Pirenne La fin du Moyen âge t1

8/6/2019 Pirenne La fin du Moyen âge t1

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Pirenne, Renaudet, Perroy, Handelsman, HalphenLa fin du moyen âge : 1. La désagrégation du monde médiéval

même, craignant la défection de Rome, y préparait son retour. SaintCatherine de Sienne, mandée à sa cour en juin 1376, lui avait montrque son devoir l’appelait au-delà des Alpes. Le 2 octobre, il

s’embarquait à Marseille ; il n’atteignit Corneto que le 5 décembre ; entra dans la Ville Éternelle le 17 janvier 1377.

La « captivité dé Babylone » avait pris fin. Mais le retour à Romen’était ni sincère ni définitif. Les Cardinaux français n’aimaient paleur nouvelle demeure ; beaucoup d’entre eux p095 étaient restés enAvignon, où se maintenaient une cour réduite, de nombreux serviceadministratifs et les archives du Saint-Siège. À Rome même, le peupet les nobles obéissaient mal. Les massacres ordonnés à Cesena, l1er février, par Robert de Genève, rendaient odieuse la cause pontifica

le. Florence, malgré les exhortations de sainte Catherine, méprisail’interdit. Un congrès venait de s’ouvrir en mars 1378, à Sarzana, pouréconcilier le pape et ses ennemis ; mais Grégoire songeait déjà à ful’Italie quand il mourut, le 27, à Rome. Quelques jours auparavant, avait signé une constitution qui ordonnait aux cardinaux d’élire sandélai son successeur. Il savait que, malgré son retour, jamais le pouvoir pontifical n’avait été plus débile et plus menacé ; il semblait redouter de graves événements. p096

Table des matières

Bibliographie duchapitre III Le déclin de la papauté et de l’Empire (1314-1378)

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Aux histoires générales de l’Égliseindiquées p. 5, n. 1, et à la remarquable Kirchengeschichte Deutschlands d’A. Hauck, t. V, 1re partie citée p. 21, il convient d’ajouter le manuel de G.Mollat, Les papes d’Avignon, (Paris, 1912, in-12 ; 5e édition, 1924), excellent petit guide, pourvu d’une abondante bibliographie. La série complète des rgistres pontificaux de cette période est en cours de publication ou d’analysdans la série in-4° de la « Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et dRome ». Un grand nombre de volumes ou de fascicules ont déjà paru. Pour lautres sources, voir G. Mollat, Études critiques sur tes Vitae paparum Avenio-nensium d’Étienne Baluze(Paris, 1917, in-8°), et le texte même desVitae paparum Avenionensiumd’Étienne Baluze publié en 1693 (Paris, 2 vol. in-4°) ;l’édition la plus récente est de G. Mollat (Paris, 1914-1922, 4 vol. in-8°). —

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Pour l’histoire de l’Empire, Th. Lindner, Deutsche Geschichte unter den Habsburgem und Luxemburgern(citée p. 5), et leGebhardts Handbuch der deutschen Geschichte, 7e éd., publ. sous la direction de R. Holtzmann (cité p.5), qui renvoie à tous les travaux importants parus jusqu’en 1930.

I. Louis de Bavière et Jean XXII (1314-1334) OUVRAGES À CONSULTER . — Pour l’histoire politique du conflit de Jean XXII et

de Louis de Bavière, en dehors des livres généraux d’A. Hauck, G. Mollat du Gebhardts Handbuchcités p. 71, le seul ouvrage d’ensemble est celui deK. Müller, Der Kampf Ludwigs des Baiern mit der römischen Kurie(Tübin-gen, 1879-1880, 2 vol. in-8°). Il a paru de nombreuses études de détail plurécentes, dont on trouvera la liste dans les trois livres précédents. NotonG. Mollat, L’élection du pape Jean XXII , dans la Revue d’histoire de l’Église

de France, t. I (1910), p. 39-49 et 147-166 ; A. Chroust, Beiträge zur Ges-chichte Ludwigs des Baiern und seiner Zeit , t. I (seul paru) : Die Romfahrt 1327 bis 1329(Gotha, 1887, in-8°) ; R. Davidsohn,Geschichte von Florenz,t. III (Berlin, 1912, in-8°) ; Schrohe, Der Kampf der Gegenkönige Ludwig und Friedrich um das Reich bis zum Entscheidungsschlacht bei Mühldorf (Berlin,1902, in-8°, fasc. 29 des « Historische Studien », publ. par E. Ehering) R. Möller, Ludwig der Bayer und die Kurie im Kampf um das Reich(Berlin,1914, in-8°, fasc. 116 de la même collection) ; C.-A. Willemsen, Kardinal Napoleon Orsini(Berlin, 1929, in-8°, fasc. 172 de la même collection).

Pour l’histoire des doctrines, voir R, Scholz,Unbekannte kirehenpolitischeStreitschriften aus der Zeit Ludwigs des Bayern(1327-1354). Analysen und Texte bearbeitet ; t. I : Analysen(Rome, 1911, in-8°, t. IX de la « Bibliothek des preussischen historischen Instituts in Rom » ). — Sur les idées politiquede Dante, voir E. G. Moore, Dante, De monorchia, the Oxford text , publ. avecune introduction sur les théories politiques de Dante par W.-V. Reade (Oxford, 1916, in-8°) ; Fr.-X. Kraus, Dante, sein Leben und sein Werk, sein Ver-hältniss zur Kunst und zur Politik (Berlin, 1897, ge. in-8o) ; H. Kelsen, DieStaatslehre des Dante Alighieri(Vienne et Leipzig, 1905, in-8°, t. VI, fasc. 3,des « Wiener Staatswissenschahftliche Studien ») ; H. Grauert, Dante und die Idee des Wellfriedens(Munich, 1909, in-8°) ; F. Kampers, Dantes Kaiser-traum(Breslau, 1909, in-8°) ; Fritz Kern, Humana civitas (Staat, Kirche und Kultur). Eine Dante-Untersuchung (Leipzig, 1913, in-8°) ; E. Jordan, Dante et la théorie romaine de l’Empire, cité p. 26 ; J. Rivière, Le problème de l’Égliseet de l’État au temps de Philippe le Bel (cité p. 26), en particulier la fin duchapitre IX sur le traité De la Monarchiede Dante.

Sur le Defensor pacis, voir Noël Valois, Jean de Jandun et Marsile de Pa-doue auteurs du Defensor Pacis, dans l’ Histoire littéraire de la France,t. XXXIII (1906), p. 529-625 ; Ephraïm Emerton,The Defensor pacis of Mar- silio of Padua(Cambridge-Mass., 1920, in-8°, coll. des « Harvard theologicalstudies ») ; C.-K. Brampton et C. W. Previté-Orton,Marsiglio of Padua, dans





l’ English historical Review, t. XXXVII (1922), p. 501-520, et t. XXXVIII(1923), p. 1-18 ;The Defensor Pacis of Marsilius of Padoa, éd. par Previté-Orton (Cambridge, 1928, in-8°) ; Felice Battaglia,Marsilio da Padova e la fi-losofia politico del Medio Evo(Florence, 1928, in-8°) ; — sur la querelle desFranciscains et de Jean XXII, les travaux de F. Ehrle, Die Spiritualen, ihr Ve-rähltniss zum Franziskanerorden und zu den Fraticellen, cités p. 30, n. 1 ;ajouter A. Pelzer, Les cinquante-et-un articles de Guillaume Occam censurésen Avignon en 1326 , dans la Revue d’histoire ecclésiastique de Louvain, t.XVIII (1922), p. 240-270.

II. L’inutile victoire de Clément VI (1335-1355) OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les livres généraux cités p. 71, voir K. Jacob,

Studien über Papst Benedikt XII (Berlin, 1910, in-8°) ; W. Scheffler, Karl IV

und Innocenz VI, Beiträge zur Geschichte ihrer Beziehungen(Berlin, 1912, in-8°, fasc. 101 des « Historische Studien », publiées, par E. Ebering) E. Werunsky, Der erste Römerzug Kaiser Karls IV (Innsbruck, 1878, in-8°) ;du même,Geschichte Karls IV und seiner Zeit (Innsbruck, 1880-1892, 3 vol.in-8°) ; K. Burdach, Rierzo und die geistige Wandlung seiner Zeit , t. I (Berlin,1913, in-8°).

III. La transformation de l’Empire au temps de Charles de Bohême(1347-1378)

OUVRAGES À CONSULTER . — Outre ceux cités au paragraphe précédent, onconsultera l’édition de la Bulle d’or de K. Zeumer, Die goldene Bulle Kaiser Karls IV (Weimar, 1908, in-8°, t. II, fasc. 1-2 des « Quellen und Studien zurVerfassungsgeschichte des deutschen Reiches », publ. par Zeumer), ainsi qules histoires des principaux pays allemands. A. Huber,Geschichte Oester-reichs(Gotha, 1885-1896, 5 vol. in-8°, dans la « Geschichte der europäischeStaaten » de Heeren et Ukert), t. II et III ; S. Riezler,Geschichte Baierns(Go-tha, 1889-1914, 8 vol. in-8°, dans la même collection), t. II et III.

Le détail des événements a été étudié par S. Grotefend, Die Eriverbung- spolitik Kaiser Karls IV (Berlin, 1909, in-8°, fasc. 66 des « Historische Stu-dien » d’E. Ehering) ; A. Nuglisch, Das Finanzwesen des deutschen Reichesunter Kaiser Karl IV (Strasbourg, 1899, in-8°) ; A. Ahrens, Die Wetliner und Kaiser Karl IV (Leipzig, 1896, in-8°, fasc. 2 des « Leipziger Studien aus demGebiete der Geschichte ») ; C. Lehmann, Die Burggrafen von Nürnberg- Zollern in ihrem Verhältniss zu Kaiser Karl IV (dissertation de Halle, 1913,in-8o) ; E. Nübling,Ulm unter Kaiser Karl IV (Ulm, 1902, in-8o).





IV. La monarchie pontificale au milieu du XIVe siècle

OUVRAGES À CONSULTER . — Sur Avignon, E. Kraack, Rom oder Avignon ? Dierömische Frage unter den Päpsten Clemens V und Johann XXII (Marburg,1929, in-8°, 2e série des « Marburger Studien zur älteren deutschen Geschich-te », fasc. 2) ; L.-H. Labande, Le palais des papes et les monuments d’Avignonau XIV e siècle(Marseille 1925, 2 vol. in-fol.) ; R. Brun, Avignon au temps des papes(Paris, 1928, in-8°) ; E. Müntz, L’argent et le luxe à la cour pontificaled’Avignon, dans la Revue des questions historiques, t. LXVI (1899), p. 5-44 et378-406.

Sur l’organisation du gouvernement pontifical, voir J. Haller, Papsttumund Kirchenreform. Vier Kapitel zur Geschichte des ausgehenden Mittelalters, t. I, seul paru (Berlin, 1903, in-8°), les 150 premières pages ; G. Molla

Les papes d’Avignon, cité p. 71 ; Albert Hauck, Kirchengeschichte Deuts-chlands, t. V, 2e partie (Leipzig, 1920, in-8°, 3e-4e éd., 1929), chap. I, sur « lacentralisation du gouvernement ecclésiastique à la Curie » (p. 585-671), aveune bibliographie ; G. Mollat, La collation des bénéfices ecclésiastiques sousles papes d’Avignon(Paris, 1921, in-8°, fasc. 1 de la « Bibliothèque del’Institut de droit canonique de l’Université de Strasbourg »), formant ausl’introduction aux Lettres communes de Jean XXXI , publ. dans la série des re-gistres pontificaux de l’École de Rome (voir ci-dessus, p. 71) ; P.-M. Baumgarten,Untersuchungen und Urkunden über die Camera collegii cardinalium für die Zeit von 1295 bis 1437 (Leipzig, 1898, in-8o) ; du même, Aus Kanzleiund Kammer. Bullatores, Taxatores domorum, Cursores. Erörterungen zur Kurialen Hof- und Verwaltungsgeschichte im XIII., XIV. und XV. Jahrunde (Fribourg-en-Brisgau, 1907, in-8°) ; E. Schelenz,Studien zur Geschichte des Kardinalats in 13. und 14. Jahhundert (Marburg, 1913, in-8°) ; M. Tangl, DasTaxwesen der päpstlischen Kanzlei von 13. bis zur Mitte des 15. Jahrhunder,dans lesMitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung , t.XIII (1892), p. 1-106 ; E. Göller, Die päpsllische Pönitentiarie von ihrem Urs- prung bis zu ihrer Umgestaltung unter Pius V , t.1, en 2 parties (Rome, 1907, 2vol. in-8°, t. III et IV de la « Bibliothek der preussischen historischen Instituin Rom ») ; F.E. Schneider, Die römische Rota(Paderborn, 1914, in-80). Onconsultera, aussi l’introduction, par J.-M. Vidal, au tome III des Lettres com-munes de Benoît XII (Paris, 1911, in-4o, de la « Bibliothèque des Écoles fran-çaises d’Athènes et de Rome ») et celle d’U. Berlière auxSuppliques de Clé-ment VI (Rome, 1906, in-8°, fasc. 1 des « Analecta Vaticano-belgica » del’Institut historique belge de Rome).





V. La fiscalité pontificale au milieu du XIVe siècle

OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages indiqués au paragraphe précé-dent, voir les Vatikanische Quellen sur Geschichte der päpstlichen Hof- unFinanzverwaltung, 1316-1378 ; 1re partie : E. Göller, Die Einnahmen der apos-tolischen Kammer unter Johann XXII (Paderborn, 1910, 2 vol. in-8°) ; 2e par-tie : K.-H. Schäfer, Die Ausgaben der apostolischen Kammer unter Johann XXII (Paderborn, 1911, in-8°) ; J.-P. Kirsch, Die päpstlichen Kollektorien in Deutschland während da 14. Jahrhunderts (Paderborn, 1894, in-8fasc. 3 des « Quellen und Forschungen aus dem Gebiete der Geschichte ») ; dmême, Die päpstlichen Annaten in Deutschland während des 14. Jahrhundertt. I : Von Johann XXII bis Innozenz VI (Paderborn, 1903, in-8°, fasc. 9 de lmême collection) ; Ch. Samaran et G. Mollat, La fiscalité pontificale en Fran

ce au XIVe

siècle, période d’Avignon et du Grand Schisme (Paris, 1905, in-8°fasc. 96 de la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome »)A. Clergeac, La curie et les bénéfices consistoriaux, étude sur les communs menus services (Paris, 1911, in-8°) ; E. Hennig, Die päpstliche Zehnten auDeutschland im Zeitalter des avignonesischen Papsttums und während degrossen Schismas (Halle, 1909, in-8°, dissertation deXII-46 p.) ; L. König, Die päpstliche Kammer unter Clemens V und Johann XXII (Vienne, 1894, in-8°)

VI. Le retour à Rome (1367-1378) OUVRAGES À CONSULTER . — E. de Lanouvelle, Le bienheureux Urbain V et la

chrétienté au milieu du XIVe siècle (Paris, 1929, in-8o), qui n’est qu’un mé-diocre travail de seconde main ; M. Prou, Études sur les relations politiques d pape Urbain V avec Us rois de France Jean II et Charles V (Paris, 1888, in-8fasc. 76 de la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome »)J.-P. Kirsch, Die Rückkehr der Päpste Urban V und Gregor XI von Avignonach Rom (Paderborn, 1898, in-80, fasc. 6 des « Quellen und Forschungen adem Gebiete der Geschichte ») ; L. Mirot, La politique pontificale et le retoudu Saint-Siège à Rome en 1376 (Paris, 1899, in-8o).





Table des matières

Chapitre IV

La préparation de l’offensive contre l’Église ro m aine

(1314-1378) 25

L’autorité du Saint-Siège était menacée par l’opposition grandissante d’écoles qui tantôt n’entendaient pas abandonner la foi catholique, tantôt maintenaient et rénovaient d’anciennes hérésies, mais’accordaient à proclamer que Rome trahissait l’Évangile.

En vain, pendant cette période troublée, l’Inquisition travaille à détruire les fausses doctrines. La plupart des États la secondent assemal. Si le roi de France, Louis X le Hutin, livre en 1315 le Midi à serigueurs, la guerre de Cent Ans ne tarde pas à les ralentir. La lutte dJean XXII et de Louis de Bavière paralyse dans l’Empire l’action dSaint-Office. Charles IV, en 1348, sanctionne l’établissement del’Inquisition pontificale en Allemagne ; mais les princes et les évêqueeux-mêmes la soutiennent mal. En Bohême, le roi Jean de Luxem bourg a montré peu de zèle contre les hétérodoxes ; Charles, pourtanallié d’Avignon, n’ose introduire à Prague les juges institués par lSaint-Siège. En Lombardie, les querelles des Visconti et des papes nfavorisent pas le progrès des Inquisiteurs. Les républiques toscaneleur prêtent peu de concours ; Sienne, en 1340, vote des lois contr

leurs abus ; à Florence, leur principale occupation, entre 1343 et 1347est de faire rentrer les créances du cardinal-légat de Sainte-Sabinecompromis dans la banqueroute des Acciaiuoli. En 1375, la Seigneurie, engagée dans une guerre sans merci contre le Saint-Siège, limitl’initiative de leurs tribunaux et ne cède qu’une fois vaincue e

25 OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER .





contrainte à signer le traité du 28 juillet 1378. Venise, en 1356, poursuit, malgré les colères d’Innocent VI, les escroqueries de nombreufamiliers du p097 Saint-Office. À Naples, mal vue par Robert et plus

mal par Jeanne, l’Inquisition réduit son activité à la persécution deJuifs. La famille d’Aragon ne lui laisse, en Sicile, qu’une existencnominale. Aussi le Saint-Siège se trouve-t-il faiblement armé contrles Franciscains Spirituels, contre les sectes qui professent les espérances joachimites et le mépris du sacerdoce romain, ou contre les négateurs de la théologie catholique. Les États, qui, de plus en plus li brement, se développent sans tenir compte du magistère moral dl’Église, montrent un zèle médiocre à la défendre. Elle-même ne travaille qu’avec une énergie trop intermittente à se réformer et à recueilir ses forces.

I. — Le schisme franciscain26 Jean XXII, dès son avènement, était entré en lutte avec les Spiri

tuels, que, par tempérament et par doctrine, il haïssait. Dès le printemps de 1317, les bûchers s’allumaient à Marseille, NarbonneMontpellier, Lunel, Béziers, Carcassonne et Toulouse. Bernard Délicieux, arrêté le 23 mai 1318 en cour pontificale, mis à la questioncondamné à la prison perpétuelle, expia dans unin pacede Carcas-

sonne le crime d’avoir combattu le Saint-Office. Mais, en Italie, où le poursuites furent moins actives, les Fraticelles restaient nombreudans les royaumes de Naples et de Sicile. Les rigueurs surexcitèrent l passion de la secte. En face d’Avignon, où régnait le précurseur dl’Antéchrist, elle formait l’Église des Saints et de l’Esprit. Elle attendait le retour de François, vénérait Olieu, les martyrs de Languedoc ede Provence ; elle rejetait comme trop tiède Ange de Clareno, qui, retiré dans un ermitage de Basilicate, désapprouvait la révolte. À Nar bonne, une inspirée, Naprous Boneta, proclamait depuis 1321 quDieu p098 avait investi Olieu d’une gloire égale à celle du Christ pen-dant son voyage terrestre.

Mais les querelles des rigoristes et des « relâchés » allaient setransformer en un débat théorique où l’Ordre entier s’unit contre l pape. Elles posaient la question de l’éminente dignité des pauvre

26 OUVRAGES À CONSULTER .





dans l’Église ; or les Franciscains les plus hostiles aux Spirituels, le plus décidés à leur interdire le dénuement complet, à leur imposer l possession de greniers, de caves, le port de vêtements dont l’aspect n

fût pas sordide, se sentaient prêts à braver la mort plutôt que de niel’absolue indigence du Christ et des apôtres. Les Fraticelles la soutenaient ; l’Inquisition de Narbonne jugea leur doctrine hérétique ; uConventuel, Bérenger Talon, en affirma l’orthodoxie et porta le différend en cour d’Avignon. Présidé par Michel de Cesena, le chapitrgénéral de Pérouse approuva, en juin 1322, la thèse de Talon, et chargea Buonagrazia de la défendre devant Jean XXII. Mais si Jésun’avait rien possédé, aucune souveraineté de nature temporelle n pouvait appartenir à son vicaire : le pape, dès lors, traita les Mineurcomme des ennemis. En décembre 1322, il annulait la décrétale Exiit qui seminat , et les contraignait à redevenir propriétaires de droit,comme ils l’étaient en fait. Buonagrazia, qui vint, en 1323, protesteau nom de l’Ordre contre cette abolition, fut emprisonné. Guillaumd’Ockham avait prêché contre l’opinion qui attribuait au Christ et auapôtres quelques biens terrestres ; on le cita devant les jugesd’Avignon. Puis, le 12 novembre 1323, la bulleCum inter nonnullos déclara que, si le Christ vécut pauvre, il exerça pourtant le droit d propriété. Déjà les Spirituels s’entendaient avec Louis de Bavière, satisfait d’exploiter contre Avignon leur crédit parmi les masses. Ils ins

pirèrent sans doute, le 22 mai 1324, dans la protestation impériale deSachsenhausen27, le passage qui accuse Jean XXII de tenir la règlefranciscaine pour folie. Mais lorsque, le 10 novembre 1324, la bullQuia quorumdameut confirmé la précédente, les Conventuels eux-mêmes protestèrent contre la dégradation de l’image idéale du Chriset se trouvèrent prêts à déserter la cause du pape.

Pourtant le ministre général, Michel de Cesena, temporisa quelquemois. Le chapitre de Lyon, qui confirmait en 1325 les déclarations dPérouse, interdit toute parole irrespectueuse p099 envers Jean XXII.

Mais l’autorité pontificale ne relâchait pas ses rigueurs. Passé danl’ordre bénédictin en 1317, Ubertin de Casale se vit menacéd’arrestation et fuit à la cour bavaroise. Le pape condamna, le 8 février 1326, soixante propositions extraites du commentaire d’Oliesur l’Apocalypse, ordonna d’exhumer et de brûler ses restes ; il pour

27 Voir ci-dessus, p. 74.





suivit en même temps les Conventuels suspects de croire à la pauvretdu Christ. La cour d’Avignon, depuis décembre 1327, retenait Michelui interdisait de quitter la ville sous peine d’anathème, et tentait inut

lement d’imposer au chapitre de Bologne sa destitution. Guillaumd’Ockham, dont l’enseignement venait de rénover à Paris la critiqunominaliste, subissait avec Buonagrazia la même contrainte. En leu présence et par-devant notaire, Michel rédigea une protestation écritcontre tout acte que Jean XXII, hérétique et faux pape, commettrait adétriment de l’Ordre. Il put, avec eux, s’échapper ; tous trois, le 2mai 1328, s’embarquèrent à Aigues-Mortes, et, par Pise, atteignirenRome, où, depuis quelques jours, un Spirituel, Pierre Rainalucci, pala volonté de Louis, occupait, sous le nom de Nicolas V, le trône pontifical. Ils durent, en août, quitter la ville avec l’antipape etl’empereur ; mais à Pise, en novembre, Guillaume d’Ockham et Michel de Cesena obtinrent que fût solennellement renouvelée contrJean XXII la sentence de déposition.

Quand Louis de Bavière eut repassé les Alpes, la plupart desConventuels se soumirent. À Paris, le 11 juin 1329, le chapitre généradestitua Michel. Pourtant, il ne cédait pas ; excommunié, il accusaiJean XXII de forfaiture. Guillaume d’Ockham déclarait que, tant qu’aurait une plume, de l’encre et du papier, nul ne lui imposerait silence ; il écrivait alors les Huit questions touchant l’autorité du souve-rain pontife(Quaestiones octo de auctoritate summi pontificis) etl’ Abrégé des erreurs du pape Jean XXII (Compendium errorum papae Joannis XXII ). Dialecticien d’une incomparable vigueur, il démontraitque tout pape coupable d’hérésie et qui refuse de réunir le concile doêtre déposé par l’Église et l’empereur. L’humble capitulation de Nicolas V, en août 1330, ne découragea pas les Franciscains réfugiés à lcour de Bavière. En vain l’Inquisition traquait les défenseurs de l pauvreté absolue, les théoriciens de l’indigence du Christ. Si le silencrégnait dans la France méridionale, le roi Robert lui-même, quoiqu

chef du parti guelfe, blâmait la bulleCum inter nonnullos, évitait de poursuivre p100 les Fraticelles, offrait aux partisans de Michel un asiledans les couvents de Naples. Les peuples d’Allemagne soutenaient leMineurs, qui, au mépris de l’interdit, n’avaient pas suspendu le culteMichel continuait d’agir comme général de l’Ordre. En janvier 1333il adressait de Munich un manifeste aux frères fidèles ; avec une énergie renforcée par la persécution, il accusait Jean XXII d’altére





l’enseignement de l’Évangile. Guillaume d’Ockham achevait ses ouvrages de polémique ; il écrivait alors :

Jésus est venu parmi les hommes non pour s’emparer des dignités et du pou

voir, mais pour subir le mépris et l’injure ; pour ceindre, non pas un diadème d pierres précieuses, mais une couronne d’épines ; son règne ne fut pas tempormais céleste et spirituel. Toute doctrine opposée est hérétique et blasphématoirL’hérésie manifeste de Jean XXII le prive de tout pouvoir et le sépare de l’Églicatholique.

Par ses colères et ses violences haineuses, par sa complaisance envers la politique française, par son mépris de la pauvreté franciscainet sa théorie du Christ propriétaire, véritable offense à l’esprit dl’Évangile, le pape discréditait son autorité. Ses imprudences doctrinales l’exposèrent à de nouvelles attaques. Il avait, le 1er novembre1331, prêché à Notre-Dame des Doms que les âmes des justes ne son pas admises à la béatitude et à la contemplation de Dieu avant le Jugement dernier. Cette doctrine, contraire à la croyance générale récemment illustrée par Dante, semblait diminuer la gloire des saints erendre vaine leur intercession. Docilement, le nouveau général deMineurs, Gérard Eudes, la soutenait à Paris ; l’Université protestaPhilippe, sur l’avis d’une commission de prélats et de théologiens, réunis à Vincennes le 19 décembre 1333, menaça le moine de ses ri

gueurs, et pria Jean XXII de ne pas provoquer dans l’Église une dis pute mal fondée. Les Franciscains accueillis à la cour de Louis triom phaient ; ils saisirent l’occasion d’intenter au pape un procèd’hérésie ; l’empereur les y encouragea. Le cardinal Napoléon Orsinentra dans ces vues, obtint l’adhésion de quelques membres du SacréCollège ; Robert de Naples l’approuva. Un concile général jugeraiJean XXII ; si la majorité des cardinaux refusait d’en permettre lconvocation, Orsini et ses partisans se retireraient auprès de Louis, quinviterait les évêques d’Allemagne à tenir l’assemblée, d’accord aveles princes chrétiens. Le plan était arrêté en juin 1334 ; p101 on allaitsans doute y donner suite, quand le pape mourut le 4 décembre, eAvignon.

La querelle des Mineurs et du Saint-Siège prit fin sous Clément VMichel de Cesena était mort le 29 novembre 1342, à Munich, aprèavoir démontré, dans un long manifeste, l’impénitence finale deJean XXII. Buonagrazia mourait en juin 1347. Guillaume d’Ockham





auquel Michel avait légué le sceau de l’Ordre, mourut sans doute le 2avril 1349. Les débats sur la pauvreté de Jésus étaient clos ; ni Benoît XII ni Clément VI ne prétendaient la nier ; et la masse des

Conventuels ne souhaitait plus que soumission. Les Spirituels, enLanguedoc et en Provence, étaient très affaiblis ; mais les Fraticellesubsistaient. Si Benoît XII, par la bulle Redemptor noster (1336),avait ordonné de les traquer, le Saint-Office, en Italie, ne s’intéressaguère à des poursuites que n’accompagnaient pas d’avantageuseconfiscations. Ils trouvaient asile dans l’Apennin romagnol ou toscandans l’Abruzze, dans les solitudes du mont Majella, où Cola di Rienzo, chassé de Rome, se réfugia deux ans parmi eux. Vers le milieu dsiècle, ils organisaient une petite Église ; sous le nom de Philadelphieelle comprenait, outre les moines et les solitaires, un clergé séculierdes fidèles laïques et un chef qui, en face du pontife d’Avignon, rejetde Dieu, prit le titre de pape. La rentrée d’Urbain V et de Grégoire Xà Rome ne la découragea pas ; le pape de Philadelphie s’était, en1374, montré à Pérouse. Les Fraticelles dénonçaient l’hérésie de JeaXXII et de ses successeurs, affirmaient la nullité des ordinationconférées par les prélats qui tenaient d’eux leurs bénéfices. Danl’attente des événements prédits par Joachim, ils proclamaient les erreurs et les vices de l’Église romaine. Ils conservaient, dans l’Italiméridionale, la faveur des foules ; on les vénérait en Sicile comme de

saints. Ils s’étaient établis en Espagne ; ils propageaient leurs doctrines en Syrie, en Arménie et jusqu’en Crimée.

Contrairement aux craintes de Dante, les Apostoliques, si prochedes Spirituels, ne comptaient plus. À Lavaur en 1368, à Narbonne e1374, les conciles édictaient contre eux quelques mesures ; on vit divers groupes se réfugier sur les côtes de la Baltique, vers Lübeck eWismar ; la secte allait bientôt disparaître sans laisser de traces ; danl’Abruzze et les Pouilles, elle se fondit sans doute avec l’Église deFraticelles. p102





II. — Anciennes et nouvelles hérésies28

Le Saint-Office put achever, en Languedoc et en Provence, la ruindu catharisme. Carcassonne, Albi, Cordes, se soumirent de 1320 1322. En 1329, on brûla six hérétiques à Béziers ; quelques bûcherencore s’allumèrent à Carcassonne en 1346 et 1347, à Toulouse en1374 ; mais les Cathares, désormais, ne trouvèrent plus guère de refuge qu’en Piémont, à Chieri, à Pignerol, dans les vallées voisines dTurin, dans les montagnes de Corse où, en 1340 et 1369, on envoycontre eux sans succès des missions franciscaines. Pourtant, depui1354, l’indépendance à peu près complète de la Bosnie, sous MladeŠubić, sous Étienne Kotromanić, y paralysa longtemps les efforts deRome. L’inquisiteur franciscain Fabiano, délégué en 1323 parJean XXII, ne dépassa guère l’Istrie et la Dalmatie ; les villes italiennes de la côte, Zara, Trieste, lui résistèrent. Quand en 1340 Kotromanić, menacé à la fois par les Hongrois et les Serbes, se fut réconciliéavec le Saint-Siège, inquisiteurs et missionnaires purent entrer enBosnie ; son successeur, p103 Étienne Tvrtko Ier , retombé à la vassalitéhongroise, promit d’anéantir les Cathares ; une croisade, ordonnée paInnocent VI en 1360, ravagea le pays. Tvrtko, chassé en 1365, revinavec l’appui du roi Louis. Mais dès lors, changeant de conduite, il pu

avec l’aide de ses sujets hérétiques, soumettre la plus grande partides pays serbes, croates et dalmates, et prendre, en 1376, le titre droi. Le catharisme allait, dans ses domaines devenir religion d’État.

Avec les derniers Cathares, les Vaudois disparurent du LanguedocL’inquisiteur Nicolas Eymeric, en 1356, les traquait en Aragon. Onles poursuivit également en Franche-Comté, en Provence, où, l’annésuivante, deux inquisiteurs franciscains, Pierre Pascal et Catalan Fabrfurent assassinés. De 1336 à 1346, on ne s’acharna pas moins contrles Vaudois des Alpes ; quand le Dauphiné fut rattaché à la couronneles officiers royaux prêtèrent main-forte aux moines. De 1352 à 1363l’archevêque d’Embrun, Guillaume de Bordes, obtint par la douceud’assez nombreux retours à l’orthodoxie. Après sa mort, et particulièrement de 1363 à 1365, l’inquisiteur François Borel sévit dans les valées alpestres. Grégoire XI, en 1371, stimulait le zèle des persécuteur






montrait la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais peuplés d’hérétiques mais le gouvernement de Charles V collaborait moins volontiers aveles agents du Saint-Siège ; et les plaintes du pape, en 1373 et en 1375

ne décidèrent que tardivement le roi à soutenir Borel. Alors, dans lerégions de Freyssinières, de l’Argentière, de la Vallouise, se multiplièrent les arrestations en masse ; les geôles d’Embrun, de Vienned’Avignon, s’emplirent, en 1376, de misérables, épargnés par les bûchers. Pourtant, l’année suivante, le pape constatait avec colère qul’hérésie, en territoire français, ne décroissait pas. Elle se maintenasur le versant piémontais des Alpes. L’Église de Turin, en 1332, pros pérait. Une nouvelle persécution en 1354, provoqua bientôt à Suse lmeurtre de l’inquisiteur Pierre de Ruffia ; les Vaudois exaspérés participèrent, en 1365, à la Jacquerie de Savoie. Quand Grégoire XI, e1375, attaqua les groupes de Provence et de Dauphiné, il exhorta lcomte Amédée VI à supprimer l’hérésie sur ses domaines ; Borel puordonner un massacre à Pragelato, dans le val de Suse ; mais le refugdes Alpes Cottiennes restait inviolable. Des communautés vaudoisevivaient en Lombardie, et probablement à Venise ; les montagnes duroyaume de Naples et de Sicile en abritaient d’autres ; dans les villages des p104 Pouilles se multipliaient les réfugiés piémontais ; l’évêquesuprême désormais y résida.

En Allemagne, les Églises secrètes se maintenaient entre le Rhin el’Oder ; inutilement on brûla quelques Vaudois, en 1315, à Breslau, Schweidnitz : l’hérésie dépassait, dès 1318, les frontières de Bohêmet de Pologne. À Cracovie, de 1327 à 1330, la persécution fut atroceMais ni Jean de Luxembourg ni l’évêque de Prague ne facilitaient ltâche du Saint-Siège ; les doctrines vaudoises, en Bohême, se renforçaient d’espérances joachimites. À Breslau, Jean de Pirna pouvait li brement enseigner au peuple que l’Église de Rome est la synagogude Satan ; l’inquisiteur Jean de Schweidnitz, en 1341, fut assassinéL’avènement de Charles IV, en 1346, parut menacer les hérétiques

Avec son appui, les archevêques de Prague, Ernest de Pardubice, JeaOcko, tentèrent de les réduire, sans d’ailleurs solliciter l’interventiodu Saint-Office. Mais l’indiscipline d’un clergé notoirement simoniaque et concubinaire, le développement intellectuel d’un pays singulièrement actif, où l’Université de Prague, à peine fondée (1347), ava pris rang parmi les plus hautes écoles d’Europe, favorisaient les progrès de très libres doctrines. Vers la fin de la Captivité de Babylone, l





royaume de Bohême semble l’asile d’une hérésie qui procède à la foide Valdo et de Joachim de Flore. Elle inspire les prédications deConrad de Waldhausen, qui meurt en 1369, sans avoir officiellemen

rompu avec Avignon ; de Milec de Kromerize, qui, inlassable, entchèque, en allemand, en latin, prédit comme les Joachimites la venude l’Antéchrist, et comme les Vaudois professe les droits égaux dulaïc et du prêtre dans l’Église du Christ. En 1367, à Rome qui attenUrbain V, il prophétise les prochaines expiations. Le Saint-Officel’emprisonne ; le pape lui rend la liberté. Rentré à Prague, il parleavec une véhémence nouvelle. En janvier 1374, une bulle de GrégoirXI l’accuse de semer l’erreur à travers la Bohême, la Silésie et la Pologne. Il ose, pendant le Carême, venir à Avignon, impose silence ses adversaires ; il y meurt, le 29 juin, sans que le Saint-Siège ait oscondamner l’homme en la personne duquel on eût frappé tout un peu ple.

Proches à la fois des Spirituels et des Vaudois, les Béghards hérétiques, d’accord avec les Frères du libre Esprit, continuaient à traverl’Allemagne leur propagande. En 1317, l’évêque de Strasbourg Jeade Dürbheim engage la lutte contre eux ; les autorités ecclésiastique poursuivent sans relâche les Béguines, p105 n’épargnant même pas lesorthodoxes, auxquelles Jean XXII, en 1320, finit par assurer la protection du Saint-Siège. En 1322, on brûlait à Cologne un missionnaire dl’école suspecte, le Hollandais Gautier le Lollard. En 1325, une cinquantaine de Béghards périrent. L’archevêque de Cologne, les évêques de Minden, d’Osnabrück, de Paderborn, s’acharnaient contreux. Les 9 et 10 juin 1368, deux édits signés à Lucques par Charles IVles mirent au ban de l’Empire, ordonnèrent aux prélats et aux princede ne pas les épargner. La persécution sévit à Magdebourg, à Erfurt, Nordhausen ; Grégoire XI pouvait déclarer, en 1372, que leurs erreurne subsistaient plus en dehors du Brabant, de la Hollande, de la Silésiet de la Poméranie. Mais les tribunaux d’Église, aux Pays-Bas, lais

saient Béghards et Béguines en repos. À Bruxelles, une femme, Hardewijk Bloemaert, avait composé divers traités sur la liberté spirituellet l’amour divin. Jean de Ruysbroeck, alors vicaire de Sainte-Guduleles réfuta ; la secte qui se réclamait d’elle vécut jusqu’au début duXVe siècle. En France, les Frères continuaient à se recruter parmi les Béghards. Pendant les premiers temps de la guerre de Cent Ans, leConfrères de la Pauvreté, plus connus sous le nom de Turelupins





multiplièrent leur propagande. Charles V, après 1372, les rechercha plus activement ; leur principale zélatrice, Jeanne Daubenton, fut alor brûlée.

Les épreuves de là Peste noire provoquèrent une crise de terreur religieuse et de repentir. En Allemagne, où déjà les interdits prononcécontre Louis de Bavière avaient ému violemment les consciences, réapparut brusquement l’idée d’une expiation collective. Déjà, auXIIIe siècle, on avait vu se répandre à travers l’Italie des bandes de pénitents, qui se flagellaient publiquement pour apaiser la colère divineAu printemps de 1349, de la Pologne et de la Hongrie jusqu’au Rhinles processions de flagellants se déroulèrent à travers l’Empire. Ils alaient par troupes, dont chacune était commandée par un chef et deu

lieutenants, sans mendier, mais acceptant l’hospitalité des âmes chrétiennes. Quelques villes, pourtant, Erfurt, Madgebourg, les repoussèrent. Ils gagnèrent les Pays-Bas, la Flandre ; Philippe VI ne leur permit pas de dépasser Troyes. Charles IV, de son côté, ne leur laissa paorganiser à Strasbourg une confrérie permanente. Ils inclinaient verune doctrine qui ruinait la théorie catholique des sacrements et rendavain le rôle du prêtre. La flagellation tenait lieu de p106la pénitence, del’Eucharistie, et remplaçait toutes les pratiques. Avec les Vaudois oules Béghards hétérodoxes, ils dénonçaient l’Église romaine commune maîtresse de fraude et d’imposture. Clément VI, le 20 octobr1349, les condamna ; les évêques reçurent ordre de les disperser. LeFlagellants, en contact avec les Béghards hérétiques, poursuivirenleurs progrès. Peu après le milieu du siècle, un certain ConradSchmidt donnait une forme définitive à leur pensée, populaire et antisacerdotale.

Mais en Angleterre allait naître une nouvelle et plus dangereusehérésie ; car au lieu de se développer chez des simples, ou de seconserver parmi des populations réfugiées en quelques vallées inaccessibles, elle se manifestait dans une des premières Universitéd’Europe, d’où elle pouvait aisément se répandre parmi les clercs dtoute nation. Elle trouvait, dans les rancunes et les colères d’un gran pays, où déjà les abus et les exigences fiscales de la cour d’Avignoavaient plusieurs fois, depuis le début du siècle, provoqué les mesurelégislatives du pouvoir royal et les plaintes accusatrices du Parlemenune force nouvelle de propagande.





Jean Wyclif était né vers 1320 dans le Yorkshire ; étudiant, puisen 1360, maître à Balliol College, curé, en 1361, de Fillingham danle Lincolnshire, il avait passé la plus grande partie de sa vie à

l’Université d’Oxford, où il enseignait avec éclat. Il connaissait à fonles Pères, surtout saint Augustin, dont il retint la doctrine de la prédestination, et saint Jean Chrysostome, dont il imita les homélies. Mais savait la Bible et le Nouveau Testament au point que ses élèvesl’avaient surnommé le docteur évangélique. Si la philosophie et lthéologie scolastiques lui étaient familières, il n’avait pas adopté lnominalisme, alors triomphant à Paris, et restait fidèle au vieil augustinisme que l’école d’Oxford avait longtemps su concilier avec le goûde la science positive, des mathématiques et de la physique. Toutefoisà Guillaume d’Ockham qu’il ne suivit pas en théologie, il avait em prunté cette critique du gouvernement romain par où le rénovateur dnominalisme s’accordait avec les Franciscains Spirituels comme aveJean de Jandun ou Marsile de Padoue. En 1366, Wyclif avait pris position dans le débat ouvert entre l’opinion anglaise et la cour de RomIl écrivait alors contre elle sa Définition du pouvoir ( Determinatio dedominio), dont il devait, dans un bref délai, développer plus ample-ment les thèses. Délégué en 1374 à la p107 conférence de Bruges, quitenta de réconcilier Édouard III et Grégoire XI, il approuva sans réserves, en 1376, les protestations du Parlement contre un accord don

le Saint-Siège tirait trop d’avantages. Déjà sans doute avait-il écrit ltraité Du pouvoir divin( De dominio divino). La même année, devantses auditeurs d’Oxford, il professa les leçons d’où sortit le traité Du pouvoir civil ( De civili dominio). L’autorité, affirmait-il, n’appartientqu’à Dieu. Loin de la déléguer au vicaire qui se prétend unique, il l’ partagée entre tous ceux qui, sur terre, ont reçu le pouvoir de commander ; et le pouvoir royal n’est pas moins sacré que l’ecclésiastiquDe plus, chaque fidèle, au tribunal de sa propre conscience, possèdune part d’autorité, qui vient également de Dieu : soumis au prince eà l’Église, il est pourtant sous la dépendance directe du maître célesteLe pouvoir du prêtre, par suite, revendique à tort un privilège inviola ble. Seule l’impeccabilité du chef fonde son droit à l’obéissance. Ol’Église commet un péché, quand elle prétend unir au magistère dl’esprit la puissance temporelle. Il appartient aux princes laïques dreprendre les biens dont elle mésuse ; il leur appartient d’accuser et dcorriger le pontife romain.





Les évêques s’inquiétèrent d’une telle hardiesse ; le 19 févrie1377, Wyclif comparut, à Saint-Paul de Londres, devant l’assemblédu clergé d’Angleterre. Mais le primat de Canterbury, Simon Sudbu

ry, qui avait assisté avec lui à la conférence de Bruges, et, quelqueannées auparavant, en 1370, tournait en dérision les pèlerins accouru pour vénérer les reliques de Thomas Becket, ne lui était pas défavora ble. Le duc de Lancastre, véritable chef de l’État depuis la mort dPrince Noir, protégeait Wyclif. La discussion, troublée par de violentes querelles entre le duc, l’évêque de Londres Guillaume de Courtenay et les prélats, provoqua une émeute dans la capitale ; aucune sentence ne fut rendue. Le 22 mai 1377, des bulles de Grégoire XI accusèrent Wyclif de suivre les erreurs de Marsile, et demandèrent au roà l’archevêque de Canterbury, à l’évêque de Londres, à l’Universitd’Oxford, le jugement du maître suspect. En décembre, on le citait dnouveau devant l’assemblée ecclésiastique. Mais les collègesd’Oxford ne désapprouvaient pas ses doctrines. Les circonstances luétaient propices. Édouard III mort le 21 juin, le duc de Lancastre dominait Richard II ; la nouvelle Chambre des Communes se montraviolemment hostile au pape, et menaçait de proposer la saisie de toutsomme envoyée en cour pontificale ; Wyclif, consulté, p108 démontrala légitimité de cette mesure. Le procès, ajourné sur la demande de lreine-mère, s’ouvrit au palais épiscopal de Lambeth, près de Londre

en février ou mars 1378. Wyclif comparut librement ; le peuple de lville lui témoignait une vive sympathie ; les évêques se contentèrende l’inviter à ne plus troubler les esprits par des prédications discuta bles.

Il put vivre désormais, sans crainte de poursuites, à Oxford ou Lutterworth. Il préparait alors les traités de l’ Église( De Ecclesia) etde laVérité de l’Écriture sainte( De veritate sacrae Scripturae). Auxdoctrines déjà exposées par Ockham, par les Spirituels, par Jean dJandun et Marsile de Padoue, il allait donner pour base le texte de l

Bible. Ni les Spirituels, satisfaits de suivre les traces du Christ et dsaint François en répétant contre le pape et les prélats indignes les malédictions de l’Apocalypse, ni Ockham, dont la pensée hardie restacelle d’un théoricien abstrait, ni les auteurs du Defensor pacis n’avaient en termes bien nets formulé le principe d’après lequel la Bi ble, correctement interprétée, doit seule autoriser la foi et la pratiqueLes Vaudois l’avaient prêché ; mais l’érudition, l’art de la dialectique





leur manquaient. Wyclif, héritier d’une école savante, confirmait aveune certitude rénovée leur antique règle de méthode. « L’Esprit Saintdisait-il, nous enseigne le sens de l’Écriture, tel que le Christ l’a dé

voilé aux apôtres. » Les théologiens qui ne sont pas arrivés à la « purintelligence » croient à la vertu de la tradition ; les vrais théologienne suivent que la Bible, source unique de toute doctrine. Aucun usagemême approuvé par les papes ou observé par les saints, ne mérite crédit si la parole du Christ ne le corrobore. Ainsi le maître d’Oxford s préparait à fonder sur l’exégèse la critique des dogmes et des institutions.

III. — L’émancipation de l’État29

Proclamées d’un ton si hautain par Boniface VIII, codifiées danles nouveaux recueils du droit canon, les doctrines théocratiques p109 n’obtenaient plus de crédit hors de l’école. Jean XXII avait osé leaffirmer encore devant un empereur affaibli par les discordes civiled’Allemagne, mais non devant le roi de France. Louis de Bavièravait été inutilement vaincu ; Charles IV, à deux reprises, avait humilié César en présence de Pierre ; mais il donnait à l’Empire une consttution qui l’affranchissait du contrôle romain. Les efforts de Charles V pour retenir Urbain et Grégoire en deçà des Alpes montraient asse

que le Saint-Siège était tombé, vis-à-vis de la monarchie capétiennedans une dépendance que seuls les revers de la guerre anglaise avaien pu alléger.

Les princes entendaient ne plus obéir au pape pour le temporel bien plus, ils dominaient les Églises. Les Valois, comme les fils dPhilippe le Bel, voyaient, dans la résidence de la cour pontificale a pays d’Avignon, dans l’invasion du Sacré-Collège par des cardinaufrançais, le plus sûr moyen de subordonner l’Église gallicane à l’ÉtaQuelques mois après son avènement, Philippe VI convoquait à Vincennes une assemblée de prélats et de barons pour mettre fin aux irritants conflits sans cesse renouvelés entre gens d’Église et officierroyaux (décembre 1329). Un président du Parlement, Pierre de Cuignières, y développa la thèse monarchique selon laquelle le roi, souverain dans toutes les choses temporelles, ne pouvait y admettre






l’intervention des puissances religieuses. En raison de ce principe, ldroit de juger était dénié aux clercs. Vainement l’archevêque de SenPierre Boger, qui plus tard devint le pape Clément VI, et l’évêqu

d’Autun Pierre Bertrand défendirent les traditionnelles immunités dl’Église. Les légistes des Valois travaillèrent patiemment à fairetriompher la thèse p110 de Cuignières. Le privilège du « for ecclésiasti-que », qui exemptait les clercs de la juridiction laïque, fut réduit aveun acharnement tenace ; certaines affaires, comme les procès d’usure jusque-là réservés aux tribunaux d’Église, furent de plus en plus évoquées devant les cours royales ; le Parlement multiplia ses interventions en matière spirituelle, par le développement rapide de l’« appecomme d’abus » ; et tandis que les censures ecclésiastiques perdaientoute vertu, les officiers royaux n’hésitaient pas à confisquer les revenus du clergé. Le relâchement du pouvoir pontifical hâtait les empiétements des tribunaux civils. Un Charles V, malgré sa piété et sonamitié pour Urbain V, n’hésitait pas à lutter pied à pied contre la cou pontificale à propos d’un droit de juridiction qu’il dénial’archevêque de Rouen.

Plus violente encore était l’attitude de la royauté anglaise, qui re prochait aux papes avignonnais leur sympathie pour la FrancL’arbitraire des nominations qu’ils imposaient, leurs exigences financières, d’autant plus vivement ressenties que les plus riches bénéficedu royaume étaient distribués à des cardinaux français, provoquèrenles plaintes incessantes des Communes. Le roi sut profiter del’indignation populaire pour étendre sa domination sur l’Église nationale. Limiter la compétence des cours ecclésiastiques au profit detribunaux royaux, étendre par le droit de régale son contrôle sur lnomination aux bénéfices, imposer aux chapitres ou au pape, suivanle cas, ses candidats aux évêchés, tel fut le programme de la monarchie anglaise. Pour vaincre la résistance pontificale, Édouard III usd’intimidation : devant l’opinion, il prit la défense des libertés d

l’Église contre les abus de la Curie. Le 9 février 1351, le Statut de proviseurs affirmait le droit des électeurs et des collateurs légitimeinterdisait les provisions ou réserves apostoliques, décrétait la mise e jugement de quiconque les invoquerait. Le 23 septembre 1353, leSta-tut de« Praemunire» défendit aux ecclésiastiques de comparaître de-vant les tribunaux d’Avignon. Quand, en 1365, Urbain V réclamad’un ton menaçant, le cens que depuis de longues années l’Angleterr





ne payait plus, le roi ne fut pas seul à s’indigner 30 : de vives protesta-tions s’élevèrent au Parlement et dans le pays (mai 1366).

La méfiance à l’égard des gens d’Église s’aggravait de jour en jour ; les Communes, en 1371, demandaient leur exclusion de p111 tou-tes les charges d’État. Sans doute pendant deux ans, de 1374 à 1376des conversations, auxquelles Wyclif prit part, se poursuivirent à Avignon et à Bruges entre les représentants d’Édouard III et de GrégoirXI. Le pape renonçait à une part des annates, imposait de lourdecharges aux commendataires, restreignait les grâces expectatives et leréserves ; le roi promit de ne pas appliquer les statuts de 1351 et d1353. Mais le concordat, imparfaitement respecté de part et d’autrene satisfit personne. L’opinion publique, surexcitée, ne pouvait s’en

contenter. En 1376, les Communes accusaient, dans une pétition énergique, la cour pontificale de détruire l’Église anglaise et de trafiquedes choses saintes ; et le gouvernement restait impatient et hostile. EAllemagne, Louis de Bavière avait profité de ses conflits avec JeaXXII pour imposer aux Églises de l’Empire ses volontés et ses canddats ; Charles IV utilisa son dévouement affecté au Saint-Siège poudisposer des dignités épiscopales en Allemagne et en Bohême.

Cependant le crédit moral du Saint-Siège n’avait cessé de déchoirLes États refusaient de prendre au sérieux tout projet pontifical d

croisade, alors qu’il eût été facile encore d’exploiter contre les Turcle concours offert des Mongols. Urbain V, en 1364, n’était pas parvenu à détourner vers la Hongrie les bandes de routiers qui ravageaienla France. Il fallait, pour diriger la lutte contre l’Islam, faire appel des princes obscurs, le dauphin de Viennois Humbert II, le roi deChypre Pierre de Lusignan, qui, en 1365, chef d’une petite arméed’aventuriers, s’emparait d’Alexandrie et perdait presque aussitôt sconquête. La fiscalité d’Avignon, le cumul des bénéfices,l’indifférence religieuse des prélats, créaient, dans tous les payd’Occident, un malaise que les plus fidèles serviteurs des papeavaient dénoncé en termes émouvants. Dans cette Italie même dont llong abandon avait lassé le dévouement traditionnel des guelfes, lSaint-Siège avait failli perdre ses domaines, où s’éveillait un sentiment nouveau de liberté ; il ne les avait reconstitués que par la forcdes armes, l’abus des censures spirituelles, et l’astuce d’une diploma 30 Voir ci-dessus, p. 90.





tie qui ne craignait pas de se compromettre avec des princes malfaisants et scélérats. L’Église romaine paraissait mal qualifiée désormai pour guider les peuples.

D’autre part, la doctrine impériale formulée par Dante et Marsilde Padoue n’avait pu survivre à la déchéance de l’Empire. Il n’est pluquestion, maintenant, de soumettre à la p112 double conduite de Pierreet de César les peuples et les princes. Il ne reste aux uns et aux autreque de résoudre chacun pour soi le problème du gouvernement, seloses intérêts, son expérience et la raison.

Le royaume de France donne l’exemple de cet affranchissemencomplet de l’État. Depuis le début du siècle, les légistes de la couronne font assez voir qu’ils ne permettent plus au pape de contrôled’après l’Évangile la politique de leur maître. Bien moins encor prennent-ils l’empereur au sérieux, et si Philippe, en 1308, paraît asprer à la couronne allemande, si, pendant la querelle de Louis et dJean XXII, la candidature du roi de France ou d’un prince français eencore une fois proposée, on ne considère à Paris que la possibilitd’étendre, hors des frontières encore étroites, le prestige et les ressources d’une puissance toute matérielle. Déjà, sous Philippe le Belen 1305, Pierre Dubois, avocat royal au bailliage de Coutances, dansa Reconquête de la Terre Sainte( De recuperatione Terrae Sanctae)

— où s’exprime sinon l’opinion officielle du gouvernement, du moinle rêve d’un esprit assez bien informé de la politique européenne —traçait un vaste programme d’impérialisme français. Mais, s’il souhatait aux descendants de saint Louis la domination de l’Italie et del’Allemagne, l’administration des domaines sécularisés du pape, lsuprématie sur l’empire d’Orient comme sur l’Espagne oul’Angleterre, il ne considérait que la satisfaction de l’orgueil nationaou les avantages d’une paix durable et propice à la bonne gestion dtemporel. Rien ne contrastait comme ce programme positif, prosaïqumalgré tant de chimères, avec la théorie impériale telle que Dantevers 1317, allait la fixer dans saMonarchie; aussi, dès le vingtièmechant du Purgatoire, la royauté française, qui usurpe dans le mondemoderne la place de l’Empire, est-elle maudite comme la plante néfaste dont l’ombre attriste la terre chrétienne. Vingt ans plus tard, Jean dJandun, l’avocat de Louis de Bavière en face du pape, oublie le sen profond de la théorie impériale, au point d’affirmer, en sonTraité des





louanges de Paris, que la monarchie universelle appartient au roi deFrance.

Pour Charles V aussi bien que pour Philippe le Bel, la politique esaffaire d’expérience et de calcul. Bien que profondément religieux, a de son devoir royal une conception toute rationnelle. Il disserte volontiers sur l’art de régner et l’exerce par principes. Il s’entoure dsavants, informés de la théorie p113 et du réel, du monde moderne et del’histoire : Raoul de Presles, qui, dans son Abrégé moral de la répu-blique(Compendium morale reipublicae) décrit les magistratures del’ancienne Rome ; Nicole Oresme, traducteur de la Politique d’Aristote, doctrinaire abstrait dans son Livre de la politique, capable pourtant d’étudier de la façon la plus concrète, dans sonTraité de

l’origine, nature et mutation des monnaies, la production et la circula-tion de la richesse. À la cour de Charles V se développe une sciencdu gouvernement qui, fondée sur le système de conceptions théoriqueoù Aristote résumait l’expérience et l’histoire de la Grèce, repose également sur la pratique et l’étude diligente des faits. Elle ne connaîd’autre fin que la grandeur et la puissance de l’État. Elle néglige le prétentions de César ou de Pierre. Pour Charles V, Raoul de Presletraduit le Rex pacificus. Sous l’inspiration de Philippe de Mézières estalors écrit leSonge du verger . Comme dans le Dialogue entre un clercet un chevalier , un homme d’Église et un homme d’épée discutent surle gouvernement des peuples ; l’auteur anonyme, qui connaît bien lecontroversistes du temps de Philippe le Bel, et peut-être a lu, sans eadopter les conclusions gibelines, le Defensor pacisalors traduit enfrançais, dénie au Saint-Siège le droit d’intervenir dans les affaires droyaume ; elles ne relèvent que de la raison. La monarchie conservdu vieux droit féodal le principe de la sujétion personnelle au souverain ; elle invoque le droit romain pour exiger le sacrifice de l’individà l’État, incarné dans la personne du prince.

La théorie de l’État, libéré du magistère de Rome et de l’autoritsuprême de l’Empire, achève ainsi de se définir dans l’Occident monarchique. La royauté anglaise, sous le contrôle de son Parlementignore l’empereur et tient le Saint-Siège à l’écart. Les princes et seigneurs allemands constituent de véritables royaumes, dont la politiqun’obéit qu’à l’égoïsme le plus étroit. Pareil égoïsme triomphe partouoù les bourgeois se gouvernent eux-mêmes. C’est le souci des intérêtmatériels qui groupe en Allemagne les villes de Souabe et la ligu





hanséatique, aux Pays-Bas les villes de Flandre ; les intérêts matérieldes diverses classes créatrices de la richesse y dominent la politique eles luttes des partis.

En Italie, où, plus que partout ailleurs, la connaissance de l’histoirancienne, une pratique déjà longue de la libre discussion dans les assemblées communales et des pourparlers diplomatiques dans leconseils des ligues ont pu éduquer et affiner p114 les intelligences, l’artdu gouvernement obéit aux principes d’une science positive, consciente de ses méthodes et de ses fins ; plus que partout ailleurs, ells’affranchit de toute considération religieuse ou morale. Les tyransqui, dans le nord, établissent leur puissance, n’attachent aucun prix ce qui ne peut ni fonder ni rendre éternelle la force de l’État. Étranger

à tout scrupule, ils créent des monarchies absolues, mais soucieuses dsévère administration et préoccupées d’accorder aux peuples, enéchange d’une soumission parfaite, le bien-être et la richesse ; ils instaurent sur leurs territoires la théorie et la pratique de l’Empire romain. Les républiques, par la force des choses, laissent l’intérêt dl’État se confondre avec les avantages positifs de la classe et du parau pouvoir.

IV. L’idée de la réforme de l’Église31 Ainsi achevaient de se briser les cadres du monde médiéval

Contre cette ruine de l’ordre catholique, cet oubli de l’Évangile donla loi, négligée des États, ne semblait plus s’adresser qu’aux individula conscience chrétienne protestait. Pendant que les hérétiques accusaient l’Église de trahir les vérités confiées à sa garde, les esprits qumalgré tant d’épreuves, restaient fidèles à son enseignement, souhaitaient avec passion, selon le mot prononcé par Guillaume Durandévêque de Mende, au cours des débats de Vienne, sa réforme « dans lchef et dans les membres ».

Les papes d’Avignon n’ont pas, autant que l’affirma longtempsune légende tenace, négligé leurs devoirs de pasteurs. À la p115 com-mission qui prépara le concile de 1311, Clément V avait prescrid’étudier la correction des abus. L’assemblée vota quelques mesures






qui, bientôt inscrites au septième livre des Décrétales, furent mal ob-servées. Mais Jean XXII ne resta pas insensible aux misères que décrivait son confesseur, le dominicain Alvaro Pelayo, dans le livre de

Plaintes de l’Église( De statu et planctu Ecclesiae), Benoît XII, Clé-ment VI, Innocent VI, Urbain V, Grégoire XI, tentèrent comme lui dcombattre les abus les plus éclatants. D’un bout à l’autre du sièclequelques évêques cherchent en France, en Allemagne, en Italie, enEspagne, à réveiller la foi et la charité parmi les clercs. Jean XXIIBenoît XII, essaient de restreindre le cumul des bénéfices, promulguent, en 1317 et 1335 les constitutions Exsecrabiliset Super gregemdominicum. Benoît XII travaille énergiquement, d’accord avec l’abbéJacques de Thérines, à la réforme de Cîteaux. Le 20 juin 1336, il pu blie la bulleSummi magistri, qui, en trente-neuf articles, contient toutle programme d’une réforme de l’ordre de saint Benoît, et conserverforce de loi jusqu’au concile de Trente. Après le violent conflit duSaint-Siège et des Franciscains, un groupe de Conventuels, dirigé paGentil de Spolète, sent le besoin de suivre plus exactement l’esprit dfondateur, et Clément VI, en 1350, leur permet d’imposer dans quelques monastères une règle exacte. Innocent VI, en 1360, ordonne lréforme des Frères Prêcheurs, et l’année suivante, exige le rétablissement du grand maître Simon de Langres, destitué comme trop sévèr par le chapitre. Urbain V tente de ranimer les conciles provinciaux.

Mais l’effort des papes est ruiné d’avance par les vices mêmes durégime auquel ils président, par l’indifférence des prélats dont le mauvais recrutement résulte des pratiques pontificales en matière de nomination. Gentil de Spolète se brise contre la résistance des relâchésqui l’accusent de pactiser avec les Fraticelles ; il meurt, après une longue captivité, en 1362. Si Paulet de Trinci, son élève, réussit, aprè1368, à grouper autour de la maison de Brullino les premiers Franciscains de l’Observance, l’opposition violente des Conventuels à leudiscipline allait, pendant plus d’un siècle, manifester la décadenc

d’un Ordre où pourtant l’esprit chrétien avait trouvé sa plus haute ex pression. Le mauvais vouloir des Dominicains amène Grégoire XI, e1373, en 1377, à casser leurs privilèges et dispenses et à leur imposela surveillance d’un cardinal protecteur siégeant en cour pontificale p116

C’est pourquoi, à la fin de la Captivité de Babylone, comme autemps de Clément V, des plaintes aussi véhémentes expriment un mé





contentement aussi douloureux. Sainte Brigitte de Suède et sainte Catherine de Sienne répondent à Dante.

Brigitte, née en 1303 à Finstad, dans l’Uppland, fille du gouverneur Birger Persson, avait épousé en 1320 Ulf Gudmarsson, qui, e1344, la laissa veuve et mère de huit enfants. Retirée dans la solitudd’Alvastra, où la tradition cistercienne de saint Bernard forma sa pensée mystique, elle fondait, en 1346, au couvent de Vadstena, pour reconduire le monde vers les voies de Dieu, l’ordre des moines et denonnes du Saint Sauveur. Elle vint à Rome en 1349 solliciterl’approbation de son œuvre ; elle y resta ; elle devait y mourir, au retour d’un pèlerinage en Palestine, le 23 juillet 1373. De bonne heurse répandirent ses Révélations, réunies, après sa mort, en sept livres.

Au nom du Christ et de la Vierge, elle conseillait les rois, priait le papes de rétablir à Rome le siège de leur pouvoir. Urbain Vn’approuva qu’en 1370 les règles de la congrégation nouvelle ; malgrles avertissements prophétiques de la sainte, il désertait, la même année, Rome où elle avait salué d’un tel élan de reconnaissance enverle Christ l’inutile retour de son vicaire.

Catherine, fille du teinturier siennois Jacques Benincasa, naqui probablement vers 1337 ; tertiaire dominicaine dès 1352, elle se livraprès un bref apprentissage de la solitude, à l’exercice de la charité

assiste les malades, les condamnés à mort, pacifie les discordes privées. Comme Brigitte, elle vit dans un monde surnaturel, peuplé dvisions. Encore moins qu’elle sans doute, les papes l’écoutent. Il n’e pas vrai qu’en 1376 elle ait, à la cour d’Avignon, plaidé la cause dFlorence interdite ; et si Grégoire XI résolut de revenir en Italiel’opportunité politique l’y poussa plus que l’éloquence de CatherineElle ne voyait le salut de la chrétienté que dans la reprise de la croisade ; pas plus que Brigitte, elle ne se consolait de l’abandon de Rom par le Saint-Siège. Elle eut, en septembre 1376, la joie de quitter Avignon le même jour que Grégoire XI : l’un de ses vœux les plus ardenétait exaucé. Le schisme allait bientôt troubler les deux dernières années de sa brève existence. Elle écrivait à tous, papes, rois, princesmagistrats, capitaines d’aventure, nobles et artisans, prélats, prêtres emoines. La plupart de ses lettres enseignent le renoncement absolu amonde et la mortification de la volonté. Certaines, écrites sous p117 lecoup de l’inspiration, aux chefs de l’Église et du monde temporel, lerappellent rudement au devoir d’imposer, parmi les chrétiens, la just





ce et la paix. Elle adjure les papes et les cardinaux de répondre àl’appel divin : « Ne laissez pas plus longtemps dans l’attente les servteurs de Dieu qui languissent d’impatience... La vie me semble pir

que la mort quand je considère les outrages faits à Dieu... »Mais, comme la plainte tragique de Dante, la prière passionnée d

sainte Catherine et de sainte Brigitte éveillait peu d’échos ; et lorsquGrégoire XI mourut en 1378, personne encore n’avait porté remède la grande misère de l’Église. p118

Table des matières

Bibliographie du chapitre IV La préparation de l’offensive contre l’Église romaine (13l4-1378)

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Pour l’histoire générale de l’Égliseromaine et des hérésies, on se reportera aux ouvrages cités p. 5, 30 et 58.

I. Le schisme franciscain OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages cités p. 30 et 58, voir Noël Va-

lois, Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII , dans l’ Histoire littérairede la France, t. XXXIV (1914), p. 391-630 ; sur le rôle de Guillaumed’Ockham et les polémiques du temps, outre A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. V, 1re partie (Leipzig, 1911, in-8°), p. 537 et suiv., et p. 558et suiv. ; et J. Haller, Papsttum und Kirchenreform, t.I (Berlin, 1903, in-8°), p.77 et suiv., voir S. Riezler, Die literarischen Widersacher der Päpste zur Zeit Ludwigs des Bayers(Leipzig, 1874, in-80) ; Seeberg, articleOccam, dans la Realencyclopädiede Herzog et Hauck (citée p. 30), t. XIV, p. 260-280 ; lesouvrages de K. Müller et Scholz (cités p. 72) ; enfin Léon Baudry, La lettre deGuillaume d’Occam au chapitre d’Assise(1334), dans la Revue d’histoire franciscaine, t. III (1926), p. 185-215.

II. Anciennes et nouvelles hérésies OUVRAGES À CONSULTER . — A ceux qui sont cités p. 30 et 58, ajouter Jean Marx,

L’Inquisition en Dauphiné : étude sur le développement et la répression dl’hérésie et delà sorcellerie du XIVe siècle au début du règne de François Ier (Paris, 1914, in-8°, fasc. 216 de la « Bibliothèque de l’École des Hautes Étu







8°, fasc. 133 de la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome »). — Pour les croisades, le manuel de L. Bréhier, L’Église et l’Orient amoyen âge ; les croisades (Paris, 1907, in-12 ; 5e éd., 1928) ; N. Jorga, Philip- pe de Mézières et la croisade au XIVe siècle (Paris, 1896, in-8o, fasc. 110 de la« Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences philologiques et histriques »). — Sur l’évolution des théories politiques, outre les ouvrages indqués p. 26 et ce qui a trait à Pierre Dubois, p. 37, n. 2, voir le livre cité, pluhaut, de N. Jorga sur Philippe de Mézières ; celui de K. Burdach sur Cola dRienzo, cité p. 78 ; mais, pour ce qui concerne l’Italie, l’essentiel a été dit d puis longtemps par Jacob Burckhardt, dans son ouvrage capital, que nous arons encore à citer plus d’une fois, Die Kultur der Renaissance in Italien (1re éd., Stuttgart, 1860 ; 15e éd., Leipzig, 1926, 2 vol in-8°) ; trad. française, par M. Schmitt, d’après la 3e éd. allemande, La civilisation italienne au temps dla Renaissance (Paris, 1885, 2 vol. in-8°) ; voir surtout la 1re partie.

IV. L’idée de la réforme de l’Église OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les histoires générales de l’Église citées p. 5 et

le manuel de G. Mollat, Les papes d’Avignon, cité p. 71, voir J. Haller, Paps-ttum und Kirchenreform, t. I, seul paru (cité p. 84) ; Paul Viollet,Guillaume Durant le jeune, évêque de Mende, dans l’ Histoire littéraire de la France, t.XXXV (1921), p. 1 à 131 ; H. Baylaender, Alvaro Pelayo. Studien zu seinem Leben und seine Schriften(Aschaffenburg, 1910, in-8°) ; sur sainte Brigitte deSuède, G. Binder, Die heilige Birgitta von Schweden und ihr Klosterorden (Munich, 1891, in-8°) ; V.-F. de Revigny,Sainte Brigitte de Suède, sa vie, sesrévélations(Paris, 1892, in-8°) ; Emilia Fogelklou, Die heilige Birgitta vonSchweden, trad. allemande par Maja Loehr (Munich, 1929, in-8°) ; — sursainte Catherine de Sienne, Augusta-Theodosie Drane,The history of saint Catherine of Siena and her companions compiled from the original source (Londres, 1880, in-8° ; 2e éd. en 2 vol., 1887 ; 3e éd., 1899, 2 vol.) ; JosephineE. Butler,Catherine of Siena, a biography(Londres, 1878, in-8° ; 2e éd.1895) ; E.-G. Gardner,Saint Catherine of Siena(Londres, 1907, in-8°) ;J. Jörgensen,Sainte Catherine de Sienne(Paris, 1920, in-8°) ; Robert Fawtier,Sainte Catherine de Sienne. Essai de critique des sources; t. I : Les sourceshagiographiques; t. II : Les œuvres de sainte Catherine de Sienne(Paris,1921-1930, 2 vol. in-8o, fasc. 121 et 135 de la « Bibliothèque des Écoles fran-çaises d’Athènes et de Rome »).





Table des matières

Chapitre V

Les monarchies française et anglaise et les débuts de la guerre de Cent Ans 32

Les grandes monarchies occidentales traversent, elles aussi, une passe difficile. En vain le gouvernement d’un Philippe le Bel a-t-tenté de faire revivre à son profit les prérogatives souveraines devieux temps romains : ses méthodes absolutistes se heurtent à la résistance, sourde d’abord, puis déclarée d’une noblesse turbulente, qurefuse de se laisser éliminer et le manifeste bientôt bruyamment. Dmême, en Angleterre, il faut compter avec un baronnage indocile, tou jours prêt à affirmer son indépendance au moindre signe de faiblessdu pouvoir royal. La féodalité qu’on aurait pu croire en voie de régression, se redresse soudain, plus vivace que jamais, dans la deuxième décade duXIVe siècle et, tant en France qu’en Angleterre, chercheà regagner le terrain perdu.

L’idée monarchique cependant a cheminé et, l’avenir est à elleMais à la suite de deux événements presque contemporains — la dé position d’Édouard II en Angleterre (1327) et l’avènement des Valoien France (1328) — les deux pays s’opposent presque aussitôt l’un l’autre dans la lutte la plus âpre et la plus longue qu’ait encore connul’Europe. Il serait puéril de vouloir réduire la guerre de Cent Ans au proportions

p119d’une simple querelle entre deux dynasties, voire entre

deux peuples : par la gravité du conflit, l’étendue de ses conséquencede tous ordres — politique, social, économique, moral —, par le nom bre des États qu’elle a touchés directement ou indirectement, elle a étl’événement capital autour duquel toute l’histoire de l’Europe a grav






té durant un siècle — un siècle qui devait voir se précipiter la ruine dla civilisation médiévale.

I. — La politique royale et la réaction féodale en France(1314-1322)33

La question financière fut, en France comme en Angleterre, àl’origine des difficultés auxquelles vint se heurter la politique royale.

La royauté capétienne avait pu, jusqu’à Philippe le Bel grâce à un politique de sage prévoyance et d’empiétements discrets, vivre, ou peu près, sur les revenus « ordinaires » de ses domaines, en y joignanles quelques « aides », qu’en des cas particuliers, nettement spécifié par l’usage féodal, elle était en droit d’attendre de ses vassaux. Mais mesure qu’elle étendait son champ d’action, pour tenter de mener un politique résolument monarchique, elle ressentait le besoin ds’assurer des ressources permanentes plus étendues. Toujours à courd’argent, Philippe le Bel frappe à toutes les portes pour p120 s’en pro-curer. Les emprunts plus ou moins forcés sont fréquents. En 1306 profitant d’une poussée du sentiment populaire contre les Juifs, il le bannit du royaume et confisque leurs biens. Les banquiers italiencommunément appelés Lombards sont, eux aussi, victimes de ses persécutions intéressées. Le roi va jusqu’à inaugurer une politique néfastd’altération des monnaies royales : le titre en est arbitrairement élevou abaissé selon les nécessités du moment. Ces « remuements », asurplus, ne procurent au trésor qu’un bénéfice illusoire, car, passé l premier moment de surprise, les coffres du roi ne se remplissent pluque de la mauvaise monnaie, arbitrairement créée, et la paralysie dcommerce entraîne un appauvrissement général dont la royauté n’es pas la dernière à subir les conséquences.

Au reste, tous ces expédients, y compris la grande attaque contr

les Templiers, ne suffisent pas à parer aux insuffisances du budgeroyal. On est fatalement conduit à établir un système fiscal stable, basé sur la rentrée d’impôts réguliers. Non seulement, avec ou sanl’appui de la papauté, Philippe demande au clergé des « décimes » d plus en plus fréquentes, non seulement il établit de lourdes taxes ind






rectes, comme la « maltôte », qui frappe toutes les transactions commerciales, mais il cherche à monnayer le droit féodal d’« ost », en vetu duquel tout sujet ou vassal doit accourir au secours de son seigneu

en cas de nécessité : s’avançant résolument dans la voie où ses prédécesseurs s’étaient déjà engagés dans le dessein de substituer des trou pes de mercenaires, ou « soldats », aux recrues instables fournies pales levées féodales, il s’emploie, mais dans une pensée de pure fiscalté, à remplacer le service d’ost par la perception périodique d’une taxde rendement régulier et qui va devenir l’« aide » royale. Ainsi le principes féodaux cèdent peu à peu la place aux principes monarchques. Le but est cependant loin encore d’être atteint. Pour faire accepter les pratiques nouvelles, il faut circonvenir les populations, transiger, marchander : les villes, les provinces, par l’intermédiaired’assemblées de notables, les grands vassaux, par des négociationdirectes, sont consultés, suppliés d’aider le roi, et les « subsides » plus ou moins librement « consentis », ne le sont encore qu’à titrextraordinaire. Mais il suffira que de longues guerres, jointes à uncrise économique grave, embarrassent de façon permanente la trésorerie royale pour que, de temporaires, les impôts deviennent définitifs.

Pour affaiblir l’inévitable opposition que devait faire naître p121 sa politique oppressive, Philippe imagina d’y intéresser l’opinion publque. Les grandes décisions prises contre Boniface VIII ou contre leTempliers avaient été approuvées par des assemblées de notables, générales ou locales, réunies dans une pensée de propagande. Il faut vodans ces réunions, où nobles, clercs, députés des villes et des grandfiefs se coudoyaient, et dont l’organisation est mal connue, l’origind’un nouveau rouage de gouvernement, les « États généraux ». C’est des assemblées de ce genre que le roi prend l’habitude de demandeaides et subsides.

La fiscalité royale n’en suscite pas moins dans le pays un vif mécontentement. Des scandales qui éclatent à la cour et où les brus du rose trouvent compromises, discréditent au même moment l’entouragdu souverain. La noblesse, blessée au vif par ses méthodes de gouvernement, se tient prête à profiter de la moindre alerte. À partir de 1314dans les provinces du nord, pour protester contre une taxe nouvelleelle forme des ligues locales où elle admet les représentants du clerget du commun. Ces ligues s’unissent entre elles, conjuguent leur ac





tion, et le roi, intimidé, se voit finalement obligé de supprimer la taxlitigieuse.

À la mort de Philippe, à la fin de 1314, il y eut une véritable explosion de sentiments antimonarchiques. À la cour même du roi, Charlede Valois s’acharna contre les anciens conseillers dont il avait à se plaindre ; il obtint de son neveu Louis X la mise à mort d’Enguerrande Marigny. Pendant ce temps, les ligues provinciales de la petite no blesse fortifiaient leur organisation, étendaient leur influence et précsaient leurs griefs. Les seigneurs demandaient le droit de recours auguerres privées, la liberté des tournois, le respect des justices féodales ; ils protestaient contre l’intrusion de la monarchie dans leurs fiefse refusaient à admettre l’obligation pour leurs vassaux de participer

l’« ost » royal. Programme purement réactionnaire : en réclamantcomme ils le faisaient, le retour aux usages du « bon roi saint Louis »ils croyaient naïvement qu’on pourrait en revenir à l’âge d’or de lféodalité. Le gouvernement du royaume ne les intéressait pas ; de véritables libertés politiques, ils n’avaient nul souci. Leurs réclamationn’étaient d’ailleurs pas nouvelles ; les mêmes griefs avaient été formulés depuis longtemps, et Philippe le Bel avait déjà essayé d’y répondre. Enfin, malgré l’apparente cohésion de ces ligues, aucun idéacommun ne les unissait ; ni le clergé, ni le peuple n’éprouvaient p122 lamoindre sympathie pour des hobereaux dont ils supportaient mal le brutalités : comment auraient-ils pu soutenir un programme de classaussi égoïste que celui des ligues ? La royauté ne se laissa pas intimder : si, au printemps de 1315, Louis X accorda des chartes en apparence favorables aux demandes des coalisés, il restreignit aussitôt leconcessions faites par la réserve expresse de ses droits royaux, ce qurevenait à retirer d’une main ce qu’il donnait de l’autre. Quelquesunes de ces ligues féodales, en Artois, en Champagne, tournèrent alorleur activité vers des querelles locales, où elles s’usèrent rapidementau bout de quelques années, elles avaient complètement disparu.

L’impuissance de la féodalité à faire aboutir un programme, mêmrestreint, de revendications, est d’autant plus remarquable qu’à cmoment précis, pour la première fois depuis l’avènement de la famillcapétienne, une crise dynastique mettait la royauté française dans unsituation délicate. Le fils aîné de Philippe le Bel, Louis X, était mor prématurément, au mois de juin 1316, ne laissant pour héritièrqu’une fille, inapte à recueillir sa succession en vertu du droit en usa





ge. Mais, comme la reine était enceinte, le règlement du problèmsuccessoral posé fut provisoirement ajourné. Le second fils de Philip pe le Bel, Philippe — celui qu’on a surnommé le Long — s’empara d

la régence avec une prompte et énergique décision, au détriment deautres candidats, Charles de Valois et Eudes, duc de Bourgogne ; puisle fils posthume de Louis X, né peu après, n’ayant pas survécu, Philippe le Long se fit couronner à Reims (9 janvier 1317). En Bourgogne et en Champagne, quelques-uns des nobles qui s’étaient montrési entreprenants les années précédentes, tentèrent bien de protestecontre une pareille « usurpation » ; mais le nouveau roi, dans une assemblée de nobles, de prélats, de bourgeois et d’universitaires réunis Paris, fit ratifier sans difficulté son coup de force et fut reconnu danles provinces par des assemblées locales que réunirent ses officiers. eut si vite raison des protestataires que, lorsqu’à son tour Philippmourut prématurément en 1322, sans laisser d’héritier mâle, son frèrCharles IV n’eut à vaincre aucune résistance pour s’emparer de lcouronne.

Les derniers Capétiens directs arrivèrent donc assez aisément àsurmonter la misérable opposition de la noblesse ; pour prévenir lconjonction des forces féodales et des forces populaires, p123 ils surent promettre aux paysans mécontents de les protéger contre les segneurs, invoquer auprès des seigneurs le prétendu danger d’une révote paysanne. Ils surent aussi flatter toutes les classes de la populatioen les associant nominalement aux affaires du gouvernement. Les assemblées des trois ordres, dont Philippe le Bel avait fait un si habilusage, vont, après lui, se multipliant et deviennent même périodiquesQu’il s’agisse de réunions générales ou d’assemblées locales, le rodemande aux délégués d’exposer leurs doléances et fait mine de prendre aussitôt, en de solennelles ordonnances, les mesures nécessaire pour parer aux défauts signalés. Il consulte ses sujets sur les question politiques les plus graves, sans omettre, bien entendu, de leur deman

der le vote des subsides indispensables à sa politique militaire. Maices assemblées ne sont que la caricature d’un système représentatifc’est la royauté qui prend l’initiative de les convoquer, non la nationqui impose son contrôle au roi ; leur rôle politique semble extrêmement mince, et leur intervention ne diminue en rien l’autorité royale.





II. — La royauté anglaise au début du XIVe siècle34

En Angleterre, la situation apparaît d’abord assez différente. Le premier quart duXIVe siècle y correspond à une période p124 d’effacement du pouvoir monarchique. Les causes en doivent être recherchées dans la période apparemment brillante du règne d’ÉdouarIer , le contemporain souvent heureux de Philippe le Bel. Le Plantagenet, après avoir eu à maîtriser une rébellion du pays de Galles, a mitoutes les forces de la royauté au service d’une ambition irréalisableil s’est acharné à la conquête de l’Écosse, y épuisant les ressourcetrès limitées dont il disposait.

Le petit royaume d’Écosse, encore mal organisé et à demi sauvage peuplé de Scots et de Pictes dans les hautes terres du nord, de Galloidans le sud-ouest et d’Anglais au sud-est, divisé en clans qui poursuvaient avec acharnement leurs petites querelles locales, n’était qu’ufaible État, aux sentiments très particularistes. Son roi Alexandre IIétait mort en mars 1286, sans laisser d’autre héritier direct qu’une petite-fille, Marguerite de Norvège. Édouard Ier s’était empressé de né-gocier le mariage de son fils unique avec la jeune reine. Mais Marguerite était morte elle aussi, très peu de temps après (1290), laissant scouronne contestée entre plusieurs prétendants dont aucun n’avait ddroits irrécusables à faire valoir. Les deux seuls candidats sérieuxétaient Jean Balliol et Robert Bruce, tous deux petits-neveuxd’Alexandre III par les femmes. Redoutant une guerre civile, ils eurent la malencontreuse idée de demander la médiation d’Édouard, quexigea d’abord que fût reconnu le lien de vassalité qui subordonnail’Écosse à l’Angleterre : après quoi, il institua une régence, fit admnistrer le royaume en son nom, comme « seigneur souverain », et finalement (1292) désigna comme roi Jean Balliol qui, avant d’être couronné, dut lui prêter hommage.

Cette situation fut exploitée par les Anglais avec la même rigueuqu’apportaient les Français dans leurs interventions en Guyenne : leappels et les citations au Parlement d’Angleterre se multiplièrent ; lroi assiégea Balliol de ses conseils et de ses admonestations ; et






comme les Écossais avaient forcé leur souverain à s’allier à la FranceÉdouard se décida à les châtier par les armes. Une seule campagne lusuffit à conquérir le royaume en 1296 : il pilla Berwick (mars), déf

les troupes écossaises à Dunbar (27 avril) et amena Balliol à lui remetre sa couronne sans conditions (juillet). Le reste p125 de l’expéditionfut une promenade militaire, où Édouard reçut l’hommage de ses nouveaux sujets, nomma un régent et imposa une administration anglaise

Conquête facile, mais précaire. À peine le vainqueur a-t-il quitté l pays qu’une insurrection éclate. Sous la conduite d’un chevalier énergique, Guillaume Wallace, les rebelles sont victorieux à Stirling (11septembre 1297) et envahissent le nord de l’Angleterre. Édouard ri poste par l’envoi de nouvelles troupes en Écosse : celles-

l’emportent d’abord, parviennent à battre Wallace à Falkirk (1298) mais ce succès ne leur vaut aucun avantage durable. Pendant six anstoute l’énergie d’Édouard se tourne vers le nord, l’administration anglaise est transportée de Londres à York ; presque chaque année, unnouvelle campagne est entreprise. Enfin, en 1303, Wallace est pris emis à mort, et en 1305 le pays paraît soumis ; Édouard en confie lrégence au duc de Bretagne Jean ; mais, en 1306, on est une fois d plus en pleine révolte, et le jeune Robert Bruce qui dirige le mouvement, réussit à se faire couronner roi. Quand le Plantagenet meurt e1307, tous les résultats de sa politique écossaise se trouvent annihilés

Il n’y a pas seulement dépensé en vain ses forces et compromis so prestige ; il y a engagé des sommes considérables, et qui l’ont mis, luaussi, dans une situation financière dangereuse. À nouveau, la royautanglaise a dû sans cesse solliciter des subsides pour parer à une détresse croissante. L’opposition qui semblait calmée s’est alors réveillée. Le clergé a pris les devants sous la direction de Winchelseal’archevêque de Canterbury : en 1296, il refuse de voter aucun subsidau roi, excipant de la bulleClericis laïcos, et ce n’est que par des me-sures de confiscation qu’Édouard peut l’amener à se soumettre. U peu plus tard les barons se révoltent contre les prétentions du roi quveut les envoyer se battre en Guyenne et en Flandre ; ils affirmen bien haut qu’en vertu du droit féodal, ils ne sont tenus de servir l’étranger que si le roi dirige l’expédition en personne. Les Londoniens enfin, dont toutes les libertés avaient été supprimées depui1285, se joignent aux mécontents. Devant cette forte oppositionÉdouard doit céder et par trois fois (1297, 1298 et 1300), il est forc





de confirmer solennellement les chartes en y ajoutant de nouveauxarticles relatifs au contrôle des impôts et des tailles par les représentants des barons. Tandis qu’au début de son règne le Parlement, tou

comme celui de Paris, se réunissait régulièrement deux fois par an pour p126 dispenser la justice et aussi, à l’occasion, donner son avis enmatière législative, les convocations se font plus rares, à partir d1290 ; mais les séances sont d’une extraordinaire animation. Les re présentants des communes y assistent fréquemment et le baronnage ssert d’eux comme d’une arme dans son opposition.

Il suffisait d’un roi plus faible pour fournir à la féodalité l’occasioqu’elle attendait de prendre sa revanche. L’incapable Édouard II, lfils d’Édouard Ier , fut à cet égard, pendant les vingt ans de son règne

(1307-1327), le roi idéal. Son père avait été tout ensemble guerrier politicien, diplomate ; lui se désintéresse du gouvernement, qu’abandonne à quelques favoris, dont le premier en date fut un chevaliegascon, Pierre de Gaveston. Son règne rappelle ainsi, par certains côtés, celui d’Henri III : à lui aussi on reprocha d’écarter du gouvernement les barons, de ne tenir aucun compte des concessions politiquearrachées à ses prédécesseurs ; ce que veut la noblesse, c’est être admise au conseil du roi, établir son contrôle sur toute l’administrationLes barons se prétendent les champions des « libertés » et s’appuiensur l’opinion populaire pour faire triompher leurs revendications. LeParlements, les prélats et les titulaires des hautes charges administratves déjà séparées de la cour du roi, à la chancellerie ou à l’Échiquieleur sont généralement favorables. Pour se libérer de la tutelle baronniale, Édouard tente d’organiser une administration indépendante autour de son « hôtel » et, naturellement, ses créatures y pullulentL’administration financière de la Garde-robe tend ainsi à supplantel’Échiquier, et le sceau privé concurrence la chancellerie. Mais, aulieu de viser à supprimer ces nouveaux rouages administratifs, les barons ne cherchent qu’à les contrôler, et leurs efforts répétés dans c

sens, même appuyés par la violence, sont voués à un complet échec.Le premier acte d’Édouard II fut de renvoyer les ministres de son

père et d’emprisonner le trésorier Gautier Langton. Les finances, obérées par les campagnes écossaises, étaient dans un tel état de détressqu’Édouard se trouva sous la coupe de banquiers italiens et gasconsLes barons ne tardèrent pas à se réveiller ; après avoir vainement tentde supplanter les favoris du roi, ils lui imposèrent en 1311 une séri





d’ordonnances qui réclamaient l’exil de Gaveston, la nomination de principaux officiers de la couronne par un comité de nobles et lcontrôle de l’Hôtel. Leur victoire fut courte : dès 1312, Édouard s

réfugiait p127 dans le nord, rappelait Gaveston et abolissait les ordon-nances ; une prise d’armes où les barons eurent l’avantage, n’amend’autre résultat pratique que la mise à mort de Gaveston. Cependanl’état du royaume allait empirant. Le 24 juin 1314, une armée écossase, composée surtout de piquiers, écrasait à Bannockburn, près dStirling, les troupes féodales anglaises et assurait à Robert Brucl’indépendance définitive de son royaume. Simultanément, le frère droi d’Écosse, Édouard Bruce, menaçait en Irlande ce qui restait de ldomination anglaise, et quelques soulèvements locaux se produisaiendans le pays de Galles, remettant en question toute l’œuvre d’ÉdouarIer .

Le désordre et l’anarchie qui régnaient dans le pays étaient facilement imputés au mauvais gouvernement du roi. Les barons n’eurendonc pas de peine à se grouper et à s’entendre, sous la direction dThomas, comte de Lancastre. Cousin du souverain, beau-frère de Phlippe le Bel et possesseur de cinq comtés, ce personnage alliait unambition démesurée à une égale incompétence. Mais il représentaiassez bien la cause des barons pour se rendre quelque temps populaire. Au parlement de Lincoln (février 1316), il obtint le gouvernemenavec le titre de principal conseiller du roi. Deux ans de pouvoir montrèrent d’ailleurs l’abîme qui séparait son programme politique de seréelles capacités : surtout soucieux de ses intérêts personnels, il insist brutalement pour obtenir, en tant que connétable héréditaire, lcontrôle direct et absolu de l’hôtel royal. Sa violente ambition eut tôfait de désunir le baronnage ; peu à peu, une fraction de l’aristocratise sépara de lui et, sous la direction du comte de Pembroke, forma u« tiers-parti », rapidement puissant. Édouard II saisit la balle au bond pour se débarrasser de Lancastre, il n’hésita pas à s’allier au tiers-par

et à accueillir ses demandes. Lancastre, qui avait pris les armes, se vabandonné et dut signer une véritable capitulation au traité de Leak(juin 1318). Quelques mois plus tard, le parlement d’York (octobredécembre 1318) consacrait la victoire du baronnage à la fois, sur Lancastre et sur le roi : non seulement les ordonnances de 1311 étaienune fois de plus rétablies, mais un conseil permanent de barons étaiinstitué auprès du roi, et tous les postes administratifs changeaient d





titulaires ; grâce à ces énergiques mesures, quelques années de tranquillité furent accordées au royaume, d’autant plus qu’en signant untrêve avec l’Écosse (1319), le tiers p128parti mit fin pour un temps aux

incursions des Écossais qui ravageaient périodiquement le nord dl’Angleterre.

La trêve politique ne devait pas durer ; car, des rangs del’aristocratie victorieuse, émergeait une ambitieuse famille en la personne d’Hugues Despenser le Jeune. Devenu favori du roi, Despensetenta de se créer dans les « marches » du pays de Galles de vastes possessions. L’inquiétude suscitée chez ses puissants voisins gagna bientôt tout le baronnage ; en quelques mois la noblesse avait reformfront unique contre le roi et son favori ; le tiers-parti s’évanouissait, e

de nouveau Lancastre apparaissait comme le sauveur. En 1321l’assemblée des barons triompha de la résistance du roi qui, isolé, duaccepter l’exil de Despenser.

Mais les événements de 1311 allaient se reproduire à dix ans dedistance, cette fois d’une façon plus heureuse pour la cause monarchque : Édouard lève une armée, défait successivement les contingent baronniaux dans l’ouest et le nord, fait mettre à mort Lancastre et rap pelle Despenser. Un Parlement docile révoque solennellement les ordonnances de 1311 et exile les principaux barons (1322). Pendant le

quatre années qui suivent, Despenser gouverne en maître et, il faut ldire, avec une certaine modération. Toutefois le drame final du règnet prépare, brusque et rapide, hâté par les dissensions de la famillroyale. Édouard se brouille avec sa femme Isabelle, dont il séquestrles biens, et qui croit plus prudent de se réfugier sur le continent aveson jeune fils. En 1326, Isabelle s’entend avec l’ennemi personnel dDespenser, Roger Mortimer. À peine débarquée en Angleterre, ellréunit tout le baronnage, écrase les partisans du roi, massacre les Des penser, s’empare d’Édouard, le force à abdiquer et finalement le famettre à mort (1327).

Au simple récit de ces luttes confuses, on a d’abord l’impressiond’une série de victoires éclatantes de la féodalité. Mais, incapable dcréer un système de gouvernement et de s’y tenir, le baronnage ne sa jamais profiter de la situation. Ses révoltes sont autant de coupd’épée dans l’eau. L’institution monarchique poursuit sous les orageson lent perfectionnement, et il n’est pas jusqu’aux assemblées parle







citations devant le Parlement de Paris et menace, plusieurs fois mise exécution, de saisir le fief. Le traité de Paris n’était pas viable ; on travailla sans succès à l’améliorer. Les accords d’Amiens (mai 1279), d

Paris (août 1286), de Périgueux (avril 1311), n’amenèrent aucune solution pratique. En 1294, à la suite de démêlés commerciaux, Philipple Bel envoya des troupes saisir le duché. Cette prise d’armes n’eu pas grand résultat, car Édouard Ier fut assez habile pour détourner l’attention du gouvernement français sur la Flandre ; d’autre part, Boniface VIII s’interposa entre les adversaires et rétablit la paix en 130en fiançant le futur Édouard II à Isabelle, fille du roi de France. On nse doutait pas que, de ce mariage, sortirait le prétexte légal du conflfranco-anglais. De nouveau, en 1324, Charles IV le Bel ordonna lconfiscation de la Guyenne. L’affaire était encore en suspens lorsqu’Édouard II fut renversé du trône, en 1327.

Les affaires de Flandre se superposent à l’irritante question deGuyenne. L’Angleterre d’alors, pays d’élevage, qui vit surtout del’exportation de ses laines, a besoin d’avoir en Flandre, terre del’industrie drapière, un libre débouché. Depuis Philippe Auguste, lFlandre, bien que nominalement fief du roi de France, est à peu prèindépendante. Or Philippe le Bel remet en question cet état de fait ses officiers, comme en Guyenne, multiplient les citations, lèvent deimpôts, occupent des villes, s’immiscent dans les affaires p131du com-te et jusque dans le mariage de ses enfants. Directement menacée danson existence économique, l’Angleterre ne peut manquer de réagivivement contre les entreprises françaises. D’autre part, exaspéré pales vexations dont il est l’objet, le comte de Flandre, Gui de Dampierre, cherche des secours hors du royaume : l’alliance anglo-flamandest un fait accompli en 1297. Philippe en profite pour envahir le fieet, après une guerre heureuse, le confisquer (1300).

Cette intrusion du souverain dans les affaires du comté était désastreuse pour les drapiers flamands. La bourgeoisie de Bruges, révoltéla première, entraîne à sa suite toutes les communes. Leurs forces réunies infligent à la chevalerie française la sanglante défaite de Courtrai (11 juillet 1302). À la mort de Gui de Dampierre (1305), Philipps’entend avec son successeur Robert de Béthune, il lui rend son fiemoyennant une forte indemnité et la cession d’une bordure de villeau nord de l’Artois, Lille, Douai, Orchies. L’accord ne peut être mis exécution : Philippe le Bel et ses trois fils usent successivement leur





forces en des campagnes annuelles — les « osts de Flandre » — san pouvoir triompher de leurs vassaux récalcitrants. En vain s’appuienils sur le comte et l’aristocratie : la bourgeoisie des villes est plus fort

que la volonté du comte. Peu à peu elle se sépare de son suzerain donelle déteste la trahison ; elle est toute prête à se jeter dans les bras deAnglais, grâce à qui elle vit et prospère. Lorsque Philippe VI, appel par Louis de Nevers, petit-fils et successeur de Robert de Béthunecontre les communes flamandes en pleine rébellion, écrase, au, piedu mont de Cassel, les troupes des insurgés (23 août 1328), il ne rem porte qu’un succès éphémère. Bientôt la Flandre va être perdue poului.

Ainsi menacée en Guyenne, d’où elle importe les vins, et en Flan

dre, où elle exporte les laines, l’Angleterre, pour subsister, est fatalement amenée à l’attaque. Or, en 1328, se pose, de surcroît, une question dynastique. Déjà, en 1317, à la mort du premier fils de PhilippIV, le conseil du roi d’Angleterre avait songé à faire valoir les droitau trône de France qu’Édouard II tenait de sa femme. L’affaire n’ava pas eu de suite, et la manière dont avait été réglée la succession detrois derniers Capétiens avait prouvé que la noblesse ne reconnaissa pas aux femmes le droit de succéder à la couronne de France. Mais, la mort de Charles IV, en 1328, le problème se posa en des termesnouveaux : si le successeur le plus proche par les mâles p132 était Phi-lippe de Valois, cousin germain des rois défunts, le jeune Édouard IIétait leur neveu. Que la reine Isabelle ne pût régner, on ne le contesta plus ; mais ne pouvait-elle transmettre à son fils des droits solides atrône ? Le problème, pour lequel on ne trouvait point de précédentsfut tranché non pas juridiquement, mais politiquement : les barons dFrance, par un sentiment instinctif de répulsion contre un princeétranger, se hâtèrent de proclamer roi Philippe de Valois et de le faircouronner (avril-mai 1328). La déception fut grande à la cour anglaise, mais on ne la manifesta pas, car Édouard III, sous la tutelle de s

mère et embarrassé par les affaires d’Écosse et de Guyenne, n’étai pas en état d’engager la lutte. Après bien des difficultés, il vint lumême à Amiens, au mois de juin 1329, prêter hommage à Philippereconnaissant ainsi la validité de l’avènement du Valois ; mais il falludes mois de négociations ardues pour lui faire déclarer que son hommage était lige, et non simple.





Le conflit final aurait certainement éclaté plus tôt si, d’une partÉdouard III n’avait été retenu par les troubles d’Écosse, où il essayasans succès de rétablir la dynastie des Balliol contre le roi national

David Bruce, et si, d’autre part, la diplomatie pontificale ne s’était ap pliquée à contrecarrer la politique des deux adversaires. Le plan dJean XXII et de Benoît XII était de réconcilier à tout prix la France el’Angleterre et de les jeter dans la croisade, soit contre l’empereuschismatique Louis de Bavière, soit contre les Infidèles. Philippe Vse laissa prendre à ce mirage ; l’idée d’assumer la direction de la crosade plaisait à ses goûts chevaleresques. De 1330 à 1336, il perdit sotemps à des préparatifs d’expédition lointaine ; pour prix de cette glore chimérique, la papauté l’empêcha de pousser à fond les avantageque pouvait lui procurer l’alliance écossaise. Plus tard (1337) BenoXII fit tous ses efforts pour empêcher le conflit d’éclater ; il ne cru pas à l’attaque anglaise, il ne sut pas apprécier la force de l’assaillanet entretint le roi de France dans une dangereuse inaction.

Cependant, Édouard III prépara patiemment l’encerclement diplomatique de la France. Au risque de précipiter la ruine de ses financesil acheta à coup de sterlings l’amitié des princes du nord et de l’est, lcomte de Genève, les ducs de Brabant, de Gueldre et de Juliers, lecomte de Hainaut et l’archevêque de Trêves. Il s’assura l’alliance militaire du comte de Nassau, celle des ducs d’Autriche et de Bavière, esongea même à faire p133 attaquer la France à revers par ses alliés, enles jetant en Bourgogne. Enfin il s’allia officiellement à Louis de Bavière, au grand effroi de la papauté : en 1338, il se rendit à Cologne ereçut de l’empereur le titre de vicaire de l’Empire. C’était la preuve dses ambitions démesurées, qui furent la cause finale de la guerre.

La faiblesse et l’inconséquence du roi de France contribuèrent pou beaucoup à la provoquer. Fils de Charles de Valois, qui avait passé svie à briguer sans succès les royaumes d’Aragon, de Sicile et jusqu’l’Empire, Philippe n’était pas né pour le trône. Ce « roi trouvé »comme le surnommèrent les Flamands, incarnait toutes les exagérations de l’esprit chevaleresque. Fastueux, avide de gloire, il n’aspiraqu’à des expéditions lointaines. Sa cour était le rendez-vous de la féodalité à la recherche de grandes fêtes et de beaux tournois, le paradirêvé d’un Froissart ; mais il n’avait pas les vertus aimables nécessaire pour s’attirer la sympathie de la noblesse, ce qui eût pu être la contre partie de ses goûts ruineux. Il laissait gouverner le pays par des fonc







res et diminuer leur nombre. Aussi est-il incapable de créer une armérégulière : il se borne à réclamer de la féodalité le service, d’ost dquarante jours, notoirement insuffisant, ou à convoquer l’arrière-ban

dont le rendement est médiocre. Le reste de son armée est formé dchevaliers attirés par des soldes élevées, venus de tous les pays, cohusans discipline. Chacun ne cherche que rapines ou beaux faitsd’armes, suivant le code désuet des romans chevaleresques : nul nsonge aux nécessités de la guerre nouvelle.

Autrement prévoyante est la conduite d’Édouard III. Après quelques années passées sous la tutelle de sa mère et de Roger MortimerÉdouard, à vingt ans, brise le joug, bannit la reine Isabelle, fait exécuter Mortimer et commence à régner (1330). Sans posséder une haut

intelligence, c’est un esprit positif qui sait ce qu’il veut et fait tou pour parvenir à son but. Lui aussi, il a un idéal chevaleresque, maiqu’il concilie avec les réalités politiques ; il a l’art de faire épouser sequerelles à la féodalité anglaise et de la grouper autour de lui. Lchroniqueur Jean le Bel, écho des milieux chevaleresques, l’opposfavorablement à son rival, le vindicatif Philippe de Valois. S’il ne peusupprimer complètement le danger et l’indépendance écossaiseÉdouard a au moins l’avantage de gouverner p135 un royaume, petitsans doute et encore peu peuplé, mais uni, cohérent et bien discipliné

L’Angleterre était alors un pays exclusivement rural ; pour lecommerce et l’industrie, elle dépendait des marchands étrangers et demétiers flamands : Édouard veut lui assurer l’indépendance économque et la maîtrise des mers. Il donne une impulsion au commerce indigène, contrôle par une sévère tutelle les marchands italiens, espagnols et scandinaves installés à Londres. En 1339, le Parlement décidd’acclimater l’industrie du drap à Bristol. Il fait surveiller les côtes dl’Angleterre, surtout dans le Kent et le Hampshire, par une flotte dguerre créée sous la direction de deux amiraux du nord, et de l’oueschacun faisant la police d’un secteur maritime. Mais l’œuvre de prédlection d’Édouard III est la création d’une armée fondée sur des principes tout à fait nouveaux. Les rudes, campagnes de Galles ed’Écosse ont aguerri les populations : Édouard les enrôle et les encadre.

Pour discipliner la chevalerie et concentrer toute son énergie verles guerres de conquête, il lui interdit les joutes et les tournois ; il re





commande à l’aristocratie de se préparer à la lutte, d’apprendre lfrançais, et au peuple de s’exercer au tir à l’arc. Par une séried’ordonnances, dont la plus récente date de 1334, le service militair

est rendu obligatoire, de seize à soixante ans, pour tous les sujets droi : des commissaires du gouvernement, véritables conseils de révision, choisissent les plus valides et les contraignent à servir. Touhomme dont les revenus excèdent vingt livres, doit s’armer et se monter à ses frais ; les plus pauvres sont tenus de servir dans l’infanterieL’organisation de cette infanterie devait faire la force principale del’armée anglaise et lui assurer la supériorité sur la cohue chevaleresque et inexpérimentée que recrutait le roi de France. Les archers, bieencadrés, recrutés surtout parmi les rudes et batailleuses populationdu pays de Galles, constituent un corps d’élite ; ils disposent d’un ar perfectionné, dont la portée atteint 350 mètres, et qui tire trois flèchequand l’arbalète française, d’origine génoise, n’en tire qu’une. Le tides archers anglais rendra impuissantes les attaques de la cavaleriedécimera les chevaux insuffisamment protégés et forcera les troupeféodales au combat à pied, pour lequel elles ne sont pas préparéesAux archers sont adjoints les coutiliers ou lanciers, soldats redouta bles, qui savent atteindre l’adversaire au défaut de la cuirasse. EnfiÉdouard III emploie une arme nouvelle, p136l’artillerie. Sans doute, lescanons qu’il mettra en action à Crécy feront plus de peur que de ma

mais ils impressionneront les combattants et leur révéleront l’esprid’initiative du commandement anglais.

Ainsi, le petit royaume d’Angleterre, malgré ses ressources limitées, apparaît bien mieux préparé à la lutte que la monarchie françaisdont les richesses et le solide pouvoir seront de peu de poids contrl’invasion : à la stupeur des contemporains, l’incurie et l’impuissancdes Valois rendront la victoire anglaise facile.





IV. — Les désastres militaires de la France(1340-1356)36

C’est seulement à la fin de l’été 1339 qu’Édouard III se trouva prêà la guerre. Il avait rassemblé à Bruxelles une armée, en majoritécomposée de soudoyers allemands. Mais, se trouvant alors courd’argent et manquant d’audace, il se contenta d’abord de ravager lThiérache, sans oser livrer bataille. La première campagne de la guerre était peu glorieuse pour l’Angleterre ; mais Édouard sut, dans leannées qui suivirent et avant de frapper un grand coup, complétel’encerclement diplomatique de la France et empêcher l’adversaire d prendre l’offensive. Deux choses étaient nécessaires à l’Angleterr pour engager une campagne dans des conditions favorables : se créedes intelligences sur les côtes de France, pour faciliter un débarquement, et s’assurer la maîtrise de la mer. Les affaires de Flandre et dBretagne et l’agitation de p137 la Normandie lui permirent d’atteindrele premier objectif ; la bataille de l’Écluse fit le reste.

Le comte de Flandre, Louis de Nevers, avait partie liée avec Philippe VI. Pour le punir, Édouard III lui avait, dès 1336, coupé les vivres, en interdisant l’exportation des laines anglaises en pays flamanet l’importation des draps flamands en pays anglais ; le comté travers bientôt, de ce fait, une crise économique des plus graves. L’industridrapière périclita, le chômage s’étendit. La diplomatie anglaise su profiter du mécontentement de la population et le tourner contre lnoblesse et le comte. Au début de 1338, la ville de Gand était en plene révolte. Elle se donna pour maître le bourgeois et marchand drapieJacques van Artevelde, qui conçut le plan d’unir toutes les communede Flandre et des pays voisins pour la défense de leurs intérêts commerciaux. Artevelde, qui ne pouvait compter que sur l’appui du rod’Angleterre, se mit aveuglément à sa remorque. En septembre 1340un « parlement » se tint à Gand en présence d’Édouard III, qui y fiacte de roi de France et de suzerain de la Flandre ; il promit aux habitants du comté aide, privilèges et subsides. Sans doute la dictature d bourgeois de Gand sur la Flandre, fut de courte durée : les jalousieles haines entre cités ne tardèrent pas à renaître ; en juillet 1345, de






mécontents mirent le dictateur à mort, et la domination anglaise sur lFlandre disparut avec lui ; mais la domination française ne fut pas rétablie.

L’alliance flamande avait d’ailleurs permis aux Anglais de détruirla flotte française. Réunie au prix d’un gros effort de plusieurs annéeen Aunis et en Normandie, avec l’aide d’aventuriers méridionaux, ells’était imprudemment concentrée dans le port de l’Écluse (Sluys, eflamand). Mal organisée, disparate, elle se laissa surprendre en jui1340 par une escadre anglaise, que dirigeait le roi en personne ; ellfut anéantie en quelques heures. Le résultat de cette défaite fut moingrave d’abord qu’on n’eût pu le craindre parce qu’Édouard III, rappeldans son île par des difficultés intérieures de gouvernement, préféra

après avoir en vain tenté de prendre Tournai, signer en hâte une trêvemais la guerre reprit immédiatement ailleurs.

Le duc de Bretagne Jean III étant mort sans enfant en 1341, sa succession fut disputée entre sa nièce ; Jeanne de Penthièvre, épouse dCharles de Blois, et son frère Jean de Monfort. Jean comptait sur l population bretonne, Charles sur l’aristocratie et l’appui du roi dFrance. Jean ayant tenté de prendre p138 possession du duché, Charlesen appela à Philippe VI qui, en qualité de suzerain, rendit une sentence en sa faveur. Une guerre s’ensuivit, à laquelle l’Angleterre se hât

de prendre part : en 1342, Édouard débarquait avec une armée et soumettait une partie de la Bretagne pour le compte des Montfort. La trêve de Malestroit (janvier 1343) ne faisait qu’ajourner le débat : Charles de Blois asseyait sa domination dans l’est, Jean dans l’ouest duduché. Le roi d’Angleterre, en rembarquant, emmenait avec lui la famille de Montfort, qui fut désormais l’instrument docile de sa politique.

Il ne suffisait pas au Valois d’avoir laissé son adversaire se créedes intelligences en Flandre et en Bretagne ; il affaiblit encore sa pos

tion dans le domaine royal. Donnant sans discernement libre cours ses haines, il se défit brutalement des familles nobles dont il croyaiavoir à se plaindre : celle des Clisson en Bretagne, la familled’Harcourt en Normandie. Puissante et ambitieuse, celle-ci se tournvers Édouard III et lui fit hommage. C’est dans cette province, divisé par les maladresses du roi de France, que la guerre allait vraimencommencer. Elle s’engagea assez mollement en 1345 ; mais, tandi





que le fils aîné de Philippe, le duc Jean de Normandie, s’épuisait assiéger Aiguillon sur la Garonne, Édouard, qui avait fait un efformilitaire considérable, débarquait à l’improviste dans le Cotentin (1

juillet 1346). Le pays était sans défense. L’armée anglaise poussa dl’avant en brûlant tout sur son passage, prit Caen (20 juillet), passa lSeine à Poissy (16 août), puis, comme Philippe VI, avec une brillantarmée de chevaliers, s’était enfin décidé à lui donner la chasse, se dirigea à marches forcées vers le nord. Au delà de la Somme, à CrécyÉdouard choisit une solide position, s’y retrancha et attendit de pieferme. L’armée française le rejoignit (26 août), et, sans prendre de re pos, engagea le combat. Mais les charges de sa brillante cavalerie vinrent se briser contre le tir des archers anglais. Ce fut une hécatombeLa féodalité française, malgré sa bravoure, subit à Crécy le premiedes retentissants échecs qui amenèrent sa ruine. Parmi les morts étale vieux roi aveugle, Jean de Bohême, symbole de la chevalerie abattue.

Philippe, humilié, s’enfuit, incapable de toute initiative. Il laissal’armée anglaise poursuivre sa marche et mettre le siège devant Calais. Au bout d’un an, la France avait enfin réuni une armée pour secourir la place à bout de ressources : elle se p139 retira sans avoir riententé. Après une héroïque et légendaire résistance, la ville capitula (août 1347). Édouard III put, à bon droit, se montrer fier de son succès : quand, en septembre, il consentit à signer une trêve, il avait ruinle prestige de l’adversaire et fait de Calais une place anglaise, point ddébarquement qui, pendant trois siècles, allait inquiéter Paris et le roIl est vrai qu’il lui restait encore à conquérir la France.

À Philippe VI, mort le 22 août 1350, succéda son fils aîné JeanEsprit borné, avant tout amateur de beaux faits d’armes, la guerrn’était pour lui qu’un vaste tournoi ; puérilement chevaleresque e prodigue, ce n’était à aucun degré un chef de gouvernement. Deutraits le perdirent : il était sottement soupçonneux, sans raison, et iétait têtu ; sa rancune, vite éveillée, ne s’apaisait plus. Il s’entouraimal : sa confiance allait à d’obscurs hommes de loi comme Simon dBucy, des paysans comme Robert de Lorris, de petits bourgeois comme Nicolas Braque, conseillers avides et sans scrupule qui firent détester son nom. Il passa les premières années de son règne à de pom peux voyages — à Avignon en 1350, en Languedoc en 1351 — ou des fêtes de chevalerie ; il créa l’ordre de l’Étoile en 1352. Entre





temps, il manifestait brusquement son humeur contre ceux qui lui dé plaisaient ; si bien que la noblesse, irritée de sa « justice » sommaireétait prête à l’abandonner. En 1350, c’est le connétable Raoul de

Brienne qui tombe victime de sa haine. Quatre, ans plus tard, le jeunroi de Navarre, Charles le Mauvais, ayant, par vengeance personnellefait assassiner le favori dû moment, Charles d’Espagne, Jean entrdans une colère terrible ; à grand’peine on parvient à le calmer ; padeux fois on l’amène à traiter avec le rebelle (à Mantes, en févrie1354, et à Valogne, en septembre 1355). Mais, en avril 1356, la colèrassoupie se réveille. À l'improviste, Jean pénètre dans Rouen, où, ecompagnie du dauphin, le Navarrais festoyait ; il l’emprisonne et famettre à mort sans jugement ses principaux conseillers.

Au milieu de ces vengeances mesquines, on songeait à peine à lamenace anglaise. Grâce à l’activité de la diplomatie pontificale, letrêves, qui duraient depuis 1347, purent être prolongées de quelqueannées ; de longues, négociations à Boulogne et à Avignon, dues àl’initiative d’Innocent VI, ne parvinrent pas à établir la paix : la mauvaise foi d’Édouard III et les tergiversations de Jean firent échouer le pourparlers. En 1355, la guerre était de nouveau inévitable. p140

Cette fois, c’est du sud qu’arrive l’envahisseur. À la tête d’une solide armée, le prince de Galles quitte Bordeaux et se dirige vers l

nord, pensant donner la main au duc de Lancastre qui débarque en Normandie. Le Prince Noir, au début de septembre 1356, est arrivsur les bords de la Loire. En grande hâte, Jean réunit une troupe dvassaux et court follement à la rencontre de l’adversaire, qui se repliavec lenteur à travers le Poitou. Le 19 septembre, aux environs de Potiers, la féodalité française, qui se rue sur l’armée anglaise solidemenretranchée, est écrasée comme à Crécy ; mais, le roi de France luimême fait prisonnier, le désastre politique s’ajoute au désastre militaire.





V. — La crise de la monarchie française(1356-1358)37

Au lendemain de Poitiers, la France se trouvait sans roi, sans armée, sans gouvernement. La responsabilité du pouvoir retombait suun jeune homme de vingt ans, le dauphin Charles, à qui quelques moi passés dans son duché de Normandie n’avaient encore donné qu’un bien faible expérience du pouvoir. Ce fut le signal d’une des crises le plus graves que la monarchie française eût encore subies.

La dynastie des Valois n’était pas populaire. Ses prodigalités, soninsouciance et ses fautes avaient épuisé le trésor royal ; pour le rem plir, il fallait faire appel au pays, à un moment où il était déjà aux prises avec les difficultés d’ordre économique issues de la guerreL’insécurité du pays, les ravages des armées ont arrêté le commerce ediminué la valeur des revenus fonciers. Les ordres religieux euxmêmes, malgré leurs grandes richesses, en sont réduits à l’emprunLes églises se vident et tombent en ruines. Le mal est aggravé par lemutations de p141 monnaies, dont les Valois ont usé librement dans lefallacieux espoir de se procurer des ressources ; de 1330 à 1343, lvaleur intrinsèque de la livre tournois descend de 18 à 4 francs-or environ ; en 1355, elle n’est plus que de 1 fr. 73. En vain des ordonnances royales essaient-elles de fixer le maximum des prix et de contraindre au travail toute personne valide : aucune vie économique n’es possible dans des conditions aussi instables. La peste noire, peu aprèCrécy, a ravagé les campagnes et les villes ; on ne trouve plusd’ouvriers ; ceux qui restent exigent des salaires élevés, qui leur permettent de vivre bien en travaillant peu. Cette crise de sous- production augmente la misère, l’insécurité de la vie et la criminalitédès avant Poitiers, l’anarchie est à peu près générale.

Le désastre militaire de 1356 vient donner un aliment à la colère d peuple : c’est au roi malavisé et à la noblesse que l’on s’en prend. E1347, déjà, les députés des villes aux États de Languedoc reprochaienà Philippe VI sa politique, où il avait « toujours perdu et rien gagné »En 1355, les États des pays de langue d’oïl arrachent à la royauté au






abois d’importantes concessions ; ils obtiennent l’administration desubsides qu’ils votent et la promesse qu’on les convoquera chaqufois que le gouvernement aura besoin de ressources extraordinaires.

En octobre 1356, le dauphin, pour se procurer de l’argent, doit denouveau avoir recours aux États. L’assemblée fait alors éclater sonmécontentement. Elle se laisse dominer par Étienne Marcel, richdrapier, devenu prévôt des marchands de Paris, qui rêve de jouer ungrand rôle, de devenir un Artevelde parisien ; à ses côtés, figurl’évêque de Laon, Robert le Coq, un beau parleur, « et de très mauvase langue », tout dévoué au roi de Navarre Charles le Mauvais, quidepuis quelques années, s’est créé un parti jusque dans l’entourage droi de France. Charles le Mauvais est, personnellement, un homm

dangereux, travaillé par les plus hautes ambitions. Sans aucun douteil aspire à la couronne de France, sur laquelle il pense avoir, par lefemmes, des droits qui priment ceux d’Édouard III, car il est par smère, Jeanne de France, petit-fils de Louis X. Actif, entreprenant, retors, il n’ose étaler son jeu. Dissimulé et vindicatif, l’énergie finale lumanque, et il hésite à frapper le grand coup.

Le dauphin Charles n’est d’ailleurs pas un adversaire négligeableChargé de la régence du royaume, il fait preuve d’un p142 sens avisé.Tandis que les États demandent la déchéance des « mauvais conseil

lers » et la surveillance du gouvernement par une commissiond’« élus », il les proroge, quitte à la hâte une capitale devenue dangereuse et va faire un voyage en Lorraine où il rencontre son onclel’empereur Charles IV et recrute des alliés. L’année 1357 voitl’agitation augmenter. Aux réclamations des États de février Charlerépond par la « grande ordonnance » de mars, qui n’apporte qu’unréforme administrative inopérante. Deux autres sessions, en avril et enovembre, amènent de nouvelles demandes des députés. Le roi d Navarre, délivré de la prison où il était enfermé depuis 135638, intro-duit ses créatures dans le conseil du dauphin et place ses troupes danles châteaux des environs de Paris. Enfin, en février 1358, pour intimider le régent, dont la mauvaise volonté n’est que trop évidenteÉtienne Marcel soulève la population et fait exécuter sous les yeux dCharles deux de ses conseillers, les maréchaux de Champagne et d Normandie. Désormais, il n’y a plus place pour un accord ; si elle veu

38 V. ci-dessus, p. 140.





assurer la réalisation de son idéal démocratique, la bourgeoisie parisienne doit entrer en rébellion ouverte et chercher ses alliés parmi leennemis de la monarchie, sinon du pays. Le dauphin, qui veut ignore

la ville révoltée, convoque les États à Compiègne.Étienne Marcel, maître de la capitale, organise la résistance : il or

donne de saisir les armes et le trésor de la monarchie, il traque et persécute les agents du dauphin. En mai 1358, une alliance s’offre à luicelle des paysans, révoltés à leur tour. Ruinés par les guerres, leur colère contre les nobles, auteurs responsables des désastres militaireséclate soudain en Beauvaisis ; puis le mouvement gagne les provincevoisines. Les « Jacques », comme on les appelle, se soulèvent et, soula direction d’un des leurs, Guillaume Karle, donnent libre cours

leurs rancunes, pillent les châteaux, torturent les nobles qui leur tom bent sous la main. Étienne Marcel décide les Parisiens à soutenir leémeutiers de la campagne ; une expédition commune est projetécontre Meaux, qu’occupe le régent. Mauvais calcul : car les violencedes Jacques réveillent dans tout le pays, et même à Paris, le sentimende l’ordre. En quelques semaines, la noblesse se ressaisit, se lance à l poursuite p143 des paysans, qui, vers la fin de juin, sont définitivementécrasés. Le Navarrais s’est mis lui-même à la tête de la répression ; fait figure de sauveur, et sa popularité est à son comble.

Étienne Marcel commet la maladresse de se jeter dans les bras duvainqueur. Il introduit le roi de Navarre dans Paris et le fait acclamecomme « capitaine » de la ville. Mais les bourgeois sont déjà las de lrévolution ; le dauphin approche avec une armée, et, quand il commence le siège de la capitale, il sait pouvoir déjà compter sur des intelligences dans la place. Étienne Marcel, visiblement affolé, ouvre le portes de Paris aux troupes anglo-navarraises. C’en est trop : les bougeois se soulèvent, courent sus aux Anglais, huent le prévôt des marchands et bientôt le tuent (31 juillet). Le surlendemain, le dauphin rentre en triomphateur dans Paris, où, après quelques exécutions sommares, il a la sagesse de pardonner aux coupables.

Si la révolution parisienne ne réussit pas à ébranler la puissanceroyale, pourtant discréditée, c’est sans doute à cause de la conduitferme et habile du dauphin ; c’est aussi parce que l’opposition n’étai pas organisée et ne s’appuyait sur aucune institution permanente : leÉtats n’avaient pas de prise sur les fonctionnaires, et la commune pa





risienne ne put étendre son autorité au dehors ; enfin l’entente, mêmtemporaire, des chefs de la révolte avec les Anglais, paraissait insup portable. Les ravages des bandes anglaises étaient trop terribles pou

que la population pût admettre aucune intelligence avec elles.Cette manière de « sentiment national », qui amena la chute

d’Étienne Marcel, se manifesta jusque dans les campagnes. Des détachements anglais couraient le pays ; Charles de Navarre ajoutait leurs dévastations les ruines d’une guerre qu’il entreprenait contre ldauphin ; le gouvernement, sans argent, ne pouvait suffire à la défense ; force était au pays, voire aux paysans, de se défendre eux-mêmesdes confins de la Bretagne à la Champagne, la résistance locale fuopiniâtre. Le « grand Ferré », héros légendaire d’un petit village du

Beauvaisis, illustre à merveille cette explosion de patriotisme. El’énergie partout déployée permit au régent de faire une paix honora ble, encore que provisoire, avec les Navarrais (août 1359). p144

VI. — Le traité de Calais (1360)39 L’échec de la révolution parisienne fut pour le roi d’Angleterre un

déception.

Au lendemain de la victoire de Poitiers, il avait pu croire la royautfrançaise définitivement abattue. Tandis que Jean le Bon, emmenécaptif à Londres, y vivait avec son insouciance et sa prodigalité coutumières, il avait entamé avec ses représentants et ceux du dauphides négociations qu’il espérait bien pouvoir mener entièrement à sguise. En 1358, un premier accord exigeait de Jean une forte rançon ela cession complète de nombreuses provinces ; mais cet accord ne fu jamais exécuté. Au printemps suivant, les prétentions anglaises’accrurent. Le prisonnier de Londres dut souscrire à d’exorbitanteconditions : il ne s’engageait pas seulement à verser une rançon for

midable de quatre millions d’écus d’or (quelque deux milliards edemi de notre monnaie, en valeur intrinsèque) ; il laissait àl’Angleterre, en toute souveraineté, la moitié de son royaume, recréanl’empire des Plantagenets. Mais l’opinion française et le gouverne






ment du dauphin préféraient la guerre à de tels sacrifices : les prélimnaires de Londres furent repoussés avec indignation.

Édouard résolut alors de venir lui-même en France mettre son adversaire à la raison. En octobre 1359, il débarquait à Calais ets’engageait dans une grande chevauchée à travers la Champagne, lBourgogne, l’Ile-de-France, la Beauce ; en avril 1360, bien que ldauphin l’eût laissé faire sans beaucoup l’inquiéter, il échouait, épuisé, près de Chartres. Le 8 mai, après quelques jours de négociations, rabaissa beaucoup ses prétentions premières et signa à Brétigny de préliminaires de paix, qui, avec quelques modifications de détail, ha bilement insérées par les Français, furent ratifiés à Calais le 24 octo bre. Jean cédait à son adversaire tout le sud-ouest de la France, le Poi

tou, la Saintonge, l’Aunis, l’Angoumois, le Limousin, le Périgordl’Agenais, le Quercy, le Rouergue et la Bigorre, qui, p145 avec le Bor-delais, la région landaise et Bayonne, que les Anglais avaient précédemment retenus entre leurs mains, formaient, du massif Central auPyrénées et à l’Océan, un ensemble compact. Il y ajoutait, dans lnord, les petits comtés de Montreuil et de Ponthieu et les territoires dGuines et de Calais. Il promettait enfin de payer une rançon de troimillions d’écus d’or. Un premier versement de 600.000 écus, à effectuer dans les quatre mois, lui vaudrait la liberté ; comme garantie dreste, il devrait livrer plusieurs places fortes, entre autres La Rochelleet donner en otages deux de ses fils, son frère Philippe d’Orléanstrente-sept princes ou barons et des représentants des principales viles, du royaume ; enfin, lorsque toutes les conditions auraient été rem plies, et cela avant le 30 novembre 1361, Édouard renoncerait solennellement au titre roi de France, tandis que Jean abandonnerait sedroits de souveraineté sur les territoires cédés. Ainsi, les deux questions les plus graves, question dynastique, question de Guyenne, strouvaient réglées au profit de l’Angleterre. Mais, par suite de retard peut-être voulus, les délais fixés expirèrent sans que fussent échangée

les renonciations prévues. L’avenir, pour la France, demeura ainsi réservé.

Rentré en France, Jean le Bon y reprit sa vie d’apparat habituelle il ne semble pas que ce brave chevalier ait senti la honte de la défaiteS’intéressa-t-il du moins aux malheurs de ses sujets, à qui il ne cessade réclamer de l’argent pour payer sa rançon ? Il ne lui vint pas l’idée de travailler au relèvement du pays : il s’en alla pompeusemen





en Avignon (1362), projeta de partir pour la croisade comme capitaingénéral (1363), et si ses officiers et ses légistes furent assez habile pour réunir à la couronne le duché de Bourgogne à la mort de Philipp

de Rouvres (novembre 1361), il ne vit dans leurs succès qu’un moyede constituer un apanage à son fils cadet, Philippe le Hardi.

Le traité de Calais, pendant ce temps, pesait sur la France : en dépdes résistances locales, les vastes domaines cédés à l’Angleterre passèrent entre les mains de leurs nouveaux maîtres et furent réunis eune principauté, dite d’Aquitaine ou de Guyenne, placée sousl’autorité du prince de Galles, le héros de Poitiers. Des impôts trèlourds furent levés en vue du paiement de la rançon, dont Jean ne parvint d’ailleurs jamais à s’acquitter, car il employait l’argent à bien

d’autres dépenses, souvent futiles. Il fut constamment en retard sur le p146 délais fixés : au début de 1364, ce retard atteignait déjà près d’unmillion d’écus. De guerre lasse, il prit alors le parti de retourner eAngleterre se constituer prisonnier. Il y mourut peu après (8 avri1364).

VII. — Charles V. Le relèvement de la France(1364-1380)40

La personnalité du dauphin Charles — désormais Charles V — qus’était révélée dans la grande crise de 1357, se dégagea pleinemenaprès la mort de son père. En seize ans de règne, le nouveau souverai parvint à jouer un rôle de premier plan en Europe ; c’est à son habiletet à sa persévérance que la France, vaincue et ruinée, dut de se relevede ses désastres.

Le nouveau roi était fort différent des premiers Valois : à ces princes brillants et chevaleresques, succède un jeune homme maladif prématurément vieilli par les soucis. La vie guerrière ne l’attire point

ses préférences vont à la vie sédentaire dans les châteaux ou les « hôtels » qu’il embellit — Vincennes, le Louvre, l’hôtel Saint-Paul — vifastueuse parfois, mais tranquille. Pieux, instruit, aimant les livresdont il enrichit sans relâche sa « librairie », c’est avant tout un fin politique, un diplomate, un avocat habile, comme le lui reproche son en








guisée. Les relations étaient assez bonnes pour que les otages de sanroyal se trouvassent presque p148 tous libérés en 1366, provisoirementsans doute ; mais ils restèrent en France.

Entre temps, Charles V s’était trouvé aux prises avec les plus grandes difficultés. Avant même la mort de Jean, à Londres, le roi de Navarre avait remis en danger la paix si chèrement achetée, en réclamanla succession de Bourgogne. Le régent ordonna aussitôt la saisie dses biens ; une guerre se ralluma en Normandie et dans l’Ile-deFrance. L’action des troupes royales, heureusement, fut prompte. Bertrand du Guesclin, qui venait depuis peu de passer au service de laFrance, s’empara par surprise de Mantes, de Meulan et, le 16 ma1364, battit à Cocherel une armée navarraise : Jean de Grailly, capta

de Buch, dangereux capitaine gascon, y fut fait prisonnier. Pourtant, lCotentin, repaire des Navarrais, ne se soumit pas facilement. Charles V préféra négocier, bien qu’il ne se fît aucune illusion sur la bonnfoi de Charles le Mauvais. En mars 1365, le traité d’Avignon donnau roi de Navarre, en échange du comté de Longueville, de Mantes ede Meulan, la ville et la baronnie de Montpellier. Mais les empiétements des officiers royaux surent enlever toute valeur pratique à lcession de cette lointaine seigneurie.

