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Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

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Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) H2J 2L2

www.editionsboreal.qc.ca

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Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école

ignorants?

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Patrick Moreau

Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école

ignorants?

Boréal

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Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.

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Couverture: Christine Lajeunesse

© Les Éditions du Boréal 2008

Dépôt légal: 3e trimestre 2008

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada: DimediaDiffusion et distribution en Europe: Volumen

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Moreau, Patrick, 1967-

Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants?

ISBN 978-2-7646-0617-9

1. Éducation – Québec (Province). 2. Québec (Province) – Civilisation –21e siècle. I. Titre.

LA418.Q8M67 2008 � 370.9714 c2008-941452-7

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À ma femme et à mes enfants, parce qu’ils supportent depuis longtemps

avec abnégation mes exaspérations et mon humeur quelquefois assassine.

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La libido sciendi, la soif de connaissance, le besoinardent de comprendre sont inscrits dans le meil -leur des hommes et des femmes. Comme l’est lavocation d’enseignant. Il n’est de métier plus privi-légié. Éveiller chez un autre être humain des pou-voirs, des rêves au-delà des siens; induire chezd’autres l’amour de ce que l’on aime; faire de sonprésent intérieur leur futur: une triple aventure à nulle autre pareille. […] Fût-ce à un humbleniveau, celui du maître d’école, enseigner, bienenseigner, c’est se rendre complice du possibletranscendant.

GEORGE STEINER, Maîtres et Disciples

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Avant-propos

On a beaucoup débattu autour du thème de l’éduca-tion au Québec ces derniers temps.

Après des élections scolaires où la participationdes citoyens a atteint son niveau le plus bas, le partide Mario Dumont a proposé l’abolition des com-missions scolaires. Puis, au début de l’hiver, le publics’est ému de la piètre performance des élèves québé-cois lors de tests internationaux où ils ont connu unebaisse sensible au classement. Ces mauvais résultatsont aussitôt été mis sur le compte de la réforme et on s’est affronté durant les premiers mois de 2008autour des correctifs à apporter à ladite réforme.Certains (le Collectif pour une éducation de qualité,des syndicats d’enseignants, des personnalités tellesque Bernard Landry) réclamaient un moratoire afind’évaluer ses effets avant qu’elle ne soit introduite,dès la rentrée prochaine, en 4e secondaire, tandis qued’autres (au premier rang desquels Pauline Marois,

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dont le ministère avait mis en branle cette redéfini-tion des fondements de l’éducation) la défendaientbec et ongles, n’hésitant pas à la draper fièrementdans l’étendard flamboyant du «progressisme», lesdétracteurs se voyant par conséquent attribuer letitre peu enviable de «réactionnaires1».

Cette controverse, en même temps que le dépôtdu rapport du Comité sur la qualité du français pré-sidé par M.Conrad Ouellon, a poussé la ministre del’Éducation, du Loisir et du Sport, Mme MichelleCourchesne, à élaborer un nouveau «Plan d’actionpour l’amélioration du français à l’enseignementprimaire et à l’enseignement secondaire», qui s’estcomme d’habitude avéré plein de bonnes et trèslouables intentions. Mais, sans vouloir à tout prixjouer les Cassandre, il est évident que toutes cesmesures (il y en a vingt-deux, allant de l’obliga-tion pour les enseignants du primaire de faire faire«régulièrement» des dictées à leurs élèves, à l’im-position de deux nouveaux examens consacrés à la pratique de l’écriture en 4e année du primaire et en 2e secondaire, en passant par l’embauche debibliothécaires) sont fatalement vouées à l’échec sielles ne s’appuient pas sur la volonté ferme de repla-cer l’objectif de la transmission de connaissances et

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1. Voir l’intervention pour le moins manichéenne deM.Clément Laberge dans Le Devoir, 19 février 2008.

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de l’acquisition réelle d’habiletés au cœur des pra-tiques pédagogiques.

Et c’est peut-être là que le bât blesse; car ens’obstinant à poursuivre la réforme et à n’y appor-ter que des correctifs ponctuels, en ne rompant pasrésolument avec un modèle éducatif (le fameuxsocioconstructivisme) voué à l’échec, Mme Cour-chesne et ses conseillers se condamnent, et l’écolequébécoise avec eux, à se voir infailliblement rame-nés vers ces mêmes écueils (linguistiques, dans cecas) qu’ils entendaient éviter. Dans les circonstances,c’est un tout autre «coup de barre» qu’il aurait falludonner2!

D’un autre côté, un moratoire comme celui queréclame la coalition «Stoppons la réforme» ne seraitpas non plus la panacée souhaitée, en particulierparce qu’il suggère, ou du moins semble suggérer,qu’avant cette réforme tant décriée tout allait pour lemieux dans le merveilleux monde de l’éducation.Même si cette demande d’un moratoire paraît avanttout un artifice stratégique destiné à susciter, entreces différents acteurs du monde scolaire que sont lesintellectuels, les professeurs et chercheurs en sciences

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2. On se rappellera que c’est l’expression que la ministreutilisa elle-même pour qualifier son Plan d’action: «coup debarre très fort», disait-elle (Le Devoir, jeudi 7 février 2008)!

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de l’éducation et les syndicats d’enseignants, unconsensus un peu mou, il ne paraît pas très saged’opposer ainsi à ce faux et fumeux «renouveaupédagogique» un prétendu âge d’or d’avant laréforme où tout aurait été formidable et les élèves,scolairement performants. Les collégiens que j’ai enface de moi dans mes classes, ceux dont il est ques-tion dans ce pamphlet, appartiennent pour deuxannées encore à une classe d’âge qui n’a pas eu à subirla «pédagogie par projets» ni l’acquisition de «com-pétences», et pourtant, il y a des lacunes béantes dansleurs «connaissances».

Vu ainsi, par le petit bout de la lorgnette, ledébat entourant la réforme apparaît donc comme unleurre assez efficace pour que l’on passe une fois deplus à côté des «vrais» problèmes que connaît le sys-tème éducatif québécois. Ou, si vous préférez: toutesces polémiques et déclarations tonitruantes sem-blent souvent, comme on dit aujourd’hui, «décon-nectées de la réalité» et plus ou moins éloignées desproblèmes concrets que nous, les professeurs, ren-controns dans nos classes.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé, aprèsbien des hésitations, de livrer ce témoignage per-sonnel, cette «critique de l’intérieur» — je n’ose pasdire «cette réflexion» — sur ce qui saute aux yeuxquand on travaille dans le domaine de l’éducation;car je considère qu’un témoignage de ce genre, que jedemanderai au lecteur de croire sincère, appartientde plein droit au débat public et que, si les idées et le

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type d’exemples ici présentés s’échangent tous lesjours dans les couloirs et les salles des professeurs de nos établissements scolaires, il est plus rare qu’ilsatteignent le grand public.

L’école québécoise, l’école publique principale-ment, souffre en effet de plusieurs maux; je croisqu’il y a un consensus assez général à cet égard parmiles personnes éduquées. À part quelques idéologuesdu ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport,qui ont fait du «jovialisme» une philosophie d’État,je ne connais en effet personne qui soit satisfait del’éducation qu’on y donne.

Bien des parents d’enfants d’âge scolaireessaient tant bien que mal de compenser les lacunesqu’ils perçoivent dans l’éducation reçue par leursrejetons, ou alors ils «votent avec leurs pieds» en s’enallant vers le privé. Je connais personnellement desparents (qui appartiennent, il est vrai, au milieu del’enseignement) qui supervisent, le soir autour de latable familiale ou la fin de semaine, des «cours derattrapage maison» pour enseigner à leurs enfantsdes règles de grammaire qu’ils ne voient pas en classe,ou afin qu’ils acquièrent des connaissances cultu-relles (historiques, géographiques, littéraires, etc.)que l’école ne transmet plus ou transmet si mal. L’und’eux — qui s’y est résolu depuis peu — me confiaitqu’il concevait difficilement que sa fille de treize ansn’ait jamais entendu parler d’Hitler (et on pourraitdire la même chose de Louis XIV) dans un contextescolaire. Et — avis aux amateurs — le marché du

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parascolaire sous toutes ses formes n’a jamais étéaussi florissant3!

Les élèves eux-mêmes, ceux qui en sontconscients, ne se satisfont pas de ce gaspillage de leurtemps et interviennent parfois jusque dans les jour-naux pour dénoncer la médiocrité ambiante quirègne trop souvent dans les classes, le faible niveau del’enseignement qu’on y dispense, l’ennui qui exas-père ces jeunes à qui on fait lire des textes insipides etmener de prétendues réflexions ou «recherches» surdes sujets débilitants. Un exemple? Pas plus tardqu’en février de cette année, Jeanne Pilote, quinzeans, publiait dans Le Devoir une lettre pathétique oùelle critiquait vertement ses cours d’histoire, qu’ellequalifiait de «n’importe quoi»: «Le matin, cha-cun de nous se lève pour aller à l’école, y écrivait-elleentre autres. Chacun de nous trouve une façon de serendre à ses cours. Pourquoi ne pourrions-nous pasavoir accès à une éducation digne de ces efforts4?»Pourquoi, en effet?

Ce «pourquoi?», c’est la question que je mepose moi aussi lors de chaque rentrée quand, en tant

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3. Voir à ce sujet La Presse du 2 avril 2008, qui titre «L’in-dustrie des devoirs» et donne dans le dossier de nombreuxexemples de ce nouvel essor.

4. Le Devoir, jeudi 7 février 2008.

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que professeur de français au niveau collégial,j’éprouve le sentiment étrange de ne plus pouvoirenseigner, du moins correctement, parce que lamajorité des élèves qui arrivent dans mes cours sontsi mal préparés qu’il s’avère tout bonnement impos-sible de leur apprendre à lire et à analyser un texte lit-téraire, puis à rendre compte de cette analyse dans untexte argumenté, ainsi que nous l’impose pourtantun devis ministériel contesté. En effet, si on discerneassez bien ce qu’ils n’ont pas appris, il est en revanchebeaucoup plus difficile de saisir ce qu’ils sont censéssavoir à leur âge et à leur niveau de scolarité, entreautres parce que l’obtention du diplôme de find’études secondaires (DES) ne sanctionne l’atteinted’aucun niveau scolaire aisément identifiable et quece diplôme est accordé avec une scandaleuse libéra-lité à des jeunes qui parfois ne lisent que difficilementet trop souvent ne maîtrisent pas même minimale-ment le maniement de la langue écrite. Et c’est sansparler des connaissances qui leur ont présumémentété transmises mais dont ils ne possèdent générale-ment pas le début: «Adolf Éclair», m’écrit parexemple une élève, dans un travail, pour désignervous savez qui.

Au nombre de ces maux dont souffre l’école, il ya bien entendu — et peut-être mérite-t-il de figureren première place — celui de la médiocre qualité dufrançais tel qu’il est enseigné, écrit et aussi parlé dansnos établissements scolaires. Cette pratique pour lemoins déficiente de la langue écrite mais aussi orale

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(j’insiste, car on a tendance à l’oublier) est une dou-loureuse évidence pour qui fréquente de jeunes Qué-bécois d’âge scolaire. C’est aussi une entrave — tantelle rend difficiles la lecture et l’élaboration d’un dis-cours cohérent — au développement de la pensée.

Pourtant, il ne faudrait surtout pas accréditercette idée trop communément partagée que tous les maux de l’école québécoise découlent de la seulenorme linguistique. C’est au contraire l’enseigne-ment de celle-ci qui pâtit d’un laxisme qu’onretrouve à bien des niveaux et dans l’enseignementde toutes les matières. N’allons pas croire, un peunaïvement, que s’ils ont des difficultés en ortho-graphe et en grammaire, matières sur lesquelles seconcentrent traditionnellement l’attention des mé -dias tout comme les velléités de réforme des loca-taires successifs du ministère, nos élèves excellent en revanche en mathématiques, en géographie ou enhistoire! Nous devrions alors réviser notre jugementau prix d’une lourde déception. Car les causes, quej’oserai qualifier de «systémiques», qui pèsent sur laperformance en français entraînent bien évidem-ment les mêmes conséquences dans ces autresmatières.

Quelles sont-elles, ces causes? Sans trop risquerde se tromper, on peut nommer une pédagogie cen-trée sur l’«apprenant», sur son vécu, voire sur sonbien-être, et non plus sur le contenu des apprentis-sages à transmettre. Cette pédagogie s’accompagneen outre de la confondante confusion entretenue par

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certains entre le respect légitime dû à chaque élève etl’absence d’exigences même minimales à lui impo-ser, soit un état d’esprit qui condamne à son tour àun manque de rigueur généralisé une éducation quise cantonne dans l’à-peu-près. Ensuite, un refus tel-lement maladif de toute forme d’élitisme qu’ilcontribue à entretenir une culture de la médiocrité età vider les examens de la signification qui serait laleur s’ils sanctionnaient effectivement l’atteinte parles candidats d’une norme satisfaisante que noussemblons bien incapables collectivement de définir.Enfin, comme le soulignait récemment ChristianRioux dans sa chronique du Devoir,un système édu-catif qui poursuit plusieurs lièvres à la fois et vit dansl’éparpillement: «Santé, nutrition, mémoire, égalité,délinquance, et j’en passe, écrit-il, il n’y a guère demaux sociaux, politiques ou économiques auxquelsl’école n’aurait pas de remède à apporter. Qu’un pro-blème apparaisse, grand ou petit, simple ou com-plexe, existentiel ou frivole, et vous verrez aussitôtquelqu’un blâmer l’école et proposer un programmenovateur et surtout “créatif” censé tout régler dans letemps de le dire5.» Le nouveau cours de «culturereligieuse» qui entrera dans le programme du pri-maire et du secondaire à la prochaine rentrée estencore là pour en témoigner. Conçu dans l’urgence

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5. Le Devoir, samedi 23 février 2008.

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et sous la pression de l’actualité, il a moins pour butde faire acquérir aux élèves une connaissance desreligions pratiquées dans le monde — il y a fort àparier qu’on ne leur fera pas lire d’extraits de l’An-cien Testament, des Upanishad ou du Livre de l’Échelle de Mahomet— que de servir d’alibi à un dis-cours naïvement moraliste sur le mode de «tout lemonde il est beau, tout le monde il est gentil». Mal-gré ces bons sentiments, je ne suis pas sûr qu’un telmoralisme puisse se targuer d’être «progressiste»!

Comment s’étonner après ça de voir des profes-seurs qui sont eux-mêmes un peu déboussolés et quin’ont plus une vision claire de ce que doit être leurmétier? Est-ce un rôle d’assistance sociale, d’anima-tion, de préparation au marché de l’emploi, de paci-fication des esprits qui est le leur?

Et si, banalement, enseigner consistait bienhumblement à transmettre aux générations nou-velles ce que l’on a soi-même appris? Il n’y auraitrien là de si banal, car ces connaissances partagéesentre le professeur et l’élève ou l’étudiant ne consti-tuent rien de moins qu’un apprentissage de la liberté(l’ignorance n’est-elle pas communément comprisecomme un enfermement?).

Suggérons une autre réponse encore: «Ignotinulla cupido», disait un auteur romain6. «On ne

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6. Ovide, L’Art d’aimer, III, v. 397.

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désire pas ce qu’on ne connaît pas.» C’est là toute la beauté et toute la difficulté de l’enseignement: il faut amener l’enfant ou l’adolescent à aimerquelque chose que, par définition, il ne peut encoredésirer lui-même, puisqu’il ne sait pas ce que c’est.Cela ne va pas sans un minimum de conflits, ou dumoins de contraintes. La vraie pédagogie centrée surl’enfant est là; les autres, qu’elles prennent prétextede sa nature infantile ou de l’alibi accablant de niaise-rie de son appartenance à une prétendue «généra-tion Nintendo», ne font que l’enfermer dans sonprésent et le privent par inconscience de ce qu’il nesera jamais.

C’est pourquoi il faudra, à mon sens, afin de répondre adéquatement aux promesses de l’ave-nir, bien plus qu’un quelconque «Plan d’action» et cette insistance constante sur la seule question de la langue. Un véritable et audacieux change-ment de culture est plus que souhaitable dans lemonde de l’éducation, soit la substitution résolue d’un authentique «humanisme» à une pédagogie de pacotille ainsi que l’apprentissage d’une penséecritique et informée plutôt qu’un moralisme étroitcentré sur l’actualité. C’est tout ce système d’édu-cation qu’il faut repenser ou, pour mieux le dire,«refonder».

Mais pour y parvenir, il est nécessaire que lapopulation prenne conscience des problèmes quiminent l’école québécoise et que de plus en plus degens acquièrent une vision assez claire des moyens à

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prendre pour y remédier. C’est à ce prix seulementque les choses changeront.

Cet objectif vaut bien un pamphlet, sansdoute…

Montréal, le 24 mars 2008

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La question de l’orthographe

Mes élèves souffrent collectivement, et chronique-ment, de dysorthographie!

À dix-sept ans, et alors même qu’ils ont obtenuaprès onze années de scolarité un diplôme de find’études secondaires, rares sont ceux qui sontcapables d’écrire à peu près sans fautes.

Et je tiens à préciser — car, dès qu’on évoquecette question de l’orthographe, on se voit aussitôtsoupçonné d’être un vilain puriste, un pédant obtus,voire un de ces réactionnaires non repentis — que jene suis pas un maniaque de l’exception orthogra-phique, ni un défenseur acharné de l’intégrité de lalangue ancestrale, pas même un admirateur incondi-tionnel de M. Pivot, encore moins un candidat frus-tré de la Dictée des Amériques.

Le seul péché mignon que j’avouerai volon-tiers, c’est de rester contre vents et marées indé-fectiblement attaché (pour des raisons esthétiques,

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sentimentales, historiques aussi) à l’accent circon-flexe, ce petit appendice enquiquinant de nos claviersQwerty, surtout depuis que je sais son féminismeintrinsèque (on l’ignore trop), son caractère «démo-cratique» et sa modernité; bref, depuis que j’ai prisconscience qu’il était, bien avant l’heure, si délicieu-sement politiquement correct1.

Pour revenir, après cette parenthèse en forme de plaidoyer, à la connaissance ou plutôt à la mécon-naissance des règles orthographiques qui caractérisela génération des élèves actuellement assis sur lesbancs de l’école, j’évalue, dans un groupe habituelle-ment composé d’une quarantaine de personnes, àtrois ou quatre le nombre de celles qui écrivent quasi

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1. J’invite le lecteur dont la curiosité aura été piquée parcette dernière remarque à lire l’étude magistrale que Ber-nard Cerquiglini a consacrée à cet accent honni — L’Accentdu souvenir (Paris, Éditions de Minuit, 1995) —, où ilmontre comment, durant tout le XVIIIe siècle, ce petit accentde rien fut le cheval de bataille des réformateurs de la langueet de ceux qui voulaient rendre plus aisée à la gent féminineet aux milieux plus populaires la connaissance de l’ortho-graphe, car il venait remplacer un «s» intercalaire d’origineétymologique (on écrivait autrefois isle au lieu du moderneîle afin de rappeler le «s» du mot latin insula). Or, contrai-rement aux hommes éduqués, les femmes, même issuesd’un milieu privilégié, ainsi que les gens du peuple igno-raient le latin…

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sans fautes, soit une proportion qui souvent n’atteintpas les 10%. Ces 10% de mes élèves que je soustraisbenoîtement à mes foudres académiques ne sont pasà vrai dire sans commettre de temps à autre quelquespéchés véniels contre la langue (mais qui n’en com-met pas?); ils comprennent ceux qui, dans un textede deux cents mots environ, ne feront pas plus dedeux ou trois erreurs et qui se garderont dans l’en-semble des bévues les plus grossières, c’est-à-direceux qui, à mon sens, ont, étant donné leur âge et leurniveau d’études, une connaissance satisfaisante de lalangue et de sa graphie.

Le reste du groupe se répartira ensuite entre unelarge majorité (entre 60 et 70%) à l’orthographeapproximative, à la grammaire hésitante et à la syn-taxe fréquemment boiteuse, qui commettra, bon anmal an, dans un texte de même longueur, trois,quatre, cinq et jusqu’à dix fautes, et une minorité (del’ordre de 20 à 30% tout de même) qui, sans lemoindre scrupule, fera quant à elle 15, 20, 30 fautesd’orthographe sur 200mots! Ce qui signifie jusqu’à150 fautes dans un texte de quelques pages!

Et quelles fautes!Passons sur les quelques exemples extravagants

qui feront apparaître aux lèvres du correcteur unsourire amusé et parfois même indulgent, tels que«un pied d’estal», «un référent d’homme», «mal-saint», «des haltères égaux», ou tel personnageféminin d’un célèbre roman qui est, dans une copie,déclaré joliment «en sainte». Ce ne sont pas là les

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erreurs les plus symptomatiques, et encore moins lesplus fréquentes. Malheureusement. Elles viennentmême interrompre la litanie désespérante des fautesordinaires, celles qui s’enracinent dans une mécon-naissance hallucinante des règles de base de la gram-maire, ces fautes si communes qu’on en oublie quede telles règles grammaticales devraient avoir étéacquises au sortir du cours primaire:

Elles sont émuent

Ils on appri

Ils sont devenu

Il essait ou il essai

Ils montres

Je leurs ai dit

Je vais vous démontrez

Il est partit a Montréal

Cela nous rendrais

Il ce corrige

Il n’es pas

Et j’en passe, ne voulant pas faire partager aulecteur l’écœurement singulier qui saisit le correcteurdevant ces erreurs si grossières et répétées cinq fois,dix fois, trente fois dans certaines copies… Et j’en-seigne à des jeunes gens — est-il utile de le rappeler?— qui ont derrière eux onze années de scolarité!

Alors, disons-le franchement, qu’en onze ans onne soit pas parvenu à leur apprendre les règles de l’ac-cord du participe passé (et je ne parle même pas desexceptions telles que l’accord des verbes pronomi-

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naux), qu’on n’ait même pas été en mesure de leurfaire accorder correctement un verbe avec son sujetou encore de distinguer entre à, préposition, et a,conjugaison du verbe «avoir» me laisse tout bonne-ment pantois et je ne pense sincèrement pas être leseul à m’en scandaliser.

Après de tels exemples, il est peut-être inutile depréciser que leur ignorance de l’orthographe lexicaleest à la hauteur de leur méconnaissance de l’ortho-graphe grammaticale. Je dirais même que, dans cedomaine, ils font preuve d’une imagination sanslimite. Pour nous borner à quelques exemples, ilsécriront, sans même jeter un coup d’œil au diction-naire qu’ils ont le droit de consulter durant les exa-mens:

«résonnement» (au lieu de «raisonnement»)

«r’apeler» (au lieu de «rappeler»)

«éfraillé» (au lieu d’«effrayé»)

«angoise» (au lieu d’«angoisse»)

«s’accrifiant» (au lieu de «sacrifiant»)

«paysants» (au lieu de «paysans»)

Évidemment, dans ce domaine de l’ortho-graphe lexicale règne une grande fantaisie indivi-duelle, et, quel que soit le souci d’objectivité que l’onait, on sera toujours porté à choisir les exemples lesplus frappants, ceux qui se sont inscrits dans notremémoire ou que l’on a relevés par écrit, mais qui nesont pas forcément les plus courants. Il serait fauxd’affirmer que, majoritairement, nos jeunes écriront

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«r’apeler» ou «éfraillé». Par contre, la première et la dernière faute de cette liste («résonnement» et«paysants»), je les ai rencontrées, je le jure, desdizaines, voire des centaines de fois. Je me souviensmême d’avoir tenté bien en vain, voilà quelquesannées, de faire de l’ironie à propos de cette confu-sion, qui à mon sens en dit long, entre les verbes«résonner» et «raisonner». Mais pour saisir lecomique involontaire de cette confusion, encore fau-drait-il être quelque peu sensible au poids et au sensdes mots, sensibilité que la majorité de mes élèves nepossèdent pas, puisque, par exemple, ils écriront sansrire «Il se rendra contre» (au lieu de «compte»); ou«en ce qui attrait». Quant à «paysants», on a beauleur dire que ce mot ne s’écrit pas comme ça et leurexpliquer qu’en français, lorsqu’on ignore la lettrefinale muette d’un mot, il suffit souvent de le mettreau féminin, la majorité d’entre eux continuerontobstinément à l’orthographier avec un «t».

