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Photographies Christian Malon Textes Evelyne Wander Mise en page Nicolas Verrier

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PhotographiesChristian Malon

TextesEvelyne Wander

Mise en pageNicolas Verrier

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SOMMAIRE

PréfaceLe cheval et le photographe 5Armand Frémont, géographe

Introduction 8Les jeux équestres, trait d’union régionalMartine Moulin, présidente de l’écomusée du Perche

Christian Malon, la campagne pour objectif 12

Le retour du cheval de trait 16

Passer à autre chose 22

L’avenir d’un vieux métier ! 26

La ville au pas de l’éco-urbanité 32

Sur les chemins de l’école 38

Egalité, équidés, liberté 44

Le tractionneur aux champs 48

Conclusion 52

Bibliographie 54

Remerciements et partenaires 56Normandie Trait,

Brecey (50), printemps 2014

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Dans un grand herbage du Perche, quelque part entre Mortagne et Nogent-le-Rotrou, à l’abri des arbres et des haies vives, la terre humide fume, une brume légère s’élève que l’œil distingue à peine, de même que la fraîcheur en de légers frissons du corps. Le cheval est là, paisible, puissant, immobile, inquiétant comme une vieille lé-gende d’un autre âge que l’on n’aurait jamais totalement décryptée, et pourtant familier tel un très vieil ami… Christian Malon photogra-phie comme il ne cesse de le faire depuis plusieurs décennies.

En compagnie des paysans d’Auvergne ou de Normandie, il a déjà souvent photographié des chevaux au travail, mais de moins en moins durant le XXe siècle finissant, car l’animal de labeur s’y est fait de plus en plus rare, remplacé par les tracteurs encore plus puissants que lui. Mais aujourd’hui, voici que le cheval est devenu le sujet même du photographe. Une nouvelle attention se porte sur celui qui fut le vieux compagnon des joies et de la folie des hommes, le cheval de guerre ou de parade, le cheval des durs parcours et des labours profonds… On le croyait disparu. Il revient. On l’estimait au mieux destiné à la boucherie ou aux courses. Il réapparaît. Les en-fants s’émerveillent. Les adolescents rêvent de le monter. Les pa-rents encouragent ces élans paisibles. Les jeunes filles frissonnent. Au grand herbage près de la rivière, le puissant percheron redonne, sous les caresses de la brume légère, une beauté que l’on oserait presque dire originelle. Il s’élance et sa puissance redouble, crinière au vent, pelage gris, sabots frappant la terre avant de s’envoler. Le photographe photographie. Sous son élégante casquette, derrière ses fines lunettes, jamais peut-être son regard n’a été aussi fasci-né, car l’animal, ce matin de brume, n’évoque pas seulement la force domestiquée et familière, mais la beauté tel un mystère.

PRÉFACELE ChEvAL Et LE PhOtOgRAPhE

Sortie des percherons,Haras du Pin (61), printemps 2014

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Christian Malon a choisi le Perche et le cheval percheron. C’est un très ancien pays de cheval, un des plus célèbres, presque une légende de la saga paysanne. Le cheval gris aux membres gonflés de muscles a été sélectionné ici, au XIXe siècle, dans ces fermes élégantes de pierre blanche aux cours fermées, pour la puissance, le travail à la ferme ou sur les routes. Il a été exporté dans le monde entier. Il a participé à la conquête de l’Ouest en Amérique. En France, il a servi dans les grandes plaines céréalières ou dans les villes pour les transports lourds ou encore entre les villes au galop des diligences, TGV d’une époque qui s’épre-nait déjà de vitesse et de puissance. Le cheval a fait la fortune du Perche, de ses éleveurs, de ses étalonniers, de ses marchands, de ses maréchaux-ferrants, de ses petites villes et de ses bourgs. Trois décennies après la Seconde Guerre mon-diale, il n’en restait à peu près rien. Le tracteur s’était imposé, de même que la nécessité du rendement et de la productivité, des grandes vagues laitières ou cé-réalières. Mais depuis la fin du XXe siècle, le cheval, discrètement, est de retour.

Ici comme ailleurs en Normandie, s’est imposé surtout le cheval de course ou de sport, le cheval de selle et de loisir. La Normandie reste ainsi, y compris avec le Perche, la première région d’élevage du cheval en France, une des principales en Europe et dans le monde. Mais Christian Malon est allé chercher de nou-velles traces, sans doute plus rares, peut-être des traces nostalgiques du pas-sé, peut-être celles de nouveau pionniers, sans doute des signes de temps per-dus et retrouvés, plus économes des énergies non renouvelables, plus proches de la nature et de la vie que le déferlement mécanique, très certainement des témoins encore très isolés d’une recherche incertaine. Alors oui, ici, des enfants peuvent prendre le chemin de l’école au pas apaisant d’un cheval. Ramassage scolaire. Et là, le débardage sur les fortes pentes permet mieux que d’autres moyens l’exploitation forestière. Ou bien dans cette station près de la plage et du port, le ramassage des ordures ménagères s’effectue en voiture à cheval. Travail urbain et rural. Et là encore, dans cette petite ville, la visite tranquille de rue en rue s’effectue au rythme de deux bons percherons. Tourisme, loisirs, plai-sir. Et pas un gramme de CO2 à devoir. Les portes du XXIe siècle s’ouvriraient-elles au pas d’un cheval ? Il est permis d’en douter. Mais on peut aussi y croire. Les pionniers, hommes et femmes, avec raison, avec passion, n’en doutent pas. Christian Malon les observe et fixe leur image.

Armand Frémont,géographe

Francheville, 2-6-14 Reconstitution de la remontée du varech, plage de Gouville-sur-Mer (50) en 2004

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LES JEUX ÉQUEStRES,tRAIt D’UNION RÉgIONAL

L’exposition « Deux pieds, quatre sabots » a été labellisée dans le cadre d’un évènement sportif d’ampleur internationale se déroulant en Basse-Normandie : les Jeux Equestres Mondiaux (FEI AllTech™ 2014) qui regroupent huit championnats du monde accompagnés d’évènements culturels, de démonstrations (horse-ball et polo) et d’animations.

