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PLAYDOYER POUR UNE ÉDUCATION PHYSIQUE MATÉRIALISTE L'EDUCATION PHYSIQUE inversée PAR J. GLEYSE ET G. BUI-XUÂN Plusieurs prises de positions dans les médias [1], de nombreux articles dans le champ de l'éducation physique [2] [3] ont remis en cause les formalisations proposées dans cette matière par le groupe technique disciplinaire, notamment pour l'évaluation au baccalauréat. Il y a en réalité crise profonde du sens et de l'intelligibilité des concep- tions. Cette crise pour une fois n'est pas circonscrite au seul champ de l'éducation physique, mais trouve des échos dans le corps social tout entier. En fait pour levulgumpecus, comme pour l'im- mense majorité des enseignants d'EPS. les conceptualisations et les terminologies didac- tiques utilisées sont devenues incompréhensibles et insignifiantes. Ce problème n'est évidemment pas relatif au seul champ de l'EPS mais, ailleurs, il génère actuellement beaucoup moins de conflits de représentations. Une telle crise a eu lieu, cependant, il faut le souligner, lorsque l'on a tenté de formaliser les mathématiques dites modernes ou la méthode de lecture globale. Ici. pourtant, le problème est ressenti de manière plus vive que dans ces disciplines car le corps est perçu et analysé en EPS, comme simple, comme vécu, comme trivial, comme ne relevant pas de l'application d'un langage sophis- tiqué, ésotérique. Là. réside le décalage entre réalité vécue et réduction théo- rique. Il semble que le sens commun soit, une fois de plus, l 'analyseur d'une pro- fonde erreur de positionnement épisté- mologique. conceptuelle et historique, pour cette matière aujourd'hui scolaire. En raison de la prégnance de la société technicienne voire technoscientifique quitendàfaire prendre les moyens pour des fins ultimes, en raison du développe- ment subséquent d'un langage d'experts pour experts et en raison du traitement du corps comme un objet, un instrument à rationaliser, et non d'un être vécu, d'un sujet, quelques acteurs influents dans le domaine de l'éducation physique ont fini par oublier quels étaient les fon- dements historiques de cette activité, de cette «matière ». Ils ont ainsi rendu leurs conceptions, et par voie de conséquence l'image sociale qu'ils voudraient donner de l'EPS. insignifiante. C'est ce que cet article va tenter de démontrer. L'activité «sociale de référence » ou le « principe d'action » de l'éducation physique.Zuton a encore oublié M. de La Mettrie ! Le lecteur saisira la touche d'humour (1) qui se dessine en filigrane derrière ce titre qui renvoie pourtant à une poten- tielle « vérité historique ». L'oubli fon- damental, qui semble générateur de la crise mentionnée plus haut estl'oublidu sens originel de l'éducation physique. A la lumière de l'histoire, lorsque l'on évoque les pensées de Rabelais, de Mon- taigne, de John Locke, de Jacques Bal- lexserd (le premier à utiliser le terme éducation physique dans un titre d'ou- vrage. en 1762) ou même, à un niveau moindre, de Jean-Jacques Rousseau, il est aisé de constater que l'éducation « physique » (phusikè = nature = qui l'ail naître) est éducative en soi et pour soi. Elle s'inscrit dans le processus d'éduca- tion comme l'action avec la nature plus que l'action sur la nature. Pour Rous- seau, pour Locke, les jeux, les pratiques physiques vont davantage dans le sens d'une satisfaction de la nature enfantine, du nécessaire plaisir