Ces fautes, inlassablement répétées, cette obsti-nation, ce refus de se corriger sont troublants. Ils sontaussi la raison pour laquelle le débat périodique àpropos de la prétendue difficulté de la langue fran-çaise et de son orthographe, dans laquelle il y a tantd’exceptions, et les propositions de réforme qui endécoulent ne règleront rien au problème et ontmême — dois-je l’avouer? —, aux yeux du praticiende la correction que je suis, quelque chose de surréa-liste et de parfaitement oiseux, car toutes les réformesde l’orthographe imaginables ne parviendront pas à

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diminuer significativement le nombre de fautescommises par mes élèves dans leurs copies. À moinsde promouvoir une graphie entièrement phoné-tique, é ankor…

Finalement, il est plutôt triste et déprimant deconstater que, du point de vue de l’écriture et de lalangue écrite, nos élèves des débuts du XXIe sièclen’ont rien à envier à leurs grands-parents, qui étu-diaient jadis sous la férule du frère Untel et ins-crivaient consciencieusement sur leur feuille «AuCanada, taire de nos ailleux…». Reste à se demanderpourquoi.

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L’orthographe (suite),ou le «pourkoi» du «pourquois1»

Comment expliquer cette déroute, cette débâcle dufrançais écrit dans nos classes?

Certains, trop bien intentionnés, attribuent lafaute aux correcteurs, trop sévères, aux critères decorrection, trop stricts, ou invoqueront, pour le stig-matiser, un héritage judéo-chrétien qui expliquenotre rapport à la faute d’orthographe qu’on inviteraà corriger et à évaluer désormais de façon «holis-tique2»; ou, pourquoi pas, la faute en incombera à l’orthographe elle-même, si pleine d’exceptions, si compliquée, et on en réclamera à cor et à cri la

1. Fautes relevées dans des copies d’élèves de 1re secon-daire, La Presse, 7 novembre 2007.

2. Ainsi que le suggérait le fameux «rapport Berger», LeDevoir, 6 juin 2007.

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réforme, réforme dont je crois avoir montré l’ina-nité, par les quelques exemples donnés plus haut, si l’on vise du moins une réelle amélioration de lagraphie des scripteurs en herbe qui sévissent dansnos classes. C’est pourquoi, soit dit en passant, jesoupçonne ce discours bien-pensant sur la néces-saire réforme de l’orthographe et la complainte surles difficultés de la langue française de cacher biendes non-dits.

D’autres, non moins bien intentionnés, vontprétendre que le drame vient en grande partie du faitqu’au Québec on écrit en français mais on parle enquébécois. Dès l’entrée en première année, le gaminqui dit dans la rue et à table au souper «chu tanné»et «tsui que j’te parle» aura peut-être un peu de dif-ficulté à reconnaître sous leur graphie du dimancheces mêmes énoncés. Mais dans l’ensemble, affir-mons-le, c’est là aussi un faux problème. Primo,parce qu’il serait faux d’affirmer que tous les enfantsdu Québec parlent ainsi. Secundo,parce que cet esca-motage consonantique ou vocalique de la langueorale n’explique nullement pourquoi à dix-sept ansun grand nombre d’élèves ne sont pas capables d’ac-corder un adjectif avec un nom, un verbe avec sonsujet.

Certes, cette prononciation que l’on disaitautrefois «relâchée» ainsi que la tendance à la diph-tongaison des voyelles qui s’entend fréquemmentsont bien à l’origine de certaines fautes d’ortho-graphe. On les reconnaît à l’œuvre lorsqu’un élève

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écrit «consédérable» au lieu de «considérable»,«optination» plutôt qu’«obstination» (bizarre, si on y pense, car on aurait plutôt attendu «osti-nation»), «toute suite» et non «tout de suite», «àmettons que» pour «admettons», ou «sucide»,«étinérant», etc.

On relèvera aussi l’attribution si commune dugenre féminin à des mots commençant par unevoyelle: «cette extrait», ou quelques anglicismescourants tels que le fameux «dû à». Mais, répétons-le, ces fautes-là ne sont pas les plus courantes, et ninotre «français d’Amérique du Nord» ni même le«joual», s’il existe, ne justifient l’impéritie dont fontpreuve tous ces jeunes scripteurs.

Mais alors, si ce ne sont ni les difficultés suppo-sées de l’orthographe française ni l’identité linguis-tique québécoise qui sont en cause, quel est donc leproblème qui fait que tout écrit sorti des mains d’uncégépien moyen est encombré d’erreurs si grossièresqu’on en rougit ou qu’on devrait (collectivement,s’entend) en rougir?

La première raison de cette non-maîtrise pourle moins frappante des règles de base de l’ortho-graphe, c’est qu’on ne les enseigne pas.

J’entends déjà bien des hauts cris… Évidem-ment, présentée de façon aussi péremptoire, une telleaffirmation est fausse ou à tout le moins très approxi-mative. Disons alors qu’on les enseigne mal. Ce quirevient au même. Les résultats sont là pour le prouver.

Pourquoi mal? Parce que l’orthographe et ses

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règles (j’y inclus la syntaxe et la sémantique lexicale)ne sont pas enseignées et ensuite évaluées de façonsuffisamment systématique, et ce, dès le niveau pri-maire; car c’est à l’école primaire — quoi qu’endisent certains pédagogues — que devraient s’acqué-rir la lecture et l’écriture, cette dernière incluant lesrègles de base de l’orthographe et de la grammaire. Il ne devrait pas, à mon sens, sortir de nos écoles primaires des enfants chez qui il n’est pas encoredevenu une «seconde nature» d’accorder un verbeavec son sujet, un adjectif avec le nom auquel il serapporte. Au niveau secondaire, cette connaissancede la langue pourrait alors être à la fois approfondieet raffermie.

On me dira que c’est ce qui se fait déjà. Les pro-grammes l’attestent en effet. Celui du primaireaffirme même que l’élève «découvre graduellementla fierté d’utiliser une langue de qualité et l’impor-tance d’en maîtriser le code3». J’applaudis des deuxmains. Mais, soit le rédacteur de ce programme etmoi-même vivons dans deux mondes distincts et soigneusement séparés, soit mes élèves ont pour laplupart oublié cette fierté quelque part en chemin!

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3. Programme de formation de l’école québécoise —Domaine des langues, p. 72, accessible à l’adresse suivante:www.mels.gouv.qc.ca/dgfj/dp/programme_de_formation/primaire/pdf/prform2001nb/prform2001nb.pdf

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Le même programme énonce, au chapitre des«Attentes de fin de cycle4», que l’élève, à la fin dutroisième cycle (donc à la fin de son cours primaire),«orthographie correctement les mots usuels et lesverbes utilisés dans leurs formes les plus fréquentes.De plus, il effectue adéquatement les accords dans legroupe du nom de même que l’accord du verbe, de l’attribut et du participe passé avec l’auxiliaireêtre.» Rien à redire là non plus, sinon que ce n’est pasce qui se passe actuellement.

Peut-être faut-il en chercher la cause dansd’autres énoncés du même programme. Par exemple,à la même page, on trouve dans la description desattentes de «fin de premier cycle», cette phraselourde de sous-entendus: «Ses phrases sont généra-lement5 bien construites et habituellement délimitéespar une majuscule et un point. De plus, il orthogra-phie correctement la majorité des mots appris enclasse. Dans les cas les plus simples, il accorde les déter-minants avec les noms en mettant les marques du féminin et du pluriel appropriées.» En clair, celaveut dire que le professeur ne devra pas se montrertrop tatillon. Or est-il normal qu’après deux annéesd’école un enfant de sept ou huit ans ne soit pasencore capable de mettre une majuscule et un point

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4. Ibid., p. 79.

5. C’est moi qui souligne.

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au début et à la fin de chaque phrase? Doit-on semontrer indulgent s’il ne sait pas encore (après deuxans passés à l’apprendre et à se le faire répéter) accor-der en genre et en nombre un déterminant avec unnom? Est-il acceptable que, au second cycle cette fois,on exige de lui [sic,parce qu’exigern’est peut-être jus-tement pas le verbe qui convient] qu’il «effectue […]l’accord du verbe avec le sujet» mais seulement«dans les cas les plus simples»? Pourquoi, au troi-sième et dernier cycle du primaire, apprendre l’ac-cord du participe passé avec l’auxiliaire être, mais pasavec avoir? Trop compliqué? Et quand vont-ilsapprendre à reconnaître un sujet inversé ou à utilisercorrectement le «dont»? À l’université?! Prendrait-on par hasard nos enfants pour des demeurés?! Oualors, est-ce qu’on a peur, en haut lieu, de les brusquerà ce point en leur faisant apprendre trop de choses enmême temps?

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L’orthographe (suite et fin), ou pourquoi ne pas l’enseigner?

Peu importe, en définitive, les réponses qu’on appor-tera ou n’apportera pas à ces questions. Elles sont àelles seules révélatrices du laxisme qui règne dansl’école et au ministère dès qu’il est question de l’ensei-gnement en général, celui du français en particulier,et de tout ce qui peut de près ou de loin apparaîtrecomme une contrainte intolérable exercée contre unenfant: apprendre des règles et des conjugaisons,relire son texte, faire attention… bref, tout ce qui ESTrébarbatif mais qui doit néanmoins un jour oul’autre être SU.

Et ce laxisme, ce laisser-aller, se répercute trèsconcrètement dans les classes, où l’on favorise les exer-cices à trous, plus faciles que les dictées (et plus facilesaussi à corriger), mais combien moins formateurs1.

1. En ce sens, la proposition de la ministre d’imposer une

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On le retrouve encore à l’œuvre dans certaines pra-tiques contestables. Au primaire, par exemple, en toutcas dans certaines classes — je ne généraliserai pas,mais j’ai pu le constater de visu, et cela semble être uneattitude assez courante —, l’enseignante ne corrigedans les textes rédigés par les enfants que les fautes quisont sanctionnées, c’est-à-dire celles qui découlent derègles déjà apprises en classe ou — dans le cas de l’or-thographe lexicale — qui sont commises dans la gra-phie de mots qui appartiennent au vocabulaire quel’enfant est à ce niveau censé maîtriser. Qu’on ne sanc-tionne pas l’enfant pour des choses qu’il n’a pasapprises, c’est très bien, mais pourquoi ne pas souli-gner et corriger aussi sur sa copie les autres mots malorthographiés? Quel message lui envoie-t-on ainsi enne le faisant pas?

Ce laisser-aller linguistique est tellement ancrédans nos mœurs que, dans une classe (et ce, jusqu’aucégep), on n’ose même plus (ou du moins on hésite àle faire) corriger l’élève qui commet à l’oral et devanttous ses condisciples une faute grosse comme le

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(suite de la note 1)

dictée hebdomadaire aux élèves du primaire — mesure no 1— est certainement une bonne idée. Et il y a une certainetartufferie de la part de ceux qui n’y ont vu qu’un empiète-ment intolérable sur la sacro-sainte «liberté académique»des enseignants.

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bras: «Moé, si j’aurais…» Au primaire, les profes-seurs prétendront qu’il ne faut pas brimer l’enfantdans l’expression de ses idées ou de ses sentiments.Mais si le «si j’aurais» est toléré avec tant d’indul-gence à l’oral, comment veut-on qu’un enfantprenne l’habitude de le corriger à l’écrit?

Bref, cette absence d’enseignement, ce refusd’enseigner qui se cache derrière bien des attitudes, adans nos classes des effets dévastateurs. Car le pro-blème numéro un en ce qui concerne la pratique de l’orthographe n’est pas l’ignorance2, contraire-ment à ce qu’on pourrait penser, mais le «je-m’en-foutisme». La plupart de mes élèves qui écrivent «ilaurais» ou «des cheveux blanc» sont capables, si jela montre du doigt, de reconnaître leur faute. Enguise d’excuse, ils vous serviront même un «J’l’avaispas vue» ou «Oh, j’ai pas fait attention». Et c’est jus-tement là qu’est le nœud du problème: en les corri-

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2. Ignorance il y a pourtant, mais elle porte en général surdes points précis. La majorité de nos cégépiens, par exemple,ne maîtrisent ni le passé simple (ils écriront: «il fesa»; «ilcourra»; «il fût», etc.) ni le subjonctif, ne connaissent pasla règle de l’accord du participe passé avec «avoir» (tiens,tiens…), ignorent jusqu’à l’existence du «dont» que plu-sieurs confondent avec «donc». Des lacunes, donc, ils enont, en ce qui relève de la maîtrise du code, mais ce n’est pascela qui entraîne concrètement le plus grand nombre defautes.

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geant de façon indulgente tout au long de leurs coursprimaire et secondaire, on est soigneusement par-venu à leur faire comprendre qu’il n’était pas grave defaire des fautes d’orthographe, que ce n’était pasimportant d’écrire correctement. Et on se désespère,après cela, qu’ils ne l’aient que trop bien compris.

Parmi les causes de ce laxisme, on a déjà signalé— et j’y reviendrai à nouveau dans la suite — ce refusde sanctionner, d’imposer ou — pourquoi pas? —de sévir de la part de l’école québécoise, qui ne veutjamais se départir, dans sa relation aux élèves, d’unsourire indulgent. Et comme l’orthographe de nosélèves n’incite pas à l’indulgence…

Mais il est d’autres causes, moins connues,moins voyantes, mais dont les effets peuvent être tout aussi dévastateurs. À commencer par le fait quebien des enseignants ne semblent pas eux-mêmesconvaincus de l’importance à accorder à la maîtrisedu code orthographique par leurs élèves. Que pen-ser ainsi de ces enseignants du secondaire qui enparaissent si peu persuadés que l’un d’eux — d’aprèsle témoignage de mes élèves — leur affirme que la réforme de l’orthographe les autorise à dire et à écrire désormais «des chevals», tandis qu’un autre leur explique doctement que la graphie non phonétique du français (le fait que, par exemple, onécrit «corps» alors qu’on prononce «cor») provientde ce que les copistes de la fin du Moyen Âge étaientpayés à la ligne et s’arrangeaient donc pour ajouterdes lettres à la fin des mots afin d’augmenter leurs

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revenus? Mis à part l’ignorance ou, si l’on préfère, lemanque flagrant de connaissances qu’elles révèlent3,de telles remarques dénotent aussi une volonté, chezces deux professeurs, de rabaisser les exigences detoute correction de l’écriture, puisque avec un dis-cours de ce type, ils envoient à leurs élèves le messagesubliminal suivant: ne vous cassez donc pas la têteavec ça, vous avez bien le droit de faire des fautes,puisque l’orthographe est dans le fond parfaitementarbitraire et fantaisiste.

Ils me font penser à ceux qui — professeurs ou non — s’apitoient sur la trop grande complexitéde la langue française, dans laquelle il y a tellementd’excep tions! Rassurons-les en leur réaffirmant que,si ce n’était qu’aux exceptions de chaque règle quenos élèves faisaient des fautes, nous nous en esti-merions contents, mais que personne, que noussachions, ne considère comme une anomalie insur-

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3. Pour le lecteur qui ne s’est jamais posé la question et àqui on ne l’a jamais enseigné, ces lettres qui ne se pronon-cent pas et qui compliquent l’orthographe du français sontà l’origine étymologiques. AuxXIVe et XVe siècles, les copistesrappelaient par ce moyen l’origine latine des mots françaisen écrivant par exemple temps le mot que l’on trouve parfoisorthographié tan dans des textes antérieurs au XIVe siècle etqui venait du mot latin tempus.De même, corps, qui venaitde corpus; vingt, qui en latin se disait viginti; etc.

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montable le fait d’ajouter un «s» ou un «x» à unnom pluriel, ou d’écrire avec en «nt» et non avec un «s» un verbe à la troisième personne du pluriel!

Peut-être est-il temps, d’ailleurs, de faire un sortà cette idée de la difficulté de notre langue. MarinaYaguello, dans son petit livre intitulé Catalogue desidées reçues sur la langue4, rappelle que le françaisn’est pas plus difficile que toute langue pour laquelleil existe une variété orale et une variété écrite ou litté-raire, fatalement plus exigeante, car plus chargée detraditions, autrement dit toute langue appartenant à une ancienne culture de l’écrit: l’arabe, le grecmoderne, l’anglais lui-même. Eh oui, l’anglais, dontelle souligne elle-même qu’il est «considéré — à tort— comme facile». Il suffit de penser, dans cet anglaisréputé si facile, aux verbes irréguliers ou aux diffé-rentes graphies possibles du son «o».

Va donc pour ces sentiments! Va encore pourune méconnaissance au sujet de la langue, qui meparaît tout de même un peu gênante chez un profes-seur de français! Par contre, rien ne va plus quandces professeurs qui forment aujourd’hui nos enfantssont eux-mêmes le fruit d’un système d’enseigne-ment défaillant. Car il ne faut malheureusement pasnon plus se leurrer sur la maîtrise — disons, parfois

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4. Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la langue,Paris, Le Seuil, coll. «Points Virgule», 1988, p. 128-129.

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très approximative — de l’orthographe dont fontpreuve certains enseignants eux-mêmes. De cetteorthographe qu’ils sont censés enseigner!

En tant que père d’élèves, je me suis déjà littéra-lement arraché les cheveux lorsque, tandis que jelisais des courriers ou des «mots aux parents» éma-nant de l’école primaire que fréquentait à cetteépoque mon plus jeune fils, mes yeux tombaient surdes phrases telles que: «je vous attend»; «nousavons donc pensé d’organiser»; «les enseignantes etéducatrices parlerons»; «vous aidez votre enfant àêtre responsable en lui aidant à rapporter absolu-ment l’album dès le lendemain»; «les élèves […]accompagnés de leur titulaire» (ces deux der-niers mots au singulier, bien qu’ils soient suivis desnoms de deux enseignantes); «nous comptons survous, parents, pour poursuivre votre implication à la démarche éducative de votre enfant», etc. Cesquelques erreurs ont toutes été commises sur quatreou cinq feuilles volantes que nous reçûmes dans l’es-pace d’une année scolaire (et — fait insigne — pasun seul de ces messages du professeur ou de l’admi-nistration scolaire n’en était totalement exempt; je ledis au cas où l’on aurait l’idée de plaider l’accident!).

Comment peut-on vouloir, après cela, que ces enseignants du primaire soient stricts en ce quiconcerne l’orthographe de leurs élèves? Et c’est sans compter ceux qui, par méconnaissance, leurenseignent des âneries… Comme cette professeurede 4e année, le cas m’en a été rapporté, qui enseignait

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à ses élèves que «tout» s’accorde avec le mot qui suit,omettant de leur signaler que «tout» peut égale-ment être un adverbe. Quand plusieurs parentsd’élèves le lui firent remarquer, elle prétendit quec’était une distinction trop complexe pour ses élèveset que le cas de «tout» employé comme adverbe leurserait enseigné en 5e année. Même si on rectifie effec-tivement le tir l’année suivante (mais je soupçonneici — comme le firent les parents concernés, ouconsternés — une omission et une bonne dose de mauvaise foi), comment voulez-vous que cesélèves de neuf ou dix ans ne soient pas «mêlés»? Or,des cas pareils, on pourrait en citer jusqu’à demainmatin.

S’agit-il d’exceptions? Que nenni! Parlez-enautour de vous. Consultez la presse. Combien d’his-toires d’horreur n’entendrez-vous pas? Combien de coupures de journaux compilerez-vous — desarticles et des lettres ouvertes, notamment dans LeDevoir, et dans La Presse plusieurs chroniques dePierre Foglia —, qui ont déjà tenté d’alerter l’opinionpublique sur les piètres performances d’enseignantsou de futurs enseignants au niveau primaire, etmême secondaire, collégial, voire universitaire? Envain? Pas tout à fait. Des ministres déchirent leurchemise sur la place publique en déclarant haut etfort que cela ne se produira plus. Des commissionssont créées, des tests de français imposés à l’entréedans les facultés des sciences de l’éducation. Et lesprogrammes répéteront comme un mantra une

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énième fois qu’ils visent la pratique d’une «langue de qualité». Le présent pamphlet donnera au mieuxle même résultat. Car ensuite tout en restera là… Etc’est ainsi que, cahin-caha, on formera bientôt dansnos écoles une majorité de quasi-illettrés!

J’en entends déjà dire aussi que j’exagère, que«c’est pas si pire que ça», que tous les finissants dusecondaire n’écrivent pas de cette manière (et certes,il y en a de meilleurs et qui écrivent mieux, comme ilen est aussi certainement de pires, puisque nous nerecevons pas dans les collèges tous les élèves dusecondaire). Que répondre à ces incurables opti-mistes, sinon qu’en matière d’éducation, comme enbien d’autres domaines, il ne sert à rien de vouloir àtoute force jouer les autruches et se mettre la têtedans le sable?

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Le langage et la pensée

Pourquoi avoir aussi longuement insisté, dans lespages qui précèdent, sur cette question de l’ortho-graphe?

Tout d’abord, parce que c’est un symptômerévélateur d’une école qui ne veut plus enseigner, ouqui ne sait plus quoi enseigner — qui hésite parexemple entre l’expression, le droit à l’expression et la correction de la langue — ou encore qui ne saitplus comment enseigner — mais, comme on l’a ditplus haut, cela revient pratiquement au même… Carj’ai de la peine à me convaincre que, si on le voulaitvraiment, on ne serait pas en mesure, en onze annéesde scolarité, de persuader des élèves, par exemple,que le verbe «faire» à l’imparfait se prononce effec-tivement «fesait» mais s’écrit avec «ai», ou qu’aupassé simple, à la troisième personne du singulier, ildonne «fit» et non «fesa». Serait-ce d’une difficultétellement insurmontable si on se donnait seulementla peine de l’enseigner?

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Ensuite, parce que cette méconnaissance oucette maîtrise insuffisante des codes orthographique,syntaxique et linguistique qui caractérise la majoritédes élèves a des conséquences non seulement sur laqualité de leurs écrits et donc sur leurs performancesscolaires, mais aussi sur l’ensemble de leur scolarité etje dirais même de leur vie.