Organisés tous les quatre ans en alternance avec les Jeux Olympiques, ces Jeux Equestres Mondiaux sont considérés comme le plus grand évènement équestre au monde, soixante-dix nations sont représentées. Huit disciplines officielles de la Fédération Equestre Internatio-nale : saut d’obstacles, dressage, concours complet d’équitation, attelage, reining (équita-tion western), voltige, endurance ; para-dressage. L’équitation est un sport olympique et pa-ralympique où les hommes et les femmes participent à un concours unique à l’issue duquel le compétiteur ou la compétitrice, ainsi que le cheval, sont médaillés.

500 000 spectateurs sont attendus pour cette manifestation se déroulant sur 7 sites. 500 millions de téléspectateurs sont espérés.

L’écomusée du Perche s’est naturellement inscrit dans l’esprit du projet de territoire porté par la Région bas-normande à l’occasion de ces jeux. L’élan des jeux est une magnifique occasion de valoriser la diversité des élevages normands et de s’interroger sur la ressource de développement durable que ceux-ci offrent aux territoires normands. Le Perche a reçu en héritage une longue tradition d’élevage de chevaux de trait. Ce cheval de travail qui a failli disparaître, banni par l’agriculture motorisée d’après-guerre (1939-1945), est devenu l’em-blème du territoire. Les jeux équestres donnent un éclairage particulier au cheval de travail qui connaît à nouveau une période d’utilisation au service de la société dans les villes et en campagne. Services hippomobiles, assistance logistique (arrosage, collecte de déchets…), animations sont au programme pour les spectateurs des jeux. Cette ambiance festive ne doit pas faire oublier que les percherons et les cobs, en Normandie et dans le Perche, accom-plissent des missions au quotidien.

Le reportage photographique de Christian Malon restitue cette réalité contemporaine, il expose les mutations conjointes de la so-ciété et de l’élevage des chevaux de trait. Le retour des chevaux en ville, le dévelop-pement de nouvelles niches économiques, la place des femmes dans cette dynamique, la reconsidération de la motorisation pour certains travaux, les questions environne-mentales, sont autant de sujets saisis par ce photographe, grand témoin, du monde rural depuis de nombreuses années.

Ce travail photographique est l’occasion pour notre établissement, doté d’impor-tantes collections matérielles et immaté-rielles concernant le cheval percheron, de prendre la mesure de ces évolutions et d’en conserver la mémoire.

Martine Moulin, présidente de l’écomusée du Perche

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Elevage Guy Merel dans la vallée de l’Huisne, environs de Nogent-le-Rotrou (28),

printemps 2014

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ChRIStIAN MALON,LA CAMPAgNE POUR OBJECtIF

Diplômé de l’Institut National Agronomique (Dijon), Christian Malon a mené deux carrières de front : celle de professeur d’éducation culturelle en Lycées Agricoles et celle de photographe du monde rural. Il a construit son premier sujet photographique en comparant les univers paysans auvergnat et normand (1967). En partie autobiographique, ce reportage retrace l’itinéraire d’un petit-fils d’agriculteurs partagé dès son plus jeune âge entre deux régions rurales.

« J’ai vécu ces trente dernières années de ruptures du monde agricole avec le sentiment d’abord confus que nous vivions la fin d’un monde ! Les aller-et-retour biannuels entre Au-vergne et Normandie m’ont d’abord montré un écart croissant entre les développements agricoles de ces deux régions. La Normandie agricole, compte tenu de son climat plus favo-rable… se développait plus rapidement que l’Auvergne [...] Mon désir était alors de conserver la mémoire de ces gens, de leurs modes de vie […] mes photographies je l’espère, au-delà du devoir de mémoire indispensable, peuvent contribuer par leur simplicité et je l’espère par leur vérité, à nous interroger sur notre avenir à travers ces regards de paysans, leurs liens avec les animaux et la nature ; en gardant l’émotion. »

Dès lors, Christian Malon tente de fixer le temps qui passe sur la pellicule argentique avec une émotion doublée d’une intention documentaire. Depuis 47 ans, les procédés photogra-phiques ont évolué. Ainsi armé de ses deux appareils, l’un argentique, l’autre numérique, ce photographe en campagne ne cesse de témoigner de son amour du monde rural. Il a publié ou contribué à la publication de nombreux ouvrages ouvrant le monde agricole à l’analyse de l’historien, du sociologue, du géographe.(1)

Cette œuvre de référence a pris place dans de nombreuses collections publiques, dont celle de l’écomusée du Perche, mais c’est naturellement au Conservatoire de l’agriculture à Chartres que la majeure partie de ce fonds photographique prendra place (7000 négatifs, 1700 tirages argentiques, 2000 diapositives).

Au-delà de la consécration d’un travail, la richesse de cette iconographie documentaire est à souli-gner, elle a déjà occupé un demi-siècle de la vie d’un homme qui ne se résout pas à poser son objectif.

L’enquête, objet de ce catalogue, a fait circuler Christian Malon dans l’espace bas-normand et à ses frontières. Si sa carrière a débuté dans un état d’esprit de course contre la disparition, cette série numérique en couleur permet d’observer une campagne différente, celle des mobilités sociales, celle qui vient s’afficher en ville avec de nouvelles valeurs. L’habillage particulier donné aux tirages dans l’exposition et repris dans ce catalogue a été confié à Nicolas Verrier, graphiste-scénographe. Preuve de son ouverture d’esprit, Christian Malon a accepté ce regard imposant un autre rythme à ses clichés. Sa devise pourrait être la photogra-phie en partage pour le présent et le futur. Son cheminement conduit à le penser.