Ce n’était là qu’un demi-succès pour Charles V. Il allait bientôt

subir un échec marqué en Bretagne. Les deux prétendants, Jean dMontfort et Charles de Blois, continuaient à s’y disputer ce fief impotant, dont la possession était d’un grand poids dans la lutte francoanglaise. Le premier, soutenu par les Anglais, qui l’avaient rétabldans son duché en 1362, cherchait à écraser le second, protégé deFrançais : il l’atteignit et le tua, le 29 septembre 1364, à la batailld’Auray. Le traité de Guérande, signé en avril suivant, ne fit que masquer la défaite des espérances françaises, en replaçant théoriquemenJean de Montfort dans l’allégeance du roi de France.

Restait à libérer la France du fléau des « compagnies » de mercenaires dont le territoire demeurait infesté. Malgré les promesses formelles du traité de Calais, les bandes cosmopolites des soldats qul’Angleterre avait amenés dans le pays n’avaient pas quitté la FranceTravaillant soit pour les Navarrais, soit pour leur propre compte, ilmettaient au pillage les plus riches provinces. Installés dans des châteaux qu’ils avaient enlevés par surprise, ils y restaient jusqu’à épui





sement des ressources locales, puis s’en allaient ailleurs : en 1360, ufort contingent, venu de Bourgogne, descendit ainsi toute la vallée dRhône, p149 prit Pont-Saint-Esprit et rançonna le pape ; en 1362, une

armée royale fut détruite par les routiers à Brignais, non loin de LyonEn dépit des excommunications dont les frappait la papauté, les com pagnies restèrent dans le pays, insaisissables et terribles. Charles V pensa d’abord les envoyer combattre les Turcs en Hongrie, mal’entente ne put se faire entre leurs chefs et les seigneurs des payqu’il fallait traverser. En 1366, Du Guesclin parvint à les emmener pour la plupart, en Espagne, au service du prétendant Henri de Trastamare. Les guerres de Castille ne les anéantirent pas ; mais elles leaffaiblirent au point de les rendre peu redoutables. Vers 1368, la France était enfin débarrassée de ces brigands, ou du moins le peu qui esubsistait allait trouver de quoi se satisfaire dans la reprise de la guerre.

Charles V mit à profit ces quelques années de répit pour sortir del’isolement diplomatique dans lequel il avait trouvé le royaume. LFlandre, où avait commencé la guerre sous Philippe VI, allait tombeentre les mains d’une femme. Édouard III circonvint le comte Louide Male et fiança son fils, Edmond de Cambridge, à la future comtesse Marie (1364). Charles V n’eut de cesse qu’il ne déjouât les intrigues anglaises : aidé par le pape Urbain V, il fit rompre les fiançailleet donna la main de la jeune Marie à son propre frère Philippe dBourgogne (1369). On ne saurait lui faire grief d’avoir ainsi contribuà augmenter la puissance de la maison de Bourgogne : il ne pouvai prévoir le dangereux développement qu’elle allait prendre dans la sute et avait couru au plus pressé. En Espagne, il fut plus heureux encore ; avec une clairvoyance et une ténacité remarquables, il soutint eréussit finalement à faire triompher en Castille la cause du bâtarHenri de Trastamare, qui devint le fidèle allié de la France.

Tout étant prêt alors pour une reprise des hostilités, le prétexte enfut aisément trouvé. L’administration du prince de Galles en Aquitaine avait mécontenté les populations. Ruiné par ses guerres d’aventuren Espagne, il voulut établir dans la province des fouages très lourdsmais se heurta à l’opposition d’un groupe de seigneurs gascons, qui, lcomte d’Armagnac en tête, refusèrent la levée des taxes dans leurfiefs et en appelèrent au roi de France. Par une heureuse diplomatie ed’habiles distributions d’argent aux seigneurs et aux villes, celui-ci su





rapidement grouper autour de lui un nombre imposant de protestataires. On s’aperçut alors avec p150quelle subtilité d’avocat était interpré-té le traité de Calais : les renonciations de souveraineté n’ayant pas ét

échangées en temps voulu, Charles V se prétendait toujours suzeraides territoires cédés ; il rouvrait la question gasconne et forçail’Angleterre à la guerre. Un formidable appareil juridique fut dresscontre le prince de Galles : cité au Parlement en décembre 1368, il fdéfaut, et dès mai suivant les hostilités étaient rouvertes.

Les Anglais renouvelèrent la tactique qui leur avait réussi à merveille au début de la guerre : débarquer à l’improviste en France pousser de l’avant en dévastant le plat pays, mais en négligeant le places fortes qui les auraient arrêtés, et rechercher le hasard d’un

rencontre avec une armée française nettement inférieure. Mais cettfois ils allaient se trouver en présence d’un adversaire instruit pal’expérience. La tactique de Charles V fut de laisser passer l’ennemtout en le harcelant, en lui faisant la vie dure, en l’amenant à s’épuiselui-même. En vain le duc de Lancastre parcourt-il, en 1369, la Picardie et la Normandie ; en vain Robert Knolles part-il de Calais, en1370, pour s’en aller brûler la campagne parisienne et faire route ensuite vers la Bretagne ; ses troupes épuisées sont écrasées, le 4 décembre, à Pontvallain, près du Mans, par Du Guesclin que le roi viende faire connétable. En 1373, avec un plan encore plus grandioseLancastre ne réussit pas mieux : il parcourt l’Artois, la Champagne, lMorvan et l’Auvergne. Il se replie sur Bordeaux avec une armée décimée sans avoir obtenu aucun résultat.

Cependant les troupes françaises s’appliquent à une conquête méthodique des possessions anglaises : elles enlèvent successivement lPonthieu, le Rouergue (1369), le Limousin (1370), le Poitou, l’Auniet la Saintonge (1371-1373), de jour en jour accroissent leur gainLorsque Du Guesclin meurt, le 13 juillet 1380, en essayant, dans lGévaudan, d’enlever Châteauneuf-de-Randon aux compagnies quavaient fait leur réapparition en France, les possessions continentalede l’Angleterre étaient réduites, dans le sud-ouest, au Bordelais, d’un part, et aux trois petits territoires de Bayonne, Dax et Saint-Sever dans le nord, elle ne conservait plus que les territoires de Guines et dCalais. Une série de trêves, négociées à partir de 1375 à Bruges, grâcà la médiation pontificale, donnèrent à ces conquêtes un caractère durable.





De ce long et rude effort, le prestige de la royauté sortait accru : levoyage magnifique que fit l’empereur Charles IV p151 en France(1377-1378) en est la preuve. Charles V avait grandement contribué

refaire les forces militaires du pays ; grâce à l’alliance castillane, iavait formé une marine de guerre solide qui, sous la direction d’unaventurier audacieux, Jean de Vienne, enleva aux Anglais leur suprématie navale et les inquiéta plusieurs fois dans leur île. Mais ce règnglorieux a été un règne épuisant : il laissa la France faible et hord’état de poursuivre une longue lutte. Pour faire face aux nécessité pressantes, le roi ne sait où trouver l’argent dont il a besoin. Malgrson sincère désir d’alléger les charges de ses sujets, il doit mainteniles lourdes impositions des règnes précédents, fouages, aides et gabeles. L’administration en est régularisée : elle est dirigée par les « généraux conseillers sur le fait des aides », formant à Paris un tribunacontentieux, avec, dans les provinces, des « élus » qui répartissent leimpôts et en surveillent la levée ; mais ce sont là, en principe, des ressources extraordinaires qu’il faut faire voter par des assemblées dnotables qu’on réunit au fur et à mesure des besoins. Écrasés déjà pales dépenses qu’entraînent les guerres, les rançons à fournir aux com pagnies ou aux Anglais, les villes et le plat pays ont peine à payer : faut souvent les dégrever. Les grands feudataires ne se laissent imposer que si on leur permet de partager les dépouilles, si bien que, d

tout l’argent levé dans le pays, bien peu parvient aux caisses royales.Charles est parfois aussi trop ambitieux ; ses plans hardis ne son

pas toujours en harmonie avec les possibilités. Au printemps 1378ayant découvert une nouvelle conspiration du roi de Navarre, il saisises domaines de Normandie, et Charles le Mauvais en est réduit vendre Cherbourg aux Anglais, pour aller terminer ses jours dans soroyaume pyrénéen. Mais la même audace ne réussit pas avec le duc dBretagne. Depuis 1372, dénonçant le traité de Guérande, Jean deMontfort s’est de nouveau jeté dans les bras des Anglais ; s’enfuyan

outre-Manche, il leur a ouvert ses châteaux. Il a même accompagnLancastre dans sa grande chevauchée à travers la France. Charles Vcroit s’être suffisamment attaché la noblesse bretonne pour frapper ugrand coup : en décembre 1378, renouvelant contre Jean de Montforla procédure suivie dix ans avant contre le prince de Galles, il déclarla forfaiture du feudataire déloyal et ordonne la confiscation de soduché. Il ne parvient qu’à réveiller contre la France le patriotisme bre





ton et à affaiblir, en un point sensible, l’armature du pays. À CalaisCherbourg, p152 Bordeaux et Bayonne, les Anglais ajoutent un nou-veau lieu de débarquement possible : Brest.

Avant qu’une mort prématurée vînt l’enlever à la poursuite de se plans (16 septembre 1380), le roi de France fit encore une dernièrimprudence. En toute conscience, il permit et soutint le schisme danl’Église. C’était mettre son pays en rupture avec une grande partie dla chrétienté et l’exposer à l’isolement.

VIII. — L’affaiblissement de l’Angleterre41 Au surplus, si la France a pu, sous Charles V, reprendre énergi-

quement l’offensive, c’est que l’Angleterre, de son côté, était épuisé par la longue guerre qu’elle avait soutenue à l’étranger. Dès le débudu conflit, la situation financière d’Édouard III apparaît désespéréeEn Angleterre comme en France, le pouvoir de la monnaie ne cesse ddiminuer, les revenus fonciers s’amoindrissent. Pour subvenir aux dé penses qu’entraînent ses formidables expéditions, Édouard se jettdans l’emprunt : les banquiers italiens et flamands le tiennent à leumerci ; ils exigent des gages, parfois même des répondants pris parmles princes du sang.

Grâce aux premiers succès cependant et à la prise de Calais, lecommerce semble d’abord renaître et la prospérité s’accroître. Mais l peste noire, venue du continent, fait son apparition en 1348 ; en queques années, elle décime la population. Le prix de la vie augmentdans des proportions considérables, les p153 champs sont désertés, lesexigences des ouvriers agricoles deviennent telles qu’il faut établiune législation draconienne, les « Statuts des travailleurs » (13491351), pour ramener d’autorité les salaires à leur taux d’avanl’épidémie et attacher le paysan à la terre. Toute l’économie agricol

est troublée, et le commerce, base de la prospérité financière, se trouve entravé. L’une des ressources les plus sûres du trésor royal est ltaxe, périodiquement consentie par le Parlement, sur les lainesd’exportation. Mais il faut pour cela que le commerce soit étroitemensurveillé : de là l’établissement de l’« étape » ( staple), c’est-à-dire






d’un marché unique par où passent les laines et sur lequel le fisc oles banquiers du roi peuvent exercer un contrôle efficace. La législation de l’étape est très compliquée. On hésite constamment entre un

place étrangère ou des ports indigènes ; après un essai infructueux Bruges, l’étape est installée à Calais en 1363.

Les années qui suivent le traité de Calais sont, pour la monarchianglaise, une période de magnificence et de prestige. Édouard III, l’âge de cinquante ans, fait alors figure de grand monarque ; ses enfants, qui l’entourent, ont contracté de beaux mariages et sont richement apanagés : Édouard, prince de Galles, pour qui l’on crée la principauté de Guyenne, Lionel de Clarence, comte d’Ulster en IrlandeJean de Gand enfin, qui par ses mariages successifs, ajoute à

l’héritage de la maison de Lancastre des prétentions au trône de Castille. Le gouvernement est confié à une poignée de clercs habilescomme Guillaume Wykeham et Thomas Brantingham, administrateurs accomplis, dont le roi récompense largement le dévouement.

Mais, à y regarder de plus près, la situation apparaît bien compromise. La criminalité, comme en France, augmente : les justices d paix sont débordées ; les lettres d’« utlagarie » (rémissions de crimesse multiplient ; le désordre des finances, aggravé par la rivalité dedifférents départements ministériels, l’Échiquier, l’Hôtel, la Chambre

et par l’imprévoyance d’un budget établi au jour le jour, est un ma permanent. Jaloux de ses prérogatives, le roi excite l’opinion contrles prétentions papales et déchaîne ainsi une vague d’anticléricalismfougueux.

Cependant Édouard III, vieilli, accaparé par sa maîtresse Alice Perrers, se désintéresse des affaires. Le prince de Galles, humilié par seéchecs sur le continent, et d’ailleurs malade, p154 revient mourir enAngleterre. Le duc de Lancastre, avide, brouillon, sans scrupuless’empare du gouvernement. Contre ses ennemis, il saisit l’arme d

l’anticléricalisme : s’appuyant sur les ordres mendiants pour annihilel’influence du clergé séculier, il s’assure les services du réformateuJean Wyclif, vigoureux adversaire de la hiérarchie ecclésiastique. Evain, dans un sursaut de colère populaire, le « bon Parlement » d1376 essaie de secouer le joug lancastrien. Il obtientl’emprisonnement de quelques subalternes ; mais, dès que l’assembléest dissoute, Lancastre ressaisit tout le pouvoir : il s’arrange pour qu





le prochain parlement soit peuplé de ses créatures et protège ouvertement Wyclif dans le procès en hérésie que lui intente le haut clerganglais.

Quelques mois plus tard (21 juin 1377), Édouard III meurt, laissanla couronne au jeune fils du prince de Galles, Richard II. Au miliedes passions politiques et religieuses, des difficultés financières, deconflits d’ambition entre les fils du roi défunt, le règne de Richard Is’ouvre sous de fâcheux auspices : pour plus d’une générationl’Angleterre, toute à ses luttes intestines, sera incapable de reprendrla guerre. p155

Table des matières

Bibliographie du chapitre V Les monarchies française et anglaise et les débuts de

la guerre de Cent Ans

OUVRAGES À CONSULTER . — Sur la France, les t. III, 2e partie (Saint Louis, Phi-lippe le Bel, les derniers Capétiens directs, par Ch.-V. Langlois) et IV, 1re par-tie ( Les premiers Valois et la guerre de Cent Ans, par A. Goville) de l’ Histoire

de Franced’E. Lavisse (Paris, 1901 et 1902, 2 vol. in-8°). Les études de Siméon Luce, La France pendant la guerre de Cent Ans(Paris, 1890-1893, 2vol. in-8°), sont des morceaux détachés d’une grande œuvre qui ne fut jamaécrite. Du côté anglais, T.-F. Tout,The history of England from the accessionof Henry III to the death of Edward III (Londres, 1905, in-8° ; formant le t. IIIde la Political History of England de W. Hunt et R.-L. Poole) ; J. Ramsay,The genesis of Lancaster (Oxford, 1913, 2 vol. ra-8°). Les biographied’Edouard III sont vieillies ; la moins mauvaise est celle de W. Longman,Thehistory of the life and times of Edward III (Londres, 1869, 2 vol. in-8°). Cellede J. Mackinnon,The history of Edward III (Londres, 1900, in-8°), doit êtreutilisée avec prudence.

I. La politique royale et la réaction féodale en France (1314-1322) OUVRAGES À CONSULTER . — Au volume d’E. Boutaric, cité p. 37, et à celui de

Ch.-V. Langlois, rappelé à la note précédente, ajouter Borrelli de Serres, Re-cherches sur divers services publics du XIII e au XVII e siècle(cité p. 38), le t.II (1904) ; du même, Les variations monétaires sous Philippe le Bel et les





sources de leur histoire, dans laGazette numismatique, ann. 1901 et 1902, et à part (Paris, 1902, gr. in-8o) ; A. Dieudonné, Les variations monétaires sous Philippe le Bel, d’après un livre nouveau, dans leMoyen âge, t. XVIII (1905), p. 217-257 ; A. Blanchet et A. Dieudonné,Manuel de numismatique françai- se, t. II, par A. Dieudonné (Paris, 1916, in-8°) ; A. Landry, Essai économique sur les mutations de monnaies dans l’ancienne France, de Philippe le Bel àCharles VII (Paris, 1910, in-8o, fasc. 185 de la « Bibliothèque de l’école desHautes Études, sciences historiques et philologiques ») ; G. Picot, Histoire des États généraux(Paris, 1872, 4 vol. in-8° ; 2e éd., remaniée, 1888, 5 vol. in-12) ; du même, Documents relatifs aux États Généraux et aux assemblées ré-unies sous Philippe le Bel (Paris, 1901, in-4o, dans les « Documents inédits sur l’histoire de France ») ; P. Viollet, Histoire des institutions politiques et admi-nistratives de la France, t. II et III (Paris, 1898 et 1903, in-8o).

Sur les derniers Capétiens directs, Ch. Dufayard, La réaction féodale sousles fils de Philippe le Bel , dans la Revue historique, t. LIV (1894), p, 241-272,

et t. LV (1894), p. 241-290 ; A. Artonne, Le mouvement de 1314 et les chartes provinciales de 1315(Paris, 1912, in-8°, fasc. 29 de la « Bibliothèque de laFaculté des Lettres de l’Université de Paris ») ; F. Lehugeur, Histoire de Phi-lippe le Long , t. I seul paru (Paris, 1896, in-8°). L’auteur annonce la publica-tion prochaine de deux volumes complémentaires sur les services gouvernmentaux et l’Hôtel du roi.

II. La royauté anglaise au début du XIVe siècle OUVRAGES À CONSULTER . — Aux histoires générales d’Angleterre citées p. 5, il y

a peu de chose à ajouter pour l’histoire politique au temps d’Édouard Ier . Lesvolumes de T.-F. Tout, Edward the First (Londres, 1893, in-8°), et d’E. Jenk, Edward Plantagenet (Londres, 1902, in-8°), ne sont que des livres de vulgari-sation. Pourl’histoire administrative, on trouvera de solides études dans TF. Tout, Chapters in the administrative history of mediaeval England (Man-chester, 1920-1930, 5 vol. in-8°), t. II ; W. Stubbs,Constitutional history of England (Oxford, 1874-1878, 3 vol. in-8° ; 6e éd. 1903), trad, française deCh. Petit-Dutaillis et G. Lefebvre, sous le titre : Histoire constitutionnelle del’Angleterre, avec d’importantes notes nouvelles et des études complémentaires dues aux deux traducteurs (Paris, 1907-1927, 3 vol. in-8°), t. II et III. Leétudes complémentaires des deux traducteurs français ont été à leur tour trduites en anglais, avec quelques retouches, sous le titreStudies and notes supplementary to Stubbs’ Constitutional history(Manchester, 1908-1929, 3 vol.in-8°). — Pour les affaires d’Écosse, consulter E.-M. Barron,The Scottish war of independence(Londres, 1914, in-8o) ; pour celles d’Irlande, G.-H. Orpen, Ireland under the Normans, t. IV (Oxford, 1920, in-8°).

Sur Édouard II, les deux études essentielles sont celles de T.-F. Tout,The place, of the reign of Edward II in English history(Manchester, 1914, in-8o),et de J.-C. DaviesThe baronial opposition to Edward II, its character and po-





licy. À study in administrative history(Cambridge, 1918, in-8°). On peut yajouter G. O. Sayles et M.-G. Richardson,The English parliaments of Ed-ward II , dans le Bulletin of the Institute of historical research, t. VI (1928), p.71-88 ; J.-G. Edwards,The negotiating of the treaty of Leake(1318), dans les Essays in history presented to R. L. Poole(Oxford, 1927, in-8°), p. 360-378.

III. Les origines et les préparatifs du conflit franco-anglais OUVRAGES À CONSULTER . — Le meilleur exposé d’ensemble est celui

d’E. Déprez, Les préliminaires de la guerre de cent ans, la papauté, la Franceet l’Angleterre(Paris, 1902, in-8°, fasc. 86 de la « Bibliothèque des Écolesfrançaises d’Athènes et de Rome »), auquel il faut ajouter, pour les questionflamandes, F. Funck-Brentano, Philippe le Bel en Flandre(Paris, 1897, in-8°) ; H. Pirenne, Histoire de Belgique(Bruxelles, 1900-1926, 6 vol. in-8°), t. I

(5e

éd., 1929) et t. II (3e

éd., 1922) ; du même, Le soulèvement de la Flandremaritime en 1322-1328 ; documents inédits publiés avec une introductio (Bruxelles, 1900, in-8°, public. de la « Commission royale d’histoire de Begique ») ; J. Viard, La guerre de Flandre, 1328, dans la Bibliothèque del’École des Charles, t. LXXXIII (1922), p. 362-382. Sur le rôle del’Allemagne, le livre d’Alfred Leroux, Recherches critiques sur les relations politiques de la France et de l’Allemagne, de 1292 à 1378(Paris, 1882, in-8°),est insuffisant et contestable, mais incomplètement remplacé. Sur les allianceen pays rhénan et aux Pays-Bas, W. Stechele, England und der Niederrheinbei Beginn der Regierung König Eduards III (1327-1347), dans laWestdeuts-che Zeitschrift , t. XXVII (1908), p. 91-151 et 441-473 ; H.-S. Lucas,The LowCountries and the Hundred Years’ war , 1326-1347 (Ann Arbor, 1929, in-8°,fasc. 8 des « University of Michigan Publications ; history and politics »).

Sur le premier Valois, en attendant l’histoire de Philippe VI que promedepuis longtemps J. Viard, on consultera de lui les articles suivants : La Fran-ce sous Philippe de Valois, dans la Revue des questions historiques, t. LIX(1896), p. 337-402 ; Les ressources extraordinaires de la royauté sous Philip- pe VI , dans la même revue ; t. XLIV (1888), p. 167-218 ; L’Hôtel de Philippede Valois, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LV (1894), p. 465-467 et 598-626 ; Itinéraires de Philippe VI de Valois, dans la même revue,t. LXXIV (1913), p. 74-128 et 525-619 ; Les journaux du Trésor sous Philip- pe VI (Paris, 1900, in-4°, dans la collection des « Documents inédits sul’histoire de France »), l’introduction.

Sur la jeunesse d’Édouard III et ses préparatifs militaires, outre les ouvrages indiqués p. 119, voir D. Hughes,The early years of Edward III (Londres,1915, in-8°) ; Ch. Oman,The art of war in the middle ages(Oxford, 1885, in-8") ; B.-C. Hardy, Philippa of Hainaut and her times(Londres, 1910, in-8°). — Sur la politique économique d’Édouard III, voir W.-J. Ashley, An introduc-tion to English economic history and theory, t. II (Londres, 1893, in-8°), p.195 et suiv. ; G. Unwin et ses élèves, Finance and trade under Edward III





(Manchester, 1918, in-8o, fasc. 117 des « Publications of the University of Manchester »).

IV. Les désastres militaires de la France (1340-1356)OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages indiqués p. 119, voir, sur les af-

faires de Flandre, L. Vanderkindere, Le siècle des Artevelde(Bruxelles, 1879,in-8° ; 2° éd., 1907) ; H. Pirenne, Histoire de Belgique, t. II (cité p. 130) ;H.-S. Lucas,The Low Countries and the Hundred Years’ war, 1326-1347 , cité p. 130 ; sur les affaires de Bretagne, A. de la Borderie, Histoire de Bretagne (Rennes et Paris, 1896-1914, 6 vol. in-8o), t. III ; L. Delisle, Histoire du châ-teau et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte(Valognes, 1867, in-8°) ; sur laguerre même, J. Wrottesley,Crecy and Calais(Londres, 1898, in-8o) ;J. Viard, La campagne de juillet-août 1346 et la bataille de Crécy, dans le

Moyen âge, 2e

série, t- XXVII (1926), p. 1-84 ; du même, Le siège de Calais,dans la même revue, t. XXX (1929), p. 129-189. — Le régne de Jean le Bonété étudié par R. Delachenal, Histoire de Charles V (Paris, 1909-1928, 4 vol.in-8°), t. I et II ; voir aussi E. Déprez, La conférence d’Avignon, dans Essaysin medieval history presented to T. F. Tout (Manchester, 1925, in-8°), p. 301-320 ; G. Mollat, Innocent VI et les tentatives de paix entre la France et l’Angleterre, dans la Revue d histoire ecclésiastique, t. X (1909), p. 729-743 ;J. Moisant, Le Prince Noir en Aquitaine(Paris, 1894, in-8o) ; R. P. D. Patti-son,The Black Prince(Londres, 1910, in-8°).

V. La crise de la monarchie française (1356-1358)OUVRAGES À CONSULTER . — La crise de 1356-1358 a été racontée aux t. I et II del’ Histoire de Charles V de R. Delachenal, citée p. 137. Étienne Marcel a trou-vé un défenseur en F.-T. Perrens, Étienne Marcel et le gouvernement de labourgeoisie au XIV e siècle(Paris, 1860, in-8°, refondu sous le titre ÉtienneMarcel, prévôt des marchands, Paris, 1874, in-4°, dans la coll. de l’« Histoiregénérale de Paris ») ; la réhabilitation de Charles le Mauvais a été tentée paE. Meyer,Charles, roi de Navarre et comte d’Évreux(Paris, 1898, in-8°).Pour ce dernier tout au moins, les nombreux documents publiés dès leXVIIIe siècle par Secousse,Mémoires pour servir à l’histoire de Charles II, roi de Navarre(Paris, 1745, in-fol.), puis Preuves(1758), sont accablants. — Sur laJacquerie, S. Luce, Histoire de la Jacquerie(Paris, 1859, in-8° ; 2e éd. 1894).

VI. Le traité de Calais (1360)OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages généraux indiqués p. 137, notamment

à celui de Delachenal, ajouter Ch. Petit-Dutaillis et P. Collier, La diplomatie française et le traité de Brétigny, dans Le moyen âge, 2e série, 1.1 (1897), p. 1





à 35. Le texte du traité de Calais est reproduit, entre autres, dans E. Cosneau Les grands traités de la guerre de Cent Ans(Paris, 1889, in-8°, de la « Collec-tion de textes pour servir à l’étude et à renseignement de l’histoire »).

VII. Charles V. Le relèvement de la France (1364-1380)OUVRAGES À CONSULTER . — Le règne de Charles V a été magistralement étudié

par R. Delachenal, Histoire de Charles V (Paris, 1909-1928, 4 vol. in-8°,qu’un volume posthume doit prochainement compléter). — Sur le gouvernment intérieur, outre le volume d’A. Coville, dans l’ Histoire de France d’E. Lavisse, indiqué p. 119, et les ouvrages auxquels ils renvoie, voir E. D prez, Hugo Aubriot, praepositus Parisiensis et urbanus praetor (Paris, 1902,in-8°) ; L. Mirot,Une grande famille parlementaire aux XIV e et XV e siècles ;les d’Orgemont (Paris, 1913, in-8°, t. XVIII de la « Bibliothèque duXVe siè-

cle ») ; S. Luce, Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque ; la jeu-nesse de Bertrand du Guesclin(Paris, 1876, in-8°) ; H. Moranvillé,Charlesd’Artois, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXVIII (1907), p.433-480. Sur la réorganisation de la marine, Ch. de La Roncière, Histoire dela marine française, t. II (Paris, 1900, in-8°). — Sur les questions extérieures,A. de la Borderie, Histoire de Bretagne(Rennes et Paris, 1896-1914, 6 vol. in-8°), t. III et IV ; D.-M. Broome,The ransom of John II, king of France, dansCamden Miscellany, t. XIV (Londres, 1926, in-8°, vol. XXXVII, de la 3e sériedes publications de la « Camden Society ») ; E. Perroy, Charles V et le traitde Brétigny, dans Le moyen âge, t. XXIX (1928), p. 255-281. — Les ravagedes compagnies ont donné lieu à des études importantes : H. Denifle, La déso-lation des églises, monastères et hôpitaux de France pendant la guerre deCent Ans(Paris, 1897-1899, 2 vol. in-8) ; G. Guigue, Les Tard-venus dans le Lyonnais, le Forez et le Beaujolais(Lyon, 1886, in-8°) ; J. Monicat, Les gran-des compagnies en Velay(Paris, 1929, in-8o).

VIII. L’affaiblissement de l’Angleterre OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages généraux signalés p. 119, voir

surtout T.-F. Tout,Chapters in the administrative history of mediaeval En- gland (cité p. 124), t. III et IV ; G. Unwin, Finance and trade under Edward III (Manchester, 1918, in-8°) ; F.-A. Gasquet,The great pestilence(Londres,1893, in-8° ; 2e éd. 1908, sous le titre deThe black death) ; A.-E. Leyett,Theblack death on the estates of the see of Winchester (Oxford, 1916, in-8°, vol.VI des « Oxford studies in social and legal history », publ. par P. Vinogradoff) ; Bertha H. Putnam,The enforcement of the statutes of Labourers during the first decade after the Black Death, 1349-1359(New-York, 1908, in-8°,vol. 32 des « Studies in History, Economics and Public Law... of ColumbiUniversity ») ; Ch. Petit-Dutaillis,Causes et caractères généraux du soulève-ment de 1381, dans l’édition française (par Petit-Dutaillis et G. Lefebvre) de





l’ Histoire constitutionnelle de l’Angleterrede W. Stubbs, t. II (Paris, 1913,in-8o), p. 850-898, avec une riche bibliographie. Cette étude a été reproduiten anglais au t. II de Ch. Petit-Dutaillis,Studies and notes supplementary toStubbs’ Constitutional History(Manchester, 1914, in-8°). — Pour le commer-ce et l’industrie, voir les ouvrages indiqués plus loin, p. 233 ; pour les événments politiques et religieux, S. Armitage-Smith, John of Gaunt (Westmins-ter, 1904, in-8°) ; H.-B, Workman, John Wiclif, a study on the English me-diaeval Church(Oxford, 1926, 2 vol. in-8o).





Table des matières

Chapitre VI

Les transformations politiques desp ays dela Méditerranée occidentale 42

Les bouleversements dont l’Europe occidentale fut le théâtre auXIVe siècle eurent leur contrecoup dans les pays méditerranéens.

Abandonnée à elle-même, l’Italie se débat dans l’anarchie. Null puissance ne réussit à y prendre le pas sur les autres, sauf peut-être l papauté, qui seule parvient — mais au prix de quels efforts ! — à ramener un peu d’ordre dans l’Italie centrale. L’idée impériale, mori bonde, n’a plus désormais le pouvoir d’enflammer les esprits. Quanaux nouveaux maîtres du royaume de Naples, ils n’ont ni la force nl’autorité suffisante p156 pour jouer un rôle en dehors de l’Italie méri-dionale. Restent les villes du nord, où la vie bouillonne, mais qucontinuent à se déchirer. Entre elles, des ligues se forment et se rom pent sans cesse ; aucun équilibre durable ne semble pouvoir s’établiDans aucune d’elles, au surplus, on ne voit d’autorité assez forte pous’imposer sans conteste au dehors. À Milan même, les Visconti nesont encore que des parvenus. Et partout les bandes decondottieri commencent à courir le pays, aggravant le désordre.

Dans la péninsule ibérique, Castille, Navarre et Portugal s’usendans des luttes dynastiques ou se laissent entraîner dans les péripétiediverses de la guerre de Cent Ans. Leurs champs de batailles prolongent, au-delà des Pyrénées, ceux où Plantagenets et Valois se livrenune guerre inexpiable. Seul l’Aragon, tourné vers la mer, poursuitdans la confusion générale, l’œuvre réaliste dont les Vêpres siciliennes ont marqué le début. Aidée par une flotte audacieuse et des trou 42 Ouvrages d’ensemble à consulter.







l’empire latin de Constantinople, aboutit à des guerres fréquentes ; e1298, une flotte génoise finit par écraser les forces du doge vénitieAndré Dandolo. En même temps, le gouvernement de Venise se

concentre de plus en plus entre les mains d’une oligarchie de richemarchands ; c’est en 1297 que le Grand Conseil, véritable organe souverain à côté du doge, dont les pouvoirs sont maintenant très limitéscesse d’être ouvert à tous les citoyens, pour être réservé à quelquegrandes familles ; en 1310 qu’est institué le tribunal des Dix, cour d justice suprême. La rivale de Venise, Gênes, si elle n’était constamment déchirée par les factions, pourrait mener une grande politiqud’expansion. Elle parvient du moins à détruire la concurrence commerciale de Pise. Les Pisans, défaits en 1284, doivent céder à Gêneleurs établissements de Corse et de Sardaigne (1299). Florence tireelle aussi, parti de la décadence de Pise, pour grouper autour d’elle lecités guelfes de la Toscane, arracher aux Pisans leurs dernières possessions dans cette province, et réduire à merci leur « capitaine », lfameux gibelin Ugolin, immortalisé par Dante (1288). À Florencmême, le régime communal, introduit plus tard que dans l’Italie dnord, est encore à son apogée ; ce sont les corps de métiers qui élisenles « prieurs », sortes de commissaires changés tous les deux mois, ele gonfalonier de justice. Mais les luttes intestines sont encore âpreentre les « Blancs », gibelins modérés, et les « Noirs », attachés à l

politique guelfe. La papauté en profite pour intervenir dans les affairede la ville ; en 1301, Boniface VIII appelle en Italie Charles de Valoiset sous le titre de « pacificateur », jadis donné à Charles d’Anjou paClément IV, lui confie la mission d’écraser les Blancs et d’établir ldomination des Noirs.

Le Saint-Siège, dont les ambitions temporelles se sont réveilléesoccupe des territoires disparates, qui relient l’Italie du nord au royaume de Naples : la Campagne, le Patrimoine de Saint-Pierre, le duchde Spolète, la Marche d’Ancône, la Romagne et Bologne.

L’organisation administrative et économique des États de l’Égliseconfiée à des « recteurs apostoliques », n’est pas mauvaise, mais lerivalités des factions — à Rome surtout, où éclate la lutte terrible entre les Orsini et les Colonna p159— l’ambition des seigneurs et des po-tentats voisins, rendent confuse la situation politique et laissent présager, dès la fin duXIIIe siècle, les désastres de l’époque suivante. Aussilorsque, au début duXIVe siècle, Clément V transporte le siège de la





papauté au-delà des Alpes, l’équilibre, dans l’Italie centrale, est-il définitivement détruit. De loin, le pape n’a plus l’autorité nécessair pour commander aux partis ; abandonnées à elles-mêmes, villes

seigneuries s’épuisent dans des luttes fratricides et compliquées. Pouénergiques qu’ils soient, les légats pontificaux sont impuissants à remonter le courant ; de coûteuses expéditions militaires, accompagnéede sentences solennelles contre les ennemis du Saint-Siège,n’aboutissent le plus souvent qu’à des échecs retentissants et au discrédit de l’institution pontificale.

À peine la cour apostolique s’est-elle installée en France que leVénitiens, dévoilant leurs ambitions territoriales, essaient de mettre lmain sur Ferrare, dont la papauté a jusqu’alors conservé la suzerainet

(1308). Clément V, après les échecs de ses légats, n’hésite pas à excommunier les Vénitiens et à engager contre la République une croisade à laquelle les villes guelfes sont invitées à participer. Mais si Ferrare est reprise (1309), si Venise doit s’humilier devant la papauté(1313), la domination pontificale n’est que provisoirement rétablie. Lgarnison angevine à la solde du pape est chassée de Ferrare par lehabitants et la dynastie d’Este recouvre son indépendance (1317).

Entre temps, la descente d’Henri VII en Italie, à la fin de 1310, yréveille les espoirs de tous les ennemis du pouvoir temporel des pape

En face de Robert de Naples, créé vicaire apostolique, en face de l puissante ligue guelfe de Toscane qui, aux côtés de Florence, a victorieusement résisté à l’envahisseur impérial, se forme, dans l’Italie dnord, une vaste ligue gibeline, dont est l’âme Mathieu Visconti, vainqueur des Della Torre depuis 1311 : grâce à lui, elle remporte sur serivaux l’éclatante victoire de Montecatini (29 août 1315), qui lui donne la prépondérance en Piémont, en Lombardie, en Vénétie et danune partie de la Toscane. Le Visconti lui-même voit sa dominationassurée sur Milan, Plaisance, Tortone, Alexandrie, Pavie et BergameLes gibelins tout-puissants osent s’attaquer à Gênes, où les factions’entre-déchirent, et il faut l’intervention des troupes napolitaines poudébloquer la place, après dix mois de luttes (1319). p160

C’est avec cet audacieux ennemi que Jean XXII va se mesurerAprès avoir tenté de le faire rentrer dans le devoir et de rétablir la paien Haute Italie, Jean XXII se voit contraint de sévir contre un tyranqui fait la sourde oreille à toutes ses réclamations. Mathieu ayant refu





sé de relâcher ses ennemis, les Della Torre, le pape l’excommuni(décembre 1317). Un légat énergique, le cardinal Bertrand du Pougeest chargé de mener une guerre sans merci contre le rebelle, d’exige

son abdication et de ramener le Milanais à l’obéissance. Maisl’entreprise dépasse les faibles moyens dont dispose le légat. Roberde Naples, à qui l’on demande du secours, se récuse. Une petite troupfrançaise, sous la conduite de Philippe de Valois, préfère parlementeavec l’ennemi, et se retire sans combattre (1320). Appelé par la pa pauté, Frédéric d’Autriche se laisse, lui aussi, circonvenir par l’habildiplomatie du Visconti et rappelle son frère Henri au-delà des Alpe(1322). Le pape pourtant ne se décourage pas. Il déclare Mathieu hérétique, à raison du mépris qu’il affiche pour les sentences apostolique puis prêche contre lui et, après sa mort (1322), contre son fils Galéaune nouvelle croisade. La guerre s’éternise : secrètement appuyé paLouis de Bavière, les Milanais tiennent tête aux troupes du légat, et cn’est pas avant 1325 que l’avantage semble enfin récompenser la ténacité de Bertrand du Pouget. Modène, Parme, Reggio, Bologne enfi(février 1327) tombent successivement entre ses mains. L’Italie dunord est si bien matée que Jean XXII songe à transporter la cour pontificale à Bologne, en attendant que ses légats aient pacifié le reste dl’Italie. Pourtant il ne quitte pas Avignon. C’est que, tandis que Bertrand du Pouget tourne ses armes contre les dernières villes récalci

trantes de Romagne et d’Émilie, la descente de Louis de Bavière enItalie44, au mois de mai 1327, vient d’un seul coup anéantir tous lessuccès si péniblement obtenus : Bologne et la Romagne, à l’appel dl’empereur, s’insurgent, et les seigneurs locaux y recouvrent leur indépendance.

La situation, à cette date, apparaît sans issue. Pour reprendre pieddans ces provinces, ce qui est la condition nécessaire du retour de l papauté dans la péninsule, Bertrand du Pouget ne voit d’autre moyeque d’unifier la Haute Italie sous une dynastie puissante et dévouée a

Saint-Siège. Le prince dont il cherche l’appui se présente bientôt à luVers la fin de 1330, p161 les habitants de Brescia, assiégés par Mastinodella Scala, tyran de Vérone, appellent à leur aide le roi Jean de Bohême : accouru en Lombardie, Jean, en quelques semaines y soumet l plupart des villes. Le pape et son légat saisissent l’occasion au vol : il






s’assurent le concours du vainqueur en lui donnant en fief ParmeModène et Reggio (avril 1331). C’est alors que se manifestent lechangements profonds survenus dans la vie politique de l’Italie depu

le siècle précédent : devant l’alliance du Saint-Siège et de Jean de Bohême, guelfes et gibelins font aussitôt bloc. Une coalition, qui englobnon seulement les villes gibelines, mais encore Robert de Naples, Florence et Venise, se noue à Ferrare en septembre 1332. C’en est fini dla répartition en amis et ennemis du Saint-Siège : désormais, ce qucherchent avant tout princes et villes, c’est à maintenir l’équilibrdans la péninsule en barrant la route à quiconque menace de le com promettre par son ambition. Et cette attitude nouvelle suffit à déjouele péril : battu par les coalisés sous les murs de Ferrare, Jean de Bohême doit rentrer en Allemagne (octobre 1333) et Bertrand du Pouges’enfuir de Bologne (mars 1334).

Le départ du légat replonge l’Italie dans l’anarchie, mais laisse lchamp libre au seigneur de Milan ; car, à la différence de ce qui se passe en mainte autre cité, où ne règnent que d’obscurs tyrans, Milase trouve aux mains d’une famille dès maintenant puissante, la famillVisconti, qui ambitionne d’étendre sa domination de proche en proche, d’abord à tout le nord, puis au centre de la péninsule. Dès 1350elle parvient assez facilement à s’implanter à Bologne : le chef de lmaison, Jean, archevêque de Milan, s’y fait proclamer seigneur ; idélègue ses pouvoirs à son neveu Galéas, et le pape Clément VI, hord’état de le renverser, préfère accepter le fait accompli et investil’envahisseur du vicariat de la cité (juillet 1352). Le Visconti est déjassez fort pour se faire payer son concours par Gênes, qui entreprenune nouvelle guerre contre Venise (1350-1355).

L’autorité de l’Église n’est pas beaucoup plus respectée dans le« Patrimoine » ou domaine de saint Pierre. C’est en vain qu’un Pétrarque pleure le veuvage de la Cité Éternelle : lassée d’attendre le retour du pape, l’Italie s’insurge contre lui ; et, sur les bords mêmes dTibre, le soulèvement de Cola di Rienzo montre la fragilité du pouvotemporel de l’Église. Ce petit notaire, d’humble extraction, donl’esprit s’échauffe au souvenir des grandeurs passées de sa patriecontrastant avec p162 le spectacle des désordres créés par la tyrannied’une noblesse turbulente, conçoit le projet de libérer Rome del’anarchie. Quelques lectures mal digérées d’œuvres classiques et dlivres mystiques, confondus pêle-mêle, lui font croire à sa mission :





se figure qu’il est désigné par Dieu pour réaliser de grandes chosesEn mai 1347, il soulève le peuple et se fait proclamer seigneur et maître de Rome. Sans doute il rêve d’ordre, de justice et d’équité ; mais s

vanité s’étale naïvement. Des fêtes splendides marquent son élévation ; il convoque les villes, les seigneurs d’Italie ; il invite l’empereumême à comparaître devant lui ; il pense revivre les jours de la répu blique des Gracques, se voit déjà ramenant toute la péninsule sous ldomination de Rome. Mais son triomphe est bref : si Pétrarque salule génie du tribun, l’encourage dans ses plans grandioses, le légat Betrand de Dreux, réfugié à Montefiascone, s’allie avec les barons qu persécute le nouveau régime, menace Rome d’interdit et force le dictateur à s’enfuir (décembre 1347). Après un séjour de deux ans Monte Majella, dans l’Apennin, au milieu des moines fraticelles qui ltiennent pour un envoyé de Dieu, et de plus en plus persuadé de smission céleste, il va jusqu’en Allemagne trouver l’empereur CharleIV qui le fait arrêter et l’envoie sous bonne escorte au pape.

La chute de Rienzo n’éclaircit d’ailleurs pas la situation. DansRome, la guerre entre les partis continue. À la fin de 1351, un plé béien modéré, Jean Cerroni, y prend le pouvoir pendant quelquemois. En septembre 1353, vient le tour d’un autre tribun, François Baroncelli ; sa violence est telle, qu’à bout d’expédients, Innocent Vsonge à Rienzo pour rétablir l’ordre : il le relâche, facilite son retour Rome, où on l’accueille en sauveur (août 1354). Mais, au bout dedeux mois, le peuple, excédé par ses procédés tyranniques, se soulèvet le met à mort (8 octobre). Dans le reste des États de l’Église, seigneurs ou parvenus se taillent des principautés, au mépris des légats edes recteurs pontificaux, pour la plupart français et mal vus des populations.

Dans ces conditions désespérées, la papauté trouva un sauveur enla personne du cardinal espagnol Gilles Albornoz. Distingué par Innocent VI, ce soldat, doublé d’un fin diplomate, qui avait joué un rôlglorieux dans les croisades contre les Maures d’Andalousie, fut assehabile pour parvenir, au cours de deux légations en Italie, de juin 135à août 1357, puis de décembre 1358 à novembre 1363, à rétablir com plètement la p163 situation en faveur du Saint-Siège. Il sut faire la partdu feu : comprenant que, faute d’armées et de ressources suffisanteil ne pouvait songer à chasser les tyrans et les usurpateurs, il voulut dmoins obtenir leur soumission, quitte à leur restituer immédiatemen













fils Philippe, le futur Philippe le Bel (1284). Successivement ses troifils, Louis X, Philippe V et Charles IV, purent ajouter à leur titre deroi de France celui de roi de Navarre. Réunion toute personnelle e

essentiellement temporaire, car, à l’avènement de Philippe VI de Valois (1328), la couronne de Navarre fut dévolue à la fille aînée deLouis X, Jeanne, qui, mariée à Philippe d’Évreux, un prince cadet dla maison capétienne, fonda une dynastie qui devait durer un peu plud’un siècle. Ce Philippe et surtout son fils, Charles le Mauvais (13491387), s’intéressèrent plus à leurs possessions normandes qu’à la Navarre, et l’on a vu que la diplomatie retorse du second ne visait à riemoins qu’à s’emparer de la couronne de France ; mais il acheva druiner son royaume par sa lutte contre les Valois. Il chercha vainemenà mettre la main sur quelques-unes des places fortes de Castille à lfaveur de la querelle dynastique qui avait éclaté dans le pays. Allitour à tour à Henri de Trastamare (1365) et à Pierre le Cruel (1367), ne parvint qu’à attirer sur son propre royaume une invasion de routieranglais, et termina misérablement sa vie, après avoir, par sa faute perdu toutes ses possessions françaises et la majeure partie de la Navarre.

Tout autre était la situation politique du royaume de Portugal. Sandoute sa superficie était faible, comparée à celle de la p168 Castille ;mais le Portugal possédait des plaines fertiles et une façade largemenouverte sur l’Océan. Aussi l’activité de son agriculture et de soncommerce maritime lui permit-elle non seulement de maintenir soindépendance, mais d’augmenter ses ressources. Le roi Denis qui, dix-huit ans, succéda à Alphonse III (1279), sut doter son pays d’unflotte puissante, mettre ses richesses naturelles en valeur et fonder Lisbonne, en 1290, une Université prospère. Il sut même, grâce à unhabile intervention dans les troubles de Castille, étendre légèremenvers l’est les frontières de son royaume (1295). Sans doute ses successeurs, Alphonse IV (1325-1357) et Pierre Ier (1357-1367), furent

moins heureux : de misérables querelles de cour absorbèrent troplongtemps leurs forces. La plus célèbre est celle qui opposa Alphonset son fils Pierre ; l’infant, ayant épousé morganatiquement la bellInès de Castro, le roi la fit mettre à mort et suscita ainsi une révolte dson fils. Malgré tout cependant, l’importance prise par le Portugal alls’affirmant dans tout le cours duXIVe siècle. Ses rois continuèrent às’immiscer, souvent par les armes, dans les affaires de Castille. Ce fu





le cas, en particulier de Ferdinand Ier , le dernier roi de la dynastie(1367-1383), qui, après le meurtre de Pierre le Cruel, essayad’ailleurs sans succès, de revendiquer pour lui-même la succession d

défunt. Dans la guerre qui s’alluma bientôt (1369), le Portugal cherchcontre le meurtrier de Pierre le Cruel l’appui de l’Angleterre : ce ful’origine d’une alliance qui, après bien des vicissitudes, devait se per pétuer jusqu’à nos jours.

Le royaume d’Aragon est, auXIVe siècle, l’État de beaucoup le plus solidement charpenté de toute la péninsule ibérique, et il esalors, nous l’allons voir, en pleine force d’expansion. Il n’est cependant, pas plus que la Castille, la Navarre ou le Portugal ; entièrement l’abri des difficultés intérieures. Là comme partout, dans, la péninsul

ibérique, la royauté doit compter avec une féodalité puissante, et lenobles, qu’ils s’appellent « riches hommes » ouhidalgos, font la loiaux « Cortès ».

Ces Cortès (curtes), « cours » ou assemblées, aux attributions maldéfinies, aux réunions irrégulières, s’occupent indifféremment de légslation, de justice et de questions financières. En Castille, elles prennent une importance de premier ordre lorsque la royauté, sujette à dfréquentes minorités, n’a pas encore établi de droit de succession précis ; c’est aux Cortès qu’Alphonse X p169 demande de déshériter les

infants de la Cerda, et ce sont les Cortès qui surveillent de prèl’administration de tous ses successeurs. Car si le roi se réserve tou jours d’y appeler qui il veut, la tradition s’est établie d’y admettre dereprésentants des villes, et, depuis 1307, les députés ont obtenu la reconnaissance formelle de leur droit de consentir l’impôt. En Aragonen Catalogne et dans le royaume de Valence, les Cortès sont parvenues dès le début duXIVe siècle, à un stade avancé d’organisation. Ledroit de représentation des différentes classes sociales y est minutieusement réglé : en Aragon, il y a quatre « états », les nobles, les chevaliers, le clergé et le commun, et leurs décisions, prises en principe l’unanimité, ont force de loi. Vers la fin du siècle, l’habitude s’établitdans ces Cortès d’Aragon et de Catalogne, de nommer dansl’intervalle des sessions des commissions permanentes, « délégations » ou « généralités », chargées de surveiller le pouvoir exécutif.

Le clergé, très riche et très puissant, surtout en Castille et en Portugal, est le soutien naturel de la féodalité. Aussi voit-on de grande





coalitions nobiliaires mettre en échec la volonté royale. On sait à queles crises elles ont abouti en Castille. L’Aragon n’est pas mieux partagé ; en 1283 déjà, Pierre III le Grand avait dû compter avec une révo

te des seigneurs ; lui mort (1285), son successeur Alphonse III noseulement se voit contraint de ratifier leurs privilèges, mais encore eamené à leur reconnaître le droit d’insurrection en cas d’abus du pouvoir royal (1287). En Portugal, il faut une lutte d’un siècle entre lroyauté et les évêques pour réduire les prétentions exorbitantes dclergé : c’est seulement en 1361 que le roi Pierre Ier peut enfin parler ferme, aux Cortès d’Elvas, et imposer le respect des prérogativeroyales.

En Aragon, sous le règne de Pierre le Cérémonieux (1336-1387)

on observe un progrès sensible des institutions monarchiques : le rocombat avec plus de succès que ses prédécesseurs les « unions » oligues féodales ; en 1348, vainqueur à Epila de l’« Union d’Aragon »il en lacère les privilèges avec son poignard et la déclare dissoute jamais. Les souverains castillans eux-mêmes, malgré les trouble dynastiques, ne sont pas sans accroître leurs prérogatives ; un lent travad’unification s’accomplit dans leur royaume. Les libertés municipalereconnues par des fuerosmultiples, sont en recul ; depuis Sanche IV(1284-1295), le roi prend l’habitude de nommer tous les titulaires demagistratures urbaines. Il s’emploie, en outre, à unifier p170 les coutu-mes en les codifiant : par une ordonnance promulguée en 1348 à Alcala de Henares, au nord-est de Madrid, Alphonse XI établit le premiecode général et obligatoire pour toute la Castille. Un effort semblablde codification est réalisé, à peu près dans le même temps, par Al phonse IV de Portugal. Les progrès de la monarchie, pour modestequ’ils soient dans la péninsule ibérique, n’en sont pas moins réels, eannoncent les transformations plus profondes du siècle suivant.





III. — L’expansion aragonaise47

L’Aragon, cependant, s’engageait avec succès dans la voie que luavaient ouverte les Vêpres siciliennes. La diplomatie de Philippe leBel 48 n’avait pas réussi à enrayer ses progrès dans l’Italie p171 méri-dionale ni à restaurer la splendeur passée de la maison d’Anjou. Sandoute, par le traité de Tarascon (1291), Alphonse d’Aragon avait promis d’abandonner la cause de son frère Jacques installé en Sicile mais, en même temps, le fils de Charles Ier d’Anjou, Charles II le Boi-teux, avait dû renoncer à ses fiefs français de l’Anjou et du Maine l’affaiblissement des Angevins compensait la dislocation provisoirdu bloc aragonais. D’ailleurs, la mort d’Alphonse (18 juin 1291), survenue au lendemain du traité de Tarascon, et, aussitôt après,l’avènement de Jacques de Sicile en Aragon vinrent réduire à néanl’œuvre pacificatrice de Philippe de Bel : de nouveau l’Aragon sedressa menaçant en face de l’Italie.

Il fallut cette fois l’intervention de Boniface VIII pour régler undifférend toujours dangereux : par l’accord d’Anagni (1295), Jacqueen échange de l’investiture de la Corse et de la Sardaigne que lui promettait le pape, renonçait à la Sicile en faveur des Angevins. Mais leSiciliens indignés se soulevèrent et acclamèrent roi le jeune frère dJacques, Frédéric, qui gouvernait déjà l’île au nom de son aîné (1296Une invasion combinée des signataires de l’accord d’Anagni, les roid’Aragon et de Naples, aidés par l’amiral Roger de Lauria (12981300), puis une désastreuse expédition de Charles de Valois, appelé par le pape, furent impuissants à réduire Frédéric. On en vint enfin la paix boiteuse de Caltabelotta (1302), par laquelle Frédéric renonçaà l’Italie méridionale, où Charles II d’Anjou avait réussi à se maintenir, et acceptait d’échanger le titre de roi de Sicile, qui prêtait à équivoque depuis que l’Italie méridionale avait été englobée sous ce nomcontre celui, plus limitatif, de « roi de Trinacrie », qui visait exclusivement l’île sicilienne. Ainsi l’ancien « royaume de Sicile » se trouvait réparti en deux lots : le royaume de Naples, laissé aux Angevinet l’île sicilienne, où l’Aragonais devait se confiner désormais. I

47 OUVRAGES À CONSULTER .48 Sur cette diplomatie et sur le traité de Tarascon, voir ci-dessus, p. 39.





s’engageait même à l’abandonner, elle aussi, si on le dédommageaidans les trois ans en lui attribuant la Sardaigne ou Chypre. En fait, il lgarda, malgré tous les retours offensifs des rois de Naples, et fond

une dynastie locale, qui s’y perpétua jusqu’en 1377, ni la papauté nles Angevins n’étant parvenus à la déloger. En vain, Jean XXII mil’île en interdit et l’y maintint pendant dix-sept ans (1321-1338) ; evain Clément VI cassa un accord intervenu directement entre les deuadversaires (1347) ; ce n’est qu’en 1372 que la reine Jeanne de Na ples, avec l’approbation de Grégoire XI, renonça d’une façon définitve à revendiquer p172 l’île, à condition toutefois que son roi, Frédé-ric III, reconnût la suzeraineté du Saint-Siège.

Si la maison d’Anjou fut incapable pendant leXIVe siècle de répa-

rer ses pertes de 1282, c’est que sa force avait bien diminué depuis lmort de son fondateur. Le roi Robert, fils de Charles II, et qui lui succéda en 1309, fut par certains côtés un grand roi ; il joua, on l’a vu, urôle important dans la politique italienne au temps d’Henri VII et dLouis de Bavière ; mais son attitude sur le terrain religieux l’exposaux critiques. Il intervint dans la querelle franciscaine en faveur deSpirituels, dont il soutint par la plume la thèse sur la pauvreté évangélique ; accueillit à sa cour l’infant Philippe de Majorque, un ascètexalté ; prit sous sa protection tous les franciscains rebelles et s’aliénainsi le Saint-Siège. Ce fut une cause de faiblesse ; et quand il mouruen 1343, son royaume sombra dans l’anarchie.

Autour de sa seule héritière, sa petite-fille Jeanne Ire, les ambitionsrivales des branches cadettes de la maison de Naples — branches dHongrie, de Tarente et de Durazzo — s’entrechoquèrent. Jeanne, alorâgée de dix-sept ans, en fut l’instrument. Dès 1345, elle se débarrassait de son premier mari, André, un cousin de la branche hongroise, ele faisant étrangler. En épousant ensuite un autre de ses cousins, Louide Tarente, elle excitait la colère des Anjou de Durazzo et de Hongriet, s’enfuyant dans ses terres de Provence, devait, pour se concilier l pape, lui vendre à bas prix Avignon (1348). Dans la famille royale, cne sont dès lors que meurtres et luttes violentes, occasionnées par lmort de Louis de Tarente (1362) ; de guerre lasse, Jeanne, après uncourte union avec Jacques III de Majorque, cherche un protecteur eépousant un petit seigneur allemand, Otton de Brunswick (1375) mais comme de ses quatre mariages elle n’a pas d’enfant, les ambitions familiales se font plus âpres encore vers la fin de son règne.





N’ayant plus à redouter les attaques de ses voisins de Naples, touà leurs querelles intérieures, l’Aragon poursuivait cependant son ex pansion dans la Méditerranée occidentale. On a vu que Boniface VI

avait promis en 1295 de remettre à Jacques II, en échange de la Sicileles îles de Sardaigne et de Corse. Bien que son frère Frédéric gardât lSicile, Jacques réclama l’exécution de la promesse pontificale. E1306, il prêta hommage pour ses nouvelles possessions au pape Clément V et s’engagea à acquitter en échange un lourd cens annuel. Ledeux îles restaient, au surplus, à conquérir. Il s’attaqua d’abord p173 àla Sardaigne qu’occupaient en partie les Pisans. Il les soumit en 1324 puis, après une révolte, les chassa complètement de l’île (1326) : Sosuccesseur Alphonse IV (1327-1336) dut réprimer, à Sassari, un soulèvement fomenté par les Génois. Enfin, le règne de Pierre de Cérémonieux (1336-1387) fut presque entièrement occupé à consolider eSardaigne une domination toujours chancelante. Les habitants et le principales familles se trouvaient divisés en deux clans, favorables leuns à l’Aragon, les autres à Gênes. L’infant Jacques, crée gouverneude l’île en 1348, fit péniblement face à une situation aussi compliquée : s’alliant tour à tour aux Pisans, aux Vénitiens et même àl’empereur Jean Paléologue, il s’employa du mieux qu’il put à contenir l’ambition des Génois, appuyés, de leur côté, par les Visconti dMilan. Mais la conquête de l’île était une tâche difficile. Le roi Pierre

venu personnellement en 1355 à la tête d’une petite armée, n’y réussguère mieux que son gouverneur. En 1369, les Aragonais ne se maintenaient plus que dans Cagliari et Alghero. Ils ne lâchèrent pourtan pas pied, et la lutte continua avec des alternatives diverses pendantout le XIVe siècle ; mais, ni en Sardaigne, ni surtout en Corse, lesAragonais ne purent jamais s’assurer qu’une souveraineté nominale.

Ils furent plus heureux dans leur lutte contre la monarchie majorcaine. Après avoir achevé sur les Maures la conquête des îles Baléares, Jacques Ier d’Aragon les avait érigées en royaume au profit de son

fils cadet Jacques (1262) et y avait adjoint les comtés de Roussillon ede Cerdagne, ainsi que la baronnie de Montpellier. Ce petit royaumde Majorque, sous ses premiers rois, Jacques Ier et Sanche (1311-1324), eut une existence pénible. Contraint par les rois d’Aragon accepter un lien de vassalité, il cherchait à se rendre tout à fait indé pendant avec le concours de la France ; mais la mort de Sanche vininterrompre ces efforts patients. Il laissait en effet sa couronne à u





jeune neveu, Jacques II, sous la régence de son oncle Philippe de Ma jorque : bonne occasion pour le roi d’Aragon de susciter une révoltdans les îles et d’occuper les domaines continentaux de Jacques II.

fallut l’appui énergique du pape Jean XXII pour venir à bout des re belles et rendre la liberté au jeune souverain, fait prisonnier par sesujets (1326).

Le conflit avec l’Aragon, un instant assoupi, se réveilla en 1342Jacques commit la maladresse de se brouiller avec la France ed’adopter à l’égard de Pierre le Cérémonieux une politique provocatrice. Le roi d’Aragon cita son cousin à comparaître p174 devant sacour, confisqua ses possessions ; et entreprit la conquête du Roussillon et des Baléares (1343). L’annexion du royaume de Majorque à l

couronne d’Aragon était un fait accompli en 1344. Quant à Jacquesdépouillé de tous ses domaines, il en fut réduit à vendre Montpellier la France et, avec l’argent de la transaction, à préparer dans les Baléares une expédition où il trouva la mort (1349). Ses successeurs, aprèavoir vainement essayé de reconquérir leur royaume, préférèrent cédeleurs droits à un prince français, Louis d’Anjou, qui n’eut jamail’occasion de les faire valoir, de sorte que l’Aragon resta, là encore, lmaître de la situation.

Franchissant les mers, les flottes aragonaises se portèrent jusqu’e

Grèce. Dans les premières années duXIVe

siècle, une compagnied’« almogavares » (c’est-à-dire de routiers) catalans, jusqu’alors aservice de Frédéric de Sicile, mais désormais libérée par la fin de lguerre napolitaine, alla se mettre au service de l’empereur grec Andronic II Paléologue, en lutte contre les Turcs. Une brouille ne tard pas à se produire entre Andronic et ses mercenaires (1308). La com pagnie catalane travailla alors pour son propre compte. Malgré les intrigues de Charles de Valois et de Robert de Naples, qui convoitaientous deux l’héritage byzantin, elle se jeta sur la Grèce et occupa quelques-unes des principautés franques qui s’y maintenaient encore, notamment les duchés d’Athènes et de Néopatras. Une grande partie dla Morée tomba aussi entre ses mains ; ses chefs y exercèrenl’autorité au nom du roi de Sicile, dont les fils cadets furent installédans le duché d’Athènes. Enfin, à dater de 1377 la plupart de ces possessions furent annexées aux domaines du roi d’Aragon, Pierre le Cérémonieux.





L’occupation de la Grèce par les Catalans était d’ailleurs précaire ils avaient à faire face aux ambitions rivales des Vénitiens, des Génois, d’une compagnie de Navarrais partie en 1377 à la conquête d

royaume d’Albanie : aussi, après 1402, les duchés catalans sombreront-ils un à un. Cette brillante et brève histoire n’est donc qu’un épisode, mais qui prouve la force d’expansion du pays aragonais. Possesseurs des Baléares, de la Corse, de la Sardaigne, de la Sicile et d’un partie de l’Hellade, les Aragonais se sont ainsi établis dans les îles qu jalonnent la route des côtes d’Espagne aux rives de la Méditerranéorientale et se sont assuré la maîtrise de la grande mer intérieure donleurs « portulans » représentent avec une précision nouvelle lecontours et les ports. p175

Table des matières

Bibliographie du chapitre VI Les transformations politiques des pays de la

Méditerranée occidentale

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Sur l’Italie en général, F. Lanzani,Sto-ria dei comuni italiani dalle origini al 1313(Milan, 1882, in-4°, dans la « Sto-ria d’Italia » publ. par Villari) ; C. Cipolla,Storia delle signorie italiane dal 1313 al 1530(Milan, 1881, in-4°, même collection) ; F. Gianani, I comuni (Milan [1909], in-8°, dans la « Storia politica d’Italia ») ; P. Orsi,Signorie e principati(Milan [1901], in-4°, même collection) ; sur les États de l’ÉgliseF. Gregorovius,Geschickte der Stadt Rom im Mittelalter (Stuttgart, 1859-1872, 8 vol. in-8o ; 4e ed. 1886-1896), t. V et VI, encore utiles ; les ouvragesde H. Kretschmayr,Geschichte von Venedig , t. II (Gotha, 1920, in-8°, de la« Geschichte der europäischen Staaten » de Heeren et Ukert), t. II, et dR. Davidsohn,Geschichte von Florenz, t. III (Berlin, 1912, in-8°), conduisantle récit jusqu’en 1330, t. IV, en 3 volumes avec 3 fascicules de notes (19221927), consacré à l’histoire de la civilisation, et, du même, Forschungen zur Geschichte von Florenz, t. IV (Berlin, 1908, in-80), constituent tousd’excellents guides ; on peut y joindre, R. Caggese, Firenze dalla decadenzadi Roma al Risorgimento d’Italia, t.I et II (Florence, 1912-1913, 2 vol., in-12) ; par contre, il n’existe aucune histoire récente de Gênes ou de Milan, maon trouvera un exposé d’ensemble dans E. Salzar,Ueber die Anfänge der Si- gnorie in Oberitalien(Berlin, 1900, in-8°, fasc. 14 des « Historische Stu-dien. » de E. Ebering). Sur le Piémont, consulter F. Gabotto,Storia del Pie-





monte nella prima metà del secolo XIV, 1292-1349(Turin, 1894, in-8°) ; dumême, L’età del conte Verde in Piemonte, 1350-1383, dans laMiscellanea di storia italiana, 3e série, t. II (1895), p. 75-334 ; F. Cognasso, Il conte Verde (Turin, 1926, in-16).

Pour l’Espagne, outre le livre déjà ancien de F. Schirrmacher,Geschichtevon Spanien, t. IV-VI (Gotha, 1881-1893, 3 vol. in-8°, dans la collection Hee-ren et Ukert), et en dehors du manuel de R. Altamira, Historia de España y dela civilizacion española, t. I et II (Barcelone, 1900-1902, 2 vol. in-12), voir A : Ballesteros y Beretta, Historia de España y sua influencia en la historiauniversal , t. III (Barcelone, 1922, in-8o). Quelques vues sommaires dansR.-B. Merriman,The rise of the Spanish empire in the old world and in thenew(New-York, 1918-1925, 3 vol. in-8° parus, allant jusqu’auXVIe siècle in-clusivement), t. I. — Pour le Portugal, voir F. de Almeida, Historia de Portu- gal (Coimbra, 1922-1928, 5 vol. in-8o parus), t. I, s’arrêtant en 1385.

I. Les luttes de la papauté en Italie centrale et septentrionale OUVRAGES À CONSULTER . — En dehors des ouvrages généraux cités à la note pré-

cédente, voir, pour le début duXIVe siècle, A. Eitel, Der Kirchenstaat unter Klemens V (Leipzig, 1907, in-8o, fasc. 1 des « Abhandlungen zur mittlerenund neueren Geschichte ») ; H. Otto, Zur italienischen Politik Johanns XXII (Rome, 1911, in-8°) ; H. Spangenburg,Can Grande I della Scala, 1291-1320 (Berlin, 1897, 2 vol. in-8°, fasc. 11 et 12 des « Historische Untersuchungen éd. par J. Jastrow) ; S. Vitale, Il dominio di parte guelfa in Bologna, 1280-1327 (Bologne, 1902, in-8o, fasc. 4 de la « Biblioteca storica bolognese ») ;G. Biscaro, Le relazioni dei Visconti di Milano con la Chiesa, dans l’ Archivio storico lombardo, 5e série, t. XVI (1919), p. 84-229 ; L. Ciacco, Il cardinal legato Bertrando da Poggetto in Bologna(Bologne, 1906, in-8°) ; A. Lehlei-ter, Die Politik Königs Johanns von Böhmen in den Jahren 1330-1334(Bonn,1908, in-8°).

Sur l’évolution de Rome, on consultera A. de Boüard, Le régime politiqueet les institutions de Rome au moyen âge, 1252-1347 (Paris, 1920,in-8°, fasc.118 de la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ») E. Rodocanachi,Cola di Rienzo(Paris, 1888, in-8°), insuffisant, mais malremplacé par F. Kühn, Die Entwicklung der Bündnisspläne Cola di Rienzo (Berlin, 1905, in-8°, dissertation) ; M. Handelsman,System naxodowo poli-tyczny Coli di Rienzo[Système national et politique de Cola di Rienzo], dans Rozwój nazodowosci nowoczesnej(Varsovie, 1924, in-8°), p. 31-123. Onconsultera aussi les lettres du tribun, publiées par K. Burdach et P. Piur Briefwechsel des Cola di Rienzo(Berlin 1J12-1928, 2 vol. in-8o) ; le livred’E. Rodonacachi, Histoire de Rome de 1254 à 1471(Paris, 1922, in-8°), estsuperficiel.

Sur la reconquête des États pontificaux, voir H.-J. Wurm,Cardinal Albor-noz, der zweite Begründer des Kirchenstaates(Paderborn, 1892, in-8°) ; ou-









dis histories i literales(Barcelone, 1906, in-8°) ; de lui, depuis lors, voir desétudes parues dans l’ Anuari de l’Istitut d’estudis catalans, 1907, 1908, 1911-1912 ; G. Schlumberger, Expédition des Almogavares ou routiers catalans enOrient de l’an 1300 à l’an 1311(Paris, 1902, in-8o) ; W. Miller,The Latins in Levant. À history of Frankish Greece(Londres, 1908, in-8°), refondu en lan-gue grecque, avec la collaboration de S. Lampros (Athènes, 1909-1910, 2 voin-8o ; 2e éd., en cours de publication par fascicules). — Sur la Corse et laSardaigne, E. Besta, La Sardegna medioevale(Palermo, 1908-1909, 2 vol., in-8°) ; H. Assereto,Genova e la Corsica, 1358-1378 (Spezia, 1900, in-8°).









périté matérielle permet une étonnante floraison d’œuvre de tout genr — drames, romans, traités scientifiques — qui témoignent, chacune sa manière, du réveil p178des esprits. L’art même, à certains égards, se

renouvelle. Toute une école de peinture revient au réalisme et à lacouleur ; les progrès du bouddhisme, que protègent les Youan, se traduisent par une abondante production de tableaux religieux, tandis qules penchants naturels du peuple mongol se reflètent dansd’admirables paysages, des scènes de chasse ou de guerre. Le gran peintre Tchao Mong-fou (1254-1322), bien qu’originaire du suds’adapte à ces tendances nouvelles ; il représente des chevaux, deguerriers mongols aux types accusés, surprenants de vie et de renduDe plus, grâce à l’interdépendance des royaumes mongols, les influences les plus diverses se font jour. Le bronze et la céramique smodèlent sur l’art persan ; ce sont aussi les Persans qui introduisent eChine la technique byzantine des émaux cloisonnés. Nulle part mieuque dans ce renouveau artistique, on ne saisit la fusion intime deéléments chinois et mongols, la rapide assimilation par les Youand’une civilisation plus ancienne.

Les autres royaumes mongols s’individualisèrent encore plus rapidement que la Chine. Le Turkestan, resserré entre la Chine mongole eles khanats d’Iran et de Russie, ne pouvait guère continuer à s’étendrSa dynastie, issue de Djagataï, second fils de Gengis-khan, cherch bien à pénétrer dans l’Inde ; trois expéditions successives, en 12971306 et 1327, furent lancées dans le Pendjab et parvinrent jusqu’au portes de Delhi ; mais les Mongols furent chaque fois repoussés pales sultans musulmans. D’ailleurs, dans le fief de Djagataï, la centralsation mongole ne put triompher de la turbulence des populationturkmènes qui peuplaient le pays ; et, très vite, des luttes intestinevinrent affaiblir l’autorité des khans. Dès le début duXIVe siècle, laTransoxiane et le Turkestan oriental se séparèrent, sous deux dynasties djagataïdes rivales ; et surtout, au contact des tribus qu’ils avaien

soumises, les guerriers mongols s’islamisèrent rapidement. Leur premiers khans, bouddhistes ou nestoriens, avaient observé une largtolérance religieuse ; ils furent remplacés par d’autres princes que lnoblesse turkmène domina de plus en plus. En Transoxiane notamment, le fanatisme musulman reprit le dessus. C’est de là que, vers lmilieu du siècle, allaient sortir les bandes de Timour.





Une histoire semblable d’islamisation et de dissensions intestinecaractérise les deux khanats mongols de Perse et de Russie. Dans lKiptchak (Russie mongole), des principautés rivales se forment

Moins riches et moins puissantes que celles p179 du Turkestan, ellessont, comme elles, dès la fin duXIIIe siècle, acquises entièrement à lareligion musulmane, à laquelle appartiennent dès lors tous les Mongols occidentaux. En Perse, la dynastie gengiskhanide fondée paHoulagou en 1256 a poursuivi patiemment son expansion vers l’ouesEntrée à Bagdad depuis 1258, ayant vaincu et réduit en vassalité leSeldjoucides d’Asie Mineure et obtenu l’hommage de la Petite Arménie (Cilicie), maîtresse plus ou moins incontestée des peuples transcaucasiens, elle est devenue la voisine immédiate et dangereuse deMamelouks d’Égypte. Il semble qu’elle ait conçu le plan grandiose ds’unir aux peuples d’Europe et aux chrétiens d’Orient pour détruirses derniers ennemis. En 1281, le khan Abaga avait envahi la Syri pour défendre le royaume de Petite Arménie ; plus tard (1287), lkhan Argoun avait envoyé en Europe le moine nestorien RabbanÇauma pour conclure une alliance avec les peuples d’Occident ; ceefforts s’étaient heurtés à l’indifférence de la chrétienté, ainsi qu’l’égoïsme de Philippe le Bel et d’Édouard Ier , et l’occasion perdue nedevait pas se représenter.

En effet, comme en Chine, comme au Turkestan, les Mongolsmaîtres de la Perse, ne tardèrent pas à se laisser influencer par les po pulations qu’ils avaient conquises. Dans la première moitié duXIVe siècle, peu à peu le khanat de Perse s’islamise ; ses princes, d’abor bouddhistes ou nestoriens, tournent maintenant leurs regards vers LMecque ; cette évolution se précipite avec l’extinction de la dynastigengiskhanide dont le dernier khan, Abou Saïd, règne de 1316 à 1334et le morcellement de l’Iran en quatre principautés, d’Azerbaïdjand’Irak (Bagdad), de Khorassan (Hérat) et de Fars, dont la principalecelle des Djélaïrides de Bagdad, régnera de 1336 à 1411. Certaines d

ces dynasties locales, en particulier celles des Modhafférides et deKert, ne sont même plus de race mongole : Afghans, Iraniens, musulmans de rite chiite ou sunnite, ont absorbé ou éliminé leurs envahisseurs. Toutefois la courte période de domination mongole, avec celldu morcellement politique qui la suit, n’a pas été sans laisser sa marque sur la vieille civilisation iranienne. C’est l’époque du plus gran poète persan, Hafiz (mort en 1389), originaire de Chiraz, et client de





rois Modhafférides du Fars. Et si l’art persan fait sentir son action jusqu’en Chine, l’art d’Extrême-Orient n’est pas, de son côté, sans influer profondément sur les conceptions et les procédés artistiques d

l’Iran. Des céramistes chinois sont appelés à la cour des khans mongols p180 de Perse ; la décoration céramique est par eux appliquée auxensembles architecturaux, comme au tombeau d’Oldjaïtou à Sultanie(1306) et à la Djouma de Véramine (1322-1412). L’époque mongolvoit aussi naître la grande école de miniature persane qui, unissant autraditions nationales le sentiment chinois de la nature, est à l’origind’une lignée de peintres qui développeront leur art sous les Timourides et jusqu’au cours duXIVe siècle.

Si rapidement que se soit morcelé l’empire des Mongols, l’Asi

n’en a donc pas moins connu, grâce à eux, plus d’un demi-siècle d prospérité. Jusque vers 1350, cet empire conserve une unité théoriququi se traduit dans le domaine des faits. L’empereur de Pékin est tou jours considéré par les khans occidentaux comme un suzerain, avequi ils entretiennent des rapports respectueux et pacifiques. Les frontières, largement ouvertes, ne gênent pas les échanges ; elles n’arrêtenni les commerçants ni les missionnaires d’Occident. L’Europe, obligée jadis de passer par les Mamelouks d’Égypte pour se procurer grands frais les marchandises d’Asie, dispose désormais de voiecommerciales rapides et d’accès facile à travers le continent asiatiqueÀ quelque principauté, empire ou khanat qu’ils appartiennent, leMongols protègent les caravanes, établissent sur les pistes des postede garde, fondent de grands marchés internationaux. La Perse redevient la porte de l’Asie. La ville de Tabriz reprend le rôle joué paBagdad à l’époque abbasside ; deux routes y convergent, venant dl’est, l’une, la vieille route de la soie, par le Turkestan, l’autre, la voide mer, qui est celle des épices, menant par l’océan Indien et le golfPersique jusqu’au port d’Ormuz, créé en 1330. Vers l’ouest, deux pistes bifurquent de Tabriz, l’une aboutissant à Trébizonde sur la me

Noire, l’autre traversant le royaume de Petite Arménie, pour déboucher à Aïas, sur le golfe d’Alexandrette. Enfin, une autre grande rout plus septentrionale, joint la Chine à la Crimée en passant par le Turkestan, la Caspienne, la Volga méridionale et le Kiptchak.

Nous verrons le profit que le commerce européen a tiré de cettimportante transformation. Mais les voies nouvelles n’ont pas seulement laissé passer plus aisément et à moindre prix les denrées et le





marchandises de toutes sortes que l’Occident réclamait à l’Orient elles n’ont pas seulement, comme on l’a observé, permis les contactentre artistes ou artisans des régions d’Asie les plus diverses ; elles on

rapproché les unes p181des autres, et dans leur fond même, les civilisa-tions les plus distantes. Les missionnaires catholiques n’ont pas été lederniers à profiter des facilités nouvelles que l’unification mongoleoffrait à l’accomplissement de leur tâche. On sait51 combien tolérantsétaient les Mongols. En Perse, en Mongolie, en Chine, ils avaientrouvé des communautés chrétiennes encore vivaces, restes de lgrande évangélisation duVIIe siècle, et généralement de rite nestorien ;l’Inde elle-même avait un groupe important de chrétiens, qu’on qualfiait souvent de « thomistes » parce qu’on les disait évangélisés pal’apôtre saint Thomas. Pour combattre l’influence particulariste dereligions nationales dans les pays qu’ils avaient soumis — islamismà l’ouest, confucianisme ou taoïsme en Chine — les Mongolss’appuyèrent sur les chrétiens et les bouddhistes. Déjà, Koubilas’était entouré de chrétiens ; à sa cour, le moine syrien Iça avait étchargé de la direction des affaires religieuses et de la surveillance dl’islamisme ; le khan de Perse Abaga, quoique bouddhiste, épousa unfille de Michel Paléologue et donna sa confiance à un Juif, Saad-eddaoula. La papauté n’ignorait pas ces dispositions favorables ; letemps n’était plus, au moins dans les milieux cultivés, où l’on confon

dait tous les peuples orientaux sous le nom général de Sarrazins. Leordres mendiants fournissaient des missionnaires de plus en plunombreux, et mieux préparés que naguère à entreprendrel’évangélisation pacifique des infidèles ; un précurseur, le franciscaiRaimond Lull, qui savait l’arabe, avait fondé en 1276, dans sa villnatale de Palma (Majorque), le collège de Miramar, où, il enseignailes langues orientales à de futurs missionnaires. À partir de 1285, ivisita toutes les cours d’Europe, quêtant appuis et subsides pour soœuvre de missions. D’autres franciscains et des dominicains pénétraient au même moment en Perse, en Mongolie, jusqu’en Chine. Lterrain était mûr pour une action d’ensemble qui atteignit son apogésous le pontificat de Jean XXII.

51 Voir le volume précédent de cette histoire, L’essor de l’Europe, livre IV,chap.III.











interrompue depuis un demi-siècle : il s’empare de l’Inde centralesoumet le Malwa, annexe une partie du royaume mahratte (1295). E1308, ses généraux paraissent au cœur du Dekkan et poussent jusqu’

l’extrême sud. Non seulement l’empire mahratte est définitivemendétruit (1312), mais pour la première fois des envahisseurs venus dnord ont pu pénétrer jusqu’au fond du pays dravidien. Une nouvelldynastie turque, les Taghlak, monte sur le trône en 1321. Elles’attache à islamiser par la force les pays conquis. Des révoltes ne tardent pas à se produire : l’empire turco-afghan se disloque rapidemenen plusieurs États musulmans ; cet affaiblissement, dans les dernièreannées du siècle, profitera à la politique de Timour.

III. — La chute de la domination mongole :les débuts de Timour53 Impuissants à s’étendre sur toute l’Asie, les Mongols sentent ver

le milieu duXIVe siècle leur domination ébranlée dans les pays où ilsse sont le plus solidement installés, en Chine entre autres. Depuiqu’ils régnaient à Pékin, les empereurs gengiskhanides avaient peu peu perdu contact avec les autres dynasties mongoles. À force ds’assimiler la civilisation chinoise, ils avaient fini par devenir étrangers à leurs frères de race et par exciter, à leur tour, la jalousie et le

convoitises de ceux d’entre eux qui avaient continué à nomadiser danles steppes de Mongolie. Ceux-ci avaient repris leurs courses dévastatrices en terre chinoise, forçant la dynastie Youan, malgré ses originemongoles, à se comporter à leur égard exactement comme l’avaienfait jadis les empereurs de souche chinoise et, comme eux, d’y useleurs forces ; car les courses des pillards duXIVe siècle n’étaient pasmoins dangereuses ni p186 poursuivies avec moins de vigueur que cel-les de leurs devanciers duXIIIe : en 1360, par exemple, on les voit pousser jusqu’au Pé-tchi-li, tuant et pillant, tout comme leurs aînés.

En même temps, les maîtres de Pékin voient la Chine du sud sedresser contre eux. Restée fidèle au confucianisme, ses aspirationdémocratiques, son activité commerciale, ses goûts plus raffinécontrastaient avec ceux de la Chine du nord, mongolisée, féodale, mlitaire et autocratique. À partir de 1350, toute la Chine du sud entre e






révolte ; des chefs locaux, malgré leurs jalousies, tiennent en échec lgouvernement mongol. Vers 1360, toutes les provinces au sud dufleuve Bleu ont réussi à secouer le joug. Il ne leur reste plus qu’à s

grouper autour d’un chef énergique pour compléter la révolution. Uaventurier Tchou Youan-tchang, plus connu dans l’histoire sous lenom impérial de Hong-wou, s’impose par son énergie et son adresseInstallé à Nankin qu’il a arraché aux Mongols en 1356, il commenc par réduire ses rivaux, soumet le sud-est, y compris Canton, puis, e1368, marche résolument vers le nord. Le faible empereur mongoToghon Timour (1333-1368), ne peut l’arrêter, et quelques mois lusuffisent pour arriver sous Pékin et s’en emparer ; vers 1370, il chassdu sol chinois les derniers Mongols. La déroute est complète ; Hongwou, fondateur de la dynastie nationale des Ming, non content de ce premiers succès, passe à son tour à l’offensive et inquiète les princegengiskhanides jusque dans leurs pays d’origine ; au cours de secampagnes, il est même assez heureux pour réussir un instant à occuper Karakoroum (1372).

Au même moment, un bouleversement encore plus grave se préparait au Turkestan. Au début duXIVe siècle, nous avons vu le khanat deDjagataï se scinder en deux tronçons : Transoxiane à l’ouest et Turkestan oriental à l’est. Or la Transoxiane était bientôt tombée danl’anarchie ; la noblesse turque de Samarkande, attachée fanatiquemenà l’islam, avait facilement annihilé le pouvoir du khan mongol qui lgouvernait nominalement. Profitant de ces troubles, le khan du Turkestan oriental, Touglouk Timour, envahit la Transoxiane et rétablil’unité (1360). Les principales familles turques durent se réfugier danles oasis méridionales voisines de l’Iran où elles n’attendirent que ldépart de l’envahisseur pour se révolter. C’est parmi ces exilésqu’allait bientôt se distinguer le grand Timour.

Issu d’une noble famille turque de Transoxiane, ce chef, à qui un blessure de guerre devait valoir le surnom de Lang p187 ou Lenk (le boiteux)54, représente eu effet la révolte du Turkestan contre les Mon-gols. Sans doute il reprit a son compte les rêves d’hégémonie mondiale de Gengis-khan, et, après le succès de ses armes, essaya de se proclamer le successeur du célèbre conquérant, à la famille duquel il prétendait se rattacher ; mais il serait erroné de voir en lui le continuateu

54 De Timour Lang, les Européens ont fini par faire « Tamerlan ».







vins de Naples, ils avaient offert le trône de Jérusalem au LusignanHenri II de Chypre, qui avait répondu à leur appel (août 1286). Bientôt Kalaoun, ayant refait ses forces, avait rompu la trêve, s’était empa

ré de Laodicée (1287), puis de Tripoli (1289). Le 5 avril 1291, il étaiarrivé devant Saint-Jean d’Acre ; après un siège héroïque, la villavait capitulé, le 28 mai, entraînant dans sa chute les derniers établissements de Syrie. En présence du péril, et dans l’abandon où les laissait leurs frères d’Occident, une alliance avec le khan mongol de Perse, Ghazan, parut aux chrétiens d’Orient l’unique chance de salutAussi en 1299, lui prêtèrent-ils un appui sans réserve quand il se décda à envahir la Syrie : ils l’aidèrent puissamment à remporter, le 23décembre, sur les troupes égyptiennes une victoire éclatante à Homslà même où dix-huit ans plus tôt Mangou-Timour avait été battu ; eils soutinrent sur mer et sur terre son action quand ensuite il s’emparDamas (2 janvier 1300), puis alla mettre le siège devant Alep. Mais, supposer que p189 l’alliance mongole pût réellement servir la causechrétienne, il était trop tard pour réparer le mal. Rappelé en Perse paune révolte, Ghazan dut presque aussitôt laisser le champ libre autroupes du sultan mamelouk Malik an-Nâsir, et il ne fut plus questio pour les chrétiens d’Orient de reconquérir la Syrie.

En face de l’Islam, une ligne de repli leur restait : le royaume dePetite Arménie (la Cilicie), au nord-ouest de la Syrie. Enserré entre leémirats turcs d’Anatolie et le sultanat de Syrie, il ne subsistait depuilongtemps que grâce à l’alliance mongole ; elle lui procura même, pal’ouverture d’une route commerciale, une grande richesse dont proftèrent sa capitale, Sis, et son port, Laiazzo, aujourd’hui Aïas, sur lgolfe d’Alexandrette. Mais ce renouveau d’activité ne fit qu’exciteles convoitises égyptiennes qui s’acharnèrent contre le petit royaumeLaiazzo fut ruinée en 1322, saccagée de nouveau en 1337. Vers le milieu du siècle, les princes de Lusignan qui, par suite d’un mariages’étaient trouvés substitués à la dynastie locale, essayèrent vainemen

de conjurer le péril : le dernier roi de cette famille, Léon VI, perdit seÉtats en 1375. Fait prisonnier, il fut relâché peu après par le sultand’Égypte et termina sa triste existence en Occident, apôtre sans succèd’une croisade dont personne ne voulait.

Les Latins conservaient encore le royaume de Chypre. Clé de laMéditerranée orientale, cette île était devenue un des pays les plu prospères d’Europe. De là étaient parties toutes les dernières croisa









titre de despote, ils tentaient de s’y rendre indépendants. Le trésoétait vide, l’armée ne pouvait plus se recruter dans les provinces, tro peu nombreuses et dépeuplées. Plus que jamais il fallait faire appel

des mercenaires ; mais, comme on ne pouvait les payer, ces bandes bulgares, catalanes ou turques, travaillaient pour leur propre compte eravageaient le pays qu’elles auraient dû défendre. Enfin, pour continuer une tradition séculaire, les révolutions de palais se succédaienautour d’un trône chancelant. Après l’énergique Michel VIII, mort e1282, la dynastie des Paléologue sombra dans une faiblesse incurableAndronic II, qui recueillit la succession, et à qui manquait toutes lequalités d’un homme d’État, essaya de parer à son incapacité ens’associant son fils Michel IX (1295) ; mais, prématurément disparen 1320, ce prince ne laissa qu’un fils, Andronic III le Jeune, qui bientôt s’insurgea contre son grand-père, exigea de partager le pouvoiavec lui (1325), puis, en 1328, le fit enfermer dans un couvent, où lsouverain dépossédé mourut en 1332. L’usurpateur p192 Andronic III,régna jusqu’en 1341. À sa mort, une révolte plus grave encore éclatcontre son jeune fils Jean V, qu’il avait laissé sous la tutelle del’impératrice Anne de Savoie. Le régent, Jean Cantacuzène, se fit personnellement proclamer empereur sous le nom de Jean VI, et pendantreize ans ce fut la guerre civile. Pour tâcher de s’imposer, Cantacuzène n’hésita même pas à faire appel aux Serbes du roi Étienne Dušan e

aux Turcs d’Asie Mineure ; mais, finalement, il dut s’avouer vaincuabdiqua, se retira au couvent (1354), laissant à son rival Jean V Paléologue une situation désespérée.

En présence d’une pareille anarchie, pouvait-on encore sérieusement parler de croisade ? Le roi de Chypre Pierre Ier de Lusignanl’osa. En 1361, un coup d’audace l’ayant rendu maître du pord’Adalia (ou Satalie), au fond du golfe de ce nom, sur la côte de Pam phylie, puis de Myra, sur celle de Lycie, il crut l’heure venue d’ungrande offensive contre l’Islam. Il tenta d’y décider l’Occident, visit

en personne les principaux souverains d’Europe, mais ne rapportguère de sa tournée que de belles promesses. Dix mille hommes pourtant, réunis à grand peine, lui permirent d’aller, par surprise, pilleAlexandrie (octobre 1365), puis Tripoli de Syrie, Tortose, LaodicéeJaffa (1367). Mais, s’il parvint à faire un tort énorme au commercégyptien, le roi de Chypre ne put s’établir définitivement nulle part emène une guerre de razzias aussi coûteuse que vaine.





De plus en plus ces expéditions sont entravées par l’égoïsme deGênes et de Venise, qui ne songent qu’à leurs propres intérêts. En vailes papes renouvellent-ils périodiquement la défense de trafiquer ave

les musulmans, ennemis de la foi : en 1302, Venise signe un traité dcommerce avec l’Égypte et obtient des conditions particulièremenfavorables à condition de faire entrer chez les Mamelouks les marchandises prohibées par l’Église et le matériel de guerre ; en 1310, leGénois pillent Rhodes et vont vendre leur butin aux Turcs. Non seulement le blocus de l’Islam, rêvé par la papauté, est chose irréalisablemais par leur rivalité, Vénitiens et Génois font le jeu de l’infidèle.

Un instant, il est vrai, ils se liguent pour débarrasser la mer Égéde la piraterie turque qui fait obstacle à leurs entreprises ; puis ils n

songent plus qu’à s’entre-déchirer. La guerre entre les deux puissances éclate en 1350 ; la mer orientale, où elles avaient tout juste envoyquelques galères contre les Turcs, p193 est maintenant sillonnée par leurs flottes. Aussi toute nouvelle croisade contrecarre leurs desseinGênes reste neutre lors de l’attaque d’Alexandrie en 1365 ; elle voses comptoirs pillés par les croisés. Un peu plus tard, Venise, qucraint pour son commerce oriental, propose sa médiation entre le rode Chypre et le sultan d’Égypte. Enfin, profitant de l’assassinat dPierre Ier de Chypre (1369), les Génois, sous prétexte de rétablirl’ordre dans son royaume, attaquent et pillent l’île et gardent pour eule port de Famagouste (1373). Avec Chypre, sombre le dernier Étacapable de tenir tête à l’Orient musulman.

V. — La fondation de la puissance ottomane56 À cette date, il est vrai, les deux grandes puissances musulmane

qui avaient jadis le plus inquiété les chrétiens apparaissent bien déchues. Au Caire, l’empire syro-égyptien, depuis qu’il est aux mains dl’aristocratie militaire des Mamelouks, dissipe ses forces en des révolutions de palais ; il est, d’autre part, inquiété périodiquement pal’insubordination des émirs de Syrie, devenus indépendants de fait. est encore capable de repousser les envahisseurs, quand il s’en présente, mais non plus d’entreprendre des conquêtes. Quant au sultanaseldjoucide du « Roûm » ou Asie Mineure, il n’a pu se relever de






coups que lui ont portés les Mongols. À la fin duXIIIe siècle, il se di-sloque ; les gouverneurs de provinces cessent d’obéir et fondent un bonne dizaine de grands émirats. Les émirs de Kermiân, installés

Koutayah, et ceux de Karamân, installés à Koniah, l’ancienne capitalde l’Anatolie seldjoucide, sont confinés à l’intérieur des terres, mai possèdent des armées aguerries ; d’autres tiennent les côtes, tel l’émde Saroukhân, qui occupe l’ancienne Lydie, ou l’émir d’Aïdin, dans lvallée du Méandre, p194 qui reprend vers 1330 Smyrne aux Génois etrayonne de là sur la mer Égée. Si mal connue que soit l’histoire de ce petits États, il est visible qu’ils sont trop débiles pour pouvoir rien entreprendre de sérieux. Mais voici que se lève une puissance nouvellecelle des Turcs Ottomans dont les chrétiens apprennent bientôt à mesurer la force.

L’origine des Ottomans a été obscurcie par la légende. Ce que lehistoriographes en racontent date d’une époque postérieure à la prisde Constantinople en 1453 et ne mérite guère créance. On les croidescendus d’une modeste tribu turkmène qui, installée au début dXIIIe siècle dans le Khorassan, en fut chassée vers 1220 par les progrède l’invasion mongole ; C’est du Khorassan que dut partir leur premier chef légendaire, Soulaïmân (Soliman), qui aurait conduit ensuitsa tribu, à travers l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sur l’Euphrate supérieur. Sous un autre chef légendaire, Ertoghroul, la tribu ottomane serait entrée en contact avec l’Anatolie seldjoucide ; le sultan du RoûmAlâ ad-Dîn Kaïkobâd Ier (1219-1235), la prit peut-être à son service pour combattre les Mongols de Perse et l’établit dans ses États. Ce quest certain, c’est qu’à la fin duXIIIe siècle, on trouve ces rudes guer-riers installés au nord-ouest de la Phrygie, autour d’Eski-chéirl’ancienne Dorylée ; ils sont, dans leur étroit territoire, les voisinimmédiats de l’empire byzantin, et déjà, chaque printemps, ils tentendes coups de mains sur les châteaux grecs proches des frontières musulmanes. Ils sortent ainsi de l’ombre avec leur premier chef histor

que, le fils d’Ertoghroul, Osmân ou Othmân (1299-1326), dont il prennent le nom.

Dès le début de son règne, les conquêtes se multiplient : en 1299, is’installe à Yéni-chéir, à mi-chemin entre Brousse et Nicée ; en 1301il défait les troupes byzantines près de Nicomédie et dévaste par serazzias l’ancien empire de Nicée. En 1302, l’empereur Michel IX tente vainement une contre-attaque. De 1308 à sa mort, Osman, patiem









commence. La prise de Monastir (1380) ouvre la route de l’Albaniecelle de Sofia (vers 1385) la région du bas Danube, celle de Mis(1386) la Vieille Serbie ; celle de Salonique, en 1387, après un sièg

de quatre ans, lui assure la maîtrise de la mer au débouché du VardarEn un dernier sursaut d’énergie, les populations balkaniques tentend’endiguer l’invasion. Une ligue se forme, qui, autour du roi Lazarde Serbie, groupe les petits princes de Bosnie et d’Albanie ; ils profitent de ce que Mourad est en Anatolie et ses principaux p197lieutenantsen Morée pour repousser une attaque sur la Bosnie (1387). Mais Mourad revient en grande hâte, met les princes bulgares en déroute (1388et, le 15 juin 1389, se heurte aux forces serbes dans la plaine de Kosovo, où se livre une bataille acharnée : les deux chefs, Lazare de Serbiet Mourad, y périssent ; mais, malgré leur héroïsme, dont la légende el’épopée ont exalté le souvenir, les Serbes sont finalement écrasés. Lmainmise complète des Turcs sur les Balkans était désormais inévita ble. p198

Table des matières

Bibliographie du chapitre VII Le retour offensif des peuples d’Asie.

Les premières conquêtes de Timour et des Ottomans

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — R. Grousset, Histoire de l’Asie(Paris,1921-1922, 3 vol. in-8°), t. II et III, et, du même, Histoire de l’Extrême-Orient (Paris, 1929, 2 vol. gr. in 8°, fasc. 39 et 40 des « Annales du Musée GuimetBibliothèque d’études »), où l’on trouvera d’abondantes bibliographies ; voaussi le bref résumé de F.-E.-A. Krause,Geschichte Ostasiens(Göttingen,1925, 2 vol. in 8°), t. I ; H. Howorth, History of the Mongols(Londres, 1876-1888, 8 parties en 4 vol., gr. in-8°, et un volume de suppléments et de table1927), est confus, vieilli, dénué de critique, mais reste la seule étuded’ensemble sur l’Asie desXIIIe et XIVe siècles ; E. Blochet, Introduction àl’histoire des Mongols de Rashid eddin(Leyde, 1910, in-8°, fasc. 12 du« E.-S. W. Gibb Memorial »), à utiliser avec précaution ; H. Cordier, Histoire générale de la Chine(Paris, 1920, 3 vol, in-8°), t. II et III, simple compilation présentant un récit annalistique. Le livre de L. Cahun, Introduction à l’histoirede l’Asie(Paris, 1896, in-8o), doit être contrôlé de près. Voir ci-dessous, p.186 et 188, les ouvrages généraux relatifs à Timour, aux chrétiens d’Orient ede l’Asie Mineure. — M. René Grousset, conservateur adjoint au Musé





Guimet, a bien voulu relire ce chapitre et nous fournir plus d’une indicatiodont nous avons fait notre profit.

I. L’Asie mongole OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages généraux indiqués à la note précéden-

te, ajouter : sur la Chine, A.P. Bazin, Le siècle des Youen(Paris, 1850, in-8°),extrait du Journal asiatique, 4e série, t. XV (1850), p. 5-48, 101-153, et t. XVI(1850), p. 428-475 ; du même, Le théâtre chinois... sous les empereurs mongols(Paris, 1838, in-8°) ; R. Grousset, Les civilisations de l’Orient , t. III : LaChine(Paris, 1930, in-8°) ; — sur le Turkestan mongol, l’article de W. Bar-thold,Č agatai-Khan, dans l’ Encyclopédie de l’Islam(Leyde et Paris, en coursde publication depuis 1907, 4 vol. in-4°), t. I, p. 831-835 ; — sur la PerseG. Le Strange,Mesopotamia and Persia under the Mongols in the 14th century

(Londres, 1908, in-8°, fasc. 5 des « Asiatio Society Monographs »), A. Gaye L’art persan(Paris, 1895, in-8o) ; E. Blochet, Les écoles de miniature en Per- se, dans la Revue archéologique, t. VI (1905), p. 121-148 ; R. Grousset, Lescivilisations de l’Orient , t. I : L’Orient (Paris, 1929, in-8°) ; E.-G. Browne, History of Persian literature under Tatar domination(Cambridge, 1920, in-8o).

Sur les missions dans l’Asie mongole, voir, pour les missions franciscaines, le P. Leonhard Lemmens,Geschichte der Franziskaner Missionen (Münster-i-W., 1929, in-8°, fasc. 9 des « Missionswissenschaftliche Abhandlungen und Texte », puhl. par J. Schmidlin), et les recherches du P. Golubovich, Biblioteca bio-bibliografica della Terra Santa e dell’ Oriente francesca-no (Quaracchi, 1906-1927, 5 vol. in-8°) ; pour les missions dominicaines dXIIIe siècle, l’étude du P. Altaner, Die Dominikanermissionen des 13. Jahr-hunderts(Habelschwerdt, 1924, in-8o, fasc. 3 des « Breslauer Studien zur his-torischen Theologie », publ. par Wittig et Seppelt). Parmi les notices consacrées à des missionnaires, signalons celles de Ch.-V. Langlois, Jordan Catala,missionnaire, dans l’ Histoire littéraire de la France, t. XXXV (1921), p. 260-277 ; du P. Anast. Van den Wyngaert, Notes sur Jean de Montcorvin, premier êvêque de Khanbalig , dans la France franciscaine, t. VI (1923), p. 135-186, et250-277 ; du P. de Ghellinck, Jean de Monte Corvino, O. F. M., missionnaireet premier archevêque de Pékin, dans la Revue d’histoire des missions, t. V(1928), p, 506-544. — Les récits de voyage laissés par les missionnaires onété publiés par H. Yule,Cathay and the way thither (Londres, 1866-1867, 2vol. in-8o ; 2e éd., complétée par H. Cordier, Londres, 1913-1915, fasc. 33, 3738 de la 2e série des publications de la « Hakluyt Society » ) ; y joindre, entreautres, les récits de voyage d’Odoric de Pordenone, publ. par H. Cordier (Paris, 1891, in-8°), puis en dernier lieu par le P. Van den Wyngaert, dans unnouveau et important reeueil de voyages franciscains intituléSinica francisca-na, t, I : Itinera et relationes fratrum Minorum saeculi XIII et XIV (Quaracchi,1929, in-8°) ; H, Cordier a publié encore Les merveilles d’Asie, de Jourdain





Catalan de Sévérac (Paris 1925, in-8°).Sur la politique pontificale dans l’Asie mongole, G. Soranzo, Il papaio,

l’Europa cristiana e i Tartari ; un secolo di penelrazione occidentale in Asia (Milan, 1930, in-8o, « Puhblicazioni della Università cattolica del Sacro Cuo-re », 5

esérie, t. XII). — Sur Raimond Lull, voir ci-dessous, p. 270 et la bibliographie p. 269, n. 1. — Sur les Nestoriens, J.-B. Chabot, Histoire de Mar Ja-

balaha III et du moine Rabban Çauma(Paris, 1895, in-8°, extr. de la Revue del’Orient latin, t. I et II), traduction française d’un récit contemporain du pa-triarche lui-même, et que l’abbé Chabot avait publié précédemment en sotexte syriaque original (Paris, 1888, in-8° ; 2e éd., Leipzig, 1895) ; A.-C. Mou-le, Christians in China before the year 1553(Londres, 1930, in-8°, public. dela « Society for promoting Christian knowledge »). — Sur l’Inde, A. Brou L’évangélisation de l’Inde au moyen âge, dans les Études, revue des PP. de laCie de Jésus, t, CXXIJ (1910), p. 60-79 et 196-202.

II. Les pays d’Asie étrangers à la domination mongole OUVRAGES À CONSULTER . — Sur le Japon, voir Murdoch et Yamagata, History of

Japan (Kobé et Yokohama, 1903-1925, 3 vol. in-8o), t. I ; N. Yamado,Ghen-ko, the Mongol invasion in Japan(Londres, 1916, in-8°). — Sur l’Indochine,la bibliographie est dans H. Cordier, Bibliotheca Indo-Sinica(Paris, 1911-1915, 4 vol. in-8°, fasc. XV à XVII des « Publications de l’école françaisd’Extrême-Orient ») ; les ouvrages généraux les plus récents, en dehors dl’ Histoire d’Extrême-Orient de R. Grousset indiquée p. 176, n. 1, sontl’ Indochine, en cours de publication sous la direction de G. Maspero, t. I (Paris, 1929, in-4°) ; du même, Le royaume de Champa(Paris et Bruxelles, 1928,in-4o) ; du même, L’empire khmer (Pnon-Penh, 1904, in-8°) ; Harvey, Historyof Burmah(Londres, 1925, in-8o) ; P. Pasquier, L’Annam d’autrefois(Paris,1916, in-8°). — Sur l’Inde, laCambridge history of India, t. III:Turks and Afghans(Cambridge, 1921, gr. in-8o), est l’ouvrage le plus complet et le plusrécent ; voir aussi V. Smith,Oxford history of India(Oxford, 1919, in-12), etIshwari Prasad, History of mediaeval India from 647 to the Mughal conquest (Allahabad, 1925, in-8o ; 2e éd., 1928), édition française sous le titre : L’Indedu VII e au XVI e siècle, trad, par H. de Saugy (Paris, 1930, in-8o , t. VIII, 1re partie, de l’« Histoire du monde » dirigée par E. Cavaignac).

III. La chute de la domination mongole : les débuts de Timour OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages généraux indiqués p. 176, spéciale-

ment l’ Histoire d’Extrême-Orient de R .Grousset, on joindra Skrine et Deni-son Ross,The heart of Asia, a history of Russian Turkestan and the central Asian khanates from the earliest times(Londres, 1899, in-8°), et L. Bouvat, L’empire mongol, 2e phase : Timour et les Timourides(Paris, 1927, in-8°, t.VIII, 3e partie de l’« Histoire du Monde » publiée par E. Cavaignac) ; du mê







Empire, 1300-1403(Oxford, 1916, in-8°). Voir aussi Hertzberg,Geschichteder Byzantiner und des Osmanischen Reiches(Berlin, 1883, in-8° ; dansl’« Allgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen » publ. par Oncken) ; NIorga, Latins et Grecs d’Orient et l’établissement des Turcs en Europe, dans la Byzantinische Zeitschrift , t. XV (1906), p. 179-222, auxquels on ajoutera leslivres sur les Slaves du sud cités au chapitre suivant, p. 212, et l’ouvrage dVasiliev (cité p. 189) sur l’histoire de l’Empire byzantin, t. II. —L’ Encyclopédie de l’islam, en cours de publication sous la direction de Th.Houtsma, R. Basset, T.-W. Arnold, etc. (Paris et Leyde, depuis 1907, 4 voin-4o), renferme nombre d’articles qui méritent d’être consultés.





Table des matières

Chapitre VIII

Les barrières de l’Europe orientale 57

L’offensive ottomane, qui venait de balayer les défenses avancée

de l’Orient chrétien, avait eu pour résultat de mettre partout les nouveaux envahisseurs asiatiques en contact direct avec une seconde ligne de résistance, celle que formaient à l’orient des pays germaniqueet à l’orient de l’Italie la masse des peuples slaves, et les Hongroisleurs voisins immédiats. Pendant des siècles, l’avenir de l’Europe allait dépendre du plus ou moins grand degré de solidité de ce remparslave et hongrois, où déjà, vers la fin duXIVe siècle, les assaillantsavaient pratiqué de fortes brèches. Dans sa confusion même, l’histoirdes peuples qui le constituent importe donc au plus haut point àl’histoire générale de ces temps troublés, lourds d’un avenir encorincertain. p199

I. — La fin des dynasties nationaleschez les Slaves du Nord(1285-1305)58

Vers 1285, les trois grands royaumes entre lesquels est diviséel’Europe orientale semblent voués à une irrémédiable décadence. EBohême, Ottokar II a péri sous les coups de Rodolphe de Habsbour(1278), tandis que des princes allemands s’installaient dans la vallédu moyen Danube. Ce n’est d’ailleurs qu’une éclipse passagère ; l pays est riche, fortement organisé, soutenu par une tradition nationalvivace. Rodolphe n’a pas pu ou n’a pas voulu extirper la dynastietchèque ; il a reconnu le jeune Venceslas II, dont il s’est arrogé san

57 OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER .58 OUVRAGES À CONSULTER .





doute la tutelle, mais a laissé le gouvernement aux mains d’un granseigneur de Bohême, Zavich de Falkenstein, qui, par la suite, épousla veuve d’Ottokar. Plus triste assurément est la situation de la Hon

grie. Ruinée par l’invasion mongole et les ambitions tchèques, elle sdébat dans une inextricable confusion. Le faible héritier des Arpadiens, Ladislas IV (1272-1290), assiste impuissant aux luttes continuelles entre seigneurs laïcs et ecclésiastiques ; il ne peut trouved’appui qu’auprès des Angevins de Naples, avec lesquels il négociun double mariage, le sien propre et celui de sa sœur Marie, préparanainsi l’avènement d’une dynastie étrangère. Quant à la Pologne, c’esun État encore inorganique, dont les débuts de centralisation ont étréduits à néant par l’invasion mongole : la dernière des incursions tartares a lieu en 1287. Le pays s’est désagrégé en principautés indépendantes, nombreuses surtout aux frontières de l’ouest et du nord, enSilésie et en Cujavie-Mazovie. La Grande Pologne est moins touchéetandis qu’au sud, la Petite Pologne, avec Cracovie, maintient le principe d’unité et une capitale théorique de l’ensemble des pays polonais

En Pologne, le trône passe tour à tour aux différentes branches dla maison des Piast. Après Boleslas le Pudique (1227-1279), de l branche de Petite Pologne, vient Leszek le Noir (1279-1288), de l branche de Cujavie, qui à son tour est remplacé par Henri IV (12881290), prince de Breslau. Pour p200 se soutenir dans la lutte contrel’épiscopat et parer à la menace tchèque, ces princes ont favorisé levilles, où l’élément germanique tendait à devenir prédominant. Henri IV a été jusqu’à se reconnaître le vassal de l’empereur pour sa petit principauté silésienne. Sans doute le règne de Př émysl II (1290-1296)est-il marqué par une nouvelle tentative d’unification. Ce prince, qutient dans ses mains tous les territoires de sa famille en Grande Pologne et dans les principautés de Poméranie et de Danzig, gouvern presque tout l’ancien royaume de Pologne, de la Baltique aux Carpathes. Mais, couronné roi de Grande Pologne en 1295, il est assassin

en 1296, à l’instigation d’un groupe de seigneurs, peut-être avec lconnivence des margraves de Brandebourg, et laisse une successiodes plus troublées, que trois candidats se disputent ; le neveu d’HenrIV, Henri ; le frère de Leszek, Ladislas le Bref ; et le roi de BohêmeVenceslas.

Or, dès ce moment, la Pologne est menacée d’un nouveau dangercelui de l’expansion germanique. Elle a aidé l’Ordre teutonique à ex





terminer les populations prussiennes, qui se sont défendues aveacharnement ; mais elle a aussi laissé s’installer sur la basse Vistule esur la côte de la Baltique un redoutable adversaire. L’Ordre teutoni

que, qui, dès 1283, commence à convoiter les territoires lituaniens, esmaître d’un petit État solidement organisé, avec un grand-maître, élu vie, des « maîtres provinciaux » ( Landmeister ) et des chefs de« commanderies » ( Komtureien). La politique d’agression brutale del’Ordre fait sentir ses effets à la fois sur les frontières polonaises dMazovie et de Poméranie, et sur la Lituanie qui, encore païenne e barbare, ne sait pas s’unir à la Pologne contre le danger commun.

Pour faire face aux multiples périls qui les assaillent, les royaumeslaves auraient besoin de calme et de tranquillité intérieure. Or, pa

une funeste rencontre, la fin duXIIIe

siècle et le début duXIVe

sièclecoïncident chez eux avec une période de troubles graves, que provoque la disparition des dynasties nationales. Les Arpadiens de Hongridisparaissent entre 1290 et 1301, les Př émyslides de Bohême en 1306,les Piast de Pologne un peu plus tard, en 1370, à la suite d’une agonimouvementée. Partout se produit le même enchaînementd’événements : invasion étrangère, extinction de la dynastie autochtone, troubles intérieurs. En Bohême, c’est Otton de Brandebourg quessaie de s’implanter après la mort d’Ottokar II ; p201 en Pologne,Venceslas II de Bohême intervient entre 1291 et 1305, lors des lutte pour l’unification du pays ; en Hongrie, son fils Venceslas III et le filde Rodolphe de Habsbourg, Albert, disputent le trône au dernier Ar padien André III (1290-1301), et ensuite à Charles Martel d’Anjouarpadien de ligne féminine. Dans chacun de ces pays, une dynastiétrangère succède à la dynastie nationale ; et quoique, en fait, les nouveaux maîtres s’approprient le trône vacant d’un État étranger, tout s passe comme s’ils succédaient régulièrement à la dynastie précédentL’avènement de chacun d’eux est précédé de longs pourparlers aveles seigneurs ou un groupe de seigneurs ; ces pourparlers impliquen

le droit reconnu à la nation qui vient de perdre son roi héréditaire drecourir à l’élection pour en choisir un nouveau, quitte à imposer l’élu l’obligation de légitimer son pouvoir par un mariage avec undescendante de l’ancienne famille régnante ; ils aboutissent, en outreà une première ébauche de pacte, explicite ou implicite, entre l’élu eceux qui deviennent ses sujets. Même quand l’application de ce pactn’est pas immédiate, de longues années s’écoulent avant que le roi a





reconquis son entière puissance, et ce n’est, en général, qu’au prix dnouveaux sacrifices : garantie formelle du droit électoral que s’est arrogé la nation, intangibilité des privilèges usurpés par les différente

classes sociales, exacte détermination de leurs charges fiscales et miltaires, autonomie juridique ou même administrative de provinces entières ou de parties de provinces, exclusion des étrangers des postes dgouvernement, parfois même abdication effective de l’autorité royalentre les mains d’une des personnalités dirigeantes du pays.

C’est ce qui se passe pour les rois angevins de Hongrie, CharleMartel (1290-1296) et son fils Charles-Robert(1308-1342). Après’être montrés tous deux résolus à détruire la toute-puissance des anciennes familles hongroises, ils se voient néanmoins amenés à leu

substituer de nouvelles familles seigneuriales ; ils posent les fondements d’une nouvelle constitution qui doit régler les devoirs militairedes propriétaires fonciers et les charges financières des autres classesociales, mais qui garantit en même temps l’intangibilité des privilèges accordés sous Bêla IV et l’exclusion des étrangers des charge politiques. En Bohême, même situation. Après deux années difficilemarquées par de nombreuses capitulations, Jean de Luxembourg, ap pelé au trône vacant, est obligé d’épouser p202 Élisabeth, la sœur dudernier Př émyslide et de délivrer un diplôme qui garantit les droits dela nation tchèque (1310). D’ailleurs, il se fait remplacer dansl’administration intérieure par un seigneur tchèque, Henri de Lipe, nretenant en ses mains que la gérance des affaires extérieures.

Si l’on entre dans le détail des faits, de nouvelles complicationsurgissent, dues à l’étroite interdépendance des trois royaumes slaveC’est ce que montre l’histoire de la Bohême, après l’élimination dZavich de Falkenstein et la reprise effective du pouvoir par Venceslas II, le fils d’Ottokar (1290). Allié à la famille des Habsbourg, chétif et délicat, de tempérament peu guerrier, il représentait surtout u programme d’action intérieure : il s’employa à rétablir l’ordre, à améliorer l’état de ses finances, obtint de l’empereur la restitution à la Bohême de ses dignités dans l’Empire et de ses droits électoraux à la diète. Mais, ceci fait, il ne put s’empêcher de reprendre à son compte l programme d’expansion de ses prédécesseurs vers le nord et le nordest : une partie de la Saxe fut conquise (1319 et 1346), puis la PetitPologne après une lutte acharnée avec le roi Ladislas le Bref. Il enva





hit ensuite la Grande Pologne et, ayant épousé la fille de Př émysl II,tué en 1296, se fit couronner roi de Pologne en 1300.

L’union de presque toute la Pologne étant ainsi réalisée, Venceslasy introduisit le système financier tchèque et une organisation administrative centralisée, dont un officier nouveau, le starosta, constituait lerouage essentiel. Les troubles qui éclatèrent à ce moment en Hongrilui fournirent une nouvelle occasion d’intervenir dans un pays voisinse prévalant des droits de son fils mineur Venceslas à la successionarpadienne, il obtint pour lui la couronne de saint Étienne, achevanainsi de faire de l’État tchèque le centre d’un empire plus vaste encorque l’empire ébauché par son père. Mais cet empire n’était pas viablet il ne survécut pas à son fondateur. La mort de Venceslas II, au moi

de juin 1305, suivie un an plus tard (août 1306) de celle de son filVenceslas III, ouvrit une ère de nouveaux troubles, de rivalités entrles maisons de Habsbourg, et de Luxembourg, entre seigneurs laïqueet seigneurs ecclésiastiques, pour aboutir finalement à l’élévation deLuxembourg au trône royal de Bohême et à une violente réactioncontre les Tchèques, tant en Pologne qu’en Hongrie. p203

II. — Les nouvelles monarchies de Bohême,de Hongrie et de Pologne59

L’avènement de nouvelles dynasties en Bohême, en Hongrie et enPologne, fut pour l’Europe orientale l’origine d’une profonde transformation. La limitation du pouvoir royal, par suite de la reconnaissance du droit d’intervention d’assemblées délibérantes — conseil deseigneurs ou Parlement — et du développement des privilèges dclasses, ainsi que de l’autonomie provinciale, s’est trouvée poussée loin que bientôt toute la face de la société en devait être changée.

Bien qu’elle résulte de la politique des nouveaux rois, cette trans

formation ne provient pas d’une action réfléchie de leur part. Leur activité est d’ordre purement personnel ou dynastique. p204 Ils s’occupentnon pas des intérêts de leurs États ou de leurs nouveaux sujets, maide ceux de leurs enfants, de l’agrandissement de leurs domaines, dl’augmentation de leur influence et de leur autorité. Ce sont mêm






souvent de purs caprices, qui constituent le mobile de leur conduite Jean de Luxembourg, un chevalier errant à la recherche d’aventuresse laisse détourner des soins de l’administration, qu’il abandonne à se

fils, par des combinaisons politiques et des guerres inutiles en Italieen Prusse, en France, et il y gaspille les revenus de ses terres tchèqueAu contraire, son fils Charles IV, d’esprit plus réaliste, n’attache de prix qu’au développement de ses domaines et à l’accroissement de semoyens matériels. Empereur, il se détourne cependant des complications de la politique italienne ou germanique pour concentrer son activité sur ses nouvelles possessions héréditaires : il pense surtout à bieétablir ses enfants et à leur procurer des titres utiles à leur fortune future. Il est vrai qu’en garantissant ses propres terres, il augmente leressources et la puissance de son royaume. Tel est aussi, jusqu’à uncertain point, le cas de Louis le Grand de Hongrie : courageux et pers picace, d’esprit ingénieux, autoritaire et indépendant dans la guerre een politique, il vise à l’élargissement de toutes ses frontières ; maisfidèle à la tradition de la maison de Naples, il se laisse leurrer par deespoirs irréalisables en Italie méridionale, et, soucieux surtout dl’avenir incertain de ses filles, se montre prêt, pour le garantir, à sacrifier l’unité de son œuvre et même la primauté de la Hongrie parmi ledifférents royaumes qu’il possède. Par leur politique personnelle, cemonarques ont donné à leurs nouveaux États une grandeur et un écla

accrus encore par la civilisation qu’ils apportaient. Les Luxembourg eles Anjou ont remplacé dans les pays sur lesquels ils ont été appelés régner, l’influence germanique, si forte lors de leur avènement, par lculture latine. Ainsi la civilisation de leurs divers pays d’origine strouva recouverte d’un vernis emprunté à l’Italie, où soit ces princesoit leurs prédécesseurs avaient reçu leur éducation. Quant au derniePiast de Pologne, élevé à la cour de son beau-frère de Hongrie, econduit par l’exemple de son voisin de Bohême, il a contribué à acclimater sur la Vistule la même influence.

En Bohême, le roi Jean de Luxembourg (1310-1346) paya de privilèges successifs à ses sujets (1311, 1323, 1327) l’octroi des p205 subsi-des nécessaires à sa politique étrangère. Indifférent aux affaires tchèques, en vrai successeur d’Henri VII, il intervint surtout dans celles dl’Empire. Bien qu’entretenant avec la France des rapports amicaux, s’opposa, en 1323-1324, à la candidature française au trône impériasans être pour cela en meilleurs termes avec Louis de Bavière. C’es





cependant avec le concours de ce dernier qu’en 1330-1331 is’appropria les villes de la Lombardie ; il fit attribuer en 1336 une patie de la succession du Tirol à son fils Jean-Henri, qui en fut d’ailleur

chassé par sa femme Marguerite en 1341 ; et surtout, l’attitude délibérément hostile qu’il adopta envers Louis de Bavière valut en 1346 lcouronne impériale à son fils Charles, qu’il avait déjà chargé du gouvernement de la Bohême (1341). Enfin, après avoir d’abord gardé lneutralité dans la guerre franco-anglaise, il alla, on se le rappellemourir sur le champ de bataille de Crécy (1346).

Louis de Bavière mort (1347), Charles IV se trouva réunir toul’héritage impérial ; mais, vrai « père de la Bohême », il ne fut que l« beau-père de l’Empire ». Avec une grande clarté de vues, il fit de l

Bohême le noyau d’une nouvelle puissance territoriale qui s’étendadu Rhin aux frontières de la Pologne et de la Hongrie, et comprenades pays de langue allemande et de langue slave. Par la Bulle d’or, idonna à la Bohême une position exceptionnelle dans l’Empire, car en faisait le premier électorat laïc. Il lui procura ainsi une indépendance que couronnèrent, au point de vue religieux, la promotion del’évêché de Prague au rang d’archevêché (1344) et, dans l’ordre intelectuel, la création d’une Université dans sa capitale (1348). Cette indépendance reposait aussi sur ses économies personnelles, sur le développement matériel de son royaume et le rétablissement de l’ordre légal.

Sa puissance se serait accrue sans doute encore, si sa tendance à uabsolutisme modelé sur celui des Anjou de Naples et des Valois deFrance, et dont l’expression timide se trouve dans laMajestas Caroli-na, ne s’était heurté à l’opposition victorieuse des seigneurs de Bohême en 1355. Du moins, pas plus que son père, il ne perdit de vuel’expansion territoriale qui était de tradition dans la monarchie tchèque. Si la Bohême, sous les Luxembourg, doit renoncer à ses appétitsur la Pologne, du moins s’établit-elle définitivement sur la plus grande partie de la Silésie (1335-1339) ; elle avance avec autant de succèvers les deux Lusaces (1319-1346) et le Brandebourg (1373) p206 etétend même son pouvoir sur une partie du Mecklembourg (13741377). Charles préparait, de plus, l’extension future de son territoiregrâce aux alliances de famille qu’il concluait avec les Habsbourg, leAnjou de Hongrie et le roi de Pologne ; et, toujours positif, il traitaiavec les électeurs de l’Empire et ses propres vassaux pour caser se





enfants : en 1350, puis en 1376, pour donner la couronne impériale ecelle de son royaume à son aîné Venceslas, puis pour établir ses autrefils, Sigismond en Brandebourg et Jean à Görlitz, ou bien même enco

re pour leur réserver l’expectative de royaumes voisins. Enfin ce Latisur le trône de l’Empire sut faire de Prague une vraie capitale, à la foslave et européenne, en y attirant la jeunesse studieuse et en y réunissant quelques-uns des esprits les plus éminents de son époque. À smort (1378), la Bohême unie, organisée, opulente, en face de l’Empirdéchiré et affaibli, faisait figure de grand État. Mais cette mort devaouvrir, avec le règne de Venceslas, une époque de crise pour la Bohême et pour l’Empire tout entier.

L’histoire de la Hongrie présente une évolution parallèle. Les premiers Anjou, Charles Martel et Charles-Robert, venus du midi, obtinrent la couronne après de longues luttes. Charles-Robert surtout passtoute sa vie à combattre les seigneurs hongrois. Pourtant, élu par ldiète à Rahosy, il dut parfois recourir à leur aide, sous la pression denécessités militaires.

C’est le moment où une noblesse de bannière, seigneurs laïcs e prélats, appelés à commander leurs propres troupes, vient de se consttuer définitivement. Il y a désormais une distinction nette entre le« magnats » et tous les autres nobles, l’ordo equestris, les nobilesunius possessionisou nobiles taxati, — tous « nobles possessionnés »,mais de maigre fortune, englobés par le service militaire dans les cadres de l’organisation comtale (les « comitats »), et soumis directement au commandement royal — ou bien les familiareset jobagionesexercituantesqui, sous le nom denobiles praediales, garnissent lesrangs des armées seigneuriales. En principe, la différence entre le« États » disparaît, et Louis le Grand (1342-1382) proclame à la diètde 1351, la dernière de son règne, que « les nobles du royaume doi

vent tous jouir de la même liberté ». D’ailleurs, on limite, au nom dmême principe, la liberté des successions, pour conserver une fort base terrienne au service militaire ; et l’on p207 s’arrange pour éliminer l’élément parlementaire de la vie publique du royaume. Mais bien qula « sainte couronne du royaume de Hongrie » comprenne conjointement le roi et les États, Louis est déjà un roi absolu. Il gouverne sanla diète ; il s’appuie uniquement sur ses serviteurs, dont il fait ses mi





nistres ou qui sont placés à la tête des « comitats », dans lesquels toutla vie publique du pays se concentre.

Le roi angevin de Hongrie dispose d’une immense puissance politique qu’il met tout entière au service de ses ambitions dynastiquesSes moyens d’action sont presque modernes : il a de nombreuses armées, composées de troupes dites « de bannière », levées sur ses domaines, sur ceux de sa famille ou ceux de ses vassaux, des troupes decomitats et de mercenaires. Grande est l’autorité qu’il exerce sur l pays, non seulement grâce à l’indépendance que lui valent le rétablissement de ses finances, le redressement du florin et les larges ressouces dont il dispose, mais aussi et surtout grâce à la soumission volontaire qu’entraîne son prestige. La cour un peu raide de Charles-Rober

avec sa sévère étiquette, est transférée désormais à Bude, qui devienla capitale brillante d’un grand État. C’est, sous Louis, le centre dtoute la vie politique et de la civilisation italo-hongroise. Cette couriante, gouvernée plus ou moins ouvertement par la reine-mère de Pologne et par son parti, est le point de ralliement de la nouvelle aristocratie, issue de familles moyennes, ou composée d’étrangers élevéaux premiers rangs par les Anjou ; c’est elle qui attire les nobles dvieille souche, réconciliés avec la jeune dynastie ou domptés par ellec’est elle qui réunit les monarques alliés avides de divertissements eles petits princes des alentours, en quête d’une carrière brillante, oenfin les enfants des familles régnantes voisines (Habsbourg, Luxem bourg, Bosniaques et autres), qu’on envoie en Hongrie s’imprégner dla civilisation nouvelle.

Selon la tradition paternelle, le roi s’occupe surtout de problèmeextérieurs. En rivalité avec les deux familles, d’ailleurs ennemiesd’Autriche et de Bohême, il tâche d’éviter les conflits déclarés : tou jours prêt à secourir l’une contre l’autre, il appuie la maison deHabsbourg contre la puissance grandissante de l’empereur. Mais s politique vise souvent des buts plus lointains. Fidèle aux intérêts de smaison, il intervient dans les affaires de Naples : lorsque son frèrAndré est assassiné par la reine Jeanne, il part à la conquête de croyaume (1347-1348), p208mais, privé du concours du pape et de soncousin de France, doit abandonner ses projets après une seconde ex pédition (1350). Plus près de la Hongrie, il intervient en faveur de Zara contre Venise, engage contre la république une lutte acharnée, eten plusieurs campagnes (1348, 1356-1358, 1378-1381), s’appropri





toute la côte dalmate, soumettant la « Seigneurie » à un tribut. Ce brillants résultats sont obtenus grâce à sa diplomatie habile chez le princes serbes des Balkans, où il se fait de nombreux alliés, grâce aus

si à la rivalité toujours aiguë entre Habsbourg et Luxembourg. Enfinil ne perd jamais de vue la succession de Pologne. Il n’épargne ni démarches diplomatiques, ni argent, ni concours militaire ; il aide Casmir à conquérir le Halicz, le soutient dans sa lutte contre la Lituanierenonce même à ses projets balkaniques, afin d’acquérir, puis conserver à ses successeurs la couronne polonaise.

Lorsqu’il mourut en 1382, il laissait un vaste empire qui s’étendaide la Basse Vistule aux Balkans : de nombreux pactes de famille aveles Habsbourg et les Luxembourg devaient assurer l’avenir de se

deux filles, Marie et Hedvige. Car la Pologne, maintenant passée à lmaison d’Anjou, avait pu se ressaisir et se regrouper sous les dernierPiast. C’est grâce à eux que se prépara l’empire jagellonien qui, ausiècle suivant, devait dominer l’Europe orientale.

Au début duXIVe siècle, Ladislas le Bref, après de longues annéesde lutte ou d’attente, avait renversé le régime tchèque (1306 ) et reconquis toute la Pologne, mais pour subir aussitôt de nouveaux assauts de la part de tous ceux qui visaient à la dislocation de l’ÉtatL’élément germanique, qui sous les Př emyslides s’était enraciné dansles villes et dans le clergé de Pologne, plus favorable à une candidature silésienne, s’était opposé au gouvernement d’un prince que soutenait la moyenne noblesse, purement polonaise. Après avoir triomphde révoltes à Cracovie (1311-1312), soumis les villes de la GrandPologne, les couvents et l’épiscopat, Ladislas entreprit une œuvre drestauration. Couronné roi de Pologne en 1320, reconnu par le pape e1321, il s’attacha dès lors à repousser l’Ordre teutonique et à reconsttuer, dans de plus vastes frontières, l’unité de son royaume. Menac

par Jean de Luxembourg, en guerre avec le Brandebourg et l’Ordrteutonique (1326-1327, 1330, 1332), il dut reconnaître à ce dernier se possessions et admettre la suzeraineté tchèque sur une grande partide la Silésie, p209ainsi que le relâchement des liens de la Mazovie avecla Pologne. Il n’en laissa pas moins, à la fin de son règne, une Polognde nouveau unifiée territorialement.