de mouvement que d'une éducation, d'une action sur celle-ci. Le milieu environnant, matériel et humain pourvoit aux besoins en édu- cation de l'enfant. Pour Ballexserd particulière- ment, il ne s'agit pas. au travers de l'éducation physique, de constituer une éducation de l'esprit mais une éducation de l'homme. L'éducation du corps n'est en aucun cas conçue comme une pro- pédeutique au développement de l'intelligence. Cette vision de l'éducation physique sera main- tenue aux débuts du développement du sport sco- laire en Angleterre à l'extrême fin du XVIII e siècle et au début du XIX e siècle. Le sport développé par le révérend Kingsley puis par Thomas Arnold à Rugby, renvoie bien à l'accep- tion du terme ancien français « desport ». c'est- à-dire se distraire, s'amuser. Le sport n'est pas à l'école de Rugby une propédeutique à l 'éduca- tion intellectuelle mais un équilibre de vie p l'écolier, qui produit, sans aucun doute, des effets éducatifs spécifiques sur l'homme, lin Angleterre, cette vision des pratiques corporelles dans l 'école a été à peu près conservée. En France, à la suite deCoyer,Verdier,puis Amo- ros, Clias et surtout à partir de l'extrême fin du XIX e siècle de Georges Demeny et Philippe Tis- sié, une toute autre optique sera retenue. Celle-ci peut être associée au fait que la France est un pays catholique où le statut du corps est tout autre que dans les pays anglo-saxons majoritairement protes- tants. Plus prosaïquement l'éducation physique en France dès ses premiers bal- butiements privés ou étatiques et sco- laires se construira sur une volonté de transformer instrumentalement un corps considéré comme au service de l'esprit et non comme indissociable de celui-ci. L'éducation physique en France, dès sou origine, est conçue comme une propé- deutique/préparation soit militaire, soit eugénique, soit scolaire, soit intellec- tuelle. En tout état de cause l'activité corporelle n'est pas acceptée comme débridée, comme « libre ». comme amu- sement, comme divertissement, comme « desport » - à part peut-être dans les toutes petites classes (et encore on parle bien souvent aujourd'hui de psychomo- tricité pour bien montrer l'inféodation du corps au psychique) -mais doit être ratio- nalisée, instrumentalisée. Ici se profile, en arrière plan conceptuel, toute la logique judéo-chrétienne, voire sophiste, mais aussi le « cogito ergosum» carié sien. Le refus du sport en éducation phy- sique au début du XX e siècle est d'ailleurs moins lié aux idéologies qu'il véhicule, qui sont tout aussi présentes dans les lectures anthropométriques, ou bioénergétiques associées aux gymnas- tiques. qu'à ses possibles débordements pulsionnels et à la « liberté » corporelle qu'il suppose. C'est ce qui fait, entre autre, au-delà de ses aspects « opium du peuple » et des valeurs qu'il véhicule, refuser cette activité dans les années soixante par Jean Le Boulch ou même, peut-être, Pierre Parlebas, quoique tous deux valorisent les jeux. C'est avec cer- titude ce qui conduit à sa didactisation, par Robert Mérand. Jacqueline Marse- nach, Georges Belbenoit, Yvon Adam. Justin Teissié, Maurice Lagisquet, Paul Goirand - le courant FSGTiste en géné- ral - et surtout à sa dissimulation, à son travestissement sous les sigles EPS. STAPS ou APS. voire didactique de DESSIN : R. ROTH EPS № 258 - MARS-AVRIL 1996 63 Revue EP.S n°258 Mars-Avril 1996 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