La langue, en effet, n’est pas seulement un outilde communication (de ce point de vue, mes élèvesme répondraient sans doute ce que leurs grands-parents répondaient déjà au frère Untel: «on se com-prend»), elle est aussi le véhicule de la pensée, ainsique le moyen d’expression privilégié de la culture.Comme l’a déjà déclaré le linguiste Émile Benveniste:«C’est ce qu’on peut dire qui délimite et organise cequ’on peut penser1.» Or, par-delà la question de l’or-thographe, la maîtrise limitée qui caractérise la pra-tique linguistique d’une bonne partie de mes élèvesentrave — et c’est plus grave à mes yeux que de ne pasaccorder un verbe avec son sujet — leur capacité àpenser et à exprimer leur pensée.

Ainsi, ils m’écrivent parfois dans leurs copies,lors d’examens, des phrases dans lesquelles l’incor-rection syntaxique ou l’imprécision du vocabulairesont telles qu’elles tiennent en échec toute tentative

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1. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1,Paris, Gallimard, coll. «TEL», 1966, p. 70.

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de compréhension. En lisant «Croyez-vous que lespoèmes nommés feront chacun face à une idéologiede la vie avant la mort?», «La vie humaine, est baséesur plusieurs aspect de la vie.» ou encore «Actuelle-ment, à l’heure actuelle, combien de personnes pen-sez-vous tient à l’importance des éléments de lavie2», on peut d’ailleurs se demander si eux-mêmescomprenaient ce qu’ils ont voulu dire.

Cette utilisation inadéquate du vocabulaire (et particulièrement du lexique abstrait propre audomaine de la pensée, ou alors de celui qui est, pour-rait-on dire, «culturellement chargé»), mais aussi dela syntaxe, génère dans leur discours des maladresses,des contradictions, des incohérences, et gêne consi-dérablement leur capacité à raisonner et à argu-menter.

Et quand on parle de lacunes lexicales, ou plusabruptement de pauvreté du vocabulaire des jeunesQuébécois, il n’est pas inutile de préciser de quoi onveut parler — faute de quoi on risque encore de pas-ser pour élitiste. En tant que professeur de français aucégep, je ne m’attends pas à ce que la majorité de mesélèves sachent ce que sont un zeugma, la métaphy-sique ou encore un sonnet ou la poésie lyrique. Jetenterai tant bien que mal de le leur expliquer.

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2. Sic et re-sic…mais je les recopie, comme on dit, texto.

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Mais je dois avouer que je ne m’attendais pas non plus, au début de ma carrière, à ce qu’ils me demandent la signification de mots tels que«archer», «arquebuse» (et tant de mots renvoyantaux contextes passés), «syllabe», «respectif»,«ambigu» et «ambiguïté», «paradoxe», «clergé»,«antisémite», «roman», ni à ce qu’ils confondent«serveur» et «serviteur», «laïc» et «athée»,«catholique» et «chrétien», «luxe» et «luxure»;non plus qu’ils ignorent notoirement dans leur trèsgrande majorité la différence entre «humaniste» et«humanisme», «communiste» et «communisme»— et je ne parle évidemment pas du sens de ces der-niers mots, mais bien de celui de leurs suffixes. À cesujet, on peut d’ailleurs se demander comment onconçoit l’abstraction quand on confond ainsi les «-istes» et les «-ismes».

Cette parenthèse ouvre à son tour sur un pro-blème plus large, car si à dix-sept ans on ne conçoitpas clairement cette distinction entre les mots en «-iste» et en «-isme», c’est, d’une manière ou d’uneautre, parce qu’on ne l’a pas (ou pas suffisamment)apprise. Mais ne jetons pas trop vite la pierre dans lacour de l’école, car il faut reconnaître aussi que cemalaise envers l’abstraction et la généralité est unproblème linguistique. N’entend-on pas couram-ment «des ethnies» [sic] pour qualifier des gensd’une origine ethnique différente de celle de la majo-rité, ou une «police» [re-sic] au lieu d’un «poli-cier»? Dans le même ordre d’idées, mes élèves

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diront souvent «des clergés» pour «des membresdu clergé», ainsi que «les royautés» pour désigner jene sais trop quoi.

On se lasse aussi de leur expliquer et réexpliquerle sens exact de mots qu’ils utilisent à mauvais escientet parfois carrément à tort et à travers (des mots telsque «démontrer», «élaborer» ou encore «problé-matique» ou «idéologie3»), au point que certainscollègues ont pris le parti extrême de leur en interdirel’utilisation dans leurs copies! Ce qui est tout demême un peu paradoxal: tout en reconnaissant una-nimement la pauvreté de leur vocabulaire, on envient à leur interdire des mots parce que personne n’aapparemment songé à leur en fournir une définitionexacte! Ou plutôt parce qu’après onze années de sco-larité, tous leurs enseignants (moi y compris) ontéchoué à éradiquer ces faux sens de leur esprit!

Or, peut-être suis-je de la vieille école, mais jesuis de ceux qui considèrent que, au moins depuisl’invention de la dialectique par Socrate ou Platon,

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3. Quelques exemples? Au hasard de quelques copies quime tombent sous le nez: «L’auteur démontre le paysage»;«J’élaborerai sur mon troisième point»; «l’idéologie de la mort»; etc. Dans cette bouillie langagière, dans ces textesoù l’impropriété des mots équivaut à l’imprécision de lapensée, «idéologie» devient un succédané d’«idée», de«conception», parfois même de «sensibilité», ou de n’im-porte quoi.

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s’entendre sur le sens exact des mots, préciser sa pen-sée (dans et par le langage) et s’acheminer peu à peuvers une vérité constituent l’une des activités les plusnobles de l’espèce humaine et l’un des buts fonda-mentaux de l’enseignement. Pas seulement parceque cela mène chacun d’entre nous à enrichir sa pen-sée, ses conceptions du monde, de la société et desgens qui l’entourent, mais aussi parce que, dans unesociété démocratique, ce débat incessant sur le sensdes mots et des idées est le seul moyen de s’entendreentre nous, d’aboutir à de véritables consensus. Jecrains malheureusement que mes élèves n’aient pasles moyens linguistiques et intellectuels pour partici-per à ces débats démocratiques. On constatera qu’onest bien éloigné ici de la question orthographique…

J’ajouterai que ce langage, ces mots qu’ils mal-mènent plus souvent qu’à leur tour n’ont pour eux aucune épaisseur: l’adjectif «populaire», parexemple, ne renvoie pas pour eux à «peuple» — ou bien c’est le mot «peuple» lui-même qui ne pos-sède aucune connotation particulière qui permet-trait de l’opposer aux élites culturelles ou sociales — ce qui les amènera à dire ou à écrire que Proust ou Réjean Ducharme sont des auteurs «populaires»ou que la philosophie grecque était très «popu-laire» à l’époque de la Renaissance. De même, ilsexpliqueront que les paysans (pardon, les «pay -sants»!) lisaient peu au Moyen Âge, non pas parcequ’ils étaient illettrés, mais parce qu’il y avait à cetteépoque peu de livres («paysans» étant pour bon

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nombre d’entre eux un terme générique qui désignedans leur globalité les gens des époques antérieures àla nôtre ou les habitants de pays lointains). De lamême façon, l’expression «ici-bas» ne signifierapour eux que «plus bas» (dans le sens d’infra) et nes’opposera pas le moins du monde à «là-haut» ou«au ciel», ni n’aura conséquemment dans leur espritla moindre connotation religieuse.

Il leur manque ce qu’on pourrait appeler le«sens de la langue», un manque qui se révèle avecéclat dans la question des niveaux de langue, certainsd’entre eux se révélant tout simplement incapables, jene dis pas d’utiliser une langue correcte au moinsdans leurs travaux écrits, mais tout bêtement de serendre compte qu’il existe un certain niveau delangue requis dans un cadre scolaire. L’un d’euxm’écrivit il y a peu un commentaire de texte sur Le Chevalier de la charrette dans lequel la reine Guenièvre n’était jamais appelée autrement que «la fille» et où Lancelot, son amant, devenait bienentendu sous sa plume «le gars»! «Bin quoi?C’t’une fille!», m’aurait-il certainement répondu si jelui avais fait remarquer ce jour-là que ce n’étaient pasles termes qui, dans ce contexte, étaient attendus. Unautre m’a déjà déclaré (lui aussi par écrit) que tel per-sonnage, à moins que ce ne soit un auteur, était toutsimplement «con». Si encore c’était de la provoca-tion! Si on pouvait y voir les prémices d’une quel-conque révolte ou revendication culturelle! Maisnon. C’est juste le signe d’une langue qui s’étiole.

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Car cette richesse lexicale, ces nuances, cesniveaux de langue, les connotations ou ce que j’aiappelé plus haut l’«épaisseur» des mots, c’est le seld’une langue, ce sans quoi on n’a plus affaire qu’à unidiome vulgaire tout juste bon à dire les choses de lavie quotidienne. Est-ce bien cela que l’on veut, une«novlangue» molle, primaire, sans relief ni difficul-tés où l’on déclinera à l’infini des monosyllabes à lasignification plus ou moins indéterminée: «C’estl’fun»; «c’est-tu plate…»?

Cette platitude ou mise à plat du langageentraîne chez bien des jeunes (et des moins jeunes)une inaptitude fondamentale à lire les allusions oules sous-entendus, sans parler des figures de style.Beaucoup ne concevront pas, en lisant les premièreslignes du Candide de Voltaire, qu’un baron n’est pasforcément un puissant seigneur «car son château» a «une porte et des fenêtres4», ou, plus loin dans le texte, que n’est pas neutre et simplement informa-tive l’expression «il était décidé par l’université deCoïmbre que le spectacle de quelques personnesbrûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secretinfaillible pour empêcher la terre de trembler5». Ou

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4. Voltaire, Candide, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1992,p. 19-20.

5. Ibid., p. 39; c’est le chapitre sur l’Inquisition.

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encore un élève, après avoir lu, toujours dans Can-dide (p. 27), «là des filles éventrées après avoirassouvi les besoins naturels de quelques héros ren-daient les derniers soupirs», m’écrit comme com-mentaire (sans doute après être allé — une fois n’estpas coutume — chercher le sens du verbe «assou-vir» dans le dictionnaire): «Les filles meurent maisavant tout après avoir été satisfaites.» Et que les fémi-nistes surtout ne montent pas aux barricades, il nes’agit ni de misogynie ni d’une apologie du viol!

Cette incapacité plutôt répandue à saisir l’allu-sion, l’ironie, le second degré — et parfois même le premier, comme dans l’exemple précédent —entraîne bien sûr un problème de compréhen-sion des textes, et pas seulement des textes littéraires,mais — pire encore! — elle jette sur tout écrit un peu travaillé un voile d’opacité à travers lequel lesmots, les phrases apparaissent mornes, sans relief,sans joie. Privés de leur épaisseur, de leur arrière-plan paradigmatique, les mots s’étiolent eux aussicomme une marguerite entre les doigts d’un amou-reux idiot.

Leur langage, si on le caractérise sommairementpar son lexique peu abondant et presque exclusive-ment concret, par leur inaptitude à manipuler desconcepts abstraits ou à tenir un discours ou des juge-ments un tant soit peu nuancés, par sa dimensionessentiellement linéaire et sans relief, me fait irrésis-tiblement penser à la novlangue imaginée jadis par George Orwell, dont on rappellera que, selon

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les termes du romancier lui-même, elle «était desti-née, non à étendre, mais à diminuer le domaine de lapensée6», tâche dont elle s’acquitte entre autres enréduisant le nombre de mots qui existaient aupara-vant dans l’ancilangue:

[…] en comparaison avec le vocabulaire actuel,

il y en avait un très petit nombre et leur sens était

délimité avec beaucoup plus de rigidité. On les

avait débarrassés de toute ambiguïté et de toute

nuance. […] Il eût été tout à fait impossible

d’employer le vocabulaire A à des fins littéraires

ou à des discussions politiques ou philoso-

phiques. Il était destiné seulement à exprimer

des pensées simples, objectives, se rapportant en

général à des objets concrets ou à des actes maté-

riels7.

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6. George Orwell, 1984, Paris, Gallimard, coll. «Folio»,1950, p. 423.

7. Ibid., p. 423-424. Coïncidence de plus, dans les para-graphes qui suivent (p.426), Orwell, ou plutôt ici sa traduc-trice française, Amélie Audiberti, donne comme exemple dupassage de l’ancilangue à la novlangue l’abandon des plu-riels irréguliers: un cheval, des chevals (est-ce que ça ne vousrappelle rien?) et la suppression résolue du pronom relatif«dont».

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Les termes du lexique des élèves ne sont plusque des mots-signaux au sens limité (par exemple, lemot «raison» ne s’emploie plus que dans la locution«avoir raison»); les expressions toutes faites domi-nent une prose figée sans recouvrir un sens biendéterminé («De tout temps, les êtres humains…»n’a pas vraiment besoin d’introduire un ordre de faitréellement universel); leurs jugements sont péremp-toires, sans nuance et sans appel (on a un jour taxé Ronsard de «pédophile» parce que je leur expli-quais que la fameuse Hélène à qui s’adressait sonpoème était selon nos critères très jeune…); ce lan-gage appauvri ouvre sur un conformisme généralisé. Et cela a des répercussions dramatiques dans lesdomaines connexes de la réflexion et de la pensée.Beaucoup de mes élèves — répétons-le — sont toutbonnement incapables d’exprimer de façon à la foisclaire et précise une pensée qui échappe simplementà leur environnement familier.

Cette maîtrise limitée du langage, cette pauvretédu vocabulaire, leur impact sur la pensée, je ne suispas seul à les constater. Je ne connais pas un collèguequi n’en soit conscient et qui ne s’en gausse parfois,excédé par la vingtième réapparition dans la mêmecopie du verbe «démontrer» abusivement employé,ou qui ne cite parfois des phrases tellement torduesqu’elles en deviennent incompréhensibles.

Et ces problèmes ne datent pas d’hier! De son vivant, quelqu’un comme Pierre Bourgault en avait déjà à plusieurs reprises souligné l’évi-

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dence8. Qu’avons-nous fait de ces avertissements?Rien.

Personnellement, j’ai eu la velléité un peuinconsciente, et sans doute un peu idiote (ou dumoins quelque peu suffisante), de vouloir faireapprendre par cœur à mes élèves des listes de motsdont il me semblait qu’ils leur permettraient — s’ilsles retenaient — de s’exprimer avec un peu plus declarté, de mettre un nom sur les intuitions intéres-santes qui sont parfois les leurs, mais qui demeurenttrop souvent bafouillantes et confuses, faute desoutils linguistiques adéquats pour les expliquer. Carj’ai chaque fois un pincement de cœur lorsqu’un demes élèves confronté à une idée un peu difficile, etpoussé dans ses retranchements par mes questionsqui ne se veulent pourtant pas trop insistantes, finitpar renoncer en me disant: «Oh, laissez faire…»d’un ton de voix désabusé. Il y a de la douleur dansces renoncements.

À l’oral, d’ailleurs, le «genre… t’sais» est larègle, et on est content quand on réussit à arracher à la plupart d’entre eux une phrase complète qui

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8. Entre autres dans «Un comme ça, un comme ça, pis uncomme ça…», article daté de 1979 et paru en 1983 dans sesÉcrits polémiques 2,Montréal, VLB éditeur, p. 144-147, ou«La langue, ça sert à quoi?», daté du mois d’octobre 1975et paru dans le même recueil, p. 123-128.

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échappe enfin à ce bredouillage généralisé. On prendpresque cela pour une victoire.

Mais j’ai bien peur qu’à dix-sept ans il ne soittrop tard pour leur apprendre à structurer leursphrases et par conséquent leur pensée, à choisir leurs mots, à présenter et à défendre des idées sansforcément conclure sur un «c’est ça que j’voulaisdire» quand, lassé par tant de circonlocutions, onleur met finalement nos mots dans la bouche.

Qu’est-ce que cela coûterait, dès le primaire, aulieu (ou en plus) d’établir, comme cela se fait déjà, deslistes de mots courants dont la graphie est censée êtreapprise au terme de chaque année, d’y adjoindre, jene dis pas des mots rares, mais des termes plus pré-cis? Serait-il au-dessus de nos moyens de corriger lesprises de parole de nos bambins (et jusqu’à l’univer-sité), cela afin de les amener peut-être à affiner leursopinions et leur expression? Si nous croyons, neserait-ce qu’un peu, à l’avenir, il me semble qu’il seraitde notre devoir de tout essayer pour tenter d’échap-per à cette très contemporaine forme d’aphasie qui sedissimule trop souvent et trop aisément derrière lesdivers avatars d’un bavardage généralisé.

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Mot d’excuses à mes élèves allophones

Précisons en commençant qu’il ne sera pas questionici de tous mes élèves d’origine allophone, car il en est qui se retrouvent souvent parmi les premiers declasse et qui commettent dans leurs copies — ce quine laisse pas d’être troublant — moins d’erreurs lin-guistiques, y compris les fautes d’orthographe,qu’une grande partie de mes élèves dont le françaisest pourtant la langue maternelle.

Ceux-là, qu’ils viennent du Cambodge, du Viêt-nam, de la Roumanie, de la Russie, du Portugal ou dela Colombie, ou bien qu’ils soient nés ici, au Québec,qu’ils aient brièvement été intégrés à notre systèmescolaire ou qu’ils y aient fait au contraire toute leurscolarité, je les salue bien bas et je les remercie desefforts qu’ils ont consentis pour apprendre notrelangue, la leur désormais.

Non. Ce petit texte, ce mot d’excuses, puisque jel’ai intitulé ainsi, s’adresse à tous ceux à qui on n’a pas

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jugé bon d’apprendre le français, ou en tout cas, etpour mieux dire, d’apprendre suffisamment le fran-çais. Il s’adresse à Vanessa, qui n’a passé que six moisen classe d’accueil alors qu’elle ne parlait pas un motde français lorsqu’elle a mis pour la première fois lepied à Montréal, entre ses deux parents; à Yihui, à quion a décerné un diplôme de fin d’études secondairesbien qu’il continue à parler et à écrire un français desplus approximatifs; à Léon-Désiré, dans la familleduquel on ne parle que le créole; à Darseha, qui a dûabandonner mon cours parce qu’elle ne comprenaitpas plus mes paroles quand je m’exprimais devant laclasse que les textes classiques que je devais lui fairelire. Auprès de vous tous, je m’excuse de vous avoirfait échouer à un cours que vous ne pouviez pas réus-sir parce qu’on ne vous y avait pas préparés. Cetéchec, ces échecs répétés, je ne m’en excuse pas parceque je m’en sens responsable. À mes yeux, je n’avaispas le choix. Je m’en excuse tout simplement, car jeles trouve injustes.

On parle beaucoup d’intégration ces dernierstemps et tout le monde s’entend pour dire que lalangue est le premier vecteur d’intégration, au pointque d’aucuns ont pu songer à en faire un critère pourl’obtention d’une éventuelle citoyenneté québécoise.On a parlé de faire passer aux immigrants un testd’aptitude en français. Pourquoi pas? Je dois dire quetous mes élèves allophones réussiraient haut la mainun tel test, du moins à l’oral. À l’écrit, c’est moins sûr. Mais ce n’est pas là ce dont je veux parler. Mes

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élèves sont tous «fonctionnels» en français. Ils sontaptes ou prêts à vivre et à travailler en français. En revanche, peu d’entre eux, et c’est à eux que jem’adresse, possèdent une capacité linguistique suffi-samment développée pour suivre des études supé-rieures dans la langue de Molière.

On me dira que ce n’est pas à nous de nous culpabiliser avec ça, qu’on fait déjà beaucoup pour lafrancisation, que c’est peut-être à eux de se prendreen main et d’améliorer leur français — et dans unsens, c’est vrai. L’école ne peut suffire à tout. Elle nepeut pallier le fait qu’une langue ne s’apprend pasuniquement durant les heures de classe, assis sur unechaise. Que peut faire l’enseignant si ses élèves allo-phones, une fois rentrés chez eux, ne parlent plusqu’en chinois, en arabe ou en espagnol avec leursparents comme avec leurs amis, n’écoutent jamais latélévision, n’ouvrent jamais un livre en français? Pasgrand-chose. À peine osera-t-il, par politesse, suggé-rer à leurs parents que, s’ils ont fait le choix de vivredans leur langue maternelle au sein de leur foyer,d’avoir une antenne parabolique pour capter leschaînes de télé de chez eux, de ne fréquenter, commec’est trop souvent le cas, que des gens originaires de leur pays, ils ne devraient pas s’étonner ensuiteque leurs enfants éprouvent à l’école des difficultésen français.

L’école n’a donc pas tous les torts. Là où cepen-dant elle ne fait pas son travail, c’est en ne leurenvoyant pas, à ces élèves allophones, un message

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clair au sujet de l’aptitude requise, du point de vuelinguistique, s’ils ne veulent pas seulement être«fonctionnels» socialement, mais aussi s’intégrerculturellement à la «nation» québécoise et — acces-soirement — progresser professionnellement. Il y aun niveau minimal de connaissance d’une languepour magasiner, et un autre — très différent — quipermet d’avoir accès à Proust ou à Gaston Miron, derédiger une thèse ou une dissertation.

Si ce message n’est pas clair, je crois, c’est qu’auprimaire comme au secondaire le niveau des exi-gences en matière de correction linguistique n’est pasassez élevé, ainsi qu’on l’a suggéré dans les chapitresprécédents. Si, dans le cas d’un francophone de nais-sance, ce laxisme linguistique est déjà délétère, il estproprement catastrophique pour un allophone àqui, tout au long de sa «carrière d’élève», on ne four-nira pas les outils (dont un enseignement plus systé-matique des règles de l’orthographe, de la syntaxe etde la grammaire) pour atteindre en français la com-pétence requise par des études supérieures1.

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1. À l’inverse, il y a dans certains quartiers montréalais desclasses si multiethniques qu’elles se voient, de facto et enquelque sorte par la force des choses, transformées en classesde français langue seconde où de (rares) petits franco-phones se sentiront peut-être un peu perdus et — c’est plusgrave — perdront certainement leur temps, comme ce

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Pire, je soupçonne de nombreux enseignants etmême, lors des examens du ministère, des examina-teurs de faire preuve d’une indulgence non pas injus-tifiée mais contre-productive lorsqu’ils évaluent leursélèves allophones ou des candidats dont le nom aune consonance étrangère. Comment expliquerautrement le fait que je me retrouve dans un cours de littérature avec des élèves qui ont obtenu leurdiplôme de fin d’études secondaires et qui peuventécrire des phrases aussi peu françaises que «Sa peutcrée une ambiguïté parceque des fois la pièce estcomique et Des fois elle tragique, c’est pour ça ellecrée une confusion mais au même temps sa te poussea lire parceque elle ni tragique ni comique entre lesdeux»?

Ce charabia fait misérabiliste, certes, pourtant ilne prête pas à rire2. Car derrière ces mots maladroits

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(suite de la note 1)

gamin de cinq ans qui raconta à ses parents étonnés que leurprofesseure leur avait demandé à tous de nommer un vête-ment et d’indiquer sa couleur! Vous savez: «Je porte unchandail rouge. Est-ce que Paul porte un chandail rouge?Oui, le chandail de Paul est rouge. Le chandail de Marie est-il rouge? Etc.»; ce qui n’est évidement pas souhaitable nonplus.