Son fils, Casimir le Grand (1333-1370), quoique de tempéramen peu guerrier, fut un politique habile, un prince cultivé, conscient dson rôle de roi et du prestige qu’il pouvait exercer. Par des conces

sions temporaires, mais sans jamais abdiquer, il affermit sa frontièroccidentale et, par l’acquisition de provinces à l’est, ouvrit aux Polonais un nouveau champ d’expansion. Il réprima sévèrement le désordre, institua des tribunaux réguliers, donna enfin à la paix intérieurdes bases juridiques en promulguant une série de textes législatifqu’on nomme lesStatuts de Casimir le Grand . S’appuyant sur les re- présentants de nouvelles familles nobiliaires de la Petite Pologne esur un clergé formé dans les Universités d’Italie et de France, il procéda à l’unification du système financier, à l’établissement d’un marché national, à la création de nombreuses villes privilégiées, centrede commerce et d’industrie, toutes soumises à un tribunal suprêmequ’il établit à Cracovie ; il fit construire des routes, des ponts et dechâteaux. Il élargit les cadres de l’organisation ecclésiastique catholique en y englobant la Galicie, rétablit la hiérarchie de l’église orthodoxe, protégea les arts et les sciences, fonda, à l’instar de celle de Bologne, l’Université de Cracovie (1364). L’ordre social, fondé sur lrépression des soulèvements de la haute noblesse, surtout en GrandPologne, et sur une définition plus précise des charges des paysans edes droits des commerçants, Juifs inclus ; l’ordre politique, reposan

sur une administration régulière et un service militaire réorganisé, valurent à la Pologne un équilibre interne qui permit au roi de s’assurer l’extérieur une situation très forte.

Son œuvre, de ce point de vue, est remarquable. Il avait toujours craindre les ambitions tchèques, représentées par les Luxembourg, ela puissance de l’Ordre teutonique le mit dans la nécessité d’accepteun compromis en 1343 et de renoncer provisoirement à toute expansion vers la Baltique. Mais son activité conquérante trouva à s’utiliseailleurs : c’est vers le nord, en Lituanie, vers l’est, en Ruthénie, qu’

porte ses regards. C’est pour atteindre ces buts qu’il s’allie avec lHongrie et que, dès 1335, il prépare l’accession des Anjou à la couronne polonaise, par l’intermédiaire de sa sœur, la mère de Louis lGrand, en même temps qu’il fait des concessions p210à la noblesse po-lonaise. Il est à l’apogée de sa puissance en 1364. Il réunit alors à Cracovie, sur l’invitation du pape, une conférence où assistentl’empereur, les rois de Hongrie, de Chypre et de Danemark, les prin







croissante de Moscou. Bien que le catholicisme romain et la religioorthodoxe, venus l’un de Pologne et l’autre de Ruthénie, y fassenalors leur apparition, la Lituanie reste le dernier pays païen de

l’Europe. Dépourvue de système fixe de succession, toujours à lmerci de luttes entre prétendants, elle doit chercher à l’extérieur dealliances durables. Son union avec l’archevêché de Riga ne fut qutemporaire. L’intervention des seigneurs polonais fut plus fructueuseelle allait permettre de former un front unique contre l’Ordre teutonque. Ce devait être l’œuvre de Jagellon, qui devint duc de Lituanie e1377 ; après avoir soumis ses frères et ses oncles, battu son cousin Vitold, qui fut réduit à se mettre sous la protection des Teutoniques, iallait se faire chrétien et, épousant la reine Hedvige de Polognes’assurer la couronne polonaise et prendre rang de prince européen.

Ainsi, vers 1380, les trois grands royaumes de Bohême, de Hongrie et de Pologne, étaient arrivés, sous des dynasties étrangères, consolider leur organisation, à se civiliser, enfin à acquérir une vérita ble conscience nationale.

III. — L’empire serbe d’Étienne Dušan60 Parmi les peuples slaves qui se partagent la péninsule des Balkans

les Bulgares ne peuvent plus prétendre à un rôle de premier plan. Runés par l’invasion tatare, ils ne conservent p212 leur indépendance quegrâce à l’incurable faiblesse de Byzance. Par moments même, lechefs tatars de la Russie méridionale veulent exercer des droits de suzeraineté sur leur pays. Au sud, les Grecs menacent leurs frontièresreprennent pied en Thrace et font reculer leurs avant-postes sur la Maritza. Au nord, deux principautés indépendantes se forment dans l plaine du bas Danube, celles de Moldavie et de Valachie, qui empêchent toute expansion de ce côté. En outre, des dissensions intérieured’interminables querelles de succession, ébranlent l’unité du peupl bulgare. Dans l’ouest, autour de Vidin, se forme une principauté indé pendante avec le prince (knez) Chichman ; le prince de Bulgarie orien-tale, installé à Trnovo, garde le titre d’empereur (tsar ), mais son auto-rité est fort diminuée, car d’autres s’affranchissent sur les bords dDanube et en Dobroudja, où règne Dobrotich. Malgré l’autonomie d






l’Église bulgare, les crises religieuses compliquent encore la situation : déjà sous Georges Terteri Ier , puis sous son fils Théodore Svat-slav (1295-1322), et sous Georges Terteri II (1322-1323), la Bulgari

se laisse entraîner dans l’orbite de ses voisins plus puissants et devienle jouet des intrigues politiques nouées à Byzance ou en Serbie.

Les Serbes, plus nombreux, plus actifs, avaient conservé, sous lesouverains de la dynastie de Némania, une unité politique relativeSans doute la région occidentale, au delà p213 de la Drina, avec la Za-chloumie (le pays riverain de l’Adriatique entre Raguse et la Narentaformait la principauté indépendante de Bosnie où de grandes famillestelles que les Kotromanić, les Šubić, et d’autres, se disputaient le pou-voir : plus tard, les Kotromanić y prendront le titre de rois. Mais la

situation politique était favorable aux Serbes : Venise les protégeaicontre la Hongrie et les poussait contre Byzance, pensant ainsi détourner leurs regards de la Dalmatie, où elle-même voulait se maintenir. Attirés par l’appât d’une facile conquête, les rois de Serbie semontrent actifs dès la fin duXIIIe siècle : ils sortent de l’ombre avecÉtienne Uroš Ier Dragutin, mort en 1276. Vers 1282, des dissensionséclatent dans la famille royale, et tandis qu’Uroš Ier reste jusqu’à samort (1316) maître de la Serbie du nord, client de la Hongrie et dVenise, donc ouvert aux influences occidentales, son fils Uroš II Milutin (1282-1321), installé dans le sud, convoite déjà l’héritage byzantin. Il s’allie par un mariage au tsar de Bulgarie (1284), profite dedifficultés créées aux Paléologue par Charles d’Anjou pour prendrSkoplje, dont il fait sa résidence, et conquérir la haute vallée du Vardar ; il soutient la résistance des Épirotes et des Thessaliens contrl’empereur Michel VIII, qui succombe à cette tâche épuisante (1282Il profite aussi de l’affaiblissement des Bulgares pour s’emparer dVidin et rabaisser le prince bulgare, Chichman, à la condition de vassal. Andronic II, accaparé par la défense de l’empire de Nicée, doilaisser les mains libres aux Serbes de Macédoine, s’allier même à M

lutin et lui accorder en mariage sa fille Simonide. Grâce à la faiblessde ses voisins, un personnage aussi mince que Milutin fait figure dgrand conquérant, et, en 1319, peut se proclamer souverain « dl’Adriatique au Danube ». Mais toutes ses conquêtes demeurent précaires. Sa mort, en octobre 1321, est le signal d’une première crise qumet en danger les résultats acquis. Un de ses fils, Constantin, prend’abord le pouvoir, que lui dispute aussitôt un fils de Dragutin, Vladi









nouveau tsar, Uroš V (1355-1371), ne put en maintenir l’unité. Danle sud, les gouverneurs de la Macédoine se rendirent indépendants : ldespote de Prizren Vukašin prit le titre de roi (1366) et abandonna l

région de Sérès à son frère, le despote Ugljéša. Dans le nord, d’autrechefs locaux rejetèrent l’autorité centrale, si bien qu’Uroš V n’eut plule contrôle que d’une faible région dans la vallée de la Morava. L particularisme de ces princes accéléra leur p216 ruine ; ceux du nordassistèrent indifférents à l’invasion ottomane dans la Thrace ; seulVukašin et Ugljéša coururent au secours de leurs voisins bulgaresmais ils furent défaits et tués sur les bords de la Maritza (1371), et lMacédoine passa sous la domination turque. En Serbie septentrionalel’anarchie s’accrut après la mort d’Uroš V (1371) ; un prince de la région, Lazare, saisit le pouvoir et se débarrassa de ses compétiteur(1372). Mais il était si faible qu’il n’osa même pas se parer du titrroyal et se contenta de celui, plus modeste, de prince. Il fut le derniehéros de l’indépendance serbe ; ce fut lui qui, dans un sursaud’énergie, marcha contre les Ottomans, en 1389, pour aller glorieusement se faire battre et tuer dans la plaine de Kosovo.

Il n’eut pas de successeur : l’éphémère empire serbe du moyen âgavait vécu.

IV. — La Russie et la Ruthénie62

Depuis le milieu duXIIIe siècle, toute la plaine russo-ruthène était passée sous le joug mongol et s’était trouvée englobée dans le domane de la Horde d’Or. Les lieutenants de la Horde ou « bassequaques étaient dispersés, avec leurs troupes, dans les vastes régions placéesous leur contrôle. À la cour p217du khan, des fonctionnaires spéciaux,les « darougues », dirigeaient la levée des tributs imposés à la population russe et par des « envoyés » transmettaient leurs ordres aux princes. Les Mongols avaient massacré des milliers d’hommes, ils avaiendétruit le bien-être de populations nombreuses, mais ils n’avaient pachangé l’aspect d’ensemble de la Russie, quoique le contact des insttutions et de la vie mongoles, joint aux nombreux mariages entre lefamilles princières russes et celles des bassequaques, eussent marqu










dimir, qu’ils négligent complètement ; ou bien des ducs créent à leu profit de nouvelles dignités grand-ducales dans leurs domaines respectifs (Tver, Riazan, Moscou). Les différends entre cousins ou frère

sont soumis au khan mongol ; les princes font de continuels voyage pour aller se disputer en sa présence, intriguer auprès de lui et de seserviteurs. Ils ne reculent devant aucun moyen, même pas devant lmeurtre, pour se débarrasser des rivaux qui les gênent. Aussi l’unitde la Russie septentrionale se perd-elle. Elle est remplacée ou par lsujétion à laquelle chaque duc tour à tour réduit ses rivaux, ou par usystème de traités qui les mettent souvent au service les uns des autres. À l’intérieur des divers duchés, on assiste à une évolution parallèle. Les ducs sont entourés par toute une classe d’« hommes qui servent », de boïars qui ont leurs propres biens ou en reçoivent en fief d prince, comme paiement de leurs services, et qui forment ses conseilquand ils ne gouvernent pas en son nom. Au-dessous sont les « serviteurs » ou « fils des boïars ». Enfin, les « taillables », les marchands eles hommes « noirs » ou paysans forment la classe la plus basse de lsociété, sont corvéables à merci et soumis à tous les impôts. Au courdes luttes continuelles entre princes, les boïars gagnent p220en force, etce sont eux qui décident du succès des rivaux. Le seul trait d’unionentre les principautés russes est la domination commune des TatarsSous leur protection, les plus riches, les plus rusés et les moins scru

puleux l’emportent : c’est ainsi que vers le commencement duXIVe

siècle, les ducs de Tver et ceux de Moscou occupent les première places.

C’est un problème particulièrement intéressant que celui des origines du duché de Moscou. Moscou n’apparaît pas comme duché distinct avant 1263 ; il est alors l’apanage d’un fils mineur d’Alexandr Nevski, Daniel. Or, un siècle plus tard, il est déjà la puissance prépondérante de la Russie transylvaine. Pourtant, tous les princes de Moscou étaient des gens médiocres ou des enfants mineurs, dont l’activit

personnelle ne joua aucun rôle. Mais la petite ville de Moscou sur lMoskva, cachée dans un coin des forêts sur les confins lointains dcette partie de la Russie, qu’atteignirent à peine quelques invasiontatares (par exemple en 1293), se trouvait au point de rencontre deroutes venant de Novgorod, du bassin de la Volga, de Smolensk et dTchernigov. De plus, ses ducs, dès Daniel (1263-1303) et son filsGeorges, mais surtout à partir d’Ivan Kalita (1328-1341), le moin





scrupuleux de tous, ou même les boïars qui exercèrent la régence lordes minorités surent avoir et suivre avec constance une politique donle but était triple : élargir leurs territoires — et ils s’y appliquèrent pa

la violence, la ruse ou la corruption, surtout aux dépens de Tver et dRiazan ; cultiver l’amitié des Tatars — ceux-ci ont toujours favorisles ducs de Moscou, leur ont procuré la possession et le titre grandducal de Vladimir, et leur ont assuré de nombreuses années de pai(1328-1368) ; enfin réaliser l’union de l’église orthodoxe et de Moscou qui, à la mort du patriarche Pierre (1326), enleva son siège patriarcal à Kiev et devint ainsi le centre religieux de la Russie. Les ducde Moscou ne changèrent rien au système de succession en vigueur mais les aînés reçurent toujours le plus gros lot, avec le grand-duchde Vladimir ; et, en outre, tous les autres ducs acceptèrent de restegroupés sous la suzeraineté de l’aîné.

La stabilité de la situation intérieure avait, dès le milieu duXIVe siècle, attiré vers Moscou les sympathies des populations voisines e permis aux Moscovites d’étendre déjà fort loin, tant au nord qu’l’ouest, leur champ d’influence, quand parut celui qui allait être l premier de leurs grands princes, le duc Dmitri Donskoï (1359-1389D’un courage intrépide, p221 d’une audace que seule égalait sa fermeintelligence politique, il fut le premier « rassembleur de toute la Russie » sur le trône moscovite. Il y fut aidé par la pureté de son orthodoxie, qui lui valut l’appui du patriarche et du nouveau centre religieux, le couvent de la Sainte-Trinité, la future Troitzko-Sergueievskaia Lavra. C’est au nom de cette orthodoxie qu’il combatit le duc Michel de Tver, déshonoré aux yeux des fidèles par son alliance avec les païens de Vilno. La lutte, commencée en 1367, dur jusqu’en 1375 ; elle amena plusieurs fois sous Moscou les troupes ltuaniennes, russes et même polonaises ; puis, après l’apogée de l puissance lituanienne (1372), elle finit par la victoire de Dmitri, qudans cette guerre, fut le chef de toute la Russie transylvaine et le

commandant des forces armées de Novgorod. Michel, vaincu, devinson vassal, un vassal qui n’attendait d’ailleurs qu’un moment propic pour se soustraire à l’autorité du « frère aîné ». Dmitri réussit aussi imposer sa suzeraineté aux princes de Rostov et Riazan ; profitant deluttes intestines dans la famille de Jagellon, il envahit le duché deSiewier, au nord-ouest de Cracovie ; enfin il soumit même un momen Novgorod.





Le duc de Moscou fit plus : il osa le premier défendre la Russiecontre les Tatars. La Horde d’Or était en décomposition ; plusieurkhans rivaux se combattaient avec acharnement ; les hordes semi

indépendantes qui erraient dans les plaines allaient se multipliant. L prestige des Mongols était ruiné. À partir de 1371, on ne voit plus d princes russes se rendre à la cour de Saraï ; ils cessent de payer le tr but. Les troupes tatares errantes attaquent et ruinent les territoires ruses de l’Oka. Mais Dmitri résiste à l’invasion de 1373 ; à partir d1376, il marche même dans la direction de Kazan : pour la premièrfois des princes tatars paient tribut aux Russes. Il s’avance ensuitvers la vallée de la Soura, et remporte en 1378 une première victoirsur les armées de Mamaï, devenu khan de la Horde d’Or : une rencontre décisive se prépare ; Mamaï rassemble ses forces, se met erapports avec les princes de Riazan, conclut une alliance avec Jagellon, puis attaque. Dmitri fait front avec des troupes considérables, een septembre 1380, engage la grande bataille de Koulikovo, auconfluent de la Népriadva et du Don. De part et d’autre, les pertes sonimmenses, mais Mamaï bat en retraite, et la Russie saignante triomph pour la première fois. Une conscience nationale vient d’y naître. Sandoute, ce p222 triomphe ne fut pas de longue durée. Après la chute deMamaï, renversé par Tokhtamich, qui devient suzerain de toutes lehordes d’Occident, une nouvelle vague d’invasion mongole monte

en 1382, Moscou est pris, brûlé et détruit ; les ducs russes font leusoumission, les tributs sont levés de nouveau. Mais la restauration dla puissance tatare est éphémère par suite de la croissante décompostion de la Horde. Et Dmitri, qui meurt peu après, à trente-neuf ansillustré par la grande victoire de Koulikovo, à laquelle il doit son surnom de Donskoï (vainqueur du Don), laisse à ses successeurs unroyaume déjà solide et glorieux.

L’année 1380 n’est pas une limite dans l’évolution de l’Europeorientale ; mais à cette époque plusieurs événements surviennent quvont amener des changements décisifs : en 1378 meurt l’empereuCharles IV, l’année 1380 est marquée par la grande victoire des Russes sur les Tatars, en 1382 les successions hongroise et polonaises’ouvrent, en même temps que l’Ordre teutonique commence à dominer la Lituanie, et en 1389 dans la plaine de Kosovo le sort des Balkans est réglé. L’Europe orientale se trouve donc, malgré tout, à un

















commerce et la navigation des Allemands non seulement s’étaiensubstitués dans ces régions à ceux des Suédois et des Norvégiensmais avaient acquis en Scandinavie même, tant à l’est qu’à l’ouest, d

solides points d’appui, tels que Stockholm et Bergen.La situation prépondérante prise par le commerce germanique dan

la mer Baltique n’était en somme qu’une conséquence de l’évolutio plus avancée de l’Allemagne occidentale. Dès leXIe siècle, les villesrhénanes entretenaient avec les Pays-Bas et l’Angleterre des rapportéconomiques de plus en plus actifs. AuXIIe siècle, les marchands deCologne avaient obtenu à Londres le droit de former une associatiocommerciale connue sous le nom de « hanse » et dans laquelle ilavaient bientôt accueilli leurs compatriotes d’autres villes. Naturelle

ment, dès que la Baltique avait été ouverte, ils s’étaient orientés verelle : l’île de Gotland était, dès le début duXIIIe siècle, le centre d’unecorporation marchande constituée par des représentants tout à la foides villes riveraines de la mer du Nord et des villes riveraines de lBaltique. Et, réciproquement, celles-ci s’étaient orientées à leur touvers l’Angleterre et la Flandre : en 1226, l’empereur Frédéric II avaconféré aux gens de Lübeck le droit de trafiquer en Angleterre sanavoir à payer de redevances aux Colonais ; en 1252, un comptoir allemand avait été fondé à Bruges sur l’initiative commune des bourgeois de Lübeck et de ceux de Hambourg, représentant l’ensemble demarchands de l’« Empire ». Mais, peu après, la confédération des viles s’était substituée à celle des marchands ; dans le courant duXIIIe siècle, les accords et les conventions se multiplient entre elles, si biequ’en fait, la « hanse allemande » (dudesche hense), unissant en uneligue puissante les villes de la mer Baltique et de la mer du Nordexiste dès cette époque, quoiqu’il faille descendre jusqu’en 1358 pouen trouver la première mention officielle.

Au sein de cette hanse, c’est non pas Cologne, l’ancienne p225 mé-tropole commerciale de l’Allemagne, mais Lübeck qui va jouer le rôl principal, comme on verra beaucoup plus tard, dans les temps modenes, la jeune Prusse substituer dans l’Empire son hégémonie à celle dl’ancienne Autriche. En fait, placée à l’ouest devant la concurrence d pays de culture plus avancée, la Hanse se soutenait essentiellemen par le monopole du commerce qu’elle entretenait avec les régions slaves et par l’importation de leurs produits en Angleterre et aux Pays









au profit d’Anvers, le grand centre d’affaires international del’Europe. Le port intérieur et son avant-port de Damme, donl’ensablement commence à se manifester dès cette époque, ne suffi

sent plus à recevoir tous les navires qui se dirigent vers eux. Les plu profonds s’arrêtent maintenant aux quais aménagés le long du golfdu Zwijn, à Monikerede, à Hoek, à l’Écluse surtout, en vue des fameuses digues immortalisées par Dante dans la Divine Comédie. Maisc’est dans la ville même que se concentrent les étrangers qui s’yadonnent à la fois au trafic des marchandises et aux opérations dchange et de banque.

Parmi eux, les Italiens sont, sinon les plus nombreux, en tous cales plus influents par l’importance de leurs affaires et de leurs capi

taux. Et la prépondérance qu’ils exercent n’est que la répercussionnaturelle de l’hégémonie économique de l’Italie. Elle est aussi incontestable que devait l’être auXIXe siècle celle de l’Angleterre, et ellecontraste singulièrement avec l’anarchie politique de la péninsuleC’est qu’on est encore bien loin du moment où les grands États slanceront dans la voie du p228 mercantilisme. Malgré une puissance,somme toute assez médiocre, Venise et Gênes, favorisées par leur situation géographique et l’avance qu’elles ont prise sur les contréecontinentales dans la technique du commerce et du crédit, ont pu noseulement conserver mais développer une maîtrise que personne nsonge encore à leur disputer. Dans le courant duXIVe siècle, elles sesont à peu près débarrassées de la concurrence des marins provençauet catalans, réduits à une navigation de second ordre. Elles possèdenle monopole du trafic entre l’Orient et l’Occident, grâce aux comptoirs qu’elles ont établis durant les croisades dans le Levant. Venisrègne sur toutes les côtes de l’Adriatique ; ses marchands sont tout puissants à Péra, ils ont des établissements en Épire, en Acarnanie, eÉtolie, dans le Péloponnèse, dans les îles Ioniennes, en Crète, et paSidon et Tyr maintiennent la Syrie sous leur influence. Quant aux Gé

nois, leur aire d’expansion s’étend à Antioche, à Laodicée, à Césaréeà Jérusalem, à Saint-Jean-d’Acre, à Tripoli, aux îles de Chypre, dChio, de Samos, de Panagia, etc., enfin aux rives de la mer Noire.

Venise et Gênes, avec une habileté et une énergie également admirables, drainent et font affluer vers elles tout le mouvement commercial qui de la Chine, de la Perse, de l’Inde, de l’Asie antérieure et dl’Arabie, aboutit aux bords orientaux de la Méditerranée : soieries





parfums, tissus précieux, et surtout ces épices de tout genre dont lcommerce leur assure des bénéfices incomparablement supérieurs ceux de tout autre trafic. La conquête mongole, en transforman

l’Asie, a plutôt stimulé qu’affaibli leur ardeur et accru leur champd’opérations. Du fond de la Chine, les précieuses denrées affluenmaintenant par le Turkestan, sur les marchés de Trébizonde, de Crimée, de Perse ; et celles qui empruntent les routes de mer se détournent en partie de l’Égypte, où elles arrivaient naguère par Aden et lmer Rouge, pour être déchargées désormais à Ormuz, sur le golfe Persique ; de là, elles sont jetées ensuite directement sur les marchés dTabriz et de Sultanieh. Partout, Venise et Gênes vont sur place poules accaparer. En Crimée, les Génois ont, dès la fin duXIIIe siècle, oc-cupé Caffa, bientôt concurrencés par les Vénitiens de Soldaia. Lcomptoir génois prospère rapidement ; la république fonde une administration spéciale, l’officium Gazariae, ou bureau de Crimée, chargéedu contrôle du commerce de la mer Noire. Les produits russes (poisson salé, blé, fourrures et cuirs) ou chinois (soies et épices) sont ex portés p229 de Caffa vers l’Europe. Profitant même de la décadencemongole en Russie méridionale, les Génois étendent leur dominatioen Crimée, occupent Soldaia et Balaklava en 1365. Même infiltratioen Perse ; ils ont des résidents à Tabriz, tandis que les Vénitiensconcluent un traité de commerce avec le khan Abou-Saïd (1320) e

installent un consul dans le grand marché de l’Iran (1324). Grâce auénormes profits qu’elles réalisent de cette manière, Venise et Gênedisposent de capitaux par lesquels s’explique la place qu’elles se sonfaite dans le monde et qui paraît tout d’abord disproportionnée à leuforce. Mais elles sont indispensables comme intermédiaires entrl’Europe et l’Asie. Leur richesse est, à tout prendre, la récompense deservices qu’elles rendent et de l’ingéniosité qu’elles déploient dans leaffaires. C’est à elles que l’on doit le perfectionnement des instruments du crédit ; elles ont inventé la lettre de change, développé le prêt maritime, donné l’essor aux institutions de banque. La spéculation joue déjà un rôle important dans leurs affaires. À Venise, dans lcourant duXIVe siècle, on estime que quatre-vingt-seize banques sur cent trois ont sombré dans la faillite.

Les puissants foyers commerciaux qu’étaient Venise et Gênes onnaturellement de très bonne heure rayonné sur tous leurs alentours esuscité dans l’Italie continentale une prospérité sans exemple. L





Lombardie, et mieux encore la Toscane, en ont profité plus qu’aucunautre région. Florence, grâce à sa draperie, devient le centre industriele plus important qui soit au sud des Alpes. Mais c’est surtout par l

commerce de l’argent que les Italiens se sont imposés à l’Europe ultramontaine. On a déjà vu que, dès la fin duXIIIe siècle, ils se sontsubstitués presque partout aux prêteurs locaux, moins bien fournis dcapitaux, et moins habiles que leurs heureux concurrents. Les « Cahorsins » qui rivalisent un moment avec eux ne peuvent, à la longueleur disputer la place. AuXIVe siècle, on ne trouve plus guère de ban-quier qui ne soit italien, de sorte que le mot Lombard devient synonyme de prêteur d’argent. Ce n’est pourtant pas en Lombardie, c’est Sienne et plus encore à Florence que se rencontrent les financiers le plus puissants : les Bardi, les Peruzzi, les Acoiaiuoli, les Alberti, auxquels les Médicis succéderont auXVe siècle. Ils sont engagés soit di-rectement, soit par les « facteurs » qu’ils entretiennent à Paris, à Londres, à Bruges, à Avignon, dans des opérations de toute nature. Ilservent de banquiers à la papauté et fournissent aux p230 emprunts desrois, des princes et des villes. On les voit aussi prendre à ferme, eAngleterre et en France, la frappe des monnaies et la perception deimpôts. L’étendue de leurs affaires et la hardiesse de leurs opérationsemblent d’ailleurs avoir été prématurées. Au milieu duXIVe siècle,les Bardi, les Peruzzi et les Acciaiuoli furent déclarés en faillite, et

faudra attendre environ cent ans avant de retrouver, chez les Médicisun essor financier comparable au leur.

La supériorité écrasante de la marine et des méthodes commerciales des Italiens a fini par entraîner le déclin des foires de Champagnedéjà manifeste dans les premières années duXIVe siècle. Il n’est plus besoin, désormais, de ce rendez-vous continental entre marchands dnord et du midi. D’ailleurs les troubles et les guerres qui désolent lFrance sous les premiers Valois augmentent l’insécurité de la grandroute terrestre, qui, de Bruges à l’Italie, était jadis jalonnée par un

ligne de places d’échanges, de marchés, d’entrepôts et de banquesTroyes, Provins, Lagny périclitent ; les compagnies de routiers qudétroussent les voyageurs, arrêtent les commerçants, et mettent à rançon tous ceux qu’elles rencontrent, accélèrent cette décadence. Leuhardiesse n’a pas de bornes : lorsque Jean le Bon s’en va rendre visit





au pape à Avignon66 en 1362, il faut prendre des précautions minu-tieuses pour protéger le cortège royal. Aussi les voies commercialede terre sont-elles rapidement abandonnées ; la mer, malgré ses dan

gers et ses lenteurs, est plus sûre. Les navires cinglent maintenant directement à travers le détroit de Gibraltar vers la France du nord. Entre les deux groupes maritimes européens, celui de la Méditerranée ecelui de la Baltique, l’Océan commence à jouer un rôle de liaison d premier ordre. Bientôt la rivalité politique de la France et dl’Angleterre va les amener à se disputer le contrôle de cette voiecommerciale de plus en plus suivie ; contrôle d’autant plus essentie pour les deux pays que des intérêts complexes s’y trouvent engagéCar, à côté du commerce de transit inauguré par les Italiens, un mouvement plus local d’échanges vient augmenter le trafic océanique. Lemarins bordelais et anglais, faisant concurrence à ceux du Portugal ede la Biscaye, s’en vont chercher les vins en Guyenne, le sel en Aunis ; après escale en Bretagne, ils apparaissent dans la Manche, se drigent vers Londres, Bruges et même la Norvège p231d’où ils rapporte-ront un fret productif : le bois Scandinave, le hareng fumé des merseptentrionales, le blé ou la laine d’Angleterre. Un Édouard IIIconquérant avisé, est le premier à saisir l’importance de ce mouvement : il lui faut régner sur Bordeaux comme sur La Rochelle, il lufaut contrôler la Bretagne. Contre cet impérialisme maritime, Charle

V est prompt à la riposte ; l’alliance avec les Trastamare lui fournil’inappréciable appoint de la marine castillane ; les marchands de lBiscaye concurrencent ceux de Bristol et de Londres.

Malgré ces luttes, et peut-être à cause d’elles, les marines génoiset vénitienne, à côté desquelles la marine catalane essaie de se glissetrouvent dans l’Atlantique des possibilités nouvelles d’expansionD’autre part, le perfectionnement de la technique commerciale permeaux maisons italiennes de placer des « facteurs » correspondant directement avec elles dans tous les centres d’affaires. La Compagnie de

Peruzzi, par exemple, en a cent cinquante dispersés dans le mondentier. Malgré le secret dont ils s’enveloppent, ils suscitent naturellement l’imitation autour d’eux et quoique assez lentement,l’organisation commerciale des pays du nord se transforme sous leuinfluence.

66 Voir plus haut, p. 146.





L’Allemagne du sud, grâce à la proximité de Venise, commence à participer activement au mouvement économique dans lequel elle été distancée jusqu’alors par la Hanse et les régions rhénanes. Ulm

Augsbourg, Nuremberg deviennent les intermédiaires entre le gran port de l’Adriatique, où le « Comptoir des Allemands » ( Fondaco deiTedeschi) prend une importance croissante, et les villes maritimes dunord. La ligue souabe, malgré sa faiblesse politique, dirige et contrôltout le mouvement commercial de la région. La Bohême et la Polognsont atteintes à leur tour par la pénétration grandissante du trafic danl’Europe continentale. Il suffit de songer ici au magnifique dévelop pement de Prague sous Charles IV de Luxembourg.

Ainsi, entre ses deux mers intérieures, l’Europe ressent de plus e

plus l’action vivifiante qui s’exerçait depuis longtemps déjà à sa pér phérie. Une circulation générale s’établit entre toutes ses parties et leunit en une communauté qui les rend solidaires les unes des autres. Ldiffusion de l’épidémie de peste noire qui, entre 1347 et 1350n’épargna aucune région, suffirait à en fournir la funèbre preuve. p232

III. — La concurrence entre les centres deproduction industrielle67

L’intensité accrue des relations commerciales et le développemendu capitalisme ont eu pour conséquence une production de plus en plus grande des industries d’exportation, bien que la plus importantd’entre elles, la draperie, se trouve aux prises avec des difficultéconsidérables d’approvisionnement.

Le marché des laines subit en effet, au cours duXIVe siècle, unecrise très grave. Sans la laine anglaise, l’industrie drapière flamandest réduite à l’impuissance. Or l’Angleterre, en même temps que sdéveloppe son impérialisme continental, cherche à s’affranchir dam l

domaine économique. Édouard III, qui ne peut souffrir quel’économie de son pays soit à la merci du seigneur qui domine lFlandre, essaie de se passer des artisans continentaux ; il cherche acclimater l’industrie des draps en Angleterre, fonde des métiers dtisserands dans les principales villes de son royaume, notamment






Bristol : c’est de là que sortiront ces étoffes anglaises qui, auXVe siè-cle, feront prime sur le marché européen. En attendant, comme untelle révolution ne se fait pas en un jour, l’Angleterre doit encore

compter sur les artisans flamands pour le travail de ses laines brutesmais la politique d’exportation d’Édouard III est sujette à des hésitations et à des revirements. Comme il tire le plus p233 clair de ses reve-nus de la taxe frappant les « sacs » de laine à la sortie du royaume, iveut en surveiller méticuleusement le transport ; d’autre part, les marchands londoniens, à la suite des banquiers italiens, accaparent lecommerce d’exportation et dictent au roi sa politique flamande. Certains de ces trafiquants, un Lyons en 1376, un Philpot en 1382, unBrembre en 1386, seront les victimes des scandales qu’ils auroncréés. De là l’apparent désordre de la politique douanière du gouvernement anglais. Pour contrôler l’exportation des laines, on établit umarché surveillé, l’« étape » ( staple) ; mais les rivalités entre com-merçants font constamment changer la place de ce marché : tantôc’est dans les ports anglais que s’opère le contrôle, tantôt dans un place continentale, à Bruges ou bien à Middelburg, en Zélande, o plus fréquemment encore à Calais, mieux située que toute autre villdu continent pour remplir ce rôle. Il va de soi que ces perpétuelchangements et l’instabilité des conditions générales du marché nsont guère favorables au développement de l’industrie des draps. Ma

il lui faut certainement répondre aux demandes croissantes que provoque l’extension des rapports commerciaux ; et, coûte que coûte, edépit des difficultés qu’elle rencontre, on entrevoit qu’elle parviend’abord à augmenter parallèlement sa production.

Rien ne permet d’ailleurs de supposer que l’augmentation de la production coïncide avec un perfectionnement de la technique. Touindique au contraire que celle-ci est restée immuable dans ses procédés. L’étude des règlements, de plus en plus minutieux, qui se multi plient auXIVe siècle et qui s’imposent au labeur des tisserands, des

foulons, des tondeurs, des teinturiers et de tous les métiers accessoirequi collaborent avec eux à la fabrication des draps, ne décèle pas lmoindre trace d’innovation. On a souvent attribué cette stabilité asoi-disant esprit conservateur du moyen âge. Il est impossible cependant, pour peu que l’on réfléchisse aux progrès réalisés par la technique commerciale, de l’expliquer de cette manière. L’esprit d’inventiose révèle d’ailleurs trop nettement dans les transformations subies pa





l’armement militaire et dans les constructions maritimes pour que l’o puisse admettre que les hommes de ce temps en aient été privés. S’n’a pas agi sur les formes traditionnelles de la production, c’est que l

système réglementaire, qui durant leXIIIe

siècle s’était imposé àl’industrie, n’a cessé de se renforcer au cours de la période suivanteJamais l’individualisme n’a été plus soigneusement surveillé et annihilé. p234 Les corporations de métier enferment l’activité du travailleurdans un réseau dont les mailles se resserrent sans cesse. Si le capitalisme domine dans le commerce, toutes les précautions sont prises erevanche pour qu’il ne puisse s’imposer à l’industrie dont il importou exporte les produits. Et, s’il en est ainsi, c’est que l’industrie demeure étroitement soumise à l’économie urbaine.

Elle ne le demeure, il est vrai, que moyennant la compression la plus impitoyable. La force doit intervenir pour en conserver le mono pole aux villes et l’emprisonner dans l’intérieur de leurs enceintes. est trop évident qu’elle se répandrait dans les campagnes si le moindr jeu était laissé à la liberté. L’intérêt des propriétaires fonciers et de paysans les pousse trop visiblement à participer aux profits que le travail de la laine procure aux bourgeoisies pour qu’ils renoncent volontairement à s’y adonner. La Flandre, c’est-à-dire la région la plus industrielle de l’Europe de ce temps, fournit sous ce rapport des fait particulièrement significatifs. Dès le commencement duXIVe siècle,on y voit les villages s’essayer subrepticement à la fabrication dedraps. Des métiers à tisser, des cuves à fouler y sont établis par le paysans. Mais les villes observent jalousement des tentatives qui leexposeraient, si elles n’y mettaient bon ordre, à une concurrence ruineuse. On les voit, périodiquement, organiser des perquisitions parmles campagnes qui les entourent. Tout métier, toute cuve découvertsont saisis, emportés et brûlés ou détruits sans pitié. L’industrie est edoit rester un privilège réservé aux seuls bourgeois. C’est la conditioindispensable d’une réglementation qui a pour but de maintenir le

salaires au taux le plus élevé qui soit possible.Plus une ville est puissante, plus son exclusivisme industriel se

donne carrière. Il ne suffit pas d’interdire l’exercice des métiers au paysans, il importe encore d’empêcher les villes secondaires de fabrquer des draps de même sorte ou de même apparence que ceux de lville principale. C’est là une contrefaçon insupportable et à laquelle faut s’opposer au nom du plus effectif de tous les droits, celui du plu





fort. Car il n’en est pas d’autre que l’on puisse invoquer. Gand eYpres ont lutté avec un acharnement incroyable et une mauvaise foévidente, pour empêcher Termonde et Poperinghe de tisser des étoffe

que l’on aurait pu confondre avec les leurs. Manifestement elles voudraient se réserver exclusivement la confection de la draperie fine, quseule alimente le commerce d’exportation, p235 et ravaler leurs voisinsà se confiner dans la draperie grossière et à bas prix destinée à laconsommation locale.

Le particularisme industriel des grandes villes explique clairemenleur politique. C’est lui qui les pousse à revendiquer en face du comtune autonomie qui leur permettrait de fonder l’hégémonie économique à laquelle elles aspirent. Elles prétendent lui imposer une conduit

qui soumettrait entièrement son action à leurs intérêts. Au début de lguerre de Cent Ans, le conflit qui les met aux prises avec Louis d Nevers et durant quelques années assure à Jacques van Arteveld(1339-1345) le gouvernement de la Flandre, n’a pour cause que le refus du comte de s’allier au roi d’Angleterre, refus qui en poussant croi à interdire l’exportation des laines a provoqué l’arrêt de leur industrie. Elles sont malheureusement incapables d’agir longtemps dcommun accord ; car le particularisme qui les dresse contre le princles dresse bientôt les unes contre les autres. Gand, la plus puissantd’entre elles, vise depuis l’époque d’Artevelde à imposer sa suprématie à Bruges et à Ypres. De là ces agitations continuelles qui donnenun aspect si chaotique à l’histoire de la Flandre auXIVe siècle. Tantôtles « trois villes » s’unissent contre le prince, tantôt, avec l’appui du prince, elles se séparent, deux d’entre elles combattant presque tou jours la troisième.

IV. — Les mouvements sociaux dans les villes68 Si la discorde règne entre les villes, elle sévit bien plus grandemen

encore au sein même de la population de chacune d’elles. Ces grandcentres manufacturiers sont le théâtre de luttes sociales continuellequi, en germe déjà au siècle précédent, se déroulent désormais aveune grandeur souvent tragique. p236








au pouvoir qu’il était exercé par les représentants de ceux-là mêmequi les tenaient sous leur emprise économique.

Les abus auxquels les « patriciens » dominants se laissent glissevers la fin duXIIIe siècle, donnent barre sur eux. Tous ceux qu’ils ex-cluent du gouvernement communal demandent une réforme, qui n’e pas moins vivement souhaitée par le prince territorial, impatient ddestituer les orgueilleux échevins qui le bravent en face, et par les artisans des petits métiers, jaloux de la prééminence d’une clique aristocratique égoïste et exclusive. Dans de telles conditions, la cause detravailleurs de la grande industrie devait évidemment l’emporter. EFlandre, où leur nombre, et partant leur puissance est plus grande qu partout ailleurs, on les voit, aux environs de 1280, entamer la lutt

contre les patriciens. Pour se maintenir contre une opposition que favorise ouvertement le comte de Flandre, ceux-ci implorent le secourde Philippe le Bel. Le roi s’empresse de le leur accorder. Décidé à efinir avec Gui de Dampierre, qui vient de s’allier contre lui à ÉdouarIer d’Angleterre, il les prend ouvertement sous sa protection. Mais cette protection porte à son comble la haine de leurs ennemis. On lestigmatise du nom de « gens des fleurs de lys » ( Leliaerts), et ils de-viennent d’autant plus odieux que, clients du roi, ils apparaissencomme les ennemis du comte et de la Flandre. La victoire de Philipple Bel sur Gui de Dampierre n’en fut saluée par eux qu’avec plud’enthousiasme (1300). Mais elle devait amener une catastrophe l’arrogance qu’elle leur inspira, les maladresses auxquelles ils poussèrent le gouverneur royal, Jacques de Châtillon, firent éclater au moide mai 1302 une révolte à Bruges. À la voix d’un tisserand, Pierre DConinc, les gens de métier se soulèvent contre les échevins. Quelque jours après, les chevaliers français amenés dans la ville par Châtillo pour y établir l’odieuse domination patricienne, sont massacrés danun combat de nuit. À cette nouvelle, un soulèvement général fait sdresser d’un seul élan les « petits » contre les « grands », les pauvre

contre les riches. Il semble qu’une révolution sociale soit sur le poind’éclater dans toutes p238 les villes des Pays-Bas, car, de la Flandre, lemouvement se propage aussitôt dans le Brabant et dans le pays dLiège. L’étonnante victoire que les ouvriers de Bruges remportent Courtrai (11 juillet 1302) sur l’armée royale envoyée pour les mettre la raison, porte au paroxysme leur confiance en eux-mêmes. Elle ou







miner le prix des laines importées d’Angleterre ni celui des draps danle commerce international. Le caractère capitaliste de la draperin’avait pas disparu parce que les capitalistes avaient cessé de gouver

ner les villes. Sans doute l’emprise directe des patrons sur les travailleurs n’existait plus, ou du moins avait fortement diminué ; il ne leuappartenait plus de régler les salaires et d’organiser le travail à leuavantage ; mais les nécessités inexorables du commerce internationan’en pesaient guère moins lourdement sur les ouvriers. S’ils n’étaien plus les victimes des grands industriels, ils restaient les victimes de lgrande industrie. Et ils étaient incapables de le comprendre. Vainement, ils s’acharnaient à étouffer l’exercice de la draperie à la campagne et à combattre la concurrence des petites villes ; vainement letisserands tentaient de réduire le salaire des foulons ; vainement Gans’efforçait d’imposer son hégémonie au reste de la Flandre : cen’étaient là qu’autant de preuves de l’incapacité où se trouvail’économie urbaine d’échapper aux exigences de l’économie internationale. S’il était au pouvoir des artisans de réglementer la fabricatiodes draps, il ne l’était pas de contraindre les marchands étrangers à leacheter. Il est visible que, dès le milieu duXIVe siècle, la prospérité dela draperie flamande commence à décliner : l’exportation diminue les laines anglaises se font d’ailleurs plus rares et plus chères au maché de Bruges, car les marchands italiens les accaparent de plus e

plus et en dirigent une bonne partie vers Florence, tandis qu’en Angleterre même l’industrie naissante commence à en absorber des quanttés plus considérables.

Le malaise dont souffrent les masses travailleuses sans pouvoir srendre compte de ses causes, répand bientôt parmi elles une inquiétude qui se traduit par de vagues aspirations communistes. On peut déjen relever des traces durant la grande insurrection de la Flandre martime de 1325-1328. Plus tard, on rencontre des Lollards parmi les tisserands gantois. Et c’est sans doute de leur groupe que sortiront, plu

tard encore, les illuminés qui contribueront à fonder en Bohême lsecte mystique des Adamites. Il n’est guère douteux que ces tendance p240 expliquent en partie la sombre énergie avec laquelle les tisserandgantois, sous la conduite du second Artevelde, mèneront contre lcomte et la bourgeoisie riche une lutte qui porte nettement les caractères d’une guerre sociale. Durant dix ans, à travers les péripéties étonnantes, ils tiennent tête au prince et à toutes « les bonnes gens qui on





à perdre ». De toutes parts, ceux qui souffrent de l’organisation de lsociété suivent passionnément l’évolution du conflit. On crie : « VivGand ! » à Rouen, à Paris. Il semble que le sort des pauvres et des pe

tits dépende de leur victoire, et il faut que le roi de France vienne leuinfliger à Roosebeke (1382) une défaite dont ils ne se relèveront plus

S’il a fallu insister sur la Flandre avec quelque détail, c’est que lgrande industrie a joué dans ce pays un rôle plus exclusif que partouailleurs et que l’on peut y reconnaître avec une netteté particulière serépercussions sur l’état économique et sur l’état social. En Italie, espécialement à Florence, les travailleurs de la draperie n’ont pu déterminer au même point le cours des événements. Le « popolo minu-to » a trouvé dans le « popolo grosso» une résistance beaucoup plus

effective parce que sa puissance était beaucoup plus grandeD’ailleurs, la complication du milieu florentin était telle, les partis s’trouvaient si nombreux, l’intervention de la ville dans les agitation politico-religieuses de l’Italie avait une telle ampleur, que les ouvrierde la laine ne parvinrent pas à s’y imposer comme ils le firent à Ganou à Ypres. C’est eux cependant qui déchaînèrent, en juillet 1378, lrévolte desCiompiou gens du peuple. Profitant des incessantes que-relles entre les familles de l’oligarchie marchande, comme les Ricci eles Albizzi, le bas peuple, soulevé par un cardeur de laine, MicheLando, s’empara du palais de la Seigneurie et nomma son chef gonfalonier de justice : un gouvernement démocratique favorable aux artisans, impitoyable pour les nobles, se maintint à Florence jusqu’en1382, l’année même où les tisserands gantois étaient vaincus à Roose beke.

Les mouvements sociaux dont les villes du moyen âge furent lethéâtre ont été d’autant plus intenses, on vient de l’observer, qu’elleétaient plus exclusivement adonnées à l’industrie d’exportation. Celledans lesquelles le commerce prédominait ont vu, en général, leuconstitution conserver le caractère ploutocratique que lui imprimait lgouvernement de la classe marchande. La ville la plus commerçantdu monde, Venise, p241en fut aussi la plus aristocratique dans ses insti-tutions. En Allemagne, les villes hanséatiques se distinguent par l prédominance incontestée du patriciat. Il n’est guère que Cologne quait été momentanément troublé à la fin duXIVe siècle par des agita-tions analogues à celles des villes des Pays-Bas. En France, les artisans ne parvinrent pas non plus à s’imposer à la politique urbaine. L









monnaie ; mais ils ne font que troubler l’économie générale. Aprèquelques mois de profits nets, où les dettes de l’État, contractées emonnaie forte, sont remboursées en monnaie affaiblie, les nouvelle

espèces rentrent dans les coffres royaux sous forme d’impôts, et l bénéfice temporaire dû à la surprise de la mutation se trouve perduLes monnaies étrangères, tel le florin pontifical ou le ducat de Venisequi, elles, sont stables, font prime sur le marché. En vain la royautessaie d’en prohiber l’usage, d’interdire l’exportation de l’argent ; lconfiance du public dans les espèces nationales, dont la relation aveles monnaies de compte varie sans cesse, est fortement ébranlée.

Le grand commerce, qui se traite en monnaies stables, n’en souffr pas trop. Mais déjà les rentes seigneuriales, du moins celles qui s

paient en espèces, et dont le taux ne varie pas, ont perdu toute valeuLes propriétaires fonciers, pris entre l’augmentation du prix de la viet la diminution de leurs revenus, doivent se montrer impitoyable pour leurs tenanciers ; ils remettent en usage des droits tombés en désuétude, des redevances en nature, des corvées, ramenant sous unforme déguisée l’ancien servage. D’ailleurs, beaucoup de petits seigneurs, ne pouvant plus vivre sur leur fonds, cherchent fortune danles hasards de la guerre, se font brigands et routiers. Le plat pays, sandéfense, est victime de leurs extorsions. Quant aux grands seigneurseux aussi appauvris, et qui doivent faire face à des dépenses toujouraccrues, force leur est de suivre l’exemple donné par le roi, par le pa pe, de se créer une fiscalité p244 nouvelle, sous forme d’impôts extra-ordinaires. Aux décimes pontificales, aux tailles royales, aux subsidevotés par les Parlements ou les États, s’ajoutent des aides seigneuriales, de jour en jour plus fréquentes et plus lourdes. Les villes, fortement organisées, se défendent comme elles peuvent, obtiennent derémissions, des délais, des réductions ; mais la classe agricole doi payer sans merci. Comme les villes l’excluent impitoyablement dtoute participation à l’industrie, et qu’elle est dépourvu de toute espè

ce d’organisation, elle n’a aucun moyen d’améliorer son sort, et ells’y résigne.

Des catastrophes périodiques, guerres, épidémies, assombrissenencore la vie des paysans. La « peste noire », dont nous avons déjrappelé les ravages en Europe au milieu duXIVe siècle, donne le coupde grâce à l’économie seigneuriale. C’est en Angleterre que les effetde cette épidémie peuvent être le mieux étudiés, mais ils ne furen







dans une église, et il eût voulu, disait-il, voir le dernier prêtre suspendu à la potence. À la haine du peuple répondait celle de la noblesseLes chevaliers se lançaient avec fureur contre les paysans brutaux

« mangeurs de lait battu et de caillebotte, qui, avec leurs longue barbet leurs vêtements déchirés se montrent aussi fiers qu’un comte es’imaginent que l’univers entier leur appartient ». Commencée en1323, la révolte, coupée de périodes d’accalmie, dura jusqu’en 1328Il fallut, pour en venir à bout, que le comte implorât l’intervention droi de France contre les rebelles qui, au dire d’un contemporain, menaçaient la société tout entière. La victoire remportée sur leurs bande par Philippe de Valois au mont Cassel, le 23 août 1328, s’acheva emassacre et fut suivie d’une répression dont la cruauté égala presqucelle de la révolte. L’ordre fut rétabli par la terreur. Il ne fut plus trou blé.

La Jacquerie qui sévit en 1358 parmi les paysans du Beauvaisis, dla Picardie et de la Champagne, fut beaucoup plus courte et d’alluremoins profondément révolutionnaire70. Le mouvement visait surtoutla noblesse, discréditée par les défaites de Crécy et de Poitiers. Écrasés d’impôts, poussés à bout par les excès des bandes de mercenairelicenciées après Poitiers, les vilains se ruèrent sur les seigneurs qu’ilrendaient responsables de tous leurs maux. Nul plan d’ensembld’ailleurs p246 dans leur révolte, nuls chefs reconnus, nulles revendica-tions précises. C’est un accès de désespoir, une explosion de rage. Effrayée, la bourgeoisie, à l’abri derrière ses murailles, observa le mouvement sans y prendre part, se réservant peut-être d’en profiter s’réussissait. Mais comment aurait-il pu réussir ? Les lourds chevalierqui n’avaient pu enfoncer les archers anglais devaient avoir raisonsans peine de ces « vilains, noirs, petits et mal armés », qui tuaienleurs enfants, violaient leurs femmes et mettaient le feu à leurs manoirs. Le premier moment de désarroi passé, la noblesse se mit encampagne, et ce fut une tuerie. Les « Jacques » décimés regagnèren

leurs chaumières, convaincus de leur impuissance. L’« effroi » fuaussi bref que violent. Il ne dura guère plus d’un mois. Il ne devai plus y avoir avant longtemps de soulèvement rural en France.

Les événements tragiques dont l’Angleterre fut le théâtre en 138et dont on trouvera plus loin le récit, devaient finir de la même maniè 70 Sur ce mouvement, voir ci-dessus, p. 143





re. Écrasées par trente ans de législation oppressive, les populationagricoles du sud et de l’ouest se soulevèrent en un sursaut de déses poir lorsqu’une taxe nouvelle imprudemment exigée par un gouve

nement aux abois, une capitulation ( poll-tax), vint ajouter encore auxcharges écrasantes qui pesaient sur elles. Peut-être les prédication populaires des disciples de Wyclif, qui se répandaient alors dans lecampagnes, vinrent-elles ajouter à ces griefs matériels un vague idéad’amélioration sociale, de même qu’auXVIe siècle la propagande lu-thérienne devait faire éclater en Allemagne, contre la volonté du réformateur, la « guerre des paysans ». Mais si l’agitation religieuse pu hâter la catastrophe, elle ne l’a certainement pas provoquée. Le paysans, animés comme les Jacques d’une fureur de destruction due une extrême misère, pillaient les abbayes, brûlaient les manoirstuaient les hauts personnages qui tombaient entre leurs mains ; partouils exigeaient qu’on leur remît les titres seigneuriaux, et se faisaienoctroyer des chartes de franchise (manumission) qui les libéraient deleurs trop lourdes obligations ; mais aucun plan, aucun programme ndirigeaient leur action. Pas plus qu’en France, les paysans ne pouvaient tenir contre la gendarmerie cuirassée qu’était la noblesseComme la Jacquerie, leur soulèvement, après avoir fait rage pendanquelques semaines, fut sans lendemain.

Ces révoltes de paysans n’en sont pas moins symptomatiques : p247 elles témoignent de la gravité du mal qui travaille les campagnes, dtrouble profond dans lequel les ont plongées les guerres qui sévissenalors dans toute l’Europe et surtout de la rupture d’équilibre qui s’es produite dans l’édifice social sous l’effet des grandes transformationéconomiques dont nous avons tenté d’esquisser les principaux aspect p248







Sur l’hégémonie financière italienne, R. Heynen, Zur Ensiekung des Kaptalismus in Venedig (Stuttgart et Berlin, 1905, in-8°) ; H. Sieveking, GenueseFinanzwesen (Fribourg-en-Brisgau, 1898, 2 vol. in-8°), traduction italiennd’O. Soardi, revue par l’auteur (Gênes, 1905-1906, 2 vol. in-4°) ; du mêmDie kapitalistische Entwicklung in den italienischen Städten der Mittelalterdans la Vierteljahrschrift für Sozial und Wirtschaftsgeschichte, t. VII (1909 p. 64-93 ; G. Schneider, Die finanziellen Beziehungen der florentinischeBankiers zur Kirche (Leipzig, 1899, in-8°, dissertation de x-78 pages) ; A. S pori, La crisi delle compagnie mercantili dei Bardi e dei Peruzzi (Florenc1926, in-8°) ; L. Mirot, Études lucquoises, dans la Bibliothèque de l’École dChartes, t. LXXXVIII (1927), p. 50-86 et 275-314, t. LXXXIX (1928), p. 29389, et t. XCI (1930), p. 100-168, sur les compagnies lucquoises à Paris H. Simonsfeld, Der Fondaco dei Tedeschi in Venedig und die deutschvenezianischen Handels Beziehungen (Stuttgart, 1887, 2 vol. in-8°).

Sur le commerce atlantique, l’ouvrage de Fr. Michel, Histoire du commer

ce et de la navigation de Bordeaux (Bordeaux, 1867, in-8°), est encore excelent.

III. La concurrence entre les centres de production industrielle OUVRAGES À CONSULTER . — Outre le t. II de l’Histoire de Belgique de H. Pirenne

cité p.130, voir du même, Les périodes de l’histoire sociale du capitalismdans le Bulletin de l’Académie royale de Belgique, Classe des Lettres (1914 p. 258-299 ; G. Espinas, La draperie dans la Flandre française au moyen âg(Paris, 1923, 2 vol. in-8o) ; H. Pirenne et G. Espinas, Recueil de documents re-latifs à l’histoire de l’industrie drapiere en Flandre (Bruxelles, 1906-1909, vol. in-4°) ; E. Coornaert, Un centre industriel d’autrefois. La draperiesayetterie d’Hondschoote, XIVe-XVIIIe siècles (Paris, 1930, in-8°) ; E. Kober,Die Anfänge des deutschen Wollgewerbes (Berlin et Leipzig, 1908, in-8°fasc. 8 des « Abhandlungen zur mittleren und neueren Geschichte ») ; HHermes, Der Kapitalismus in der florentiner Wollenindustrie, dans la Zeitschrift für geschichtliche Staatswissenschaft, t. LXXII (1916), p. 367 et suiv.A. Doren, Studien aus der florenliner Wirtschaftsgeschichte. Die florenlineWollentuchindustrie von XIV bis zum XVI Jahrhundert (Stuttgart, 1901, in8°) ; Georges Renard, Histoire du travail à Florence (Paris, 11913], 2 vol. in8°) ; R. Davidsohn (ouvr. cité p. 13), t. IV. — Pour la politique lainière del’Angleterre, outre W.-J. Ashley, An introduction to English economic historand theory (Londres, 1888-1893, 2 vol. in-8o), t. II, et W. Cunningham, Thegrowth of English industry and commerce (Cambridge, 1882-1890, 2 vol. in8° ; 5e éd., 1910), t. I, voir F. Lennel, Calais, des origines à la domination anglaise (Calais, 1909, in-8°) ; G. Unwin, Finance and trade under Edward I(Manchester, 1918, in-8°) j H. C. Gray, The production and importation oEnglish woolens in the fourteenth century, dans l’English historical review, XXXIX (1924), p. 13-35.







de Stubbs (citée p.153), t. II ; Dmitri Petrouchevsky,Vozstanie Uota Tailera [La rébellion de Wat Tyler] (Pétersbourg, 1879-1901, 2 vol. in-8°), ainsi qules autres ouvrages indiqués ci-dessous, p. 429.





Table des matières

Chapitre X

Science et réalisme, mystique et humanisme en Occident 71

Le siècle qui précède le Grand Schisme compte parmi les plus actifs dans l’histoire de l’esprit humain. Une philosophie critique apparaît, exigeante en fait de certitude, et qui ne se hasarde guère aux hy pothèses métaphysiques. Elle stimule p249 puissamment les premiersefforts d’une science positive, qui déjà se réclame de l’expérience. Lmême curiosité du réel, le même goût d’en accepter les données et dle décrire, rénove le travail littéraire. Le positivisme bourgeois de Jeade Meung a par avance répondu à l’idéalisme de Dante ; la comédihumaine de Boccace répond à la Divine comédie. Contre cette ré-conciliation avec la nature proteste une admirable école mystique Pétrarque, d’autre part, se détourne du monde moderne, et ramène leintelligences au culte de l’antiquité gréco-romaine. L’évolution spontanée de la pensée médiévale produisait une renaissance toute scientfique et réaliste ; il inaugure une seconde renaissance, de style classique, mais romantique d’inspiration, qui, enthousiaste de toute noblesse humaine, élargit indéfiniment, à l’aide des lettres anciennes, le domaine de la vie morale et de l’analyse psychologique.






I. — Le testament théologiquedu XIIIe siècle :la Divine comédie72

Dante est le grand témoin de la fin d’un monde. Le « poème sacréauquel ont mis la main et le ciel et la terre », apparaît comme le testament intellectuel, moral et religieux duXIIIe siècle, écrit, à l’aube dusiècle suivant, par un homme qui en pressentait et d’avance encondamnait l’œuvre désorganisatrice.

Il naquit à Florence, en mai 1265, d’une famille dont, au XVe chantdu Paradis, il aime à rappeler la noblesse ; les Alighieri partageaientle mépris des anciens propriétaires fonciers pour les nouveaux bourgeois venus de la campagne et trop vite enrichis par l’industrie et lnégoce. On le compta bientôt au p250 premier rang des jeunes poètes,qui, tels Gui Cavalcanti, Gui Guinizelli de Bologne, s’efforçaiend’introduire plus d’émotion et de liberté dans l’art savant des troubadours provençaux et des rimeurs siciliens. L’amour de Béatrice luinspira les sonnets, lescanzoni, qui, encadrés de commentaires en une prose où l’appareil scolastique se revêt d’élégance et de grâce, formèrent vers 1295 le livre de laVie nouvelleou de sa propre jeunesse (Vi-ta nuova). Les querelles politiques firent de lui un homme de parti et bientôt un exilé, qui dès lors suivit passionnément les conflits deguelfes et des gibelins, des papes avec la France et l’Empire, sans jamais perdre l’espoir d’une prochaine restauration de l’ordre chrétienLes années de luttes, de déception et d’attente, au cours desquelles leDella Scala, les Malaspina, les Da Polenta l’accueillirent à Vérone, eLunigiana, à Ravenne, furent aussi des années d’étude austère et dsublime création. Œuvre d’un philosophe et d’un moraliste évidemment curieux de la poésie et de la pensée païennes, le Banquet (Convivio) fut composé sans doute entre 1306 et 1308. Danten’acheva pas l’ Enfer avant 1312, le Purgatoireavant 1314 : il étaitalors devenu théologien. Le Paradis, le traité latin De la monarchie ( De monarchia), qui souvent en offre l’indispensable glose, appar-tiennent aux derniers temps de sa vie ; il mourut à Ravenne, le 14 septembre 1321.






Aux historiens des lettres italiennes appartient de suivre la p251 len-te formation de son génie, depuis lescanzoni, les sonnets et les prosesde la Vita nuova, jusqu’aux visions radieuses et triomphales sur les-

quelles se clôt la Divine comédie; d’analyser sa personnalité doulou-reuse et indomptable, éprouvée par l’amour, les luttes des partis el’exil, enrichie par des lectures dont l’ampleur semble avoir embrassl’antiquité, le christianisme et sans doute l’islam ; de redire sa véhémence dans l’affection et dans la haine ; de mesurer son imaginationassez puissante pour évoquer avec un relief exact, dur et souvencruel, une splendeur musicale ou une ténébreuse et muette horreurtoute la réalité du monde visible, et tout un monde invisible, nonmoins réel au regard d’une âme qui peut-être expérimenta l’extasmystique. Mais la plainte de la chrétienté sans chef et sans loi avaitdès les jours de Clément V, trouvé dans la Divine comédieson expres-sion la plus éloquente. Par le culte que le poète vouait à la double autorité ordonnée de Dieu pour diriger les croyants, dans les voies de l paix romaine, vers la plus haute connaissance et la béatitude, comm par sa vénération de Joachim et de saint François, il restait fidèle à ltradition duXIIIe siècle. Sa conception de Dieu, du monde et del’homme demeure celle des écoles médiévales dont il a résumé la pensée. LeConvivioet la Divine comédiele montrent familier avec tousleurs maîtres ; à peine quelques contemporains, Duns Scot, Raymon

Lulle, Roger Bacon, les savants et les physiciens d’Oxford, manquenà l’appel. Éclectique d’ailleurs plutôt que strictement thomiste, lSommelui offre un exposé trop limpide et commode des problèmesthéologiques pour qu’il ne la suive pas le plus fréquemment ; mais in’hésite guère à la compléter et à la dépasser. Le rationalisme arabequ’il révère chez Averroès, le séduit assez pour qu’il place, au rangdes grands théologiens, Siger de Brabant, et, dans le ciel du Soleil, lréconcilie avec saint Thomas. Il incline volontiers à résoudre, pal’adoption d’une attitude fidéiste, les antinomies du dogme et de lraison. Mais surtout, autant que l’aristotélisme thomiste, il connaîl’augustinisme ; autant que les démonstrations des théologiens et de philosophes, les révélations des mystiques lui sont familières. SainBernard, au plus haut de l’empyrée, lui est vers l’illumination suprêmun guide plus expert que Béatrice elle-même ; et, conclusion et couronnement du poème sacré, la vision de la Trinité, au XXXIIIe chantdu Paradis, procède d’une doctrine qui n’est plus thomiste et qui vientde saint Bonaventure. p252





II. — La philosophie critiqueet mystique de Duns Scot73

Malgré les condamnations dont Paris et Oxford l’avaient frappé e1277, et bien qu’interdit, en 1284 et en 1286, par Jean de Pecham, archevêque de Canterbury, le thomisme, dès le chapitre général tenu e1278 à Milan, devenait la doctrine officielle de l’ordre dominicain. Irecueillait l’adhésion du cistercien Humbert de Prouille, de l’augustiGilles de Rome, de quelques séculiers comme Pierre d’Auvergne oPierre d’Espagne. Dante admira l’ampleur encyclopédique des vuequ’il ouvrait sur l’homme et le monde. Les censures parisiennes, peefficaces, furent levées en 1325. Mais déjà, contradicteur écouté d

saint Thomas, Duns Scot avait fondé une école rivale.La philosophie dominicaine était rationaliste et critique ; pourtant

à l’aide d’éléments dont elle avait éprouvé la valeur, elle construisaiune synthèse, qu’en raison de cette prudence on eût pu croire inébranlable. Mais Thomas n’avait pas en vain donné la preuve de l’exigeantloyauté qui refusait d’admettre, sauf les dogmes essentiels, les thèseinsuffisamment démontrées : une méthode subsistait. À la satisfactiod’édifier des systèmes vastes et cohérents, certains allaient préférecelle d’acquérir, sur les données du réel, quelques notions claires e

distinctes. De même que la politique se constitue en technique indé pendante, la philosophie qui, dès saint Thomas, tendait à former undiscipline autonome, prend de plus en plus conscience de sa libertéqu’elle fonde sur la pratique de la démonstration rationnelle. Elle délimite avec une précision croissante les deux domaines de la foi et dla raison ; elle admet le désaccord de l’un et de l’autre ; les problèmesur lesquels il porte, et dont saint Thomas pensait réduire le nombrese multiplient ; et déjà raison p253 et foi semblent aboutir à deuxconceptions diverses et inconciliables de l’univers. En face des FrèrePrêcheurs, qui généralement se bornèrent à professer la doctrine de lSommedans un esprit conservateur et dogmatique, les Franciscains par l’effet d’une préparation intellectuelle toute différente, allaientravailler sans relâche à réviser les principes, les méthodes les conclusions. Leurs maîtres vinrent d’Oxford, où théologiens et philosophe






mieux habitués que Thomas ou Albert lui-même à pratiquerl’expérience et le calcul, étaient nécessairement plus difficiles en matière d’évidence rationnelle, mieux armés pour découvrir les faiblesse

de synthèses imprudentes.Jean Duns Scot appartient encore, pour la majeure partie de sa brè

ve carrière, auXIIIe siècle. Né en 1266 ou en 1274, moine franciscainvers 1290, élève de Merton College, il enseigne vers 1300 àl’Université d’Oxford, puis, en 1304, s’établit à Paris, obtient le doctorat, professe jusqu’en 1308 ; appelé à Cologne, peut-être pour com battre les Spirituels, il y meurt le 8 novembre. Dans son œuvre, vastet inachevée, la critique tient plus de place que le travail de construction. Son système, qu’il n’eut pas le loisir de parfaire, se dégage ma

laisément d’arides et pénibles disputes. Mais sa critique est plus vigoureuse que celle de saint Thomas, sa métaphysique porte la marqud’un génie plus original, plus riche d’invention, impérieusement dominé par le double besoin d’obtenir sur tous les problèmes de la philosophie une certitude strictement scientifique, et d’attribuer à Dieudont, théologien et mystique, il pensait avoir expérimenté la présenceun infini de pouvoir et de liberté.

Par là, cet admirateur de l’aristotélisme s’écarte fort loin de sainThomas comme d’Aristote. Il n’accepte aucun raisonnement qui n

peut se formuler en syllogisme ; et de la sorte il repousse les preuvesa posteriori, accueillies dans laSomme, de l’existence de Dieu, des at-tributs divins, de l’immortalité de l’âme. Dépouillée de toutes les notions métaphysiques dont on ne peut donner aucune démonstratiocontraignante, la philosophie n’entretient plus avec la théologie la li bre collaboration que saint Thomas lui avait permise. Dieu ne révèl pas aux hommes les vérités que la raison peut atteindre : mais la raison n’atteint pas les vérités révélées par Dieu ; la métaphysiqun’introduit pas à la théologie : son effort se borne à formuler et critiquer des hypothèses sur lesquelles ne saurait se fonder la connaissancd’une réalité rationnellement inconcevable.

Pourtant Scot, par une méthode d’examen et d’élimination, p254 s’efforce de construire une philosophie première, dont les conclusiontoutes inadéquates et relatives, cherchent à rejoindre, sans prétendr jamais les rencontrer, les vérités de la foi. S’il ne connaît aucune démonstration évidente de l’existence de Dieu, si la preuve même d





saint Anselme — l’existence de l’Être parfait induite de sa définitiomême — lui semble, en dernière analyse,a posteriori, parce que cesyllogisme admet comme prémisse une notion dont l’expérience

constate la présence dans l’esprit humain comme un fait, il pratiquune méthode d’argumentation qui, par voie syllogistique, développe lcontenu des hypothèses métaphysiques de causalité, de finalitéd’absolu, et qui, insuffisante en soi, peut cependant orienterl’intelligence vers les vérités révélées.

Dieu, qu’il conçoit comme infini, et dont il sait qu’il ne peut ncomprendre l’infinité ni dénombrer les attributs, lui apparaît essentielement comme une volonté ; créatrice du monde réel et du monde deidées, sa liberté ne souffre d’autre limite que le principe de contradic

tion et la conservation des lois qu’elle a d’abord établies. Les idées dtous les possibles et de leurs relations ont été créées par un acte librde la volonté divine : elle aurait pu les créer différentes. Les lois morales n’existent que par la volonté de Dieu : il aurait pu en imposed’autres, également justes, car la justice n’a d’autre fondement quson décret. Nulle doctrine ne contraste plus violemment avec la théorie aristotélicienne du Dieu qui ordonne le monde physique et le monde moral par un acte nécessaire d’intelligence, selon la raison econformément au bien qu’il ne peut pas ne pas vouloir ; elle nes’accorde pas mieux avec la conception platonicienne du Dieu qu porte en lui le monde des idées et le réalise par le seul développemenharmonieux et infini de son être. La méfiance de Scot à l’égard du rationalisme grec le conduit à repousser tous les systèmes qui, danl’ordre du monde, considèrent l’œuvre d’une intelligence et se trouvent amenés à contenir la puissance infinie de Dieu dans les limites d bien et de la raison. Au contraire, il affranchit l’Être infini des déterminations mêmes qui sembleraient logiquement impliquées dans lconcept de son essence ; au Dieu des chrétiens, non plus astreint à lloi éternelle du bien et du vrai nécessairement formulée par son intel

ligence, mais créateur du bien et du vrai purement contingents par uacte contingent de sa volonté, il reconnaît une incompréhensible puissance, qui par delà la raison et la morale, dépasse toutes les définition p255 où les philosophes ont voulu enfermer le divin, et n’est accessiblequ’à l’intuition mystique.

Ainsi le scotisme, parce qu’il abaisse et rejette les théories rationalistes de la suprême essence, en ébauche une conception qui, bien au





trement que la métaphysique thomiste, trop pénétréed’intellectualisme grec, s’accorde avec ce qu’il y a de dur, d’écrasanet de fatal, dans la révélation biblique. On ne saurait concevoir un

négation plus véhémente de l’esprit qui avait animé l’école dominicaine, un effort plus désespéré pour rappeler aux chrétiensl’incompatibilité du rationalisme grec et de la religion d’Israël. L psychologie et la morale de Scot, accordées à sa théorie de l’être, manifestent un égal désir d’écarter l’orgueil païen de l’esprit. De mêmque Dieu est d’abord volonté libre, l’âme humaine est avant tout unvouloir affranchi du déterminisme ; l’acte intellectuel ne se soustraen aucun cas au primat de la volonté. L’humble rectitude de l’action plus de prix que la recherche de Dieu, guidée par la raison que la charité n’illumine pas. La philosophie rejoint de la sorte, par un long esavant détour, cette piété franciscaine que le disputeur aride, mais passionné d’amour divin, pratiquait aux couvents d’Oxford, de Paris et dCologne comme le plus simple de ses frères.

III. — La critique de Guillaume d’Ockham74 Le scotisme contenait en germe, avec une philosophie critique e

positive, une mystique. Ce fut celle-là qui, à la faveur des circonstances, d’abord se développa.

À Paris, où les mathématiques et les sciences expérimentalesétaient moins cultivées qu’à Oxford, des logiciens et des psychologueentreprirent la critique de la connaissance. Un Frère Prêcheur, Durande Saint-Pourçain, se détachait du thomisme ; étudiant la formationdes concepts, il rouvrit l’antique débat des réalistes et des nominauxLes idées générales n’existent pas pour lui hors de la pensée : laconnaissance ne peut dépasser le particulier, la science le classemendes faits. Dans l’ordre de saint François, la philosophie de Scot sem blait évoluer vers une condamnation radicale de ces tentatives méta physiques p256 dont il avait démontré la misère et subi pourtantl’attrait. Pour le Mineur parisien Pierre Auriol, comme pour Durandl’universel n’existe que dans l’intellect humain, sous la forme dconcepts facilement réductibles à des notions extraites du particulieToutefois les maîtres français n’avaient pas formulé une théorie exac 74 OUVRAGES À CONSULTER .





te de la science positive. Cette tâche était réservée à un penseur anglais, élève, comme Bacon et Scot, de l’école d’Oxford, Guillaumd’Ockham. Né vers 1280 dans le comté de Surrey, ce franciscain sui

vit probablement les leçons de Scot, enseigna la théologie aux collèges d’Oxford et de Paris. Les tribunaux du Saint-Siège le censurèren pour quelques thèses risquées ; son adhésion aux doctrines spirituellelui valut quatre ans d’étroite surveillance en cour d’Avignon. Nouavons dit75 comment il s’échappa, soutint ardemment Louis de Baviè-re contre Jean XXII, et mourut, sans s’être réconcilié avec les papesen 1349.

Scot exigeait comme critère du vrai l’évidence syllogistique ; iavait pourtant osé se hasarder sur un domaine où elle lui échappait

Ockham, avec plus de rigueur, critique la connaissance, en limitstrictement l’effort aux questions dont l’accès lui est permis. Nou possédons une certitude, lorsqu’une proposition résulte nécessairment d’une autre déjà démontrée. Mais nous ne saisissons par là qu’urapport nécessaire d’idées, et nous ignorons si les choses s’y conforment. Ockham remet donc en doute, comme Durand et Pierre Auriol’aptitude de l’esprit à construire, en un système déterminé par delois, les notions qu’il peut obtenir du réel. Psychologue, il analyse lformation des idées ; dans le fait initial de la perception, il ne veuvoir que l’être sentant et l’objet senti ; de même le mécanisme dl’imagination et de l’abstraction suffit à créer les universaux. Mainous ne sommes sûrs que du particulier donné par l’expérience l’universel n’existe que dans l’esprit du sujet connaissant. Élaborée par l’intelligence d’après des impressions reçues par les sens, les idéene sont que des « passions de l’âme », et n’ont d’autre fonction que dtenir lieu, dans le raisonnement, des choses représentées, comme lemots en tiennent lieu dans le langage.

La métaphysique et la théologie rationnelle sont par suite dessciences vaines. La raison ne peut démontrer ni les dogmes révélés, nles thèses spiritualistes dont saint Thomas admettait p257 l’évidencedialectique et dont Scot pensait établir du moins la probabilité. La notion de Dieu n’est que le plus universel des universaux, tiré commeux des données de l’expérience : concept artificiellement composévide de tout contenu divin. Pas plus que nous ne pouvons prouver so

75 Voir ci-dessus, p. 100-102.





existence, nous ne pouvons rien affirmer de ses attributs. Nous chercherions donc en vain à retrouver dans la marche du monde l’actiod’une intelligence ordonnatrice ou d’une volonté bienfaisante, ca

nous ne concevons d’autre intelligence que l’humaine, et les motd’ordre et de bien n’ont qu’un sens relatif à nous. La notion de causalité apparaît vide de contenu ; la nécessité apparente des lois naturellese réduit en contingence. Rien ne permet d’affirmer l’existence d’unâme substantielle et immatérielle, ni le caractère impératif des loimorales, que Scot déjà ne fondait que sur l’arbitraire de la volonté divine. La science humaine s’efforcera simplement de décrire le particulier avec quelque justesse, dans l’intérêt de l’action pratique, et refusera d’admettre les affirmations que l’expérience ne garantit pas. Maisur les ruines de la métaphysique et de la théologie rationnelle, subsiste la théologie révélée. L’Église a reçu en dépôt l’inintelligible véritéformulée en termes obscurs dans les livres saints, développée et clarfiée par la tradition : « Tout ce que croit l’Église romaine, dit Guillaume d’Ockham, je le crois implicitement et explicitement. » Soesprit se repose en paix dans la certitude inébranlable du dogme ; et s philosophie critique aboutit à un acte de foi.

Cette doctrine avait d’abord semblé dangereuse, par la condamnation qu’elle portait contre la théologie rationnelle, si magnifiquemenexposée dans laSomme. Les hardiesses de Scot n’avaient pas préparéles esprits à des négations si radicales. Le rôle politique joué par Guilaume d’Ockham, ses doctrines sur la puissance impériale, la hiérarchie ecclésiastique, la pauvreté obligatoire des clercs, inquiétaient lelecteurs de ses commentaires d’Aristote et du Lombard. L’Universit parisienne lui reprochait de réduire le savoir humain à une simple étude des concepts ; en 1337, en 1350, elle condamna ses ouvrages. Déj pourtant, en Angleterre, le franciscain Adam Woodham, le dominicaiRobert Holkot, qui meurent en 1358 et en 1359, subissent l’influencd’Ockham ; le général des Augustins, Grégoire de Rimini, admet plu

d’une de ses thèses. Mais c’était surtout à Paris que la nouvelle philosophie, où se manifestait l’esprit scientifique et religieux de l’écolanglaise, allait p258fructifier. Dès la seconde moitié du siècle, grâce autalent de Jean Buridan, Marsile d’Inghen, Albert de Saxe, NicolOresme, le nominalisme d’Ockham s’impose à la Faculté des arts edomine tout l’enseignement philosophique.





La critique de la connaissance interdisait la spéculation transcendante : elle semblait inviter à l’étude positive des phénomènes. U professeur parisien, Nicolas d’Autrecourt, avait poussé l’analyse d

principe de causalité jusqu’à des conclusions qui font pressentir l pensée de Hume ; il avait achevé de ruiner la notion de substanceAinsi la philosophie poursuivait le mouvement qui, depuis le modernisme dominicain, l’entraînait à sa libération : complètement détachéde la théologie, elle s’émancipait du péripatétisme, auquel saint Thomas avait adhéré. Nicolas d’Autrecourt rejetait la physique et la méta physique d’Aristote, fondées sur l’idée de substance, et se ralliait l’atomisme épicurien, plus conforme aux faits que l’expérience permettait de constater. Dans son dédain pour les glossateurs qui, àl’étude du réel, préfèrent la lecture d’Aristote, il s’exprimait déjcomme un moderne.

IV. — Les origines ockhamistes de la science moderne76 Ce sont bien, en effet, les origines de la science moderne qui appa

raissent chez les professeurs parisiens formés sous la discipline dl’ockhamisme. Jean Buridan, né à Béthune vers 1300, recteur en 132et en 1348, ne fut probablement pas docteur en théologie ; il enseignait encore en 1368 ; on ignore la date de sa mort. Peut-être concou

rut-il en 1365 à fonder la nouvelle Université de Vienne. Albert deHelmstedt, qu’on appelait Albert de Saxe, étudia en Sorbonne et futen 1365, le premier recteur de l’Université de Vienne ; évêque deHalberstadt en 1366, il mourut en 1390. Nicole Oresme, né dans ldiocèse de Bayeux, grand maître du collège de Navarre en 1356, docteur en 1362, p259 conseiller écouté de Charles V, mourut évêque deLisieux le 11 juillet 1382. Marsile d’Inghen, également élève de Pariétait, en 1384, recteur de l’Université de Heidelberg, où il mourut e1396.

Ces hommes suivirent celui qu’ils aimaient à surnommerle« vénérable initiateur » (venerabilis inceptor ) dans tous les domai-nes où sa pensée précise et hardie s’était librement exercée. L’analysdu sujet pensant, sur laquelle Ockham avait établi sa critique de laconnaissance, contenait en germe une psychologie. Buridan






s’appliqua particulièrement à résoudre le problème de la libertéL’ockhamisme, qui niait le caractère absolu des préceptes moraux, nrenonçait pas à formuler, pour la conduite de la vie humaine, les rè

gles d’une morale toute relative : Buridan écrivit sur l’ Éthique à Ni-comaquedes commentaires lus dans les écoles jusqu’à la veille de laRéforme. Guillaume d’Ockham, après Scot, avait marqué une distinction rigoureuse entre les preuves simplement probables et les démonstrations contraignantes. Jean Buridan, Albert de Saxe, Marsiled’Inghen, se firent les théoriciens du raisonnement, curieux des formes variées de l’absurde ; en d’innombrables traités, ils exposèrent lmécanisme des arguments obligatoires ou insolubles, examinèrent le propriétés des termes et des conséquences. Dans leur besoin de pefectionner la science formelle de la logique, ils eurent le tortd’abandonner l’Organonpour lesSummulaede Pierre d’Espagne et sadialectique byzantine. Ils préparèrent ainsi la décadence et la stérilitde leur école, pour le jour, qui ne devait guère tarder, où ces études enabsorberaient complètement l’activité. Mais, en même temps, ils pratiquaient les sciences de la nature : l’effort des expérimentateurd’Oxford, maintenant que Guillaume d’Ockham avait défini les limites, encore confuses pour Roger Bacon, de la spéculation transcendante et de la connaissance réelle, aboutissait à la constitution, par les savants parisiens, d’une physique positive.

Au nom du principe qui interdit de multiplier les êtres sans nécessité, Ockham avait affirmé, après Scot, que les corps célestes et la terre sont constitués d’une matière unique. On était par là conduit à rechercher si les mêmes lois ne régissent pas, dans toute l’étendue dl’univers, le mouvement. Ockham avait rejeté les hypothèses aristotéliciennes qui tentaient vainement d’en rendre intelligible la conservation. Buridan, admit que l’élan (impetus) communiqué par le moteur au mobile, ne subirait aucun affaiblissement, s’il n’était contrarié pala résistance p260du milieu et par la pesanteur, dont la force est propor-

tionnelle à la densité du mobile. Il arrivait ainsi à expliquerl’accélération continue de la chute des graves, par le double effet de l pesanteur, qui meut le corps de haut en bas, et de l’élan qui, imprimau corps par sa chute même, accélère ce mouvement. Il suffisaid’admettre que rien ne contrarie le premier élan reçu par les astres eles planètes : l’existence, admise par saint Thomas, d’intelligencemotrices des corps célestes, tombait au rang des hypothèses inutiles, e







conclure, comme Aristote, que le ciel décrit ses révolutions autour dla terre immobile ; elles suggéraient « plusieurs belles persuasions montrer que la terre est mue de mouvement journal et le ciel non ».

Si l’on ajoute qu’Oresme a conçu l’idée première de la géométrianalytique, la fécondité de l’ockhamisme se manifestera pleinemenTandis que, par la présence d’Oresme dans les conseils de Charles Vles nouvelles doctrines trouvaient accès à la cour de France, Vienne eHeidelberg les recevaient d’Albert de Saxe et de Marsile d’InghenOrigine du mouvement qui avait conduit à la création d’une physiqu positive, Oxford maintenant hésitait. L’enseignement de ThomaBradwardine n’osait s’éloigner de la dynamique péripatéticienne. Lnotion de l’impetus, découverte par Buridan, n’obtint pas crédit : on

accueillit toutefois la théorie d’Albert de Saxe sur le centre de gravitde la terre, et les transformations qui, par suite du déplacement de ccentre, affectent la surface du globe. Mais, après Bradwardine, moren 1349, les études physiques, où l’Université avait excellé pendan plus d’un siècle, cédèrent le pas à la logique formelle. WilliamHeytisbury, Swineshead, Dumbleton, Ferabrich, Strode,s’appliquèrent surtout à classifier les raisonnements sans issue, à cataloguer et résoudre les sophismes. Buridan et Albert, sans dédaigneces recherches, en préféraient d’autres. Les maîtres d’Oxford restaienmathématiciens ; mais ils appliquaient le calcul aux données d’un physique tout abstraite. Ils l’essayaient à la combinaison des idéemorales et théologiques, dont l’examen lui offrait l’occasion de subtles difficultés résolues par l’absurde. Tels étaient les jeuxd’intelligences portées, en vertu d’une longue tradition, vers les pro blèmes scientifiques, mais devenues incapables d’organisl’exploration du réel. Cette dialectique n’allait pas tarder à séduire leParisiens.

À côté de la critique et du savoir ockhamiste, l’averroïsme p262 nesaurait passer pour une doctrine d’avenir. Il était utile sans doutequ’au XIIIe siècle certains esprits exigeants eussent montrél’impossibilité d’accorder les thèses essentielles de la physique et dla métaphysique d’Aristote avec les dogmes chrétiens de la création ede l’immortalité individuelle. Mais depuis lors le scotisme, au nomd’une conception autrement profonde et agissante de la vérité religieuse, l’ockhamisme, au nom d’une conception autrement scientifque et moderne de la démonstration et de l’évidence, avaient affirmé





contre saint Thomas, l’impossibilité pour la raison de rejoindre la foiet si Guillaume d’Ockham ou Nicolas d’Autrecourt se ralliaient aufidéisme de Siger, ce n’était plus l’orthodoxie aristotélicienne qui le

détournait de laSomme.Par suite, les averroïstes qui, auXIVe siècle, suivent exactement le

maître brabançon, manquent, malgré leurs négations, de hardiesse intellectuelle. Ils ignorent tout le travail scientifique de leurs contemporains, et s’en tiennent à la physique d’Aristote. Jean de Jandun quidans le Defensor pacis, rédigé avec Marsile de Padoue, avait dénoncéle pouvoir pontifical comme un fauteur de discorde, put, réfugié à lcour bavaroise en 1326, s’y entendre deux ans plus tard avec Guillaume d’Ockham, et soutenir contre Jean XXII l’autorité impériale

issue du vouloir populaire. Mais au rénovateur de la critique de lconnaissance, à l’initiateur de l’empirisme moderne, à l’inspirateud’une école qui déjà pratique les méthodes de la science positive, one saurait comparer un philosophe pour qui les conclusions du raisonnement et de l’expérience doivent d’avance concorder avec cellequ’Averroès a tirées d’Aristote. C’est à défendre l’auteur duGrand commentaireet parfois Siger de Brabant contre saint Thomas, queJean de Jandun consacre le principal effort de sa dialectique ; il aime souligner le désaccord de la raison et de la foi, et visiblement pren parti pour la première. Non qu’il rejette les enseignements dl’Église : mais sa soumission s’exprime parfois avec trop d’ironi pour qu’on ne reconnaisse en lui un lointain ancêtre des libertins. mourut en 1328. Marsile de Padoue, qui disparut entre 1336 et 1343résolvait probablement comme lui les antinomies posées par Siger.

L’averroïsme conserva du moins un large crédit. Ses partisansnombreux à la cour d’Avignon sous Clément VI, ne cachaient guèrleur incroyance et refusaient de prendre au sérieux la foi de PétrarquÀ Paris, après l’excommunication de Jean et p263 et de Marsile, en1327, les maîtres averroïstes évitèrent plus soigneusement d’entrer econflit avec l’Église. Professeur au grand couvent des Carmes, pui provincial d’Angleterre, Jean Baconthorp s’efforça de réduire les négations les plus audacieuses du dogme à de simples exercices de logque, et dans les écoles de son ordre, il fonda la tradition d’un averroïsme respectueux de l’orthodoxie. Mais, en Italie, l’indifférence religieuse se couvrit de la pure doctrine arabe, que Pierre d’Abano avaintroduite à l’Université de Padoue avant 1315, et qui, grâce aux mé





decins plus encore, semble-t-il, qu’aux philosophes, devait y régnetrois siècles.

V. — L’esprit de Jean de Meunget le positivisme bourgeois77

Au renouveau critique et scientifique de la pensée avait répondu par avance, dans le domaine des lettres pures, une conception positivde l’homme et de la vie. En France, dès la jeunesse de Dantes’annonçait l’avènement d’un âge nouveau, prêt à tourner en dérisioce que le respect des générations précédentes avait exalté.

Rutebeuf, vers 1290, achevait son œuvre, drue et colorée, de formartificielle, de pensée moqueuse et bourgeoise. Mais il avait conscience d’assister à la fin d’un siècle. Il la décrit dans cetteComplaincte de saincte Églisequi, rédigée en 1285, lors de la triste campagne de Phi-lippe III en Aragon, semble le testament du poète :

Puisque Justice cloche et Droit penche et s’incline,Et Loyauté chancèle et Vérité décline,Et Charité froidit et Foi se pert et manque,Je dis que n’a le monde fondement ne racine.

Le continuateur du Roman de la rose, Jean Chopinel ou Clopinel,de Meung-sur-Loire, mort vers 1305, se résignait plus aisément p264 àces misères. Les continuateurs du Roman de Renart sont animés dumême esprit. Les premières rédactions, à la fin duXIIe siècle,n’offraient qu’une plaisante parodie des mœurs aristocratiques et de lgrave épopée. Mais à la « risée » inoffensive succède la moquerie aigre et méchante. Renart le nouveau, écrit à Lille en 1288 par Jacque-mart Gelée, veut être une satire ; dans Renart le contrefait , œuvremassive, terminée vers 1330, d’un épicier de Troyes qui semble avoicomme Clopinel, suivi les Universités, d’innombrables digressionnous révèlent la pensée de bourgeois très hardis dans leurs critiquedes clercs et du gouvernement royal, acharnés dans leur haine des no bles. Les inconnus qui jusque vers 1340 rédigent les derniers fabliauxn’offrent, avec leur comique trivial et leur réalisme grossier, que ldérision d’une société où ils ne voient que bassesse.








Quand il mourut, en 1377, Jean Froissart l’égalait comme poète, edéjà succédait, comme chroniqueur, à Joinville, dont l’œuvre, venutrop tard, n’avait pas obtenu, semble-t-il, l’admiration que les moder

nes lui ont vouée. Né à Valenciennes en 1337, bourgeois et hommed’Église, il avait servi Philippe de Hainaut, femme d’Édouard III, vécu en Angleterre, visité l’Écosse, l’Italie, suivi le Prince Noir à Bordeaux, le duc de Clarence à Milan. Retiré depuis la mort de la reineen 1369, à Valenciennes, il reçut, en 1373, une cure près de Mons. Beesprit, il avait, selon les formules de Machaut, composé des lais, devirelais, des pastourelles, raconté, dans les quatre mille vers de so Épinette amoureuse, aux environs de 1367, une jeunesse occupée delectures romanesques et de passion courtoise. Mais bientôt le spectacle du monde, des beaux faits d’armes, des magnificences princièreslui donna le goût de conter, avec quelque exactitude, les événementtumultueux qu’il avait vus se dérouler autour de lui. Il achevait en1373, revoyait en 1377 le premier livre de sesChroniques. Sans nullecuriosité pour les intérêts des États, dédaigneux, malgré ses originesde la bourgeoisie et des pauvres gens, il s’intéressait uniquement auentreprises de la chevalerie luxueuse, violente et vaine, qui s’agitaidans les cours, gagnait ou perdait les batailles, et, dans la guerre, cherchait l’honneur sans mépriser le profit. Du moins s’informait-il avesoin de ces brillantes aventures, et déjà savait-il les narrer avec le ta

lent d’un incomparable imagier. Mais ses récits, pittoresques et dramatiques, ne manifestent qu’une puérile conception de l’histoire eune assez grande médiocrité morale. Comme son œuvre de poète, ilne s’adressaient qu’à un petit cercle d’hommes d’épée et de courtisans. Le Roman de la rosedemeurait la lecture des clercs et des bour-geois. p266

VI. — Boccace et le Décaméron78 Un Toscan, admirateur de la Divine comédie, venait alors d’écrire

le livre qui en fut la négation.Giovanni Boccaccio, né à Paris, en 1313, d’un marchand de Cer

taldo, dans la Val d’Elsa, et d’une Française dont le nom reste inconnu, apprit à Florence le commerce et la banque, étudia sommairemen






aux écoles de Naples, le droit canon, et surtout, à la cour du roi Ro bert, prit le goût de la vie élégante et facile, acquit l’expérience de l passion. Rentré dans sa patrie vers le début de 1341, il écrivit des ver

et des romans à la manière des troubadours ou des conteurs transal pins. Un amour malheureusement brisé lui offrit le sujet d’égloguesymboliques, le Ninfale d’Ameto, d’une allégorie morale imitée de laVita nuova, l’ Amorosa visione, d’un roman autobiographique, la Fiammetta. La lecture de Virgile et la grâce austère du paysage floren-tin lui inspiraient, vers 1344 ou 1345, une pastorale amoureuse, l Ninfale fiesolano. Déjà célèbre, il chercha vainement fortune, en1347, auprès des petits princes de l’Italie du nord, qu’il suivit dans lcampagne de Louis de Hongrie contre Jeanne de Naples. C’est seulement en 1348 qu’il put se résigner à n’être qu’un bourgeois de Florence : il reçut de ses concitoyens charges et missions honorifiques. Il slia en 1350 avec Pétrarque, lorsque la Seigneurie tenta vainemend’offrir une chaire à l’humaniste ; du moins lui aurait-il révélé la Di-vine comédie. C’est alors, entre 1348 et 1353, qu’il composa le Déca-méron.

Lors de l’épidémie de peste noire qu’il décrit en quelques pagesvigoureuses et tragiques, sept jeunes femmes et trois jeunes hommede la plus brillante société florentine ont fui la contagion au pied decollines de Fiesole ; pendant dix journées, ils charment leurs loisirs conter, sous la présidence de l’un d’eux, dix fois dix nouvelles. Tout été dit sur l’art avec lequel Boccace évoque, dans un noble et gracieudécor, cette aimable compagnie, dont les personnages d’ailleurs nsont pas tous également vivants et caractérisés ; sur les origines diverses de ces histoires empruntées à l’antiquité gréco-romaine ou auxconteurs du moyen âge, à la tradition orale, recueillie dans les p267ruesde Florence, de Naples, ou des villes italiennes, aux joyeux souvenirconservés dans les ateliers des peintres, et dont quelques-unes se retrouvent chez les auteurs des fabliaux, ou par des chemins détourné

viennent de l’Orient. Tout a été dit sur la maîtrise avec laquellel’auteur manie tantôt le style le plus tendu et le plus grave, le plus volontairement proche de la période cicéronienne, tantôt le parler populaire le plus savoureux et le plus dru de Toscane. Mais l’inspiration dlivre doit retenir l’historien des mœurs et des idées.

Le Décaméron, par bien des côtés, malgré l’éclatante supériorité del’art et du talent, rappelle la seconde partie du Roman de la rose.





L’idéal chrétien en est absent. Non point parce que les représentantde l’Église, moines ou prêtres, ignares, avides et hypocrites, égaient llivre de leurs aventures indécentes ou grotesques ; depuis longtemps

en tout pays catholique, on s’était habitué à rire du contraste entre lsublimité de la doctrine et la platitude des docteurs. Si Boccace laissentendre que le culte des saints les plus authentiquement prodigues dgrâces merveilleuses repose souvent sur l’imposture, d’autresl’avaient déjà bien de fois répété : le dominicain Étienne de Bourboconcluait avant lui de la corruption de la cour pontificale à la vérité dchristianisme, qui, trahi par ses prêtres, ne subsiste que par un continuel miracle. Mais le conteur florentin se borne à décrire le mondcomme il le voit, comique et bouffon plus souvent que tragique, et le personnages de ses nouvelles ne semblent prendre aucun soud’accorder leur pensée avec des dogmes que nul d’entre eux d’ailleurne met en doute. Lui-même n’a rien d’un penseur ni d’un grand es prit ; quand, après le rédacteur inconnu duXIIIe siècle, il raconte la belle histoire desTrois anneaux, il ne paraît pas en avoir bien saisi la portée philosophique et la leçon de scepticisme. Il est bon catholiqueles jeunes dames et les jeunes gens qui, dans la villa fiésolane, se divertissent à écouter et à dire tant de nouvelles licencieuses, observenles commandements de l’Église, et, le vendredi, en souvenir de lmort du Sauveur, suspendent leurs récits. Et pourtant, si une concep

tion morale se dégage du Décaméron, elle n’est pas chrétienne. Du premier chant de l’ Enfer au trente-troisième du Paradis, la nature ap- paraît comme le monde de la chute et du péché ; les personnages decontes ne connaissent que la loi naturelle : elle les met parfois enconflit avec les conventions de la société et les règles de l’honneurmais non avec les préceptes d’une morale religieuse p268 qui, en fait,leur reste étrangère. Lorsqu’ils ne recherchent pas simplement leu plaisir et ne le tirent pas de la joie de nuire à autrui, leurs vertus —libéralité, courage, droiture, respect de la parole donnée — conviennent également aux sages païens et à Saladin, modèle, quoique mécréant, de toute prouesse. À la Divine comédie, le Décaméronopposeune comédie humaine ; son auteur aime le spectacle du réel et ne ssoucie guère de réformer une société qui n’est plus chrétienne que dnom.





VII. La réaction de la pensée mystique79

Il s’annonçait ainsi une première renaissance, de pensée critique escientifique, d’art réaliste. Mais la critique et la science ockhamistesle positivisme bourgeois du Roman de la rose, le gai naturalisme deBoccace, ne pouvaient satisfaire toutes les intelligences. Le discrédqui atteignait les philosophies dogmatiques n’avait pas brisé l’élanvers le surnaturel. Si la ruine de la double autorité qui aurait dû régiles peuples chrétiens encourageait une conception réaliste des rappor p269sociaux et politiques, la tristesse, profondément ressentie par Dante, d’un monde sans guide, d’une Église mal gouvernée, incapable dréagir contre sa propre décadence, portait certains à rechercher, danun effort pour étreindre directement l’infini, quelque oubli des tribulations infligées à la cité de Dieu.

La Légende dorée, où le Frère Prêcheur Jacopo de Varazze — Jac-ques de Voragine —, archevêque de Gênes, mort le 14 juillet 1298réunit tout ce que la tradition chrétienne savait des saints depuis leApôtres jusqu’à Dominique et François, n’est que le recueil désordonné de contes parfois touchants, le plus souvent gauches, et fréquemment absurdes. Vers la fin duXIIIe siècle, ou le début du siècle suivant,deux moines Mineurs, Ugolin de Montegiorgio et Ugolin de Sarnanorédigèrent, dans l’Apennin, sur les confins de l’Ombrie et de la Marche d’Ancône, un groupe de récits qui provenaient des premiers com pagnons du Poverello. Bientôt traduits du latin en toscan, les Actes de saint François et de ses compagnonsévoquèrent, sous le nom de Fio-retti del glorioso messer santo Francesco e de’ suoi frati, tout lecharme de la primitive idylle d’Assise. Mais une mystique plus savante se trouvait en germe dans le système incomplet de Scot. Sensiblement plus âgé que le dur raisonneur franciscain, et destiné à lui survvre sept ans, un maître qui davantage encore exalta la puissance dusyllogisme, allait s’inscrire au premier rang des contemplatifs et deilluminés.

Raimond Lull était né vers 1232, de noble origine, à Palma de Ma jorque. Grand sénéchal de la cour d’Aragon, il connut la vie et le






passions du siècle ; converti vers 1266 par le sentiment de l’absolnéant du bonheur humain, il voua désormais tous les efforts d’une intelligence étrangement subtile et d’un inlassable zèle à sa démonstra

tion systématique des vérités chrétiennes, à leur défense contre leaverroïstes et les docteurs de l’islam. Il sut l’arabe, et voulut qul’Église le sût. Au collège de Miramar, qu’il avait, en 1276, ouverdans sa ville natale, il dirigea dix ans les jeunes Frères Mineurs quétudiaient les langues de l’Orient pour y prêcher l’Évangile. À Romen 1285, à Paris de 1287 à 1289, puis en 1298 devant Philippe le Beà Lyon en 1305, devant Clément, au concile de Vienne en 1311, il affirma vainement la nécessité de les enseigner dans les hautes écoles. avait, à Tunis, en 1292, une première fois risqué la mort ; en 1300 e1301 il visita Chypre et parvint jusqu’aux frontières de l’Arménie quatre ans plus tard, à Bougie, les p270 Musulmans le tinrent six mois prisonnier ; il y trouva le martyre en juin 1315. Si parmi ses trois-censeize ouvrages authentiques un grand nombre traite des sciences le plus différentes, il croyait avoir découvert par révélation une méthodinvincible de raisonnement, qu’il appela le Grand Art : sorte d’algèbrqui, inscrivant sur des tables variées les concepts fondamentaux, modifie les positions de ces tables pour obtenir mécaniquement toutes lecombinaisons possibles des idées générales auxquelles se réduit la dversité du savoir. Il la pratiqua, si on doit le croire, et du moins en tir

une apologétique originale. Dans son désir de confondre les averroïstes, il soutint la possibilité, niée par saint Thomas comme par Scot, ddémontrer, au moyen de preuves nécessaires, les mystères même ddogme chrétien. Mais s’il élevait ainsi, en théorie, au niveau del’intelligence divine, l’esprit humain guidé par la logique, il le sava pratiquement empêché dans ses plus hautes démarches par l’obstaccorporel. Il soumettait l’intellect à la volonté, qui seule, guidée pal’amour, peut le placer dans l’attitude où il lui est permis de concevoile vrai. De la sorte, le rationalisme de Lull exige pour complément l plus rude ascèse : l’évidence dialectique pour le « docteur illuminé se fond en contemplation.

Sa mystique est toute franciscaine. Affilié probablement au TierOrdre, il avait, comme les Spirituels, salué avec joie l’avènement dCélestin V ; il connut Bernard Délicieux. Le roman de Blanquerna,dès 1292, décrit les erreurs et le retour d’un fidèle, qui d’abord mêlau siècle et marié, puis moine, abbé, prélat, cardinal, enfin pape, dé





pose la tiare, et comme le fera bientôt Pierre de Murrone, recherchdans la solitude des montagnes la perfection évangélique et l’uniondivine. Une admiration affectueuse pour les merveilles de la nature

un effort constant pour retrouver en elle un reflet évident del’intelligence bienfaisante et ordonnatrice, semble apparenter l’auteudu traité latin, desMiracles du ciel et du mondeaux premiers compa-gnons du pauvre d’Assise, aux inconnus dont les narrations formèrenle recueil des Fioretti. Plutôt que d’expliquer, par une théorie méta- physique, la présence surnaturelle de l’être infini dans l’âme humainil raconte, au livre catalan de L’ami et de l’aimé, l’histoire de ses propres expériences, conduites jusqu’à l’extase et au sentiment de lscience infuse. Mais il n’eût pas été l’inventeur du Grand Art, s’in’avait également essayé de définir les méthodes de la vie unitive. Dè1272, il composait le Livre de contemplation, énorme et diffuse ency-clopédie p271 ascétique, recueil de méditations graduées sur Dieu, sanature, l’existence humaine, la foi ; il mêlait à ces exercices des prières ardemment éloquentes et, pour conclure, décrivait, sous le voild’allégories parfois bizarres, les divers états d’oraison et les degrés dl’amour : héritier inattendu de saint François et précurseur lointain, quelques égards, d’Ignace de Loyola.

En Allemagne, aux pays rhénans, la mystique fut essentiellemendominicaine, savante, métaphysique, et se porta du premier coup audelà des strictes limites de l’orthodoxie, avec un penseur génial, JeaEckhart.

Il naquit à Hochheim, en Thuringe, vers 1260. Il étudia au couvende Cologne, prit chez les Jacobins de Paris, en 1302, ses derniers grades. Prieur d’Erfurt, provincial de Saxe en 1304, vicaire général poula Bohême en 1307, il revenait, en 1311 à Paris. Le reste de sa vis’écoula dans la prédication et l’enseignement, à Strasbourg et à Cologne. En 1326, l’archevêque de cette ville, Henri de Virneburg, ouvrit contre lui une instruction. Quand le procès appelé en cour papal prit fin, le 27 mars 1329, par un bref de censure, Eckhart était déjmort depuis deux ans.

La sobriété du thomisme, auquel il avait dû son initiation métaphysique, satisfaisait mal les besoins profonds de son esprit, invinciblement attiré vers ces spéculations néoplatoniciennes dont saint Thomas, à l’aide de la logique d’Aristote, avait prudemment révisé le







l’intelligence ou du vouloir et s’épanouit en œuvres pour la gloire dDieu.

Ainsi le dogme s’insère dans une métaphysique alexandrine où l personnalité du Christ disparaît derrière le Verbe, principe du mondintelligible. La théologie de la rédemption, l’économie ecclésiastiqudu salut semblent n’intéresser que la foule des croyants. L’âme parfaite s’élève à Dieu par la contemplation de l’Être, sans avoir besoin drecourir à la prière vocale, aux sacrements où elle ne voit que des riteet des symboles : elle dépasse la foi, degré inférieur de certitude où stiennent les simples ; la grâce même sans laquelle ils ne sauraienvaincre la nature, ne lui est pas nécessaire ; elle s’affranchit del’autorité du prêtre, guide nécessaire des infirmes. Une telle doctrin

s’accordait mal avec le catholicisme : ramenée à l’orthodoxie, ellinspira toute une école mystique.

Jean Tauler, né probablement à Strasbourg vers la fin duXIIIe siè-cle, dut entendre, au couvent de Cologne, les leçons d’Eckhart. Lorsque les dominicains strasbourgeois, qui observaient l’interdit lancé paJean XXII contre Louis de Bavière, p273 durent se réfugier à Bâle, il yinspira un petit groupe d’Amis de Dieu. Rentré à Strasbourg en 1347devenu hostile à la politique pontificale, il mourut en 1361. Il avaitenté de développer les enseignements d’Eckhart dans le sens de l

pratique et des doctrines approuvées. Plus que lui, il attribue au Chriun rôle actif ; il évite plus soigneusement tout compromis avec lemystiques hétérodoxes. Plus énergiquement il affirme que nul n’esaffranchi des commandements de Dieu. Il dénonce les dangers duquiétisme, professe que la vie unitive n’exige pas la renonciation l’activité sociale ni même au mariage, et par là semble d’avancs’accorder avec Luther. Toutefois, comme Eckhart, il se sent invinci blement attiré par la spéculation néoplatonicienne. L’essentiel demeure pour lui, comme pour Eckhart, le retour de l’âme à Dieu : son idéademeure la divinisation de l’être humain ; il la décrit selon les princ pes du maître, et bien qu’il insiste davantage sur le péché originel, o pourrait également supprimer, dans son système, la rédemption et lgrâce sans rupture d’équilibre.

Henri Seuse (Suso), dominicain de Constance, où il naquit ver1300, avait étudié à Strasbourg et à Cologne ; il soutint Eckhart accusé d’hérésie, et, censuré lui-même en 1336, dut résigner ses fonction









ciens une théorie du monde et une éthique, plus hautes et facilemenconciliables avec les certitudes de la foi chrétienne. Pétrarque inaugurait une seconde renaissance, plus enthousiaste que critique, fondé

sur le culte exclusif de l’antiquité médiocrement connue ; renaissancde style classique, mais d’inspiration romantique. p276

Fils d’un notaire des délibérations de la Seigneurie florentine, banni avec Dante en 1302, Francesco di Petracco naquit, le 20 juille1304, à Arezzo. Neuf ans plus tard, ses parents, émigrés en terre papale, s’établissaient à Carpentras. Un maître toscan, Convenevole dPrato, lui révéla les lettres classiques ; de 1319 à 1325, les professeurde Montpellier et de Bologne lui enseignèrent assez inutilement ldroit romain. Tonsuré dans une église d’Avignon, il obtint, grâce aux

Colonna, quelques bénéfices ecclésiastiques. Il voyagea en 1330 danla France méridionale, et par le Languedoc et Toulouse atteignit levallées pyrénéennes. En 1333, il visitait Paris, Gand, Liège, Aix-laChapelle, la Flandre, les pays de la Meuse et du Rhin. De 1337, datson premier séjour à Rome, et sa retraite, souvent interrompue, dans lsolitude de Vaucluse. Déjà célèbre comme poète toscan par les sonnets et lescanzonique lui inspire un amour non partagé, plus illustre par une épopée latine, l’ Africa, commencée en l’honneur de Scipionl’Africain, il reçoit, le 8 avril 1341, sur le Capitole, la couronne dlaurier. Le roi Robert, Azzo de Correggio, le fêtent à Naples et à Parme ; Clément VI le comble, à peine rentré, de faveurs. Deux ans plutard, il assiste aux inquiétants débuts du règne de Jeanne ; il revoiParme, que menace une coalition de princes lombards, regagne Vaucluse. Au printemps de 1347, le rétablissement de la république romaine par Cola di Rienzo provoque son enthousiasme : il débarquetrop tard, à Gênes le 25 novembre. Une prébende, à Parme, le retientil entre en relations avec les Visconti nouveaux maîtres de la ville. E1350, à Rome, il obtient l’indulgence du Jubilé ; Florence lui offre unchaire qu’il n’accepte pas ; de 1351 à 1353, il vit à Vaucluse ; alor

sans doute, il se prend à mépriser la cour pontificale, et contre ellécrit ses trois sonnets dantesques et quelques lettres passionnées. Emai 1353, il la quitte pour toujours ; il accepte l’hospitalité milanaisde l’archevêque Jean Visconti. Accueilli avec honneur à Mantoue, edécembre 1354, par Charles IV, il espère de lui la restauration del’Empire chrétien. Il continue pourtant de servir les Visconti, unificateurs brutaux de l’Italie du nord ; il les représente comme ambassa





deur à Prague en 1356, à Paris en 1360. Il quitte, l’année suivante, Mlan ; après un bref passage à Padoue, il se fixe à Venise qui le traiteavec magnificence. Il se passionne maintenant pour le retour

d’Urbain V, que Charles IV, en 1368, vient saluer à Rome. Il croit quel’empereur et le pape, réconciliés, vont réformer le monde p277 chré-tien. Mais l’un retourne sans gloire en Bohême, et l’autre, sourd à toutes exhortations, reprend en 1370 le chemin de Provence. Atteint pala vieillesse, retiré en sa villa d’Arquà, sur les collines euganéennes, l poète meurt dans la nuit du 18 au 19 juillet 1374.

Pétrarque est presque aussi étranger à Dante que Guillaumed’Ockham à saint Thomas. Il ne paraît guère avoir compris la Divinecomédie, et ne se décida que tard, sur les conseils de Boccace, à

l’étudier attentivement. Écrit de 1327 aux premières années qui suivrent le 6 avril 1348, date de la disparition de Laure, le recueil lyriqude son Canzonieren’a rien de commun avec laVita nuova. LesTriomphes(Trionfi), commencés en 1357, mais auxquels, en 1373, iltravaillait encore, ne rappellent Dante que par l’emploi de la tiercrime et quelques réminiscences. Encore ces vers toscans n’exprimenson génie que dans la mesure où il s’éloigne le moins des traditionlittéraires, morales ou religieuses du moyen âge. Les troubadouravaient chanté l’amour courtois avant Pétrarque ; c’est en disciple dsaint Augustin qu’il confie à d’admirables sonnets les incertituded’une âme faible et convertie et qu’il a voulu donner pour conclusioà ses poèmes d’amour et de douleur un hymne à la Vierge. Déjà pourtant ce besoin de se raconter lui-même, la complaisance que, dans cele de ses œuvres latines qu’il préféra et qu’il appela sonSecret (Secre-tum), le traité Du mépris du monde( De contemptu mundi), écrit àVaucluse en 1343 — précieux commentaire duCanzoniere, sous for-me de trois dialogues entre l’auteur et saint Augustin, — il manifestà se choisir pour objet d’étude et d’analyse, laissaient apparaître ucertain oubli de la modestie que la morale catholique imposait aux

pécheurs, et comme une revanche de l’individu longtemps comprim par une discipline de réserve et de silence.

Renan a défini Pétrarque le premier homme moderne. Pourtant ise crut aussi chrétien que Dante, et, en même temps, voulut vivrecomme les anciens. Dante avait connu « le grand désir d’excellence par où la créature humaine se rend éternelle : il y voit un péché qus’expie au premier cercle du Purgatoire. Pétrarque également, dans l





Secretum, s’en confesse comme d’une faute grave, et forme un proposd’humilité ; saint Augustin lui enseigne l’abdication de soi-même el’ascétisme. Jamais pourtant il n’a cesse d’exiger de la vie la plupar

des joies qu’elle peut offrir, ni de poursuivre ce que, d’un terme em prunté à Cicéron et à Sénèque, il nommait la gloire. Il la p278concevaitcomme celle de l’orateur et du philosophe, conseiller des États et gude des intelligences. Mais sa toge ne voilait qu’à demi les faiblessed’une âme qui n’avait rien de romain, bien que souvent, consciente onon, elle échappât à la contrainte de l’Évangile. Une mélancolie ltravaillait, moins proche de la tristesse irritée de Dante que de cettlassitude de vivre, de cetteaccidia que la Divine comédieréprouve,comme destructrice de l’énergie active ; elle s’alimentait de toutes leimpatiences d’un désir qui attendait trop de la condition humaine. Dmoins, parmi les modernes, cette inquiétude inassouvie, une recherchconstante du geste et de l’effet, un mélange indiscernable d’affectatioet de sincérité, apparentent Pétrarque à Chateaubriand. Mêmes ambtions et même dégoût, même instabilité passionnée, mêmes illogismeet mêmes contradictions intimes. Il était réservé à ce romantique dfonder la tradition classique, à ce chrétien de démontrer aux hommedu moyen âge le génie du paganisme.

Il voulut jouer un rôle éclatant dans l’histoire de son siècle. Il acomme Dante, appelé de ses vœux la réforme de l’Église, invectivcontre les papes, cru ardemment à la mission providentielle du peuplromain, à la magistrature chrétienne et antique de César. Du moinfut-il le premier des grands patriotes italiens. Il aima l’Italie pour s beauté, pour son histoire éclatante, pour la primauté intellectuelle emorale de son génie, créateur d’art et de pensée. Le jardin de l’Empirdevient pour Pétrarque le domaine d’une nation, destinée à régil’Église, l’Empire et le monde. Mais, sauf lorsqu’il répète ce que Dante a mieux dit, sa doctrine reste vague et sa vue courte. La rivalitcommerciale de Gênes et de Venise lui échappe, comme les luttes d

classe qui divisaient les villes d’industrie et de négoce, et, quatre anaprès sa mort, allaient déchaîner à Florence la révolution prolétarienndes Ciompi. S’il existe une politique de Dante, il n’existe pas une politique de Pétrarque. Dans les pages par lui consacrées aux conflitspirituels et temporels de son temps, on chercherait en vain d’autroriginalité que celle d’une rhétorique à la fois convaincue et changeante. Il vit pourtant ses ambitions comblées. Rome, Naples, Parme





Milan, Venise, même l’étroite et jalouse Florence, lui attribuèrent unautorité morale qui sembla supérieure à la force matérielle. Pour l première fois se manifestait la puissance d’un homme de lettres. Dan

te n’avait jamais obtenu, dans son âpre exil, pareil prestige. p279 Pétrarque s’attribuait encore la mission de renouveler la philoso

phie. Il méprisa la scolastique, dont s’était nourri le génie de Dante. ne voulut reconnaître en elle qu’une dialectique abstraite et barbaredont il fit table rase, pour aller chercher, auprès de plus habiles, leéléments d’un savoir moins vain et plus émouvant. Mais son intelligence n’égalait pas celle de Dante ; il n’étudia pas les maîtrescontemporains et les jugea mal : Guillaume d’Ockham, Buridan, Al bert de Saxe, Marsile d’Inghen, Nicole Oresme ne méritaient pas se

dédains. Poète lyrique avant tout, dénué de préparation scientifique, ne pouvait comprendre des logiciens exigeants en fait de certitude ; ne connaissait pas mieux Scot, Thomas ou Bonaventure. S’il refusad’écouter les modernes, ce n’était pas pour interroger les Grecs, qu’ne pouvait lire dans leur langue, mais pour suivre aveuglément la plufaible doctrine philosophique de l’antiquité, l’éclectisme cicéronienqu’il complétait à l’aide du stoïcisme éclectique de Sénèque. Cicérone pouvait lui enseigner qu’un spiritualisme conventionnel, faussé pales préoccupations d’un homme d’État plus soucieux de conservatiosociale que de vérité. Sénèque était encore de plus mauvais conseilAssuré de lui ressembler en quelque manière, Pétrarque fut indulgenà sa doctrine affaiblie, déclamatoire, artificielle, où manque la théoridéterministe qui soutenait le stoïcisme hellénique. Il a cru Sénèqu proche des chrétiens ; il paraît avoir admis l’authenticité de sa corres pondance avec saint Paul, faux de basse époque, indigent et plat. Cmépris mal justifié de la scolastique, cet abandon à des guides machoisis, devaient introduire dans l’œuvre de Pétrarque de graves défauts, dont ne s’affranchirent que difficilement, pendant deux sièclesceux qui se réclamaient de lui : l’habitude d’un certain manque de sé

rieux philosophique, une tendance à se contenter de notions vagues, prendre des mots pour des idées, des phrases pour des preuvel’emphase pour hauteur morale.

Médiocre métaphysicien, il ouvrit pourtant la controverse qui allaidurablement opposer les deux écoles d’Aristote et de Platon. Il avai peu pratiqué l’un et l’autre. L’esprit du premier lui était évidemmenétranger. La philosophie aristotélicienne suppose une sévérité de mé





thode, un calme équilibre de pensée, que Pétrarque ignora toujours une théorie scientifique et rationnelle du monde ne pouvait lui convenir. Son intelligence était dominée par d’irrésistibles influences chré

tiennes, et particulièrement celle de saint Augustin. Mieux p280 instruitdes écoles duXIIIe siècle, il eût à saint Thomas préféré saint Bonaven-ture. Assuré que la raison est un moyen inadéquat de connaissance eque l’âme humaine peut, au moyen d’une ascèse appropriée, s’éleverun état où, l’entendement discursif entrant dans le silence, elle peuappréhender directement le divin, il préférait aux philosophies rationalistes celles qui laissent une large part à l’intuition. Il se dit, par suite platonicien ; mais, dans les Dialoguesdont il ne connaissait rien que par Cicéron ou les Pères, il ne sut trouver qu’une philosophie religieuse et vague. Il oublia que Platon veut des disciples mathématiciens ; ne retint de la doctrine que l’idéalisme et les mythes ; poète, il n’y vique poésie ; et ce platonisme romantique fut d’un exemple médiocrement heureux. L’hostilité de Pétrarque envers Aristote le conduisainaturellement à la haine de l’averroïsme, dont en Italie et dansl’entourage même des papes d’Avignon, se justifiait le scepticismélégant. Contre les disciples de cette science musulmane que Dantavait respectée, il médita longtemps en vain un grand ouvrage decontroverse ; et son inaptitude technique ne lui permit pas de confondre leur impiété qui riait de sa foi éloquente.

Aux sages de l’antiquité comme aux saints du christianisme, il demandait les règles d’une morale qui pût réconforter sa perpétuelle inquiétude. Le traité des Remèdes à tous hasards du sort ( De remediisutriusque fortunae), commencé en 1360 à Milan, terminé à Venise en1366, n’exprime qu’un pessimisme absolu. Pétrarque s’y acharne démontrer le néant de toute joie, de toute souffrance. L’Église, qui saila misère de l’homme ne lui permet pas de se mépriser tout entier cette philosophie sans espoir rejoint certaines formes tragiques de l pensée grecque et semble annoncer les plus profondes tristesses, mo

dernes. Elle s’accorde mal avec l’orthodoxie : plus volontiers que ldogme, le poète allègue la raison et le témoignage des anciensl’expérience et le spectacle de l’humanité abandonnée sans guide esans loi, de l’Italie divisée et sanglante. Pétrarque ne connaît d’autrremède à l’infinie détresse des hommes que la fuite dans la solitudeLe livre des Loisirs monastiques( De otio religiosorum), qu’il écrivitentre 1347 à 1356 pour des réguliers, diffère peu des manuels





d’édification composés à la louange de la retraite claustrale ; mais ltraité de laVie solitaire( De vita solitaria) entrepris à Vaucluse pen-dant le carême de 1346, terminé, en 1354, à Milan, et retouché peut

être jusqu’en 1366, nous livre une part plus précieuse de son p281 se-cret et nous laisse entrevoir son désaccord, réel et foncier, avec l’idéachrétien. Bien qu’il exalte les consolations mystiques des solitaires, emprunte au paganisme d’illustres exemples, et les conclusions dlivre demeurent assez étrangères au renoncement catholique. Pétrarque semble affirmer que l’individu, pour éviter la souffrance, dois’affranchir de toute obligation de métier, de classe, de patrie, afin dréaliser en lui-même l’harmonie et la liberté. Tel qu’il le dépeintl’ami de la solitude ressemble aux épicuriens antiques plus qu’à cemoines dont il parle avec quelque dédain. Lui-même ne s’enferme Vaucluse que pour cultiver amoureusement son moi selon le stylequ’il a choisi. Catholique sans doute, les exercices pieux et la méditation occupent une part de ses heures ; mais l’âme y trouve de nouvelles délectations ; et la joie qu’elle goûte à l’étude des lettres, de la phlosophie et de l’histoire, ne leur est pas sacrifiée, ni l’amour des beau paysages ou des œuvres insignes de l’art. D’ailleurs, un tempéramentrop instable, un besoin trop irrésistible d’émotions nouvelles et dspectacles nouveaux, ne permirent pas à Pétrarque de suivre ses pro pres conseils ; il ne resta guère à Vaucluse ; il n’a pas renoncé à la vi

ample et facile qu’il cherchait auprès des papes, des princes et des ré publiques ; par toutes les voies, et de manière souvent égoïste, il voulu conquérir ce bonheur dont il proclamait l’absolue vanité ; il ns’est pas guéri de sa passion, qu’il condamnait, pour la gloire ; il voulu et cru agir sur ses contemporains.

Au moment même où il niait le prix de tout effort humain, il travaillait à fonder l’humanisme. Cette doctrine qui, apparue dès leXIIe siècle, avait inspiré le respect de Dante pour les anciens et quelquedissertations duConvivio, loin d’abaisser la valeur de l’homme, de

son œuvre personnelle et collective, l’affirme et l’exalte, impose pou but à la société comme à l’individu de tendre sans cesse vers la pluhaute perfection de leur nature. En contraste avec le mysticisme chrétien, mais fidèle à la tradition courante de la morale hellénique, ells’accorde mal chez Pétrarque avec les négations désespérées du Deremediis. Le fait qu’il l’exprime essentiellement en des ouvrages decaractère historique à la louange de l’antiquité latine, en une épopée





la gloire du vainqueur d’Hannibal, invite à penser que, selon lui, lmonde est vide depuis les Romains et que la grandeur de l’homme nse manifeste que dans un passé à jamais révolu. Mais s’il n’y avait cr

découvrir des leçons p282 assez généreuses, pour romprel’enchantement qui condamnait les modernes à leur misère, il n’eûconçu ni lesVies des hommes célèbres( De viris illustribus), ni lesquatre livres desMémorables( Rerum memorandarum), ni l’ Africa, etn’eût pas clos un de ses sonnets dantesques à l’adresse de la cour pontificale par ces vers, où triomphe la prophétie d’un mystérieux retoude l’âge d’or :

Anime belle e di virtute amicheterranno’l mondo ; e poi vedrem lui farsiaureo tutto e pieno de l’opre antiche.

Il avait commencé, dès avant 1339, le De viris; il y travailla jus-que vers 1367, et n’acheva pas ces biographies destinées, sauf troiexceptions, à célébrer le génie de Rome. Les quatre livres desMémo-rables, écrits à Parme en 1344-1345, retouchés à plusieurs reprisesillustrent d’anecdotes choisies un discours sur les principales vertusque Pétrarque, faute d’habileté à manier les idées philosophiques, n’ jamais terminé. Dédaigneux des simples chroniqueurs florentins, dleur science exacte que l’art ne secondait pas, il réduisait l’histoire arôle d’auxiliaire de la morale : et, sans crainte de se contredirel’auteur du De vita solitariaexaltait le citoyen et l’homme d’action,formé par l’antique discipline de la cité. L’épopée dont il attendait urenom immortel se rattache à la même inspiration. Il en conçut l’idéà Vaucluse, en 1339 ; la plus grande partie était composée quand ireçut, au Capitole, la couronne de laurier. Près de Parme, dans la solitude de Selvapiana, Pétrarque, revenu de Naples et de Rome, conduisit le poème au point où il dut l’arrêter. Il avait voulu chanter le plugrand événement de la plus grande histoire, évoquer le génie d’un peuple en qui s’était manifestée la souveraine puissance du voulohumain. Mais, élégiaque et lyrique, il n’avait ni l’imagination assevigoureuse ni le cœur assez chaud pour animer cette résurrection ; ine sut que versifier, non sans talent, Tite Live ; il suivit de trop prèl’ Énéide. Bien que l’auteur duCanzonierese retrouve dans quelquesscènes pathétiques et dans quelques descriptions de paysages, l’œuvre









Pendant que Boccace collaborait ainsi à rénover la culture classique, des poètes, comme le Pisan Fazio degli Uberti, mort en 1368 ; lFerrarais Antoine Beccari, mort en 1363 ; le Trévisan François d

Vannozzo, perpétuaient la lyrique p285 élégante et souvent convention-nelle que Pétrarque avait su porter à sa plus haute perfection : Fazio shasardait même, dans un poème didactique, le Dittamondo, composéentre 1348 et 1367, à suivre de loin les traces de Dante. Mais toutune littérature bourgeoise et réaliste naissait de la tradition des vieuconteurs, rajeunie par le Décaméron. Jean Fiorentino, Jean Sercambi,Antoine Pucci, Franco Sacchetti se formaient, pendant la vieillesse dBoccace, à l’art de la nouvelle. Les chroniqueurs florentins se montraient singulièrement aptes à saisir les traits d’une société où, de pluen plus, prédominaient des intérêts mercantiles que Dante avait haïs eque Pétrarque avait jugés indignes de retenir l’attention des historienDino Compagni, mort en 1324, avait terminé vers 1312 uneChroni-que de son temps(Cronica delle cose occorrenti ne’ tempi suoi). JeanVillani embrassa, dans saCronaca, toute l’histoire florentine, de latour de Babel à 1348, et mourut la même année ; son frère Mathieucontinua son récit jusqu’en 1363 ; Philippe, fils de Mathieu, y devaiajouter, avant 1405, quarante-deux chapitres : Donato Velluti (13631370) écrivit également une chronique, riche de détails sur la vie el’activité des familles. Compagni avait su vigoureusement retracer le

luttes des partis, montrer l’action énergique de leurs chefs. Les Villancomprirent la grande politique italienne et européenne, l’action degroupes religieux, l’influence des commerçants et des chefs del’industrie. Velluti évoqua cette classe bourgeoise qui créait la prospérité et la grandeur de Florence.

L’effort de l’humanisme pour formuler en face du positivisme réaliste une doctrine plus haute, rencontra bientôt en France quelquapprobation. Pétrarque, ambassadeur de Galéas Visconti, visita, en1361, le royaume qu’il n’aimait guère. S’il voulut tout ignorer de

l’école parisienne, il se lia d’amitié avec Pierre Berchuire. Déjà ce religieux poitevin, passé, en 1332 de l’obédience franciscaine à la règlde saint Benoît, avait, de 1352 à 1356, traduit Tite Live. Jacques Bauchant allait traduire un traité de Sénèque, Simon de Hesdin les œuvrede Valère Maxime ; Nicole Oresme, le physicien et l’économiste, allait pour Charles V, entre 1370 et 1377, préparer d’après le latin seversions d’Aristote. Les contemporains français de Pétrarque puren





ainsi acquérir, avec une connaissance plus exacte du monde antiqueun goût nouveau de l’éloquence et du beau langage. Tandis que le Roman de la rosecontinuait de charmer la plupart des esprits, que les

poèmes et les récits de p286 Froissart divertissaient les cours, une tradi-tion durable de culture antique se fondait. Une génération grandissaiavec Laurent de Premierfaict, Jean de Montreuil, Nicolas de Clémenges et Jean Gerson lui-même, où devait se conserver le goût et le sende la noblesse antique et de la belle latinité. Mais, en dépit de Boccacet de quelques maîtres parisiens, renaissance scolastique et réalisterenaissance humaniste et classique persistaient à s’opposer, et Pétrarque n’eût pas souhaité leur réconciliation. Et comme, hors d’Italie ede France, l’humanisme devait attendre un siècle avant d’imposer sdiscipline érudite, le réalisme triompha pour longtemps dans les lettreoccidentales.

En Allemagne, où la noblesse ruinée semble parfois retourner à l barbarie, la poésie héroïque tombe en décadence et prête à la parodieDes compilateurs cultivent la poésie d’aventures. Les derniers Minnesänger ne sont plus que les survivants d’une grande école. Au contrare, les formes populaires ou bourgeoises de l’art d’écrire se dévelop pent avec succès. On peut déjà prévoir l’avenir du cantique religieuen langue vulgaire. Le lied triomphe auXIVe siècle ; il redit toutes lesmanifestations de la vie publique ou privée. Les bourgeois se plaisenaux Sprüchgedichtede Henri Teichner, au Renner de Hugues deTrimberg, aux poèmes satiriques et didactiques où s’exprime, commdans le Roman de la rose, une vive antipathie contre les puissants dela terre et le haut clergé.

Vers 1340 naît, dans la Cité de Londres, Geoffroi Chaucer, filsd’un marchand de vin. Il fit campagne en Artois et en Picardie, rest prisonnier quelque temps en France ; valet de chambre au service droi d’Angleterre, il obtint la protection du duc de Lancastre, accompldes missions diplomatiques, visita la France et l’Italie. Chargé defonctions importantes au contrôle du port de Londres, il allait, en1385, représenter à la Chambre des Communes le pays de Kent. Acours d’une vie très active et studieuse, il a connu la poésie françaiset la poésie italienne. C’est au Roman de la roseet à l’œuvre de Jeande Meung qu’il dut une partie de sa formation. Plus tard, en Italie, il connu les trois grandes œuvres où triomphait le génie toscan. Il a luDante ; mais les visions du Paradis l’émerveillent sans lui inspirer le





désir de suivre celui qu’il appelle le grand poète d’Italie. Il a proba blement, en 1372, rencontré Pétrarque à Padoue ; s’il admire sa « rhétorique suave », la pensée de l’humaniste lui était mal accessible

comme la subtilité p287recherchée duCanzoniere. L’esprit de Boc-cace était plus proche du sien. Il imita ses poèmes et ses romanamoureux et sentimentaux. Qu’il eût ou non lu le Décaméron, il allait,vers la fin du siècle, devenir le peintre réaliste de la société anglaisesans autre souci que d’évoquer à son tour, avec une exactitude ironique, les personnages d’une comédie humaine.