PHYSIQUE - Université Virtuelle en Sciences du Sportuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70258-63.pdf · cation de l'enfant. Pour Ballexserd particulière ... l'écolier,

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PLAYDOYER POUR UNE ÉDUCATION PHYSIQUE MATÉRIALISTE

L'EDUCATION PHYSIQUE inversée

PAR J. GLEYSE ET G. BUI-XUÂN

Plusieurs prises de positions dans les médias [1], de nombreux articles dans le champ de l'éducation physique [2] [3] ont remis en cause les formalisations proposées dans cette matière par le groupe technique disciplinaire, notamment pour l'évaluation au baccalauréat. Il y a en réalité crise profonde du sens et de l'intelligibilité des concep­tions. Cette crise pour une fois n'est pas circonscrite au seul champ de l'éducation physique, mais trouve des échos dans le corps social tout entier.

En fait pour le vulgum pecus, comme pour l'im­mense majorité des enseignants d'EPS. les conceptualisations et les terminologies didac­tiques utilisées sont devenues incompréhensibles et insignifiantes. Ce problème n'est évidemment pas relatif au seul champ de l'EPS mais, ailleurs, il génère actuellement beaucoup moins de conflits de représentations. Une telle crise a eu lieu, cependant, il faut le souligner, lorsque l'on a tenté de formaliser les mathématiques dites modernes ou la méthode de lecture globale. Ici. pourtant, le problème est ressenti de manière plus vive que dans ces disciplines car le corps est perçu et analysé en EPS, comme simple, comme vécu, comme trivial, comme ne relevant pas de l'application d'un langage sophis­tiqué, ésotérique. Là. réside le décalage entre réalité vécue et réduction théo­rique. Il semble que le sens commun soit, une fois de plus, l'analyseur d'une pro­fonde erreur de positionnement épisté-mologique. conceptuelle et historique, pour cette matière aujourd'hui scolaire. En raison de la prégnance de la société technicienne voire technoscientifique qui tend à faire prendre les moyens pour des fins ultimes, en raison du développe­ment subséquent d'un langage d'experts pour experts et en raison du traitement du corps comme un objet, un instrument à rationaliser, et non d'un être vécu, d'un sujet, quelques acteurs influents dans le domaine de l'éducation physique ont fini par oublier quels étaient les fon­dements historiques de cette activité, de cette «matière ». Ils ont ainsi rendu leurs conceptions, et par voie de conséquence l'image sociale qu'ils voudraient donner de l'EPS. insignifiante. C'est ce que cet article va tenter de démontrer.

L'activité «sociale de référence » ou le « principe d'action » de l'éducation physique. Zut on a encore oublié M. de La Mettrie ! Le lecteur saisira la touche d'humour (1) qui se dessine en filigrane derrière ce titre qui renvoie pourtant à une poten­tielle « vérité historique ». L'oubli fon­damental, qui semble générateur de la crise mentionnée plus haut est l'oubli du sens originel de l'éducation physique. A la lumière de l'histoire, lorsque l'on évoque les pensées de Rabelais, de Mon­taigne, de John Locke, de Jacques Bal-lexserd (le premier à utiliser le terme éducation physique dans un titre d'ou-vrage. en 1762) ou même, à un niveau moindre, de Jean-Jacques Rousseau, il est aisé de constater que l'éducation « physique » (phusikè = nature = qui l'ail naître) est éducative en soi et pour soi. Elle s'inscrit dans le processus d'éduca­tion comme l'action avec la nature plus que l'action sur la nature. Pour Rous­seau, pour Locke, les jeux, les pratiques

physiques vont davantage dans le sens d'une satisfaction de la nature enfantine, du nécessaire plaisir de mouvement que d'une éducation, d'une action sur celle-ci. Le milieu environnant, matériel et humain pourvoit aux besoins en édu­cation de l'enfant. Pour Ballexserd particulière­ment, il ne s'agit pas. au travers de l'éducation physique, de constituer une éducation de l'esprit mais une éducation de l'homme. L'éducation du corps n'est en aucun cas conçue comme une pro-pédeutique au développement de l'intelligence. Cette vision de l'éducation physique sera main­tenue aux débuts du développement du sport sco­laire en Angleterre à l'extrême fin du

XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Le sport développé par le révérend Kingsley puis par Thomas Arnold à Rugby, renvoie bien à l'accep­tion du terme ancien français « desport ». c'est-à-dire se distraire, s'amuser. Le sport n'est pas à l'école de Rugby une propédeutique à l'éduca­tion intellectuelle mais un équilibre de vie pour l'écolier, qui produit, sans aucun doute, des effets éducatifs spécifiques sur l'homme, lin Angleterre, cette vision des pratiques corporelles dans l'école a été à peu près conservée. En France, à la suite de Coyer, Verdier, puis Amo-ros, Clias et surtout à partir de l'extrême fin du XIXe siècle de Georges Demeny et Philippe Tis-

sié, une toute autre optique sera retenue. Celle-ci peut être associée au fait que la France est un pays catholique où le statut du corps est tout autre que dans les pays anglo-saxons majoritairement protes­tants. Plus prosaïquement l'éducation physique en France dès ses premiers bal­butiements privés ou étatiques et sco­laires se construira sur une volonté de transformer instrumentalement un corps considéré comme au service de l'esprit et non comme indissociable de celui-ci. L'éducation physique en France, dès sou origine, est conçue comme une propé-deutique/préparation soit militaire, soit eugénique, soit scolaire, soit intellec­tuelle. En tout état de cause l'activité corporelle n'est pas acceptée comme débridée, comme « libre ». comme amu­sement, comme divertissement, comme « desport » - à part peut-être dans les toutes petites classes (et encore on parle bien souvent aujourd'hui de psychomo­tricité pour bien montrer l'inféodation du corps au psychique) -mais doit être ratio­nalisée, instrumentalisée. Ici se profile, en arrière plan conceptuel, toute la logique judéo-chrétienne, voire sophiste, mais aussi le « cogito ergo sum » carié-sien. Le refus du sport en éducation phy­sique au début du XXe siècle est d'ailleurs moins lié aux idéologies qu'il véhicule, qui sont tout aussi présentes dans les lectures anthropométriques, ou bioénergétiques associées aux gymnas-tiques. qu'à ses possibles débordements pulsionnels et à la « liberté » corporelle qu'il suppose. C'est ce qui fait, entre autre, au-delà de ses aspects « opium du peuple » et des valeurs qu'il véhicule, refuser cette activité dans les années soixante par Jean Le Boulch ou même, peut-être, Pierre Parlebas, quoique tous deux valorisent les jeux. C'est avec cer­titude ce qui conduit à sa didactisation, par Robert Mérand. Jacqueline Marse-nach, Georges Belbenoit, Yvon Adam. Justin Teissié, Maurice Lagisquet, Paul Goirand - le courant FSGTiste en géné­ral - et surtout à sa dissimulation, à son travestissement sous les sigles EPS. STAPS ou APS. voire didactique de DES

SIN :

R. ROTH

EPS № 258 - MARS-AVRIL 1996 63 Revue EP.S n°258 Mars-Avril 1996 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