2. Ou il s’agit d’une exception, songeront sûrement cer-tains. Ce n’est malheureusement pas le cas, et pour en

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se cachent bien des rancœurs et bien des détresses, etcombien de parcours individuels brisés! J’ai connuun jeune homme d’origine chinoise avec qui j’ai eu lachance de parler avant qu’il n’abandonne mon coursde littérature. Il m’avoua qu’il ne comprenait ni lestextes que je lui demandais de lire ni mes cours. Il meraconta qu’il s’était jusque-là cru trilingue, mais qu’ilprenait douloureusement conscience qu’à dix-huitans il ne parlait et n’écrivait en fait aucune langue.«Mon français est pourri», me dit-il en substance,

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(suite de la note 2)

convaincre le lecteur, je ne peux que lui en assener quelquesexemples supplémentaires, relevés eux aussi au hasard descopies: «Nous allons voir maintenant comment Sganarelledéfendre son point de vue. Il essait de convainque Don Juanpour qu’il croit à la religion. Il n’arrive pas défendre lacroyance correctement car il ne connait pas très bien»; ouencore: «leurs discours qui mèner les gens leurs point devue»; «L’inégalité entre les classes sociales étaient remarca-blées»; «Une explication qui ne [n’est] pas très convain-cante». Et malgré que certains de mes élèves allophonesécrivent comme ça — ce qui ne préjuge en rien du niveauscolaire qui peut être le leur par ailleurs, bien qu’il soit évi-dent que ce problème linguistique entrave aussi leur com-préhension des cours —, on a jugé normal de leur décernerun diplôme de fin d’études secondaires en français! Ceserait presque comique si cette indulgence mal placée nelaissait derrière elle tant de destins malmenés.

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«du cantonnais je ne connais que quelques phrasesusuelles; et je me suis vu interdire l’entrée d’un cégepanglophone parce que ma connaissance de l’anglaisétait insuffisante.» Est-il utile de préciser que cejeune homme arrivé chez nous en bas âge avait faitune partie de son primaire et tout son secondairedans le système québécois?

Il en existe beaucoup à Montréal, de ces jeunesqui pratiquent couramment trois langues, leurlangue maternelle à la maison et dans la rue, enconcurrence avec l’anglais et le français à l’école, maispour qui aucun de ces trois idiomes n’est suffisam-ment maîtrisé et connu pour tenir le rôle de «languede culture», c’est-à-dire d’outil linguistique assez finpour pouvoir tout dire et tout lire.

D’autres sortent des cours de francisation de laCSDM ou des COFI et veulent entreprendre desétudes afin d’améliorer leur formation ou se recycler,mais ils n’ont tout simplement pas la compétencerequise en français pour suivre des cours au collègeou à l’université. Qu’ils s’estiment déjà heureux quela société québécoise leur paie des cours de français etqu’ils se prennent en main s’ils veulent s’améliorer!Si — à la limite — une telle solution est acceptablepour des adultes, que faire de ces enfants ou de cesadolescents qu’on intègre si vite dans les classes régu-lières qu’ils n’ont que peu de chances de réussir leurscolarité à la mesure de leurs talents? Et pourquoi les y intègre-t-on si vite, si ce n’est avant tout pour des raisons budgétaires, puisque les classes d’accueil

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coûtent si cher? Mais c’est à tous points de vue unmauvais calcul, car on se prive ainsi d’un grandpotentiel humain et on maintient tout un pan de lapopulation dans un terrain vague linguistique, dansune zone d’indétermination culturelle qui, sociale-ment, leur cause et nous cause beaucoup de tort — etça, c’est quand on ne leur fait pas haïr le français!

Alors, Fatma, Linh, Arnoldo, Paveena ou Richo-phène, excusez-moi encore de vous avoir fait échouerà un cours que vous ne pouviez pas réussir, et par-donnez-moi aussi si j’ai refusé de vous mentir et quecela a pu parfois vous blesser…

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De la «culture commune»

«La Vierge Marie, ç’a-tu un rapport avec la mytho-logie grecque?», me demanda récemment un demes élèves («de souche», précisons-le) qui avait àlire et à analyser un poème de François Villon, LaBallade des pendus.Ça ne s’invente pas…

Une autre, quelques années auparavant, m’avaitquant à elle questionné à propos d’un film vu la veilleà la télé: «Sissi, vous savez, genre, c’tait pas au MoyenÂge?» Eh non… Et moi de lui expliquer qu’Élisa-beth de Habsbourg, surnommée Sissi, avait vécu auXIXe siècle, à l’époque, en effet, des robes à crinoline,des épaulettes et des favoris pour les officiers, destrains à vapeur, etc. «Bin, c’était pas au Moyen Âgetout ça?», redemanda-t-elle alors, rendue tout àcoup incrédule, ou parce que son ignorance même larendait soupçonneuse1. Comment croire, et en plus

1. Si l’on en croit l’article de Christian Rioux et Magali

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ne se le faire dire qu’àdix-sept ou dix-huit ans, que cequ’on a toujours cru est tout simplement faux?

J’ajouterai que ce dernier exemple offre untémoignage troublant de l’«écrasement» que subitle temps dans l’esprit de ces jeunes que j’ai en face demoi. On a souvent l’impression que pour eux régnaitsur Terre, avant leur naissance ou celle de leursparents, un «âge des ténèbres» d’avant le micro-ordinateur qu’ils confondent avec le Moyen Âge.Combien de fois me suis-je fait dire par des élèvesque s’ils avaient du mal à lire Baudelaire ou Flaubert,c’est parce que ces derniers écrivaient en «ancienfrançais»? Combien de fois ai-je entendu des juge-ments carrément sans nuances sur le passé, mêmerelativement récent? Il est vrai que l’ignoranceincline rarement à un recul propice à la réflexion etencore moins à l’indulgence.

Une troisième, excellente élève par ailleurs, serévéla incapable, elle, lors d’un cours, de me nommerne serait-ce qu’un personnage ou événement duXIXe siècle, pas un homme politique, pas un compo-siteur, ni Beethoven, ni Napoléon, ni Jules Verne, niPapineau, ni la guerre de Sécession, ni la Confédéra-

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(suite de la note 1)

Favre, «Les manuels de l’insignifiance», paru dans L’actua-lité du mois d’avril 2008, ce ne sont certainement pas lesnouveaux programmes d’histoire de 1re et 2e secondaire quivont remédier à cette ignorance ou à ces confusions.

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tion. Nada! Nothing! Rien! Et elle sortait d’une écoleinternationale réputée, l’une des meilleures de larégion.

Bref, si je donne ces quelques exemples, c’estpour que l’on cesse d’accréditer l’idée que le seul etunique problème de l’école québécoise résideraitdans les lacunes en orthographe et plus largement en français des élèves qu’elle forme et de certains de leurs enseignants. Il n’y a malheureusement pas que la langue qui ne s’y enseigne pas, et pour trou-ver au sein de nos classes une quelconque «culturecommune», le moyen le plus sûr est encore d’évo-quer le message d’une campagne publicitaire encours, un film récent ou une émission diffusée laveille à la télévision. Je ne sais pas précisément — je ne suis pas dans ses petits papiers — si c’est ça que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport entend par «culture commune» ou «culturegénérale». Ce que je sais, en revanche, pour en êtretombé des nues à chaque rentrée, c’est qu’en guise de«culture» l’école (primaire, puis secondaire) ne leuren fournit aucune.

Le programme ministériel, pourtant, surtoutdepuis la fameuse «réforme», insiste beaucoup surcette dimension culturelle, sur cette «culture com-mune» à acquérir dès le primaire. Une des compé-tences du «domaine des langues» n’est-elle pas:«Apprécier des œuvres littéraires» (p. 84)? De cetteappréciation, il est dit qu’elle «contribue de façonparticulière à nourrir l’identité personnelle et cultu-

DE LA «CULTURE COMMUNE» 71

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relle de l’élève en suscitant l’exercice de sa penséecréatrice et de son jugement critique» (p. 84). On nesaurait dire mieux, et je souscris sincèrement à unaussi noble objectif. Quant aux compétences propresau «domaine de l’univers social», elles «invitent àcomparer l’ici et l’ailleurs, l’hier et l’aujourd’hui» etne visent rien moins que développer chez l’élève «lacapacité de mise en perspective et celle de distancia-tion, premier pas vers une compréhension éclairéedes réalités sociales et territoriales» (p.165). Qu’ajou-ter? Sinon que quiconque fréquente d’un peu prèsl’école québécoise s’est malheureusement habitué (aupoint de le trouver normal?) à ce discours surréaliste,totalitaire ou schizophrène, au choix, qui émane desofficines ministérielles et qui fait au moins deux avecla réalité. À travers son volet «pédagogie par pro-jets», le «renouveau pédagogique» invitait pourtantà une démarche transdisciplinaire qui aurait puaboutir à des desseins plus ambitieux2.

72 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

2. Je me dois, à ce propos, de signaler une série de manuelspour les trois cycles du primaire qui ont magistralementrelevé ce défi de la réforme. Il s’agit des manuels Lexibul,Ankor et Cyclades, publiés chez Modulo et dont les concep-teurs (France Lord, Daniel Lytwynuk, Joëlle Morissette etIsabelle Péladeau), que je salue ici, osent au fil des pagesplonger les élèves qui ont la chance de les utiliser dans unvéritable bain culturel où ils fréquenteront Ulysse, le roiArthur ou Ivan Yakovlévitch, le héros de la nouvelle «Le

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Remarquez que, au moment où j’écris cela, jeme fais à moi-même la réflexion que je ne suis peut-être pas bon juge de ce que le mot «culture» signifieencore, à une époque où la section «culturelle» dujournal télévisée évoque surtout, pour ne pas direessentiellement, des chanteuses dont le déhanche-ment suggestif semble au premier regard plus atti-rant qu’une tirade d’Hamlet ou que le mouvementallegro molto vivace d’un concerto de Tchaïkovski.

J’ai bien peur, en citant Shakespeare, Napoléon,Beethoven, Tchaïkovski, Papineau et les Patriotes ouencore Jules Verne, de me faire l’apologiste anachro-nique de ce que d’aucuns appelleront la «culture de grand-papa» (qui est cependant la mienne, et jene suis pas si âgé).

Alors, avant de me répandre en lamentationsnostalgiques sur cette absence de «culture communeou générale» chez mes élèves, il convient de préciserce que j’entends par là et quelle «culture» je juge quel’école doit transmettre à mes enfants. Soulignons

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(suite de la note 2)

nez», de Gogol, ainsi que les impressionnistes, les Filles du roi, Jean Talon, l’histoire du Québec et la grammaire dufrançais. Bravo! Ce genre de manuels et les enseignants quiles ont conçus et rédigés me convaincraient presque que leproblème n’est pas la «réforme» en tant que telle, mais bienla façon dont elle est menée.

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tout de suite que ce que j’appelle ainsi, ce n’est pas laCulture (avec un grand «C») tout enrubannée demondanités qui s’étale parfois comme de la confitureque l’on tartine trop généreusement et ce n’est pasnon plus la Kultur qui invite à se complaire dans des célébrations politico-patriotiques du passé. La«culture», dirais-je — et j’abonde ainsi dans le sensde ce qu’en dit le ministère — c’est ce qui permet dese situer dans la réalité actuelle, de savoir d’où vient le monde dans lequel on vit (ce qui permet aussi de se demander où il va), bref, ce qui donne du reliefau présent et un minimum de recul à l’individu pourjuger de sa propre existence. Vous voyez, il n’y a rienlà, me semble-t-il, ni de trop cuistre ni d’exagéré-ment nostalgique. Y a-t-il trop d’affectation à pré-tendre que c’est cette culture-là que l’école doit trans-mettre afin de former des citoyens clairvoyants et desêtres capables d’exercer leur jugement par rapportaux discours ambiants, aux modes et autres sollicita-tions du présent?

Dans une telle perspective, serait-ce tropdemander que des jeunes issus du secondaire aientune petite idée de la succession des époques et de lachronologie de la civilisation occidentale, un vernishistorique (savoir au moins grosso modo ce quefurent l’Empire romain, la féodalité, la Renaissance,la révolution industrielle ou la Seconde Guerre mon-diale; que des noms tels que Louis XIV, Frontenac,Abraham Lincoln, Lénine, Hitler ou Jean Lesage neleur soient pas tout à fait étrangers), une connais-

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sance même approximative de la géographie dumonde (pouvoir situer sur une carte le Moyen-Orient, la Méditerranée, le Japon ou la Colom-bie), qu’ils aient entendu parler de certains grandsauteurs (Molière, Victor Hugo, Nelligan ou MichelTremblay, et pourquoi pas Gogol ou Kafka) et peut-être même qu’ils les aient lus, qu’ils aient déjà réfléchià des notions comme celles de «démocratie», de«liberté», etc., que peut-être même on leur ait faitécouter (mais j’ambitionne un peu ici) un extraitd’un opéra de Mozart ou une valse de Chopin?

Peut-être me rétorquera-t-on toutefois quecette culture élitaire et passéiste n’est qu’un embarrasquand du passé il faut faire «table rase» afin de pré-parer prioritairement nos chers petits et nos adoles-cents aux défis de l’avenir, qui se déclinent — commechacun sait — sur le mode de la nouveauté, du chan-gement et de l’adaptation aux nouvelles technolo-gies: autres mantras d’une époque qui préfère selivrer aux mirages de la technique plutôt que de s’in-terroger sur son propre sort, tout en se laissant candi-dement porter par les événements.

N’entend-on pas d’ailleurs, tel un leitmotiv denotre modernité, ce poncif: «Mais les connais-sances, mon cher monsieur, c’est dépassé quand onpeut y avoir accès à volonté en deux clics de souris?»Remarque absurde s’il en est, car ces connaissancesprétendument disponibles, encore faut-il avoir l’idéed’aller les chercher et savoir comment s’y prendre. Eneffet, sur quel point d’Archimède prendre appui

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pour amorcer une recherche ou tout simplementpour penser, quand on n’a pour soi que son igno-rance? Comment ensuite discriminer le vrai dufaux? Cette prétendue connaissance organique desréseaux n’est dans les faits qu’une invite à l’ânonne-ment généralisé et au plus plat des conformismes.

Alors, à ces si enthousiastes chantres du progrès,enthousiastes au point de s’aveugler, je répondrai parcette citation de Marc Bloch: «Celui qui ignore lepassé est condamné à le revivre.» Croire que le pro-grès, fût-il technologique, est un mécanisme aussiaveugle que l’antique destin, c’est préparer des len-demains qui déchantent. De plus, on pourrait aussileur remontrer, à ces thuriféraires de la jeunesse et duprésent, que si les jeunes en question ignorent à peuprès tout du passé, ils n’en connaissent pas long nonplus sur le monde contemporain. Dans une classe de niveau collégial, il m’est déjà arrivé de constaterqu’un seul de mes élèves était en mesure de citer lesnoms des quatre principaux partis politiques pré-sents sur la scène fédérale (et, si je me souviens bien,c’était une année d’élection). Le plus souvent, ilsignorent également qui, selon la Constitution cana-dienne, occupe la fonction de souverain ou de chefde l’État, ou bien qu’il n’est pas nécessaire, en raisondu mode de scrutin, d’obtenir la majorité des voix aupays pour y gagner une élection et former un gouver-nement majoritaire.

Me dira-t-on qu’ils ne sont pas les seuls à ne pass’intéresser à la politique? Mais ils ne connaissent pas

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plus la société dans laquelle ils vivent. Je me suis déjà fait dire qu’aujourd’hui, tout le monde gagne «à peu près le même salaire», et qu’au Québec lesimmigrants sont majoritaires! Quant à ce qu’ils pen-sent des pays étrangers, les clichés ethnocentriquesfont frémir… Il semble donc que «l’hier et l’aujour-d’hui», «l’ailleurs et l’ici» ne s’opposent pas forcé-ment et qu’une bonne connaissance des premiers per-met bien souvent de mieux comprendre les seconds.

Le second argument souvent avancé, couplé laplupart du temps au souci du décrochage scolaire età une paternaliste bienveillance envers les «jeunes»,c’est cette idée qu’il faut leur parler, à l’école, dechoses qui les intéressent, et en disant cela on tientbien entendu pour acquis que la littérature, les étudeshistoriques, la sociologie ou la musique classique nepeuvent éveiller chez eux le moindre intérêt. Enapparence, cet argument s’accorde très bien avec ladoxa libérale dans laquelle baigne la société québé-coise, qui met partout en avant et légitime les choixde l’individu.

On peut toutefois lui opposer, à cette apparentesollicitude, l’idée que ces objets de l’intérêt des«jeunes» ne sont pas innés, qu’ils sont même pro-mus à coups de millions par des producteurs, despublicitaires, des concepteurs d’émissions de télévi-sion, et qu’en outre le rôle de l’école est peut-être jus-tement de leur faire découvrir, afin d’élargir leurshorizons, une culture qu’ils ne connaissent pas et àlaquelle ils n’auraient pas autrement accès.

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Dans une entrevue récente3, le pianiste AlainLefèvre soulignait lui aussi avec force l’inanité de cetalibi du choix: «L’exercice de la démocratie, disait-il,ne se fait plus. On ne peut en effet pas dire que lesenfants ont choisi de ne pas écouter de musique clas-sique, puisqu’il ne leur en est pas proposé.»

C’est pourtant au nom de cette (fausse et illu-soire) liberté que l’on a adopté dans nos écoles cette«pédagogie du vécu» que Pierre Bourgault dénon-çait voilà déjà plusieurs années. Je ne résiste pas àl’envie de le citer lui aussi, tant le jugement semblemalheureusement actuel et tant le diagnostic est sûr:

Le professeur qui ne donne aux élèves que ce

qu’ils veulent ne leur donne que ce qu’ils ont

déjà. […]

Or, la culture est une valeur ajoutée […]. Elle se

construit par strates et agrandit le «vécu» au

lieu de l’y réduire. Mais l’élève à qui on impose la

pédagogie du vécu se voit contraint d’y être

enfermé. […] Il ne saura rien parce qu’il n’aura

rien appris. Et il finira bien par ne rien vouloir

savoir4.

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3. Dans la revue syndicale Forces,no 150, juin 2007.

4. Pierre Bourgault, Écrits polémiques 3. La colère,Outre-mont, Lanctôt éditeur, 1996, p. 23-25.

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La très grande majorité des élèves qui arrivent àdix-sept ans dans ma classe ressemblent malheureu-sement à cela. On a réussi, en onze ans de scolarité, à les dégoûter d’apprendre5! Et cette acculturationest précoce. À l’école primaire de mon quartier, il y a de cela quelques années, on faisait chanter à tue-tête à des enfants de la maternelle les succès de StarAcadémie. Et lors de la fête de fin d’année, desgamines de cinq ans se trémoussaient le nombril à l’air au rythme d’un succès radiophonique del’heure qui évoquait plus que sommairement le désiret l’amour! Après ça, on leur fera un sermon sur lasexualisation des petites filles! C’est un peu commeemmener au McDo des gamins qui ont réussi leurcours de diététique6!

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5. En dépit de ce traitement que l’école leur a trop souventréservé, il en est pourtant parmi mes élèves dont les yeuxbrillent encore (ou malgré tout) de curiosité, et chez ceux-là— je m’illusionne peut-être — je crois parfois discerner levague sentiment d’avoir été trahis. Ce n’est pas un sentimenttrès positif quand on s’apprête à entrer dans la vie adulte.

6. L’école, soulignons-le ici, n’en est pas à une contradictionprès. Alors même qu’on leur assenait des sermons hygié-nistes et qu’on adjoignait, comme un ordre venu d’en haut,le mot SANTÉ en gros caractères à celui de «collation» dansles billets rédigés à l’intention des parents, on distribuait auxenfants des cochonneries sucrées à la première occasion, et iln’était pas prévu qu’ils puissent se laver les dents après ledîner. Mes fils y ont «attrapé» leurs premières caries!

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Mais ce qui me trouble le plus dans cette igno-rance, cette acculturation, cette amnésie collective, cesimplisme si réducteur qu’on a imposé à des généra-tions d’enfants, c’est l’impact qu’il aura — ou qu’il adéjà — sur notre société. Car il a un prix. À propos decette acculturation musicale ou autre, Alain Lefèvre,encore lui, expliquait à la fin de cette entrevue men-tionnée plus haut: «Aujourd’hui, cela touche la culture. Bon, on se dit que ce n’est pas si grave; mais demain, ce sera un politicien qui ne sera pluscompris et qui devra tenir des discours simplistespour se faire entendre ou diffuser.» Là encore, onpeut se demander avec lui si ce jour-là n’est pas déjàarrivé…

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L’estime de soi

Je me souviens très bien, alors que j’œuvrais il y aquelques années au sein du comité de révision denotes de notre collège, de cette élève de dix-huit oudix-neuf ans qui avait reçu de la part d’un collègueune note assez sévère, mais justifiée, et qui fondit enlarmes devant nous en l’accusant non pas de partia-lité à son endroit, mais d’avoir, par quelques traits destylo rouge, «détruit toute [son] estime de soi».

Outre la faute de français courante et la réifica-tion psychologique qu’elle suggère — car si j’ai une«bonne» (on n’ose dire «forte») «estime de soi»,qu’en est-il de mon estime de moi? —, j’avoue que j’avais été tour à tour touché, interloqué et passa-blement décontenancé devant cette jeune fille lar-moyante qui venait sans doute de connaître là le premier échec scolaire, sinon le premier échec toutcourt, de son existence. Cette note, si mes souvenirssont exacts, n’impliquait même pas un échec pour

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l’ensemble de son cours, qu’elle envisageait pourtantd’abandonner, alors qu’elle avouait dans le mêmetemps que ce professeur était le plus intéressant deceux qu’elle avait eus depuis son entrée au cégep. Elleétait littéralement effondrée.

Nous la consolâmes du mieux que nous pûmes,et j’espère qu’elle n’a finalement pas abandonné cecours et qu’elle s’est remise de cette déception et dudésespoir où celle-ci l’avait plongée. Mais je ne peuxm’empêcher, depuis lors, de voir dans ces larmes unsymbole de la très grande fragilité de ces jeunes quin’ont jamais connu le moindre échec parce que cesystème scolaire qui est censé leur permettre d’ac-quérir une solide «estime d’eux-mêmes» la soutientdans les faits à bout de bras comme un ballon gon-flé à l’hélium et se garde bien de les confronter à des risques, à des défis et à des sanctions au moyendesquels se forgeraient certainement des caractèresmieux trempés.

On peut en effet se demander a contrario si cen’est pas le remède qui produit le mal et si le faitd’élever nos enfants dans un cocon, à l’école commedans le cadre familial, le fameux phénomène de l’en-fant-roi, n’engendre pas des individus à l’ego surdi-mensionné, mais incapables en même temps de lamoindre résilience, d’affronter la moindre adversité.Il est somme toute étrange que des éducateurs et despédagogues sérieux et, il faut le croire, raisonnablesaient seulement songé, dans le cadre de la dernièreréforme, à ne plus inscrire de notes chiffrées ni de

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classement dans le bulletin des élèves, sous prétextequ’on risquait de compromettre l’«estime d’eux-mêmes» des enfants ayant les plus faibles résultatsscolaires, comme si l’école ne devait pas être aussiune école de la vie, et comme si l’on acceptait la com-pétition partout, sauf dans le domaine de la réussitescolaire. Se sont-ils aussi demandé si le fait d’être pre-mier de classe ne consolait pas le petit «bolé» faibleen sport? On rejoint là la grande et grave questiondes élèves en difficulté, mais j’y reviendrai.