(1) Parmi ces publications citons : • Portraits de campagne(s), Christian Malon, éditions OREP, Bayeux (Calvados), 2012 • Sur les pas de Jean-François Millet, photographies Christian Malon, avant- propos Jean-Luc Dufresne, textes Jean-Luc Dufresne, Arlette Farge, Armand Frémont et al., éditions OREP, Bayeux, 2010• Gens du pays, photographies Christian Malon, préface Emmanuel Le Roy Ladurie, éditeur C. Corley, Condé-sur-Noireau (Calvados), 1998• Dessins de Jean-François Millet,Marie-Pierre Salé, 5 continents éditions, Milan (Italie) Musée d’Orsay, Paris, 2006.

Cheval percheron à la grande longe, Elevage Lerouxel, Tournebu (14) en 1997

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Niño, élevage particulier, environs de Rémalard (61), printemps 2014

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Des aides contribueront à sauver ces races rustiques d’élevage considérées comme en voie de disparition. L’identité régionale est renforcée et de nouvelles dénominations apparais-sent : l’Ardennais du Nord devient Trait du Nord et le Cob prend le titre de Cob normand.

Les berceaux de race se sont maintenus, mais des zones d’élevage se sont déplacées. De nouveaux besoins émergents coïncident avec la modification sociologique des éleveurs. L’hippophagie, si elle continue d’être pratiquée, est toujours un sujet délicat à aborder avec les éleveurs. Les loisirs, le sport, l’écologie, l’engouement des femmes pour l’équitation ont modifié ces vingt dernières années la relation à l’animal. Ces nouveaux usages du cheval de trait sont producteurs d’activités économiques et de nouvelles sociabilités : le ramassage scolaire, la collecte d’ordures, le marketing sont venus compléter les activités viticoles ou forestières confiées au cheval de traction pour des raisons de rentabilité économique et écologique. Si les haras et les fêtes de pays continuent de porter la tradition de l’élevage du Cob et du Percheron en Normandie et dans le Perche, leur avenir est conditionné par des acteurs éloignés des filières agricoles classiques.

(1) Terminologie adoptée par Marcel Mavré, Attelages et attelées. Un siècle d’utilisation du cheval de trait, France Agricole Editions, 2004, 223 p.

(2) Décret n°76-351 du 15 avril 1976 rendant applicables aux équidés les articles 2, 3, 7, 10-1, 10-2, 10-3 et 16 de la loi n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l’élevage.

(3) JORF n°78 du 2 avril 1994, Arrêté du 11 mars 1994 portant modification de l’arrêté du 23 juillet 1976 relatif aux races reconnues et aux appellations des chevaux nés en France.

LE REtOUR DU ChEvAL DE tRAIt

La Révolution Verte désigne les grandes transformations agricoles, dans les pays dévelop-pés, dans les années 1960 et 1970. Ses aspects les plus fondamentaux en sont la généra-lisation de la motorisation, l’utilisation des engrais chimiques et de produits phytosanitaires, la mise au point des semences. Le monde agricole contemporain est un monde majoritaire-ment très mouvant fonctionnant par spécialités à l’instar de la société industrielle. Il répond aux besoins du marché.

Devenu inutile dans ce nouveau schéma de l’utilisation des campagnes, le cheval de trait qui avait accompagné le développement agricole occidental pendant la période précédente, est destiné à disparaître. Dans les années 1970, il passe du rôle de tractionneur(1) à celui de produit destiné à la boucherie. Il devient officiellement un cheval lourd(2), qualificatif adapté à la filière hippophagique.

Destin funeste pour les races de trait qui ont contribué à relever l’économie française en 1948. De ce cheptel de 2 000 000 bêtes, ne subsistent plus que 150 000 chevaux dans les années 1980.

Les haras nationaux appliquent les directives gouvernementales et s’emploient à répondre à la nouvelle demande. Seul l’attelage de prestige permet au cheval de trait de conserver son capital génétique. Certains éleveurs se résolvent à approvisionner la filière viande tout en conservant quelques modèles plus légers. Les fêtes de village, les musées conservent la mémoire et l’histoire de ce compagnon de tra-vail. « Deux pieds, quatre sabots » est un titre qui résume cette relation. Cette mémoire ne se dissipe pas, elle croise de nouveaux mouvements comme la politique de régionalisation, un nouveau regard sur l’environnement, les loisirs et le paysage, la question de la perte d’un capital génétique, le travail de terrain des sociétés hippiques. La société du tout industriel fléchit. En 1994(3), les races de chevaux lourds redeviennent des races de chevaux de trait.

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Étalon percheron, haras de Saint-Lô, été 2010

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Cobs, prix de bande, haras de Saint-Lô (50) en 2010

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PASSERÀ AUtRE ChOSE

Normandie Trait est une entreprise qui valorise le travail du cheval de trait. L’activité est diversifiée, elle s’étend des activités agricoles aux activités de services en milieu urbain. Le cheval est aussi efficace pour la préservation de zones sensibles, les endroits peu accessibles, qu’il est économique et préserve l’environnement en ville. Il est devenu un atout marketing et fait la joie des usagers et des passants.

Normandie Trait a dépassé la gamme des simples prestations d’attelage pour offrir de nou-veaux services aux entreprises, aux associations et aux collectivités. Les compétences de ses chevaux répondent aux attentes multiples des utilisateurs. C’est à partir d’une passion pour le cheval de trait, sans aucun contexte familial, que Ludovic Eugène crée son entreprise en 2011.