l'EPS ou des APS. insignifiants pour la très grande majorité des gens. Ce sont les mêmes rai­sons qui progressivement feront disparaître les jeux traditionnels et le jeu en général du champ de l'éducation physique française. Ils font peur car ils sont du corporel non rationalisé, non ins-trumentalisé, ludique, hédonique. donc perçu comme non scolaire. En fait, c'est parce que l'on a entendu Descartes comme philosophe emblématique et non La Met-trie que l'on s'est trompé d'EPS. Cela serait aisé à démontrer historiquement. C'est faute d'avoir poussé jusqu'au bout une logique matérialiste des rapports corps/âme. que les discours tenus par certains dans le champ de l'E.P. quelque trois siècles plus tard sont conduits à ne plus être com­pris, intelligibles par le plus grand nombre. En effet, si l'essentiel de l'humanité est, avec Des­cartes, l'esprit - et cela est encore plus que pré-gnant dans les valeurs actuelles de l'institution scolaire et. particulièrement, de la majorité des enseignants d'EPS - alors l'éducation du corps ne saurait être qu'au service d'une transcen­dance qui le dépasse (c'est ce qui fonde « les principes opérationnels » du projet de pro­gramme). 11 ne saurait y avoir, dans la logique cartésienne, un fondement de la philosophie dans le corporel. L'homme ne saurait se réduire à son corps. L'éducation physique doit, dans cette optique, pour certains, utiliser le corps comme une interface permettant d'accéder à autre chose (Dieu ?). La Mettrie. tout comme Nietzsche plus d'un siècle un quart plus tard que lui. avait bien compris en écrivant L'art de jouir ou L'homme machine : l'anti-robot que tout l'homme n'est pas dans l'esprit, dans l'âme, mais qu'au contraire tout l'esprit est dans l'homme et tout l'homme dans le corps : « L'âme n'est donc qu'un vain terme dont on n'a point d'idée, et dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. Posé le moindre principe de mouvement, les corps ani­més auront tout ce qu'il leur faut pour se mou­voir, sentir, penser, se repentir et se conduire, en un mot. dans le physique et le moral qui en dépend ». (Julien Onfroy de La Mettrie. rééd. 1981. p. 131). Il n'y a donc pas de transcendance au corps et aux pratiques corporelles (2). D'où, l'idée subséquente refoulée par l'histoire de la philosophie, voire l'histoire de la pensée, en France, et. surtout depuis Georges Demeny, par le champ de l'E.P. : « La seule philosophie qui est ici de mise est celle du corps humain » (Ibid.. p. 151 ). Le moins que l'on puisse dire à la lecture de cette citation c'est que le positionnement jus-qu'au-botitiste matérialiste conduit à une vision révolutionnaire du corps et de l'homme. Mais La Mettrie va plus loin puisqu'il propose comme prolongement à ce positionnement philoso­phique un vivre-plaisir et un renoncement à toute transcendance quelle qu'elle soit. Le plaisir cor­porel est érigé en éthique de vie. Ainsi que l'écrit un homonyme contemporain de l'auteur. Michel Onfray. dans un merveilleux texte reprenant le titre de l'ouvrage de La Mettrie L'art de jouir (1991). « l'art de jouir suppose la soumission de la conscience à la jouissance : savoir et vouloir cette catalepsie, la désirer, l'appeler, consentir à l'émancipation libératrice de l'énergie en soi. mettre la totalité des sens, des sensations, du corps, de la chair, de la matière au service de cette opération qui vise le ravissement. Le jouis­seur est un grand affirmateur, producteur du plai­sir à des fins apaisantes, il vise la volupté comme l'étal de suprême félicité, le contentement et la béatitude maximale » (Ibid., 1991. p. 242). C'est évidemment une toute autre philosophie

que la philosophie cartésienne de la transcen­dance qui inféode le corps au psychisme et qui fut. et est peut-être encore aujourd'hui, la philo­sophie basale dominante dans le champ de l'E.P., celle du contrôle du corps, des émotions, la maî­trise des rapports avec autrui, de la rationalisa-lion instrumentale d'un corps outil. Il y a presque trois siècles La Mettrie avait, comme par antici­pation, montré la voie : « Le plaisir ressemble à l'esprit aromatique des plantes ; on en prend autant qu'on en inspire ; c'est pourquoi vous voyez le voluptueux prêter à chaque instant une oreille attentive à la voix secrète de ses sens dila­tés et ouverts : lui comme pour mieux entendre les plaisirs, eux. pour mieux le recevoir » (La Mettrie. 1983. p. 327). Le positionnement maté­rialiste poussé à ses limites permet, de proposer une éthique et une philosophie très différentes de celles qui sont habituellement de mise en E.P.S. Or. ce positionnement est bien celui qui fit naître l'E.P. Cette conception est historiquement et théoriquement « l'activité culturelle de réfé­rence », le « principe directeur» de l'éducation physique. Il s'agissait à l'origine de donner satis­

