

Sait-on vraiment comment les Juifs vivent, pensent, dorment, boivent ou rient? Il y a une trentaine d’années, Margot Vanderstraeten (° 1967), journaliste et romancière � amande, a aidé pendant six ans quatre adolescents juifs à faire leurs devoirs à la maison lorsqu’elle était étudiante en traduction-interprétation à

Anvers. Elle a donc été un témoin privilégié des us et coutumes de la communauté juive anversoise, qui s’est notamment distinguée dans le secteur du diamant. Margot Vanderstraeten écrit dans un néerlan-dais remarquable. Elle l’a prouvé dès son premier roman Alle mensen bijten (Tout le monde mord), récompensé il y a environ quinze ans par le prix du meilleur premier roman � amand. La justesse de ton de Mazzel tov. Mijn leven als werkstudente bij een orthodox-joodse familie (Mazzel tov. Mon expérience d’étudiante au pair dans une famille juive orthodoxe) est déjà un bonheur en soi pour les lecteurs qui a� ectionnent les observations précises. Le regard porté par Margot Vander-straeten sur la vie courante d’une famille juive libérale n’en est que plus intéressant. Pour le simple fait aussi qu’en raison de son amitié indéfectible avec les Schneider - nom � ctif de la famille au sein de laquelle elle a travaillé dans les années 80 et 90 du siècle dernier -, elle a toujours gardé des contacts à New York et en Israël, lesquels sont évoqués dans les deuxième et troisième parties du livre. Ce récit ethnographique dépasse le biotope anversois et fournit un instantané de la communauté juive en totalité qui rend parfaitement compte de la diversité de ce� e communauté: plutôt libéraux, comme les Schneider, pieux comme les hassidim, ou fondamentalistes comme les haredim, qui vont jusqu’à introduire la ségrégation dans les autobus, avec les femmes à l’arrière et les hommes à l’avant.Vanderstraeten raconte avec un grand naturel les di� cultés de ses premières rencontres avec la famille Schneider. Sa relation avec un ami iranien ne pouvait être bien perçue de prime abord par la maîtresse de maison juive, sans parler évidemment des quatre enfants qui étaient déjà venus à bout d’autres répéti-teurs et qui, chacun à sa façon, la me� aient à l’épreuve. Lorsque Margot Vanderstraeten apprend, avec plus ou moins de bonheur, à la jeune Elzira à faire du vélo, un déclic se produit. Parallèlement, elle écrit des rédac-tions pour le � ls Jakov et se trouve alors une

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