En Espagne, un goût analogue se manifeste pour la peinture du réel, qu’on ne cherche plus à revêtir d’une parure de convention. Si Rodrigue Yánez, dans son Poème d’Alphonse Oceno, se montre encore le

disciple de la vieille école qui triomphait dans le Poème du Cid , si lalégende même du héros, dans les nouvelles rédactions duXIVe siècle,se charge d’épisodes romanesques et vulgaires, Jean Manuel, neved’Alphonse le Sage, et régent du royaume de Castille pendant la minorité d’Alphonse XI, se montre dans le Livre des métiers( Libro delos estados), achevé en 1330, un moraliste enclin à l’allégorie, et dansson Livre des exemples du comte Lucanor , terminé en 1335, unconteur formé à l’école des Arabes. Mais le poète Jean Ruiz, archiprêtre de Hita, mort en 1350, après une existence des moins régulièresest un maître du réalisme ; il décrit avec une exactitude impitoyable lmonde où il a vécu ; son Livre du bon amour , par les récits, les souve-nirs personnels, les incidents bouffons qui en forment la trame, par letypes inoubliables que l’auteur a su créer, semble le plus ancienexemple du roman picaresque. p288

Table des matières

Bibliographie duchapitre X Science et réalisme, mystique et humanisme en Occident

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Les histoires générales de l’Église ci-tées p. 5 et les histoires générales de la philosophie ou de la scolastique cité p. 30. — Sur l’évolution des idées morales, P. Dittrich,Geschichte der Ethik. Die Systeme der Moral vom Altertum bis zur Gegenwart , t. III :Mittelalter bis zur Kirchenreformation(Leipzig, 1926, in-80).





Pour l’Italie, Jacob Burckhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien (Stuttgart, 1860, in-8° ; 2e éd. 1877-1878, 2 vol. in-8o, annotés par L. Geiger ;15e éd., par W. Goetz, Leipzig, 1926, 2 vol. in-8°), trad. française sous le titre : La civilisation italienne au temps de la Renaissance, par M. Schmitt,d’après la 3

eéd. allemande (Paris, 1885, 2 vol. in-8°), trad. italienne, sous letitre : La civiltà del Rinascimento in Italia, par D. Valbusa (Florence, 1899, 2

vol. in-8°, 3e éd. augmentée par Giuseppe Zippel, Florence, 1927, 2 vol. in-8°), guide indispensable dès leXIVe siècle. Sur l’évolution des lettres italien-nes, vues d’ensemble vigoureuses, accompagnées d’analyses pénétrantes danl’ouvrage classique de Francesco De Sanctis,Storia della letteratura italiana (Naples, 1871, in-8o, rééd. par Benedotto Croce dans la Collection des « Scrit-tori d’Italia », Bari, 1912, 2 vol in-8°) ; histoire méthodique de la littératurdans les ouvrages de Giulio Bertoni, Il Duecento; Nicola Zingarelli, Dante;Guglielmo Volpi, Il Trecento(Milan [1897], [1903], [1898, 2e éd. 1907], gr.in-8°, de la collection « Storia letteraria d’Italia, scritta da una società di pro

fessori »).Pour la France, on peut encore utiliser l’ouvrage de J.-V. Le Clerc et Ernest Renan, Histoire littéraire de la France au XIV e siècle, formant le t. XXIV(1862) de l’ Histoire littéraire de la France, réédité en 2 volumes (Paris, 1865,2 vol. in-8°). Comme manuels de l’histoire des lettres françaises, nous ne citrons que Gustave Lanson, Histoire illustrée de la littérature française(Paris,1923, 2 vol. in-4°), t. I ; et l’ Histoire de la littérature française illustrée, publ.sous la direction de Joseph Bédier et de Paul Hazard (Paris, 1923, 2 vol. in4°), t. I. — Pour l’Espagne, voir A. Ballesteros y Beretta, Historia de España (cité p. 5), t. III ; James Fitzmaurice Kelly, History of the Spanish literature (Londres, 1898, in-8o) ; trad. franç., Histoire de la littérature espagnole(Paris,

1904, in-12 ; 2e

éd. 1913) ; J. Hurtado y Gonzalez Palencia, Literatura espa-ñola (Madrid, 1922, in-8°). — Pour les lettres anglaises, voir The Cambridgehistory of English literature, publ. sons la direction de A.-W. Ward et A.-R.Waller (Cambridge, 1908 et suiv. in-8o), surtout le t. II,The end of the middleages (1908) ; É. Legouis et L, Cazamian Histoire de la littérature anglaise (Paris, 4924, in-12). — Pour l’Allemagne, voir A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands(citée p. 21), t. V, 1re et 2e parties ; H. Gerdes,Geschichte desdeutschen Volkes und seiner Kultur im Mittelalter (Leipzig, 1891-1898, 2 vol.in-8°) ; Fr. von Löher, Kulturgeschichte der deutschen Mittelalters, (Munich,1891-1894, 2 vol. in-8o).

I. Le testament théologique du XIIIe siècle : la Divine comédie OUVRAGES À CONSULTER . — On ne peut songer à donner une bibliographie même

sommaire, de la Divine Comédie. Les résumés les plus commodes sont lessuivants : A.-J. Butler, Dante, his time and his work (Londres, 1897, in-8° ; 2e éd. 1901) ; E.-G. Gardner, Dante (Londres, 1900, in-8°) ; Paget Toynbee, Dante Alighieri, his life and works(New-York, 1900, in-8° ; 4e éd., 1910) ;







OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages d’histoire de la philosophie cités p.30, ajouter K. Prantl,Geschichte der Logik im Abendlande(Leipzig, 1855-1867, 4 vol. in-8°), t. III et IV ; K. Werner, Die Scholastik des späteren Mitte-lalters (Vienne, 1883-1887, 4 vol. in-8o) ; E. Renan, Duns Scot, frère mineur ,dans l’ Histoire littéraire de la France, t. XXV (1869), p. 404-467 ; E. Plu-zanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot (Paris, 1887, in-8o) ; R. Seeberg, Die Theologie des Duns Scotus(Leipzig, 1900, in-8°) ; Bernard Landry, DunsScot (Paris, 1922, in-8°, dans la collection des « Grands philosophes ») ; lP. Ephrem Longpré, La philosophie du bienheureux Duns Scot , dans les Étu-des franciscaines, t. XXXV (1923) et t. XXXVI (1924), et à part (Paris, 1924,in-8o), critique vigoureuse du livre précédent ; É. Gilson, Avicenne est le point de départ de Duns Scot , dans les Archives d’histoire doctrinale et littéraire dumoyen age, t. I (1927)j p. 89-150 ; C.-R.-S. Harris, Duns Scotus(Oxford,1927, 2 vol. in-8o).

III. La critique de Guillaume d’Ockham OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages cités en tête de la note 1, p. 253, ajou-

ter Noël Valois, Pierre Auriol, frère mineur , dans Histoire littéraire de la France, t. XXXIII (1906), p. 479-527 ; L. Kugler, Der Begriff der Erkennlnissbei Wilhelm von Ockam(Breslau, 1913, in-8°) ; E. Hochstetter,Studien zur Metaphysik und Erkenntnisslehre Wilhelms von Ockam(Berlin, 1927, in-8°).

IV. Les origines ockhamistes de la science moderne OUVRAGES À CONSULTER . — Se reporter aux bibliographies des p. 253 et 256.

D’autre part, sur les origines ockhamistes de la science moderne, voir PierrDuhem, Études sur Léonard de Vinci ; ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu (Paris, 1906-1909-4913, 3 vol. in-8o), t. II et III ; du même auteur, Le systèmedu monde ; histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, t. IV(Paris, 1916 in-8°). Sur l’averroïsme, outre l’ouvrage d’E. Renan, Averroes et l’averroïsme(Paris, 1852, in-8°), voir É. Gilson, Études de philosophie mé-diévale(citées p ; 30), p. 51-75 : La doctrine de la double vérité, et textes deJean de Jandum sur les rapports entre la raison et la foi.

V. L’esprit de Jean de Meung et le positivisme bourgeois OUVRAGES À CONSULTER . — G. Lanson, Histoire illustrée de la littérature fran-

çaise (citée p. 249), t. I, p. 71-106 ; Histoire de la littérature française illus-trée, publ. sous la direction de J. Bédier et de P. Hazard (citée p. 249) ; t. I, p52-90 ; h. Clédat, Rutebeuf (Paris, 1891, in-16, de la collection « Les grandsécrivains français » ; 2e éd., 1898) ; J. Bédier, Les fabliaux(Paris, 1893, in-8° ;2e éd. 1894, réimprimée depuis sans changements) ; sur Joinville, voir Gasto





Paris, Jean, sire de Joinvilledans l’ Histoire littéraire de la France, t. XXXII(1898), p. 291-459. Les œuvres de Guillaume de Machaut ont été publiées e partie par E. Hoepfiner (Paris, 1908-1921, 3 vol. in-8°, de la collection de « Société des anciens textes français »). Sur Froissart, voir Mary Dannestete Froissart (Paris, 1894, in-16, de la collection « Les grands écrivains de laFrance »).

VI. Boccace et le Décaméron OUVRAGES À CONSULTER . — Outre J. Burckhardt, F. De Sanctis, G. Volpi (cités

p. 249), R. Davidsohn (cité p. 156), voir G. Körting, Boccacio’s Leben und Werke(Leipzig, 1880, in-8°) ; Henry Cochin, Boccace, études italiennes(Pa-ris, 1890, in-16) ; E. Gebhart,Conteurs florentins de la Renaissance(Paris,1901, in-16) ; Henri Hauvette, Boccace, étude biographique et littéraire(Pa-

ris, 1914, in-8o

), avec une abondante bibliographie.

VII. La réaction de la pensée mystique OUVRAGES À CONSULTER . — Peu d’études sur Jacques de Voragine, voir G. Ber-

toni, Il Duecento, cité p. 249, et E. Gebhart, L’Italie mystique, cité p. 30.— Sur les Fioretti, Voir G. Volpi, Il Trecento, cité p. 249 ; P. Sabatier,Vie de saint François d’Assise(Paris, 1894, Jn-8° ; 3e éd., 190G) ; Floretum sancti Franciscipubl. par le même (Paris, 1902, in-8°) ; W. Goetz, Die Quellen zur Geschichte des heiligen Franz von Assisi(Munich, 1904, in-8o).

Sur Raymond Lull, voir É. Littré et B. Hauréau, Raymond Lulle ermite,dans l’ Histoire littéraire de là France, t. XXIX (1885), p. 1-386 ; Jean-HenriProbst,Caractère et origine des idées du bienheureux Raymond Lulle(Tou-louse, 1912, in-8°) ; article du P.-E. Longpré, Raimond Lulle, dans le Diction-naire de théologie catholique, publ. par A. Vacant et E. Mangenot, t. IX(1926), col. 1072-1141 ; E. Allison Peers, Ramon Lull, a biography(Londres,1929, in-8°).—-Sur les mystiques allemands, outre A. Hauck, Kirchenges-chichte Deutschlands(cité p. 21), t. V, 1re partie, voir M. Preger,Geschichteder deutschen Mystik im Mittelalter (Leipzig, 1874-1893, 3 vol. in-8°) ;J. Bernhart, Die philosophische Mystik des Mittelalters(Munich, 1922, in-8°) ; X. de Hornstein, Les grands mystiques allemands du XIV e siècle (Fri- bourg en Suisse, 1922, in-8°, thèse de théologie) ; Ad. Lasson,Meister Eck-hart der Mystiker (Berlin, 1868, in-8°) ; A. Jundt, Essai sur le mysticisme spé-culatif de maître Eckhart (Strasbourg, 1871, in-8°) ; du même, Histoire, du panthéisme populaire au moyen âge(Paris, 1875, in-8°) ; Fr. Ehrle,Meister Eckeharts lateinische Schriften und die Grundanschauung seiner Lehre, dansl’ Archiv für Litteratur und Kirchungeschichte des Mittelalters, t. II (1886), p.417-615, et l’appendice I (p. 616-652), sur la prédication des mystiques allemands ; H. Delacroix, Le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIV e siècle (Paris, 1900, in-8°) ; O. Karrer,Meister Eckehart, das System seiner religiö-





sen Lehre und Lebensweisheit (Munich, 1926, in-8o).Sur Tauler et Seuse, W. Oehl,Tauler (Kempten, 1919, in-8o, t. IV de la

coll. « Deutsche Mystiker ») ; K. Bihlmeyer, Heinrich Seuse, Deutsche Schrif-ten (Stuttgart, 1907, in-8°). — Sur les Italiens, indications et bibliographiedans l’ouvrage (cité p. 249), de G. Volpi, Il Trecento. — Sur Ruysbroeck, voir A. Wautier d’Aygalliers, Ruysbroeck l’admirable(Paris, 1923, in-8°), avecune abondante bibliographie ; Melline d’Asbeck, La mystique de Ruysbroeck l’admirable(Paris, 1928, in-8°) ; du même auteur, Documents relatifs à Ruys-broeck (Paris, 1928, in-8°).

VIII. Pétrarque, initiateur de l’humanisme OUVRAGES À CONSULTER . — Bon résumé de l’œuvre de Pétrarque dans le livre de

G. Volpi, Il Trecento, cité p. 249. L’étude la plus solide reste celle, déjà an-

cienne, de G. Körting, Petrarca’s Leben und Werke(Leipzig, 1878, in-8°).Sur Pétrarque, fondateur de l’humanisme, l’ouvrage de Georg Voigt, Die Wie-derbelebung des klassischen Altertums oder das erste Jahrhundert des Humanismus(Berlin, 1859, in-8° ; 3e éd. par les soins de Max Lehnerdt, 1893, 2 vol.in-8°), et celui de Ludwig Geiger, Renaissance und Humanismus in Italienund Deutschland (Berlin, 1862, in-8°), ont perdu leur intérêt depuis la publica-tion du livre classique de Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme(Paris,1892, in-8°, fasc. 191 de la « Bibliothèque de l’École des Hautes ÉtudesSciences philologiques et historiques » ; 2e éd., 1907, 2 vol.) ; ajouter H.-C.Hollway Calthrop, Petrarch, his life and times(Londres, 1907, in-8°) ; MaudF. Jerrold, Francesco Petrarca, poet and humanist (Londres, 1909, in-8o) ;Edw. H. R. Tatham, Francesco Petrarca, the first modern man of letters, hislife and correspondence(Londres, 1921, 2 vol. in-8°) ; H. Eppelsheimer, Pe-trarca (Bonn, 1926, in-80). — Sur leCanzoniereet sa chronologie, voir Hen-ry Cochin, La chronologie du Canzoniere de Pétrarque(Paris, 1918, in-8°,dans « Bibliothèque littéraire de la Renaissance »). Sur le rôle historique l’influence de Pétrarque, bon résumé dans l’ouvrage d’Arthur Tilley,Thedawn of the French Renaissance(Cambridge, 1918, in-8°), ch.I. On peut voir également, dans la collection « Textes et traductions pour servir à l’histoire dla pensée moderne », dirigée par Abel Rey : Pétrarque,Sur sa propre ignoran-ce et celle de beaucoup d’autres, trad. de Juliette Bertrand, préface de P. de Nolhac (Paris, 1929, in-12).

IX. Réalisme et humanisme dans les lettres en OccidentOUVRAGES À CONSULTER . — Sur Boccace et les Italiens, voir p. 267, n. 1. — Pour

la France, voir G. Lanson, Histoire illustrée de la littérature française(citée p.249), t. I, et l’ Histoire de la littérature française illustrée, publ. sous la direc-tion de J. Bédier et P. Hazard (citée p. 249), t. I ; Henri Hauvette, De Lauren-tio de Primofacto[ Laurent de Premierfaict ] qui primus Joannis Boccacii ope-





ra quaedam galice transtulit ineunte saeculo XV (Paris, 1902, in-8°) ; AntoineThomas, De Joannis de Monsteriolo vita et operibus(Paris, 1883, in-8°). — Pour l’Allemagne, voir p. 249. — Pour l’Angleterre, voir The Cambridge his-tory of English literature, t. II, et Legouis et Cazamian, Histoire de la littéra-ture anglaise, cités p. 249 ; H. Root,The poetry of Chaucer (Londres, 1906,in-8o ; 2e éd. 1922) ; E.-P. Hammond,Chaucer, a bibliographical manual (Londres, 1909, in-8°) ; E. Legouis,Geoffroy Chaucer (Paris, 1910, in-16,coll. « Les grands écrivains étrangers »). — Pour l’Espagne, voir p. 249, n. 1





Table des matières

Chapitre XI

Art réaliste et art classique en Occident 82

Une double renaissance apparaît dans le domaine des formes et de

couleurs. Un réalisme dru et vigoureux se dégage lentement, aux payseptentrionaux, des traditions duXIIIe siècle ; les maîtres d’Italie, af-franchis des leçons gothiques ou byzantines, savent allier le souci dvrai à la recherche d’une beauté classique, dont ils empruntent leéléments aux souvenirs toujours vivants du monde païen. Ce renouveau touche peu, en France, et partout où l’on suit les leçons françaises, l’architecture ; mais il inspire aux constructeurs italiens, une technique enhardie par l’exemple de Rome. Il inspire la sculpture véridique, familière et moderne des Français et de leurs imitateurs, la sculpture volontairement antique des Pisans et de leurs disciples italiens. introduit, dans la fresque italienne, le drame classique de Giotto. p288

I. — L’évolution de l’architecture83 Les architectes français, dans les deux décades finales duXIIIe siè-

cle, ont mis la dernière main à quelques-unes de leurs œuvres les plumagnifiques. Le maître champenois Pierre de p289 Montereau vientd’achever en 1280 la basilique de Saint-Denis. Les travaux de la cathédrale d’Amiens prennent fin en 1288 ; en 1272, a été consacré lchœur de Beauvais, dont les voûtes, audacieusement portées à la hauteur de quarante-sept mètres, vont s’effondrer en 1288 et seront, danla première moitié duXIVe siècle, rétablies par Enguerrand le Riche.Simon de Mortagne, puis, après 1293, Simon du Mans, travaillent a






chœur de Tours. Depuis 1280, le transept de Rouen est terminé ; otravaille, depuis 1260, au chœur de Saint-Germain d’Auxerre. La cathédrale de Châlons est complète en 1280 ; Jean Deschamps finit, e

1285, le chœur de Clermont-Ferrand. On a commencé, en 1275, SainÉtienne de Bourges.

Au déclin duXIIIe siècle, les architectes possèdent leur techniqueavec une inégalable perfection. Moins de spontanéité, moinsd’initiative et, pourrait-on dire, de génie ; plus de calcul et de recherche. C’est sous Philippe le Bel que le style rayonnant succède au styllancéolé. Le plan des églises ne se modifie pas, malgré le développement parfois accordé à la chapelle de la Vierge. Les voûtes, plus savamment construites, s’allègent, les arcs-boutants s’amincissent, le

fenêtres ouvrent un accès plus ample à la lumière du jour, leurs meneaux de pierre, plus grêles, dessinent des arabesques géométriques les faisceaux de colonnettes s’élancent plus librement. Les églisenouvelles se distinguent par leur élégance presque abstraite et leuextraordinaire légèreté. La science de l’architecte ayant atteint sa perfection, les écoles sont moins tranchées, l’art devient plus uniforme, e présente parfois quelque monotonie. Alors, sont élevés les chœurs dBordeaux et d’Évreux, Saint-Urbain de Troyes, Saint-Nazaire de Carcassonne. On commence en 1318 Saint-Ouen de Rouen, dont les travaux, activement conduits jusqu’en 1339, durèrent, plusieurs fois interrompus, jusqu’au p290 XVe siècle, mais furent exactement poursuivisselon la pensée nette et lumineuse des premiers maîtres d’œuvre. Ce pendant s’achèvent les cathédrales de Bourges, de Rouen et dReims ; mais dans le royaume, désolé par la guerre de Cent Ansl’architecture se montre singulièrement moins riche et moins fécondqu’au siècle précédent. Toutefois, en 1373, à la cathédrale d’Amiensdans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, apparaît décidément, sous diverses influences anglaises, un style nouveau, qu’il est convenu d’appeleflamboyant, pour les dessins, ondulés comme des flammes, que tra

cent, dans le vide toujours plus vaste des fenêtres les meneaux oùs’encadrent les verrières.

L’art semble se mettre plus volontiers au service des individus edes collectivités. L’architecture civile prend un développement naguère inconnu. À Paris se multiplient les hôtels luxueux qui, avec leurtours, leurs portes étroites, leurs murailles d’enceinte et leurs créneaux, conservent l’apparence extérieure des antiques demeures mil









Mais en Italie, l’architecture gothique paraît désormais épuisée. Sl’on achève la cathédrale de Sienne, celle de Pérouse reste assez médiocre ; Santa Croce de Florence, commencée en 1294, sur un plan qu

rappelle Saint-Nazaire de Carcassonne, doit sa noblesse et sa grandeuà la simplicité presque élémentaire de ses lignes. Déjà les architectese libèrent de gothique. Les maîtres qui élèvent entre 1290 et 1330 ldôme d’Orvieto, combinent l’esthétique française avec les souvenirtoujours vivants des anciennes basiliques romaines. À Florence, Arnolfo de Cambio, qui de 1296 à 1301 dirige les travaux de Santa Maria del Fiore, Giotto qui, de 1334 à 1336, lui succède et pose, en 1334les bases du campanile, André Pisano et François Talenti, continuateurs de Giotto, rejettent l’usage barbare des arcs-boutants, introduisent, dans l’encadrement des portes et des fenêtres, quelques motifantiques, et par un placage de marbres multicolores, cherchent un pitoresque oriental. Les quatre architectes et les quatre peintres qui, e1366, ont conçu le plan du chœur et résolu d’asseoir sur la croisée uncoupole, rompent avec l’enseignement français. Comme Pétrarque, ils’efforcent de rénover, à l’aide des leçons de Rome, une tradition hostile à leur génie. Dix ans plus tard, Benci di Cione et Simon Talentid’après les dessins de l’Orcagna, pour encadrer la triple baie de lLoggia où vont se dérouler les solennités de la République, portent l plein cintre à la hauteur de l’ogive la plus aiguë. p293

II. — L’évolution de la sculpture84 Les doctrines des sculpteurs duXIIIe siècle subissent, au siècle sui-

vant de plus importantes modifications. Comme on construit moind’églises, l’activité des tailleurs d’images diminue ou change de caractère. Plutôt qu’à décorer de vastes monuments, ils travaillent maintenant pour le compte des rois, des princes, des bourgeois enrichis, ede la sorte, doivent se conformer aux goûts d’une clientèle mal préparée à comprendre les traditions idéales et abstraites de l’âge précédenSans doute exercent-elles désormais un moindre empire sur l’esprdes artistes. Des curiosités nouvelles s’éveillent ; la sensibilité recherche des émotions inconnues. Le goût de la discussion et de la critiquele besoin d’éprouver la solidité des synthèses doctrinales selon le






exigences de la démonstration scientifique, la volonté d’organiser, l’aidé de l’expérience, l’étude systématique du réel, qui se manifestenavec une telle puissance chez Scot d’abord et chez les ockhamiste

parisiens, communiquent un attrait inattendu à ce monde sensible oles plus grands penseurs duXIIIe siècle et les thomistes eux-mêmesn’avaient aimé que le reflet d’une lumière intelligible. D’autre part, ltradition mystique toujours active, que le scotisme avait renforcéeque l’ockhamisme ne contredisait pas, et qui s’accordait avec la piét populaire, entretenait dans les âmes le goût d’un contact plus étroavec l’infini. Les détresses d’une époque particulièrement dure les inclinaient vers les mystères douloureux de la foi, vers la contemplationenseignée par la piété franciscaine, des souffrances du RédempteurLa sculpture duXIVe siècle voulut plaire à des esprits positifs et à desâmes tourmentées. Elle leur offrit une image plus réaliste de l’hommune représentation plus émouvante du drame divin. Là est le secret dcette renaissance septentrionale dont, il y a quarante ans, Courajod sfit le premier historien. p294

Les portails du transept de Rouen, le gable du portail central deReims, et, à Notre-Dame de Paris même, les bas-reliefs encastrés danles murs extérieurs du chœur, nous laissent aisément suivre le passagd’un siècle à l’autre. Les figures sont traitées avec plus de liberté, leattitudes et les draperies trahissent une recherche nouvelle du détaianecdotique et de l’émotion. Au pourtour du chœur de Paris, Jean Ravy et Jean Le Bouteillier achèvent en 1351 de sculpter, avec un réalisme encore timide, les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les six statues d’évêques, placées avant la mort de Clément Vau portail nord de Saint-André de Bordeaux, révèlent un portraitistqui semble se divertir aux expressions variées d’un même modèleDans les chapelles fondées par les rois, les princes, les riches bourgeois, les corporations, se multiplient, avec les images des donateurles efforts d’un art véridique. Les statues de Charles V et de Jeanne d

Bourbon, sculptées par Jean de Liège à l’entrée de la vis du Louvreont disparu. Sans doute ressemblaient-elles aux vivantes images qudès avant 1370, ornaient le portail des Célestins. Mais ce sont letombiers qui, auXIVe siècle, se montrèrent les plus actifs promoteursdu réalisme. Les maîtres de l’âge précédent transfigurent le mort ; ungravité solennelle se répand sur ses traits, au spectacle du monde céleste que contemplent ses yeux grands ouverts. La sculpture, désor





mais, se borne à perpétuer l’expression familière et terrestre du visagdisparu. L’effigie tombale de Philippe III, exécutée après 1298, montre pour la première fois ce souci d’exactitude. Sans doute, certaine

conventions résistent encore assez longtemps au complet triomphe dréalisme : les images de femmes demeurent gracieuses et jeunes. Maassez fréquemment le défunt est représenté les yeux clos, dans unattitude de repos et d’abandon. Les tombeaux deviennent des monuments. La tombe de Jean XXII à Notre-Dame des Doms, celled’Urbain V aux Bénédictins d’Avignon, celle de Clément VI à laChaise-Dieu, à Saint-Denis les tombes de Philippe VI, de Jean le Boncelle de Charles V, œuvre d’André Beauneveu, manifestent une transformation certaine dans le goût des artistes et du public. Cependant l piété duXIVe siècle aime les images de la Vierge. À la mère triom- phante que l’âge précédent avait exaltée, succède une jeune mère donla mélancolie tout humaine s’attriste de prévoir le drame de la Passion.

Dans les églises des Pays-Bas, à la cathédrale de Tournai, p295 à Notre-Dame de Huy, les pierres tombales et les statues princières ex priment également un besoin de vérité et d’émotion. L’art de la sculpture qui, en Angleterre, subit, après la peste noire, une décadence évidente, recherche l’émotion dramatique et le pittoresque. En Allemagne, à Bamberg, à Magdebourg, à Erfurt, apparaît un réalisme naïvement minutieux, qui s’accorde avec un effort parfois gauche verl’expression. Il suffit de citer les Vierges Folles d’Erfurt (1358), legrandes figures d’apôtres taillées, de 1342 à 1361, pour le chœur dCologne, et, à Nuremberg, les sculptures de Saint-Sebald, de laFrauenkirche, exécutées entre 1330 et 1365. En Espagne, la sculpturaragonaise est italienne et pisane ; mais l’art qui domine dans le restde la péninsule vient d’au-delà des Pyrénées. Le cloître de Pampelunet le porche de Vitoria, les cloîtres de León et d’Oviedo, le cloître dBurgos, la porte de l’Horloge à la cathédrale de Tolède, le portail laté

ral d’Avila, ont été décorés par des artistes dont le goût se conformaux exemples français.

Ainsi évoluait, sous l’influence des besoins nouveaux del’intelligence et, de la sensibilité, cette sculpture que les maîtres dl’Ile-de-France, de Champagne, de Bourgogne, avaient portée à uninégalable perfection. Une renaissance spontanée, toute réaliste et pathétique, lui communiquait une jeunesse nouvelle. Mais déjà, en Itali





la tradition occidentale et française s’était effacée devant la traditiogréco-romaine.

Nicolas Pisano s’était révélé, dès 1260, au baptistère de Pisel’initiateur génial d’une renaissance qui, au service de la pensée chrétienne, mettait la beauté antique. Jean Pisano, son fils, travaillait, e1278, à la fontaine de Pérouse, dont la décoration semble entièremende sa main. Architecte et sculpteur, il construisit à Pise l’enceinte eles arcades du Campo Santo, à Sienne la façade, détruite en 1366, dla cathédrale. Il exécutait de 1298 à 1301, la chaire de Sant’Andrea dPistoia, de 1302 à 1310, la chaire monumentale du dôme pisan. Sefigures perdent déjà cette noblesse classique dont Nicolas retrouva lsecret ; il alourdit les formes ou les traite d’un ciseau trop sec. Mai

son art douloureux et violent, qui traduit avec une puissance et unampleur singulières le tumulte des passions déchaînées, ne doit rieaux traditions du nord, et ne fait que libérer la force dramatique déjcontenue en germe dans l’œuvre de Nicolas.

Grâce aux disciples du père et du fils, la sculpture pisane devinitalienne. Guillaume de Pise, à la chaire de San Giovanni p296 Fuorci-vitas de Pistoia, à la chaire de San Domenico de Bologne, apparaîcomme un imitateur de Nicolas, et rappelle par sa facture la manièrdes sarcophages romains. Arnolfo de Cambio, qui put confirmer, pa

l’étude de la sculpture campanienne, les leçons reçues de Nicolas, econstruisit les tabernacles de Saint-Paul-hors-les-murs et de SainteCécile du Transtévère, suit fidèlement la tradition antique ; grâce à lules formules pisanes pénètrent chez les marbriers romains. Mais ldépart des papes allait entraîner la dispersion des ateliers. Ce fut Naples que le Siennois Tino de Camaino, élève de Jean, et devenmaître de l’art funéraire depuis qu’il avait, en 1314, achevé au dômde Pise le tombeau d’Henri VII, s’établit en 1323 ; il y éleva les mausolées de la reine Marie de Hongrie, de Catherine d’Autriche, dCharles, duc de Calabre, de sa femme Marie de Valois, et dirigea letravaux ordonnés par le roi Robert. Son vigoureux talent rechercha plus volontiers, selon les leçons de Jean, l’expression que la beautclassique. Un autre Pisan, Jean di Balduccio, construisit en 1339, Sant’Eustorgio de Milan, le tombeau de l’inquisiteur Pierre Martyr reliefs et figures allégoriques y rappellent, non sans un peu de lourdeur et de monotonie, la chaire de Sienne. Bientôt, ses élèves lom bards érigeaient à Pavie, dans l’église de San Pietro in Ciel d’Oro, en







la Genèse, l’arbre de Jessé, les prophètes annonciateurs de la Rédemption, la vie du Christ, le Jugement dernier, se retrouvent avec quelqueSiennois, André Pisano et le Florentin Orcagna.

III. — L’évolution de la peinture85 La peinture italienne reçoit alors quelques-uns des caractères

qu’elle allait conserver pendant deux siècles. Elle se libère de la tradtion byzantine et s’exerce victorieusement aux hardiesses osées par lsculpture. Alors s’accomplit une synthèse géniale de réalismed’idéalisme classique, et, dans une p298 certaine mesure, de fantaisie etde préciosité orientale ; ces éléments divers s’accordent et se dosenselon le goût des écoles et des milieux.

À Rome, la peinture avait atteint, dans le courant duXIIIe siècle, unhaut degré de puissance et de perfection. L’enseignement complexe dl’Orient régnait dans la fresque, sans avoir toutefois effacé les traditions antiques, entretenues par l’art chrétien. Pierre Cavallini, de 128à 1316, à Saint-Paul-hors-les-murs, dans la basilique d’Assise, à Sainte-Cécile du Transtévère, à Santa Maria Domna Regina de Naplesraconta l’Ancien Testament, le Nouveau, le Jugement dernier, aveune ampleur dramatique, un mélange de réalisme et de grandeur relgieuse. Au cours des mêmes années, Jacques Torriti ornait de mosaïques et de fresques Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie Majeure, et, San Francesco d’Assise, composait d’admirables scènes, émouvanteet graves, comme l’ Arrestation du Christ ou lesSaintes Femmes autombeau.

Parmi ces maîtres apparaît pour la première fois, en 1272, le Florentin Jean Cimabue. Il avait, sans doute collaboré aux mosaïques dBaptistère ; il acheva de s’instruire auprès de Cavallini ; il resta pourtant bien plus oriental que romain. Les foules que Cavallini laisse on

duler au vent de la passion s’ordonnent dans ses fresques selon unrythme grave qui contient sans l’affaiblir la véhémence de leur sentiment. Quand il eut peint, dans le transept d’Assise, ses figuresd’Anges et de prophètes, ses scènes de l’Apocalypse, sa Crucifixio






tragique, Dante et les contemporains admirèrent en lui le prince de soart.

Giotto di Bondone devait pourtant créer une peinture nouvelle plus complexe et plus humaine, plus idéale à la fois et plus vraie. naquit, plus probablement à Florence que dans le Mugello, en 1267Instruit par Cimabue, il travailla sans doute p299 avec lui à la basiliqued’Assise ; il dut apparemment davantage à Cavallini ; il rejeta de bonne heure toute convention orientale et byzantine. Les œuvres desculpteurs pisans lui révélèrent les formes antiques de la beauté ; iapprit d’eux aussi l’art d’équilibrer les masses, de simplifier les images, d’abolir les détails trop individuels, de réaliser des types supérieurs, par leur beauté grave et comme apaisée, à l’humanité réelle

Mais en même temps il l’étudiait avec une curiosité attentive, excellaà noter et à traduire tous ses sentiments et ses émotions. Une intelligence naturellement classique l’aidait à dégager, des sujets imposé par l’usage, le pathétique essentiel, à le commenter en quelques fomules abrégées et saisissantes ; à créer des figures qu’on n’oubliai plus, des scènes dont l’ordonnance durablement s’imposait ; elle disciplinait, selon un idéal de vérité dramatique, l’observation de la nature et l’imitation de la beauté gréco-romaine.

C’est avant 1298, dans les fresques d’Assise où se déroule la vie d

saint François, que son génie se révéla. Bientôt, en 1298, il aide Cavallini à décorer de mosaïques le portail principal de Saint-Pierre ; évoque la nef de l’Église, battue de la tempête, et sauvée par le Chrismarchant sur les eaux ; il orne de fresques la loge du Latran construit par Boniface VIII. Son goût du vrai, de l’émotion condensée et vigoureuse, se développe et s’affermit ; ses personnages acquièrent une ro bustesse parfois un peu lourde, où se retrouve le souvenir de NicolaPisano et des mosaïstes romains. En 1301, sans doute, dans la chapeldu Podestat de Florence, il peint la légende de saint Martin, et le Jugement dernier, auquel assiste, dans la grave assemblée dés citoyensl’auteur de laVita nuova, naguère prieur, et qui n’a pas encore écrit laComédie. De la même époque semblent dater deux retables, La Ma-done glorieuseexécutée pour les Franciscains d’Ognissanti,Saint François recevant les stigmates. Mais son génie semble plus à l’aisedans les grandes fresques. C’est à la chapelle padouane de l’Arenaqu’après 1306 il a conçu et peint son œuvre capitale, l’histoire de lVierge et du Christ. L’Évangile et la Légende doréeont fourni les





éléments d’un ample drame où les scènes familières, l’histoire de Joachim, sa vie parmi les bergers, la naissance de la Vierge, son mariagela Visitation, la Nativité, l’adoration des Mages, préludent aux scène

tragiques de l’arrestation du Christ, de la Passion et del’ensevelissement, aux scènes triomphales de l’Ascension et de lPentecôte, dont un vaste Jugement dernier forme p300l’épilogue, tandisque des figures symboliques représentent les vices et les vertus chrétiennes. Il décorait, probablement entre 1310 et 1320, l’église bassd’Assise ; il célébra la vie merveilleuse de François, son mariage avela Pauvreté, le triomphe de la Chasteté et de l’Obéissance. D’autre peintures, consacrées aux miracles du saint, abondent en portraits singulièrement vivants. Un Christ en croix, qui rappelle le Calvaire dPadoue, neuf scènes de l’enfance de Jésus, semblent trahir l’aide dcollaborateurs. Dès lors, Giotto, chef de l’école florentine, avait, dl’aveu de Dante, éclipsé Cimabue. Il décorait, à Santa Croce, les cha pelles Bardi et Peruzzi ; avec une science désormais achevée dl’harmonie et du rythme, il résumait l’histoire de saint Françoiscontait la légende de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’ÉvangélisteDéjà la Crucifixion d’Assise laissait entrevoir fra Angelico ; les dernières fresques de Florence semblent annoncer Masaccio. Il ne restrien des peintures qui, au palais du Podestat, symbolisèrent le bongouvernement, rien des fresques du Carmine qui périrent, en 1771

avec l’église incendiée. Vasari prête à Giotto d’immenses voyages nous ne savons rien de son séjour à Naples, où il resta de 1330 à 1333Il ne put se rendre à la cour d’Avignon, où l’appelait Benoît XII, emourut à Florence, le 8 janvier 1337.

À Sienne se développait une école qui, dans le courant duXIVe siè-cle, allait, à certains égards, dépasser la florentine. Formée par les enseignements de Byzance, elle ne connut pas la hardiesse, à la foiclassique et réaliste, qui se manifestait chez Giotto ; elle garda unconception plus décorative que dramatique de la peinture ; elle se plu

surtout au jeu des couleurs, à la recherche d’harmonies subtiles ; ellfut moins intellectuelle et plus strictement pittoresque ; restée pluétroitement fidèle aux traditions de Byzance, elle accueillit plus volontiers les influences de l’Orient et peut-être de l’Extrême-Orient.

Duccio di Buoninsegna naquit sans doute entre 1255 et 1260. I peignait, en 1285, pour la chapelle Rucellai, à Santa Maria Novella, lVierge entourée d’anges ; sur la foi de Vasari, on attribua longtemp





ce retable à Cimabue. L’œuvre reste byzantine de composition ; maila grâce délicate des figures appartient à l’école siennoise ; dans lcoloris se révèle un goût de la nuance, étranger à l’art plus vigoureu

des Florentins. Le grand retable du dôme de Sienne, laVierge de ma- jesté, achevé en 1311, traite la même donnée byzantine avec plus desérénité p301et de tendresse, la même recherche patiente et heureuse ducoloris, des effets de lumière sur l’éclat assourdi des étoffes. Les épsodes de la vie de la Vierge et de la Passion du Christ, peints au reverdes volets, diffèrent des grandes œuvres de Giotto par une techniqu plutôt appropriée à la miniature et par une moindre puissancd’évocation. Si le maître donne fréquemment à ses figures une expression douloureuse, il conserve le souci du style traditionnel hérité dByzance ; aussi habile dessinateur que Giotto, aussi exact observateudu visage humain, doué d’un sens plus exquis de la grâce et de la beauté, il ne veut pas et ne sait pas tirer de la légende, comme le maître florentin, les scènes simplifiées d’une tragédie classique. Tandique Giotto poursuit un effet essentiellement intellectuel au moyend’un réalisme sobre, qui accentue l’émotion religieuse et le pathétiquhumain, Duccio, avant tout coloriste et poète, respecte la conventioqui laisse les scènes religieuses se dérouler dans un monde de rêveembelli parla rareté des tons et le jeu subtil des nuances.

Simon Martini fut probablement son élève. Dès 1315, au Palaicommunal de Sienne, il traitait en une vaste fresque le sujet qui avainspiré à Duccio le retable de la cathédrale, évoquait la Vierge de Ma jesté, dans un cortège de saints, de docteurs et de prophètes. Son collaborateur, bientôt son beau-frère, Lippo Memmi, peignait, selon lemêmes formules, à San Gimignano, dans la grande salle du Palais pu blic, une Madone entourée des protecteurs de la ville. À Naples, en uretable de San Lorenzo Maggiore, Simon racontait la vie de sainLouis de Toulouse, dont la retraite dans l’ordre franciscain avait permis à son frère, le roi Robert, de ceindre la couronne angevine. U

autre retable, au dôme d’Orvieto, montrait sainte Madeleine, sainDominique, saint Pierre et saint Paul autour de la Vierge et del’Enfant. À Sienne, cependant, il traçait, dans une des salles du Palaisla silhouette des places fortes de la République, parmi lesquelles sdresse, peut-être inspirée de quelque miniature persane, l’effigie dcapitaine Guidoriccio de Fogliano. L’ Annonciationdes Offices datede 1333. Dans une chapelle de la basilique d’Assise, les scènes de l





légende de saint Martin allient à la grave et efficace simplicité giottesque la grâce du coloris siennois, et peut-être le souvenir des miniatures françaises. Maître incontesté de la peinture italienne depuis l

mort de Giotto, il décorait, pour Benoît XII le palais pontifical et l porche de Notre-Dame des Doms. p302 C’est alors qu’il connut Pétrar-que et peignit pour lui le portrait de Laure. À ce séjour avignonnaiappartiennent quelques retables, où la recherche nouvelle d’un pathétique violent, semble déceler l’influence des Lorenzetti. Il mourut e juillet 1344. Du Palais des papes où sa fantaisie, sa grâce, sa tendresse, son sens du réel et son goût de la convention élégante avaient singulièrement enrichi la tradition encore primitive de Duccio,l’influence de l’art siennois se répandit à la cour des ducs de Bourgogne, et sans doute en Bohême, à la cour italienne et française de Charles IV.

Élèves, comme Simon, de Duccio, les deux frères Ambroise ePierre Lorenzetti complétèrent l’enseignement raffiné de l’école siennoise par les leçons classiques et réalistes de Giotto. À l’église inférieure d’Assise, Pierre, vers 1320, conta l’histoire de la Passion ; iintroduisit dans ses fresques un goût familier, plus florentin que siennois, du réel. Quand, en 1331, tous deux, à San Francesco de Siennedécorèrent la salle du chapitre, le martyre des Mineurs au Maroc leuoffrit un prétexte pour évoquer les figures et les costumes d’un Orienà demi fantaisiste et pour retracer, avec un naturalisme violent et tragique, des scènes de mort. En 1337, Ambroise travaillait au Palais dSienne dans la salle du Conseil des Neuf. Suivant le modèle laissé a palais florentin du Podestat par Giotto, il peignit l’allégorie du Bon edu Mauvais gouvernement. La simplicité classique du maître florentiy discipline la subtilité siennoise ; au goût oriental du coloris s’y joinl’observation personnelle du paysage. Mais les madones d’Ambroisconservent la douceur émouvante que les peintres de Sienne donnaienà l’image de la mère du Christ.

Un atelier propageait, à Florence, l’enseignement de Giotto, sous lconduite de Taddeo Gaddi, son filleul, qui, entre 1332 et 1338, ornde fresques, à Santa Croce, la chapelle Baroncelli. Capable d’imaginela grâce et la simplicité de scènes familières, et d’ajouter aux formulede Giotto quelques heureuses innovations, il pratiqua trop souvent u procédé qui, pour atteindre la gravité, allonge ou gonfle maladroitement les figures. Son fils Agnolo, qui mourut en 1396, conserva l





tradition giottesque ; avec une abondance prolixe, au chœur de SantCroce, il narre la légende de la Sainte Croix. Un peintre venu del’Italie du nord, Jean de Milan, se montrait, à la chapelle Rinuccin

dans la sacristie de Santa Croce, observateur de la réalité familièrecoloriste amoureux de belles étoffes et de beaux feuillages. p303 AndréOrcagna, qui achevait de sculpter le tabernacle d’Or San Michèle, ap paraissait comme le plus puissant artiste de l’Italie après Giotto. avait, en 1350, retracé, dans l’église dominicaine de Santa Maria Novella, toute la vie de la Vierge ; il évoqua aux murs de la chapelleStrozzi le Jugement dernier, le Paradis et l’Enfer ; la Divine comédie inspirait pour la première fois un commentaire de génie. Élève dSienne, André de Florence décorait, au même couvent, la chapelle ditau XVIe siècle des Espagnols ; il y retraça l’histoire du Christ, letriomphe de saint Thomas, les travaux des Frères Prêcheurs. Compostions vastes et savantes, où manque la puissance dramatique de Giottomais où le coloris siennois garde sa profondeur et la grâce ; où les épsodes et les détails d’une invention variée, pittoresque et parfoiémouvante, retiennent l’esprit plus que les ensembles, sauf la scène dCalvaire et de la montée au Golgotha, d’un rythme large et fort malgrle caractère conventionnel de la perspective. Mais le peintre a su donner à ce vaste poème, conçu peut-être par le prieur, Jacques Passavanti, un caractère de gravité religieuse qui s’accorde avec la dogmatiqu

thomiste. L’art siennois et florentin allait, au Campo Santo de Pise produire quelques-unes de ses œuvres demeurées les plus célèbreDivers peintres, dirigés par François de Volterra, qui reçut sa formation première dans l’atelier de Giotto, y travaillaient dès 1370, aveune âpreté brutale de dessin qui trahit quelque inexpérience ou quelque volonté d’archaïsme, avec un goût de la simplification dramatiquhérité de Giotto, et, parfois, une recherche toute siennoise du colorisLes Histoires des anachorètes de la Thébaïdeillustrent les vies desaints contées par Dominique Cavalca et procèdent d’un modèle dPierre Lorenzetti. Le Jugement dernier et l’Enfer rappellent, les peintures d’Orcagna dans la chapelle Strozzi ; le célèbreTriomphe de laMort , la Rencontre des trois morts et des trois vifs, la menace fatalesuspendue sur les têtes des heureux de la terre, l’attente des misérablequi appellent la fin de leurs souffrances, semblent procéder d’unfresque d’Orcagna, dont il ne subsiste, à Santa Croce, que des lam beaux.





C’est de Florence et de Sienne que s’inspirent, dès le milieu duXIVe siècle, les peintres français ; ils vont se former de préférencedans les églises et les palais d’Avignon. La miniature, qui, dans le

Bréviaire de Belleville, antérieur à 1334, atteint avec Jean Pucelle s plus haute perfection, unit au p304 strict naturalisme une grande sou- plesse de modelé. Mais le portrait que probablement Girard d’Orléan peignit en 1359 pour le roi Jean prisonnier, est une œuvre de technique italienne dans son réalisme vigoureux. Charles V fit exécuter aLouvre et à l’Hôtel Saint-Pol de vastes fresques où les motifs empruntés au règne animal et végétal occupaient la plus large place ; il aimailes miniatures et les tableaux ; l’enlumineur Jean Bridel, appelé communément Jean ou Hennequin de Bruges, au service du roi depui1368, nous a laissé son image au frontispice d’une précieuse Bible his-toriale. Jean d’Orléans, vers 1374, remplaçait à la cour son père Gi-rard. L’art parisien manifestait alors toute sa science et sa puissancexpressive dans le parement d’autel dit Parement de Narbonne, où sedéroulent diverses scènes de la Passion ; certains détails, comme l présence de Mongols à longues nattes, rappellent les fresques siennoses d’André de Florence à la Chapelle des Espagnols. p305

Table des matières

Bibliographie du chapitre XI Art réaliste et art classique en Occident

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Les deux grandes œuvres d’ensemblesont l’ Histoire de l’art depuis les premiers temps chrétiens jusqu’à nos jours, publiée sous la direction d’André Michel (Paris, 1905 et suiv., in-4°), t. II Formation, expansion et évolution de l’art gothique, en 2 parties (1905), etAdolfo Venturi,Storia dell’arte italiana(Milan, 1904 et suiv.), t. III : L’arteromanica(1904) ; t. IV : La scultura del Trecento e le sue origini(1906) ; t.V : La pittura del Trecento e le sue origini(1907).

I. L’évolution de l’architecture OUVRAGES À CONSULTER . — Pour la France, avant tout, B. de Lasteyrie,

L’architecture religieuse en France à l’époque gothique, publ. par MarcelAubert (Paris, 1927, 2 vol. in-4°) ; en outre, dans l’ Histoire de l’art , publ. sous





la direction d’A. Michel (citée n. 1), le t. II (1906), en particulier les chapitrede C. Enlart ; A.-K. Porter,Medieval architecture(New-York, 1909, 2 vol. in-8o ; 2e éd. 1912) ; C. Enlart,Manuel d’archéologie française depuis les tempsmérovingiens jusqu’à la Renaissance; I. Architecture religieuse(Paris, 1902,in-8° ; 2

eéd., 1909-1924, 3 vol. in-8° ; 3

eéd. en cours de publication) ; II. Ar-chitecture civile et militaire(Paris, 1904, m-8°) ; T.-G, Jackson,Gothic archi-

tecture in France, England and Italy(Londres, 1915, 2 vol. in-8°). — Pour l’Italie, outre l’ Histoire de l’art d’A. Michel, citée plus haut, voir Ch. A.Cummings, A history of architecture in Italy(Boston-New-York, 1901, in-8o) ; J.-W. Anderson,The architecture of the Renaissance in Italy(Londres,1909, in-8o) ; Heinrich von Geymüller et Carl von Stegmann, Die Architektur der Renaissance in Toskana(Munich, 1909, in-8o) ; Frank Paul, Die Renais- sancearchitektur in Italien, t. I (Leipzig, 1912, in-8°) ; Hans Willich, Die Bau-kunst der Renaissance in Italien bis zum Tode Michelangelos, t. I (Berlin,1916, in-8°) ; Julius Baum, Baukunst und dekorative Plastik der Frührenais-

sance in Italien(Stuttgart, 1920, in-8o) ; Adolfe Venturi,Storia dell’ arte ita-liana (citée p. 289), t. VIII : L’archittetura del Quattrocento(1923-1924, 2

vol. in-4o), 1er vol — Sur Rome, Émile Bertaux, Rome(Paris, 1904-1905, 2vol. in-8°, de la coll. des « Villes d’art »), t. I : De l’ère des catacombes àl’avènement de Jules II ; t. II : De l’avènement de Jules II à nos jours. — Vued’ensemble dans l’ouvrage de Max Dvorak,Geschichte der italienischen Kunst im Zeitaller der Renaissance(Munich, 1927-1928, 2 vol. in-8°).

II. L’évolution de la sculpture OUVRAGES À CONSULTER . — Histoire de l’art , publ. sous la direction d’André

Michel (citée p. 289), t. II, 2e partie (1906), le chapitre d’E. Bertaux sur lasculpture en Italie et en Espagne et celui d’A. Michel sur la sculpture en France et dans les pays du nord ; L. Courajod, Leçons professées à l’École du Lou-vre (1887-1896), publ. par H. Lemonnier et A. Michel (Paris, 1899-1903, vol. in-8°), t. II (1901) :Origines de la Renaissance; Émile Mâle, L’art religieux à la fin du moyen âge en France(Paris, 1908, in-4o) ; R. de Lasteyrie,ouvr. cité p. 289. — Sur l’évolution de la sculpture italienne, voir Marcel Reymond, La sculpture florentine(Paris, 1897-1900, 4 vol. in-4o), t. I : La sculp-ture florentine du XIV e siècle; Adolfo Venturi,Storia dell’ arte italiana(citée p. 289), t. III : L’arte romanica(1904) ; t. IV : La scultura del Trecento e le sue origini(1906), avec d’abondantes bibliographies. Voir encore Max Dvo-rak,Geschichte der italienischen Kunst , cité p. 290.

III. L’évolution de la peinture OUVRAGES À CONSULTER . — Histoire de l’art , publiée sous la direction d’André

Michel (citée p. 289), t. II, 2e partie (1906), ch.IX, sur la peinture italienne auXIVe siècle, par A. Pératé ; Adolfo Venturi,Storia dell’ arte italiana(citée p.





289), t. V : La pittura del Trecento e le sue origini(1907), avec une riche bibliographie ; H. Thode, Franz von Assisi und die Anfänge der Kunst der Re-naissance in Italien(Berlin, 1885, in-8°) ; M.-G. Zimmermann,Giotto und die Kunst Italiens im Mittelalter (Leipzig, 1899, in-80) ; H,.Thode,Giotto(Biele-feld et Leipzig, 1899, collection des « Künstlermonographien ») ; Mason Pekins, Giotto(Londres, 1902, in-8°, coll. des « Great masters ») ; Ch. Bayet,Giotto(Paris, 1907, in-8°, coll. « Les maîtres de l’art ») ; E. Cecchi, I Trecen-tisti senesi(Rome, 1928, in-4o), trad. franc. de Jean Chuzeville, sous le titre Les peintres siennois(Paris, 1928, in-4°). Les influences de l’art des paysorientaux et musulmans sur l’art italien ont été étudiées par Gustave Soulie Les influences orientales dans la peinture toscane(Paris, 1924, gr. in-8°) ; dumême auteur,Cimabue, Duccio et les premières écoles de Toscane, à proposde la Madone Gualino(Paris, 1929, pet. in-4°, de la « Bibliothèque del’Institut français de Florence », 2e série, n° 4). — Sur la peinture française auXIVe siècle, voir P. Durrieu, La peinture française à l’Exposition des primitifs

français(Paris, 1904, in-8o) ; H. Bouchot, Les primitifs français(Paris, 1904,in-8o) ; L. Dimier, Les primitifs français(Paris, 1904, in-8o) ; L. Dimier et

L. Réau, Histoire de la peinture française, t. I : Des origines au retour deVouet, 1300-1627 (Paris et Bruxelles, 1925, in-4o).





LIVRE II

La débâcle (1380-1453)

Table des matières

Chapitre premier

Le grand schisme, Jean Hus et lec oncile de Constance(1378-1418) 86

Après un siècle au cours duquel de graves atteintes avaient abaissle prestige du Saint-Siège et singulièrement amoindri l’autorité d

l’Église catholique, le Grand Schisme d’Occident vint en romprl’unité. Divisés entre deux obédiences qui se p307 prétendaient égale-ment légitimes, et quelque temps contraints d’assister à la querelle dtrois papes, les fidèles restèrent vingt-neuf années sans savoir queétait le véritable vicaire du Christ. Le discrédit séculaire du SaintSiège, l’antique mécontentement des Églises nationales, plus durement exploitées que jamais par les pontifes rivaux, firent naître le désir d’imposer des bornes à l’absolutisme papal et le libre contrôle deélus du clergé. Le concile ne mit fin au schisme qu’après avoir proclamé ses propres droits et défini pour plusieurs siècles une doctrinqui réformait, selon l’idéal d’une monarchie constitutionnelle et fédérative, le gouvernement romain. Cependant le progrès ininterrompu dla pensée hérétique avait pu aboutir sans peine en Bohême à la restauration enthousiaste du pur Évangile, à la négation éclatante del’enseignement et de l’ordre catholique. Le concile, qui entendai

86 OUVRAGES GÉNÉRAUX À CONSULTER .





abaisser le pape, n’en défendit qu’avec plus d’acharnement le dogmeil refusa de discuter avec les novateurs, il voulut leur mort et les frap pa, sans hésiter ni sentir le péril de soulever la conscience d’un peu

ple.

I. — La double élection de 1378 et la division de la chrétienté87

Grégoire XI, prévoyant les conflits qui naîtraient de la vacance duSaint-Siège, avait ratifié par avance le choix du futur conclave, absoude toute irrégularité qu’il pourrait commettre. La mort du pape (2mars 1378) fut immédiatement suivie de graves désordres à RomeItaliens et Romains n’admettaient qu’un successeur romain : dans lville ruinée par une longue absence, la présence de la cour pontifical pouvait seule ramener la prospérité. L’orgueil national considéracomme une dégradation pour l’Église de tomber aux mains des étrangers.

Or l’attitude des cardinaux en face des désirs populaires p308 étaitdouteuse. Trois factions les divisaient, les Français au nombre de cinqles Limousins qui disposaient de sept voix, et les Italiens qui étaienquatre. Les cardinaux « d’outre-mont » avaient donc une forte majorté ; un pape italien ne pouvait guère être élu sans pression extérieureMalgré les troubles et les violences qui déjà se manifestaient à Romeles cardinaux entrèrent en conclave le 6 avril, et ne prirent pas gransoin de leur protection. Dès le début du conclave, peut-être mêmavant, Italiens et Français s’unirent contre les Limousins ets’entendirent sur le nom d’un candidat qui, sans appartenir au SacréCollège, était renommé pour ses vertus et son intégrité, BarthelemPrignano, archevêque de Bari. Le 8 avril, malgré l’émeute qui menacle Vatican, tous les conclavistes, sauf un, désignent Prignano ; ils déclarent solennellement que leur choix est libre et l’élection valideMais la foule envahit le conclave ; les cardinaux font le simulacrd’élever sur le trône et d’adorer leur doyen d’âge, Louis TebaldeschUne fois le peuple satisfait, six d’entre eux se réfugient au châteaSaint-Ange, quatre s’enfuient de Rome. Le lendemain, ceux qui sonrestés intronisent Prignano sous le nom d’Urbain VI.






Le danger passé, les cardinaux se rallient au nouveau pape, reviennent à Rome, lui demandent des faveurs et annoncent son élection amonde chrétien. Au bout de quelques mois pourtant le désaccord es

complet entre le pontife et le Sacré-Collège. L’attitude d’Urbain déçoit les espérances qu’on avait fondées sur lui ; brutal, violent et fantasque, il indispose ceux qui l’approchent, il insulte les cardinaux qu’veut priver de leurs richesses et de leur influence. Ceux-ci, tout enmaintenant officiellement leur attitude respectueuse, se prennent mettre en doute la régularité du scrutin ; ils le font savoir secrètemenaux cours de France et de Castille. Lorsque arrive l’été, ils prétextenles chaleurs pour quitter Rome séparément : treize d’entre eux se retrouvent à Anagni, d’où, le 9 août, protégés par une bande de routier bretons, ils déclarent nulle l’élection d’Urbain. Réfugiés ensuite Fondi, possession de la reine de Naples, brouillée avec le nouveau pontife, ils attirent à eux les trois cardinaux italiens jusqu’alors fidèles, et, après un bref conclave, élisent le 20 septembre l’un des leursRobert de Genève, jeune prélat allié aux plus puissants princesd’Europe, qui prend le nom de Clément VII. Entre les deux prétendants au trône pontifical, le schisme est maintenant consommé. Ur bain, en novembre, p309 lance l’excommunication contre les cardinauxrebelles, introduit d’un seul coup au Sacré-Collège dix-neuf de se partisans ; le mois suivant, Clément fulmine de semblables anathème

et crée neuf cardinaux.L’avenir du schisme ne dépendait pas d’une question de droit : les

contemporains comme les modernes ont discuté avec acharnement lvalidité de chacune des deux élections ; mais il apparut bientôt que lquerelle des deux papes était une affaire politique. La véritable question à la fin de 1378 fut de savoir lequel des deux papes obtiendrait lmaîtrise de l’Italie et comment les nations chrétiennes se grouperaienautour d’eux.

La situation de Clément apparaissait de beaucoup la plus favorableProtégé par la reine de Naples, il avait pour lui, par ce seul fait, tout lsud de la péninsule, et de plus, de fortes sympathies en Piémont edans le marquisat de Ferrare ; ses bandes parcouraient l’Italie centralet tenaient Urbain VI sous une étroite surveillance, puisque à Rommême, elles occupaient le château Saint-Ange. Mais Urbain avait derrière lui toute l’opinion italienne, qui détestait les Français et se souvenait des violences exercées par Robert de Genève, alors qu’il étai





légat en Romagne. Peu à peu, Clément perdit toutes ses positions : lchâteau Saint-Ange capitula, ses troupes furent battues à Marino (3avril 1379) ; lui-même, désemparé, erra de Gaëte à Naples où la popu

lation se souleva contre lui et le força à rebrousser chemin. De guerrlasse, il embarqua à destination de Marseille et, le 20 juin, s’install paisiblement à Avignon. Par la force des événements le schisme sconsolidait suivant les principes qui avaient amené son éclosion ; ldésaccord irrémédiable entre les cardinaux français et l’opinion italienne, cause des troubles du 8 avril 1378, contraignait l’élu étranger se retirer en Avignon : l’Italie était perdue pour lui.

Au moins pouvait-il compter sur le reste de l’Europe ? On a souvent considéré Charles V comme l’auteur responsable du schisme. À

vrai dire, il ne fut jamais renseigné que par les cardinaux et leur entourage. Dès le début, persuadé de leur bonne cause, il approuva secrètement leur rébellion ; deux jours avant l’élection de Fondi, ils recevaient de lui une lettre qui les encourageait à la résistance. Il ne cachguère que son parti était pris. Dès le 11 septembre 1378, il réunissait Paris une assemblée d’évêques, d’abbés et d’universitaires pour discuter p310 du schisme naissant ; mais cette assemblée ne répondit pas àses vœux et lui conseilla une sage abstention. Le roi cependant sup portait mal cette neutralité : deux mois plus tard (16 novembre), unnouvelle réunion eut lieu au bois de Vincennes : fort de renseignements complémentaires qu’il croyait sans réplique et de l’appui decardinaux clémentins venus exposer leur cause, le roi put obtenir de lnouvelle assemblée, non sans de fortes réserves, une déclaration efaveur de Clément VII. L’Université de Paris ne se soumit que soudes menaces de contrainte. Par cette brusque décision, Charles pensa prévenir le schisme dans la chrétienté, entraîner à sa suite les autresouverains : illusion grave, qui ne tarda pas à se dissiper. Seules laSavoie et l’Écosse suivirent immédiatement son exemple. Dans la péninsule ibérique, où l’influence française était pourtant prédominante

ses appels se heurtèrent aux scrupules des souverains qui hésitaient se prononcer. Le roi de Castille, Henri de Trastamare, ordonna uneenquête impartiale, et c’est seulement en 1381, après l’assemblée dMedina del Campo, où les deux parties exposèrent librement leur cause, que son fils et successeur Jean Ier se décida en faveur de Clé-ment VII. En Aragon, Pierre le Cérémonieux s’en tint à la neutralité mais son fils Jean, connu pour ses sympathies clémentines, entraîna l





royaume dès son avènement dans l’obédience avignonnaise (févrie1387) ; il fallut de même attendre la mort de Charles le Mauvais e1390, pour voir la Navarre sortir de sa neutralité. Quant au Portuga

après s’être tourné successivement vers Urbain et Clément, il se fixdéfinitivement dans la foi urbaniste quand, en 1381, il tomba soul’influence anglaise.

Le pape de Rome avait eu, lui aussi, des adhérents de la premièreheure. L’Angleterre, plus par hostilité traditionnelle contre les cardinaux français que par conviction bien établie, se déclara sans difficulté pour Urbain VI, au Parlement qui se tint à Gloucester en novem bre 1378. En Allemagne, l’empereur Charles IV n’avait pas mis edoute la légitimité du premier élu ; les diètes germaniques de Franc

fort, le roi de Hongrie Louis Ier

se prononcèrent pour la cause romai-ne ; il est vrai que le roi des Romains Venceslas, tout en reconnaissanUrbain, montra peu d’empressement à favoriser sa cause. Mais soexemple entraîna la Flandre et tous les royaumes du nord.

La diplomatie des deux papes fut très active dans les p311 premierstemps ; leurs légats parcouraient l’Europe, l’urbaniste Pileo de Pratl’Allemagne, les clémentins Gui de Malesset la Flandre et Pierre dLuna l’Espagne ; mais leurs efforts ne parvinrent pas à modifier sensiblement les limites des deux obédiences ; il fallut des changement

de souverains, comme par exemple l’accession de Philippe de Bourgogne au comté de Flandre en 1384, pour y transformer quelque pela situation. Dans les pays frontières, en Guyenne ou sur les bords dRhin, des prélats rivaux se disputaient les évêchés.

À la division des royaumes répondit la division spirituelle ; danchaque obédience, de saints personnages proclamèrent la légitimité dleur pape, invoquèrent miracles et prophéties ; Pierre d’Aragon, Catherine de Sienne, Catherine de Suède pour Urbain ; Vincent FerrierColette de Corbie, Pierre de Luxembourg pour Clément. Les publicis

tes, pour la plupart religieux et universitaires, multipliaient preuves eréfutations ; l’Italien Perfetto Malatesta, les Allemands Henri de Hesse et Conrad de Gelnhausen développent les thèses urbanistes ; le docteur en théologie Pierre d’Ailly, et plus tard le chevalier Philippe dMézières soutiennent la cause clémentine. On cherche aussi dès cmoment à trouver un remède au schisme ; c’est en 1379 qu’apparaî pour la première fois une idée qui fera son chemin : quelques maître





en théologie de Toulouse et de Paris proposent de soumettre au concile général le différend de Rome et d’Avignon. Charles V, avant demourir, avait accepté cet arbitrage. L’Université de Paris, le 20 ma

1381, demandait la convocation de l’assemblée œcuménique, et Pierrd’Ailly lui-même, dans sa Lettre du démon de Leviathan, affirmaitque ce « moyen, seul efficace, procurerait bientôt l’élection d’un cheunique et la paix de la chrétienté ».

II. — La prolongation du schisme : la « voie de fait »88 Les conseils de modération que suggéraient quelques théologien

ne pouvaient être écoutés dans les premières années qui suivirent lrupture. Assuré chacun de son droit, ni l’un p312 ni l’autre des deux papes ne songeait à la retraite. Tenant son rival pour un schismatiquechacun ne visait qu’à le soumettre, et l’emploi de la force paraissait lseul moyen pratique d’en finir. On s’en tenait à ce qui fut appelé plutard la « voie de fait ». De tristes abus jetèrent le scandale dans ledeux obédiences ; chaque pape s’appuyait sur le pouvoir tempore pour l’entraîner dans la guerre sainte. Ce n’étaient que croisades accordées contre les « fils de Bélial », indulgences largement octroyée pour l’extermination de l’obédience rivale, et subsides puisés dans letrésors pontificaux. On a justement condamné Clément VII pour avo

plus qu’aucun de ses prédécesseurs dilapidé les ressources et sacrifiles prérogatives du Saint-Siège au profit de la France. Urbain VI nfut guère moins prodigue, notamment en faveur de l’Angleterre.

Le seul espoir de Clément VII était dans la force incontestable dla monarchie des Valois ; entre ses mains, le schisme devint affairefrançaise et bientôt angevine, car il trouva dès le début un précieuxappui dans l’ambition du duc Louis d’Anjou. Ce prince, non contende son apanage des bords de la Loire et de son commandement militaire en Languedoc, était à la recherche d’une couronne ; il avait pensd’abord revendiquer le royaume de Majorque ; le schisme ouvrit un plus vaste carrière à son ambition. Dès 1379, Clément VII lui proposait de créer en sa faveur, au détriment des États pontificaux, un« royaume d’Adria » qu’il s’agissait de conquérir. Puis la lutte se circonscrivit autour du royaume de Naples.






La reine Jeanne n’avait cessé d’osciller entre les deux pontifes rivaux ; malgré ses quatre mariages, elle n’avait pas d’enfants et le prétendants ne manquaient pas à sa succession. La diplomatie d

Clément VII parvint à lui faire, dès 1380, adopter Louis d’Anjou. Lnouveau prétendant s’assura la possession de la Provence, réunit unarmée largement subventionnée par le pape d’Avignon, traversa toutl’Italie sans chercher à inquiéter Rome et entra dans son nouveauroyaume où Jeanne venait d’expirer (1382). Urbain VI avait suscité uconcurrent à Louis en la personne de Charles de p313 Durazzo ; laconquête de Naples fut difficile et sans lendemain, car Louis mourudes fièvres (septembre 1384) et son armée se débanda. Les tentativefaites par ses partisans pour mettre sur le trône son fils Louis Id’Anjou n’eurent pas plus de succès : un instant, en 1387, la ville d Naples leur ouvrit ses portes, mais tous les projets ultérieurs de cam pagne n’arrivèrent même pas à un semblant d’exécution.

Malheureux du côté de Naples, Clément tâcha d’entraîner la royauté française à la conquête du reste de l’Italie. C’est lui qui, en 1387négocia le mariage du duc d’Orléans, le frère de Charles VI, avec Valentine Visconti, et, quelques années plus tard (1393), songea à fairrevivre pour lui le royaume d’Adria, naguère offert à Louis d’AnjouEn préparant ainsi la conquête de la péninsule par ses partisans, Clément VII avait sans s’en douter fondé les prétentions françaises suMilan et Naples, qui, un siècle plus tard, allaient servir de prétexte auguerres d’Italie. Les efforts du pape d’Avignon pour atteindre son rival dans Rome même n’eurent pas plus de succès : une expéditionfrançaise, projetée en 1390, n’eut jamais lieu.

Pourtant Urbain VI n’avait été sauvé que par l’imprévoyance el’incohérence de ses adversaires. Si la majeure partie de l’Europcontinuait à le vénérer comme le vrai pape, sa position en Italie avaété plusieurs fois critique. Brouillé avec Charles de Durazzo, qul’assiégea dans Nocera, il dut s’enfuir à Gênes, où il passa un an danune demi-captivité (1385-1386). Par ses violences, il avait créé la dissension jusque parmi ses cardinaux ; plusieurs, suspects de trahisonfurent mis à mort ; d’autres parvinrent à s’enfuir et rentrèrent danl’obédience avignonnaise. Il concevait pourtant de vastes projets pouanéantir les partisans de Clément. Son grand plan d’alliance angloimpériale contre la France ne réussit jamais, mais il accorda deuxcroisades à l’Angleterre, l’une dirigée en 1383 par l’évêque de Nor





wich contre la Flandre, l’autre, qui s’ébranla en 1386, pour souteniles droits du duc de Lancastre au trône de Castille contre la maison dTrastamare. L’échec de ces expéditions ne l’empêcha pas d’en imagi

ner d’autres : en 1386, il songeait à l’invasion de la Provence. Mail’Italie se lassait de lui ; quand il mourut, en 1389, la Toscane et Bologne étaient prêtes à l’abandonner.

Lés cardinaux de son obédience se hâtèrent de lui donner pour successeur le Napolitain Pierre Tomacelli qui, le 4 novembre 1389, prit lnom de Boniface IX. Le schisme continua. p314 Mais, de part etd’autre, certains en souhaitaient la fin. Clément VII, harcelé danAvignon par les bandes féodales de Raimond de Turenne, ruiné pases coûteuses expéditions, faisait peser de lourds impôts sur les clerc

français, au détriment de sa popularité. Vers la fin de 1390, un esprinouveau se manifesta en faveur de la réconciliation des obédiences, ec’est de l’Université de Paris que partit le mouvement.

Le 6 janvier 1391, un bachelier en théologie, Jean Charlier, déjàconnu sous le nom de son village natal, Gerson, comme sermonnairet commentateur desSentences, prêchait devant Charles VI sur la né-cessité de terminer le schisme. Quelques délégués vinrent supplier lroi de travailler à la paix de l’Église. Le gouvernement, qui soutenaiencore Clément VII, et le duc d’Orléans, tout à ses projets italiens

leur enjoignirent silence ; fort de l’appui des princes français et deAngevins de Naples, Clément pouvait alors espérer un prompt retour Rome, d’où une émeute, en octobre 1392, chassait Boniface. Mais l pape d’Avignon hésitait à démembrer les domaines du Saint-Siège Louis d’Orléans semblait plus pressé d’occuper Gênes, qu’un partaristocratique offrait à la France. La maladie de Charles VI,l’influence croissante du duc de Bourgogne, dont les sujets flamandrestaient fidèles au pontife romain, enhardirent l’Université. Une nouvelle délégation (janvier 1394), reçut meilleur accueil : le duc de Berry assura que tout remède acceptable serait adopté sans délai. Officielement consultés, maîtres et docteurs remirent leur avis par écrit acouvent des Mathurins. Les plus nombreux demandèrent la renonciation — la « cession » — simultanée des deux papes ; d’autres uncompromis ou un arbitrage entre Boniface et Clément ; d’autres enfila réunion du concile universel. Un mémoire, composé par Pierrd’Ailly, Gilles des Champs, Nicolas de Clémenges, résuma ces opinions. Le duc de Berry menaça vainement les députés de les traiter e





factieux. Grâce au duc de Bourgogne, ils purent, le 30 juin 1394, parler au roi : ils le prièrent de choisir entre les trois solutions etd’imposer sa volonté aux deux pontifes, qu’ils accusaient de ruine

l’Église. Quand ils revinrent entendre la réponse, on leur signifia, poula seconde fois, défense de s’occuper de ces affaires : Clément sem blait alors se résigner à la création du royaume d’Adria. Il invita pourtant Pierre d’Ailly, Gilles des Champs et quelques autres professeurs à l’éclairer de leurs conseils. Ils refusèrent de quitter Paris, eune lettre de l’Université le somma rudement d’adopter l’une des troi« voies ». p315De nouveau aussi le gouvernement français lui manifes-ta sa méfiance, tandis que les cardinaux se lassaient de le soutenirDécouragé, Clément parlait de se démettre, quand il mourut subitement, le 16 septembre 1394.

La monarchie des Valois était maintenant convertie à la « voie decession » : Charles VI pria les cardinaux avignonnais de surseoir tout conclave. Ils élurent pourtant Pierre de Luna qui promit solennellement d’abdiquer au besoin le pontificat pour terminer le schisme (2septembre 1394). Du moins la diplomatie française allait-elle travailler énergiquement à l’union. Mais elle ne trouva pas en Benoît XIIl’aide qu’elle avait escomptée. Loin d’accomplir ses promesses, l pape d’Avignon ne cherchait qu’à les éluder, inventait sans cesse de prétextes pour entraver les pourparlers. Une délégation de l’Universide Paris, conduite par Pierre d’Ailly, en octobre 1394, puis une solennelle ambassade des ducs de Berry, de Bourgogne et d’Orléans (mai juillet 1395), ne parvinrent pas à le faire fléchir ; inutilement la France, l’Angleterre et la Castille, enfin d’accord, envoyèrent une ambassade commune à Avignon et à Rome. Les deux pontifes, mais surtouBenoît, restaient intraitables. Le gouvernement français ne se découragea pas : en mars 1398, Charles VI rencontra le roi des RomainVenceslas et lui arracha la promesse d’agir de toutes ses forces sur l pape de Rome. Le mois suivant, Pierre d’Ailly, depuis 1396 évêque d

Cambrai, vint, au nom de Venceslas et du roi de France, supplier Benoît et peut-être Boniface de se démettre.

Ces démarches restèrent sans effet. Alors la monarchie françaisadmit l’emploi de la force et se résolut à la « soustractiond’obédience ». Deux assemblées du clergé furent convoquées, l’unen mai, l’autre en juillet 1398 ; le chancelier de France, Arnauld dCorbie, y énuméra tous les crimes du pontife avignonnais : sa résis





tance à l’union le rendait schismatique, hérétique et parjure ; il étaidonc criminel de continuer à lui obéir. À une faible majorité, le clergaccepta la soustraction. La France ne reconnaissait plus l’autorité

d’aucun des deux papes, les collations de bénéfices étaient rendueaux évêques et aux patrons ordinaires, et la royauté s’attribuait un pouvoir suprême de surveillance sur l’Église gallicane. Sans doute cemesures n’étaient que provisoires, mais l’établissement del’autonomie du clergé français est un symptôme grave du discrédidans lequel était tombée la monarchie p316 pontificale. En tout cas, lesdécisions arrêtées produisirent à Avignon un effet de panique. La plu part des cardinaux abandonnèrent Benoît ; une troupe, de routiers augages de Charles VI et dirigée par Geoffroi Boucicaut s’empara de lville, mit le siège devant le palais et pendant plus de quatre ans tint l pape étroitement bloqué.

Mais la soustraction d’obédience, loin d’avancer l’union, ne fiqu’augmenter le trouble des esprits. Dans son effort pour terminer lschisme, la France n’était pas suivie par les autres pays. En Angleterre, Henri de Lancastre, qui avait détrôné Richard II se retira del’alliance française, et ne voulut plus entendre parler de « cession »En Allemagne, Venceslas avait été déposé par les électeurs et remplacé par Robert du Palatinat ; le nouveau roi des Romains, pour étayeson pouvoir chancelant, se jeta plus que jamais dans l’union avec Boniface IX ; de son côté, le roi d’Aragon Martin ne voulait pas abandonner son compatriote le pape Benoît.

En France même, la soustraction n’était pas populaire ; le clergé el’Université de Paris s’aperçurent vite que le gouvernement, commsouverain dispensateur des bénéfices, était beaucoup moins accommodant qu’un lointain pontife. Le duc d’Orléans enfin se montra zél partisan de Benoît XIII et fit tout pour lui ramener les esprits ; à partde 1399, d’incessantes négociations s’engagèrent entre Paris et le prisonnier du palais des papes. Avec la complicité du duc d’Orléans, Benoît parvint à s’enfuir d’Avignon en mars 1403 et à se réfugier enProvence sous la protection de Louis d’Anjou. Aussitôt les cardinaurevinrent à lui, et quelques mois plus tard, en mai, une assemblée dclergé français proclama la restitution d’obédience, sous la conditioque le pape réunirait un concile de ses adhérents et travaillerait à l paix de l’Église.





Quatre ans de luttes violentes n’avaient donc produit aucun résultat. Aussitôt libéré, d’ailleurs, Benoît continua d’éluder ses promesses ; à sa mauvaise volonté répondait celle de ses rivaux ; Boniface IX

mort en 1404, Cosme Migliorati (Innocent VII) lui succédait à Romeembarrassé par les troubles dont la Ville Éternelle était le théâtre, li par les promesses qu’il avait dû faire à son protecteur Ladislas de Na ples, il se désintéressa vite de l’union.

L’État et l’Église, en France, se détournèrent une seconde fois deBenoît XIII. On ne lui pardonnait pas son refus d’abdiquer à la morde Boniface. Le nouveau duc de Bourgogne, p317 Jean Sans-Peur, luiétait hostile. Les clercs se plaignaient de ses exactions. À l’automnde 1405, l’Université suspendit l’enseignement : les officiers royau

la protégèrent contre les agents du pape. Elle revenait à l’idée de lsoustraction d’obédience. Le 17 mai et le 7 juin 1406, les théologienJean Petit et Pierre Plaoul en demandèrent le renouvellement, ainsque la condamnation d’un mémoire de la Faculté de Toulouse en faveur de Benoît XIII et l’interdiction des taxes levées pour le comptd’Avignon. Le Parlement de Paris, devant lequel l’avocat du roi, Jouvenel des Ursins, défendit les opinions des universitaires, condamna lmémoire, interdit les taxes, affirma la nécessité de soumettre la question de l’obédience à une assemblée du clergé. Soixante-quatre prélatet docteurs se réunirent à Paris le 18 novembre. Jean Petit réclama lsoustraction ; pour la seconde fois, on instruisit le procès de Benoît XIII. Pierre d’Ailly, hostile à une action trop brutale, GuillaumFillastre, doyen de Rouen, Ameilh du Breuil, archevêque de Toulousedéfendirent le pape. Simon de Cramaud, patriarche d’AlexandriePierre le Roy, abbé du Mont-Saint-Michel ; Jean Petit et son collèguPierre Plaoul prononcèrent de violents réquisitoires et démontrèrenque l’Église gallicane, une fois les électeurs et collateurs remis en possession de leurs droits, était capable de se gouverner elle-mêmsous le contrôle de ses synodes et la conduite de ses prélats. Jouvene

des Ursins, au nom du roi, requit la soustraction d’obédienceL’Université s’y fût ralliée ; mais une opinion moyenne prévalut grâcà Pierre d’Ailly. On décida, le 4 janvier 1407, de reconnaître l’autoritde Benoît XIII au spirituel et de la nier au temporel. Le 11 février, leoncles du roi admirent cette solution. Deux ordonnances furent signées ; l’une interdisait au pape de conférer, avant le prochain concile





bénéfices et dignités dans l’Église gallicane ; l’autre rétablissait ledroits des électeurs et collateurs.

III. — La révolte des cardinaux et le concile de Pise(1407-1414)89

En 1407, une nouvelle issue sembla se présenter, celle d’uneconférence entre les deux papes rivaux, où s’effectuerait la p318 ré-conciliation des deux moitiés de la chrétienté. Innocent VII mort le novembre 1406, les cardinaux romains avaient, malgré les conseilfrançais, et sous la pression du peuple, élu un prélat vénitien, AngCorrer, qui prit le nom de Grégoire XII (30 décembre). Mais il avaidû promettre de se rencontrer, dans les trois mois, avec Benoît XIIICelui-ci prit bientôt semblable engagement, et l’on attendit l’entrevufixée à Savone.

On attendit en vain. Grégoire XII, poussé par Ladislas de Naplequi voulait conserver à son profit le contrôle de la papauté, et Benoît XIII qui aimait le pouvoir, parurent s’entendre tacitement pous’éviter. Quand l’un s’avançait par petites étapes vers le lieu de réunion, l’autre s’arrêtait ; si l’un prenait la voie de mer, l’autre préféravoyager sur la terre ferme ; chacun excusait sa propre lenteur par cellde son rival ; Benoît et Grégoire arrivèrent enfin à Porto Venere et Lucques ; les vingt lieues qui les séparaient ne furent jamais franchieUne telle comédie révolta les consciences chrétiennes, désireuses dmettre fin au schisme. Non seulement le gouvernement français, oùdepuis l’assassinat de Louis d’Orléans et l’arrivée au pouvoir du dude Bourgogne, ne figurait plus aucun défenseur de Benoît, proclamde nouveau la soustraction d’obédience (mai 1408) et se retranchdans la neutralité ; mais les cardinaux eux-mêmes, dans les deux obédiences, se détachèrent de leurs pontifes, pensant pouvoir terminer lscission sans eux et contre eux : ainsi le Sacré-Collège, responsable dla double élection de 1378, croyait être en mesure, trente ans plus tardde faire cesser le schisme.

Devant l’obstination de Grégoire, neuf de ses cardinaux le quittèrent, se réfugièrent à Pise, d’où ils entrèrent en pourparlers avec le






cardinaux avignonnais. L’entente ne fut pas longue à conclure : tous’engagèrent à ne pas donner de successeur à celui des deux pontifequi viendrait à mourir le premier, et annoncèrent la convocation d’u

concile général pour régler le sort de l’Église. De son côté, Be-noît XIII, réfugié à Perpignan, y convoquait lui aussi un concile, tandis que Grégoire XII, protégé par les Malatesta de Rimini, fixait lréunion d’une p319 pareille assemblée. À Perpignan, Benoît ne put ré-unir que trois cardinaux et quelques prélats, pour la plupart espagnols ; encore manifestèrent-ils leur mécontentement contre son obstination. L’obédience de Grégoire ne fut pas plus heureuse ; sonconcile s’ouvrit sur le tard à Cividale, dans le Frioul, et il suffît d’unintervention diplomatique française auprès de Venise pour le faire dissoudre. Tous les yeux se trouvaient donc tournés vers le concile qules cardinaux ouvrirent à Pise le 28 mars 1409. Comment allait-on résoudre la situation paradoxale d’une Église où deux papes sans cardinaux étaient en lutte contre des cardinaux sans pape ?

Dans le concile, les Français ne formaient pas à beaucoup près lmajorité, mais ils jouèrent le rôle principal. L’accord des prélats ne fu jamais troublé par des disputes. Ils étaient soutenus par les grandeUniversités, celles de Paris et de Bologne, par des théologiens mêmmodérés comme Gerson et Pierre d’Ailly, qui s’efforcèrent de démontrer la légitimité et la nécessité de la convocation de Pise. Aussi, grâcà l’accord universel, les discussions furent-elles brèves. Il s’agissad’abord de faire place nette, de se débarrasser des deux pontifes obstnés dont la présence empêchait toute union. Le procès canonique dBenoît et de Grégoire fut immédiatement engagé ; pendant un moisils furent solennellement appelés à comparaître ; un acte d’accusatiofut dressé contre eux ; aux reproches plausibles d’obstination et dmauvaise foi, vinrent s’ajouter suivant la coutume du temps des soupçons d’hérésie, de cruauté et de sorcellerie. Pendant que se poursuival’audition des témoins on passa outre aux objections de principe po

sées par les représentants de Robert du Palatinat, toujours fidèle Grégoire ; on laissa échouer les tentatives de conciliation entrepriseen faveur du pontife romain par Charles Malatesta ; on écarta ensuitune délégation aragonaise venue trop tard pour soutenir les prétentions de Benoît ; enfin, le 5 juin 1409, les deux papes furent déclaréhérétiques, indignes de la tiare et déchusipso facto. Le Saint-Siègeétant vacant, les vingt-quatre cardinaux se hâtèrent d’entrer en concla









IV. — La doctrine conciliaire90 L’acte par lequel, à Pise, les cardinaux crurent pouvoir disposer du

Saint-Siège, marque la première victoire d’une doctrine p322 qui ache-vait alors de s’élaborer, et transférait au concile œcuménique les attri butions essentielles des papes. Déjà, le droit canon lui avait dû reconnaître la faculté de les juger et de les déposer en cas d’hérésie. Odeux fois, au cours duXIVe siècle, on avait invoqué ce grief contreBoniface VIII et contre Jean XXII ; il fut dès lors aisé de conclure à lsupériorité de l’assemblée sur le pontife. Jean de Jandun et Marsile dPadoue n’avaient pas en vain appliqué à la société religieuse la théoricontractuelle qu’ils établissaient à la base de la société civile, et su

bordonné la primauté de Pierre au libre consentement du peuple chrétien. De même que le pouvoir du prince lui est délégué par les sujetsle pouvoir du pape lui est commis par les fidèles ; au concile généraqui doit les représenter en des assises régulières et fréquentes, appartient de fixer le dogme et la discipline, de régler la vie temporelle espirituelle de la communauté chrétienne, de surveiller l’administratioet de juger la conduite de son chef. Le radicalisme de Guillaumed’Ockham et des logiciens nominalistes donna bientôt à ces idées ucaractère démocratique et révolutionnaire. Les docteurs et les maîtredes Universités, les simples prêtres, allaient revendiquer le droit d prendre part aux assemblées solennelles de l’Église. Les événemen parurent justifier les adversaires du Saint-Siège. Les misères déplorée par Nicolas de Clémenges, vers 1402, dans son traité De la corruptionde l’Église, semblaient les fruits d’un despotisme que le concile avaitcessé de contrôler. Seul il pouvait porter remède à la détresse deschrétiens ; et si les papes se refusaient à le réunir, c’était aux princesdéfenseurs de l’Église, qu’il appartenait de parler pour elle.

Conrad de Gelnhausen, docteur de l’Université de Paris, avait, en1380, dédié à Charles V un exposé, pour la première fois complet eméthodique, de la doctrine conciliaire. Henri p323 de Langenstein,l’année suivante, publiait à Paris sonConsilium pacis, où, plus hardi-ment, il définissait les droits de la collectivité chrétienne. Mais Pierrd’Ailly et Jean Gerson en furent les plus puissants théoriciens. Ils af






firmaient, dès les dernières années du siècle, ils allaient répéter danquelques traités capitaux que les représentants, périodiquemenconvoqués, de l’Église catholique légifèrent en dernier ressort, au sp

rituel comme au temporel. Le pape, auquel un devoir strict impose dsolliciter leur concours, ne peut les renvoyer, leur doit l’obéissanceest responsable devant leur tribunal. De la sorte, le gouvernement dl’Église conserve la forme d’une monarchie, que tempère une assem blée représentative, où Gerson, plus hardi que Pierre d’Ailly, admeles simples prêtres et quelques laïques. Puisque l’autorité absolue qules canonistes attribuent au pape ne se fonde que sur l’usurpation, ifaut rétablir la liberté des électeurs et des collateurs, supprimer letaxes irrégulières, les appels abusifs en cour de Rome. Peu à peu, Geson et Pierre d’Ailly arrivent à revendiquer pour les diverses Égliseune large autonomie, à concevoir la chrétienté sous la forme d’unfédération d’Églises, également agissantes au concile, fortes chacunde leurs traditions et de leurs libertés.

Mais la doctrine conciliaire, développée à la faveur des luttes qules princes depuis plus d’un siècle menaient contre le Saint-Siège, risquait de livrer les clercs à leur despotisme. Ces Églises nationales, sulesquelles Gerson et Pierre d’Ailly fondent l’espoir d’un ardent révereligieux, cette Église gallicane, qui, par son passé, par son savoir, pale talent de ses maîtres, leur paraît digne de présider les assises solennelles du monde chrétien, risquent de tomber aisément sous la dépendance néfaste des princes et des rois, dont la fiscalité ne se montre pamoins avide que celle de Rome et d’Avignon, et qui, autant que le papes, entendent réserver les bénéfices et les plus hautes dignités cléricales aux agents de leur politique. En France, les ordonnances du 1février 1407, publiées le 15 mai 1408, après la proclamation de la neutralité, les décisions de l’assemblée parisienne tenue du 11 août au 1novembre, rétablissent sans doute les conciles provinciaux annuelsmais attribuent au roi et à ses officiers la surveillance des affaires ec

clésiastiques et lui reconnaissent pratiquement la juridiction enlevéau pape. p324





V. — La persistance des anciennes hérésies91

Les progrès de la doctrine conciliaire menaçaient, à l’intérieur dl’Église, l’autorité du Saint-Siège ; l’autorité de l’Église elle-mêmétait maintenant, et plus dangereusement encore, menacée parl’hérésie.

Les scandales et les misères du schisme avaient surexcité les joachimites. En 1386, Telesforo, ermite de Cosenza, prophétise les tribulations annonciatrices de l’Antéchrist. Deux ans après, à Paris, Thomas d’Apulie prêche que le règne du Saint-Esprit est déjà commencéLes Fraticelles, étroitement d’accord avec les héritiers de l’« Évangiléternel » maintiennent leurs Églises, que dirige l’évêque de Philadel phie. L’Inquisition s’efforce inutilement de les exterminer. Sous Ur bain VI, neuf d’entre eux sont brûlés à Viterbe ; en 1389, frère MicheBerti de Calci meurt à Florence sur le bûcher. Mais le schisme leu permet de multiplier leurs communautés italiennes, sous la protectiodes princes séculiers et parfois ecclésiastiques.

Les Vaudois ont pu continuer avec succès leur propagande. Aumoment où éclata le Grand Schisme, une campagne de persécution sdéveloppait depuis quelques années contre eux dans les hautes valléedauphinoises. En 1380, Clément VII renouvela le mandat del’inquisiteur Borel, qui, en 1393, brûlait encore, dit-on, cent cinquanthérétiques à Grenoble le même jour. Après lui, saint Vincent Ferrieobtint, par la douceur, de nombreuses conversions. Bientôt d’ailleurles conflits des papes rivaux, la mauvaise volonté du gouvernemenfrançais affaiblirent le Saint-Office. Dans le royaume de Naples, ilaissait prospérer les communautés des Pouilles et de l’Italie méridionale. Elles prirent la direction de l’Église dissidente ; en 1387, le pontife suprême résidait parmi elles. L’Inquisition piémontaise, mal se

condée par Amédée VII et les seigneurs locaux, se montrait peu activau cours des dernières années duXIVe siècle ; Vincent Ferrier, en1403, n’était guère écouté. En Allemagne, l’archevêque de MayencConrad brûlait trente-six Vaudois à Bingen, en 1392 ; mais la Bavièrela Souabe, la Saxe et la Thuringe, les Pays-Bas et la Westphalie, la






Prusse et la Pologne, la Bohême, l’Autriche et la Hongrie en comptaient des milliers. Comme les Pouilles, en Italie, la Bohême, danl’Europe centrale, p325 leur offrit un inviolable asile. La secte se recru-

tait parmi les ouvriers des villes et les paysans ; elle excluait tout personne engagée dans le métier des armes. Chaque année, les communautés recevaient la visite de missionnaires, les uns simples travaileurs manuels, les autres instruits dans l’Écriture et probablemenformés en Bohême. Une dénonciation, en 1391, provoqua de nouveles poursuites. Pierre, provincial des Célestins, traqua en 1393 et 139les hérétiques poméraniens. L’année suivante, il passait en Styrie plus de mille personnes, en 1397, y furent arrêtées ; une centaine pérsur le bûcher. En 1401, les inquisiteurs travaillent en Hongrie ; en1403 ils recherchent les Vaudois de Vienne.

Les doctrines cathares, désormais détruites dans la France méridionale et en Lombardie, ont trouvé refuge en Corse, où, en 1397, dé barque un inquisiteur franciscain. Elles subsistent en Piémont, à Chieri, dans les vallées alpestres, à Pignerol, jusque vers Suse. Des bûchers’allumèrent encore à Turin en 1388. Pourtant l’hérésie albigeoise smourait. Saint Vincent Ferrier, au cours de ses missions parmi lesVaudois des vallées piémontaises, découvrit et convertit un certainnombre de cathares. Le nom de la secte dès lors disparaît à l’occidende l’Adriatique. Mais les Slaves de Bosnie en admettaient les croyances comme religion d’État. Le roi Étienne Tvrtko Ier les avait respec-tées jusqu’à sa mort (1391). Vers le début duXVe siècle, toute la fa-mille régnante, la plupart des magnats et voiévodes y adhèrent ; ledouze docteurs de la secte sont devenus des officiers publics. Le catharisme ne tarda pas à dominer dans les îles dalmates. Deux arméede Sigismond furent défaites en 1405 ; Grégoire XII, en 1407, prêchla croisade contre les hérésies slaves ; Sigismond, avec soixante millHongrois et Polonais, occupa la Bosnie, rétablit son autorité en Croatie et en Dalmatie, fit prisonnier Étienne Tvrtko II. Mais Étienne Osto

ja menait une active résistance ; en 1410-1411, Sigismond envahit dnouveau le pays sans parvenir à le soumettre.

Les Frères du Libre Esprit, confondus avec les Béghards hérétiqueet multipliés en Allemagne et aux Pays-Bas, durent au Grand Schismet à l’indifférence de Venceslas un assez long répit. Pourtant en 1392à Würzburg, à Erfurt en 1393, à Heidelberg, à Cologne, quelques bûchers s’allumèrent. Certains prélats adressèrent alors à Boniface IX





une défense des Béghards, et sollicitèrent pour eux la protection dSaint-Siège. Le pape, le 7 janvier 1394, enjoignit aux prélats allemands de vérifier p326 s’ils étaient coupables des erreurs condamnées

par Clément V et Jean XXIII, et, en cas contraire, d’interdire contreux toute action. Mais les inquisiteurs obtinrent sans grand peine lrevirement de Boniface, qui, par une bulle du 31 janvier 1395, donnl’ordre de poursuivre énergiquement Béghards et Lollards. En pratique, l’affaire fut laissée à la discrétion des autorités locales. Dans l province dominicaine de Saxe, qui comprenait les archevêchés dMayence, Cologne, Magdebourg et Brème, Camin et l’île de Rügenl’Inquisition renforcée se montra particulièrement active. CependanBâle, Berne et Strasbourg expulsaient Béghards et Béguines. Vers lfin du siècle, l’un des maîtres de la secte du Libre Esprit, Nicolas dBâle, saisi à Vienne, montait sur le bûcher. Mais à Bruxelles, GilleCantor put fonder impunément la secte des Hommes d’IntelligenceUn carme, Guillaume de Hilderniss, continua son œuvre. En 1411Pierre d’Ailly, évêque de Cambrai, se contentait d’ordonner sa détention dans une des résidences épiscopales. Les Flagellants continuaiend’entretenir avec les Béghards des relations étroites ; grâce àl’apostolat de Conrad Schmidt, la Thuringe était devenue le principacentre de leur action.

VI. — Les hérésies nouvelles ;le développement du wycléfisme92

Mais il était réservé à d’autres docteurs de guider contre Romel’offensive hérétique.

Jean Wyclif, malgré le procès de 1377, n’avait pas été condamné Ni le gouvernement ni l’Église d’Angleterre n’avaient tenu comptdes bulles par lesquelles Grégoire XI demandait contre lui de sévère poursuites. Dans sa cure de Lutterworth, il put achever en paix leMi-roir de l’Église, le Traité de l’Eucharistieet leTrilogue sur le Christ ( De Christo trialogus). Il y formulait avec une audace tranquille ladoctrine la plus vigoureuse et la plus dissolvante qui dût s’éleveravant Luther, en face de l’Église romaine.






Les troubles du Grand Schisme commençant l’aidèrent à dévelop per, dans un sens plus radical, sa critique des institutions. p327 Il avaitespéré qu’Urbain VI réformerait le monde catholique. Mais quand l

pontife romain, qu’il avait quelque temps soutenu, se défendit par learmes, il vit, comme les Fraticelles, comme les Joachimites, commles Vaudois, s’incarner en lui l’Antéchrist. Alors il bénit le schismequi affaiblissait une autorité de scandale. Il ne se borna plus à dénoncer les actes de simonie commis et encouragés par les papes, leumauvais gouvernement, leur mépris de l’humilité chrétienne, leur politique hautaine et hypocrite : au nom de l’Écriture, seule source de lvérité, il rejeta la papauté comme immorale et absurde. Le Christ demeure le seul chef de l’Église ; la primauté de Pierre ne saurait se démontrer ; en vain son successeur revendique une autorité infaillibleusurpe le droit de canoniser les morts et d’excommunier les vivantstrafique des indulgences, au moyen desquelles il prétend disposer dtrésor des mérites accumulés par les saints. La hiérarchie, à chacun dses degrés, manifeste l’esprit de blasphème qui l’a conçue. Le collègdes cardinaux s’assimile par un mensonge aux apôtres. La cour romaine, que démoralise l’ambition mondaine, introduite dans l’Églis par la donation de Constantin, exige le pouvoir temporel et la richessLes prélats se sont arrogé le droit d’ordonner et de confirmer, qui ap partient à tous les prêtres du Christ ; les évêques négligent leur devo

pastoral et ne recherchent que les biens matériels ; le clergé séculieabandonne les paroisses, perd son temps aux disputes des Universités ; les moines envahissent le ministère des âmes ; les Mendiantsavocats des droits mensongers du Saint-Siège, n’enseignent que su perstitions dégradantes, et dissimulent sous une apparence d’ascétismleur avidité.

Cependant Wyclif étudiait de plus près dogmes et pratiques. Assuré de la présence réelle dans l’Eucharistie, il refusait d’admettre ltranssubstantiation, que nul texte de l’Écriture ne justifiait à ses yeux

Il n’insistait pas encore sur le refus du calice aux fidèles ; sans attri buer une égale importance à tous les sacrements, et, bien qu’il inclinâà les considérer souvent comme de purs symboles, il ne discutait paencore leur nombre. Du moins repoussait-il déjà la doctrine catholiqude la pénitence : il ne croyait plus à la nécessité de la confession auriculaire ; la formule toute mécanique de l’absolution lui semblait arrêter l’élan de la conscience pécheresse vers le Christ, et le règlemen









teur à la traduction de la Bible, Aston, l’un des chefs des hérétiqued’Oxford, se rétractèrent ; en 1408, Repyngdon, un des plus ardent partisans du réformateur, finit par accepter le siège épiscopal de Lin

coln ; mais le tailleur p330 Jean Badby resta fidèle jusqu’au bûcher ;Guillaume Thorpe, un humble chapelain, mourut en prison. Si quelques députés persistaient à proposer la confiscation des biens ecclésiastiques, le haut clergé tenait vigoureusement tête, et les Communerefusaient toute solidarité avec les Lollards, considérés désormaicomme ennemis de l’ordre social. Arundel, rentré en faveur, brisa, e1411, la résistance des maîtres et des étudiants d’Oxford, fidèles ausouvenir de Wyclif. Ils trouvèrent un défenseur en Sir John Oldcastlehomme de guerre, ami personnel d’Henri V, assez instruit pour écriren latin et citer les Pères, il offrit en son manoir de Cowley asile auxopposants religieux ; attaqué par Arundel à l’assemblée des évêquescité devant les tribunaux d’Église, il refusa dédaigneusement da com paraître. Le roi tenta sans succès de le persuader ; mis à la Tour dLondres, il écrivit une confession de foi, réduite à un simple sommairde l’Écriture, interprétée selon la critique wycléfite (1413). Is’échappa, et pendant quatre ans tint la campagne, non sans soupçod’accords séditieux avec les Écossais et les Gallois.

VII. — Les hétérodoxes de Bohême :Jean Hus93

La Bohême était devenue, dès le temps de Charles IV, le foyerd’une protestation religieuse qui, de plus en plus, échappait àl’orthodoxie catholique. Conrad de Waldhausen, Milič de Kromeriže,avaient déploré la décadence de l’Église romaine, et prêché le retouau christianisme primitif. Bien que l’un et p381 l’autre eussent toujoursénergiquement repoussé toute complaisance envers l’hérésie, ils strouvaient souvent d’accord, soit avec les héritiers de l’esprit joachimite, soit avec les Vaudois, nombreux en Bohème comme en Autriche, en Silésie et en Pologne. Matthias de Ianov continua, moins en prédicateur qu’en théoricien, l’œuvre de Milič et de Conrad. Dans les Règles du Nouveau et de l’Ancien Testament , composées au milieudes scandales du Grand Schisme, de 1380 à 1392, il retrouve comm






d’instinct quelques-unes des affirmations de Wyclif, et sait en tirer leconclusions les plus hardies. Pour lui, comme pour Wyclif, l’Écriturseule fonde la foi. Plus nettement il affirme que le Christ est l’uniqu

médiateur entre Dieu et l’homme, la grâce l’unique moyen de salu« Vous multipliez les œuvres. Mais le Christ n’est-il pas mort pouvos âmes ? Vous observez la lettre de la loi, et vous ne savez rien dela liberté... Toute l’Écriture nous crie que le Crucifié suffit à sauvequi croit en lui. » L’Église du Christ rassemble tous les prédestinés quand les prêtres, les évêques et les cardinaux prétendent la constitueseuls, l’Antéchrist triomphe avec eux. Les cérémonies, la vénératiodes reliques et des images, ne servent qu’à enrichir les prêtres et détournent les chrétiens du culte en esprit. Matthias de Ianov écrivai pour les lettrés et les théologiens ; Thomas de Štitny (Chtitny), élèvde Milič, adressait en tchèque, au peuple de Bohême, sesQuestions générales sur la religion, son Traité de la doctrine chrétienneet di-vulguait hardiment la critique de Matthias. Comme lui, comme Wyclif, il tient la Bible pour la source unique de toute vérité et l’oppose la tradition ; au formalisme de la dévotion romaine, il oppose le salu par la foi ; au ministère p332 du prêtre, il substitue l’effort du fidèle pour retrouver Dieu dans sa propre conscience. Ainsi se préparaimalgré les résistances médiocrement énergiques d’un clergé discrédité, le réveil spirituel de la Bohême.

Il acquit bientôt un caractère national. Malgré les conflits, qui, enAllemagne, mettaient aux prises le pape et l’empereur, l’Église catholique, en Bohême, s’était accordée avec l’autorité impériale pour yassurer la domination allemande sur les Slaves. La Bulle d’or, en1356, avait fondé l’indépendance et la souveraineté de la Bohême mais la lente infiltration germanique, un moment contenue par Charles IV, se poursuivait, d’un progrès incessant, dans les grandes villesoù les marchands allemands possédaient de forts capitaux, dans lecampagnes, sur tout le pourtour du Quadrilatère, notamment au pie

du Böhmerwald et de l’Erzgebirge ; elle aggravait le conflit des nationalités et des langues. La haine des Tchèques pour l’envahisseus’étendait à l’Église romaine sa complice ; ils s’irritaient de voir, auassemblées de l’Université, les Allemands l’emporter sur eux par trovoix contre une. Les conflits de Venceslas avec les électeurs qui en1400 le déposaient, avec Robert de Palatinat qu’ils élevèrent àl’Empire, l’obligeaient de s’appuyer sur l’élément national. Les nova





teurs religieux obtinrent de la sorte la plus grande liberté. Depuis lmariage de Richard II avec Anne de Luxembourg, sœur de Venceslasdes relations étroites unissaient la Bohême et l’Angleterre : les maître

de Prague se rapprochaient des maîtres d’Oxford, et, dès 1390, lurenles écrits philosophiques de Wyclif ; ses traités de théologie ne devaient se répandre que douze ans plus tard. Mais la tradition de Waldhausen, de Štitny, de Ianov, suffisait à fonder une école hardie, passionnée de controverse, et qui déjà critiquait les institutions romainesElle entra en contact plus intime avec la population, quand s’ouvrit Prague la chapelle de Bethléem, exclusivement réservée à la prédication tchèque. En 1402, Jean Hus y prit la parole.

Né en 1369, à Husinec, au pied du Fichtelgebirge, près de la limit

des deux langues, il avait mené la vie des étudiants pauvres ; maître earts en 1393, bachelier en théologie l’année suivante, il ne parvint jamais, sans doute faute de ressources et de loisir, au doctorat. Il fudoyen de la Faculté des arts en 1401, recteur en 1402. Il savait Aristote, la Bible et les Pères, excellait à la discussion la plus abstraite. Le professeurs tchèques échappaient à la discipline trop sèche du nomnalisme, p333 cherchaient à le compléter par une mystique, ets’efforçaient de trouver, dans les doctrines antérieures à Guillaumd’Ockham, la satisfaction de leur inquiétude religieuse. Hus adhércomme eux au réalisme. La lecture de Matthias de Ianov et de Štitnle détacha de l’Église romaine, dont en 1393, il achetait encore les indulgences ; ordonné prêtre en 1400, il ne voulut enseigner comme euque l’Écriture. Il connaissait déjà les traités de Wyclif contre les nominaux. L’année où il montait dans la chaire de Bethléem, un jeunmaître destiné à partager son œuvre et son martyre, Jérôme de Praguapporta d’Oxford le Dialoguset leTrialogus. Prêts à les comprendre,Jean Hus et ses amis les étudièrent avec passion. Vainement, en 1403les Allemands obtinrent confirmation de la sentence déjà prononcée Londres contre Wyclif. On n’en lut que davantage ses écrits ; e

l’archevêque Zbynek désigna Hus comme prédicateur aux synodeannuels que le clergé bohème tenait dans la capitale.

C’est alors qu’il engagea pour la réforme son premier combat. Il n professait encore aucune doctrine particulière en théologie ; il laissade plus hardis, comme Stanislas de Znaim, suivre Wyclif dans la critique du dogme et nier après lui la transsubstantiation. Il n’était encorque le continuateur de Matthias de Ianov et de Štitny. Mais, au milie





des épreuves que subissait le monde chrétien, la prédication del’Évangile prenait aisément le caractère d’un réquisitoire. Hus dénonçait l’avidité des prêtres et leur esprit de domination, accusait les moi

nes de piller l’Église du Christ et de la détruire par le mensonge. « LSauveur, disait-il, refusa toute domination terrestre à ses apôtres mais la parole divine est devenue objet de raillerie depuis quel’empereur Constantin a donné au pape un royaume. On entendit c jour-là une voix d’en haut crier : Le poison a été versé à l’Église de Dieu. La richesse l’a corrompue tout, entière. D’où viennent les ex-communications, les querelles entre le pape, les évêques, les membredu clergé ? Les chiens se battent pour un os ; qu’on le leur enlève et l paix est rétablie. » L’avènement d’Henri IV permettait alors au SaintSiège d’agir plus efficacement contre les Wycléfites : il n’entendai pas tolérer plus longtemps les bravades des réformateurs tchèqueInnocent VII, en 1405 puis Grégoire XII adressèrent des remontranceà Zbynek ; il garda sa bienveillance à Hus, inquiéta quelques théologiens ; Matthias de Knin et Nicolas de Welmowice durent se rétracter p334 Quand, le 16 juin 1408, il eut prohibé les attaques à l’adresse deRome et saisi les livres de Wyclif, Hus résigna ses fonctions de prédicateur synodal.

Le parti de la réforme comptait sur l’avenir : Venceslas refusait d prendre parti entre Benoît XIII et Grégoire XII, adhérait au projet decardinaux, qui venaient de convoquer l’assemblée de Pise, et commeà l’Université, les nations étrangères suivaient mal sa politique, iavait accordé aux Tchèques, le 18 janvier 1409, les trois voix des Allemands, désormais réduits à une seule. Zbynek ne reconnaissait ni leactes du concile ni l’élection d’Alexandre V. Une ordonnance royalenjoignit de saisir les revenus des opposants ; il lança l’interdit suPrague : Hus n’en tint nul compte, et la population, sous prétexte dseconder les officiers du fisc, pilla les biens d’Église, maltraita le prêtres. Déjà les étudiants et maîtres allemands qui avaient dû fui

dénonçaient à Erfurt, à Heidelberg, à Cologne, à Leipzig où ils avaienfondé une nouvelle Université, les hérésies de Bohême. Le 20 décem bre 1409, Alexandre V prescrivit de nommer à Prague une commission d’enquête. Il avait d’avance annulé tout appel : Hus appela sur-lechamp au pape mieux informé. L’archevêque prohiba, le 6 juin 1410les doctrines anglaises ; il fit brûler les livres suspects, fermer les cha pelles. Soutenu par l’Université, Hus rédigea un second appel, et, l





25 juin, le commenta publiquement à Bethléem ; le 18 juillet, Zbynel’excommunia. Mais le peuple ne laissa pas lire en chaire la sentencd’anathème, et les facultés assemblées rendirent hommage à la mé

moire de Wyclif. Le roi, inquiet, priait alors Jean XXIII d’abolir lemesures d’Alexandre V ; quand le cardinal Odon Colonna vint citeHus en cour romaine, il écrivit une seconde fois au pape. Il souhaitaqu’on imposât silence aux deux partis ; mais il refusait de livrer Huet de consterner tout un peuple.

Colonna, le 21 février 1411, excommunia le prédicateur ; la sentence fut publiée le 15 mars. Mais la foule protestait ; un nouveauconflit mit aux prises Venceslas et Zbynek ; de nouvelles confiscations de biens ecclésiastiques furent joyeusement accueillies

Jean XXIII, inquiet, transmit à une commission de cardinaux le procède Hus. L’archevêque reçut le conseil de se résigner à l’inévitableDes arbitres choisis en juillet voulurent lui imposer d’écrire à Romqu’il n’existait pas d’hérésie en Bohême. Il refusa, quitta son siège e bientôt mourut à Presbourg. Son successeur, vieux et débile, Alber p335 d’Unicov, semblait abandonner la lutte : les cardinaux romainsajournaient toute décision.

Les doctrines des réformateurs alors se raffermirent. Le Dialogue,le Triloguede Wyclif, son Discours sur la Trinitéaidèrent quelques-

uns à dépasser Hus. Lui-même y puisait des arguments nouveaux ; iinstruisait à son tour des missionnaires. Il restait d’ailleurs fidèle asimple évangélisme de ses premiers sermons. En correspondancmaintenant avec les petites communautés anglaises où survivait l pensée de Wyclif, c’était la restauration du culte en esprit qu’il contnuait d’enseigner aux fidèles bohémiens ou étrangers. Mais nul obstacle ne l’arrêtait plus. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres, écriil à un lecteur de Wyclif, a vu la grande lumière de Jésus-Christ ; lerayon de la vérité est apparu à ceux qui habitaient dans l’ombre de lmort... Le peuple n’a plus d’oreilles que pour l’Écriture Sainte, de préférence pour l’Évangile et les Épîtres... Mais le Seigneur n’a paachevé l’œuvre qu’il a confiée à mes frères et à moi ; il donnera lforce aux évangélistes, jusqu’à ce qu’ils aient broyé la tête et lesmembres de Béhémoth. » Déjà, contre la corruption romaine, il tentad’allier les chrétiens de Bohême et d’Angleterre.







indulgences ; le 24, sous sa conduite, une procession tumultueuse allclouer la bulle au pilori et la brûler publiquement.

Les adversaires de Hus obtinrent de la Faculté une nouvelle censure des doctrines wycléfites. Venceslas interdit de parler contrel’autorité pontificale ; la municipalité de Prague, allemande en partieimposa l’observation de l’édit ; trois jeunes gens, qui, le 12 juilletavaient, dans les églises interrompu le prône sur l’indulgence, furendécapités. Mais l’attitude du peuple, la faveur évidente que, dans unfraction de la noblesse tchèque, rencontraient les doctrines du puÉvangile, inquiétèrent le clergé, qui ne pouvait compter sur Venceslaset de nouveau sollicita l’intervention de la cour romaine. Le procès dHus fut hâtivement repris ; Jean XXIII prononça contre lui

l’excommunication majeure : si, dans un très bref délai, il refusait dse soumettre, les fidèles, seraient tenus de le livrer aux autorités ecclésiastiques ; quiconque avant un mois n’aurait pas abjuré, devrait com paraître en personne devant la cour de Rome. Mais du souverain pontife, qui frappait les défenseurs de l’Évangile, Hus appelait au seuchef de l’Église, Jésus-Christ. p337

Prague se divisa en deux camps. Sous la protection des TchèquesHus continua de prêcher à Bethléem. Il développait alors, dans sontraité De l’Église( De Ecclesia), son recours au Christ. Bien que dé-

sormais très proche de Wyclif, il n’osait pas encore nier l’institutiodivine du Saint-Siège ; mais le pape ne possède les droits de Pierrqu’à condition de l’imiter ; un pontife prévaricateur est le vicaire dJudas. La présence de Hus avait attiré l’interdit sur la ville ; il la quitta. Il crut savoir obéi au conseil du démon et revint ; l’interdit fut réta bli. Venceslas lui-même le pria de s’éloigner quelque temps, promide le réconcilier avec l’Église. Vers la fin de 1412, il se retirait à KozHradec. Jérôme de Prague passait en Pologne.

La puissance du parti s’accrut encore. Venceslas, en février 1413

tint à Prague un synode inutile, réunit peu après une commission qun’aboutit pas. Il était impossible d’accorder les Romains, soumis sanrestriction au pouvoir des clefs, et les évangéliques, résolus de n’obéau pape que s’il imitait le Christ. Venceslas exila Étienne de Paleč,Stanislas de Znaim et les principaux adversaires de la réforme. « Johannistes » et « wycléfistes » triomphèrent ; la vieille ville de Pragun’élisait plus de conseillers allemands. Cependant à Kozi Hradec, Hu





prêchait librement ; il achevait son De Ecclesia, corrigeait et complé-tait les traductions tchèques de la Bible, et dans un traité sur le droide déshérence, soutenait les intérêts des communautés rurales contr

les seigneurs, prompts à s’emparer des biens des paysans morts sanenfants. Ses lettres encourageaient amis et fidèles restés à PragueJacques de Stř ibro, Jean de Jesenice, Procope de Plzen (Pilsen), Pierrede Mladenovice, Jean de Př ibram, Jean de Rokyçany. Ils y mainte-naient vigoureusement ses doctrines, qui gagnaient du terrain dans lecampagnes. La communion sous les deux espèces, longtemps conservée en Bohême, n’avait été abolie que sous Charles IV, parl’archevêque Ernest de Pardubice, et sans disparaître complètement on en discutait avant l’introduction des livres de Wyclif. Jacques dStř ibro professait la nécessité de supprimer, par la restauration de cette ancienne coutume, le privilège eucharistique du prêtre. À l’automnde 1414, dans plusieurs églises de la capitale, les fidèles reçurent lcoupe. Hus, interrogé, avait d’abord répondu que le concile pouvaiseul autoriser le retour aux usages de la chrétienté primitive ; mai bientôt il recommandait à ses amis de suivre l’exemple de Stř ibro. p338

VIII. — Le concile de Constance :la fin du schisme (1414-1418)94

Des fêtes splendides accompagnèrent à Constance, vers la fin d1414, la rencontre de l’empereur Sigismond et du pape Jean XXIII ; lcohue des représentants de l’Europe chrétienne encombra la petite vile. Au prestige obtenu en terminant le schisme impérial, Sigismonambitionnait de joindre la gloire de rétablir l’unité catholique. Inquiedes progrès ottomans, il entendait hâter les travaux du concile. LFrance, par sa mauvaise volonté, son désir de sauver la cause perdude Jean XXIII, passa au second plan, abandonna le rôle de guidqu’elle avait joué depuis le début du schisme. Sous l’impulsion dl’empereur, plus qu’à aucun concile précédent, les princes temporels personnellement ou par ambassadeurs, allaient jouer un rôle considérable. L’assemblée elle-même s’organisa de manière, insolite : en janvier 1415, Pierre d’Ailly fit décider qu’outre les évêques et abbés, ledocteurs en théologie et en droit seraient admis au scrutin. Devenus d








obéir, en ce qui concernait la foi, l’extinction du schisme, la réformde l’Église dans le chef ou les membres. Toute résistance, vînt-elle d pape, serait punie selon le droit. On lui interdit de transférer la p340

Curie hors de Constance ; on annula d’avance tous ses actes ; on lmenaça, s’il s’obstinait, de le déclarer hérétique.

Sigismond avait fait mettre Frédéric au ban de l’Empire ; bientôvaincu dans une lutte inégale, le duc d’Autriche se soumit. Jean XXIerra de Schaffhouse à Laufenburg, à Fribourg en Brisgau, à Brisach il essayait encore de gagner du temps. Sommé de désigner des procureurs et de leur donner pleins pouvoirs pour abdiquer en son nom, itentait de se dérober. Le concile publia un mémoire anonyme qui de puis janvier circulait contre lui, et le cita le 2 mai à comparaître avan

neuf jours : le 14, il le déclara contumace, le suspendit, et, tandiqu’on le surveillait au château de Radolfzell, instruisit son procès. Dmême que Philippe le Bel avait accusé Boniface VIII des pires infamies, l’assemblée, pour abattre Jean XXIII, ne craignit pas de le déshonorer. Le pape ne voulut pas se défendre ; il accepta les décisiondu concile qui, le 29 mai, alléguant ses actes de simonie, sa mauvaisadministration du spirituel et du temporel, l’indignité de sa vie, le dé posa. Transféré au château de Heidelberg, il se soumit et se résigna.

D’autre part Grégoire XII, découragé, entrait, par l’intermédiair

du cardinal Jean Dominici et de Charles Malatesta, seigneur de Rimini, en négociations avec les Pères ; il acceptait d’abdiquer, après avoconvoqué lui-même l’assemblée au nom de son obédience. On s’ prêta. Le 4 juillet, en présence de Sigismond, Charles Malatesta donnlecture de deux bulles du pape romain : l’une autorisait le concile l’autre contenait la renonciation promise. On le nomma cardinalévêque de Porto, légat perpétuel d’Ancône, doyen du Sacré-CollègeMais le troisième pape n’entendait pas renoncer. Toujours pleind’illusions sur ses forces véritables, Benoît XIII avait manifesté danles dernières années une activité extraordinaire. Il intriguait en Francà Naples, à Rome même ; il s’appuyait sur la Castille et sur l’AragonCe fut à Sigismond que l’on confia la tâche délicate de négocier sonabdication. Il le rencontra, en août, à Perpignan. Après deux mois ddiscussions inutiles, Benoît se déclara seul et unique pontife, et, pourétablir l’unité catholique, exigea que l’assemblée le reconnûtL’empereur s’entendit avec les royaumes hispaniques ; par l’accord d Narbonne (décembre), l’Aragon, la Castille, la Navarre abandonnaien





définitivement l’obédience avignonnaise et se soumettaient au concilLe roi d’Écosse les imita. Benoît, enfermé dans la forteresse p341 dePeñiscola, sur les bords de la Méditerranée, avec quelques cardinaux

allait y passer plusieurs années à fulminer des excommunicationcontre le monde entier.

Le concile pouvait aisément déposer ce pape sans fidèles. Il fallaiensuite pourvoir à la vacance du Saint-Siège et à la réforme del’Église. Mais les querelles des princes européens divisaient les nations à l’assemblée. Jean Sans-Peur, duc de Bourgogne, dontl’attachement à Jean XXIII avait retardé l’union, faisait appel à Constance de la censure prononcée par les juges diocésains de Paris contrson conseiller Jean Petit, l’apologiste du tyrannicide et du meurtre d

Louis d’Orléans. Brouillé avec Sigismond, qu’on l’accusait de vouloempoisonner, il n’épargnait nulle avanie aux pères ; ses bandes arrêtaient et détroussaient leurs ambassadeurs. Ainsi le conflit des Armagnacs et des Bourguignons trouvait un écho jusqu’à Constance. U peu plus tard, la rupture de la France, et de l’Angleterre produisit detroubles plus graves. Sigismond s’étant allié à Henri V, la nation française se détachait de lui, groupait autour d’elle les nations latines eles cardinaux, s’opposait à tous ses projets. L’année 1416 se passaainsi en luttes ardentes, qui risquèrent parfois de provoquer l’effusiodu sang. Ce fut seulement le 28 novembre que l’assemblée, aprèavoir instruit le procès de Benoît XIII, le somma de comparaître. Irépondit que la véritable Église n’était pas à Constance, mais à Peñiscola. Le 8 mars 1417, le concile le déclara rebelle et incorrigible ; sdéposition fut enfin prononcée à la session générale du 26 juillet.

Le Saint-Siège allait demeurer vacant plusieurs mois. Le conciladministrait les affaires de l’Église, qui s’habituait à vivre sans papeIl aurait pu jouer un grand rôle si, une fois le schisme terminé, il avaréussi à réformer l’Église. Mais trop d’intérêts collectifs ou particuliers conspiraient à maintenir le désordre. Une commission, qui depu juillet 1415 réunissait huit orateurs de chaque nation et trois cardnaux, travaillait lentement. Les cardinaux, dénoncés comme auteurresponsables du mal de l’Église, haïs de la majorité de l’assembléeredoutaient une réforme dommageable à leur prestige ; car certaindéputés parlaient de supprimer le Sacré-Collège, qu’ils accusaiend’entretenir dans l’Église le luxe d’une cour inutile et de diminuel’autorité des évêques. Le concile avait décidé, en mai, sur la propos





tion de Pierre d’Ailly, qu’au nouveau conclave devrait participer, aveles cardinaux, un p342 sombre égal d’électeurs choisis par les nations.L’assemblée discutait maintenant pour savoir si l’on nommerait le pa

pe avant de corriger les abus. Allemands et Anglais soutenaient l priorité de la réforme. Ils s’entendirent bientôt accuser par les Français, les Espagnols et les Italiens, de croire, comme Jean Hus, qul’Église peut se passer de chef. Ils durant céder, à condition quel’assemblée promulguerait avant le conclave les articles de la commission de réforme acceptés déjà par les nations.

Ainsi furent publiés, le 9 octobre, cinq décrets où triomphait ladoctrine conciliaire. Le premier, qu’on voulut appeler « édit perpétuel », ordonnait, par une innovation de singulière importance, la te

nue du concile général tous les dix ans ; encore la plus prochaine assemblée devait-elle s’ouvrir dans cinq années, et la seconde sept an plus tard. On décida qu’en cas de schisme le concile se réunirait d plein droit ; on fixa la profession de foi du nouveau pape ; on interdau Saint-Siège de transférer arbitrairement les évêques et des’approprier les biens des prélats décédés, même en cour de Rome. L30 octobre, un sixième décret définit les questions que l’élu devrairésoudre de concert avec l’assemblée pour réformer l’Église dans lchef et les membres. Ces dix-huit articles ne visaient guère que leabus du pouvoir pontifical, les cas où le pape encourrait censure oudéposition, le nombre et les privilèges des cardinaux, les réserves, leannates, la collation des bénéfices, les grâces expectatives, les appelen cour de Rome, les commendes, la simonie, les dispenses, les indugences, les décimes. Encore avait-on sensiblement allégé le programme des commissaires. Alors enfin s’ouvrit, le 8 novembre, un conclave, où trente députés des nations siégèrent avec vingt-trois cardinauxOdon Colonna, qui avait su pendant les derniers événements se tenien dehors de tous les partis, fut élu, le 11, à l’unanimité, et prit le nomde Martin V.

Quelques jours après les fêtes du couronnement, l’empereur et le présidents des nations le prièrent de procéder, selon le décret du 3octobre, à la réforme. Il nomma, sans beaucoup de hâte, une nouvellcommission pour étudier les dix-huit points. Mais les délégués denations s’y entendirent mal avec les cardinaux. Les Espagnols attaquèrent franchement Martin V ; les Allemands lui présentaient un mémore où ils définissaient leur doctrine sur les dix-huit articles, et très har





diment accordaient au concile général le droit de déposer le pape, noseulement p343 pour hérésie, mais pour simonie ou pour toute fautegrave dont, après avertissement canonique, il refuserait de se corrige

Martin V, le 20 janvier 1418, présenta lui-même au concile un projerédigé par la Curie, et qui, muet sur la déposition du souverain pontife, satisfaisait en quelque mesure les Allemands. L’assemblée, aprèdivers débats, en approuva quelques articles qui, publiés le 21 marsous forme de décrets, révoquaient les exemptions concédées depuile début du schisme, ordonnaient une enquête sur les réunions irrégulières, annulaient les nominations simoniaques, les dispenses contraires au droit canon, décidaient que les revenus des charges vacantes nseraient plus attribués à la Chambre apostolique, interdisaient toutlevée de décimes, sauf en cas de nécessité manifeste et avec le consentement du clergé. En même temps, le pape concluait avec les diversenations des concordats provisoires qui, pour une durée de cinq anssupprimaient les commendes, rétablissaient les élections et les droitdes collateurs, restreignaient les appels des tribunaux pontificaux, nlaissaient à la disposition du Saint-Siège que la moitié des bénéficevacants en cour de Rome. Mais la réforme générale ne fut pas entre prise ; le parti conciliaire, après l’avoir réclamée en termes si impérieux, n’avait pas su, en trois années, la discuter efficacement, et sem blait maintenant s’en désintéresser. Le 19 avril, Martin V informa le

députés, que le prochain concile se tiendrait à Pavie ; ils se séparèrenle 22, après avoir entend l’empereur décliner toute responsabilité touchant les imperfections de leur œuvre.

IX. — Le concile de Constance :la condamnation de Jean Hus95

L’assemblée n’avait pas seulement pour programme de terminer lschisme et de réformer l’Église dans son chef et dans ses membresElle devait aussi rétablir l’unité de la foi, juger les doctrines bohémiennes.

Sigismond, qui avait exigé la réunion du concile, voulut que Hus’y rendît. Jean de Chlum et Venceslas de Duba lui promirent, au nomde l’empereur, toute sécurité. Il ne se dissimulait p344 pas le péril ;






mais, sans même attendre le sauf-conduit, il quitta Prague le 11 octo bre 1414. Jérôme, rentré depuis peu de Pologne, où il avait répandu ldoctrine évangélique, lui déclara solennellement que les Tchèques n

l’abandonneraient pas. Les villes d’Allemagne l’accueillirent aveamitié. À Constance, où il entra le 2 novembre, douze mille personnevinrent le saluer. Le 5, il recevait les lettres de sauvegarde signées dSigismond. Jean XXIII garantit sa liberté pourvu qu’il ne prêchât pasil serait entendu par le concile en séance publique.

L’assemblée lui était hostile. Ses adversaires tchèques, l’évêqueJean V de Lytomyšl, Michel de Nemecky Brod, Venceslas TiemÉtienne de Paleč, menaient contre lui une campagne que secondaientles prélats italiens. La nation française subordonnait le Saint-Siège

l’assemblée, mais soumettait les consciences au magistère de l’ÉglisePierre d’Ailly réprouvait chez Jean Hus la révolte de l’individu contrl’unité catholique ; Gerson jugeait pernicieuse une doctrine qui, accordant aux fidèles le droit d’interpréter librement l’Évangile, ruinale principe d’autorité. Il venait de tenir tête, en 1412, à la démagogicabochienne ; dans la prédication tchèque il redoutait les germes d’u bouleversement social. De la sorte, adversaires et partisans de la Réforme se trouvaient unis contre Hus. Les chefs du concile craignirenl’effet de sa parole ; d’accord avec le pape, les cardinaux décidèrenson arrestation. Le 28 novembre, appelé sous prétexte d’une conférence au palais pontifical, il fut saisi et emprisonné. Jean de Chlum protesta vainement. L’empereur menaça de se retirer ; mais les prélats ludémontrèrent que sa conscience n’était pas liée par des promesses fates à un hérétique et parlèrent de dissoudre l’assemblée. Sigismonn’osa pas affronter la déception du monde chrétien ; il abandonnHus ; dès le 1er janvier 1415, il autorisa par décret le concile à répri-mer l’hérésie et, malgré les protestations de la Bohême, révoqua ex pressément, le 8 avril, le sauf-conduit qu’il avait signé. Jérôme dPrague était venu secrètement à Constance. Il avait, aux portes de

églises, affiché des placards où il affirmait l’orthodoxie de Hus, olui-même se défendait contre toute accusation d’hérésie. Les instancede ses amis le décidèrent à s’éloigner ; mais, reconnu à Hirsau, il étaramené à Constance et jeté en prison.

Gardé huit jours chez un chanoine de Constance, Hus avait ététransféré au couvent des Dominicains, dans une île du lac ; p345 l’étroitesse et l’humidité du cachot le rendirent malade. Pourtant, dè





le 1er décembre 1414, des commissaires ouvraient une enquête sur sadoctrine. Michel de Nemecky Brod l’accusait d’aggraver les erreurde Wyclif, de rejeter la transsubstantiation, d’affirmer que les prêtres

en état de péché, perdent le pouvoir efficace de conférer les sacrements, que l’Église ne doit pas posséder de biens temporels ; Hus accordait le calice aux laïques, méprisait l’excommunication, excitait l peuple contre le clergé ; son retour à Prague déchaînerait un soulèvement général. En vain, dans son traité Du sacrement du corps et du sang ( De sacramento corporis et sanguinis), achevé le 5 mai 1415, ildéfendit, une fois encore, la transsubstantiation ; des témoins affirmèrent sous serment l’avoir entendu la nier. On l’avait remis à Sigismond ; il le livra bientôt à l’évêque de Constance, qui le détint au château de Gottlieben. En rupture avec le pape, le concile affectait un zèlintraitable contre l’hérésie. Pierre d’Ailly présida sans indulgence lcommission d’enquête. Si l’assemblée, le 5 avril, se proclamait supérieure au Saint-Siège, elle ordonnait le 4 mai de brûler les livres dWyclif et de jeter ses restes hors de la terre chrétienne. Deux jouraprès la déposition de Jean XXIII, elle fixait au 5 juin l’ouverture d procès public de Hus.

