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1 Pour une Nouvelle Gouvernance : Nouveaux Enjeux, Nouveaux Comportements La notion de « Gouvernance », même si elle procède d’un anglicisme désormais passé dans l’usage courant de la langue française et certainement trop largement utilisée dans des contextes très diversifiés, recouvre une nouvelle exigence bien réelle pour les administrateurs et les dirigeants de Grandes Entreprises publiques ou privées ou d’Entités d’Intérêt Public (Etat, Administrations, Agences, collectivités territoriales,…). Et il faut d’entrée souligner que le concept de « Nouvelle Gouvernance » que nous retiendrons pour clarifier le propos, va au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler le gouvernement d’entreprise (« Corporate Governance ») car il inclut également la gouvernance économique (« Business Governance ») plus orientée sur l’efficacité des choix qui vont influer sur la performance « métier » de l’entité concernée. Une réponse à la montée des défis sociétaux … Le renforcement des exigences vis-à-vis des administrateurs et des dirigeants de Grandes Entreprises est une réponse à une évolution de nos sociétés modernes qui s’articule autour de quatre grands défis qui expliquent à la fois l’émergence du concept d’Entité d’Intérêt Public (E.I.P.) mais aussi les nouvelles obligations en matière de gouvernance et de contrôle interne. D’abord la financiarisation croissante de l’activité économique, en augmentant l’influence des marchés et des acteurs financiers sur l’évolution du patrimoine des épargnants ou des investisseurs et sur la sécurité des transactions, ont conduit certains Etats à renforcer leur législation dans ce domaine. Les nouvelles exigences, dans de nombreux pays industrialisés, matérialisées par une publication, par le management des sociétés cotées, d’un rapport sur le contrôle interne s’inscrivent dans cette mouvance qui vise à renforcer la confiance des investisseurs dans la fiabilité des comptes et l’efficacité des dispositifs de contrôle mis en place au sein de ces sociétés. L’augmentation de la taille des acteurs économiques et la globalisation des marchés augmentent indubitablement la sensibilité de la collectivité aux difficultés financières de l’un ou l’autre de ces acteurs dès lors qu’il atteint une certaine masse critique. La responsabilité des organes de direction et le fonctionnement effectif du conseil d’administration au travers des bonnes pratiques de gouvernance apparaissent de plus en plus comme un moyen de limiter le risque d’erreur dans les choix et les décisions majeurs. Le développement d’une civilisation en réseau en augmentant l’interdépendance et la proximité des acteurs économiques et des individus de la collectivité augmente la contagion des risques et l’importance des dégâts collatéraux. Les exigences croissantes en matière de management des risques et leur intégration dans le fonctionnement de la Nouvelle gouvernance des Entités d’Intérêt Public constituent une forme de réponse (limitation du risque accepté et du risque exporté à la collectivité) à ce défi. Enfin, même si cette évolution n’est pas récente, la place grandissante de l’argent dans l’échelle des valeurs et la reconnaissance sociale, confrontée aux abus et aux confusions d’intérêts qui ont émaillé l’actualité des dernières années, ont entraîné la résurgence d’une exigence d’éthique et de respect de principes de comportement envers les décideurs qui à raison du pouvoir qu’ils détiennent peuvent forcer ou s’exonérer des règles. Jean-Michel CHARPENTIER Associé KPMG France Associé Salustro Reydel Fall, Conseiller de l’ISA

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Une réponse à la montée des défis sociétaux … Le renforcement des exigences vis-à-vis des administrateurs et des dirigeants de Grandes Entreprises est une réponse à une évolution de nos sociétés modernes qui s’articule autour de quatre grands défis qui expliquent à la fois l’émergence du concept d’Entité d’Intérêt Public (E.I.P.) mais aussi les nouvelles obligations en matière de gouvernance et de contrôle interne. 1 2

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Pour une Nouvelle Gouvernance : Nouveaux Enjeux, Nouveaux Comportements

La notion de « Gouvernance », même si elle procède d’un anglicisme désormais passé dans l’usage courant de la langue française et certainement trop largement utilisée dans des contextes très diversifiés, recouvre une nouvelle exigence bien réelle pour les administrateurs et les dirigeants de Grandes Entreprises publiques ou privées ou d’Entités d’Intérêt Public (Etat, Administrations, Agences, collectivités territoriales,…). Et il faut d’entrée souligner que le concept de « Nouvelle Gouvernance » que nous retiendrons pour clarifier le propos, va au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler le gouvernement d’entreprise (« Corporate Governance ») car il inclut également la gouvernance économique (« Business Governance ») plus orientée sur l’efficacité des choix qui vont influer sur la performance « métier » de l’entité concernée. Une réponse à la montée des défis sociétaux … Le renforcement des exigences vis-à-vis des administrateurs et des dirigeants de Grandes Entreprises est une réponse à une évolution de nos sociétés modernes qui s’articule autour de quatre grands défis qui expliquent à la fois l’émergence du concept d’Entité d’Intérêt Public (E.I.P.) mais aussi les nouvelles obligations en matière de gouvernance et de contrôle interne. D’abord la financiarisation croissante de l’activité économique, en augmentant l’influence des

marchés et des acteurs financiers sur l’évolution du patrimoine des épargnants ou des investisseurs et sur la sécurité des transactions, ont conduit certains Etats à renforcer leur législation dans ce domaine. Les nouvelles exigences, dans de nombreux pays industrialisés, matérialisées par une publication, par le management des sociétés cotées, d’un rapport sur le contrôle interne s’inscrivent dans cette mouvance qui vise à renforcer la confiance des investisseurs dans la fiabilité des comptes et l’efficacité des dispositifs de contrôle mis en place au sein de ces sociétés.