« J’ai été formé au Haras du Pin. J’ai préparé un diplôme de CS cocher(1) dans le cadre des formations du ministère de l’Agriculture, grâce à un Congé Individuel de Formation. Aupa-ravant, j’étais conducteur routier, c’est une reconversion. J’ai toujours été passionné par les chevaux de trait. Suite à ma formation, je me suis installé avec deux chevaux. Le travail, c’est le salut des chevaux de trait. Aujourd’hui, il faut des chevaux polyvalents. Je travaille avec de grandes villes : Angers, Caen, Paris... Je suis régulièrement contacté par les médias… » L’entreprise de trois salariés, qui s’est maintenant installée à Brecey (Manche) en 2013, vise l’acquisition de chevaux des neuf races de trait françaises afin de s’adapter aux demandes régionales. Réalisme et travail sur l’image justifient ce projet, de même que l’attention portée aux races locales encore menacées de disparition. Sur le fond, Ludovic Eugène souhaite se démarquer d’une attitude tournée vers le passé.

« Il existe un décalage générationnel. On ne peut pas vivre en attendant les clients sur la place à 2 euros le tour d’attelage. Le folklore a eu son utilité pour le maintien des races, il faut passer à autre chose. Il faut se placer sur d’autres activités, par exemple les panneaux

publicitaires, en ville, sur des attelages. Je travaille avec un graphiste-sérigraphe qui a des contrats avec de grandes entreprises. »

La diversification de la clientèle permet de remplir le plan de charge. « Il faut au minimum 20 jours de travail par mois et le week-end, c’est du surplus ! Dans mon entreprise, hommes et chevaux ont quelques jours de congés par an et c’est viable.Pour certaines activités comme l’arrosage des fleurs en ville, il faut considérer le tracteur qui roule au pas à la même vitesse que le cheval. Il faut donc viser des choses économique-ment réalisables. Il faut travailler les prix pour répondre aux commandes. Il faut pérenniser les activités viables et se fixer un objectif comme un salaire décent. Pour moi, le cheval, je le considère comme un amortissement, aussi je sais combien il coûte par jour. Dans le monde de l’entreprise, on doit avoir une crédibilité et bien différencier le loisir du travail. Mon rêve serait de partir en roulotte avec mes chevaux et de mettre mon portable à la poubelle. Cependant, pour faire ce métier, il faut être vraiment passionné. »

(1) Préparation du Certificat de spécialisation agricole option « utilisateur de chevaux attelés » (CSUCA). Diplôme de niveau V délivré par le ministère chargé de l’agriculture. Le but : acquérir une qualification professionnelle reconnue dans le domaine de l’attelage mobilisant des véhicules hippomobiles à des fins touristiques ou utilitaires, ou dans le domaine du travail agricole.

Ludivine Tessont, Normandie Trait, conduit le tractozore, quatre roues,

avec relevage et herse (entreprise Clémobil) en action

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La-Chaise-Dieu-du-Theil (27), printemps 2014

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L’AvENIRD’UN vIEUX MÉtIER !

Le cheval de trait réapparaît dans les villes et les campagnes pour raisonner l’utilisation systématique de la motorisation, préserver ainsi l’environnement et repenser les sociabilités. Si de nouveaux dé-veloppements se font jour, ils reposent sur des savoir-faire qui se sont transmis sur la longue durée. La préservation de la mémoire, le recueil de l’histoire et l’engagement des acteurs ont permis de trans-mettre les outils des mutations présentes. Il avait été prédit à Daniel Vallée, dans les années 1960/70, que la maréchalerie n’était pas un métier d’avenir. A cette époque, le cheval percheron était en déclin, mais ce n’était pas le cas du cheval de selle.

Il a, ainsi, été imprimeur pendant 23 ans, alors que depuis son enfance, il avait la passion des chevaux. Parallèlement à son métier, il a commencé à pratiquer des activités liées au cheval : organisa-teur de manifestations équestres, cavalier d’endurance, il s’est aussi intéressé à la maréchalerie.

La passion du cheval l’a emporté sur le travail d’imprimeur, il crée son entreprise en 1994. Sa clientèle s’est constituée par le bouche à oreille. Depuis, d’autres maréchaux-ferrants se sont installés à Mor-tagne ; on dénombre au moins 6 professionnels de ce secteur dans le Perche ornais (Saint-Mard-de-Réno, Maison-Maugis, Soligny-la-Trappe, Mortagne).

L’hiver, Daniel Vallée s’occupe de son propre élevage. La saison de ferrage reprend de mars à octobre. « Les percherons, c’est surtout l’été avec les concours, les balades. En hiver, ils sont au pré. La clien-tèle de chasse à courre est importante de septembre à octobre.

Ecuries du haras du Pin (61)en 2014

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Il existe beaucoup de chasses dans le Perche et dans l’Orne (le chevreuil à Carrouges, le cerf à Perseigne, le sanglier dans le Perche), ce qui représente beaucoup d’équipages. Une chasse, c’est 50 kilomètres, les fers s’abiment vite. Deux fois par semaine, je fais un entretien régulier d’un équipage de 15 chevaux. J’ai environ 200 clients, des particuliers, et parmi ceux-ci de petits clients. Je ferre 100 percherons, à l’anglaise, c’est-à-dire sans travail(1), 200 ânes, le reste en chevaux de selle. Le particulier a besoin de conseils. Je me définis parfois comme un maréchal-expert. Le recul du temps sur des animaux que je vois régulièrement permet de voir l’état du cheval avant de l’envoyer chez le vétérinaire. Dans 60 % des cas, je m’occupe seul du cheval, je ne vois pas le client car les uns travaillent, les autres sont résidents secondaires. Il existe une confiance de part et d’autre. »

A l’instar du métier de maréchal-ferrant, ce qui était pensé comme disparu et portant le nom générique de vieux métiers, renaît dans un autre contexte, sous d’autres formes. Les éle-veurs, les agriculteurs (fourniture de fourrages), les métiers de service tels que les cochers, les palefreniers-soigneurs, les vétérinaires, les techniciens de matériels hippomobiles, les bourreliers, les formateurs, les personnels administratifs sont autant de métiers participant de la filière du cheval de trait. La traction animale est potentiellement un moteur économique et sociétal.