On peut aussi s’interroger sur la réalité de l’exis-tence d’un tel manque d’«estime d’eux-mêmes»chez nos jeunes, si flagrant que l’école devrait à toutprix le pallier. Quand on fréquente ces jeunes gensdepuis des années, poser la question, me semble-t-il,c’est y répondre, car — n’en déplaise à qui de droit —on n’en observe pas énormément dans nos classesqui soient maladivement timides ou simplementtrop gênés (je dirais même qu’ils sont en règle géné-rale moins timides et moins réservés que nous pou-vions l’être à leur âge et qu’ils ne manquent pasd’aplomb quand il s’agit de répondre des inepties oude revendiquer). Et quand bien même ce serait le caset que nos enfants soient en majorité plus perturbésqu’on ne le croit: est-ce vraiment le rôle de l’écoleque de remédier à tous les maux de la société? Je neme lancerai pas sur ce sujet, mais qui ne connaît leproverbe «Qui trop embrasse mal étreint»? À tropvouloir en faire (soutien psychologique, préventionde la violence, des abus sexuels, des MTS, de l’obésité,

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sensibilisation à la sauvegarde de l’environnement, àl’idéal de tolérance, au multiculturalisme, à la paixdans le monde, et j’en passe), peut-être l’école fait-elle mal ce dont elle devrait se contenter: enseigner.

Mais il y a plus grave, car cette omniprésence del’«estime de soi» dans le discours de l’école et surl’école encourage dans les faits un contentement desoi, un flagrant manque d’efforts, un laisser-aller, quine sont guère propices à l’apprentissage ni — j’ensuis persuadé — à l’épanouissement de l’individu.

En effet, si, pour ne pas décourager des enfants etdes adolescents à l’esprit prétendument si fragile, onne les confronte jamais à ce qui les dépasse, si on leurrend sans cesse la tâche trop facile, si on se refuse à évaluer leurs travaux avec rigueur et honnêteté1,comment nourrir leur curiosité, comment leurapprendre à faire des efforts, comment les sortir d’unefainéantise native et de leur insouciante médiocrité?

Effet pervers supplémentaire de cette absencede motivation due aux notes quand «tout le mondepasse de toute façon», les enseignants — surtout auprimaire — se voient dans l’obligation d’inventerd’autres «carottes». Une professeure de 5e annéetémoignait dans le numéro de Châtelaine du mois

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1. L’école se comporte en ces matières un peu comme cesparents bonasses qui récompensent ce qui est bien dans lecomportement de leurs enfants, sans jamais sanctionner cequi est mauvais.

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d’octobre 2007 de sa technique pour maintenirl’émulation dans sa classe: les élèves, divisés enéquipes, accomplissent plus ou moins bien certainestâches et gagnent ainsi des points. Au bout dequelques semaines, les membes de l’équipe gagnantese verront offrir une pointe de pizza pour le dîner.S’est-on seulement demandé quelle mentalité onencourageait là?

La suppression des notes chiffrées dans les bul-letins du primaire, qui a provoqué récemment unelevée de boucliers, ou leur retour désormais assuré,ne constitue en l’occurrence que la pointe de l’ice-berg d’un mode d’évaluation, d’un bout à l’autre du système scolaire, qui n’a plus aucune significa-tion. Car même là où se sont toujours maintenuesdes notes en pourcentage, celles-ci sont tellement«décrochées» de toute notion de mérite, ou d’un(réel) niveau de compétence à atteindre, qu’elles neveulent tout simplement plus rien dire et ne reflètenten rien ou presque les compétences ou les connais-sances que les élèves ont acquises. Ainsi, à l’examende français de 5e secondaire, si le critère de l’or-thographe fait échouer 43% des élèves du secteurpublic, ceux-ci obtiennent, selon les autres critères,des scores extrêmement élevés (Katia Gagnon, lajournaliste de La Presse qui rapporte ces faits, les qualifie ironiquement de «quasi soviétiques2»), à

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2. La Presse, mercredi 7 novembre 2007.

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savoir 99% de réussite pour ce qui est de «l’organi-sation stratégique du texte», 98% en ce qui concernesa «progression et sa continuité» et 94% au chapitrede la «pertinence», de la «clarté» et de la «préci-sion». Or, ces divers critères (moins «objectifs», onen conviendra, que la connaissance de l’ortho-graphe) comptent pour 50% de la note finale, ce quifait en sorte que la très grande majorité (86%) desélèves québécois réussissent cet examen et obtien-nent ainsi leur diplôme, alors que certains d’entreeux ne savent même pas écrire.

L’ironie de la chose, c’est que la plupart de cesélèves ne savent pas non plus argumenter! C’est dumoins ce que nous constatons lorsqu’ils arrivent aucégep au mois d’août suivant. À moins de considérerqu’ils ont tout oublié durant l’été! Et ils ne le saurontsouvent pas beaucoup plus après deux ans de col-lège; mais que l’on se rassure, ça ne les empêcherapas non plus d’obtenir haut la main leur diplômed’études collégiales, après avoir passé avec succès unexamen ministériel de français pour lequel de factoseule l’orthographe (alors que ceux qui le passent onten moyenne dix-neuf ou vingt ans) fera office de cri-tère éliminatoire, et cela fera en sorte que certains nesauront toujours pas argumenter en arrivant sur lesbancs de l’université!

Or, on s’en doute, le problème n’est pas lié uni-quement à ces examens. C’est tout au long de leurscolarité que ces élèves n’ont connu que des notesgrossièrement surévaluées. Au primaire, tout le

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monde (ou presque) a B; au secondaire, les 80% etplus sont courants en français; et ça continue aucégep, où il est devenu coutumier de «donner» 5ou 10% des points à des élèves qui ont fait acte deprésence à une conférence tenue en dehors desheures de classe ou qui ont assisté à la représentationd’une pièce de théâtre, sans compter que l’on éva-luera très généreusement des textes argumentatifs,que l’on nomme pompeusement des «analyses detexte», des «essais» ou des «dissertations», généra-lement mal écrits, insipides et sans autre contenuqu’une série de clichés. Or, en dépit de cette indul-gence, il est notoire que la majorité de nos élèves,malgré tout, échoueraient à leurs cours de français aucégep s’ils n’étaient évalués qu’à partir de ces exer-cices d’«analyse littéraire» ou de «dissertation» (lesseuls pourtant qui sont imposés par les devis minis-tériels). Alors les enseignants s’ingénient — à des finsde compensation — à multiplier les «tests objectifs»et autres «contrôles de lecture» qui ne nécessitentaucune réflexion et dans lesquels la brièveté desréponses pondère un peu la piètre qualité du fran-çais. Et puis, on fera «passer des élèves» à 58, à 56 ouà 54%, histoire de minorer quelque peu la quantitémalgré cela importante d’entre eux qui échouent àun cours donné. Tout cela est malheureusement bienancré dans les mœurs des milieux de l’enseigne-ment!

C’est pourquoi on peut bien, comme le prévoitle «Plan d’action pour l’amélioration du français»

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de la ministre Courchesne, prévoir deux examens defrançais écrit supplémentaires (mesure 8) et fixer desobjectifs clairs qui devront être atteints à la fin dechaque année scolaire (mesure 6), mais cela ne haus-sera vraisemblablement en rien le niveau des élèves sila correction desdits examens reste tributaire de lacomplaisance et du laisser-aller qui prévalent en cesmatières au ministère et si le fait de ne pas atteindreau primaire les objectifs prévus ne se voit sanctionnéd’aucune manière. Je partage à ce sujet le scepticismequi me paraît affleurer dans les propos que partageaavec les lecteurs du Journal de Montréal M.ConradOuellon, président du Comité sur la qualité du français: «Si on veut que les choses s’améliorent,affirma-t-il au journaliste qui l’interrogeait, il fautque les exigences à l’école soient resserrées. C’est sûrqu’il y en a qui vont frapper un mur, mais il va falloirvivre avec ça3.» Sommes-nous prêts à «vivre avecça»? Personnellement, j’en doute; et je ne suis appa-remment pas le seul… Quelques semaines plus tard,

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3. Le Journal de Montréal, mercredi 9 janvier 2008. Parallè-lement à cette instauration de nouveaux examens, laministre semblait d’ailleurs confirmer la justesse de cesdoutes en assouplissant, à l’autre bout du parcours pédago-gique, les règles d’admission dans le réseau collégial, l’ob-tention du DES n’étant plus désormais exigée pour y êtreadmis.

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M.Réjean Parent, le président de la Centrale des syn-dicats du Québec, qui réagissait à la parution du plandont il a été question plus haut, semblait lui aussi endouter et faisait écho au premier en déclarant: «Àpartir du moment où on se montre plus exigeant, ilfaut apprendre à affronter l’échec. Ça veut dire qu’ilfaudra prendre des moyens supplémentaires pours’assurer que les élèves puissent faire face à ces nou-velles exigences. Sinon, le taux d’échec explosera et legouvernement risque de battre en retraite, comme ill’a fait dans le passé, en accordant une promotionautomatique aux élèves4…» Il faudra aussi susciter,chez les élèves confrontés à ces nouvelles exigences,une culture de l’effort en remplacement de la culturelaxiste qui s’est insidieusement installée dans nosécoles.

Car toutes ces pratiques pour le moins dou-teuses, mais si courantes, qui accompagnent l’éva-luation n’entraînent chez les élèves qu’une démoti-vation généralisée (entre autres chez les meilleursd’entre eux, à qui on n’a jamais demandé le moindreeffort) et aussi une certaine outrecuidance, carcomme ils sont habitués à tout négocier et à être ainsidéresponsabilisés, leur «échec», lorsqu’il se produit,devient forcément la «faute du prof», quand ce n’est

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4. La Presse, jeudi 7 février 2008.

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pas celle de la matière elle-même. Comme l’écrit Phi-lip Roth dans l’un de ses derniers romans où ilévoque cette question de l’enseignement: «l’étu-diant [aujourd’hui] se prévaut de son incompétencecomme d’un privilège»; la formule est bien trou-vée5. Combien de fois en effet cela nous est-il arrivéde nous faire apostropher par des élèves qui protes-taient parce qu’on avait enlevé des points à leurs tra-vaux pour les fautes d’orthographe, ou parce qu’onles obligeait à lire un livre, ou parce qu’ils estimaientêtre notés trop sévèrement, ou parce qu’ils trouvaientinjuste de rater un examen du fait qu’ils avaient étéabsents sans raison aucune au cours précédent, ouparce que tout cela leur semblait «trop dur»?

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5. Je me surprends parfois à me lamenter sarcastiquementcomme le fait cette enseignante noire à la retraite, âgée etdésabusée, personnage attachant du roman en question dePhilip Roth: «Du temps de mes parents, dit-elle, et encoredu mien et du vôtre, les ratages étaient mis sur le compte del’individu. Maintenant, on remet la matière en cause. C’esttrop difficile d’étudier les auteurs de l’Antiquité, donc c’estla faute de ces auteurs. Aujourd’hui, l’étudiant se prévaut deson incompétence comme d’un privilège. Je n’y arrive pas,c’est donc que la matière pèche. C’est surtout que pèche cemauvais professeur qui s’obstine à l’enseigner. Il n’y a plusde critères, monsieur Zuckerman, il n’y a plus que des opi-nions», La Tache, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2002,p. 441.

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Et c’est ainsi que cette «estime de soi», que l’oncultive si minutieusement et avec tant de précautionschez nos élèves comme une fleur en pot, aboutit à unnivellement continu vers le bas qui rend de plus enplus difficile la tâche de leur enseigner, puisqu’ildevient, du moins à leurs yeux, presque inconsé-quent de notre part d’exiger d’eux le moindre effortet le plus petit début de réflexion qui irait à l’encontrede leur si spontanée et si précieuse «opinion» — quivaut largement, toujours selon certains d’entre eux,celle de Kant, de Sartre ou de Platon. Une forme viru-lente d’égotisme prévaut, qui n’est pas — c’est lemoins que l’on puisse dire — très propice à l’ensei-gnement.

Un second problème découle en effet de ce cultesans frein de l’«estime de soi». Parmi nos élèves,nombreux sont également ceux qui cultivent ce quej’ai appelé plus haut un ego surdimensionné et qui seprennent pour des génies dès lors qu’ils ont écritquatre strophes ou une nouvelle souvent corrompuepar des fautes d’orthographe, ou encore pour despersonnes éminemment cultivées parce qu’ils ont unpeu plus de connaissances que leurs condisciplesprofondément ignares. Ils manifestent alors une sus-ceptibilité de diva, comme cet élève de lettres qui mereprocha véhémentement d’avoir paru étonné parcequ’ils n’avaient jamais entendu parler d’un auteur (jecrois que c’était Goethe). Sans doute faut-il croirequ’à ses yeux il n’était pas seyant que leur professeurleur fît remarquer leur propre ignorance, et il se

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fâcha, bien que je lui fisse remarquer en toute bonnefoi que mon étonnement n’était pas feint et qu’il n’yentrait nullement l’intention de le vexer, lui ou l’unde ses condisciples.

Mais, comme l’a écrit Stefan Zweig: «N’est-ilpas diablement aisé, en fait, de se prendre pour ungrand homme quand on ne soupçonne pas le moinsdu monde qu’un Rembrandt, un Beethoven, unDante ou un Napoléon ont jamais existé6?» Il estvrai que dans cette école obnubilée par la préserva-tion de leur «estime de soi», il ne s’est trouvé per-sonne pour leur apprendre qui était Napoléon, nipour leur montrer L’Homme au casque d’or, et per-sonne non plus n’a eu l’idée de leur faire écouter laneuvième symphonie.

Ajoutons pour finir que cet orgueil souvent malplacé n’a d’égal que le mépris dans lequel ils tiennentles œuvres, les penseurs, les opinions d’autrefois.«Molière est plate», me disent-ils en classe sans lamoindre hésitation; ou «Zola était con»; ou encore«Flaubert écrit mal». Traits malheureusementauthentiques. Certains petits maîtres y verront cer-tainement l’indice qu’il s’agit là d’esprits libérés destraditions du passé. J’y perçois pour ma part la suffi-

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6. Stefan Zweig, Le Joueur d’échecs,Paris, Librairie généralefrançaise, coll. «Le Livre de poche», 1991, p. 20.

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sance obtuse du barbare iconoclaste qui est bienincapable de porter ses regards au-delà des bornes dutemps présent. Des nains aux pieds des géants7.

7. Je fais allusion à la célèbre métaphore de Bernard deChartres, qui écrivait au XIIe siècle: «Nous sommes desnains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons ainsidavantage et plus loin qu’eux, non parce que notre vue estplus aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils nousportent en l’air et nous élèvent de toute leur hauteur gigan-tesque…»

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Les élèves-en-difficulté

Dès qu’on parle d’éducation au Québec, il n’est ques-tion que de «décrochage» et d’«élèves en diffi-culté». Ces deux expressions font figure d’alpha et d’oméga de tout débat sur l’éducation. En témoi-gna à sa manière, voilà quelques mois — c’était au printemps 2007 —, la négociation qui eut lieu, par médias interposés, entre le gouvernement mino-ritaire de M. Charest et le Parti québécois, lequel afini par voter en faveur du budget du premier aprèsque la ministre des Finances, MmeMonique Jérôme-Forget, eut accepté de consacrer quelques millions deplus au soutien aux élèves-en-difficulté.

On va me croire sans cœur, on va me taxer d’éli-tisme, on va surtout me prêter des opinions poli-tiques que je n’ai pas. N’est-il pas légitime, après tout,ce souci d’un parti social-démocrate pour ces jeunes(souvent issus des milieux pauvres) qui abandon-nent l’école ou pour ces enfants (les mêmes, souvent)

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qui éprouvent dès leur plus jeune âge des diffi-cultés d’apprentissage? Bien sûr qu’il l’est! Il y ad’ail leurs un consensus là-dessus. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est d’axer sur ces cas-problèmestout discours et toute réflexion sur l’enseignement.N’a-t-on pas entendu encore récemment, sur lesondes de Télé-Québec, la ministre de l’Éduca-tion (Mme Courchesne) avouer que la réforme avaitpour but de permettre une meilleure intégration et une meilleure réussite de ces mêmes élèves-en-difficulté ainsi que d’enrayer le trop fameux phé-nomène du «décrochage scolaire»?

Répétons-le, ce souci des enfants ou des jeunesqui éprouvent des difficultés d’apprentissage, cetteattention portée à ceux qui abandonnent l’écoleavant d’avoir obtenu leur diplôme est légitime; maislà où je ressens un malaise, c’est lorsque ce discourslégitimant aboutit à un nivelage par le bas des exi-gences scolaires, qui se fait au détriment des élèvesn’ayant pas de difficultés particulières ou de ceux qui sont scolairement performants ou doués et qui le seraient encore davantage si l’école avait l’idée de les stimuler un peu plus. Mais, obnubilée par lesélèves-en-difficulté, l’école québécoise se soucie fortpeu apparemment de ses bons élèves.

Dans mon enseignement, j’ai à maintes reprisesété en mesure de constater l’effet à long terme decette absence de stimulation. Il n’est pas rare, parexemple, que des élèves doués et mieux formés que lamajorité se contentent de résultats médiocres ou seu-

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lement bons quand on soupçonne qu’ils pourraientêtre excellents, parce qu’ils ne font pas beaucoupd’efforts ou me rendent leur copie après la moitiéseulement du temps qui leur était imparti. Maispourquoi s’acharneraient-ils (certains le font, cepen-dant) à rechercher une vaine perfection, puisque leurniveau leur assure déjà des notes nettement supé-rieures à la moyenne?

Il faut ajouter que, à ces élèves-là, on n’est enoutre pas toujours capable d’offrir des sujets d’exa-men qui les incitent à mobiliser leurs neurones et àtravailler fort, car la très grande majorité des élèves dugroupe échoueraient à de tels examens, nous plaçanten tant que correcteurs dans une situation intenable.On n’est même pas toujours en mesure de leur offrirdes cours adéquats, car on est souvent empêché d’ap-profondir des questions qui peut-être les intéresse-raient, mais que leurs camarades de classe moins bienformés ne comprendraient pas. Leur en voudra-t-on,après cela, de se sentir quelque peu supérieurs, y com-pris par rapport à leurs professeurs, qui s’en tiennentbien malgré eux et trop souvent à des généralités1?

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1. Dans le même ordre d’idées, je me souviens d’avoirassisté, voilà plusieurs années, à la présentation d’une classeinternationale dans une école primaire, durant laquelle lesdeux enseignantes nous expliquaient candidement qu’ellesétaient frappées par les connaissances dont faisaient preuveleurs élèves et qui dépassaient souvent les leurs (dirent-elles

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L’écart entre les meilleurs et les plus faibles de nosélèves est d’ailleurs parfois tel qu’on est obligé, dansbien des cas, de «sur-noter» les premiers si on neveut pas faire échouer massivement les seconds.

En effet, le principe est simple: si vous avezattribué la note de 80% à une bonne copie, maisdans laquelle il y avait néanmoins quelques lacunes,et qu’en appliquant au reste du groupe le mêmebarème vous vous retrouvez avec 70% d’échecs etplusieurs résultats individuels en-dessous de 15%,vous vous retrouvez, pour diverses raisons (ne pasdécourager certains élèves dès le début de la session,ne pas voir fondre votre groupe, ne pas paraître trop«méchant», ne pas mettre de notes qui ne laissentaux élèves aucun espoir de se rattraper, etc.),contraint de rehausser l’ensemble de vos notes afinde ramener à un seuil «raisonnable» le nombred’échecs à cet examen, ainsi que vos résultats les plusbas. Cette réévaluation permanente des notes quenous donnons fait partie — pour le meilleur et pourle pire — de la routine de la correction dans les

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(suite de la note 1)

sans fausse honte). Sans doute pensaient-elles ainsi flatter lesparents assis dans la salle, mais pour ma part je trouveraiencore demain désastreux que mes fils en sachent plus àneuf et dix ans que leur professeur!

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cégeps. Et les 80% obtenus par un élève deviennentpar la magie de cette «normalisation» des 90%,95% — parfois il faudrait aller jusqu’à 120% pourque cette réévaluation ait encore du sens! Ou bienalors — ce qui n’est pas forcément mieux, ni sur-tout plus équitable — nous nous retrouvons à appli-quer une double norme de correction: un premierbarème s’appliquant aux élèves «forts», qui sont enfait des élèves «normaux», c’est-à-dire ceux quisatisfont aux exigences du cours, et un deuxième —plus ou moins arbitraire — qui s’applique aux tra-vaux les plus faibles.

C’est le même principe, en passant, qui estappliqué aux points perdus pour l’orthographe lorsdes évaluations écrites. Étant donné que nos élèvesperdent en général autour de 10% à cause de lapiètre qualité de l’orthographe dans leurs travauxécrits, nous sommes tout naturellement, et sans trop de questionnements métaphysiques, amenés à hausser d’environ 10% les notes que nous aurionsnormalement attribuées, cela afin de faire baisser un taux d’échec qui sans cela serait trop élevé. C’estabsurde, me direz-vous! Certes, c’est absurde…Mais il est moralement et humainement impos-sible pour un enseignant isolé devant ses copies, et seul à nouveau le lendemain devant une classe, de vivre en faisant échouer son cours à 80 ou90% deses élèves!

Autre exemple de cet effet négatif du manqued’attention envers les bons élèves: je rencontre de

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plus en plus fréquemment ces derniers temps, parmimes connaissances, des parents dont les enfantséprouvent à l’école des problèmes de discipline. Celam’étonne souvent un peu, car les enfants en questionne sont pas des enfants-rois, désagréables, à qui toutest dû, mais au contraire des enfants polis, plutôtcalmes, relativement obéissants. Bref, des enfantstout de même, qui aiment bouger et s’amuser, maispas de ces «petits monstres» caractérisés comme onen rencontre parfois et avec lesquels on se doute queles professeurs ont fort à faire.

Or, il ne faut généralement pas parler très long-temps avec leurs parents un peu désespérés pourcomprendre comment et pourquoi de tels enfants —je le répète, plutôt sages — paraissent en classe siindisciplinés. Il apparaît souvent que le rythme d’ap-prentissage dans certaines de ces classes est si lent que ces enfants, un peu stimulés dans leur foyer ou à l’esprit tout simplement plus vif, ont fini leurs exercices tandis que d’autres élèves, moins prompts à saisir la matière, peinent encore à les achever.N’ayant plus rien à faire, ces enfants deviennent aisé-ment dissipés, tout simplement parce qu’ils s’en-nuient. Certains professeurs — à ce qu’on m’a dit —corsent le supplice en leur interdisant formellementde lire ou de faire autre chose, histoire au moins depasser le temps, en attendant que leurs camaradesaient fini.

Résultat: à force de réprimandes, ou parce qu’ilss’y ennuient, ces enfants se mettent à détester l’école

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ou à travailler plus lentement et souvent moins bien.S’est-on d’ailleurs déjà interrogé sur le nombre de ces «anciens bons élèves» qui finissent par «décro-cher»? Car ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette attention accordée quasi exclusivement aux élèves-en-difficulté qu’elle finisse par engendrer des «difficultés», d’adaptation entre autres, chez des enfants qui initialement n’en éprouvaient pas!