faction dans le processus d'éducation à la phusis (à la nature corporelle) à la matérialité du corps. Aujourd'hui la symbolique du corps a changé. Cependant, ce principe directeur pourrait être réactivé, pour retrouver le sens originel de l'acti­vité qu'est l'éducation physique. Cela conduit opérationnellement à renoncer, même si cela troublera sans doute quelques néo-agrégés internes ou externes investis dans les groupes programmes, à la logique programmatique et à la logique notative fondamentalement dualistes et surtout contraires à l'immanence de la corpo­réité. C'est bien, en effet, la structure de l'esprit (Thom R., 1990 p. 49) [12] qui cherche à norma­liser, à régulariser, à noter le corps, alors que les corps sont tous différents, irréguliers, poly­morphes... Il convient de retrouver le matéria­lisme absolu, le vivre-plaisir, l'éthique de « la vie bonne » (cf. Jürgen Habermas). en éducation physique. 11 s'agit de remettre celle-ci en cohé­rence avec « l'épistémê ». « l'air du temps », « le socius ». Tout cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à une formation des enseignants d'EPS. au contraire : l'éducation du plaisir dans son accep­tion philosophique ne s'improvise pas. Mais, il convient d'éviter de la réduire à des champs extérieurs non directement en rapport avec le domaine de la corporalité. à des positions scien-tistes ou instrumentaliste. Il s'agit de se tourner

vers une formation bien plus poussée encore de la personne de renseignant dans des domaines qualitatifs, affectifs, hédoniques et éthiques généralement absents du champ des STAPS et de l'EPS. Dans cette même optique une formation très approfondie des enseignants, dans les domaines clinique, communicationnel et rela­tionnel, voire anthropologique devrait être mise en œuvre afin d'éviter toute nuisance. Car, tou­cher au corps, et a fortiori au plaisir du corps, c'est loucher à la personne humaine dans sa globalité.

Évaluer n'est pas noter. Les notes et les pro­grammes de « grand-père » sont morts. Dans les finalités de l'EPS proposées par les textes officiels du bac (mars 1994) ou le projet de programme du Groupe Technique Disciplinaire, en partie reconsidérés aujourd'hui, réside l'es­sentiel des difficultés actuelles de la matière. De quoi s'agit-il ? Le problème central tient dans le fait que les trois grandes finalités attribuées à l'EPS et considérées comme « ne se discutant plus » sont soit fonctionnalistes, soit militaristes, soit gestionnaires (ce qui n'est pas étonnant à

l'epoque de la « gestion des ressources humaines » - nous ne sommes plus des person­nels -). A partir de là. l'EPS proposée ne peut être que fonctionnaliste. utilitariste, ou gestion­naire et suppose donc (comme toute technologie voire technocratie), la constitution d'un langage d'expert pour experts et surtout une valorisation des ressources qui ainsi doivent être exploitées. D'où la notion d'opérationnalisation et d'action omniprésentes dans l'ensemble du texte (prin­cipes, domaines...) et d'où, surtout, un langage illisible aussi bien de l'intérieur que de l'exté­rieur, car créé de toute pièce par un groupe de personnes - peut-être de technocrates - qui se positionnent en ingéniéristes. D'où, également, des procédures de notation sophistiquées en terme d'acquisition de principes opérationnels pondérés par des zones de performances. Notons tout de même que depuis une dizaine d'années de ce point de vue il y a eu renversement de la ten­dance. Jusque là c'était les habiletés motrices et les progrès qui pondéraient la performance, aujourd'hui c'est le contraire. Bref, tout cela, encore une fois, peut être relié à un positionne­ment fondamentalement dualiste (c'est-à-dire non matérialiste, non essentialiste. non imma­nentiste). Un positionnement qui oublie que l'homme est son corps. En tout état de cause, aujourd'hui où nous allons vers le monde de l'au-delà du travail » (3) en

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Occident et spécifiquement en France (qui en ce sens est la nation la plus avancée puisque c'est celle où le taux de chômage est le plus impor­tant), voire vers celui de la postmodernité (c'est-à-dire d'une transmutation de toutes les valeurs de la modernité) que nous pouvons avancer une nouvelle logique de l'EPS liée au changement d'optique philosophique décrit plus haut. Ce changement d'optique aurait le mérite de mettre en cohérence les fondements historiques et phi­losophiques de l'E.P. et sa pratique actuelle.