Les commissaires auraient voulu esquiver tout débat, obtenir lacondamnation des articles suspects en l’absence de l’inculpé, qun’aurait plus eu qu’à se soumettre ou à mourir. Jean de Chlum et Venceslas de Duba détournèrent Sigismond d’autoriser ce subterfuge. Hucomparut. Empêché de discuter à la séance du 5, il put le 7 parler plulibrement. Il démontra qu’il n’avait jamais contesté la transsubstantiation, mais ne dissimula pas son admiration pour Wyclif. Il rappelaque, venu de son plein gré à Constance, nulle force au monde nel’aurait contraint à s’y rendre. Et Jean de Chlum ajouta : « Je ne suiqu’un pauvre chevalier : mais je l’aurais défendu dans mon châtea pendant une année entière ; et il ne manque pas de seigneurs plu puissants que moi, qui l’auraient défendu aussi longtemps, contr

Venceslas et Sigismond réunis. » Blessé, l’empereur déclara que, s’iavait permis à l’accusé de se disculper en public, il n’entendait patolérer l’hérésie. Le 8 juin, à la troisième séance, on lut trente-neuarticles tirés des livres de Hus, dont vingt-six extraits du De Ecclesia.Il s’en dégageait une conception qui subordonnait l’autorité du prêtrau devoir de pratiquer les vertus chrétiennes. Plus hardiment professé par p346 Wyclif, elle semblait couronner les prédications des Spirituels





ou des Fraticelles et s’accorder aisément avec l’idéal des communautés vaudoises. Le concile abaissait le pape, mais entendait maintenir l prestige du sacerdoce. Comme Hus tentait de s’expliquer, Pierr

d’Ailly lui conseilla de s’en remettre à la clémence de l’assembléeQuand il répondit que sa conscience lui interdisait de désavouer deopinions fondées sur saint Augustin, la séance devint tumultueuse. Ine contestait pas la vertu des sacrements conférés par les indignes mais ces prêtres perdaient leur âme ; et il ajouta : « Bien plus, un roen état de péché mortel, n’est pas véritablement roi devant Dieu. —Personne n’est sans péché, répliqua Sigismond. — Ne te suffit-il pass’écriait Pierre d’Ailly, d’avoir ébranlé toute l’Église ? Veux-tu encore t’attaquer aux rois ? » Sigismond, dès lors, ne vit plus dans le réformateur qu’un ennemi personnel. « Vous avez entendu, dit-il, leshérésies avancées par cet homme. S’il refuse de les abjurer, traitez-lselon toute la rigueur des lois. S’il se rétracte, n’accordez aucune foi ses promesses. Dès son retour en Bohême, il retrouverait ses partisan prêcherait de nouveau les mêmes erreurs, et le mal deviendrait pirque par le passé... »

Le procès était clos. Toutefois à une sentence de mort qui risquaide transfigurer Hus en martyr, le concile préférait une abjuration qul’eût déshonoré. Toutes démarches furent vaines ; il demanda tranquilement qu’on lui démontrât ses erreurs par l’Écriture ; à l’Église assemblée il opposait maintenant les droits de la conscience. « Je nveux pas, disait-il, scandaliser le peuple que j’ai conduit dans la voide la vérité. » Il adressait aux croyants de Bohême ses conseils su prêmes : « Restez fidèles à cet Évangile que j’ai prêché d’après la lodivine et les paroles des saints. » Il repoussa les formules de rétractation ambiguë qui lui furent proposées. Le 5 juillet, les cardinaux Zabarella et Pierre d’Ailly lui offrirent de reconnaître l’exactitude de sdoctrine sur la transsubstantiation, pourvu qu’il renonçât à ses erreursur la hiérarchie et l’unique autorité de la Bible. Il refusa, dut écarte

encore d’autres séductions. Les évêques le déclarèrent endurci el’abandonnèrent. Le lendemain il parut devant le concile, en présencde Sigismond. On lut les articles incriminés ; il essaya vainement encore de se défendre ; la sentence fut enfin prononcée, qui le condamnait à la dégradation et au bûcher. On le dépouilla de ses vêtementsacerdotaux ; on le coiffa d’une mitre où se lisait p347 le mot : hérésiar-que, où des dessins grossiers représentaient les diables qui se dispu





taient son âme. L’exécution eut lieu dans une prairie, devant les mursIl mourut avec une héroïque sérénité.

Jérôme de Prague avait comparu pour la première fois le 24 maiGerson l’accusa d’avoir professé de fausses doctrines à Paris, Heide berg et Cologne ; Jérôme répondît brièvement et la séance se terminsans tumulte. Pendant qu’il subissait la détention la plus dure, leconcile, occupé du procès de Hus, parut l’oublier. Après la journée d6 juillet, on voulut obtenir de lui la rétractation que Hus avait dédaignée. Jérôme se montrait plus habile à manier la dialectique ; maisdéprimé par l’isolement et la maladie, harcelé par Étienne de Paleč etMichel de Nemecky Brod, il faiblit. Le 11 septembre, dans unecongrégation générale, il déclara rejeter les thèses de Wyclif comm

entachées d’hérésie, erronées et scandaleuses ; bien qu’il affirmât n pas trahir les vérités qu’il avait apprises de Hus, il promit d’écrire eBohême pour justifier sa condamnation ; le 23 septembre, il abjursans réserve. Pierre d’Ailly demandait son élargissement ; le concille maintînt en prison. Alors Jérôme retrouva son courage. Étienne dPaleč et Michel de Nemecky Brod conçurent bientôt des doutes surson retour à l’orthodoxie. Gerson, qui le haïssait encore plus que Husdémontra au concile, le 29 octobre, l’insuffisance de ses rétractationMalgré les efforts de Pierre d’Ailly, de Zabarella, une nouvelle enquête fut ouverte, le 24 février 1416 ; le 27 avril, un nouvel acted’accusation fut lu devant l’assemblée ; on décida que, s’il ne satisfaisait pas entièrement, il serait livré au bras séculier. Jérôme comparule 23 mai ; on donna lecture des cent-sept articles rédigés par les théologiens ; le 26, on lui permit de se défendre. Résolu au sacrifice de svie, il évoqua le souvenir des sages, païens, juifs ou chrétiens, mort pour la vérité ; il cita parmi eux Jean Hus. Il se repentit amèremend’avoir approuvé le meurtre juridique d’un saint, innocent de touthérésie, coupable seulement de rappeler l’Église à l’Évangile. Unconcert d’invectives l’interrompit. Hérétique et relaps, on le brûla l

30 mai, sur le lieu même où avait souffert son maître. Il montra parecourage. « Hus et Jérôme, écrivit Enea Silvio Piccolomini, ont supporté fièrement la mort et sans défaillance ; aucun philosophe nel’accueillit jamais avec autant de fermeté. »

Dès le 2 septembre 1415, une diète générale, convoquée à p348 Pra-gue par les chefs du parti réformateur, avait protesté contre le supplicde Jean Hus et la captivité de Jérôme. Le 5, les nobles de Bohêm





constituaient pour trois ans une ligue offensive et défensive. Selon ledoctrines de Hus, ils déclaraient obéir aux évêques tant que leurs ordres se fondaient sur la parole divine, aux papes en tout ce qui n’étai

pas contraire à l’Écriture. Le roi refusant d’admettre ce programmon passa outre. Les évangéliques formaient désormais un parti, donl’Université de Prague reçut la direction spirituelle. La ligue se proposa de restaurer la vie chrétienne dans l’Église par l’étude et la libr prédication de l’Évangile. Elle trouva un symbole nouveau dans lcalice ; car la communion sous les deux espèces avait, non sans queques résistances, prévalu partout où l’on se réclamait de Hus. Les réformateurs triomphèrent bientôt à Prague. Comme le clergé observal’interdit prononcé par le concile, le peuple envahit les églises, chassles prêtres catholiques, établit des hussites dans la plupart des curesLes troubles de la capitale eurent un contre-coup dans les provincesoù les biens d’Église furent en assez grand nombre saisis et confisqué par les seigneurs.

L’assemblée, inquiète, essaya de recourir à la force, et, le 27 mar1416, nomma légat l’évêque Jean de Lytomyšl, ennemi acharné deHus ; il devait sommer les barons de s’unir à lui pour exterminel’hérésie. Il échoua : l’Université de Prague, le 23 mai, proclaml’orthodoxie et la sainteté du martyr. Le concile suspendit les privilèges des étudiants et des maîtres, supplia l’empereur de réduire par lforce les rebelles. Déjà les catholiques donnaient le signal des violences : à Kutnahora, (Küttenberg) les mineurs allemands, excités paleurs curés, massacrèrent quelques suspects. Sigismond eût volontier porté la guerre en Bohême pour exterminer l’hérésie ; mais Venceslatrès jaloux de sa propre autorité, l’en dissuada. Le roi ne songeait qu’vivre en paix avec les deux partis ; l’empereur, avant d’agir à Pragueeût d’ailleurs exigé la réforme de l’Église.

Quand le concile de Constance se sépara, la Bohême vivait danl’attente de la guerre religieuse. Martin V gardait contre les novateurune haine implacable. Sur ses instances, en février 1418, le concilavait, adressé à Venceslas une sorte d’ultimatum en vingt-quatre articles. Le roi jurerait d’exterminer les hérésies de Wyclif et de Hus ; lculte des images serait restauré, l’usage du calice aboli ; toutes le personnes suspectes d’hérésie devraient faire solennellement profesion de p349catholicisme. Jean de Jesenice, Jacques de Stř ibro, Jean deRokyçany et quelques autres, étaient cités à Rome. Quiconque véné





rait la mémoire de Jean Hus et de Jérôme serait tenu pour relaps e brûlé. Sigismond, peut-être dans l’espoir de voir le concile abordeenfin l’œuvre de la réforme, avait promis son concours. Mais Vence

slas, malgré son inertie et sa faiblesse, entendait maintenir les privilèges de la royauté bohême ; et la sommation du Saint-Siège le rapprocha des Hussites, déjà prêts à une résistance désespérée. p350

Table des matières

Bibliographie du chapitre premier Le Grand Schisme, Jean Hus et le concile de Constance

(1378-1418)

OUVRAGES GÉNÉRAUX À CONSULTER . — Les meilleures histoires de l’Église pour cette période sont : Hefele, Histoire des conciles, trad. française deH. Leclercq (cité p. 5), t. VI, 2e partie et VII, 1re et 2e parties ; Ludwig vonPastor,Geschichte der Päpste seit dem Ausgang des Mittelalters(Fribourg-en-Brisgau, 10 vol. in-8° parus, 1886-1926), allant actuellement de Martin V Sixte-Quint ; les tomes I à III ont été remaniés et augmentés dans les 5e-7e éd.de 1924-1925 ; médiocre traduction française, sans les documents, jusqu’à mort de Jules II, par Furcy-Raynaud : Histoire des papes depuis la fin dumoyen âge(Paris, 1888-1898, 6 vol. in-8°), t. I. — Ajouter A. Hauck, Kir-chengeschichte Deutschlands(citée p. 21), t. V en 2 parties (Leipzig, 1911-1920, 2 vol. in-8o ; 2e édition de la 2e partie, 1929), d’ailleurs très malveillantà l’égard des Tchèques ; J. Haller, Papsttum und Kirchenreform, t. I, seul paru(Berlin, 1903, in-8°), t. I ; M. Creighton, A history of papacy during the period of Reformation(Londres, 1882-1894, 5 vol. in-8°), t. I :The Great Schism, theCouncil of Constance ;F. Rocquain, La cour de Rome et l’esprit de réformeavant Luther (Paris, 1893-1897, 3 vol. in-8°), t. III. — L’histoire du GrandSchisme et de la période conciliaire a été entièrement renouvelée par les travaux de N. Valois, La France et le Grand Schisme d’Occident (Paris, 1896-1902, 4 vol. in-8°), et La crise religieuse du XV e siècle, le pape et le concile,1418-1450(Paris, 1909, 2 vol. in-8°). L. Salembier, Le Grand Schismed’Occident (Paris, 1900, in-12, de la « Bibliothèque de l’enseignement del’histoire ecclésiastique » ; 5e éd., 1920), est un manuel commode, qui manque parfois d’objectivité. Ajouter F. Bleetmitzrieder, Das Generalkonzil im grossen abendländischen Schisma(Paderborn, 1904, in-8°). Il n’existe pasd’histoire générale de l’Église en Bohême. Les travaux fort importants dehistoriens tchèques, sur Jean Hus et ses précurseurs, seront cités p. 331.





I. La double élection de 1378 et la division de la chrétienté OUVRAGES À CONSULTER . — Le récit de la double élection a été définitivement

fait au t. I de l’ouvrage de Valois, La France et le Grand Schisme d’Occident

cité à la note précédente ; on peut aussi consulter L. Gayet, Le Grand Schismed’Occident ; les origines(le t. Ier , Florence et Berlin, 1889, in-8°, et le t. II,Paris, Florence et Berlin, 1889, in-8°). Pour l’attitude des puissances, outre cqu’en dit Valois, t. I et II, on aurait besoin de monographies par pays : nourenvoyons à une étude en préparation de E. Perroy sur l’ Angleterre et leGrand Schisme d’Occident , et à M. Wagner, Die englische Kirchenpolitik un-ter König Richard II (Fribourg-en-Brisgau, 1904, in-8o, thèse de Bonn) ;A. Stewart,Scotland and the papacy during the Great Schism, dans laScottishhistorical review, t. IV (1907), p. 145-158 ; A. Ivars, La indiferencia de Pe-dro IV de Aragon en el Gran Cisma de occidente, extrait de l’ Archiva ibero-americano, nos 85 et 86 (Madrid, 1928 in-8°) ; K. Guggenberger, Die Legationdes Kardinals Pileus in Deutschland, 1378-1382(Munich, 1907, in-8o, disser-tation de 138 p.).

II. La prolongation du schisme : la « voie de fait » OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages indiques p. 308, voir E. Jarry, La

voie de fait et l’alliance franco-milanaise, 1386-1395, dans la Bibliothèque del’École des Chartes, t. LIII (1892), p. 213-253 et 505-570, et du même, La vie politique de Louis de France, duc d’Orléans(Paris, 1889, in-8°) ; P. Durrieu, Le royaume d’Adria, dans la Revue des questions historiques, t. XXVIII(1880), p. 43-78 ; M. Rothbart,Urban VI und Neapel (Berlin, 1913, in-8°, thè-se de Fribourg et fasc. 49 des « Abhandlungen zur mittleren und neueren Gechichte ») ; G.-M. Wrong,The crusade of 1383 known as that of the bishop of Norwich(Londres, 1892, in-8°) ; S. Armitage-Smith, John of Gaunt (West-minster, 1904, in-8°).

III. La révolte des cardinaux et le concile de Pise (1407-1414) OUVRAGES À CONSULTER . — Outre Hefele, Histoire des conciles, trad. par

H. Leclercq (citée p ; 307), tome VII, 1re partie ; L. von Pastor, Histoire des papes(citée p. 307), rappelée ici une fois pour toutes, et N. Valois, La France

et le Grand Schisme(cité p. 307), t. IV, voir A. Kneer, Kardinal Zababrella,1360-1417 (Münster, 1891, in-8o, dissertation) ; K. R. Kötschke, Ruprecht vonder Pfalz und das Konzil zu Pisa(Iéna, 1891,in-8°) ; E. Göller, Konig Sigis-munds Kirchenpolitik vom Tode Bonifaz IX bis zur Berufung des Konstanz Konzils, 1404-1413(Fribourg-en-Brisgau, 1902, in-8°, dissertation) ; G. Rein-ke, Frankreich und Papst Johann XXIII (Münster, 1900, in-8°, dissertation) ;H. Junghanns, Zur Geschichte der englischen Kirchenpolitik, 1399 bis 1413 (Fribourg-en-Brigau, 1915, in-8°).





IV. La doctrine conciliaire OUVRAGES À CONSULTER . — Aucune étude d’ensemble sur l’histoire de la doctri-

ne conciliaire. On se reportera aux ouvrages cités p. 307, particulièrement AHauck, Kirchengesckichte Deutschlands, t. V, 1re partie ; N. Valois, La Fran-ce et le Grand Schisme d’Occident , t. IV ; L. Salembier, Le Grand Schismed’Occident ;on y joindra les livres de Bliemetzrieder, Das Generalkonzil im grossen abendländischen Schisma, cité p. 307 ; du même auteur, Literarische Polemik zu Beginn des grossen abendländischen Schismas(Vienne, 1909, in-8o ; tome I des « Publikationen des österreich.-historischen Instituts ») ; PTschackert, Peter von Aili. Zur Geschichte des grossen abendländischenSchismas und der Reformconcilien von Pisa und Constanz(Gotha, 1877, in-8°) ; L. Salembier, Petrus de Alliaco(Lille, 1886, in-8°) ; J.-B. Schwab, Jo-hannes Gerson(Würzburg, 1858, in-8°) ; Edmond Vansteenberghe, Le cardi-nal Nicolas de Cues (1401-1464) ; l’action, la pensée(Paris, 1920, in-8°),chap.IV : « Du parti conciliaire au parti pontifical ». Vue d’ensemble sur legallicanisme, de ses origines au début duXVIe siècle, dans l’ouvrage de P. Im- bartde la Tour, Les Origines de la Réforme(Paris, 1905-1914, 3 vol. in-8°), t.II, livre I, chap.II.

V. La persistance des anciennes hérésies OUVRAGES À CONSULTER . — Se reporter à la bibliographie de la p. 103, n. 1.

VI. Les hérésies nouvelles ; le développement du wycléfisme OUVRAGES À CONSULTER . — Pour Wyclif et le wycléfisme, voir p. 103, n. 1.

Parmi les œuvres de Wyclif, publiées par la « Wyclif Society », consulter spécialement leTractatus de eucharistia, éd. par J. Loserth et F.-D. Matthew(Londres, 1892, in-8°), le Dialogus sive speculum Ecclesie mililantis, éd. par F. Pollard (Londres, 1386, in-8°) ; leTrialogusa été antérieurement publié par G.-V Lechler (Oxford, 1869, in-8°).

VII. Les hétérodoxes de Bohême : Jean Hus OUVRAGES À CONSULTER . —-Depuis la publication des ouvrages déjà anciensd’E. Denis, Huss et la guerre des Hussites(Paris, 1878, in-8°, réimp., 1930),de J. Loserth, Huss und Wyclif ; zur Genesis der hussitischen Lehre(Prague etLeipzig, 1884, in-8° ; 2e éd., Munich, 1925), et de W. Preger,Ueber das Ver-hältniss der Taboriten zu den Waldesiern des XIV ten Jahrhunderts(Munich,1887, in-4°), les études sur l’histoire religieuse de la Bohême ont été renouvlées par les recherchés des savants tchèques. Sur leurs travaux ou publication







la fin du schisme, est celle de N. Valois, La France et le Grand Schismed’Occident (citée p. 307), t. IV. Parmi les études de détail, signalonsH. Blumenthal, Die Vorgeschichte des Konstanzer Konzils(Halle, 1897, in-8°,dissertation) ; J. Hollerbach, Die gregorianische Partei, Sigmund und das Konstanzer Konzil (Rome, 1910, in-8

o, extrait de la Römische Quartalschrift ,t. XXIII et XXIV) ; B. Fromme, Die spanische Nation und das Konstanzer

Konzil (Münster, 1896, in-8°) ; L. Salembier, Petrus de Alliaco, cité p. 323 ;J. Rest, Kardinal Fillastre bis zur Absetzung Johanns XXIII auf dem Konstan zer Konzil (Fribourg-en-Brisgau, 1908, in-8°, dissertation) ; F.-X. Funk,Mar-tin V und daz Konzil von Konstanz, dans les Kirchengeschichtliche Abhan-dlungen, t. I (Paderborn, 1897, in-8°), p. 489-498.

Sur les concordats de Martin V, voir A. Chroust, Zu den Konstanzer Kon-kordaten, dans la Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft , t. IV(1890), p. 1-13 ; B. Hobler, Die Konstanzer Reformation und die Koncordatevon 1418(Leipzig, 1867, in-8°) ; W.Capes,The English Church in the four-

teenth and fifteenth centuries, cité p. 21 ; J. Haller, England und Rom unter Martin V , dans lesQuellen und Forschungen aus italienischen Archiven, t.VIII (1905), p. 249-304.

IX. Le concile de Constance : la condamnation de Jean Hus OUVRAGES À CONSULTER . — On se reportera aux bibliographies des p. 331 et 339.

Ajouter A. Hall,Sigmund und Huss(Fribourg-en-Brisgau, 1912, in-8o, disser-tation).





Table des matières

Chapitre II

La révolution religieuse en Bohême et le schisme de Bâle (1415-1453) 96

Le concile de Constance léguait au monde chrétien la menaced’une guerre de religion et le germe d’un nouveau schisme. Les hérétiques de Bohême, plus heureux que les Albigeois, allaient repoussequatre croisades et mener par les armes une victorieuse propagandePour la première fois, l’Église catholique, malgré le concours de lforce temporelle, dut capituler devant la conscience en révolte d’un peuple. Cependant la nouvelle assemblée œcuménique entrait en luttavec le Saint-Siège pour lui imposer l’idéal constitutionnel et fédératde Constance ; Bâle et Rome eurent chacune leur pape. Le romain put, à l’aide des princes, triompher du concile. Mais cette victoire laissait subsister, à l’intérieur des Églises nationales, une tradition vivacd’hostilité envers la monarchie pontificale, et une doctrine à laquelldéjà s’attachaient, en France, les noms de quelques maîtres illustresLa papauté demeurait faible à la fois contre l’hérésie et le mauvaivouloir des clercs ; et les efforts insuffisants, aussi bien du concile qudu Saint-Siège, pour corriger les abus et les désordres depuis longtemps déplorés, laissaient ouverte la question de la réforme del’Église.






I. — La révolution religieuse en Bohême97

Deux ans avant que Martin V eût pu reprendre définitivement possession de Rome, misérable et ruinée, le 28 septembre p351 1420, larévolution religieuse avait éclaté en Bohême. Le 9 juin 1418, Venceslas, invoquant une loi d’après laquelle ses sujets n’étaient tenus dcomparaître que devant les juges royaux, interdisait aux prêtres cité par la curie de passer la frontière. Pourtant, en décembre, Martin Vtriomphait des derniers scrupules de Sigismond, qui, redoutant de vole commandement de la croisade confié à quelque autre, somma Venceslas d’agir contre l’hérésie. Le roi de Bohême, intimidé, chassa dPrague Jean de Jesenice, rendit les églises aux catholiques. Mail’arrogance du clergé, les excès des fidèles provoquèrent de nouveauconflits. Plus nombreux dans les campagnes qu’à Prague, les partisande la réforme célébraient le culte dans des maisons particulières, dandes granges, ou en plein air, sur de hautes collines, auxquelles ils donnaient les noms bibliques d’Horeb ou de Tabor. Le 22 juillet 1419 plus de quarante mille personnes se rassemblèrent près de BechynLe 31, des désordres éclataient à Prague ; on enfonça les portes dSaint-Étienne : sous la conduite du chevalier Jean Žižka, on attaqul’hôtel de ville, et l’on jeta les conseillers catholiques par les fenêtres

Ces événements hâtèrent la fin de Venceslas ; il mourut le 16 août, amoment où une lutte acharnée mettait aux prises les deux partis entrlesquels il n’avait jamais su choisir.

Sigismond réclama la couronne : mais seuls quelques nobles, quelques villes germanisées, étaient prêts à l’accueillir ; son rôle au concle de Constance l’avait rendu odieux en Bohême, où le soulèvemenreligieux ne s’apaisait pas. Deux jours après la mort de Venceslas, lfoule, à Prague, envahissait les églises, incendiait les couvents dedominicains et des chartreux, détruisait les images, emprisonnait prêtres et moines. Semblables violences furent commises à Plzen (Pilsen), Kralove Hradec, Klatovy. La diète, réunie en septembre, avaidemandé à la reine Sophie, nommée régente par l’empereur, la libertde la prédication et le calice. Comme elle tentait d’introduire à Pragudes mercenaires allemands, les éléments les plus actifs du parti réfor 97 OUVRAGES À CONSULTER .







l’Eucharistie. Ils se bornaient à simplifier la liturgie, à rétablir la forme primitive du canon de la messe ; ils attribuaient la plus haute im portance à la règle des mœurs, renforcée et sévèrement imposée au

prêtres. S’ils revendiquaient la libre interprétation des livres saints, i jugeaient nécessaire de la discipliner. Un concile tenu à Prague e1421 conférait à quatre théologiens le titre de gouverneurs suprêmedu clergé pour le royaume ; nul ne devait professer une doctrine nouvelle sans la soumettre à l’un d’eux ou à un synode provincial. Ils re poussaient énergiquement l’appellation d’hérétiques.

Mais déjà, du vivant même de Hus, ceux qui plus hardimentavaient suivi jusqu’au bout la critique de Wyclif, hésitaient moins rompre avec un passé qui leur semblait porter le signe de l’Antéchris

Ils formèrent bientôt des groupes, qui recrutés surtout parmi les chevaliers et les paysans, se montraient plus énergiques et plus capabled’agir sur la foule des villes et des campagnes. Ils avaient conduit leassemblées des solitudes ; ils avaient adopté pour capitale, au sud dPrague, la petite ville de Hradiste, qu’ils appelèrent Tabor et dont leu parti prit le nom. Les « Taborites » interprétaient librement les quatrarticles. Non contents d’admettre les conclusions extrêmes de Wyclifils s’accordaient souvent avec les Vaudois, dont la propagande plusieurs fois séculaire avait certainement préparé Je succès de la prédcation hussite. L’ingratitude prudente des Utraquistes les désavouait les Taborites entretinrent avec eux des relations étroites et amicalesQuand, en 1421, les Calixtins définirent leur credo, les Taborites leimitèrent. La loi du Christ devait suffire à l’Église militante. Ilcondamnèrent donc sans réserve la tradition, l’autorité des Pères, dedocteurs et des conciles ; ils accomplirent jusqu’au bout l’épuratiorévolutionnaire des croyances et des pratiques. Ils ne conservèrent qudeux sacrements, le baptême et l’eucharistie ; ils rejetèrent la transsubstantiation, donnèrent à la présence réelle, sans la nier formellement, une interprétation symbolique et spirituelle ; seule la doctrin

du salut par les œuvres, à laquelle, lecteurs de l’Évangile plutôt que dsaint Paul, ils demeurèrent fidèles, les sépare des réformateurs les pluradicaux duXVIe siècle. Du moins, au nom du culte en esprit, ils aboli-rent les jeûnes, les pratiques méritoires, la dévotion monacale : ilcondamnèrent, avec la croyance au Purgatoire, les prières pour leâmes et les messes des morts. p354 Le Christ étant le seul médiateur entre Dieu et l’homme, ils interdirent de prier la Vierge ou les saints





Ils tenaient pour abominable le faste des cérémonies, la magnificencdes églises peuplées d’images, réduisaient le service divin à la simplcité des temps apostoliques. Les prêtres, tous égaux, possédaient le

pouvoirs des évêques. Bien que les Taborites n’aient jamais clairement exposé la doctrine, accueillie par Luther, du sacerdoce universeils atténuaient volontiers la différence du clerc et du laïc. Tout chrétien qui vivait selon la justice et le Christ pouvait et devait expliquela Bible.

Plus sévèrement que les Calixtins, ils entendaient plier la société la règle de l’Évangile. S’ils tournaient en ridicule la confession auriculaire, ils l’exigeaient publique pour les péchés mortels. L’étude dearts libéraux leur fut de bonne heure suspecte ; ils auraient volontier

détruit les livres des docteurs, afin de fonder toute discipline intellectuelle sur le texte unique, indiscuté, de la Bible. Dans les villes quacceptaient leur discipline, ils proscrivirent le luxe, les jeux et tout ldécor de l’impiété. Ils interdisaient l’usure et toléraient à peine lcommerce. Ainsi que Wyclif et les révoltés anglais de 1381, ils fondaient le droit de propriété sur la grâce divine et proclamaient que nun’est seigneur s’il vit en péché mortel. Par suite, l’autorité reste provsoire ; déléguée par le peuple, il peut la reprendre. À lui seul appartient de rendre la justice, de faire la paix ou la guerre. La communautapostolique des biens, qui s’accordait avec d’anciennes coutumes slaves, et que Charles IV, dans le préambule de laMajestas Carolina,avait déclarée de droit naturel, fut assez souvent remise en pratique mais généralement on se contenta d’affranchir la terre : le régime féodal était condamné et devait disparaître à jamais. Bien que les Taborites eussent promis de respecter la liberté spirituelle inscrite dans learticles de Prague, la certitude de posséder, avec la vérité, la force drénover le monde, entretenait chez certains d’entre eux un fanatismenthousiaste. Le petit groupe qui, dirigé par Jean Žižka, prit dès le dé but le commandement du parti et lui communiqua sa passion, ne recu

la jamais devant aucun moyen pour imposer l’unité spirituelle ; capa ble à la fois de réduire par la persécution toute dissidence, de se risquer à de vastes entreprises de propagande, à une véritable croisade d purification et d’affranchissement, il ne combattait pas seulement pousauver l’indépendance politique et religieuse de la Bohême ; il entendait régénérer l’Église universelle p355 et ne poser les armes qu’aprèsle triomphe de la parole de Dieu.





A côté des Hussites, d’autres écoles hérétiques se développaientEn 1420, au moment où la cause de la réforme semblait gravemencompromise, quelques exaltés, lointains héritiers de Joachim de Flor

prophétisaient la défaite de l’Antéchrist, le retour du Fils de Dieul’avènement d’un âge nouveau, où la splendeur des vérités éternelleéclaterait à tous les yeux, où la Bible serait détruite et commenceraile règne de l’Esprit. D’impitoyables vengeances accompagneraient lruine du principe malfaisant. Cinq villes seulement en Bohème échap peraient à la fureur divine ; et déjà les paysans, brûlant leurs maisonsse réfugiaient dans ces asiles. Quand le calme revint, quelques illuminés persistèrent à prêcher leurs espérances. La secte des Adamites, qu pensaient retrouver l’état d’innocence du premier homme, vivait obscurément, depuis un siècle, en Autriche, où elle s’entendait sans peinavec les Frères du Libre Esprit. À la faveur du mouvement hussiteelle acquit en Bohême une nouvelle vigueur ; elle annonça que lChrist régnait déjà sur la terre dans la personne de ses disciples affranchis du péché. Elle mit en commun les biens et les femmes. Žižkne toléra pas cette dérision de sa pensée. Précurseur de Calvin, il traitles dissidents en hérétiques, leur imposa le nom, déjà flétri danl’Apocalypse, de Nicolaïtes, et les châtia selon l’usage de l’Inquisitioromaine. Il fit assiéger une île de la Nezarka où se concentrait leur résistance ; les prisonniers périrent ; on brûla cinquante hommes e

femmes à Klokot, et l’on traqua les survivants. Assez proches deBéghards hétérodoxes, les Picards niaient la transsubstantiation, l présence réelle, et pratiquaient avec plus de rigueur que les Calixtin parfois que les Taborites, le libre examen de la Bible. Dirigés paMartin Huska, ils avaient séduit quelques prêtres du Tabor, parmi lesquels Koranda. Les deux partis s’unirent contre la nouvelle ÉgliseHuska fut brûlé en 1421 ; Žižka massacra trois cents fidèles à KlokoMais ces persécutions n’arrêtèrent pas le progrès des Picards. Bientôréservant ses colères à l’utraquisme, le Tabor accueillit ceux qu’iavait d’abord repoussés ; Enea Silvio Piccolomini, quelques année plus tard, y trouva des représentants de toutes les hérésies qui s’étaien produites dans le monde chrétien depuis Arius.

Les guerres de Bohême, qui appartiennent à l’histoire de l’Empiret du monde slave, devaient durer jusqu’en 1431. p356 Plus heureuxque les Albigeois, les Tchèques tirèrent avantage de leur enthousiasme, d’une position facile à tenir, et, quoique bientôt conduits par leur







II. — La querelle conciliaire et le problèmede la paix en Bohême (1423-1433) :

l’ouverture du concile de Bâle98 Martin V ne haïssait pas moins la doctrine conciliaire que

l’hérésie. Conformément au décret Frequens, qu’il n’avait pas ap- prouvé, un nouveau synode œcuménique devait avoir lieu, en 1423, Pavie. Sur les instances de l’Université de Paris, il ne refusa pas de lconvoquer ; l’assemblée s’ouvrit le 23 avril. Mais les circonstanceétaient peu favorables : la France et l’Angleterre poursuivaient unguerre sans fin ; en Espagne les populations chrétiennes combattaienles Maures ; l’empereur ne pensait qu’aux expéditions de Bohême ; eItalie même, Angevins et Aragonais se disputaient Naples. Les délégués des Églises ne vinrent qu’en petit nombre ; dès le mois de juinune épidémie nécessita le transfert du concile à Sienne ; il y reprit, l21 juillet, ses débats. Dans la France divisée, le parti bourguignon, qurégnait à Paris, se montrait favorable au pape et avait imposé au Parlement l’acceptation du concordat de 1418 ; le dauphin Charles, aucontraire, poussé par les Armagnacs dont les sympathies s’étaient tou jours montrées gallicanes, avait, depuis 1421, rétabli les « libertés » dl’Église de France, soit à peu de chose près le régime de la soustrac

tion d’obédience. Les représentants du royaume soutinrent un projede réforme, qui eût aggravé la dépendance du pape à l’égard du concle, et supprimé les réserves apostoliques. Aussi Martin V, après avoi promis sa venue, la différa de jour en jour, et secrètement travaillcontre l’assemblée. Dès janvier 1424, de nombreux prélats et docteuravaient quitté Sienne. On décida, le 19 février, que le prochain concilse tiendrait à p358 Bâle en 1431. Le 7 mars, les légats firent afficher ledécret de dissolution, que le pape justifiait par le petit nombre et ldésaccord des députés. Les Français protestèrent en vain ; ils voyaienl’institution du concile décennal déjà menacée.

Le pape tenta de poursuivre ses avantages. Charles VII se rapprochait de lui, abolissait, le 10 février 1425, tous les édits publiés pour ldéfense des franchises gallicanes, ratifiait le concordat de ConstanceBenoît XIII mort à Peñiscola le 29 novembre 1422, trois de ses card 98 OUVRAGES À CONSULTER .







hâtaient pas de prendre la route du Rhin. Cesarini restait en Allemagne, où il prêchait contre les Hussites une nouvelle croisade. La guerre franco-anglaise faisait rage aux portes de Bâle, en Alsace, où le du

d’Autriche, allié de Charles VII, menait campagne contre les Bourguignons.

Quand les délégations, lentement, arrivèrent, il apparut que leuniversitaires et les simples prêtres y étaient plus nombreux que le prélats. Les Tchèques seraient volontiers venus discuter, Bible emain, avec les catholiques : mais le légat exigeait une soumission sanréserves. Après le désastre des croisés à Domažlice (14 août), le princes allemands acceptèrent de négocier ; Cesarini s’y résignConvaincu de ne pouvoir détruire l’hérésie par la force, il admit dé

sormais la nécessité d’une réforme profonde, et, tandis qu’il seconcertait avec Sigismond pour hâter, sous menace d’anathème, lvoyage des représentants de l’Empire, il obtint que le concile, le 1octobre, invitât les Bohémiens à négocier. Le 14 décembre, il présidla première séance solennelle. L’assemblée rappela le décret Fre-quens, et déclara s’être réunie pour apaiser les querelles des princesdétruire l’hérésie et réformer l’Église.

Déjà le pape cherchait à gagner du temps. L’empereur d’OrienJean VIII Paléologue sollicitait, depuis les derniers mois de 1430

l’appui des Latins contre les Turcs : il manifestait le désir des’accorder avec Rome, et demandait un concile où il pût assister aveses évêques. Les négociations, arrêtées par la mort de Martin Vavaient été reprises ; les Grecs ne voulaient se rendre que dans unville italienne ; ils admirent le choix de Bologne. Le 12 novembre, l pape avait enjoint à Cesarini de renvoyer les députés et de notifier l prochaine réunion d’une nouvelle assemblée. Sans tenir compd’aucun avis, il ordonna, par une bulle du 18 décembre, la suspensiodu concile, son transfert à Bologne, et la reprise des séances dans udélai de dix-huit mois.

Sigismond, plus désireux de pacifier la Bohême que de p360 mettrefin au schisme d’Orient, protesta. Cesarini, le 13 janvier 1432, remontra au pape, dans une longue lettre, le danger de la politique où is’engageait. L’empereur envoyait à Rome une ambassade chargée demêmes avertissements. Le concile, par une circulaire à tous les fidèles, annonça, le 21 janvier, qu’il poursuivrait ses débats. L’Universit





de Paris, le 9 février, l’exhortait à la résistance. Le 15, à la secondsession, il proclamait que le pape n’a pas le droit de dissoudrel’assemblée de l’Église universelle. Le gouvernement français, aprè

avoir à Bourges, le 26 février, obtenu l’approbation du clergé réuni, ele duc de Bourgogne, non sans quelque inquiétude, promirent leusoutien. À ces adhésions s’ajoutèrent celles de la Castille, del’Angleterre, des ducs de Milan et de Savoie, de la plupart des cardinaux. Le 29 avril 1432, à la troisième session, fut rendu un décret qusuppliait le pape d’annuler la bulle du 18 décembre et l’invitait à re joindre avant trois mois l’assemblée ou à s’y faire représenter : sinoelle pourvoirait elle-même, selon le droit humain et divin, aux nécesstés de l’Église.

En Bohême, si les Taborites se méfiaient de l’invitation bâloise, leCalixtins, dont l’influence modérée grandissait à Prague,l’accueillirent avec enthousiasme ; la diète résolut, en février 1432qu’une ambassade rencontrerait aux frontières de Franconie les délégués du concile. Un accord signé en mai à Cheb (Eger), promit aureprésentants du royaume toute sécurité pendant leur séjour ; ils pratqueraient leur culte dans les habitations particulières, seraient entendus et s’en retourneraient librement. Le texte reconnaissait le principmême de leur réforme : pour discuter les quatre articles de Prague, one se reporterait qu’à la doctrine des apôtres et de l’Église primitiveon n’invoquerait les canons conciliaires et les textes des docteurs qudans la mesure où ils se fondent sur la Bible.

Alors Cesarini jugea que le pape devait se réconcilier avecl’assemblée : en juin il l’en priait. Tant que les Hussites différèrenleur voyage, Eugène IV évita de répondre. À la fin d’août,l’archevêque de Tarente Jean Berardi de Tagliacozzo s’efforçait encore de réfuter les doctrines de Constance. Le pape finalement acceptde négocier à Bâle avec les Bohémiens ; mais le synode devaiconsentir au transfert. Cette transaction, où l’on vit une manœuvre, fuécartée le 15 décembre ; on somma le pape de rétracter sa bulle dandeux mois ; ce délai passé, on procéderait contre lui sans autre citation. Tout concile qu’il prétendrait œcuménique serait tenu pour p361 conciliabule ; qui oserait le convoquer ou y assister encourrail’excommunication et la perte de tout bénéfice. Les délégués hussite partirent alors sous la conduite de Guillaume Kocka et de Procope lGrand. Ils furent à Bâle le 4 janvier 1423 ; on les admit en séance l





10. À la prière de Sigismond, Eugène IV finit, le 4 février, par céderIl acceptait Bâle comme siège de l’assemblée ; mais il ne lui reconnuqu’un rôle consultatif, borné à la réforme des membres et non du che

Il n’osa pas écarter Cesarini de la présidence. Les Pères jugeaient scapitulation insuffisante ; Sigismond, qui, le 31 mai 1433, recevait Rome la couronne impériale, les apaisa.

III. — L’accord du concile de Bâle avec les Hussiteset son conflit avec Eugène IV (1433-1437)99

Alors s’engagea, devant une assemblée haïe du pape, le débat sules affaires de Bohême. Cesarini éprouvait quelque sympathie pouProcope et témoignait d’une réelle modération ; mais, incapable dcéder sur le principe d’autorité, il ne pouvait voir dans la doctrine hussite qu’égarement et orgueil. Dans le discours qui ouvrit les conférences, il affirma que l’Église romaine seule entend l’Écriture, et qu’laisser chacun libre de l’interpréter, on tomberait vite dans la confusion. Pourtant, selon les accords de Cheb, les Tchèques parlèrent leur gré. Ni Taborites ni Utraquistes n’acceptaient de se soumettreLes Calixtins pourtant ne souhaitaient que l’approbation des articlede Prague, et volontiers seraient rentrés dans l’unité catholiquemoyennant la reconnaissance de certains droits et privilèges. Les Ta

borites n’admettaient nul compromis avec une Église méprisée et, devant le concile, se présentaient en apôtres. Du moins les Tchèques n parurent inégaux aux Romains ni par la science ni par l’art de la dis pute, Certaines séances furent agitées ; des paroles vives s’y échangèrent ; le ton resta généralement courtois. Mais après plusieurs semanes, les deux partis se trouvaient aussi éloignés qu’au premier jourOn décida de continuer à Prague les pourparlers : Procope et les siensle p362 19 avril, quittèrent Bâle. En Bohême, les délégués catholiquessentirent l’avantage que leur offraient les désaccords des Calixtins edes Taborites. Déjà se définissait un plan qui eût consisté à réconcilieles premiers avec Rome, en leur accordant le calice ; à défaire les Ta borites avec l’aide des modérés ; puis, les forces véritables et profondes de la résistance hussite ainsi abattues, à rétablir en Bohême l






droit commun. Le 3 juillet, ils prirent congé de la diète ; on allait voi bientôt, à Bâle et à Prague, leur politique se développer.

Cependant le conflit ne s’apaisait pas entre le pape et l’assembléeLe 13 juillet, elle accordait au pape deux mois pour retirer la bulle ddissolution qu’il n’avait pas abrogée ; elle menaçait de le suspendre ed’ordonner contre lui quelques mesures plus graves. Le même jouelle abolissait définitivement les réserves et restaurait les élections. L13 septembre, Eugène cassa les deux décrets, proclama la supérioritdu pape sur le concile. Sigismond empêcha la rupture : des négociations s’engagèrent entre Bâle et Rome, tandis que l’assemblée, le 2novembre, imposait aux évêques, aux archevêques et aux chefd’ordre l’obligation de réunir tous les trois ans les synodes des pro

vinces ou les chapitres généraux. Enfin, le 15 décembre, Eugène, menacé jusque dans Rome par les bandes de Nicolas Fortebraccio et dFrançois Sforza, que poussait contre lui le duc de Milan, PhilippeMarie Visconti, capitula. Par la bulle Dudum sacrumil reconnaissaitla canonicité du concile, en annulait la dissolution, en admettait implcitement les décrets. Le 24 avril 1434, les quatre légats qu’il avaichoisis pour assister Cesarini entrèrent en fonctions, et solennellemenacceptèrent la supériorité de l’assemblée sur le pape.

Le rapprochement n’était sincère ni d’un côté ni de l’autre. La

question de l’accord des Latins et des Grecs provoqua de nouveauconflits, où le pape, obligé de fuir Rome le 4 juin devant l’émeute ede se réfugier à Florence, ne se montra pas le plus fort. Les députéorientaux, arrivés en Italie au mois de juillet, demandaient que leconcile d’union se tînt à Bude, à Vienne, dans quelque ville d’Italie ode Savoie, en présence du pape ou de ses procureurs. Les Pères ap prouvèrent ces conditions le 7 septembre : Eugène IV, qui négociaidirectement avec l’empereur l’ouverture à Constantinople d’un synode présidé par un légat romain, protesta vainement. Mais le concil poursuivait ses avantages : en janvier 1436, il réduisait le droit d’appeen cour de Rome, limitait l’usage des interdits et des p363 excommuni-cations, prohibait la levée des annates, sous peine des châtiments réservés aux simoniaques, et citait pour rendre leurs comptes tous lecollecteurs de la Chambre apostolique. Tandis qu’Eugène subvenai péniblement aux frais de la campagne du cardinal Vitelleschi pour lreconquête du Patrimoine, le général des Camaldules, Ambroise Traversari, et un auditeur de la Chambre vinrent sans succès défendre





Bâle la fiscalité romaine : Cesarini leur répondit que le concile, unfois, la simonie détruite, pourvoirait aux nécessités du Saint-SiègeDevant le monde chrétien, l’assemblée gardait le dessus ; elle ratifiai

le 5 novembre 1435, la réconciliation du duc de Bourgogne avecCharles VII ; elle allait réconcilier les Utraquistes avec l’Église romaine.

Les délégués bâlois étaient revenus à Prague en octobre 1433 ; l26 novembre, ils avaient accepté, sous quelques réserves, les quatrarticles ; cependant ils entretenaient dans le pays la division religieuse, excitaient la noblesse contre les radicaux. La guerre civile reprit emars 1434 ; les seigneurs et les Calixtins défirent les Taborites à Li pany, le 31 mai ; Procope fut tué. Mais les modérés, arbitres de la s

tuation, avaient pénétré le jeu du concile : comme garantie d’une pacfication définitive de la Bohême, ils exigeaient l’usage obligatoire dcalice ; les conférences ouvertes à Brno, en juillet 1435, risquaient dne pas aboutir. Sigismond servit de médiateur entre l’assemblée, enlutte contre le Saint-Siège, et les Tchèques, las de tant de discussionet de combats. Ils abandonnèrent l’espoir de réduire la minorité catholique ; ils se contentèrent d’un archevêque et de deux évêques utraquistes, élus par les États, et de l’interdiction de tout appel en couétrangère. Les légats, devant l’intransigeance de Sigismond, durenaccepter ce programme ; lui-même, à Székes-Fejéryár (Stuhlweissen burg), en Hongrie, au mois de décembre 1435, prit soin de les rassurer : comme eux il ne cédait que pour éviter de plus grands maux plus tard, maître incontesté du royaume, il le ramènerait à la vraie foAinsi l’on rédigea le pacte (Compactata) qui, signé à Iihlava (Iglau),le 5 juillet 1436, d’après l’accord du 26 novembre 1433 et les dernières concessions obtenues des deux partis par l’empereur, rétablissait l paix entre la Bohême et l’Église catholique.

Pour la première fois, après avoir prêché la croisade contre une hérésie, elle rétractait ses anathèmes et composait avec les rebellesMalgré l’habileté des légats, qui donnèrent auxCompactataun textevolontairement obscur, le concile de Bâle avait dû confirmer les articles de Prague, tolérer l’existence d’une p364 Église qui, fondée sur lalibre prédication de la parole divine, imposait à ses ministres la pauvreté apostolique et s’engageait à modeler la société chrétienne sul’Évangile. Mais la réforme hussite, malgré la hardiesse de ses princ pes, n’était jamais arrivée à définir une doctrine cohérente et vigou









L’empereur disparaissait au moment où la Bohême déçue allai peut-être se soulever contre lui. Depuis la signature desCompactata,il n’avait songé qu’à préparer une restauration du catholicisme ; o

l’avait vu non seulement réduire les petites places où tenaient encorles Taborites, mais écarter les Utraquistes des fonctions publiquesrétablir les cérémonies romaines dans les églises et finalement expuser Jean de Rokyçany, élu archevêque de Prague par les États. AinsBâle n’avait ni réformé l’Église ni pacifié la Bohême.

IV. — Le concile de Ferrareet le schisme bâlois (1438-1453)100

Le concile de Ferrare, ouvert le 8 janvier 1438 sous la présidencdu cardinal Albergati, décréta dès le 10 la nullité de toutes les décisions qui pourraient être prises à Bâle. Diminués de nombre, affaibli par le désaveu de Cesarini qui, vers la fin de février, venait rejoindre Ferrare Eugène IV et ses cardinaux, les Bâlois tenaient tête avecacharnement : sous la présidence d’Aleman, ils avaient promulgué, l24 janvier 1438, de nouveaux décrets de réforme, qui rendaient auordinaires le jugement des appels, n’autorisaient le recours au papqu’une fois toutes les juridictions épuisées, abolissaient les grâces ex pectatives. Le même jour, ils suspendirent Eugène IV et prirent e

main le gouvernement de l’Église. Le 15 février, le pape les excommunia, menaça de jeter l’interdit sur la ville si elle tolérait plus longtemps leur présence ; ils répliquèrent le 25 mars en renouvelant le décret de suspension.

Les pourparlers entre Grecs et Latins commençaient alors. p367 Enréalité Jean VIII Paléologue, reçu au début de mars par le concile dFerrare et surpris de ne pas le trouver plus nombreux, ne désirait guèrque l’appui des puissances occidentales contre les Turcs. Le pape, dson côté, ne recherchait qu’un succès de prestige. Les discussions durèrent de longs mois et souvent risquèrent de se rompre. Ons’entendait mal sur la question de savoir si le Saint-Esprit, comme lcroyait l’Église romaine, procède du Père et du Fils, ou, selon la doctrine grecque, du seul Père. À la fin de 1438, la crainte d’une épidémidétermina un transfert de l’assemblée à Florence. La Seigneurie offra






de subvenir à toute la dépense, lourde pour les finances d’Eugène IVLes débats s’ouvrirent, le 26 février 1439 ; on finit par admettre uaccommodement : les Grecs se borneraient à une simple profession d

foi, sans rien ajouter à leur symbole. Jean Paléologue se hâta d’obtendu pape, le 1er juin, un traité qui promettait à Constantinople les ren-forts de l’Occident. Le 5, les Grecs admirent que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils. Le 28, ils reconnaissaient le pontife romain pouvicaire du Christ, pasteur et docteur de tous les chrétiens, sauf ledroits et privilèges des patriarches orientaux. Le 6 juillet, à la cathédrale de Florence, le cardinal Cesarini et Jean Bessarion, évêque d Nicée, lurent solennellement l’un en latin, l’autre en grec, l’actd’union. Puis tous les Orientaux, empereur en tête, et les Latins aprèeux, vinrent fléchir le genou devant Eugène IV et lui baiser la mainLe décret ne rétablissait qu’en apparence l’unité religieuse de l’Europchrétienne. Mais il condamnait implicitement toute l’œuvre de Constance et de Bâle ; il formulait une définition dogmatique de la puissance pontificale : le pape, chef de l’Église universelle, tenait sa puissance, non de la communauté des fidèles, mais directement de Jésusl’affirmation de l’infaillibilité se trouvait en germe dans l’acte quexaltait le docteur universel.

L’assemblée de Bâle, sous la conduite d’Aleman, ne faiblissait pasRépondant par avance aux thèses pontificales, elle avait encore unfois, le 16 mai 1439, proclamé, comme vérité catholique, la supériorté du concile général sur le pape. Le 25 juin, elle déclarait Eugène hérétique et le déposait. De son côté, il annulait, en août, toutes les décsions prises à Bâle depuis octobre 1437, et, dans la constitutionMoyses, mettait en doute l’authenticité des décrets de Constance.Alors, sans tenir compte des réserves formulées par les prélats et princes d’Allemagne, par les rois de France, d’Angleterre et Castille, uconclave composé p368 du seul cardinal d’Arles, de trente-deux évê-ques et docteurs, élut, le 25 novembre, le duc de Savoie, Amé

dée VIII, veuf et père de sept enfants, qui vivait depuis quelques années sur les bords du lac de Genève, dans une retraite à demi ecclésiastique. L’antipape Félix V dut s’humilier devant le concile avant dse faire couronner et d’en recevoir une maigre pension.

Le schisme, que les Bâlois ne craignaient pas de rouvrir, n’aurai pu durer qu’avec l’assentiment des puissances. Or les princes séculierepoussaient toute nouvelle division de la catholicité. Si Bâle, Stras





bourg, la Savoie, Milan, l’Aragon, la Bavière suivaient Félix V, lgouvernement français, qui, en juillet 1438, avait fondé sur les décretde Constance et de Bâle un nouveau droit ecclésiastique, approuvé

Bourges par les représentants de l’Église gallicane et défini par un pragmatique sanction, hésitait à rompre l’unité si péniblement rétabliAprès une consultation du clergé à Bourges, en août 1440, il adhérai provisoirement, en septembre, à l’obédience romaine. Dans l’Empirles diètes de Francfort est de Mayence, en mars 1438 et mars 1439observaient, entre les Bâlois et Eugène IV, une neutralité favorable auconcile ; la seconde, à l’imitation de l’assemblée française, promulgudiverses constitutions, qui diminuaient en Allemagne l’autorité pontficale ; mais le roi des Romains Frédéric III n’admettait pas l’électiodu 5 novembre. L’Angleterre, la Castille restaient fidèles à EugèneVainement Charles VII, à l’automne de 1440, essaya de proposer lconvocation d’un nouveau synode œcuménique ; vainement, après lediètes de Mayence, en février 1441, de Francfort, en novembre 144et au printemps de l’année suivante, Frédéric sollicita la réunion d’uconcile incontestable et légitime. Envoyé (mai 1442) auprès de Charles VII, l’évêque de Brescia déclarait qu’il ne restait qu’à procéder pales armes contre les Bâlois. Leur protecteur, Alphonse d’Aragon, acceptait d’Eugène, le 14 juin 1443, l’investiture du royaume de Naplesenlevé à René d’Anjou, et les abandonnait. Désormais discrédité, af

faibli par l’attitude même de Félix V, qui, sans confiance en sa proprcause, se fixait à Lausanne, le concile, après avoir, le 16 mai 1443célébré sa dernière session solennelle, semblait négliger le débat de lréforme et ne plus penser qu’aux bénéfices de ses membres.

Le pape était rentré le 28 septembre à Rome, où le cardinal Scarampo, successeur de Vitelleschi, achevait de restaurer l’autorité duSaint-Siège. L’assemblée de Florence, transférée au Latran, s’y rouvrit le 13 octobre. Les rares députés qui, sous la p369 présidenced’Eugène IV, y tinrent, le 30 septembre 1444 et le 7 août 1445, deux

sessions, n’eurent pas à discuter de la discipline et ne tardèrent pas se séparer. Mais l’échec de la croisade contre les Turcs ordonnée pal’encyclique du 1er janvier 1443, le désastre des Hongrois le 10 no-vembre 1444 à la bataille de Varna, où périrent le roi Ladislas et lecardinal Cesarini, semblèrent démontrer l’inefficacité de cette réconcliation des Églises qui eût dû relever le prestige du Saint-Siège. Aussle pape hâtait son accord avec le roi des Romains. Il avait pour agent





sa cour Enea Silvio Piccolomini, passé, en 1442, du service de Félix Và la chancellerie de Frédéric III, et qui, défenseur des doctrines dConstance, s’était rallié à l’absolutisme pontifical. En février 1446

Eugène promettait à Frédéric la couronne des Césars, 100.000 florin pour les frais de son voyage en Italie, la disposition de divers bénéfces et le droit de lever une décime sur le clergé d’Allemagne ; en retour, Frédéric abandonnait les Bâlois.

Le pape voulut triompher trop vite, et déposa solennellement learchevêques de Trêves et de Cologne. Les électeurs entendaient ignorer la diplomatie des Habsbourg : à Francfort, le 21 mars, ils sommèrent Eugène d’adhérer aux statuts de Constance et de Bâle et deconvoquer en Allemagne l’assemblée œcuménique. Eugène, sur le

conseils d’Enea Silvio, dut s’engager à les satisfaire, autant que l permettrait l’honneur du Saint-Siège. Le 1er septembre, les délégués pontificaux se rencontrèrent, à la diète de Francfort, avec le cardinad’Arles. On se crut à la veille d’une rupture lorsqu’ils déclarèrent nreconnaître le concile que jusqu’à sa translation. Mais Enea Silvioavait acheté les conseillers de l’archevêque de Mayence : ils entraînèrent leur maître, bientôt suivi par l’électeur Albert de Brandebourgdivers princes et prélats. Des ambassadeurs allemands furent reçus Rome, le 7 janvier 1447 : les pourparlers, ralentis par l’opposition dnombreux cardinaux et la mauvaise santé du pape, aboutirent, les 5 e7 février, à la signature de quatre bulles, qui formèrent ce qu’on appela le concordat des princes. Eugène déclarait adhérer au décret Fre-quens, vénérer tous les conciles qui avaient représenté l’Église mili-tante ; mais il évitait de mentionner leur supériorité sur le Saint-SiègeIl convoquerait en Allemagne, avant dix mois, une nouvelle assem blée œcuménique, si les princes chrétiens, d’accord avec l’empereula réclamaient. Il admettait les mesures adoptées à Mayence ; mais ulégat viendrait y p370 demander quelques amendements ; si les deux prélats déposés l’avouaient pour vicaire véritable du Christ, il consen

tait à les rétablir. Le 7 février, agenouillés autour du lit du pape, leambassadeurs prononcèrent le serment d’obédience, qui fut renouvelen consistoire public. Pourtant le pape craignait d’avoir trop fléchiDès le 5 février, une bulle écrite de sa main restreignait la portée deactes signés le même jour ; il affirmait qu’en accordant, pour la paide l’Église, quelques graves concessions, il n’entendait diminuer e





rien les privilèges et l’autorité du siège apostolique. Il mourut le 2février 1447.

Thomas Parentucelli, étranger aux factions des Orsini et des Colonna, humaniste, ami des artistes et des lettrés, s’était révélé en Italiexcellent diplomate : évêque depuis trois ans à peine, récemment cardinal, il devint, le 6 mars 1447, Nicolas V. Quand il eut consolidé la puissance pontificale à Rome et en Italie, il négocia, pal’intermédiaire d’Enea Silvio, le complet ralliement de l’Allemagnau Saint-Siège. La diète d’Aschaffenburg, en juillet 1447 approuva lconcordat. Après des conférences entre Enea Silvio et le cardinal Carvajal, mandataire du roi des Romains, un traité conclu à Vienne le 1février 1448, et ratifié par Nicolas V le 19 mars suivant, rétablit le

annates, les réserves pontificales sur les bénéfices vacants en cour dRome, soumit les élections au contrôle du pape et lui accorda pendansix mois les collations. Mécontent de voir transgresser ainsi les principes de Constance et de Bâle, certains prélats considérables protestèrent longtemps. Mais il ne fut plus question ni d’observer le décre Frequensni de réunir le concile général qu’Eugène avait promis deconvoquer.

Le schisme bâlois ne pouvait plus se prolonger. À Bourges, le 28 juin 1447, le roi de France s’était entendu avec l’archevêque de Trê

ves, à Lyon, vers la mi-juillet, avec quelques princes allemands, lerois d’Angleterre et de Castille, René d’Anjou qui n’avait pas renoncau royaume de Naples, le duc de Savoie fils de Félix V, pour étudieun projet de médiation entre Nicolas, le concile et l’antipape. En novembre, on l’invitait à déposer le pontificat, le concile à reconnaîtr Nicolas V et à se dissoudre ; ecclésiastiques et cardinaux conserveraient leurs dignités ; toutes censures prononcées de part et d’autreseraient annulées ; une assemblée œcuménique se tiendrait en FranceInutilement le pape, le mois suivant, transféra le duché de Savoie à lcouronne de France et prêcha la croisade contre son rival. Tous deufinirent par accepter, sous quelques p371 réserves, les conditions des princes. Félix ne voulait se démettre qu’à Bâle, et demandait que lsynode se réunît sept mois après la paix de l’Église ; Nicolas V entendait le convoquer à son gré. Sur l’ordre de Frédéric, les magistrats dBâle expulsèrent alors les députés. Ils rejoignirent à Lausanne Félix Vqui, devant eux, le 7 avril 1449, abdiqua : ils le nommèrent cardinal elégat en Savoie. Ils reconnurent enfin Nicolas V et se séparèrent le 2





avril, après avoir une dernière fois proclamé la supériorité des conciles. Le pape, de son côté, publia, en juin 1449, trois bulles qui abolissaient toutes les mesures ordonnées contre eux, ratifiaient les colla

tions accordées par eux ou par Félix, rétablissaient dans leurs officele cardinal d’Arles et tous les dignitaires destitués pendant le schisme : on arracha des registres d’Eugène IV les feuillets qui gardaienmémoire de leurs condamnations. Retiré dans la solitude de Ripaillesur le lac de Genève, le dernier des antipapes devait mourir le 7 janvier 1451.

L’ère des conciles était close pour longtemps. Nicolas V ne réuni jamais l’assemblée qu’il avait promis de convoquer. Sans doutl’Université de Paris maintenait et professait les doctrines de Constan

ce et de Bâle. En Allemagne, en Angleterre, la plupart des Universitérefusaient de les abandonner. Jacques de Jüterbogk, chartreux au couvent d’Erfurt, dénonçait dans son traité latin Des sept états de l’Églisedécrits dans l’Apocalypsel’hostilité à tout essai de réforme de la na-tion italienne, redevenue maîtresse du Saint-Siège ; il ne voyait au désordre de l’Église d’autre remède que le concile et lui reconnaissait ldroit de déposer le pape. Mais les moines mendiants et les canonistedéfendaient avec énergie l’autorité pontificale. Avant mêmel’abdication de Félix V, le décrétiste espagnol Rodrigue d’Arevaloavait, dans un Dialogue sur les moyens de détruire le schisme,condamné, quelle qu’en fût la cause, le retrait d’obédience. Le franciscain Jean de Capistrano avait, sous Eugène IV, écrit un grand ouvrage contre les Bâlois ; il dédiait à Nicolas V unTraité de l’autoritédans l’Église. Le Vénitien Pierre del Monte, évêque de Brescia depuis1442, lui offrait également un traité contre les adversaires de l’autorit pontificale, et particulièrement contre les erreurs qui, disait-s’étaient enracinées en divers pays, sous l’apparence de décrets de réforme. Mais le théoricien le plus vigoureux de la monarchie pontificale fut alors le dominicain espagnol Jean de Torquemada. Défenseur d

la primauté du pape contre les Grecs au concile de Florence, nommcardinal par Eugène IV, p372 il composa, en 1450, uneSomme contreles ennemis de l’Église. Il dénonce, dans la préface, les fausses doctri-nes qui s’élèvent, contre l’autorité, fondée en Dieu, du siège apostolique. « L’Évangile est attaqué ; la voie est ouverte aux divisions, auxerreurs, aux querelles des princes et aux scandales des peuples. Avec une ample érudition et une logique impérieuse, il s’efforce d





démontrer que le pape gouverne l’Église en souverain, que les décisions du concile restent nulles sans son aveu, que le pouvoir des évêques, loin de venir directement du Christ, émane de Rome. Après un

longue période de faiblesse et d’humiliation, elle affirmait hautemencomme au temps de Grégoire VII, son droit divin et son magistèrsans appel. Aux fêtes du jubilé, où Nicolas V, en 1450, célébra la restauration de la paix et de l’unité dans l’Église, on vit les prélats sollicter en foule le pardon de leur opposition au Saint-Siège vainqueur.

Pourtant le prestige pontifical, durement ébranlé au cours de tand’événements, s’imposait mal aux États et aux peuples. En janvie1453, Étienne Porcari tentait, comme jadis Rienzo, de rétablir la répu blique romaine ; la conjuration, quoique promptement réprimée, dé

montrait que l’autorité du Saint-Siège n’était même pas assurée danla Ville Éternelle, où tout un parti exalta le nouveau martyr. Nicolane pouvait envoyer à Constantin, assiégé dans Byzance, que des secours dérisoires, et les Turcs, le 29 mai 1453, détruisaient l’Empird’Orient. Si, à Saint-Pierre, le 18 mars 1452, Frédéric III avait reçdes mains du pape la couronne des Césars, l’Empire attribuait ped’importance à cette démarche d’un prince si pauvrement escorté qula crainte des Sforza ne lui avait pas permis de ceindre à Milan la couronne de fer. Le cardinal Nicolas de Cues, évêque de Brixen, chargde réformer les Églises allemandes, se voyait faiblement soutenu pale pouvoir temporel. Légat en France, Guillaume d’Estoutevillen’obtenait pas de Charles VII le concordat que le pape eût désiré. Legens du roi, depuis 1450, avaient produit une fausse PragmatiqueSanction qui, signée de saint Louis, démontrait le caractère traditionnel et sacré des libertés gallicanes. Mais de l’acte de 1438 Charles retenait surtout l’article qui lui donnait la faculté d’adresser aux chapitres et aux collateurs des « sollicitations bénignes » ; bien qu’in’hésitât guère à demander, en faveur de ses candidats, la provisio pontificale, il faisait pression sur les collateurs, intervenait dans le

élections, saisissait les bénéfices litigieux et commettait, au profit dl’État français, tous les abus reprochés à la p373 papauté. Égalementméfiante envers Rome, la monarchie anglaise, par le contrôle sévèrdes élections, par l’extension du droit de patronage, dominait leclercs. Ainsi les Églises nationales, défaites avec le concile, ne trouvèrent, dans l’affaiblissement du Saint-Siège devant les États, qu’unrevanche dommageable à leur indépendance et à leur dignité.





V. — Le progrès des hérésies101 La lutte des conciles contre le Saint-Siège, la faiblesse réelle de

Rome péniblement victorieuse, les rancunes des Églises et le mauvaivouloir des princes et des peuples, la récente capitulation del’assemblée bâloise en face de la révolte religieuse de la Bohême, encourageaient la résistance et la propagande des hérésies.

L’esprit de Joachim de Flore continuait d’exalter en Allemagnecomme en Italie, quelques groupes isolés. Vers 1445, Nicolas de Buldersdorff se déclarait fils de Dieu et proclamait l’avènement du SainEsprit ; l’ère du Nouveau Testament était close, le septième âge dumonde commençait : l’homme allait recouvrer son innocence première. Le concile de Bâle auquel Nicolas avait soumis quelques écrits, lfit brûler en 1446. Mais ni sa mort ni le triomphe précaire du SaintSiège n’imposèrent le silence aux prophètes. Les Fraticelles, en étroaccord avec les héritiers des espérances joachimites, développaient eItalie p374 leurs Églises mystérieuses. Martin V, à peine revenu deConstance, stimulait par une bulle signée à Mantoue, le 14 novembr1418, évêques et inquisiteurs ; mais, en 1425, il constatait le progrècontinuel des sectaires dont il confiait la répression aux cardinauxd’Albano et de Porto. L’année même du concile de Sienne, en 1423

on jugeait trois Fraticelles de Florence ; en 1424, il fallait organiser llutte dans la Marche d’Ancône, aux diocèses de Iesi et de FabrianoEn 1426, le pape confia la répression à deux franciscains del’observance, Jean de Capistrano et Jacques de Montefiascone, connsous le nom de Jacques della Marca. Celui-ci, bientôt envoyé contrles cathares de Bosnie et les hussites, ne revint dans la Marche qu’e1441 : mais Eugène IV en 1432, Nicolas V en 1447 confirmèrent le pouvoirs de Capistrano ; quand, en 1449, on eut arrêté en cour pontifcale un évêque fraticelle, déguisé sous l’habit franciscain, le pape srendit lui-même à Fabriano, tandis que Jean et Jacques continuaienleur campagne inutile.

La persécution des Vaudois, dans les vallées savoyardes et pié-montaises, recommença plus violente au lendemain du concile dConstance. Devenu l’antipape Félix V, le duc Amédée y montra un






zèle nouveau. Entre 1440 et 1450, vingt-trois relaps furent brûlés Coni. La secte pourtant ne perdait rien de sa vigueur. En territoirefrançais, les efforts de l’Inquisition semblaient se relâcher ; vers 1430

les hérétiques furent aussi nombreux dans les vallées dauphinoisequ’avant François Borel ; en 1432, ils envoyaient des subsides auxHussites. Les efforts des inquisiteurs de Provence, dont dépendaiences régions alpestres, allaient demeurer longtemps sans résultat. LeVaudois tenaient leurs assemblées, prêchaient ouvertement leur foiobtenaient de nombreuses adhésions. Dans l’Empire, la lutte contre lBohême absorbait toute l’activité de l’Inquisition. Les Églises vaudoses, en Allemagne, durent se fondre souvent avec les Églises issues dJean Hus : mais des communautés importantes se formaient encore, amilieu du siècle, jusque sur les domaines autrichiens des Habsbourg.

Les doctrines cathares se maintenant en Bosnie malgré l’effort d propagande du Saint-Siège. Ni les missionnaires franciscains ni lemissionnaires dominicains ne purent abattre l’hérésie dans les provinces méridionales, où le chef cathare Étienne Vuk čić leur opposa viverésistance. Même dans le nord, leurs succès quoique facilités par lconversion du roi Étienne Tvrtko II, ne furent pas décisifs. p375

Le concile de Constance avait placé les maisons des Béghards edes Béguines sous la surveillance des autorités ecclésiastiques, et leu

avait interdit le subterfuge par lequel ils s’affiliaient aux ordres mendiants, particulièrement au Tiers Ordre de saint François, sans enadopter la règle. De nombreux témoignages affirmèrent à Martin Vl’orthodoxie des groupes allemands. Conseillé par Pierre d’Ailly eGerson il se montra, en 1418, favorable aux communautés jusque-lsuspectes, qui purent s’accroître et prospérer. Les Béghards hérétiqueet les Frères du Libre Esprit reprirent la propagande de leurs doctrinetandis que l’Église, dont l’attention était absorbée par les événementde Bohême, leur laissait quelque répit. Mais bientôt la persécution recommença pour ne plus cesser. Si, en 1431, Eugène IV protégeait encore les Béghards et Béguines orthodoxes, les Frères du Libre Esprfurent activement traqués en Suisse et en Wurtemberg. En 1446, leconcile de Würzburg ordonnait l’expulsion de tous les Béghards vagabonds ; la même année Nicolas V réunit Béghards et Béguines, equalité de tertiaires, aux ordres mendiants ; mais divers groupes ddeux sectes refusèrent de se soumettre et continuèrent d’accueillir leFrères du Libre Esprit. L’Inquisition avait obtenu plus de succès





contre les Flagellants de Thuringe ; à Sangerhausen, en 1414, on brûlait quatre-vingt-onze d’entre eux ; les exécutions continuèrent en1416. L’année suivante, au concile de Constance, Vincent Ferrier s

montra favorable à leur cause ; Gerson n’eut pas de peine à démontreque leur mépris de la confession catholique, leur certitude de possédeune forme supérieure de contrition, les poussait à la plus dangereusindiscipline. Mais depuis les massacres de Thuringe la secte était ruinée.

En Bohême, après la mort de Sigismond (9 décembre 1437), leconcile de Bâle, qui cherchait à racheter par des mesures contrel’hérésie ses motions inutiles contre Eugène IV, avait paru sur le poinde conclure avec Albert II l’abolition desCompactata. Mais les Tchè-

ques obtenaient l’appui de Casimir, roi de Pologne : Albert disparu(27 octobre 1439), ils purent, sous la minorité de Ladislas, fils posthume de l’empereur, et tandis que l’autorité réelle passait, dans l plus grande partie du pays, aux mains d’un gouverneur, Ptaček dePirkstein, organiser leur Église nationale. Les dissidences entre Taborites, et Calixtins persistaient ; mais les premiers, affaiblis, se trouvaient incapables de résister à leurs adversaires, appuyés sur les classes riches. Après un colloque inutile à Kutna Hora, la diète de p376 Prague, ouverte en janvier 1444, écouta l’archevêque Jean de Rokyçany développer les doctrines utraquistes, et les admit solennellemenL’Église nationale de Bohême affirmait la présence réelle, condamnales opinions des Taborites et des Picards sur les sacrements, surl’invocation des saints, le jeûne et la confession. Les villes restées fidèles aux Taborites passèrent aux Calixtins. Ptaček mort la même an-née, Georges de Podiébrad acheva de refaire l’unité nationale : maîtrde Prague en septembre 1448, il entrait sans difficulté, le 29 aoû1452, à Tabor : les derniers opposants, et Koranda lui-même promettaient obéissance à l’archevêque : le parti taborite disparut alors dl’histoire.

Pourtant la vie des sectes ne s’éteignait pas en Bohême. PierreChelčicky, en 1439, achevait son ouvrage capital, Le filet de la vraie foi. Né dans les dernières années duXIVe siècle, à Chelčice, il avait,sans fréquenter l’Université de Prague ni même apprendre le latin participé au mouvement religieux qui agitait le pays ; il avait subcomme tant d’autres, l’influence de Hus, mais gardé intacte sa libertAutant que Hus, il procédait de Wyclif et de ses continuateurs tchè





ques, Milič et Matthias de Ianov. Séparé des modérés par leur respectdes traditions romaines, des Taborites par leur fanatisme belliqueux, avait, dès les premières guerres, flétri du nom de « meurtriers » le

docteurs qui affirmaient le droit de défendre la vérité par le glaiveMal écouté, il écrivit, dans sa retraite de Chelčice, pour le peuple sansguides. Comme les Taborites, il ne connaît d’autre règle quel’Évangile ; plus nettement qu’eux il affirme le salut par la grâce et l justification par la foi. Il n’enseigne pas le quiétisme ; sans compteaucunement sur sa propre justice, le chrétien, dans l’attente del’élection divine, lutte contre le monde et la chair. Mais les prêtres dl’Antéchrist substituent au Christ, médiateur divin, les saints et lVierge. L’Évangile n’enseigne ni le Purgatoire, ni les sept sacrementet leur action magique, ni les messes pour les morts. Chelčicky admetla présence réelle et rejette la transsubstantiation ; volontiers in’accorderait le baptême qu’aux adultes. Les autres sacrements nsont que des coutumes, qui, simplifiées, peuvent être utiles. Malgrses doctrines assez nettement arrêtées, il déteste, comme Husl’intolérance, et n’impose nul credo. Le fidèle se tient à l’écart dl’État, que dominent les ambitions païennes du monde ; à l’écart de lsociété civile, dont l’ordre entier contredit la loi évangélique ; à l’écades p377Églises, car les papes, les prêtres, les moines, s’accordent pouétouffer la vérité, que les adversaires de Rome hésitent à rétablir dan

tous ses droits.Du moins, administrateur général du royaume, Podiébrad soutenai

énergiquement contre le Saint-Siège les libertés bohémiennes. En vai Nicolas V désavouait lesCompactata, pressait les Tchèques de renier le calice. Le cardinal Carvajal, chargé d’une première mission dut, e1448, se retirer. Le Mineur observant Jean de Capistrano, persécuteudes Fraticelles, entreprit en 1451 de prêcher contre les Hussites. Maiil ne put obtenir de Podiébrad l’escorte qu’il sollicitait ; il ne dépassguère la Moravie ou la Franconie ; il se contenta de courir les frontiè

res de la Bohême et de provoquer le fanatisme des masses à forcd’invectives, de prophéties, de miracles que d’ailleurs Carvajal comme Enea Silvio Piccolomini soupçonnèrent d’imposture. Nicolas dCues, au terme de sa légation d’Allemagne, eût admis de discuter aveles Tchèques ; mais les conférences projetées à plusieurs reprises, e1452, furent empêchées par le mauvais vouloir de Capistrano, de







lienne en 1438, Bernardin mourut en 1444 au couvent d’Aquila danl’Abruzze, après avoir refusé trois évêchés. Jean de Capistrano lusuccéda. Cependant Colette Boellet, fille d’un charpentier de Corbie

avait fait approuver à Nice par p379 Benoît XIII, en 1406, la réformedes Clarisses ; elle dirigea divers couvents et mourut à Gand le 6mai 1447. La tradition de saint Dominique se rénovait chez les FrèrePrêcheurs. Catherine de Sienne avait ardemment plaidé la caused’Urbain VI ; elle s’éteignit à Rome le 29 avril 1380. Le Dialogo del-la divina Providentia, qu’elle avait achevé en octobre 1378, contenait,avec de véhémentes invectives contre les méfaits des clercs, l’annoncd’une prochaine réforme de l’Église et de ses pasteurs. L’influence dla sainte, dont le confesseur, Raimond de Capoue, général de l’Ordr pour l’obédience urbaniste, classait les lettres, persista. Lui-mêmd’accord avec le provincial d’Allemagne, Conrad de Prusse, avec lFlorentin Jean Dominici, professeur à l’Université de Pise, travaillaactivement à la réforme. Après sa mort (1399), sous le généralat dThomas de Fermo, Dominici continua son œuvre, en Ombrie, à Venise, et bientôt, archevêque de Raguse et cardinal (12 mai 1408), enDalmatie. Mathieu Bonimperto de Novare créait, en 1418, la congrégation lombarde. Vincent Ferrer — saint Vincent Ferrier —, né à Valence vers 1350, entré dans l’ordre en 1367, fût professeur et prédicateur, soutint les papes d’Avignon, rejeta d’ailleurs les doctrines conci

liaires et combattit Pierre d’Ailly ; après les accords de Narbonne, edécembre 1415, et la retraite de Benoît XIII à Peñiscola, il lui refusl’obédience et travailla très activement à terminer le schisme. Cependant il menait un apostolat infatigable en Provence, en Espagne, eItalie, à travers la France, rétablissait l’exacte discipline cléricaleconvertissait Vaudois et flagellants ; il mourut au couvent de Vannele 5 avril 1419. Le général de l’ordre, Barthélémy Tixier, publiait, e1428, les Constitutions de Cologne contre les relâchés. Jean Nyder, nen Souabe ou en Alsace, profès en 1400 au couvent de Colmar, enseigna la théologie à Cologne, devint prieur à Nuremberg et à Bâle, pri part aux négociations du concile de Bâle avec les Hussites, et compt parmi les prédicateurs les plus célèbres de l’école dominicaine. Antonin Pierozzi, né à Florence en 1389, prieur, en 1421, de San Domenico de Fiesole, prieur de la Minerve à Rome en 1430, de Saint-Marc Florence en 1436, fut, en mai de l’année suivante, désigné par Barthélémy Texier à la succession de Jean Dominici comme vicaire générades Observants d’Italie. Dans les premiers jours de 1446, il fut promu





par Eugène IV à l’archevêché de Florence. L’église l’a canonisé soule nom de saint Antonin. p380

Chez les moines noirs, Louis Barbo avait, dès 1412, fondé à Padoue la congrégation de sainte Justine ; Nicolas de Mazen, formé Subiaco, associait en 1418 dans la congrégation de Melk dix-sept ab bayes autrichiennes ; mais, parmi les bénédictins allemands, nul ne fu plus actif que Jean Hagen, fondateur de la congrégation de Bursfeld près de Göttingen, qui, groupée autour de Saint-Pierre d’Erfurt, célé bra ses chapitres généraux depuis 1450. Chez les Cisterciens le mêmtravail de réparation s’ébauchait ; Martin de Vargas, moine du couvent aragonais de Petra, fondait en 1425, avec la permission de Martin V, la « Congrégation de l’observance régulière pour l’ordre de Cî

teaux dans les royaumes d’Espagne ». Elle réunit bientôt, autour ducouvent du Mont Sion, ouvert par Vargas près de Tolède, trente-neumaisons en Castille, en Léon, en Galice, dans les Asturies. Une bulld’Eugène IV, en 1437, lui concéda une autonomie presque absolue.

Un actif mouvement de réforme, parti des Pays-Bas, se développaà travers les régions rhénanes et l’Allemagne. Gérard De Groote, né Deventer en 1340, avait entendu à Paris Jean Buridan et Nicole Oresme ; maître ès arts, il visita l’Université de Prague, étudia la dialectique, le droit canon, l’astronomie, et se montra curieux de magie. D

retour en 1362, il posséda bientôt, quoique laïque, deux prébendesConverti en 1374, il résigna ses bénéfices, fit de sa maison un asil pour des femmes humbles et pénitentes, ne s’y réserva qu’un étrologis, où, trois ans, il lut la Bible et les Pères. En 1377, à Groenendae près de Bruxelles, il visita Jean Ruysbroeck ; il traduisit alors en latile traité des Noces spirituelles. Après une retraite chez les Chartreuxde Munickhuysen, il revint à Deventer. Simple diacre, il prêcha la pénitence et la conversion, jusqu’au jour où l’évêque, effrayé de sa hardiesse, lui imposa silence. Peu après sa mort, survenue en 1384, furencréés les premiers établissements des Frères de la Vie Commune. Gérard De Groote avait réuni d’abord quelques étudiants pauvres dl’école capitulaire, qui, sous une règle monacale, s’occupaient à transcrire les manuscrits sacrés. Quelques laïques et gens d’Église renforcèrent la première famille, à laquelle Florent Radewijns, l’intimeconfident de Groote, abandonna ses biens. D’autres communautésapparurent à Zwolle, Amersfoort et Delft. Ces hommes de bonne volonté, craignant Dieu, clercs pour la plupart, sous-diacres et diacres





auxquels se joignaient quelques prêtres et parfois quelques artisans, nse liaient pas par des vœux éternels. p381 Ils mettaient leurs ressourcesen commun, habitaient, priaient et travaillaient ensemble, surtout à l

copie des livres. Les dimanches et jours de fête, ils accueillaient leétrangers, et dans de très simples conférences en langue vulgaire leuenseignaient le dogme et la morale. Mais des associations libres, tournées vers la pratique, n’auraient satisfait qu’à moitié les disciples dRuysbroeck. Avant de mourir, Gérard De Groote, en souvenir demoines de Groenendael, avait confié à Florent Radewijns et Henri dWilsen la mission de fonder un couvent de chanoines réguliers, écold’observance claustrale et de vie mystique. L’abbaye de Windesheimouverte près de Zwolle en 1387, devint, en 1395, le centre d’unecongrégation nouvelle, qui, soumise à la règle de saint Augustin, garda toujours d’étroites relations avec les Frères et vécut de la mêm pensée. Elle s’annexa bientôt divers couvents des Hollande, de Zélande, d’Overyssel et de Gueldre ; en 1413, Groenendael adhérait à seconstitutions. Son activité ne tarda pas à déborder sur la Frise el’Allemagne du nord : sous la conduite de Jean Busch, les missionnaires de Windesheim réformèrent leur ordre dans les diocèses deBrunswick, Hildesheim, Halberstadt et Verden. En 1451, le légat Nicolas de Cues les dirigeait vers la Saxe et la Thuringe. Cependant lmonastère de Sion, voisin de Delft, s’agrégeait, en 1444, diverse

maisons, parmi lesquelles Hemsdonck et Steyn, près de Schoonhoveet de Gouda.

Mais trop d’obstacles barraient la voie des réformateurs. Pour assurer une restauration véritable de la régularité, il eût fallu supprimer lcommende, que trop d’intérêts temporels conspiraient à maintenir ; echez les Mendiants, ne choisir que des dignitaires plus énergiques emoins négligents de leur devoir. Aussi voit-on les moines résister aveacharnement et souvent avec succès. Nicolas de Cues, légat en Allemagne, soutient de toutes ses forces Bursfeld et Windesheim, dépos

l’abbé de Saint-Michel de Hildesheim convaincu de simonie, présideen mai 1451, le chapitre provincial des Bénédictins à Saint-Étienne dWürzburg, y fait jurer à soixante-dix abbés de réformer leurs monastères. Mais, faiblement appuyé par les autorités ecclésiastiques, il rencontre de si violentes oppositions que son effort échoue en partie. Lerelâchés haïssent les rigoristes, et, avec l’aide des commendataires edes laïques, les tiennent en échec. La querelle inapaisable des obser





vants et des conventuels compromet toute réforme chez les Mineursles dominicains déréglés s’appliquent à diffamer les ascètes. p382 Mald’accord entre eux, les Mendiants sont détestés des autres ordres qu

les accusent de capter aumônes et donations ; comme au temps dGuillaume de Saint-Amour, les séculiers leur reprochent d’envahir le paroisses, d’usurper le rôle des curés dans le ministère de la pénitencde servir les doctrines qui humilient devant le Saint-Siège les Églisenationales.

La réforme des séculiers retarde sur celle des moines. Le clergé de paroisses urbaines et rurales esquive aisément tout contrôle. Dans ldiocèse, une large part des bénéfices échappe à la collation del’évêque ; les titulaires, nommés par divers patrons, respectent peu so

autorité. Lors des débats de Bâle, les gallicans, en vive réaction contrles prélats, trop fidèles agents de la papauté, sont allés jusqu’à soutenir que les curés, successeurs des Disciples, reçoivent leur juridictiodirectement du Christ. Rome condamne cette doctrine ; mais les évêques eux-mêmes, trop mondains et indifférents, ne se soucient pad’imposer, au prix de luttes pénibles, une rigueur qu’ils observent peuL’institution des synodes provinciaux est tombée en décadence. Nonqu’ils aient cessé de se réunir ; les évêques, souvent en mauvais termes avec les archevêques, en appliquent mal les statuts, où les mêmeexhortations se répètent indéfiniment. On tente du moins quelques efforts pour corriger le clergé paroissial. Nicolas de Cues, en 1451 e1452, parcourt les diocèses d’Allemagne et des Pays-Bas, prêche Salzbourg, Bamberg, Magdebourg, Hildesheim, Coblence, TrêvesMinden, Aix-la-Chapelle, Cologne, Louvain, Haarlem, Deventer, etraque les prêtres indisciplinés ou concubinaires. Antonin Pierozziarchevêque de Florence, veut imposer aux prélats comme aux clercun idéal ascétique. Pour résoudre la question du recrutement sacerdotal, Eugène IV avait, en 1436, ouvert à Florence une école où les aspirants à la prêtrise étudiaient la liturgie, la grammaire, et, par une édu

cation morale et religieuse, se préparaient à leurs devoirs. Ce premieséminaire se développa sous l’administration de saint Antonin. Ce pendant en Allemagne, aux Pays-Bas, les écoles dirigées, selol’esprit de Gérard De Groote, par les Frères de la Vie Commune, instruisaient pour l’Église une étroite minorité de prêtres et de moineaustères.







dans le volume publié en 1924, pour le cinquième anniversaire de sa mortous le-titre : Žižkuv sbornik , 1424-1924 [Recueil Žižka] (Prague, 1924, n-8°).

II. La querelle conciliaire et le problème de la paix en Bohême(1423-1433) : l’ouverture du concile de Bâle OUVRAGES À CONSULTER . — Les procès-verbaux du concile de Bâle ont été pu-

bliés par J. Haller et H. Herre,Concilium Basiliense(Bâle, 1896-1910, 7 vol.in-4°). L’ouvrage capital reste celui de N. Valois, La crise religieuse du XV e siècle, cité p. 307. On peut le compléter avec les études de A. Zellfelder, Die Beziehungen Englands zum Basler Konzil bis zum Friede von Arras(Berlin,1913, in-8°, fasc. 113 des « Historische Studien » de E. Ebering), de P. Lazarus, Das Basler Konzil, seine Berufung und Leitung, seine Gliederung un seine Behörden-organisation(Berlin, 1912, in-8°, fasc. 100 de la même col-

lection). Sur les principaux acteurs du drame, outre L. von Pastor,Geschichteder Päpste(citée p. 307), t. I, voir H. Fechner,Giuliano Cesarini, bis zu sei-ner Ankunft in Basel (Marburg et Berlin, 1907, in-8°, dissertation) ; AeneasSylvius Piccolomini, Briefwechsel , éd. par Rud. Wolkan (Vienne, 1909-1918,4 vol. in-8°, dans la coll. des « Fontes rerum austriacarum », t. 61-62, 67-68Le livre de G. Voigt, Enea Silvio Piccolomini als Papst Pius II und sein Zei-talter (Berlin, 1856-1863,3 vol. in-8°), a vieilli. Pour les affaires de Bohêmse reporter aux bibliographies des p. 331, 339 et 351.

III. L’accord du concile de Bâle avec les Hussiteset son conflit avec Eugène IV (1433-1437)

OUVRAGES À CONSULTER . — À ceux qui ont été cités p. 358, ajouter E. Cecconi,Studi storici sul concilia di Firenze(Florence, 1869, in-8°) ; J.-F. Düx, Der deutsche Cardinal Nikolaus von Cusa und die Kirche seiner Zeit (Ratisbonne,1897, 2 vol. in-8°) ; Edmond Vansteenberghe, Le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464) ; l’action et la pensée(Paris, 1920, in-8°) ; G. Pérouse, Le cardi-nal Louis Aleman, président du concile de Bâle et la fin du Grand Schism (Paris, 1904, in-8o).

IV. Le concile de Ferrare et le schisme bâlois (1438-1453) OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les ouvrages cités p. 358 et 362, voir, pour leconcile de Ferrare, Hefele, Histoire des conciles, trad. franc, de H. Leclercq(citée p. 5), t. VII, 2e partie. Ajouter K. Pleyel, Die Politik Nikolaus V (Stutt-gart, 1927, in-8°). — Sur la politique religieuse du gouvernement françaivoir Noël Valois, Histoire de la Pragmatique sanction de Bourges sous Char-les VII (Paris, 1906, in-8°, t. IV des « Archives de l’histoire religieuse de laFrance ») ; J. Salvini, Inapplication de la Pragmatique sanction sous Charles





VII et Louis XI au chapitre cathédral de Paris(Paris, 1912, in-8°). — Sur la politique religieuse de l’Angleterre, W.-W. Capes,The English Church in the XIV th and the XV th centuries, cité p. 21. — Sur la politique religieuse del’Empire, voir A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands(citée p. 21), t. V,2

epartie ; E. Vansteenberghe, Le cardinal Nicolas de Cues, cité p. 362.

V. Le progrès des hérésies OUVRAGES À CONSULTER . — Voir les bibliographies des pages 327 et 331. Sur

l’évolution religieuse de la Bohême, il existe des travaux importants, en tchque et en russe ; nous citerons F. Hrejsa,Çeska konfese, teji vznik, podstata adéjiny[La confession bohème, origine, substance, histoire] (Prague, 1912, in8°, extr. des « Travaux de l’Académie tchèque ») ; N.V. Jastrebov, Kheltchilz-ky i Hus. Otcherk po istori gousistskoï mysli[Chelčicky et Hus. Esquisse

d’une histoire de la pensée hussite], dans le Recueil des travaux dédiés à Lmansky (Pétersbourg, 1905, in-8°) ; Etioudy o Petre Kheltchickom i ego vre-meni[Études sur Pierre Chelčicky et son temps] (Pétersbourg, 1908, in-8°) ;Jar. Goll,Chel č icky a Jednota v XV. stoleti[Chelčicky et l’Unité auXVe siè-cle] (Prague, 1916, in-8°). Ajouter J.-Th. Müller,Geschichte der böhmischen Brüder (Herrnhut, 1922, in-8°). — Pour l’histoire de-la résistance tchèquevoir Ernest Denis, La fin de l’indépendance bohême; t. I :Georges de Podié-brad, les Jagellons(Paris, 1890, in-8°, ; et Rod. Urbanek,Č eské dejiny[His-toire tchèque], 1re partie, t. I et II :Vék podebradsky[L’époque de Podiébrad](Prague, 1915-1916, 2 vol. in-8°).

Pour l’histoire de la sorcellerie et de sa répression, voir J. Hausen, Zau-berwahn, Inquisition und Hexenprozess im Mittelalter, und die Entstehung de grosseh Hexenverfolgung (Munich et Leipzig, 1900, in-8°) ; du même,Quel-len und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenve folgung im Mittelaller (Bonn, 1901, gr. in-8o) ; également, Jean Marx, L’inquisition en Dauphiné, cité p. 103 ; G. G. Coulton, Life in the middleages; t. I, Religion, folklore and superstition(Cambridge, 1928, in-8o).

VI. Les premières tentatives de réforme OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages cités p. 115, ajouter P. Hélyot, Histoi-

re des ordres monastiques(Paris, 1714-1719, 8 vol. in-4°) ; H. Holzapfel, Handbuch der Geschichte des Franziskanerordens, cité p. 30 ; P. Thureau-Dangin,Un prédicateur populaire dans l’Italie de la Renaissance ; saint Ber-nardin de Sienne (1338-1434)(Paris, 1896, in-8° ; 2e éd. 1926) ; K. Hefele, Der heilige Bernhardin von Siena und die franziskanische Wanderpredigt in Italien(Fribourg-en-Brisgau, 1912, in-8°) ; A.-G. Ferrero-Howell,S. Bernar-dino of Siena(Londres, 1913, in-8°) ; E. Jacob, Johannes von Capistrano (Breslau, 1903-1905, 2 vol. in-8°) ; le R. P. Mortier, Histoire des maîtres gé-néraux de l’ordre des Frères Prêcheurs(Paris, 1903-1913, 7 vol. in-8°) ; R.





Fawtier,Sainte Catherine de Sienne(cité p. 115), t. II : Les œuvres de sainteCatherine de Sienne; Mathieu-Maxime Gorce,Saint Vincent Ferrier (Paris,1923, in-8°) ; Sigismond Brettle, O. M.,San Vicente Ferrer und sein literaris-cher Nachlass(Munich, 1924, in-8°) ; H. Finke, Drei spanischen Publizistenaus den Anfängen des Grossen Schismas ; Matthäeus dementis, Nikolau Eymerick, der hl. Vicente Ferrer , dans le t. I, 1re série, desGesammelte Auf- sätze zur Kulturgeschichte Spaniens, publ. par H. Beyerle, G. Schreiber, H.Finke (Münster-in-W., 1928, in-8°), p. 174-195 ; K. Schieler,Magister Jo-hannes Nider (Mayence, 1855, in-8°) ; abbé Raoul Morçay,Saint Antonin, ar-chevêque de Florence, 1389-1459(Paris, 1914, in-8°).

Sur les Frères de la Vie Commune et la congrégation de Windesheim, voiG. Bonet-Maury,Gérard Groote, un précurseur de la Réforme au XIV e siècle,d’après des documents inédits(Paris, 1878, in-8°) ; J.-G.-R. Acquoy, Het Kloosler te Windesheim en zijn invloed (Utrecht, 1875-1880, 3 vol. in-8°) ;W. Moll, Die vorreformatorische Kirchenge, schichte der Niederlande, trad.

allemande par P. Zuppke (Leipzig, 1895, 2 vol. in-8o), et Albert Hyma,Thechristian Renaissance, a history of the Devotio moderna(New-York et Lon-

dres, 1925, in-8o).Sur les tentatives de réforme pontificale, voir L. von Pastor,Geschichte

der Päpste seit dem Ausgang des Mittelalters, trad. française, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge(citée p. 307) t. I-V (de Martin V à la mortd’Innocent VIII) ; R. Zwölfer, Die Reform der Kirchenverfassung auf dem Konzil zu Basel , dans la Basler Zeitschrift für Geschichte und Altertum,t. XXVIII (1929), p. 141-247, et t. XXIX (1930), p. 2-58.





Table des matières

Chapitre III

La ruine de l’Empire et la réaction nati on aleen Bohême et Hongrie (1378-1452) 103

L’Empire, après avoir vainement tenté auXIVe

siècle de faire revi-vre l’idéal périmé de la domination universelle, a cherché, sous lmaison de Luxembourg, à s’organiser sur des bases nouvelles. Mailes pays allemands, très en retard sur le reste de l’Europe, n’étaien pas encore mûrs pour un régime de monarchie centralisée. Au moment même où l’Église est secouée par une crise sans précédentl’institution impériale sombre dans le mépris universel. L’élan deforces germaniques est brisé ; sur bien des points même, l’Allemagndoit reculer ; ses efforts s’épuisent contre la Bohême hérétique ; elllaisse échapper de son orbite le royaume hongrois et voit, aux dépende son influence, les pays scandinaves déclarer leur union. Si quelquegrandes familles cherchent, après l’effacement des Luxembourg, fonder une nouvelle puissance territoriale, elles sont encore incapablede faire respecter leur volonté. C’est à peine si l’on peut deviner, danle désordre et l’anarchie générale, la lente ascension des Habsbourg p385

I. — L’anarchie de l’Empire sous Venceslasde Bohême

et Robert du Palatinat (1378-1410)104

Lorsqu’en novembre 1378 mourut Charles IV, sa famille était arri

vée, grâce à lui, à un haut degré de puissance. Au Luxembourg, d’oelle était sortie, s’ajoutait maintenant la Bohême, la Moravie, la Silé 103 OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER .104 OUVRAGES À CONSULTER .





sie, la Lusace et le Brandebourg ; cette masse compacte de territoireatteignait presque la Baltique au nord, le Danube au sud. Et, par surcroît, Charles avait été assez habile pour obtenir dès 1376 l’élection d

son fils aîné Venceslas comme roi des Romains. Il semblait avoir ainsassuré l’avenir.

Mais Venceslas n’était qu’un jeune homme de dix-huit ans, encorinexpérimenté, et il manquait de volonté et d’énergie. Aussi la décomposition de l’Allemagne s’accentue-t-elle sous son règne. La ligudes villes souabes, reconstituée en 1376, et qui dès 1377 comptait unquarantaine de villes adhérentes dans l’Allemagne du sud, apparaît alendemain de la mort de Charles IV comme une telle menace que leseigneurs en réclament la dissolution. Ne pouvant l’obtenir, ils for

ment des contre-ligues en Souabe, en Hesse, en Franconie, sous couleur de faire eux-mêmes respecter l’ordre que le roi s’avère impuissanà maintenir. La ligue urbaine du Rhin, à laquelle Mayence, Stras bourg, Worms, Spire, Francfort ont donné leur adhésion, p386 riposteen concluant, le 17 juin 1381, une alliance avec la ligue des villesouabes. La fédération des ligues urbaines s’étend durant les annéequi suivent par l’adhésion des villes de l’Allemagne du nord et surtout, en février 1385, par celle de quatre cantons suisses, Berne, Zurich, Soleure, Zug. Partout des ligues de seigneurs répondent aux ligues urbaines ; elles s’unissent pareillement, et c’est la guerre civile.

Vainement, en 1384, puis en 1387, Venceslas, avec mollesse, es-saie de s’interposer. En 1388, d’un bout à l’autre de l’Allemagne dsud, on se bat avec acharnement entre villes et seigneurs. Le 24 aoû1388, le comte Eberhart de Wurtemberg écrase les troupes des villesouabes à Döffingen, au sud-ouest de Stuttgart, tandis que le comt palatin Robert marche contre l’armée de la ligue urbaine du Rhin et lmet en déroute près de Worms (6 novembre). Ce double échec deligues urbaines permet à Venceslas d’intervenir enfin de façon util pour ramener la paix. Après plusieurs semaines de pourparlers, il een mesure de l’imposer à Cheb (Eger), en Bohême, le 5 mai 1389Mais cette paix consacre en fait la victoire des seigneurs, et non cellde la monarchie.

La Bohême accapare toute l’attention de Venceslas, et il a déjà beaucoup de peine à s’y maintenir. En 1393, un violent conflit qui lmet aux prises avec l’archevêque de Prague, Jean de Jenzenstein, e





qui aboutit au meurtre de Jean de Pomuk, dit Népomucène, le vicairgénéral du diocèse, est l’occasion d’un soulèvement féodal qui gagnrapidement du terrain. Les rebelles ont pour chef un cousin du ro

Josse, l’ambitieux margrave de Moravie. Venceslas tombe entre leurmains (8 mai 1394), et pendant quelques années, prisonnier ou libre, n’est même plus maître de la Bohême.

Dans l’Allemagne, où il cesse de paraître, les princes se disposenà le renverser. Les meneurs sont le comte palatin Robert de Wittels bach et l’archevêque de Mayence. Ils groupent en une nouvelle ligunon seulement les deux autres princes-électeurs rhénans, les archevêques de Cologne et de Trêves, mais les familles de Hesse, de Wettinde Wittelsbach, de Hohenzollern, de Wurtemberg. En 1399, la plupar

se montrent résolus à en finir. Pendant des semaines et des mois, ildiscutent entre eux, sans même que Venceslas paraisse s’émouvoirEnfin, le 20 août 1400, réunis à Oberlahnstein, au confluent de laLahn et du Rhin, malgré l’absence de deux des électeurs laïques, lduc de Saxe et Josse de Moravie, devenu margrave de Brandebourg p387 ils prononcent la déposition du souverain incapable, puis, le lendemain, grâce à l’appoint de sa propre voix, le comte palatin Roberseul présent parmi les quatre princes-électeurs laïques (le roi de Bohême compris), est élu par les trois électeurs ecclésiastiques.

Le règne de Robert (1400-1410) est celui d’un prince pauvre, sanappui, d’une incurable faiblesse, incapable d’accomplir aucune réforme ou de faire sentir nulle part son autorité. S’il parvient à conserveun titre royal vide de tout contenu, c’est que les dissensions de ses adversaires ne leur permettent jamais de s’unir pour se débarrasser dlui. Les pays rhénans le reconnaissent comme roi des Romains, mais ne peut se faire ouvrir les portes d’Aix-la-Chapelle et doit aller chercher la couronne à Cologne (6 janvier 1401). Dans l’est del’Allemagne, Venceslas n’a pas désarmé et s’apprête à renverser soncompétiteur. Robert s’imagine pouvoir relever son prestige en opéranla traditionnelle descente en Italie. À la tête d’une petite armée péni blement rassemblée, il quitte Augsbourg le 15 septembre 1401. Maiau sud des Alpes, bien des déboires l’attendent. Le duc de MilanJean-Galéas Visconti se déclare ouvertement contre lui : à peine arriven Haute Italie, il lui faut donc engager une nouvelle lutte. Pendan plusieurs mois, il erre entre Padoue et Brescia ; son armée, mal payéfond rapidement ; Boniface IX, faisant peu de cas d’un candidat aus





misérable, hésite à lui donner la couronne impériale. Et, de guerre lasse, en avril 1402, Robert doit reprendre le chemin de l’Allemagnsans avoir rien obtenu.

Un résultat aussi peu glorieux n’était pas fait pour asseoir sa domination chancelante. S’il n’avait pas grand’chose à craindre de Venceslas, qui, contre vents et marées, se maintenait tant bien que mal eBohême, où il régna jusqu’à sa mort (1419), il lui fallait faire face une levée de boucliers de la plupart de ses amis de la veille, déçus ehumiliés. À Marbach, dans le pays de Bade, en septembre 1405, dixsept villes souabes, Strasbourg, le margrave de Bade, le comte Eberhart de Wurtemberg et jusqu’à l’archevêque de Mayence, qui avai plus que tout autre contribué à son élévation, oubliant l’ancienne op

position des villes et des princes, formèrent une ligue « pour le maintien de la paix ». En fait, malgré de bruyantes déclarations, les ligueurs agirent peu ; mais ils contribuèrent à rendre impossiblel’exercice d’une autorité quelconque et aggravèrent le désordre. Il nrestait à Robert qu’un seul allié, le pape de p388 Rome. Boniface IXavait enfin consenti à déposer Venceslas (1403), et Robert allait sefaire le défenseur acharné de ce pontife et de ses deux successeursInnocent VII et Grégoire XII. Mais c’était défendre une cause perduemalgré ses efforts Robert ne put empêcher le concile de Pise ; il mourut peu après la déposition de Grégoire XII, le 18 mai 1419, ne laissant que des dettes.

II. — Sigismond et les guerres hussites (1410-1437)105 La mort de Robert du Palatinat accrut encore la confusion dan

l’Empire en obligeant les princes à faire un nouveau choix. Le chef dla maison de Luxembourg, Venceslas, toujours roi de Bohême, ne désespérait pas de reconquérir le trône d’Allemagne et comptait sul’appui de l’électeur de Saxe. Mais les électeurs rhénans, qui ne voulaient pas de lui, se divisèrent aussitôt sur le terrain religieux, les untenant pour le pape de p389 Pise, les autres toujours fidèles à Grégoi-re XII. Leurs candidats respectifs furent le margrave de Moravie, Josse, déjà détenteur, par surcroît, du margraviat de Brandebourg depui1388, et le propre frère de Venceslas, Sigismond, à qui un mariag






avec la fille du roi Louis d’Anjou avait valu en 1387 la couronne dHongrie. Deux élections contradictoires eurent lieu le 20 septembre ele 1er octobre 1410, de sorte qu’au schisme « tricéphale » de l’Église

correspondit dès lors pour un temps le schisme tricéphale de l’Empirles uns tenant pour Sigismond, les autres pour Josse, les derniers légtimistes, pour Venceslas. Mais Sigismond, tout en faisant agir en safaveur le pape Jean XXIII, gagna l’appui d’un prince qui, s’il n’éta pas encore électeur, avait une influence fort grande sur le collège e joua le rôle de médiateur : Frédéric V de Hohenzollern, margrave d Nuremberg, auquel il promit en échange de ses bons offices la cessiode l’électorat de Brandebourg ; et Josse étant mort sur ces entrefaite(18 janvier 1411), l’union se fit sur le nom de Sigismond (21 juille1411).

Intelligent, d’esprit ouvert, de goûts chevaleresques, Sigismondavait tout pour attirer les sympathies. Il lui manquait une qualité essentielle : la ténacité. Faisant force projets, et souvent d’envergure, ine les mettait jamais à exécution. Il songea d’abord à restaurel’autorité impériale en Haute Italie, ou plutôt à mettre sa nouvelle dignité au service de ses intérêts hongrois ; c’est contre Ladislas de Na ples, maître de la Croatie, et contre Venise, qui tenait de ce prince lDalmatie et Zara, qu’il voulut agir tout d’abord. Il redoutait leur alliance avec la Pologne, et, pour la déjouer, se rapprocha des Habs bourg ; mais il ne parvint à aucun résultat pratique. La réforme del’Église absorba ensuite tous ses soins. On sait106 le rôle de premier plan qu’il joua à Constance, où il fut un véritable « faiseur de papes »Il en sortit grisé, persuadé que l’Empire avait repris son anciennsplendeur. Le châtiment infligé en 1415 à Frédéric d’Autriche, coupa ble d’avoir soutenu Jean XXIII, la signature, en 1418, d’un concordaavec Martin V, furent autant de brillantes victoires. Mais le fasteroyal, qui émerveillait encore les contemporains, n’était qu’un trom pe-l’œil, derrière lequel s’achevait une irrémédiable décadence. San

doute la versatilité de Sigismond est-elle pour quelque chose danl’échec de toutes ces tentatives : tour à tour il s’occupe p390de l’Église,de l’Italie, de l’Allemagne, de la Hongrie, des Turcs ; entre temps i projette, par une alliance avec Henri V d’Angleterre, d’écraser lFrance des Valois (1416). Il n’oublie qu’une chose : réaliser.

106 Voir ci-dessus, p. 339 et suiv.





Aussi l’Allemagne continue-t-elle à offrir le spectacle d’un pays oles forces s’entrechoquent sans qu’une autorité supérieure y mette ordre. Les princes-électeurs reprennent la politique hostile et indépen

dante qui leur avait réussi sous Venceslas et Robert. Dès 1422 leumécontentement éclate à la diète de Nuremberg ; ils reprochent à Sigismond de négliger les affaires impériales, lui créent mille difficultéen Bohême ; de plus, le roi des Romains ayant eu le tort de se brouiller, à propos de la Pologne, avec le nouveau margrave de Brande bourg, Frédéric Ier de Hohenzollern, son seul appui dans le collègeélectoral, la guerre civile se rallume (1423). Les princes s’imaginenqu’en s’unissant, ils pourront accaparer le pouvoir impérial tombé entre les mains d’un incapable et rétablir la paix en terre allemande ; lequatre électeurs rhénans, ceux de Saxe et de Brandebourg s’allient e janvier 1424, à Bingen, pour prendre en main la nomination aux principales dignités impériales et neutraliser le pouvoir de Sigismond. Isemble qu’une nouvelle déposition soit imminente. L’« union de Bingen », cependant, fait plus de bruit que de mal ; elle se rompt bientô par la défection du margrave de Brandebourg qui, mécontent de n’êtr pas soutenu par ses alliés contre les petits seigneurs slaves de Poméranie, se réconcilie avec Sigismond. Ce n’avait donc été qu’une alerte ; mais elle avait été chaude, et l’aventure pouvait recommencer.

En novembre 1427, en effet, une autre diète, réunie à Francforttenta, sous le coup des revers allemands dans les guerres hussites, dréformer elle-même le gouvernement. À la demande du cardinal dWinchester Henri, légat du pape, elle décréta le recrutement d’unarmée impériale, la levée d’impôts réguliers, d’une capitation sur leJuifs et de décimes sur le clergé. Ces mesures énergiques ne purenmettre fin à l’anarchie ni empêcher de nouveaux désastres militairesD’autres réformes, plus ou moins révolutionnaires, furent encore discutées par les princes, en dehors de l’empereur, au cours des annéesuivantes ; mais tous ces beaux projets restèrent sur le papier. Il en fu

de même de celui que présenta personnellement Sigismond, lorsqueles guerres de Bohême terminées, son prestige sembla rétabli pal’importance de son rôle au début p391 du concile de Bâle. Il proposa àune diète réunie dans cette ville même, en 1433, un plan de réorganisation, la Reformatio Sigismundi. Ce plan, en seize articles, touchait àtoutes les questions pendantes, pouvoir central, administration localefinances, justice, armée. Plusieurs des mesures préconisées par le





princes y étaient reprises, mais cette fois au profit de l’autorité monachique. Seuls quelques articles secondaires, concernant la réforme detribunaux, furent mis à exécution ; les autres restèrent lettre morte. L

dignité impériale ne pouvait être relevée par Sigismond. La fastueusdescente en Italie qu’il accomplit pour se faire, selon la tradition, couronner roi à Milan (25 novembre 1431), puis empereur à Rome (3mai 1433), fut un geste sans signification profonde ; il masquait mason impuissance à retrouver un peu de l’autorité à jamais disparue.

De cet échec, il n’était, au reste, pas entièrement responsable. Aucours de ces luttes et de ces tentatives malheureuses, le réveil de lnationalité tchèque l’avait mis brusquement en face d’un péril auqueil avait fallu faire face par une série de coûteuses et désastreuses cam

pagnes où son pouvoir avait achevé de sombrer.On a vu107 comment le supplice de Jean Hus et de Jérôme de Pra-

gue, condamnés en 1415 par le concile de Constance, avait eu pourésultat de transformer aussitôt un mouvement d’origine religieuse eune révolution politique, sociale et nationale ; comment, après les hésitations et la mort de Venceslas (16 août 1419), Sigismond, son plu proche héritier mâle, proclamé roi de Bohême à la diète de Breslauadmit de recourir, contre les Tchèques révoltés, à la force. En juille1420, il vint mettre le siège devant Prague ; il y subit un échec écla

tant ; il fit pourtant procéder à son couronnement (28 juillet). Les opérations militaires qui suivirent, pendant l’hiver et au début du printemps, ne furent pas plus heureuses ; en mai 1421, Sigismond retournait en Hongrie.

Sa retraite livrait la Bohême à l’insurrection. Tout de suite, la petite bourgeoisie de Prague prit la tête du mouvement ; elle adopta levues extrêmes des Taborites, et une diète nationale, réunie en juin Časlav, déposa le successeur de Venceslas. Il faut observer pourtanque, de tout l’héritage laissé par ce dernier, seule la Bohême était alor

délibérément p392 hostile à Sigismond ; la Moravie, où un clergé vigi-lant traquait les hérétiques, la Silésie le reconnaissaient comme roi eétaient prêtes à lui fournir des troupes et des subsides. En Bohêmmême, plusieurs villes, comme Plzen (Pilsen), n’acceptaient pas leordres venus de Prague ; une partie de l’aristocratie, plus germanisé

107 Ci-dessus, p. 351 et suiv.





que le bas peuple, gardait confiance dans le souverain déposé : elle lusera plus tard d’une aide précieuse pour mater la rébellion. Mais, poul’instant, Sigismond hésitait. Inquiété par l’agitation périodique de l

turbulente aristocratie hongroise, détourné de la Bohême par le retouoffensif des Turcs dans les Balkans, il redoutait aussi les progrès de lPologne, à laquelle Frédéric de Brandebourg, qui en convoitait le trône, venait de s’allier, et à qui les Hussites s’étaient adressés dès 1420Aussi, par lassitude, abandonna-t-il aux princes allemands et aux légats pontificaux le soin de mener la croisade hussite.

De leur côté, les Tchèques s’organisaient. Bien qu’une partie de laBohême, et surtout les provinces du sud et de l’ouest, fût encore peu plée de nombreux catholiques, les Praguois parvenaient à établir leu

domination sur la majeure partie du royaume. Ils trouvèrent un che parmi les Taborites, le chevalier Jean Žižka, qui, non contend’interpréter dans leur rigueur extrême les doctrines religieuses dHus, dévoila des qualités d’homme de guerre et d’organisateur incomparable ; c’est à lui qu’on dut la création de l’armée hussite, dontoute l’Allemagne redouta bientôt la puissance : armée de fantassinsmal vêtus, mal équipés, qui, lors d’une attaque, s’abritaient derrièrleurs chariots ; mais armée de paysans fanatiques, encadrée par de petits chevaliers, et dont la discipline cohérente allait triompher facilement des cohues féodales que pouvait leur opposer l’Empire.

Mais, si révolutionnaires qu’ils fussent, les Tchèques ne pouvaiense passer d’un roi ; pour ceindre la couronne qu’ils avaient déniée afils de Charles IV, ils songèrent à quelque prince voisindont ils pour-raient se faire un sûr allié. Ils s’adressèrent à Ladislas108 Jagellon dePologne, qui, hésitant à se brouiller avec Sigismond, déclina leur offre. Puis ils firent appel à un cousin de Ladislas, le duc de LituaniVitold. Ne pouvant, personnellement, quitter ses États, celui-ci décidaau début de 1422, d’envoyer à Prague son neveu, le prince SigismonKorybut, qui, ayant passé sa jeunesse à guerroyer en Silésie, avait acquis une certaine expérience des choses tchèques. p393 Korybut fut re-connu par la diète comme régent, et, après avoir accepté les quatrarticles fondamentaux de la doctrine hussite, recueillit même pouquelque temps l’adhésion de Žižka et des Taborites intransigeants.

108 Les personnages appelés Ladislas II Jagellon et Ladislas III Jagellon sont gnéralement appelés Ladislas V et Ladislas VI de Pologne. (Note du tome 2)





Cependant la lutte avec l’Allemagne avait déjà commencé. En avr1421, les quatre princes-électeurs rhénans, réunis à la demande de Sgismond, avaient promis avec enthousiasme leur concours contre le

révoltés. Un légat de Martin V, le cardinal Branda, faisait prêcher partout la croisade. Vers la fin du mois d’août, l’armée allemandeconduite par le comte palatin et par les archevêques de Cologne et dTrêves, se concentra sur la frontière occidentale de la Bohême. Descendant la vallée de l’Eger, elle vint s’arrêter au siège de la petite villde Žatec (Saaz) ; en octobre, décimée par les attaques des bandetchèques, elle s’enfuyait, ce qui permettait à Žižka, au mois de janviesuivant, de repousser, près de Nemecki-Brod (Deutsch-Brod), Sigismond, qui arrivait de Moravie. Pourtant les princes germaniques ne sdécouragèrent pas. Devant le danger d’une entente secrète entre Hussites et Polonais, une nouvelle expédition fut décidée, et, comme Sigismond passait pour incapable, la diète de Nuremberg en confia lcommandement à Frédéric de Brandebourg (juillet 1422). Le chef dla croisade était énergique ; mais les troupes lui firent défaut. Il falluattendre jusqu’à la fin d’octobre pour réunir quelques maigres contingents, qui se débandèrent à peine en campagne. Aussi Frédéric dut-ientrer en pourparlers avec Korybut.

Ce fut le signal de terribles luttes intérieures chez les Tchèques les passions, que la guerre étrangère avait surexcitées, loin de se camer une fois le danger passé, creusèrent un fossé de plus en plus profond entre les partis. Car déjà la population de Prague se sentait excédée de la dictature des extrémistes. Elle avait accueilli Korybut, qu pour se maintenir au pouvoir et éviter le retour de l’invasion germanque, s’appuyait sur des mercenaires polonais, en même temps que sula noblesse et la bourgeoisie modérée de la capitale. Dès le mois dmars 1422, les Praguois avaient fait condamner à mort le chef le pluexalté des Taborites, le moine Jean de Želiv ; en octobre suivant, leextrémistes tentèrent sur Prague un coup de main qui fut rudemen

châtié. Ils crurent prendre leur revanche quelques mois plus tard : eeffet Sigismond, toujours actif dans sa diplomatie, s’était, pour préparer l’encerclement p394 de la Pologne, allié aux nobles silésiens et àl’Ordre teutonique. Effrayé, Ladislas109 vint trouver le roi de Hongrie,et, pour prix de la réconciliation, rappela Korybut. Toutefois, bien qu

109 Voir note précédente.







Salzbourg se donnent rendez-vous pour le début de l’été ; Sigismondélègue, pour l’y représenter, son gendre Albert d’Autriche. Mais toutes ces précautions sont inutiles ; l’armée impériale, à peine entrée e

campagne, s’affaiblit par l’inaction et l’indiscipline. À la fin de juilleelle va mettre le siège devant Stř ibro (Mies), mais, quelques joursaprès, à l’approche d’une troupe hussite, se débande sans combat Tachov, au pied du Böhmerwald (4 août 1427).

La déroute finale de la croisade ne fait que renforcer, en Bohêmeles partis extrêmes. L’armée hussite, qui, sous la direction de Procopegroupe les Taborites les plus fanatiques, ne se contente plus maintenant de la défensive. Elle passe résolument à l’attaque et se livre, danles provinces voisines de la Bohême, à des incursions qui jettent l

terreur dans toute l’Allemagne. En 1428, elle envahit la Moravie, puidévaste la Silésie, où les petits princes font leur soumission. Presqusimultanément d’autres bandes tchèques pénètrent en Autriched’autres poussent jusqu’en Lusace, en Saxe, en Bavière, en Thuringet en Franconie. Les électeurs, depuis l’échec de 1427, sont désorientés et hésitent à tenter un nouvel effort. Sigismond parle toujours dvengeance, mais ne bouge pas ; tout en demandant à la diète de re prendre la lutte, il engage déjà des pourparlers avec les Praguois (ma1429). Enfin, comme, dans l’hiver suivant, les incursions des bandetaborites recommencent en Allemagne et s’y aventurent de plus e plus loin, menaçant Erfurt, brûlant Bayreuth, marchant sur Nurem berg, l’Allemagne prend peur et se décide à réagir.

Sigismond se croyait sûr du succès. Il passa l’hiver en Allemagneoccupé à pacifier les villes et à mettre fin aux guerres privées ; la mode Vitold, en octobre 1430, le débarrassa d’un dangereux rival ; puiun nouveau légat, le cardinal Julien Cesarini, vint prêcher une cinquième croisade hussite à la diète de Nuremberg (mars 1431). Pendanque l’armée impériale se concentrait avec son habituelle lenteur, Sigismond essayait sans succès de séparer les Calixtins des Taboritesen conviant les modérés à des conférences de paix, qui, tenues à Che(Eger), n’aboutirent pas. La campagne s’ouvrit sous de mauvais aus pices ; instruit par l’expérience, Frédéric de Brandebourg p396 man-quait de confiance en ses troupes, qu’il savait d’avance épouvantéesDe fait, lorsqu’elles arrivèrent à Domazlice (Taus), au sud-ouest dPlzen, et qu’elles apprirent l’approche d’une armée hussite, elles sdébandèrent encore une fois sans combat (14 août 1431). Peu après





les derniers soldats allemands quittaient en toute hâte le territoirtchèque. Il semblait que, devant ces échecs répétés, l’Empires’affirmait impuissant à dompter les rebelles ; les Hussites restaien

bien les maîtres.Pourtant l’insurrection touchait à sa fin ; car onze années de guerr

n’avaient pas été sans aggraver les dissensions intestines, ni sanamener chez les combattants la lassitude et le désir d’aboutir à uncompromis honorable. On a vu110 comment le cardinal Julien Cesari-ni, après les désastres de la dernière croisade, accepta de négocier ; lconcile de Bâle venait de s’ouvrir et, dans la lutte qu’il pouvait prévoir avec la papauté, désirait s’attribuer le succès d’une paix avec leHussites. Les pourparlers d’où sortirent, en juillet 1436, lesCompac-

tata, d’Iihlava, se rattachent à l’histoire des luttes conciliaires et dedéfaillances de l’Église catholique, obligée d’accepter les revendications essentielles des Utraquistes. Cependant la guerre civile, jalousement entretenue par la diplomatie du concile, avait mené, le 30 ma1434, à l’écrasement des Taborites sur le champ de bataille de Lipanou Česki-Brod (Böhmisch-Brod), à l’est de Prague. Les Calixtins ndemandaient maintenant qu’à reconnaître Sigismond. Depuis plusieurs années déjà couronné empereur, il fit, le 23 avril 1436, son entrée à Prague. La Bohême était ruinée ; elle n’avait pu recouvrer soindépendance. Mais l’Allemagne et l’Empire, au cours de ces luttedésastreuses, étaient tombées dans un désordre indescriptible.

III. — Le règne d’Albert II de Habsbourg etles débuts de Frédéric III (1437-1452)111

Les Hohenzollern avaient fait déjà de tels progrès dans le premietiers duXVe siècle, qu’à la mort de Sigismond (9 décembre 1437), p397 l’électeur de Brandebourg Frédéric Ier , posa sa candidature à l’Empire.Ce ne fut pas lui cependant qui obtint la couronne, mais un Habs bourg.

Depuis la mort du duc d’Autriche Rodolphe IV (1365), des compétitions entre ses deux héritiers, ses frères Albert III et Léopold III

110 Ci-dessus, p. 362 et suiv.111 OUVRAGES À CONSULTER .





avaient amené le partage de ses États (1379). Leurs dissensions’étaient accusées lorsque, dans la question du schisme, ils avaienrallié des camps différents. Le cadet, Léopold, maître de la Carniole

de la Carinthie, du Tirol et de l’Istrie et partisan de Clément VII, ava pu agrandir ses possessions de Souabe et d’Alsace, mais s’était épuisdans une lutte malheureuse contre les cantons suisses. Il y avait trouvla mort sur le champ de bataille de Sempach en 1386. L’aîné, AlberIII, avait pu alors réunir entre ses mains tous les États autrichiens mais, à sa mort (1395), les démembrements avaient repris, une partides domaines allant à son fils Albert IV, le reste aux quatre fils deLéopold, arrivés peu à peu à l’âge d’homme. Disparu tout jeune, en1404, Albert IV n’avait pu finalement transmettre que la Haute et lBasse Autriche à son fils Albert V ; et encore avait-il fallu la protection de l’empereur Sigismond pour éviter à cet enfant, âgé de sept anlors dû décès de son père, d’être dépouillé de tout son héritage. MaiSigismond n’avait pas seulement sauvegardé les droits d’Albert, il luavait donné en mariage sa fille unique et unique héritière, Élisabethet, sur son lit de mort, l’avait fait reconnaître comme roi de Bohême ede Hongrie. C’était du même coup le désigner au choix des électeurimpériaux : aussi, réunis à Francfort le 18 mars 1438, l’élurent-ils l’unanimité roi des Romains, sous le nom d’Albert II.

Contre toute attente, ce règne, sur lequel on avait fondé de grandespoirs, ne fut qu’un bref intermède : à peine Albert avait-il pris possession du pouvoir que la mort l’enlevait brusquement le 27 octobr1439.

Après lui, la débâcle se précipite. Comme il ne laissait pas p398 defils, les électeurs, par lassitude, lui donnèrent pour successeur sur ltrône d’Allemagne le nouveau chef de la maison de Habsbourg, socousin, le duc de Styrie Frédéric, un des petits-fils de Léopold III (février 1440). C’était un prince médiocre, de goûts paisibles, d’avancrésigné à toutes les capitulations. On ne pouvait même pas comptesur lui pour reprendre la politique de concentration territoriale de premiers Habsbourg. Bien au contraire, l’éparpillement des domaineautrichiens s’accentua sous son règne et il se montra incapable de garder le contrôle de la Bohême et de la Hongrie.

La veuve d’Albert II, la reine Élisabeth, ayant, à la fin de févrie1440, mis au monde un fils posthume, Ladislas, Frédéric III, bien qu





chargé de la tutelle de l’enfant, agit avec une telle mollesse que ledroits de son pupille, si importants pour l’avenir des Habsbourg, furent aussitôt sacrifiés. Après avoir reconnu pour roi ce Ladislas « l

Posthume », les Hongrois, en présence du pér il turc, lui préférèrentson homonyme, le roi de Pologne Ladislas III112 Jagellon ; et quandcelui-ci eut succombé sur le champ de bataille de Varna (10 novembre1444), au cours de la lutte contre les Ottomans113, ils ne se rallièrentfinalement au fils d’Albert II que moyennant abandon de la régence un des leurs, Jean Hunyadi.

Comme la Hongrie, la Bohême échappa à Frédéric III. Quoiqueaprès bien des hésitations, les Tchèques eussent choisi son pupilleLadislas, pour roi (1443), il ne put empêcher le pays de tomber, en

1448, aux mains d’un seigneur hussite, Georges de Podiébrad114

, dontl’autorité finit par s’imposer si bien à tous les partis qu’au mois dmars 1452 il était salué du titre d’administrateur général du royaume.

Dans ses États proprement autrichiens, la politique de Frédéric IIne fut guère plus heureuse. En Suisse notamment, où il rêvait, semblet-il, de raffermir la position des Habsbourg en détachant Zurich dugroupe des confédérés, il ne sut que rendre plus odieux le nom autrichien, surtout quand il s’avisa, en 1443, d’appeler dans le pays, pouvenir à bout des cantons, des bandes d’« écorcheurs » dont le roi d

France Charles VII saisit avec empressement l’occasion de se débarrasser. Sous la conduite du dauphin Louis, ces pillards se firent battr près p399de la léproserie de Saint-Jacques, aux portes de Bâle (26 août1444), et se vengèrent, par surcroît, en allant dévaster, six mois durant, les domaines autrichiens d’Alsace.

Quant à l’Allemagne elle-même, Frédéric III parut s’en désintéresser tout à fait. Élu au début de février 1440 il attendit pour s’y rendr jusqu’au 15 avril 1442, et ce ne fut pas avant le mois de juin suivanqu’il se décida enfin à se faire, selon l’usage, couronner à Aix-la

Chapelle. On le vit encore en 1444 à la diète de Nuremberg, oùl’opposition qu’il rencontra de la part des princes touchant la questio

112 Voir note précédente sur les Jagellons.113 Voir ci-dessous, p. 497.114 Podiébrad ou Podiébrady est sur l’Elbe, quelque cinquante kilomètres à l’e

de Prague.





du schisme le décida à ne plus paraître aux assemblées d’Empire et régler au mieux de ses seuls intérêts la question pontificale. Nouavons déjà dit115 le marché qu’il accepta de conclure en 1446 avec

Eugène IV, et qui lui permit, six ans plus tard, de recevoir à SaintPierre de Rome la couronne impériale des mains du pape Nicolas V(19 mars 1452).

Honneur stérile, que nul après lui ne devait plus jamais aller solliciter du souverain pontife. Il en récolta plus de moqueries que de profit. Ce petit prince autrichien, sans autorité, sans armée, sans argent e presque sans États, traversant toute l’Italie pour venir se prosternedevant le pape et lui demander une couronne, ce fut une des dernièrevisions — vision dérisoire — que les hommes de ce temps gardèren

de ce qui avait été jadis une des plus grandes puissances du monde p400

Table des matières

Bibliographie duchapitre III La ruine de l’Empire et la réaction nationale en Bohême et Hongrie

(1378-1452)

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Dans la Bibliothek deutscher Geschich-te, publiée sous Ja direction de H. von Zwiedineck-Südenhorst, deux ouvrage portent sur la période étudiée ici, celui de Th. Lindner, Deutsche Geschichteunter den Habsburgem und Luxemburgern, t. II (1893), cité p. 5, qui donne,sans aucune note ni référence, un bon tableau d’ensemble jusqu’à la mort dSigismond (1437), et celui de Viktor von Kraus, Deutsche Geschichte im Aus- gange des Mittelalters, 1438-1519, t, I : Deutsche Geschichte zur Zeit Al-brechts II und Friedrichs III, 1438-1486 (Stuttgart et Berlin, 1905, gr. in-8°), beaucoup plus développé et avec quelques références. Le tome Ier du Geb-hardts Handbuch der deutschen Geschichte, 7e éd. (1930), cité p. 5, donne unrésumé substantiel avec des indications bibliographiques bien à jour.

Sur l’histoire de Bohême, voir les volumes d’A. Bachmann (t, II, 1905) eR. Urbanek cités p. 199 et 352 ; sur l’histoire de Hongrie, outre les résumés dSayous, Eckhart, Pomanovszki, cités p. 199, voir le livre de Miskolczy cité 204 et P. Toth-Szabó, A cseh-huszita mozgalmak és uratom története Magya-

115 Ci-dessus, p. 370.





rországon[Histoire des mouvements et de la domination tchéco-hussites enHongrie], (Budapest, 1917, in-8°).