Mais comment préserver l’intérêt de ces enfantsou de ces jeunes pour l’école, quand la seule réponseaux faibles résultats des élèves que se montrentcapables d’imaginer les enseignants eux-mêmes etles pédagogues fonctionnaires du ministère, c’est de niveler par le bas et de niveler encore, de baisser les exigences et de vider peu à peu de leur contenudes programmes déjà rabougris? Ainsi, le premiercours de français donné au cégep, le cours 101,couvre dans la plupart des cas la littérature françaisedu Moyen Âge au XVIIIe siècle. Vaste programmepour le coup! Et qui donne bien du fil à retordre àdes étudiants qui y sont très mal préparés, pourn’avoir souvent de leur vie jamais lu un texte litté-raire digne de ce nom, et aussi parce qu’ils n’ont engénéral qu’une connaissance très approximative dub-a ba de la chronologie! Bref, la quantité d’informa-tion est pour eux difficile à ingurgiter.

La solution pour qu’ils n’en fassent pas uneindigestion? Réduisons la «matière»! Au lieu d’étu-dier les quatre périodes que sont le Moyen Âge, laRenaissance, l’Époque classique et le siècle des

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Lumières, on pourrait bien n’en approfondir [sic2]que deux. Du Moyen Âge, on pourra bien passerdirectement au siècle des Lumières. Pourquoi pas?Cela ne fera guère que conforter la vision chaotiquede l’histoire qu’ont déjà nos collégiens qui confon-dent, pour certains, Révolution tranquille et Révolu-tion française, l’Autriche-Hongrie de Sissi versionhollywoodienne et le Moyen Âge. Au train où vontles choses et étant donné le seuil critique déjà atteintdans leur méconnaissance, on peut juste se deman-der où cela s’arrêtera, car il n’y aura bientôt, tant la«matière» en sera réduite, plus grand-chose à sim-plifier dans nos cours!

On me dit qu’au primaire, de la même manière,certains directeurs d’école, voire certains professeurs,prennent l’initiative de transférer les notions jugéestrop difficiles du programme d’une année scolaire àla suivante, où elles finiront selon toute logique, ouplutôt selon la même logique, par ne plus être étu-diées du tout. Ainsi, on verra arriver au cégep desélèves qui ne maîtriseront pas le subjonctif parcequ’ils n’auront fait que l’effleurer, ni le passé simple,ni l’accord du participe passé avec «avoir», qui igno-reront durablement l’existence du «dont», quicontinueront à parler des «romans» de Molière et

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2. Le lecteur attentif devinera sans peine que ce verbe est iciutilisé par hyperbole.

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de l’«ancien français» de Flaubert, etc. Afin de nousadapter à ce que les gestionnaires de l’éducationappellent pudiquement cette «nouvelle clientèle»,nous devrons donc continuer à réduire le contenu età baisser les exigences de nos cours et, malgré ceteffort d’adaptation que nous consentirons, les notesde nos élèves ne s’amélioreront pas… Parce quemoins on leur en demandera, moins ils en feront!

Il est temps de prendre conscience du fait que cenivellement par le bas que nous pratiquons depuisbientôt trente ans n’est en rien parvenu à réduire lesinégalités entre les élèves ou à restreindre massive-ment le décrochage scolaire. Le seul résultat tan-gible qu’il a eu, c’est d’avoir mené l’éducation auQuébec à la situation catastrophique qui est aujour-d’hui la sienne. Si nous avons encore minimalementconfiance dans l’avenir et aussi dans les capacités denos enfants, nous devons, en tant que société, chan-ger radicalement de cap et tout faire pour que soitdispensée dans nos écoles une éducation de qualité.Tout le monde y gagnera — y compris les élèves-en-difficulté. Et quand bien même ce ne serait pas lecas, ne vaut-il pas mieux valoriser l’excellence coûteque coûte que de transformer petit à petit nos écolesen garderies?

Car il faut arrêter de se conter des histoires et ledire franchement: tous les enfants ne sont pas égauxface à l’école. Et cette inégalité qui règne dans lemonde scolaire, que l’on veut souvent masquer sousdes considérations paramédicales ou psychologi-

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santes3, est essentiellement une inégalité sociale. Lesenfants qui dans leur milieu familial parlent unelangue correcte, chez qui il y a des livres, qui sont sti-mulés, avec qui on parle, etc., auront toujours unavantage décisif par rapport à d’autres enfants issusd’un milieu plus défavorisé et qui seront, déjà en arrivant à l’école, moins éduqués. Que cette inégalitésoit injuste, qu’il faille la combattre, je n’en discon-viens pas. Mais pour ce faire, il n’y a pas trente-sixmoyens: il faut que le travail acharné des élèves issusd’un milieu défavorisé vienne compenser leurs fai-blesses initiales; il faut que le milieu scolaire leurapporte la stimulation intellectuelle, l’encadrement,l’approche structurée et systématique des connais-sances et des savoir-faire, et la culture aussi qui, pré-cisément, leur font défaut à la maison. C’est à ce prixqu’ils progresseront.

C’est aussi pourquoi, en prenant le chemin del’adaptation à ses élèves (particulièrement à ses élèvesles plus faibles), de la baisse des exigences qui vise à ne pas les décourager, de l’aplanissement des diffi-cultés, l’école atteint des résultats exactement oppo-

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3. Ce qui explique que, dès lors qu’il est question d’élèves-en-difficulté, l’accent soit trop souvent mis sur des maux telsque l’hyperactivité, les déficits d’attention, la dyslexie, etc.,dont la prévalence ne doit pas être si grande, mais qui empê-chent qu’on s’interroge trop longuement sur la détressesociale que vivent certains enfants.

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sés à ceux qui étaient visés. Abandonnés à eux-mêmes et à la facilité, dorlotés, bercés dans l’illusiondu moindre effort et de la non-compétitivité, lesenfants et les jeunes issus d’un milieu défavorisé sontles premiers à pâtir de cette absence d’un enseigne-ment de qualité, d’une forme d’élitisme scolaire quiseule pourrait les arracher à leur destin social.

Plusieurs observateurs de l’école québécoiseconstatent d’ailleurs — ô paradoxe! — que laréforme, ce trop fameux «renouveau pédagogique»qui devait araser les obstacles sous les pas des élèves-en-difficulté, aboutit au résultat exactement inverse,et on observe depuis son implantation que se creuseau contraire l’écart entre les meilleurs élèves et lesplus faibles, car il me semble qu’il ne faut pas avoir latête à Papineau pour deviner que ces élèves les plusfaibles sont précisément ceux qui ont le plus besoind’aide pour «construire leur savoir» et donc ceuxqui pâtissent le plus de ne pas recevoir un enseigne-ment du français et des mathématiques qui soitstructuré et systématique.

Il faut le dire et le répéter: la véritable «démo-cratie scolaire» ne consiste pas à offrir à tout lemonde des diplômes qui ne vaudront bientôt plus le papier sur lequel ils seront imprimés, mais à per-mettre au plus grand nombre d’enfants possible — y compris ceux issus d’un milieu défavorisé — d’ac-quérir une éducation de qualité.

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Tout sauf enseigner…

Admettons que j’aie à préparer pour mes étudiants depremière année au cégep un cours d’introduction à lalittérature médiévale ou au roman arthurien. Ils neconnaissent guère le Moyen Âge, certains n’aurontjamais entendu parler de la figure du roi Arthur, etpréparer un tel cours dans ces conditions exige uneffort certain d’adaptation du discours et de vulgari-sation, peut-être aussi ce que, dans nos établissementsd’enseignement, l’on nomme par euphémisme «unemise à jour de ses connaissances». Plutôt que deprendre le risque que mon cours du lendemain soitmal reçu, pourquoi ne pas leur présenter à la place lefilm Excalibur? Ce ne sont certainement pas mes étu-diants qui se plaindront de cet entracte entre deuxcours magistraux, et — avantage qui n’est pas négli-geable lui non plus — cela occupera une période dedeux heures pour laquelle je n’aurai pas de cours àpréparer. Voilà un dimanche matin de gagné!

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Qu’est-ce que ce film leur apportera? Unevision lyrique et pour le moins très datée (disons très«années 70») de la légende du roi Arthur et de celledu Graal, une première approche de la périodemédiévale (bien que le Moyen Âge présenté dans cefilm soit d’une fantaisie et d’un kitsch assez épouvan-tables). On pourra même se cacher ou se voiler la facederrière le prétexte d’une utilisation d’avant-gardedes TIC1 et se fendre d’un discours qui engloberanotre fainéantise passagère dans une défense rhéto-rique de la pédagogie par l’image et de la variation dessupports didactiques destinée à maintenir l’attentionde notre auditoire. Mais en général — rassurons-nous — on ne nous en demandera pas tant…

De fil en aiguille, on en vient à faire visionnerdans nos classes des films sur n’importe quoi ou àfaire faire à nos élèves du théâtre, des bricolages, dumacramé… Tout sauf enseigner!

En histoire au secondaire, on fabriquera un châ-teau fort, un péristyle de temple grec, on exposeraaux murs un casque d’hoplite, une cotte de mailles,une hachette amérindienne, transformant ainsinotre salle de classe en un capharnaüm d’objets hété-roclites, véritable «disneyland» pseudo-historique.

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1. Technologies de l’information et de la communication,pour ceux à qui ce jargon à la mode de la pédagogie n’est pasfamilier.

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Nos élèves retiendront-ils mieux la chronologie?Rien n’est moins sûr. Cela aura au moins eu pourvertu de transformer, l’espace d’un bricolage oud’une présentation, une matière «plate» (mais qui lajuge telle?) en une matière intéressante aux yeux deces adolescents souvent difficiles à contenter.

Il n’est pas jusqu’en francisation (je parle descours pour adultes immigrants et réfugiés) où des professeurs bien intentionnés ne diffusent régu-lièrement — sous le fallacieux prétexte de leur fairedécouvrir la culture de leur pays d’adoption — desfilms qui n’ont souvent pour eux que le fait d’êtrequébécois. Mais le cinéma, c’est toujours plusattrayant (plus «sexy», dit-on maintenant commeen anglais) qu’une règle de grammaire. Inutile peut-être de préciser que cette initiative est plus subiequ’appréciée par ces gens qui ont besoin du françaispour trouver un emploi.

Précisons que je n’ai rien contre le fait d’utiliserà l’école l’audiovisuel ou les TIC; il faut vivre avecson temps, et ces supports modernes peuvent être àl’occasion de merveilleux outils pédagogiques. J’en ai en revanche contre l’abus qui en est fait, surtoutlorsque le média devient le message, et qu’ils devien-nent prétexte à une disneylandisation de la culture oùdes Spartiates vêtus de cuir à la Mad Max le disputenttrop souvent à des chevaliers médiévaux issus toutdroit de clips grunge.

Bâtir un château fort en carton au primaire peutêtre un moyen amusant d’enseigner un peu de voca-

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bulaire (pont-levis, herse, douves, etc.) et de familia-riser de façon ludique les enfants avec le Moyen Âge.Au primaire! Car il me semble aussi que, parvenu au niveau secondaire, l’élève est censé avoir suffi-samment de maturité intellectuelle pour faire autrechose que jouer avec de tels objets pseudo-histo-riques et qu’il devrait désormais être en mesure de se voir expliquer l’origine et le fonctionnement de lasociété féodale, les enjeux des croisades, l’importanceculturelle et sociale de la religion. Ainsi, quand ilsarriveront au cégep, nous n’aurons peut-être pas àleur expliquer ce que sont un «seigneur», un «Sar-rasin», un «abbé» ou un «tournoi». Nous pour-rions alors peut-être leur faire lire et leur expliquerun extrait de La Chanson de Roland sans être obligésde pratiquer mille détours explicatifs ou d’abandon-ner, épuisés.

Mais évidemment, enseigner Athènes, l’Aréo-page, la Boulè, les métèques, c’est moins intéressant,moins stimulant pour des adolescents que de faireune recherche rapide (et souvent bâclée) sur les Jeuxolympiques antiques, dans laquelle souvent ce quifrappera le plus les jeunes, c’est que les athlètesconcouraient tout nus. On en rira, et un cours deplus aura passé sans qu’ils prennent conscience ducreuset humaniste qu’a été la culture athénienne au Ve siècle avant J.-C. Mais qui se soucie encored’Athènes, quand il est surtout et avant tout questionde maintenir des gamins sur les bancs de l’école et d’essayer coûte que coûte de les intéresser à une

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matière qu’on finit, en la vulgarisant, par délaisser?Ce qui appelle une autre remarque…

Autrefois, à une époque reculée où nous, lesenseignants, avions encore le goût d’enseigner, un«cours qui marchait bien», dans notre jargon, celavoulait dire une leçon où, malgré la difficulté ou l’ari-dité du sujet abordé, nous étions parvenus à capterl’attention d’une classe, parfois même à la captiver. Ilest ainsi dans la carrière d’un enseignant de ces raresmoments de grâce où l’enthousiasme du pédagoguerejoint la curiosité intellectuelle de ses élèves et oùl’on voit les regards s’allumer… C’est un plaisir sanspareil. Et quand on sort d’une salle de classe, cesjours-là, c’est pour se dire qu’on sait exactementpourquoi on a choisi d’enseigner.

Aujourd’hui, les choses ont un peu changé, etquand on entend cette même expression dans labouche de jeunes (ou moins jeunes) collègues, c’estsouvent pour signifier que leurs «étudiants» ont —comme ils disent — «eu du fun». Il est rarementquestion de ce qu’ils ont appris, compris, de laréflexion que cela a nourri en eux. Non. Ils ont «eudu fun» et cela suffit. Et l’enseignant en question dese rengorger et de se hausser lui-même sur un pié-destal où pourra l’admirer toute la communautéscolaire ou collégiale: il est devenu (j’allais dire «il aété sacré», par la vox populi) un «prof le fun». C’est(dans son propre esprit) le plus bel éloge que puis-sent faire de lui dans leur syntaxe douteuse desgamins de dix-sept ans.

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Le «fun» — contre lequel, décidément, j’en ai— est d’ailleurs en passe, au Québec, de devenir lecritère universel pour tout évaluer, de l’émission detélé-réalité au dernier roman d’un auteur en vue, enpassant par le sport que l’on pratique le samedi ouun cours à l’université! J’évoquais plus haut la pau-vreté lexicale des jeunes, dont témoigne ce mot bref,merveilleusement polyvalent — il s’applique à tout!— et facile à prononcer, qui a su transcender au sur-plus toutes les barrières érigées jadis autour de nosvocables par les contextes d’employabilité et lesniveaux de langue. Ce terme à lui seul est une victoirede la démocratie! Et à l’école de la démocratie2, voilàcomment on juge un cours: il est, ou n’est pas,«l’fun», comme à la télé; il ne manque pour couron-ner le tout que le droit de zapper!

Dans ces jugements à l’emporte-pièce que lesenseignants eux-mêmes finissent par agréer se perdla signification des verbes «enseigner», «éduquer»,et c’est à mon sens un des drames de l’école au Qué-bec. Bien des professeurs ne savent plus pourquoi ilsfont ce métier. Cette «perte de sens» professionnellesemble parallèle — du moins peut-on le considérer

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2. Ou plutôt de cette «médiocratie» qui est la nôtre et quine sera satisfaite qu’après avoir rasé et fait disparaître tout cequi s’élève un peu au-dessus du bien-être immédiat… etbéat.

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— à l’incapacité actuelle du système scolaire à sepenser lui aussi dans le long terme — contrairementà ce qui se passait à l’époque qui suivit la Révolutiontranquille, où un Québec ambitieux se projetaitsereinement dans l’avenir grâce entre autres à l’école.On peut se demander si une telle incapacité n’est pasl’un des effets d’une stagnation plus générale denotre démocratie, qui n’a plus de projets collectifs nide rêves d’avenir.

Sans entrer dans des considérations sociolo-giques, psychologiques ou éthiques qui pourraientnous entraîner loin, je me contenterai de dire — enutilisant un peu malgré moi un mot qui n’est plusguère à la mode — qu’il y a un «devoir» de l’ensei-gnant, que ce n’est pas une profession comme lesautres, qu’elle nécessite une bonne dose de discipline,d’idéalisme et même d’abnégation. Pourquoi? Parceque, dira-t-on avec Fichte, ce n’est pas leur «misé-rable salaire» qui compense pour les «instituteur[s]des hommes […] [les] mille désagréments de leurétat» ni «tous les soucis et [les] peines continuellesqu’ils ont eu à supporter»; leur récompense est«d’avoir maintenu l’esprit humain à la hauteur où il était parvenu». Car l’enseignant, ajoute-t-il, doitposséder «un cœur échauffé par le sentiment de ladignité humaine3».

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3. Johann Gottlieb Fichte, Considérations sur la Révolution

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Enseigner, c’est donc aussi une énorme respon-sabilité: une responsabilité sociale, bien éloignéecependant de la seule responsabilité qu’on reconnaîtencore à l’enseignement et qui consiste à former desgens aptes à s’insérer professionnellement dans letissu social; une responsabilité politique (au senslarge, qui concerne le présent mais aussi l’avenir de la«cité»), car dans une démocratie, l’école contribue àformer des citoyens qui décideront collectivement dece que sera demain; une responsabilité humaineenfin, si du moins on est persuadé, comme je le suiset comme l’étaient Fichte et Kant, que c’est par la culture que se développe l’humanité. C’est ce triplesens des responsabilités qui paraît parfois s’êtreperdu. C’est aussi ce que je voulais dire, en écrivantplus haut qu’il est aujourd’hui si difficile de mainte-nir le cap et de continuer à enseigner.

Un exemple parmi d’autres? La Presse,dans sonédition du 6 novembre 2007, rapporte les propos deMme Suzanne G. Chartrand, professeure de didac-

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française,Paris, Payot, coll. «Critique de la politique», 1974,p. 158. Soulignons que Fichte fait ici écho à Kant qui, dansses Réflexions sur l’éducation (Paris, Librairie philosophiqueJ.Vrin, 1993, p. 74), affirmait déjà: «C’est au fond de l’édu-cation que gît le grand secret de la perfection de la naturehumaine.»

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tique du français à l’Université Laval, qui déclare:«Ça fait quinze ans que je contribue à diplômer dumonde qui ne devrait pas avoir le droit d’enseigner.J’ai des étudiants dont je me dis: j’espère que mespetits-enfants ne l’auront jamais comme professeur,parce qu’ils vont perdre leur temps pendant un an.»À la première lecture, de tels propos m’ont fait bon-dir. Étant donné que ces professeurs seront ensuite làà sévir durant trente-cinq ans, je me suis mis à espé-rer que d’ici là mes petits-enfants ne les auraient pasnon plus comme enseignants, et à pester — je doisl’avouer — contre cette professeure d’université etson inconscience civique! Puis, rasséréné et ayantretrouvé tout mon calme, je me suis fait la réflexionque je n’agissais guère différemment en contribuantà diplômer et, dans certains cas, à envoyer à l’univer-sité des cégépiens dont une partie au moins s’étaientrévélés profondément incultes, inaptes à raisonner età argumenter, et, au surplus, incompétents en fran-çais. Il est fatal qu’au fil des ans quelques-uns d’entreeux soient eux aussi devenus des enseignants!

Ainsi, année après année, nous pelletons le pro-blème aux enseignants et collègues du niveau sui-vant, qui eux-mêmes pesteront contre le primaire,s’ils enseignent au secondaire, en criant que leursélèves ne savent pas lire, contre le secondaire où ilsn’ont rien appris, s’ils sont professeurs au cégep, etcontre ces cégeps qui ne servent à rien, s’ils donnentdes cours à l’université. Il est vrai aussi que nousn’avons guère le choix, car lorsque seuls 10, 15

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ou 20% des élèves atteignent le niveau que leur professeur juge sincèrement qu’ils devraient avoiratteint, celui-ci se trouve devant sa classe commelorsqu’il doit remplir son relevé de notes, dans unesituation moralement intenable. Au nom de quelsacro-saint «principe» ferait-il payer à ses élèves, enles faisant échouer, une gabegie dont ils ne sont nul-lement responsables? Et puis, même s’ils ne réussis-sent pas «objectivement» à atteindre les critères quel’on s’était fixés, ces élèves, ou plusieurs d’entre eux,ont travaillé, il y en a certains qui ont fait de vraisefforts, qui ont progressé, ne serait-ce qu’un peu, etd’autres pour qui on ressent une vraie sympathie…Bref, c’est bêtement humain, il est plus facile et plusgratifiant de recevoir un sourire et un remerciementd’un élève que l’on fait passer, que de voir la minebasse de celui que l’on a fait échouer.

Sans compter que, «rationnellement» (mais lemot «raison» a-t-il encore ici le sens que Kant ou sescontemporains lui prêtaient, à une époque où onconfond trop souvent rationalité et calcul d’inté-rêts?), ce professeur sera amené à prendre en comptedes éléments «extérieurs» mais importants, entreautres choses pour son bien-être ou celui de ses col-lègues qui ont moins d’ancienneté que lui. En effet,dans les cégeps, l’établissement est sanctionné finan-cièrement en fonction du nombre d’échecs dans les cours qu’il dispense. Ces sanctions finissent par serépercuter sur la tâche des enseignants, et c’est unedes raisons pour lesquelles la «communauté collé-

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giale» incline à l’indulgence. De plus, là comme dansles universités, le mode de financement normal enfonction du nombre d’étudiants encourage égale-ment ceux qui s’occupent des admissions à ne pasêtre trop regardants sur la qualité. Ils n’ont eux nonplus pas vraiment le choix.

Si l’on ajoute à ces considérations platementfinancières celles évoquées plus haut au sujet desdiplômes largement dévalués, on s’apercevra aisé-ment que l’on est au-delà de toute responsabilitéindividuelle et que c’est l’hypocrisie généralisée d’unsystème qui donne une prime à la médiocrité qu’ilfaut dénoncer. Il faut à tout prix sortir de ce cerclevicieux qui fait que l’on diplôme des étudiants malformés, qui deviendront des professeurs incompé-tents, qui, à la mesure de leur incompétence, se mon-treront cyniques ou indulgents, et formeront à leurtour, mais très incomplètement, des élèves qui… etc.

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À qui la faute?

Il serait évidemment aisé de faire des enseignants-fonctionnaires-et-syndiqués-qui-ne-travaillent-pas-assez les boucs émissaires de cet échec monumentalde notre système scolaire. J’ai moi-même pu avoir,dans les pages qui précèdent, des mots durs pour desenseignants comme moi, pour des collègues, et jem’en excuse. Car l’échec de notre système d’ensei-gnement n’est pas exclusivement leur faute, loin s’enfaut.

J’ai pour collègues, au cégep montréalais où je travaille, des gens exceptionnels. Dans leur trèsgrande majorité, ils sont dévoués, compétents, sou-vent très cultivés. On ne le soupçonne pas assez, maisil y a dans nos cégeps, loin des projecteurs de l’actua-lité, des gens d’un très haut niveau de compétence,qui publient, qui se voient invités à des colloquesinternationaux, qui font de leur mieux pour trans-mettre le meilleur de leur savoir à des générations

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d’étudiants. Il en va certainement de même auxniveaux primaire et secondaire, que je connaismoins.