Les finalités de l'EPS sont l'équilibre de l'en­fant ou de l'adolescent et la pratique d'activi­tés physiques quelles qu'elles soient (passées, présentes et à venir, y compris non-motrices). Dès lors que l'EPS est acceptée comme telle, comme matière d'équilibre (autrement dit comme matérialiste, comme respectant la nature du corps) elle peut être évaluée dans ses effets mais n'a plus de raison d'être notée. L'EP devient matière d'éducation et non matière d'en­seignement, ce qui ne condamne pas sa position scolaire mais, bien au contraire, la renforce en la rendant socialement signifiante. Aujourd'hui, il y a un précédent ou des précédents dans les éta­blissements scolaires pour faire accepter cette logique. Les PAE ne sont pratiquement jamais notés, les sorties dites « éducatives » (théâtre, danse, cinéma...) ne le sont pas davantage et. sur­tout, aujourd'hui il y a dans les établissements scolaires des certifiés qui ne notent jamais les élèves : les documentalistes (pourtant titulaires d'un CAPES). Pourquoi toutes ces activités ne sont-elles pas notées ? Parce qu'il va de soi qu'elles sont éducatives ! Est-ce à dire qu'elles ne sont pas évaluées ? Non. bien entendu, mais l'évaluation est diffuse, implicite, mesurée à l'aune de l'intérêt porté par les élèves, de l'as­sentiment des parents, du plaisir engendré, des relations favorisées. Pourquoi l'éducation phy -sique ne pourrait-elle pas ainsi renouer avec « l'activité culturelle de référence » (immanente, structurelle et originelle) qui la spécifie et rede­venir une matière sans note ? On pourrait bien entendu évaluer l'équilibre retrouvé des élèves, au nombre des sourires, à l'activité mise en œuvre, peut-être au calme favorisé dans les matières d'attention, à l'amélioration des rela­tions avec les enseignants et. peut-être même, au développement de la citoyenneté, du civisme, de la responsabilité... En outre, cela permettrait de

taire coïncider la matière avec les représenta tions majoritaires des élèves et des parents d'élèves - qui eux, contrairement au groupe pro­gramme (GTD), n'ont pas oublie, perdu le sens originel et le positionnement de départ de l'acti­vité - et donc d'améliorer la lisibilité externe. Bien entendu, il y a une contrepartie désagréable à ce positionnement, c'est qu'une EPS ainsi conçue n'a plus besoin de programme, d'exa­mens et de corps inspectorial puisque les notes et le fonctionnalisme productivité en sont exclus. Quel calme pour les enseignants dès lors redeve­nus éducateurs !

Conclusion Si aujourd'hui, ainsi que le soulignent, respecti­vement. J. Habermas et M. Onfray deux logiques traversent le social : « l'éthique de la discussion » et « l'hédonisme », une E.P. ratio­naliste, laborieuse, scolaire orthodoxe (au sens d'une orthodoxie des débuts de l'école), dogma­tique et sectaire ne saurait être de mise. L'enjeu est de taille, puisqu'il est bien plus que la recon­naissance scolaire, bien plus que l'acceptation par l'école, la cohésion et la cohérence avec les représentations de la société, voire de la socia-lité. Or, si une activité sociale qui n'est pas sco­larisée peut un jour ou l'autre le devenir (exemple : les langues vivantes, les sciences, l'E.P., l'informatique...) il n'est pas de cas dans l'histoire où une activité scolaire se soit perpé­tuée par la seule logique scolaire. Les disciplines scolaires qui n'avaient plus de sens pour le social ont purement et simplement disparu de l'école. Tel est le cas. par exemple, de la rhétorique, de la scolastique. de la religion et. très récemment des travaux manuels... Bref, il ne s'agit pas ici d'agi­ter une fois de plus le repoussoir éculé et catas-trophiste de la fin de l'éducation physique, mais d'en appeler à un peu plus de simplicité, et de réalisme et peut-être de lucidité sur la réelle fonction sociale de l'éducation physique et spor­tive.