L’augmentation de la taille des acteurs économiques et la globalisation des marchés

augmentent indubitablement la sensibilité de la collectivité aux difficultés financières de l’un ou l’autre de ces acteurs dès lors qu’il atteint une certaine masse critique. La responsabilité des organes de direction et le fonctionnement effectif du conseil d’administration au travers des bonnes pratiques de gouvernance apparaissent de plus en plus comme un moyen de limiter le risque d’erreur dans les choix et les décisions majeurs.

Le développement d’une civilisation en réseau en augmentant l’interdépendance et la

proximité des acteurs économiques et des individus de la collectivité augmente la contagion des risques et l’importance des dégâts collatéraux. Les exigences croissantes en matière de management des risques et leur intégration dans le fonctionnement de la Nouvelle gouvernance des Entités d’Intérêt Public constituent une forme de réponse (limitation du risque accepté et du risque exporté à la collectivité) à ce défi.

Enfin, même si cette évolution n’est pas récente, la place grandissante de l’argent dans

l’échelle des valeurs et la reconnaissance sociale, confrontée aux abus et aux confusions d’intérêts qui ont émaillé l’actualité des dernières années, ont entraîné la résurgence d’une exigence d’éthique et de respect de principes de comportement envers les décideurs qui à raison du pouvoir qu’ils détiennent peuvent forcer ou s’exonérer des règles.

Jean-Michel CHARPENTIER Associé KPMG France Associé Salustro Reydel Fall, Conseiller de l’ISA

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Une nouvelle dimension du « Contrôle » au sein des Grandes Organisations … Alors que les textes, les débats d’idée et les rapports traitant respectivement du gouvernement d’entreprise et du contrôle interne ont suivi pendant de nombreuses années des démarches distinctes, l’évolution de la pensée économique devrait conduire à une conception plus intégrée du Contrôle au sein des Grandes Organisations (Grandes Entreprises ou E.I.P.), s’appuyant sur un référentiel plus conforme à leur logique de fonctionnement, et dont la gouvernance constitue indubitablement la « couche » supérieure. En effet, cette « couche » supérieure de l’organisation régit l’efficacité du processus de décision des choix et des orientations majeurs de la Grande Entreprise ou de l’E.I.P. ainsi que du processus de contrôle de leur mise en œuvre par l’organe investi de ce pouvoir (Conseil d’Administration ou autres organes « équivalents » dans d’autres formes d’entité) au sein de l’entité concernée. La « Nouvelle Gouvernance » désigne l’ensemble des politiques, des dispositifs et des actions mis en œuvre par l’organe de décision (Conseil d’Administration ou autre forme) pour donner quatre assurances : Le processus de décision (de l’organe) est conçu et appliqué pour privilégier les meilleures

solutions au regard de la performance et de la conformité (« compliance ») de l’entité dans la réalisation durable de son métier et de ses missions ;

L’intérêt du public ainsi que des parties qui supportent une exposition de risque financier, économique ou de toute autre nature attachée aux droits fondamentaux de la personne, est pris en compte de façon satisfaisante ;

Une communication externe adaptée aux attentes du public et des parties en risque sur la performance ou la conformité de l’entité est assurée périodiquement ;

Un système de contrôle approprié des programmes qui ont été définis pour mettre en œuvre les orientations ou les choix arrêtés par l’organe de décision, assure un pilotage efficace de la réalisation du métier et des missions de l’entité ainsi que de l’atteinte des objectifs fixés dans ces programmes.

Pour compléter l’organisation du Contrôle, au sein de l’organisation, la Direction de la Grande Entreprise ou de l’E.I.P. conçoit et surveille le fonctionnement du dispositif de Contrôle Interne qui contribue à la maîtrise des activités, à l’efficacité des opérations et à l’utilisation efficiente des ressources. Même si le niveau ou la forme de l’implication du Conseil d’Administration en matière de Contrôle Interne peut varier d’une société à l’autre, il appartient à la Direction de lui rendre compte périodiquement, directement ou au travers du Comité d’Audit, des caractéristiques du dispositif de Contrôle Interne et de l’évaluation de l’efficacité de son fonctionnement. Ainsi le rôle de surveillance indirecte que doit exercer l’Administrateur sur l’efficacité du dispositif de contrôle interne de l’entité mis en place par la Direction pourrait-il devenir progressivement un levier de mise en cause de sa responsabilité par les tiers intéressés (« stakeholders ») ayant subi un préjudice. Au sein du dispositif de contrôle interne, une attention particulière doit être portée à l’environnement de contrôle de l’entité, c'est-à-dire, l’ensemble des politiques, des programmes et des mécanismes de pilotage qui sont mis en œuvre pour permettre à l’entité d’atteindre les objectifs fixés dans les choix et les décisions majeurs arrêtés par l’organe de décision. C’est, le plus souvent, dans l’organisation des entreprises, le domaine de responsabilité de l’encadrement supérieur et de la direction des fonctions métier ou support. La sensibilité de l’entité aux risques résultant d’une défaillance du Contrôle intervenant à cet étage de l’organisation est particulièrement importante car le plus souvent l’exposition financière ou l’impact du dommage sur la collectivité peuvent être considérables. Chacune des composantes de ce qui constitue le « Contrôle » au sein des Grandes Organisations participe à la même finalité qui est, d’une part, de sécuriser les choix et décisions majeurs, et, d’autre part, de définir et mettre en œuvre des contrôles adaptés pour réduire à un niveau jugé acceptable l’occurrence des risques qui empêcheraient l’entité d’atteindre ses objectifs. Ceci illustre la relation d’interdépendance entre le management des risques et le pilotage de l’efficacité du Contrôle.

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Quelques pistes de réflexion pour améliorer la Gouvernance … Sans prétendre livrer une réflexion totalement aboutie sur le sujet, il semble que trois pistes d’amélioration du fonctionnement de la Gouvernance des Grandes Entreprises ou des Entités d’Intérêt Publics puissent être poursuivies par les Administrateurs. En premier lieu, il faut renforcer le gouvernement d’entreprise autour des trois catégories usuelles de bonnes pratiques telles qu’elles ressortent des rapports et ouvrages qui en traitent, à savoir : assurer la capacité d’influence des membres de l’organe de décision face au management

exécutif, reposant notamment sur : 1. la compétence, la formation et l’expérience des membres, 2. la désignation de membres (administrateurs) indépendants, 3. la prévention des conflits d’intérêt, 4. la fréquence des réunions et la disponibilité ainsi que l’assiduité des membres, 5. l’implication et la rémunération des membres, …

mettre en place les dispositifs organisationnels d’aide au fonctionnement de l’organe de

décision, qui concernent principalement la constitution de comités spécialisés (Comité d’Audit, Comité des Rémunération, …) et la formalisation de règlements intérieurs ;

et, enfin, réaliser une évaluation, au minimum annuelle, du fonctionnement de l’organe de

décision. En deuxième lieu, il faut outiller le contrôle des performances économiques et l’évaluation des choix stratégiques car il s’agit là d’un domaine où les capacités d’investigation et de contrôle de l’organe de décision restent encore largement sous dimensionnées. Trois mesures apparaissent devoir être mises en place dans le fonctionnement de l’organe de décision : créer un comité stratégique indépendant, qui est une émanation des membres de l’organe de

décision, mettre en place un système d’évaluation des choix stratégiques, reposant sur une démarche

formalisée ou un outil instaurer une procédure d’arbitrage des conflits dans les cas exceptionnels où il existerait un

désaccord profond sur la stratégie de l’entreprise entre le management exécutif et le comité stratégique.

En troisième lieu, enfin, il faut intégrer dans la responsabilité de l’organe de décision, la surveillance du « Risk Management » mis en place par le management exécutif de l’Entreprise ou de l’Entité d’Intérêt Public. Ceci signifie au minimum deux choses : L’organe de décision, et donc la collectivité des Administrateurs, doit approuver (ou

modifier) le niveau du risque acceptable pour l’entité (« Risk Appetite ») qui lui est soumis par le management exécutif sur la base des analyses conduites par la fonction « Risk Management » créée au sein de l’Entité ;

Et, par ailleurs, l’organe de décision a une responsabilité de surveillance, d’une part, de la

pertinence de la politique de management des risques (« Risk Management Strategy ») définie par le management exécutif, et, d’autre part, de l’efficacité du système de management des risques (« Risk Management Framework ») mis en œuvre sous le contrôle du management exécutif.

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Pour relever les défis sociétaux et économiques des sociétés modernes, le Sénégal affiche clairement ses ambitions en matière de transparence et d’efficacité de la Gouvernance publique, notamment en ayant affecté des moyens dédiés au sein d’un Ministère de la Bonne Gouvernance et d’une Délégation au Management Public. Plus récemment, avec la création, il y a environ un an d’un Institut Sénégalais des Administrateurs, les acteurs économiques influents du pays ont donné un signe fort en direction de l’environnement pour affirmer leur croyance dans l’importance du rôle de l’Administrateur dans les Grandes Entreprises publiques et privées. Les missions et les ressources dévolues à cet Institut contribueront indubitablement à l’avènement progressif des conditions de fonctionnement de la « Nouvelle Gouvernance » dans toutes les entités économiques significatives du Sénégal. Jean-Michel CHARPENTIER