Il y a aussi, il faut être capable de le reconnaître,des enseignants qui sont moins compétents, moinsdévoués, moins motivés que d’autres. Loin de moil’idée de leur jeter la pierre, car même ceux que l’on entend dire, lors d’une réunion avec les parentsou à la sortie des classes, «si j’aurais», «l’élève que je te parle» ou «l’autobus, elle arrive» et qui parais-sent peu faits pour enseigner une langue qu’ils maîtrisent si mal, sont le fruit et en quelque sorte lesvictimes d’un système, auxquelles on ne peut décem-ment reprocher d’ignorer ce qu’on ne leur a jamaisappris1.

À qui la faute alors, si notre système scolairefonctionne si mal et si sortent de nos établissementsd’enseignement tant de jeunes incultes et à peu prèsillettrés?

Il est évidemment difficile sinon impossible, etde toute façon peu souhaitable, de cibler une quel-conque responsabilité individuelle. Ce qui est encause, c’est un laxisme qui s’est répandu sournoise-

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1. Dans ce cas précis, cette indulgence atteint toutefoisassez vite ses limites, car on pourrait en revanche et à bondroit leur reprocher de ne pas prendre conscience de ceslacunes ou de ne rien faire pour y remédier.

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ment depuis plus de trente ans, une lente érosion qui, de renoncements en renoncements, de discoursjovialistes en constats empreints d’une mauvaise foià peine camouflée, a triomphé au bout du compte detoute volonté sincère de transmettre un véritableenseignement.

On peut néanmoins montrer du doigt certainesresponsabilités institutionnelles. À commencer parcelle des pédagogues professionnels ou, si vous préfé-rez, de ces théoriciens des «sciences de l’éducation»qui ont envahi nos universités, puis les corridors et bientôt les bureaux du MEQ (ou maintenant du MELS) au tournant des années 70-80. Ils y ontrépandu des théories faussement scientifiques, undiscours pseudo-libertaire qui n’a rien de libéra-teur, car l’ignorance est un asservissement, un mode d’enseignement (bien avant la réforme) supposé-ment centré sur le sujet, sur l’«enfant», et qui ne faitqu’atrophier la vie au lieu de favoriser son épanouis-sement. Drapés dans la toge et l’autorité usurpées del’universitaire, du scientifique, du spécialiste, ils ontimposé dans les écoles une vision profondémentidéologique de l’enseignement s’appuyant, avec sou-vent une génération de retard, sur des thèses socio-constructivistes dépassées et que le simple bon sensaurait dû écarter2.

À QUI LA FAUTE? 121

2. Dans un ouvrage publié il y a quelques années, Jean-

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Hannah Arendt s’étonnait déjà au début desannées 60 de la facilité, pour ne pas dire de la naïveté,avec laquelle on avait accueilli aux États-Unis «cetassemblage de théories modernes de l’éducation»originaires d’Europe centrale et qui consistaient,disait-elle, «en un étonnant salmigondis de chosessensées et d’absurdités» qui ont pu néanmoins«révolutionner de fond en comble tout le systèmed’éducation, sous la bannière du progrès en éduca-tion». Ce qui en Europe en était resté, poursuivait-elle, au stade expérimental «a, en Amérique, com-plètement bouleversé et pour ainsi dire du jour aulendemain, il y a de cela vingt-cinq ans, toutes lesméthodes traditionnelles d’enseignement». Le «faitsignificatif, concluait-elle, est que pour ne pas aller à

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(suite de la note 2)

François Mattéi se gaussait du fait que ce «postulat de l’au-tonomie du sujet qui anime une pédagogie constructiviste,plus ou moins inspirée de Piaget, transfère le point d’Archi-mède de l’enseignement […] au seul enfant. Celui-ci doitdonc, s’il veut s’“élever” jusqu’aux savoirs requis, se hisserlui-même par les cheveux hors de son ignorance à l’instar del’ineffable baron prussien» (dans La Barbarie intérieure,Paris, PUF, coll. «Quadrige», 1999, p. 175). Le baron prus-sien dont il est question ici, c’est l’illustrissime baron deMünchhausen, qui se vantait d’être parvenu à se transpor-ter, lui et son cheval, jusque dans la lune, en se tirant par lescheveux!

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l’encontre de certaines théories […], on a résolu-ment mis à l’écart toutes les règles du bon sens3». Lepropos n’est pas récent; mais cela n’a pas empêchéque nous nous lancions, sur leur modèle, dans desréformes absurdes au moment même où nos voisinsdu Sud commençaient à en revenir. Sans doute faut-il croire que Hannah Arendt n’est pas une philo-sophe d’assez haut vol pour figurer au programmede nos facultés des sciences de l’éducation!

Comment ne pas lui donner raison, cependant,quand on considère certaines de ces «idées» pédago-giques, comme celle-ci qui veut qu’on s’adresse à desgroupes d’enfants du primaire en les tutoyant, sousprétexte qu’à cet âge, ils ne sont pas capables de com-prendre que le «vous» pluriel s’adresse à eux? Résul-tat: on entend dans toutes les salles de classe de laprovince des phrases aussi incorrectes et syntaxique-ment absurdes que: «Les amis, tu te tais mainte-nant.» Et que penser, puisqu’on l’a citée, de cetemploi horripilant de l’expression «les amis», jugéepar je ne sais quel mystère plus «politiquement cor-recte» que l’ancienne apostrophe traditionnelle «lesenfants», qui place dans la bouche de professeurs duniveau primaire des propos étranges qui feraient

À QUI LA FAUTE? 123

3. Hannah Arendt, «La crise de l’éducation», dans LaCrise de la culture, Paris, Gallimard, coll. «Folio Essais»,1972, p. 229.

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dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel fran-cophone ailleurs qu’au Québec, comme celui-ci(malheureusement authentique): «Les amis de l’au-tobus, tu te ranges le long du mur», qui arracha enson temps à ma femme ce cri du cœur désabusé: «Ilssont rendus amis avec l’autobus!» En passant, ainsiexposés à une langue bizarre et désarticulée, com-ment voulez-vous ensuite que nos enfants appren-nent à parler correctement?

Autres théories qui paraissent pour le moinscontestables: la «méthode globale» d’apprentissagede la lecture, dont l’échec semble patent, alors que la«méthode syllabique» traditionnelle a permis à plu-sieurs générations d’enfants d’accéder à la littératie;l’enseignement des conjugaisons non plus par verbeet par groupe («je chante, tu chantes, il chante, etc.»,verbes en -er), mais par personne (tous les verbes au «je», puis tous les verbes au «tu», etc.); et bienentendu la fameuse réforme, ce «renouveau pédago-gique» dont on parle tant, dernier avatar rousseauistedu «faire» l’emportant sur le «savoir», et dont nousne traiterons pas ici, car elle n’est que l’ultime incar-nation de ces théories aussi utopiques qu’insensées etqui sera bientôt comme les autres oubliée dans lagrande salle du musée de l’histoire de l’esprit humainconsacrée aux passades et aux lubies.

Il semble bien souvent que l’on change unique-ment pour changer, et je soupçonne que, dans biendes cas, ces multiples réformes des programmes oudes méthodes d’enseignement étaient davantage des-

124 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

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tinées à justifier les salaires des théoriciens de la péda-gogie, et bien des sinécures, qu’à améliorer les per-formances scolaires de nos enfants. Ces lubies depédagogues nous coûtent pourtant encore très cher.On n’a que trop tendance à en oublier le coût social ethumain.

Mais attention. Il est aussi évident que tous cespédagogues aux théories aussi fumeuses n’ont puprendre un tel ascendant, au ministère de l’Éduca-tion d’abord, puis dans les écoles elles-mêmes, queparce que manquait au plus haut niveau une volontépolitique ferme de maintenir au moins un certaindegré de connaissances et de compétences, ainsiqu’une «vision» claire de ce que devait être l’éduca-tion. Dans les années 70, après le retrait du clergé,nous avons collectivement remis entre les mains deces théoriciens, à qui nous reprochons désormaistout, un sceptre dont personne ne voulait.

Avouons-le, le thème de l’éducation n’a jamaisété jusqu’à ces derniers temps (jusqu’à ce que MarioDumont et l’ADQ s’emparent de la question des bul-letins non chiffrés au primaire et de l’évaluation parcompétences) un enjeu électoral bien sérieux. Dansles médias, on discute abondamment et régulière-ment du coût de la rentrée scolaire pour les famillesdéfavorisées, du décrochage, des élèves en difficulté,des bibliothèques scolaires mal approvisionnées, maisjamais ou presque — exception faite de la qualité dufrançais — de ce qui s’enseigne ou ne s’enseigne pasdans nos écoles.

À QUI LA FAUTE? 125

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On pourrait aller plus loin et affirmer qu’il n’y ajamais eu non plus de consensus dans la populationsur cette question de l’enseignement. Individuelle-ment, chacun s’accorde certes à penser et à désirerque ses enfants acquièrent à l’école un minimum de connaissances et de savoir-faire4. Mais sociale-ment, nous peinons, me semble-t-il, à définir le degréculturel, intellectuel et réflexif que l’on voudrait leurvoir atteindre — de même que nous peinons collec-tivement à nous entendre sur la norme linguistiquequi doit être enseignée (j’ai presque envie de dire«imposée»). Aussi, avant de se lancer dans d’autresréformes de la réforme, comme on s’apprête appa-remment à le faire, aurions-nous avantage à susciter,sur cette question de l’éducation, un vaste débatauquel j’espère humblement contribuer par l’inter-médiaire de ce pamphlet.

Cela dit, un des éléments qui font que je doutequ’il y ait jamais un véritable débat sur cette ques-tion, c’est que la majorité des parents d’enfants scola-risés se satisfont de cette école qui éduque mal: lesuns par inconscience, due pour une part à l’éduca-tion déficiente qu’ils ont eux-mêmes reçue; les autres— les parents des classes moyennes éduquées —

126 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

4. Ce «minimum» sera, il va sans dire, éminemmentvariable d’une personne à l’autre, en fonction des valeurs etaussi du milieu socioculturel de chacune.

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parce qu’ils sont trop contents peut-être de voir leurspropres rejetons échapper, pour un coût sommetoute modique5, à la médiocrité de l’école publique.La fuite massive, dans la grande région de Montréal,de ces enfants de la classe moyenne vers les écoles privées ou les écoles dites «à projet particulier»,internationales ou autres (qui ne sont en fait, surtoutet avant tout, que des écoles qui opèrent une sélec-tion), est la raison principale de cette absence deconsensus et de cette indifférence pour les questionsd’éducation.

Je ne connais pas beaucoup de directeurs (oudirectrices) d’école, de professeurs, et il doit en allerde même des pédagogues du ministère, dont lesenfants, lorsqu’ils en ont, fréquentent l’écolepublique, si ce ne sont des «écoles internationales»ou à «projet particulier». Je subodore que ce faitjoue un rôle quelconque dans leur définition de ceque doit être l’école publique et des services qu’elledoit fournir6.

À QUI LA FAUTE? 127

5. Si on tient compte de l’avantage social ainsi procuré.

6. Il n’y a pas si longtemps, un maire de Montréal voulaitcontraindre les fonctionnaires municipaux à habiter la ville.On pourrait imaginer dans l’éducation une mesure, ou un«principe de responsabilité», similaire. Ceux qui gèrent,enseignent, travaillent dans le système scolaire public nedevraient-ils pas être fiers d’y envoyer leurs enfants? On a

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Il est très clair, à mon humble avis, que si c’était«l’école de tous» dont on parlait, bien des parentsseraient scandalisés du faible niveau atteint par leursenfants qui en sortiraient diplômés. Mais l’écolepublique, sur l’île de Montréal en tout cas, est de plusen plus «une école des pauvres» que ne fréquententplus les enfants de cette classe moyenne éduquée, quiuse à cette fin de différents stratagèmes pour échap-per au sort commun.

D’où — sans doute aussi — le virage préventif,hygiéniste, pacifiste pris par l’école, particulièrementdans certains quartiers montréalais dits «sensibles».Il y est bien question de remédier aux déficiencesparentales dans ces milieux pauvres et de prévenirdes explosions de délinquance. L’enseignement, aumieux, y paraît un souci très secondaire. Et si l’on

128 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

(suite de la note 6)

parfois l’impression que plus on connaît l’école, à l’instar deMme Suzanne G. Chartrand, citée dans le chapitre précé-dent, plus on se montre à son égard des plus méfiants…Comme solution de rechange à cette mesure par tropcontraignante, peut-être pourrait-on néanmoins concevoir— à l’usage des enseignants qui sont aussi des parents — leprincipe utopique suivant: «Donner à mes élèves — dansla mesure de mes moyens — une éducation au moins aussivalable que celle que je voudrais que reçoivent mes propresenfants.»

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s’arrête pour y penser, l’école des «classes dange-reuses» n’a jamais — au fil de l’histoire — eu pourfonction essentielle d’enseigner, mais de maintenirsur le chaudron social la chape de plomb du mora-lisme, du conformisme et de la paix.

C’est ainsi qu’une école qui se veut démocrati-quement «ouverte à tous» s’est, dans les faits, trans-formée en «école ghetto», accroissant par le faitmême le fractionnement social contre lequel elleprétendait lutter. C’est là encore un peu paradoxal:alors qu’on prétendait être mû par des valeurs égali-taires, on a créé un système d’enseignement «à deuxvitesses», où l’argent, la richesse, devient le seul fac-teur de discrimination. On peut se demander dans lefond s’il n’aurait pas mieux valu, et surtout si celan’aurait pas été plus juste, de maintenir un principeélitiste et sélectif fondé sur les résultats scolaires?

Méritocratie? Ploutocratie? Le débat estouvert… Quoi qu’il en soit, soyons bien persuadésque l’école sera toujours à l’image du monde social.Et vice-versa. C’est pourquoi nous avons tous, sur cesujet de l’éducation, une responsabilité particulière,celle de nous demander dans quelle société nousvoulons vivre et quel avenir nous voulons pour nosenfants.

Et afin que le lecteur ne sous-estime pas l’im-portance réelle, mais aussi le caractère délicat, d’unetelle prise de responsabilité, je l’inviterai à méditercette réflexion de Kant: «Voici un principe de l’artde l’éducation que particulièrement les hommes qui

À QUI LA FAUTE? 129

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font des plans d’éducation devraient avoir sous lesyeux: on ne doit pas seulement éduquer des enfantsd’après l’état présent de l’espèce humaine, maisd’après son état futur possible et meilleur, c’est-à-dire conformément à l’Idée de l’humanité et à sadestination totale. Ce principe est de grande impor-tance.» Mais il ajoute, ne se faisant à ce sujet appa-remment guère d’illusions, qu’en règle générale «lesparents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il»,plutôt que de faire en sorte qu’ils reçoivent une édu-cation de meilleure qualité «afin qu’un meilleur étatpût en sortir dans l’avenir». Quant aux «princes»,ils «ne considèrent leurs sujets que comme des ins-truments pour leurs desseins». Ainsi, les uns commeles autres «n’ont pas pour but ultime le bien univer-sel et la perfection à laquelle l’humanité est destinée,et pour laquelle elle possède aussi des dispositions7».

7. Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation,Paris, Librai-rie philosophique J.Vrin, 1993, p. 79-80.

130 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

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En guise de conclusion…Que faire?

Peut-être m’aura-t-on trouvé, tout au long des pagesqui précèdent, «critiqueux sans bon sens» —comme on dit. Il y avait urgence, je crois, à dresser cet état des lieux. Je ne voudrais toutefois pas paraîtreseulement «critiqueux», aussi proposerai-je en guisede conclusion certaines mesures qu’il me sembleurgent de prendre (mais sans me faire là-dessus lamoindre illusion), certaines avenues qui devront êtreem prun tées si, du moins, on veut améliorer notresystème d’éducation. Elles vont dans le sens que souhaitent une bonne partie de ceux qui restentconvaincus comme moi que le problème de l’éduca-tion est sérieux et qu’il ne sert à rien de se remettrependant dix ou quinze ans la tête dans le sable, enattendant qu’une génération de plus ait été sacrifiéesur l’autel de l’expérimentation socioconstructivisteou d’une quelconque autre utopie qu’auront imagi-née d’ici là — sans le moindre égard pour la réalité

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— nos théoriciens de la pédagogie. Elles vont aussidans le sens vers lequel on aimerait voir s’orienter(ou s’aventurer) un (ou une) ministre de l’Éducationqui ne craindrait pas d’imposer le point de vue de lamajorité, non seulement des parents mais également— j’ose le croire — des professeurs, à ses fonction-naires et aux prétendus spécialistes et pédagogues duministère qui gèrent depuis trente ans et en notrenom le système scolaire québécois, qu’ils ont menésur une telle voie sans issue qu’ils n’osent même plusrévéler publiquement les résultats obtenus à leursexamens nationaux par nos enfants qui étudient auprimaire.

Voici donc, en toute modestie, quelques propo-sitions.

1. Accepter l’idée que notre système scolaire n’a

pas besoin d’une énième réformette cosmé-

tique, mais bien d’une refondation générale. Au

besoin — s’il est des gens au sein de la classe poli-

tique, de la communauté scolaire ou de la popu-

lation qui n’en sont pas convaincus —, organiser

un référendum afin d’obtenir des électeurs un

mandat clair pour piloter une telle réforme. Si le

NON devait l’emporter, renoncer tout simple-

ment. Car une réforme de cette envergure doit,

pour être menée à bien, bénéficier d’un large

consensus social et du soutien d’une bonne par-

tie de la population.

132 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 133: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

2. Redonner au ministère de l’Éducation du

Québec son ancien nom, car, franchement,

mélanger éducation, loisir et sport, «ça part mal»

une volonté de restituer à l’éducation la place de

choix qui, dans la société, lui revient de droit.

3. Réformer les programmes, dans toutes les

matières. Fixer pour chaque niveau d’étude des

objectifs clairs, sans l’atteinte desquels il sera

hors de question pour l’élève de passer au niveau

suivant (rétablir par conséquent — si ce n’est

déjà fait — le redoublement), et surtout s’en

tenir ensuite coûte que coûte à ces critères d’éva-

luation, à ce seuil, que l’on aura dûment établis,

car il faut à tout prix en finir avec les résultats

biaisés des examens qui ne constituent rien

moins qu’une tricherie institutionnalisée.

4. Revaloriser la formation des enseignants en

exigeant d’eux qu’ils obtiennent le diplôme du

baccalauréat dans leur matière — comme c’était

le cas il n’y a pas si longtemps — avant de se frot-

ter à la pédagogie (matière qui, à mon sens, est

plus affaire de pratique — une praxis— que de

théorie), car c’est un mythe de croire que l’on

puisse «apprendre à apprendre». C’est le «gros

bon sens», en fait: on ne peut correctement

enseigner que ce que l’on connaît, et même ce

que l’on connaît bien. J’ajouterai qu’on ne peut

intéresser des élèves à une matière — surtout

dans le domaine des sciences humaines — que si

EN GUISE DE CONCLUSION…QUE FAIRE? 133

Page 134: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

on éprouve pour elle un minimum de pas-

sion ou à tout le moins de respect. Cette réforme

de la formation au métier d’enseignant aura

donc pour effet non seulement d’améliorer les

connaissances de base des professeurs qui font

la classe à nos enfants, mais aussi d’apporter de

nouvelles motivations à un corps enseignant

trop souvent perçu — et qui se perçoit peut-être

lui-même — comme s’il avait essentiellement

un rôle d’assistance sociale. Là encore, le Plan

d’action de la ministre Courchesne semble aller

dans la bonne direction en imposant aux uni-

versités de «faciliter l’accès à l’enseignement du

français au secondaire pour les étudiants diplô-

més en linguistique et en littérature». Mais si

c’est reconnaître à demi-mots qu’on peut être

un bon enseignant avec un peu moins de forma-

tion en pédagogie et une meilleure connaissance

de la matière enseignée, pourquoi donc s’arrêter

en si bon chemin et risquer, en maintenant en

sciences de l’éducation une formation essentiel-

lement axée sur la méthodologie de l’enseigne-

ment, de constituer deux catégories de nou-

veaux enseignants, les uns compétents en leur

matière et les autres un peu moins? Cette poli-

tique de demi-mesures et de petits pas est exas-

pérante et ne règle rien!

5. Parallèlement à cette transformation de la

formation professionnelle, il me paraît néces-

134 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 135: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

saire aussi de revaloriser la profession d’ensei-

gnant afin d’attirer les meilleurs candidats (c’est

aussi une des conclusions auxquelles sont parve-

nus les membres du comité présidé par Conrad

Ouellon, ce dernier reconnaissant pudiquement

que l’enseignement «n’attire pas toujours les

meilleurs candidats possible1»). Il est clair en

effet que l’importance qu’une société accorde à

l’éducation doit se refléter plus ou moins dans la

vision qu’elle a de la profession d’enseignant.

Une telle revalorisation peut — et doit — passer

par une majoration de leur traitement, de leur

salaire, mais ce n’est pas tout. Il faut aussi réta-

blir, par des mesures de discipline strictes, le

respect qui leur est dû de la part des enfants

ou des adolescents qu’ils ont pour charge de for-

mer. Il faut aussi que cesse la condescendance

avec laquelle les considèrent les gestionnaires ou

les pédagogues, pour qui tout ce qui se déroule

dans les salles de classe est le plus souvent terra

incognita,mais qui ne se privent pas en revanche

d’imposer aux enseignants toutes sortes de

tâches annexes (administratives ou autres: pro-

jets d’école, plans de réussite, etc.) qui viennent

gruger leur temps et parfois même les empêcher

d’enseigner correctement.

EN GUISE DE CONCLUSION…QUE FAIRE? 135

1. Le Journal de Montréal,mercredi 9 janvier 2008.

Page 136: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

6. Si l’on veut véritablement améliorer la qualité

du français écrit et parlé de nos jeunes, il faut

accepter de mener à grande échelle et à long

terme une politique volontariste de la langue.

L’un des problèmes vient à l’heure actuelle du

fait qu’il n’existe plus de «lieu» — l’école ne

jouant plus pleinement ce rôle — où nos enfants

et nos adolescents seraient confrontés systémati-

quement à une «langue de qualité», qu’ils

apprendraient non seulement à reconnaître

mais aussi à utiliser. Je suis pour ma part

convaincu que l’école doit redevenir cette ins-

tance de légitimation de la correction linguis-

tique, cet espace où ne seront plus tolérés les «si

je serais», «ça l’a pas d’importance», «quand

qu’on» ou «l’autobus, elle arrive». Il ne s’agit

pas de nier le caractère dynamique du français,

qui, comme toute langue vivante, est appelé à

changer, à se transformer, à s’adapter aux évolu-

tions sociales et à la modernité, mais de réinstau-

rer une hiérarchie des niveaux de langue, une

maîtrise de la complexité, c’est-à-dire de la

richesse, du code linguistique, de réaffirmer une

dimension culturelle et pas seulement quoti-

dienne du langage sans quoi une langue, ainsi

amputée d’une partie d’elle-même, demeure

étiolée, rudimentaire, incomplète et glisse dan-

gereusement vers le statut de simple «patois».

7. Que, dans la formation des futurs profes-

136 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 137: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

seurs, cette maîtrise du code linguistique consti-

tue un critère fondamental pour l’obtention

d’un diplôme accordant (toutes matières

confondues) le droit d’enseigner.