Jacques Gleyse IUFM de Montpellier et

« Laboratoire corps et culture ». Université Montpellier 1.

Gilles Bui-Xuân Université Montpellier I.

N.D.L.R. Ce texte a été rédigé en juin 1995.

(1) Le terme « activité culturelle de référence » est utilisé, en général pour sous-entendre un sport institutionnalisé, jamais un jeu ou une pratique seulement hédonique. Les utilisateurs de cette terminologie, n'imaginent même pas qu'historique­ment d'autres activités physiques que les sports traditionnels ont servi d'activités culturelles de référence et que, dans la mesure où le champ n'est pas figé. probablement d'autres pratiques naîtront qui remplaceront les « proto-sports » (cf. Pociello C. Sports et pouvoir. Grenoble. P.U.G.. 1994) dans les années à venir. En tout état de cause, ce terme est à la base de la « didactique des APS ». Le terme » principe d'action » est du même ordre. Il est à la base de la « didactique de l'EPS ». (2) Deux tenues relevant du domaine de la philosophie sont utilisés dans cet article : immanent et transcendant. Il convient de préciser que nous nous référons aux définitions philosophiques classiques de ces deux termes. A savoir : est immanent ce qui est contenu dans un être, ce qui résulte de la nature même de cet être : est transcendant ce qui est hors d'atteinte de l'expérience, hors de portée de l'action, votre, de la pensée de l'homme. (3) Ceci est attesté par la très grande majorité des sociologues et philosophes, voire des prespectivistes. Il serait fastidieux de donner une bibliographie exhaustive.

Références bibliographiques [1] Libération du 26.10.94, Le monde de l'éducation, décembre 94. Philippe Meyer France Inter. Mars 94. [2] Baillette Frédéric. Brohm Jean-Marie. Traité critique d'éducation physique. Millau, Quel Corps 1994. [3] Bui-Xuân Gilles et Gleyse Jacques (dir.). Enseigner l'éducation physique et sportive. AFRAPS. Clermont. 1993. |4| Gleyse Jacques. Archéologie de l'éducation physique au XXe siècle en France. Le corps occulté. Paris. P.U.F.. 1995. [5] Habermas Jürgen. La théorie de l'agir communicationnel. Tome I et II. Paris. Fayard. 1987. [6] Habermas Jürgen. De l'éthique de la discussion. Paris. Cerf. 1992. [7] La Mettrie (Julien Onfroy de). L'homme machine. L'anti-robot. Paris. Denoël-Gonthier. 1981. [8] La Mettrie (Julien Onfroy de). L'art dé jouir. Œuvres philosophiques. Tonte III. Fayard. Paris. 1981. [9] Onfray Michel. L'art de jouir, Paris. Grasset, 1991. [10] René Bernard-Xavier. L'éducation physique au XX siècle en France. Paris. EPS. 4e éd.. 1995. [11] Tinland Franck (Dir.). Systèmes naturels et systèmes artificiels, Paris. Champ-Vallon, 1991. [12] Thom René. Apologie du Logos. Paris. Hachette 1990.

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Liasse de base + intercalaires + deux ans de mises à jour :

840 FTTC (rangement dans classeur standard).

Avec classeur spécial : 915 FTTC.

DOCUMENT DE PRESENTATION

SUR DEMANDE

Editions Sport Une Jeunesse. 24 rue de Liège. 75008 Paris. Tel : (1) 42.93.44.49. Fax : (1) 45.22.85.38.

E P S N° 258 - MARS-AVRIL 1996 65

Revue EP.S n°258 Mars-Avril 1996 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé