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Consigne En 1935, vous êtes journaliste dans un quotidien métropolitain. Votre rédaction vous demande de réaliser un reportage sur la ville coloniale de Saigon. Vous proposez donc un article illustré rendant compte de la vie quotidienne dans la capitale de lIndochine. Pour réaliser votre reportage vous pouvez montrer : Que la ville se veut à limage de la France moderne Que la ville est le reflet de la domination française Que la ville connaît une importante hiérarchisation entre les populations. Proposez des illustrations à votre rédaction pour enrichir votre article. « Saigon, des mâts, des cheminées, des tourelles de navires de guerre, de commerce […] et la pullulante flotille des jonques, des sampans, des pirogues. Une foule blanche attend, dans le grouillement jaune des coolies 1 […] Mais oui ! C’est la France, des caboutots 2 de l’Arrivée, des guinguettes 3 de Départ, les bouchons 4 des gares et des banlieues… Et bientôt voici la ville française dans son faste tropical, avec des palais officiels, de raide géométrie […]. Et la rue Catinat, toute parisienne. Et par-ci, le théâtre (un monument de deux millions), et par là, des statues : Gambetta […]. Les Annamites 5 se ressemblant tous […] de même faces jaunes aplaties sous les fronts bombés […]. Tout cela […] va et revient ou stationne […] autour des acteurs principaux, les hommes blancs, dont la haute stature domine. Saigon, […] trente mille Annamites, Chinois, Indiens contre trois milles Européens. Jean Ajalbert, « Variétés », Revue indochinoise, 24 novembre 1902. 1 Porteurs de valises et colis. 2 Petits cafés populaires. 3 & 4 Lieux populaires ou l’on mange et boit. 5 Habitants de l’Annam. Par extension, tous les indigènes indochinois. Carte postale, date inconnue. La cathédrale de Saigon est inaugurée en 1880 et le projet, choisi en 1879, s’inspire du modèle de Notre-Dame de Paris. La construction de la cathédrale de Saïgon est entièrement financée par le budget de la colonie soit 2,5 millions de francs. La ville de Saigon à la fin du 19 e siècle. Ajouts à la légende : villages annamites, chinois et/ou indiens situés en dehors des limites de la « ville européenne ». C1.2 & C2.3 CONTEXTUALISER & CONSTRUIRE UNE ARGUMENTATION Point de Passage et d’Ouverture : Saigon, ville coloniale. « Au début de lannée 1901 1 , je vois constamment le Français vexer, injurier, brutaliser lindigène. Je vois constamment le Français affolé souvent par la chaleur, labsinthe, lopium battre le domestique indigène qui a mal exécuté un ordre mal donné en une langue mal comprise. [] Je vois souvent le Français menacer ou frapper pour le faire taire, le conducteur de pousse- pousse demandant à être payé au tarif fixé. Je vois même souvent beaucoup de Français rudoyer les indigènes avec qui ils sont en contact sans aucun motif, sans aucun prétexte, pour le plaisir, ou bien comme ils disent, pour maintenir le prestige du blanc. Félicien Challaye, Souvenir sur la colonisation, 1935. 1 Professeur de philosophie, socialiste et opposant à la colonisation, Félicien Challaye relate ici son voyage à Saigon. « Comme dans toutes les villes coloniales il y avait deux villes dans cette ville : la blanche et lautre. Et, dans la blanche, il y avait encore des différences. Dans le haut quartier nhabitaient que les blancs qui avaient fait fortune. Pour marquer la mesure surhumaine de la démarche blanche, les rues et les trottoirs [y] étaient immenses. [] Arrosées plusieurs fois par jour, vertes, fleuries, ces rues étaient aussi bien entretenues dun immense jardin zoologique où les espèces rares des Blancs veillaient sur elles-mêmes. [] Cétait dans la zone située entre le haut quartier et les faubourgs indigènes que les Blancs qui navaient pas fait fortune, les coloniaux indignes, se trouvaient relégués. Là, les rues étaient sans arbres. Les pelouses disparaissaient. » Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique 1 , 1950. 1 Dans ce roman autobiographique, lécrivaine décrit la ville de Saigon où elle a vécu enfant. Photographie, 1920. Une soirée au Grand Hôtel de la Rotonde, le lieu de rendez-vous des européens dans le centre de Saigon. Mise à part une minorité considérée par les colons comme « évoluée » - des indigènes ayant été scolarisé, ayant fait fortune et vivant à la manière européenne - les indigènes ny sont pas les bienvenus. 1 2 3 4 6 5

Point de Passage et d’Ouverture : Saigon, ville coloniale ...France, des caboutots2 de l’Arrivée, des guinguettes3 de Départ, les bouchons4 des gares et des banlieues… Et bientôt

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Page 1: Point de Passage et d’Ouverture : Saigon, ville coloniale ...France, des caboutots2 de l’Arrivée, des guinguettes3 de Départ, les bouchons4 des gares et des banlieues… Et bientôt

Consigne En 1935, vous êtes journaliste dans un quotidien métropolitain. Votre rédaction

vous demande de réaliser un reportage sur la ville coloniale de Saigon. Vous

proposez donc un article illustré rendant compte de la vie quotidienne dans la

capitale de l’Indochine.