I. L’anarchie de l’Empire sous Venceslas de Bohêmeet Robert du Palatinat (1378-1410) OUVRAGES À CONSULTER . — Sur le règne de Venceslas, Th. Lindner,Geschichte

des deutschen Reiches unter König Wenzel (Brunswick,1875-1880, 2 vol. in-8°), encore utile ; K. Klüpfel, Der schwäbische Bund , dans l’ HistorischesTaschenbuch, 6e série, t. II (1883) ; L. Quidde, Der rheinische Städteblind von1381, dans laWesdeutsche Zeitschrift für Geschichte, t. II (1883), p. 323-392 ;du même, Der schwäbisch-rheinische Städtebund von 1384 bis zum Abschlusder Heidelberger Stallung (Stuttgart, 1884, in-8°) ; K. Schindelwick, Die Poli-tik der Reichstädte des früheren schwäbischen Städtebundes seit dem Egere

Landfrieden bis zur Anerkennung König Ruprechts, 1389-1401(Breslau,1888, in-8°) ; D. Hinneschiedt, Die Politik König Wenzels gegenüber Fürstenund Städten im Südwesten des Reiches; t. I :1378-1384(Darmstadt, 1891, in-8°) ; A. Valen, Der deutsche Reichstag unter König Wenzel (Leipzig, 1892,in-8°) ; E. Asche, Die Landfrieden in Deutschland unter König Wenzel (dis-sertation de Greifswald, 1914, in-8°).

Sur le roi Robert, C. Höfler, Ruprecht von der Pfalz(Fribourg, 1861, in-8°) ; E. Friedländer, Zur Geschichte der Marbacher Bundes(Halle, 1893, in-8°, Inauguraldissertation) ; A. Winkelmann, Der Romzug Ruprechts von der Pfalz(Innsbruck, 1892, in-8°, Inauguraldissertation) ; H. Helmolt, König Ru- prechts Zug nach Italien(Iena, 1892, in-8°, Inauguraldissertation) ;

A. Vosselmann, Die reichsstädtische Politik König Ruprechts von der Pfalz (Paderborn, 1904, in-8°, fasc 4, des « Münsterische Beiträge zur Geschichtsforschung », nouv. série) ; E. Zickel, Der deutsche Reichstag unter König Ruprecht von der Pfalz(Francfort, 1908, in-8°, Inauguraldissertation) ; W Se-hring, Die finanziellen Leistungen der Reichsstädte unter Ruprecht von de Pfalz(dissertation de Greifswald, 1916, m-8°).

II. Sigismond et les guerres hussites (1410-1437) OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les livres indiqués p. 385, n. 1, voir

J. Aschbach,Geschichte Kaiser Sigmunds(Hambourg, 1838-1845, 4 vol. in-8°) ; A. Main,The emperor Sigismund (Oxford, 1903, in-16). Pour le détail,G. Schwerdfeger, Papst Johann XXIII und die Wahl Sigmunds zum romischen Konig (Vienne, 1895, in-8°) ; H. Wendt, Der deutsche Reichstag unter König Sigmund, 1410-1431(Breslau, 1890, in-8°, fasc. 30 des « Untersuchungen zur deutsche Staats- und Rechtsgeschichte ») ; O. Heuer,Städtebundesbestrebün- gen unter König Sigmund (Berlin, 1887, in-8°, Inauguraldissertation) ; F.Dietz, Die politische Stellung der deutschen Städte von 1421 bis 1431(Gies-sen, 1889, in-8°, Inauguraldissertation) ; L. Quidde, König Sigmund und das







Hongrie, voir les ouvrages cités p. 385 ; sur les affaires de Suisse, ceux auxquels nous renvoyons p. 460.





Table des matières

Chapitre IV

Les États Scandinaves au temps de l’union de Kalmar 116

Partout en recul dans l’Europe centrale, l’influence allemande ap paraît sérieusement menacée sur les bords de la Baltique. Le tempn’est plus où les villes de la Hanse font la loi dans les pays du nord en face des Allemands, une Scandinavie se dresse, qui serait plus dangereuse si l’union des trois États qui la constituent était moins fragilet le pouvoir royal plus fort. Mais l’anarchie même qui travaille le pays scandinaves est pour le commerce baltique un risque supplémentaire : sur mer, les « naufrageurs » font la vie dure aux Hanséates, emême temps que, dans la péninsule, les luttes politiques ont souven pour résultat de réduire à néant les privilèges qu’ils se sont peu à peassurés au cours de l’âge précédent.

I. — Marguerite de Danemark et l’union des trois royaumes117 La situation des Hanséates semblait pourtant excellente au p401 len-

demain du traité de Stralsund (1370)118. Non seulement les troisroyaumes Scandinaves paraissaient condamnés à une vie isolée et sanéclat, mais le parti allemand triomphait en Suède, où le roi Magnuavait été renversé en 1363 par Albert de Mecklembourg, et l’on a vudéjà les avantages considérables qu’avaient su se ménager les villes dla Hanse de l’autre côté de la Baltique.

116 OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER .117 OUVRAGES À CONSULTER .118 Voir ci-dessus, p. 227.





Par surcroît, la mort de Valdemar IV de Danemark ouvrit, au moid’octobre 1375, dans son royaume, une crise de succession redouta ble, car il ne laissait que deux filles : Ingeborg, l’aînée, mariée à Hen

de Mecklembourg, frère du roi de Suède, et Marguerite, la cadetteépouse du roi de Norvège Hakon VII, le propre fils de ce Magnus qule beau-frère d’Ingeborg avait détrôné douze ans plus tôt. ReconnaîtrIngeborg pour héritière, c’était installer la maison de Mecklembouren Danemark aussi : d’où l’opposition à laquelle se heurta la candidature de son jeune fils Albert. Entre Ingeborg et Marguerite, que Valdemar avait ouvertement favorisée de son vivant, et qui, de son côtérevendiquait le trône pour son fils Olaf, la lutte était inévitable.

Mais la victoire de Marguerite fut assez vite assurée, grâce à

l’appui des seigneurs danois, tout de suite conscients du danger ; edès 1380 la mort de son mari lui valait de joindre, au nom de son filmineur, le gouvernement de la Norvège à celui du Danemark. La mo prématurée d’Olaf (1387) ne fit que renforcer sa situation : après avoexercé le pouvoir dans les deux royaumes en qualité de régente, ellfut admise à y commander en qualité de reine.

Ce premier succès ne lui suffit pas. Elle ne pouvait pardonner auroi de Suède d’avoir usurpé la couronne sur la dynastie légitime donson mari Hakon lui avait légué les droits, ni d’avoir appuyé les effort

de sa sœur pour lui enlever le Danemark ; elle savait, en outre, com bien l’autorité d’Albert de Mecklembourg était discutée en Suède ; le jalousies, les haines qu’avaient soulevées les faveurs dont il avacomblé les membres de sa besogneuse famille ; elle savait la majoritde la noblesse contre lui. Aussi n’hésita-t-elle pas à lui déclarer lguerre. p402 Abandonné par la féodalité suédoise dès la première ren-contre, à Falköping, non loin du village d’Asle, à l’ouest du lac Vettern (24 février 1389), Albert fut battu, fait prisonnier, et toute la Suède, sauf Stockholm, tomba aux mains de Marguerite.

En vain les ducs de Mecklembourg, neveux du souverain déchucherchèrent-ils alors des alliés contre l’usurpatrice. L’Empire restsourd à leur appel ; le roi d’Angleterre, qu’ils suppliaient d’intervenine se soucia guère d’entrer en lutte ouverte avec une puissance qudétenait tous les débouchés de la Baltique ; et, comme il avait depuiquelques années déjà des difficultés commerciales avec la Hanse, i préféra engager avec Marguerite des pourparlers d’alliance. La ligu





hanséatique elle-même soutint mal les prétentions mecklembourgeoises ; quelques villes seulement, comme Wismar et Rostock, dont lduc de Mecklembourg était suzerain, embrassèrent sa cause ; les au

tres restèrent neutres. Attachés à leurs intérêts commerciaux, désireud’accroître leur prospérité matérielle, les Hanséates s’inquiétaient pedes conséquences politiques de la crise ; ils souffraient de l’insécuritdes mers et désiraient la paix à tout prix. Car la lutte entre Margueritet les Mecklembourg avait donné une nouvelle impulsion à la pirateridans les mers septentrionales. Stockholm, qui tenait toujours pour Al bert, était devenu un véritable repaire de brigands, vivant de la courseravageant les côtes de la Baltique, s’emparant des convois et faisanun tort immense au commerce hanséatique. Pour mettre fin à cet intolérable état de choses, Lübeck et l’Ordre teutonique proposèrent leumédiation. Par le traité de Lindholm, signé au mois de juin 1395, Al bert renonça à tous ses droits sur la Suède ; les Hanséates acceptèrende payer sa rançon et, comme gage, reçurent la ville de Stockholmqu’ils allaient, au bout de trois ans, revendre à Marguerite. L’effeimmédiat de la paix fut bien, comme la Hanse l’avait espéré, de réta blir le calme dans la Baltique ; la piraterie, gênée déjà pal’occupation de Stockholm, fut définitivement maîtrisée lorsqu’e1398 le grand-maître de l’Ordre teutonique, Conrad de Jungingens’empara, dans l’île de Gotland, du port de Visby, où s’étaient réfu

giés les écumeurs de mer.Mais la Hanse avait fait le jeu de Marguerite. Débarrassée des

Mecklembourg par la renonciation d’Albert, elle était maintenant emesure de consolider sa victoire. Elle se choisit un successeur en l personne de son petit-neveu Éric de Poméranie qu’elle fit élire en Danemark et en Norvège. En juillet 1396, p403 elle décida les nobles sué-dois à l’accepter également comme roi et put, un an après, à Kalmaen Suède, le 20 juillet 1397, faire solennellement procéder à son triplcouronnement. À cette occasion, les diètes des trois royaumes jetèren

les bases du statut futur de la Scandinavie : la Norvège, le Danemaret la Suède, tout en conservant leurs institutions respectives, devaiendemeurer perpétuellement unis sous un même roi. Sans doute on laissait sans solution des problèmes aussi importants que l’ordre de lsuccession dynastique ; mais, tout imparfait qu’il fût, l’acte de Kalmaconsacrait la domination de Marguerite sur la Scandinavie tout entière.





L’union de Kalmar ne put néanmoins rétablir la paix en Scandinavie. Elle consacrait, en fait, la victoire du Danemark, le plus peuplé, l plus actif et le plus évolué des trois royaumes. Marguerite est une Da

noise, et c’est au profit du Danemark qu’elle entend faire fonctionnele régime de l’union. Aussi installe-t-elle en Suède des officiers danois, qui soulèvent l’opposition de l’aristocratie et du clergé en exigeant la restitution des domaines de la couronne usurpés depuil’avènement d’Albert. Elle a même la prétention de mettre les forcede ses trois royaumes au service des intérêts danois en rouvrant im prudemment la question du Slesvig. En 1404, à la mort du comte Gérard VI de Holstein, elle occupe militairement le fief ; sur lequel lecomtes de Holstein ne semblent avoir eu en effet que des droits précaires. La veuve du vassal, ainsi dépossédée, fait appel aux princeallemands du nord, qui se coalisent contre l’usurpatrice (1409) et ludéclarent une guerre sans merci (1410). Battue par les troupes allemandes à Eggebeck, Marguerite doit signer un armistice (1411) ; maielle s’acharne à la conquête du Slesvig, et c’est au siège de Flensborqu’elle meurt, atteinte de la peste, en octobre 1412.

II. — Le règne d’Éric de Poméranie (1412-1439)119 L’échec de Marguerite aurait été plus grave si les Hanséates

avaient profité de ses embarras pour l’attaquer vigoureusement. Mail’insécurité grandissante de la Baltique avait p404 affaibli leur ligue etcompromis leur suprématie commerciale. Les villes de la Hansétaient en proie depuis quelque temps déjà à une agitation profonde comme dans les cités flamandes et italiennes au siècle précédent, lmenu peuple, aigri par la crise économique dont il subissait le contrecoup, s’y soulevait contre l’aristocratie marchande, qu’il rendait res ponsable de ses maux et à qui il tentait d’arracher le pouvoir. À Lü beck, le parti démocratique s’empare du gouvernement en 1405 et s’maintient pendant plusieurs mois ; à Stralsund, c’est un bourgeoiambitieux, Wulf Wulflam, qui exerce la tyrannie, et, à sa mort, laissla ville dans l’anarchie (1409).

Ces circonstances favorisent Éric dans les premières années de sorègne personnel, car bien que nominalement roi depuis l’acte de Kal 119 OUVRAGES À CONSULTER .





mar, le jeune prince poméranien n’a, jusqu’à la mort de Margueriteguère tenu de place dans le gouvernement. Il profite del’affaiblissement de la Hanse, de l’alliance qu’il noue avec le nouvea

roi des Romains, Sigismond, pour pousser de l’avant en Slesvig : ldiète danoise de Nyborg, en 1413, prononce la confiscation du duchésous prétexte de félonie, en expulse les comtes de Holstein au profdu roi, seul héritier légitime ; deux ans plus tard, Éric fait reconnaîtrsa suzeraineté sur Lübeck. Mais bientôt ses convoitises territoriale provoquent les haines de tous les pays germaniques du nord et rallument la guerre, sans cesse attisée par la Hanse, qui craint pour ses prvilèges. La guerre du Slesvig reprend dès 1417, coupée seulement pade courtes trêves. En 1426, Lübeck, Wismar, Rostock, StralsundHambourg et Lunebourg s’allient au comte de Holstein et préparenavec lui une grande attaque : l’année suivante, leurs flottes unies détruisent les navires danois dans le Sund, dévastent les côtes Scandinaves, pillent Bergen et manquent d’emporter Copenhague d’assautÉric parvient à rompre leur coalition, mais non point à les vaincreAussi se voit-il amené, en 1432, à solliciter un armistice qui, en 1435se transforme en paix définitive : le traité enregistre sa renonciation aSlesvig et la confirmation solennelle de tous les privilèges des marchands hanséates.

Cet échec éclatant n’était rien en comparaison des difficultés p405 où le souverain danois allait se trouver engagé en Suède. L’autorité dsouverain y était restée toute nominale. Derrière la haute aristocratietoujours jalouse de ses privilèges, d’autres classes sociales étaient prêtes à la révolte : le bas clergé, furieux de voir les sièges épiscopauxoccupés par les créatures de Marguerite ou d’Éric, et surtout la massimposante des paysans libres, que les dures exactions des fonctionnares danois avaient exaspérés. La défaite d’Éric dans sa guerre contre lHanse décida de la révolte. En 1431, sous la direction d’un chevaliede petite noblesse, Engelbrekt Engelbrektsson, les paysans du centr

de la Suède se soulèvent contre l’autorité royale ; bientôt toute la Dalécarlie tombe en leur pouvoir. Seules quelques villes, où la bourgeoisie dominait, refusent de lui ouvrir leurs portes. Proclamé régent pases partisans, Engelbrekt organise une puissante armée de paysans qutient tête aux attaques successives menées par les gouverneurs danoisEn quelques années, il groupe autour de lui de redoutables forces, e jusqu’en 1435, reste maître du pays.





Pourtant, malgré son énergie, il se montre incapable de fairel’union des partis. Les seigneurs s’inquiètent d’une révolution quiconduite par des paysans, prend mauvaise tournure pour eux ; les in

surgés menacent les châteaux, répandent de dangereuses théories égalitaires. Le clergé ne se sent pas moins exposé : il craint pour luimême les excès qui viennent d’ensanglanter la Bohême et soupçonnles révoltés de « hussitisme ». Éric, à ce moment libéré de toute inquiétude du côté de la Hanse, concentre ses efforts sur la Suède. Il n’ pas de peine à grouper autour de lui les hautes classes. En 1435, il sfait de nouveau reconnaître comme roi, à charge de réserver toutes lefonctions publiques, sauf le gouvernement des grandes villes, à denobles suédois. L’année suivante, l’union de Kalmar, si souvent trou blée, est de nouveau proclamée. Le roi promet de passer quatre mo par an dans chacun de ses royaumes, et, tout en leur laissant leur autonomie, décide que les affaires extérieures seront réglées par leconseils réunis des trois pays. Enfin, en avril 1436, un noble de hautnaissance, Charles Knutsson, fait assassiner Engelbrekt et se proclame, au nom d’Éric, administrateur du royaume de Suède (1436). Lrévolution paysanne avait échoué contre l’égoïsme des hautes classeDu moins avait-elle montré le chemin qui, au siècle suivant, devaiconduire à l’indépendance suédoise.

Le règne d’Éric touchait à sa fin. Malgré les promesses de la p406 diète suédoise, il avait pratiquement perdu le contrôle de son royaumoriental, où Knutsson parlait en maître. Bientôt les noblesses danoiset norvégienne se soulevaient à leur tour contre l’impopulaire souverain ; en 1439, elles le déposaient et appelaient sur le trône son neveChristophe de Bavière, fils du comte palatin Jean de Bavière.

III. — La fin de l’union de Kalmar (1439-1453)120 Le nouveau roi ne fut guère plus heureux que ses prédécesseurs, e

il lui fallut plusieurs années pour consolider son trône chancelant. Isut pourtant mettre à profit les embarras de Knutsson en Suède, oùl’anarchie persistait sous un administrateur incapable, pour le déposséder de sa dictature ; mais Knutsson n’abandonna le pouvoir qumoyennant la cession, à titre de fief pratiquement indépendant, de l






Finlande et de l’île d’Œland. Couronné à Stockholm en 1441, Christophe ceignit la couronne de Norvège l’année suivante, et, en 1443celle de Danemark, refaisant ainsi, au prix de luttes épuisantes, l’unit

tant de fois ébranlée.Mais les guerres civiles avaient usé l’énergie des populations

Scandinaves. Les Danois, qui sous Marguerite avaient été les maîtrese voyaient maintenant supplantés par les Allemands qu’Éric — uPoméranien —, puis Christophe — un Bavarois — avaient amenéavec eux. Dans les classes aisées, la langue allemande se substituai peu à peu au danois. La Hanse elle-même tendait à reconquérir, quoque lentement, la suprématie commerciale que Marguerite lui avaivictorieusement disputée.

Aussi, lorsqu’en 1448, Christophe disparut sans héritier, fut-ce encore à des princes allemands que la noblesse danoise fit appel. Le duAdolphe de Slesvig et Holstein refusa la couronne, qui fut ensuite offerte à Christian d’Oldenbourg. Les mêmes troubles qui avaient marqué l’avènement de Christophe, se répétèrent à celui de Christian. Durant l’interrègne, Charles Knutsson était rentré en Suède, où, à la têtd’une partie de la noblesse, il s’était approprié la couronne. Non san peine, Christian parvint à se faire reconnaître en 1450 par la noblessde Norvège ; il finit même, trois ans après, à la suite de luttes p407

confuses, à triompher momentanément de Charles Knutsson et puêtre couronné à Stockholm ; mais, ce n’était qu’un triomphe éphémère, et il était visible dès ce moment que le régime, de l’union, tel qu’avait été proclamé à Kalmar en 1397, avait fait son temps et étaicondamné à disparaître. p408

Table des matières

Bibliographie duchapitre IV Les États Scandinaves au temps de l’union de Kalmar

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Danmarks riges historie[Histoire duroyaume du Danemark], par J. Steenstrup, Erslev, Heise, etc., t. II, paJ. Steenstrup (Copenhague, 1905, in-4°) ; Det danske folks historie[Histoiredu peuple danois], publ. sous la direction d’A. Friis, A. Linvald e





M. Mackeprang, t. III (Copenhague, 1928, in-8°) ;Sveriges historia till vàradagar [Histoire de Suède jusqu’à nos jours], publ. sous la directiond’E. Hildebrand et L. Stavenow, t. II et III (Stockholm, [1926-1931], 2 vol. in8°) ; Norges historie fremstillet for det norske folk [Histoire de Norvège expo-sée au peuple norvégien], par Bugge, Hertzberg, Johnsen, etc., t. III

let2(Chris-tiania, 1915-1917, 2 vol. in-8°) ; Knut Gjerset, History of the Norwegian peo-

ple (New-York, 1915, 2 vol in-8°), t. I ; O. A. Johnsen, Norgesveldets under- gang [La chute de l’empire norrois] (Oslo, 1924, in-8°), qui est une histoirgénérale de Norvège, de 1319 à 1537.

I. Marguerite de Danemark et l’union des trois royaumes OUVRAGES A CONSULTER . — Aux ouvrages généraux cités à la note précédente,

joindre Kr. Erslev, Danmarks historie under dronning Margreihe og Erik af

Pommern[Histoire du Danemark sous la reine Marguerite et Éric de Poméranie] (Copenhague, 1882-1901, 2 vol. in-8o), t. I : Dronning Margrethe og Kalmarunionens grundlaeggelse[La reine Marguerite et l’établissement del’union de Kalmar], qui dispense des travaux antérieurs. — Sur le rôle de lHanse, E. Daenell,Geschichte der deutschen Hanse in der zweiten Hälfte des14. Jahrhunderts(Leipzig, 1897, in-8°) ; du même. Die Blütezeit der deuts-chen Hanse. Hansische Geschichte von der zweiten Hälfte des 14. Jahrhunderts bis zum letzten Vierfei des 15. Jahrhunderts(Berlin, 1905-1906, 2 vol.in-8°) ; P. Girgensohn, Die skandinavische Politik der Hansa, 1375-1396(Upsal, 1899, in-8°, de la série « Üpsala Universität årsskrift », 1899).

II. Le règne d’Éric de Poméranie (1412-1439) OUVRAGES À CONSULTER . — Kr. Erslev, ouvr. cité, p. 401, t. II : Erik af Pom-

mern ; hans kamp for Sonderjylland og Kalmarunionens oplösning [Éric dePoméranie ; sa lutte pour le Slesvig, et la dissolution de l’union de Kalma(Copenhague, 1901, in-8°) ; — sur la guerre du Slesvig et le rôle de la HansE. Daenell, Die Hansestädte und der Krieg um Slesvig , dans la Zeitschrift für schleswig-holsteinische Geschichte; t. XXXII (1902), p. 271-450 ; du même, Die Blütezeit der deutschen Hanse, cité p. 401 ; — sur la révolte d’Engelbrekt,H. Schuck, Engelbrekt (Stockholm, 1915, in-8°) ; J. Paul, Engelbrecht Engel-brechtsson und sein Kampf gegen die Kalmarer Union(Greifswald, 1921,96 pages in 8°, fasc. 1 des « Nordische Studien »). — Voir, en outreles’ouvrages généraux indiqués p. 401.





III. La fin de l’union de Kalmar (1439-1453) OUVRAGES À CONSULTER . — Les ouvrages généraux indiqués p. 401 ; le livre

d’Erslev indiqué p. 404 ; et, parmi les travaux de détail, W. Christensen

Unionskongerne og Hansestaederne, 1439-1466 (Copenhague, 1896, in-8°).





Table des matières

Chapitre V

La Pologne sous les premiers Jagellons 121

Plus encore que la Scandinavie, la Pologne était menacée, vers

1380, par les progrès de ses voisins allemands ; mais les succèqu’elle remporta dans la lutte qu’elle engagea presque en même tempcontre eux furent plus francs et plus durables.

Après avoir été, pendant quelques années, réunis sous la domination de Louis le Grand, les deux royaumes de Hongrie et de Pologns’étaient séparés de nouveau à sa mort (1382). Tandis que l’une defilles du roi défunt, Marie, était reconnue en Hongrie et, par son mariage avec Sigismond, apportait la couronne de saint Étienne dans lmaison de Luxembourg, les nobles polonais, qui gouvernaient au nom

de la cadette, Hedvige, refusèrent de se laisser absorber par le germanisme envahissant et donnèrent à leur reine un mari qui apportait avelui tout un programme d’expansion slave, le duc de Lituanie Jagellondit Ladislas. L’avènement de ce prince barbare, tout juste converti achristianisme, marque une date importante dans l’histoire de la Pologne. Il va permettre, par l’union étroite de la Pologne et de la Lituani jusque-là rivales, la formation d’un grand empire ; les frontières orientales des pays allemands vont être ébranlées, l’Ordre teutonique vretomber sous l’influence polonaise. Et, par surcroît, contre les Turcqui font alors leur apparition sur le Danube, la Pologne va se trouvela seule puissance capable de résister victorieusement à l’envahisseuasiatique. p409






I. — L’union de la Pologne et de la Lituanie sousLadislas II Jagellon (1382-1434)122

L’avènement de Ladislas II Jagellon123 au trône de Pologne, en1382, posa en tout cas dès le début pour le royaume slave un problèmdont la solution ne put être trouvée qu’après de longs tâtonnements celui de l’union des deux puissances jusqu’alors séparées, la Polognet la Lituanie, et le règne entier du premier Jagellon fut en grande partie occupé par les luttes que devait faire naître cette difficile union.

Le gouvernement qui avait imposé à la reine Hedvige le mariage lituanien était formé de grands seigneurs laïques et ecclésiastiques de lPetite Pologne ; mais leur choix, dicté par la nécessité d’échapper l’emprise germanique, n’alla pas sans susciter l’opposition violentdes provinces occidentales du royaume, où l’esprit particulariste éta plus fort que jamais. Même en Petite Pologne, il fallut compter avec lmécontentement que provoqua dans les rangs inférieurs de la noblessune union qui réveillait de vieilles méfiances envers les païens de Lituanie, et qui semblait devoir entraîner avec elle la dictature des hautes classes. Celles-ci, au surplus, trouvèrent à qui parler : ce fud’abord la reine Hedvige, qui, vite libérée de leur tutelle, régna ensouveraine presque absolue ; puis, après sa mort survenue en 1399Ladislas Jagellon lui-même, dont la personnalité s’accusait de plus e plus. Ce Lituanien, qui n’oublia jamais sa patrie d’origine et qui savason autorité mal assurée en Pologne, poursuivait, maintenant que l’âgavait atténué en lui l’impétuosité de la jeunesse, une politique méthodique et prudente, où la violence et la force cédaient le pas à la ténacté. Plein de bon sens, mais d’une culture insuffisante, il se sentait gêndevant les grands seigneurs polonais, surtout devant les prélats. Il éta plus à l’aise au milieu des rudes guerriers p410 de son pays, où la ruseet la violence étaient de règle. À Cracovie, il sut se maintenir grâce la collaboration de ses ministres polonais et de ses lieutenants lituaniens ; mais il eut à réprimer sans relâche l’ambition toujours croissante des nobles de Petite Pologne qui, partisans eux aussi de l’unio

122 OUVRAGES À CONSULTER .123 Les personnages appelés Ladislas II Jagellon et Ladislas III Jagellon sont g

néralement appelés Ladislas V et Ladislas VI de Pologne. (Note du tome 2)





avec la Lituanie, ne la comprenaient que comme préface àl’absorption du duché par la Pologne. Aussi se méfiaient-ils du roi, e pour maintenir à la fois leur influence et la domination polonaise su

la Lituanie, n’hésitaient-ils pas à y encourager le séparatisme, danl’espoir que le souverain, s’y sentant affaibli, se verrait obligé de slivrer à eux.

Ladislas, au contraire, considérait comme une tâche sacrée de fairde la Lituanie l’égale de la Pologne. Aussi, tout en garantissant, à cette dernière, en 1386 et 1388, ses droits fondamentaux, décide-t-id’introduire sans délai la religion catholique dans le duché, resté jusqu’alors païen. En 1387, il fonde l’évêché de Vilno et accorded’emblée aux boïars convertis des privilèges qui rapprochent leu

condition de celle des seigneurs polonais. La Samogitie est la seul province du grand-duché de Lituanie où le paganisme tienne bon partout ailleurs il cède rapidement du terrain ; et dès la fin duXIVe siè-cle, la victoire de l’Église y apparaît complète.

On ne saurait dire toutefois qu’entre la Lituanie et la Pologne il yait fusion. Devenu roi de Pologne, Ladislas y passe la majeure partide son temps, et son absence irrite ses anciens compatriotes. Ses frères, ses cousins, les membres de l’aristocratie complotent contre luavec d’autant plus d’ardeur qu’ils se croient mûrs maintenant pou

l’exercice des mêmes libertés que les Polonais. Et, pour tenter de mater cette noblesse qui s’agite et donner, dans une certaine mesure, satisfaction à ses besoins d’indépendance, Ladislas, débordé, doit fairappel au concours d’un de ses cousins, Vitold, sur la loyauté duquel icroit pouvoir compter. Il fait donc de Vitold son lieutenant dans legrand-duché, dont l’autonomie se trouve ainsi respectée théoriquement.

En fait d’ailleurs l’autorité et la liberté d’action de ce nouveaugrand-duc vont sans cesse grandissantes : un pacte conclu à Vilno en

1401 et ratifié à Radom, assure l’union indissoluble des deux État polonais et lituanien, mais les place sur un pied d’absolue égalité. Vtold reprend à son compte la politique d’expansion des grands-ducs dLituanie ses prédécesseurs : non seulement il ramène à l’obéissance lSamogitie, devenue p411 presque indépendante, mais son influences’étend bientôt sur les princes de Tver, de Kazan et de Moscou. En1420 son prestige est tel qu’il se voit offrir par les Hussites révoltés l





trône de Bohême : n’osant l’accepter pour lui-même, on sait124 qu’il ydélègue son neveu Sigismond Korybut (1422). Loin de recevoir dLadislas son mot d’ordre, c’est lui qui tend à prendre chaque jour plu

d’influence sur l’esprit de son cousin vieillissant : en 1422, il lui famême épouser en quatrièmes noces sa propre nièce Sophie. Au sur plus, l’aristocratie lituanienne ne se laisse pas oublier : on ne peut s passer de son consentement lors de la conclusion du pacte d’union d1401 ; on est obligé, en 1413, d’accroître encore ses privilèges. Enmême temps Vitold accorde aux Lituaniens une administration distincte, sur le modèle de l’administration polonaise ; il va même jusqu’à engager des pourparlers avec le roi des Romains Sigismond, evue de se faire attribuer le titre royal. Mais la mort vient soudain, e1430, interrompre ces projets dangereux pour l’avenir de l’union dgrand-duché et de la Pologne.

II. — La lutte contre l’Ordre teutonique :la bataille de Grünwald (1410) et la paix de 1435125

L’Ordre teutonique n’avait pas vu sans appréhension l’entrée de lLituanie dans le monde chrétien : appelé à convertir les païens, n perdait-il pas ainsi une partie de sa raison d’être ? Il allait se trouvedésormais environné d’États chrétiens et aurait grand’peine à justifie

son existence, à moins de devenir lui-même le noyau d’un État sem blable à ceux du voisinage.

Pendant un temps, ces défenseurs-nés du christianisme ne semblen pas avoir de plus vif désir que de l’empêcher de gagner du terrain eLituanie ; ils s’emploient par une propagande perfide à démontrer l’Europe que les habitants de ce pays demeurent, en dépit de leur ap parente conversion, de vrais païens, contre lesquels une croisads’impose, et ils sont assez p412persuasifs pour décider en 1390 un petitgroupe de chevaliers anglais, conduits par Henri de Lancastre, à venise mettre à leur service pour la poursuite de la guerre sainte. De 139à 1392, la Lituanie, où ils ne cessent de provoquer des troubles, esl’objet de leurs attaques ; ils s’infiltrent dans la Samogitie pour essayer d’établir des communications directes entre la Prusse et la Livo 124 Voir ci-dessus, p. 393.125 OUVRAGES À CONSULTER .





nie et réussissent à s’en faire céder une partie par le grand-duc Vitolà la paix de Salin (1398). Les Teutoniques semblent dès lors n’êtr plus que l’avant-garde du germanisme s’élançant à l’assaut de la L

tuanie dans le dessein exclusif de la détacher de la Pologne. Contrl’ennemi commun, Polonais et Lituaniens se trouvent ainsi amenés faire front unique.

Ce ne fut guère cependant avant les premières années duXVe siècleque Ladislas s’attaqua résolument aux Teutoniques. Jusque-làd’ailleurs, en Pologne, le pouvoir avait été en réalité exercé par safemme, Hedvige, qui avait surtout paru préoccupée de faire valoir sedroits à l’ensemble de la succession de Louis le Grand. Elle était parvenue en 1387 à assurer à la Pologne la possession de toute la Ruthé

nie ; puis avait réclamé la suzeraineté de la Moldavie et de la Valachie, disputé, après la mort de sa sœur Marie, le royaume de Hongrie Sigismond, obtenu de lui qu’il se désistât au moins de ses prétentionsur la Pologne, avait enfin élargi en 1396 la suzeraineté polonaise sula Bessarabie. En même temps, ayant accepté, par devoir, le mariaglituanien, elle s’était appliquée avec une pieuse ardeur à hâterl’évangélisation de la Lituanie, en faisant instruire à l’Université dPrague des jeunes gens du pays capables d’y répandre ensuite la bonne parole. Et sa dernière pensée avant de mourir, en 1399, avait été dléguer toute sa fortune à l’Université de Cracovie, pour en faire unfoyer de civilisation qui pût rayonner sur les deux États réunis sous lsceptre des Jagellons. Mais du côté de la Prusse, elle s’était tenue sula défensive : elle avait laissé passer sans riposte la campagne deTeutoniques contre la Lituanie, de 1390 à 1392, et quand ceux-cavaient, peu après, fait mine de vouloir dépecer la Pologne elle-mêmavec l’aide du roi Sigismond de Hongrie, elle avait tout de suite préféré négocier une paix boiteuse.

Mais, Hedvige disparue, les choses avaient changé. Dès 1401, uninsurrection en Samogitie et, en Lituanie, la trahison de Swidrigiellonfrère de Ladislas, rallumaient la guerre entre l’Ordre et la LituanieAprès deux ans d’hostilités, une paix fut signée en 1404 à Racionz par la Lituanie et la Pologne réunies. p413 Sans doute le traité conclun’était pas très avantageux pour Ladislas, qui obtenait seulement ldroit de racheter les territoires illégalement occupés par l’Ordre mais, en face de l’adversaire, l’unité d’action de la Pologne et de lLituanie s’affirmait pour la première fois. Elle allait se marquer enco





re davantage par la suite ; car, avec les Teutoniques, ce n’était que partie remise. Des escarmouches constantes pour la possession devilles frontières, puis une nouvelle insurrection en Samogitie démon

trèrent que la paix ne pouvait durer. Aussi des deux côtés, fit-on entoute hâte des préparatifs pour une rencontre décisive. Le grandmaître des Teutoniques, Conrad de Jungingen, acheta, moyennansoixante mille florins, l’appui de Venceslas de Bohême ; il obtinl’alliance secrète de Sigismond de Hongrie, qui n’hésita pas à romprses engagements antérieurs, mais que l’hostilité de la noblesse hongroise devait finalement empêcher d’intervenir ; il s’assura par surcroît le concours des princes de Poméranie. Quant au roi de Pologneil sut grouper autour de lui non seulement Vitold et les petits princede Mazovie, mais encore des auxiliaires tchèques et des contingent barbares venus de Lituanie.

Ladislas entra en campagne au début de l’été 1410, et, descendan par la rive droite de la Vistule, rarement suivie, engagea, le 15 juillela bataille dans les plaines de Tannenberg et de Grünwald. L’arméedes Teutoniques y fut écrasée. C’était la première grande victoireremportée par la Pologne : le retentissement en fut considérable. Dansa marche en avant sur Marienburg, Ladislas fut partout reçu en libérateur, tant par les villes que par la noblesse. Le commandant detroupes teutoniques, Henri de Plauen, lui fit immédiatement des offrede paix, qu’il eut le tort d’écarter, car, le grand-duc Vitold et les princes de Mazovie s’étant peu après retirés de la lutte, le roi, isolééchoua devant Marienburg et dut se contenter, en 1411, de la paix deThorn, par laquelle il récupérait la Samogitie, avec quelques places dla frontière, et recevait une indemnité de guerre.

La victoire de Tannenberg n’avait donc valu à la Pologne aucunavantage définitif : les Teutoniques se préparaient de nouveau à la lutte tout en se livrant à une active campagne diplomatique et en faisanappel au roi de Hongrie Sigismond comme arbitre. Déjà celui-ci, qusans abandonner son alliance secrète avec l’Ordre, préférait ne pas s brouiller avec la Pologne, avait proposé son arbitrage en 1410 ; devenu roi des p414 Romains, il le renouvela en 1412, et, pour se faire bienvoir de Ladislas, signa avec lui le traité de Lubovla où, pour prix de lneutralité polonaise dans la lutte qu’il entreprenait alors contre Veniset les Habsbourg, il lui cédait temporairement une partie du territoirde Zips.





Cependant la querelle avec la Prusse s’éternisait : une nouvellecampagne, en 1414, connue sous le nom de « guerre de famine », nmodifia guère la situation ; les deux partis poursuivirent la lutte à cou

de pamphlets au concile de Constance. En 1419, dans le dessein d’efinir, Ladislas conclut avec le roi de Danemark Éric une alliance offensive qui préludait aux accords ultérieurs entre la Suède et la Pologne, mais dont les événements empêchèrent alors de tirer parti. Dumoins un nouvel arbitrage de Sigismond, prononcé à Breslau en 1420vint-il clore temporairement les hostilités : la paix, signée à Melno e1420, consacra, sans y rien ajouter, les résultats obtenus dix ans auparavant, c’est-à-dire la conquête de la Samogitie et des villes frontières

Ce n’était qu’une trêve. Lorsqu’à la mort de Vitold, en 1430, le

frère du roi de Pologne, Swidrigiellon, protégé par les Teutoniquesvoulut se rendre maître de la Lituanie, la guerre recommença. Interrompue à nouveau en 1431, reprise pour quelques mois en 1433, llutte cependant touchait à sa fin. La débâcle de leur protégé Swidrigiellon, que supplanta le grand-duc Sigismond, enleva aux Teutoniques leur dentier espoir. Ils durent se résigner à accepter en 1435 l« paix perpétuelle » que leur offrait l’évêque Zbigniev Olesnicki : il promirent de verser une lourde indemnité à la Pologne et à la Lituanis’engagèrent à ne plus recourir désormais à l’arbitrage impérial, et scondamnèrent, en fait, à un isolement impuissant en face du royaum polonais. Ayant, au cours de la lutte, perdu et leur autorité sur leursujets, et leur vieux prestige militaire, ils étaient prêts à accepter lsuzeraineté de leurs voisins.

III. — La succession de Ladislas Jagellon126 C’est avec raison que Ladislas Jagellon est resté avant tout pour l

postérité le vainqueur des Teutoniques, et si le succès ne couronna patoujours ses efforts il faut, pour le juger à sa p415 mesure, tenir comptedes difficultés presque insurmontables avec lesquelles il se trouva au prises.

Il ne faut pas oublier en effet que ses droits au trône de Pologneétaient contestés par beaucoup, et qu’à tout propos, depuis la mort d






sa femme Hedvige, de qui il les tenait, la noblesse du royaume nmanquait pas de le lui faire sentir. Le mal s’aggrava quand, le voyanavancer en âge, les seigneurs de Petite Pologne voulurent s’arroge

d’avance le règlement de sa succession. Dès 1421, ils avaient poussau mariage de sa fille, la princesse Hedvige, avec l’électeur Frédéride Brandebourg, qu’ils avaient désigné comme héritier présomptifMais lorsqu’en 1424, de son mariage avec Sophie de Lituanie, un filLadislas III, naquit au vieux roi, ils posèrent leurs conditions pour reconnaître les droits de l’enfant à la succession et réclamèrent des privilèges nouveaux. La liste en fut présentée au souverain en 1425 : celui-ci, poussé à la résistance par Vitold et fort de l’appui du roi deRomains, rejeta leurs demandes ; mais, en 1430, l’évêque de CracoviZbigniev Olesnicki, après avoir, par ses manœuvres, rompu l’alliancavec Sigismond, imposa au roi désarmé les revendications de la no blesse : la Pologne reconnaissait les droits d’un des fils du roi — caun autre enfant, Casimir, lui était né en 1427 — mais s’arrogeait l privilège de l’élire après sa mort, suivant « les conseils et la volonté de Vitold et des seigneurs lituaniens.

Cette abdication entre les mains de la noblesse fit perdre à Ladislas, dans les dernières années de son règne, le peu d’autorité qui lurestait. Désormais, et surtout après la disparition de Vitold, la direction des affaires tomba entièrement entre les mains de Zbigniev. C’esgrâce à ses manœuvres qu’en Lituanie, Sigismond, frère de Vitold, putriompher de son rival Swidrigiellon, le propre frère du roi Ladislasil força même ce dernier, au traité de Grodno (1431), à reconnaîtrcette usurpation. Le roi dut par surcroît, en 1433, renouveler solennelement à Cracovie tous ses engagements antérieurs, si bien que lorsqu’il mourut enfin, le 1er juin 1434, son autorité était depuis long-temps réduite à néant.

Son fils Ladislas III127 — celui qu’on a surnommé Varnenczyk (« le martyr de Varna ») — n’avait que dix ans. Sa minorité permit Zbigniev d’étendre encore son influence, qui resta prépondérante pendant tout le règne (1434-1444). Esprit profondément religieux, d’unvaste culture, mais indépendant et autoritaire, il fit pour son pays derêves grandioses, quoique prématurés. p416 C’était déjà sous son impulsion que la Pologne, fortement attachée à la doctrine conciliaire

127 Ladislas III Jagellon est généralement appelé Ladislas VI de Pologne.





s’était ralliée au pape Martin V. Après l’échec des croisades germaniques, elle pouvait être considérée, en 1427 et 1428, comme l’uniqu puissance capable d’écraser l’hérésie hussite. Aussi Zbigniev, qui s

croyait appelé à défendre la religion catholique contre les dissidenttchèques, ne perdit-il jamais de vue les affaires de Bohême. Sans doute, quelques grands seigneurs polonais, à la suite des succès de Kory but, s’étaient rapprochés des Hussites et en avaient adopté les théories ; mais des lois sévères avaient été édictées en 1420 et en 1424contre les hérétiques de Pologne, et, malgré l’opposition, du parti lituanien, Zbigniev avait pour lui la masse de la petite noblesse, profondément attachée au catholicisme romain. Ses projets du côté dl’ouest était d’ailleurs favorisés par la faiblesse de l’empereur Sigismond dans les dernières années de son règne. Épuisé par sa luttecontre les hérétiques, toujours inquiété par la turbulence de la noblesse hongroise, l’empereur, après avoir vainement intrigué contre laroyauté de Ladislas en entretenant contre elle l’opposition des seigneurs et en s’alliant aux représentants du séparatisme lituanien, se vfinalement contraint, à partir de 1436, d’écouter les propositiond’alliance qui lui venaient du gouvernement polonais.

La mort du dernier des Luxembourg, en 1437, ouvrit à l’évêqueZbigniev de vastes horizons. Ceux des seigneurs qui restaient fidèleaux Hussites lui imposèrent bien d’abord l’envoi en Bohême du plu jeune frère du roi, Casimir, un enfant de dix ans, pour y disputer lcouronne à Albert de Habsbourg ; mais l’évêque-régent sut vite se tirer de ce guêpier. L’aventure de Casimir dura peu : en 1440, son frèrle confiait aux membres d’une mission chargée de rétablir l’ordre eLituanie, où le grand-duc Sigismond, après avoir, en 1435, triomphde Swidrigiellon, venait de tomber victime d’un complot de seigneurqu’irritait son autoritarisme. Au milieu de la lutte des partis, le prestge des Jagellons s’imposait déjà suffisamment pour permettre àl’enfant de rallier la plupart des suffrages et d’être proclamé grand

duc. Entre temps, Zbigniev rompait avec les Tchèques, ameutail’opinion polonaise contre les hérétiques et se réconciliait avec Alberde Habsbourg, reconnu en 1438 comme l’héritier de Sigismond.

La mort prématurée d’Albert (1439) replongeait bientôt la Bohême, dans l’anarchie. Zbigniev en profitait pour lui arracher, en 1443une partie de la Silésie. Mais déjà ses vues s’étaient p417 étendues au-delà, jusque sur la Hongrie, alors sans souverain légitime. Dès 1440





sans plus attendre, il y avait dépêché le roi Ladislas, qui, après unelutte très âpre, était parvenu à s’emparer de Bude. Dans l’esprit dl’entreprenant évêque, cette équipée n’était que le prélude d’une tenta

tive plus audacieuse encore. Comme le péril ottoman s’aggravait d jour en jour, il voyait déjà son pays à la tête de la grande croisade quallait bouter l’Infidèle hors d’Europe ; tandis que Ladislas, plus réaliste, ne songeait qu’à consolider son nouveau trône, tout en demandanà la Pologne, pour l’accomplissement de cette tâche ardue, les ressources en hommes et en argent qui lui manquaient. On verra128 com-ment, poussé par le nonce Cesarini, qui était alors chargé par la papauté d’organiser la lutte contre les Turcs, Ladislas mena en 1443 danles Balkans une campagne victorieuse, que devait couronner la paixde Szegedin, puis comment, lancé de nouveau contre les Ottomansl’année d’après, il trouva la mort sur le champ de bataille de Varna, e1444.

Cette défaite, grave pour toute la chrétienté, était un désastre poula Pologne. En engageant Ladislas dans l’aventure hongroise, Zbigniev n’avait été suivi par l’opinion publique ni en Pologne, ni en Lituanie. Le trésor était vide, les dettes de la couronne s’accumulaienet le désastre de Varna était pour le prélat responsable de cette politique d’aventure un échec irréparable.

IV. — Les débuts de Casimir Jagellon (1444-1453)129 La mort imprévue de Ladislas faisait passer l’héritage des Jagel

lons à son frère Casimir, un tout jeune homme encore, comptant peine dix-sept ans, mais que l’expérience avait déjà mûri. Au miliedes luttes compliquées où il s’était trouvé engagé en Lituanie duranles années précédentes, il avait appris l’art de gouverner, et il tenait dson père deux qualités essentielles : la persévérance et la prudence.

Les seigneurs polonais du parti de l’évêque Zbigniev, qui se figuraient pouvoir aisément manœuvrer le jeune prince, l’élurent p418 sansdifficulté comme roi dès 1445, tout en soutenant en Lituanie la candidature de Michel, fils du grand-duc Sigismond. Mais Casimir préten

128 Ci-dessous p. 497.129 OUVRAGES À CONSULTER .





dait régner par droit d’héritage et refusait de reconnaître la validitd’une procédure d’élection. Des négociations s’engagèrent entre le partis qui, en présence de l’attitude de Casimir, cherchèrent en vai

pendant deux ans à tomber d’accord sur le choix d’un candidat qui fû prêt à se soumettre à l’élection : les anciens partisans de l’évêque Zbgniev proposaient Frédéric de Brandebourg, les amis des Jagellonopposaient à cette candidature celle de Boleslas de Mazovie, qui passait pour une créature de Casimir. En fin de compte, Boleslas fut él(septembre 1446), mais réserve fut faite des droits de Casimir luimême, à qui on accorda un délai pour se prononcer définitivement.

Ces conférences entre les partis marquaient assez la faiblesse de lnoblesse polonaise pour que Casimir se crût enfin autorisé à accepte

la couronne qu’elle lui offrait ; mais il ne lui fit aucune promesse eéchange. Après avoir accordé à la Lituanie, le 2 mai 1447, un important privilège où il précisait la situation juridique du grand-duché ereconnaissait à la noblesse lituanienne les mêmes droits et les mêmelibertés qu’à la noblesse polonaise, il vint en juin se faire couronneroi de Pologne, terminant ainsi en sa faveur un interrègne qui avaiduré trois ans.

Très vite, malgré sa jeunesse, le nouveau roi se montra l’égal del’évêque Zbigniev, aussi bien sur le terrain international que dans le

affaires purement polonaises. Sortant de la neutralité qu’avait jusqu’alors observée le gouvernement des seigneurs dans la querellconciliaire, on le voit reconnaître le pape Nicolas V qui, en retour, luaccorde de nombreux privilèges. Tout en cherchant à entraverl’élévation de Zbigniev au cardinalat, il soutient l’archevêque deGniezno dans ses efforts pour s’assurer le maintien de la primatie danle royaume. En vain les partisans de Zbigniev s’opposent de touteleurs forces à sa politique monarchique ; en vain ils réclament au détriment de la Lituanie l’annexion de la Volhynie et de la Podolie à laPologne ; en vain ils soutiennent la candidature du fils de SigismondMichel, au grand-duché et réclament l’octroi d’un privilège généradestiné à régler en sa faveur le problème polono-lituanien : Casimitient bon et se refuse aux concessions. Pour venir à bout del’opposition, il renonce provisoirement à la politique d’expansion verl’est ; il se réconcilie même avec p419 le grand-duc de Moscou, Vasi-li II, menacé par la politique conquérante de la Lituanie au cours deannées précédentes. Un accord amiable intervient entre eux en 1448





qui place Novgorod et Pskov dans la sphère d’influence moscovite eTver dans la sphère d’influence lituanienne. En même temps, il reconnaît le métropolite Jonas de Moscou, désarmant ainsi les derniers par

tisans du duc Michel.Ces sages mesures brisent l’opposition du parti de Zbigniev, et

bien que le vieil évêque ait enfin obtenu le chapeau de cardinal, Casimir possède maintenant une autorité plus grande que n’en a jamais eson père. Maître incontesté de la Lituanie, n’ayant accepté son élection au trône polonais que sous l’expresse réserve de ses droits hérédtaires, il est le seul dispensateur des grâces. S’il se décide, en 1453, accorder à la noblesse le privilège qu’elle réclame depuis longtempc’est uniquement pour désarmer l’opposition et ramener le calme dan

le royaume, à un moment où les relations tendues avec les chevalierTeutoniques font présager une nouvelle rupture. Mais, tout en confirmant les droits et les privilèges de la Pologne, il proclame l’union perpétuelle de la Lituanie et des terres ruthènes avec ce pays. En faiil est sorti vainqueur de la lutte. Le cardinal ne survivra que deux anà la ruine de son prestige, et bientôt, lorsque la voie de la mer Noirva se trouver coupée par l’avance irrésistible des Ottomans, Casimimènera la Lituanie et la Pologne vers de nouvelles conquêtes, en leuassurant les débouchés de la Vistule. p420

Table des matières

Bibliographie du chapitre V La Pologne sous les premiers Jagellons

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Aux ouvrages généraux sur la Pologne,qui ont été cités p. 199, ajouter I. Kolankowski, Dzieje Wielkiego Ksiestwa Li-tetvskiego za Jagielhnów[Histoire du grand-duché de Lituanie au temps desJagellons], t. I : 1377-1499 (Varsovie, 1930, in-8°), essentiel ; R. UrbanekČ eske dejiny[Histoire des Tchèques], 3e section, 1re partie :V ě k Pod ě bradský (Époque de Podiébrad), t. I et II (Prague, 1915-1918, 2 vol. in-8o).





I. L’union de la Pologne et de la Lituanie sous Ladislas II Jagellon(1382-1434)

OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages d’ensemble indiqués à la note précé-dente, joindre A. Prochaska, Król Wladyslaw Jagiello[Le roi Ladislas Jagel-lon] (Cracovie, 1908, 2 vol. in-8°) ; Dabrowski,Wladyslaw I Jagielończyk (Ladislas Ier le Jagellonien) (Varsovie, 1922, in-8°) ; F. Papée, Polskai Litwana przelomie wieków średnich[La Pologne et la Lituanie vers la fin du moyenâge], t. I (Cracovie, 1903, in-8°) ; O. Halecki, Dzieje unji jagieloń skiej[His-toire de l’union jagelonienne], t. I (Cracovie, 1919, in-8°), auxquels on peajouter encore Lioubavsky,Otcherk istorii litwsko-rousskago gosudarstva [Précis d’histoire de l’État lituano-russe] (Moscou, 1910, in-8° ; 2e éd., 1915) ;K. Heinl, Fürst Witold von Litauen in seinen Verhältnissen zum deutschen

Orden, 1382-1401(Berlin, 1925, in-8°, fasc. 165 des « Historische Studien » publ. par E. Ebering) ; J. Pfitzner,Grossfürst Witold von Litauen als Staats-mann(Brunn, 1930, in-8°).

II. La lutte contre l’Ordre teutonique : la bataille de Grünwald (1410et la paix de 1435

OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les livres cités p. 409 et 410, K. Lohmeyer,Geschichte von Ost- und Westpreussen, t.I, seul paru (Gotha, 1880, in-8° ; 3e éd., 1908, de l’« Allgemeine Staatengeschichte » fondée par Heeren et Ukertqui s’arrête à la paix de Thorn, en 1411 ; M. Oehler, Der Krieg zwischen demdeutschen Orden und Polen-Litauen, 1409-1411(Elbing, 1910, in-8o) ;O. Laskowski, Grumvald (Varsovie, 1926, in-8o, extr. du Przeglad WiedzyWojskowej, 1926, t. II, p. 13-160) ; O. Halecki, La politique Scandinave des Jagellons, dans La Pologne au VI e congrès international des sciences histori-ques, Oslo, 1928(Varsovie, 1930, in-8o), p. 97-117.

III. La succession de Ladislas Jagellon OUVRAGES À CONSULTER . — Les mêmes que p. 409 et 410.

IV. Les débuts de Casimir Jagellon (1444-1453) OUVRAGES À CONSULTER . — Surtout celui de Kolankowski, cité p. 409, n. 1, et J.

Dabrowski, Il mare Nero nei rapporti fra Polonia e Italia nel medioevo, danLa Pologne au VIe congrès international des sciences historiques (cité p. 412), p. 47-52.





Table des matières

Chapitre VI

La fin de la guerre de Cent Ans 130

À l’Occident de l’Europe, le conflit franco-anglais, qui avait déjcausé tant de ravages durant leXIVe siècle, reprend dans la premièremoitié du suivant. Des efforts déployés par Charles V pour relever so pays et remettre en ordre les affaires du royaume, il ne subsister bientôt rien ou presque rien, car la mort prématurée du roi a valu lcouronne capétienne à un chétif enfant de douze ans, son fils Charles VI, dont l’avènement marque pour la France le début d’une période d’anarchie, plus longue et plus grave que toutes les autres, à unmoment où, en Angleterre, une nouvelle dynastie, celle des Lancastre

s’apprête à reprendre, en y apportant plus de persévérance et de méthode, les plans de conquête ébauchés dès Édouard III. Il s’en faudrde peu, en apparence au moins, pour que se réalisent alors les vieurêves d’hégémonie des Plantagenets. Les Lancastre régneront un instant sur la moitié de la France, et l’on parlera avec dérision du « roitelet de Bourges. » Et quand enfin, dans une sorte d’élan national, leFrançais, au signal d’une jeune bergère lorraine, auront balayé lederniers soldats d’Henri VI, les deux adversaires sortiront épuisés dl’interminable lutte, et le royaume capétien apparaîtra bien faible eface de cette autre Lotharingie, l’État bourguignon, qui s’est constituentre temps sur son flanc droit et qui le menace à son tour de sonétreinte mortelle. p421






I. — L’anarchie française (1380-1413)131

Avant de mourir, Charles V avait pris des dispositions précises envue de sa succession. Dès 1374, il avait fixé à quatorze ans la majoritde son fils ; il avait décidé en même temps que jusqu’à cet âge le jeune Charles devrait être, le cas échéant, placé sous la tutelle nominalde ses oncles, mais que le pouvoir effectif serait dévolu à un Conseformé des conseillers royaux les plus éprouvés. Sages dispositionqui, malheureusement, ne furent point suivies. Pressés de prendre emain tout le gouvernement, les oncles du roi, après une courte régencexercée par le duc d’Anjou, se hâtèrent de congédier les ministres drègne précédent. Tandis que Jean, duc de Berry, trouvait facilement satisfaire ses goûts de luxe dans l’administration du Languedoc, qu’olui laissa piller à sa guise, Louis, duc d’Anjou, et Philippe le Hardiduc de Bourgogne, auxquels vint se joindre le duc Louis de Bourbon beau-frère de Charles V, furent pendant quelques années les véritablemaîtres de la France.

Or Louis et Philippe ne pensaient guère qu’à travailler pour euxmêmes. Le premier, attaché au parti de Clément VII, était p422hanté132 par la conquête du royaume d’Adria, puis du royaume de Naples, où devait trouver la mort (1384). L’autre, solidement installé dans sonduché bourguignon, désirait étendre ses possessions. Il avait épouséen 1369, la fille du comte de Flandre, Louis de Male, dont il convoitait l’héritage. En 1379 les bourgeois de Gand, révoltés, avaient entraîné lès tisserands de Bruges et d’Ypres à leur suite et choisi pouchef Philippe d’Artevelde, le fils du héros tombé en 1345. C’est alorque Philippe le Hardi décida son neveu à courir contre les révolutionnaires : à Roosebeke, le 27 novembre 1382, une armée féodale française écrasait celle des « chaperons blancs » flamands et Arteveldrestait sur le champ de bataille. L’année suivante, comme une « croisade » de l’évêque de Norwich avait débarqué en Flandre et entreprenait le siège d’Ypres, Charles VI se porta au-devant des croisés eacheta leur retraite à prix d’or. Enfin, Philippe de Bourgogne ayansuccédé à Louis de Male en Flandre, en janvier 1384, ce fut encore

131 OUVRAGES À CONSULTER .132 Voir plus haut, p. 313.





une armée française que l’on demanda de châtier les derniers troubleet de presser ainsi la conclusion de la paix de Tournai (décembre1385), qui réconciliait les bourgeoisies urbaines et leur comte. Mêm

dans les questions de politique étrangère, c’est dans l’intérêt des oncles que se prennent les plus graves décisions : lorsque, de 1385 à1387, on effectue des préparatifs maritimes pour une prochaine descente en Angleterre, Philippe le Hardi a surtout pour but de châtier leAnglais qui sont intervenus contre lui en Flandre. Mais la descentn’ayant jamais pu s’opérer, par défaut d’organisation, Philippe se radoucit et signe une trêve (1388), qui, plusieurs fois renouvelée, aboutira, huit ans plus tard, à la réconciliation de Charles VI et de RicharII. Philippe, d’ailleurs vise plus haut et plus loin ; tournant ses regardvers l’est et le nord, il unit ses enfants à ceux d’Albert de Bavièrecomte de Hollande et de Hainaut, marie son neveu Charles VI à un princesse de la même maison, Isabeau de Bavière (1385), et mêmayant à se plaindre du duc de Gueldre, allié de l’Angleterre, il entraînecontre lui133 la France dans une expédition pour elle sans intérêt(1388).

Pendant ce temps, le royaume périclite. Les premières années durègne de Charles VI sont marquées par une série de soulèvements po pulaires qui ont pour causes la misère, les difficultés p423économiques,la lourdeur des impôts, et qui ont leur pendant en Flandre et en Angleterre. Dès avant la mort de Charles V, le Puy et diverses villes duLanguedoc, telles qu’Alais et Montpellier, s’étaient rebellées pou protester contre les exactions du duc de Berry. Comme Charles V, son lit de mort, avait supprimé les fouages de l’année, le peuples’imagina qu’il n’aurait plus à l’avenir d’impôts à payer. La seule menace d’un nouveau subside devait provoquer des mécontentements déjà, en novembre 1380, le gouvernement avait dû abandonner undemande d’impôts adressée aux États de langue d’oïl à Paris. Forcfut, cependant, après quelques mois d’attente, de décréter la levé

d’aides et de fouages. Aussitôt le peuple de Paris, armé de maillets d plomb dont il avait été s’emparer à l’Hôtel de Ville, se souleva, chassles collecteurs d’impôts et les officiers royaux, ouvrit les prisons, pillles archives du Châtelet. Il fallut l’intervention des bourgeois, et notamment de l’avocat Jean des Marès, pour venir à bout des émeutier

133 Voir ci-dessous, p. 454.





qu’on avait surnommés les « Maillotins » (mars 1382). Quelques jourauparavant, à Rouen, une émeute semblable, la « Hérelle », avait éclaté à l’occasion d’une augmentation du tarif des fouages, et les rebelle

s’étaient donnés pour des défenseurs des libertés normandes. Presqutoutes les villes du nord furent le théâtre de troubles analogues. Danle Midi aussi il y eut quelques soulèvements, notamment à Béziers edans les campagnes languedociennes, où ceux qu’on appela les « Tuchins », pauvres gens, maraudeurs et victimes de la guerre, cachédans les bois et les broussailles, tinrent tête longtemps aux officierroyaux.

Le gouvernement, qui s’était d’abord, à Rouen et à Paris, montrassez conciliant, attendit d’être débarrassé des affaires de Flandre pou

sévir. Revenus victorieux de Roosebeke, les oncles du roi feignirende croire à une alliance traîtresse entre les Parisiens et les métiers flamands ; ils s’en prirent aux bourgeois, qui pourtant avaient plutôcontribué à rétablir l’ordre ; plusieurs centaines d’entre eux furenemprisonnés ; un bon nombre, dont Jean des Marès, furent exécutésla prévôté des marchands fut supprimée. La commune de Rouen suble même sort ; partout les coupables furent traqués et durement châtiés. Villes et particuliers que l’on impliquait de façon arbitraire danles troubles durent payer d’énormes indemnités pour obtenir leur pardon ; si le gouvernement put ainsi facilement regarnir ses coffres, s’était aliéné, outre le bas p424 peuple, de nouveau pressuré d’impôts,la bourgeoisie marchande, jusque-là dévouée à la royauté, et la violence de la répression créa dans le royaume un malaise grave, d’où lmonarchie sortit amoindrie et détestée.

Toutefois, en novembre 1388, au lendemain de la Campagne deGueldre, Charles VI, qui avait atteint sa vingtième année et qui, poussé par son entourage, supportait mal la dictature de ses oncles, déclarsoudain qu’il allait prendre en main le gouvernement. Un reviremencomplet se produit : pendant quatre ans, le duc de Bourgogne perd lhaute direction des affaires du royaume ; par réaction contre un régime odieux, les anciens conseillers de Charles V sont rappelés au pouvoir. À côté de chevaliers comme Olivier de Clisson, connétable, et dl’amiral Jean de Vienne, ce sont surtout de petites gens, rompues auxaffaires du gouvernement, un Bureau de la Rivière pour la diplomatieun Jean le Mercier pour les finances. Ces hommes de rien, ces « marmousets », comme on les appelle par dérision, rétablissent immédia





tement la prévôté des marchands de Paris et y nomment Jouvenel deUrsins ; ils promulguent, de février à mai 1389, une série de grandeordonnances qui réorganisent tous les services gouvernementaux, Par

lement, chancellerie, cour des Comptes, aides, eaux et forêts ; ainsi lrégime administratif de Charles V est remis en vigueur et complétéEnfin, pour prouver son désir de remédier aux abus, le jeune roi entre prend en Languedoc un grand voyage, au cours duquel il envoie a bûcher comme hérétique un certain Bétizac, tenu pour responsable deexactions du duc de Berry.

Mais la bonne volonté de Charles se heurte à mille difficultés qu’iest trop faible pour surmonter ; il n’y a chez lui rien de la vigueur ede la persévérance de son père. Maladif, peu intelligent, il se laiss

dominer par son entourage comme par son goût du luxe et des plaisirEntraîné par sa jeune femme, Isabeau de Bavière, il gaspille argenttemps et santé dans des fêtes presque ininterrompues : ce ne sont qu banquets, bals, mascarades. Le célèbre « bal des ardents », où cinfavoris du roi, déguisés en sauvages, enduits de poix et d’étoupe, son brûlés vifs par la chute d’une torche enflammée, et où Charles lumême n’échappe que par miracle à un sort semblable (1393), n’esqu’un épisode parmi tant d’autres.

L’influence du jeune frère du roi, prince lui aussi frivole et fas-

tueux, se fait dès lors sentir chaque jour davantage. Louis, duc dTouraine, joint à des qualités d’intelligence et de bonne p425grâce, uneambition démesurée et désordonnée ; il lui faut le pouvoir et des terre pour satisfaire ses besoins d’argent. Non content de son duché de Touraine, il se fait donner par les Marmousets celui d’Orléans en apanag(juin 1392). Époux de Valentine Visconti, il forme des projets deconquêtes en Italie. Comme son cousin Louis II d’Anjou, il lie partiavec Clément VII, et entraîne Charles VI dans les préparatifs d’unexpédition coûteuse, dont les manœuvres du roi d’Angleterre parviennent heureusement à retarder, puis à faire abandonner l’exécution(1391). Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le gouvernement des Marmousets manque de stabilité. Amenés à augmenter leimpôts et à changer une fois de plus la valeur des monnaies, ils dressent contre eux les princes et l’opinion publique. Des querelles privéeviennent encore envenimer la situation : le connétable de Clissonayant échappé par miracle à un attentat tramé par son ennemi personnel, le duc Jean IV de Bretagne, Charles VI, malgré les hésitations de







et au margrave de Bade ; il occupe Toul et le duché de LuxembourgÀ la mort de Philippe le Hardi (avril 1404), l’avènement de son filJean Sans-Peur ne fait qu’aggraver le conflit. Jeune, intelligent, brav

à l’occasion, le nouveau duc est dévoré d’une ambition toujours plugrande. Au Conseil du roi, ce sont des luttes violentes entre les deuxcousins, d’âpres querelles, des prises d’armes suivies de réconciliations théâtrales, mais toujours provisoires et fragiles. L’ambition duduc d’Orléans n’a plus de bornes ; après avoir essayé, en août 1405d’enlever le dauphin, il accapare le gouvernement grâce à la complicté de la reine Isabeau, dont la rumeur publique le fait l’amant. C’esalors que dans la nuit du 23 novembre 1407, des écuyers aux gages dduc de Bourgogne préparent contre lui un guet-apens dans les rues dParis et l’assassinent. Le peuple, las de ses excès, ne s’émeut guère dsa mort ; mais la cour s’indigne, et Jean Sans-Peur, bien que débarrassé de son rival, doit s’enfuir dans ses terres d’Artois.

La disparition du duc d’Orléans ne met d’ailleurs pas fin àl’antagonisme des partis. Au contraire, elle est le signal d’une triste elongue guerre civile qui va mener la France aux pires catastrophesValentine d’Orléans et son fils Charles crient vengeance ; à partir d1410, le beau-père de ce dernier, Bernard VII d’Armagnac, épousleur querelle, et le parti orléanais, qu’on appelle désormais armagnacs’appuie sur ses redoutables bandes gasconnes. En présence des héstations p427du roi, incapable de décider entre Charles d’Orléans et Jeande Bourgogne, lequel a fait présenter par son conseiller Jean Petit, amois de février 1408, une audacieuse justification du tyrannicide, le partis se préparent à la lutte. Paris est plutôt favorable aux Bourgugnons, qui reprennent l’ascendant dans le Conseil du roi. Les rupturecontinuent d’alterner avec les trêves et les réconciliations boiteuses en novembre 1411, Jean Sans-Peur fait appel à des soudoyers anglaiet les introduit dans Paris ; l’année suivante, Charles d’Orléans et le princes engagent à leur tour des troupes anglaises, mais ils doiven

promettre, en revanche, de restituer la Guyenne à Henri IV ; le pérde l’invasion étrangère, la perspective du démembrement du royaumrien n’arrête la haine des factions.

Enfin, ajoutant encore au désordre, le peuple, mécontent, las d’êtropprimé, fait aussi entendre sa voix et manifeste sa colère ; les petitmarchands de Paris, entraînés par la corporation des boucherss’organisent. La grande bourgeoisie, plus conservatrice, est obligée d





suivre le mouvement. Tous mettent leur espoir dans la domination bourguignonne. Une assemblée d’États tenue à Paris en janvier 1413et à laquelle ne participent guère que des délégués du nord et de l’est

s’emporte en violentes critiques contre l’administration royale. Réclamant des réformes, la foule parisienne se soulève le 28 avril et pilll’hôtel du dauphin, qu’elle soupçonne de vouloir enlever le roi ; lmois suivant, sous la direction de l’échevin Jean de Troyes, elle envahit l’hôtel royal (22 mai), arrête et maltraite les officiers ou courtisanles plus détestés, parmi lesquels le propre frère de la reine. Les « Ca bochiens », comme on les appelle du nom d’un de leurs chefs, Simonnet le Coutelier dit Caboche, n’hésitent même pas à s’ériger en tribunal et procèdent contre leurs ennemis à de nombreuses exécutionsommaires.

Les princes se sentent impuissants. Allié involontaire des démagogues, le duc de Bourgogne doit répondre aux vœux populaires en promulguant, le 26 et le 27 mai, une longue ordonnance réformatricequi institue une série de conseils, les uns de gouvernement, les autrede surveillance, et étend le système électif à presque tous les officeadministratifs. Mais, loin de calmer les meneurs, cette réforme ne faque les inciter à réclamer davantage ; d’autre part, les violences deCabochiens commencent à jeter la panique dans l’entourage dû roi edu dauphin, chez les bourgeois et dans l’Université de p438 Paris.L’opinion se retourne alors contre les Bourguignons en faveur deArmagnacs ; Jean Sans-Peur, le 29 août, quitte Paris où il n’est plus esûreté, et les Armagnacs, revenus en triomphateurs, n’ont rien de plu pressé que d’annuler l’« ordonnance cabochienne », à laquelle isubstituent de cruelles mesures de répression (décembre 1413). Lguerre civile continue quand une nouvelle intervention anglaise viensoudain la compliquer et l’aggraver.

II. — L’avènement des Lancastre (1377-1413)134 L’Angleterre, épuisée par les efforts qu’elle avait dû fournir pou

répondre aux ambitieux desseins d’Édouard III, avait traversé, ellaussi, une période de crise intérieure qui la contraignait à se recueilliavant de reprendre son offensive sur le continent. À la mort d’Édouar






(juin 1377), la couronne, comme en France, s’était trouvée passer à uenfant de douze ans, Richard II, seul survivant des fils du Prince NoiLà, comme en France encore, les oncles du roi, le duc de Lancastr

Jean de Gand en tête, s’étaient emparés du pouvoir. Mais les souvenirs des dernières années du règne précédent rendaient Lancastre im populaire ; et, pour coûteux qu’ils fussent, les efforts militaires tenté pendant la minorité de Richard se révélèrent tous également stérilesLancastre en Bretagne (1378), Buckingham de Calais à Rennes, par lChampagne et la Beauce (1380), Cambridge en Portugal (1381) tentèrent des chevauchées p429désastreuses ; la flotte était ruinée, et le paysapparut sans défense. Les Parlements crurent parer aux difficultés enommant un « Conseil continuel » chargé du gouvernement et en instituant des commissions d’enquête. Mais la situation financière était mauvaise qu’il fallut recourir aux expédients : par deux fois, en 137et en 1381, on vota la levée d’un impôt nouveau, une capitation ou poll-tax, dont le poids retombait surtout sur la classe paysanne. Ce fule signal d’un terrible orage.

Depuis le Statut des « travailleurs » de 1351, la situation des paysans d’Angleterre n’avait fait qu’empirer. La cherté de la vie, llimitation des salaires, l’application assez rude du servage avaient accumulé les haines, à la fois contre les grands propriétaires — évêqueet abbés, — contre les officiers du roi, sheriffs, commissaires ou juges, toujours prompts à soutenir les classes possédantes, contre lemarchands étrangers dont le commerce florissant excitait la jalousieenfin contre le gouvernement incapable et oppresseur. Par surcroît, le prédications de Wyclif et de certains de ses disciples lollards, commle prêtre Jean Ball, en mettant en question les principes du gouvernement et de la société, avaient pu échauffer quelques têtes. Au début dmai, à l’annonce de la taxe nouvelle, le Kent et l’Essex se soulevaienet la révolte se propageait bientôt dans tout l’est et le sud del’Angleterre. Les paysans, sans but précis, attaquaient châteaux et ab

bayes, extorquaient à leurs seigneurs des chartes d’affranchissemenou « manumission », massacraient les officiers royaux, s’attaquaienaux villes, où ils tuaient les marchands étrangers. Une de leurs trou pes, sous la direction d’un certain Wat Tyler, peut-être cadet d’unfamille de chevaliers, marcha sur Canterbury et Londres, incendia l palais du duc de Lancastre, prit la Tour de Londres, mit à mort lchancelier Sudbury et le trésorier Robert Hales (14 juin). Le lende





main, le jeune roi, qui manifesta une remarquable énergie, alla audevant des insurgés, fit mettre à mort Tyler, puis, avec l’aide du mairde Londres, Tamworth, dispersa les rebelles. La noblesse se ressaisi

et poursuivit les révolutionnaires dans les provinces ; la répressionconfiée aux tribunaux ordinaires, fut relativement modérée, mais toutes les concessions arrachées par la force furent annulées. Ainsi, lgrande révolte de 1381, infiniment plus grave que toutes celles dont lFrance ou la Flandre furent le théâtre vers le même temps, demeur pourtant infructueuse. Il fallut la pression des nécessités économique pour amener, au cours p430des cinquante années suivantes, un adoucis-sement progressif du régime manorial et servile.

Du moins, dans la tourmente, la personnalité de Richard II s’était

elle dégagée. Le duc de Lancastre, tout à ses ambitions dynastiquesur la Castille, se désintéressait alors de la politique intérieure, et Richard, à qui l’on avait fait épouser, en janvier 1382, Anne, sœur du rodes Romains Venceslas, se trouvait livré à lui-même. Dénué de pondération, violent, fantasque, passionnément orgueilleux et avec celtout à fait incapable de s’adapter aux nécessités du moment, il fu bientôt le jouet d’une coterie qui comprenait de simples chevaliercomme Simon de Burley et Michel de la Pole, un grand seigneucomme Aubri de Vere, créé duc d’Irlande, des prélats comme Nevillearchevêque d’York. La majeure partie de la haute noblesse, sacrifié par les nouveaux conseillers, ne tarde pas à se grouper autour du plu jeune oncle du roi, Thomas de Buckingham, bientôt duc de Gloucester, et des comtes de Warwick et d’Arundel. L’appui du Parlemenleur est facilement acquis ; dès 1385, Michel de la Pole, accusé dmalversations, tombe sous le coup de leur vengeance. L’année suivante, ils font nommer par les Communes une commission d’enquête qu prend en main le gouvernement et, comme le roi semble se préparer la résistance, le Parlement de 1388 — le Parlement « sans merci »comme on le nomme, — se décide, à la demande des seigneurs appe

lants, à condamner en bloc les partisans de Richard. Les uns sont mià mort ; les autres, condamnés à l’exil, se dispersent ; une administration aristocratique est substituée à celle de la coterie royale.

Hors d’état de résister, Richard semble se résigner : en tout cas bien qu’en mai 1389 il proclame, à l’exemple de Charles VI, son intention de gouverner par lui-même, il ne tente pas encore de se débarrasser du contrôle des barons et ne montre même pas son irritation





contre Gloucester. Mais il travaille en sous-main à regrouper autoude lui courtisans et officiers zélés. Les clercs bannis en 1388 sont le premiers à rentrer en grâce et à trouver dans l’« hôtel du roi » des pos

tes de confiance. Pour ressaisir le gouvernement de l’Angleterre, faut à Richard la paix extérieure : aussi se fait-il l’apôtre d’un rapprochement avec la France, soutenu en cela par le duc de Lancastre qucomblé d’honneurs, créé duc d’Aquitaine, ayant marié ses filles aurois de Castille et de Portugal, désire maintenant consolider sa situation. Des entrevues fréquentes sont ménagées entre p431 les deux gou-vernements, à Leulinghem près de Calais ; on y négocie une prochainrencontre des deux rois, on y parle même de paix perpétuelle. En octobre 1396, Richard débarque à Calais et rejoint Charles VI prèd’Ardres ; il épouse en secondes noces Isabelle, la jeune fille du roi dFrance, et conclut avec son nouveau beau-père une trêve de trente ans

Enhardi par ce premier succès et par une campagne heureuse où presque sans effusion de sang, il a obtenu la soumission de tous lechefs irlandais rebelles (1394-1395), Richard croit alors le momenvenu de jeter le masque. Prétextant un soi-disant complot tramé pales barons, il fait arrêter et mettre à mort son oncle Gloucester ; Arundel et Warwick sont condamnés devant un Parlement docile (1397) la législation des appelants est annulée, on en vient même à réhabiliteles Despenser et à demander la canonisation d’Édouard II ; enfin lroi, décidé à gouverner seul, remplace le Parlement par une « commission » qui lui laisse les mains libres. Certaines mesures prises paRichard eussent sans doute été de nature à lui concilier ses principauennemis : le gouvernement continue d’être expédié par des clerccompétents et dociles ; des titres ducaux et comtaux sont distribués foison aux membres de l’aristocratie ; les bâtards du duc de Lancastrles Beaufort, sont légitimés ; mais ces trop minces concessions n peuvent apaiser l’opposition qui va grandissant contre une tyranni brutale. Pour se procurer des ressources, le roi vend à prix d’or le

confirmations de droits et les grâces ; pour s’assurer la fidélité des viles, des couvents, des particuliers, il va jusqu’à exiger d’elles la signature en blanc de formules de reconnaissances de dettes. Peine perdueIl a contre lui l’opinion publique ; le sentiment national, qui tend à sdévelopper depuis le début de la guerre de Cent Ans, est choqué d’unalliance avec la France et y voit une manière de trahison. Mais surtouRichard s’aliène les barons par ses actes de colère impulsive. À la su





te d’une querelle de cour, il fait exiler Norfolk et Hereford ; ce dernier, fils aîné de Lancastre, voit son héritage confisqué à la mort duvieux duc (février 1399). Réfugié sur le continent, il n’est pas long

regrouper les mécontents. Profitant de ce que Richard est allé en Irlande châtier les chefs indigènes révoltés, il débarque avec une petittroupe (mai 1399), est reçu avec enthousiasme, défait les partisans dRichard, s’empare de la personne du roi, revenu en hâte d’Irlande, lforce à abdiquer (septembre 1399), en attendant qu’il s’en débarrass par un p432meurtre quelques mois plus tard, et, couronné roi lui-mêmesous le nom d’Henri IV, réussit à faire dès octobre légitimer la révolution par un Parlement docile.

Quoique célèbre pour sa piété, ses pèlerinages aux Lieux Saints e

ses croisades contre les Lituaniens, Henri de Lancastre était un homme pratique et prudent. Usurpateur de la couronne, ne tenant son pouvoir que de la bonne grâce des barons et du Parlement, il lui fallut aglentement. Il savait que pour réussir, il devait prendre le contrepied dla politique détestée de son prédécesseur. Pour plaire au clergé, il persécuta violemment les Lollards hérétiques : par le statut de 1401, Deheretico comburendo, qui condamnait les hérétiques au bûcher, il se posa en défenseur de la foi. Il réagit surtout contre la politique franco phile de Richard et marqua beaucoup de mauvaise volonté à rendre Charles VI sa fille Isabelle. Toutefois les trêves franco-anglaises furent provisoirement maintenues, car Henri avait fort à faire dans soîle, et il lui fallait, avant toute autre chose, consolider son autorité.

Les partisans de Richard II ne furent pas d’abord sans lui caused’assez vifs soucis, car la déposition du monarque n’avait pas mis fià tous les troubles. Dès 1400, quatre barons fidèles à l’ancien roi, lecomtes de Rutland, de Huntingdon, de Kent et de Salisbury, se soulevèrent et furent écrasés à Cirencester ; en 1402, un faux Richard II fson apparition en Écosse et gagna des adhérents ; l’année suivantel’importante famille des Percy, comtes de Northumberland, entra erébellion à son tour et dut être châtiée à la bataille de ShrewsburyL’Église elle-même n’était pas sûre : en 1405, l’archevêque d’YorkScrope, fomenta un nouveau soulèvement qui lui coûta la vie. Dans l pays de Galles, il fallut tenir tête à plusieurs insurrections. Un chelocal, Owen Glendower, condamné pour n’avoir pas rejoint l’ost droi, s’était soulevé en 1400 ; il établit facilement sa domination sur lmajeure partie de la principauté galloise, d’où chaque année il parta





piller les comtés voisins. Malgré de fréquentes expéditions organiséecontre lui, Owen, soutenu, tantôt par la France (1404-1405), tantôt pal’Écosse, tantôt par les barons révoltés — en 1406 il trama avec le

Mortimer et les Percy un partage de l’Angleterre —, ne put être réduqu’en 1409. Enfin la guerre avait repris avec les Écossais, qui ravageaient les frontières du nord ; mais Henri IV fut assez heureux, enmars 1406, pour saisir sur mer le jeune roi Jacques III d’Écosse, qudevint pour lui un précieux otage. p433

Au cours de ces troubles et de ces incessantes campagnes, s’étaiaffirmée la personnalité du prince de Galles, Henri de Monmouthl’héritier du trône. C’est lui qui, le roi étant tombé malade, passe au premier plan à dater de 1408 ; appuyé par ses oncles, les Beaufor

énergique, ambitieux, confiant en sa propre valeur, il va, en novembr1411, jusqu’à réclamer l’abdication de son père en sa faveur. Il donnà la politique étrangère une vive impulsion et prépare une nouvellintervention militaire. Dès les derniers mois de 1411 (de septembre décembre), un contingent anglais va sur le continent aider le duc dBourgogne à prendre Paris ; l’année d’après, c’est aux orléanistequ’il vend son concours (août 1412) ; et lorsque, en mars 1413, Henri IV disparaît, nul ne doute que son successeur, débarrassé de tousouci pressant à l’intérieur, ne s’apprête à reprendre sur le continent l politique conquérante d’Édouard III.

III. — La conquête anglaise (1415-1428)135 Le nouveau roi d’Angleterre ne fut certes pas le héros génial que l

légende a fait de lui. Pieux, mais d’une piété théâtrale dont il savaiavantageusement colorer ses actes politiques pour se donner les apparences du bon droit et se poser en exécuteur dés volontés divinesHenri V ne possédait pas les qualités chevaleresques de son arrièregrand-père Edouard III ; mais, s’il en avait l’ambition démesurée, ialliait cette ambition à un p434 sens pratique très aiguisé. À peine mon-té sur le trône, il étouffa une violente rébellion dirigée par quelquechevaliers lollards, donna les postes de confiance aux Beaufort, créses deux frères ducs de Bedford et de Gloucester, et suivit attentivement les événements de France. Il ne lui fut pas difficile, bien que le






trêves dussent en principe se prolonger jusqu’en 1415, d’éveiller cheses sujets le goût de la rapine et des expéditions fructueuses sur lcontinent.

La situation de la France était plus troublée que jamais. Les Armagnacs y régnaient par la terreur ; le dauphin Louis, duc de Guyenneétait plus ou moins leur prisonnier. Jean Sans-Peur, écarté du pouvoirdéclaré rebelle, fut bien reçu de nouveau dans la faveur royale aprède pénibles négociations que termina la paix d’Arras (février 1415) mais ce fut une paix fourrée. Le Bourguignon, se sachant détesté à lcour de France, s’était, alors même qu’il négociait avec elle, abouchavec les Anglais : à la conférence de Leicester, au mois de mai 1414ses envoyés partageaient d’avance avec Henri V les conquêtes qu’i

comptait faire sur les princes armagnacs ; à Ypres, en août, il précisales dépouilles à prendre sur les ducs de Berry et d’Orléans et envisageait la possibilité pour les Anglais de reconquérir le royaume deFrance. En fait, il attendait les événements, se réservant de se prononcer dans le sens qu’ils lui dicteraient.

Pendant ce temps Henri V menait une vigoureuse campagne di plomatique contre le gouvernement de Paris. Une ambassade arrogante vint demander à Charles VI l’abandon de la couronne de FranceElle ne s’arrêtait pas aux objections possibles : car, même si les pré

tentions d’Edouard III étaient justifiées, Henri ne pouvait les reprendre, n’étant son plus proche héritier ni par les femmes ni par les hommes. Tout au plus, à titre de transaction, proposait-il d’épouser la filldu roi de France, Catherine, qui lui apporterait en dot tout l’héritagdes Plantagenets, de la Normandie aux Pyrénées, plus l’arriéré de lrançon de Jean le Bon. Demandes volontairement outrées, inaccepta bles, faites pour conduire à une rupture. Ayant obtenu les subsidenécessaires du Parlement en novembre 1414, Henri commença le préparatifs d’une invasion pour l’été. En son absence, Henri de Beaufort et le duc de Bedford furent chargés de gouverner le royaume, dsurveiller Écossais et Gallois ; une flotte de guerre, des munitions, dmatériel de siège, des troupes furent amassées dans les ports méridionaux. Au dernier moment p435 Charles VI proposa de nouvelles ces-sions de territoires et une forte indemnité. Tout à on ambition, Henrécarta ces offres tentantes et s’embarqua le 10 août 1415 ; le 13, plude douze mille combattants débarquaient sans être inquiétés àl’embouchure de la Seine. Le premier soin du conquérant fu





d’assiéger et de prendre Harfleur, dont il voulait faire un nouveau Calais (22 septembre) ; puis, comme la saison s’avançait, il battit en retraite hâtivement vers le nord, reproduisant ainsi la marche d’Édouar

III en 1346. L’armée féodale française, qui s’était enfin réunie, renouvela les errements de Crécy et de Poitiers, malgré les sages conseildu vieux duc de Berry. Cinquante mille hommes, lourdement armésentassés sur l’étroit plateau d’Azincourt, au nord de Hesdin, et gêné par un terrain détrempé, se firent massacrer par les archers anglais 25 octobre 1415. Parmi les sept mille morts se trouvaient des princedu sang comme le duc de Brabant ou le comte de Nevers ; Charled’Orléans et Jean de Bourbon étaient prisonniers. Henri ne poursuiv pas son succès ; dès le milieu de novembre, il se rembarquait à Calai pour regagner l’Angleterre.

Avec la défaite, Charles VI connut l’isolement ; car aux pertesd’Azincourt vinrent s’ajouter les deuils dans sa maison : le dauphiLouis, son frère le duc Jean de Touraine moururent tour à tour ; il nresta plus comme héritier du trône qu’un tout jeune homme, le futuCharles VII. Jean Sans-Peur avait, pendant l’invasion anglaise, adoptune neutralité hostile ; l’année suivante, il fit un pas de plus dans lvoie de la trahison et s’entendit ouvertement avec Henri, qu’il reconnut comme roi de France (octobre 1416). Le gouvernement de Charles, confié à Bernard d’Armagnac, connétable depuis 1415, ne pouva plus compter que sur la médiation d’une puissance étrangère. Il demanda celle du roi des Romains Sigismond. Mais au lieu de réconcilier les adversaires, Sigismond, par une de ces soudaines volte-facdont il était coutumier, et probablement impressionné par les fastueuses réceptions que lui offrait Henri V, signa avec lui à Canterbury untraité d’alliance offensive (août 1416). Il parla même de faire envahla France par une armée allemande que les affaires du concilel’empêchèrent heureusement d’envoyer.

Fort de l’appui moral de Sigismond, certain du concours militairde Jean Sans-Peur, Henri V reprit les armes et débarqua de nouveaen Normandie au mois d’août 1417. Cette fois, il s’attacha à laconquête méthodique de la province dont il se p436 disait le légitimehéritier comme successeur de Jean Sans-Terre. Caen et les châteauxde la Basse Normandie tombèrent rapidement. Il fallut, au contraireorganiser autour de Rouen un siège en règle ; investie en juillet 1418la ville ne se rendit, après une résistance acharnée, que le 19 janvie





suivant, et dut verser une énorme rançon. Vers la fin de 1419, la Normandie, sauf le Mont-Saint-Michel, qui résista à toutes les attaquesétait dans son entier aux mains des Anglais. Les habitants qui se sou

mirent spontanément ne furent pas inquiétés ; les autres, à part quelques exécutions exemplaires, eurent la vie sauve, mais furent bannis eremplacés par des Anglais. Cette méthode permit dans le duché lsubstitution rapide de l’administration anglaise à l’administrationfrançaise, et les princes voisins, comme le duc de Bretagne,n’hésitèrent pas à faire leur paix avec le vainqueur.

Concurremment avec l’offensive anglaise, les Bourguignonsétaient entrés en guerre contre le gouvernement armagnac. S’étant aliés à la reine Isabeau, qu’ils installèrent à Troyes et qui fut désormai

censée gouverner le royaume, ils allèrent camper devant Paris, où leArmagnacs ne se maintenaient plus que par la terreur. La complicitdes bourgeois et du peuple leur facilitèrent l’entrée dans la ville, où ils’introduisirent le 29 mai 1418. Ils marquèrent leur prise de possession de la capitale en procédant au massacre des Armagnacs : le dau phin s’échappa, mais le connétable resta parmi les victimes. JeaSans-Peur, maître du roi et du nord de la France, chercha alors avequi s’entendre ; il entama des négociations simultanément avec leAnglais et avec le dauphin Charles, qui, demeuré seul chef du partarmagnac, s’était réfugié au sud de la Loire. Un moment, au milieu d1419, le Bourguignon sembla pencher pour le dauphin contre les Anglais ; une rencontre fut même projetée entre les deux princes ; mais lmauvaise foi et les réticences de Jean Sans-Peur firent tout échouerFinalement, excédé par ces tergiversations, Charles se prit de querellavec son cousin sur le pont de Montereau. Une bagarre s’ensuivitdans laquelle Jean fut tué par les compagnons du dauphin (10 septem bre 1419)

Ce meurtre brutal, réplique lointaine à celui de 1407, devait avoide tristes conséquences pour l’avenir du royaume. Le nouveau duc dBourgogne, Philippe le Bon, prit en effet immédiatement le parti de lvengeance et s’aboucha avec les Anglais. Henri V, s’étant, au cours dl’été, avancé jusqu’à p437 Pontoise, il s’entendit sans peine avec lui pour mener une guerre offensive contre le dauphin ; mais, comme détenait le roi et qu’il était allié à la reine, il entraîna à sa suite laroyauté française elle-même dans sa politique de représailles. Le 2mai 1420, fut signé entre Charles VI et Henri V le désastreux traité d







bourguignon, la domination anglaise était solidement assise sur l Normandie, l’Ile-de-France, la Picardie et la Champagne ; tout l’effode 1422 à 1428 fut consacré à l’étendre dans les pays d’entre Seine e

Loire. Le Maine et l’Anjou furent partiellement soumis, après que lseule bonne armée du dauphin eût été défaite à Verneuil au moisd’août 1424. Le Gâtinais fut plus difficile à réduire ; mais à la fin d1428, on put commencer le siège d’Orléans, forte tête de pont dont l prise, selon Bedford, devait permettre des progrès ultérieurs vers sud.

Dans le nord de la France, l’administration anglaise se maintenaigrâce à la solide discipline des garnisons peu nombreuses, mais bieencadrées, qui surveillaient le pays. Elles savaient du reste y prendr

des gages ; dans les régions douteuses les habitants, après avoir prêtserment de fidélité, devaient acheter périodiquement des saufconduits, des protections, des « appâtis », c’est-à-dire des privilègeles mettant à l’abri des pillages de la soldatesque. Par ailleurs le gouvernement de Bedford était essentiellement conservateur : réserve fate de la Normandie, qui, réputée fief anglais, fut administrée par deofficiers d’Outre-Manche — et encore les officiers inférieurs y furenils choisis sur place —, le régent ne songea nullement à introduire eFrance les institutions anglaises ; le Parlement, la Chambre des Comptes, les administrations locales continuèrent de fonctionner avec leu personnel français, déjà épuré au surplus par le duc de Bourgogne. n’est pas jusqu’aux méthodes financières des rois de France que Bedford n’ait scrupuleusement observées.

C’était faire preuve de prudence ; mais la tâche était d’autant pludifficile qu’il fallait demander à une population ruinée, décimée et, ecertaines régions, d’une fidélité douteuse, de quoi subvenir àl’administration royale, aux dépenses de la guerre, des garnisons edes sièges, et de quoi contenter l’avidité des Anglais de toutes catégories qui y venaient chercher fortune. Car tous se jetaient à la curée, commencer par Bedford qui s’attribua en apanage le Maine el’Anjou, tandis que le comte de Suffolk était pourvu du comté dDreux. Les aliénations du domaine au profit des innombrables serviteurs qu’il fallait p439 récompenser se multiplièrent si bien que des res-sources extraordinaires furent plus que jamais nécessaires. En Normandie comme dans les autres provinces, on dut presque sans arrêconvoquer les États pour leur demander le vote de tailles, de fouages











lieutenant bourguignon, Jean de Luxembourg, assiégeait. Dans unsortie elle fut faite prisonnière et Charles VII ne tenta rien pour la délivrer, pour empêcher les Anglais de l’emmener à Rouen et de l’y

traîner devant un simulacre de tribunal ecclésiastique, soigneusementrié, dont la présidence fut confiée à l’évêque de Beauvais, PierreCauchon. Le procès fut un scandale d’illégalités et d’infamies. p443 Endépit des privations, des souffrances morales et physiques qu’elle duendurer au cours d’une détention prolongée comme à plaisir, Jeannse montra étonnante de présence d’esprit, de juvénile sang-froid, dtranquille confiance en Dieu et en la justesse de la cause à laquelle ells’était dévouée ; son calme, mêlé d’une pointe d’ironie gouailleuse, nse démentit guère. Un moment, le 24 mai 1431, elle faiblits’abandonna, pleura, souscrivit aux aveux qu’on prétendait lui dictermais presque aussitôt, elle se ressaisit, se raidit, affirma posément sfoi. Elle fut brûlée vive comme hérétique et relapse le 30 mai.

L’œuvre accomplie sous l’impulsion de Jeanne d’Arc ne devait padisparaître avec elle ; elle avait donné au roi de Bourges un prestigque le couronnement du jeune Henri VI à Paris (1431) ne put effacerelle avait permis à Charles VII de reprendre pied en Beauce, enChampagne, en Brie et dans toute une série de places fortes de la valée de l’Oise. Mais, Jeanne disparue, il retomba bientôt dans ses anciens errements. À nouveau, ce ne furent plus que guerres privéesmenées par La Trémoïlle, les Anjou, Richemont, le duc d’Alençon jusqu’au jour où La Trémoïlle tomba sous les coups de ses ennemi(juin 1433). Cependant la lutte contre les Anglais était conduite l’aventure par des bandes de partisans ou même par des paysanscomme en Normandie, où, durant l’année 1434, les campagnes se soulevèrent en masse contre le gouvernement de Bedford.

Fort heureusement quelques succès diplomatiques vinrent compenser l’inertie militaire du gouvernement royal. De guerre lasse, Bedforavait proposé un arrangement amiable, et les ambassadeurs des deucamps se rencontrèrent à Arras en août 1435. Devant les exigenceincroyables des Anglais, qui n’avaient pas encore compris l’étendude leur défaite, Philippe le Bon, sentant le vent tourner, inquietd’ailleurs de l’entente qui se dessinait alors entre le roi de Bourges el’empereur Sigismond, entama pour son compte personnel des négociations avec Charles, et les Français surent, en y mettant le prixs’assurer son alliance. Ils la payèrent de la cession complète du Mâ





connais, de l’Auxerrois et de Bar-sur-Seine ; ils y ajoutèrent encorles « villes de la Somme », sous cette réserve néanmoins qu’elle pourraient être ultérieurement rachetées ; Charles, en outre, dut accep

ter l’humiliation de réprouver officiellement le meurtre de Montereaet de prendre l’engagement de châtier les coupables. p444Cet importanttraité, conclu à Arras le 21 septembre 1435, effaçait celui de Troyeset il allait être maintenant possible, grâce à l’appui des Bourguignonde travailler utilement à la libération du pays. De fait, tandis que leAnglais étaient fort embarrassés en Normandie par des soulèvement périodiques, on s’appliqua à soumettre l’Ile-de-France. Toutes les places fortes des vallées de l’Oise, de la Marne ou de la Seine tombèrentour à tour, et le 13 avril 1436, Richemont pénétrait dans Paris, d’oùles Anglais furent chassés par la foule. Les dernières villes furent peà peu réoccupées, Montereau en 1437, Pontoise en 1441. Lorsqu’eavril 1444 Charles VII signa une trêve avec les Anglais, il leur reconnaissait encore sur la Normandie et une partie de la Guyenne une domination, devenue d’ailleurs précaire, mais bientôt après il leur faisa promettre d’évacuer les quelques places du Maine où ils avaient p jusqu’alors se maintenir.

Sans doute peut-on s’étonner qu’il ait fallu tant de temps pour reconquérir un si petit nombre de provinces mal défendues. L’apathie dCharles VII n’était pas seule responsable de cette lenteur. Le payétait complètement épuisé par la lutte. Une vigoureuse offensive aurademandé un effort financier que ne pouvaient indéfiniment supportedes populations si souvent pressurées par le roi ou les ennemis, et quavaient maintes fois pourvu elles-mêmes à leur défense. Il n’y ava plus ni armée disciplinée ni chefs capables ; les mercenaires, ma payés, dévastaient les pays qu’ils auraient dû protéger ; leurs capitanes, même les anciens compagnons de Jeanne d’Arc, comme La HirXaintrailles ou Dunois, n’étaient propres qu’à quelques coups de maiou à de courtes chevauchées ; ils manquaient d’envergure, et limi

taient leur rôle à celui de simples chefs de bandes : tel ce Rodrigue dVillandrando, un Castillan, qui semait partout l’épouvante, et dont leroutiers, joints à ceux qu’avaient libérés l’alliance bourguignonne el’affaiblissement du gouvernement anglais, parcoururent pendant dians (1435-1444) le pays, y renouvelant sur une plus grande échelle leméfaits des compagnies du siècle précédent. Aucune province ne fuépargnée ; de la Guyenne à la Lorraine, de la Bretagne au Dauphiné





ce ne furent que pillages, dévastations, meurtres, commis par ceuxqu’on appelait les « Écorcheurs » parce qu’ils ne laissaient même paune chemise à leurs victimes. Il n’en fallait pas tant pour achever l

ruine du pays. p445

V. — Les dernières hostilités (1444-1453)137 Mais, de son côté, l’Angleterre n’avait pas été sans subir le contre

coup des événements qui se déroulaient sur le continent. La disparition prématurée du roi actif et énergique qu’était Henri V y avait faun grand vide et avait laissé le royaume entre les mains d’incapablesBedford étant retenu sur le continent, son plus jeune frère, Gloucesteavait prétendu jouer le rôle principal et exercer la régence à sa placeSon ambition égoïste et brouillonne s’était heurtée tout de suite auxBeaufort, les demi-frères légitimés d’Henri IV — Thomas, ducd’Exeter, et Henri, évêque de Winchester, — qui en avaient appelé àl’opinion publique : le Parlement de novembre 1422 avait refusé lrégence à Gloucester et s’était mis sous la protection de Bedford. Pases maladresses, Gloucester avait d’ailleurs été l’artisan de sa proprruine : par un mariage romanesque avec Jacqueline de Bavière, comtesse de Hollande et de Hainaut (1422), il s’était trouvé contrecarrer l politique d’alliance bourguignonne de Bedford, dont il avait menac

les plans diplomatiques ; revenu en 1425 d’une piteuse expédition eHainaut, Gloucester avait cherché à ameuter les Londoniens contrHenri de Beaufort, et il avait fallu demander à Bedford de venir passe plusieurs mois en Angleterre pour apaiser la querelle (janvier 1426mars 1427). Encore n’avait-on pu conclure qu’une courte trêve politque : car, profitant de l’absence prolongée de son frère, nécessitée pales graves événements militaires, et des voyages entrepris par Henrde Beaufort à p446 l’occasion de la guerre hussite (1428) ou du concilede Bâle (1433), Gloucester avait repris sa lutte haineuse ; et, finalement, il avait contesté à Beaufort, devenu cardinal, à la fois son siègépiscopal de Winchester et le droit de siéger au Conseil.

La mort de Bedford (15 septembre 1435), suivant de peu la réconciliation entre la France et la Bourgogne, avait enlevé àl’Angleterre le seul homme d’État qu’elle possédât encore. Ses suc 137 OUVRAGES À CONSULTER .





cesseurs en France, le duc d’York d’abord, puis Warwick (1437), nele valaient pas. Quant à Beaufort, c’était du moins un habile diplomatet un administrateur capable de réorganiser les finances royales, mise

à mal par les extravagances de Gloucester. Comprenant que, poursuivre la guerre était courir au devant d’un désastre, il avait cherché à mettre fin, en plein accord sur ce point avec ses neveux, les ducs dDorset et de Somerset, ainsi qu’avec quelques autres nobles commSuffolk et l’archevêque d’York, Kemp. Pour les contrecarrer, Gloucester avait prôné une politique de guerre à outrance, et s’était appuyà la fois sur la maison d’York, rivale des Beaufort et déjà des Lancastre, et sur les comtes de Huntingdon et de Salisbury. C’est lui qui, e1439 et en 1440, avait fait échouer des négociations de paix entamée par Beaufort ; mais depuis 1440, son autorité n’avait cessé de décroître ; autour du jeune Henri VI, pieux et faible, l’influence était auxBeaufort, à Suffolk et à Edmond de Somerset, qu’on avait vus, en1441, s’employer à jeter le discrédit sur Gloucester en accusant sfemme de sorcellerie.

En 1444, Suffolk vient de négocier une trêve avec Charles VII. Eéchange, il a obtenu pour son roi la main de Marguerite d’Anjou, lfille du roi René, et par conséquent la nièce de Charles. Or la nouvellsouveraine ne tarde pas à jouer dans la politique anglaise un rôlconsidérable. Elle fait promettre à son mari d’évacuer le Maine, possession de son père ; prenant d’ailleurs ardemment le parti des Beaufort et de Suffolk, en qui elle voit ses bienfaiteurs, elle leur donneconfiance en eux-mêmes, et ceux-ci croient bientôt le moment vende se débarrasser de Gloucester : en 1447, ils le font arrêter soul’inculpation de haute trahison et, quelques jours après, on apprenque le duc est mort dans sa prison.

Ces luttes intérieures, l’avènement de Suffolk et du parti de la paixexpliquent que la guerre en France n’ait été que mollement conduiteAprès quelques années de trêve, pendant lesquelles Charles VII avaeu toutes les peines du monde à p447 faire évacuer par les capitainesanglais les places du Maine qu’ils détenaient encore, les hostilités re prirent en 1449, lorsque l’aventurier François de Surrienne, à la têtde bandes anglaises et peut-être de connivence avec Somerset, attaquet mit à sac, le 24 mars, la ville de Fougères, pour se venger du duc dBretagne François Ier , récemment entré dans l’alliance française. Par représailles, Charles VII fit entreprendre la conquête de la Normandi





qui fut achevée en moins d’un an. Les places étaient mal approvisionnées, par suite du dénuement du trésor anglais, et les garnisons mutnées n’offrirent qu’une faible résistance : Rouen se rendit le 29 octo

bre 1449, et une armée anglaise de renfort fut écrasée le 15 avril suivant à Formigny, près de Bayeux.

La conquête de la Guyenne, entreprise à peu près en même tempsfut beaucoup plus difficile ; si les Gascons n’aimaient guère les Anglais, ils préféraient leur autorité lointaine aux entreprises et aux exactions des officiers français. Attentifs à maintenir leurs privilèges, sauvegarder leur commerce florissant grâce aux débouchés que trouvaient leurs vins en Angleterre, ils se défendirent âprement. Une première campagne dirigée par Dunois aboutit à la capitulation de Bor

deaux (12 juin 1451) et, deux mois après, à la prise de Bayonne (20août). Mais les rigueurs des officiers français, au lendemain del’occupation, provoquèrent un soulèvement des Gascons, qui, en octobre, accueillirent avec joie l’armée de secours dirigée par le vieuTalbot. Il fallut recommencer la conquête. Talbot fut battu et tué àCastillon, sur la Dordogne (17 juillet 1453). La répression fut dure on imposa à Bordeaux le paiement d’une lourde indemnité, les Gascons suspects durent s’exiler et la Guyenne perdit tous ses privilègeet son autonomie.

À cette date de 1453, et à la seule exception de Calais, où les soldats d’Henri VI se maintenaient encore, les Anglais, selon le mot dJeanne d’Arc, avaient été pour toujours « boutés hors de France », ele petit « roi de Bourges », devenu Charles « le Victorieux », pouvait bon droit préparer la réhabilitation de la Pucelle : la mémoire dl’héroïne fut enfin, en 1456, lavée officiellement des griefs injurieuque, vingt-cinq ans auparavant, le tribunal de Rouen avait retenucontre elle. Mais si l’unité nationale était refaite au profit de la monachie des Valois, celle-ci devait maintenant compter avec une aristocratie puissante, d’où émergeaient quelques grandes familles féodalesL’accroissement formidable des territoires bourguignons ; n’était p448 pas un fait isolé : la maison de Bourbon, par suite d’héritages, de mariages ou d’achats, régnait désormais sur le Bourbonnais, l’Auvergnela Marche, le Forez, le Beaujolais et les Dombes : le roi Renéd’Anjou, héritier de son frère Louis III, concentrait en ses mains, outrle Maine, l’Anjou et la Provence, les deux duchés de Lorraine et dBarrois. Or tous ces grands seigneurs, ruinés par les guerres, for





maient autant de mécontents : Jean de Bourbon et Jean d’Alençonavaient eu d’énormes rançons à payer ; Charles d’Orléans, fait prisonnier à Azincourt, n’était pas encore libéré en 1440. Pour refaire leur

fortunes délabrées, ils cherchaient mieux que la faveur du roi ; lecontrôle de ses finances. Aussi les voit-on comploter contre lesconseillers bourgeois de Charles VII. En 1437, c’est Charles de Bour bon et Jean d’Alençon qui s’allient à Jean IV d’Armagnac et cherchent à mettre la main sur le gouvernement. Trois ans plus tard, unnouvelle insurrection féodale, infiniment plus grave, réunit Jean V dBretagne et le bâtard d’Orléans, Dunois ; ils embrigadent même ldauphin Louis, jeune ambitieux de seize ans, avide de gouverner, esongent à déposer le roi. Pour réduire cette « Praguerie » — common l’appela en souvenir des récents troubles de Bohême — CharleVII se voit obligé d’organiser une vraie campagne militaire. D’ailleurla faiblesse du roi, qui non seulement pardonne aux coupables, mailes comble d’honneurs, facilite le regroupement des forces féodalesen 1442, Charles d’Orléans, enfin libéré, s’allie au duc de Bourgognet ne se gêne pas pour convoquer à Nevers une assemblée des princes

Contre ces grandes maisons féodales, la monarchie, certes, n’es pas entièrement désarmée, et même, quand elle les trouve isolées, ell peut sans trop de peine les réduire à sa merci. Ainsi le comtd’Armagnac, qui prétendait à l’indépendance, s’est vu rudement châtié, dès 1443, par une armée que commandait le dauphin. Son fils JeaV subit une seconde invasion en 1455 ; cinq ans plus tard (1460), lroi prononce la commise de son fief. De même, en 1456, les tentativede rébellion du duc Jean II d’Alençon, qui s’est abouché secrètemenavec les Anglais, sont punies de la confiscation et de la prison perpétuelle. Mais ce qui menace surtout la royauté, c’est une coalition dtous les intérêts féodaux contre les tendances centralisatrices de sogouvernement. Or ces intérêts puissants vont trouver un précieux ap pui dans l’État bourguignon, parvenu justement alors à son apogé p449





Table des matières

Bibliographie duchapitre VI La fin de la guerre de Cent Ans

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Pour la France, A. Coville, Les pre-miers Valois et la guerre de Cent Ans, 1328-1422, et Ch. Petit Dutaillis, Chales VII, Louis XI et les premières années de Charles VIII, 1422-1492, t. IV, 1re et 2e parties de l’Histoire de France de Lavisse (Paris, 1902, 2 vol. in-8°) sonles meilleurs guides ; pour l’Angleterre, Ch. Oman, The history of Englanfrom the accession of Richard II to the death of Richard III, 1377-1485 (Londres, 1906, in-8° ; vol. IV de la « Political history of England », publ. par RL. Poole et W. Hunt) ; J. Ramsay, The genesis of Lancaster, 1307-1399 (Oxford, 1913, 2 vol. in-8o), t. II, et du même, Lancaster and York (Oxford, 1892,3 vol. in-8°), t. I ; enfin, le résumé rapide de H. Viekere, au t. III (cité p. 5) dla History of England, publ. par Ch. Oman.

I. L’anarchie française (1380-1413) OUVRAGES À CONSULTER . — A défaut d’une étude d’ensemble sur Charles VI, on

consultera les nombreux travaux et articles de L. Mirot, notamment Les insur-rections urbaines au début du règne de Charles VI, 1380-1383(Paris, 1905,in-8°) ; du même, Isabelle de France, reine d’Angleterre, 1389-1409, dans la Revue d’histoire diplomatique, t. XVIII (1904), p. 545-573, et t. XIX (1905), p. 60-95, 161-191, 481-522 (et tirage à part, Paris, 1905, in-8°) ; du mêm L’enlèvement du dauphin et le premier conflit entre Jean sans Peur et Louid’Orléans, juillet-octobre 1405, dans la Revue des questions historiques, t.XCV (1914), p. 329-355, et t. XCVI (1914), p. 47-68 et 368-419 ; du mêmUne grande famille parlementaire aux XIV e et XV e siècles, les d’Orgemont (Paris, 1913, in-8°, t XVIII de la « Bibliothèque du xve siècle »), on y joindrH. Moranvillé, Études sur la vie de Jean le Mercier (Paris, 1888, in-4°) ; dumême,Conférences entre la France et l’Angleterre, 1388-1393, dans la Bi-bliothèque de l’École des chartes, t. L (1889), p. 355 380. Sur les premièresannées du règne, voir en outre Fr. Mohr, Die Schlacht bei Rosebeke am 27 November 1382(Berlin, 1906, in-8°, dissertation) ; M. Boudet, La jacqueriedes Tuchins, 1363-1384(Riom, 1895, in-8°). — Sur la politique des oncles,outre les ouvrages indiqués p. 312, voir E. Jarry, La vie politique de Louis de France, duc d’Orléans, 1372-1407 (Paris, 1889, in-8°) ; du même, Les com-mencements de la domination française à Gênes, 1392-1402(Paris. 1897, in-8°) ; L. Schaudel,Campagne de Charles VI en 1388 contre le duc de Gueldre







1415, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXXV (1914), p. 255-303 ; J. Caro, Das Bündniss von Canterbury, eine Episode aus der Geschichtedes Konstanzer Konzils(Gotha, 1880, in-8°) ; M. Lenz, König Sigismund und Heinrich der Fünfte von England (Berlin, 1894, in-8°) ; P. Hagemann, Die Beziehungen Deutschlands zu England seit dem Vertrage von Canterbury bi zu Kaiser Sigmunds Ende(Halle, 1908, in-8°, dissertation) ; A. Newhall,The English conquest of Normandy, 1416-1424(New-haven, 1926, in-8°, dans les« Yale University Publications ») ; ft. Doucet, Les finances anglaises en France à la fin de la guerre de Cent Ans, 1413-1435, dans lemoyen âge, t.XXVI (1926), p. 265-332 ; Ch. de Beaurepaire, Les États de Normandie sousla domination anglaise(Évreux, 1859, in-8°) ; W-T. Waugh,The administra-tion of Normandy, 1420-1422, dans Essays presented to T. F. Tout , publ. par A.-G. Little et F.-M. Powicke (Manchester, 1925, in-8°), p. 349-360.

IV. L’élan national en France : Jeanne d’ArcOUVRAGES À CONSULTER . — Ch. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII

(Paris, 1881-1891, 6 vol. in-8°) ; G. Dodu, Le roi de Bourges, dans la Revuehistorique, t. CLIX (1928), p. 38-78.— Sur l’entourage du roi, Pierre Cham pion, La vie de Charles d’Orléans, 1394-1465(Paris, 1911 in-8°, fasc. 13 dela « Bibliothèque duXVe siècle ») ; E. Cosneau, Le connétable de Richemont Arthur de Bretagne, 1393-1458(Paris, 1886, in-8°) ; L. Flourac, Jean I er , com-te de Foix, dans le Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, t.XV (1882), p. 295-383, et t. XVI, (1883), p. .285-498, et tirage à part (Pari1884, in-8°). — Sur la résistance aux Anglais, A. de Villaret,Campagne des Anglais dans l’Orléanais, la Beauce chartraine et le Gâtinais, 1421-1428(Or-léans, 1893, in-8°) ; G. Lefèvre-Pontalis, Épisodes de l’invasion anglaise ; la guerre de partisans dans la Haute Normandie, 1424-1429, dans la Bibliothè-que de l’École des Chartes, t. LIV (1893), p. 475-521 ; t. LV (1894), p. 259-305 ; t. LVI (1895), p. 433-508, et t. LVII, (1896), p. 5-54.

La vie et le rôle militaire de Jeanne d’Arc ont fourni matière à une littérature abondante, mais qui n’est pas tout entière du domaine de l’histoire. Lesources principales ont été réunies dans J. Quicherat, Procès de condamnationet de réhabilitation de Jeanne d’Arc(Paris, 1841-1849, 5 vol. in-8°, publ de la« Société de l’histoire de France »). Le texte du procès de condamnation a éde nouveau publié et traduit par Pierre Champion, Procès de condamnation de Jeanne d’Arc(Paris, 1920-1921, 2 vol. in-8o, fasc. 22 et 23 de la « Bibliothè-que duXVe siècle »). — Parmi les travaux de détail, notons Siméon Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy(Paris 1886, in-8°) ; F. Dubois, Histoire du sièged’Orléans, 1428-1429, publ. par P. Charpentier et Ch. Cuissard (Orléans,1894, in-8o) ; Al. Sorel, La prise de Jeanne d’Arc devant Compiègne(Paris,1889, in-8°) ; A. Sarrazin, Jeanne d’Arc et la Normandie au XV e siècle (Rouen, 1896, in-8°) ; du même, Pierre Cauchon, juge de Jeanne d’Arc(Pa-ris, 1901 in-8°) ; du même, Le bourreau de Jeanne d’Arc(Rouen, 1910, in-8°,









Table des matières

Chapitre VII

La formation de l’État bourguignon 138

La guerre de Cent Ans avait, en effet, fourni l’occasion à une dy

nastie ambitieuse de constituer au nord-est de la France un État quallait dès lors tenir une place considérable dans l’histoire européenneSon nom d’État bourguignon, emprunté au territoire patrimonial de ldynastie, ne doit pas donner le change. En réalité, le centre de sa forcet de sa politique, ce furent les Pays-Bas ; et c’est dans les Pays-Baqu’il faut se transporter si l’on veut, se retournant vers le passé, démêler les origines de sa puissance.

I. — Les origines de la puissance bourguignonne139 L’ensemble des territoires, flamands au nord et wallons au sud, qu

se pressaient les uns contre les autres dans les bassins de l’Escaut, dla basse Meuse et du bas Rhin, se répartissait p450 depuis leIXe siècleen deux mouvances distinctes, séparées par le cours de l’Escaut : l’ouest du fleuve, le comté de Flandre relevait de la France ; à l’estles duchés de Brabant, de Limbourg et de Luxembourg, les comtés dHainaut, de Namur, de Hollande et de Zélande, les principautés épiscopales de Liège, de Cambrai et d’Utrecht, fragments de l’ancien duché de Basse Lotharingie, faisaient partie de l’Empire.

À dater de la fin duXIe siècle, des liens dynastiques de plus en plusnombreux avaient réuni, temporairement tout d’abord, puis d’une manière définitive, quelques-uns de ces territoires sous l’autorité de l






même maison princière. En 1288, les ducs de Brabant étaient devenuen même temps ducs de Limbourg ; en 1299, les comtes de Hainauavaient hérité des comtés de Hollande et de Zélande. Les empereur

n’avaient pu s’opposer à ces accroissements de la puissance de vassaux sur lesquels ils n’exerçaient plus, en fait, qu’une suzeraineté nominale. Absorbés par les affaires d’Allemagne et d’Italie, ils avaiencessé, au cours duXIIe siècle, d’intervenir dans celles des Pays-Bas, et,depuis lors, ceux-ci avaient été entraînés de plus en plus dans l’orbitde la France et de l’Angleterre. De la France surtout : car, à la mêmépoque où le pouvoir monarchique déclinait en Allemagne, il grandissait en France, et ce bouleversement de l’équilibre politique devait srépercuter aussitôt sur cette région frontière des Pays-Bas, que sa stuation géographique prédestinait à ressentir le contre-coup de touteles agitations de l’Europe occidentale.

Dès le règne de Louis VI, un des objectifs principaux de la politique capétienne avait été de mettre la main sur ce grand fief du comtde Flandre dont l’indépendance à l’égard de la couronne avait été jusqu’alors presque absolue. Mais, pour résister aux empiétements dleur suzerain, les princes flamands s’étaient tout de suite appuyés sul’Angleterre, avec laquelle, à mesure que le commerce et l’industride leurs villes se développaient, ils étaient obligés d’entretenir derapports de plus en plus intimes. L’intérêt dynastique se doublait dondes considérations économiques les plus pressantes pour les poussedans l’alliance anglaise. Mais la victoire de Bouvines, en faisanttriompher Philippe Auguste sur Jean Sans-Terre, avait livré le comtde Flandre à sa merci. Non seulement l’Artois en fut détaché, pouconstituer désormais un nouveau fief relevant de la couronne, mais l politique royale détermina étroitement depuis lors l’attitude des comtes. Durant tout leXIIIe siècle, p451 leur emprise, favorisée par le rayon-nement de la puissance et de la civilisation françaises, s’étendit mêmsi largement aux territoires de la rive droite de l’Escaut, que

l’empereur était incapable de lui disputer, qu’elle sembla devoir leannexer tôt ou tard.

Pourtant, au moment où Philippe le Bel vient de s’emparer de laFlandre et d’y substituer au vieux comte Gui de Dampierre un gouverneur royal, le soulèvement des villes contre les patriciensleliaerts (les « partisans des fleurs de lys ») remet tout en question. La défaitde Robert d’Artois à Courtrai (1302) arrête brusquement les progrè







tion flamande, cause de tant de soucis pour les Capétiens depuis lrègne de Philippe Auguste, puisqu’elle valait à un prince royal la succession du comte. En héritant de son beau-père en 1384, Philippe s

trouva jouir d’une formidable puissance territoriale. Elle comprenaioutre le duché de Bourgogne, qu’il possédait depuis 1363, les domaines de sa femme, c’est-à-dire non seulement la Flandre, mais encorl’Artois et la Franche-Comté de Bourgogne dont Louis de Male, pede temps avant sa mort, avait hérité de sa mère. C’était un ensembldisparate sans doute, mais tel qu’aucun grand vassal de la couronnn’en avait jamais possédé de pareil. Il pouvait sembler qu’aux maind’un « prince des fleurs de lys » il allait permettre d’assurer, plus effectivement encore qu’auXIIIe siècle, la soumission des Pays-Bas à la prépondérance française.

Ce fut le contraire qui arriva. Transplantée dans le nord, la branch bourguignonne de la maison de Valois ne tarda pas à y prendre racinet à y constituer à son profit un État nouveau dont l’existence allaiêtre pour la France une menace et un danger perpétuels. Philippe lHardi conserva jusqu’à la fin, il est vrai, l’attitude anti-anglaise qului imposait sa naissance. Tout de suite cependant on le vit tendre àagrandir la situation qui lui était échue. Lors de son avènement aucomté de Flandre, la répartition politique des Pays-Bas venait justement de subir de nouveaux changements. En 1345, à la mort du comtGuillaume II, ses principautés de Hainaut, de Hollande et de Zélandavaient passé à sa sœur Marguerite, femme de l’empereur Louis dBavière, et, après elle, une branche cadette de la dynastie bavaroisn’avait pas cessé de les posséder. Dix ans plus tard, le mariage del’héritière du Brabant et du Limbourg, Jeanne, avec Venceslas, frèrde l’empereur Charles IV, faisait entrer ces deux duchés dans les domaines de la maison de Luxembourg. Ces événements auraient pu restaurer p453 dans les Pays-Bas l’influence de l’Allemagne qui en avaitdisparu depuis longtemps, si les maisons de Bavière et de Luxem

bourg, paralysées par l’anarchie de l’Empire, avaient su en profiteEn fait, elles n’en tirèrent aucun avantage ni pour elles-mêmes ni poul’Allemagne. Privés de l’appui qu’elles furent incapables de leur donner, les nouveaux princes de Hainaut-Hollande et de Brabant-Limbourg devaient nécessairement tomber sous la coupe de leur puissant voisin de Bourgogne, qui disposait à son gré des ressources de lmonarchie française.





À peine arrivé en Flandre, Philippe le Hardi comprit admirablement la situation. Dès 1385, une double alliance matrimoniale, cellde son fils Jean avec Marguerite de Bavière, et celle de sa fille Mar

guerite avec Guillaume de Bavière, établissait entre lui et les comtede Hainaut-Hollande une union qui était en réalité un protectoratAprès s’être assuré ainsi de la maison de Bavière, il se tourna vers cele de Luxembourg. La duchesse Jeanne avait promis son héritage son beau-frère, l’empereur Charles IV, ou à son descendant le plu proche, si elle ne laissait pas d’enfants. Cette condition s’était réaliséVeuve depuis la mort de Venceslas (1383), la vieille princesse devaidonc quelque jour léguer ses domaines au chef de la dynastie luxem bourgeoise. Pour éviter ce péril, Philippe mit à profit la guerre maheureuse qu’elle soutenait alors contre le duc de Gueldre. Il eul’adresse de convaincre Charles VI de la nécessité d’humilier cet allide l’Angleterre. L’armée française se dirigea vers le nord et délivrJeanne de son ennemi. Le trésor royal paya les frais de l’expéditionle duc de Bourgogne en récolta seul les bénéfices. Car, poussée par lreconnaissance, Jeanne déchira son testament et reconnut Philippcomme son héritier. Le Brabant et le Limbourg passaient ainsi au pouvoir de celui-ci. Pour éviter de froisser le particularisme des Bra bançons, il eut la sagesse de transmettre ses droits à son second filAntoine. Il « voyait au loin », comme dit Froissart, et comptait qu

l’avenir amènerait quelque jour l’union territoriale qu’il eût été prématuré de demander au présent. Quand il mourut en 1404 il avait atteint le but qu’il s’était, semble-t-il, fixé dès l’origine. L’hégémonide la maison de Bourgogne dans les Pays-Bas était assurée.

C’est à l’étendre plus loin que devaient se consacrer ses successeurs. Mais, pour cela, il était indispensable que leur politique, se sé parant de celle de la France, se concentrât de plus en p454 plus sur lesriches territoires où la politique française les avait introduits. Dès lrègne de Jean Sans-Peur (1404-1419), on voit commencer l’évolutio

qui, du pur Valois qu’était son père, fait déjà de lui avant tout un prince bourguignon. Les intérêts de ses pays du nord, et en premier lieu dla Flandre, le rapprochent visiblement de l’Angleterre, et la reconnaissance du pape de Rome par les Flamands le fait s’employer à amenela fin du Grand Schisme. En même temps, il s’applique à augmenteencore les progrès de sa maison dans les Pays-Bas. Il fait épouser pason neveu, Jean de Brabant, Jacqueline de Bavière, l’héritière du Ha





naut et de la Hollande. En 1408, il étend son influence jusqu’à laMeuse en venant au secours de l’évêque de Liège, Jean de Bavièrecontre ses sujets révoltés, et il les taille en pièces à Othée, au nord

ouest de la ville.Cette croissance de l’ascendant bourguignon dans le nord ne pou

vait laisser la France indifférente. La folie du roi le mettant hors dcause, son frère, le duc d’Orléans, s’y posa en adversaire décidé dJean Sans-Peur. On n’a pas à revenir ici sur les péripéties du furieuconflit auquel furent mêlés les deux rivaux. L’un et l’autre y périrende mort violente. Le Bourguignon, qui avait ordonné l’assassinat dLouis d’Orléans, devait être abattu lui-même en 1419 sur le pont dMontereau.

II. — L’État bourguignon sous Philippe le Bon141 Ce meurtre, dont son fils et successeur Philippe le Bon ne pouvai

manquer d’accuser le dauphin, jeta passionnément le nouveau dudans l’alliance anglaise. Pendant seize ans, on l’a vu, il lutta contre lFrance avec un acharnement qu’expliquent le désir de venger la mode son père et plus encore l’ambition politique. Car, s’il mit ses forceà la disposition de l’Angleterre, p455ce fut à condition que l’Angleterrelui laissât les mains libres dans le nord. En combattant de commuaccord avec elle, il combattait en réalité pour lui-même. Charles VIabsorbé par la guerre portée au sein du royaume, ne pouvaitl’empêcher de réaliser l’union de tous les territoires des Pays-Bas pré parée par Philippe le Hardi et Jean Sans-Peur. Favorisé par les circonstances, il accomplit, avec une rapidité et une facilité égalemenfrappantes cette grande œuvre, en laquelle consiste le seul résultat durable de la guerre de Cent Ans. Ce serait d’ailleurs une erreur complète que de l’attribuer uniquement à l’alliance anglaise, à la chance eaux talents du jeune duc. Rien de tout cela n’eût suffi, si elle n’avaiété préparée de longue date par la communauté des intérêts, la similtude des institutions, la participation aux mêmes destinées qui, en dé pit de la différence de leurs langages, rapprochaient les unes des autres, les diverses principautés des bassins de l’Escaut et de la MeuseD’elles-mêmes, elles n’auraient sans doute pas formé le bloc amalga 141 OUVRAGES À CONSULTER .





mé par Philippe le Bon. Mais il eût suffi qu’elles s’opposassent à sedesseins pour les rendre impossibles. Ils ont réussi parce qu’elles yconsentirent.

Il serait trop long de raconter dans le détail les agrandissementssuccessifs des domaines bourguignons sous le règne de Philippe. Srichesse, ainsi que les droits éventuels que les alliances dynastiqueconclues tant par son père que par son grand-père avec la maison dBavière, et sa parenté avec la branche brabançonne de sa propre maison en furent les instruments principaux. Le duc n’eut pas à triomphede l’obstacle que l’empereur, s’il l’avait pu, n’eût certes pas manqud’opposer à ses envahissements sur la rive droite de l’Escaut, c’est-àdire dans une région relevant de l’Allemagne. Mais la pitoyable fai

blesse de Sigismond le contraignit à n’user que de menaces, plus ridcules encore par l’indifférence avec laquelle on les accueillit que paleur grandiloquence. Elles eussent fourni un prétexte excellent contrPhilippe si les populations avaient voulu échapper à son pouvoir. Lfait qu’elles n’en tinrent aucun compte est la meilleure preuve que lcréation de l’État bourguignon se fit avec leur assentiment.

L’achat du comté de Namur par Philippe le Bon, en 1421, marquele point de départ de sa politique d’expansion. Sept ans plus tard, en1428, l’aventureuse Jacqueline de Bavière, dont le scandaleux maria

ge avec le duc de Gloucester a soulevé tout ensemble l’indignation d pape et celle du régent d’Angleterre, p456est contrainte de céder au ducle Hainaut, la Hollande et la Zélande. En 1430, à la mort du duc dBrabant, son cousin Philippe de Saint-Pol, les États du duché, malgrles objurgations de Sigismond, reconnaissent Philippe le Bon commlégitime héritier du Brabant et du Limbourg.

Le successeur de Sigismond, Albert II de Habsbourg, ne réussit pamieux quand il s’efforce d’empêcher l’absorption du duché deLuxembourg dans les domaines bourguignons. En 1441, Philippe l

Bon parvient à se le faire céder par Élisabeth de Görlitz. En mêmtemps, les principautés épiscopales de Liège, de Cambrai et d’Utrech passent sous son protectorat ; les papes, dont il a énergiquement em brassé la cause contre le concile, s’empressant d’y nommer, à sa demande, des évêques qui, tous choisis parmi ses proches parents, nseront que des instruments de sa politique. En 1435, quand il juge lmoment venu de se réconcilier avec la France et d’abandonne





l’Angleterre, dont il a tiré tous les services qu’elle pouvait lui rendrela paix d’Arras non seulement l’exempte de l’hommage à la couronnmais lui constitue par surcroît une admirable frontière militaire du cô-

té du royaume en lui valant la possession des villes de la Somme142

.L’expansion de la maison de Bourgogne a donc apporté une modi

fication essentielle à l’équilibre de l’Occident. Elle a introduit entre lFrance et l’Allemagne un État nouveau, que les royaumes actuels dBelgique et de Hollande représentent encore sur la carte de l’EuropeSans doute le duc dont le pouvoir s’étend désormais de la mer du Nord à la Meuse et de la Somme au Zuiderzee n’y jouit que d’unsouveraineté de fait. En droit, ces pays continuent à relever de la couronne de France sur la rive gauche de l’Escaut et de la couronn

d’Allemagne sur la rive droite du fleuve. C’est sans doute pour mettrfin à cette situation ambiguë que Philippe le Bon et plus tard son filsCharles le Téméraire, s’efforcent, sans succès d’ailleurs, d’obtenir dl’empereur le titre royal. Leur échec de ce côté, s’il a été une blessur pour leur amour-propre, ne les a pas empêchés d’être en réalité de véritables souverains. Non seulement leurs sujets, mais leurs voisins leont considérés comme tels. Leur vassalité vis-à-vis de leurs suzerainest demeurée purement théorique. L’empereur Frédéric III renoncdécidément aux prétentions archaïques que Sigismond avait encoropposées p457 à Philippe le Bon : il reconnaît le fait accompli, et lamouvance allemande, qui, depuis leXIIe siècle déjà, était en régressionconstante dans les Pays-Bas, n’y est plus désormais qu’une forme vane. Les rois de France, il est vrai, dès que la fin victorieuse de la guerre de Cent Ans leur a permis de reprendre au nord du royaume la poltique traditionnelle de leurs ancêtres, ont affecté de ne considérer lduc de Bourgogne que comme un grand vassal ; mais ils n’invoquencontre lui le droit féodal que comme ils l’invoquaient jadis contre lroi d’Angleterre : il n’est plus qu’un prétexte servant à colorel’attitude politique qu’ils adoptent à son égard.