Daniel Vallée, maréchal-ferrant, environs de Rémalard (61), printemps 2014

(1) Structure métallique ou de bois servant à maintenir le cheval pendant le ferrage.

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LA vILLE AU PASDE L’ÉCO-URBANItÉ

Depuis le premier Congrès des chevaux territoriaux, à Trouville en 2003, la question du cheval en ville est devenue un vrai sujet dépassant le stade de l’anecdote. Un rapport récent du ministère de l’Agriculture(1) comptabilisait plus de 200 villes ayant choisi d’utiliser des équidés pour régler un ou plusieurs problèmes environnementaux ou sociaux : l’entretien des espaces verts et des zones sensibles, les navettes, le ramassage scolaire, les circuits touristiques, les manifestations diverses, la collecte des déchets, les projets pédagogiques et la médiation sociale.

Le service de la ville de Trouville-sur-Mer a été créé en 2000. Le directeur général des ser-vices, Olivier Linot, a conçu ce projet pour gérer l’enlèvement des déchets dans une ville très touristique (80 restaurants). La gestion urbaine est assez complexe dans une ville qui passe de 5000 habitants en semaine à 20 000 les fins de semaine. La conséquence de l’activité de restauration se traduit par cinquante tonnes de verre par an à collecter dans des rues piétonnes, des rues étroites et une circulation de véhicules assez dense. Après étude, la ville acquiert Festival de mai, un percheron de cinq ans, et une charrette. Elle recrute quatre personnes dans le cadre des contrats Emploi jeune. La formation des personnels était assez compliquée, le CS cocher n’existant pas encore, les jeunes salariés ont passé le Galops au sein de la Fédération française d’équitation.

Au départ, l’esprit de bonne gestion a présidé à cette opération. Le service prend en charge le tri : du verre, du carton, des sacs jaunes. Le prix de revient est nettement inférieur à l’amor-tissement d’un camion et aux frais de fonctionnement inhérents. Puis ce service s’est déve-loppé et cette histoire a fait connaître Trouville. Aujourd’hui, le cheval permet de communi-quer. Les administrés étaient réticents, mais si les personnes âgées arguaient « le retour en arrière », elles sont aujourd’hui conquises. La présence d’un attelage en ville contribue également à ralentir le flux automobile. Parfois, des démonstrations sur le parcours de la collecte sont organisées pour des écoles et le service participe régulièrement aux mani-festations.

Côté écurie, Cob et Percheron, les deux grands types de trait normands sont représentés : « ce n’est pas vraiment la puis-sance qui compte, mais le comportement. Il faut un cheval très volontaire. Pour les hauteurs de Trouville, nous utilisons un Cob pour manœuvrer plus facilement ». Les agents sont très attachés à leurs chevaux : « On garde les chevaux retraités, on a un cheval de 16 ans qui est car-diaque ».

Côté équipe, les Trouvillais côtoient Marie, Pascal, Adèle (ap-prentie) et Christelle, qui a pu trouver sa voie grâce à l’initia-tive de la ville de Trouville. « Je suis cavalière depuis l’âge de huit ans. Le milieu du cheval, c’était difficile de penser que ce serait mon métier, on n’imaginait pas ce genre de travail. Je n’avais pas envie de faire des box tous les jours. C’est trop dur physiquement. Ici, j’ai pu allier la passion du cheval avec le confort de la fonction publique. »

(1) Rapport du ministère de l’Agriculture, CGAAER, septembre 2012.

Tournée de ramassage du tri sélectif dans les rues de Trouville-sur-Mer (14),

printemps 2014

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Attelage de maringote assurant la navette vers le Mont-Saint-Michel (50) en 2014

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SUR LES ChEMINSDE L’ÉCOLE

Claude connait le monde du cheval depuis son enfance car son grand-père était militaire de carrière dans la cavalerie. Retraité, il est devenu agriculteur et moniteur d’équitation. Il donnait des cours particuliers. Il était propriétaire de chevaux de selle. « Dès l’âge de 5 ans, je montais à cheval. » A 85 ans, il a donné un cheval à chacun de ses petits-enfants. « Laurette, c’était ma jument. A une génération d’écart, même si on était mordu, on ne se voyait pas vivre de cette passion. J’ai été technicien dans un groupe de construction de machines destinées à l’imprimerie pendant 28 ans. Parallèlement, j’ai eu des chevaux. En 2001, on s’est dit pourquoi pas une percheronne ? Ketmie avait deux ans quand on l’a achetée. Avec ce cheval, on a fait le concours de Bernay. Pourquoi ? Je n’en sais rien. On a emprunté un van et on a acheté de la laine pour la tresser, mais on ne savait pas comment faire. Au départ, on avait acheté la jument pour la monter et l’atteler. On l’a fait pouliner. Mon beau-frère est agriculteur, cet environnement familial a beaucoup facilité nos projets.Nous avons eu Ondine de La-Chaise-Dieu qui a fait un bon démarrage au Salon de l’Agricul-ture. En 2006, elle a été première diligencière. Cela a contribué à développer d’avantage le virus, en plus de tous les gens sympathiques que nous rencontrions.Nous avons huit chevaux maintenant. Roxane, fille d’Ondine, a été classée 4e au Salon de l’Agriculture en 2013. »

A l’occasion d’une manifestation équestre dont le thème était l’environnement et les éner-gies renouvelables, Claude rencontre un meneur qui présentait un bus scolaire hippomobile. Il pense alors à la commune où il réside : « Je me suis dit pourquoi pas à La-Chaise-Dieu(1) ? J’avais 54 ans et je me suis dit que je ferais cela à la retraite ».