Pour réaliser votre reportage vous pouvez montrer :

Que la ville se veut à l’image de la France moderne

Que la ville est le reflet de la domination française

Que la ville connaît une importante hiérarchisation entre les populations.

Proposez des illustrations à votre rédaction pour enrichir votre article.

« Saigon, des mâts, des cheminées, des tourelles de

navires de guerre, de commerce […] et la pullulante flotille des

jonques, des sampans, des pirogues. Une foule blanche attend,

dans le grouillement jaune des coolies1 […] Mais oui ! C’est la

France, des caboutots2 de l’Arrivée, des guinguettes

3 de Départ, les

bouchons4 des gares et des banlieues… Et bientôt voici la ville

française dans son faste tropical, avec des palais officiels, de raide

géométrie […]. Et la rue Catinat, toute parisienne. Et par-ci, le

théâtre (un monument de deux millions), et par là, des statues :

Gambetta […]. Les Annamites5 se ressemblant tous […] de même

faces jaunes aplaties sous les fronts bombés […]. Tout cela […] va et

revient ou stationne […] autour des acteurs principaux, les hommes

blancs, dont la haute stature domine. Saigon, […] trente mille

Annamites, Chinois, Indiens contre trois milles Européens.

Jean Ajalbert, « Variétés », Revue indochinoise, 24 novembre

1902. 1

Porteurs de valises et colis. 2

Petits cafés populaires. 3 & 4

Lieux populaires

ou l’on mange et boit. 5 Habitants de l’Annam. Par extension, tous les

indigènes indochinois.

Carte postale, date inconnue. La cathédrale de Saigon est

inaugurée en 1880 et le projet, choisi en 1879, s’inspire du modèle de

Notre-Dame de Paris. La construction de la cathédrale de Saïgon est

entièrement financée par le budget de la colonie soit 2,5 millions de

francs.

La ville de Saigon à la fin du 19e siècle.

Ajouts à la légende : villages annamites, chinois et/ou indiens – situés en dehors des limites de la « ville

européenne ».

C1.2 & C2.3 CONTEXTUALISER & CONSTRUIRE UNE ARGUMENTATION

Point de Passage et d’Ouverture : Saigon, ville coloniale. « Au début de l’année 1901

1, je vois

constamment le Français vexer, injurier,

brutaliser l’indigène. Je vois constamment le

Français – affolé souvent par la chaleur,

l’absinthe, l’opium – battre le domestique

indigène qui a mal exécuté un ordre mal

donné en une langue mal comprise. […] Je

vois souvent le Français menacer ou frapper

pour le faire taire, le conducteur de pousse-

pousse demandant à être payé au tarif fixé. Je

vois même souvent beaucoup de Français

rudoyer les indigènes avec qui ils sont en

contact sans aucun motif, sans aucun

prétexte, pour le plaisir, ou bien comme ils

disent, pour maintenir le prestige du blanc.

Félicien Challaye, Souvenir sur la

colonisation, 1935.

1 Professeur de philosophie, socialiste et opposant à

la colonisation, Félicien Challaye relate ici son

voyage à Saigon.

« Comme dans toutes les villes coloniales il y avait deux villes dans cette ville : la

blanche et l’autre. Et, dans la blanche, il y avait encore des différences. Dans le haut

quartier n’habitaient que les blancs qui avaient fait fortune. Pour marquer la mesure

surhumaine de la démarche blanche, les rues et les trottoirs [y] étaient immenses. […]

Arrosées plusieurs fois par jour, vertes, fleuries, ces rues étaient aussi bien

entretenues d’un immense jardin zoologique où les espèces rares des Blancs veillaient

sur elles-mêmes. […] C’était dans la zone située entre le haut quartier et les faubourgs

indigènes que les Blancs qui n’avaient pas fait fortune, les coloniaux indignes, se

trouvaient relégués. Là, les rues étaient sans arbres. Les pelouses disparaissaient. »

Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique1, 1950.

1 Dans ce roman autobiographique, l’écrivaine décrit la ville de Saigon où elle a vécu enfant.

Photographie, 1920. Une soirée au Grand Hôtel de la Rotonde,

le lieu de rendez-vous des européens dans le centre de Saigon. Mise à part

une minorité considérée par les colons comme « évoluée » - des

indigènes ayant été scolarisé, ayant fait fortune et vivant à la manière

européenne - les indigènes n’y sont pas les bienvenus.

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