8. Au chapitre toujours de la qualité du français,

en ce qui concerne les enseignants en exercice

cette fois: obligation de subir un test diagnos-

tique en français et en orthographe. Pour ceux,

probablement assez nombreux, qui y échoue-

raient, il faudrait mettre sur pied des stages de

perfectionnement. La mesure aurait avantage à

être étendue au personnel administratif des

écoles, y compris les membres de la direction. De

toutes les mesures du Plan d’action pour l’amé-

lioration du français, ce sont celles qui vont dans

ce sens qui paraissent à bien des égards les plus

convaincantes (quoique aussi les plus probléma-

tiques, car il est inévitable qu’elles vont entrer en

conflit avec les prérogatives des commissions

scolaires ainsi qu’avec les conventions collec-

tives), encore qu’on ne voie pas trop ce que signi-

fie précisément un énoncé tel que «chaque

enseignant devra se donner un plan de forma-

tion continue en français». Cela veut-il dire que

chaque professeur à l’échelle du Québec se verra

contraint de recevoir en français une formation

continue? Et d’abord, tous en ont-ils besoin?

Ou alors, est-ce que cela sera laissé à la discrétion

de chacun?

EN GUISE DE CONCLUSION…QUE FAIRE? 137

Page 138: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

9. Auprès des élèves, au lieu de l’idée saugrenue

de supprimer les notes, il me semble qu’il fau-

drait au contraire — et ce, à tous les niveaux —

valoriser l’excellence scolaire. Comme tant

d’autres certainement, je ne suis pas sûr de vou-

loir que l’on revienne aux distributions de prix

d’antan, mais il est d’autres façons de motiver

des élèves que de leur offrir de la pizza! Les notes

devraient entre autres être là pour ça! Aux

niveaux supérieurs, on pourrait envisager de

promouvoir — en sus des prêts et bourses — un

système de bourses au mérite afin de permettre à

des jeunes issus d’un milieu défavorisé de pour-

suivre leurs études.

À ce compte-là, nos enfants sortiront peut-êtrede l’école moins ignorants…

138 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 139: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

ÉpilogueEt pourtant… je les aime

Alors que nous discutions de la sempiternelle ques-tion de la faible performance de nos élèves, de leurinculture et de leur piètre connaissance des règles debase de l’orthographe, etc. (éternelle rengaine desconversations de couloir entre professeurs), un jeunecollègue conclut notre discussion un peu désabuséed’un positif et rassurant «Et pourtant, je les aime»qui me laissa songeur.

Nul n’est à l’abri du doute: moi qui m’obstine àleur faire lire des livres qu’ils n’aiment pas, à leurposer des questions qu’ils ne se posent pas, à exigerd’eux qu’ils sachent argumenter et qu’ils écriventcorrectement, à les noter peut-être trop sévèrement,etc., est-ce que je les aime assez? Cette question metarauda toute la journée.

Marie-Claude, Martin, Jasmine, Jegor, Nicole,Youssef, Sandra, Jean-Bernard, je ne vous l’ai jamaisdit et je ne vous le dirai certainement jamais, mais je

Page 140: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

vous aime… Je vous aime pour votre sincérité, votrecuriosité, votre intelligence, votre naïveté aussi, votrehumour, votre sans-gêne parfois, je vous aime sur-tout quand je vois vos yeux s’allumer…

Mais — dans les commentaires que j’inscris survos copies aussi il y a toujours un «mais» — c’estprécisément parce que je vous aime que j’en veux à laterre entière de vous avoir trop souvent si mal for-més, et que je vous dédie ce pamphlet.

Si jamais un jour vous lisez ces pages, j’espèreque vous ne m’en voudrez pas de ce que j’y dis à votresujet. Si je dénonce votre ignorance, votre inculture,votre méconnaissance hallucinante de l’ortho-graphe, ce n’est pas à vous que j’en veux, je ne vous entiens pas personnellement pour responsables, carvous avez été trahis par ceux-là mêmes qui, sous le prétexte fallacieux de vous protéger, ne vous ontrien appris.

Combien de fois je n’ai su que répondre à ceuxd’entre vous qui cherchaient à savoir, lorsqu’ils enprenaient tout à coup conscience, pourquoi ils igno-raient tant de choses qu’ils auraient été censésconnaître, pourquoi on les avait jusque-là si généreu-sement notés? Pourquoi y avait-il un tel décalageentre ce qu’ils avaient vécu auparavant et les coursqu’ils découvraient avec un certain désarroi aucégep? Réponses évasives de ma part: je ne me suisjamais résolu à vous faire perdre vos illusions. Je nepeux pas non plus m’empêcher de penser que c’estun immense gâchis!

140 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 141: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Je finirai par une anecdote. J’ai vu récemmentpartir à la retraite deux collègues qui avaient com-mencé à enseigner au début des années 70. Lors de leur soirée d’adieu, les deux ont fait le mêmeconstat: nous avons échoué. Les deux ont dit leurespoir de voir s’améliorer, se bonifier le niveau intel-lectuel et culturel de ces générations d’élèves à qui ilsavaient eu la charge de transmettre leur passion pourla réflexion, la langue dont ils usaient admirablementtous les deux, la littérature qu’ils aimaient profon-dément. Les deux ont évoqué avec une amertumecontenue le constat qu’ils ont été obligés de faire au fildes ans, selon lequel le «niveau» de leurs élèves nes’améliorait pas. Pire! Il baissait! Sauf exception(heureusement, il y en a et il y en aura toujours), noscégépiens lisent de plus en plus mal, écrivent trèsmédiocrement, argumentent d’une façon qu’on nepeut même pas se résoudre à qualifier de «pri-maire»… Et pourtant. Nous sommes malheureuse-ment placés aux premières loges pour le voir. Peu demes collègues contestent d’ailleurs ce constat. Mais,contrairement à ces deux retraités, ils s’en accommo-dent plus ou moins, ou considèrent trop souvent cetaccroissement de l’ignorance et de l’inculture commeune évolution inévitable. Il est tellement vrai qu’il estlassant et épuisant de se battre sans cesse contre desmoulins à vent! Pourtant, je reste persuadé qu’aumoins pour nos élèves, si nous les aimons véritable-ment, nous ne devons pas baisser les bras ni nousrésoudre à cette fatalité.

ÉPILOGUE 141

Page 142: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau
Page 143: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Table des matières

Avant-propos 11

La question de l’orthographe 23

L’orthographe (suite), ou le «pourkoi» du «pourquois» 31

L’orthographe (suite et fin), ou pourquoi ne pas l’enseigner? 37

Le langage et la pensée 47

Mot d’excuses à mes élèves allophones 61

De la «culture commune» 69

L’estime de soi 81

Page 144: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Les élèves-en-difficulté 95

Tout sauf enseigner… 107

À qui la faute? 119

En guise de conclusion… Que faire? 131

Épilogue: Et pourtant… je les aime 139

144 POURQUOI NOS ENFANTS SORTENT-ILS DE L’ÉCOLE IGNORANTS?

Page 145: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Mark AbleyParlez-vous boro?

Jacques AlarySolidarités

Marcos Ancelovici et Francis Dupuis-DériL’Archipel identitaire

Richard Appignanesi et Oscar ZarateLénine pour débutants

Bernard ArcandAbolissons l’hiver!Le Jaguar et le Tamanoir

Benoit AubinChroniques de mauvaise humeur

Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)De l’abus de pouvoir sexuel

Ronald BabinL’Option nucléaire

Claude BaillargeonModernité et Liberté

Denise BaillargeonNaître, vivre, grandir. Sainte-Justine,

1907-2007

Bruno BallardiniJésus lave plus blanc

Louis Balthazar et Jules BélangerL’École détournée

Jean BarbeChroniques de l’air du temps

Maude BarlowDormir avec l’éléphant

Maude Barlow et Tony ClarkeL’Or bleu

Monique BéginL’Assurance-santé

Bertrand Bellon et Jorge NiosiL’Industrie américaine

François Benoit et Philippe ChauveauAcceptation globaleL’Affaire Adam et Ève

Thomas R. BergerLa Sombre Épopée

Gilles BibeauLe Québec transgénique

Gilles Bibeau et Marc PerreaultDérives montréalaisesLa Gang: une chimère à apprivoiser

James Bickerton, Alain-G. Gagnon et Patrick J. SmithPartis politiques et comportement

électoral au Canada

EXTRAIT DU CATALOGUE

Page 146: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Michel Biron, Élisabeth Nardout-Lafargeet François DumontHistoire de la littérature québécoise

Neil BissoondathLe Marché aux illusions

François BlaisUn revenu garanti pour tous

Martin BlaisL’Autre Thomas d’Aquin

Josée BlanchetteChère JobloPlaisirs singuliers

Robert BlondinLe Guerrier désarmé

Mathieu Bock-CôtéLa Dénationalisation tranquille

Gérard Boismenu, Gilles Bourque, Roch Denis, Jules Duchastel, Lizette Jalbert et Daniel SaléeEspace régional et Nation

Gérard Boismenu et Jean-Jacques GleizalLes Mécanismes de régulation sociale

Jean-Marie BorzeixLes Carnets d’un francophone

Gérard Bouchard et Alain RoyLa culture québécoise est-elle

en crise?

Lucien BouchardÀ visage découvert

René BouchardFilmographie d’Albert Tessier

Serge BouchardL’homme descend de l’ourseLe Moineau domestiqueRécits de Mathieu Mestokosho,

chasseur innu

Jean-Pierre BourassaLe Moustique

Gilles Bourque et Gilles DostalerSocialisme et Indépendance

Gilles Bourque et Jules DuchastelRestons traditionnels et progressifs

Philippe BretonLa Parole manipulée

Philippe Breton et Serge ProulxL’Explosion de la communication

à l’aube du XXIe siècle

Paule BrièreAttention: parents fragiles

Stephen Brooks et Alain-G. GagnonLes Spécialistes des sciences sociales

et la politique au Canada

Dorval BrunelleDérive globale

Luc BureauLa Terre et Moi

Georges CampeauDe l’assurance-chômage

à l’assurance-emploi

Mario Cardinal, Vincent Lemieux et Florian SauvageauSi l’Union nationale m’était contée

Jean CaretteL’âge dort?Droit d’aînesse

Claude CastonguayMémoires d’un révolutionnaire

tranquille

Gérard Chaliand et Jean-Pierre RageauAtlas de la découverte du monde

Antoine Chapdelaine et Pierre GosselinLa Santé contagieuse

Jean CharronLa Production de l’actualité

Julie Châteauvert et Francis Dupuis-DériIdentités mosaïques

Jean ChrétienPassion politique

Tony ClarkeMain basse sur le Canada

Marie-Aimée ClicheMaltraiter ou punir?

Renée Cloutier, Jean Moisset et Roland OuelletAnalyse sociale de l’éducation

Page 147: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Yolande CohenFemmes et Contre-pouvoirs

Jean-Pierre ColignonUn point, c’est tout!

Chantal CollardUne famille, un village, une nation

Nathalie Collard et Pascale NavarroInterdit aux femmes

Sheila CoppsLa Batailleuse

Gil CourtemancheChroniques internationalesLa Seconde Révolution tranquilleNouvelles Douces Colères

Harold CrooksLa Bataille des orduresLes Géants des ordures

CSN-FNEEQ-FEESPLes cégeps ont-ils un avenir?

Louise DechêneLe Partage des subsistances

au Canada sous le régime français

Le Peuple, l’État et la guerre au Canada sous le régime français

Serge DenisSocial-démocratie et mouvements

ouvriersUn syndicalisme pur et simple

Jean-Pierre DerriennicNationalisme et Démocratie

Jean-Paul DesbiensJournal d’un homme farouche,

1983-1992

Léon DionLe Duel constitutionnel

Québec-CanadaLa Révolution déroutée 1960-1976

François DompierreLes Plaisirs d’un compositeur

gourmand

Gilles DostalerLa Crise économique et sa gestion

Carl DubucLettre à un Français

qui veut émigrer au Québec

André DuchesneLe 11 septembre et nous

Christian DufourLa Rupture tranquille

Valérie Dufour et Jeff HeinrichCircus quebecus. Sous le chapiteau

de la commission Bouchard-Taylor

Jacques Dufresne et Jocelyn JacquesCrise et Leadership

Fernand DumontGenèse de la société québécoiseRécit d’une émigration

Jean DupaysAbécédaire québécois

Renée DupuisQuel Canada pour les Autochtones?Tribus, Peuples et Nations

Shirin EbadiIranienne et libre

Joseph FacalVolonté politique et pouvoir médical

Joseph Facal et André PratteQui a raison?

Fédération internationale des droits de l’homme

Rompre le silence

Damien FièreLes Entretiens Jacques Cartier

Vincent FischerLe Sponsoring international

FNEEQ-CSNVers des pédagogies non

discriminatoires

David K. FootEntre le Boom et l’Écho 2000

Dominique ForgetPerdre le Nord?

Robert FortierVilles industrielles planifiées

Page 148: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Graham FraserVous m’intéressezSorry, I don’t speak French

Josh FreedVive le Québec Freed!

Alain-G. Gagnon et Raffaele IacovinoDe la nation à la multination

Robert GagnonQuestions d’égouts

France GasconL’Univers de Saint-Denys Garneau

D. Gauvreau, D. Gervais, P. GossageLa Fécondité des Québécoises

Louis GillÉconomie mondiale et ImpérialismeFondements et Limites

du capitalismeLes Limites du partenariat

Yves Gingras et Yanick VilledieuParlons sciences

Jacques Godbout et Richard MartineauLe Buffet

Jacques T. GodboutLe Don, la Dette et l’IdentitéL’Esprit du don

Pierre GodinLa Poudrière linguistique

Peter S. Grant et Chris WoodLe Marché des étoiles

Allan GreerCatherine Tekakwitha et les jésuites

Madeleine GreffardPortes ouvertes à l’École de la Rue

Groupe de LisbonneLimites à la compétitivité

Nicole GuilbaultHenri Julien et la tradition orale

Sylvie HalpernMorgentaler, l’obstiné

Tom HarpurLe Christ païenL’Eau et le Vin

Jean-Claude HébertFenêtres sur la justice

Jacques HébertDuplessis, non merci!Voyager en pays tropical

Stanley HoffmannUne morale pour les monstres froids

Thomas Homer-DixonLe Défi de l’imagination

Michael IgnatieffLa Révolution des droits

Ivan Illich et Barry SandersABC: l’alphabétisation

de l’esprit populaire

Jane JacobsLa Nature des économiesRetour à l’âge des ténèbresSystèmes de survieLes Villes et la Richesse des nations

Daniel JacquesLes Humanités passagèresNationalité et ModernitéLa Révolution techniqueTocqueville et la Modernité

Pierre-André Julien et Bernard MorelLa Belle Entreprise

Michel JurdantLe Défi écologiste

Dyane Kellenny ChalifouxCes enfants nés de mon cœur

Stéphane KellyLes Fins du CanadaLa Petite Loterie

Will KymlickaLa Citoyenneté multiculturelleLa Voie canadienne

Guy LaforestDe la prudenceDe l’urgence

Constance LamarcheL’Enfant inattendu

Pierre Lamonde et Jean-Pierre BélangerL’Utopie du plein emploi

Page 149: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Jacques LaplanteCrime et Traitement

Louise-L. LarivièrePourquoi en finir avec

la féminisation linguistique

Gilbert LarochelleL’Imaginaire technocratique

Louis La RochelleEn flagrant délit de pouvoir

Jean LaroseLa Souveraineté rampante

Daniel LatoucheLe BazarPlaidoyer pour le QuébecPolitique et Société au QuébecUne société de l’ambiguïté

Daniel Latouche et Diane Poliquin-BourassaLe Manuel de la parole

Marc LaurendeauLes Québécois violents

Adèle LauzonPas si tranquille

Carl LeblancLe Personnage secondaire

Jean-Paul LefebvreL’Éducation des adultes

Anne LegaréLa souveraineté est-elle dépassée?

Josée LegaultL’Invention d’une minorité

Vincent LemieuxEt la fête continue

Vincent Lemieux et Raymond HudonPatronage et Politique au Québec

1944-1972

Marc LesageLes Vagabonds du rêve

Jocelyn LétourneauLes Années sans guideLe Coffre à outils du chercheur

débutantPasser à l’avenirQue veulent vraiment les Québécois?

Roger LevasseurDe la sociabilitéLoisir et Culture au Québec

Paul-André LinteauBrève histoire de Montréal

Jean-François LiséeDans l’œil de l’AigleLe NaufrageurNousLes PrétendantsSortie de secoursLe Tricheur

James LorimerLa Cité des promoteurs

C. B. MacphersonPrincipes et Limites

de la démocratie libérale

Chantal Mallen-JuneauL’Arbre et la Pagode

Michael MandelLa Charte des droits et libertés

Louis MarinLa Parole mangée

Jean-Claude MarsanSauver Montréal

Richard MartineauLa Chasse à l’éléphant

Georges MathewsLe Choc démographique

Kenneth McRobertsUn pays à refaire

Daniel MercureLe Travail déraciné

Christian Miquel et Guy MénardLes Ruses de la technique

Michael MooreMike contre-attaque!Tous aux abris!

Claude MorinL’Affaire MorinL’Art de l’impossibleLes choses comme elles étaientLa Dérive d’OttawaLes Prophètes désarmés?

Page 150: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Mes Premiers MinistresLe Pouvoir québécois en négociation

Michel MorinL’Usurpation de la souveraineté

autochtone

Anne-Marie MottetLe Boulot vers…

Antonio Negri et Michael HardtMultitude

Lise NoëlL’Intolérance

Edmond OrbanLa Modernisation politique

du Québec

Martin PâquetTracer les marges de la Cité

Jean ParéLe Code des ticsDélits d’opinionJe persiste et signeJournal de l’An I du troisième

millénaire

Ginette ParisLa Renaissance d’Aphrodite

Roberto PerinIgnace de Montréal

Pierre S. PettigrewPour une politique de la confiance

Nadine PirottePenser l’éducation

Daniel PoliquinLe Roman colonial

Alain PontautSanté et Sécurité

André PratteLe Syndrome de Pinocchio

Jean ProvencherChronologie du Québec

John RawlsLa Justice comme équitéPaix et démocratie

Philip Resnick et Daniel LatoucheRéponse à un ami canadienLettres à un ami québécois

François RicardLa Génération lyrique

Jeremy RifkinL’Âge de l’accèsLa Fin du travail

Christian RiouxVoyage à l’intérieur des petites

nations

Marcel RiouxUn peuple dans le siècle

Antoine RobitailleLe Nouvel Homme nouveau

Louis-Bernard RobitailleErreurs de parcoursParis, France

Jacques RouillardApprivoiser le syndicalisme

en milieu universitaire

Bruno RoyMémoire d’asile

Jean-Hugues RoyProfession: médecin

Jean-Yves RoyLe Syndrome du berger

Claude RyanRegards sur le fédéralisme

canadien

Louis SabourinPassion d’être, désir d’avoir

Christian Saint-GermainPaxil(r) Blues

John SaulRéflexions d’un frère siamois

Mathieu-Robert SauvéLe Québec à l’âge ingrat

Candace SavageCorbeaux

Rémi SavardLa Forêt vive

Patrick Savidan et Patrice MartinLa Culture de la dette

Dominique ScarfoneOublier Freud?

Page 151: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

Éric SchwimmerLe Syndrome des plaines d’Abraham

Michel SeymourDe la tolérance à la reconnaissance

Micheline de SèvePour un féminisme libertaire

Carolle SimardL’Administration contre les femmesCette impolitesse qui nous distingue

Léopold SimoneauL’Art du bel canto

SIRICAllô… Moi? Ici les autresCommunication ou Manipulation

SIRIMAlors survient la maladie

Patricia SmartLes Femmes du Refus global

Pierre SormanyLe Métier de journaliste

David SuzukiMa vie

David Suzuki et Wayne GradyL’Arbre, une vie

David Suzuki et Holly DresselEnfin de bonnes nouvelles

David Suzuki, Amanda McConnell et Adrienne MasonL’Équilibre sacré

Marie-Blanche TahonVers l’indifférence des sexes?

Charles TaylorLes Sources du moi

Luc-Normand TellierVive Montréal libre!

Rita Therrien et Louise Coulombe-JolyRapport de l’AFÉAS sur la situation

des femmes au foyer

Gustave ThibonL’Ignorance étoilée

Bruce G. TriggerLes Indiens, la Fourrure et les Blancs

UNEQLe Métier d’écrivain

Bernard VachonLe Québec rural dans tous ses états

Marc VachonRebelle sans frontières

Christian VandendorpeDu papyrus à l’hypertexte

Roland ViauEnfants du néant et mangeurs d’âmesFemmes de personne

Yanick VilledieuLa Médecine en observationUn jour la santé

Jean-Philippe WarrenL’Engagement sociologiqueHourra pour Santa Claus!Une douce anarchie

Page 152: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE:LES ÉDITIONS DU BORÉAL

ACHEVÉ D’IMPRIMER EN SEPTEMBRE 2008SUR LES PRESSES DEMARQUIS IMPRIMEUR

À CAP-SAINT-IGNACE (QUÉBEC).

Imprimé sur du papier 100% postconsommation,

traité sans chlore, certifié Éco-Logo

et fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz.

Page 153: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau
Page 154: Pourquoi Nos Enfants Sortent-ils de l'Ec - Patrick Moreau

PATRICK MOREAUPourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ?Ce pamphlet est né du désarroi d’un professeur qui, année après année, voit débarquer dans ses classes au cégep des élèves incultes « comme ça se peut pas » et quasi illettrés, si l’on considère les diffi­cultés que plusieurs d’entre eux (entre le tiers et la moitié) éprouvent à lire et à comprendre un texte simple, ainsi que leur méconnaissance abyssale des principes de base de l’orthographe.

Il émane aussi du questionnement d’un citoyen qui se demande comment un régime démocratique qui ne serait pas de pure forme peut continuer à fonctionner adéquatement si les électeurs n’ont pas reçu une formation intellectuelle qui leur permette d’évaluer rationnellement les enjeux des débats dont ils sont théoriquement les arbitres autorisés.

Il découle également du scepticisme d’un homme qui s’interroge, au nom de l’humanisme qui est le sien, sur l’immodestie de notre époque, pour ne pas dire sa forfanterie, quand elle s’imagine naïve­ment pouvoir « réinventer la roue » et qu’elle n’éprouve plus, de ce fait, le besoin de transmettre à ses propres héritiers le legs culturel, intellectuel, esthétique qui lui a permis d’être ce qu’elle est.

Sur un plan plus personnel, enfin, ce pamphlet trouve sa source dans l’effroi causé au père que je suis par la perspective d’avoir des enfants ignorants, ou alors par les sommes importantes que nous, parents, devrions débourser pour que nos enfants reçoivent au secondaire un peu mieux qu’un semblant d’éducation.

Pourquoi un pamphlet ? Parce que toutes ces préoccupations ne me gardent pas calme ! Et parce que, au point où nous en sommes, il n’est plus temps de faire — comme on dit — « dans la dentelle » !

Patrick Moreau

Patrick Moreau est né en France en 1967. Il y a connu sa première expé­rience en enseignement, en 1990­1991, en tant que professeur de français au niveau secondaire. Il s’est établi à Montréal en 1994. Depuis 1995, il est professeur de littérature au Collège Ahuntsic.

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