Un plan social se prépare dans son entreprise, il saisit l’opportunité et se porte volontaire. « Cette décision m’a permis de suivre une formation en anticipant ma retraite. »

Avec le maire de la commune, vice-président de la communauté de communes, Dominique René, très impliqué dans ce projet, ils font le point administratif. Les transports scolaires,

Claude Segaud prépare Qualité-des-Genets dit Bijou,

10 ans, et Unik-du-Val-Ménard, 6 ans, pour atteler la voiture

des transports scolaires de La-Chaise-Dieu-du-Theil (27)

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réglementés par le conseil général restent une compétence de la communauté de com-munes. « Coté politique, c’était ok, mais il fallait le soutien et la participation des parents d’élèves. Financièrement nous n’avions aucun problème non plus. J’ai passé mon CS Cocher et j’ai fait mon stage à Trouville-sur-Mer. Je recherchais une grosse structure, pas un gars qui attend le client sur la place de l’église. A l’occasion de ce stage, j’ai organisé une visite à Trouville pour des élus de la CDC de La-Chaise-Dieu et des parents d‘élèves. »

Claude est devenu prestataire de services en septembre 2013, mais cette seule activité ne peut suffire. « Pour améliorer mes revenus, je conduis le car scolaire. J’ai 58 ans et je bénéficie d’un matériel et de chevaux que j’ai pu acquérir sur plusieurs années. Disons que cette prestation est une base et je vais chercher à développer d’autres projets. Néanmoins, le bilan humain de ma première année est très positif. J’étais habitué dans mon entreprise précédente à une pression d’enfer, on avait des contrôles de rentabilité. Là, c’est grandiose. Tous les matins, j’ai un audit qui se traduit par vingt-quatre gamins, vingt-quatre sourires. »

« Depuis quelques années ce milieu s’est ouvert à de nouvelles techniques et au marketing, c’est un autre regard. Les élus ne voient pas toujours que le cheval apporte plus que de l’éco-nomie. Le cheval a un rôle social. »

(1) La-Chaise-Dieu-du-Theil est une commune rurale de 245 habitants permanents située dans le département de l’Eure (Haute-Normandie).

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« Vingt-quatre gamins, vingt-quatre sourires », La-Chaise-Dieu-du-Theil (27), printemps 2014

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ÉgALItÉ, ÉQUIDÉLIBERtÉ

Après la Seconde Guerre mondiale, en tant que pratique de sport et de loisir, le nombre de cavaliers se limitait à quelques 30 000 licenciés. Aujourd’hui, près de 600 000 cava-liers font de la Fédération française d’équitation la troisième fédération sportive de France. La démocratisation de cette pratique en a favorisé l’accès aux femmes depuis les années 1960. Elles représentent actuellement les trois-quarts des effectifs et participent large-ment à l’encadrement, aux animations, à la gestion des centres équestres.

Qu’elles aient été on non initiées à l’équitation, cette transformation profonde des mentali-tés a permis aux femmes de se projeter et de penser une activité équestre comme acces-sible. Les chevaux de trait font partie de ces possibles, mais encore faut-il croiser leur route. Leur rencontre est fortuite, au détour d’un champ, d’une fête populaire ou à l’inverse dans de grands lieux prestigieux comme le Haras du Pin.

Valérie a grandi dans une ferme entre L’Aigle et Mortagne. Son voisin élevait des chevaux percherons. « De temps en temps, je pouvais monter sur Hôtesse, sa jument. J’avais 7/8 ans. C’est là que j’ai développé mon amour du cheval percheron.Je suis issue d’une famille nombreuse, mes parents n’avaient pas les moyens de me payer des cours d’équitation, aussi lorsque j’ai pu travailler à 18 ans, j’ai pris des cours. On faisait des balades. »

Valérie achète Qésako-de-la-Chapelle, fils d’Harmonie et de Cruiser(1). « Avant de me décider, je suis allée à de nombreux concours pour choisir. Je recherchais un percheron diligencier pour le monter. Quand j’ai vu Qésako, j’ai eu le coup de foudre. C’est une histoire d’amour entre ce cheval et moi, nous avons une relation de complicité, on fait des petits tours de cirque. Il faut être doux avec eux, ils nous le rendent bien. J’ai présenté Qésako au seul concours de hongres existant jusqu’à présent. C’était à la Bazoche-Gouet (28). J’y vais tous les ans. L’an passé, j’ai eu le premier prix. Depuis que je suis dans le monde du percheron, je croise tou-jours les mêmes personnes, mais on voit plus de femmes qu’auparavant. »

Valérie prépare de petits spectacles afin de faire travailler son cheval ; ceux-ci servent de lien et connectent le monde du cheval de trait à la société : « Je pratique la zumba(2), c’est pour cela que j’avais essayé en 2013 de rapprocher deux univers, celui de la danse et ce-lui du percheron. C’était une touche nouvelle pour rapprocher les gens. J’ai passé un bon moment ». Elle cherche à conjuguer ses aspirations et propose une autre image du cheval percheron. « C’est un côté féminin qui ressort, un message d’amour, un message de paix. »

(1) Etalon acheté en partenariat avec la SHPF dans l’Etat de Virginie en 2002. Ce choix s’imposait afin de redonner à la race Percheronne toutes ses qualités de diligencier. Cet apport de sang américain Percheron avait commencé, en 1993, grâce à l’arrivée de l’étalon Silver Shadows Sheik. Comme lui, Cruiser avait été choisi pour son modèle, sa taille et ses allures remarquables. Depuis 2003, Cruiser a sailli 433 juments pour 203 produits immatriculés.

(2) La Zumba est un programme d’entraînement physique combinant des éléments d’aérobic et de la danse jazz. Les chorégraphies s’inspirent des danses latines mais aussi de styles variés comme le Bollywood, la danse du ventre ou le swing. Plus de 12 millions de personnes participeraient hebdomadairement à un cours de Zumba.

Valérie et Qésako-de-la-Chapelle, hongre percheron,

environs de Moulins-la-Marche, printemps 2014

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Eleveur de cobs, Foire de Brix (50) en 2011

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LE tRACtIONNEURAUX ChAMPS

Jean-Boris est installé en agriculture « bio » avec des vaches laitières. « Le métier est un choix, les chevaux je ne sais pas d’où ça vient, mes grands-parents en avaient mais je ne les ai jamais vus. Bien avant mon installation, j’ai eu ma première jument à 14 ans. C’était déjà un cob, c’est un choix de cheval de trait local. J’ai appris à utiliser la charrue brabant avec deux anciens, par hasard, lors d’un concours. J’ai remplacé un vieux monsieur. »

Membre actif de France Trait, Jean-Boris regarde avec objectivité les possibles usages du cheval de trait aujourd’hui. L’utilisation du cheval en exploitation laitière ne lui semble pas viable. « Il y a un rapport à faire entre l’effectif du troupeau et la surface. J’ai quarante-cinq vaches, c’est impossible de suivre avec les chevaux. Pour le maraîchage ou la vigne sur quelques hectares, c’est valable et on peut faire vraiment un parallèle avec le prix du tracteur. »

L’adaptation de l’outillage est indispensable. Il existe de plus en plus de fournisseurs en France et à l’étranger. Le plus souvent, il s’agit de matériels adaptés aux besoins spécifiques du client. Un parallèle peut être fait avec l’essor du tracteur en France dans les années d’après-guerre pendant lesquelles de petits artisans mécaniciens sortaient des modèles à valeur de prototype. Aujourd’hui, les grandes tendances des outils tractés sont l’utilisation de matériaux composites, la fourniture d’avant-trains polyvalents, la prise en compte des milieux, l’adjonction de motorisation électrique afin de répondre aux objectifs de réduction de la pollution, de la pénibilité du travail pour l’homme et le cheval, de réduction des temps de travail et donc des coûts.

Jean-Boris fabrique son outillage lui-même. « Je sais souder et meuler, j’essaie toujours d’avoir un coût moindre. » La structure de l’exploitation de Jean-Boris conduit celui-ci à pra-tiquer des activités très diversifiées. « Je fais du débardage sur mes terres, je refais des prairies au printemps. Il ne faut pas mentir aux gens car ce n’est pas très rentable. Moi, je me sers de ces travaux pour dresser mes chevaux.

(1) La politique agricole commune (PAC) est la plus importante politique de l’Union Européenne mais ce budget est en baisse. Ses buts : la productivité, un revenu équitable aux agriculteurs, la stabilité des mar-chés, la sécurité alimentaire, des prix raisonnables pour les consommateurs. Les principes de respect de l’environnement et de développement rural se sont ajoutés récemment.

Je suis naisseur, éleveur, dresseur. Les acheteurs, il y en a autant de types que de chevaux ! On achète pour la promenade du dimanche, la compétition, l’entretien de terrain, le brico-lage, la reproduction. Je vends à l’étranger aussi. Le milieu des propriétaires de chevaux a changé. L’élevage, c’est un métier. Sélectionner, c’est un métier. Une race ne peut perdurer dans le cadre unique du loisir. Il faut consolider les éleveurs agriculteurs. Le désengagement de l’Etat dans le soutien à l’élevage déstabilise la filière. Pourtant, la France est le seul pays qui ait autant de races de trait en Europe. Les nouveaux services sont de petits espoirs. On peut penser que le prix de l’essence laisse la place à une énergie alternative et que les loi-sirs participent aussi à ce déploiement. L’élevage de chevaux de trait, c’est quelque part du militantisme. Pendant cinq ans nous avons lutté pour que le terme herbivore entre dans la PAC(1), mais cela n’a pas été retenu. On aurait gagné sinon. »

Brindille-des-Bois et Alizée-des-Bois, Cobs normands, débardage sur l’exploitation de Jean-Boris Bois,Sainte-Opportune (61), printemps 2014

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Brindille-des-Bois et Alizée-des-Bois, Cobs normands, labours sur l’exploitation de Jean-Boris Bois, Sainte-Opportune (61), printemps 2014

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CONCLUSION

L’organisation des Jeux Equestres Mondiaux a permis une introspection sur la réalité du cheval utilitaire en Basse-Normandie. Christian Malon, en menant ce reportage dans la ré-gion et jusque dans ses confins, du Mont-Saint-Michel au Perche, a donné un aperçu des nouveaux usages du cheval de trait. Il est allé à la rencontre d’hommes et de femmes qui exercent un métier de passion ou vivent un loisir engagé.

Les territoires normands et percherons ont conservé une mémoire des chevaux de trait. Le Percheron et le Cob n’ont pas disparu des imaginaires, ils engagent encore aux projets et de-meurent inscrits dans la construction de la vie sociale et économique. Toujours sous-jacent, ce mouvement de fond a resurgi pour s’ancrer là où il était le moins attendu.

La ville pour horizon, le ratio économique pour cadre, ont étoffé de nouvelles compétences. Le cheval œuvrait jusque-là, plus discrètement, à la protection des espaces sensibles et à l’agriculture biologique, là où il paraissait le plus légitime. Plus étonnant encore, il devient une passerelle entre milieux, entre univers, il contribue à créer des liens sociaux.

Ce moteur d’utopie entraine à des reconversions professionnelles, à des modifications dans la perception du monde et par voie de conséquence dans les comportements. Dans les rues de Trouville, on patiente désormais derrière la voiture hippomobile. Sur les routes de La-Chaise-Dieu-du-Theil, on est heureux de partir à l’école au pas du percheron.

La relégation du Cob ou du Percheron au magasin des accessoires folkloriques a pu être rompue par l’arrivée de nouvelles générations qui considèrent le progrès avec circonspec-tion, de nouveaux acteurs qui réhabilitent ces laissés pour compte de l’industrialisation de l’agriculture, des personnes qui s’identifient à cette marginalisation pour la combattre. De-venue transversale, cette affaire du cheval de trait s’est installée comme une potentialité, non plus comme une solution aberrante, sur le bureau du politique et de l’administratif, dans le curriculum vitae du demandeur d’emploi, au cœur d’un choix de vie.

Dans le corpus des documents anciens, rares étaient les photographies qui représentaient des femmes en situation d’éleveur ou d’utilisateur d’un cheval de trait.

Les clichés de Christian Malon illustrent la modification de ces milieux qui, après implosion, a permis le renouvellement des mœurs, des pratiques et des représentations. Qui eut pen-sé, voici cinquante ans passés, que le spectacle de Simonetta Ferrarin, cavalière italienne montant son étalon percheron J’adore en 2013, dans le registre de l’équitation classique, pouvait convenir au Salon de l’Agriculture ?

Si le cheval de trait fait spectacle, il ne fait pourtant pas toujours recette pour ses éleveurs. Concernant la PAC, France Trait, fédérant les associations des neuf races de chevaux de trait, demande la reconnaissance de la filière équine comme un acteur agricole à part en-tière. Elle réclame des aides directes même si l’intégration du cheval utilitaire au sein de la société est soutenue par l’Institut français du cheval(1). Valorisation des herbages, des sa-voir-faire, revitalisation des zones rurales, le cheval de trait reste un enjeu à défendre pour l’avenir des campagnes.

(1) Etablissement public à caractère administratif (décret 2010) sous tutelle des ministères chargés des sports et de l’agriculture, promeut l’élevage des équidés et les activités liées au cheval, l’équitation et l’art équestre. Opérateur public unique pour toute la filière équine au niveau national, européen et international.

Foire de Brix (50), en 2011

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BIBLIOgRAPhIE

Sites et articles• Note juridique sur la proposition de loi déposée par Lionnel Luca, député des Alpes- Maritimes, modifiant le statut juridique du cheval d’animal de rente en animal de compagnie. Rédacteurs : Maître Guillaume Fallourd, consultant GESCA, et Xavier Bonté, responsable du département juridique France Galop.http://www.france-trait.fr/userfiles/5/File/note-gesca-2010--2.pdf• A propos de la proposition de loi visant à changer le statut du cheval d’animal de rente à animal de compagnie, Friday, May 7th, 2010http://www.chevaldetrait68.org/• Le cheval, animal de compagnie ? Nouveau débat, par Amélie Tsaag-ValrenN°44 - Juin 2013 http://www.cheval-savoir.com/equipe-cheval-savoir• Le-cheval-animal-de-compagnie-une-nouvelle-proposition-de-loi.http://www.chevalmag.com/Actualites/Divers/• En Basse-Normandie, ils valorisent le cheval de trait par le travail http://www.entreprises.ouest-france.fr/node/115591 • Un Forum des Métiers Avec Normandie Trait publié par JLD.

Rapports et documents• Note juridique sur le cheval, « animal de compagnie », Institut du droit équin, Hôtel Burgy – 13, rue de Genève – 87100 Limoges, étude diligentée par M. Lebrun en 2010 (Les enjeux et les perspectives de la filière équine en France, avis et rapports du Conseil économique, social et environnemental de la République française).• Proposition de loi visant à modifier le statut juridique du cheval en le faisant passer d’animal de rente à animal de compagnie, n°1191, Assemblée nationale, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale, le 26 juin 2013.• La génétique et la sélection du cheval percheron, Bertrand Langlois, Institut National de la recherche Agronomique, 78352 Jouy-en-Josas (France).

Hambye (50), juin 2010

• L’environnement entre nature et paysage, revue Sud-Ouest Européen, revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n°7, mai 2000, collectif d’auteurs, Presses Univ. du Mirail, 2000, 96 p.• L’énergie animale en quelques traits, brochure, édité par France Trait, avec le soutien financier du Fonds Eperon, 24 juin 2013.

Ouvrages • Emmanuelle Dal’Secco, Les chevaux de trait, Editions Artemis, 2006, 119 p.• Marcel Mavré, Attelages et attelés, édition France Agricole, 2e édition, 2011, 268 p.

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REMERCIEMENtSPhotographies Christian Malon

Textes Evelyne Wander, directeur et responsable scientifique de l’écomusée du Perche

Mise en page et scénographie de l’exposition Nicolas Verrier, directeur artistique chez Nico Home Studio

Montage de l’expositionEvelyne Morin, Clément Durocher, groupe logistique de l’écomusée du Perche

Tirages Atelier de reprographieConseil Général de l’Orne

RemerciementsTous nos plus sincères remerciements vont aux personnes photographiées et enquêtées pour les besoins de cette exposition, mais également aux prêteurs qui ont accepté la présentation pen-dant plusieurs mois de différents matériels de traction animale. Nous remercions monsieur Armand Frémont de son aimable participation à la préface du catalogue.

Concours financiersDans le cadre de l’Elan des Jeux accompagnant les Jeux Equestres Mondiaux, l’écomusée a reçu le soutien du Conseil Régional de Basse-Normandie et du Conseil Général de l’Orne. En effet, l’ex-position « Deux pieds, quatre sabots » a été labellisée dans ce cadre. Evènement sportif d’ampleur internationale se déroulant en Basse-Normandie, les Jeux Equestres Mondiaux (FEI AllTech™ 2014) regroupent huit championnats accompagnés d’évènements culturels, de démonstrations et d’ani-mations. Organisés tous les quatre ans, ces Jeux sont considérés comme le plus grand évènement équestre au monde, soixante-dix nations sont représentées. L’équitation est un sport olympique et paralympique où les hommes et les femmes participent à un concours unique à l’issue duquel le compétiteur ou la compétitrice, ainsi que le cheval, sont médaillés. En Basse-Normandie, deux races de chevaux de travail, les percherons et les cobs, bénéficient de cet éclairage international. Elles ont bien failli disparaître, bannies par l’agriculture motorisée d’après-guerre (1939-1945), mais de nouvelles missions assignées à ces tractionneurs redonnent espoir aux éleveurs. Le reportage photographique de Christian Malon restitue cette réalité contemporaine.