Il est clair, en effet, que la puissance bourguignonne constitue poula France un danger permanent. Paris est à quelques lieues des villede la Somme, et une alliance peut toujours se former entre le rod’Angleterre et le « grand duc d’Occident ». D’ailleurs, par la richesset la population si dense de ses domaines, le duc jouit d’un ascendan






qui n’égale pas seulement celui du roi de France, mais qui cherche l’éclipser. Ne vient-il pas, en 1454, de se poser en chef de la chrétienté, en faisant le vœu de conduire une croisade contre les Turcs ? Au

concile de Bâle, n’a-t-il pas revendiqué pour ses représentants le pasur ceux des Électeurs et n’a-t-il pas l’outrecuidance de s’intitule« duc par la grâce de Dieu » ? Ne s’est-il pas permis de créer l’ordrde la Toison d’or dont l’éclat surpasse celui de tous les ordresroyaux ? La tentation est irrésistible de rabattre une telle superbe et drappeler à ce glorieux personnage qu’il n’est au fond qu’un vassal dla couronne. Aux yeux de Charles VII d’ailleurs, comme aux yeux dtous les bons Français, la maison de Bourgogne n’est, en sommequ’une branche félonne de la maison de Valois. Au lieu de favoriser l politique royale dans ces Pays-Bas où la confiance de Charles V l’implantée, elle y est devenue, avec un bonheur insolent, la rivale, puil’ennemie de la dynastie ; et, au surplus, ses exigences, lors de la paid’Arras devaient amener une réaction. N’osant et ne pouvant attaqueen face Philippe le Bon, Charles VII s’ingénie à l’humilier et plus encore à lui susciter des adversaires. En 1441, la duchesse Isabelle, envoyée en ambassade auprès de lui, « aperçut assez clairement, et ausfirent ceux qui y estoient avecque elle, que les gouverneurs d’iceluroi n’avoient mie agréable le duc de Bourgogne ni ses besognes »Quatre ans plus tard, un huissier royal venait citer le duc, en plein

chapitre de la Toison d’or, à comparaître devant le Parlement de Pari pour y répondre à la plainte p458 d’un obscur particulier. Plus gravesétaient les intrigues menées en Allemagne contre Philippe, où le rocherchait visiblement à lui susciter des ennemis : le duc de LorrainRené d’Anjou, puis le comte palatin, l’archevêque de Trêvesl’archevêque de Cologne et le duc de Saxe. En 1459, il lui portait ucoup droit en achetant les prétentions de Ladislas de Hongrie sur lLuxembourg, entré depuis 1441 au nombre des possessions de Philip pe.

Ainsi, entre la France et la Bourgogne, la lutte devient inévitableEn 1460, le Conseil royal déclarera « que le roi a matière suffisante e juste cause de procéder par voye de fait et puissance d’armespour fai-re obéir, par tous les pays de Monseigneur de Bourgogne estans auroyaume, aux arrêts du Parlement ». Mais Monseigneur de Bourgogna bien trop de pays hors du royaume pour tenir compte encore de cParlement dont la juridiction n’est visiblement invoquée que pour jus





tifier une guerre qui sera en réalité celle de deux monarchies incompatibles. Ce n’est plus de féodalité qu’il s’agit entre France et Bourgogne, c’est de politique. Apprécier Philippe le Bon à la mesure d’un

Gui de Dampierre et ne voir en lui qu’un grand vassal désobéissantau lieu du souverain effectif d’un État nouveau, c’est méconnaître entièrement la situation d’un prince que l’étendue de ses territoires, aus bien que leurs intérêts, ont fait définitivement sortir de l’orbite de l politique française. Les mots ne doivent pas tromper sur la réalité dechoses. En fait, ce que représente la maison de Bourgogne, c’est beaucoup plus qu’une dynastie ambitieuse : ce sont les Pays-Bas. Elle achevé l’unification vers laquelle les poussait depuis longtemps lcours de l’histoire ; c’est eux qui sont le fondement de sa puissance ec’est eux qui lui confèrent son importance européenne. Pour employel’expression très exacte de Juste-Lipse, Philippe le Bon a été le « fondateur de la Belgique » (conditor Belgii). Et, en fondant au point le plus sensibles de l’Europe cet État nouveau, que la France devas’acharner à détruire puis à conquérir, il a, sans l’avoir voulu, influ plus fortement sur l’avenir qu’aucun prince de son temps. Avec lui, eeffet, s’ouvre cette terrible question des Pays-Bas dont dépendra slargement dans les siècles futurs l’équilibre de l’Europe. p459

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Bibliographie duchapitre VII La formation de l’État bourguignon

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Pour l’histoire des Pays-Bas et del’État bourguignon jusqu’au milieu duXVe siècle, on trouvera la bibliographiedans H. Pirenne, Bibliographie de l’histoire de Belgique(Bruxelles, 1900, in-8° ; 3e éd., 1931). Parmi les exposés d’ensemble, citons celui de H. Pirenne

au t. II de son Histoire de Belgique(Bruxelles, 1903, in-8o

; 3e

éd. 1922), du point de vue des Pays-Bas, et, du point de vue de la Bourgogne, celd’A. Kleinclausz, Histoire de Bourgogne(Paris, 1909, in-8° ; 2e éd., 1924).









du XIVe siècle et est resté depuis lors employé pour désigner l’ensemble d’une confédération dont, en fait, il fut longtemps l’âme.

Les trois « cantons forestiers » n’étaient que de pauvres cantons ruraux, vivant presque uniquement de l’élève du bétail ; mais ils setrouvaient sur une route de passage, à laquelle, dans la première moitié du XIIIe siècle, l’élargissement du sentier qui traversait le col duSaint-Gothard était venu donner soudain une extrême importancePlus sensibles désormais aux influences du dehors, à cellesd’Allemagne et d’Italie surtout, les rudes montagnards de ces régions’étaient laissé gagner peu à peu aux idées de liberté, d’indépendancqui, si près d’eux, de chaque côté des monts, faisaient un rapide chemin. Ils avaient d’abord cherché à dénouer les liens qui les ratta

chaient à l’Autriche et réclamé pour eux-mêmes cette immédiatetqui, pour tant de villes et parfois de groupements ruraux, étaient, soen Allemagne, soit en Italie, le plus sûr moyen d’accéder à la libertéL’avènement au trône impérial de leur seigneur direct, le comte Rodolphe de Habsbourg (1273), les avait aidés, après quelques concessions particulières, assez discutables parfois, à franchir nettement cett première étape : réputés tous trois, d’une façon plus ou moins officiele, territoires d’Empire, soumis comme tels à un régime administratqui, avec des variantes, leur donnait à tous trois comme un avant-goûde l’autonomie, ils se trouvèrent d’accord, au lendemain de la mort dsouverain (15 juillet 1291), pour s’unir solennellement entre eux evue du maintien de leurs privilèges : p461 au début d’août 1291, ilsconclurent « à perpétuité » un pacte d’amitié et d’assistance mutuellcontre quiconque les attaquerait ou tenterait de porter atteinte à leurdroits et à leurs privilèges.

Ce pacte visait expressément l’Autriche, fort peu disposée, bienentendu, à se laisser dépouiller. Pendant tout le règne d’Albert Ier deHabsbourg (1298-1308), il fallut donc batailler. Mais la nécessité ofut son successeur Henri VII de Luxembourg de s’assurer des partsans à tout prix, valut aux trois cantons, en juin 1309, un privilège décisif : relevant immédiatement de l’Empire, ils se voyaient reconnaîtrle droit de n’être cités que devant le bailli impérial, qui désormais re présenterait directement auprès d’eux trois le souverain, ou devant ltribunal suprême de l’Empire. C’était admettre comme un fait acquil’union proclamée en 1291. Les Habsbourg ne se résignèrent pas. E1315, le duc d’Autriche Léopold, frère du duc Frédéric, le concurren





de Louis de Bavière au trône d’Allemagne, tenta contre les confédéréun énergique effort : son armée fut écrasée sur les bords du lacd’Ægeri, au pied des pentes escarpées du Morgarten (15 novembre),

ce fut miracle s’il échappa lui-même à la tuerie. Trois semaines aprè(9 décembre), à Brunnen, sur le lac des Quatre-Cantons, les vainqueurs renouvelèrent, avec le sentiment d’une force accrue, le pactde 1291 ; au début de l’année suivante (29 mars 1316), ils obtinrent droi Louis de Bavière la confirmation de l’acte de 1309 ; enfin, en1318, l’Autriche fut contrainte, sinon de s’incliner, du moinsd’accepter un armistice qui équivalait à un aveu d’impuissance.

Mais, pour les cantons forestiers, l’union avec les villes voisineétait une nécessité non moins politique qu’économique. Lucerne, leu

débouché naturel, fut le premier centre urbain qui s’agrégea à leugroupement (1332), portant ainsi à quatre le nombre des cantonconfédérés. En 1351, Zurich, en lutte à son tour contre les Habsbourgadhéra à l’« alliance perpétuelle » des quatre. L’année d’après, laconfédération réussit à s’assurer un moment de Zug et de Glaris ; elldut les rendre à l’Autriche ; mais Berne, qui était ville libre, entra danla confédération le 6 mars 1353, et, renforcée de la sorte, celle-ci ssentit, au bout de quelques années, de taille à défier face à face leHabsbourg en remettant la main sur Zug : conquise à la fin de 1364 oau début de 1365, la ville et son territoire ne devaient plus désormaiêtre séparés des autres cantons. p462

Toutes les tentatives faites par l’Autriche pour empêcher la Suissde lui échapper pièce à pièce échouèrent. Sommations et violencefurent également vaines. En 1385, par un traité signé à Constance, leconfédérés n’hésitèrent pas à s’affilier contre le duc Léopold III auligues des villes souabes et rhénanes ; en même temps, elless’armèrent pour la lutte décisive. Le 9 juillet 1386, à la bataille dSempach, au nord-ouest de Lucerne, Léopold fut vaincu et tué ; le avril 1388, les Autrichiens furent encore battus à Naefels, au nord dGlaris, qui fut admise peu après dans la confédération. L’Autriche dus’avouer vaincue : le 9 mars 1389 elle signa à Zurich, pour une période de sept ans, une paix dont, le 16 juillet 1394, la durée fut prolongé jusqu’en avril 1415. C’était la reconnaissance définitive de l’état dchoses existant : les neuf cantons, dont, par suite de nouvelles adhésions, se composait maintenant la confédération (Schwyz, Uri, Unterwald, Lucerne, Zurich, Berne, Zug, Soleure et Glaris), étaient officie





lement admis à traiter sur un pied d’égalité avec les Habsbourg ; leurneuf sceaux figuraient au bas du traité ; et chacun d’eux se voyait poutoujours libéré de la suzeraineté autrichienne.

II. — L’expansion suissedans la première moitié duXVe siècle145

Au cours duXVe siècle, la Confédération suisse ne cessa de se dé-velopper. Les cantons montagnards et les villes resserrées dans leurmurailles ne pouvaient, pour vivre, se passer des plaines avoisinanteset les besoins de leur sécurité militaire, la nécessité de tenir et protégeles cols des Alpes devaient amener les uns et les autres à chercher usolide établissement dans les hautes vallées italiennes, comme às’étendre jusque sur les bords du Rhin. Mais, faute d’entente, cettexpansion se produisit par à-coups, sans plan d’ensemble, sans méthode. Du moins les confédérés furent-ils bien servis par les circonstances. Dès 1403, Uri, Unterwald et Lucerne réussissaient à signeavec les paysans du Valais un traité d’alliance perpétuelle ; la mêmannée, Uri et Unterwald, qui étaient pressés d’établir leur p463 domina-tion sur le versant italien, purent assez aisément soumettre la Léventne, c’est-à-dire le Haut Tessin, au lendemain de la mort de JeanGaléas Visconti, duc de Milan, qui contrôlait jusqu’alors la vallée

Plus précaires furent l’annexion du val d’Ossola, en 1410, puis 1417et celle de Bellinzona en 1419. La Léventine elle-même, perdue e1422, ne put être regagnée qu’en 1440, et encore à titre provisoire.

Les confédérés cherchèrent aussi, non sans succès, à mordre sur leterritoires autrichiens qui les encerclaient. En 1405, Schwyz protégeles montagnards de l’Appenzell à la fois contre l’abbé de Saint-Gall econtre le duc Frédéric IV d’Autriche ; l’appui qu’il leur prêta leu permit un moment de former contre les Habsbourg, sous le nom d« Ligue d’au-dessus du lac », une vaste association de villes et de cantons ruraux s’étendant jusqu’à l’Arlberg et même jusqu’au Tirol. Puiquand la ligue fut dissoute (1408), Schwyz parvint à retenirl’Appenzell et Saint-Gall dans la Confédération suisse elle-mêm(1411-1412). Quelques années plus tard, les Suisses profitèrent de lrupture entre Sigismond et le duc Frédéric IV : comme le Habsbour






était mis au ban de l’Empire, ils se ruèrent sur ses domaines, occupèrent et purent conserver l’Argovie, qui permettait de souder entre elleles possessions de Zurich, de Lucerne, de Berne et de Soleure (1415

La conclusion d’un traité d’alliance avec Schaffhouse en 1454, puisen 1460, la conquête de la Thurgovie, à la faveur des embarras du duSigismond, viendront compléter ces acquisitions en portant au Rhin eau lac de Constance les frontières de la Suisse.

Cette croissance rapide n’alla pas d’ailleurs sans provoquer de graves luttes intestines. Les intérêts des cantons, qui avaient chacun gardune autonomie à peu près complète, étaient souvent divergents. Deheurts violents se produisaient. En 1439, un conflit éclata entre Zurich, d’une part, Schwyz et Glaris, de l’autre, à propos de l’héritage d

comte Frédéric de Toggenburg, dont les territoires, situés dans la haute vallée de la Thur, étaient non seulement convoités par une nuée dseigneurs, mais tiraillés entre les cantons voisins, avec lesquels ilnouaient des traités de « combourgeoisie ». Une longue guerres’ensuivit.

Zurich, isolée, osa invoquer l’appui du roi Frédéric III de Habs bourg. Elle n’en était pas moins sur le point de succomber, au mois d juin 1444, quand l’arrivée inopinée des routiers français, appelécomme on l’a vu146, à son secours, lui évita le p464 désastre. Les

confédérés furent battus le 26 août à Saint-Jacques, près de Bâle, maiobtinrent, quelques semaines après (28 octobre), du dauphin Louis utraité d’alliance qui leur laissa les mains libres pour en finir avec Zurich. Bientôt d’ailleurs le différend fut aplani par des voies pacifiqueet, le 24 juin 1450, le duc Sigismond d’Autriche dut s’incliner une foide plus devant la force irrésistible de cette ligue de montagnards econcluant, lui aussi, avec eux, une alliance formelle.

Dès cette, date, en effet, la Confédération suisse fait figure de puissance européenne, et un chroniqueur allemand du temps traduit asse

bien le sentiment général quand il écrit : « Les Suisses ne faisaienaucun cas du roi ; ils pensaient que personne ne pouvait plus rien osecontre eux, et ce qu’ils se proposaient, ils l’exécutaient. »4






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Bibliographie du chapitre VIII Les débuts de la Confédération suisse

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — J. Dierauer,Geschichte des schweize-rischen Eidgenossenschaft , t. I et II (Gotha, 1887-1892, 2 vol. in-8o ; 3e éd.,1919-1920, dans l’« Allgemeine Staatengeschichte »), trad. française, revu par l’auteur, sous le titre : Histoire de la confédération suisse, trad. par Aug.Reymond (Lausanne, 1911-1912 ; 2 vol. in-8°), l’ouvrage de beaucoup le pluapprofondi sur l’ensemble de l’histoire suisse. Le t II s’arrête à 1516. On tro

vera dans les notes de la 3e

édition ; allemande les renvois aux nombreux tra-vaux de détail. Beaucoup plus rapide, mais suggestive, est l’histoire de Suissen deux volumes, d’E. Gagliardi,Geschichte der Schweiz von den Anfängenbis auf die Gegenwart , t. I (Zurich, 1920, in 8°).

I. Les origines de la confédération OUVRAGES À CONSULTER . — Aux ouvrages généraux indiqués à la note précéden-

te joindre surtout W. Oechsli, Die Entstehung der Schweizerischen Eidgenos- senschaft (Bern, 1891, in-8o), qui reste l’ouvrage fondamental. L’auteur a depuis lors résumé clairement ses thèses dans l’introduction à saGeschichte der Schweiz im XIX. Jahrhundert , t. I (Leipzig, 1903, in-8°). Les nombreuses étu-des de Karl Meyer sur l’influence de l’Italie à l’origine de la confédération la discussion à laquelle elles ont donné lieu avec G. von Below et quelques atres sont indiquées par P.-B. Martin dans la Revue historique, t. CXLVIII(1925), p. 80. Voir aussi Ch. Gilliard, Les origines de la Confédération suissed’après les travaux les plus récents, dans la Revue belge de philologie et d’histoire, t. Ill (1924), p. 101-113, et H. Nabholz, Die neueste Forschung über die Entstehung der schweizerischen Eidgenossenschaft, dans Papsttumund Kaisertum. Forschungen zur politischen Geschichte und Geisteskullur deMittelalters(Munich, 1926, in-8°). Ajoutons E. Meyer, Zur Interpretation desUrschweizer Bundesbriefes von 1291, dans la Revue d’histoire suisse, ann.1930. — Pour le détail, voir les travaux auxquels renvoie J. Dierauer, danl’ouvrage cité à la note précédente.









I. — La décadence de l’ancienne Italie : Napleset l’État pontifical148.

Le royaume angevin de Naples est, dès la fin duXIVe siècle, en pleine décomposition : il n’a pu se relever du coup terrible que lui porté, au siècle précédent, l’invasion aragonaise. Au reste, l’ambitiodes souverains de Barcelone reste grande. Le dernier roi aragonais d« Trinacrie » (la Sicile), Frédéric III149 est mort en 1377, ne laissantqu’une fille, Marie. Le roi d’Aragon, Pierre IV le Cérémonieux, dé joue les intrigues de la noblesse sicilienne, qui cherche à marier l jeune héritière à quelque prince italien. Celle-ci se réfugie à la cour dBarcelone, et finalement épouse Martin le jeune, un petit-fils de Pierre IV (1391). Le nouveau roi et son père, Martin l’aîné, passent plusieurs années à conquérir la Sicile et, en dépit de nouvelles révoltes, ldomination aragonaise est solidement rétablie dans l’île : la mort successive de Marie, en 1402, et de son époux, en 1409, laisse la couronne trinacrienne au roi d’Aragon, le premier depuis la fin duXIIIe sièclequi ait réussi à joindre les deux sceptres.

Dans le sud de la presqu’île, l’anarchie sévit alors plus que jamaisDe ses quatre mariages, Jeanne Ire d’Anjou n’avait pas d’enfants ; sondernier mari, Otton de Brunswick, occupé dans la Haute Italie, luétait d’un médiocre secours. Quand se p467produisit le Schisme, elle setrouva désemparée : d’abord du parti de Clément VII, elle se rallia Urbain VI quand ce dernier eut chassé son rival des États pontificauxmais en 1380 elle revint au pape d’Avignon, et, sur son conseil, adopta le duc Louis Ier d’Anjou, frère de Charles V, pour héritier. Ce choixne pouvait manquer de provoquer la révolte du successeur légitime, ldernier représentant de la première dynastie angevine, Charles III dDurazzo, que les contemporains nommaient Charles « de Duras » couronné par Urbain VI, celui-ci, en 1381, s’empara de Naples et fit lreine prisonnière. Mais ce fut seulement l’année suivante qu’aprèavoir assis son autorité sur la Provence, le prétendant français, Loui

148 OUVRAGES À CONSULTER .149 Petit-fils et troisième successeur du roi Frédéric II, couronné en 1296. Voir p

172.





d’Anjou, se décida à venir lui disputer le royaume. Jeanne étant mortdans l’intervalle, probablement étranglée sur l’ordre de Duras, le dud’Anjou envahit la péninsule et, s’il n’osa entrer dans Naples, réuss

du moins à soumettre la plus grande partie du pays. Mais la fièvrl’emporta et son armée se débanda (septembre 1384). Charles de Duras ne lui survécut pas longtemps : il mourut empoisonné au mois dfévrier 1386, sans laisser d’autre héritier qu’un enfant, Ladislas, à quil est vrai, ses adversaires ne pouvaient opposer qu’un autre enfantLouis II d’Anjou, le fils de l’ancien prétendant.

À la même époque, les États pontificaux n’apparaissent pas en biemeilleure posture. Le Schisme les a profondément divisés et a lancsur eux les troupes rivales de l’Anglais Hawkwood et du Breton Ber

nardon de la Salle. Si Urbain VI reprend pied dans le Château SaintAnge et défait les Clémentins à Marino (avril 1379), sa domination’en est guère mieux établie. Ses manières brutales lui aliènent leRomains ; il doit se réfugier à Naples, puis, après sa brouille avec Duras, s’enfuir à Gênes, d’où il passe à Lucques et à Pérouse. Ce n’esqu’en 1388 qu’il peut revenir à Rome, alors disputée entre divers potentats locaux ; mais, à cette date, il a perdu le contrôle d’une bonn partie de ses États et n’est plus guère obéi ni en Toscane, ni en Om brie, ni en Romagne. Son successeur Boniface IX applique son énergie à relever le prestige du pouvoir pontifical. Il parvient à regagneles villes défaillantes, Pérouse, Viterbe, Ancône, Bologne ; mais au prix de quels sacrifices ! Force lui est de leur accorder une large autonomie, et de diviser les États de l’Église en une série de vicariatsconfiés pour une longue période à d’ambitieux seigneurs laïques, qusous les dehors d’une vague vassalité, se rendent pratiquement indé pendants. À Rome p468même, l’autorité de Boniface est précaire ; sansdoute, il réussit à supprimer dans la ville l’administration républicainet à rétablir un sénateur à ses gages (1398) ; sans doute aussi il parvient, en 1401, à étouffer une rébellion des Colonna ; mais l’instabilit

du peuple de la ville rend illusoires ces succès.Et c’est alors que surgit pour la papauté affaiblie un danger nou

veau, l’ambition de Ladislas de Durazzo qui, reprenant les rêves ébauchés aux siècles précédents par Charles Ier , puis par Robert d’Anjou,songe à étendre sa domination à l’Italie centrale. Maître de Naples de puis le mois de juillet 1399, il intervient dès 1401 dans les affaires dRome ; en 1404, il impose sa médiation à Innocent VII et au peupl





romain révolté, entre dans la Ville Éternelle, exige du papel’engagement de faire passer avant toute autre chose, avant même lliquidation du schisme, la question de la reconnaissance de ses droit

sur le royaume de Naples ; il se fait, par surcroît, nommer recteur de lCampagne romaine et de la Maritime, ce qui ne l’empêche pas, danRome, d’exciter aussitôt la noblesse contre le Souverain pontife, obligé régulièrement de capituler devant ses sommations. Grégoire XI(1406-1409) est, plus encore que son prédécesseur, le prisonnier dLadislas : pour contrecarrer les tentatives de rapprochement qus’ébauchent entre les divers pontifes rivaux, le roi de Naples provoquà Rome une révolte nouvelle, et, à la faveur de l’anarchie, s’y installen maître (avril 1408). L’Ombrie et la majeure partie des États pontificaux passent sous son autorité. Abandonné par ses cardinaux, qudécident de faire sans lui l’union, Grégoire XII, loin de protestecontre l’usurpation du roi de Naples, la confirme et invite même Ladslas à venir dissoudre le concile de Pise. Déjà l’armée napolitaine franchi les frontières de la Toscane ; elle a atteint Arezzo et Siennequand l’attitude énergique des Florentins la force à rebrousser chemi(mars-juin 1409).

Cependant l’étoile de Ladislas commence à pâlir. Son concurrenLouis II d’Anjou, solennellement reconnu par le nouveau papeAlexandre V, issu du concile de Pise, accourt à la tête d’une arméeque conduit avec lui le cardinal Balthazar Cossa ; il marche sur Romeet après un premier assaut infructueux au mois d’octobre 1409, réussit, en janvier suivant, à chasser les Napolitains de la ville. Au débude 1411, Cossa est pape sous le nom de Jean XXIII, et c’est aux côtéde Louis II qu’il fait son entrée dans la Ville Éternelle, d’où le princangevin p469 part à la conquête de son royaume. Mais, quoique victo-rieux à Roccasecca (mai 1411), Louis II n’arrive pas à tirer parti dson succès et doit se rembarquer pour la France. Il n’en faut pas plu pour réveiller les espoirs de Ladislas, qui débauche Muzio Attendol

Sforza, le meilleur condottieredu pape, et force ce dernier à la paix(1412). Libre désormais de ses mouvements, il reprend en 1413 se plans de conquête en Italie centrale, lance Sforza sur les Marches, force Jean XXIII à s’enfuir de Rome, qu’il livre au pillage (8 juin), pousse ensuite vers le nord, dans l’espoir de s’emparer de la Toscane, lorsque la mort l’arrête soudain (6 août 1414).





Par son ambition démesurée, Ladislas n’a réussi qu’à aggravel’anarchie dans les États pontificaux ; il a soutenu les Colonna contrles Orsini, éveillé les instincts de rapine descondottieri. Sforza essaie

vainement de reprendre Rome, d’où les Napolitains ont été chassés les Orsini et le légat Jacques Isolani y rétablissent pour un templ’autorité papale, puis, pendant deux ans (1417-1419), la ville est dis putée avec acharnement entre les divers partis, jusqu’au jour où Jeanne II, sœur et héritière de Ladislas, la restitue enfin au pape Martin V(octobre 1419). Ladislas, au surplus, a ruiné son propre royaume, etaprès lui, Jeanne II précipite la débâcle. Sforza, qui quitte son serviceappelle contre elle Louis III d’Anjou, le fils de Louis II, et menace dconquérir Naples pour le compte de ce nouveau prétendant angevinPour parer à ce danger, Jeanne s’adresse au roi d’Aragon et, n’ayan pas d’enfants, l’adopte comme successeur (juillet 1421). Alphonse Vle Magnanime, qui, après avoir conquis la Sardaigne en 1420, étaialors occupé au siège de Bonifacio en Corse, accourt à Naples, maine tarde pas à se brouiller avec sa protégée : celle-ci le chasse de scapitale, puis, en désespoir de cause, adopte son propre rival, Louid’Anjou (1423), tandis qu’Alphonse, rappelé au-delà des mers par seintérêts espagnols, se voit contraint de rentrer sans gloire en Aragon.

L’avènement d’Eugène IV, la révolte des Colonna qui s’ensuit(1431), les difficultés que rencontre le nouveau pontife à protéger seÉtats contre des aventuriers de toutes sortes, la révolte romaine d1434, qui force Eugène à se réfugier à Florence, et qui est difficilement écrasée par le légat Vitelleschi, la mort de Louis III laissant le prétentions angevines à son frère René, alors prisonnier des Bourgugnons, la disparition de Jeanne II (février 1435), enfin, par-dessutout, la lutte ardente p470avec le concile de Bâle, dans laquelle s’épuisele pontife, paraissent à Alphonse V d’heureux présages : il repasse lemers et vient mettre en 1435 le siège devant Gaëte. Mais il a affaire forte partie, car Eugène, menacé, a obtenu pour les Angevins l’appu

du duc de Milan et celui de Gênes. La flotte aragonaise est battue pales Génois devant Ponza (5 août 1435) et Alphonse lui-même est fai prisonnier. Ces revers ne l’abattent point : par la seule force de la persuasion, il retourne son geôlier, le duc de Milan, Philippe-Marie Visconti, s’allie avec lui et obtient sa libération sans rançon. Aussitôt li bre, il reprend l’offensive (1436) ; la résistance énergique de Vitelleschi l’arrête de longs mois, en 1437 ; et quand le légat, devenu suspec





aux Angevins, abandonne la lutte, René, enfin libéré par les Bourgugnons, accourt à la défense de Naples (1438). Il a compté sansl’extraordinaire ressort de l’Aragonais : déjà maître de la plupart de

provinces napolitaines, Alphonse assiège la ville. Au mois de jui1442, il s’en empare et, sous condition de ne plus reconnaîtrel’antipape de Bâle, obtient d’Eugène IV l’investiture du royaume.

C’en est fini pour toujours des espérances italiennes de la maisond’Anjou. C’est Alphonse le Magnanime qui est désormais le plu puissant souverain de la Méditerranée. Des Baléares, de la Sardaignede la Sicile et de Naples, il commande à toute l’Italie, intervient danles affaires de la péninsule ; l’ouverture de la succession des Viscontet les troubles qu’elle provoque favorisent ses desseins sur le Mila

nais. Ses regards vont même plus loin ; reprenant la politique traditionnelle des souverains de l’Italie du sud, il noue des intelligenceavec les derniers despotes grecs de Morée et d’Albanie, rêve d’établson protectorat sur l’Empire byzantin, et, quand la chute de Constantnople a rendu caducs ces projets, parle d’organiser une grande croisade contre les Ottomans.

En face de lui, le pape Eugène IV, dans sa retraite de Ferrare, puisde Florence, et en pleine lutte contre le concile de Bâle, fait vraimen bien piètre figure. Son légat Vitelleschi a gouverné Rome avec un

telle cruauté que la population se soulève contre lui, l’emprisonne et lmet à mort (1440). Force est à Eugène d’accepter le fait accompli force lui est, en 1443, de reconnaître Alphonse V et de nouer alliancavec lui. Lorsqu’il revient à Rome, le pape ne trouve partoutqu’épuisement et que désolation ; encore doit-il se défendre contrd’autres dangers : François Sforza, le fils du grand condottiere, maintient guerre ouverte p471 dans les Marches, et Bologne a recouvré laliberté. La mort d’Eugène IV réveille les troubles dans Rome, où unoble, Étienne Porcari, enthousiasmé par la lecture des historiens dl’antiquité, prêche la restauration de la république (1447). Seulel’élection de Nicolas V met un terme à ces violences. Ce pape, qu parvient à clore le schisme de Bâle, sait aussi apaiser l’agitation romaine et ramener Bologne sous son contrôle. Le jubilé de 1450, legrandioses cérémonies du couronnement impérial de Frédéric II(1452) redonnent à la papauté un peu de son lustre passé ; mais unconspiration ourdie contre le Souverain pontife, à Rome même, paPorcari, découverte et châtiée en 1453, montre combien son pouvoi





reste encore précaire, et sur quel monceau de ruines ses successeurvont avoir à rebâtir l’État pontifical.

II. — Venise, Florence et Milan150 Depuis que l’autorité impériale ne s’y fait plus sentir et que la pa

pauté est impuissante à y établir sa prépondérance, l’Italie du nord een pleine transformation. Les anciennes républiques urbaines sont, acours duXIVe siècle, presque toutes passées aux mains de tyrans ; desluttes cruelles divisent les villes, et dans les villes les factions. Maices guerres compliquées et monotones n’affectent guère que quelquefamilles de l’aristocratie désireuses d’accaparer le pouvoir l’ensemble de la population s’en désintéresse et s’adonne, dans unsécurité p472 relative, au développement de son commerce et de sonindustrie. Un lent travail de concentration et de groupement tend même à s’opérer : quelques villes, mieux situées que d’autres ou pluheureuses, émergeant de la confusion générale, sont en passed’imposer leur hégémonie à des provinces entières ; si Gênes est entravée par de constantes révolutions, Milan, sous le gouvernement deVisconti, doit à sa position excellente au croisement des principaleroutes de Lombardie, de surveiller toute la plaine d’alentour ; Florence, débarrassée de la concurrence de Pise, est maîtresse de la Tosca

ne ; Venise, qui commande l’Adriatique, établit peu à peu derrière slagune un solide domaine continental. Leurs ambitions rivaless’entrechoquent : Milan, par la Romagne et la Ligurie, menace Florence ; Venise empêche les Visconti de s’étendre à l’est. Dès qu’undes États met ses voisins en péril, une coalition des républiques rivalese forme contre lui afin de maintenir l’équilibre de l’ensemble. Aussl’Italie est-elle le pays né des subtiles combinaisons de la diplomatiedes ligues éphémères, des trahisons. Les gens du dehors, les « ultramontains » qui veulent intervenir dans cet imbroglio, qu’il s’agissdes Valois, des princes de la maison d’Anjou ou de la maisond’Aragon, des rois d’Allemagne, un Robert ou un Sigismond, tous s perdent dans la complication des intrigues et se laissent berner. p473

Milan, sous les Visconti, est le premier « État » qui cherche à sesubordonner les autres. À Galéas II succède en 1378 son fils Jean 150 OUVRAGES À CONSULTER .





Galéas, appelé communément le comte de Vertus, du nom du fiechampenois que lui a apporté sa femme, Isabelle de France. Ce tyracruel se débarrasse, dès 1385, probablement par le poison, de son on

cle Bernabò, avec qui il avait dû partager le gouvernement de la Lom bardie ; il marie sa fille Valentine au duc d’Orléans Louis, et, en lufaisant espérer sa succession, attire les forces françaises au service dson ambition personnelle ; c’est ainsi qu’Orléans, maître d’Asti, intervient dans un conflit entre Savone et Gênes, et que la république génoise, déchirée par les factions, reconnaît la souveraineté de Charles VI (1396). Le maréchal français Boucicaut s’y maintient jusqu’e1409 ; Jean-Galéas, de son côté, vise à établir sa domination sur lToscane et la Romagne. Seule Florence, qui a pris à son service leroutier anglais Hawkwood, s’oppose à ses projets ; mais le tyran achète de l’incapable Venceslas le titre de duc de Milan (1395) et, fort dsa charge de vicaire impérial, s’attaque au seigneur de Mantoue(1397) ; il occupe Pise en 1399, se fait reconnaître protecteur de Pérouse, d’Assise, de Spolète l’année suivante ; il menace bientôt toutla Toscane. Vainement le roi des Romains Robert, appelé par le papevient user ses forces à essayer de déloger les Milanais. Dès son déparVisconti reprend sa marche en avant et, au mois de juillet 1402s’empare de Bologne, d’où il chasse le tyran Jean Bentivoglio, com plétant ainsi sa mainmise sur la Romagne.

La mort inopinée du premier duc de Milan, le 3 septembre, arrêtnet cette expansion trop rapide. Son condottiere, Albéric, abandonnles deux jeunes enfants de Jean-Galéas et passe au service du papequi récupère Bologne, Pérouse et Assise (1403) ; les Florentins occupent Pise, qui perd ainsi son indépendance (octobre 1406) ; quant Venise, elle laisse percer ses intentions menaçantes sur la Lombardieen s’emparant de Vérone, de Padoue et de Vicence (1404-1405). Réduit à Milan et à Pavie, le pouvoir des Visconti subit une éclipse passagère. Mais, après l’assassinat de Jean-Marie Visconti (1412), so

frère Philippe-Marie reprend la politique paternelle ; il usurpe le titrducal, que le duc d’Orléans, prisonnier des Anglais, ne peut lui disputer ; avec l’aide du condottiere Carmagnola, il adopte de nouveau un politique de conquêtes, réoccupe Verceil, Plaisance, les environs dGênes, Bergame, Crémone, Brescia, Parme, intervient en RomagneVenise, Florence et la papauté se liguent p474contre lui (1425) ; mais ilsait leur opposer les mécontents de tous ordres : il se fait donner e





1421 par les Génois la souveraineté de leur ville, d’où les Françaisdepuis onze ans, ont été chassés, s’allie à Lucques et à Sienne, défenle concile contre Eugène IV, accapare Sigismond, descendu en Itali

pour se faire couronner (1431).L’empereur, il est vrai, après avoir vainement tenté de se frayer un

passage à travers la Toscane, doit, en 1433, se rapprocher du pape eabandonner son ami milanais. Mais Visconti ne se tient pas pour battu, et, comme Carmagnola, passé au service de Venise depuis 1426vient de mourir, il s’abouche avec François Sforza, qu’il attache à so parti en lui promettant la main de sa fille naturelle Blanche-Marie ; le jette sur les Marches, puis sur l’Ombrie. En 1434, Eugène parvienà faire la paix avec le condottiere : seulement, pour le détacher de M

lan, il est obligé de lui abandonner le vicariat de la Marche d’Ancôneavec le titre de gonfalonier de l’Église. Loin de décourager Visconticette nouvelle défection l’incite à redoubler d’efforts :il se retourneaussitôt vers le roi Alphonse d’Aragon, son prisonnier 151, le relâche,et, grâce à son appui, fait front à une coalition de Gênes et de Florence. La première de ces deux villes, dont tous les intérêts sont opposéà ceux de l’Aragon, réussit à reconquérir temporairementl’indépendance ; dans la seconde, apparaît une hostilité croissantcontre les entreprises de Milan ; toutes deux ont gagné Venise et le pape à leur cause et se sont assuré leur alliance. Visconti ne se laiss pas intimider : le nouveau condottiere milanais, Piccinino, s’emparde la Romagne, avec Bologne, Imola, Forli ; il met même la main suRavenne, tombée depuis 1404 sous la coupe de Venise. Une paix provisoire est signée à Cavriana, près de Mantoue, en novembre 1441 : sPhilippe-Marie abandonne quelques-unes de ses conquêtes, il se réconcilie avec Sforza, à qui il promet sa succession.

Cette rapide volte-face était probablement due à la craintequ’inspirait au duc de Milan la force croissante de Florence. Sans doute, par sa richesse et l’ampleur de ses transactions commerciales, Florence était depuis longtemps devenue l’égale des plus puissantes cités ; mais son organisation intérieure, trop lente à s’adapter aux condtions nouvelles de sa vie politique, l’empêchait souvent déjouer danle monde italien le rôle de tout premier plan auquel elle semblait destinée, et, depuis p475 cent ans, elle s’était laissé distancer par Milan.

151 Depuis la bataille de Ponza. Voir ci-dessus, p. 471.





L’ancienne démocratie s’y était vue peu à peu évincée des conseils dgouvernement : les fonctions électives, dont les titulaires étaient sancesse changés, avaient passé aux mains de quelques grandes famille

de marchands, qui constituaient l’aristocratie de la cité.Dès le dernier quart duXIVe siècle s’était affirmée l’opposition en-

tre l’oligarchie des grands marchands, et les menus artisans, les « artmineurs ». Contre la dictature de la famille des Albizzi, épuisée paune guerre ruineuse avec la papauté, le bas peuple, ceux qu’on nommait lesCiompi, s’étaient révoltés en juillet 1378 ; ils étaient parvenusà instaurer un régime nettement démocratique et à défendre un programme de réformes hardies au bénéfice des classes les plus pauvreMais ils ne pouvaient se maintenir que par la terreur : ils avaient exil

les magnats, réprimé brutalement les complots formés par l’oligarchiet s’étaient ainsi très vite rendus impopulaires. Aussi, dès janvie1382, les représentants des « arts majeurs » avaient-ils reconquis l plupart des places perdues et étaient-ils en mesure d’exercer de sanglantes représailles.

À partir de ce moment, l’oligarchie règne en maîtresse à Florence mais elle se montre aussi incapable que sa démocratie d’y rétablir lconcorde. Les grandes familles s’y disputent entre elles le pouvoir el’on voit un banquier audacieux, Jean de Médicis, grouper jusqu’à s

mort (1429) les mécontents contre les tout-puissants AlbizziL’oligarchie, au surplus, gouverne sans douceur et réprime sans ménagements les tentatives de révolte du menu peuple ; mais elle est emême temps assez habile pour préparer et réaliser dès 1406l’annexion pacifique de Pise, puis pour tenir tête à Ladislas de NapleLa mort soudaine de ce prince ambitieux, en 1414, vaut à Florence dians de paix et affermit le régime oligarchique.

Ce régime, pourtant, n’est pas très solide. Rinaldo Albizzi, le chede la faction dominante, n’a pas les qualités nécessaires pour mener

bien les tâches écrasantes dont il est chargé ; la guerre, qui recommence en 1423 contre Philippe-Marie Visconti le laisse désemparé ; elorsqu’en 1430 il entreprend une grande expédition contre Lucquesforce lui est de demander une trêve politique aux Médicis, désormaisla tête du parti des mécontents. Le chef de la famille, depuis la morde Jean, est son fils Cosimo ou Cosme. Ce banquier richissimed’apparence modeste, mais sachant distribuer l’argent à bon escien





est un redoutable adversaire. Il devient vite le membre le plus influen p476des différents conseils, et son influence est telle qu’effrayé, Rinaldo Albizzi le fait arrêter le 7 Septembre 1433 sous prévention de pé

culat. Il obtient une sentence qui l’exile pour dix ans à Padoue. MaiCosme est reçu avec des honneurs royaux à Modène, à Padoue, à Venise. Il se rit de la confiscation de biens prononcée contre lui, car sfortune, engagée dans les affaires qui se traitent sur les principale places de commerce d’Italie et d’Occident, échappe de ce fait mêmaux autorités florentines. Il peut donc attendre tranquillement son heure. En effet, Rinaldo ne tarde pas à s’user par des mesures de répression trop violentes : les corporations réclament le retour des proscritet, en octobre 1434, Cosme peut faire une rentrée triomphale à Florence, d’où, à son tour, il chasse ses ennemis.

Dès lors, sans exercer de façon régulière aucune charge politiqueil est le véritable dictateur de la république. Il en gère la fortune, enconduit les affaires extérieures. Tyrans et souverains, les Visconti, l pape, le roi de Naples, doivent compter avec lui. C’est lui qui groupSforza, Venise et Eugène IV contre Philippe-Marie, et c’est à luqu’en 1441 Florence doit de pouvoir signer une paix avantageuse.

Mais l’équilibre politique est de nouveau rompu en 1442, lorsquEugène IV se brouille avec l’ambitieux Sforza et le somme de resti

tuer les territoires des Marches qu’il a usurpés sur l’Église. Il se formalors deux coalitions rivales ; d’un côté, le pape, Milan, Alphonse V de l’autre, Venise, Bologne et Florence. Grâce à la mort de son adversaire Piccinino, Sforza connaît d’abord quelques succès ; mais, vainc par l’obstination du pape, il doit, après une marche inutile sur Romse réfugier à Urbino (1446). Quelques mois plus tard, il passe de nouveau dans le camp des Visconti ; puis, au lendemain de l’élection d Nicolas V (mars 1447), se réconcilie avec le Saint-Siège. Et lorsque lmort de Philippe-Marie Visconti (13 août 1447) ouvre une successioavidement convoitée, la situation de l’Italie apparaît plus confuse qu jamais. Charles d’Orléans se montre incapable de faire valoir ledroits qu’il tient de sa mère Valentine ; le duc de Savoie, lui aussi alliaux Visconti, échoue pareillement ; plus dangereux en apparence, Al phonse le Magnanime, que Visconti, avant de mourir, a désigné comme successeur, n’est cependant pas plus heureux. François Sforzaégalement candidat en vertu d’une promesse antérieure, est le seul manœuvrer avec quelque habileté. Mais les Milanais p477 dédaignent





d’abord tous les prétendants et proclament la république, la « républque ambrosienne ». Venise, toujours âpre au gain, en profite pous’emparer de Plaisance et de Lodi. Alors Sforza se met comme simpl

condottiere, au service de la république, bat les Vénitiens à Caravaggio au mois de septembre 1448, puis, se retournant contre ses protégés, entre à Milan, où il réussit finalement à se faire proclamer duc efévrier 1450.

Malgré tout, la confusion reste extrême. L’événement provoqueaussitôt la formation d’une nouvelle ligue, qui groupe Venise et le rode Naples contre Sforza et Florence ; et Sforza, de son côté, songe uinstant à favoriser, pour leur faire pièce, une nouvelle descente de René d’Anjou contre les Aragonais. Mais le pape Nicolas V, qui est rest

neutre, et qui nourrit l’espoir de lancer la chrétienté contre les Ottomans installés à Constantinople depuis 1453, parvient à imposer au belligérants la paix de Lodi (9 avril 1454), qui reconnaît à Sforza l possession Milan.

Un équilibre se dessine à cette date en Italie où, à côté du royaumde Naples et des États pontificaux réorganisés, les ambitions rivalede Florence, de Milan et de Venise se partagent la péninsule. Il ne fau point se leurrer cependant : la paix de Lodi, suivie bientôt d’une ligud’entraide mutuelle conclue entre les États italiens, a été signée sur

tout contre l’étranger : c’est pour éviter une intervention du roi dFrance, allié de Sforza, et en même temps pour aviser au péril turc, d jour en jour plus menaçant, que l’Italie s’est décidée à mettre trêve ses dissensions. Mais cette première manifestation du patriotisme italien aura dans la suite d’importantes conséquences.

III. — La puissance aragonaise152 Les Aragonais cependant n’avaient point, on l’a déjà vu, renoncé

jouer un rôle politique, ni dans l’Italie méridionale, ni dans les îlevoisines, et, du point de vue commercial au moins, p478 leur situationrestait encore très forte dans tout le bassin de la Méditerranée occidentale.








dèrent, par voie de compromis, à donner la couronne à l’infant de Catille (24 juin 1412).

De cette crise successorale de deux ans, l’Aragon ne sortit cependant pas diminué, et l’avènement de la maison de Trastamare à Barcelone n’entraîna nullement, comme on l’aurait pu supposer, l’union dedeux grands royaumes ibériques. Devenu roi d’Aragon, Ferdinand pratiqua une politique purement aragonaise. Il s’occupa surtout dconsolider son pouvoir en face des autres prétendants. Reconnu enSardaigne et en Sicile, il engagea en Aragon une lutte à mort contre lcomte d’Urgel qui, avec l’aide des Anglais, tentait de faire valoir sedroits. Poursuivi comme traître, le comte d’Urgel fut jeté en priso(1413) et mourut après une longue captivité. La dynastie de Trastama

re se trouva ainsi sans rivaux en Aragon. Aussi, pendant le long règnd’Alphonse V (1416-1458), ce pays traversa-t-il une ère de réell prospérité ; engagé surtout dans la poursuite de ses ambitions italiennes, le roi, malgré les revers qu’il subit au début de l’autre côté demers, reçut toujours l’aide des populations aragonaises, qui lui savaient gré de favoriser par ses conquêtes leur essor commercial.

IV. — L’anarchie en Castille et en Navarre153 La maison de Trastamare était moins heureuse en Castille. Le fil

et successeur d’Henri II, Jean Ier de Trastamare, p480 après une folletentative pour s’emparer du trône de Portugal (1384-1385)154, s’usa,comme son père, dans la lutte contre les légitimistes et leurs allié portugais et anglais. En 1386, il dut faire face à un débarquement dJean de Gand, duc de Lancastre et gendre de Pierre le Cruel, qui entendait faire valoir les droits de sa femme contre le fils del’« usurpateur » et du « bâtard ». Jean Ier évita toute rencontre et laissal’armée anglaise s’épuiser dans la Galice, où elle avait pris terre après quoi, il accepta de négocier. En 1388, un traité fut conclu, auxtermes duquel le duc de Lancastre abandonnait, moyennant une fortindemnité, ses prétentions chimériques et mariait sa fille Catherine afils aîné du roi Jean, l’infant Henri, reconnu prince héritier de CastilleCet arrangement avec l’Angleterre ne signifiait d’ailleurs pas

153 OUVRAGES À CONSULTER . 154 Voir ci-dessous, p. 484.





l’abandon de la politique traditionnelle des Trastamare envers la France ; sous le règne d’Henri III (1390-1406), comme sous celui de sofils Jean II (1406-1454), qui, pendant sa longue minorité resta sous l

tutelle de sa mère Catherine de Lancastre, l’alliance française fuconstamment maintenue, et la flotte castillane contribua plusieurs foiau succès des armes de Charles VII. Mais la Castille n’était pas en étade pratiquer à l’extérieure une politique de prestige : toutes ses forces’épuisaient dans les luttes incessantes et monotones qui mettaient au prises la royauté et les princes du sang, toujours prêts à lui disputer lgouvernement.

Il en est notamment ainsi durant la courte minorité d’Henri IIIMais sa majorité (1396) n’entraîne pas pour autant la fin des désor

dres, qu’une reprise de la guerre avec le Portugal vient même aggraver, plus troublée encore est la minorité de Jean II. La régence est dis putée alors entre la reine-mère Catherine et le frère du roi défunl’infant Ferdinand. Celui-ci entame d’abord une vigoureuse offensivcontre le royaume de Grenade et réussit à s’emparer d’Antequer(1410) ; mais, peu après, l’ouverture de la succession d’Aragon absor be toute son activité, si bien que ses services sont perdus pour la Castille. La reine-mère disparaît en 1418, et Jean II se trouve, à quatorzans, livré à un groupe de parvenus ou d’ambitieux comme Alvaro dLuna, qui, nommé connétable et créé comte de Santisteban, accaparle gouvernement. Contre lui se dressent les infants Jean et Henri, filde ce Ferdinand de Castille à qui le compromis de Caspe avait valu e1412 la couronne d’Aragon. p481 Tous deux convoitent le pouvoir et sedisputent l’influence sur le souverain nominal. De leur côté, Jean eHenri se jalousent mutuellement. Il en résulte des luttes confuses, derévolutions, des guerres de famille, qui mettent le comble à l’anarchiAlvaro de Luna favorise d’abord l’infant Jean et emprisonne son frèrHenri, dont il confisque les biens. Une intervention armée d’AlphonsV d’Aragon, frère des deux infants rivaux, amène, en 1425 la libéra

tion du prisonnier. Les princes aragonais se liguent peu après pour sdébarrasser d’Alvaro, que le roi a entre-temps (1429) élevé à la dignté suprême de grand-maître de l’ordre de Saint-Jacques. En 1439, lfils même du roi de Castille, le futur Henri IV de Trastamare, se joinaux rebelles, qui, un moment, réussissent à se saisir de la personne droi et l’obligent à exiler son favori (1441). Ils semblent maîtres de lsituation quand une brouille survenue entre l’infant Henri de Trasta





mare et ses cousins, les infants Jean et Henri, remet tout en questionJean II, libéré, rappelle Alvaro de Luna, et la confusion s’accroît jusqu’au jour où Alvaro est définitivement renversé et mis à mort par se

ennemis (1453). Son royal protecteur devait le suivre dans la tombl’année suivante.

Au milieu de tous ces troubles, la Castille a perdu de vue lare-conquista: le royaume maure de Grenade, malgré les révolutions quiensanglantent le palais de ses princes, continue à se maintenir sanêtre inquiété, et les partis politiques castillans poussent parfoisl’inconscience jusqu’à faire appel au concours des Musulmans pouleurs guerres civiles.

La Navarre n’est pas en meilleure posture. Ruiné par la mégalomanie de Charles le Mauvais, ce petit royaume ne pouvait tenir tête l’ambition de ses puissants voisins. Pourtant Charles III le Noble, lfils de Charles le Mauvais, se sentit assez fort pour jouer souvent ave bonheur, au cours d’un long règne de près de quarante ans (13871425), un rôle important dans la politique européenne. Il obtint deAnglais, en 1393, la restitution de Cherbourg, qui faisait partie de sohéritage normand, et recouvra aussi sur le roi de France les domainenavarrais confisqués à son père en 1378. Renonçant définitivemenaux droits de sa maison sur la Champagne, il se fit donner en échang

le comté de Nemours et rétrocéda en 1404, contre une forte indemnitla place de Cherbourg. Un moment il joua le rôle d’arbitre entre leArmagnacs et les Bourguignons (1410), puis entre les comtesd’Armagnac et de Foix (1415), pendant que p482 sa femme, Léonoreintervenait dans les affaires de Castille. Mais sa mort (8 septembr1425) rouvrit l’ère des difficultés

Charles ne laissait en effet qu’une fille, Blanche, veuve de Martinle Jeune de Sicile et mariée en secondes noces à l’infant Jean de Castille, le frère du roi Alphonse V d’Aragon. De ce mariage un fils éta

né en 1421, Charles, prince de Viane, à qui devait échoir normalemenle royaume à la mort de Blanche ; mais l’ambition de l’infant Jeanvint tout brouiller : il se fit proclamer roi, tout en gouvernant d’aborle royaume au nom de sa femme, et, au décès de celle-ci (1441), prétendit exercer le pouvoir en son nom propre. Pendant quelque tempsCharles accepta de gouverner en qualité de simple mandataire de so père ; puis, en 1451, la rupture éclata entre eux, le ministre castilla





Alvaro de Luna appuyant d’ailleurs le prince de Viane et poussant à lguerre civile.

Lutte sanglante, où la ténacité cruelle de Jean devait en fin decompte avoir raison de l’énergie sauvage de son fils, mais qui opposles unes aux autres les plus grandes familles du pays et laissa lroyaume navarrais dans un cruel état de ruine et d’épuisement.

V. — Le Portugal155 Entraîné d’abord inconsidérément dans les guerres de la successio

de Castille par son jeune roi Ferdinand Ier (1367-1383), le Portugalconnut, de même, à la fin duXIVe siècle, des heures difficiles. Son solfut à plusieurs reprises foulé par les troupes victorieuses des Trastamare ; et Lisbonne faillit être emportée en 1373. Cette même année puis dix ans après encore, il fallut traiter avec le Castillan dans deconditions humiliantes. En 1383, Ferdinand Ier reconnut la nouvelledynastie et donna à son allié le duc de Lancastre l’exemple de la captulation en acceptant de marier sa fille Béatrice au roi Jean Ier , le filsde l’usurpateur. Mariage impolitique au premier p483 chef, puisqu’ilrisquait, Ferdinand n’ayant pas de fils, d’amener une mainmise deTrastamare sur le Portugal.

Il s’en fallut de peu qu’il n’en fût presque aussitôt ainsi. Ferdinanétant mort le 22 octobre 1383, quelques mois seulement après la signature du traité de paix, le roi de Castille envahit le Portugal pour faire valoir les droits de sa femme, et l’indépendance portugaise n put être sauvée que par l’usurpation d’un frère bâtard du roi défunJean, grand maître de l’ordre d’Avis. Vainqueur des troupes castillanes à la bataille d’Aljubarrota, à mi-chemin entre Coïmbre et Santarem (14 août 1385), Jean d’Avis, devenu le roi Jean Ier de Portugal,dut lutter encore par intermittence jusqu’en 1411 pour assurer pleine

ment l’indépendance de son royaume. Mais son règne fut ensuite udes plus prospères de l’histoire portugaise.

Désormais à l’abri du danger castillan, les Portugais se tournenvers les expéditions lointaines. Le Maroc tente leur ambition : ils’emparent de Ceuta (1414) ; mais le roi Édouard Ier , fils aîné et suc- 155 OUVRAGES À CONSULTER .





cesseur de Jean Ier (1433-1438), échoue devant Tanger (1437). Entre-temps, un autre des fils de Jean, Henri le Navigateur, prélude auxgrandes découvertes en emmenant ses compatriotes à Madère en

1418, aux Açores en 1431 et, quelques années après (1436), sur lecôtes du Rio del Oro. Et si la mort prématurée d’Édouard Ier (1438),suivie de la longue minorité de son fils Alphonse V, arrête un instance premier essor colonial, la richesse du royaume portugais, dévelop pée par la sage administration de Jean Ier , apparaît déjà assez bien as-sise pour qu’on puisse escompter le brillant avenir réserve au pays.

Mais ce n’est déjà plus vers la Méditerranée, c’est vers l’Océanqu’avec le Portugal les habitants de la péninsule ibérique commencenà tourner leurs regards ; c’est déjà vers l’extrême ouest qu’ils cher

chent, comme d’instinct, à atteindre les richesses qui, du côté del’Orient, risquent de leur échapper pour toujours, depuis que Mongolet Ottomans tendent les uns et les autres par leurs conquêtes à leufermer sur terre et sur mer l’accès des routes d’Asie. p484

Table des matières

Bibliographie du chapitre IX

L’anarchie dans le bassin de la Méditerranée occidentale

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . — Il n’existé pas d’histoire satisfaisantede l’Italie auxXIVe et XVe siècles considérée dans son ensemble. Rappelonsseulement les ouvrages de C. Cipolla,Storia delle signorie italiane, et deP. Orsi,Signorie e principati, signalés p. 156, et, pour la péninsule ibérique,ceux de Schirrmacher (t. VI), Altamira (t. II), Ballesteros (t. III), Merrima(t. I), cités aussi p. 156. Le dernier est très sommaire.

I. La décadence de l’ancienne Italie : Naples et l’État pontifical OUVRAGES À CONSULTER . — Sur la fin du règne de Jeanne Ire de Naples, voir le

biographies de cette reine citées p. 171 et M. Rothbarth,Urban VI und Neapel (Berlins 1913, in-8°, fasc. 49 des « Abhandlungen zur mittleren und neuereGeschichte », publ. par H. Finke) ; pour la suite, W. Eisenhardt, Die Erobe-rung des Königreichs Neapel durch Karl von Durazzo(Halle, 1896, in-8°, dis-sertation) ; Otto Schiff, König Sigmunds italienische Politik, 1410-1431 (Francfort, 1909, in-8°, fasc. 1, des « Frankfurter historische Abhandlun





gen ») ; M. Camera, Elucubrazioni storico-diplomatiche di Giovanna I, reginadi Napoli, e Carlo III di Durazzo(Salerne, 1889, in-4°), confus J A. Valente,Margherita di Durazzo, vicaria di Carlo III e tutrice di re Ladislao(Naples,1918, in-8°), extr. de l’ Archivio storico per le provincie napoletane, nouv. sé-rie, 1.1 à IV (1915-1918) ; N.-F. Faraglia,Storia della regina Giovanna II d’Angió(Lanciano, 1904, in-8°) ; du même,Storia della lotta tra Alfonso V d’Aragona e Renato d’Angió(Lanciano, 1908, in-8°), à substituer sur ce pointà l’ouvrage vieilli d’A. Lecoy de La Marche, Le roi René(Paris, 1875, 2 vol.in-8°) ; J. Ametler y Vinyas, Alfonso V de Aragón en Italia y la crisis religio- sa del siglo XV (Gérone, 1903-1904, 2 vol. in-8°). — Sur les États de l’Église,Jean Guiraud, L’État pontifical après le Grand Schisme. Étude de géographie politique(Paris, 1896, in-8°, fasc. 173 de la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ») ; M. Koch, Die Kirchenpolitik Sigmunds wä-hrend seines Romzuges, 1481-1483(Leipzig, 1907, in-8o, dissertation). II y aencore profit à consulter F. Gregorovius,Geschichte der Stadt Rom im Mitte-

lalter (Stuttgart, 1859-1872, 8 vol. in-8° ; 4e

éd., 1886-1896), le t. VI Sur laconjuration d’Etienne Porcari, voir G. Sanesi,Stefano Porcari e la suacongiura(Pistoia, 1887, in-16).

II. Venise, Florence et Milan OUVRAGES À CONSULTER . — Sur Venise, le livre essentiel est le t. II (1920) de la

Geschichte von Venedig de Kretschmayr, citée p. 156. Y joindre, P.-M. Perret, Histoire des relations de la France avec Venise, du XIII e siècle à l’avènement de Charles VIII (Paris, 1896, 2 vol. in-8°), t. I, important aussi pour l’histoiredes rapports de Venise avec les autres puissances italiennes.

Sur Florence, en attendant la suite du grand ouvrage de Davidsohn (cité 156), présentement arrêté à l’année 1330, voir R. Caggese, Firenze dalla de-cadenza di Roma al Risorgimento, t. II (1913), cité p. 156, qui dispense en gé-néral de recourir aux livres vieillis, mais plus détaillés, de F.-T. Perrens, His-toire de Florence jusqu’à la domination des Médicis(Paris, 1877-1884, 6 vol.in-8o), t. VI, et Histoire de Florence depuis la domination des Médicis jusqu’àla chute de la république(Paris, 1888-1890, 3 vol. in-8°), t I. Pour le détail,voir N. Rodolico, La democrazia fiorentina nel suo tramonto, 1378-1382(Bo-logne, 1904, in-8°) ; G. Scaramella, Firenze allo scoppio del tumulto deiCiompi(Pise, 1914, 78 p. in-8°). Sur les Médicis, outre le livre encore essentiel de B. Buser, Die Beziehungen der Mediceer zu Frankreich während der Jahre 1413-1494 in ihrem Zusammenhang mil den allgemeinen Verhältnisse Italiens(Leipzig, 1879, in-8°), citons l’essai de Mme Vernon D. Ewart,Cosi-mo de’ Medici(Londres et New-York, 1899, in-12, collection des « Foreignstatesmen »), et l’étude, d’A. Gelli, L’esilio di Cosmo dei Medici, dansl’ Archivio storico italiano, ann. 1882, p. 53-96 et 149-169. Sur la guerre de1447-1448 en Toscane, L. Rossi, La guerra in Toscana nell’ anno 1447-1448 (Florence, 1903, in-8°).





Sur Milan, pas de travail d’ensemble récent ; les ouvrages généraux dC. Cipolla et de P. Orsi, rappelés en tête de ce chapitre, n’y peuvent qu’en patie suppléer, et ils ne sont plus toujours au courant. Nombreuses études de détail, pour lesquelles on aura profit à consulter l’ Archivio storico lombardo, qui paraît à Milan depuis 1874. Citons A. Pesée, Sulle relazioni tra la repubblicadi Genova e Filippo Maria Visconti dal 1435 al 1447 (Turin, 1921, in-8°,fasc. 88 de la « Biblioteca della Società storica subalpina »), t. I, seul paru ; FPeluso,Storia della republica milanese dall’anno 1447 al 1450(Milan 1871,in-8°) ; Cecilia M. Ady, A history of Milan under the Sforza(Londres, 1907,in-8°, de la collection « States of Italy » publ. par E Armstrong), résumcommode, mais rapide ; G. Benaducci, Della signoria di Francesco Sforzanella Marca e peculiarmente in Tolentino(Tolentino, 1892, in-8°) ; M. Rosi, Della signoria di Francesco Sforza nella Marca(Recanati, 1895, in-8°).

Sur les chefs militaires et les tyrans on consultera les ouvrages deA. Semeran, Die Condottieri(Iena, 1909, in-8°) ; W. Block, Die Condottieri,

Studien über die sogenannten « Unblutigen Schlachten »(Berlin, 1913, in-8°,fasc. 110 des « Historische Studien » publ. par E. Ebering) ; A. Battistella, Il conte di Carmagnola(Gênes, 1889, in-8o) ; E. Hutton,Sigismondo PandolfoMalatesta, lord of Rimini, a study of a 15th century Italian despot (Londres,1906, in-8°).

Sur la paix de Lodi et la ligue qui en a été la suite, L. Rossi, Niccoló V e la poterne d’Italia, 1447-1451(Pavie, 1906, in-8°), extr. de la Rivista di scienze storiche, t. II (1905) et t. III (1906) ; G. Soranzo, La lega italica(Milan, 1924,in-8o), t. I de la 5e série des « Pubblicazioni della Università cattolica del Sa-cro Cuore »).

III. La puissance aragonaise OUVRAGES À CONSULTER . — Les histoires générales d’Espagne citées p. 156, sur-

tout celle de Ballesteros, t. III. Le cinquième centenaire de la mort du roi Matin d’Aragon a été l’occasion d’un assez grand nombre d’études de détail qul’on trouvera citées dans le volume de Ballesteros, p. 302 et 311. Un des numéros du Butlleti del Centre excursionista de Catalunyaest consacré à un Homenatje a la memoria del rei Marti(Barcelone, 1910, in-8°). — Nombreu-ses publications aussi, mais fort inégales et souvent tendancieuses sur le com promis de Caspe. La plupart sont relevées par Ballesteros, t. III, p. 303 et 31Retenons, entre autres, le livre documenté, mais vieilli, de F. Janer, Examende los succesos y circunstancias que motivaron el Compromiso de Caspe (Madrid, 1855, in-8°), et le petit volume, clair et pondéré, de C. Soler, El fallode Caspe(Barcelone, 1899, in-12). -— Sur la politique aragonaise d’AlphonsV, il n’existe guère encore que des travaux d’approche ou des études de détaiOn trouvera cités les uns et les autres dans le volume de Ballesteros, p. 303 312.





IV. L’anarchie en Castille et en Navarre OUVRAGES À CONSULTER . — Aux histoires générales d’Espagne indiquées p. 156,

ajouter J.-C. Garcia, Costilla y León durante los reinados de Pedro I, Enriqu

II, Juan II y Enrique III, cité p. 165 ; G. Daumet, Étude sur l’alliance de lFrance et de la Castille, citée aussi p. 165 ; L. de Gorral, Don Alvaro de Lun(Valladolid, 1915, in-8°) ; S. Armitage Smith, John of Gaunt, king of Castilland Leon, duke of Aquitaine and Lancaster (Westminster, 1904, in-8°). — Sula Navarre, G. Desdevises du Dézert, Don Carlos d’Aragon, prince de VianÉtude sur l’Espagne du nord au XVe siècle (Paris, 1889, in-8°).

V. Le Portugal OUVRAGES À CONSULTER . — F. de Almeida, Historia de Portugal (citée p. 156), t.

I (1922), jusqu’en 1385, et t. II (1924), pour la période suivante ;OliveiraMartins, Os filhos de Dom Joâo I (Lisbonne, 1891, in-8°), trad. anglaise sousle titreThe golden age of prince Henry the Navigator (Londres, 1914, in-8°) ;et sur les découvertes, et la colonisation portugaises, C.-R. Beazley, Prince Henry the Navigator (Londres, 1895, in-8°) ; du même, Prince Henry of Por-tugal and the progress of exploration, dans le Geographical journal , ann.1910, p. 703-716 ; du même,The dawn of modem geography(Londres, 1897-1906, 3 vol, in-8°), t. III.





Table des matières

Chapitre X

La conquête de l’Asie occidentale par Timour et de la péninsule des Balkans par les Ottomans 156

Les progrès des conquérants asiatiques dans le bassin oriental de lMéditerranée se sont en effet précipités depuis la fin duXIVe siècle. EnEurope, la défaite des Serbes à Kosovo a livré aux Ottomans la péninsule balkanique ; en Asie, les forces des derniers émirats issus du démembrement de l’État seldjoucide sont à bout, et la seule question quse pose à leur sujet est de savoir s’ils succomberont sous les coups deOttomans ou sous ceux de Timour, dont les armées avancent victorieusement vers l’ouest.

I. — Les progrès des Ottomans sous Bayézid Ier (1389-1403)157

Dans les Balkans, l’avance des Ottomans apparaît irrésistibleBayézid Ier (Bajazet), le fils du sultan Mourad, tombé p485 en mêmetemps que son adversaire, Lazare de Serbie, sur le champ de bataillde Kosovo, n’a aucune peine à obtenir la soumission des divers chefdu peuple serbe : Marko, le « roi » de la Serbie méridionale, dont lcapitale est à Prizren, reconnaît aussitôt sa suzeraineté ; au nord, le filde Lazare, Étienne Lazarévić, accepte de lui payer tribut, de lui four-nir un contingent de soldats et même de les commander en personneson beau-frère, Vuk Branković, le gendre de Lazare, qui, après Koso-vo, s’est, non loin de là, réfugié à Pristina, doit s’avouer vaincu en1392. En Bosnie, réside longtemps un chef énergique entre tous






Tvrtko, qui à son titre de « kral » de Bosnie a bientôt joint ceux de« roi des Serbes », puis de « roi de Dalmatie et de Croatie » ; maiTvrtko meurt au mois de mars 1391, et son faible successeur, Étienn

Dabiša, puis sa veuve, Hélène, s’avèrent incapables de protéger l pays contre les entreprises du sultan.

La Bulgarie est assez vite soumise aussi. En 1393, pour punir le prince, Jean Chichman, d’avoir l’année précédente encouragé un raide Sigismond de Hongrie dans les Balkans, une armée ottomane marche sur Trnovo, où il a réussi à se maintenir, l’en chasse, supprime l patriarcat bulgare. L’année suivante (1394), Bayézid envahit la Valachie, d’où, à son approche, le prince Mir čéa s’enfuit éperdu, jusqu’enHongrie. En même temps l’infiltration turque se poursuit lentement e

Grèce, où dès 1391 la Thessalie était conquise.Restaient enfin Constantinople et sa banlieue sur les deux rives d

Bosphore, à quoi se réduisait maintenant la misérable domination dePaléologue. L’« empereur » Jean V avait accepté la suzeraineté turque, donné son fils Manuel II en otage et fourni un contingent. Lorsque, vers 1390, il osa relever les murs de sa capitale, Bayézid menaçde crever les yeux à Manuel et somma l’audacieux de raser les fortifcations ; puis, Jean étant mort en 1391, et Manuel ayant pu s’échappede la cour ottomane et se faire couronner, il l’assiégea aussitôt dan

Constantinople. Manuel dut céder une partie de Galata, augmenter ltribut, admettre la présence d’un cadi dans la ville.

Le salut ne pouvait plus venir que d’Occident ; mais les luttes duGrand Schisme avaient jusqu’alors détourné des affaires d’Orienl’attention des représentants de l’Église catholique. Elle n’avait poinécouté les supplications de ceux qui, comme Philippe de Mézières prêchaient la réconciliation générale et la croisade contre les Ottomans. Seul peut-être p486 le nouveau roi de Hongrie, Sigismond, serendait pleinement compte d’un danger qui le menaçait des premiers

Déjà, en 1392, il avait tenté, avec succès d’abord, une incursion llong du Danube jusqu’à Nicopolis, l’actuelle Nikopol, sur la rive drote du fleuve, une quarantaine de kilomètres en amont de Sistov ; maiil avait dû se replier à l’approche d’une armée ottomane. En juille1396, à son appel, une grande croisade d’Occident accourut enfin asecours. Une trêve venait d’être conclue entre la France etl’Angleterre, et nombreux étaient, dans la chevalerie des deux pays





dans celle de France surtout, les jeunes gens que tentait la glorieusaventure. Le comte de Nevers — le futur Jean Sans-Peur — était à ltête du contingent français. Mais ce n’était qu’une cohue. Malgré le

conseils de prudence prodigués par les chefs hongrois, les croisés sdécidèrent pour une offensive immédiate : ils envahirent et saccagèrent la Serbie et vinrent assiéger Nicopolis. Bayézid marcha en force la rencontre des chrétiens qui, avec une folle présomption, foncèrensur l’ennemi, se firent écraser et provoquèrent la déroute finale (2septembre 1396). Sigismond parvint à s’enfuir, mais le comte de Nevers était parmi les nombreux prisonniers, et la liste des morts étalongue.

La position de Manuel II était devenue intenable. À ses appels ré

itérés, une petite troupe française, sous la direction du maréchal Boucicaut, s’était jetée en 1399 dans Constantinople, qui put ainsi respireencore quelque temps. Mais il eût fallu d’autres renforts : Manuel srésolut en 1400 à aller lui-même en quêter à travers l’Occident. On lreçut magnifiquement à Venise, à Paris, à Londres ; on lui prodigua d bonnes paroles ; mais il n’obtint ni troupes ni subsides.

Heureusement pour lui, Bayézid, à cette époque, avait comme principal souci d’élargir ses possessions d’Asie et d’asseoir sa domnation sur l’Anatolie tout entière. On vit le sultan, au lendemain d

Kosovo, contraindre l’émir d’Aïdin à lui céder ses États (1390), puisenvahissant le sud de la Lydie et la Carie, annexer les émirats de Saroukhân et de Mentéché : toute la côte orientale de la mer Égée strouva ainsi entre ses mains, ce qui lui permit de rassembler une flottredoutable et, dès 1390, d’aller opérer des descentes à Chios, puis bientôt après, en Eubée, enfin d’inquiéter les derniers établissemenchrétiens de ces parages. En 1301, Bayézid mit la main sur Adaliad’où il menaça directement Chypre. Il ne lui restait plus à conquérique le nord et le centre de l’Anatolie, p487où il se heurtait au plus puis-sant de tous les émirs seldjoucides, celui de Karamân. En 1391, un première tentative pour enlever Koniah échoua, mais valut néanmoinà Bayézid la cession de quelques places dans le nord-ouest del’émirat. L’année suivante, l’émir de Karamân, Alâ-ad-dîn, crut habilde rouvrir les hostilités, pendant une absence de Bayézid, alors passen Europe : défait dès le premier choc par une armée que le sultaavait envoyée en hâte à sa rencontre, il fut pendu, et ses États furenlivrés sans défense au vainqueur. Bayézid n’osa pourtant pas encor





pousser jusqu’au bout ses avantages : il se contenta d’occuper Koniaet deux ou trois autres grandes villes et de surveiller le reste du paysPeu après, probablement entre 1393 et 1395, avançant vers le nord

est, il se rendit maître de Césarée, puis, remontant la vallée de l’Halys’empara de Sivas et atteignit finalement les anciennes provinces Pontiques. Si l’on ajoute que dès 1393 les deux ports de Samsoun et dSinope étaient tombés entre ses mains, il apparaîtra qu’avant la fin dXIVe siècle la majeure partie de la péninsule anatolienne était passéesous son contrôle. L’un des fils de Bayézid, Soulaïmân, préparait unnouvelle avance vers l’Arménie et l’Euphrate, lorsqu’il se heurta Timour. L’intervention du conquérant turkmène allait non seulemen bouleverser la face de l’Asie, mais changer le sort des Ottomans Constantinople lui dut de survivre encore cinquante ans.

II. — L’invasion de Timouren Asie occidentale(1380-1405)158

Solidement installé en Transoxiane dès 1380, Timour avait entre pris depuis lors des guerres de pillage. Il n’avait certes pas la penséde fonder un grand empire, mais à l’instinct de rapine s’ajoutait chelui le prétexte d’une œuvre p488 religieuse à accomplir : il prétendaitaller châtier et abattre les Musulmans dégénérés qui présidaient au

destinées de l’Iran, de la Mésopotamie, de l’Asie Mineure et de l’IndPartout où il passa, il se distingua par son zèle religieux, multiplia leoffrandes aux mosquées et aux sanctuaires. Mais il n’avait rien d’uhomme de gouvernement et ne savait assurer sa domination que par lterreur.

On le voit se tourner d’abord du côté de l’Iran, dont le morcellement politique, depuis l’extinction de la dynastie gengiskhanide, faisait une proie facile. Une série de courtes campagnes dans l’intervalldesquelles il retourne à Samarcande pour y entasser son butin, lu permet d’abattre l’un après l’autre les petits royaumes iraniens. Il pénètre dans le Khorassan, où règnent les Kert, et dès 1381 s’empare dleur capitale, Hérat ; deux ans plus tard, il s’établit sur les bords de lCaspienne, dans la région d’Astrabad et dans le Mazandérân ; untroisième expédition, en 1386 et 1387, est dirige contre le Fars, le fie






des Modhafférides : par l’occupation d’Ispahan et de Chiraz, Timouachève la conquête de l’Iran. Conquête précaire encore : plusieurs ré bellions durent être noyées dans le sang. Dès 1387, il fallut reprendr

Ispahan de haute lutte, et l’on rapporte que, pour faire un exempleTimour n’hésita pas à ordonner le massacre de soixante-dix mille ha bitants, dont les têtes entassées formèrent ensuite une ceinture de snistres pyramides le long des murs de la ville. Le Fars, à son tour, dus’avouer vaincu, et, ayant fait exécuter en 1393 les derniers princes dla famille modhafféride, Timour apparut comme le maître incontestde l’Iran tout entier.

Il ne s’en tint pas là. Dès 1387, il s’était jeté sur la Mésopotamie es’était emparé de Bagdad, d’où le prince djélaïride Ahmed avait cour

se réfugier auprès du sultan mamelouk du Caire, provoquant ainsi, pamesure de représailles immédiates, une invasion de la Syrie par le bandes turkmènes. Mais, provisoirement au moins, Timour avad’autres objectifs : en 1386, au moment même où il entamait laconquête du Fars, il poussait vers l’Azerbaïdjân et l’Arménie, prenaTabriz, atteignait Kars et même la lointaine Tiflis, pillait la Géorgie puis se rabattant vers l’ouest, enlevait Erzeroum, Erzindjân pour fin par Van et Ourmiah, qui le ramenaient vers son point de départ. Il revenait à la charge les années suivantes, notamment en 1394 et en1395-1396, et portait ainsi jusqu’aux abords du Caucase les limites dsa domination. p489

En Anatolie, comme en Syrie, on pouvait s’attendre à une attaqu brusquée, quand on vit soudain Timour jeter son dévolu sur l’Inde.

L’autorité du sultan turco-afghan de Delhi, de la descendance deToughlouk, qui naguère s’était imposée à la majeure partie de la grande plaine du nord, y était depuis quelque temps en recul marquéL’une après l’autre, vers la fin duXIVe siècle, les provinces qu’il avaitsu grouper se révoltaient contre lui ; les gouverneurs cessaient d’alle

prendre à sa cour leur mot d’ordre et se taillaient des royaumes à sedépens. En 1393, l’eunuque Malik Sarvar s’était rendu indépendant Jaunpur, au nord de Bénarès ; en 1394, le gouverneur de Malwa, et, e1396, celui du Gujarat avaient agi de même dans leurs provinces N’était-ce point l’occasion d’aller tenter sur les bords de l’Indus et dGange la grande aventure qui, depuis Alexandre, semblait séduirl’esprit de tant de conquérants asiatiques ? Timour ne s’était-il pa





donné pour tâche, aux yeux du monde, de ramener dans la droite voidu Prophète tous les princes de l’Islam suspects de relâchement Sous ce magnifique prétexte, le conquérant quitte Kaboul le 15 aoû

1398. Sa marche est rapide : dès le 24 septembre, il passe l’Indus deux jours après, il est sur le Djhilam ; le 13 octobre, il campe devanTalamba, Le 9 novembre, il signale son passage à Bhatnaïr, sur le Sutledj, par le massacre de dix mille prisonniers. De là il marche droisur Delhi. Le 12 décembre, il livre bataille au nord de la ville ; vainqueur, il célèbre ce nouveau succès en faisant massacrer, prétend-on jusqu’à cent mille captifs ; puis, l’effet de terreur produit, il n’a plule 17, qu’à pénétrer triomphant dans Delhi, qu’il met à feu et à sangQuinze jours plus tard, il prend le chemin du retour, chargé d’unénorme butin ; mais il n’a rien fondé de durable, et, quand il repassl’Indus au mois de mars 1399, il ne laisse derrière lui que des ruines.

Cependant, grâce à l’appui du sultan mamelouk du Caire, Ahmele Djélaïride, qu’en 1387 Timour avait chassé de Bagdad, avait nonseulement réussi à rentrer dans sa capitale, mais avait envahil’Azerbaïdjân, tandis que les Ottomans reprenaient leur marche eavant dans la direction de l’Orient. S’étant, comme on l’a vu, rendumaître de Sivas vers 1395, Bayézid n’avait pas hésité à en faire tuel’émir, Bourhân-ad-dîn, entré depuis peu dans la vassalité du conquérant turkmène. Celui-ci ne devait pas tarder à relever le défi : en septembre 1399, p490 Timour s’élança à la rencontre des troupes ottoma-nes ; après avoir repris l’Azerbaïdjân et saccagé une fois de plus lGéorgie, il marcha sur Sivas qu’il arracha aux Ottomans et où il signala son passage par d’horribles massacres : quatre mille soldats chrétiens furent, dit-on, enterrés vivants sur son ordre (août 1400) ; puisau lieu de continuer sa marche sur l’Anatolie, il descendit en Syriecomme s’il voulait d’abord écraser les Mamelouks : Alep, HamahHoms, Balbeck, Damas tombèrent successivement en son pouvoir ; Damas, pillée d’abord méthodiquement, il ne laissa pas pierre su

pierre ; après quoi, il passa en Mésopotamie, où, au milieu de scèned’une indicible sauvagerie, il reconquit Bagdad sur le sultan Ahme(juillet 1401).

Alors seulement il se retourna contre Bayézid. Mais, avec lui, ltâche s’annonçait rude, aussi Timour ramassa-t-il pour sa grande offensive des effectifs considérables — 300.000 hommes, affirment dechroniqueurs, dont, bien entendu les chiffres ont été démesurémen





grossis. La rencontre décisive eut lieu à proximité d’Angora le 20 juilet 1402. La défection des contingents anatoliens entraîna la déroutdes Ottomans. Il y eut un carnage affreux, et Bayézid, fait prisonnie

dans la mêlée, mourut quelques mois après le désastre qui marquait lruine de ses espérances.

Timour put dès lors poursuivre sans obstacles sérieux la conquêtde l’Anatolie. Il rendit leurs gouvernements aux divers émirs quBayézid avait expulsés, s’empara de Brousse, apparut sur les bords dla mer de Marmara, exigea un tribut de l’empereur byzantin, puis assiégea Smyrne, que défendaient les chevaliers de Rhodes, et s’en rendit maître le 1er décembre 1402. Toute l’Asie antérieure pliait sous laloi du vainqueur.

Le monde chrétien, dont Timour devenait ainsi le voisin immédiataccueillit d’abord avec enthousiasme la victoire d’Angora ; il y vit ueffet de la vengeance divine contre les Ottomans, ses ennemis les pluredoutables, et, comme jadis, au temps de Gengis-khan, la plupart crurent naïvement à la possibilité d’une entente avec le nouveau conquérant asiatique. Il y eut des échanges d’ambassades entre la France, lCastille et Timour. Mais il fallut bien vite en rabattre. Au surplus, Timour avait d’autres idées en tête : il préparait une grande expéditiocontre la Chine lorsque la mort le surprit au mois de janvier 1405. p491

III. — La chute de l’empire timouride159 L’œuvre de Timour était fragile : il avait asservi, mais non vrai-

ment conquis, et encore moins organisé les territoires immenses donses armées victorieuses avaient fait un champ de carnage et de décombres. Une seule province, la Transoxiane, enrichie des dépouillede toutes les autres, lui devait sa prospérité. De Samarcande, sa résidence, le conquérant avait voulu faire l’égale des plus glorieuses cap

tales du monde : pour l’embellir, il avait ramené de partout où il avai passé architectes, peintres, artistes de tout genre ; il y avait même ap pelé en grand nombre lettrés et poètes ; il en avait fait une grande place de commerce vers laquelle convergeaient les produits de l’Asie par le Tibet et le Pamir, les denrées chinoises ; par Delhi et Kabou






celles de l’Inde. Les rares Européens qui visitèrent alors Samarcanden revinrent éblouis. Mais l’activité qui y régnait était factice : elle ndevait guère survivre à l’homme qui l’avait éveillée.

Du point de vue politique, l’empire de Timour était plus fragile encore. Le conquérant n’avait rien fait pour en perpétuer l’unité, et, dèle lendemain de sa mort, ce fut l’émiettement et l’anarchie. Chacun dses nombreux enfants en voulut avoir quelque morceau. Seuls, parmeux, Mirân-chah et Chah-Roukh en purent garder de larges portions le premier se maintint en Perse occidentale, en même temps qu’à Ta briz, à Bagdad ; mais, au bout de quelques mois, son royaume tom bait, à son tour, sous les coups de ses propres enfants et sous ceux dsultan dépossédé de Bagdad, Ahmed le Djélaïride, qui rentrait à nou

veau — pour peu de temps — en possession de son trône. ChahRoukh fut plus heureux ; au Khorassan, qui lui était échu en partage, put joindre le Mazandérân (1406-1407), la Transoxiane (1408-1409le Fars et l’Irak (1414-1415), le Kirmân (1416-1417), l’Azerbaïdjâ(1420). Il a laissé, comme son père, la réputation d’un grand princeami des arts et des lettres. Mais il ne put retarder de beaucoup la chutirrémédiable. Sa mort, en 1447, en devait être le signal, et si, après lmilieu duXVe siècle, la civilisation dite « timouride » brille encore p492 d’un vif éclat à Samarcande, à Herat, à Bokhara, le royaume de ChahRoukh suit le sort commun et se morcelle à l’infini.

Aux Indes, où Timour n’a fait que passer, ses campagnes n’ont eud’autre résultat que de précipiter la ruine du royaume de Delhi. Aprèavoir commandé à la majeure partie de l’Inde du nord, le prince qui règne n’est plus obéi qu’à quelques lieues à la ronde. « L’autorité dumaître du monde », écrit à son propos un chroniqueur contemporain« s’étend de Delhi à Pâlam. » On goûtera l’ironie de cette boutade sl’on constate que Pâlam est à quinze kilomètres de Delhi. Quant à lChine, dont Timour avait rêvé de faire une annexe de son empire, ellest depuis la seconde moitié duXIVe siècle au pouvoir d’une dynastienationale, celle des Ming, qui l’ont reconquise sur les Mongols es’appliquent avec succès à lui rendre son lustre passé.

La descendance de Timour se maintiendra de longues années encore en Transoxiane, dans le Khorassan et dans quelques provinces voisines ; puis on la retrouvera aux Indes avec Bâber, à partir duXVIe siè-cle ; mais, l’empire même, hâtivement édifié par le conquérant, s’es





comme tant d’autres empires asiatiques, définitivement écroulé avelui.

IV. — La crise de l’empire ottomanaprès la bataille d’Angora160

La mort de Timour, suivant d’aussi près celle de Bayézid, avai permis aux Ottomans de se ressaisir après leur désastre. Mais il avafallu du temps. Sous le coup de la défaite, l’empire turc avait d’aborsemblé sur le point de s’écrouler partout à la fois. Le fils aîné deBayézid, Soulaïmân (Soliman) avait, au lendemain d’Angora, course réfugier dans ses territoires d’Europe ; mais il avait vu son pouvocontesté par ses frères et avait dû engager contre eux une lutte quiavec des alternatives diverses, se prolongea pendant dix ans.

Ce furent dix années de recul constant pour la puissance ottomaneRevenu de sa tournée en Occident, l’empereur grec Manuel II relevla tête. Les rôles furent renversés : ce fut lui p493 qui se mit à parler haut, à exiger — et à obtenir — du sultan, en échange de son alliancel’abandon de Salonique et la rétrocession d’une partie des côtes de lmer de Marmara. Le concours de l’empereur grec ne put d’ailleursauver Soulaïmân : battu en Thrace par son frère Mouça, il chercha s’enfuir à Constantinople, fut rattrapé et finalement étranglé (févrie1411). Mouça lui-même, après s’être épuisé en vaines campagnecontre les Serbes, fut vaincu en juillet 1413, près de Sofia, par un autre fils de Bayézid, Mohammed Ier , et périt misérablement sur lechamp de bataille.

Quoique déjà maître — mais non maître incontesté — de ceux deterritoires d’Asie que les Ottomans étaient parvenus à recouvrer de puis la mort de Timour, Mohammed ne se trouvait pas, en Europmême, dans une brillante situation. Il devait sa victoire à l’appui qu

l’empereur grec lui avait prêté : c’est sur des vaisseaux byzantins qu’avait passé dans la péninsule balkanique et, sans les troupes de Manuel, il n’eut pu venir à bout de Mouça. Force lui fut de confirmer e peut-être d’étendre encore les concessions faites naguère par son frèrSoulaïmân à un aussi précieux allié. Aux Serbes aussi, qui, à la faveu






des luttes fratricides entre princes ottomans, avaient pu reconquériune partie de leurs États perdus, il dut consentir de larges abandons. fallut enfin compter avec les Vénitiens, dont les vaisseaux sillonnaien

les mers et qui, en mai 1416, vinrent infliger à la flotte ottomane unécrasante défaite devant Gallipoli. Obligé en même temps de faire face à de perpétuelles révoltes en Asie, Mohammed resta sur la défensve.

Les choses changèrent après sa mort (1421). À cette date, lesGrecs, se croyant sans doute encore aux jours heureux qui avaient suvi Angora, crurent habile de susciter au jeune Mourad II, son fils, uconcurrent en la personne du dernier fils de Bayézid, Moustafa ; il prirent même l’offensive en allant assiéger Gallipoli. Idée fâcheuse

qui provoqua une énergique riposte de Mourad. Après avoir réussi s’emparer de son rival en Asie et l’avoir fait pendre, le sultan alla metre le siège devant Constantinople (juin 1422). Une panique qus’empara des troupes ottomanes causa l’échec d’un premier assaut, l24 août, et la tentative ne fut pas répétée, car Manuel se hâta de demander la paix : à nouveau, l’empereur grec dut payer tribut, et il lufallut restituer au sultan la majeure partie de ce qu’il avait pu récupérer précédemment en Thrace. p494

V. — La chute de Constantinople161

Presque aussitôt après, l’offensive ottomane reprend enfin avec

une force irrésistible. Satisfait pour l’instant d’avoir isolé Constantinople, Mourad II s’applique d’abord à la reconquête des Balkans et dl’Asie Mineure. En Anatolie, il regroupe sous sa domination la plupades États dont l’intervention de Timour avait ressuscitél’indépendance, renversant les émirs les plus indociles, contraignanles autres à reconnaître sa suzeraineté et à lui livrer des otages (14241427). Au même moment, dans les Balkans, son étreinte se resserreD’Andrinople, où il a installé sa capitale en 1423, il intervient dantoutes les directions, en Bosnie, en Valachie, en Serbie, en Albanie, eÉpire, en Grèce. Le nouveau prince de la Serbie septentrionale, Georges Branković, qui succède en 1427 à son oncle Étienne Lazarévić,doit s’engager à payer tribut, à fournir des contingents aux armées d






sultan et à lui donner une de ses filles en mariage. Comme il tarde exécuter cette dernière clause de l’accord, le pays est envahi, la capitale, Kruševac, est prise et Georges Branković doit non seulement livrer

sa fille mais se replier sur le Danube. En Épire, Janina tombe en1430 ; la même année voit la chute de Salonique en Macédoine. Puila Morée, les Cyclades, l’île d’Eubée sont atteintes de nouveau. E1438, la nouvelle capitale de Georges Branković, Smederevo (Semen-dria) sur le Danube, est prise à son tour ; dès 1439 la Serbie presquentière est devenue province turque, et l’année d’après Mourad faiune première tentative pour s’emparer de Belgrade, place-forte avancée de la Hongrie.

Les jours de Byzance sont comptés, et l’empereur Jean VIII, fils e

successeur de Manuel II, mort en 1425, ne peut plus p495guère espérer le salut que d’un secours immédiat des Occidentaux. Mais qui don parmi eux songe encore sérieusement à une intervention contre leInfidèles ? Un Henri VI d’Angleterre, un Philippe le Bon ont pu umoment parler de croisade, mais c’étaient propos en l’air. Renouvelant, la manœuvre dont auXIIIe siècle Michel Paléologue avait si lar-gement, trop largement usé, voilà Jean VIII qui,in extremis, fait mi-roiter la promesse d’une réconciliation des Églises, dans l’espoid’intéresser toute la chrétienté à son sort ; mais on commence à n plus prêter grande attention à de telles promesses, régulièrement faiteaux heures critiques et jamais suivies d’effet. Engagée pourtant dè1431 avec le pape Eugène IV, et plus à fond, à partir de 1437, auconcile de Ferrare, puis à celui de Florence, la conversation se poursuit activement durant de longs mois, les uns, tel Bessarion, métropolite de Nicée, ou Isidore, métropolite de Kiev, se montrant favorableà l’union, les autres, tel l’archevêque d’Éphèse Marc Eugenicos, s’emontrant adversaires irréductibles. Finalement, comme il était déjarrivé au temps de Michel Paléologue, l’accord se fait, et de nouveaule 6 juillet 1439, l’union des deux Églises peut être solennellemen

proclamée. Elle est même suivie presque aussitôt de la promotion acardinalat de Bessarion et d’un autre de ses collègues grecsL’empereur byzantin ne doute plus qu’en retour l’Occident chrétientout entier va enfin, à l’appel du pape, voler au secours de sa capitale.

Il eût fallu au moins que l’acte d’union pût être appliqué. Or il n put même pas être publié, le clergé grec s’y étant montré en majorithostile. L’empereur essaya bien de briser les résistances en faisan





emprisonner l’archevêque d’Éphèse, meneur de l’opposition ; mais ne réussit qu’à ameuter contre lui ses adversaires. Entraînant avec euson frère Démétrios, ils ne reculèrent pas devant un appel à l’Infidèle

et c’est avec l’appui d’une armée ottomane qu’ils vinrent, en 1441assiéger Constantinople, où Jean VIII attendit vainement le secourdes Occidentaux. En dépit des bulles pontificales qui les invitaient à lcroisade, ni le roi d’Allemagne Frédéric III, ni Charles VII de Franceni Henri VI d’Angleterre ne bougèrent.

Heureusement pour Jean VIII, on finit par s’émouvoir dans le pays danubiens, que menaçait l’avance ottomane. Un petit seigneuoriginaire de Hunyad en Transylvanie, alors terre hongroise, Jean diHunyadi, qui s’était élevé par ses mérites jusqu’à la dignité de voïvo

de de sa province, sut à lui p496 seul y improviser la défense en entraî-nant à sa suite les populations et en infligeant sous les murs de Sibi(Hermannstadt) une défaite décisive aux envahisseurs. Puis, s’allianaux princes valaques et au prince de Serbie Georges Branković, ilfranchit les Carpathes et poursuivit les troupes ottomanes jusque sur lcours inférieur du Danube, où il les battit une seconde fois. Il donnainsi le temps du nouveau roi de Hongrie, Ladislas de Pologned’organiser une croisade avec le concours du légat pontifical Cesarini

Au mois de juillet 1443, l’armée chrétienne s’ébranle enfin et pé

nètre en Serbie. Les soldats d’Hunyadi forment l’avant-garde. Mouraest battu à Niš le 3 novembre, et les vainqueurs entrent à Sofia. Le 2décembre, une autre armée turque est défaite à Kunovica, non loin d Niš. Ces victoires foudroyantes ont un retentissement énorme dans leBalkans : Georges Branković récupère la Serbie ; un Albanais, Geor-ges Castriota, qui avait été contraint par Mourad de combattre dans lerangs Ottomans, et y avait reçu le surnom de Skander-beg ou Iskanderbeg (en souvenir d’Alexandre le Grand), fait défection, rentre danson pays et le soulève contre les Turcs. Découragé, Mourad doit signer à Szegedin avec les croisés une trêve de dix ans (15 juillet 1444abandonner ses conquêtes et abdiquer en faveur de son fils Mohammed II.

Mais, en dépit des conseils de prudence. Cesarini veut pousser dl’avant. Il fait rompre la trêve et entraîne Ladislas et Hunyadi à traverla Bulgarie jusque sous les murs de Varna. D’Asie, où il s’est retiréaprès son abdication, Mourad se jette, à leur rencontre, et la mort à l





fois de Cesarini et de Ladislas transforme la bataille en déroute poules Occidentaux (10 novembre 1444). Reprenant le pouvoir, Mouraexploite aussitôt son succès : dans toutes les directions, il lance se

troupes à l’attaque ; la Béotie et l’Attique sont ravagées, l’isthme dCorinthe forcé, la Morée envahie (1446) ; sur la mer Noire, les derniers établissements grecs sont attaqués. Partout la résistance des chrétiens faiblit. Seuls Skander-beg et Hunyadi poursuivent la lutte aveacharnement. Le premier est assez heureux pour briser en Albanie unattaque dirigée par Mourad en personne et forcer le sultan à lever ehâte le siège de Kroïa (1449). Mais Hunyadi, qui, nommé régent dHongrie à la mort de Ladislas, tente un suprême effort en Serbie, es battu à Kosovo le 18 octobre 1448, et se voit obligé de faire face à unrévolte des magnats hongrois. p497

Constantinople et son empereur sont dès lors livrés à eux-mêmesEn vain Constantin XI, qui succède en 1448 à son frère Jean VIII, srésout, en décembre 1452, pour parer aux plus graves dangers, à promulguer l’acte d’union avec l’Église romaine : cette mesure ne faqu’augmenter la confusion parmi ses sujets. Mohammed II, remontsur le trône à la mort de Mourad (février 1451), n’hésite plus à préparer l’offensive finale : en mars 1453 commence le siège en règle dConstantinople. Venise, perplexe, se décide trop tard à intervenirSeuls quelques aventuriers italiens, quelques corsaires de l’archiperépondent à l’appel de l’empereur et assurent une défense héroïque mais, après plusieurs attaques infructueuses, Mohammed entre enfidans la ville, le 29 mai au matin.

L’Empire byzantin a vécu ; Constantinople a cessé pour toujoursd’être la ville des Césars : sous son nouveau nom d’Istamboul, elldevient la capitale du sultan, qui y fixe sa résidence et va de là achever la soumission de la péninsule balkanique. p498







hester Zeit bis auf die Gegenwart (Stuttgart, 1872, 2 vol. in-8°).L’ Encyclopédie de l’islam, publ. par Houtsma, Basset, etc.. (Leyde et Paris, 4vol. in-4°, en voie d’achèvement), renferme d’importants articles auxquels ose reportera utilement, entre autres celui de L. Bouvat (cité p. 186) sur TimuPour la conquête de l’Inde, voir en outre, Ishwari Prasad, History of mediaeval Indiaet traduction française, citée p. 184, et, au t. III de laCambridge Historyof India(Cambridge, 1928, in-8°), le chapitreVII, par Sir W. Haig.

III. La chute de l’empire timouride OUVRAGES À CONSULTER . — Les mêmes qu’au paragraphe précédent. Ajouter, sur

la civilisation timouride, l’important mémoire de L. Bouvat, Essai sur la civi-lisation timouride, dans le Journal asiatique, t. CCVIII (1926), p. 193-299.Sur la Chine, R. Grousset, Histoire de l’Extrême-Orient (citée p. 176), le t. II.

IV. La crise de l’empire ottoman après la bataille d’Angora OUVRAGES À CONSULTER . — LaGeschichte des osmanischen Reichesde N. Jorga

(citée p. 191), t. Ier , reste le seul livre récent à consulter pour cette période del’histoire ottomane.

V. La chute de Constantinople OUVRAGES À CONSULTER . — N. Jorga,Geschichte des osmanischen Reiches(citée

p. 194), t. I (1908), jusqu’en 1451, et t. II (1909), pour les années 1451 et suvantes ; E. Pears,The destruction of the Greek Empire and the story of thecapture of Constantinople by the Turks(Londres, 1903, in-8°) ;G. Schlumberger, Le siège, la prise et le sac de Constantinople par les Turcsen 1453(Paris, 1915, in-8°), et les livres généraux de L. Bréhier, L’Église et l’Orient (cité p. 189, n. 1), Vasiliev, History of the Byzantin Empire, t. II (cité p. 189),Cambridge medieval history, t. IV (cité p. 485), où l’on trouvera une bonne vue d’ensemble de l’histoire des pays balkaniques et de la Morée pW. Miller ; celui-ci y a résumé en partie ses propres travaux. — Sur la question de la réconciliation des Églises, voir H. Vast, Le cardinal Bessarion(Pa-ris, 1878, in-8°) L. Mohler, Kardinal Bessarion als Theologe Humanist und

Staatsmann, t. I (Paderdorn 1923, in-8°, 1. XX des « Quellen und Forschun-gen herausgegeben von der Görresgesellschaft ») ; W. Norden, Papsttum und Byzanz(cité p. 189).





Table des matières

Chapitre XI

Les efforts de rénovation intellectuel le et artistiqueen Occident (1378-1453) 162

Au cours du Grand Schisme et des guerres religieuses de Bohêmela pensée abstraite et la recherche savante ont pu se développer sanque l’Église, troublée par de terribles querelles, manifestât plus qu’l’époque de Dante sa préférence pour aucun système. Mais leconquêtes intellectuelles duXIVe siècle échappent en partie auxcontemporains de Hus et de Gerson. La philosophie critique de Guillaume d’Ockham n’aboutit qu’à une nouvelle et stérile sophistiqueLes efforts des maîtres parisiens, initiateurs de la physique moderne

sont mal poursuivis. La renaissance scientifique et positive, inaugurévers 1340, languit et semble s’interrompre. La mystique elle-mêmequi protestait alors si haut contre la réconciliation de l’âme avec lnature, a désormais perdu la hardiesse spéculative qui soutenait Eckhart. L’humanisme reste la seule création qui permette à ces tempdouloureux de compter dans l’histoire de la pensée. On n’a pas oubliles leçons de Pétrarque ; ses continuateurs découvrent avec le mêmenthousiasme le savoir et l’art des anciens, et, comme lui, méprisent l bassesse moderne. La renaissance toute littéraire dont il avait étl’artisan demeurait aussi romantique d’esprit que de forme classiqueil avait haï la critique et la science positive des Parisiens. Les humanistes, après lui, subirent plus fortement l’influence de la raison grecque ; ils instituèrent enfin, avec Laurent Valla, une discipline critiquet positive, apte à l’examen de toutes les doctrines et de toutes les traditions. Ils reculaient d’ailleurs et p499 devaient longtemps reculer de- 162 OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER .





vant les audaces qui les tentaient. C’est vers une synthèse hasardeusdu rationalisme hellénique et de la mystique chrétienne que Nicolas dCues allait, pour un demi-siècle orienter leur labeur. Cependant le

lettres, qui suivent de loin les mouvements de la vie intellectuelle, hésitent entre le réalisme et l’humanisme. En revanche, l’art se renouvele puissamment. Tandis que la tradition gothique suffit encore à dresser des plans exacts et hardis, l’étude de l’antiquité classique permeaux architectes italiens d’élever la coupole de Florence et de projetedéjà celle de Saint-Pierre. Le réalisme, né auXIVe siècle dans les paysdu nord, et que l’Italie n’avait pas dédaigné, le goût italien de la no blesse et de la grandeur antiques, triomphent à la fois avec la libréclosion de la sculpture et de la peinture moderne, avec Claus Sluteet Donatello, Masaccio et les frères Van Eyck.

I. — La décadence du nominalisme ockhamiste163 La philosophie de Guillaume d’Ockham interdisait la spéculation

métaphysique : du moins entendait-elle créer une sorte de positivismequi se fût enfermé dans l’étude des phénomènes ; et déjà Buridan, A bert de Saxe, Marsile d’Inghen, Nicole Oresme avaient abandonné ltradition aristotélicienne, dont saint Thomas ni Duns Scot n’osaient sdétacher, et fondé, sur l’expérience et la raison, la physique moderne

Mais les initiateurs parisiens duXIVesiècle furent médiocrement écou-tés. L’idée de la science expérimentale restait trop étrangère aux

hommes de ce temps, qui n’en concevaient pas clairement la méthodet n’en possédaient pas les instruments. La décadence des études Paris, durant la période du Grand Schisme et des guerres civiles, détruisit ce renouveau de la pensée scientifique. Les nominalistes, excludu monde des réalités transcendantes, se trouvèrent incapablesd’organiser l’exploration du réel.

Guillaume d’Ockham avait, d’autre part, tiré de l’analyse du suje pensant une critique rigoureuse de la connaissance et une psychologiBuridan avait abordé la morale et s’était appliqué à résoudre le pro blème de la liberté ; il avait écrit sur p500 l’ Éthique à Nicomaquedescommentaires qui devaient être lus dans les écoles jusqu’à la veille dla Réforme. Mais déjà les maîtres d’Oxford, après avoir, pendant plu






d’un siècle, excellé dans l’étude exacte de la nature, déviaient vers llogique formelle et vers une forme de sophistique dont ils appliquaienles procédés aux plus diverses disciplines. Elle devait bientôt séduir

les ockhamistes, et comme Buridan, Albert de Saxe, Marsile d’Ingheavaient également enseigné l’art de raisonner, expérimenté les formeet les aspects de l’absurde, on oublia leurs travaux scientifiques poune se rappeler que leur œuvre de logiciens. À la claire et vigoureusdoctrine de l’Organonon préféra les subtilités dialectiques, dont Pier-re d’Espagne, avant de devenir le pape Jean XXI, avait inaugurl’étude au temps de saint Thomas. D’innombrables traités exposèrenla théorie et la pratique des raisonnements obligatoires et insolublesles propriétés des termes et des conséquences. Ainsi, parmi les violences d’une époque troublée, se développa la dernière école philosophique du moyen âge, celle des « terministes », dont l’œuvre, si vaine estérile, symbolisa pour les humanistes la barbarie et la confusiond’esprit. Elle désapprit le latin, s’exprima dans un langage abstrait einculte que saint Thomas aurait désavoué, multiplia les manuels d’unclarté factice, divisés et subdivisés pour la commodité de la mémoir plus que de l’entendement. Elle enseigna, pendant un siècle et demune science des mots orgueilleuse et vide. Elle régna dans les universités allemandes, à Fribourg, à Erfurt, à Heidelberg, jusqu’à Vienne, edans les universités italiennes. Tous ses efforts, qui furent actifs, de

vaient rester vains. La philosophie d’Ockham ne démontra plul’impossibilité de saisir les réalités dernières que pour s’emprisonnedans l’étude des termes qui représentent les rapports divers des apparences.

Pourtant la prédominance obtenue dans la seconde moitié duXIVe siècle par l’école nominaliste n’était pas incontestée. Certains, las dla logique formelle, recherchaient une discipline moins stérile et dedoctrines moins négatives ; ils s’adressaient aux maîtres dont les terministes négligeaient l’enseignement, saint Thomas et Duns Scot. L

premier leur offrait un système complet et fortement construit ; il réhabilitait, par sa théorie de l’existence des universaux dansl’intelligence divine, la spéculation métaphysique et proposait, comm but suprême de l’activité humaine et félicité suprême, la connaissancdu monde et de Dieu. Plus que Thomas, Scot plaisait aux esprits p501 exigeants en fait d’évidence, et qui, sans admettre la théorie nominaliste de la formation des concepts, préféraient une critique rigoureus





à l’harmonie d’un système achevé. Plus que saint Thomas, il attirailes âmes religieuses ; s’il restreignait plus que lui le domaine de lthéologie rationnelle, si déjà, comme les ockhamistes, il ne voulai

fonder la plupart des impératifs moraux que sur l’arbitraire divinl’idéal de l’activité humaine lui apparaissait non dans la connaissancintellectuelle, mais dans l’effort de la volonté conduite par la foi ; et sdoctrine, malgré les excès d’une dialectique aride, s’accordait avec c besoin de religion vivante qui trouvait un aliment dans la mystique

Ainsi voit-on s’engager à Paris, comme à Heidelberg, à Fribourgou à Bâle, le conflit des « anciens » et des « modernes », des partisande Thomas ou de Scot et des continuateurs d’Ockham. Les ancien blâment les modernes d’imposer, volontairement ou par impuissance

des bornes trop étroites au travail philosophique ; ils les accusent dnégliger à la fois la science du réel et celle du divin. Les terministes, Paris, purent citer les noms illustres de Pierre d’Ailly et de Gerson mais l’un et l’autre avaient demandé à la mystique l’oubli de la logique formelle. Sous la domination anglaise, les partisans d’Ockhamavaient dû céder leurs chaires à d’obscurs partisans d’Albert le Granou de Thomas. Ni la rentrée de Charles VII dans sa capitale, ni les statuts de réforme édictés en 1452 par le cardinal d’Estouteville, ne ranimèrent les études à l’Université ; parmi les nominalistes parisiensnul ne laissa une œuvre ou un nom. C’est en Italie que Paul de VenisePierre de Mantoue, Apollinaire Offredo, Paul Pergolese développenles thèses ockhamistes. L’école de Scot ne produit guère que le frèrMineur Nicolas des Orbeaux, professeur à Poitiers, mort en 1455dont lesCommentaires sur les Sentencesseront lus dans les couventsfranciscains jusqu’à l’époque de Rabelais. Mais de l’école dominicaine sortent Jean Capreolus, qui termine au couvent de Rodez, ver1432, contre scotistes et nominalistes, ses Répliques( Libri defensio-num), et obtient chez les Frères Prêcheurs le titre de « prince des thomistes » ; saint Antonin, archevêque de Florence en 1446, qui, dans s

Somme théologique, n’hésite pas à débattre les plus graves questionsde droit social. Le mystique Denys Ryckel, avant de s’enfermer en1423 à la Chartreuse de Ruremonde, avait, dans saSomme de la foicatholique, assez exactement suivi saint Thomas. p502

Repoussés par les uns et les autres, les averroïstes continuaient ddéfendre leur conception rationaliste du monde, au moyen du subterfuge fidéiste enseigné, sincèrement sans doute, par Siger de Braban





et, avec une ironie trop évidente, par Jean de Jandun. Mais leur rationalisme restait débile et sans avenir ; ils n’osaient invoquer la raisoque sur l’autorité d’Aristote. Ils se montraient, par là, plus enchaînés

la tradition, non seulement que Guillaume d’Ockham et ses continuateurs, mais que Duns Scot et saint Thomas lui-même. Pourtanl’averroïsme, avait, en Italie, subi sans faiblir les attaques de Pétrarque ; à l’Université de Padoue, philosophes et médecins le professaient avec éclat.

II. — La réaction mystique164 Le nominalisme terministe demeurait une doctrine trop sèche e

trop verbale, diminuait trop l’activité religieuse de l’individu, pour n pas rejeter vers la mystique les intelligences que rebutait la logiquformelle. Le système de Scot, si aride en apparence, conduisait aisément à la mystique ; l’intellectualisme thomiste, au dernier chant d poème dantesque, l’avait accueillie pour se dépasser lui-même. Un puissante école mystique était née auXIVe siècle en Allemagne ; sesenseignements affaiblis se conservèrent et se transmirent p503 auxPays-Bas. Une école indépendante de l’Allemagne et des Pays-Baallait apparaître à l’Université de Paris.

Les Frères de la Vie Commune et les chanoines réguliers de Windesheim rejetaient à la fois l’agnosticisme ockhamiste et la sophistique d’Oxford et de Paris, les discussions abstraites de Scot et le dogmatisme pesant de l’école dominicaine. Ils cherchaient dans la Biblesurtout dans le Nouveau Testament, l’Évangile et les Épîtres de sainPaul, la réalité du christianisme, et, parmi les Pères, lisaient avec prédilection les maîtres de la vie intérieure et de l’amour divin, saint Augustin et saint Bernard. La pensée de Ruysbroeck leur devint familièrau point qu’on put soupçonner d’hérésie certains continuateurs de Gérard De Groote, et que, dans les couvents de Windesheim ou les maisons de la Communauté, les plus enthousiastes, Henri Mande, GerlacPeters, Jean de Schoonhoven, connurent à leur tour les visions du docteur extatique. Mais la haute spéculation, qui avait entraîné maîtrEckhart et Ruysbroeck aux extrêmes limites de l’orthodoxie, les séduisait peu. Chez eux, la mystique de Ruysbroeck et de saint Bernard






la piété de saint Augustin, se fondaient en une religion tout intérieurenullement théologique, peu sacerdotale, à la fois contemplative et pratique, non sans quelque fadeur et quelque tendance à la puérilité. D

bonne heure ils l’avaient appelée dévotion moderne.Le livre de l’ Imitation, dès les vingt premières années duXVe siè-

cle, en résume les plus hauts enseignements. Fidèle disciple de GérarDe Groote, l’auteur inconnu — peut-être Thomas de Kempen, frèrd’un des fondateurs de la Communauté — dit son mépris des vainerecherches, où s’égare la pensée chrétienne : « Que nous importent legenres et les espèces ? À quoi bon discuter avec profondeur sur lTrinité, si nous lui déplaisons faute d’humilité ? » Dans l’exil miséra ble de la terre, l’âme qui suit humblement les traces du Christ retrouv

le chemin de la patrie céleste. Elle lutte contre la chair et les tentations, renonce à l’amour des créatures, à l’orgueil de l’intelligence elle s’aguerrit par la pratique de l’examen de conscience, la prière et lcommunion, l’étude de l’Écriture, l’exemple médité du Christ et desaints. À mesure qu’elle dépouille ses affections humaines, Dieu luaccorde des entretiens de plus en plus fréquents et mystérieux ; tanqu’enfin, morte à elle-même, elle s’éveille à la vie éternelle, hors dtemps et de l’espace, en pleine union avec l’amour divin.

Un terministe parisien sentait alors l’attrait invincible de la p504

mystique. Pierre d’Ailly, né vers 1350 près d’Abbeville, grand maîtrau collège de Navarre en 1384, chancelier de l’Université en 1389évêque du Puy et bientôt de Cambrai, avait soutenu à Pise et à Constance la supériorité du concile sur le pape ; le déposition de Benoît XIII fut en partie son œuvre ; ses traités de droit ecclésiastiqudéveloppaient avec énergie les thèses chères aux gallicans. Il acceptasans réserve la doctrine nominaliste des universaux, résolvait la causalité en contingence, ne démontrait l’existence divine que par la foi ela tradition, ne reconnaissait dans la loi morale que la volonté arbitraire du Dieu de la Bible. Mais si la critique d’Ockham lui paraissaimarquer exactement les bornes de la connaissance, il admit qul’illumination et l’extase ouvrent l’intelligence de la révélation. Il ns’inspira ni de l’Allemagne ni des Pays-Bas, ignora Eckhart et Ruys broeck. Ce fut d’après Richard de Saint-Victor qu’il décrivit les étapede la vie spirituelle, d’après saint Bernard qu’il s’efforça de découvridans leCantique des cantiques, le symbole de l’amour de l’âme et duChrist. La pensée religieuse de ce logicien reste peu originale, asse





dépourvue de poésie et de rêve. Mais les petits traités d’édificatio prudente où elle s’exprimait volontiers manifestèrent le malaise latenque provoquait l’intellectualisme abstrait de l’école ; avec eux la mys

tique reconquit à Paris droit de cité.Jean Charlier, connu sous le nom du village champenois de Gerson

où il naquit en 1363, près de Rethel, fut au collège de Navarre l’élèvde Pierre d’Ailly. Docteur en 1392, il y enseigna six ans la théologiedevint prédicateur de la cour et, en 1395, chancelier de l’UniversitéDès la fin du siècle, il passa, doyen de Saint-Donatien, trois ou quatrannées à Bruges. Curé de Saint-Jean-de-Grève à la fin de 1401, il rest jusqu’en 1414 le maître incontesté de la chaire parisienne ; le sermo Ad Deum vadit , prononcé en 1402 devant le roi et les princes, émeut

encore à force de grave simplicité. Hardiment Gerson protesta contrl’assassinat du duc d’Orléans, ne cessa de réprouver Jean Sans-Peuobtint, en 1407, la censure de Jean Petit, apologiste de l’assassinat politique, et, bien que peu de clercs, à la même époque, eussent autancompati aux misères des paysans foulés par les gens de guerre, il tintête en 1412 à la démagogie bourguignonne des Cabochiens. Il s’étaardemment jeté, comme son maître, dans la querelle du Grand Schisme. Pour la défense du concile de Pise, il écrivit un livre de la Déposi-tion du pape par l’Église( De auferibilitate papae ab Ecclesia) ; p505 àConstance, où il joua un rôle capital, il composa, en 1417, son traitsur le pouvoir ecclésiastique ( De potestate ecclesiastica). Mais il étaitdéjà le plus grand théoricien français de la vie intérieure ; irréconcilia ble d’ailleurs avec l’hérésie, comme il se montra lors du procès dHus, et jaloux de conserver aux théologiens de Paris leur magistèrspirituel. Après la clôture des sessions, menacé par les rancunes dJean Sans-Peur triomphant, il dut s’exiler deux années en Tirol et eAutriche. Le crime de Montereau lui rouvrit les portes de Paris. Mai bientôt, las des guerres civiles, il alla chercher auprès de son frèr prieur des Célestins de Lyon, la retraite et le silence ; il y vécut jus

qu’en 1429, partageant ses derniers loisirs entre l’enseignement dcatéchisme aux enfants, la composition d’ouvrages érudits, oùs’approfondissait davantage sa pensée religieuse, et de brefs traité pratiques en langue française, qui réveillaient dans la masse des fidèles le sentiment profond du christianisme.

Il avait adopté d’abord, comme Pierre d’Ailly, les thèses essentielles de l’ockhamisme ; plus hardiment il s’en détacha ; mais ni Scot n







études sacrées ; il avait invité les écoliers de Navarre à lire de préférence les livres qui s’adressaient au sentiment, développaient le goûde la vie intérieure et de la charité agissante. Élève de Pierre d’Ailly

Nicolas de Gemenges, contraint à s’exiler en 1408 lors de la secondsoustraction d’obédience, avait passé de longues années de retraitchez les Chartreux de Valprofonde et de la Font du Bosc. Il revint en1425 ; professeur au collège de Navarre, jusqu’à sa mort en 1437, il soutint la tradition théologique de Gerson, qui devait rester singulièrement vivante à l’Université de Paris, et davantage peut-être dans lemilieux dévots de Cologne, de Bâle, de Nuremberg ou de Strasbourg.

Mais ni la mystique de Windesheim et des Frères de la Vie Com-mune, telle que l’expriment les quatre livres de l’ Imitation, ni la mys-

tique prudente et classique de Pierre d’Ailly et de Gerson, destinée plutôt à réveiller le sens de la vie intérieure qu’à poursuivre des voiemystérieuses de connaissance et d’union céleste, ne rouvraient devanl’esprit humain les horizons que maître Eckhart avait autrefoiscontemplés. L’effort spéculatif, dans les écoles ascétiques et dévotesemblait faiblir. Seul Denys Ryckel, à la Chartreuse de Ruremondeoù il vécut de 1423 à 1471, avait recueilli l’héritage de Ruysbroeck. commentait, à son tour, les livres du pseudo-Denys. Il se montraitd’ailleurs avant tout soucieux de décrire, p507 d’après son expérienceintime, les divers degrés des grâces d’oraison ; il fut, pour sescontemporains, le docteur extatique ; il ne leur révéla pas une visionouvelle de l’univers.

III. — L’humanisme pétrarquiste165 Les humanistes, instruits par Pétrarque, demandaient de leur côt

au passé gréco-romain l’oubli du monde moderne. Comme le graninitiateur, ils professaient pour l’antiquité mystérieuse une dévotiotoute romantique ; ils l’étudiaient avec plus d’enthousiasme que dstricte méthode. Mais un instinct assez juste les aidait à comprendre eà deviner. Dès la première moitié duXVe siècle, s’accomplit une résur-rection éclatante de la pensée et des lettres anciennes ; elle rendit l’esprit humain, que la scolastique et la mystique ne savaient plus guider vigoureusement, le contact de la raison grecque.






Florence, où Pétrarque avait refusé de s’établir, et que Boccacehabitué à la vie élégante et facile de Naples, dédaigna longtemps, étadevenue le centre de la nouvelle culture. L’auteur du Décamerony

avait composé ses œuvres érudites et p508 latines. En 1375, ColuccioSalutati fut nommé chancelier de la Seigneurie. Tandis que, sous sa plume, les lettres et les instructions officielles revêtaient pour la première fois l’élégance du latin classique, développaient les idées d patrie et de liberté, évoquaient les souvenirs de la grandeur romaine, recueillait, comme Pétrarque, les manuscrits anciens ; il eut la chancde découvrir les Epistolae ad familiaresde Cicéron. Grâce àl’apostolat humaniste qu’il poursuivit jusqu’à sa mort (4 mars 1406le goût des études antiques se répandit parmi les clercs et les bourgeois. Antoine degli Alberti, habile à composer, sur le modèle de Pétrarque, des rimes d’amour en langue toscane, encourageait, à sa villdu Paradiso, l’habitude des discussions littéraires et philosophiquesChez les Augustins de Santo Spirito, Louis Marsili, véhément adversaire, comme Pétrarque, de la cour d’Avignon, partisan de ces droitdes Églises nationales qu’allaient soutenir les conciles de Pise et dConstance, unissait dans un même culte la sainteté chrétienne et lsagesse antique, et jugeait que, pour convertir les âmes à la vérité, lesentences des philosophes et des poètes anciens n’ont pas moins dvertu que l’Écriture. En 1397, six ans après sa mort, l’humanisme pé

nétrait à l’Université. Jean Malpaghini de Ravenne, jadis élève de Pétrarque, y vint enseigner la rhétorique ; le byzantin Manuel Chrysoloras professa le grec. Appelé, dès 1400, à Pavie, et bientôt chargé dmissions diplomatiques, il devait mourir à Constance, où il suivait lconcile, le 15 avril 1415 ; mais il laissait la première grammaire grecque rédigée en latin. Une bibliothèque humaniste s’était ouverte. Nicolas Niccoli, fils d’un marchand drapier, avait, aux entretiens de Santo Spirito et du Paradiso des Alberti, recueilli la tradition de PétrarqueIl alla copier à Padoue ses manuscrits ; il se plut à réunir une amplcollection d’auteurs latins et grecs. Dans son palais, transformé enmusée, orné de statues, de médailles, de vases antiques et de fresquemodernes, il mena jusqu’en 1437, bien qu’il fréquentât les églises, unvie d’épicurien lettré.

Déjà pourtant certains rigoristes sentaient que, malgré les apparences, le spiritualisme de Cicéron et de Sénèque, artificiellement ranim par Pétrarque, s’accordait mal avec la folie de la croix. En 1400, l





moine camaldule Jean de San Miniato démontrait à Salutati les dangers du rationalisme païen ; à l’un des auditeurs les plus enthousiastede Chrysoloras, il déconseillait, en 1405, l’étude des lettres classique

Jean Dominici dédiait à Coluccio, la même année, sa Lucula noctis (Veilleuse nocturne). p509 L’élève de sainte Catherine de Sienne blâ-mait l’usage nouveau qui mettait aux mains des jeunes gens, plutôque l’Écriture, les poètes et les orateurs antiques. Le chancelier répondit que la Bible égalait souvent en immoralité la poésie païenne. Salutati restait d’ailleurs croyant comme Pétrarque. Mais il n’est pas indiférent que certains, dès ces premières années, rendus clairvoyants pal’étroitesse rigoureuse de leur formation théologique, aient pressenti lrévolution morale et religieuse que préparaient, sans la souhaiter, lerénovateurs des études anciennes.

Selon un désir de Pétrarque et un exemple de Boccace, les humanistes florentins entreprirent de vulgariser les grandes œuvres dl’antiquité grecque. Léonard Bruni était né, vers 1370, à Arezzo. Ifréquenta Salutati, écouta Chrysoloras et Malpaghini, étudia le droiromain, et, de 1405 à 1415, occupa un emploi auprès de la Curie, qu’suivit au concile. Rentré à Florence, il remplit diverses ambassades, efut de 1427 à sa mort, en 1444, chancelier de la Seigneurie. Bien équlibré dans cette gravité pompeuse dont Pétrarque laissait le modèle, obtint le respect et les honneurs ; Bernard Rossellino lui éleva, danl’église de Santa Croce, un admirable tombeau. Il avait, riposte auxrigoristes ennemis de la science païenne, traduit en latin, vers 1405 o1406, le traité de saint Basile sur la lecture des anciens. Il traduisi bientôt quelques discours d’Eschine et de Démosthène, quelquesVies de Plutarque, leΠερ τυραννίαςde Xénophon. Les Lettresde Platon,le Gorgias, l’ Apologie, le Phédon, et, en 1421, le Phèdre devinrent pour la première fois accessibles aux latinistes. Cependant il abordale texte d’Aristote ; il dédiait à Martin V, en 1417, la traduction del’ Éthique à Nicomaque; il traduisait encore, en 1435, la Politique,

bientôt ; suivie de l’ Économique. Plus élégantes souvent que fidèles,violemment attaquées par les scolastiques, ses versions du moins re posaient sur l’original, et, sans en rendre très précisément la penséne la faussaient pas. Ainsi Bruni s’efforçait de restituer aux moderneles maîtres de la culture grecque ; Platon, que les siècles antérieuravaient entrevu confusément dans les citations de Cicéron et de sainAugustin ; Aristote, que saint Thomas lui même avait dû étudier dan





le latin de Guillaume de Moerbeke. Il allait être permis de constatesur quelles bases incertaines les écoles médiévales avaient jusqu’alorédifié leurs systèmes philosophiques. Et déjà l’hellénisme restaur

menaçait leur théologie : le camaldule Ambroise Traversari lui préférait, p510 comme plus tard Érasme, la doctrine des Pères de l’Église.Traducteur de Diogène Laërce, il vulgarisait saint Basile, saint JeaChrysostome, saint Éphrem.

Un humaniste, originaire de Toscane, mais que sa vie nomadeécarta longtemps de Florence, venait, après Salutati, d’élargir pad’éclatantes découvertes la connaissance que Pétrarque avait eue dl’antiquité. Poggio Bracciolini était né, en 1380, à Terranuova, dans lhaut Valdarno ; il dut, comme tant d’autres, son initiation à Salutati

il fut admis, grâce à lui, en 1403, dans la maison de Louis Maramaldoévêque de Bari, qu’il suivit à Rome. L’année suivante, il entrait danles bureaux de la Curie. En 1414, son service le menait à ConstanceIndifférent aux débats conciliaires, Poggio profitait, comme Pétrarqude son exil en terre barbare pour chercher dans les bibliothèques decouvents les manuscrits oubliés. En 1416, à Saint-Gall, parmi le désordre et la poussière où les moines abandonnaient les livres les plu précieux, il découvrit un exemplaire complet de l’ Institution oratoire de Quintilien, les trois premiers livres des Argonautiquesde ValeriusFlaccus et la moitié du quatrième, les commentaires d’Asconius Pedianus, huit discours de Cicéron et quelques moindres ouvrages. Avel’aide de ses amis il put trouver encore, à Saint-Gall et dans d’autrelibrairies suisses, l’ Agriculturede Columelle, lesSylvesde Stace, les Puniquesde Silius Italicus, les Astronomiquesde Manilius et le Dererum naturade Lucrèce. En France, dans divers couvents, à Cluny età Langres, il mit la main sur dix nouveaux discours de Cicéron.

Florence demeurait la capitale des études antiques et nouvellesCosme de Médicis, qui, de 1434 à sa mort, en 1464, y sut conserversous l’apparence d’un simple citoyen, une autorité sans contraste, leencourageait activement par goût et par calcul. Les chefs de la bourgeoisie, qui auraient pu rivaliser avec lui comme mécènes, cédaient l place. Palla Strozzi avait généreusement soutenu Chrysoloras ; il duen 1434, s’exiler à Padoue. Héritier des traditions intellectuelles et derichesses d’une puissante maison, Léon-Baptiste Alberti était, en1432, passé au service du Saint-Siège. L’établissement d’Eugène IV Florence, en 1434, permit à Cosme, pendant neuf ans, d’entrer en





étroits contacts avec les savants et les latinistes qui peuplaient les bureaux de la Curie, et qui reconnaissaient Poggio pour leur maître avec les illustres Hellènes qui, en 1439, au concile d’union, tentèren

de réconcilier les Églises. Quand le p511 pape, quatre ans après, eut re-gagné Rome, Cosme de Médicis apparut comme le protecteur le pluéclairé de l’humanisme. Il voulait, d’ailleurs, que la vie intellectuelleFlorence restât sous son contrôle. Ni le commerce, ni l’industrie, ni l banque ne s’étaient beaucoup souciés d’y entretenir une véritablUniversité ; il se contenta de défrayer quelques chaires publiques dlettres ; mais c’était dans son entourage qu’il entendait concentrer l plus haut travail de la pensée. Lorsque Poggio, en 1453, après un demi-siècle, quitta Rome et la Curie, Cosme prit soin qu’on lui conférâles fonctions de chancelier que Salutati et Bruni avaient illustrées.

A l’école des continuateurs directs de Pétrarque se rattache un maître qui n’habita guère Florence et détesta les Florentins. François Filelfo, de famille toscane, naquit à Tolentino, dans la Marched’Ancône, en 1398. Il étudia le droit, la philosophie et la rhétorique Padoue. En 1420, il partait avec l’ambassadeur vénitien pour Constantinople ; il y devint le gendre de Chrysoloras, apprit à fond le grecDiverses missions, en Orient, en Hongrie, en Pologne, lui permirende connaître le monde ; en octobre 1427, il rentrait à Venise, escortd’esclaves des deux sexes et riche de manuscrits. La peste l’en chass bientôt ; on l’entendit à Bologne professer l’éloquence et la moraleen avril 1429, à Florence il expliquait Cicéron, Tive Live, ThucydideXénophon, exposait les problèmes éthiques. Il s’était jeté violemmendans la lutte des partis ; Cosme triomphant à Florence, il prit la fuiteaprès quelques années de vie errante, d’enseignement à Sienne et Bologne, il allait, en 1440, servir les Visconti. Professeur à Pavieconseiller de Philippe-Marie, il mena grand train à Milan, où son activité stimula vivement les études antiques. Il avait dû renoncer àl’espoir de rentrer à Florence avec les exilés. Pendant l’intermède d

la république ambrosienne, de 1448 à 1450, il observa une prudencqui lui permit de saluer le premier l’avènement des Sforza, d’en recevoir autant d’honneurs que des Visconti. Trop soucieux de faire fortune, d’obtenir les applaudissements du public et les faveurs des princeil ne composa d’autre œuvre érudite que, en 1443, ses Propos de tablemilanais(Convivia mediolanensia), où, dans un cadre pour la premiè-re fois emprunté au Banquet de Platon, il résume, non sans désordre,





diverses théories astronomiques, métaphysiques ou morales des anciens et discourt abondamment d’archéologie et d’histoire. Pourtant semblait surpasser Poggio lui-même, dont p512 l’œuvre érudite, malgré

ses admirables découvertes, se bornait à une traduction très libre de lCyropédie, dédiée en 1447 au roi de Naples Alphonse d’Aragon. Pro-fesseur d’un rare talent, que d’ailleurs secondait une réclame impudente, il forma toute une génération d’élèves qui, à Florence, à Siennà Bologne, à Milan, avaient étudié sous lui les langues classiques.

Ainsi l’Italie du nord, autrefois hospitalière à Pétrarque, se montrait volontiers attentive aux héritiers de sa doctrine. Guarino de Vérone avait, à Constantinople, écouté Chrysoloras. Il vint professer Florence, à Venise, et de 1419 à 1429, dans sa ville natale. Nicola

d’Este, formé lui-même par un pétrarquiste, Donato Albanzanil’appelait alors à Ferrare, qu’il ne quitta plus guère jusqu’à sa morsurvenue en 1460. Ses leçons firent de Lionel d’Este un des princeles plus cultivés du siècle. Elles créèrent, à l’Université,l’enseignement des lettres classiques. Poète, il se fit traducteur, vulgarisa Lucien et Strabon. Né à Feltre, Victorin Rambaldoni avait appride lui le grec. Appelé à Mantoue en 1423, il éleva les fils de JeanFrançois Gonzague, et devint avant tout un éducateur. Déjà PierrePaul Vergerio, contemporain de Salutati, avait écrit à Padoue, entre1402 et 1404, son traité de l’ Honnête homme( De ingenuis moribus) ;déjà Gasparin de Barzizza, professeur d’éloquence à Venise et à Padoue, avait ouvert dans cette ville, où il demeura de 1407 à 1423, unécole modèle. Victorin de Feltre l’imita : il fut un des fondateurs de l pédagogie moderne. Vers 1450, Maffeo Vegio de Lodi composa, selon son esprit, les six livres De l’éducation des enfants( De educationeliberorum et eorum claris moribus), qui laissèrent une tradition vivan-te dans les collèges des villes septentrionales.

Ainsi que Pétrarque, les humanistes attendaient de l’antiquitéqu’elle leur enseignât l’art de vivre, sous la loi du Christ, comme lecitoyens des républiques disparues. Le mépris où ils tenaient leutemps se manifeste jusque dans les livres d’histoire que parfois ils luconsacrèrent. Léonard Bruni avait conté, depuis Sylla jusqu’à la morde Jean-Galéas Visconti (1402), les fastes de Florence. Exactemeninformé, l’imitation de Tite Live, la recherche du style et de la noblesse classiques le conduisirent à rejeter le détail vrai et pittoresque ; leluttes des classes et des partis, étudiées avec tant de soin par les Villa





ni, revêtirent dans son récit un aspect faussement romain ; Farinatdegli Uberti, Giano della Bella, prononcèrent des discours qu’il nvoulut pas indignes de la majesté latine. Dans l’ Histoire de Florence

p513 où Poggio Bracciolini allait, en 1455, achever le récit des guerremenées par la Seigneurie depuis un siècle, apparaît, avec une éloquence moins continûment ennuyeuse, le même dédain de la curiositécomplaisante que les vieux chroniqueurs accordaient aux destinéemédiocres des peuples modernes. Plus volontiers il avait, contre Guarino de Vérone, contre la doctrine politique de Dante, rendu Césaresponsable de la décadence romaine. Mais, plus volontiers encore, leélèves de Pétrarque essayaient après lui d’ébaucher la constructiod’une éthique assez large pour concilier la sagesse païenne etl’Évangile. Salutati, en quelques traités latins, en de longues épîtrecicéroniennes, accordait le spiritualisme desTusculanesavec les en-seignements de l’Église. Bruni, dans son Introduction à la morale,dédiée à Galeotto Ricasoli, résumait les opinions des principales écoles antiques sur le souverain bien et, d’accord avec Pétrarque et Cicéron, identifiait le bonheur avec la vertu. Déjà pourtant l’ascétismchrétien, exalté et contredit par Pétrarque, avait cessé de séduire s postérité. Pendant les quatre ans qu’il dut passer en Angleterre auprèd’Henri de Beaufort, évêque de Winchester, Poggio s’était volontairement astreint à des lectures spirituelles : rentré, en 1423, au servic

de la cour romaine, il ne suivit plus dès lors d’autres guides que leanciens. Ses livres des Hasards de fortune(1431), desMisères des princes(1440) et de l’ Avaricedéveloppèrent en beau langage des sen-tences d’un stoïcisme tendu ; le traité de la Noblesse(1440) exprimale souci assez fier de ne fonder, comme Dante, la dignité humaine qusur l’excellence individuelle : il ne vit plus, chez les rigoristes, qu barbarie et faux semblant. Si Victorin de Feltre, dans l’école de Mantoue, imposait une discipline toute religieuse, s’il mettait ses élèves egarde contre les erreurs païennes, et, parmi les classiques, préféraceux dont la lecture lui paraissait la moins dangereuse pour l’esprit eles mœurs, Démosthène et Cicéron, Homère et Virgile, il faisait alterner les études, surtout littéraires, avec la musique, les exercices dcorps et les jeux. Guarino de Vérone, profondément chrétien, sucomme Salutati défendre, en 1450, contre un moine, Jean de Prato, le poètes et Térence, et ne cessa de penser que les anciens seuls avaienatteint la véritable noblesse.





L’humanisme pétrarquiste n’entendait pas se cantonner dans lamorale ; il abordait les discussions métaphysiques. Le concile de Ferrare et de Florence, les débats ouverts pour la réconciliation des Égl

ses entre les théologiens orientaux et latins, l’accord p514 un momentconclu et proclamé à Santa Maria del Fiore, n’avaient pas seulemenstimulé en Italie les études helléniques ; les continuateurs de Pétrarqutrouvèrent encore l’occasion de rouvrir la discussion qu’il avait instituée, lorsque, sur la foi de Cicéron et de saint Augustin, il humiliaiAristote devant Platon. À Florence était venu un Spartiate, élève de l philosophie antique beaucoup plus que du christianisme, GeorgeGémiste, que les Grecs appelaient Georges Pléthon166. Pour assurer laréforme intellectuelle et morale de la Grèce menacée par les Turcs, avait ébauché dans ses Lois( Νόμοι), le projet idéal d’une monarchieorganisée d’après la constitution lacédémonienne et la République dPlaton ; elle professait une doctrine religieuse élaborée à l’aide de lcosmologie néoplatonicienne et des mythes du paganisme. Il donnaux Florentins l’impression d’un survivant du monde antique ; on lcomparait à Socrate ou à Platon. Il fut bientôt consulté comme un oracle sur les questions les plus délicates de la philosophie grecque, ed’abord sur les désaccords du Lycée et de l’Académie. À la demandde Cosme, il écrivit, en 1439, un traité,Sur les différences entre Aris-tote et Platon(Περί ν ριστοτέλης πρ ς Πλατ να διαφέρεται).

Sans rejeter complètement Aristote, dont il avait, dans les Loisadmisles théories physiques, il lui reprochait son dieu inactif, et impersonnel, son mécanisme, sa morale trop attachée aux réalités terrestres, es’efforçait d’établir la supériorité à la fois philosophique et religieusdu spiritualisme platonicien. Une dispute bientôt mit aux prises le partisans des deux grandes écoles helléniques ; elle allait durer plus dtrente ans. L’un des négociateurs de l’acte de Florence, Jean Bessarion, archevêque de Nicée et, depuis le concile, cardinal de l’Églisromaine, avait obtenu de Gémiste quelques éclaircissements qui, divulgués, provoquèrent les réponses des aristotéliciens. Deux GrecsThéodore Gazès, et Georges de Trébizonde, professeurs à Pavie et Venise, affirmèrent, contre Platon, que la nature, loin d’obéir à uneintelligence librement agissante, poursuit une fin dont elle n’a pa

166 Γεμιστός, en grec, a le même sens queπλήθων: les deux mots, qui exprimentl’idée de richesse et de plénitude, paraissaient également s’appliquer au savode Gémiste.





conscience. Bessarion tentait vainement une conciliation des thèseopposées. La querelle, engagée sur le problème fondamental de la phlosophie première, passionna les savants italiens : elle les introduisa

au cœur même des p515 deux grands systèmes entre lesquels s’étaient partagées les écoles antiques.

Pourtant l’effort des humanistes pétrarquistes n’aboutit à créer nune théorie du monde ni une doctrine morale. Leur rhétorique ne savait pas résister à la tentation du lieu commun : leur pensée, conventionnelle et banale, ne gagnait pas à s’exprimer avec emphase. Ils imtèrent les défauts de leur maître ; ils n’avaient pas reçu en partage lgénie tourmenté qui donne à ses traités latins l’intérêt et le prix dconfessions intimes. Spectateurs de la querelle des partisans

d’Aristote et de Platon, ils se montrèrent incapables d’y intervenirLeurs dissertations morales, pas plus que celles de Pétrarquen’offrirent aux modernes une éthique à la fois ancienne et nouvelleDu moins avaient-ils pris l’habitude de débattre ou de voir débattre, la manière grecque, en termes purement rationnels, tous les problème philosophiques.

Leur attitude et leur conduite ne répondaient pas toujours à la gravité pétrarquiste. Écrites de 1434 à 1452, les Facéties de Poggioconservent, comme une glose un peu indécente en marge de son œu

vre érudite, les joyeux propos que tenaient, dans les bureaux de lCurie, des hommes fort libres de tout préjugé ; lui-même flatta sanmesure Alphonse d’Aragon, et, mal récompensé, le couvrit de ridicule. Sans doute Pétrarque avait reçu les bienfaits des seigneurs et derépubliques ; Boccace avait sollicité la faveur des tyrans lombards mais leur plume s’était mieux respectée. Filelfo mendiait avec insolence. Les uns et les autres cultivaient l’art de l’invective. Pétrarqul’avait pratiqué pour défendre des idées qui lui étaient chères, flétrides erreurs qu’il jugeait mortelles ; Salutati, pour plaider contre Antoine Loschi, secrétaire des ducs de Milan, la cause des Florentins héritiers de Rome. Rivaux envieux, Poggio et Filelfo s’accablèrend’injures. Une verve cruelle et souvent basse anime les Réflexions flo-rentines sur l’exil (Commentationes florentinae de exilio) que Filelfocomposait à Milan contre Cosme et ses amis. Les humanistes, danleurs disputes, de plus en plus fréquentes, auxquelles les problèmelittéraires et philosophiques ne servaient que rarement de prétextescontractèrent l’habitude de salir leurs contradicteurs, de les insulter e





d’insulter leur famille, de leur prêter les pires turpitudes, de les accuser couramment de vol, de sodomie ou d’homicide. Ils risquaient aind’apparaître, aux yeux des rigoristes, qui, dès le début du siècle, p516

avaient signalé le désaccord de la culture païenne et du christianismeaux yeux de saint Antonin et de ses disciples, comme des aventuriersuniquement soucieux de gain, et pour qui le savoir, l’art de la parole edu style n’étaient plus que moyens de parvenir.

IV. — L’humanisme critique : Laurent Valla167 Plus jeune que Poggio de vingt-cinq ans, de vingt-neuf ans que

Guarino, de sept ans que Filelfo, Laurent dit Valla savait déjà mieuxtirer parti des enseignements du rationalisme hellénique. Il ne scontentait pas d’essayer, après Pétrarque, une réconciliation romantique de l’antiquité profane et du monde chrétien. Il voulut, d’abordconnaître plus exactement la langue de ces Romains que l’humanismexaltait sans toujours bien comprendre leur génie. Mais surtout, aveune décision hardie, il entreprit — indispensable prélude à tout efforde l’intelligence pour acquérir une vue nouvelle sur l’univers et sul’homme —, de soumettre à la critique la plus exigeante les doctrinedes philosophes et les dogmes religieux.

Laurent della Valle, naquit à Rome, d’une famille originaire dePlaisance, en 1405. Il eut pour maître, en 1420-1421, le sicilien JeaAurispa, qui devait à Mayence, en 1432, retrouver le commentaire dDonat sur Térence. Il acheva de se former dans les bureaux de lchancellerie pontificale ; il y rencontra Poggio, de joyeux compagnonet des épicuriens lettrés. Il quitta Rome en 1429, connut à FlorencBruni et Niccoli ; bientôt, à Pavie, collègue de Gasparin, il professl’éloquence. Une vive querelle avec les juristes, en 1433, le contraignit à l’exil ; pendant quelques années il erra de Milan à Gênes, tentd’obtenir un emploi à la Curie ; en 1437, il devenait secrétaired’Alphonse V d’Aragon, qui, n’ayant pas encore occupé l’héritage dla famille d’Anjou, résidait alors à Gaëte et à Caserte ; il suivit secampagnes jusqu’à la conquête de Naples. Malgré sa rudesse et la dureté de son gouvernement, malgré sa culture superficielle, le roi admrait avec enthousiasme les lettres antiques et Tite Live ; Laurent Vall






fut bientôt le plus écouté des humanistes que chaque soir il aimait réunir dans p517 la bibliothèque du palais. Mais, Romain, Valla regret-tait le service plus léger des papes. Nicolas V, en 1448, le rappela ; i

devait passer à Rome ses dernières années.Il fut le véritable fondateur de la linguistique latine. Ni Pétrarque n

ses continuateurs ne s’en étaient beaucoup souciés ; ils tenaient leétudes grammaticales pour mesquines, et suivaient, en matière de style, une esthétique individuelle. Ils se donnaient peu de peine à rétabliles textes mutilés ; Poggio les restituait hardiment, sans guider seconjectures selon d’autres méthodes que celles d’une divination généralement sagace. Seul, Coluccio Salutati avait été, d’instinct, un philologue. Mais les uns et les autres bornaient leurs efforts de linguistes

l’imitation des périodes cicéroniennes. Valla, dès 1425, en un tempoù Poggio, déjà célèbre par ses découvertes, n’avait pas encore publison premier livre, affirma, dans un bref écrit, la supériorité de Quintlien sur Cicéron. Il entreprit bientôt de restaurer, en dépit des gothiques, et contre le savoir superficiel des pétrarquistes, l’usage exact dla langue latine. Le traité des Élégances de la langue latine( Elegan-tiae linguae latinae), dont Bruni, en 1435, avait pu lire la premièreébauche, fut achevé à Naples en 1444. La doctrine de Valla repose sula plus riche collection de textes, empruntés à Cicéron et à Quintilienil les groupe selon les méthodes les plus prudentes ; il en tire ungrammaire et un dictionnaire de synonymes. Il disserte, en philologuà l’aide de Servius, de Varron, de Boèce, sur le sens des termes difficiles et obscurs : la vigueur et la clarté de son esprit éclatent jusqudans ces disputes de mots. C’est dans les Elegantiaequ’Érasme, à lafin du siècle, devait apprendre l’art d’écrire.

Laurent Valla, plus volontiers encore qu’à la théorie du latin clas-sique, s’était, dès 1431, exercé à la critique des doctrines et des systèmes. L’année même où Poggio, bon élève de Pétrarque, achevait l De varietate fortunae, Valla publiait la première de ses grandes œu-vres, le De voluptate( Du plaisir ). Dans ce dialogue, Léonard Bruni, Nicolas Niccoli, et le juriste Antoine Beccadelli de Palerme, qui e1426 avait acquis une célébrité de mauvais aloi par la publication d’urecueil d’épigrammes obscènes, l’ Hermaphroditus, discutent du sou-verain bien. Beccadelli défend joyeusement la nature, dont les leçonmontrent aux hommes la recherche du plaisir comme but suprême dleur activité. Le chancelier florentin soutient, à l’exemple de Pétrar





que, les doctrines stoïques. Interprète de l’auteur, Niccoli p518 n’a pasde peine à démontrer l’incompatibilité du sensualisme païen et dl’Évangile ; mais Zénon ne se concilie pas mieux avec le Christ. Pou

la première fois, un humaniste osait contredire Pétrarque, juger vain efrivole — inane quiddam et nugatorium— l’idéal orgueilleux de lasagesse stoïcienne, en dénoncer l’opposition avec cet Évangile auqueles pétrarquistes conservaient leur foi. Valla semble annoncer ainsi lcritique des grands chrétiens duXVIIe siècle ; mais, heureux de mar-quer cette antithèse, il ne conclut pas en chrétien. Niccoli conseille uépicurisme prudent, une exacte arithmétique des plaisirs et des peines ; il découvre une harmonie inconnue entre les philosophes qui enseignent la recherche méthodique d’un bonheur tout intellectuel et ledisciples du Christ qui rêvent de l’éternelle béatitude : l’art de vivr purifie les joies humaines, les élève jusqu’à l’anticipation des joiecélestes. Il y a là sans doute une ironie, que tous n’aperçurent pasÉrasme lui-même, malgré sa finesse, devait, à la fin du siècle, accueilir cette comparaison dans un traité de caractère religieux et presquwindeshémien sur leMépris du monde( De contemptu mundi). Dumoins Valla rompait-il avec les équivoques et les à-peu-près de Pétrarque ; il obligeait les humanistes à prendre conscience des faiblesses de leur pensée, des difficultés inhérentes à la conciliation toutverbale où Pétrarque s’était complu du christianisme avec la raiso

antique.Un traité sur le libre arbitre ( De libero arbitrio), que, depuis peu

secrétaire d’Alphonse d’Aragon, il composa sous la forme d’un dialogue, lui offrit à nouveau l’occasion d’accuser la faiblesse doctrinaldu stoïcisme pétrarquiste et de démontrer l’impuissance de la raisohumaine à résoudre l’antinomie qui oppose la prescience divine et lliberté. Lorsque, en 1439, dans ses Disputes dialectiques( Disputatio-nes dialecticae), il attaqua de front la scolastique, on ne l’entendit pasrépéter contre elle les objections banales d’un humanisme nourri d

Cicéron et de Sénèque. Il sut parler en philosophe, et porta le débasur la logique aristotélicienne, base de la science médiévale. Avec unexacte vigueur de raisonnement et une solide information, il critiqula théorie péripatéticienne des principes, des catégories, du syllogisme. Il mit en doute jusqu’au génie même d’Aristote ; après sa logiquil rejetait sa physique, sa psychologie et sa morale. Pétrarque avait crtrouver en Platon, qu’il connaissait mal, une philosophie capable d





soutenir plus efficacement la révélation. Georges Gémiste, la mêmannée, p519 démontrait aux Florentins la supériorité du spiritualisme platonicien sur le mécanisme d’Aristote. Valla, d’esprit trop clair e

positif, n’entend pas reconstruire, en l’honneur de nouvelles idoleune dogmatique nouvelle ; comme dans le De libera arbitrio, il semble conclure à l’agnosticisme.

Il aboutissait ainsi, par d’autres voies, aux négations des ockhamistes, injustement dédaignés de Pétrarque. Mais l’école parisienne, aprèavoir ruiné toute certitude philosophique, imposait aux esprits un actde foi, que, de leur côté, les pétrarquistes prononçaient avec enthousiasme. Valla préfère l’esquiver. Il s’était diverti, dans le De colupta-te, à démontrer l’épicurisme essentiel du chrétien ; dans le De liberta-

te, il admirait les catholiques de si bien concilier les contradictoires les Disputationes dialecticaedémontraient que toute la théologie del’Église repose sur une philosophie périmée. Il allait bientôt, avec unhardiesse nouvelle, soumettre à la critique les institutions et les dogmes.

Contre Alphonse d’Aragon, prétendant au trône de Naples, la di plomatie d’Eugène IV soutenait la famille d’Anjou. Valla, en 1440nia le pouvoir temporel des papes. Dante croyait authentique la Donation de Constantin ; il en avait, dans le De monarchia, dénoncé la mal-

faisance. Valla prouva la fausseté de la légende d’après laquelle Sylvestre aurait guéri de la lèpre Constantin baptisé. À l’examen strict d philologue, le texte de l’acte impérial apparut inauthentique. CommDante, le logicien établit que l’empereur n’avait pas le droit deconsentir cette donation ni le pape de l’accepter. Il prononça, commDante, un véhément réquisitoire contre la politique du Saint-Siègeambitieux de dominer le monde : il appelait de ses vœux le jour oùl’Église romaine ne porterait plus les deux glaives, où le pape, cessande guerroyer contre les chrétiens, redeviendrait le père commun defidèles. Il haïssait les réguliers, soutiens de l’autorité usurpée du SainSiège : en 1442 fut, écrit le traité De la profession religieuse( De pro- fessiane religiosarum). Selon une doctrine déjà soutenue par les Vau-dois, par les Wycléfites et Jean Hus, et qu’il savait appuyer surl’histoire et sur les textes, il affirmait que les moines usurpent le nomde religieux, commun, à tous les fidèles, et prétendent faussement réaliser, en échappant aux devoirs ordinaires, des chrétiens, la perfectio





évangélique. Seule la protection d’Alphonse le couvrit contre la fureudes ordres.

Mais déjà l’humaniste, en philologue et en historien, étudiait p520 les origines des croyances catholiques. Il avait prouvé sans peincontre un prélat le caractère apocryphe de la lettre d’Abgar, rod’Édesse, à Jésus. Pendant le carême de 1444, un moine, Antoine dBitonto, prêchait que chacun des apôtres a rédigé l’un des douze versets duCredo. Valla démontra, par les meilleurs arguments, que letexte en fut l’œuvre du concile de Nicée. Il eût affronté un débat pu blic, que la prudence du gouvernement n’autorisa pas ; traduit devanl’Inquisition épiscopale, il refusa de se soumettre, et le roi imposa soabsolution. Valla dut pourtant déclarer qu’il croyait tout ce que croya

l’Église, et pendant quelque temps suspendre ses recherches sul’histoire du christianisme primitif. Il prit sa revanche à Rome : il créa, sous Nicolas V, l’exégèse moderne. Sur la Vulgate du NouveauTestament il rédigea des notes critiques ; il dénonça l’inexactitude, lmauvais langage, les contresens du traducteur, l’ignorance du grechez les plus grands théologiens et saint Thomas lui-même, incapable par là de bien entendre le texte élémentaire sur lequel se fonde touchristianisme. Érasme, qui, en 1505, devait publier à Paris ces Annota-tionesencore inédites, en tira la méthode que, philologue et historienlui-même, il appliqua, onze ans plus tard, à Bâle, dans l’édition princeps du Nouveau Testament.

Valla n’avait jamais évité aucune occasion de dispute. Dès 1433ses attaques imprudentes contre Bartolo de Sassoferrato et les juristequ’il accusait de chérir la barbarie gothique, de fausser le sens des loimpériales, d’en ignorer les commentateurs romains, soulevaiencontre lui l’Université de Pavie. Onze ans plus tard, il défendait se Elegantiaecontre Antoine de Rhò ; en 1446, il répondait à un élève deGuarino, Barthélémy Fazio, qui attaquait son Histoire de Ferdi-nand I er , pittoresque et brève, et, par le caractère familier du détail, paun certain mépris de l’emphase, si différente des traités historiquesortis de l’école de Pétrarque. Il devait en même temps repousser leattaques de Beccadelli, mécontent du rôle qui lui était attribué dans l De coluplate. Mais surtout, Valla dut tenir tête à Poggio. L’occasionde la querelle fut mesquine. Le traducteur de laCyropédie, tardive-ment récompensé par Alphonse, imputait à Valla ces lenteurs. En février 1451, Poggio l’accusa publiquement de plagiat et d’hérésie





Valla, en novembre 1451, répondit par trois livres d’ Antidotes; Pog-gio répliqua par de nouvelles invectives ; un quatrième livre s’ajout bientôt aux Antidotes, et la polémique se prolongea deux ans, à grand

p521 renfort d’injures et de calomnies. Il fallut que Filelfo lui-mêmegrand artisan de discordes, s’entremît en 1453 pour la paix. Quelque paroles violentes ou perfides furent encore échangées.

Malgré les bassesses auxquelles tous deux se ravalèrent, cette querelle intéresse directement l’histoire de l’esprit. À l’humanisme pétrarquiste s’opposait un humanisme critique, plus soucieux de strictméthode et de science exacte. Le dédain sommaire de Pétrarque poula culture intellectuelle du moyen âge, pour les écoles de Paris ed’Oxford, alors si vigoureuses et réellement grandes, n’était que mé

diocrement compensé par la doctrine philosophique et religieuse qu’tirait de Cicéron, de Sénèque, tant bien que mal conciliés avecl’Évangile. La pensée de Salutati, de Niccoli, de Traversari, de Poggio, ne dépassait guère en précision et en portée celle de PétrarqueMalgré leur usage plus élégant, quoique peu correct, du latin, iln’étaient pas supérieurs aux hommes que la scolastique et la mystiquavaient formés, Pierre d’Ailly ou Gerson, Wyclif, Hus ou Jérôme dPrague. Mais, avec Laurent Valla, l’humanisme se montrait vérita blement capable de créer une culture nouvelle, parce que, désormaiadulte, il se montrait capable de critique. La critique humaniste, prêtmaintenant à recueillir la succession de la critique ockhamiste, dont lvigueur apparaissait comme épuisée, se fondait sur la philologie el’histoire. Elle pouvait entreprendre, avec de plus exactes méthodesl’étude des doctrines philosophiques, des dogmes religieux, des institutions. Elle allait, à l’intérieur de l’Église catholique, recommencer evérifier le travail, accompli selon des procédés encore défectueux pales écoles hérétiques.

V. — La synthèse de Nicolas de Cues168 Infiniment plus vigoureuse que l’effort des pétrarquistes, auque

d’ailleurs elle avait apporté son concours, apparentée à la critique dLaurent Valla qu’elle ne désavouait pas et qu’elle p522 pensa dépasser,l’œuvre puissante de Nicolas de Cues ordonnait alors en une synthès






nouvelle l’humanisme, la science positive des ockhamistes ou des anciens et la mystique chrétienne. Cet Allemand, élève et collaborateudes Italiens, écrivit en Italie ses traités capitaux. Beaucoup plutô

qu’en Allemagne, c’est en Italie que son enseignement se perpétua c’est là qu’il forma des élèves, une petite école peu nombreuse, maidont l’action puissante ne s’exerça guère que sur une élite.

Fils d’un batelier de la Moselle, Nicolas Krebs naquit à Berncasteldans le diocèse de Trêves, en 1401. Il fut, à Deventer, l’élève des Frères de la Vie Commune, à Heidelberg l’élève des ockhamistes ; en1417, il étudiait le droit canon à Padoue ; peut-être y entendit-il Filelfo, qui n’avait pas encore parcouru l’Orient. Il apprit le grec, les mathématiques, l’astronomie. Docteur en droit canon, il visita Rome e

1424 ; il put y rencontrer Poggio. L’année suivante, à Colognel’albertiste Eymeric de Campo lui enseigna la théologie. Ordonné prêtre, il suivit comme secrétaire le cardinal Giordano Orsini, légat enAllemagne. Mêlé à la diplomatie pontificale, chanoine d’Oberwesedoyen de Coblence, il recherchait, comme Poggio, les manuscrits danles bibliothèques monastiques ; il y découvrit douze comédies dePlaute. Déjà familier avec les pétrarquistes, et particulièrement aveTraversari, la hardiesse critique de Valla le séduisit de bonne heure ene cessa jamais de lui plaire.

Il joua, dans les querelles de l’Église, un rôle capital. Dès 1432, ireprésentait l’évêque da Trêves au concile de Bâle ; l’année suivanteson Accord des catholiques( De concordantia catholica) soutint vi-goureusement les doctrines gallicanes. Avant Laurent Valla, Nicolade Cues démontrait la fausseté de la donation constantinienne. Pourtant, soucieux de conserver l’unité de l’Église, il désapprouva bientôla politique violente de l’assemblée. La diplomatie d’Ambroise Traversari sut le réconcilier avec Eugène IV. Il fit partie de l’ambassadqui, à Constantinople, détourna Jean Paléologue d’écouter les Bâloisil vit, à Ferrare, en avril 1438, s’ouvrir le concile d’union. Il blâml’élection de Félix V, soutint à Francfort, en 1441, en 1442, de vivescontroverses avec Louis Aleman ou Thomas de Courcelles. QuanEnea Silvio Piccolomini se fut, en 1445, rallié au parti pontifical, toudeux conduisirent les pourparlers qui, après la diète d’Aschaffenburgaboutirent à réconcilier l’empereur, les princes et les villesd’Allemagne avec le Saint-Siège. La paix de l’Église enfin conclue Nicolas de Cues p523 devint, en 1440 cardinal de Saint-Pierre ès Liens.





Mais la victoire du Saint-Siège ne se justifiait que s’il n’esquivait plul’œuvre de restauration. Nommé légata latere en 1450, Nicolas deCues parcourut pendant deux ans l’Allemagne, l’Autriche, le Tirol, le

Pays-Bas, prêchant l’indulgence du jubilé, luttant contre le formalismreligieux, la superstition, l’ignorance des prédicateurs, l’irrégulièrassistance des fidèles aux offices, le laisser-aller des prêtres et dechanoines. Il travailla énergiquement à la réforme morale des clercsexigea la convocation régulière des conciles provinciaux et soutinavec plus d’énergie que de succès l’effort des congrégations de Bursfeld et de Windesheim ; il s’efforça de reconstituer la hiérarchie, drenforcer l’autorité du pape sur l’Église, des évêques unis au pape sule clergé ; très énergiquement il défendit contre la fiscalité des princeet des villes les immunités ecclésiastiques. En 1452, il prenait possession de l’évêché tirolien de Brixen, suffragant de Salzbourg. Il allais’y user dans une lutte sans issue contre l’inertie des séculiers, les résistances des moines, le mauvais vouloir des autorités temporelles.

Ce prince de l’Église fut probablement la plus vigoureuse intelligence duXVe siècle. Ses découvertes de manuscrits, sa connaissancedu grec et de l’antiquité lui assurent un des premiers rangs parmi le promoteurs de l’humanisme. Il est en même temps, à la différence dValla comme des pétrarquistes, l’héritier de tout le savoir médiéval. Iconnaît à fond la Bible, les Pères et surtout saint Augustin. Plus volontiers il a étudié les œuvres attribuées à Denys l’Aréopagite, qu’il tien pour le plus grand des théologiens. La mystique dionysienne et augustinienne l’a naturellement conduit vers Platon, dont il a pu lire les pluimportants dialogues, vers les néoplatoniciens qu’il a étudiés cheProclos, chez Apulée, héritier également des traditions de PythagoreIl a retrouvé la métaphysique des écoles gréco-orientales, unie ausouvenirs de la théologie égyptienne, dans les Livres hermétiquesetsurtout dans l’ Asclepios. Pas plus que les pétrarquistes ou LaurentValla, il n’accepte la maîtrise d’Aristote ; il ne se décide qu’assez tard

après 1453, à un examen approfondi de son système. Il suit raremensaint Thomas, et se borne à citer quelquefois Albert. Mais Jean ScoHugues de Saint-Victor ont exercé sur lui une profonde influence ; dsaint Bernard, il a surtout retenu la théorie de la contemplation, dsaint Bonaventure, celle de l’illumination intellectuelle. Il a goûté lrationalisme mystique de p524 Raymond Lull. Parmi les maîtres mo-dernes de la vie intérieure, Eckhart et les Allemands duXIVe siècle lui





sont familiers ; il doit peu à Windesheim et aux Frères de la VieCommune. Il n’a ignoré ni la philosophie arabe ni la Kabbale. Bieque les démonstrations des ockhamistes parisiens ne l’aient pas ralli

à la théorie nominaliste de la connaissance, il a du moins apprécil’héritage scientifique de leur école : il sait tout ce qu’on peut savoien mathématiques, en astronomie, en physique.

Riche de cette immense culture, Nicolas de Cues a tenté de construire un système personnel, qui lui permît de dépasser l’agnosticismockhamiste et de concilier cette théorie positive et scientifique dumonde, vers laquelle l’ockhamisme s’acheminait, avec une théologimystique et d’inspiration néoplatonicienne. Malgré sa participatioininterrompue aux affaires de l’Église, il trouva le loisir de méditer su

les principaux problèmes débattus par les scolastiques et d’en chercher de nouvelles solutions. En 1440, il avait écrit les traités latins Dela docte ignoranceet Des conjectures; en 1449, suivirent la Recher-che de Dieu( De quaerendo Deum) et l’ Apologie de la docte ignoran-ce ; en 1450, le Livre de l’illettré( Idiotae liber ), les traités De la sa- gesseet De l’esprit ( De mente) ; il devait achever à Rome, en 1463, laCîme de la contemplation( De apice theoriae). À travers ces écrits gé-néralement assez brefs, et qui, selon l’usage des humanistes, revêtenle plus souvent la forme du dialogue, s’exprime une pensée constamment en travail, soucieuse de s’enrichir sans cesse et de se développeen profondeur, parfois obscure et médiocrement distincte, qu’il n’eu jamais le temps d’élaborer complètement et de résumer en un expossystématique.

Après le triomphe de l’ockhamisme, tout essai nouveau de spéculation philosophique exigeait préalablement qu’on remît à l’étude l problème de la connaissance humaine. Nicolas de Cues suivit la luttengagée contre les ockhamistes aux Universités d’Allemagne, et particulièrement à Cologne, par les albertistes et les thomistes, qu’in’aimait guère ; affirmant sa théorie de la docte ignorance, il a cru à lfois réfuter les nominalistes et dépasser leurs contradicteurs. Puisqula science parfaite exige la connaissance par les causes, son terme scache en Dieu. La raison crée pour notre usage, sur la base du principde contradiction, une théorie rationnelle du monde ; mais le syllogisme, si fort qu’il étreigne les notions extraites des données sensible par notre entendement, ne saisit qu’une vérité p525 relative. L’intellect,en revanche, dépasse le domaine où opère la raison. La philosophi





peut s’élever de la connaissance rationnelle à la simple intelligenceLe principe de cette ascension est l’identité des contradictoires, rejeté par la logique aristotélicienne : identité qui se manifeste dans l’êtr

infini, duquel tout procède. Le principe rationnel de contradiction n peut conduire à la vérité dernière, qui dépasse la raison. Le but dl’esprit est d’atteindre cette simplicité suprême où les contradictoirecoïncident, de posséder cette vérité une et immuable qui est DieuSans doute reste-t-elle impénétrable et inconnaissable. La métaphysque pour Nicolas de Cues, pas plus que pour Ockham ne saurait sconstituer comme science. Toutefois une méthode d’approximation peut servir de base à la théologie négative, qui détruit les affirmationinadéquates de la théologie positive et les dépasse. Un symbolismmathématique, déjà pratiqué par les pythagoriciens et les néoplatonciens, par saint Augustin et Boèce, nous ouvre quelques vues lointaines sur la réalité divine. L’infini mathématique conduit à l’intuition dl’infini métaphysique. On peut tirer des figures géométriques diversymboles applicables à l’être divin et à ses rapports avec le mondeLes nombres offrent d’autres symboles qui permettent de concevoir lgenèse de l’univers et la hiérarchie des créatures. Mais il existe unterme où s’arrête l’ascension de l’intellect ; car le fini, par ses seuleforces, ne peut atteindre l’infini. Alors intervient la grâce divine, accordée à celui-là seul qui cherche humblement, refusée à l’orgueil de

philosophes païens. Elle illumine l’âme humaine, soit qu’elle confèraux spirituels la pleine révélation mystique, soit lorsque la piété sim ple, par l’humble imitation du Christ, reçoit, à défaut de la révélatiodu Dieu transcendant, l’expérience intime du Dieu immanent. « Tu nme chercherais pas, dit saint Augustin, si tu ne m’avais déjà trouvé ».

Après avoir ainsi réintégré l’effort métaphysique dans la philoso phie, Nicolas de Cues tente de construire, à l’aide du principe dl’identité des contradictoires, un système hypothétique du monde. EDieu coïncident le maximum absolu et le minimum absolu, puisqu

l’un et l’autre expriment la même notion d’infini. C’est par sa volontcréatrice qu’existe le monde, somme du macrocosme formé pal’univers matériel et du microscome formé par l’homme. De mêmque Dieu implique dans son être la multitude des êtres qui composenl’ensemble cosmique, de même le monde explique et développe cettcomplicatio omnium p526 qui est en Dieu ; ainsi le nombre explique etdéveloppe l’unité. Jean Werck, théologien de Heidelberg, avait accus





le cardinal de renouveler l’hérésie d’Eckhart. L’ Apologie de la docteignorancerepoussa tout compromis avec le panthéisme ; la doctrinede l’identité des contradictoires en Dieu permettait d’affirmer qu

Dieu est dans tout, que tout est en Dieu, sans que la dualité de Dieu edu monde cesse d’exister. Peu à peu s’ébauchait une théorie, exposésurtout dans le traité de l’ Être ( De ente), qui résout le problème de lacomplication des choses en Dieu et de l’explication de Dieu danl’univers, selon la doctrine augustinienne de l’exemplarisme divinDieu développe le monde conformément au système des idées éterneles qu’il porte en lui. Mais Platon détermine l’action de Dieu selon llogique interne de ces idées. Pour Nicolas de Cues, c’est libremenque Dieu, parmi l’infinité des mondes qu’il pouvait concevoir, a crécelui qui existe ; et cette création n’ajoute rien à Dieu, qui sans elle nserait pas moins Dieu.

Ainsi le monde, œuvre de la sagesse divine, offre une image évidente et incomplète de Dieu. L’homme, centre du monde, conservmieux que nul être créé cette ressemblance. L’âme est un esprit, reflede l’esprit infini, mais un esprit créé, qui dès l’instant même de scréation, fut uni à un corps sans lequel il ne peut agir. Placée entre l plus bas degré des intelligences séparées et le plus haut des naturecorporelles, terme de perfection pour les natures inférieures, point ddépart des natures supérieures vers la perfection, l’âme humaine est llien qui unit l’ensemble de l’Univers. Douée d’une immortalité personnelle, elle est, dans l’ordre des créatures, inférieure aux intelligences angéliques, qui n’ont pas besoin de l’aide des sens. Comme leintelligences angéliques, elle tend nécessairement vers Dieu ; et ceélan d’intellect pur et de charité attire la grâce, que dispense le Chrismédiateur divin. En lui, créateur-créature, maximum-minimum, sréalise de façon éclatante la coïncidence des contraires. En lui s’opèrl’union des deux infinis : par lui se clôt le cycle des êtres ets’accomplit le retour de la créature au créateur.

Métaphysicien et mystique, Nicolas de Cues n’entendait pas abandonner l’héritage scientifique des maîtres parisiens. Il avait trouvé Heidelberg le souvenir encore vivant de Marsile d’Inghen. Bien qu profondément étranger à l’agnosticisme ockhamiste, il voulut être, fut comme eux, comme le seul maître duXIIIe siècle dont il aimait à seréclamer, Albert le Grand, p527 un véritable savant. Comme eux, il rejeta et corrigea les conceptions physiques d’Aristote et, comme eux,





fut conduit par le raisonnement autant que par l’expérience. Il nia qula terre fût le centre du monde ; il admit l’unité de composition deastres, pensa, comme Buridan, que les mouvements célestes et terres

tres sont réglés par les mêmes lois. Il admit, non seulement, commdéjà Pythagore, que la terre tourne sur elle-même, mais aussi qu’umême mouvement emporte d’orient en occident les corps célestesavec une rapidité d’autant plus grande qu’ils sont plus éloignés ducentre théorique du monde. Comme Nicole Oresme, il n’a pas jugimpossible que la terre décrivît une révolution autour du soleil. Il pour la première fois avancé qu’aucun astre n’est parfaitement sphérque et ne parcourt un cercle parfait. Déjà, en 1437, il avait proposé aconcile de Bâle la correction systématique du calendrier. C’est grâce ses leçons que les grands astronomes de la fin du siècle, GeorgePeurbach et Jean Müller Regiomontanus, allaient fonder leur sciencsur les faits et sur la raison. De même il admet les doctrines que lemaîtres parisiens duXIVe siècle avaient déjà formulées sur la chute desgraves et l’élan du projectile. En mathématiques, il cherchait, sur letraces des géomètres anciens, à résoudre le problème de la quadraturdu cercle. Une imagination de métaphysicien lui suggérait des hypothèses neuves et fécondes ; il pratiquait en savant les techniques dl’observation et du calcul.

Sa doctrine devait, pensait-il, consolider à jamais le dogme chrétien. Il croyait avoir institué une apologétique irréfragable. Pourtant c puissant effort n’aboutissait qu’à des conclusions incertaines. Danl’espoir d’en finir avec l’agnosticisme ockhamiste, il avait fondé smétaphysique, présentée d’ailleurs comme un tissu de symboles inadéquats, sur le principe hasardeux de l’identité des contradictoires eDieu ; il ne l’avait développée qu’à l’aide d’une méthoded’approximation symbolique, difficilement praticable et que lui-mêmn’avait pas toujours exactement suivie. Il laissait, en réalité,l’agnosticisme subsister à la base de sa doctrine ; il y donnait large

ment entrée au fidéisme et à l’illuminisme. Il avait côtoyé le panthéisme d’Eckhart, sans réussir très heureusement à s’en dégager. Lsystème, où se manifestent un esprit vigoureusement critique et unvéritable génie de métaphysicien, restait médiocrement cohérent esolide, apte surtout à suggérer des intuitions et des hypothèses ; is’accommodait tant bien que mal des dogmes p528 catholiques ; lathéorie toute alexandrine du retour des créatures à Dieu avec l’aide d





la grâce interprétait avec une excessive liberté la théologie pauliniennet augustinienne du péché et de la Rédemption.

VI. — L’humanisme et le Saint-Siège169 Les bureaux de la Curie avaient été, dès le début du siècle, hospita

liers à l’humanisme. Poggio y vécut près de cinquante ans. LaurenValla, malgré la faveur du roi de Naples, les regretta sans cesse et nfut heureux que le jour où Nicolas V, en 1448, l’y rappela. Le concilde Florence resserra l’accord intellectuel des érudits romains avec lesavants qui fréquentaient le palais de Cosme, la maison de Bruni, lcellule de Traversari. Eugène IV, bien que fidèle à l’idéal monastiqueapprouvait les études d’antiquité. Bessarion, nommé par lui cardinaresta l’un des conseillers les plus influents du Saint-Siège. Chargé dlégations en Orient, en Allemagne, en France, il accueillit largemenles exilés de Byzance et les savants. Ainsi, Rome, dans les dernièreannées d’Eugène IV, devint un foyer d’études helléniques.

Un humaniste, en 1447, devint pape. Thomas Parentucelli, né cinquante ans plus tôt à Sarzana, précepteur des fils de Palla Strozzi et dRinaldo degli Albizzi, avait, à Florence, connu Salutati, Bruni, Traversari, Niccoli, Cosme de Médicis. Pape sous le nom de Nicolas V, ifut le premier fondateur de la Bibliothèque Vaticane ; à sa mort ellesurpassait, riche de seize mille volumes, toutes les librairies princières. Pétrarquiste, il encouragea l’œuvre de vulgarisation commencé par Bruni et Traversari. Il eût voulu procurer la traduction complète dtous les classiques. Pour cette entreprise, comme pour la reconstruction de la basilique et des palais pontificaux, il conçut un pland’ensemble et p529s’efforça méthodiquement de le réaliser. Georges deTrébizonde, qui professait à Venise depuis 1431, entrait dans les services de la Curie et obtenait le titre de secrétaire apostolique. Theodore Gazès, supérieur à Georges par le savoir et le caractère, s’était illustré à Pavie, à Mantoue, à Ferrare ; il vint enseigner à Rome ; tous deureçurent le soin de traduire Aristote. Aux Italiens furent réservés lehistoriens, les orateurs et les poètes : Thucydide à Laurent Valla, Polybe à Perotto, Strabon à Guarino, Homère à Filelfo, qui d’ailleurs travailla peu.






Dans l’entourage du pape, nul ne représentait la tradition de Pétrarque mieux qu’Enea Silvio Piccolomini. Toscan, né à Corsignan près de Sienne en 1405, il avait de bonne heure, selon la formule cou

rante d’Ovide, de Properce et de Tibulle, composé des élégies enl’honneur d’une inconnue qu’il voulut appeler Cynthia. Il étudia lehumanités à Florence entre 1429 et 1432 ; il entendit Filelfo. Secrétaire du cardinal Capranica, il eut alors l’occasion de parcourir l’Italie, lFrance, l’Angleterre et l’Écosse. À Bâle, devenu l’oracle du parti antipontifical et secrétaire de Félix V, il écrivit ses Discours sur l’autorité du concile, sans nulle indulgence pour la défection de Nico-las de Cues. Peu de convictions d’ailleurs ; le latiniste élégant et sceptique restait étranger au dogmatisme des gallicans et les méprisait afond comme des barbares. Indifférent en matière religieuse, il espératrouver chez les classiques les règles de la plus saine morale ; il déconseillait plus tard à Sigismond d’Autriche la lecture des théologiendu moyen âge. En 1443, l’occasion d’une ambassade à Francfort lu permit d’y ceindre la couronne poétique et d’entrer dans la chancellerie de Frédéric III. Il composait alors une comédie,Chrysis, imitée dePlaute et pourtant très moderne, où revit, dans le cadre d’une villed’eaux, ce monde léger de jeunes clercs et de jeunes femmes où il amait à fréquenter. L’année suivante, son Histoire de deux amantsrap- pela, malgré la forme latine et les réminiscences d’Ovide, la Fiammet-

ta et le Filostratode Boccace. Ses lettres, animées et spirituelles, ra-contaient les intrigues, les travaux et les loisirs de la cour impérialeL’une d’elles, développée en 1444 aux dimensions d’un petit traitédécrit, avec un réalisme heureusement renouvelé de Juvénal, les misères qu’abritent les palais princiers. Mais déjà sonnait l’heure de pensées plus graves et de plus hautes ambitions. L’année suivante, venuen ambassade à Rome, il se jetait aux pieds d’Eugène IV, désavouaison passé, sa politique et le concile désormais vaincu. Le pape aisément lui p530 pardonna. Entré dans les ordres, Enea Silvio fut, dès1447, évêque de Trieste, et trois ans plus tard de Sienne. D’accordavec Nicolas de Cues, il réconciliait l’Empire et le Saint-Siège. Ce pendant, comme Pétrarque, il s’humiliait sous la discipline catholque ; dans un dialogue écrit en 1453, il imaginait — fantaisie dantesque — une visite à l’enfer sous la conduite du Siennois saint Bernardin.





Ainsi Rome négligeait les avertissements de Jean Dominici et derigoristes. Nicolas V adoptait le programme intellectuel et religieux dPétrarque. Mais déjà les hardiesses de l’humanisme critique ne l

scandalisaient plus : il protégeait Laurent Valla contre l’Inquisition ; ne blâmait pas le traité de la Donation de Constantin; les Annotatio-nes in Novum Testamentumne lui semblaient pas dangereuses pour lafoi catholique. Rome allait bientôt accueillir les synthèses géniales ehasardeuses de Nicolas de Cues.

VII. — Les lettres en Occident170 La vie littéraire, aux pays d’Occident, manifeste les incertitude

d’une époque où s’épuise la tradition médiévale ; pour remplir le vidqu’elle a laissé, le réalisme bourgeois et le classicisme humaniste sdisputent la faveur des esprits, qui d’ailleurs n’entendent pas rejeteencore les formes d’art transmises par le passé.

Devenue en Italie un livre presque populaire, la Divine comédieat-tirait et repoussait en même temps les héritiers de p531 Pétrarque. Lescopies s’en multipliaient ; on la commentait publiquement à Florencedans la chaire illustrée par Boccace ; d’autres villes suivaient ceexemple. Mais les conditions nouvelles de la vie politique,l’abaissement de l’Empire, la décadence de la papauté, rendaient lelecteurs duXVe siècle assez indifférents aux grands débats où Dantes’était passionnément jeté. De même, l’affaiblissement, chez les humanistes et les lettrés, sinon des croyances chrétiennes, du moins deterreurs d’outre-tombe, le développement d’un christianisme platoncien et stoïque, à la manière de Pétrarque, ne leur permettaient plus d pénétrer bien profondément la pensée religieuse de Dante, formée pala scolastique et la mystique. Dans la Divine comédie, les lettrés admi-raient avant tout l’art de la composition, l’architecture grandiose d poème, la richesse des allégories et des symboles ; l’âme même dl’œuvre leur échappait. Coluccio Salutati vénérait encore la mémoirde Dante, encourageait Benvenuto d’Imola dans son travail de commentateur ; mais Niccoli parlait de laComédieavec dédain. Filelfol’expliquait à Florence en 1432 ; Bruni écrivait en 1436 la vie du poète ; mais les uns et les autres regrettaient qu’il n’eût pas usé du latin, e






leur admiration se montrait conventionnelle et stérile. Dante semblaun maître hautain, trop inaccessible ou déjà trop étranger.

D’autre part, l’humanisme, dans son effort pour fonder une sagessambitieuse de supplanter la théologie dantesque, ne semblait pas trèsoucieux de livrer à l’idiome vulgaire ce que Pétrarque n’avait confiqu’au latin. Seuls Mathieu Palmieri, et surtout Léon-Baptiste Albers’efforçaient de perfectionner la prose philosophique de langue toscane, cet instrument de discussion que, dans leConvito, Dante n’avaitencore qu’essayé. Mathieu Palmieri, mêlé comme partisan actif deMédicis à la politique florentine et chargé de diverses ambassadesavait été l’élève de Marsuppini, dont il composa l’oraison funèbreLatiniste, il voulut écrire en langue vulgaire, sans doute avant 1453, l

livre de laVie civile, dont le cadre rappelle le Décameron. Retirés, pendant la peste de 1430, dans une villa du Mugello, Agnolo Pandolfini, Louis Guicciardini, le nouvelliste Franco Sacchetti discourent sul’idéal du bon citoyen et, moins que Pétrarque, ils se souciend’accorder avec l’Évangile leur stoïcisme un peu tendu. La mêmdoctrine soutenait Léon-Baptiste Alberti, entré, en 1432, au service dla Curie, qu’il suivit à Florence et à Ferrare. Il avait, à Bologne, p532 écouté Filelfo, étudié le droit ; il apprit sans maître la musique et l peinture ; il devint un excellent mathématicien ; par son génie presquuniversel, il semble annoncer Léonard de Vinci. Théoricien de lasculpture et de l’architecture, constructeur insigne de palais ed’églises, il avait, à la manière de Lucien, écrit en latin quelques dialogues, quelques nouvelles satiriques, souvent peu indulgentes auclergé romain. Dès 1434, sans doute, il avait, en toscan, rédigé sonTeogenio, qu’il dédia, huit ans plus tard, à Lionel d’Este et qui, par lacomposition et le style, rappelle encore Lucien. Il y exprime un pessimisme qui procède à la fois de Pétrarque et de Lucrèce, depuis pedécouvert par Poggio Bracciolini. Il dit les misères de la conditionhumaine, la vanité de tout effort pour atteindre le bonheur ou la gloire

et se réfugie dans un stoïcisme pour qui la pensée de la mort devienun principe de sérénité. De 1437 à 1441, il avait, sous la forme d’undialogue avec divers de ses proches, réunis à Padoue en 1421, pendanla dernière maladie de son père, écrit les quatre livres de la Famille. Ilemprunte à Xénophon, à Plutarque et à Quintilien la plupart de sevues sur l’éducation ; mais il leur donne un tour personnel et les justifie par des observations tirées de la vie florentine. Il achevait, en





1443, son dialogue stoïcienSur la tranquillité de l’âme( Della tran-quillitate dell’anima). Pourtant aucun des humanistes alors illustres nevoulut imiter dans l’emploi de la langue maternelle Alberti ou Palmie

ri. Le public ne les encourageait pas. En un concours littéraire ouverle 14 octobre 1441 à Santa Maria Novella, Alberti présentait le quatrième livre de la Famille; les juges lui refusèrent la couronne.

Il semblait donc que l’humanisme, en dépit de ses progrès et de seambitions, ne pût encore imposer aux écrivains qui n’étaient pas desavants son esprit et sa discipline artistique. La lyrique amoureuse osolennelle, le roman d’aventures ou d’amour trouvaient, dans leCan- zoniereou lesTriomphesde Pétrarque, dans les romans ou les poèmesde Boccace, des modèles dont le style n’obéissait pas à l’idéal d

l’humanisme. L’ Amorosa visione, l’ Ameto, inspirent les vers allégori-ques ou moraux de Jacques Serminocci, de Jean Gherardi, de Pierrdel Giocolo ; Alberti lui-même, dans sa Deifira, voulut redire, d’aprèsla Fiammetta, les plaintes d’un amant trahi. Du Filocoloprocède, œu-vre de Jean Gherardi, un roman compliqué où se mêlent souvenirs d promenades et de voyages, discussions galantes, philosophiques olittéraires, et que l’on nomma le p533 Paradis des Alberti. Mais surtoutl’art de la nouvelle allait durablement s’inspirer du Décameron. Fran-co Sacchetti, homme de négoce et de gouvernement, était en 1392 podestat de Bibbiena, lorsqu’il se mit à composer ses contes pittoresques, souvent d’un vigoureux effet comique. En revanche, le siennoiGentile Sermini, qui en 1424 achève un recueil de quarante nouvellesn’est qu’un médiocre continuateur de Boccace. Les narrateurs ne dédaignaient pas la plaisanterie populaire. Elle s’exprimait volontiers esonnets qui n’évitaient pas toujours la trivialité. Le plus fécond auteude ces poésies joyeuses et sarcastiques fut Dominique di Giovanniconnu sous le nom de Burchiello, barbier dans le quartier de GalimalExilé en 1434, il écrivit contre Cosme et les Médicis quelques pièced’une facture vigoureuse et d’une belle inspiration. À Sienne, où e

1434 on l’emprisonna pour vol, à Rome où il finit par mourir en 1449il ne cessa de tourner en plaisanterie parfois douloureuses les misèred’une existence qui rappelle par quelques côtés celle de Villon. Particulièrement à Florence, des bourgeois, instruits des affaires publiqueet des intérêts privés, commentaient volontiers en chroniqueurs leévénements les plus notables ; mémoires et souvenirs se multipliaient





Une véritable renaissance, qui ne devait rien à l’humanisme, transformait, avec le théâtre sacré, la poésie chevaleresque, en élevait le productions, jusque-là fort médiocres, presque à la dignité d’œuvre

littéraires. La piété franciscaine avait divulgué d’innombrables cantques en langue vulgaire, à la louange de Dieu, du Christ et de la Vierge. Les confréries ne cessaient de répéter, sur des airs parfois profanes, deslaudicomposées par des gens du peuple ou des bourgeois no-tables, des écrivains pieux ou des chanteurs de profession. De cettlyrique était née un art théâtral et religieux, qui d’Ombrie se propage bientôt dans les régions voisines. Depuis le milieu duXIVe siècle, onreprésentait la Passion en deux journées, sous le nom de Dévotion du jeudi et du vendredi saints. Vers la quatrième décade du siècle sui-vant, le drame sacré prend à Rome un caractère cyclique ; la vie duChrist, la Passion, la Résurrection se déroulent sur l’arène du ColiséeAvec moins d’ampleur, de semblables spectacles s’offrent àl’applaudissement des Florentins. On joue devant eux, en 1444 et e1448, la Représentation du jour du Jugement dernier ; en 1449,l’ Abraham et Isaacde Feo Belcari. Tant bien que mal, les auteurs ac-cordent un réalisme comique et satirique avec l’émotion religieuseCependant p534 les cantastorie(chanteurs d’histoires) toscans arran-geaient à leur manière et contaient en octaves faciles la légende dCharlemagne. L’empereur, devenu sous leur plume un souverain dé

bonnaire et mal obéi, perdit sa grandeur épique. Toute la sympathie sdétourna sur Renaud, le baron turbulent, hardi et généreux. Vers la findu XIVe siècle ou le début duXVe, le cycle entier, sous la forme nou-velle qu’il avait prise en Toscane, fournit à André di Jacopo, originaire de Barberino, dans le val d’Elsa, la matière de ces Reali di Francia dont le succès populaire ne s’est jamais démenti. Dans d’autres romans, également en prose, et dont le plus célèbre fut leGuerrin mes-chino, André de Barberino, qui vivait encore en 1431, continua deconter les innombrables épisodes de la légende. La matière de Bretagne, familière, bien avant Dante, aux Florentins, n’était pas négligédes cantastorie. Ils écrivaient en octaves l’histoire de Lancelot ; l’und’eux, à la fin duXIVe siècle, contait La mort et la vengeance de Tris-tan. Mais c’est dans l’Italie du nord, aux cours princières des Gonzague de Mantoue et des Este de Ferrare, que l’on goûtait le plus vivement le cycle de la Table Ronde.





Les savants que Charles V réunissait au Louvre et à l’Hôtel SaintPaul s’étaient efforcés de répandre la connaissance du monde antiquet le goût de la belle latinité. Une école suivit leur exemple. Gontie

Col, secrétaire de Charles VI et du duc de Berry, est déjà un humaniste qui admire en Virgile le maître de toute sagesse. Jean de Montreuison élève, a rencontré à Rome Léonard Bruni, à Florence Nicola Niccoli et Coluccio Salutati, qui reste son correspondant. Il n’écrit encore qu’un latin peu correct et ne connaît les poètes et les philosophede la Grèce que d’après les Romains ; pourtant il aime les lettres classiques avec un enthousiasme profond et sincère, et, comme Pétrarqudemande à Cicéron les règles de bien vivre. Il périt en 1412, lors dl’entrée des Bourguignons à Paris. Déjà Laurent de Premierfait avadonné en 1400, puis en 1409, une version du De casibus virorum il-lustriumde Boccace ; il allait, en 1416, traduire le De amicitiade Ci-céron. Mais cette première et timide renaissance introduisit dans leesprits peu d’idées nouvelles. Pierre d’Ailly, Jean Gerson, Nicolas ddémanges n’ignorèrent ni l’antiquité ni les élégances latines ; ils restèrent pourtant disciples de l’ockhamisme et de la mystique. Les humanistes laïques, d’autre part, n’entendaient pas rompre p535avec le posi-tivisme bourgeois de Jean de Meung. Lorsque, en 1401 et 1402, unvéritable querelle s’engagea sur le Roman de la rose, dont Gerson etles rigoristes condamnaient le matérialisme libertin, Jean de Montreu

les contredit sans hésiter. Laurent de Premierfait élaborait, d’après llatin d’un moine d’Arezzo, la première version française du Décame-ron.

Ainsi la connaissance plus exacte de l’art antique et le contact del’humanisme italien ne suffisent pas encore à fonder un classicismfrançais, Christine de Pisan, fille d’un médecin astrologue de Bolognveuve d’un notaire royal, morte après 1429, n’est pas, malgré sa naissance italienne, une pétrarquiste. Elle se montre également terne, frode et médiocre dans toutes les formes de poésie qu’elle cultiva, reli

gieuse, amoureuse, pastorale ou didactique, sauf lorsque par hasard lui arrive d’exprimer quelque sentiment personnel. Alain Chartier, nvers 1394, sort d’une famille bourgeoise de Bayeux, en faveur à lcour des rois ; son frère est évêque de Paris ; lui-même remplit unmission en Bohême, auprès de Sigismond, en 1423 et 1424 ; il meucinq ans plus tard. Ses vers amoureux ou savants restent froids et sanvie ; du moins ses traités en prose, sonQuadriloge invectif , son livre





de l’ Espérance, malgré la banalité du sujet et le goût qui s’y perpétuede l’abstraction allégorique, témoignent d’une lecture intelligente dCicéron et de Sénèque. Lorsqu’il dit la misère et la grande pitié du

peuple, il écrit des pages déjà vigoureuses et belles, qu’à la fin du siècle un latiniste comme Robert Gaguin ne jugera pas malséant d’imiteCharles d’Orléans, fils de Valentine Visconti, né en 1394, prisonnier Azincourt, ne recouvra la liberté qu’en 1440 et mourut en 1465. Il duà ses origines et à ses lectures italiennes quelque sens de l’art et dustyle ; par là, ses poésies de jeunesse et d’amour, les vers désenchantés de son âge mûr et de sa vieillesse, si vides de toute émotion profonde que les uns et les autres apparaissent, conservent un prix asserare.

Mais les écrivains français, en général, ne cultivent guère nil’antiquité ni l’Italie moderne. Froissart continue de charmer un petnombre d’hommes d’épée et de courtisans. Quand éclate le GranSchisme, il vit, à Valenciennes, de ses bénéfices ecclésiastiques. Cha pelain du comte de Blois, il parcourt avec lui la France, de 1384 1386 ; il passe quelques années à la cour d’Orthez, près de GastonPhœbus, comte de Foix et vicomte de Béarn ; il revoit l’Angleterre e1394-1395, et meurt en 1410. Le second et le troisième livre de seChroniquesfurent écrits entre p536 1387 et 1392 ; le quatrième date desa vieillesse. Malgré son exacte information, il continue de nes’intéresser qu’aux gestes d’une chevalerie frivole et décadente ; serécits pittoresques et dramatiques n’illustrent qu’une puérile conception de l’histoire ; comme ses poésies, le roman deMéliador , com-mencé en 1365, achevé définitivement vers 1380, ne témoigne qud’une recherche à la fois subtile et banale de sentiment etd’expression. Eustache Deschamps, qui meurt, en 1407, bailli de Senlis, écrit pour les bourgeois ; ses vers surabondants et prosaïquen’ajoutent rien aux thèmes réalistes et satiriques transmis par Jean dMeung. Antoine de la Salle, capitaine provençal, qui après avoir cour

les aventures en Italie, entra sur le tard au service du duc de Bourgogne, écrit vers 1440 sesQuinze joyes de mariage; il achèvera en1459, le Petit Jehan de Saintré: il est sans doute le principal rédacteur de Cent nouvelles nouvelles. De même que le Décamerontournait endérision tout ce que le moyen âge avait exalté, Antoine de la Salle bafoue la chevalerie, l’amour courtois et les femmes. Les poètes Guil





laume Coquillart et Henri Baude sont des satiriques réalistes et mordants.

Si l’on n’assiste pas, comme en Italie, à une renaissance du romahéroïque, si les dernières chansons de geste se traînent dans la platitude, le théâtre religieux, singulièrement plus actif qu’au siècle précédent, multiplie les pièces que maintenant on appelle mystères ; laconfrérie de la Passion reçoit, en 1402, le privilège exclusif de jouedans la capitale et la banlieue. Ces artisans et ces bourgeois, acteurdu drame sacré, y introduisent leur goût du réalisme et de la farce alternant avec le tragique. Arnoul Gréban rédige, avant 1452, sa Pas- sion. La matière même du répertoire s’enrichit. Jusqu’à là fin duXIVe siècle, les auteurs ne demandaient leur inspiration qu’aux Évangile

canoniques ou apocryphes, à la Légende dorée. Désormais ils y joi-gnent lesMéditations sur la vie de Jésus-Christ , attribuées à saint Bo-naventure, où la piété franciscaine s’est efforcée d’imaginer, jusqudans le détail le plus familier, l’existence terrestre du Sauveur, et, touchante réplique à ses souffrances, les douleurs de la Vierge. Mais, trodépourvus de talent, ils noient parmi la diffusion et le bavardage quelques trouvailles. Entre leurs mains inexpertes, la légende divine déchoit dans la trivialité.

Un goût très vif des lettres italiennes et de la poésie antique

s’éveille en Espagne. Avant le dernier tiers duXIVe

siècle, les œuvresde Boccace étaient connues, grâce à Lopez de Ayala. p537 Mais cer-tains lisaient Dante et Pétrarque. Le petit-fils d’Henri II, Henri de Villena, après l’échec de hautes ambitions, écrivit un médiocre poème sules travaux d’Hercule ; il achevait, en 1427, de traduire l’ Énéideet la Divine comédie. Il savait, dit-on, le grec et paraît avoir connul’hébreu. François Imperial, fils d’un joaillier génois fixé à Sévillesuit parfois assez littéralement Dante et, dans son Dit des sept vertus ( Dezir a las syete virtudes), évoque le poète en personne. Iñigo Lopezde Mendoza, marquis de Santillana, pour lequel Villena avait écrit seversions, imita, dans l’ Enfer des amoureux( El Enfierno de los enamo-rados), le cinquième chant de l’Enfer ; il avait lu lesTriomphesdePétrarque et leCanzoniere; il introduisit en Espagne le sonnet « à lamode italienne ». Alvaro de Luna, en 1446, prend Boccace pour modèle dans le Livre des femmes célèbres et vertueuses( Libro de las cla-ras e virtuosos mugeres). D’ailleurs il ne sait ni le grec, ni beaucoupde latin ; si Dante et Pétrarque lui sont familiers, il étudie Guillaum





de Lorris et Jean de Meung, Guillaume de Machaut et Alain ChartieAmi de Santillana et poète de cour, Jean de Mena, mort en 1456, traduisit en castillan l’ Iliaded’après le latin. Son Labyrinthe de la fortu-

ne, écrit vers 1444, est l’œuvre lourdement allégorique, d’un érudiqui se souvient de Dante, de Virgile, d’Ovide et de Lucain. AlphonsMartinez de Tolède compose, en 1438, un recueil de satires contre lefemmes, — nommé, du titre clérical de l’auteur, L’archiprêtre de Ta-lavera, ou encore Le Corbacho, — qui rappelle leCorbacciode Boc-cace et l’archiprêtre de Hita. L’influence de l’Italie apparaît, vers1445, dans leCancionerod’Alphonse de Baena, recueil de piècesdues à une soixantaine d’écrivains, dont quelques-uns admirent l poésie toscane. La tradition didactique et morale du moyen âge smaintient dans le Livre des exemples par A, B, C ( Libro de los exem- plos por a, b, c) de Clément Sanchez de Vercial. On continue de rédi-ger chroniques et histoires. Fernand Ruy de Guzman, qui dans saMer des histoires, d’après leMare historiarumdu dominicain Jean Colon-na, conte les légendes d’Alexandre et de Charlemagne, sait aussi résumer, avec une réelle curiosité de peintre et de psychologue, les règnes d’Henri III et de Jean II. Le désir de comprendre le rées’accorde avec le goût de ces récits d’aventures auxquels se plaisende simples conteurs comme Pierre de Corral. Le drame religieuxl’auto sacramental , ne paraît pas obtenir en Espagne autant de succès

que dans les autres pays chrétiens, bien que Gomez Manrique compose, vers 1450, sa Représentation de la p538 nativité de Notre Seigneur .En revanche leromancero, poème à la fois lyrique et narratif, où revi-vent avec leurs prouesses le roi Rodrigue, Bernard del Carpio, le Cidles personnages du cycle carolingien, conserve tout son attrait.

Geoffroy Chaucer a achevé, vers 1390, sesContes de Canterbury,où l’art du conteur, instruit par l’humanisme, sert admirablemenl’observation ironique du réaliste. Mais il meurt en 1400, et ses élèvene connaissent plus les poètes italiens qu’il avait aimés. Thomas Oc

cleve ne sait que suivre Christine Pisan dans la défense du bon renomdes femmes contre Jean de Meung ; c’est d’après Gilles de Rome qu’écrit leGouvernail des princes. Sir Richard Ros, vers 1450, traduit la Belle dame sans mercid’Alain Chartier. Jean Lydgate, le plus intaris-sable poète du moyen âge anglais, traite longuement les histoires dThèbes et de Troie, lorsqu’il n’imite pas Guillaume de DigullevilleLe théâtre religieux obtient le même succès qu’en France et présent





les mêmes caractères ; il emprunte souvent ses pièces au répertoirfrançais.

L’Allemagne ignore tout encore de l’humanisme et des lettres italiennes. La poésie courtoise y a perdu tout prestige ; les bourgeois s plaisent à la poésie sentencieuse ou satirique ; lelied , cher aux arti-sans et aux gens des campagnes, poursuit son triomphe. Il exprime lemisères des populations mal gouvernées, foulées par les grands, rançonnées par les brigands, pillées par les avocats, les légistes usurierles Juifs, et qui ne trouvent auprès des prêtres aucun réconfort. À celieder amers et douloureux se mêlent d’ailleurs les chansons d’amouet les chansons à boire. La vie religieuse, intense dans les confrériesinspire et multiplie les cantiques pieux. Les mystères, comme en tou

pays chrétien, évoquent devant les bourgeois et les artisans l’histoirmerveilleuse de la création, de la chute et de la rédemption.

VIII. — La tradition gothique et latradition classiquedans l’architecture171

L’architecture gothique, auXIVe siècle avait évolué vers une tech-nique de plus en plus abstraite et savante, un peu sèche et p539 froide, brusquement rajeunie par l’apparition, en Angleterre, du style flam boyant. Mais déjà les maîtres italiens étaient conduits, par l’étude deruines romaines, à mépriser l’artifice gothique des arcs-boutants, remettre en honneur les traditions romaines, conservées par Byzancedu plein cintre et de la coupole.

Les formes flamboyantes avaient apparu, entre 1370 et 1375, auxcathédrales de Rouen et d’Amiens. La chapelle de Vincennes, commencée vers 1387, le château de Pierrefonds, commencé en 1390, leaccueillirent. Elles triomphèrent aux cathédrales de Mende et deSaint-Flour ; au transept de la cathédrale du Mans (1403-1424) ; à l

cathédrale de Quimper, dont la nef s’élève de 1424 à 1467 ; à la cathédrale de Nantes, dont Jean Mathelin, depuis 1434, dirige la reconstruction ; à Saint-Nicolas-du-Port près de Nancy, au chœur du MontSaint-Michel, achevé en quatre ans, de 1450 à 1454. Partout, avec unhardiesse quelquefois inouïe, les maîtres d’œuvre visent à la prédom








achevée en 1408 ; au chœur et au transept occidental de Canterburyterminés en 1411.

L’Allemagne, après avoir, auXIIIe et auXIVe siècle, suivi la France,se donne auXVe siècle une architecture qui lui appartient, et dontl’originalité consiste en une exagération de cette maigreur et de cettsécheresse qui déjà caractérisaient l’interprétation nationale des formules gothiques. Certains détails du style perpendiculaire ne sont parejetés ; les formes flamboyantes, introduites probablement pal’intermédiaire de la France, parent, sans l’atténuer, la froideur deéglises allemandes. Les nervures des voûtes se compliquent et dessinent p541 des losanges et des hexaèdres. Le triforium devient rare ; assez fréquemment les trois nefs s’élèvent au même niveau. Quelquefo

les portails, les porches et les pignons contrastent par une décoratiosurchargée avec la sobriété excessive de l’ensemble. Sur ce type, quconvient assez bien aux régions où la brique remplace la pierres’élèvent l’église de Stralsund, la cathédrale de Havelberg, SainteCatherine de Brandebourg, Saint-Jean et Sainte-Élisabeth de BreslauSainte-Marie de Danzig, Saint-Jacques de Rostock. Dans le domaindes Habsbourg, les influences allemandes combattent les traditionfrançaises ; elles s’imposent aux architectes qui achèvent les cathédrales de Vienne et de Prague. Elles s’imposent dans les pays Scandinaves, dans les Cantons suisses où l’on commence en 1421 la grandéglise de Berne, où l’on construit le chœur de Fribourg et le cloître dBâle. Aux Pays-Bas, où la prospérité générale permet d’importanteentreprises, l’architecture religieuse s’inspire de la France et del’Allemagne ; elle conserve le type duXIVe siècle ; les formes flamboyantes ne le modifient pas sensiblement. Alors s’élève, de 1390 1439, Saint-Martin de Courtrai ; à Malines, on poursuit les travaux dSaint-Rombaut et l’on commence Notre-Dame ; on poursuit à Anverla construction de la cathédrale. Dans les provinces du nord, la com binaison de la brique avec la pierre blanche permet la recherch

d’effets pittoresques. On achève, en 1419, la cathédrale de Bois-leDuc ; on commence Saint-Étienne de Nimègue ; on travaille auxgrandes églises de Dordrecht, de Breda, de La Haye, d’Amsterdamd’Alkmaar. Cependant les édifices civils se parent d’une ornementation qui contraste avec les lignes sévères et dépouillées des églisesPierre van Ost élève à Bruges, de 1377 à 1398, l’hôtel de ville, dont ldécoration n’est terminée qu’auXVe siècle. Jacques van Thunen et





Jean de Ruysbroeck élèvent, de 1401 à 1455, l’hôtel de ville deBruxelles.

L’Espagne adopte le style flamboyant, qui apparaît à la cathédralede Burgos, où Jean de Cologne commence, vers 1437, la chapelle dConnétable, achève la façade et la flèche ; la chapelle Saint-Jacques’ajoute, en 1442, à la cathédrale de Tolède. Des maîtres flamandsemblent alors introduire en Castille divers motifs ornementaux. Otermine en 1442 la cathédrale de Valence, en 1448, la collégiale deBarcelone et bientôt les cathédrales de Gérone et de Pampelune. Lfantaisie des architectes décore de quelques détails empruntés auArabes la façade des monuments civils. p542

Ils ne peuvent en effet ignorer qu’à Grenade les travaux del’Alhambra, inaugurés peu après 1232 par les souverains naçridestouchent à leur fin. Aucun plan d’ensemble n’y apparaît : Yousouf Ier (1333-1353) a construit la cour de l’Alberca ; Mohammed V (13531391) l’a remaniée, comme il a remanié l’oratoirei et les bans de so père ; et c’est à lui que l’on doit la cour des Lions et la salle des Deusœurs. Mais, avec ses patios et leurs fontaines, les sveltes colonnes eles arcs légers de ses galeries, ses appartements couverts de voûtes e bois sculpté d’où pendent des stalactites, ses murs épais où s’ouvre l baie profonde des fenêtres, le palais merveilleux manifeste, en Anda

lousie, le triomphe de l’art musulman, qui, à la même époque, vient d produire à Fez, sous les sultans mérinides, tant d’œuvres somptueuseet délicates.

Le style gothique subsiste dans les régions septentrionales del’Italie, grâce au concours d’artistes étrangers. On poursuit lentemenà Bologne les travaux de San Petronio. C’est en 1387 que Simon Orsenigo jette à Milan les fondations de la cathédrale. Deux ans plutard, on appelle un Français, Nicolas Bonaventure, remplacé au boude treize mois par l’Allemand Jean de Fribourg, qui s’éloigne en

1391. Henri de Gmünd, l’année suivante donna le premier pland’ensemble ; médiocrement encouragé il se retirait aussitôt. Le Parisien Pierre Mignot continua l’œuvre déjà compromise par le mauvaiétablissement de l’appareil ; il dut à son tour, en 1402, quitter la villeLes travaux continuèrent lentement ; les maîtres lombards connaissaient mal la théorie et la technique de l’art français ; l’entreprise étadiscréditée auprès des étrangers. À Venise, où l’on termine, en 1410





San Giovanni e Paolo, où l’on reconstruit aux Frari une partie de lvoûte, où l’on élève la Madonna dell’Orto en 1399, Santa Fosca en1410, les architectes continuent d’utiliser la brique ; l’absence de

arcs-boutants, mal compensée par un renforcement des murs extérieurs, oblige à contenir la poussée des voûtes avec des tirants encharpentes, qui donnent l’impression d’un édifice inachevé. Du moinl’architecture civile crée un style qui emprunte peu d’éléments au gothique flamboyant et procède des traditions locales, élaborées en partie sous l’influence de l’Orient. Il développe son élégance aux façadedes palais, sur les places ou le Grand Canal. Fréquemment un portiqus’ouvre au rez-de-chaussée ; les étages supérieurs présentent de vastesurfaces planes, qu’interrompent des baies, souvent en forme p543 d’accolade, quelquefois encadrées dans un panneau rectangulaire ; utrèfle s’inscrit dans leur tympan. Fréquemment une loggia élève entrde sveltes colonnes ses arcades étroites. Alors les Contarini font bâtientre 1422 et 1435, la Cà d’Oro ; alors s’achèvent le palais Pesaro, l palais Bragadin, le palais Danieli, le palais Correr. On poursuit ltransformation du palais ducal ; on ajoute à la façade, en 1404, lGrande Loggia. Zuan Bon et son fils Bartolommeo terminent en 144la Porta della Carta ; par sa composition générale, avec les niches quencadrent et dominent de leurs clochetons le fenêtrage dont elle essurmontée, avec les feuillages accompagnant l’accolade à ressaut o

s’inscrit dans une rosace l’image du Christ, et qui supporte la statue dla Justice, elle reste une œuvre gothique, somptueuse et lourde.

Mais déjà l’Italie se libérait de la tradition étrangère. L’achèvemendu dôme de Florence démontra la possibilité de créer, en revenant au principes romains, une architecture aussi hardie que la française, ausémouvante et plus solidement équilibrée. La fantaisie d’André de Florence, évoquant à la chapelle des Espagnols, vers 1355, la silhouettde la future cathédrale, couronnait le transept d’une coupole. Lacommission de quatre architectes et de quatre peintres, choisie e

1366, avait accepté cette idée, qui venait de Rome par le chemin dByzance. En 1378, la nef centrale était achevée ; de 1380 à 1421s’élevèrent le chœur, le transept et le tambour octogonal. Mais le pro blème d’asseoir sur la croisée de deux vaisseaux gothiques la massromaine du Panthéon, de la porter aussi haut que les flèches des cathédrales et d’ouvrir, au-dessus de l’autel, par delà les voûtes les pluaudacieuses d’Amiens ou de Beauvais, comme une perspective san





limites, fut résolu par Philippe Brunelleschi. Fils d’un notaire florentin, il avait appris l’orfèvrerie et la sculpture, et, âgé de vingt-et-uans, concouru, en 1401, pour la décoration de la seconde porte du

Baptistère. À Rome, pendant de longs mois, il put étudier et dessineles ruines ; il ne connut jamais l’architecture grecque. De retour dansa ville natale, il ne pensa plus qu’à la construction de la coupole. Présenté au concours du 19 août 1418, son projet rencontra de vives résistances et ne triompha qu’en 1420. La section encore gothique de lcoupole et le plan octogonal du tambour lui permirent de réaliser unœuvre que seul Michel-Ange surpassa. Elle était debout dès 1434 ; la mort du maître, en 1446, on commençait la construction de la lanterne. Cependant, p544 à San Lorenzo et à Santo Spirito, il avait conçu,d’après les basiliques des premiers siècles chrétiens, un type nouvead’église. Au robuste faisceau de colonnes, qui, dans la technique française, supportait le jeu et la poussée des voûtes, il substitua des colonnes classiques, rehaussées d’un entablement, d’où s’élancèrend’élégantes arcades en plein cintre ; il se trouvait par là contraint n’adopter la voûte que pour les collatéraux, à couvrir la grande ned’un plafond. Mais San Lorenzo, dont il entreprit les travaux en 1425laisse, grâce à l’exquise mesure de l’ensemble et du détail, une im pression de sérénité harmonieuse ; l’ampleur plus libre du plan, le large et profond développement des chapelles qui encadrent le transept e

le chœur, font de Santo Spirito, commencé vers 1432, un sanctuairémouvant et grave. La « vieille sacristie » de San Lorenzo, la chapelldes Pazzi dans le premier cloître de Santa Croce montrèrent toutl’élégance vigoureuse et sobre d’un style à la fois antique et moderneAu palais Pitti, dont Brunelleschi posait, en 1440, la première pierreun soubassement cyclopéen maintient les traditions de la forteressmassive, inhospitalière et close ; mais la haute façade, que domine eennoblit une corniche classique, manifeste une recherche encore inconnue d’élégance dans la majesté ; elle s’éclaire de vastes fenêtres frontons ; une porte en plein cintre ouvre largement l’accès de la couintérieure.

Léon-Baptiste Alberti subit, plus encore que Brunelleschi,l’influence des modèles antiques ; attaché depuis 1432 au service dSaint-Siège, il put longuement les étudier sur place. Théoricien dl’art, il avait écrit de bonne heure un traité de sculpture ( De statua) ; iloffrait à Brunelleschi, en 1435, unTraité de la peinture; en 1452, son







IX. — Traditions gothiqueset antiquesdans la sculpture172

La sculpture en France s’était peu à peu orientée vers une représentation exacte et réaliste des individus. Cette manière se conserva danles ateliers au service du roi ou des princes du sang. Ainsi furent exécutées à Saint-Denis, après 1389, l’effigie de Bertrand du Guesclincelle du connétable Louis de Sancerre ; la p546statue couchée de Mariede Bourbon chez les dominicaines de Poissy, les statues couchées dLouis de Bourbon et d’Anne d’Auvergne à la chapelle Vieille de Souvigny. Dans l’atelier royal du Louvre se sont instruits les artistes qutravaillèrent pour les frères de Charles VI. Jean de Berry appelle Bourges André Beauneveu ; Louis d’Orléans confie aux maîtres parsiens la décoration de Pierrefonds et de la Ferté-Milon. À Paris sformèrent également Drouet de Dammartin et Jean de Marville, quPhilippe le Hardi fit venir en Bourgogne. Jean de Roupy, à la SainteChapelle de Bourges, termine, selon les formules de Saint-Denis, ledeux statues agenouillées de Jean de Berry et de la duchesse Jeanne dBoulogne ; plus tard, entre 1422 et 1436, la statue gisante du princeLe réalisme des tailleurs de pierre assez souvent recherche la rudessedans l’église Saint-Martial d’Avignon, le tombeau du cardinal Jean d

la Grange offre comme réplique à l’image couchée du défunt, en costume d’apparat, un cadavre demi-nu, dont les os et les tendons saillensous la peau desséchée. Mais de l’école parisienne sortit égalemenl’inconnu qui, au château de la Ferté-Milon, vers le début du sièclesculpta une œuvre sereine et forte, leCouronnement de la Vierge.

Philippe le Hardi avait fondé, le 15 mars 1385, près de Dijon, pouabriter les tombes ducales, la Chartreuse de Champmol. La sculpturgothique duXIVe siècle devait y trouver sa plus géniale expression.Jean de Marville mort en 1389, Claus Sluter dirigea les travaux. Hollandais, il avait appris son art en France ou en Allemagne. Au trumeadu portail, seul reste de l’abbaye, la Mère porte l’Enfant. Le duc Philippe et la duchesse, présentés par saint Jean-Baptiste et sainte Catherine, sont en prière. Marville ou un élève ont pu sculpter la statue de lVierge. L’image exacte et grave de Philippe agenouillé, dans son long






manteau à collet d’hermine, contraste avec celle du Précurseur, qudrapé d’étoffes aux plis tumultueux, semble s’incliner p547 vers lui.Même contraste entre l’effigie immobile et dure de la duchesse e

l’affectueux élan de sainte Catherine qui, les yeux sur la Vierge, s penche vers sa protégée. En 1395, Claus Sluter posait les fondationd’un calvaire, qui, dressé au centre d’un étroit bassin, fut célèbre dèl’origine sous le nom de Puits des Prophètesou deMoïse. Il n’en sub-siste que la tête du Christ et le soubassement. L’artiste n’a pas voulumontrer, comme les maîtres duXIIIe siècle, le roi de majesté, mais unmourant, dont le visage, sous de longs cheveux collés par la sueur dl’agonie, exprime plutôt que la souffrance une mélancolique résignation. Adossés à la base du calvaire, Moïse, David, Isaïe, Zachariénoncent l’un après l’autre, comme dans ce Jugement du Christ qui parfois servait de prologue aux mystères, la loi qui exige le sacrificdu juste et la montrent inscrite aux feuillets qu’ils déroulent. Debousur de sveltes colonnettes qu’ils ombragent de leurs ailes, les ange pleurent la mort d’un Dieu. Les voyants d’Israël prophétisent avec unsi âpre éloquence que seul Michel-Ange, plus d’un siècle après, trouvera de pareils accents. Une certitude passionnée transfigure ces rudevisages. Le costume, à la fois théâtral et véridique, se modifie pouMoïse selon les règles d’un style plus recherché ; les plis de sa robsemblent imiter la toge romaine.

Claus Sluter mort en 1404, son neveu Claus de Werve, qui, au Puits des Prophètes, avait sur ses dessins achevé de sculpter les anges,exécuta pour l’église de Champmol et termina en 1411 le tombeau dPhilippe le Hardi. Sur la dalle de marbre noir il coucha la statue dmarbre blanc et, dans les arcades ogivales qui supportent la table funéraire, logea des pleurants qui se lamentent avec un accent tantôt tragque et tantôt familier. Jean Sans-Peur venait de commander pour luimême un pareil monument lorsqu’il fut assassiné au pont de Montereau. Le sculpteur attendit en vain les ordres de Philippe le Bon ; i

mourut en 1439 sans avoir commencé le tombeau, qu’un maître aragonais, Jean de la Huerta, finit par élever, de 1443 à 1462, dansl’esprit de Claus de Werve.

Les formules bourguignonnes se répandirent bientôt en FranceFils et petit-fils de sculpteurs lyonnais, maître d’œuvre à la cathédralde Lyon en 1418, Jacques Morel commençait, en 1420, le tombeaudétruit du cardinal de Saluces, probablement conçu d’après un modèl





italien. On l’appela bientôt à Avignon, à Montpellier ; à la cathédralde Rodez, il dirigea les travaux du portail méridional. En 1453, iachevait, dans p548 la chapelle neuve de Souvigny, le tombeau de

Charles de Bourbon et d’Agnès de Bourgogne. Le contrat l’obligeait prendre pour modèle les sépultures de Dijon. Son œuvre, cruellemenmutilée, montre pourtant l’originalité d’un grand artiste.

L’école pisane avait accordé, avec le réalisme des écoles septentrionales, les souvenirs de l’art romain et créé une tradition qui seconservait aux chantiers de Santa Maria del Fiore. Le concours ouveen 1401 pour la seconde porte du Baptistère florentin révéla les nomde trois artistes de génie : Philippe Brunelleschi, alors hésitant entre lsculpture et l’architecture, le Siennois Jacques della Quercia et Laurent Ghiberti.

Malgré le talent dramatique avec lequel Brunelleschi avait traité lsacrifice d’Abraham, les juges attribuèrent le prix à Ghiberti, poul’élégance de son bas-relief et la qualité de sa fonte. Né en 1378, iavait appris de son beau-père, Bartolo di Michele, le métier d’orfèvrevers le début du siècle, il étudiait à Rimini la peinture chez un maîtrfresquiste appelé par Sigismond-Pandolfe. De novembre 1403 au mod’avril 1424, il exécuta les vingt-huit bas-reliefs qui, à la porte septentrionale de San Giovanni, résument l’histoire du Nouveau TestamentLa science antique et réaliste de Nicolas Pisano, la sobriété inépuisa ble de Giotto, un don naturel de mesure et d’élégance, une émotiocontenue, le sens parfait de la composition, le goût de l’anecdote pittoresque, s’y équilibrèrent en une précieuse harmonie. Cependant coulait en bronze le saint Jean-Baptiste, le saint Mathieu, le sainÉtienne d’Or San Michele. En janvier 1425, la Seigneurie lui confial’exécution de la troisième porte, réservée à l’Ancien Testament. Léonard Bruni avait choisi les scènes les plus riches de symboles ; mai

Ghiberti modifia librement les thèmes suggérés par l’humaniste. Le petits cadres de vitrail au champ desquels jusque-là, comme André dFlorence, il avait logé ses figures, lui semblaient maintenant tropétroits. Dix larges compositions s’inscrivirent exactement dans ledeux vantaux de la porte. De nombreux personnages les animèrend’une vie multiple et ordonnée : de nobles architectures s’y déployèrent, des paysages en prolongèrent la perspective. Une frise délicate e





somptueuse de feuillages, d’oiseaux, d’animaux champêtres ou sauvages, montra que l’artiste, fervent admirateur des moindres vestigede l’antiquité, connaissait à fond la tradition gothique, et mieux encor

p549 savait observer le réel. Il achevait son œuvre en 1452 ; il avait ce pendant, avec la même richesse d’imagination et le même charme dstyle, fondu en 1439-1440, pour la fabrique de la cathédrale, la chassde San Zanobi ; il collaborait à la construction de la coupole ; il écrivait sesCommentaires, qui révèlent un esprit curieux de toutes lesmanifestations de l’art et de la pensée.

Jacques della Quercia dut s’instruire à Sienne avant de prendre parau concours de Florence. Il était illustre déjà, quand, en 1405 ou 1406Paul Guinigi, tyran de Lucques, lui commanda pour l’église de Sa

Martino, le tombeau de sa femme Ilaria del Carretto. Sur un sarcophage dont une ronde de jeunes anges, semblables à de petits dieux antiques, orne les flancs, il sculpta la statue de la gisante, qui, sévèremendrapée dans les plis de sa robe, les mains croisées sur la poitrine, leyeux clos, rappelle les plus nobles créations de l’art gothique. De1409 à 1419, il dirigeait à Sienne les travaux de la fontaine GaiaAvant 1422, à San Frediano de Lucques, il élevait un autel orné defigures de la Vierge et des saints. On ne saurait dire s’il subitl’influence de quelque maître venu de Flandre ou de France. En 1425il n’avait pas achevé pour le Baptistère de Sienne, un bas-relief d bronze où il représentait Zacharie chassé du temple, quand Martin Vle chargea de décorer à Bologne la nef centrale de San Petronio. Il travailla jusqu’à sa mort (20 octobre 1438). Rien ne diffère des portede San Giovanni plus que les dix bas-reliefs de San Petronio. On yretrouve le même sentiment de la plastique expressive que chez Nicolas Pisano, et déjà quelque chose de la grandeur de Michel-Ange, quun siècle plus tard fut le véritable et unique disciple de Jacques dellQuercia.

Mais l’œuvre du grand Siennois était alors éclipsée par celle deDonatello. Fils d’un cardeur de laine ardemment mêlé aux luttes poltiques, Donato di Niccolò Bardi était né à Florence en 1386. Il appricomme Brunelleschi, le métier d’orfèvre ; il l’accompagna peut-être Rome en 1402 ; mais il apprit la sculpture aux chantiers du dôme. E1408, il avait terminé deux statues de prophète, dont l’une, campée sula hanche, fait déjà pressentir le David du Bargello. Il travaillait à ldécoration d’Or San Michèle. Le saint Pierre de bronze qu’on lui at





tribue y témoigne encore de quelque maladresse à traiter le costumantique. Mais le saint Marc, dont Michel-Ange admira la ferme franchise, était coulé dès 1412 ; quatre ans plus tard, Donatello mettait e

place le saint Georges de marbre, qui semblait exprimer son p550 idéalde beauté virile. Pour le bas-côté gauche du dôme, il tailla l’image dsaint Jean, assis comme le Moïse de Michel-Ange, et qu’une stupeusacrée frappe devant ses propres visions. La même année, il fondait uélégant David de bronzé. La fabrique du dôme le chargeait alors dsculpter, à la face occidentale du campanile, quelques statues, donl’exécution lui imposa, de 1416 à 1425, un effort nouveau de penséet de technique. Le Jean-Baptiste jeune fut traité dans le style du sainGeorges ; mais les figures de Jérémie et d’Ézéchiel, la figure chauvd’Habacuc, bientôt dénommé par les Florentins « le Zuccone »s’inspirèrent d’un réalisme audacieux, dont l’adoption semble marquer une si complète rupture avec la tradition locale, qu’on a pu, sur lfoi d’un texte obscur de Ghiberti, se demander si Donatello n’avai pas, comme Jacques della Quercia vers la même date, connu l’œuvrde Claus Sluter. Le Crucifix de bois conservé à Santa Croce, dont lvérité brutale déplut à Brunelleschi, procède de la même inspirationCependant, architecte en même temps que sculpteur, il avait en 141 présenté un modèle pour la coupole ; il travaillait avec Ghiberti à dvers cartons pour les vitraux du dôme. Il achevait en 1425 pour le

fonts baptismaux de Sienne, avec une science consommée de la pers pective, le bas-relief tragique et violent du Festin d’Hérode. Avel’aide de Michelozzo, il élevait au Baptistère, en 1427, le monumende Jean XXIII ; au tombeau du cardinal Brancacci, pour une église d Naples, il évoquait la Mère de douleur.

Il vint à Rome en 1432 ; il admira les ruines et les marbres ; il ysculpta un tabernacle de dessin classique, mais où son style personnes’accuse dans le groupe d’anges qui, tremblant d’émotion, veillent dchaque côté de la porte, et dans le bas-relief où revit le drame de l

Mise au tombeau. C’est au retour de Rome qu’il acheva pour SantCroce son Annonciation, le plus harmonieux et le plus apaisé de seouvrages. Chargé par Cosme de conserver et restaurer ses antiques, leur dut peut-être l’inspiration païenne du David de bronze, nu et casqué, du Cupidon à demi-nu. Il se plaisait alors à créer des figured’enfants rieurs et joyeux de vivre ; il terminait, en 1434, à Prato, avel’aide de Michelozzo et quelques élèves, la chaire extérieure du dô





me ; en 1440, lacantoria de Santa Maria del Fiore. Mais, depuis1435, il travaillait à la sacristie de San Lorenzo ; une vie intense anima les médaillons de la voûte ; aux bas-reliefs des portes de bronze

les Pères de l’Église, apôtres, docteurs lisent, écrivent, p551méditent oudisputent. Entre 1440 et 1443, il fondait peut-être sa Judith, d’un crueréalisme. Il allait maintenant décorer à Padoue la basilique de SaintAntoine. De 1443 à 1450 il en éleva le maître autel. Quatre bas-reliefde bronze contèrent les miracles du prédicateur franciscain, avec umélange étonnant de science et de naturel, d’émotion et de virtuositéUn crucifix, aussi humain et douloureux que celui de Santa Crocedate de 1444. Devant l’église une statue équestre, en 1451, éternisa lmémoire du condottiere Érasme de Narni, surnommé Gattamelata l’artiste, dans son effort pour atteindre au style héroïque, modela lcheval d’après le Quadrige de Saint-Marc et voulut costumer le cavalier en général romain ; peu de portraits pourtant égalent en vérité cete tête au front dégarni, au regard circonspect, aux lèvres serrées eréticentes.

Plus jeune de quelques années que Donatello et Ghiberti, Luca della Robbia comptait déjà comme orfèvre et comme sculpteur, lorsqueen 1431, la fabrique de Santa Maria del Fiore le chargea d’élever, eface de la tribune aux chanteurs, une autrecantoria, qu’il acheva qua-tre ans plus tard. Les souvenirs de l’école pisane, ceux de la sculpturromaine, et sans doute quelques leçons de Donatello, mais surtoul’émotion de l’artiste et un sens délicat de la grâce harmonieuses’unirent dans cette œuvre pour en faire le charme et la poésie. Dè1437, il sculptait, afin de clore la série des bas-reliefs du campanilequelques vivantes figures qui évoquent, avec une fantaisie où se renouvelle la tradition gothique, les arts libéraux. Il fondait, entre 144et 1450, les portes de la sacristie du dôme. Il demandait à l’emploi deterres cuites émaillées des effets de polychromie ; il l’essayait, en1441, au tabernacle de Peretola près de Florence ; en 1449, au porta

des dominicains d’Urbino, dans un groupe de la Vierge entourée desaints de l’Ordre ; et le succès de cette nouveauté allait le détourne presque complètement de tailler le marbre. Cependant Bernard Gam berelli, surnommé Rossellino, qui fut avant tout un architecte el’élève de Léon-Baptiste Alberti, avait en 1444, à Santa Croce, exécuté le monument funèbre où Léonard Bruni repose sur un lit de paradque veillent deux génies enfantins.





La sculpture, à Rome, où Eugène IV avait appelé Donatello, suivait les enseignements de Florence. Venise attirait les maîtres florentins. Dès le premier tiers duXVe siècle, deux d’entre eux, Pierre di

Niccolò et Jean di Martino sculptent, à l’angle du palais ducal, près dla basilique, divers exemples de bon p552gouvernement et la Justice deTrajan, célébrée par Dante. D’autres besognent à San Giovanni e Paolo, à Saint-Marc. Ce sont deux Florentins qui, à Ferrare, après unconcours présidé par Léon-Baptiste Alberti, fondent, en 1451, deuans avant le Gattamelata de Donatello, la statue équestre, malheureusement détruite, de Nicolas III. Lorsque les Strozzi exilés vont se fixeà Venise, de nombreux artistes les suivent. Seuls les Lombards résistent à l’influence toscane. Le chantier milanais de la cathédrale rassemble les imagiers venus de l’Italie du nord ou d’Allemagne. Leinfluences septentrionales dominent encore dans l’œuvre du sculpteuqui, dans le premier tiers duXVe siècle, joua le rôle d’un chef d’école,Jacopino de Tradate.

X. — La peinture nouvelle en Flandre et en Italie173 La révolution que les frères Van Eyck ont accomplie dans la pein

ture aux pays du nord fut préparée par un lent travail qui depuis prèd’un siècle se poursuivait en France. Paris demeurait la capitale d’un

école dont l’esprit rayonnait jusqu’en Hainaut, en Flandre, en Hollande et dans le pays de Cologne. Si la plupart des maîtres établis enFrance sont alors venus du nord, comme André Beauneveu, MelchioBroederlam, Jean de Beaumetz, Jean Malouel, Jacques Coene de Bruges, Pol de Limbourg, p553 ils connaissent l’Italie ; Sienne plus queFlorence les attire. C’est probablement à Sienne qu’ils prennent lgoût d’introduire dans leurs compositions les types et les costumes dl’Orient. Jean d’Orléans vit jusqu’en 1418 ; François d’Orléans, sofils, Colard de Laon travaillent à Paris. Le duc de Berry appelle Bourges, à Mehun-sur-Yèvre, André Beauneveu, Jacquemart de Hainaut, Pol de Limbourg. À Dijon, les ducs de Bourgogne appellent Jeade Beaumetz, Melchior Broederlam, Jean Malouel, Henri BellechoseMais de leurs œuvres il ne reste que des épaves, comme lesScènes dela vie de saint Denis, attribuées à Malouel ou à Jean de Beaumetz.






L’école garda sa tendance à concilier un réalisme parfois violent avecertaines conventions siennoises.

La miniature se transformait. Dès la seconde décade duXVe siècle,les artistes se libèrent brusquement de la tradition médiévale. Jacquemart de Hesdin, qui achève, en 1409 lesGrandes Heuresdu duc deBerry, tient encore au passé, mais donne aux figures un caractère profondément individuel et se montre attentif aux aspects de la natureParticulièrement touché par les influences siennoises, le « maître deHeures du maréchal Boucicaut » sait construire des tableauxqu’animent de nombreux personnages, évoque selon une exacte pers pective des paysages réels. Mais ces artistes encore hésitants allaiens’effacer devant Paul de Limbourg et ses deux frères. Neveux peut

être de Jean Malouel, ils étaient dès 1411 au service de Jean SansPeur. LesTrès riches Heuresdu duc de Berry, antérieures à 1416, leur appartiennent. L’art religieux a rarement dépassé leur chute des angerebelles ou leur couronnement de la Vierge ; en même temps ils ont srenouveler, avec la fantaisie la plus originale, les sujets empruntés a Nouveau Testament. Du même atelier sortirent pour Guillaume Vcomte de Hollande, p554 les Heures de Turin, où s’affirmait un sensaussi exact et profond du paysage et de la lumière que du portrait et dcostume, et qui malheureusement ont péri.

Ce qu’il y a de neuf et de génial dans la conception desTrès riches Heuresdu duc de Berry aide à comprendre l’apparition de l’art desVan Eyck. Rien pourtant ne laissait prévoir la perfection et la puissance à laquelle ils allaient atteindre du premier coup.

Hubert et Jean Van Eyck étaient originaires, d’après la tradition, dMaaseyck dans le Limbourg. On ignore la date exacte de leur naissance et le lieu de leur apprentissage. Hubert, en 1424, habitait Gand, oil mourut le 18 septembre 1426. Son frère en 1420 habitait Anvers ; travaillait, en 1422, à Cambrai ; il vit à Lisbonne, en 1428, le mariage

du duc de Bourgogne avec l’infante Isabelle, dont il exécuta le portrait ; il se fixa probablement à Bruges, où il mourut en juillet 1441Hubert et Jean semblent avoir travaillé en 1416-1417 aux Heures deTurin. Le premier, probablement pour Guillaume de Hollande, conçule polyptyque terminé par son frère en 1432, qui, à Saint-Bavon dGand, célèbre d’après l’ Apocalypsel’adoration de l’Agneau. Dans unevaste prairie qu’entoure, dominé par les flèches des églises chrétien







dont, peintre attitré des échevins, il embellit l’hôtel de ville de Bruxeles. Dans ses dépositions de Croix, à Saint-Pierre de Louvain, aux Offices, l’émotion dramatique s’allie à l’exactitude précise du paysag

ou des portraits. Il sait à fond le dessin, aime la splendeur contenudes couleurs graves ; plus gothique à certains égards que les VanEyck, il conserve pour les formes allongées, un peu raides et anguleuses, une prédilection qui, après son séjour en Italie, semble s’atténueÀ l’hospice de Beaune, son polyptyque du Jugement dernier , terminévers 1452, est l’œuvre d’un poète visionnaire, et, après l’ Adoration del’Agneau, la plus forte page qu’ait écrite la vieille école des Pays-BasAu musée d’Anvers le triptyque desSept sacrements, achevé après levoyage d’Italie, mêle, selon l’usage d’outre-monts qui ne s’est pas encore acclimaté dans le nord, les anecdotes de la vie réelle aux scènede la tragédie religieuse. Cependant Petrus Christus, établi à Brugeen 1444, se montrait imitateur éclectique de Jean Van Eyck, dont iavait pu recevoir les leçons, de Roger de la Pasture et du maître dFlémalle.

En Allemagne, avant l’apparition de l’école des Flandres, Colognoffrait un séjour propice aux artistes. Le mystique Tauler aimait leimages religieuses et les voulait belles. Maître p556Guillaume de Herlefut réputé peintre excellent et mourut en 1377 ; ses élèves se plurencomme lui à conter selon des formules traditionnelles les histoires desaints et de la Vierge. Peu à peu le réalisme pénétra dans l’école ; unSouabe du pays de Constance, Étienne Lochner, qui peut-être connules sculpteurs bourguignons, s’établit, en 1430, à Cologne. Il adoptsans peine la sérénité douce et grave qu’on y aimait. Pourtant le Dom-bild , peint en 1440, dont le panneau central évoque l’adoration desMages, est d’un vigoureux coloriste ; mais inférieur aux peintres deFlandres, il distribuait gauchement ses figures, mal drapées et peu ex pressives. Après sa mort (1452), l’esthétique des Pays-Bas allas’imposer aux artistes allemands. L’école franconienne, à Bamberg e

à Nuremberg, cherchait sa voie, hésitait entre le réalisme et la convention de Cologne.

La peinture française subit une éclipse pendant les dernières annéedu règne de Charles VI et les premières du règne suivant. C’est pourtant de 1424 et de l’occupation anglaise que datent, au cloître des Innocents, les fresques tragiques et populacières de la danse macabreMais les miniaturistes, encouragés par Isabeau de Bavière, exécutaien





des œuvres brillantes et soignées, comme le psautier du roi Henri Vvers 1426 le livre d’Heures du duc de Bedford, terminé en 1430, eson bréviaire, dit de Salisbury. Le maintien d’une école active

d’enlumineurs allait faciliter la renaissance de la peinture.Elle se manifeste d’abord chez le roi René, qui, duc d’Anjou en

1434, ne cessa jusqu’à sa mort, en 1460, de protéger les artistes, e pratiquait lui-même la technique des Flamands. Pourtant, bien qu’à lcour d’Angers, il appelât des peintres aujourd’hui oubliés, c’est danses domaines de Provence qu’apparurent des maîtres vraiment orignaux. Avignon était restée, même après le départ des papes, une villd’art où se rencontraient les maîtres venus de France, des Pays-Basdes régions rhénanes. Le Laonnais Enguerrand Quarton y peignit e

1452, avec le Limousin Pierre Villatte, laVierge de miséricorde;l’année suivante il acheva pour l’hospice de Villeneuve sonTriomphede la Vierge, où les réminiscences flamandes s’accordent avec la tra-dition de la miniature française. Mais en Touraine le renouveau de l peinture fut plus éclatant. Né à Tours, Jean Foucquet y fixa son atelier. Miniaturiste, il continua, dans les Antiquités judaïquesde Josè- phe, illustrées pour Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, dans livre d’Heures d’Étienne Chevalier, trésorier de France, dans le Boc-cace du p557 financier Laurent Girard, dans lesGrandes chroniquesdela Bibliothèque nationale, la manière des maîtres qui avaient travaill pour le duc de Berry ; peintre et portraitiste, c’est à l’art des Van Eycqu’il semble directement se rattacher ; pourtant il visita de 1443 à1447 l’Italie ; il y prit le goût des nobles architectures, des scènes biecomposées, et peut-être dut quelques inspirations à Fra Angelico. D1445 environ, date son Charles VII, si tristement révélateur ; de 1450sa Vierge Mère, en qui l’on a voulu reconnaître Agnès Sorel ; de lamême année le beau portrait, à la fois italien et flamand, d’ÉtiennChevalier, présenté par saint Étienne.

La peinture, dans la seconde moitié duXIVe siècle, semblait, à Flo-rence, suivre assez paresseusement les leçons de Giotto ; à Sienneelle s’attardait en une recherche compliquée d’expression et de décoBrusquement elle allait reprendre un irrésistible élan.





Le 26 juillet 1422, Felix Brancacci avait, par son testament, ordonné de construire, dans l’église florentine du Carmine, une chapelldont l’année suivante on commença la décoration. Thomas di Cristo

fano, né en 1483 à Panicale, dans le Val d’Elsa — Masolino de Panicale — venait de Rome ; il avait, à San Clemente, peint les Évangélistes et les Pères, conté la légende de sainte Catherine d’Alexandrieavec une élégance simple et naturelle qui n’excluait pas l’émotion religieuse. En 1424-1425, à la chapelle Brancacci, il retraça la tentatiod’Adam et d’Ève. Alors que les frères Van Eyck, sur les volets du retable, gravaient de si âpres et véridiques images, le maître toscansemblé avoir emprunté aux orfèvres du Ponte Vecchio la sveltesse u peu factice de ses figures. Mais, s’il évoquait, selon des formules encore giottesques, le paralytique guéri par saint Pierre ou Tabithe ressuscitée, il donnait pour décor à ces miracles les hautes maisons et lesombres palais crénelés d’une place florentine, pour témoins quelquecitadins oisifs et distraits. Il interrompit bientôt son travail pour srendre en Hongrie, où le service de Sigismond ne le retint guère. Dè1428, à Castiglione Olona, près de Varese, il peignait les légendes dsaint Étienne, de saint Laurent, de saint Jean-Baptiste. Sans jamaioublier Giotto, l’artiste se montre sensible à la vérité du paysage et dcostume, aux jeux de l’ombre et de la lumière ; quelques personnagesd’un relief vigoureux, paraissent étudiés d’après le modèle vivant. So

émotion reste contenue, même dans les p558 scènes tragiques. Sescompositions, par leur charme délicat et doux, font parfois pressentil’œuvre de Fra Angelico.

Un autre peintre, de génie plus impérieux, continua les travaux dla chapelle. Thomas Guidi, ou, du nom d’atelier qu’il illustra, Masaccio, né en 1401 à San Giovanni Val d’Arno, fut l’élève de Masolinoet plus encore de Giotto, dont il comprit la grandeur et la dépassa. Iavait déjà peint sa Madone assise aux pieds de sainte Anne, et, à SantMaria Novella, sa noble fresque de la Trinité, lorsqu’il vint au Carmi

ne collaborer avec son maître, et, Masolino parti pour la Hongrie poursuivit la décoration entreprise. C’était lui sans doute qui avaconçu l’image douloureuse et vraie du paralytique. En face de la tentation il peignit Adam et Ève fuyant, nus et tragiques, sous la malédiction divine et la menace de l’ange. Aux murs de la chapelle, sainPierre, escorté de saint Jean, distribue l’aumône et guérit les maladeau contact de son ombre ; son geste presque brutal ressuscite un en





fant ; plus loin, assis sur un trône qu’entourent des moines en prières pâle et déjà plongé dans l’essence divine, il prie, mains jointes et leyeux au ciel. Devant la porte d’une ville, Jésus, au milieu des apôtre

montre du doigt la rivière voisine ; à gauche, Pierre tire de l’eau l poisson miraculeux dont la bouche recèle la pièce d’argent exigée pale publicain ; à droite, il paie le tribut. Depuis les fresques de l’Arenala légende chrétienne n’avait jamais trouvé une interprétation aussgrave et aussi religieuse ; mais, en même temps, Masaccio savait donner aux figures leur personnalité, les assembler en groupes vivantsharmoniser avec elles l’aspect des rues étroites et sombres de Florence, ou d’un paysage d’hiver âpre et simplifié. Il ne termina jamail’histoire de saint Pierre. Parti en 1428 pour Rome, il y mourut pauvre, endetté, à vingt-sept ans. Mais c’est à la chapelle Brancacci que pendant un siècle et davantage, les plus grands devaient humblemenapprendre l’alphabet de leur métier.

Pourtant à l’influence de Masaccio put échapper un de ses aînésqui rénova, d’une autre manière, aussi émouvante et plus tendrequoique moins riche de leçons pour la postérité, les traditions religieuses de l’âge précédent. Gui di Pietro naquit, en 1387, à Vicchio danle Mugello. Entré comme novice, en 1407, à San Domenico de Fiesole, il prit le nom de Fra Giovanni, auquel ses admirateurs devaien bientôt ajouter le qualificatif d’Angelico. Il étudia la miniature ; ap prenti peut-être dans le même atelier que Masolino, les fresqued’Orcagna l’instruisirent, p559et sans doute aussi les œuvres du camal-dule florentin Lorenzo Monaco, dont leCouronnement de la Vierge conciliait les enseignements siennois et les procédés gothiques. In’eut rien de commun avec Masaccio ; il fut par moment assez prochde Masolino ; mais son art n’appartient qu’à lui.

En 1409, les dominicains de Fiesole, qui ne reconnaissaient pasAlexandre V, durent s’exiler. Fra Giovanni passa quatre années enOmbrie, à Foligno, travailla cinq ans à Cortone, et, en 1418, le schisme terminé, rentra au couvent de San Domenico. De cette période datent l’annonciation de Cortone, dont le style rappelle encore LorenzMonaco ; leCouronnement de la Vierge, le Jugement dernier , oùl’enfer rappelle les fresques de Pise, où le paradis semble inspiré dDante. En 1436, Cosme de Médicis appelait fra Giovanni à San Marc pour décorer le couvent que Michelozzo venait de reconstruire. Danle premier cloître, il évoqua saint Dominique en oraison aux pieds d





Jésus crucifié, saint Thomas rayonnant de savoir et d’amour divinsaint Pierre-Martyr qui, blessé, le front sanglant, impose du geste lsilence, et Jésus pèlerin que deux frères en robe blanche accueillen

avec un affectueux empressement. Au mur du chapitre, la grande fresque du Calvaire, poignante et sobre, éternisa la douleur des chrétienrachetés par la mort d’un Dieu. Dans les cellules, de la visite de Ga briel à l’Ascension, se déroule la vie du Christ. Il ne reste rien à dirsur la grâce juvénile de l’annonciateur et sa tendresse intimidée, sur lgravité pénétrante et familière de la communion des Apôtres, sur ltragique baiser de Judas, sur la splendeur dantesque du couronnemende la Vierge. Probablement en 1445, Eugène IV appela le moine poudécorer, au Vatican, la chapelle Pauline, détruite et rebâtie en 1540. Iretraça de nouveau la vie du Christ ; il y introduisit les portraits dequelques personnages de la cour pontificale. Dans la salle capitulairde San Domenico d’Orvieto, en 1447, il peignit Jésus au milieu deanges et le chœur des prophètes. Au Vatican, dans l’oratoire de Nicolas V, il conta, en 1449, l’histoire de saint Laurent. Nommé prieur dSan Domenico de Fiesole, en janvier 1450, il revit la Toscane ; Nicolas V le rappela bientôt à Rome ; il y mourut en 1455. Il avait formun artiste dont l’originalité ne devait apparaître que plus tard. BenozzGozzoli, né à Florence en 1420, d’une pauvre famille, avait de 1444 1447 fréquenté l’atelier de Ghiberti ; mais, en même temps, il appre

nait la peinture à San Marco. En 1447, il accompagnait à Rome FrAngelico ; il l’aida dans ses travaux p560 du Vatican et d’Orvieto. ÀMontefalco, en Ombrie, où, de 1450 à 1452, il résuma pour les Mineurs de San Fortunato la légende de saint François, il se montrait boélève et imitateur du maître.

Mais d’autres, à peu près contemporains de Masaccio, purent lusurvivre et compléter ses enseignements. Plus âgé de cinq ans, Paul dDono, surnommé Uccello, acquit la pratique du dessin dans l’ateliede Ghiberti, où il exécuta quelques cartons pour les vitraux du dôme

Il fut avant tout un théoricien passionné de la perspective. Tandis quson maître et Donatello en imposaient les lois au bas-relief, les jeune peintres vinrent bientôt les étudier dans le Cloître Vert de Santa Mari Novella, où lui-même avait conté, d’un style dont Masaccio eût aimla simple grandeur, quelques scènes de l’Ancien Testament. Il mouruen 1451. André del Castagno, né en 1390, semble avoir cherché longtemps sa voie. Autant que les fresques du Carmine, il admira san





doute les bronzes de Donatello, tant il apparaît à la fois curieux de réalisme et d’expression dramatique. À la villa Pandolfini de Legnaiades images robustes et méditatives évoquèrent, à côté de la Sibylle d

Cumes, les reines Esther et Thomyris, Farinata degli Uberti, DantePétrarque et Boccace. Mais c’est la dernière année de sa vie, en 1457que la Cène de Sant’Apollonia de Florence devait donner la mesure dson rude génie. Aucun peintre ne différait de lui comme Filippo Lipp Novice de quinze ans au Carmine en 1421, il vit travailler, dans lchapelle Brancacci, Masolino et Masaccio, et devint peintre auprèd’eux. Vasari a conté sa vie tumultueuse de moine en rupture avec lrègle. Évadé une première fois, en 1431, prisonnier des corsairesconduit au Maroc, il obtient, grâce à son talent, la liberté, regagne Na ples et Florence en 1434. On n’aurait pu lui demander l’émotion relgieuse que Fra Angelico savait alors traduire en un langage si profondLa Vierge, les anges, les personnages de l’histoire chrétienne ne son plus pour lui que les acteurs de scènes dramatiques ou touchantes ; le portraits se multiplient dans ses compositions. Il s’était plu d’abord représenter la Madone adorant son fils ou visitée par l’ange. LeCou-ronnement de Marie, peint en 1447 pour l’église Sant’Ambrogio, ré-véla bientôt un maître. Sans doute les anges semblent de jeunes artisans florentins, la Vierge semble une religieuse inclinée sous la bénédiction de l’évêque ; mais les figures sont vivantes, expressives, e

l’œuvre prouve une étonnante sûreté de facture, une intelligence exacte des volumes, p561 de la perspective, une recherche de la grâce desattitudes et le sens délicat du coloris. Chargé de peindre dans le chœude la cathédrale de Prato la vie de saint Jean-Baptiste et celle de sainÉtienne, il commençait en 1452 une série de fresques où s’annoncl’œuvre de Ghirlandaio, et qui relient par cet intermédiaire le dramchrétien de la chapelle Brancacci à l’épopée biblique de la Sixtine edes chambres du Vatican.

Ainsi l’école florentine, qui vers le dernier tiers duXIVe siècle avait

manifesté quelques signes de lassitude, se rénovait puissammentSienne ne comptait plus : son rôle avait pris fin depuis Masaccio. Sano di Pietro, qui vécut de 1406 à 1481, ne sut que répéter ingénieusement des formules dépassées. Désormais l’influence florentine triom pha dans l’Italie centrale, put se répandre dans le nord, et ne trouva drésistance qu’en pays vénitien.





La peinture, jusqu’auXVe siècle, y était restée byzantine. L’œuvrede Giotto, à Padoue, n’y suscita pas d’imitateurs. Originaire del’Ombrie, où il était né vers 1370, Gentile de Fabriano travaillait e

1420 au palais des doges ; il aimait le style de la miniature francoflamande : il prit le goût oriental de la magnificence décorative. Tardivement immatriculé en 1422 parmi les Florentins, il restait étrangeà leur école ; il peignit l’année suivante pour Santa Trínita ce retablde l’Adoration des Mages où il satisfit sans contrainte sa passion devêtements somptueux, des étoffes de brocart, des parures luxueuses edes joyaux, des cortèges fantastiques déroulés à travers un paysagirréel. Pour Martin V, il exécuta, en 1425-1426, quelques fresques auLatran ; il mourut probablement l’année suivante à Rome. Un maîtrné à Vérone en 1377, Antoine di Bartolommeo, connu sous le nom dVictor Pisano ou Pisanello, renouvelait l’art de la peinture dans l’Italidu nord. Dessinateur, curieux de retracer inlassablement au crayon leformes humaines et animales qu’il observait avec une savante justesse, médailliste de génie qui nous a transmis les inoubliables effigiedes Malatesta, il avait connu sans doute, comme Gentile de Fabrianoles miniatures françaises et flamandes. Ses fresques de Venise et duLatran n’existent plus. Du moins, dans son Annonciation, à San Fer-mo de Vérone, dans sa Légende de saint Georges, achevée vers 1438,à sainte Anastasie, apparaissent d’évidentes influences de l’art septen

trional. À Venise Jacques Bellini, qui fut actif de 1426 à 1470, montre, surtout dans ses dessins, un goût nouveau pour les architectureclassiques, p562 pour la beauté du corps humain en mouvement, etsemble aimer le merveilleux païen autant que la gravité de la légendchrétienne. Il était réservé à ses deux fils, Gentile et Jean, de fondel’une des plus magnifiques écoles de la peinture italienne. p563





Table des matières

Bibliographie du chapitre XI Les efforts de rénovation intellectuelle et artistique en Occident

(1378-1453)

OUVRAGES D’ENSEMBLE À CONSULTER . —Les mêmes que p. 249 et 289. Ajouter, pour la France et les Pays-Bas, J. Huizinga, Herfstij der middeleeuven ; Stu-dien over levens en gedachtenvormen der XIV de en XV de eeusv in Frankrijk ende Nederlanden(Haarlem, 1919, in-8o) ; trad. allemande par T. Jolles Monc-

keberg, sous le titre : Herbst des Mittelalters ; Studien über Leben- und Geis-tesformen des XIV ten und XV ten Jahrhunderts in Frankreich und in den Nieder-landen (Munich, 1924, in-8°). Malgré le titre, il y est presque uniquemenquestion duXVe siècle.

I. La décadence du nominalisme ockhamiste OUVRAGES À CONSULTER . — Se reporter aux bibliographies des pages 30, 253,

256 et 259.

II. La réaction mystique OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les volumes cités p. 269, et, sur les Frères de

la Vie commune et les chanoines réguliers de Windesheim, les volumes cité p. 379, voir, sur l’ Imitation, G. Bonet-Maury,Quaeritur e quibus nederlandi-cis fontibus hauserit scriptor libri cui titulus est de Imitations Christi(Paris1878, in-8°) ; K. Hirsche, Prolegomena zu einer neuen Ausgabe der ImitatioChristi(Berlin, 3 vol. in-8°, 1873-1894) ; V. Becker, L’auteur de l’Imitationet les documents hollandais(La Haye, 1882, in-8°) ; J. Brucker, Le livre del’Imitation à propos de publications nouvelles, dans les Études, publiées par les PP. de la Cie de Jésus, t. LXXXI (1899), p. 349-370 ; G. Kentenich, Noch

einmal die Handschriften der Imitatio Christi und die Autorschaft des Thomas, dans la Zeitschrift für Kirchengeschichte, t. XXIV (1903), p. 594-604 ;du même, Zum Imitatio Christi-Streit , dans la même revue, t. XXVI (1905), p.467-470 ; Albert Hyma,The christian Renaissance(cité p. 379), chap,V. Lathèse de l’origine bénédictine de l’Imitation, encore soutenue par P.-E. PuyoL’auteur du livre De Imitatione Christi(Paris, 1899, in-8°), est abandonnée ; iln’est plus possible, d’autre part de revendiquer l’ouvrage pour Gerson. L’étaactuel de la question est résumé dans le livre de J.-L. Connolly sur Gerson, c





té ci-après. — Sur Pierre d’Ailly, voir les ouvrages cités p. 323, de P. Tschackert et de L. Salembier ; sur Gerson, l’ouvrage de J.-B. Schwab, cité p. 323ajouter D. Hobart Carnahan,The Ad Deum vadit of Jean Gerson(Urbana,1917, in-8° ; « University of Illinois Studies in Language and literature », voIII) ; J.-L. Connolly, John Gerson, reformer and mystic(Louvain, 1928, in-8° ; « Recueil des travaux de l’Université de Louvain » ; 2e série, fasc. 12).

III. L’humanisme pétrarquiste OUVRAGES À CONSULTER . — Outre les livres de Volpi, Voigt, Geiger, Tilley, cités

p. 249 et 276, voir Vittorio Rossi, Il Quattrocento(Milan [1898], in-8°, de lacollection « Storia letteraria d’Italia scritta da una società di professori »), Philippe Monnier, Le Quattrocento, étude sur l’histoire littéraire du XV e siè-cle italien(Paris, 1901, 2 vol. in-8° ; 2e éd. 1918) ; A. von Marlin,Colaccio

Salutati und das humanistische Lebensideal (Leipzig, 1916, in-8°, de la coll.« Beiträge zur Kirchengeschichte des Mittelalters und der Renaissance », fas23) ; A. Rösler,Cardinal Johannes Dominici(Fribourg-en-Brisgau, 1893, in-8°) ; R. Coulon, Johannis Dominici Lucida noctis(Paris. 1908, in-8°) ; Leo-nardo Bruni Aretino, humanistisch-philosophische Schriften, éd. par H. Baron(Leipzig, 1928, in-8°, de la collection « Quellen zur Geistesgeschichte deMittelalters und der Renaissance », fasc. 1). La meilleure étude sur PoggiBracciolini est celle d’Ernest Walser, Poggius fiorentinus Leben und Werke (Leipzig et Berlin, 1914, in-8°) Bibliographies dans Rossi, Monnier, Walser.

Sur le mouvement philosophique déterminé par le renouveau des étude platoniciennes, on consultera surtout F. Fiorentino, Il risorgimento filosoficonel Quattrocento(Naples, 1885, in-8°) ; F. Schultze,Geschichte der Philoso- phie der Renaissance; I : Georgios Gemistos Plethon und seine reformatoris-che Bestrebungen(Iena, 1874, in-8°) ; J.-W. Taylor,Georgius Gemistus Ple-tho’s criticism of Plato and Aristotle(Menasha [Wisconsin], 1921, in-8°). Levieux livre d’Henri Vast, Le cardinal Bessarion (1403-1472), étude sur lachrétienté et la ftennissance vers le milieu du XV e siècle(Paris, 1878, in-8°)étudie surtout son rôle politique ; ajouter Ludwig Mohler, Kardinal Bessarionals Theologe, Humanist und Staatsmann ; Funde und Forschungen(Pader- born, 1923-1927, 2 vol. in-8°, dans la collection « Quellen und Forschungherausgegeben von der Görresgesellschaft »). Le gros volume de FrancescOlgiati, L’anima dell’ umanesimo e del Rinascimento’saggio filosofico(Mi-lan, 1924, in-8°, des « Pubblicazioni dell’ Università cattolica del Sacro Cure »), ne tient pas entièrement les promesses du titre. Vues d’ensemble sur ledivers courants philosophiques dans le livre de Giuseppe Saitta, Filosofia ita-liana e umanesimo(Venise, 1928, in-8°).





IV. L’humanisme critique : Laurent Valla

OUVRAGES À CONSULTER . — Les mêmes que p. 508. Il n’existe pas de travail réel-lement important sur Laurent Valla ; on peut utiliser G. Mancini,Vita di Lo-renzo Valla(Florence, 1891, in-8o).

V. La synthèse de Nicolas de Cues OUVRAGES À CONSULTER . — L’étude fondamentale sur Nicolas de Cues est celle

d’Edmond Vansteenberghe, Le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464) ;l’action, la pensée(Paris, 1920, in-8°) ; ajouter : Ernst Cassirer, Individuumund Kosmos in der Philosophie der Renaissance(Leipzig et Berlin, 1927, in-8o), et Paolo Rotta, Il cardinale Niccolò Cusano(Milan, 1928, in-8°) ; dumême, éd. de De docta ignorantia libri III, testo latino con note(Bari, 1913,in-8°) ; trad. franç. dans la collection « Textes et traductions pour servir l’histoire de la pensée moderne », dirigée par Abel Rey : Nicolas de Cusa, Dela docte ignorance, trad. de L. Moulinier, introduction de A. Rey (Paris, 1930,in-12).

VI. L’humanisme et le Saint-Siège OUVRAGES À CONSULTER . — Se reporter à la bibliographie de la p. 508. Sur Enea

Silvio, voir Georg Voigt, Enea Silvio de’ Piccolomini als Papst Pius II und

sein Zeitalter (Berlin, 1856-1863, 1 vol. in-8°) ; William Boulting, AeneasSilvius(Londres, 1908, in-8°) ; Max Meli, Enea Silvio, Briefe(Iena, 1911, in-8°) ; C. M. Ady, Pius II, the humanist pope(Londres, 1913, in-8°), elles qua-tre volumes de ses lettres : Aen. Sylvius Piccolomini, Briefwechsel , éd. par R.Wolkan (cité p. 358) ; de même, Aeneae Silvii de curialium miseriis epistola,éd. par W.-P. Mustard (Baltimore, 1928, in-12, de la coll. « Semicentenna publications of the Johns Hopkins University »). Naturellement, on utiliseaussi Ludwig von Pastor,Geschichte der Päpste(citée p. 307), t. I del’original et de la traduction française.

VII. Les lettres en Occident OUVRAGES À CONSULTER . — Pour l’Italie, voir les volumes de V. Rossi, Il Quat-

trocento, et de Ph. Monnier, Le Quattrocento, cités p. 508 ; AlessandroD’Ancona, Le origini del teatro ilaliano(Turin, 1891, 2 vol. in-8°) ; Pio Raj-na, Le fonti dell’ Orlando furioso(Florence, 1876, in-8° ; 2e éd. 1900) ; dumême, Ricerche intorno ai Reali di Francia(Bologne, 1872, in-8°) ;F. Foffano, Il poema cavalleresco(Milan, 1905, in-8°, dans la coll. « Storia





dei generi letterari italiani »). — Pour la France, voir Gustave Lanson, Histoi-re illustrée de la littérature française, t. I, et Histoire de la littérature françai- se illustrée, publiée sous la direction de J. Bédier et P. Hazard, t. I, citées p.249 ; A. Thomas, De Joannis de Monsteriolo vita el operibus, et Henri Hau-vette, De Laurentio de Primofacto, cités p. 285 ; Pierre Champion, Histoire poétique du XV e siècle(Paris, 1923, 2 vol, in-8°) ; Marie-Josèphe Pinet,Chris-tine de Pisan, étude biographique et littéraire(Paris, 1927, in-8o) ; PierreChampion,Vie de Charles d’Orléans, 1394-1465(Paris, 1911, in-8°) ; PietroToldo, Contributo allo studio della novella francese del XV o e XVI o secolo (Rome, 1895, in-8°) ; Werner Söderhjelm, La nouvelle française au XV e siècle (Paris, 1910, in-8°) ; L. Petit de Julleville, Les mystères(Paris, 1880, 2 vol.,in-8°) ; Gust. Cohen, Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux dumoyen âge (Paris, 1906, in-8o). — Pour l’Allemagne, l’Angleterre etl’Espagne, voir bibliographie, p. 249.

VIII. La tradition gothique et la tradition classique dans l’architecture OUVRAGES À CONSULTER . — Histoire de l’art , publiée par A. Michel (citée p.

289), t. II, 2e partie (1906), et t. III, 1re partie (1907), chapitres de C. Enlart ;demême,les ouvrages de R. de Lasteyrie, A. K. Porter, C. Enlart, T.-G. Jackson, cités p. 289. — Sur l’art italien dans son ensemble, voir Heinrieh Wölflin, Die klassische Kunst, eine Einführung in die italienische Renaissanc (Munich, 1899, in-8°), trad. française sur la 11e édition par Conrad de Man-dach, L’art classique(Paris ; 1911, in-8°) ; Max Dvorak,Geschichte der ita-lienischen Kunst im Zeitalter der Renaissance, cité p. 290. Sur l’architectureitalienne, voir Ch.-H. Moore,The character of Renaissance architecture (New-York, 1905, in-8°) ; dans l’ Histoire de l’art , publ. sous la directiond’André Michel, t. III, 2e partie (1908), le chap.VIII (L’architecture italiennede la première Renaissance), par M. Reymond, et surtout Adolfo Venturi,Sto-ria dell’ arte ilaliana, citée p. 289, t. VIII : L’architettura del Quattrocento (1923-1924, 2 vol. in-4°, le 1er volume) ; ajouter Marcel Reymond, Les grandsartistes, leur vie et leur œuvre. Brunelleschi et l’architecture de la Renaissan-ce italienne du XV e siècle(Paris, 1912, in-8°) ; Girolamo Mancini, Leo Battis-ta Alberti(Florence, 1882, in-8o ; 2e éd. 1911) ; J. Krause, Alberti als Kunst philosoph(Strasbourg, 1911, in-8°) ; Corrado Ricci, Leo Battista Alberti ar-chitetto(Turin, 1917, in-8°) ; C. von Stegmann,Michelozzo di Bartolommeo (Munich, 1888, in-8o) ; Fr. Wolf,Michelozzo di Bartolommeo, ein Beitrag zur Geschichte der Architektur und Plastik (Strasbourg, 1900, in-8°) ; C. Guasti, La cupola di Santa Maria del Fiore(Florence, 1857, in-8o) ; E. Bertaux, Rome (cité p. 290), t. II. — Sur l’art mauresque en Espagne, G. Marçais,Manuel d’art musulman. L’architecture, Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne, Sicile, t. II(Paris, 1927, in-8o).


